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SIDOINE APOLLINAIRE

POÉSIE 7

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

Étude sur Sidoine Apollinaire et sur la société gallo-romaine au cinquième siècle.

avant-propos

Notice sur Sidoine Apollinaire


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CARMEN VII.

PANEGYRICUS, AVITO AUGUSTO SOCERO DICTUS.

VII.

PANÉGYRIQUE PRONONCÉ EN L’HONNEUR D’AVITUS AUGUSTE, SON BEAU-PERE.

Phœbe, peragrato tandem visurus in orbe,
Quem possis perferre parem, da lumina cœlo,
Sufficit hic terris: nec se jam signifer astris
Jactet, Marmaricus quem vertice conterit Atlas.
Sidera sunt isti, quæ sicut mersa nitescunt,
Adversis sic Roma micat: cui fixus ab ortu
Ordo fuit crevisse malis, modo principe surget
Consule. Nempe, patres, collatos cernere fasces
Vos juvat, et sociam sceptris mandasse curulem.
Credite, plus dabitis currus.

Phébus, toi qui verras enfin, dans l’univers que tu parcours, un égal en puissance, donne ta lumière aux cieux; le soleil que nous possédons suffit à la terre. Et qu’il ne se vante plus de ses astres, l’Olympe que soutient sur sa tête Atlas de Marmarie. Les corps célestes brillent par leur immersion; Rome de même brille par l’adversité. Cette ville, dont le destin fut toujours de s’accroître dans les revers, va bientôt encore s’élever sous son prince, revêtu de la dignité de consul. Sans doute, sénateurs vous aimez à le voir précédé des faisceaux; vous vous applaudissez d’avoir uni au sceptre la chaise curule; croyez à mes paroles, et vous lui accorderez de nouveaux honneurs.

Jam necte bifrontes
Anceps Jane comas, duplicique accingere lauro.
Principis anterior, jam consulis iste coruscat
Annus, et emerita trabeis diademata crescunt.
Incassum jam, Musa, paves, quod propulit Auster
15 Vela ratis nostræ, pelago quia currere famæ
Cœpimus, en sidus, quod nos per cærula servet.

Et toi, Janus, noue tes cheveux sur tes deux fronts; orne-les d’une double couronne de laurier. L’année qui vient de s’écouler est célèbre par l’élévation d’Avitus au trône impérial; celle dans laquelle nous entrons le sera par le consulat de ce prince, par la pourpre et le diadème qu’il a mérités. C’est en vain, Muse, que tu t’alarmes ; si l’Auster a enflé les voiles de notre vaisseau, si nous avons commencé de voguer sur la mer de la renommée, voici l’astre qui doit nous sauver à travers les ondes.

Forte pater superum prospexit æthere terras,
Ecce viget, quodcunque videt: mundum reparasse
Aspexisse fuit, solus fovet omnia nutus.
Jamque ut conveniant superi, Tegeaticus Arcas
Nunc plantis, nunc fronte volat; vix contigit arva.
Et toto descendit avo; mare, terra, vel ær,
Indigenas misere deos.

Le père des dieux jette par hasard, du haut de l’Olympe, un coup d’œil sur la terre. Il donne la vie à tout ce qu’il voit, un seul de ses regards suffit pour réparer le monde; un seul signe de sa tête anime tout. Aussitôt, pour assembler les dieux, l’Arcadien de Tégée vole et fait mouvoir tantôt les ailes attachées à ses pieds, tantôt celles qui sont à sa tête .A peine s’est-il élancé dans les plaines éthérées, qu’il a soudain franchi l’espace qu’occupe Atlas, son aïeul; la mer, la terre et l’air ont envoyé chacun leurs dieux.

Germane tonantis
Prime venis, viridi qui Dorida findere curru
Suetus, in attonita spargis cito terga serenum.
Humentes Nymphas Phorcus comitatur; ibique
Glaucus Glauce venis: vatum et certissime Proteu
Certus eras.

Frère de Jupiter, tu arrives le premier, toi qui as accoutumé de sillonner de ton char verdâtre la surface de la mer Dorienne, et dont la présence rend si vite le calme aux flots étonnés. Phorcus accompagne les nymphes humides; Glaucus, et toi, Protée, le plus habile de tous les devins, vous étiez là.

Longo veniunt post ordine divi,
Pampineus Liber, Mars trux, Tirynthius hirtus,
Nuda Venus, fecunda Ceres, pharetrata Diana,
Juno gravis, prudens Pallas, turrita Cybele
Saturnus profugus, vaga Cynthia, Phœbus ephebus,
Pan pavidus, Fauni rigidi, Satyri petulantes.

Viennent ensuite les autres divinités: Bacchus couronné de pampres, le farouche Mars, le dieu velu de Tirynthe, Vénus belle sans voile, la féconde Cérès, Diane armée de son carquois, la majestueuse Junon, la prudente Pallas, Cybèle couronnée de tours, le fugitif Saturne, la vagabonde Cynthie, le jeune et riant Phébus, le timide Pan, les Faunes hérissés et les Satyres lascifs.

Convenere etiam cœlum virtute tenentes,
Castor equo, Pollux cæstu, Perseius harpe,
Fulmine Vulcanus, Typhis rate, gente Quirinus.
37 Quis canat hic aulam cœli, rutilantia cujus
Ipsa pavimentum sunt sidera?

Là se rendent encore ceux qui, par leurs belles actions, obtinrent l’immortalité: Castor, qui dompta les chevaux; Pollux, célèbre au combat du ceste; Persée, dont le glaive coupe la tête de Méduse; Vulcain, qui forge la foudre; Typhis, conducteur du vaisseau des Argonautes; Quirinus, père des Romains. Qui pourrait chanter ici la cour céleste dont les astres forment le pavé étincelant?

Jam pater aureo
Tranquillus sese solio locat; inde priores
Consedere dei; fluviis quoque contigit illo
Sed senibus residere loco: tibi maxime fluctu
Eridane, et flavis in pocula fracte Sicambris
Rhene tumens, Scythiæque vagis equitate catervis
Ister, et ignotum plus notus Nile per ortum.

Jupiter s’assied paisible sur son trône d’or; les dieux du premier ordre s’assoient ensuite. Il fut aussi accordé aux fleuves de prendre place en ce lieu, mais seulement aux plus anciens: à toi, fier et superbe Eridan; à toi, Rhin majestueux, dont le blonds Sicambres brisent les ondes pour se désaltérer ; à toi, Ister, que franchissent avec leurs coursiers les troupes vagabondes de Scythie; à toi, Nil, dont la source inconnue ne fait que te rendre plus célèbre encore.

Cum procul erecta cœli de parte trahebat
Pigros Roma gradus, curvato cernua collo
Ora ferens; pendent crines de vertice tecti
Pulvere, non galea; clypeusque impingitur ægris
Gressibus, et pondus, non terror fertur in hasta.
Utque pii genibus primum est affusa tonantis:

Mais, d’une partie élevée du ciel, Rome descendait à pas lents, la tête inclinée, les yeux baissés; du sommet de sa tête, pendent ses cheveux couverts de poussière; elle est sans casque; son bouclier sert d’appui à ses pas chancelas, et sa lance, inutile fardeau, ne sème plus la terreur. Aussitôt qu’elle s’est jetée aux pieds du maître du tonnerre:

Testor, sancte parens, inquit, te, numen et illud
Quidquid Roma fui, summo satis obruta fato,
Invideo abjectis: pondus non sustinet ampli
Culminis arcta domus, nec fulmen vallibus instat.
Quid, rogo, bis seno mihi vulture Thuscus aruspex
Portendit? jaciens primæ cur mœnia genti
Omnibus jam celsa fui, dum collis Etrusci
Fundamenta jugis aperis mihi, Romule pauper?
Plus gladio secura fui, cum turbine juncto
Me Rutulus, Veiens, pariterque Auruncus, et Æquus,
61 Hernicus et Volscus premerent; sat magna videbar
Et tibi, dum rumpit vitiatum femina ferro
Corpus, et ad castum remeas pudor erute vulnus;
Jam cum vallatam socio me clausit Etrusco
Tarquinius: proh Muti ignes! proh Coclitis undæ!
Proh dolor! hic quonam est, qui sub mea jura redegit
Samnitem gurges? Volsci qui terga cecidit
Martius, et Senones fundens dictator et exsul?
Fabricii vitam vellem, mortes Deciorum.
Vel sic vincentem, vel sic victos; mea redde
Principia: heu quo nunc pompæ, ditesque triumphi,
Et pauper consul? Libycum mea terruit axem
Cuspis, et infido posui juga tertia Pœno.
Indorum Ganges, Colchorum Phasis, Araxes
Armeniæ, Gir Æthiopum, Tanaisque Getarum,
Tribunum tremuere meum. Me Teutone juncto
Quondam fracte subis Cimber, gladiisque gravatas
Ante manus solas jussi portare catenas.
Væ mihi qualis eram, cum per mea jussa juberent
Sylla, Asiagenes, Curius, Paulus, Pompeius,
Tigrani, Antiocho, Pyrrho, Persæ, Mithridati,
Pacem, regna, fugam, vectigal, vincla, venenum?
Sauromatem taceo ac Moschum, solitosque cruentum
Lac potare Getas, ac pocula tinguere venis,
Vel cum diffugiunt fugiendos tum mage Persas.

« J’en atteste, père saint, et ta divinité et tout ce que je fus jadis. Ecrasée sous le poids des destins, j’envie le sort des plus humbles fortunes; une étroite demeure ne supporte point un vaste comble, et la foudre ne menace pas les vallées. Que m’annonçait, dis-moi, l’aruspice toscan, avec ses douze vautours Pourquoi les présages m’assuraient-ils de si hautes destinées, alors que, bâtissant des murs pour mes premiers citoyens, tu me creusais, pauvre encore, ô Romulus, des fondements sur une colline étrusque? J’étais plus en sûreté avec mon glaive, lorsque, unissant leurs forces, le Rutule, le Véïen, l’Aurunce, l’Eque, l’Hernique et le Volsque me pressaient de toutes parts. J’étais assez grande à tes yeux, lorsqu’une femme outragée se plongeait un poignard dans le sein, et que tu te vengeais par une chaste blessure, ô sainte pudeur; lorsque Tarquin, accompagné de l’Etrusque, m’environnait de tranchées. O brasier de Mutius! flots où se précipita Coclès! ô douleur! où est-il maintenant ce Gurgès qui m’assujettit le Samnite? ce Martius qui tailla en pièces les Volsques épouvantés? ce dictateur qui revint de l’exil pour mettre en déroute les Sénones? Je voudrais la vie de Fabricius, ou la mort des Décius; je voudrais ou cette victoire, ou ce trépas. Rends-moi mes premiers temps. Hélas! que sont devenus ces pompeux et riches triomphes, et ce consul pauvre? Mes armes ont fait trembler la Libye; trois fois j’ai imposé le joug au Carthaginois. Le Gange des Indiens, le Phace de la Colchide, l’Araxe de l’Arménie, le Gir des .Ethiopiens, et le Tanas des Gètes ont redouté mon fleuve du Tibre. Toi, Cimbre; toi, Teuton, après ta défaite, tu entras jadis dans mes mers, et des mains qui jusqu’alors n’avaient porté que le fer, je tes condamnai à ne porter désormais que des chaînes. Ah! malheureuse, quelle n’était pas mon élévation, quand Sylla, Scipion l’Asiatique, Curius, Paulus, Pompée imposaient des lois à Tigrane, à Antiochus, à Pyrrhus, à Persée, à Mithridate., en leur accordant la paix, en les rétablissant dans leurs royaumes, en les contraignant de fuir, en leur imposant des tributs, en leur donnant des fers, en les forçant de s’empoisonner. Je ne parle ni du Sauromate, ni du Mosque, ni des Gètes accoutumés à boire du lait mêlé de sang, et à rougir leurs vases de cette horrible liqueur, ni des Perses qui sont plus redoutables alors qu’ils sont en fuite.

86 Nec terras dixisse sat est: fulgentibus armis
Tot maria intravi, duce te, longeque remotas
Sole sub occiduo gentes; victricia Cæsar
Signa Caledonios transvexit adusque Britannos.
Fuderit et quanquam Scotum, et cum Saxone Pictum,
Hostes quæsivit, quem jam natura vetabat
Quærere plus homines; vidit te frangere Leucas,
Trux Auguste, Pharon; dum classicus Actia miles
Stagna quatit, profugisque bibax Antonius armis
Incestam vacuat patrio Ptolemæida regno.
Cumque prius quererer stricto de cardine mundi,
Sum limes nunc ipsa mihi. Plus summe deorum,
Sum justo tibi visa potens, quod Parthicus ultro
Restituit mea signa pavor, positaque tiara
Funera Crassorum flevit, dum purgat, et hinc jam,
Proh dolor! excusso populi jure atque senatus,
Quod timui, incurri: sum tota in principe, tota
Principis, et fio lacerum de Cæsare regnum,
Quæ quondam regina fui. Capreasque Tiberi,
Et caligas Caii, Claudi censura secuta est,
Et vir morte Nero tristi. Pisone verendum
Galbam sternis Otho, speculo qui pulcher haberi
Dum captas, ego turpis eram: mihi fœda Vitelli
Intulit ingluvies ventrem, qui tempore parvo
Regnans sero perit; lassam post inclytus armis
Vespasianus habet. Titus hinc: post hunc quoque frater.
Post quem tranquillus vix me mihi reddere Nerva
Cœpit, adoptivo factus de Cæsare major.
Ulpius inde venit, quo formidata Sicambris
115 Agrippina fuit, fortis, pius, integer, acer.
Talem capta precor. Trajanum nescio si quis
Æquiparet, ni fors iterum tu, Gallia, mittas,
Qui vincat.

« Mais ce n’est point assez de parler des terres ; c’est encore sous tes auspices que je suis entrée avec mes armes glorieuses sur autant de mers, et que, j’ai pénétré chez des nations lointaines sous le ciel occidental. César a porté mes drapeaux victorieux jusque vers les Bretons Calédoniens. Et quoiqu’il eût défait le Scot, le Picte avec le Saxon, il chercha des ennemis, lorsque la nature lui défendait de chercher encore des hommes. Leucade t’a vu, farouche Auguste, briser la puissance du Phare, tandis que les soldats de ta flotte combattaient près d’Actium, et que le buveur Antoine, par sa fuite honteuse, fit perdre à l’impure fille des Ptolémées le royaume de ses pères. Naguère je trouvais le monde trop étroit, et maintenant je suis réduite à mon enceinte. Souverain maître des dieux, je t’ai paru trop puissante, lorsque le Parthe épouvanté m’a remis de lui-même mes enseignes; lorsque, déposant sa tiare, il a pleuré la mort de Crassus, et s’est justifié de sa résistance. Déjà, ô douleur! les droits du peuple, le pouvoir du sénat sont anéantis et ce que j’appréhendais m’est arrivé. Je suis toute dans le prince, je suis toute à lui; je ne suis qu’un royaume démembré et relevant de César, moi jadis la reine du monde entier. A la Caprée de Tibère, aux caliges de Caïus ont succédé et la censure de Claude, et ce Néron qui ne fut homme qu’à la mort. Avec le malheureux Pison, Othon fait mourir le vénérable Galba, Othon qui cherchait à se trouver beau dans un miroir, tandis que j’étais toute difforme. Puis est venue la hideuse gloutonnerie de ce Vitellius qui, malgré la brièveté de son règne, périt encore trop tard. Fatiguée de tant de maux, je tombai au pouvoir de Vespasien, illustre par ses conquêtes, et de Titus, qui laissa la couronne à son frère. Après lui, le tranquille Nerva eut à peine le temps de me rendre à moi-même, Nerva devenu plus grand par le César qu’il avait adopté. Parut enfin Ulpius, qui rendit Agrippina redoutable aux Sicambres, et qui brilla par son courage, par sa piété, par son intégrité, par sa vigilance. Captive, c’est un pareil empereur que je demande. J’ignore si quelqu’un peut égaler Trajan, à moins peut-être que tu ne m’envoie encore, ô Gaule, un prince qui le surpasse. »

Lacrymæ vocem clausere precantis,
Et quidquid superest luctus rogat. Undique cœli
Assurgunt proceres, Mars, Cypris, Romulus, et qui
Auctores tibi Roma dei: jam mitior ipsa
Flectitur, atque iras veteres Saturnia donat.

Les larmes de la déesse interrompirent son discours, mais sa douleur parla pour elle. Aussitôt se lèvent les divinités de l’Olympe, Mars, Cypris, Romulus, et les dieux, ô Rome, qui te protégent. Plus douce déjà, la fille de Saturne se laisse fléchir, et fait taire son ancien ressentiment.

Jupiter ista refert: Fatum quo cuncta reguntur,
Quoque ego, non licuit frangi; sat celsa laborant
Semper, et elatas nostro de munere vires
Invidit fortuna sibi; sed concipe magnos
Quanquam fracta animos. Si te Porsenna soluto
Plus timuit de ponte tremens, si mœnia capta
Mox Brenni videre fugam; si denique dirum
Annibalem, juncto terræ cœlique tumultu,
Reppulimus, cum castra tuis jam proxima muris
Starent, Collina fulmen pro turre cucurrit,
Atque illic iterum timuit natura paventem
Post Phlegram pugnare Jovem; torpentia tolle
Lumina, detersam mentem caligo relinquat.
Te mirum est vinci: incipies cum vincere, mirum
Non erit, utque tibi pateat quo surgere tandem
Fessa modo possis, paucis cognosce, docebo.

Jupiter répond ainsi: « Le destin qui gouverne tout, qui me gouverne moi-même, n’a pu être changé. Les choses qui sont assez élevées chancèlent toujours; la fortune a été jalouse de sen ouvrage, et de la grandeur que je t’avais donnée. Mais, quoique abattue, reprends ta première audace. Si Porsenna te craignit plus encore lorsque frémissant il vit rompre le pont; si tes murailles captives contemplèrent bientôt la fuite de Brennus; enfin, après avoir mis en mouvement le ciel et la terre, nous avons repoussé le terrible Hannibal, alors qu’il campait déjà sous tes murailles; si la foudre parcourut la tour du Collatin; si la nature craignit de voir Jupiter combattre comme sur le Phlégra, lève ta paupière appesantie, et dissipe le nuage qui obscurcit tes sens. Il est étonnant de te voir vaincue; il ne le sera pas de te voir obtenir de nouveaux triomphes. Et, pour que tu saches comment tu pourras enfin t’élever après tes malheurs, écoute ce que je vais te dire en peu de mots.

139 Est mihi, quæ Latio se sanguine tollit alumnam,
Tellus clara viris, cui non dedit optima quondam
Rerum opifex natura parem; fecundus ab urbe
Pollet ager, primo qui vix proscissus aratro,
Semina tarda sitit, vel luxuriante juvenco
Arcana exponit piceam pinguedine glebam.
Assurrexit huic, coxit quod torridus Auster,
Niliacum Libycumque solum; collataque semper
Arida Mygdoniæ damnarunt Gargara falces.
Apulus et Calaber cessit: spes unica rerum,
Hanc, Arverne, colens, nulli pede cedit in armis,
Quosvis vincis equo: testis mihi Cæsaris esto
Hic nimium Fortuna pavens, cum colle repulsus
Gergoviæ, castris miles vix restitit ipsis.
Hos ego tam fortes volui, sed cedere Avitum
Dum tibi Roma paro; rutilat cui maxima dudum
Stemmata complexum germen; palmata cucurrit
Per proavos, gentisque suæ, te teste, Philagri,
Patricius resplendet apex. Sed portio quanta est
Hæc laudum laudare patres? quos quippe curules
Et præfecturas constat debere nepoti.
Sunt aliis, per quos se posthuma jactet origo,
Et priscum titulis numeret genus alter, Avite,
Nobilitas tu solus avos. Libet edere tanti
Gesta viri, et primam paucis percurrere vitam.

« Il est une terre qui s’enorgueillit d’être issue du sang latin, terre féconde en héros, et que la nature, excellente mère de toutes choses, a favorisée plus que toute autre région. Depuis la ville s’étend une fertile campagne; à peine la charrue en a-t-elle effleuré la surface, que les champs ont soif d’une semence qu’ils trouvent tardive; la glèbe noirâtre que fatiguent de robustes taureaux, fournit par des sucs nourriciers une abondante moisson. Le sol d’Egypte et de Libye, que féconde le brûlant Auster, cède la palme à cette contrée; le Gargare de Phrygie n’offre jamais d’aussi riches moissons; le terroir d’Apulie et celui de Calabre lui sont inférieurs. Seule espérance de Rome, Arverne, toi qui cultives cette terre, tu l’emportes sur tous les autres peuples dans les combats à pied; tu triomphes de tous dans les combats à cheval. Je t’en prends à témoin, fortune de César! combien ne fus-tu pas effrayée, lorsque ses guerriers, repoussés de dessus la colline de Gergovia, s’arrêtèrent à peine dans leur camp. J’ai voulu rendre le Arvernes ainsi courageux; mais c’est qu’alors, ô Rome, je te préparais Avitus. Sa race, depuis longtemps illustre, réunit les titres les plus élevés. La palmée a décoré ses aïeux, et sa famille a obtenu, témoin Philagrius, la dignité de patrice. Mais à quoi sert-il de partager mes éloges, et de célébrer des pères dont les chaises curules et les préfectures reçoivent leur plus grand lustre de leur petit-fils. Qu’il y ait des ancêtres qui fassent rejaillir leur gloire sur leurs descendants ; qu’un autre compte les titres de ses aïeux; toi seul, Avitus, tu ennoblis tes aïeux. Je vais exposer les hauts faits de ce grand homme, et raconter en peu de mots sa vie jusques à ce moment.

Solverat in partum generosa puerpera casti
165 Ventris onus: manifesta dedit mox signa futuri
Principis, ac totam fausto trepidi patris aulam
Implevi augurio; licet idem grandia nati
Culparet fata, et pueri jam regna videret.
Sed sibi commissum tanto sub pignore cernens
Mundi depositum, ne quid tibi Roma periret,
 Juvit fortunam studio: lactentia primum
Membra dedit nivibus, glaciemque irrepere plantis
Jussit, et attritas parvum ridere pruinas.

« Sa généreuse mère venait de mettre au monde le fruit d’un chaste sein; Avitus aussitôt donna des signes manifestes qu’il serait un jour empereur, et je rassurai par des augures favorables toute la cour de son père tremblant, qui était jaloux de si hautes destinées, et qui voyait déjà le règne de son fils. Mais, sachant que le sort du monde était un dépôt à lui confié sous un si noble gage, il aida la fortune par ses soins, pour te conserver, ô ma fille, un digne libérateur. D’abord, il plongea dans la neige les membres délicats du nouveau-né, voulut qu’il posât ses pieds sur la glace, et qu’il brisât, en se jouant, les durs glaçons.

Surgentes anni Musis formantur, et illo
Quo Cicerone tonas: didicit quoque facta tuorum
Ante ducum; didicit pugnas, libroque relegit
Quæ gereret campo; primus vix cœperat esse
Ex infante puer, rabidam cum forte cruentis
Rictibus, atque escas jejuna fauce parantem,
Plus catulis, stravit (fuerant nam fragmina propter)
Arreptam de caute lupam, fractusque molari
Dissiluit vertex, et saxum vulnere sedit.
Sic meus Alcides, Nemeæ dum saltibus errat,
Occurrit monstro vacuus, non robora portans,
Non pharetras: stetit ira tremens, atque hoste propinquo
Consuluit solos virtus decepta lacertos.

« Son esprit, une fois développé, se forme à l’école des Muses et de ce Cicéron qui tonnait dans tes murs. Avitus apprit les hauts faits de tes antiques généraux; il apprit l’art des combats, et sut étudier dans les livres ce qu’il devait exécuter dans les camps. A peine avait-il dépassé le premier âge, de l’enfance, que, s’armant d’une pierre (des fragments de roc se trouvaient près de lui), il terrassa une louve furieuse dont la gueule entr’ouverte, affamée, ensanglantée, cherchait pour elle, et plus encore pour ses petits, de quoi rassasier une faim dévorante; sous le coup terrible, le haut de la tête se fracasse, et la pierre reste dans la blessure. Ainsi mon fils Alcide, errant dans les bois de Némée, aperçoit un monstre formidable; quoique sans armes, quoique sans massue et sans carquois, il s’arrête frissonnant de colère, et, à l’approche cet ennemi, sa valeur trompée ne consulte que la vigueur de ses bras.

Parva quidem, dicenda tamen: quis promptior isto
Tensa catenati submittere colla molossi?
189 Et lustris recubare feras interprete nare
Discere non visas, et in ære quærere plantas?
Jam si forte suem latratibus improbus Umber
Terruit, albentes nigro sub gutture lunas
Frangere ludus erat, colluctantique lacerto
Vasta per adversas venabula cogere prædas.
Quam pulchrum, cum forte domum post lustra revertens
Horrore splenderet apri, virtusque repugnans
Proderet invitum per fortia facta pudorem.
Sic Pandioniis castæ Tritonidos arvis,
Hippolytus roseo sudans radiabat ab ore,
Sed simul a gemino flagrans cum Cressa furore
Transiit affectu matres, et fraude novercas.
Quid volucrum studium, dat quas natura rapaces,
In vulgus prope cognatum? quis doctior isto
Instituit varias per nubila jungere lites?
Alite vincit aves, celerique per æthera plausu
Hoc nulli melius pugnator militat unguis.
Nec minus hæc inter civilia jura secutus,
Eligitur primus, juvenis, solus, mala fractæ
Alliget ut patriæ, poscatque informe recidit
Vectigal; procerum tum forte potentior illic,
Post etiam princeps, Constantius omnia præstat,
Indole defixus tanta, et miratus in annis
Parvis grande bonum, vel in ore precantis ephebi
Verba senis.

« Ces premières actions, peu importantes, sans doute, méritent cependant d’être racontées. Qui fut plus adroit qu’Avitus à dresser un chien pour la chasse? Qui mieux sut lui apprendre à découvrir, dans les bois, par la délicatesse de son odorat, les gîtes des bêtes sauvages, et à chercher en l’air- les pieds des oiseaux qu’il ne voit pas? Si un ardent Ombrien épouvantait un sanglier par ses aboiements, c’était un jeu pour Avitus de briser ses blanches défenses dans sa noire gueule, et de pousser d’un bras ferme un long épieu contre sa proie? Qu’il faisait beau le voir lorsque, sortant des ténébreuses forêts, il revenait à sa maison, rapportant un énorme sanglier, prix de sa victoire, et que ces hauts faits trahissaient son courage trop modeste! C’est ainsi que, dans les campagnes de la chaste Minerve, où régna jadis Pandion, la sérénité brillait sur les joues vermeilles d’Hippolyte, quand Phèdre brûlait d’une double passion, quand elle surpassait les mères par son amour, et les marâtres par son crime. Qui mieux que lui sut dresser les oiseaux de proie contre les habitants des airs? qui mieux que lui sut leur apprendre à guerroyer dans les nuages? Il se sert des oiseaux pour vaincre les oiseaux, et jamais, par un vol rapide à travers les régions éthérées, des combattants aux serres, terribles ne servirent un autre chasseur mieux que lui. Au milieu de ces amusements, fidèle aux intérêts de ses concitoyens, Avitus, malgré sa jeunesse, est choisi seul pour cicatriser les blessures de la patrie abattue, et pour demander la suppression d’un tribut onéreux. Constantius, l’homme le plus puissant alors, et qui plus tard partagea l’empire, accorde tout à Avitus, frappé qu’il est d’un si grand caractère, admirant un pareil mérite dans un âge encore tendre, et des paroles de vieillard dans la bouche suppliante d’un jeune homme.

Ducis hinc pugnas et fœdera regum
215 Pandere, Roma, libet. Variis incussa procellis
Bellorum, regi Getico tua Gallia pacis
Pignora jussa dare est: inter quæ nobilis obses
Tu, Theodore, venis, quem pro pietate propinqui
Expetis in media pelliti principis aula
Tutus, Avite, fide; probat hoc jam Theuderis altum
Exemplum officii: res mira et digna relatu,
Quod fueris blandus, regi placuisse feroci.
Hinc te paulatim prælibat sensibus imis,
Atque animis vult esse suum; sed spernis amicum
Plus quam Romanum gerere: stupet ille repulsam,
Et plus inde places: rigidum sic, Pyrrhe, videbas
Fabricium, ingestas animo cum divite fugit
Pauper opes, regem temnens, dum supplice censu
Pignus amicitiæ vili mendicat ab auro.

« Les combats que ce héros a soutenus, les alliances qu’il a faites avec les rois, je vais te les redire maintenant. Ebranlée par des guerres orageuses, ta Gaule avait reçu l’ordre de donner des otages de paix au roi des Goths. Parmi ces otages se trouvait le noble Théodore, qu’Avitus, en parent dévoué, comptant sur la foi jurée, va visiter au milieu de la cour du prince vêtu de fourrures. Theuderis admire sa généreuse attention chose étonnante et digne d’être rapportée, ô Avitus, que par ton affabilité tu saches plaire à ce roi farouche! Il cherche à pénétrer peu à peu dans tes sentiments intimes, et veut te conquérir à lui; mais tu dédaignes son amitié, tu veux rester Romain. Il s’étonne de ton refus, et ne t’en estime que davantage. Ainsi, Pyrrhus, tu fus témoin de l’inflexibilité de Fabricius, lorsque, pauvre, il refusait, avec une âme au-dessus des richesses, les trésors que tu lui offrais, et qu’il méprisait un roi qui, par des présents vils et corrupteurs, mendiait humblement son amitié.

Ætium interea, Scythico quia sæpe duello
Edoctus, sequeris; qui quanquam celsus in armis
Nil sine te gessit, cum plurima tu sine illo.
Nam post Juthungos et Norica bella, subacto
Victor Vindelico, Belgam, Burgundio quem trux
Presserat, absolvit junctus tibi; vincitur illic
Cursu Herulus, Chunus jaculis, Francusque natatu,
Sauromata clypeo, Salius pede, falce Gelonus,
Vulnere vel si quis plangit, cui flesse perisse est,
Ac ferro perarasse genas, vultuque minaci
Rubra cicatricum vestigia defodisse.

Cependant, comme Aétius savait la manière de combattre les Scythes, tu le suivis, ô Avitus. Quoiqu’il fût habile dans les combats, il ne fit rien de grand sans toi, tu fis beaucoup sans lui; car, .après la défaite des Juthongues, après la guerre contre les Noriques et les Vindéliciens, Aétius vainqueur de tous ces peuples délivra, grâce à toi, les Belges qu’opprimait le farouche Burgonde. Alors l’Hérule et ‘surpassé à la course, le Chun dans l’art de lancer les traits, le Franc dans celui de nager, le Sarmate dans l’adresse de parer avec le bouclier, le Salien dans l’habileté à marcher, le Gélon dans la manière de se servir de la faux tranchante. Ce dernier aime mieux périr que de sortir du combat sans blessures; il faut que le fer ait sillonné ses joues, ou que l’on voie sur son visage menaçant des traces ensanglantées.

241 Illustri jam tum donatur celsus honore,
Squameus et rutilis etiamnum livida cristis
Ora gerens. Vix arma domum sordentia castris
Rettulerat; nova bella iterum, pugnamque sub ipsis
Jam patriæ muris periturus commovet hostis.
Litorius Scythicos equites tum forte, subacto
Celsus Aremorico, Geticum rapiebat in agmen
Per terras, Arverne, tuas; qui proxima quæque
Discursu, flammis, ferro, feritate, rapinis
Delebant, pacis fallentes nomen inane,
Hujus tum famulum quidam truculentior horum
Mox feriende feris; ruit ille, et tristia fata
Commendat domino absenti, partemque futuram
Vindictæ moriens Stygium spe portat ad amnem.
Et jam fama viro turres portasque tuenti,
Intuitu pavidæ plebis perfert scelus actum.
Excutitur, restat, pallet, rubet, alget et ardet,
Ac sibimet multas vultum variata per unum
Ira facit facies; vel qui mos sæpe dolenti,
Plus amat exstinctum; tandem prorumpit, et arma,
Arma fremit, pinguisque etiamnum sanguine fertur
Lorica, obtusus per barbara vulnera contus,
Atque sub assiduis dentatus cædibus ensis.
Includit suras ocreis, capitique micantem
Imponit galeam, fulvus cui crescit in altum
Conus, et iratam jaculatur vertice lucem.
Et jam scandit equum, vulsisque a cardine portis
Emicat; assistunt socio virtusque dolorque,
Et pudor; armatas pilo petit impiger alas,
Pugnando pugnam quærens, pavidumque per agmen
Multorum interitu compensat, quod latet unus.
272 Sic Phrygium Æmathia victorem cuspide poscens
Æacides, cæso luctum frenavit amico,
Per mortes tot, Troja, tuas, jam vilia per se
Agmina contentus ruere, strictumque per amplos
Exserere gladium populos: natat obruta tellus
Sanguine, dumque hebetat turba grave cædua telum.
Absens in cuncto sibi vulnere jam cadit Hector.

« Avitus est donc élevé en honneur. Couvert encore de sa cuirasse, et portant un visage livide sous des aigrettes éclatantes, à peine avait-il rapporté chez lui ses armes teintes du sang des Barbares, qu’un ennemi destiné à périr excite de nouvelles guerres, et vient combattre sous les murs mêmes de la patrie d’Avitus. Fier d’avoir soumis les Armoriques, Litorius entraînait contre les bataillons des Gètes, à travers les campagnes de l’Arverne, la cavalerie scythe qui ravageait tout le pays par le feu, par le fer, par des cruautés, par des rapines, et qui se jouait ainsi d’un vain traité de paix. Le plus cruel de ces Barbares, au moment d’être frappé lui-même, frappe un favori d’Avitus. Ce favori tombe, recommande à son maître absent un trépas si cruel, et emporte aux sombres rives du Styx l’espoir d’être vengé bientôt. Déjà la renommée annonce au guerrier qui défend les tours et les portes quel crime vient d’être commis en présence de la foule tremblante. Il s’agite, reste immobile, pâlit, rougit, frissonne et brûle de colère; son visage montre tour à tour des impressions diverses de courroux; et, comme c’est la coutume de ceux qui pleurent un ami, Avitus aime davantage celui qu’il n’a plus. Enfin, il s’élance, et frémissant demande ses armes. On lui donne sa cuirasse teinte encore de sang, et sa lance émoussée par les blessures portées aux Barbares, et son glaive ébréché par de vastes massacres. Il entoure ses pieds de ses bottines, place sur sa tête un casque étincelant, dont le cimier d’or s’élève brillant de lumière, et sème la terreur. Déjà il monte un superbe coursier, les portes crient sur leurs gonds; il se précipite, le courage, la douleur et la honte sur le front. Sans perdre de temps, il lance son javelot contre la cavalerie, cherchant par ce défi quelqu’un qui veuille se mesurer avec lui, et, à travers les bataillons éperdus, il venge, par le trépas d’un grand nombre d’ennemis, la mort d’un seul homme. Ainsi, le formidable Achille, armé de sa lance thessalienne, cherchait le Phrygien victorieux, suspendant le cours de la douleur que lui causait le trépas de son ami, et immolant une foule de guerriers troyens. Il est heureux de pénétrer à travers des cohortes, objet de son mépris, et de promener sort glaive menaçant au sein des épais bataillons. La terre est inondée de sang; percés de ses traits redoutables, les guerriers couvrent le sol, et dans toutes les blessures qu’il porte, c’est Hector absent qu’il immole déjà.

Proditus ut tandem, tanti qui causa tumultus,
Inquit Avitus, Age, Scythica nutrite sub arcto,
Qui furis, et cæso tantum qui fidis inermi,
Congredere armato: multum tibi præstitit ira
Jam mea, concessi pugnam, jubeoque resistas:
Certantem mactasse juvat. Sic fatur, et æquor
Prosilit in medium: nec non ferus advenit hostis.
Ut primum pectus vel cominus ora tulere,
Hic ira tremit, ille metu. Jam cætera turba
Diversis trepidat votis, variosque per ictus
Pendet ab eventu; sed postquam prima, secunda,
Tertiaque acta rota est, venit ecce, et celsa cruentum
Perforat hasta virum, post et confinia dorsi
Cedit transfosso ruptus bis pectore thorax:
Et dum per duplicem sanguis singultat hiatum,
Dividua ancipitem carpserunt vulnera vitam.

« Dès que l’on a découvert enfin celui qui cause un si affreux carnage: Avance, dit Avitus, avance, toi qui, nourri sous l’ourse scythique, promènes ta fureur, et qui t’enorgueillis si fort d’avoir abattu un ennemi sans défense; viens combattre un homme armé. C’est une faveur signalée que je te fais dans ma colère, de t’accorder le combat; hâte-toi de te mettre en garde. Il y a du plaisir à immoler un ennemi qui se défend. — Il dit, et s’élance au milieu du champ de bataille; son farouche adversaire vient à lui. A peine sont-ils en présence, que l’un frémit de colère, l’autre frissonne de crainte. Les deux armées forment des vœux contraires; à la vue des coups terribles qu’ils se portent, elles tremblent pour l’issue du combat. Leurs lances se rencontrent, se heurtent une fois, deux fois, trois fois; mais voici que celle d’Avitus perce un rival ensanglanté; sa cuirasse, deux fois brisée vers les flancs, ouvre un passage au fer meurtrier qui traverse le cœur d’outre en outre. Le sang jaillit de cette double ouverture, et sa vie s’échappe par ces deux blessures.

295 Hæc post gesta viri, temet Styx livida testor,
Intemerata mihi præfectus jura regebat:
Et caput hoc sibimet solitis defessa ruinis
Gallia suscipiens, Getica pallebat ab ira.
Nil prece, nil pretio, nil milite fractus agebat
Ætius; capto terrarum damna patebant
Litorio, in Rhodanum, proprios producere fines
Theudoridæ fixum, nec erat pugnare necesse,
Sed migrare Getis; rabidam trux asperat iram
Victor, quod sensit Scythicum pro mœnibus hostem,
Imputat, et nihil est gravius, si forsitan unquam
Vincere contingat, trepido. Postquam undique nullum
Præsidium, ducibusque tuis nil, Roma, relictum est,
Fœdus, Avite, novas; sævum tua pagina regem
Lecta domat; jussisse sat est te, quod rogat orbis.
Credent hoc unquam gentes, populique futuri?
Littera Romani cassat, quod barbare vincis.
Jura igitur rexit; namque hoc quoque par fuit, ut tum
Assertor fieret legum, qui nunc erit auctor;
Ne dandus populis princeps, caput, induperator,
Cæsar et Augustus, solum fera prælia nosset.

« Après ces nobles exploits, Avitus, je t’en prends à témoin, sombre Styx, rendait en qualité de préfet la justice la plus intègre. Fatiguée de ses désastres accoutumés, la Gaule te reçut. pour chef, lorsqu’elle tremblait devant la colère du Gète. Epuisé qu’il était, Aétius ne pouvait plus rien, ni par les prières, ni par l’or, ni par les armes; Litorius une fois captif, ces contrées étaient ouvertes aux invasions. Etendre ses frontières jusqu’au Rhône, c’était le dessein arrêté de Théodoric, et pour cela il n’était pas besoin aux Gètes de combattre, ils n’avaient qu’à marcher en avant. Le vainqueur farouche redouble de courroux, il s’irrite d’avoir senti sous ses murs les phalanges de Scythie, et rien ne lui pèse, rien ne sera vengé comme son épouvante, si par hasard la victoire lui échoit. Quand il ne reste plus aucune ressource, que Rome n’attend plus rien de ses capitaines, tu fais revivre les traités, ô Avitus, et la lecture d’une page de ta main désarme un prince irrité. C’est assez de tes ordres, pour obtenir ce que demande l’univers. Les nations et les peuples futurs le croiront-ils jamais? Une lettre d’un Romain arrête les déprédations d’un Barbare. Avitus administrait donc la justice; il con- venait que celui-là fût dès lors le protecteur des lois, qui en sera désormais l’auteur. Celui qui allait être donné aux peuples comme prince, comme chef, comme empereur, comme César et comme Auguste, devait connaître autre chose que les combats sanglants.

Jam præfecturæ perfunctus culmine tandem
Se dederat ruri; nunquam tamen otia, nunquam
Desidia imbellis, studiumque et cura quieto
Armorum semper; subito cum rupta tumultu
320 Barbaries totas in te transfunderat arctos,
Gallia; pugnacem Rugum comitante Gelono,
Gepida trux sequitur, Scyrum Burgundio cogit;
Chunus, Bellonotus, Neurus, Basterna, Toringus,
Bructerus, ulvosa quem vel Nicer abluit unda,
Prorumpit Francus; cecidit cito secta bipenni
Hercinia in lintres, et Rhenum texuit alno.
Et jam terrificis diffuderat Attila turmis
In campos se, Belga, tuos.

« Enfin, après avoir rempli les fonctions éminentes de la préfecture, Avitus s’était retiré à la campagne, non pour y vivre dans l’oisiveté, ni duos un lâche repos; la science des armes l’occupait encore dans sa paisible retraite. Soudain, les peuples barbares débordent sur la Gaule. Le Gélon accompagne le Ruge belliqueux; vient ensuite le féroce Gépide; le Burgonde pousse le Scyrus; le Chun, le Bellonotus, le Neurus, le Basterne, le Thuringien, le Bructère que baignent les flots du bourbeux Nicer, le Franc, voilà quels peuples arrivent à la fois. La forêt Hercynie tombe sous la cognée, se convertit en barques et couvre le Rhin. Attila déjà avait répandu ses terribles légions dans les campagnes de la Belgique.

Vix liquerat Alpes
Ætius, tenue et rarum sine milite ducens
Robur in auxiliis Geticum male credulus agmen
Incassum propriis præsumens adfore castris.
Nuntius at postquam ductorem perculit, Hunnos
Jam prope contemptum propriis in sedibus hostem
Exspectare Getas, versat vagus omnia secum
Consilia, et mentem curarum fluctibus urget.
Tandem cunctanti sedit sententia, celsum
Exorare virum, collectisque omnibus una
Principibus, coram supplex sic talibus infit:

Aétius avait à peine franchi les Alpes; il ne conduisait qu’une armée faible et peu nombreuse, et comptait, dans son erreur, sur le secours des Goths qu’il croyait déjà voir se réunir à lui. Dès que ce guerrier est instruit que les Goths attendent dans leurs quartiers les Huns, ennemis par eux méprisés, tout inquiet, il agite dans son esprit mille projets divers, et son âme flotte en proie aux soucis les plus cuisants. Après une longue hésitation, il se résout à recourir à Avitus, et, dans une assemblée des principaux personnages, d’un ton de voix suppliant, il lui parle en ces termes:

Orbis, Avite, salus, cui non nova gloria nunc est,
Quod rogat Ætius; voluisti, et non nocet hostis:
Vis? prodest; inclusa tenes tot millia nutu,
Et populis Geticis sola est tua gratia limes.
Infensi semper nobis, pacem tibi præstant.
Victrices i prome aquilas: fac, optime, Chunos
Quorum forte prior fuga nos concusserat olim,
Bis victor prodesse mihi.

« O Avitus, le salut du monde, toi pour qui ce n’est point une gloire nouvelle de voir Aétius implorer aujourd’hui ton secours, tu as voulu, et nos ennemis ont cessé de nous nuire. Si tu le veux, ils nous serviront. Tu tiens sous ta main des milliers d’hommes qui sont à tes ordres, et le désir seul de te plaire devient une règle de conduite pour les peuples Gétiques. Toujours nos ennemis, ils t’accordent la paix. Va donc, et déploie les aigles victorieuses; fais en sorte, brave guerrier, qu’une seconde défaite des Chuns, dont la première fuite nous fut jadis si funeste, me soit utile. »

Sic fatus, et ille
347 Pollicitus votum, fecit spem. Protinus inde
Advolat, et famulas in prælia concitat iras.
Ibant pellitæ post classica Romula turmæ,
Ad nomen currente Geta; timet ære vocari
Dirutus, opproprium non damnum barbarus horrens.
Hos ad bella trahit tum jam spes orbis Avitus,
Vel jam privatus, vel adhuc. Sic cinnama busto,
Collis Erythræi portans Phœbeius ales,
Concitat omne avium vulgus: famulantia currunt
Agmina, et angustus pennas non explicat ær.

« Ainsi parle Aétius, et la promesse d’Avitus devient un gage assuré du succès. Il vole aussitôt, et inspire aux soldats le désir de combattre. Les escadrons vêtus de fourrures marchent aux Sons des trompettes romaines et le Gète accourt à l’appel; il craint d’être regardé comme un soldat puni par la privation de la solde; c’est l’opprobre, et non le dommage, que redoute ce Barbare. Tels sont les guerriers qu’Avitus entraîne aux combats, Avitus, l’espoir dès ce moment, quoique simple particulier, et le soutien de l’empire, comme aujourd’hui encore. Ainsi l’oiseau de Phébus, habitant des collines Erythréennes, lorsqu’il apporte le cinnamome destiné à son bûcher, met en mouvement tout le peuple des oiseaux; les escadrons officieux accourent autour de lui, et l’éther trop étroit peut suffire à peine à leur vol.

Jam prope fata tui bissenas vulturis alas
Complebant (scis namque tuos, scis, Roma, labores)
Actium Placidus mactavit semivir amens
Vixque tuo impositum capiti diadema, Petroni:
Illico barbaries, nec non sibi capta videri
Roma Getis, tellusque suo cessura furori,
Raptores ceu forte lupi, quis nare sagaci
Monstrat odor pinguem clausis ab ovilibus auram,
Irritant, acuuntque famem, portantque rapinæ
In vultu speciem, patulo jejunia rictu
Fallentes; jam jamque tener spe frangitur agnus,
Atque absens avido crepitat jam præda palato.

« Déjà les destins avaient amené presque l’époque fixée par l’augure des douze vautours (tu te rappelles, ô Rome, tu te rappelles tes angoisses d’alors). Valentinianus, ce lâche insensé, venait de faire périr Aétius, et Pétronius n’eut pas plus tôt le front ceint du diadème, que les Barbares se remuèrent subitement; Rome s’imagina qu’elle était prise par les Gètes, que le monde allait céder à leur furie. Tels ces loups ravisseurs, dont le subtil odorat devine autour des bergeries bien fermées une proie délicate, sentent leur vorace appétit s’accroître et s’irriter; à les voir, on dirait qu’ils ont déjà leur victime; ils trompent leur faim en ouvrant une large gueule; déjà ils déchirent en espérance le tendre agneau, et la brebis absente craque déjà sous leurs dents avides.

Quin et Aremoricus piratam Saxona tractus
370 Sperabat, cui pelle salum sulcare Britannum
Ludus, et assuto glaucum mare findere lembo.
Francus Germanum primum, Belgamque secundum
Sternebat, Rhenumque ferox Alamanne bibebas
Romanis ripis, et utroque superbus in agro
Vel civis, vel victor eras. Sed perdita cernens
Terrarum spatia, princeps jam Maximus, unum
Quod fuit in rebus, peditumque equitumque magistrum
Te sibi, Avite, legit: collati rumor honoris
Invenit agricolam, flexi dum forte ligonis
Exercet dentes, vel pando pronus aratro
Vertit inexcoctam per pinguia jugera glebam,
Sic quondam ad patriæ res fractas pauper arator
Cincinnate venis, veterem cum te induit uxor
Ante boves trabeam, dictatoremque salignæ
Excepere fores, atque ad sua tecta ferentem
Quod non persevit, turpique e fasce gravata
Vile triumphalis portavit purpura semen.

D’autre part, les côtes de l’Armorique redoutaient le pirate saxon, pour qui c’est un jeu de sillonner la mer de Bretagne, et de fendre les vagues azurées sur des esquifs de peaux cousues ensemble. Le Franc ravageait la première Germanie, et la seconde Belgique; toi aussi, féroce Alamann, tu buvais les eaux du Rhin sur les rives romaines, fier dans l’un et l’autre territoire, ici comme citoyen, là comme vainqueur. Mais sentant qu’il perd chaque jour du terrain, Maximus ne voit qu’un seul moyen de réparer ses désastres, et il te choisit, ô Avitus, pour maître de l’infanterie et de la cavalerie. Ces nouveaux honneurs te trouvent occupé à des ouvrages rustiques: tu maniais le hoyau recourbé, ou bien, guidant le soc de la charrue, tu retournais la glèbe dans tes fertiles arpents. Ainsi jadis Cincinnatus, simple laboureur, venait rétablir les affaires de la patrie abattue; alors que, devant les bœufs, sa femme le revêtit de l’antique trabée ; que ses portes modestes le reçurent dictateur, puis amenant à sa maison ce qu’il n’avait pas semé; et que la pompe triomphale, chargée d’un humble fardeau, porta une vile semence.

Ut primum ingesti pondus suscepit honoris,
Legas qui veniam poscant, Alamanne, furoris.
Saxonis incursus cessat, Catthumque palustri
Alligat Albis aqua: vixque hoc ter menstrua totum
Luna videt. Jamque ad populos et rura feroci
Tenta Getæ protendit iter, qua pulsus ab æstu
Oceanus, refluum spargit per culta Garumnam,
In flumen currente mari: transcendit amarus
Blanda fluenta latex, fluviique impacta per alveum
Salsa peregrinum sibi navigat unda profundum.
Hic jam disposito laxantes frena duello
Vesorum proceres raptim suspendit ab ira
400 Rumor, succincto referens diplomate Avitum
Jam Geticas intrare domos, positaque parumper
Mole magisterii, legati jura subisse.
Obstupuere duces pariter Scythicusque senatus,
Et timuere suam pacem ne forte negaret.
Sic rutilus Phæthonta levem cum carperet axis,
Jam pallente die, flagrantique excita mundo
Pax elementorum fureret, vel sicca propinquus
Sæviret per stagna vapor, limusque sitiret
Pulvereo ponti fundo; tunc unica Phœbi
Insuetum clemens exstinxit flamma calorem.

« Dès qu’Avitus a accepté les honneurs qu’on lui défère, l’Alamann députe des envoyés pour excuser ses fureurs; le Saxon suspend ses incursions, et l’Albis resserre le Chatte dans ses marais tranquilles. La lune à peine a fourni trois fois sa carrière, que tout cela s’est accompli. Avitus déjà s’achemine vers les champs habités par le Gète féroce, aux lieux où l’Océan, chassé par le reflux, répand les eaux de la Garonne à travers les plaines cultivées; la mer se précipite dans le fleuve, les ondes salées traversent les eaux douces, et se jetant au sein du fleuve, les flots amers voyagent en un lit étranger. Là, tous les grands de la nation des Goths se préparaient à faire une guerre sanglante aux Romains; leur colère s’apaise soudain, ils apprennent par une courte lettre qu’Avitus pénètre déjà dans les contrées Gétiques, et que, déposant pour quelques heures l’appareil du commandement, il arrive à eux sous le titre d’envoyé. Les chefs et le sénat des Goths sont frappés de stupeur, et craignent qu’Avitus ne leur refuse la paix. Ainsi, lorsque l’imprudent Phaéton conduisait le char brillant du soleil, que le jour recommençait à pâlir, que les éléments se confondaient dans le monde prêt à s’embraser, qu’une chaleur dévorante se faisait sentir dans les lacs arides, que le limon se desséchait au fond poudreux de la mer, la douce influence d’un seul rayon de Phébus éteignit cet embrasement inouï.

Hic aliquis tum forte Getes, dum falce recocta
Ictibus informat, saxoque cacuminat ensem,
Jam promptus caluisse tubis, jam jamque frequenti
Cæde sepulturus terram, non hoste sepulto,
Claruit ut primum nomen venientis Aviti,
Exclamat: Periit bellum, date rursus aratra.
Otia si replico priscæ bene nota quietis,
Non semel iste mihi ferrum tulit: o pudor! o dii!
Tantum posse fidem! quid fœdera lenta minaris,
In damnum mihi fide meum? compendia pacis
Et præstare jubes nos, et debere: quis unquam
Crederet? en Getici reges parere volentes,
Inferius regnasse putant; nec dicere saltim
Pacem fortis amas; jam parteis sternit Avitus;
Insuper et Geticas præmissus continet iras
Messianus: adhuc mandasti, et ponimus arma.
Quid restat, quod posse velis? quod non sumus hostes,
419 Parva reor; prisco tu si mihi notus in actu es,
Auxiliaris ero, vel sic pugnare licebit.

« Un Gète alors par hasard de sa faux retrempée se forgeait un glaive et l’aiguisait sur la pierre; cet homme prêt à s’enflammer aux accents de la trompette, et à ensevelir la terre sous des cadavres amoncelés d’ennemis sans sépulture, s’écrie, à la première nouvelle de l’arrivée d’Avitus: « Plus de combats! rendez-moi la charrue! Je n’ai point oublié le repos qui a suivi la dernière guerre; plus d’une fois Avitus m’a fait tomber le fer des mains. O honte, ô dieux! indomptable ascendant de la confiance! Pourquoi nous menaces-tu d’une alliance tardive, et conspires-tu toujours pour ma perte? Tu veux que nous te donnions et te devions la paix; qui le croirait jamais? Les rois goths, disposés à t’obéir, savent qu’ils règnent à l’ombre de ta protection. Je ne puis pas même dire, pour excuser le repos où tu me condamnes, que tu ne veux pas les combats. Tu aimes la paix sans laisser d’être courageux; Avitus déconcerte nos projets; et Messianus, qui devance tes pas, fait taire les ressentiments des Goths; tu viens d’ordonner, et nous mettons bas les armes. Que te reste-t-il à désirer? si nous, ne sommes plus ennemis, c’est peu de chose, ce me semble. Le passé m’a bien appris à te connaître; je servirai sous toi comme auxiliaire; il me sera permis, du moins, de combattre ainsi. »

Hæc secum rigido Vesus dum corde volutat,
Ventum in conspectum fuerat. Rex atque magister,
Propter constiterant; hic vultu erectus, at ille
Lætitia erubuit, veniamque rubore poposcit.
Post hinc germano regis, hinc rege retento,
Palladiam implicitis manibus subiere Tolosam,
Haud secus insertis ad pulvinaria palmis
Romulus et Tatius fœdus jecere, parentum
Cum ferro, et rabidis cognato in Marte maritis
Hersilia inseruit Pallantis colle Sabinas.

« Pendant que ce Goth farouche roule ces pensées dans son aine, on était venu en présence. Le roi et le maître de la milice étaient près l’un de l’autre: celui-ci, le visage plein de majesté; celui-là, le front couvert d’une rougeur qui manifeste sa joie, et qui demande grâce pour le passé. Entre le roi des Goths et son frère s’avance Avitus, et, se tenant par la main, ils entrent dans la docte Toulouse. Tels autrefois Romulus et Tatius, joignant leurs mains sur les coussins sacrés, jurèrent alliance, alors qu’Hersilie et les Sabines, sur le mont Palatin, se jetèrent entre leurs pères et leurs maris, acharnés à un combat parricide.

Interea incautam furtivis Vandalus armis
Te capit, infidoque tibi Burgundio ductu
Extorquet trepidas mactandi principis iras,
Heu facinus! in bella iterum, quartosque labores
Perfida Elisseæ crudescunt classica Byrsæ.
Nutritis quod fata malum? Conscenderat arces
Evandri Massyla phalanx, montesque Quirini
Marmarici pressere pedes, rursusque revexit
Quæ captiva dedit quondam stipendia Barche.
Exsilium patrum, plebis mala, principe cæso
Captivum imperium ad Geticas rumor tulit aures.
Luce nova veterum cœtus de more Getarum
Contrahitur; stat prisca annis, viridisque senectus
454 Consiliis; squalent vestes, ac sordida macro
Lintea pinguescunt tergo, nec tangere possunt
Altatæ suram pelles, ac poplite nudo
Peronem pauper nodus suspendit equinum.

Cependant, ô Rome, le Vandale vient fondre tout à coup sur toi, et se rend maître de tes murs. Un Burgonde, par des machinations perfides, t’offre l’occasion d’immoler ton prince à ta colère tremblante. O crime! on entend encore retentir les clairons de la traîtresse Byrsa; c’est le signal de nouveaux combats et d’une quatrième guerre punique. O destins, à quels maux nous réservez-vous? La phalange Massylienne monte vers la citadelle d’Evandre; les soldats de la Marmarique foulent d’un pied téméraire les monts de Quirinus, et Barché remporte les trésors que jadis elle donna, vaincue et tributaire. L’exil des sénateurs, les calamités du peuple, la mort du prince, la prise de la capitale du monde, toutes ces fatales nouvelles, la renommée les porte aux oreilles des Gètes. Aux premiers rayons du jour, les anciens de la nation se réunissent suivant l’antique usage; là se trouvent des vieillards affaiblis par les années, mais déployant dans les conseils toute la verdeur du jeune âge. Leurs vêtements sont négligés, et leurs linges offrent un aspect dégoûtant sur leurs corps amaigris. Leurs fourrures peuvent à peine descendre jusqu’à leurs genoux; un simple nœud attache une bottine de peau de cheval à une moitié de la jambe, dont une partie reste découverte.

Postquam in concilium seniorum venit honora
Pauperies, pacisque simul rex verba poposcit:
Dux ait:

« Lorsqu’ils arrivent au conseil, ces vieillards qui s’honorent de leur pauvreté, le roi des Goths questionne Avitus sur les conditions de la paix. Le général parle ainsi :

Optassem patriis securus in arvis
Emeritam fateor semper fovisse quietem,
Ex quo militiæ post munia trina, superbum
Præfecturæ apicem quarto jam culmine rexi.
Sed dum me nostri princeps modo Maximus orbis
Ignarum, absentem, procerum post mille repulsas,
Ad lituos post jura vocat, voluitque sonoris
Præconem mutare tubis, promptissimus istud
Arripui officium, vos quo legatus adirem.
Fœdera prisca precor, quæ nunc meus ille teneret,
Jussissem si forte, senex, cui semper Avitum
Sectari crevisse fuit; tractare solebam
Res Geticas olim: scis te nescisse frequenter
Quæ suasi, nisi facta. Tamen fortuna priorem
Abripuit genium; periit quodcunque merebar,
475 Cum genitore tuo Narbonem tabe solutum
Ambierat (tu parvus eras), trepidantia cingens
Millia, in infames jam jamque cœgerat escas;
Jam tristis propriæ credebat defore prædæ,
Si clausus fortasse perit; cum nostra probavit
Consilia, et refugo laxavit mœnia bello.
Teque ipsum (sunt ecce senes) hoc pectore fotum
Hæ flentem tenuere manus, si forsitan altrix
Te mihi, cum nolles, lactandum tolleret. Ecce
Advenio, et prisci repeto modo pignus amoris.
Si tibi nulla fides, nulla est reverentia patris,
I durus, pacemque nega.

« J’aurais désiré, je l’avoue, goûter une paix tranquille dans les champs de mes pères, après avoir servi dans trois guerres, et rempli les fonctions éminentes de la préfecture ; mais, depuis que sans mon aveu, en mon absence, Maximus, notre empereur, me préférant à beaucoup de grands personnages, m’appelle des tribunaux aux combats, et change pour moi le héraut contre les trompettes sonores, j’ai accepté avec empressement cet honneur, afin de vous porter moi-même des paroles de paix. Je vous demande la continuation de l’ancienne alliance; je l’obtiendrais, si je parlais à ce vieillard qui fut mon ami, et qui toujours se félicita d’avoir suivi les conseils d’Avitus. J’avais coutume de traiter les affaires des Gètes; tu le sais, les avis que je donnais, tu n’en étais informé souvent qu’après la réussite. Cependant le destin m’a enlevé mon bon génie; et avec ton père, t’ai perdu le prix de tous mes services. Il avait mis le siége devant Narbonne (tu étais très jeune alors); les citoyens tremblants éprouvaient une affreuse disette, et se voyaient réduits à se nourrir des mets les plus vils. Il pensait avec tristesse que sa proie allait lui échapper, si les assiégés périssaient ainsi dans leurs murs: alors il approuva mes conseils, et éloigna ses troupes des remparts de la ville. Et toi-même, ces vieillards seront mes garants, combien de fois, quand tu pleurais, ne t’ai-je pas serré dans mes bras, pressé contre mon sein, lorsque ta nourrice, pour t’allaiter, voulait malgré toi t’arracher de mes bras! Me voilà, et je réclame le prix de cette ancienne amitié. Mais si tu crains de la payer d’un juste retour, si tu ne respectes pas la mémoire de ton père, va, cruel, refuse-moi la paix. »

Prorumpit ab omni
Murmur concilio: fremitusque et prælia damnans,
Seditiosa ciet concordem turba tumultum.
Tum rex effatur:

« A ces mots, un murmure confus s’élève dans toute l’assemblée; elle abjure les combats, et, d’une voix unanime, demande la paix à grands cris. Alors, le roi prend la parole:

Dudum, dux inclyte, culpo
Poscere te pacem nostram, cum cogere possis
Servitium, trahere ac populos in bella sequaces
Ne quæso invidiam patrio mihi nomine inuras:
Quid mereor, si nulla jubes? suadere sub illo
Quod poteras, modo velle sat est, solumque moratur,
Quod cupias, nescisse Getas: mihi Romula dudum
Per te jura placent: parvumque ediscere jussit
Ad tua verba pater, docili quo prisca Maronis
Carmine molliret Scythicos mihi pagina mores.
Jam pacem tum velle doces; sed percipe, quæ sit
500 Conditio obsequii, forsan rata pacta probabis.

« Illustre chef, j’éprouve une peine secrète de te voir demander la paix à ceux mêmes que tu peux dominer, et entraîner après toi dans les combats; mais, je t’en prie, en me rappelant le souvenir de mon père, ne m’accuse pas de manquer à sa mémoire. Quel reproche mérité-je, si tu n’ordonnes rien? Ce que tu pouvais auprès de lui par la persuasion, tu le peux aussi maintenant par ta volonté; la seule chose qui retarde les Gètes, c’est qu’ils ignorent quels sont tes désirs. Par toi, depuis longtemps, la puissance romaine m’est devenue agréable. Dans mon enfance, mon père m’ordonna de me livrer près de toi à l’étude des vers de Virgile, afin que ces pages antiques pussent adoucir l’âpreté de mes mœurs scythiques. Tu m’apprends que tu veux la paix maintenant voici quelles sont les conditions de mon obéissance; peut-être les approuveras-tu.

Testor, Roma, tuum nobis venerabile numen,
Et socium de Marte genus, vel quidquid ab ævo,
(Nil te mundus habet melius, nil ipsa senatu)
Me pacem servare tibi, vel velle abolere
Quæ noster peccavit avus, quem fuscat id unum,
Quod te, Roma, capit: sed dii si vota secundant,
Excidii veteris crimen purgare valebit
Ultio præsentis, si tu, dux inclyte, solum
Augusti subeas nomen. Quid lumina flectis?
Invitum plus esse decet; non cogimus istud,
Sed contestamur. Romæ sum te duce amicus,
Principe te miles; regnum non præripis ulli,
Nec quisquam Latias Augustus possidet arces:
Qua vacat aula, tua est: testor, non sufficit istud
Ne noceam, atque tuo hoc utinam diademate fiat
Ut prosim! suadere meum est, nam Gallia si te
Compulerit, quæ jure potest, tibi pareat orbis,
Ne pereat.

« O Rome, je prends à témoin ta divinité que nous respectons, et tes enfants, nos frères, qui descendent du dieu Mars, et la grandeur qui dans tous les temps fut ton partage. L’univers n’a rien de plus élevé que toi, et tu n’as rien de plus illustre que ton sénat. O Rome, je veux maintenir la paix, et réparer les torts de mon aïeul, dont la seule tache est d’avoir violé l’enceinte de tes murs. Si les dieux secondent mes désirs, en te vengeant des calamités présentes, je pourrai faire cesser tes malheurs d’autrefois : prends seulement le titre d’Auguste; pourquoi détournes-tu les yeux? il est beau de dédaigner l’empire du monde; nous ne te forçons pas, mais nous t’exhortons à l’accepter. Je suis l’ami de Rome, si tu deviens son chef; je combattrai pour elle, si tu deviens empereur. Tu n’enlèves le trône à personne; aucun Auguste ne possède les citadelles romaines. Le palais vacant t’appartient. Ce n’est pas assez pour moi, je te l’assure, de ne pas te nuire; fassent les dieux que, sous ton règne, je te puisse être utile! C’est à moi de conseiller; car la Gaule va te forcer à bon droit d’accepter l’empire; il faut que l’univers t’obéisse, pour ne périr pas. »

Dixit, pariterque in verba petita
Dat sanctam cum fratre fidem. Discedis, Avite
520 Mœstus, qui Gallos scires non posse latere,
Quid possint servire Getæ te principe; namque
Civibus ut patuit trepidis, te fœdera ferre,
Occurrunt alacres, ignaroque ante tribunal
Sternunt: utque satis sibimet numerosa coisse
Nobilitas visa est, quam saxa nivalia Cotti
Despectant, variis nec non quam partibus ambit
Tyrrheni Rhenique liquor, vel longa Pyrenei
Quam juga ab Hispano seclusam jure cœrcent,
Aggreditur nimio curarum pondere tristem
Gaudens turba virum; procerum tum maximus unus,
Dignus qui patriæ personam sumeret, infit

« Ainsi parla le roi des Gètes; son frère et lui jurèrent de remplir ce nouvel engagement. Tu te retires, Avitus, plongé dans la tristesse, car tu sais que les Gaulois comptent sur les secours des Gètes, si tu es élevé à l’empire. Aussitôt que tes concitoyens inquiets apprennent que tu apportes un traité de paix, ils vont au-devant de toi avec empressement, et te dressent un tribunal à ton insu. Dès que les nobles se virent assemblés en assez grand nombre, et ceux qui habitent au pied des Alpes Cottiennes toujours couvertes de neige, et ceux qu’environnent ou les eaux de la mer Tyrrhénienne, ou les flots du Rhin, et ceux que sépare de l’Espagne la longue chaîne des Pyrénées, l’assemblée joyeuse se presse autour de son prince accablé par le poids des soucis. Alors, le plus illustre de ces nobles, le seul digne de représenter la patrie, parle en ces termes:

Quam nos per varios dudum fortuna labores,
Principe sub puero, laceris terat aspera rebus,
Fors longum, dux magne, queri, cum quippe dolentum
Maxima pars fueris, patriæ dum vulnera lugens
Sollicitudinibus vehementibus exagitaris.
Has nobis inter clades ac funera mundi,
Mors vixisse fuit; sed dum per verba parentum
Ignavas colimus leges, sanctumque putamus
Rem veterem per damna sequi: portavimus umbram
Imperii, generis contenti ferre vetusti
Et vitia, ac solitam vestiri murice gentem
More magis quam jure pati; promptissima nuper
Fulsit conditio, proprias qua Gallia vires
Exsereret, trepidam dum Maximus occupat urbem,
Imo orbem potuit, si te sibi tota magistro
Regna reformasset. Quis nostrum Belgica rura,
548 Littus Aremorici, Geticas quis moverit iras,
Non latet; his tantis tibi cessimus, inclyte, bellis.
Nunc jam summa vocant; dubio sub tempore regnum
Non regit ignavus: postponitur ambitus omnis,
Ultima cum claros quærunt: post damna Ticini
Ac Trebiæ trepidans raptim respublica venit
Ad Fabium, Cannas celebres Varrone fugato,
Scipiadumque etiam turgentem funere Pœnum
Livius electus fregit; captivus, ut aiunt,
Orbis in Urbe jacet, princeps perit, hic caput omne
Nunc habet imperium; petimus, conscende tribunal,
Erige collapsos; non hoc modo tempora poscunt,
Ut Romam plus alter amet: ne forte reare
Te regno non esse parem; cum Brennica signa
Tarpeium premerent, scis, tum respublica nostra
Tota Camillus erat, patriæ qui debitus ultor
Texit fumantes hostili strage favillas.

« Les maux que nous avons éprouvés sous un prince enfant, les calamités diverses que le sort nous a fait souffrir, il serait trop long, grand prince, de les retracer ici. Tu les a ressenties plus que nous, et, pleurant sur les blessures de la patrie, tu es en proie à des chagrins amers. Au milieu de la désolation générale, au milieu de ces funérailles du monde, notre vie n’a été qu’une mort anticipée. Mais tandis que, sur la parole de nos pères, nous respectons des lois sans rigueur; que nous regardons comme un devoir de suivre de chute en chute une fortune décrépite, nous avons soutenu comme un fardeau l’ombre de l’empire, supportant par habitude plus que par conscience les vices d’une race vieillie, de la race qui s’habille de pourpre. Une heureuse occasion s’est présentée naguère pour la Gaule de déployer toutes ses forces, lorsque Maximus s’empara de Rome tremblante. Elle pouvait même se charger du gouvernement du monde, si elle avait su reprendre l’empire universel, quand tu étais maître de la milice. L’heureux vainqueur qui a délivré les champs des Belges, les rivages de l’Armorique, et mis un frein à la colère des Gètes, ne le connaît-on pas? C’est par toi, illustre chef, que nous avons achevé de si grandes guerres. Maintenant, de grandes choses t’appellent. En des temps difficiles, ce n’est point à un lâche à tenir les rênes de l’empire. Les intrigues de l’ambition doivent se taire, quand les dernières extrémités réclament une main puissante. Après les sanglantes défaites du Tésin et de la Trébie, la République tremblante eut recours à Fabius. Après la journée de Cannes, célèbre par la déroute de Varron, Livius fut choisi, et abattit le Carthaginois enorgueilli du trépas des Scipions. L’univers entier, dit-on, gémit enchaîné dans Rome; le chef de l’empire y meurt assassiné, chaque citoyen veut y agir en maître. Nous t’en supplions, monte sur le trône, relève les Romains abattus; les temps ne demandent pas aujourd’hui qu’un autre plus que toi prétende aimer Rome. Ne va pas croire, par hasard, que tu sois incapable de soutenir l’empire. Quand les enseignes de Brennus menaçaient le Capitole, tu le sais, Camille était l’unique ressource de notre République. Vengeur né de la patrie, il couvrit de cadavres sanglants les cendres fumantes encore de Rome vengée.

Non tibi centurias aurum populare paravit,
Nec modo venales numerosoque asse redemptæ
Concurrunt ad puncta tribus: suffragia mundi
Nullus emit; pauper legeris, quod sufficit unum,
Es meritis dives: patriæ cur vota moraris,
Quæ jubet, ut jubeas? hæc est sententia cunctis,
Si dominus fis, liber ero.

« Ce n’est point l’or du peuple qui t’a concilié les centuries ; tu n’a pas eu besoin de réunir à grand prix les voix des tribus. Personne n’achète les suffrages du monde. On te choisit pauvre; mais, ce qui suffit, tu es riche en mérites. Pourquoi ne pas te rendre aussitôt aux vœux de la patrie? Elle t’ordonne de prendre le commandement du monde. Chacun se dit: « Si tu deviens maître, je serai libre. »

Fragor atria complet
572 Ugerni, quo forte loco pia turba, senatus
Detulerat vim, vota, preces. Locus, hora diesque
Dicitur imperio felix; ac protinus illic
Nobilium excubias gaudens sollertia mandat.

« Le bruit des applaudissements retentit dans les salles d’Ugernum, où la foule empressée et le sénat avaient porté leurs vœux, leurs prières et leurs instances. Le lieu, le jour et l’heure auxquels tu acceptes le pouvoir, sont réputés heureux; à l’instant même, la noblesse joyeuse établit une garde aux portes du château.

Tertia lux refugis Hyperiona fuderat astris:
Concurrunt proceres, ac milite circumfuso
Aggere composito statuunt, ac torque coronant
Castrensi mœstum, donantque insignia regni.
Jam prius induerat solas de principe curas.
Haud alio quondam vultu Tirynthius heros
Pondera suscepit cœli, simul atque novercæ,
Cum Libyca se rupe Gigas subduceret, et cum
Tutior Herculeo sedisset machina dorso.

« Le soleil, dispersant les étoiles, montait sur l’horizon pour la troisième fois. Les grands se réunissent, les soldats se répandent autour de l’assemblée; on fait monter Avitus sur une élévation, on le couronne, triste qu’il est, d’un collier militaire, et on lui donne les insignes de l’empire. Il n’avait pris encore des fonctions de prince que les soins nécessaires au bien de l’empire. Ainsi autrefois quand le héros de Tyrinthe porta le poids et du ciel et de sa marâtre, le géant Atlas partagea le fardeau sous le roc de Libye, et la machine du monde reposa plus sûrement sur les épaules d’Hercule.

Hunc tibi, Roma, dedi, patulis dum Gallia campis
Intonat Augustum plausu, faustumque fragorem
Portat in exsanguem Boreas jam fortior Austrum;
Hic tibi restituet Libyen per vincula quarta.
Et cujus solum amissas post sæcula multa
Pannonias revocavit iter, jam credere promptum est,
Quid faciet bellis: o quas tibi sæpe jugabit
Inflictis gentes aquilis! qui maxima regni
Omina privatus fugit, cum forte vianti
Excuteret præpes plebeium motus amictum.
Lætior at tanto modo principe, prisca deorum
Roma parens, attolle genas, ac turpe veternum
Depone: en princeps faciet juvenescere major,
Quam pueri fecere senem.

« Voilà, ô Rome, le prince que je t’ai donné. La Gaule, en ses vastes plaines, salue de ses applaudissements le nouvel Auguste, et le souffle de Borée porte cette heureuse nouvelle vers l’Auster languissant. Avitus t’assujettira l’Afrique, en lui donnant des fers pour la quatrième fois. Celui dont un simple voyage t’a rendu les Pannonies perdues depuis plusieurs siècles, quels exploits ne faut-il pas croire qu’il doive faire dans la guerre? O que de nations ne va-t-il pas soumettre à tes aigles devenues invincibles, celui qui, simple particulier, dédaignait les présages heureux de son règne futur, et à qui, dans son voyage, le vol rapide des oiseaux annonçait qu’il devait quitter l’habit plébéien ! Joyeuse d’avoir reçu un aussi grand empereur, relève le front, ô Rome, toi l’antique mère des dieux; sors d’une honteuse oisiveté; voilà qu’un prince avancé en âge va te rajeunir, plus que ne t’ont fait vieillir des princes enfants. »

Finem pater ore
Vix dederat, plausere dii, fremitusque cucurrit
600 Concilio: felix tempus nevere Sorores
Imperiis, Auguste, tuis, et consulis anno
Fulva volubilibus duxerunt sæcula pensis.

Jupiter avait à peine cessé de parler, que les dieux applaudirent, et qu’un doux murmure s’éleva dans l’assemblée. Les trois Sœurs filèrent pour ton empire des jours fortunés, illustre Avitus, et des siècles d’or pour l’année de ton consulat.

NOTES DU CARMEN VII.

 

20. TEGEATICUS ARCAS. — Mercure, né à Tégée, en Arcadie.

75. — GIR. — Claudien parle de ce fleuve, XXI, 252.

80. — Asiagenes. — Mot formé du grec; le poète pouvait toutefois employer le mot Asiaticus pour désigner Scipion, puisque le vers aussi bien n’est pas suivant les règles de la prosodie.

90. — CUM SAXONE PICTUM. — Il y a évidemment anticipation dans les dates, comme le remarque Sirmond. Au temps de César, les Pictes, les Saxons, etc., ne s’étaient point encore établis en Angleterre.

147. — GARGARA. — Il y avait dans l’Asie Mineure une montagne et une ville appelées Gargare : comme les peuples de ce pays devaient moins leurs belles moissons à leur industrie qu’à la bonté du sol, Virgile a dit très bien, Georg. I, 103

................ Ipsa suas mirantur Gargara messes.

Sidonius, Carm. XXII, 174, dit encore

Quantum Mygdonio committunt Gargara sulco.

La Mygdonie était enclavée dans la Phrygie.

191. — UMBER. — L’Ombrie, province d’Italie, était renommée pour ses dogues.

216. — REGI GETICO. — Ce roi des Goths est Théodoric, successeur de Vallia. Le P. Sirmond pense que le traité de paix en vertu duquel on lui donna des otages, eut lieu après le siége d’Arles qu’Aétius fit lever à ce prince.

230. — ÆTIUM INTEREA — Avitus accompagna deux fois Aétius à la guerre: la première fois contre les Juthonges, et la seconde contre les Bourguignons.

246. — LITORIUS. — Voyez, sur la conduite et la fin déplorable de Litorius Celsus, les Notes du tome II de notre Salvien, p. 36 et suiv. Celsus doit-il être pris ici comme nom propre, ou bien comme épithète? C’est encore un de ces jeux de mots que l’auteur affectionne si fort.

250. — PACIS FALLENTES NOMEN. — Paulin d’Aquitaine, De Vita S. Martini, VI, accuse également la perfidie des Huns:

Cum subito pavefacta metu, graviore penriclo,

Auxiliatores pateretur Gallia Chunos

Nam socium quis ferre queat, qui durior hoste

Extet, et adnexum fœdus feritate repellat?

370. —CUI PELLE SALUM SULCARE. L’occupation favorite des Saxons était la piraterie. Un corps de Francs, établi par l’empereur Probus sur les côtes de Pont, s’était emparé d’une flotte romaine, et, naviguant sans obstacle à travers le Bosphore et la mer Méditerranée, il avait abordé en sûreté sur les côtes de la Batavie. Leur heureuse témérité réveilla l’esprit aventureux des nations voisines, qui, bien qu’elles ignorassent l’art de la navigation, et qu’elles n’eussent ni la patience ni l’adresse d’imiter la construction des vaisseaux romains, résolurent hardiment de tenter fortune sur l’Océan; dans de légers et étroits esquifs, ces intrépides Barbares se confièrent à la merci des vents et des vagues.

Le commerce des provinciaux récompensa leur audace et accrut leur nombre. Au milieu des orages, les hordes saxonnes s’élançaient de leurs ports, parcouraient les mers voisines, et pillaient à l’improviste les côtes de la Gaule et de la Bretagne. Lingard, Antiquités de l’Eglise Anglo-Saxonne, p. 13

375. — VELCIVIS, VEL VICTOR. — Les Allemands habitaient la Souabe, au-delà du Rhin. A l’époque dont parle Sidonius, ils avaient traversé le Rhin pour venir ravager le territoire des Romains. Ils étaient donc victores dans les Gaules, et cives dans les contrées d’où ils sortaient.

391. — ALBIS. — Voyez, sur ce passage, l’abbé Dubos, tom. I, p. 414. — L’Albe, dont il est ici fait mention, est une petite rivière de la cité de Tongres, et non pas l’Elbe, ce fleuve célèbre de la Germanie. Voyez encore Dubos, tom. I, p. 174 et 415.

426. PALLADIAM ... TOLOSAM. — Cette épithète de palladienne a été donnée plusieurs fois à la ville de Toulouse. On lit dans Martial, IX, 99:

Marcus Palladiœ non inficianda Tolosa

Gloria ...............

et dans Ausone, Parental., 3:

Te sibi Palladiœ antetulit toga docta Tolosœ,

Quelques auteurs ont vu dans cette qualification une allusion au culte particulier dont Pallas aurait été honorée dans cette ville D’autres se sont imaginé qu’on la nommait ainsi à cause des oliviers, arbre consacré à la même déesse, qu’ils ont cru à tort être une production propre au territoire de Toulouse, tandis qu’on n’y en trouve point, et qu’on ne commence d’en trouver qu’à Carcassonne, en allant à Narbonne. Mais le plus grand nombre des critiques s’accordent à regarder l’épithète dont il s’agit comme se référant au succès avec lequel les beaux-arts et les belles-lettres dont Pallas ou Minerve est la déesse, étaient cultivés dans l’ancienne capitale des Tectosages. Cette ville, en effet, a vu naître, de tout temps, des hommes distingués en tous les genres. Balzac dit dans ses Œuvres, 1664, in 12, p. 389: « Toulouse est une de ces villes privilégiées et choisies du ciel ; elle produira toujours des lumières à la France; elle sera toujours juste et catholique, savante et palladienne jusqu’à la fin du monde. »

L’Académie des Sciences, des Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse proposa en 1819, pour sujet d’un prix de 500 fr. à décerner en 1822, la question suivante: « Quels sont les monuments historiques, littéraires et scientifiques qui, depuis dix-huit siècles, ont fait donner à Toulouse le surnom de palladienne ? » Nous ignorons quel a été le résultat de ce concours. (Note de C. Breghot du Lut.)

443. — MACTANDI PRINCIPIS. — Cet empereur était Pétronius Maximus, qui avait fait mourir Valentinien III. Il força Eudoxie, veuve de ce même Valentinien, à l’épouser. Il fut assassiné, à son tour, par des hommes attachés au service de cette impératrice. On dit que ce fut elle qui, pour se venger, appela les Vandales à Rome. Cassiodore rapporte que Maximus fut massacré par les soldats; Jornandès, par Ursus, qui servait dans la milice romaine; Théophane, par les gardes; enfin Sidonius attribue ce meurtre à un Burgonde. Il devait être mieux informé que tout autre. Etait-il de bonne foi? avait-il quelque raison pour parler ainsi? nous l’ignorons.

475. — NARBONEM, etc. — Au commencement de la guerre des Goths, en 436. Théodoric I ayant mis le siége devant Narbonne, le leva par le conseil d’Avitus, s’il faut en croire notre auteur. Cependant Prosper, Isidore de Séville, Paul Diacre et d’autres écrivains ont dit que cette ville, menacée d’une horrible famine, fut délivrée par le comte Litorius.

572. — UGERNI. — Au lieu de Thierni et de Vierni, noms qui se trouvent dans plusieurs éditions de Sidonius, le P. Sirmond a mis celui d’Ugerni, Ugernum, ancien château près de la ville d’Arles. Effectivement, Idace rapporte que ce fut à Arles qu’Avitus prit la pourpre.

578. — AGGERE COMPOSITO. — Julien, à Paris, et Firmus, en Afrique, avaient été couronnés de la même manière qu’Avitus.