Fortunat

FOTRUNATUS

 

POÉSIES - LIVRE II

 

vie - dissertation - livre Ilivre III - livre IV - livre V - livre VI - livre VII - livre VIII - livre IX - livre X - livre XI - Appendice

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

POÉSIES

LIVRE DEUXIÈME.

I. De la Croix du Seigneur (01).

Voici dans tout son éclat la croix bénie à laquelle le Seigneur est pendu en chair, et où il lave de son sang nos péchés. Fait victime pour nous et par un saint amour pour nous, agneau sacré, il tira les brebis de la gueule du loup. De ses mains percées de clous sanglants il sauva le monde de la destruction, ferma par la mort le chemin de la mort, arracha Paul au crime et Pierre à la mort. O cher, ô noble bois, quelle puissance dans ta fertilité, dans ces fruits nouveaux que portent tes branches ! A leur odeur toute nouvelle, ceux qui ont perdu la vie la recouvrent, et leurs cadavres se dressent sur leurs pieds. A l’ombre de cet arbre la chaleur ne brille personne, ni celle de la lune pendant la nuit (02) ni celle du soleil à midi. Plantée près d’un cours d’eau, tu te montres dans toute ta splendeur, et étales ton feuillage orné de fleurs récemment écloses. Entre tes bras une vigne est suspendue d’où coule un vin qui est la rougeur du sang.

II. En l’honneur de la sainte Croix (03).

III. Vers en l’honneur de la sainte Croix ou de l’Oratoire attenant à l’église de Tours.

L’univers entier est pénétré de la sublime vertu de la croix, parce que la croix recouvre tout ce qui est perdu dans le monde, et que le sang du Christ, douce liqueur, lave le venin dont l’infernal serpent l’a infecté. Les brebis qui avaient été la proie du loup ravisseur sont rendues à la vie par l’Agneau, fils de la Vierge, mis en croix. Étendu sur cet arbre infâme et suspendu à ses branches, les jambes et les bras écartés, c’est du haut du gibet qu’il fonda son Église, réparant ainsi le mal que nos premiers parents (04) avaient apporté au monde en mangeant du fruit de l’arbre défendu. Maintenant elle brille de tout l’éclat des vertus qui lui ont été données par surcroît, et qui sont les dons que la croix, elle-même réserve à ses sectateurs. Grégoire offre ces saints temples à la croix; mais lorsqu’il en apporta ici le signe, il voulut avoir des voiles (05); la puissance divine du Christ lui en procura aussitôt et contenta ainsi ses désirs. Il en était bien digne. Sur ces voiles d’un tissu blanc était brodée une croix superbe entourée d’autres brodées elles-mêmes en soie non peignée (06) de couleur pourpre, et d’un travail magnifique. C’était grâce au dévouement et à la volonté des fidèles que le pontife avait été si promptement servi. Ces voiles dédiés à la croix sentent qu’ils sont agréables à la croix, et celui à qui ils ont plu, peut, au moyen de l’instrument de son supplice et de notre salut, vous accorder en retour, illustre pontife, des grâces considérables (07).

IV. Du signe figuré de la croix. Acrostiche (08).

V. Même sujet. Autre acrostiche (09).

VI. Hymne en l’honneur de la sainte Croix (10).

VII. Sur saint Saturnin (11).

La haute porte du ciel à laquelle frappe la terre, est ouverte, et reçoit les enfants de la terre. C’est pour eux une occasion admirable de faire leur salut, et d’acheter au prix de leur vie mortelle les récompenses de la lumière éternelle. Saturnin, désireux de s’unir au Christ, se dégoûta d’être si longtemps dans son enveloppe de chair, et résolut de rompre les fers de la prison corporelle, afin que l’homme vînt se joindre plus étroitement au Dieu. Le temps était mûr, l’espérance avait grandi; les vœux de l’homme reçurent enfin leur salaire. Pendant que Saturnin exerçait le sacerdoce à Toulouse, qu’il annonçait au peuple la divinité du Christ, et qu’il appuyait ses discours par des miracles, afin que les effets suivissent les paroles; pendant qu’il arrachait les âmes de païens à la gueule du démon et les remettait sous la puissance du roi dont il tenait ses armes, le peuple infecté de venin, et voulant non pas être guéri, mais rester au contraire dans son infection, saisit, dans un accès de folie, le saint homme, l’entraîna au Capitole, et couvrit son médecin de blessures. Il se venge par la fourberie de la piété de Saturnin, et de son miel par le poison. Il l’attache à la jambe d’un taureau qu’il pique de l’aiguillon, de peur que l’animal ne soit trop lent à prendre sa course. O esprit abominable des hommes, bête cruelle, monstre d’un genre nouveau, ce n’est pas assez pour toi de la fureur d’un taureau indompté, tu joins ta propre férocité à celle qu’il a naturellement, et l’animal qui, laissé à lui-même, est calme, excité par toi, entre en furie. Foule barbare et perverse, tu te perds en déchirant ta victime. Si tu ne l’épargnes pas, sache du moins t’épargner toi-même. Mais bientôt l’animal hors de lui se précipite à travers les rues tortueuses et disperse les membres du saint homme par toute la ville. Une femme, aidée de sa servante, les recueillit et les enterra. C’est par ce supplice insigne que Saturnin ravit la couronne; c’est avec cet éclat qu’il subit le martyre, et que la gloire en est restée célèbre. Aujourd’hui on recouvre la santé quand on s’approche de son tombeau, et son corps mutilé en guérit beaucoup d’autres. Où gis-tu, dis-le moi, mort ennemie? Où caches-tu ta défaite, quand tu vois nos prières exaucées par le cadavre du saint? Celui que tu croyais à tort avoir emporté en mourant la grâce du salut, donne la vie à plusieurs, et lui-même conserve la sienne. Tu es étendue captive là où tu pensais régner; tu péris en attaquant, tu l’immoles en l’abandonnant à ta rage. La peine que tu endures t’accable, tes liens te font cruellement souffrir, les gémissements que tu voudrais provoquer, c’est à toi que la souffrance les arrache. Le martyr a triomphé et habite le ciel, et toi, mort, livide, triste et ta propre ennemie, tu habites le noir Tartare. Maintenant le bienheureux dans un séjour fleuri jouit d’un bonheur qui n’aura point de fin, au milieu des chœurs que l’encens pénètre de sa douce odeur. Il ne craint pas la justice d’un juge déjà fléchi par son martyre, mais soldat victorieux, il va recevoir les récompenses qui lui sont dues et qui auront pour digne complément la palme du triomphateur. Mourir pour toi, Christ, est la vie, la gloire et le repos.

VIII. Sur Launebode, qui bâtit une église à saint Saturnin.

Que les louanges humaines fassent tressaillir de joie les cœurs des autres hommes, mon devoir à moi est de faire commémoration des justes; car c’est œuvre de piété que de consigner dans des livres les actes des victorieux (12). Il y a deux raisons pour cela la première est qu’il convient de publier les grandes choses opérées par les grands hommes, et qu’il serait criminel de les passer sous silence; la seconde est qu’en en lisant le récit, on se sent enflammé de zèle et du désir de faire mieux encore. Le martyr Saturnin est l’objet de la vénération du monde entier, et nui n’ignore comment cet homme illustre conquit la palme des bienheureux. Parti en toute hâte de Rome pour Toulouse, il y apportait la semence par lui recueillie dans une terre chrétienne, lorsqu’une troupe insensée s’empara de cet ami du Seigneur, dans le dessein de l’entraîner et de lui briser les membres. Attaché à la jambe gauche d’un taureau, traîné et mis en pièces, il mourut. C’est ainsi que son âme fut transportée au ciel. Heureux celui par la mort duquel meurt la mort elle-même! Mais il n’y avait pas de temple à l’endroit où il fut martyrisé; ce n’est qu’après des siècles que Launebode, alors duc, en construisit un. Ainsi ce qu’aucun Romain n’avait fait un homme de race barbare l’exécuta (13). Il y fut aidé par son épouse Bérétrude, illustre par sa beauté, plus illustre encore par la bonté de son cœur, distinguée par sa naissance et par la puissance de la famille d’où elle est sortie, et qui, de cet hommage rendu à Dieu par son mari, tira un nouvel éclat. Elle donna de ses propres mains des aliments aux pauvres, désireuse de se rassasier elle-même par ses charités. Elle cherche, et elle y est infatigable, l’espérance dans les temples du Christ, et en poursuivant cette œuvre de piété, elle ne s’arrête jamais. Elle vêt ceux qui sont nus, elle donne à boire à ceux qui ont soif et par là s’abreuve elle-même d’autant plus des eaux de la fontaine éternelle. Tout ce qu’elle fait profite également à son mari; elle est préoccupée de son salut et fait des vœux pour l’obtenir. Le duc, si considérable dans sa patrie par la grandeur de ses mérites, doit à sa noblesse d’être partout un haut et brillant personnage. Mais quelque grand qu’il soit par sa race, il renchérit sur ses aïeux par ses mœurs. Qu’ils restent donc à jamais unis l’un à l’autre par la conformité de leurs vœux, et que leur amour en ait à la fois plus de lustre et de solidité.

IX. Au clergé de Paris.

Illustre compagnie, l’honneur et la gloire du clergé, ô Pères que mon cœur chérit, que ma piété vénère, vous m’obligez à reprendre le plectre (14) que j’ai depuis si longtemps déposé, à renouveler sur ma lyre les chants d’autrefois. Il faut que mes doigts engourdis courent sur les cordes et que ma main cultive un art dont elle s’était déshabituée. Ma voix est devenue rocailleuse, mes lèvres ne laissent échapper que des sons rauques et barbares. Je ne suis plus qu’une lame depuis longtemps rouillée, et qui aura peine à reprendre son poli au frottement de la meule; un airain enfumé, qui semble avoir perdu pour toujours sa couleur et son éclat. Mais puisque vos douces instances sont comme le marteau qui façonne le métal en le frappant sur l’enclume à coups redoublés, et puisque vous avez allumé dans ma poitrine une flamme qui pénètre jusqu’aux plus profonds replis de mon cœur, il faut vous obéir, et, refondu pour ainsi dire aux feux de cette fournaise, me prêter aux jeux qu’exige de moi votre affection.

L’auguste et vénéré clergé de Paris, la fleur, la gloire, l’ornement, l’honneur de l’Église, répétant les chants divins de David, recommence sans cesse, et sans se lasser jamais, sa douce niche. Voici les prêtres, voilà le chœur des diacres ceux-ci en cheveux blancs, ceux-là vêtus de robes superbes; d’un côté de pâles visages, de l’autre une aimable rougeur : les roses mêlées aux lis. Les uns tout blancs des frimas de l’âge, les autres de la robe qu’ils portent, forment une couronne brillante qui plait au Seigneur. Au milieu marche Germain (15), l’auguste pontife; il dirige les jeunes lévites, et par son attitude il soutient les vieillards, il est précédé des diacres et suivi du chœur imposant des prêtres; il met en mouvement les premiers; les autres se règlent sur ses pas; lui-même s’avance lentement, comme un autre Aaron. Ce n’est pas la richesse de son habit, c’est la piété peinte sur son visage qui attire sur lui les regards : point de pourpre sur ses épaules, point de tiare sur sa tête, point de pierreries, point d’or, point de fines étoffes ni de couleurs précieuses, mais, autour de son front, l’auréole de la foi. Bien supérieur au prêtre de l’ancienne loi, il adore la vérité dont l’autre n’a connu que l’ombre. Épris des grandeurs de la vie future, il méprise la vie présente; il s’est dégagé des liens de la chair, avant le jour où sa chair doit périr. Berger vigilant, il craint pour son troupeau la dent des loups, et sait ramener toutes ses brebis à l’étable. Puis de sa voix infatigable il les appelle aux pâturages où croissent les herbes salutaires; elles ha reconnaissent et la suivent avec amour. Comme un soldat court aux armes, dès qu’il entend sonner la trompette, Germain arrache au sommeil ses membres fatigués, quitte son lit, et, le premier, vole à l’église pour y célébrer les saints mystères (16). Chacun arrive ensuite pour y prendre sa place. L’aspect du divin édifice remplit les âmes d’une pieuse ardeur; les premiers arrivés stimulent à l’envi les retardataires. Prolongeant sa veille jusqu’aux premières lueurs du jour, le peuple pieux forme des chœurs à la manière des anges. Il persiste avec résolution et fermeté dans l’acte vénérable qu’il accomplit, et, pour faire violence au ciel, ses armes sont des chants. Ses accents mélodieux parcourent toutes les cordes de la harpe, tandis qu’il répète avec amour les cantiques sacrés. Ici, les enfants adaptent leur voix aux sous de l’orgue les plus faibles, là les vieillards aux sons les plus forts. Le cliquetis des cymbales se marie aux fredons aigus du chalumeau, et des tiges inégales de la flûte de Pan s’échappent de doux accords. La voix flûtée des enfants adoucit les inflexions rauques et tympaniques de celle des vieillards, et l’organe sonore de l’homme donne une nouvelle force aux vibrations de la lyre (17). Tantôt c’est une douce et languissante mélodie, tantôt ce sont des accents rapides et entrainants, tant les sexes et les âges savent varier leurs efforts. On bat sur l’aire du Christ le pur froment qui doit remplir les greniers de Dieu. Le bonheur, comme le Seigneur lui-même l’a déclaré, est pour les serviteurs fidèles que le maître à son retour trouve à leur travail. Quelle piété, quelles vertus, quelle foi! Quelle divine flamme brûle, invisible et cachée, dans ces corps périssables! Dociles à la voix du pontife, le clergé, le peuple, les enfants même chantent les louanges de Dieu. Aussi recevront-ils bientôt et amplement le fruit de leur travail. heureuse cette armée qui marche sous les ordres de Germain! O Moïse, tends-lui une main secourable, viens en aide à tes soldats (18).

X. Sur l’église de Paris (19).

Si l’on vante la magnificence du temple de Salomon, celui-ci, où l’art est égal, doit à la foi une beauté supérieure. Les vérités sublimes, cachées jadis sous le voile de l’ancienne loi, s’offrent ici sans voile aux regards des hommes. Les murs du temple de Jérusalem étaient revêtus de métaux précieux; ceux-ci, teints du sang du Christ, brillent d’un plus vif éclat. L’or, les marbres, le bois de cèdre contribuèrent à la décoration du temple; l’église et la croix, ornement et plus riche et plus vénérable. Le temple, élevé à prix d’or, était destiné à périr; l’Église, qui a racheté le monde, repose sur des fondements inébranlables. Celle de Paris, dont la superbe voûte porte sur des colonnes de marbre, est d’autant plus belle, que sa pureté n’a jamais été souillée. Elle reçoit par les verrières de ses fenêtres les premiers rayons du jour, et la main de l’artiste y a emprisonné la lumière (20). Dès le lever de l’aurore la lumière diffuse inonde ses lambris. Elle brille de ses propres feux, avant d’être visitée par le soleil. C’est le pieux roi Childebert (21) qui a donné à son peuple ce gage immortel de son amour. Dévoué de toute son âme au service de Dieu, il a ajouté de nouvelles richesses au trésor inépuisable de l’Eglise. Véritable Melchisédech de ce temps, à la fois prêtre et roi, il s’est montré, bien que laïque, un parfait serviteur de la religion. Tout en gouvernant ses peuples, sans quitter son royal palais, il fut la gloire et le modèle du sacerdoce. Il a quitté cette terre pour recevoir ailleurs la récompense due à ses mérites; mais en ce monde même le souvenir de ses vertus durera éternellement.

XI. Sur le baptistère de Mayence (22).

A l’intérieur de ce monument, qui s’élève si haut dans les airs, est l’eau sacrée où le Christ lave tes hommes du péché d’Adam. C’est là que le troupeau de Dieu est plongé dans une eau pure, afin que la toison de ses brebis ne garde pas plus longtemps ses souillures. La tache originelle les condamnait à mourir; mais le père du monde a voulu qu’une eau bienfaisante l’effaçât. Le pontife Sidoine, qui, dans son zèle pour le service de Dieu, répare en tous lieux les églises (23), a construit ce baptistère, accomplissant ainsi le vœu de Berthoara (24), l’honneur de l’Eglise, et qui l’aime si tendrement. Lumière de la foi catholique, brillant modèle de piété, bienfaitrice des églises, libérale envers les pauvres, elle sème pour récolter un jour, elle répand l’or pour amasser un trésor impérissable, elle prodigue tes richesses terrestres pour s’assurer les richesses immortelles. Elle est votre digne fille et votre vivante image, ô Theudebert (25), vous qui, dans le gouvernement de votre patrie, vous êtes montré l’héritier de la piété de votre père; qui, soutenu par la foi, avez renouvelé ses triomphes sur l’ennemi, qui avez enfin payé de vos deniers la rançon des captifs. Appui de l’Eglise, honneur de la royauté, pasteur des pauvres, digne objet de l’amour des prêtres du Seigneur, ô roi, modèle de toutes les vertus, dont le joug léger n’a jamais conté une larme à aucun de vos sujets, vous vivez encore par vos mérites dans le cœur de vos peuples.

XII. De la basilique de Saint George.

Cette superbe basilique est celle de saint George, illustre martyr (26) dont la gloire a lancé ses rayons dans le monde entier. Prisonnier, chargé de chaînes, en butte aux traitements les plus rigoureux, souffrant de la faim, de la soif et du froid, il ne cessa de confesser le Christ, et par là s’ouvrit le chemin du ciel. Il fut inhumé en Orient, et voici que les effets de sa vertu toute puissante se font sentir en Occident. Passant, n’oublie pas de lui adresser tes prières et tes vœux. Ce qu’on demande avec une foi sincère, on l’obtient par ses mérites. Sidoine lui éleva cette basilique où rien n’est à reprendre. Puisse la fondation de cette nouvelle église profiter à l’âme de l’ouvrier!

XIII. De l’oratoire de Trasaricus (27).

Dans ce sanctuaire si remarquable et si bien paré la foi auguste conçoit des espérances qui ne sont point stériles. Ici est Pierre qui tient les clefs du ciel, et pour qui la mer devint une pierre sur laquelle il marcha (28). Paul y est aussi, Paul, ta trompette des Gentils et leur prédicateur, après avoir été d’abord un bandit. C’est encore la maison de Martin qui vêtit le Christ, pensant vêtir un pauvre, simple recrue couvrant un roi, homme couvrant un Dieu. C’est enfin celle de Remi (29) qui abandonna le séjour ténébreux du monde, et qui est au ciel aujourd’hui. Opulent serviteur du Dieu, Trasaricus, tu as fait les frais de ce sanctuaire; mais celui à qui tu donnas ces richesses et qui t’aime, te les rendra.

XIV. Sur les saluts d’Agaune (30).

Au temps où l’impiété déchaînée poursuivait les chrétiens, où les coups de la tempête les frappaient en tous lieux, la foi, échauffant les cœurs et triomphant des frimas, livra sur des rocs glacés d’ardentes batailles. C’est là, pieux Maurice, chef de la glorieuse légion, que tu appris à de vaillants soldats à tendre leur gorge aux bourreaux. C’est là qu’après qu’ils eurent déposé leurs glaives, tu les armas de cette parole de saint Paul: il est plus doux de mourir pour le nom du Christ. Ces héros pouvaient faire reculer leurs ennemis; ils aimèrent mieux offrir leur poitrine à des coups qui leur étaient chers. S’exhortant à mourir, et à s’ouvrir par la mort la route du ciel, ils tombent l’un après l’autre, noyés dans leur sang. Il en coula un fleuve qui grossit les eaux rapides du Rhône, et les neiges des Alpes en furent teintes. Après une si belle fin, la bienheureuse armée entra dans le ciel; réunie aux chœurs des apôtres, elle reçut leurs applaudissements; le sénat des anges entoure ces héros revêtus de la trabée, pour qui la mort n’a été que le commencement d’une vie plus belle. Vaillant chef de ces triomphateurs, les restes sacrés de quatre des plus illustres d’entre eux reposent ici avec toi (31). Un peu de boue cache aux regards ce trésor du ciel; une vile poussière recouvre ces richesses de Dieu, ces hommes qui sont un accroissement pour le trésor du paradis, et qui seront dans l’éternité les héritiers du Seigneur. Leur troupe, revêtue de sa chair et de sa forme première, prendra place sur un trône dans le ciel, le jour où le juge suprême viendra juger le monde. C’est ainsi que ces pieux héros, brûlant de voir le Christ face à face, ont trouvé dans la mort le chemin du ciel. Fortunat implore votre assistance, ô saints martyrs; par la divine lumière dont il vous est donné de jouir, ne souffrez pas qu’il soit condamné au supplice des ténèbres éternelles.

XV. De saint Hilaire (32).

Si tu veux savoir, lecteur, qui est Hilaire, les Allobroges (33) te diront qu’il naquit à Poitiers, qu’évêque de cette ville il gouverna son peuple avec une sagesse toute divine, observant avec sollicitude les traités (34) et la loi. Dès qu’il vit qu’une erreur pernicieuse partageait le peuple en deux partis, il dénonça publiquement la doctrine empoisonnée des Grecs, toujours prompte à s’échapper de leur cœur de vipère (35). Cette doctrine est que le fils est une créature de Dieu. La sagesse du monde, laquelle nie qu’un être engendré d’un non engendré soit dieu, les maintient encore plus dans leur hérésie. Le malheureux Arius, foulant aux pieds les prophéties, l’embrassa, y persista et creva d’un flux de sang (36). Notre illustre docteur, s’appuyant au contraire sur les antiques prophéties, prouve que celui-là est dieu qu’a vu saint Etienne (37). Lié par son amour pour lui, il méprisa les ordres du prince du monde (38), et fut puni par l’exil de sa foi restée pure. Il déclare dans un langage divin qu’il reconnaît le fils dans le père qui est le Dieu tout puissant, et il apprend aux peuples dans un écrit en douze livres (39) que le Christ est la lumière éternelle, le Seigneur, Dieu lui-même enfin.

XVI. Sur saint Médard (40).

Parmi les adorateurs du Christ à qui la sainteté de leur vie a ouvert le chemin du ciel, tu occupes, ô Médard, une place considérable. Hôte passager de ce monde, tu y as vécu de manière à rendre le ciel ta vraie patrie. Ce monde dont tu évitais avec soin les fangeuses atteintes, était pour toi un lieu d’exil; maintenant tu es citoyen des cieux, et les cieux en sont dans la joie. Dégagé des ténèbres terrestres, tu es revêtu de lumière, et jouis après ta mort (41) d’un jour plus limpide. Fils de la terre, tu as pris possession de l’Olympe; tu as quitté ta mère (42) pour être avec ton père dans le séjour des bienheureux. Vainqueur de la corruption inhérente à l’humanité, tu as assuré à ton âme, en mortifiant ta chair (43), le repos éternel. Oui, c’est en marchant au milieu des épines du monde et en les foulant aux pieds que tu as mérité de cueillir des roses. Une campagne tapissée de fleurs répand autour de toi ses odeurs suaves; l’air est rempli de celles du baume et de l’encens qu’on respire dans le paradis. Tu t’avançais avec précaution dans un étroit sentier, et par cette voie difficile tu es arrivé à la lumière. Large est le chemin des voluptés, mais il aboutit au gouffre de l’Averne. Qui choie trop sa chair se prépare une mort douloureuse. Tu n’as jamais eu cette coupable faiblesse, car pendant que tu suivais ton chemin, jamais le vice ne put t’arrêter dans la sainte direction imprimé à tes pas. La voie qui mène à la louange est pénible, celle qui conduit au ciel l’est bien plus encore, et où la peine est plus forte la gloire est plus grande.

Par où commencer le récit de tes miracles? Chacun d’eux se présente le premier et avec éclat. Quand tu vivais parmi les hommes, tu aimais à rendre la lumière à ceux qui l’avaient perdue. Vient à toi un aveugle, tu le touches et il s’en va guéri; le jour éclate au sein des ténèbres. — Un voleur ayant voulu entrer dans une cachette avec le produit de son vo!, tu paralysas ses mouvements, et il resta immobile; tu les lui rendis et il prit le large. Trompé dans son espérance, il n’avait pas eu le temps d’achever son vol, et même en le restituant il ne laissait pas que d’être criminel. Une fois qu’il eut avec ses complices coupé les raisins, il lui fut impossible ainsi qu’à eux de sortir de la vigne (44). Il ne pouvait faire usage de ses pieds pour fuir avec son butin, lequel lui-même était un obstacle à sa fuite. Il était donc tombé dans son propre piège. Il était venu pour prendre; ce fut lui qui fut pris. Ni lui ni ses complices ne purent goûter du vin doux. Toutefois la tête leur avait tourné, et ils étaient ivres avant d’avoir bu. Dès lors, au lieu d’emporter les raisins qu’il avait voulu ravir, notre voleur en devint le conservateur et le gardien. A la fin, ô saint homme, tu lui ordonnas de partir avec ce qu’il avait volé, de sorte que, de l’avis même de l’ennemi, il se hâta de décamper. Que de bonté d’âme as-tu de reste, ô prélat très saint, pour aider ainsi un malfaiteur à s’en aller impuni (45)? — Un autre, plus malin que le précédent, vole la clochette qu’on pend au cou des bestiaux (46); il la remplit de foin, la cache sous son vêtement, et tient sa main dessus de peur d’être trahi par elle. Tu arrives, saint homme, et soudain la clochette de tinter et de découvrir le mystère. Il ne sert de rien qu’elle soit bourrée de foin, que le voleur la cache et la couvre de sa main; le son éloquent qu’elle fait entendre révèle le délit. Elle plaidait elle-même, pour ainsi dire, sa propre cause devant le juge, se souciant peu du voleur, si elle fait trop de bruit. Elle dénonce, elle accuse, elle convainc, elle condamne et revient à la charge. Mais, toi présent, on n’a pas le droit de le trouver coupable. Tu l’absous avec ta bonté ordinaire, et l’avertis en outre qu’il peut partir en sûreté. Quoi encore? Tu lui ordonnes d’emporter avec lui la clochette accusatrice, de peur que le malheureux ne s’en aille désespéré et les mains vides. Je dirai maintenant les miracles que tu as faits depuis que tu as été enlevé de ce monde, et dont le public a été le témoin. Comme on portait le cercueil où étaient déposés tes membres sacrés, un aveugle sur qui on le fit passer recouvra la vue. Il dut ce bienfait à ton ombre; la lumière lui vint de la mort. Quand on te donnait au sépulcre, ses yeux en sortaient ; ton sommeil fut son réveil. En recouvrant la vue, il rentrait dans le monde dont tu partais; tu fuyais le jour et les ténèbres le fuirent. On vit avec stupeur un visage éteint s’éclairer d’une lumière nouvelle, et sa première fenêtre rendue à un vieux bâtiment — Un homme étroitement enchaîné des pieds et des mains eut à peine touché ton église que ses chaînes tombèrent. Ces chaînes étaient si pesantes qu’on souffrait rien qu’à les voir. Comment ce malheureux pouvait-il les porter? Jointes ensemble un éléphant n’eût pu les disjoindre; il eût été incapable de faire un pas. L’animal n’eût pas trouvé moins lourds pour lui les débris de l’ancre que les bouleversements de la tempête ont jetée sur le rivage de la mer de Libye. Plus le supplice auquel tu mis fin était cruel, plus ton triomphe est éclatant, plus grande est la gloire d’avoir fait cesser les souffrances du malheureux. S’il ne succomba pas sous les liens où le tenaient enserré le poids des chaînes, ce fut pour qu’il restât à ta vertu miraculeuse le mérite de faire davantage. Lorsqu’on forgea ces cruelles chaînes elles ne résonnèrent et ne craquèrent pas autant que lorsqu’à ta voix elles se rompirent. Et alors les mains qu’elles avaient si inhumainement comprimées, devenues libres, applaudirent à leur libérateur (47). — Un autre, portant des entraves de bois, se réfugie vers ton église; ses entraves tombent aussitôt. A peine eut-il touché le seuil qu’on entendit gronder le tonnerre. C’était le ciel qui t’apportait des armes. On vit ces énormes pièces de bois se disjoindre et leur chute entraîner celle de l’homme qu’elles accablaient. Effrayé de sa liberté soudain, l’homme le fut plus encore lorsqu’il se vit débarrassé de ses entraves. Mais pourquoi lui-même fut-il ainsi jeté à terre? Les grandes joies sont toujours mêlées de quelque crainte. Pendant qu’il se demande avec stupeur d’où lui vient la guérison de ses pieds meurtris, il sent, dans son émotion, ses membres se dérober sous lui. — Une vieille femme, par suite d’un accident naturel, avait eu certains membres frappés de mort. Ainsi ses doigts restaient fermés, et elle ne pouvait se servir ni de l’index ni du pouce pour filer (48). La main qui était née avec elle, n’était plus sa main, et pendait à son bras comme quelque chose d’étranger au corps. Il était déjà tard pour y porter remède, et même la bonne femme n’espérait plus guérir. Cependant elle vint se placer devant ton tombeau, et sa main se ranima tout à coup. Ainsi une faveur inattendue a plus de prix; plus douce est la santé qu’on recouvre après en avoir désespéré. Le sang revint dans les doigts paralysés; tu leur avais rendu leurs ressorts avec leur première vigueur. Le jeu des jointures s’était rétabli; les veines avaient reconnu leur place et repris leur fonction. La main commença de se livrer aux travaux auxquels elle est propre; devenue libre, elle put apprendre à obéir. Ta piété ne rendit pas seulement à cette femme un membre qui s’était enfui, elle lui rendit aussi le moyen de s’en servir pour gagner sa vie. — Tu as guéri une jeune fille d’un mal de ce genre; mais tu fus plus généreux pour son âme que tu ne l’avais été pour ses membres en les raccommodant. Elle était fiancée selon la coutume observée parmi les mortels, et était alitée. Maintenant vierge consacrée au Christ, elle se réjouit avec modestie de sa virginité, et espère célébrer un jour avec lui ses noces dans le ciel. Cependant elle ne perd point pour cela la faculté d’enfanter; elle n’est pas stérile, mais c’est en gardant la fleur de sa chasteté qu’il lui convient d’être mère. Elle n’a pas un enfant, mais tous sont ses enfants, et de son amour pour Dieu lui naît tout une famille (49). — Une pauvre petite fille était atteinte d’un infirmité pareille. Elle était née avec des membres atrophiés. La naissance et la mort, elle les devait au ventre d’où elle était sortie, sa mère l’ayant mise au monde avec une main morte. Déposée sur ton tombeau, elle en revint guérie, et y recouvra vivant le membre qu’elle avait reçu sans vie de sa mère. — Un autre malheureux avait une taie sur les yeux; la lumière pour lui n’existait plus; bref, il était aveugle, et, depuis quatre mois, plongé dans urne nuit profonde, il offrait vivant l’image de la mort. Tu l’avertis charitablement, pendant qu’il dormait, d’aller au plus tôt à ton église. Le jour venu, notre homme se lève avec le brillant aspect d’une brebis du Christ, la tête tondue, sans le secours des ciseaux (50). Il prend ses cheveux afin de s’en frotter les yeux pour les rendre clairs (51) et d’acheter ainsi la vue au prix de sa chevelure. Arrivé à l’église en chancelant, il reste deux jours couché le long de ton tombeau. Quand parut le troisième, l’aveugle en vit la clarté. Les ténèbres dont il était environné se dissipèrent au frottement de ses cheveux, et le sang coulant de ses yeux avec abondance, lava les ordures qui lui interceptaient la vue. La lampe dont l’huile était renouvelée se ralluma, et la lumière rentra en possession du lieu dont elle avait été pour un temps exilée. Que dirai-je des muets à qui ta parole à rendu la parole? Enfin, est-on accablé d’un mal quelconque, tu y apportes toutes sortes de soulagement. Je ne compte pas toutes tes belles actions; ce qu’on en publie surpasse tout ce que j’en pourrais dire. Si donc je suis impuissant à cet égard, ce n’est pas du moins, comme tu le vois, la bonne volonté qui m’a manqué. C’est avec un zèle passionné et aussi par amour pour toi que Sigebert se hâte d’achever ton église (52) et presse le travail. Veille donc sur la grandeur de celui qui l’a élevée à la hauteur où elle est maintenant (53) et protège selon ses mérites celui qui t’a donné un toit. Après cet humble hommage rendu à ta sainteté par moi Fortunat, j’invoque ton secours et te prie d’exaucer mes vœux.


 

NOTES SUR FORTUNAT, LIVRE II.

I.

(01). — C’est à tort évidemment que Lucchi assure que cette pièce a été écrite à l’occasion de la croix envoyée à Radegonde par l’empereur Justin II et l’impératrice Sophie. S’il avait bien compris les quatre derniers vers, ou plutôt s’il y avait fait tant soit peu attention, il aurait vu qu’il s’agit ici d’une croix que Radegonde avait sans doute fait planter récemment prés d’un cours d’eau, dans les jardins de son monastère, et dont une vigne grimpante entourait les bras.

(02) — Cette chaleur attribuée à la lune est une de ces anciennes superstitions dont cet astre était l’objet, et parmi lesquelles on compte l’influence qu’il avait sur certaines maladies. Quelques-unes de ces superstitions ne sont point encore éteintes.

II.

(03) — Au contraire, c’est bien de la croix envoyée par Justin à Radegonde qu’il s’agit ici. Elle était faite d’un morceau détaché du bois même de la croix où Jésus-Christ avait été crucifié, et ornée d’or et de pierres précieuses : beatum lignum, dit Itaudonivia, eh. 45, auro et gemmis ornatum. On n’eut point pris ce soin pour un fragment brut. Selon Baronius, Annal., ad ann. 566, ce fut l’an 566, que Sigebert, à l’instante prière de Radegonde, envoya une ambassade à l’empereur Justin II, pour lui demander du bois de la vraie croix pour le monastère de Sainte-Croix de Poitiers, fondé par Radegonde, et ce serait la même année que Radegonde aurait reçu ce fragment façonné en forme de croix. Selon Lucchi, l’envoi et la réception auraient eu lieu environ l’an 569; selon d’autres, et contre toute vraisemblance, l’an 582. Or, comme ce fut Euphronius, évêque de Tours et prédécesseur de Grégoire, qui fut chargé par Sigebert de présider à cette cérémonie, et qu’Euphronius mourut en 513, c’est dans l’intervalle entre cette dernière année et celle de 566, qu’il faut chercher la vraie date. Je l’ai vainement essayé, les documents à cet égard faisant complètement défaut, Ce n’est sans doute que par un certain goût pour les moyens termes et les cotes mal taillées, que Lucchi a fait choix de l’année 569. Quoi qu’il en soit, la relique introduite dans Tours fut placée dans un oratoire de l’église de cette ville, en attendant sa translation dans l’église du monastère de Sainte-Croix. Cette translation parait avoir été effectuée le 19 novembre. Le Propre des fêtes de cette, église, approuvé par l’évêque de Poitiers, Louis de la Rochepazay, après l’examen qu’en avaient fait les Pères de la Compagnie de Jésus, contient un office particulier à ce sujet, où il est dit: Decimo nono novembris. Susceptio sancta Crucis a Beata Radegonde procuratae, et in banc domum receptae. « Ce fut à la veuë de ce trophée du Sauveur du monde, dit Jean Filleau, .66 de la Preuve historique des Litanies de saincte Radegonde, In-f°, 1643, que le grand évesque sainct Fortuné, l’un des excellens poëtes de son temps, fut animé, non d’un fabuleux Apollon, mais du très sainct Esprit, qui luy fit composer en l’honneur de la vraye croix cet hymne sacre, Vexilla regis prodeunt, que toute l’Église a recou, et qu’elle a entonné dans ces accents lugubres de la semaine de la Passion : lequel hymne ce grand sainct Fortuné accompagna d’un autre qui sert aussi d’entretien à l’Eglise, dans ses funestes journées de deuil renouvellé tous les ans par la mémoire de la Passion de son Seigneur: Pange, Lingua, gloriosi, etc. Le Pange Lingua est écrit en vers trochaïques parfois méiés de pyrrhiques, et, comme dit Brower avec, autant de force que de vérité: Ille est cantatissimus toti ecclesiae catholicae, quacumque sonat vox Christianorum, hymnus. On l’a attribué à Mamert Claudien, entre autres le P. Sirmond, et L’histoire littéraire de la France, t. V, sous ce prétexte qui ne manque pas d’ailleurs d’une certaine vraisemblance, que Fortunat n’a pas accoutumé d’écrire avec cette correction relative; mais outre qu’il faut faire la part de l’enthousiasme dont le poète fut rempli dans cette circonstance, il faut considérer que presque toute l’antiquité, que tous les manuscrits, à très peu d’exceptions près, et le plus grand nombre des érudits qui se sont occupés de la question, portent témoignage en faveur de Fortunat. Toutes ces autorités ont depuis été fortifiées par celle toute récente de dom Chamard, par celle de feu Mgr Crosnier, dans ses Études sur la liturgie nivernaise, p. 20, et enfin par l’adhésion que donne à l’un et à l’autre Mgr Barbier de Montault dans son Trésor de l’Abbaye de Sainte-Croix de Poitiers, p. 124. Cette belle hymne a été adoptée par la liturgie romaine pour l’adoration de la croix le vendredi saint, et l’office de l’Exaltation. Elle est dans tous les livres d’église, mais tronquée, défigurée, comme l’est aussi le Venue; c’est pourquoi nous en donnons ici le texte original. Mgr Barbier de Montault, dans l’ouvrage indiqué ci-dessus, p. 125, en a fait une analyse.

In honore sanctae crucis.

Pange, lingua, gloriosi prœlium certaminis,

Et super crucis tropaeo dic triumphum nobilem,

Qualiter redemptor orbis immolatus vicerit.

 

De parentis protoplasti fraude factor condolens, ·

Quando pomi noxialis morte morsu conruit,

Ipse lignum tunc notavit, damna ligni ut solveret.

 

Hoc opus nostrae salutis ordo depoposcerat,

Multiformis proditoris arte ut artem falleret,

Et medelam ferret inde, hostis unde laeserat.

 

Quando venit ergo sacri plenitudo temporis,

Missus est ab arce patris natus, orbis, conditor,

Atque ventre virginali carne factus prodiit.

 

Vagit infans inter arcta conditus praesepia:

Membra pannis involuta virgo mater adligat:

Et pedes manusque et crura stricta pingit fascia.

 

Lustra sex qui jam peracta tempus inplens corporis,

Se volente, natus ad hoc, passioni deditus,

Agnus in crucis levatur immolandus stipite

 

Hic acetum, fel, arundo, sputa, clavi, lancea:

Mite corpus perforatur, sanguis, unda profluit

Terra, pontus, astra, mundus, quo lavantur flumine!

 

Crux fidelis, inter omnes arbor una nobilis;

(Nulla talem silva profert, flore, fronde, germine).

Dulce lignum, dulci clavo, dulce pondus sustinens!

 

Flecte ramos, arbor alta, tensa laxa viscera,

Et rigor lentescat ille, quem dedit nativitas,

Ut superni membra regis mite tendas stipite.

 

Sola digna tu fuisti ferre pretium saeculi,

Atque portum praeparare nauta mundo naufrago,

Quem sacer cruor perunxit, fusus agni corpore.

III.

(04) Boni veut dire ici nos premiers parents qui, jusqu’au moment où ils mangèrent le fruit défendu, étaient en état d’innocence.

(05) — Ces voiles étaient non pas destinés à couvrir la croix, mais à être étendus sur les murs de l’église, suivant un usage qui était déjà presque général. S’il ne s’était agi que d’un seul voile, comme Lucchi semble le croire, Il y aurait dans le texte pallam au lieu de pallas. Ce pluriel indique manifestement qu’il s’agit de plusieurs voiles. Le mot pallia du vers 17, et le mot vela du vers ne sont là que comme synonymes de pella, et, à mon sentiment du moins, expriment la même chose.

(06) — Ce passage est fort embrouillé. Je crois pourtant l’avoir entendu, en conservant l’agnava des manuscrits qui agrée justement à Brower, auquel Lucchi veut à tort substituer addita, et dont il conteste la latinité. Agnavus est pour agnafus, du grec ἄγναφος, fullonem non expertus. On trouve ce mot dans une charte de Cornutius (Saint Aubin du Cormier, selon dom Magnan), citée par Suarès. Voyez Du Cange, à ce mot, il s’agit ici de soie grège dont on se servait pour broder, et dont on assemblait plusieurs fils à cet effet.

(07) — Du reste, cette pièce, à partir du onzième vers surtout, est d’une très grande obscurité. Les commentaires de Brower et de Lucchi qui ne s’accordent point, ne contribuent pas peu à la rendre encore plus ténébreuse.

IV.

(08) — De pareils tours de force ne sont exécutables qu’en latin ou en grec; Ils ne seraient pas possibles en français. Mais ils font partie du bagage poétique de Fortunat, et s’ils ne valent pas la peine d’être traduits, ils ont droit à être connus du lecteur, au moins de vue. Mgr Barbier de Montault, dans son Trésor de l’Abbaye de Sainte-Croix de Poitiers, p. 434, en a donné l’analyse.

De signaculo sanctae crucis.

 

 

 

 

V.

(09) De sancta cruce.

VI.

(10) — La plus grande beauté de cette hymne consiste dans la magnificence du chant. Elle offre peu d’idées, et, selon une remarque assez juste de M. l’abbé Hamelin (De victa et operibus V. Fortunat, Rennes, 1873, in 8°, p. 71), ces idées sont vulgaires et manquent tout à fait de cette chaleur naturelle qui est indispensable dans la poésie lyrique. Cependant, Mgr Barbier de Montault a raison de regretter qu’elle ne figure dans le bréviaire romain que tronquée, altérée et mouillée. On l’a, dit-il, remise maladroitement au mètre, Nos liturgies françaises avaient été plus respectueuses, quoiqu’elles eussent aussi supprimé les trois strophes, Confixa, Fundis et Salve, ajoutant en plus l’invocation O Crux, et la doxologie (Ibid., loc. cit., p. 123).

HYMNUS IN HONORE SANCTAE CRUCIS

Vexilla regis prodeunt,
Fulget crucis mysterium,
Quo carne carnis conditor
Suspensus est patibulo.

Confixa clavis viscera
Tendens manus, vestigia
Redemptionis gratia
Hic immolata est hostia.

Quo vulneratus insuper
Mucrone diro lanceae,
Ut nos lavaret crimine,
Manavit unda et sanguine.

Inpleta sunt quae concluit
David fideli carmine,
Dicendo nationibus:
Regnavit a ligno Deus.

Arbor decora et fulgida,
Ornata regis purpura,
Electa, digno stipite
Tam sancta membra tangere!

Beata cujus brachiis
Pretium pependit saeculi!
Statera facta est corporis
Praedam tulitque Tartari.

Fundis aroma cortice,
Vincis sapore nectare,
Jucunda fructu fertili
Plaudis triumpho nobili.

Salve ara, salve victima
De passionis gloria,
Qua vita mortem pertulit
Et morte vitam reddidit.

 

Au commencement du quatorzième siècle, cette hymne qui se chante le dimanche de la Passion, donna lieu à une parodie dont l’objet était Pierre de Gaveston, favori d’Edouard II, roi d’Angleterre. Les barons anglais, ayant à leur tête le comte de Lancastre, se liguèrent contre lui en 1312, et le forcèrent à s’enfermer dans le château de Scarborough où ils l’assiégèrent. Il se rendit, et malgré une capitulation qui lui assurait la vie sauve, les chefs confédérés le condamnèrent à mort. Il fut décapité en mai de cette même année, en présence du comte Thomas de Lancastre. On ne connaît pas l’auteur de cette parodie cruelle, qui a été publiée pour la première fois par M. Wright, The political songs of England, 1839, in 4°, p. 238. La voici avec le texte en regard

Texte.                                                                          Parodie

Vexilla regis prodeunt,                                               Vexilla regni prodeunt,

Fulget crucis mysterium                                             Fulget cometa comitum

Quo carne carnis conditor                                         Comes dico Lancatriae

Suspensus est patibulo.                                              Qui domuit indomitum

La seconde strophe n’a point été parodiée; voici la troisième et les suivantes :

Quo vulneratus insuper                                             Quo vulneratus pestifer
Mucrone diro lanceae                                                Mucronibus Wallensium
[1]
Ut nos lavaret crimine                                                           Truncatus est atrociter
Manavit unda et sanguine.                                         In sexto mense mensium

Impleta sunt quae concinit                                        Impleta sunt quae censuit
David fideli carmine                                                  Auctoritas sublimium
[2]
Dicendo nationibus                                                   Mors Petri sero patuit
Regnavit a ligno Deus.                                               Regnavit Diu nimium

Arbor decora et fulgida                                              Arbor mala succiditur
Ornata regis purpura                                                  Dum collo Petrus caeditur
Electa digno stipite                                                    Sit benedicta framen
Tam sancta membra tangere!                                     Quae Petrum sic aggreditur!

Beata, cujus brachiis                                                  Beata manus jugulans!
Pretium pependit saeculi                                           Beatus jubens jugulum!
Statera facta corporis                                                 Beatum ferrum feriens
Praedamque tulitque Tartari.                                     Quem ferre nolet saeculum!

Les deux strophes qui terminent la pièce de Fortunat avaient déjà fait place à deux autres dans l’office de l’Eglise. Ce sont ces dernières qui ont été parodiées:

Texte.                                                                          Parodie

O Crux ave, spes unica                                              O Crux, quae pati pateris
Hoc passionis tempore                                              Hanc miseram miseriam
Piis adauge gratiant                                                    Tu nobis omnem subtrahe
Reisque dele crimina.                                                 Miseriae materiam

Te fons salutis Trinitas                                                          Te, summa Deux Trinitas
Collaudet omnis spiritus:                                           Oramus prece sedula
Quos per crucis mysterium                                        Fautores Petri destruas
Salvas, rege per saecula.                                            Et conteras per saecula

Le Pange Lingua de notre poète fut également travesti et pour le même objet; il fut comme une nouvelle explosion de  la joie féroce avec laquelle le peuple anglais avait accueilli la mort de Gaveston. Cette seconde parodie ne serre pas toujours son modèle d’aussi près que l’autre; mais elle lui est inférieure dans l’emploi du même procédé, elle la surpasse peut-être en violence et en brutalité. Voyez-la dans le recueil, cité plus haut, de M. Wright, p. 239.

Au dix-septième siècle, toutes les fois que les Français prenaient possession d’un territoire quelconque, en Amérique, dans le dessein d’y fonder un établissement, ils commençaient par y planter une croix, autour de  laquelle ils chantaient le Vexilla regis. On lit au chapitre 13 de  l’Histoire de  la mission des Pères Capucins en l’Isle de Maragnan et terres circonvoisines, par le R. p. Claude d’Abbeville, prédicateur capucin, f° 88 recto, 1614 : « Pendant que les Indiens eslevoient et plantoient si courageusement la croix, nous estions tous prosternés à genouils, chantans : O crux, ave, spes unica, in hac triumphi Gloria. » A la prise de possession de l’embouchure du Mississipi par Robert Cavelier de la Salle qui venait de découvrir ce fleuve, le Vexilla regis fut chanté le 9 avril 1682, au moment où l’on érigeait la croix (Découvertes et établissements des Français dans l’ouest et dans le sud de l’Amérique septentrionale, par Pierre Margry, t. II). Enfin, parmi les nombreuses brochures politiques que vit naître la première année de la Révolution, il en est une qui a pour titre : Pange Lingua, pour faire suite au Domine Salvem Fac Regem. Sur les bords du Gange, 1789, in 8°, 88 pages. Mais cette pièce n’est ni une parodie ni une imitation; elle n’a pris de cette hymne que les deux premiers mots, et l’auteur en a fait le titre d’un pamphlet où il prend à partie les conspirateurs contre Louis XVI, entre autres Lafayette et Mirabeau.

VII.

(11) — Saint Saturnin, premier évêque de Toulouse. Voyez Grégoire de Tours, Hist. Fr. I, 28, et de Gloria Martyrum, I, 48.

VIII.

(12) — Par victores le poète entend les martyrs.

(13) — Brower conjecture que Launobode était Goth. 

IX.

(14) — Sur le plectre, voyez la note 2 de la pièce I du livre VII.

(15) —Saint Germain, élu évêque de Paris en 554, mort en 576. Cette pièce a donc été composée entre ces deux dates.

(16) — Cf. Fortunat, Vie de saint Germain, ch. 42: « Hinc se frequentibus exercebat vigiliis, inde continuatis macerabat inediis. Pernoctabat algida senectus per hiemem sustinens dupliciter frigus, aetatis et tcmporis, quod nec tolerare possint potulenti juvenes. »

(17) — Tout ce passage où le poète ne peut se dépêtrer en quelque sorte de la même idée, ne laisse pas que d’être très difficile à entendre. Parfois on est tenté de croire que ces chalumeaux, ces flûtes de Pan, ces tambours, ces trompettes, etc., sont des instruments dont on se servait effectivement dans l’église; mais on se tromperait, ils ne sont là que comme objets de comparaison avec les voix des chanteurs La musique des instruments n’était pas alors introduite dans les églises; elle ne le fut que vers l’an 1330. Voyez un passage sur ce sujet dans les Extrav. Cons. l. I, 3; tit. de vita et honorib. cleric., cap. unicum, du pape Jean XXII.

(18) — Fortunat, Vie de saint Germain, chap. 7 : « Nec illud omitti convenit, quod ad domum Ebronis pro fide Jusli collatum est. Cujus ingrediente domum, Anna matrona proclamat rem mirabilem se videre. Inquisita a conjuge, quid esset, quod inspiceret, ait : Ecce beatus Germanus cornuta facie mihi videtur incedere: quod pene vix valeo aut intueri lumine, aut sermone conferre sanctum virum, novo more, cornibus radiantem. Consternataque mirabatur mulier hominem nostro tempore in figura Moysi potuisse conspicere.

C’est sans doute ce souvenir qui inspira à Fortunat le dernier vers de cette pièce :

Moyses, tende menus et tua castra jure.

X.

(19) — L’église de Sainte-Croix, aujourd’hui Saint Germain des Prés. D’après l’auteur anonyme de la Vie de saint Doctrovée, Childebert I bâtit cette église, au retour de son expédition en Espagne, pour recevoir la tunique de saint Vincent qu’il rapportait de Saragosse. Plus tard, après la défaite d’Amalaric, roi des Wisigoths, il y déposa une croix d’or, ornée de pierres précieuses, qu’il avait rapportée de Tolède. L’Eglise fut alors désignée sous le vocable de saint Vincent et sainte Croix. L’autour de la Vie de saint Doctrovée, qui vivait au neuvième siècle, fait de cette église une description qui concorda avec celle de Fortunat. Il parle, comme lui, des vitraux des fenêtres, des colonnes de marbre qui portaient la voûte, des murailles et du toit couverts de dorures.

(20) — Les baies des fenêtres étaient fermées par des tablettes de marbre percées à jour et qui ne laissaient à cause de cela pénétrer dans l’édifice qu’une lumière très mesurée. C’était une espèce de treillis dont les interstices étaient remplis par des morceaux de verre blanc et quelquefois coloré. Cet usage existait dès le quatrième siècle, et il en est fait mention dans Prudence à propos des vitraux de la basilique de Saint-Paul hors des murs:

Tum camures hyalo insigni varie cucurrit arcus,

Sic prata vernis floribus renident...

car il faut entendre par hyalo la couleur verte du verre dont les fenêtres cintrées étaient pourvues. Cependant l’usage du verre pour la clôture des baies ne fut généralisé qu’au siècle même où écrivait Fortunat, c’est-à-dire au sixième siècle. Des voiles ou rideaux en étoffe précieuse étaient appliqués aux fenêtres ainsi éclairées, et amortissaient encore la lumière. Les voûtes elles-mêmes étaient parfois décorées de ces voiles. C’est ainsi que Placidine, femme de Léonce, évêque de Bardeaux (Voyez l. I, p. VI) décora celles de la basilique élevée à saint Martin par son mari. Elle fit de plus, à n’en pas douter, la dépense du voile tendu en avant de l’autel dans toute la largeur de la grande nef, comme aussi celle des voiles de tous les entrecolonnements qui séparaient cette grande nef des nefs latérales. Une basilique de  cette importance devait recevoir tous ces ornements, et Placidine qui en avait pris la charge n’aurait pas voulu le céder en libéralité à son mari. Voyez le Dict. de  l’Académie des beaux-arts, au mot Basilique.

(21). — Voyez l’éloge de la piété de Childebert, ch. 13 de  la Vie de saint Germain, par Fortunat. Childebert fut inhumé dans la basilique de Saint-Vincent et Sainte-Croix (Grégoire de Tours, Hist. Franc., IV, 20).

XI.

(22) — Voyez, sur ce baptistère, la note 3 de  la pièce xv du livre I.

(23) — Cf. la pièce ix du livre IX, adressé au même Sidoine, où Fortunat loua la piété et la charité de l’évêque et son zèle à restaurer les églises de Mayence.

(24) — Berthoara, fille de Theudebert et de sa seconde femme Wisigarde.

(25) — Theudebert Ier, roi d’Austrasie, succéda en 634 à son père Thierry Ier. Voyez, sur sa piété et sur ses expéditions contre les Ostrogoths, Grégoire de Tours, Hist. Fr., III, 24 et 27.

XII.

(26) — Saint George souffrit le martyre en 285, selon la Chronique Alexandrine, Carinus II étant consul avec Numerianus: d’autres disent sous Decius. Voyez Ruinart dans ses notes sur Grégoire de Tours, De Glor. Martyr., l. I, c. 101.

XIII.

(27)  — Dans le panégyrique du roi Théodoric par Ennodius, il est fait mention d’un certain Trasaricus qui fut roi des Gépides, qui faisait son séjour à Sirmium, capitale de la Pannonie, et qui fut vaincu dans la suite par Théodoric. De là, dit Lucchi, on peut conjecturer de quelle nation était le personnage à qui s’adresse Fortunat.

(28) — Allusion à ce passage de l’Evangile, saint Matthieu, XIV, V. 26-29 « Lorsqu’ils virent Jésus marcher ainsi sur la mer, ils furent troublés, le prenant pour un fantôme. Aussitôt Jésus leur parla et leur dit : Rassurez-vous, c’est moi; ne craignez point. Pierre lui répondit : Seigneur, si c’est vous, commandez que j’aille à vous en marchant sur les eaux. Jésus lui dit : Venez. Et Pierre descendant de la barque, marchait sur l’eau pour aller à Jésus.

(29)Remedius, le même que Remigius, est saint Remi, évêque de Reims. Il mourut en 533, après avoir occupé son siège pendant soixante-dix ans. Hincmar, qui lui succéda sur ce siège au neuvième siècle, a écrit sa vie, ainsi que Fortunat.

XIV.

(30) — Saint Maurice et ses compagnons, les soldats de la légion Thébaine, qui subirent le martyre en 286, Agaune, aujourd’hui Saint-Maurice en Valais, où Maximien les avait fait venir pour réprimer le soulèvement des Bagaudes. Sigismond, roi de Bourgogne, éleva une basilique et fonda un monastère en leur honneur, à Agaune, vers l’an 516 (V. Grégoire de Tours, Hist. Fr., III, 5, et De gloria martyrum, 75). Voyez aussi dans Ruinart (Acta sincera martyrum) le récit du martyre de saint Maurice et de la légion thébaine, par saint Eucher, évêque de Lyon.

(31) — Il y avait des reliques des saints d’Agaune dans la basilique de Tours reconstruite par saint Grégoire, comme il le raconte au livre X, chap. 31, de son Histoire des Francs. C’est sans doute de ces reliques que parle ici Fortunat.

XV.

(32) M. Leo pense que ce poème n’est pas de Fortunat; il remarque que six distiques sur les dix sont terminés par des trisyllabes et des quadrisyllabes, mesures que le poète emploie très rarement à la fin des pentamètres; il n’admet pas comme étant de sa façon des élisions de cette force, qu’est pour quia est (v. 8), des fautes de quantité telles que celles-ci, creatura pour creatura (ibid.). potens pour potens (v. 47), etc. Cependant il donne une place à cette pièce parmi les authentiques, et je fais comme lui, car il n’y a pas plus de raison de ne pas croire que la pièce est de Fortunat qu’il n’y en a de croire le contraire. Le poète d’ailleurs est coutumier de bien d’autres fautes de quantité que celles qu’on lui reproche ici.

(33) — Je ne vois pas trop ce que les Allobroges font ici; mais Lucchi prétend que les Gaulois sont parfois appelés de ce coin, et il ne dit pas où.

(34) — J’avoue ne pas bien entendre ce foedera legis. Peut-être est-ce une allusion à quelque traité en vertu duquel la paix était maintenue entre les catholiques et les ariens de Poitiers.

(35) — Arius était grec, né dans la Cyrénaïque, selon les uns, selon d’autres à Alexandrie ou il fut prêtre. Les Grecs furent donc les premiers infectés de son hérésie.

(36) — Arius mourut en 336. Se sentant pressé, dit le bon abbé Fleury, dans une rue de Constantinople, de quelque nécessité naturelle, il demanda quelque lieu public de commodité; on lui en montra un; li y entra, et quelque temps après on l’y trouva mort, ayant perdu une grande quantité de sang.

(37) — Après le courageux discours d’Etienne dans l’assemblée des juifs, ceux-ci entrèrent dans une rage qui leur déchirait le cœur, et ils grinçaient les dents contre lui. Mais Étienne était rempli du Saint-Esprit, et levant les yeux au ciel, vit la gloire de Dieu, et Jésus qui était debout à la droite de Dieu, et il dit : Je vois les cieux ouverts, et le fils de l’homme qui est debout à la droite de Dieu, Actes des Apôtres, ch. VII,

(38) — Le prince du monde était Constant, fils du grand Constantin. Il favorisait l’arianisme, et ce fut sous son règne que saint Hilaire fut relégué en Phrygie, Voyez Sulpice-Sévère, l. II.

(39) — Ses douze livres sur la Trinité. Voyez le recueil de ses œuvres par dom Constant, 1693, in f°. C’est la meilleure édition.

XVI.

(40) — Saint Médard fut d’abord évêque de Saint Quentin, comme le rapporte Fortunat dans la Vie de saint Médard, n° 9. Mais il fut depuis transféré à Noyon. C’est ce que dit Radbode, évêque de cette même ville, puis de Tournai, dans la vie qu’il a écrite de ce saint, où il décrit amplement les causes de cette translation. Voyez Surius, Vitae Sanctor. (Cologne, 4 vol. in-f°, 1618) à la date du 8 juin, et les Bollandistes, même date.

(41) — Lecointe place la mort de saint Médard à l’année 545, et Valois, à l’année 560. Lecointe, à l’année 545, n° 9 explique la cause de cette différence d’opinion et persiste dans la sienne.

(42) — Lucchi est d’avis, et il a raison, qu’il faut mettre une virgule après matrem linquens, et non pas après cum patre, comme l’a fait Brower, et que le sens du vers est celui-ci : « Médard quitta la terre sa mère, pour aller avec Dieu son père loeta tenere. » Le poète parle ici en effet de l’état du saint après sa mort.

(43) — Il ne s’agit pas ici de  la crémation du corps, mais de mortification de la chair, et même de sa destruction; car si l’on ne trouve cremo avec cette seconde acception dans aucun dictionnaire latin classique, on trouve crematus avec le sens de destructus, dirutus dans une inscription datant de 1494 donnée par Naldinus dans sa Chorographie ecclésiastique de la ville et du diocèse de Justinopolis (Capo d’Istria), p. 59. Elle est ainsi conçue Episcopium superiorum temporum injuria Crematum. Du Cange la cite au mot Crematus.

(44) — Radbode, dans Surius (loc. cit.), et Fortunat lui-même, dans la Vie de saint Médard, ne parlent que d’un seul voleur, et cependant il paraît bien ici, aux vers 35, 30 et 42, qu’il y en avait d’autres encore,

(45) — Il faut dire, à la décharge du saint que le vol avait été commis dans sa propre vigne. Radbode, dans Surins (loc. cit.) le dit formellement, comme aussi que la clochette volée dont il va être parié plus bas, était celle qui pendait au cou d’un taureau appartenant à Médard. Or, de même qu’il avait pardonné au voleur de raisins, il pardonna au voleur de clochette, et de plus il fit cadeau à l’un et à l’autre du produit de leur vol. Quand il n’aurait pas eu comme saint prédestiné, le droit d’être si largement charitable, il l’aurait eu certainement comme propriétaire et maître de disposer de son bien au profit même de ceux qui venaient de le lui dérober.

(46) — Voir la note ci-dessus. Radbode dit que le voleur de la clochette avait aussi volé le taureau.

(47) — Grégoire de Tours, Hist. Fr., IV, 49, dit qu’on voyait de son temps les fragments de ces chaînes, conservés prés du tombeau de saint Médard.

(48) — Ces quatre vers 105-108 sont fort peu clairs. Le poète y parle des membres morts, puis ces membres se bornent aux doigts de la main. Il a fallu encore le secours de Radbode pour traduire, comme on l’a fait ici, cet obscur passage et tous les autres détails relatifs à ce miracle,

(49) — Il s’agit ici d’une jeune fille qui, après avoir été destinée au mariage, entra en religion et devint, comme il semble, abbesse d’un monastère. Elle compensa la stérilité imposée à ses entrailles par une fécondité spirituelle représentée par le grand nombre de vierges qu’elle avait acquises au Christ, et qu’elle gouvernait. 

Les notes , (50) (51) et (52) ne sont pas lisibles correctement

(52).  ………………………… Clotaire ayant appris que saint Médard était à Noyon, vint le voir, et lui demanda la permission de transporter soit corps à Boissons après sa mort, pour l’inhumer dans cette ville. Cette permission lui ayant été accordée, Clotaire transporta en grande pompe les restes du saint à Soissons, couvrit provisoirement sa tombe d’une socle de cabane en osier, puis se mit en devoir de lui élever une magnifique basilique. Prévenu par la mort, ce roi ne put l’achever; ce fut Sigebert qui eut cet honneur. Or, cela ne put avoir lieu avant que Sigebert, ayant déclaré la guerre à Chilpéric, son frère, se fût emparé de Soissons, capitale du royaume de ce prince; ce qui arriva en 564. Voyez les Vies de saint Médard dans les Bollandistes où cette translation est amplement décrite.  

(53) Culmina custodi qui templum, etc.; construction vicieuse, il faut sous-entendre ejus avant qui.


 

[1] Les Gallois.

[2] Les chefs confédérés.