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SIDOINE APOLLINAIRE
SIDOINE
APOLLINAIRE
POÉSIE 22
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Étude
sur Sidoine Apollinaire et sur la société gallo-romaine au cinquième siècle.
avant-propos
Notice sur Sidoine Apollinaire
lettres
livre I
lettres livre II
lettres livre III
lettres livre IV
lettres livre V
lettres livre VI
lettres livre VII
lettres VIII
poésies 1
poésies2
poésies 3 et 4
poésies 5
poésies 6
poésies 7
poésies 8 -
poésies 9
poésies 10-14
poésies 15
poésies 16
poésies 17-21
poésie 23
l
CARMEN XXII.
BURGUS PONTII LEONTII.
|
XXII.
LE BURGUS DE PONTIUS LÉONTIUS.
|
Bistonii
stabulum regis, Busiridis aras,
Antiphatæ mensas, et Taurica regna Thoantis,
Atque Ithaci ingenio fraudatum luce Cyclopem,
Portantem frontis campo per concava montis
Par prope transfossi tenebrosum luminis antrum,
Hospes adi, siquis Burgum taciturus adisti:
Et licet in carmen non passim laxet habenas
Phœbus, et hic totis non pandat carbasa fandi;
Quisque tamen tantos non laudans ore penates
Inspicis, inspiceris: resonat sine voce voluntas:
Nam tua te tacitum livere silentia clamant. |
Voyageur,
puisses-tu être condamné à voir les étables du roi bistonien, les autels
de Busiris, les tables d’Antiphates, le royaume de Thoas en Tauride,
puis ce fameux Cyclope privé de la lumière par l’adroit Ulysse, et
présentant sur son large front un antre presque aussi creux que celui de
la montagne dont il faisait son repaire, si tu vas à Burgus sans en
faire l’éloge ! Quoique Phébus donne rarement le talent de la
poésie, et qu’il n’accorde pas à tous les hommes le don de l’éloquence,
toi néanmoins qui visites ce noble séjour et qui ne l’admires pas,
compte sur notre mépris; tes sentiments, pour se dévoiler, n’ont pas
besoin de la parole, car ton silence nous crie que tu brûles d’une
secrète jalousie. |
|
Ergo age,
Pierias Erato mihi percute chordas:
Responsent Satyri, digitumque pedemque moventes,
Ludant, et tremulo non rumpant cantica saltu.
Quidquid forte Dryas, vel quidquid Hamadryas unquam
Connexis sibimet festum plausere Napæis,
Dependant inodo, Burge, tibi, vel Naidas istic
Nereidum chorus alme doce, cum forte Garumna
Huc redeunte venis, pontumque in flumine sulcas.
Pande igitur causas Erato, laribusque sit ede
Quis genius: tantum non est sine præsule culmen. |
Viens donc, harmonieuse Erato, viens
animer les cordes de mon luth; que les Satyres joyeux viennent aussi
agiter en cadence et leurs pieds et leurs mains, mais si légèrement
qu’on entende, les accords mélodieux de la Muse. O Burgus, que les
Dryades, les Hamadryades et les Napées se surpassent, pour te célébrer
par les fêtes les plus riantes; que le chœur des Néréides enseigne aux
Naïades à te célébrer, alors qu’il te visite quand le reflux périodique
repousse les eaux de la Garonne, et fait monter les ondes maritimes dans
le lit de ce fleuve. Apprends-nous, Erato, quel est le génie protecteur
de cette demeure; elle offre trop de charmes pour qu’on puisse y
méconnaître la présence d’un dieu bienfaiteur. |
|
Forte
sagittiferas Evan populatus Erythras,
Vite capistratas cogebat ad esseda tigres:
Intrabat duplicem qua temo racemifer arcum,
Marcidus ipse sedet curru: madet ardua cervix
Sudati de rore meri: caput aurea rumpuat
Cornua, et indigenam jaculantur fulminis ignem.
Sumpserat hoc primum nascens, cum transiit olim
In patrium de matre femur; fert tempus utrumque
Veris opes, rutilosque ligat vindemia flores.
Cantharus et thyrsus dextra lævaque feruntur:
Nec tegit exsertos, sed tangit palla lacertos.
Dulce natant oculi, quos si fors vertat in hostem,
Attonitos solum dum cernit inebriat Indos.
Tum salebris saliens quoties se concutit axis,
Passim deciduo perfunditur orbita musto.
Bassaridas, Satyros, Panas, Faunosque docebat
Ludere Silenus, jam numine plenus alumno,
Sed comptus tamen ille caput; nam vertice nudo
Amissos sertis studet excusare capillos. |
Bacchus venait de dompter les habitants d’Erythrée,
habiles à lancer des flèches; des tigres guidés par des pampres de vigne
conduisaient le char, sur lequel il était assis nonchalamment, la tête
élevée et humide encore de vin; son front étincelait de cornes d’or,
aussi brillantes que le feu de la foudre. Il avait reçu ce présent
lorsqu’il passa du sein de sa mère dans la cuisse de Jupiter. Ses deux
tempes sont couronnées des trésors: du printemps, et le raisin rehausse
l’éclat des fleurs brillantes. D’une main il tient un thyrse, de l’autre
il porte une coupe ; son manteau ne lui couvre qu’à moitié les bras; ses
yeux nagent dans une douce ivresse, et si par hasard il les tourne vers
les Indiens qu’il a vaincus, d’un seul regard il les fascine et les
enivre. Lorsque son char franchit les chemins rocailleux et s’ébranle,
il laisse après lui de longues traces d’un vin qui s’épanche. Silène,
plein du dieu son nourrisson, apprend à danser aux Bassarides, aux
Satyres, aux Pans, aux Faunes; sa tête est couronnée de fleurs, et il
s’étudie ainsi à dissimuler l’absence de ses cheveux. |
|
Corniger
inde novi Ganges fit pompa triumphi.
Cernuus impexam faciem stetit ore madenti, et
Arentes vitreis adjuvit fletibus undas.
Conjectas in vincla manus post terga revinxit
Pampinus; hic sensim captivo humore refusus
Sponte refrondescit per brachia roscida palmes. |
Le Gange, orgueilleux de ses cornes, sert
d’ornement au triomphe du dieu; il incline sa tête négligemment parée,
ses joues sont humides, et ses larmes transparentes viennent se mêler à
ses ondes presque taries; une branche de vigne attache derrière son dos
ses mains captives, et le pampre reverdit de lui-même sur les bras du
fleuve. |
|
Nec non et
rapti conjux ibi vincta mariti
It croceas demissa genas, vetitaque recondi
Lampade, cum solis radiis Aurora rubebat.
Adfuit hic etiam post perdita cinnama phœnix,
Formidans mortem sibi non superesse secundam.
Succedit captiva cohors, quæ fercula gazis
Fert onerata suis: ebur hic, hebenusque, vel aurum,
Et niveæ piceo raptæ de pectore baccæ
Gestantur; quicunque nihil sustentat odoris,
Mittitur in nexus. Videas hic ipsa placere
Supplicia, et virides violis halare catenas.
Ultima migrantes incedunt præda elephanti.
Informis cui forma gregi; riget hispida dorso
Vix ferrum passura cutis: quippe improba cratem
Nativam nec tela forant, contracta vicissim
Tensaque terga feris crepitant, usuque cavendi
Pellunt excussis impactum missile rugis. |
Le vainqueur traîne encore à sa suite
l’Aurore, l’épouse du Gange; elle marche les yeux baissés, ses joues
sont teintes d’une couleur rougeâtre, et, sans pouvoir cacher son
flambeau, elle rougit aux premiers rayons du soleil. Sur les pas de
l’Aurore vient le phénix, privé du cinnamome qu’il regrette; il ne sait
plus comment se faire un bûcher où il puisse mourir pour renaître. Vient
ensuite la troupe des captifs; les uns portent sur des brancards les
trésors de leur pays, l’ivoire, l’ébène, l’or et de blanches perles
arrachées au cou basané de l’Indien; les autres n’ont pour fardeau que
des liens verdoyants et embaumés, qui exhalent l’odeur de la violette;
ils semblent bénir leur captivité. Le cortège est fermé par les noirs
éléphants; leur forme est colossale; le tissu de leur peau, ferme et
serré, est presque impénétrable au fer; le dard ne saurait percer cette
cuirasse que leur a donnée la nature; les traits retentissent en vain
sur leur peau qui se raccourcit ou s’allonge tour à tour, et, accoutumés
à se tenir en garde, ces animaux repoussent de la sorte les dards qu’on
leur a lancés. |
|
Jamque iter ad
Thebas per magnum victor agebat
Æra, et ad summas erexerat orgia nubes:
Cum videt Aonia venientem Delion arce.
Grypas et ipse tenet: vultus his laurea curvos
Fronde lupata ligant, hederis quoque circumplexis
Pendula lora virent; sensim fera subvolat ales
Ærias terræque vias, ne forte citato
Alarum strepitu lignosas frangat habenas.
Æternum nitet ipse genas: crevere corymbis
Tempora, et auratum verrit coma concolor axem.
Læva parte tenet vasta dulcedine raucam
Cælato Pithone lyram, pars dextra sagittas
Continet, atque alio resonantes murmure nervos.
Ibant Pimpliades pariter, mediumque noveno
Circumsistentes umbrabant syrmate currum.
Pendet per teretes tripodas Epidaurius anguis,
Diffusus sanctum per colla salubria virus.
Hic et crinisatas jungebat Pegasus alas,
Portans doctiloquo facundum crure Creontem. |
Déjà, dans la vaste plaine des airs, le
vainqueur a dirigé sa marche glorieuse vers Thèbes, et a fait retentir
les cieux du bruit de son triomphe, lorsqu’il aperçoit Apollon venant à
lui du sommet des monts Aoniens. Le dieu de Délos attelle aussitôt ses
griffons à son char; des feuilles de laurier servent de mords à leurs
becs recourbés; des rênes verdoyantes flottent entourées de lierre; ces
messagers monstrueux parcourent lentement les routes aériennes et
terrestres, de peur que le choc de leurs ailes bruyantes ne brise les
rênes fragiles. Les joues d’Apollon brillent d’une éternelle jeunesse,
son front est couronné de guirlandes fleuries, et sur son char éclatant
d’or flottent les longs replis de sa chevelure dorée. De la main gauche
il tient sa lyre qui rend des accords d’une douceur enchanteresse, et
sur laquelle le ciseau a tracé la figure du serpent Python; sa main
droite est armée de flèches et de cordes qui rendent un autre son. Les
Pimpliades l’environnent, et ombragent le char de leur robe flottante.
Le serpent d’Epidaure est suspendu aux brillants trépieds et son cou se
gonfle d’un poison salutaire. Vient ensuite l’éloquent Créon, monté sur
le cheval Pégase. |
|
Ut sese
junxere chori, consurgit uterque
Fratris in amplexus; sed paulo segnior Evan,
Dum pudet instabiles, si surgat, prodere plantas.
Tum Phœbus: Quo pergis? ait: num forte nocentes
Bacche petis Thebas? te cretus Echione nempe
Abnegat esse deum; linque iis, rogo, mœnia, linque;
Et mecum mage flecte rotas; despexit Agave
Te colere, et nosmet Niobe; riget inde superbum,
Vulnera tot patiens, quot spectat pignora ventris.
Optantemque mori gravius clementia fixit.
Parcere sæpe malum est, sensumque inferre dolori.
Ipsa autem nato occiso Pentheia mater
Amplius ut furiat, nunquid vesana futura est?
Ergo nec Aonios colles habitare valemus,
Cum patris exstincti thalamis potietur adulter,
Frater natorum, conjux genitricis habendus,
Vitricus ipse suus. Cordi est si jungere gressum,
Dicam, qua pariter sedem tellure locemus. |
Dès que les cortèges se sont réunis, les
deux frères s’avancent pour s’embrasser l’un l’autre; mais Evan montre
moins d’ardeur, car il craint, s’il se lève, de trahir la faiblesse de
ses pieds. Alors Phébus: « Où vas-tu? Est-ce par hasard vers la coupable
Thèbes que tu diriges tes pas, Thèbes où le fils d’Echion nie que tu
sois un dieu? Je t’en prie, dédaigne les murs de cette ville, et
suis-moi plutôt. Agavé refuse de te rendre les honneurs divins, et Niobé
insulte à ma puissance; de là vient que l’orgueilleuse est immobile
maintenant, et qu’elle a reçu autant de blessures qu’elle avait
d’enfants; puisqu’elle voulait mourir, je l’ai frappée dans ma clémence,
car épargner c’est mal quelquefois, c’est ajouter à la douleur un nouvel
aiguillon. Mais la mère de Penthée, pour être plus furieuse de la mort
de son fils, doit-elle devenir insensée? Ainsi donc, nous ne pouvons
plus habiter les collines Aoniennes, lorsqu’un fils adultère envahit la
couche d’un père qu’il a tué, et se trouve le frère de ses enfants,
l’époux de sa mère, son beau-père à lui-même. Si tu veux me suivre, je
te dirai dans quelle contrée nous devons ensemble établir notre séjour. |
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Est locus,
irrigua qua rupe Garumna rotate,
Et tu, qui simili festinus in æquora lapsu
Exis, curvata Durani muscose saburra,
Jam pigrescentes sensim confunditis amnes.
Currit in adversum hic pontus, multoque recursu
Flumina quas volvunt, et spernit et expedit undas.
At cum summotus lunaribus incrementis
Ipse Garumna suos in dorsa recolligit æstus,
Præcipiti fluctu raptim redit, atque videtur
In fontem jam non refluus, sed defluus ire.
Tum recipit laticem, quamvis minor ille, minore
Stagnanti de fratre suum, turgescit et ipse
Oceano, propriasque facit sibi littora ripas.
Hos inter fluvios, uni mage proximus unde est
Æthera mons rumpens, alta spectabilis arce,
Plus celsos habiturus heros, vernamque senatum.
Quem generis princeps Paulinus Pontius olim,
Cum Latius patriæ dominabitur, ambiet altis
Mœnibus, et celsæ transmittent æra turres.
Quarum culminibus sedeant commune micantes
Pompa, vel auxilium; non illos machina muros
Non aries, non alta strues, vel proximus agger,
Non quæ stridentes torquet catapulta molares,
Sed nec testudo, nec vinea, nec rota currens,
Jam positis scalis unquam quassare valebunt.
Cernere jam videor quæ sint tibi, Burge, futura.
Diceris sic; namque domus de flumine surgunt,
Splendentesque sedent per propugnacula thermæ.
Hic cum vexatur piceis aquilonibus æstus,
Scrupeus asprata latrare crepidine pumex
Incipit; at fractis saliens e cautibus altum
Excutitur torrens, ipsisque aspergine tectis
Impluit, ac tollit nautas, et sæpe jocoso
Ludit naufragio; na tempestate peracta
Destituit refluens missas in balnea classes. |
« Il est un lieu où la Garonne, tournant
autour d’un rocher qu’elle baigne de ses ondes, et où la Dordogne,
courant vers la mer à travers les sinuosités de ses bancs de sable,
marient peu à peu leurs ondes paresseuses. Là l’Océan roule ses flots en
sens contraire, et, dans son reflux impétueux, il semble dédaigner et
chasser devant lui ceux des deux fleuves. Lorsque la lune est dans son
accroissement, la Garonne repoussée roule sur elle-même ses flots
précipités; elle paraît non point refluer, mais couler naturellement
vers le lieu de son origine. Ce fleuve, quoique faible, reçoit ses eaux
de son frère, faible aussi et lent dans sa marche; il se grossit ensuite
des eaux de l’Océan, dont les rives deviennent les siennes mêmes. Entre
ces fleuves, plus près de l’un que de l’autre, s’élance dans les airs
une montagne remarquable par sa hauteur, qui doit avoir des maîtres
distingués et un sénat à lui. Lorsque Pontius Paulinus, digne chef de sa
noble race, dominera dans sa patrie, il environnera ce mont de hautes
murailles, de tours qui s’élèveront dans les airs, et sur les sommets
desquelles brilleront des soldats destinés à en être l’ornement ou la
défense. Les machines de guerre, les béliers, les tours, les gabions,
les catapultes qui servent à lancer des pierres énormes, la tortue, les
mantelets, la robe courante, quand même les échelles se trouveraient
déjà appliquées contre les murs, seront des armes sans force devant
cette superbe forteresse. Il me semble voir déjà ta destinée future,
Burgus! Tu devras ton nom au riant aspect de tes maisons, qui s’élèvent
des bords du fleuve, et aux magnifiques thermes qui sont assis au milieu
de tes remparts. Quand les noirs autans viennent tourmenter la surface
de ton sol, les pierres raboteuses dont il est parsemé s’agitent et
poussent au loin de longs aboiements ; les flots, poussés à travers les
débris du rocher, jaillissent avec impétuosité dans les airs, retombent
en pluie sur les toits de tes maisons, soulèvent les matelots et
simulent pour eux un naufrage sans péril. La tempête une fois passée, le
reflux laisse les barques dans tes bains où le flux les avait jetées. |
|
Ipsa autem
quantis, quibus aut sunt fulta columnis?
Cedat puniceo pretiosus livor in antro
Synnados, et Numadum qui portat eburnea saxa
Collis, et herbosis quæ vernant marmora venis.
Candentem jam nolo Paron, jam nolo Caryston.
Vilior est rubro quæ pendet purpura saxo.
Et ne posteritas dubitet, quis conditor exstet,
Fixus in introitu lapis est: hic nomina signat
Auctorum; sed propter aqua, et vestigia pressa
Quæ rapit, et fuso deterget gurgite cœnum:
Sectilibus paries tabulis crustatus ad aurea
Tecta venit, fulvo nimis abscondenda metallo.
Nam locuples fortuna domus non passa latere,
Divitias prodit cum sic sua culmina celat.
Hæc post assurgit, duplicemque supervenit ædem
Porticus, ipsa duplex, duplici non cognita plaustro
Quarum unam molli subductam vertice curvæ
Obversis paulum respectant cornibus alæ.
Ipsa diem natum cernit sinuamine dextro,
Fronte videns medium, lævo visura cadentem.
Non perdit quidquam trino de cardine cœli,
Et totum solem lunata per atria servat. |
« De combien de colonnes magnifiques ces
bains ne sont-ils pas décorés! Que la précieuse couleur d’écarlate qui
pare l’antre de Synnas, que les collines de Numidie qui renferment dans
leur sein des rochers d’ivoire, que les marbres dont les veines sont
bigarrées de plantes verdoyantes le cèdent aux colonnes de Burgus. Je ne
veux plus ni du marbre blanc de Paros, ni de celui de Caryste. La
pourpre suspendue aux rochers de corail ne peut égaler la magnificence
des marbres de Burgus. Pour que la postérité ne puisse ignorer quel est
le fondateur de ce lieu, une pierre, dressée à l’entrée, indique son
nom. Tout près se trouvent des eaux qui font disparaître l’empreinte que
les pieds des passants pourraient y laisser, et qui entraînent le limon.
Un mur couvert de boiserie s’élève jusqu’au toit revêtu de lames d’or;
c’est ainsi que ce palais ne peut cacher sa magnificence, tout en
dérobant son faîte à la vue. On remarque ensuite la maison à deux
façades, où s’élève un double portique; l’ouverture cependant n’en
permet pas l’entrée à deux chars; deux ailes disposées sur des lignes
courbes ont leurs extrémités tournées vers l’un de ces portiques, dont
le sommet s’élève avec élégance et légèreté. A droite, cette maison
regarde le soleil levant; son front est tourné vers le midi; son autre
extrémité, à gauche, vers le couchant; ainsi elle ne perd rien des
avantages qu’offrent ces trois points de l’horizon, et, au moyen de son
exposition en forme de croissant, elle jouit du soleil durant toute la
journée. |
|
Sacra
tridentiferi Jovis hic armenta profundo
Pharnacis immergit genitor; percussa securi
Corpora cornipedum, certasque rubescere plagas
Sanguineo de rore putes; stat vulneris horror
Verus, et occisis vivit pictura quadrigis. |
Ici se présente à vos yeux le père de
Pharnace, plongeant dans la mer les chevaux sacrés de Neptune; leurs
corps sont couverts de blessures; le sang en découle, on croit le voir
sortir, la plaie semble réelle; on éprouve une horreur véritable à cet
aspect, tout est vivant dans la peinture qui représente le meurtre de
ces innocents animaux. |
|
Ponticus
hinc rector numerosis Cyzicon armis
Claudit; at hinc sociis consul Lucullus opem fert,
Compulsusque famis discrimina summa subire,
Invidet obsesso miles Mithridaticus hosti.
Enatat hic pelagus Romani militis ardor,
Et chartam madido transportat corpore siccam. |
Plus loin, c’est le roi de Pont assiégeant
Cyzique à la tête d’une nombreuse armée; le consul Lucullus vient au
secours de ses alliés. Ici, les soldats de Mithridate, livrés aux
horreurs de la famine, envient le sort des assiégés; là, un soldat
romain, assez déterminé pour traverser la mer à la nage, apporte, le
corps mouillé, une dépêche qu’il a su garantir des eaux. |
|
Desuper
in longum porrectis horrea tectis
Crescunt, atque amplis angustant fructibus ædes
Huc veniet calidis quantum metit Africa terris,
Quantum vel Calaber, quantum colit Apulus acer,
Quanta Leontino turgescit messis acervo,
Quantum Mygdonio committunt Gargara sulco,
Quantum, quæ tacitis Cererem venerata choreis
Attica Triptolemo civi condebat Eleusin,
Cum populis hominum glandem linquentibus olim
Fulva fruge data jam sæcula fulva perirent. |
On distingue sous de longs toits
d’immenses greniers, trop petits encore pour les abondantes récoltes
qu’ils contiennent. Là pourraient être renfermés tous les blés que
moissonne l’Afrique dans ses terres brûlantes, tous ceux du Calabrois ou
de l’infatigable Apulien; là viendront tous ceux de la riche Léontium,
tous ceux des champs de Mygdonie, tous ceux que tirait des plaines de sa
patrie, où l’on célébrait des danses mystérieuses en l’honneur de Cérès,
Triptolme, citoyen d’Eleusis, alors que les peuples ayant cessé de se
nourrir de glands, l’âge d’or expirait remplacé par tes moissons dorées. |
|
Porticus ad
gelidos patet hinc æstiva triones.
Hinc calor innocuus thermis hiemalibus exit,
Atque locum tempus mollit; quippe illa rigori
Pars est apta magis; nam quod fugit ora leonis;
Inde Lycaoniæ rabiem male sustinet ursæ.
Arcis at in thermas longe venit altior amnis,
Et cadit in montem, patulisque canalibus actus,
Circumfert clausum cava per divortia flumen.
Occiduum ad solem, post horrea, surgit opaca
Quæ dominis hiberna domus; strepit hic bona flamma
Appositas depasta trabes; sinuata camino
Ardentis perit unda globi, fractoque flagello
Spargit lentatum per culmina tota vaporem.
Continuata dehinc videas, quæ conditor ausus
Æmula Palladiis textrina educere templis. |
« Le portique d’été regarde le nord; de là
une douce chaleur s’échappe des thermes d’hiver, et la saison modère la
température du lieu ; cette partie est surtout exposée au froid, et,
comme elle se dérobe à l’aspect du Lion, elle supporte toutes les
rigueurs de l’Ourse Lycaonienne. Les eaux du fleuve, élevées par des
machines et conduites au loin dans les thermes de la citadelle,
retombent sur la montagne, d’où elles se distribuent par de vastes
canaux. Vers le couchant, derrière les immenses greniers, se trouve
l’habitation d’hiver; c’est là qu’un bois toujours préparé alimente un
feu vif et pétillant; divers conduits pratiqués dans les murs divisent
la flamme, et répandent partout une vapeur douce et bienfaisante. Près
de là vous voyez le lieu où se travaille la toile, ce lieu que son
fondateur a rendu rival des temples de Pallas. |
|
Hac celsi
quondam conjux veneranda Leonti,
Qua non ulla magis nurus unquam Pontia gaudet
Illustris pro sorte viri, celebrabitur æde
Vel Syrias vacuasse colus, vel serica fila
Per cannas torsisse leves, vel stamine fulvo
Prægnantis fusi mollitum nesse metallum. |
« C’est ici, dira-t-on quelque jour, que
l’épouse vénérable du grand Léontius (et la famille Pontia n’eut jamais
de femme plus illustre) filait de nombreuses quenouilles à la syrienne,
entrelaçait des fils de soie sur des cannes légères, et que les fuseaux,
tournant sous ses doigts, tissaient des étoffes où l’or est si
habilement employé. |
|
Parietibus
post hinc rutilat quæ machina junctis,
Fert recutitorum primordia Judæorum.
Perpetuum pictura micat, nec tempore longo
Depretiata suas turpant pigmenta figuras. |
Suspendu aux murs de la salle voisine, un
riche tableau représente la cérémonie de la circoncision des Juifs; il
brille encore de toute sa beauté, et le temps destructeur n’a point
altéré dans les figures la fraîcheur du coloris. |
|
Flecteris ad lævam? te porticus
accipit ampla
Directis curvata viis, ubi margine summo
Pendet, et arctatis stat saxea silva columnis.
Alta volubilibus patet hinc cœnatio valvis.
208
Fusilis euripus propter; cadit unda superne
Ante fores pendente lacu, venamque secuti
Undosa inveniunt nantes cœnacula pisces.
Cominus erigitur vel prima, vel extima turris.
Mors erit hic dominis hibernum sigma locare;
Hujus conspicuo residens in culmine, sæpe
Dilectum nostris Musis simul atque capellis
Aspiciam montem lauri: spatiabor in istis
Frondibus, hic trepidam credam mihi credere Daphnem. |
« Sur la gauche, une large galerie conduit
par des routes détournées à de longs corridors; une grande quantité de
colonnes de pierres très rapprochées terminent cette galerie. Une porte
à deux battants s’ouvre pour vous offrir une nouvelle salle à côté d’un
réservoir; les eaux qu’il renferme descendent d’un bassin placé
au-dessus du salon, et tombent devant les portes, entraînant dans leur
chute les poissons qui viennent nager autour de vous. Près de là s’élève
la première ou la dernière tour ; les maîtres y feront placer le lit
d’hiver. J’établirai ma demeure sur cette hauteur, et de là je
contemplerai cette montagne couverte de lauriers, aimée tout à la fois
de nos Muses et de nos chèvres; je me promènerai sous ces ombrages, et
je croirai n’avoir pas déplu à la fugitive Daphné. |
|
Jam si forte
gradus geminam convertis ad Arcton,
Ut venias in templa Dei, qui maximus ille est:
Deliciis redolent junctis apotheca penusque.
Hic multus tu frater eris. Jam divide sedem,
Cessurus mihi fonte meo, quem monte fluentem
Umbrat multicavus spatioso circite fornix.
Non eget hic cultu, dedit huic natura decorem.
Nil fictum placuisse placet, non pompa per artem
Ulla, resultanti non comet malleus ictu
Saxa, nec exesum supplebunt marmora tophum.
Hic fons Castaliæ nobis vice sufficit undæ,
Cætera dives habe: colles tua jura tremiscant.
Captivos hic solve tuos, et per juga Burgi
Læta relaxatæ fiant vineta catenæ. |
« Si tu veux diriger tes pas vers les deux
Ourses pour aller au temple du plus grand des dieux, les liqueurs, les
mets de toute espèce réjouiront ton odorat; tout ce qui peut flatter ton
goût sera là en abondance. Maintenant, mon frère, faisons le partage de
ce lieu; laisse-moi cette source qui coule de la montagne, qu’ombrage
une magnifique route de verdure. Ma grotte n’a pas besoin
d’embellissements ; elle est tout entière l’ouvrage de la nature. Je
n’aime pas des ornements empruntés; que l’art ne vienne point orner ce
lieu ; que le marteau ne vienne pas, de ses coups retentissants,
façonner le rocher; que le marbre ne vienne pas remplacer une pierre
usée. Cette fontaine me tiendra lieu des eaux de Castalie. Le reste du
palais, qui brille de tant de richesses, je te le cède; que les collines
de Burgus reconnaissent tes lois, rends ici la liberté à tes
captifs et que, sous ton empire, les coteaux de ce séjour deviennent
d’agréables vignobles. » |
|
Confirmat vocem jamjam prope sobrius istam
Silenus, pariterque chori cecinere faventes.
Nysa vale Bromio, Phœbo Parnasse bivertex.
Non illum Naxus, non istum Cyrrha requirat:
Sed mage perpetuo Burgus placitura petatur. |
Silène, dont l’ivresse était presque
dissipée, applaudit à ce discours; le chœur des Muses témoigna sa joie
par des chants harmonieux. Nysa, salue Bacchus; toi, Parnasse au double
sommet, fais tes adieux à Apollon. Qu’on n’aille plus à Naxos voir le
dieu des vendanges; qu’on n’aille plus à Cyrrha voir le dieu de la
poésie; mais qu’on s’empresse d’accourir à Burgus, lieu fait pour
charmer toujours. |
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Ecce, quoties tibi libuerit
pateris capacioribus hilarare convivium, misi quod inter scyphos et
amystidas tuas legas. Subveneris verecundiæ meæ, si in sobrias aures
ista non venerint; nec injuria hoc ac secus atque æquum est flagito:
quandoquidem Baccho meo judicium decemvirale passuro, tempestivius quam
convenit tribunal erigitur. |
Toutes les fois qu’il te plaira d’égayer
un festin en buvant dans de larges tasses, voilà des vers que tu pourras
lire au milieu des coupes. Prends pitié de ma confusion, si ces choses
viennent à te déplaire; ce n’est point sans raison que je fais cette
demande, car mes accents bachiques vont subir l’examen d’un juge aussi
grave qu’un décemvir, et se présenter à un tribunal plus sobre qu’il ne
faudrait. |
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Si quis autem carmen prolixius
eatenus duxerit esse culpandum, quod epigrammatis excesserit paucitatem,
istum liquido patet, neque
balneas Etrusci, neque
Herculem Surrentinum, neque
comas Flavii Earini, neque
Tibur Vopisci, neque omnino quidquam de
Papinii nostri silvulis lectitasse: quas omnes descriptiones vir
ille præjudicatissimus, non distichorum aut tetrastichorum stringit
angustiis, sed potius, ut lyricus Flaccus in artis pœticæ volumine
præcipit,
multis iisdemque purpureis communium pannis semel inchoatas materias
decenter extendit. Hæc me ad defensionis exemplum posuisse sufficiat, ne
hæc ipsa longitudinis deprecatio longa videatur. Vale. |
Si l’on m’accusait d’avoir été prolixe, on
ferait évidemment connaître qu’on n’a lu ni les bains d’Etruscus, ni
Hercule de Surrente, n la chevelure de Flavius Earinus, ni le Tibur de
Vopiscus, ni aucune des silves de notre Papinius. Dans toutes les
descriptions, cet élégant poète ne se restreint pas aux bornes
resserrées des distiques et des quatrains; il suit, au contraire, la
méthode établie dans l’Art poétique de Flaccus; son sujet, une fois
commencé, il l’étend avec grâce et l’orne de lambeaux de pourpre. Je me
contenterai de ces exemples pour ma justification, de crainte qu’elle ne
semble elle-même trop longue. Adieu. |
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