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SIDOINE APOLLINAIRE
SIDOINE
APOLLINAIRE
POÉSIE 24
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Étude
sur Sidoine Apollinaire et sur la société gallo-romaine au cinquième siècle.
avant-propos
Notice sur Sidoine Apollinaire
lettres
livre I
lettres livre II
lettres livre III
lettres livre IV
lettres livre V
lettres livre VI
lettres livre VII
lettres VIII
poésies 1
poésies2
poésies 3 et 4
poésies 5
poésies 6
poésies 7
poésies 8 -
poésies 9
poésies 10-14
poésies 15
poésies 16
poésies 17-21
poésies 22
l
CARMEN XXIV.
|
XXIV.
PROPEMTIQUE A SON
LIVRE
|
Egressus
foribus meis, libelle,
Hanc servare viam precor memento,
Quæ nostros bene ducit ad sodales,
Quorum nomina sedulus notavi.
Antiquus tibi nec teratur agger,
Cujus per spatium satis vetustis
Nomen
Cæsareum viret columnis.
Sed sensim gradere, ut moras habendo
Affectum veterem noves amicis. |
En
sortant de chez moi, ô mon livre, souviens-toi, je t’en prie, de suivre
la route qui mène chez mes amis, dont je t’indique soigneusement les
noms. Ne prends pas l’ancien chemin, le long duquel se voit le nom de
César sur d’antiques colonnes; va lentement, afin de resserrer dans tes
retards les nœuds de l’ancienne amitié qui me lient à mes amis. |
Ac primum Domiti larem severi
Intrabis, trepidantibus camenis:
Tam censorius
haud fuit vel ille,
Quem risisse semel ferunt in ævo.
Sed gaudere potes rigore docto:
15 Hic si te probat, omnibus
placebis,
Hinc te suscipiet benigna
Brivas,
Sancti quæ fovet ossa Juliani:
Quæ dum mortua mortuis putantur,
Vivens e tumulo micat potestas.
Hinc jam dexteriora carpis arva,
Emensusque jugum die sub uno,
Flavum crastinus aspicis
Triobrem.
Tum terram Gabalum satis nivosam,
Et quantum indigenæ volunt putari,
Sublimem
in puteo videbis urbem.
Hinc te temporis ad mei Laconas
Justinum rapies, suumque fratrem,
Quorum notus amor per orbis ora
Calcat Pirithoumque, Theseumque,
Et fidum rabidi sodalem Orestæ.
|
Tu te présenteras d’abord chez le sévère
Domitius. Les Muses tremblent devant lui, et il n’est pas moins à
redouter que ce censeur austère qui, dit-on, ne rit qu’une seule fois en
sa vie. Mais tu ne dois point t’alarmer de sa docte critique, car s’il
t’accorde son suffrage, tu la iras à tout le monde. Tu dirigeras ensuite
tes pas vers la bienveillante Brivas, où reposent les ossements de saint
Julianus, qui, du fond de sa tombe, semble vivre encore, tant il opère
de prodiges. Puis, franchissant les plaines qui sont à droite, tu
graviras la montagne en un seul jour, et le lendemain tu découvriras le
jaune Triobris et la terre des Gabales souvent couverte de neige; là,
comme les indigènes le veulent faire accroire, tu verras dans un puits
une ville magnifique. Tu te transporteras chez les Laconiens de mon
temps, Justinus et son frère, dont l’amitié mutuelle, connue de tout
l’univers, est plus célèbre que celle de Pirithoüs pour Thésée, que
celle du fidèle Pylade pour Oreste en fureur. |
Horum cum fueris sinu receptus,
Ibis Trevidon, et calumniosis,
Vicinum nimis heu jugum Rutenis.
Hic docti invenies patrem Tonanti,
Rectorem columenque Galliarum,
Prisci Ferreolum parem Syagri:
Conjux Papianilla quem pudico
Curas participans juvat labore,
Qualis nec
Tanaquil fuit, nec illa
Quam tu,
Tricipitine, procreasti,
Qualis nec
Phrygiæ dicata Vestæ,
Quæ contra satis Albulam tumentem
Duxit virgineo ratem capillo.
Hinc te
Lesora, Caucasum Scytharum
45 Vincens, aspiciet, citusque
Tarnis
Limosum et solido sapore pressum
Piscem perspicua gerens in unda.
Hi Zeti et Calais tibi adde pennas,
Nimbosumque jugum fugax caveto,
Namque est assiduæ ferax procellæ.
Sed quamvis rapido ferare cursu,
Lassum te Voroangus obtinebit.
Nostrum hic invenies Apollinarem,
Seu contra rabidi leonis æstus
Vestit frigore marmorum penates:
Sive hortis spatiatur in repostis,
Quales mellifera virent in Hybla,
Quales Coricium senem beantes
Fuscabat picei latex
Galesi.
Sive inter violas, thymum, ligustrum,
Serpyllum, casiam, crocum atque caltham,
Narcissos, hyacinthinosque flores
Spernit, quam pretii petitor ampli
Glebam thurifer advehit Sabæus.
Seu ficto potius specu quiescit,
Collis margine qua nemis reflexum
Nativam dare porticam laborans,
Non lucum arboribus facit, sed antrum.
Quis pomaria prisca regis Indi
Hic nunc comparet, aureasque vites,
Electro viridante pampinatas,
Cum Porus posuit crepante gaza
Fulvo, ex palmite vineam metalli,
Gemmarum fluitantibus racemis? |
Lorsque tu auras été accueilli dans leur
sein, tu te rendras à Trévidon, et vers cette montagne trop voisine,
hélas! des méchants Ruténi. C’est là que tu verras le père du savant
Tonantius, le bienfaiteur et l’appui des Gaules, Ferréolus, nival de
l’ancien Syagrius; Ferréolus, dont l’épouse Papianilla partage les soins
et les travaux; elle surpasse et Tanaquil, et la fille de Tricipitinus,
et la vierge consacrée à la Vesta phrygienne, laquelle, .avec ses
cheveux, fit remonter .à un vaisseau les ondes enflées du Tibre; tu
apercevras le Lésora, plus élevé que le Caucase, et le Tarn rapide, qui
nourrit dans ses eaux limpides un poisson limoneux d’une chair
excellente. Ici, mon livre, emprunte les ailes légères de Zétus et de
Calaïs, et évite cette montagne dont la cime est battue par d’éternelles
tempêtes; mais, quelle que soit la rapidité de ton vol, tu descendras
fatigué à Voroangus. C’est là que tu découvriras notre Apollinaris,
occupé soit à revêtir sa maison de colonnes de marbre, pour en opposer
la fraîcheur aux ardeurs brûlantes du Lion; soit à parcourir ses jardins
délicieux, pareils à ceux qui embellissent le sommet de l’Hybla, fertile
en miel, ou à ceux qui faisaient les délices du vieillard Gorycien, et
qu’arrosaient les eaux du noir Galésus; soit à errer au milieu des
violettes, du thym, du troène, du serpolet, de la casia, du safran, du
souci, du narcisse et de l’hyacinthe, fleurs qui valent mieux pour lui
que les parfums précieux du Sabbéen; soit plutôt à se reposer dans une
grotte artificielle, au penchant d’une colline et sous des arbres qui,
formant un portique naturel, ressemblent moins à un bois qu’à un antre.
Qui oserait vanter les jardins de cet ancien roi des Indes et les vignes
d’or aux feuilles d’un métal précieux, que Porus embellit de pierreries
en forme de raisins? |
Hinc tu Cottion ibis, atque
Avito
75 Nostro dicis ave, dehinc valeto
Debes obsequium viro perenne:
Nam dent hinc veniam mei propinqui,
Non nobis prior est parens amico.
Hinc jam te Fidulus decus bonorum,
Et nec Tetradio satis secundus,
Morum dotibus aut tenore recti,
Sancta suscipit hospitalitate.
Exin tende gradum, Tribusque villis
Thaumastum expete, quemlibet duorum:
Quorum junior est mihi sodalis
Et collega simul, graduque frater.
Quod si fors senior tibi invenitur.
Hunc pronus prope patruum saluta. |
Tu te rendras de Voroangus à Cottion; tu
diras à notre Avitus: Salut; tu lui diras: Adieu. Tu dois à cet homme un
éternel hommage, car, et puissent les miens excuser ma franchise! un
parent n’est pas plus pour nous qu’un ami. Fidulus, l’honneur des gens
de bien et le digne rival de Tétradius, par les qualités de son cœur et
par son amour constant de la justice, t’honorera d’une sainte
hospitalité. De là tu iras à Tresville, chez l’un des deux Thaumastus;
le plus jeune est mon compagnon d’études, mon collègue et mon frère en
dignités. Si le hasard te fait rencontrer l’autre, rends-lui les mêmes
respects à peu près qu’à mon oncle paternel. |
Hinc ad
consulis ampla tecta Magni,
Felicemque tuum veni, libelle.
Et te bibliotheca quæ paterna est,
Qualis nec tetrici fuit Philagri,
Admitti faciet Probus probatum.
Hic sæpe
Eulaliæ meæ legeris,
Cujus Cecropiæ pares Minervæ
Mores, et rigidi senes, et ipse
Quondam purpureus socer timebant. |
N’oublie pas, mon livre, d’aller trouver
les illustres consuls Magnus et Félix; Probus te conciliera les
suffrages et te fera admettre dans la bibliothèque de son père, plus
vaste que celle de Philagrius. C’est là que tu seras lu souvent par mon
Eulalie, dont la pudeur, semblable à celle de Minerve l’Athénienne,
inspirait du respect aux plus austères vieillards, et au César mon
beau-père. |
Sed jam
sufficit, ecce linque portum,
Ne te pondere plus premam saburræ.
His in versibus ancoram levato. |
Mais en voilà bien assez; abandonne le
port, dans la crainte que je n’aille te charger davantage, tu peux
maintenant lever l’ancre. |
|
NOTES DU CARMEN XXIV.
Propemticon. —
Adieu, pièce de vers adressée à une personne partant pour un voyage, du grec
propemtein,
envoyer devant, ou escorter, accompagner, faire la conduite. Le grammairien
Charisius cite un Propempticum Poltionis,
par Helvius Cinna. Himénus a composé un Propempticum Ampelii.
La 2e Sylve du liv. III de Stace est intitulée
Propempticum Metii Celeris. Les poètes latins
modernes ont fait plusieurs pièces de ce genre. Celle de Sidonius, est adressée
à son livre qu’il envoie à Narbonne, et avec lequel il visite, en quelque
sorte, les amis qu’il a sur la route de cette ville, il lui fait faire
précisément dix stations, dont nous empruntons au P. Sirmond l’analyse suivante:
La première
est chez le grammairien Domitius, auquel est écrite l’épître 2 du liv. II; la
Seconde, à Brivas (aujourd’hui Brioude), ville
actuellement divisée en deux, la nouvelle, célèbre par son chapitre de chanoines
séculiers, et l’ancienne, celle dont parle Sidonius (on voyait à Brioude le
tombeau de St. Julien: c’est aussi dans cette ville que fut enterré l’empereur
Avitus); la troisième,
dans la ville des Gabales, après avoir traversé la montagne et le fleuve
Triobris, appelé encore aujourd’hui Tobris, et coulant des montagnes des Gabales
jusque chez les Ruthènes; la
quatrième, chez les
frères Sacerdos et Justinus, dont il ne nous apprend pas le domicile : il y a,
dans le livre V des Epît., des lettres adressées à l’un et à l’autre; la
cinquième, chez l’ancien préfet Ferréolus et sa femme
Papianilla, à Trévidon, aux confins des Ruthènes; la
sixième, chez Apollinaris, dans sa maison de campagne à
Voroangus, dont il est question liv. II, épît. 9, et qui était voisine du mont
nommé Lesora, autrefois connu à Rome, au rapport de Pline, Hist. nat.
XI, 42, pour l’excellence de son fromage. On l’appelle aujourd’hui Losère,
par une transposition de lettres. Sidonius mentionne encore le fleuve Tarnis
(le Tarn), qui roule des paillettes d’or, et qui prend sa source dans les
Cévennes et va se jeter dans la Garonne en suivant les confins de l’Aquitaine et
de la Narbonnaise; la
septième, à Cottium, chez Avitus, auquel est adressée la 1re
épître du liv. III; la
huitième, chez Fidulus, mais il ne dit pas en quel endroit, et il n’est
parlé de ce Fidulus nulle autre part. Ce nom n’est cependant pas inconnu dans
les Gaules. S. Fidulus, auvergnat de naissance, abbé de Troyes en Champagne ou
il est en grande vénération sous le nom de St. Fal, florissait peu de temps
après Sidonius, sous le règne de Théodoric; la
neuvième, chez
Thaumastus, à Troisvilles (Tresvillæ). Il est
souvent question, dans les lettres de Sidonius, de Thaumastus et de son frère
Apollinaris; la dixième et dernière, chez Magnus et ses fils Félix et Probus.
Nous apprenons par le Carm. XXIII que Magnus était d’une famille
narbonnaise. Quant à Eulalia, femme de Probus, nous avons déjà remarqué sur
l’ép. 1 du liv. IV, que, d’après la pièce, objet de cette note, elle était
parente de Sidonius. (Note de C. Breghot du Lut.)
Tant d’auteurs, depuis Horace, se sont entretenus
avec leur livre, qu’il est impossible que cette sorte de badinage
ne soit pas épuisé aujourd’hui. Notre poète se borne à tracer un itinéraire à
son volume, et véritablement il a pris le bon parti.
7. —
Cæsarum.
— Souvent les colonnes milliaires des Romains portaient le nombre des milles, le
nom et les qualités de ceux qui les avaient élevées ou rétablies.
12-13. —
Censorius … quem risisse semel,
etc. Ce censeur qui ne rit, dit-on, qu’une fois en sa vie, ce qui lui
valut le surnom d’Agélaste, est le célèbre Marcus Crassus. Voyez
Cicéron, Tuscul. III, 15; Pline, Hist. nat.
VII, 19; Macrobe, Saturn. II, 1, etc. S. Jérôme, Epist.
4, nous apprend que ce qui fit rire Marcus Crassus, fut ce mot dit en sa
présence à l’occasion d’un âne qui mangeait des laitues: « Telles lèvres, telles
laitues. » Caton, qui fut également censeur, ne rit pareillement qu’une fois: on
ajoute que ce fut si fortement que, pour exprimer un rire très fort, on se
servit dans la suite de cette expression proverbiale, un rire catonien.
(Note de C. Breghot du Lut.)
16.
Brivas.
— Aujourd’hui Brioude.
22. —
Triobrem.
— Est-ce le Touroubre, ou la Truyère qui se jette dans la Dordogne à Entraigues?
25. —
In Puteo.
— L’auteur veut peut-être parler de Puy-Dom ou de Puy-Laurens, etc.
39. —
Tanaquil. — Tanaquil, appelée aussi
Caia Cæcilia, épouse de Tarquin l’Ancien, cinquième roi
de Rome, célèbre par ses vertus et surtout sa libéralité. On conserva longtemps
à Rome sa ceinture et la robe de son gendre Servius Tullius, qu’elle avait
brodée elle-même. (Note de C. Breghot du Lut.)
40. —
Tricipitine.
— Lucrétius Tricipitinus, père de la célèbre Lucrèce. (Note de C. Breghot du
Lut.)
41-3. —
Phrygia dicata vestæ. — La vestale
Claudia. Voyez Valère-Maxime, V, 4; Properce, IV,
xii, 52; Ovide, Fast.
IV, 315, etc. (Note de C. Breghot du Lut.)
44. —
Lesora.
— La Losère est une des plus hautes montagnes des Cévennes, vers les confins du
Gévaudan, du côté du Rouergue.
48. —
Hic Zeti et Calais tibi adde pennas. —Zètès
et Calaïs étaient frères, fils de Borée, compagnons des Argonautes. Ils avaient
des ailes comme leur père; Sidonius se trompe eu disant Zeti,
comme site nominatif était Zétus; il aurait écrire Zetis,
car les Grecs écrivaient
Ζηθης; mais la mesure du vers n’eût pas été
exacte. Zétus ou Zéthus était fils de Jupiter et d’Antiope, et
frère d’Amphion. La même confusion de noms se trouve dans les manuscrits
d’Ovide, Métam. VI, 716. Voyez le Properce de Burmann, I,
xx, 26. (Note de C. Breghot du
Lut.)
59. —
Galesi.
— Le Galèse, maintenant Galeso, coule dans la Calabre, et se décharge dans la
mer, près de Tarente. — Corycie était une ville de la Cilicie, aujourd’hui
nommée Cureo, dans la Caramanie, vis-à-vis l’île de Chypre.
Ces deux vers de Sidonius rappellent un des plus
beaux épisodes de Virgile, Georg. IV, 125 et suiv.
95. —
Eulaliæ.
— Femme de Probus, et parente de Sidonius.
|