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SIDOINE APOLLINAIRE

POÉSIES 15

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

Étude sur Sidoine Apollinaire et sur la société gallo-romaine au cinquième siècle.

avant-propos

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CARMEN XV.

EPITHALAMIUM POLEMIO ET ARANEOLÆ DICTUM.

XV.

ÉPITHALAME DE POLÉMIUS ET D’ARANÉOLA.

Forte procellosi remeans ex arce Capharei,
Phœbados Iliacæ raptum satis ulta pudorem.
Pallas, Erichthæo Xanthum mutabat Hymetto;
Aurato micat ære caput, majusque serenum
De terrore capit: posito nam fulmine necdum
Cinyphio Tritone truces hilaraverat artus.
Gorgo tenet pectus medium, factura videnti
Et truncata moras: nitet insidiosa superbum
Effigies, vivitque anima pereunte venustas.
Alta cerastarum spiris caput asperat atrum
Congeries; torquet maculosa volumina mordax
Crinis, et irati dant sibila tetra capilli.
Squameus ad mediam thorax non pervenit alvum
Post chalybem pendente peplo; tegit extima limo
Circite palla pedes, qui cum sub veste moventur,
Crispato rigidæ crepitant in syrmate rugæ.
Lævam parma tegit, Phlegræi plena tumultus.
18 Hic rotat excussum vibrans in sidera Pindum
Enceladus, rapido fit missilis Ossa Typhœo.
Porphyrion Pangæa rapit, Rhodopenque Adamasthor
Strymonio cum fonte levat, veniensque superne
Intorto calidum restinguit flumine fulmen.
Hic Pallas Pallanta petit, cui Gorgone visa
Invenit solidum jam lancea tarda cadaver.
Hic Lemnon pro fratre Mimas contra Ægida torquet,
Impulsumque quatit jaculabulis insula cœlum.
Plurimus hic Briareus populoso corpore pugnat,
Cognatam portans aciem, cui vertice ab uno
Cernas ramosis palmas fruticare lacertis.
Nec species solas monstris, dedit arte furorem
Mulciber, atque ipsas timuit quas finxerat iras.
Hastam dextra tenet, nuper quam valle Aracynthi
Ipsa sibi posita Pallas protraxit oliva.
Hoc steterat genio, super ut vestigia divæ
Labentes teneat Marathonia bacca trapetas.

Minerve, revenant de la montagne orageuse de Capharée, après avoir vengé l’honneur de la prêtresse troyenne, quittait les rives du Xanthe pour diriger ses pas vers l’Hymette, dans les états d’Erichthée. Sur sa tête brillait un casque d’or, et la terreur même qu’inspirait son visage lui donnait quelque chose de plus serein, car elle venait de déposer la foudre, et n’avait point encore égayé son âme farouche sur les bords du Triton Cinyphien. Au milieu de sa poitrine paraissait la tête de la Gorgone, qui tue ceux qui la regardent; cette figure insidieuse respire la fierté, et sa beauté survit, même après le trépas; elle est hérissée de noirs serpents qui lui tiennent lieu de cheveux; ces reptiles ne cessent de rouler leurs corps tachetés, et, toujours irrités, ils poussent d’horribles sifflements. La cuirasse écaillée de la déesse venait à peine à la moitié de sa taille, et au-dessous se prolongeait une robe dont les bords s’étendaient jusqu’à ses pieds, et, lorsqu’elle s’agitait sous ce vêtement, on entendait le frôlement des plis de l’étoffe. Elle avait à son bras gauche une égide sur laquelle était représenté le combat de Phlégra. Là, on voyait tournoyer dans l’air la montagne du Pinde qu’Encelade venait de lancer contre le ciel, après l’avoir arrachée de ses fondements; ici, le mont Ossa, lancé par le bras de Typhée, volait avec rapidité; là, Porphyrion enlevait le mont Pangée; Adamastor soulevait le Rhodope avec la source du fleuve Strymon, dont les eaux rencontrant la foudre qui tombait du ciel, l’enveloppaient et l’éteignaient. Là, Minerve attaquait Paliante, et, comme les yeux de ce géant avaient rencontré la Gorgone, la lance tardive de la déesse ne trouva plus qu’un cadavre pétrifié. Là, Mimas, pour venger son frère, poussait avec force l’île de Lemnos contre l’égide de Minerve, et, pirouettant dans les airs, l’île frappait la voûte du ciel ébranlé. Là, Briarée combattait avec son énorme corps; surmontés d’une seule tête, tous ses bras, vaste armée, ressemblaient aux innombrables rameaux d’un arbre immense. Vulcain ne s’était pas contenté de retracer au naturel ces géants monstrueux; il avait su exprimer la fureur sur leurs visages avec un tel art, qu’il fut lui-même effrayé de son propre ouvrage. Minerve tenait de sa main droite une lance formée de l’olivier qu’elle avait planté naguère dans la vallée d’Aracynthe; elle voulait que, sur ses traces, l’olive de Marathon ..........................

Hic duo templa micant, quorum supereminet unus
Ut meritis, sic sede locus, qui continet alta
Scrutantes ratione viros, quid machina cœli,
Quid tellus, quid fossa maris, quid turbidus ær,
40 Quid noctis lucisque vices, quid menstrua lunæ
Incrementa parent, totidem cur damna sequantur.

C’est en ce lieu que se trouvent deux temples magnifiques, dont l’un est supérieur à l’autre, et par son élévation et par ce qu’il renferme. Dans son intérieur, il est des hommes qui observent savamment le cours des astres; qui cherchent à deviner les secrets de la voûte céleste, du globe de la terre, des profondeurs de l’Océan; qui étudient les causes de l’agitation des airs, l’ordre successif des jours et des nuits, l’accroissement et le décroissement périodique de la lune, et son influence nuisible sur la terre.

Ilicet hic summi resident septem sapientes,
Innumerabilium primordia philosophorum.
Thales Mileto genitus vadimonia damnat,
Lyndie tu Cleobule jubes modus optimus ut sit,
Tu meditans totum decoras Periandre Corinthon,
Atticus inde Solon ne quid nimis approbat unum,
Prienæe Bia, plureis ais esse malignos,
Tu Mitylene satus cognoscis Pittace tempus,
Noscere sese ipsum Chilon Spartane docebas.
Asserit hic Samius post docta silentia lustri
Pythagoras, solidum princeps quod musica mundum
Temperet, et certis concentum reddat ab astris,
Signaque Zodiacus quæ circulus axe supremo
Terna quater retinet, proprio non currere motu,
Æquis inter se spatiis tamen esse locata.
Fixaque signifero pariter quoque cernua ferri,
Præcipuumque etiam septem vaga sidera cantum
Hinc dare, perfectus numerus quod uterque habeatur:
Hoc numero affirmans, hoc ordine cuncta rotari.
Falciferi Cronon ire senis per summa polorum,
Martis contiguum, medio Jove, pergere sidus,
Post bos, jam quarto se flectere tramite Solem,
Sic placidam Paphien servare diastema quintum,
Arcadium sexto, Lunam sic orbe supremo
Ter denas tropico prope currere climate miras.

Là, résident les sept Sages, source féconde d’un nombre incroyable de philosophes: Thalès de Milet, qui condamne les procès; Cléobulus de Linde, qui veut de la mesure en tout ; Périander de Corinthe, devenu la gloire de sa patrie par ses méditations sur l’universalité des choses; Solon de l’Attique, ne trouvant de vrai que cette maxime: Rien de trop; Bias de Prienne, qui sans cesse gémissait sur la méchanceté des hommes; Pittacus de Mitylène, juste appréciateur du temps; Chilon de Sparte, qui enseignait l’art de se connaître soi-même; Pythagore de Samos, qui, après le docte silence d’un lustre, assure que l’harmonie est la source de l’ordre qui règne dans l’univers; qu’elle maintient l’accord et l’équilibre entre les astres; que les douze signes du zodiaque n’ont point un mouvement qui leur soit propre, et qu’ils sont placés néanmoins à une distance égale les uns relativement aux antres ..................... ; que les sept planètes forment le concert principal, et que ce nombre de sept est le fondement de l’harmonie parfaite, dans l’ordre du chant, comme dans celui du mouvement des astres; il soutient que l’astre du vieux Saturne parcourt les hauteurs des cieux; que celui de Mars vient après celui de Jupiter; que le Soleil marche à leur suite au quatrième rang; que la paisible Vénus est au cinquième diastéma, Mercure au sixième, la Lune au septième.

Si quos ergo chelys, si quos lyra, tibia si quos
Ediderint cum voce modos, exemplar ad istud
69 Ponderibus positis, quantum proportio suadet,
Intervalla sequi septeni sideris edit.
Harmoniam dicens etiam, quod quatuor istis
Sic sedeant elementa modis, ut pondere magnis
Sit locus inferior: media tellure quod autem
Perfecte medium est, imum patet esse rotundi,
Hinc fieri, ut terram levior superemicet undas;
Altior his quoque sit, qui purior eminet ær;
Omnia concludat cœlum levitate supremæ,
Pendeat et totum simul hoc ab origine centri.

De même que le luth, la lyre, la flûte et la voix produisent sept tons plus élevés les uns que les autres, de même les sept planètes se meuvent à des intervalles fixés par la proportion de leur poids; il trouve aussi de l’harmonie dans la disposition des quatre éléments, dont le plus pesant occupe le lieu le plus bas; par cette raison, la terre forme le milieu du centre; l’eau, plus légère, coule sur sa surface ; l’air, plus subtil encore, nage au-dessus de l’une et de l’autre ; enfin, le ciel, le plus léger de tous, les environne, en sorte que l’ordre et la force qui les unissent dépendent du point central.

Thales hic etiam numeris perquirit et astris,
Defectum ut Phœbi, nec non lunæque laborem
Nuntiet anterius; sed rebus inutile ponit
Principium, dum credit aquis subsistere mundum.
Hujus discipuli versa est sententia, dicens
Principiis propriis semper res quasque creari.
Singula qui quosdam fontes decernit habere
Æternum irriguos, ac rerum semine plenos.

C’est là aussi qu’on voit Thalès, qui, par des calculs astronomiques, cherche à prédire les éclipses du soleil et de la lune; mais il part d’un faux principe, en croyant que les eaux seules font subsister l’univers. Le système de son disciple est bien différent; il soutient que toutes les choses ont été créées par des causes propres à chacune d’elles; que tous les êtres renferment des germes intarissables d’où la semence s’écoule sans cesse, comme d’une source, pour les reproduire.

Hunc etiam sequitur qui gignere cuncta putabat
Hunc ærem, pariterque deos sic autumat ortos.
Quartus Anaxagoras Thaletica dogmata servat.
Sed divinum animum sentit, qui fecerit orbem.
Junior huic junctus residet collega; sed idem
Materiam cunctis creaturis æra credens,
Judicat inde Deum faceret quo cuncta tulisse.
Post hos Arcesilas divina mente paratam
Conjicit hanc molem, confectam partibus illis
96 Quas atomos vocat ipse leves.

Après le disciple de Pythagore, vient celui qui pensait que l’air produit toutes choses, et que les dieux eux-mêmes lui doivent leur existence. Anaxagoras, le quatrième, se montre partisan du système de Thalès; mais il reconnaît un esprit divin, créateur de l’univers. Près de lui, son jeune collègue affirme que l’air est le principe de tout, et pense que Dieu s’est servi de l’air pour tout produire. Après ceux-là paraît Arcésilas; il suppose que ce monde a été créé par une intelligence divine, et qu’il est composé de parties qu’il appelle atomes imperceptibles.

                                               Socratica post hunc
Secta micat, quæ de naturæ pondere migrans
Ad mores hominum limandos transtulit usum.
Hanc sectam perhibent summum excoluisse Platona,
Sed triplici formasse modo, dum primus et unus
Physica vel logico, logicum vel jungit ad ethos.
Invenit hic princeps quid prima essentia distet
A summo sextoque bono; cum denique saxa
Sint tantum, penitusque nihil nisi esse probentur:
Proxima succedant, quibus esse et vivere promptum est,
Addere quis possis nil amplius arbore et herba;
Tertia sit pecorum, quorum esse et vivere motu
Non caret et sensu; mortales quarta deinde
Respiciat factura suos, quibus esse, moveri,
Vivere, cum sensu datur, et supereminet illud
Quod sapiunt, veroque valent discernere falsum:
Quinta creaturas superas substantia prodat,
Quas quidam dixere deos, quia corpora sumant
Contemplanda homini, paulo post ipsa relinquant,
 Inque suam redeant, si qua est tenuissima, formam:
Sic fieri ut pateat substantia summa creator:
Sexta tamen, supraque nihil, sed cuncta sub ipso.
Hoc in gymnasio Polemi sapientia vitam
Excolit, adjunctamque suo fovet ipsa Platoni.
Obviet et quanquam totis Academia sectis,
Atque neget verum, veris hunc laudibus ornat.

Vient ensuite la secte de Socrate, qui, abandonnant l’étude abstraite de la nature, s’occupe de former et de polir les mœurs. Nous savons que le célèbre Platon suivit cette secte, mais qu’il composa sa doctrine de trois sciences différentes, et qu’il fut le premier et le seul qui unit l’étude de la physique à celle de la logique, et celle de la logique à celle de la morale. Ce prince de la philosophie imagina une distance progressive entre les premiers êtres et le souverain être, qu’il appelle le sixième bien. Il place au premier rang les pierres qui existent seulement, sans avoir autre chose que l’existence; au second, les végétaux, qui ont l’existence et la vie, comme les arbres et les plantes; au troisième, les animaux, qui ont l’existence, la vie, le mouvement et les sensations; au quatrième, les hommes, qui ont aussi l’existence, la vie, le mouvement et les sensations, et qui, de plus, sont doués de la raison, de la sagesse et de la faculté de distinguer le vrai d’avec le faux; au cinquième, les créatures supérieures, que plusieurs ont regardées comme des dieux, parce qu’elles prennent des corps pour communiquer avec les mortels, et qu’elles peuvent, à leur gré, reprendre leur forme primitive, si toutefois l’on peut leur en supposer une, même très légère; au sixième, l’être par excellence, le créateur universel, au-dessus de tout, et n’ayant rien au-dessus de lui. C’est à une pareille école que la sagesse façonne le cœur de Polémius, et qu’elle aime à le voir épris de Platon. Quoique l’Académie combatte toutes les sectes, quoiqu’elle nie l’existence de vrai, elle ne laisse pas de combler Polémius d’éloges bien mérités.

Stoica post istos, sed concordantibus ipsis,
Chrysippus, Zenonque docent præcepta tenere.
124 Exclusi prope jam Cynici, sed limine restant,
Ast Epicureos eliminat undique virtus.

Après ces philosophes viennent Chrysippus et Zénon, d’accord entre eux et enseignant les principes du stoïcisme; quant aux Cyniques, ils sont à peu près exclus de ce temple, mais on leur permet de rester sur le seuil; il n’y a que les épicuriens qui en soient bannis.

At parte ex alia textrino prima Minervæ.
Palla Jovis rutilat, cujus bis coctus aheno
Serica Sidonius fucabat stamina murex.
Ebria nec solum spirat conchylia sandix:
Insertum nam fulgur habet, filoque rigenti
Ardebat gravidum de fragmine fulminis ostrum.
Hic viridis patrio Glaucus pendebat amictu:
Undabant hic arte sinus, fictoque tumore
Mersabat pandas tempestas texta carinas.
Amphitryoniadi surgebat tertia vestis:
Parvulus hic gemino cinctus serpente novercæ,
Inscius arridet monstris, ludumque putando
Insidias dum nescit amat, vultuque dolentis
Exstingui deflet quos ipse interficit angues.
Præterea sparsis sunt hæc subjecta figuris,
Sus, leo, cerva, gigas, taurus, juga, Cerberus, hydra,
Hospes, Nessus, Eryx, volucres, Thrax, Cacus, Amazon.
Cres, fluvius, Libs, poma, Lycus, virgo, polus, Œte.
Hoc opus, et si quid superest, quod nomina nescit,
Virgineæ posuere manus; sed in agmine toto
Inter Cecropias Ephyreiadasque puellas
Araneola micat: proprias conferre laborat
Ipsa Minerva manus, calathisque evicta recedens,
Cum tenet hæc telas, vult hæc plus tela tenere.
Hic igitur proavi trabeas imitata rigentes,
Palmatam parat ipsa patri, qua consul et idem
152 Agricolam contingat avum, doceatque nepotes
Non abavi solum, sed avi quoque jungere fasces.
Texuerat tamen et chlamydes, quibus ille magister
Per Tartesiacas conspectus splenduit urbes,
Et quibus ingestæ sub tempore præfecturæ
Conspicuus, sanctas se reddit præsule leges.
Attamen in trabea segmento luserat alto,
Quod priscis illustre toris. Ithacesia primum
Fabula, Dulichiique Iares formantur, et ipsam
Penelopen tardas texit distexere telas.
Tænaron hic frustra, bis rapta conjuge, pulsat
Thrax fidibus, legem postquam temeravit Averni,
Et prodesse putans, iterum non respicit umbram
Hic vovet Alceste prælato conjuge vitam
Rumpere: quam cernas Parcarum vellere in ipso
Nondum pernetam, fato præstante salutem.
Hic nox natarum Danai lucebat in auro,
Quinquaginta enses genitor quibus impius aptat,
Et dat concordem discordia jussa furorem.
Solus Hypermnestræ servatus munere Lynceus
Effugit, aspicias illam sibi parva paventem,
Et pro dimisso tantum pallere marito.
Jamque Jovem in formas mutat, quibus ille tenere
Mnemosynem, Europam, Semelen, Ledam, Cynosuram,
Serpens, bos, fulmen, cygnus, Dictynna solebat.
Jamque opus in turrem Danae, pluviamque metalli
Ibat, et hic alio stillabat Juppiter auro.

D’un autre côté, on voyait sur le métier de Minerve le manteau de Jupiter, dont le soyeux tissu recevait l’éclat de la pourpre sidonienne deux fois échauffée dans l’airain; le mélange des éclairs et du rouge brillant de la foudre lui donnait un nouveau lustre; l’art de Minerve exprimait aussi et Glaucus couvert d’un manteau verdoyant, et des voiles gonflées par l’orage, et des vaisseaux engloutis par les tempêtes. On distinguait aussi le fils d’Amphitryon, entouré des deux serpents que lui avait envoyés sa marâtre et souriant à ces monstres hideux qu’il ne connaît pas, se plaisant à un danger qu’il regarde comme un jeu, puis, le visage attristé, voyant mourir avec peine les serpents que lui-même a tués. On distinguait encore d’autres figures en divers endroits: le sanglier, le lion,la biche, le géant, le taureau, les monts, Cerbère, l’hydre, l’hôte, Nessus, Eryx, les oiseaux le Thrace, Cacus, l’Amazone, le Crétois, le fleuve, le Libyen, les pommes, Lycus, la jeune fille, le ciel, l’Œta. Ces travaux, et bien d’autres encore qui ne sont pas connus, les mains virginales de Minerve les retraçaient avec habileté. Mais, au milieu de toutes les filles d’Athènes et de Corinthe, on remarquait Aranéola. Minerve se présente en vain pour lui aider, elle éprouve un refus, et ne veut dorénavant que s’armer d’un trait, puisque Aranéola tient la navette diligente. Se modelant sur la riche trabée de sou aïeul, celle-ci prépare à son père une robe brodée de palmes, avec laquelle, consul aussi lui-même, il puisse atteindre la gloire de son aïeul Agricola, et enseigner à ses petits-fils qu’ils doivent unir leurs faisceaux non seulement à ceux de leur bisaïeul, mais encore à ceux de leur aïeul. Déjà la main industrieuse de cette fille chérie avait tissu les vêtements sous lesquels son père acquit tant de gloire dans les villes Ibériennes, en exerçant les fonctions de préfecture et en dictant de sages lois, en qualité de chef. La partie supérieure de la trabée représentait les faits illustres concernant quelques époux de l’antiquité ; elle étalait aux yeux ce que la fable rapporte d’Ithaque, de Dulichium, puis montrait Pénélope défaisant, pendant la nuit, ce qu’elle avait tissu le jour. Aranéola montrait le chantre harmonieux de la Thrace redemandant en vain au Ténare son épouse qui venait de lui être ravie pour la seconde Ibis, depuis qu’il avait violé les lois de l’Averne; espérant encore pouvoir fléchir les dieux, il ne se retourne plus pour contempler l’ombre chérie. Aranéola montrait la pieuse Alceste faisant le sacrifice de sa vie afin de sauver son époux; mais les Parques n’avaient point encore achevé de filer le tissu de ses jours, car les destins ne voulaient pas qu’elle mourût si tôt. On voyait sous Les mains d’Aranéola cette fameuse nuit des filles de Danaüs, que leur père cruel arma de cinquante poignards, que la fureur unit pour exécuter le même forfait. Lyncée échappe seul à ce carnage, sauvé par Hypermnestre qui, sans craindre pour elle, craint tout pour son mari. Enfin, la robe représentait les différentes formes sus lesquelles se métamorphosa Jupiter, afin de surprendre plusieurs femmes; on le voyait en serpent pour Mnémosyne, en taureau pour Europe, en foudre pour Semélé, en cygne pour Léda, sous la figure de Dictynne pour Calisto, en pluie métallique pour Danaé quand il entra dans sa tour et qu’il distilla un autre or.

Cum virgo aspiciens vidit Tritonida verso
180 Lumine, doctisenas spectare libentius artes:
Commutat commota manus, ac pollice docto
Pingere philosophi victricem Laida cœpit,
Quæ Cynici per menta feri, rugosaque colla,
Rupit edoratam redolenti forcipe barbam.
Subrisit Pallas, castoque hæc addidit ore:
Non nostra ulterius ridebis dogmata, virgo
Philosopho nuptura meo; mage flammea sumens,
Hoc mater sine texat opus. Consurge sophorum
Egregium Polemi decus, ac nunc stoica tandem
Pone supercilia, et cynicos imitatus amantes,
Incipias iterum parvum mihi ferre Platona.
Hærentem tali compellat voce magister;
Perge libens, neu tu damnes fortasse jugari
Quod noster jubet ille senex, qui non piger hausit
Numina condemnans Anyto pallente venenum.

Aranéola, voyant paraître Minerve qui regardait son ouvrage avec complaisance, fit émue, et, changeant de dessin, commença à tracer d’une main savante la défaite du philosophe cynique par Laïs, qui lui coupa, avec des ciseaux parfumés, la barbe odorante dont son menton sauvage et son cou ridé avaient été couverts. Minerve sourit et lui dit avec douceur: « Tu ne riras plus de mes préceptes, ô vierge, car tu vas devenir l’épouse de mon philosophe. Prends plutôt ce voile couleur de flamme, et laisse à ta mère le soin de terminer cet ouvrage. Toi, Polémius, la gloire et l’honneur des philosophes, lève-toi, abandonne enfin la fierté stoïque, et, imitant les cyniques amoureux, prépare-toi à me donner un nouveau Platon. » Comme il hésitait, le sage dont il était le disciple lui adressa la parole en ces termes: « Rends-toi de bonne grâce, et ne te fais point un scrupule de céder à l’hymen; tu ne feras que suivre le conseil de ce vieillard, philosophe comme nous, qui, condamnant les dieux, sans crainte avala le poison, tandis qu’Anytus frémissait épouvanté. »

Dixerat; ille simul surgit, vultuque modesto
Tetrica nodosæ commendat pallia clavæ.
Amborum tum diva comas viridantis olivæ
Pace ligat, nectit dextras, ac fœdera mandat,
Nymphidius quæ cernat avus, probat Atropos omen,
Fulvaque concordes junxerunt fila sorores.

A peine a-t-il fini ces paroles, que Polémius se lève, puis, d’un air modeste, dépose le manteau sévère et le bâton noueux. La déesse entrelace les cheveux des deux amants autour d’une branche d’olivier, symbole de la paix qui doit régner entre eux; elle unit leurs mains et ordonne leur mariage, dont Nymphidius, leur aïeul, doit être témoin. Atropos approuve cette union, et ses sœurs s’accordent pour filer aux époux des jours dorés.

CARMEN XV.

 

 

6. — Tritone. — Fleuve de l’Afrique Tripolitaine, qui se jette dans un marais appelé Tritonia. Pallas, disent quelques mythologues, naquis de Neptune et de Tritonis, nymphe de ce marais.

35 et 57. — Nous n’avons pas compris ces vers.

152. — Agricolam. — Agricola, bisaïeul d’Aranéole, fut consul avec Eustathius, sous l’empire d’Honorius, en 421. Pendant les années précédentes, il avait été préfet du prétoire des Gaules. On connaît l’édit qu’il fit avec Palladius, préfet d’Italie, au sujet de l’exil de Pélagius et de Cœlestius, ainsi que la constitution de l’empereur, adressée à Agricola, préfet des Gaules, pour tenir toutes les années, à Arles, l’assemblée des sept Provinces.

175 et 176. — Mnemosynen, Europam, etc. — Ces vers sont ce qu’on appelle des vers rapportés, c’est-à-dire, où les mots du premier se rapportent pour la pensée, et dans l’ordre ois ils se trouvent, aux mots du second. M. Peignot cite plusieurs exemples de ce badinage scolastique et de mauvais goût, dans ses Amusemens philologiques, p. 138. Sidonius imite ici une épigramme de l’Anthologie, dont l’auteur est inconnu (I, 38, 2, recueil de Planude), et qu’on a rendue ainsi en latin:

Fit cycnus, taurus, satyrus, fit Jupiter aurum,

Oh Ledam, Europen, Antiopen, Danæn.

 

Hier. Angerianus.

Voyez les Notes sur les Euvres de Louïze Labé, édition de 1824, p. 158 et 159. (Note de C. Breghot du Lut.

182 et 183. — Laida, etc. — Al. Livida, mauvaise leçon suivie par Savaron. Nous ignorons d’après quelle autorité Sidonius rapporte ce trait de la vie de Laïs, lequel ne figure point dans la savante notice, encore inédite, où Chardon de la Rochette a pris à tâche de recueillir tout ce qui concerne cette fameuse courtisane dans les écrits des anciens. Chardon de la Rochette a omis encore un autre passage que Sirmond cite comme pouvant être rapproché de celui qui nous occupe, ou plutôt, comme prouvant que les mots Philosophi et Cynici feri désignent dans Sidonius Diogène le Cynique : il s’agit d’une phrase de Lucien, Histoire véritable, liv. II. Le fabuleux narrateur raconte qu’étant arrivé dans les Champs-Élysées, il y vit, entre autres personnages, Diogène de Sinope, et que ce philosophe avait tellement changé de mœurs, qu’il avait épousé la courtisane Laïs, et que souvent, échauffé par l’ivresse, il quittait sa place pour danser et faire toutes les folies qu’inspire le vin. Ce n’est là, comme on le voit, qu’un récit imaginaire ; mais ce qui est véritable, c’est ce que nous apprend Athénée, L. XIII, p. 588, savoir que Laïs, qui se vendait si cher à d’autres, se livra gratuitement à Diogène. De là, il n’y a qu’un pas à faire pour supposer, avec Sidonius, que cette femme prit assez d’ascendant sur le Cynique, pour qu’il consentît à lui sacrifier sa barbe. (Note de C. Breghot du Lut.)

187. — Flammea. — Voile qui se nommait flammeum, ou bien flammeolum, parce qu’il était couleur de flamme. On en couvrait la tête des jeunes mariées. Peut-être aussi était-il appelé de ce nom, parce que sa couleur rouge témoignait de la violence qu’on fait en ce jour à la virginité. Singulière vicissitude! la couleur du flammeum, autrefois destinée à voiler la tête de la jeune épouse, est maintenant une couleur de sinistre augure dans le ménage!