RETOUR
À L’ENTRÉE DU SITE
ALLER
A LA TABLE DES MATIÈRES DE FORTUNAT
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
FORTUNAT
POÉSIES
LIVRE XI
vie -
dissertation - livre I -
livre II - livre III -
livre IV - livre V -
livre VI - livre VII -
livre VIII - livre IX -
livre X -
Appendice
VENANCE FORTUNAT
POÉSIES MÊLÉES
LIBER UNDECIMUS.
|
LIVRE ONZIÈME.
|
I. Expositio Symboli.
|
I. Exposition du Symbole.
|
|
Qui voudra comparer cette
exposition en prose du Symbole des apôtres avec celle qui est dans les
œuvres de Rufin, s'apercevra facilement qu'elle est un abrégé de
celle-ci, et l'œuvre de Rufin plutôt que de Fortunat. Cette œuvre de
Rufin, Fortunat qui était déjà évêque de Poitiers, l'avait sans doute
abrégée pour l'instruction de ses diocésains de même qu'on n'a pas jugé
nécessaire de traduire l'Exposition de l'Oraison Dominicale, au
livre précédent, on ne traduit pas non plus cette Exposition du
Symbole. |
|
II. Item aliud ad domnam Radegundem.
|
II. A Radegonde, sa royale maîtresse.
|
|
Quo sine me mea lux
oculis [se] errantibus abdit,
Nec patitur visu se reserare meo?
Omnia conspicio simul: æthera, flumina, terram;
Cum te non video, sunt mihi cuncta parum.
Quamvis sit cœlum, nebula fugiente, serenum,
Te celante, mihi stat sine sole dies.
Sed precor horarum ducat rota concita cursus,
Et brevitate velint se celerare dies.
Consultum nobis sanctisque sororibus hoc sit,
Ut vultu releves quos in amore tenes. |
Où se cache sans
moi ma lumière ? Pourquoi se refuse-t-elle à paraître à mes yeux qui
s'égarent à sa recherche? Je regarde le ciel, la terre et l'eau ; tout
cela m'est peu de chose si je ne vous vois pas. Quoique le ciel soit
serein et pur, si vous vous cachez, le jour est pour moi sans soleil. Je
prie Dieu que les Heures précipitent la course de leur char, et que les
jours se hâtent obligeamment d'abréger leur durée. Nous sommes d'avis
les saintes sœurs et moi, que vous consoliez, en leur faisant voir votre
visage, ceux que vous faites état d'aimer (01). |
|
III. Item aliud ad eandem de natalicio abbatissæ.
|
III. A la même, sur le jour de naissance de l'abbesse (01).
|
|
Mater
opima, decens, voto lætare beato,
Gaude: natalem filia dulcis habet.
Hanc tibi non uterus natam, sed gratia fecit;
Non caro, sed Christus hanc in amore dedit.
Quæ sit in æternum tecum, tibi contulit auctor,
Perpetuam prolem dat sine fine pater.
Felix posteritas quæ nullo deficit ævo,
Quæ cum matre simul non moritura manet.
Sit modo festa dies, sancto Radegundis honore:
Agnen hanc vobis agnus in orbe dedit.
Gaudia distensos pariter celebretis in annos,
Et per vos populus vota superna colat,
Virgineosque choros moderamina sancta docentes,
Perpetuæ vitæ distribuatis opes.
Hinc longinqua salus teneat vos corpore vinctas,
Rursus in æterno lumine jungat amor. |
Excellente et aimable mère, félicitez-vous de l'heureux accomplissement
de vos vœux; soyez toute à la joie, c'est aujourd'hui l'anniversaire de
la naissance de votre fille. Elle n'est pas le fruit de vos entrailles,
mais celui de la grâce; elle n'est pas votre fille selon la chair, c'est
le Christ qui dans son amour vous l'a donnée; c'est l'auteur et père de
toutes choses qui vous la donne pour être éternellement avec vous.
Heureuse la postérité dont les siècles ne rompent point la chaîne, et
qui demeure impérissable avec sa mère! Que cette fête soit donc en
l'honneur de Radegonde, de cet agneau qui a donné Agnès à cette
bergerie. (02) Chaque année et pendant longtemps, célébrez-en l'une et
l'autre le joyeux retour, et qu'à votre exemple le peuple la solennise
par des prières. Enseignez les saintes règles à cette assemblée de
vierges, et distribuez-leur les richesses de la vie éternelle. Jouissez
toutes deux ici-bas d'une santé qui ne souffre point d'interruption en
attendant que l'amour vous réunisse dans l'éternelle lumière. |
|
IV. Item aliud ad eandem, ut vinum bibat.
|
IV. A la même pour l'engager à boire du vin.
|
|
Si
pietas et sanctus amor dat vota petenti,
Exaudi famulos munere larga tuos.
Fortunatus agens, Agnes quoque versibus orant,
Ut lassata nimis vina benigna bibas.
Sic tibi det Dominus, quæcumque poposceris ipsum,
Et tibi, sicut amas, vivat uterque rogans:
Suppliciter petimus, si non offendimus, ambo,
Ut releves natos, mater opima, duos.
Non gula vos, sed causa trahat modo sumere vina,
Talis enim potus viscera lassa juvat.
Sic quoque Timotheum Paulus, tuba gentibus una,
Ne stomachum infirmet sumere vina jubet. |
Si par la piété
et un saint amour on obtient les grâces qu'on demande, vous qui êtes si
généreuse, écoutez vos serviteurs. Fortunat votre agent (01)
et Agnès vous conjurent dans ces vers de condescendre à réparer vos
forces en buvant du vin. Qu'ainsi le Seigneur vous donne tout ce que
vous lui demanderez. Nous le prions de concert qu'il vive pour vous
comme vous l'aimez, et si ce n'est pas vous offenser, nous vous
supplions, mère auguste, de faire cesser les inquiétudes de vos deux
enfants. Que la nécessité et non la gourmandise vous détermine à boire
du vin (02). Une pareille boisson
fortifie l’estomac affaibli; c'est celle que Paul, la trompette des
Gentils, ordonne à Timothée, pour ne pas laisser cet organe se débiliter
(03). |
|
V. Item aliud ad abbatissam de natali suo.
|
V. A l'abbesse Agnès sur sa naissance (01).
|
|
Dulce decus nostrum, Christi sanctissima virgo,
Agnes quæ meritis immaculata manes:
Sic tibi complacuit hodiernum ducere tempus,
Ut mihi inexpletam distribuisses opem?
Nec dare nunc dominæ modulamina dulcia linguæ,
Cui dum verba refers, pascitur ore tuo?
Abstinuisse cibis etiam vos ipse probavi,
Et quasi pro vobis est mihi facta fames.
Audio, somnus iners radiantes pressit ocellos;
An nimias noctes anticipare volis?
Cui non sufficiant hæc tempora longa quietis,
Cum prope nox teneat, quod duplicata dies?
Nubila cuncta tegunt, nec luna, nec astra videntur;
Si sis læta animo, me nebulæ fugiunt.
Gaudia vera colat, quæ nos hæc scribere jussit,
Et tecum faveat ducta sub arce poli |
Très sainte
vierge du Christ, notre joie et notre honneur, Agnès, aux mérites sans
tache, quelle n'a pas été votre obligeance pour moi? Il vous a plu de
passer tout ce jour à vous occuper de moi plus que d'habitude; vous avez
privé votre maîtresse, qui prend tant de plaisir à vous écouter, du
charme de vos entretiens! J'ai aussi remarqué que vous n'aviez mangé ni
l'une ni l'autre, et que c'est moi, pour ainsi dire, qui ai eu faim pour
vous deux. J'entends : le lourd sommeil, Agnès, pesait sur vos yeux
brillants. Voudriez-vous anticiper sur les longues nuits d'hiver?
Cependant qui ne se contenterait du repos de ces nuits, dont une seule
dure presque autant que deux jours ensemble? Les nuages cachent le ciel
tout entier; on ne voit ni étoiles, ni lune; mais si la gaieté est dans
votre cœur, les nuages devant, moi se dissipent. Que celle qui m'a
ordonné d'écrire ces vers (02)
ressente les vraies joies, et qu'elle vous soit propice quand elle ira
les goûter au ciel. |
|
VI. Item aliud ad eandem.
|
VI. A la même.
|
|
Mater honore mihi,
soror autem dulcis amore,
Quam pietate, fide, pectore, corde colo:
Cœlesti affectu, non crimine corporis ullo,
Non caro, sed hoc quod spiritus optat, amo.
Testis adest Christus, Petro Pauloque ministris,
Cumque piis sociis sancta Maria videt,
Te mihi non aliis oculis animoque fuisse,
Quam soror ex utero tu Titiana fores.
Ac si uno partu mater Radegundis utrosque,
Visceribus castis progenuisset, eram.
Et tanquam pariter nos ubera chara beatæ
Pavissent uno lacte fluente duos.
Heu mea damna gemo, tenui ne forte susurro,
Impediant sensum noxia verba meum;
Sed tamen est animus simili me vivere voto
Si vos me dulci vultis amore coli. |
Vous qui êtes ma mère par votre dignité (01),
et ma sœur pur le privilège de l'amitié, à qui je rends hommage en y
faisant concourir mon cœur, ma foi et ma piété, que j'aime d'une
affection céleste, toute spirituelle et sans la criminelle complicité de
la chair et des sens, j'atteste le Christ, les apôtres Pierre et Paul,
sainte Marie et ses pieuses compagnes que je ne vous ai jamais regardée
d'un autre œil et avec d'autres sentiments que si vous aviez été ma sœur
Titiana, que notre mère Radegonde nous eût portés l'un et l'autre dans
ses chastes flancs, et que ses saintes mamelles nous eussent nourris de
leur lait. Je crains hélas! car j'en vois le danger, que les moindres
insinuations des méchantes langues ne compriment la manifestation de mes
sentiments. Cependant, je suis résolu de vivre avec vous comme je l'ai
fait jusqu'ici, si vous voulez bien vous-mêmes me continuer votre
amitié. |
|
VII. Item aliud ad eandem.
|
VII. A la même.
|
|
Quæ caræ matri, quæ
dulcia verba sorori
Solus in absenti cordis amore loquar?
Quas locus excludit, mens anxia voce requirit,
Et simul ut videat per pia vota rogat.
Te peto, chara soror, matri pietate benigna,
Quod minus impendi tu famulare velis.
Illa decens tecum longo mihi vivat in ævo,
Et tribus in Christo sit precor una salus.
Nos neque nunc præsens, nec vita futura sequestret,
Sed tegat una salus et ferat una dies.
Hic tamen, ut cupio, vos tempora longa reservent,
Ut soror et mater sit mihi certa quies. |
Que dirai-je à ma
chère mère et à mon aimable sœur, seul et absent de ce que j'aime. Si je
suis exclus des lieux qu'elles habitent, mon esprit inquiet a une voix
pour s'enquérir d'elles; il demande respectueusement à les voir toutes
deux ensemble. Chère sœur, je vous prie de vouloir bien remplir auprès
de notre pieuse et bonne mère les devoirs que je ne lui ai rendus
qu'imparfaitement. Qu'elle vive pour moi et avec vous de longues années,
et qu'un seul salut dans le Christ soit le nôtre à tous les trois ;
telle est ma prière. Que ni la vie présente, ni la vie future ne nous
séparent, mais que nous mourions ensemble, et qu'ensemble nous soyons
sauvés. Cependant je souhaite que d'ici là vous viviez encore de longs
jours, afin qu'auprès de ma mère et de ma sœur mon repos soit assuré. |
|
VIII. Item aliud ad eandem.
|
VIII. A la même.
|
|
Accessit
votis sors jucundissima nostris,
Dum meruere meæ sumere dona preces.
Profecit mihimet potius cibus ille sororum:
Has satias epulis, me pietate foves.
Qua probitate micans partes componis utrasque,
Me recreas animo has saturando cibo.
Pascunt membra dapes, anima dilectio nutrit:
Quæ, cui plus opus es, dulcior esca venis
Audiat omnipotens et te pia vota petentem,
Ut tibi perpetuos, fundat in ore cibos.
Sæcula longa simul cum matre superstite vernes,
Et vestro freno stet chorus ille Deo. |
Le sort a
favorisé mes vœux de la manière la plus agréable; mes prières ont obtenu
que j'aie part à vos dons. C'est à moi surtout qu'a profité le repas
donné à nos sœurs, car si vous les avez si bien régalées, c'a été par un
effet de vos bontés pour moi. Avec quelle conscience admirable vous avez
concilié ces deux choses, remplir mon cœur de joie et leurs estomacs de
bons mets ! Les mets sont la nourriture du corps, la tendre affection
est celle de l'âme. Plus on en sent le besoin, plus vous mettez de bonne
grâce à le satisfaire. Que le Tout-puissant accueille vos prières et vos
souhaits pieux, et qu'il vous fasse vivre un jour de la nourriture
éternelle ! Que les siècles vous retrouvent toujours jeune près de votre
mère pleine de vie, et que Dieu vous maintienne toutes deux au
gouvernement de cette communauté ! |
|
IX. Item aliud ad eandem pro eulogiis transmissis.
|
IX. A la même qui lui avait envoyé des eulogies (01).
|
|
Sollicita pietate jubes cognoscere semper,
Qualiter hic epulis, te tribuente, fover.
Hæc quoque prima fuit hodiernæ copia cenæ,
Quod mihi perfuso melle dedistis holus;
Nec semel, aut iterum, sed terque quaterque cucurrit,
Cujus me poterat pascere solus odor.
Portitor ad tantos missus non sufficit unus:
Lassarunt totiens, qui rediere, pedes.
Præterea venit missus cum collibus altis,
Undique carnali monte superbus apex.
Deliciis cunctis, quas terra vel unda ministrat,
Compositis epulis hortulus intus erat.
Hæc ego nunc avidus superavi cuncta gulosus:
Et mons et hortus ventre tenetur iners.
Singula nec refero, quia me tua munera vincunt:
Ad cœlos victrix et super astra voles. |
Vous m'ordonnez
avec une charitable sollicitude de vous faire savoir comment ont été
consommés les mets que vous m'avez envoyés. Les légumes arrosés de miel
ont fait aujourd'hui les frais du premier service; on y est revenu non
pas une, non pas deux, mais trois et quatre fois. J'aurais pu me
repaître de leur seule odeur. Un seul porteur ne suffit pas pour servir
tous ces mets; ils mirent sur les dents tous ceux qui s'y relayèrent. On
apporta ensuite un superbe morceau de viande dressé en forme de
montagne, et flanqué de hautes collines dont les intervalles étaient
remplis par un jardin de ragoûts variés où entraient les produits les
plus délicieux de la terre et des eaux. Avide et gourmand comme je le
suis, j'ai eu raison de tout cela, et montagne et jardin ont trouvé
place en mon ventre. Je ne rapporte pas chaque chose en détail, car vos
largesses m'ont vaincu. Volez donc victorieuse au ciel et par delà les
astres. |
|
X. Item aliud de eadem re.
|
X. A la même sur le même sujet.
|
|
Multiplices epulæ
concurrunt undique fusæ;
Quid prius excipiam, me bonus error habet.
Carnea dona tumens argentea gavata perfert,
Quo nimium pingui jure natabat holus.
Marmoreus defert discus quod gignitur hortis,
Quo mihi mellitus fluxit in ore sapor.
Intumuit pullis vitreo scutella rotatu,
Subductis pinnis quam grave pondus habens!
Plurima de pictis concurrunt poma canistris,
Quorum blandifluus me saturavit odor.
Olla nigella nimis dat candida pocula lactis,
Atque superba venit quæ placitura fuit.
Hæc dominæ matri famulans, hæc munera natæ
Junctus amore pio tertius ipse loquor. |
Les mets se
multiplient, se confondent et arrivent de tous les côtés. Lequel prendre
d'abord? charmante incertitude! c'est d'abord, dressé sur un plat
d'argent (01), un beau morceau de
viande, accompagné de légumes qui nagent dans une sauce extrêmement
grasse; c'est ensuite un plat de marbre où sont des produits du jardin,
dont l'assaisonnement au miel m'a ravi le palais. Une écuelle en verre
contourné (02) est toute chargée de
poulets, lesquels sans leurs plumes sont encore d'un poids énorme.
Quantité de fruits s'offrent pêle-mêle dans des corbeilles ornées de
peintures; seule, leur odeur suave assouvit ma faim. Une jarre de terre
noire me donne un lait de toute blancheur; elle arriva triomphante; elle
était bien sûre de me plaire. C'est ainsi que soumis à la mère, ma
maîtresse, je lui rends compte de l'emploi des présents de sa fille,
demeurant toujours avec elles en tiers dans leur pieuse affection. |
|
XI. Item aliud de floribus.
|
XI. A la même sur des fleurs.
|
|
Respice delicias,
felix conviva, beatas,
Quas prius ornat odor quam probet ipse sapor.
Molliter adridet rutulantum copia florum,
Vix tot campus habet quot modo mensa rosas.
Albent purpureis ubi lactea lilia blattis,
Certatimque novo fragrat odore locus.
Insultant epulæ stillanti germine fultæ;
Quod mantile solet, cur rosa pulchra tegit?
Complacuit melius sine texile tegmine mensa,
Munere quam vario suavis obumbrat odor;
Enituit paries viridi pendente corymbo:
Quæ loca calcis habet, huc rosa pressa rubet.
Ubertas rerum tanta est, ut flore sereno,
Mollia sub tectis prata virere putes.
Si fugitiva placent, quæ tam cito lapsa recedunt,
Invitent epulæ nos, paradise, tuæ.
Dædalicis manibus nituit textura sororis;
Tantum digna fuit mater habere decus. |
Heureux convive,
vois ces apprêts délicieux qui se recommandent par leur bonne odeur,
avant de se faire estimer par leur saveur ; vois cette quantité de
fleurs brillantes qui te sourient agréablement. La campagne offre à
peine autant de roses que cette table. Les lys à la blancheur lactée y
ressortent sur un fond de pourpre, et les uns à l'envi des autres
embaument ces lieux de leurs parfums nouveaux. C'est sur ce parterre qui
dégoutte de rosée que les plats sont dressés. Pourquoi les roses
couvrent-elles ce que la nappe couvre ordinairement? c'est qu'une table
sans nappe, mais avec des fleurs variées et odoriférantes qui en
tenaient lieu, devait plaire davantage. Sur les murs tapissés de
guirlandes de lierre, et où des masses de roses prodiguent leur éclat,
on ne voit plus la chaux dont ils sont enduits. Telle est la richesse du
décor qu'outre ces gracieuses fleurs, on penserait voir les prés verdir
jusque sous les toits. Mais si ce qui nous plaît tant passe si vite, ô
paradis, invite-nous à tes festins. Tout cela est l'œuvre des mains
industrieuses de ma sœur, et ma mère était digne d'en avoir l'honneur. |
|
XII. Item aliud pro eulogiis.
|
XII. Pour des eulogies (01). A la même.
|
|
Munera direxi, sed
non mea, crede fatenti,
Ad te quæ veniunt sunt tua dona magis.
Melle superfusas cunctorum porrigis escas,
Cujus ab ore pio dulcia mella fluunt.
Copia quanta mihi maneat de munere vestro,
Credite, dum spargit jam gula victa cibos.
Sed mihi da veniam, venerando corde benigna:
Quod præsumpsit amor sit veniale mihi.
Nunc Christum pro me chorus ille verendus adoret,
Nec peccatorem me mea culpa gravet. |
Je vous ni envoyé
des présents, non pas les miens, croyez-en cet aveu ; ce sont plutôt les
vôtres qui vous font retour. Vous nous offrez des mets largement arrosés
de miel, vous dont la sainte bouche distille le miel le plus doux. Ce
qu'il me reste de vos friandises est énorme ; veuillez m'en croire,
pendant que ma gourmandise vaincue les rejette. Mais pardonnez-moi, sœur
vénérée, cœur excellent : si mon amitié fut présomptueuse, que ce ne
soit là qu'un péché véniel. Et maintenant que votre vénérable communauté
prie pour moi le Christ, afin qu'il n'y voie pas un péché plus grave. |
|
XIII. Item aliud pro castaneis.
|
XIII. Pour des châtaignes. (A Radegonde et Agnès.)
|
|
Ista meis manibus
fiscella est vimine texta:
Credite mi, caræ, mater et alma soror;
Et quæ rura ferunt, hic rustica dona ministro,
Castaneas molles, quas dedit arbor agris. |
Cette corbeille
d'osier a été tissée de mes mains, croyez-m'en, chère mère et chère
sœur; elle contient des châtaignes, présent rustique que je vous offre,
et qui vient d'un châtaigner de la campagne. |
|
XIV. Item aliud pro lacte.
|
XIV. Pour du lait. (A Agnès.)
|
|
Aspexi digitos per
lactea munera fixos,
Et stat picta manus hic ubi crama rapis.
Dic, rogo, quis teneros sic sculpere compulit ungues?
Dædalus an vobis doctor in arte fuit?
O venerandus amor cujus, faciente rapina,
Subtracta specie, venit imago mihi!
Spes fuit, hæc quoniam tenui se tegmine rupit:
Nam neque sic habuit pars mihi parva dari.
Hæc facias longos, Domino tribuente, per annos,
In hac luce simul matre manente diu. |
J'ai vu la marque de vos doigts sur ces blancs-mangers dont vous m'avez
fait présent, et celle de votre main est restée là où vous avez enlevé
la crème. Dites-moi, je vous prie, qui a dressé vos ongles délicats à
graver si bien? Dédale aurait-il été votre maître? O amitié vénérable
dont l'image m'était représentée et par les empreintes laissées sur ces
mets, et par les parties qu'on eu avait enlevées !
Mais ce ne fut
qu'une vision passagère. L'image se rompit dans son enveloppe trop
mince, et je n'en pus sauver même une parcelle (01).
Que le Seigneur vous fasse la grâce de vous livrer pendant de longues
années encore à de tels amusements et puisse pendant tout ce temps-là
votre mère rester parmi vous! |
|
XV. Item aliud pro lacte.
|
XV. Sur le même sujet. (A Radegonde et Agnès.)
|
|
Quid tam dulce
darent mihimet materque sororque,
Quam modo quod tribuunt congrue lactis opem,
Sicut apostolico præcepit dogmate Paulus:
Cum infirmis animis lac jubet ipse dari?
Sollicitam mentem geritis de nomine nostro,
De vobis semper sit pia cura Deo. |
Que pouvaient ma
mère et ma sœur me donner d'aussi délicieux que ce lait, venu si à
propos pour réparer mes forces? Car selon l'ordonnance de l'apôtre saint
Paul, le lait est la nourriture des malades (01).
Vous vous montrez soucieuses de ma renommée; que Dieu ait toujours de
vous le plus tendre soin. |
|
XVI. Item aliud pro prandio.
|
XVI. Sur un dîner. (A Agnès.)
|
|
Nescivi, fateor,
mihi prandia lassa parari:
Sic animo merear posse placere tuo;
Nec poterant aliqui vultu me avellere vestro,
Si non artificis fraus latuisset inops.
Quis mihi det reliquas epulas, ubi voce fideli,
Delicias animæ te loquor esse meæ
A vobis absens colui jejunia prandens,
Nec sine te poterat me saturare cibus.
Pro summis epulis avido tua lingua fuisset,
Replessent animum dulcia verba meum.
Ordine sed verso medicus fera vulnera gignit
Et fallax artem decipiendo probat.
Quem nunquam saturat, quidquid mare, terra ministrat,
Credebat solo me saturare meo.
Sed modo da veniam, quæso, pietate parata,
Alterius facinus nec mihi constet onus. |
J'ignorais, je l'avoue, que vos dîners avaient été préparés pour moi, et
s'étaient lassés de m'attende. Je ne mérite donc pas d'avoir encouru
votre déplaisir. Jamais on n'eut pu me soustraire à votre compagnie, si
l'on n'eût usé pour cela d'un misérable artifice. Qui me rendra ces
repas où je vous dis avec franchise que vous êtes les délices de mon
âme? Dîner loin de vous et jeûner, c'était tout un pour moi; nul mets
sans vous ne pouvait me rassasier. Quelque faim que j'aie eue, votre
douce parole m'eût tenu lieu des plats les plus relevés, et elle eût
rempli mon cœur. Le médecin par un procédé contraire fait de cruelles
blessures. Tout médecin est trompeur, et c'est en trompant qu'il
démontre son art. Le mien qui n'est jamais rassasié de tout ce que. la
terre et l'eau lui fournissent, a pensé que j'aurais assez de mon seul
ordinaire (01). A présent donc que
je vous ai préparée à la pitié, pardonnez-moi, et ne mettez pas à ma
charge le crime d'autrui. |
|
XVII. Item aliud pro munere suo.
|
XVII. Sur un présent fait par lui.
|
|
Composui propriis
manibus munus amoris,
Sed tibi vel dominæ sit rogo dulce meæ,
Quamvis exiguo videantur inepta paratu:
Crescant affectu quæ modo parva fero.
Si bene perpendas, apud omnes semper amantes,
Muneribus parvis gratia major inest. |
Ce gage de mon amitié est l'œuvre de mes mains; je souhaite qu'il vous
agrée à vous et à ma maîtresse (Radegonde), quoiqu'il soit bien médiocre
et d'une pauvre exécution. Mais que ma bonne intention en augmente le
prix. Si vous voulez bien réfléchir, vous verrez que les petits présents
de ceux qui aiment avec constance ont une grâce que n'ont pas les
autres. |
|
XVIII. Item aliud pro prunellis.
|
XVIII. Pour des prunes. (A Radegonde et Agnès.)
|
|
Transmissas epulas,
quæ pruna nigella vocantur,
Ne rogo despicias, quæ mihi silva dedit.
Si modo dignaris silvestria sumere poma,
Unde placere queam, dat meliora Deus.
Hoc quoque non metuas quod ramo umbrante pependit
Non tellus fungos, sed dedit arbor opes.
Non ego crudelis qui matri incongrua præstem:
Nec dubites puros sumere fauce cibos. |
Je vous envoie de
quoi faire bombance. Ce sont des prunes noires, comme on les appelle. Je
les ai cueillies dans le bois ; ne les dédaignez pas, je vous prie. Si
vous voulez bien accepter ces fruits sauvages, j'ai, grâce à Dieu,
quelque autre chose en réserve qui ne vous déplaira pas. Ne vous
effrayez pas de ce qu'elles pendent à leur branche; ce ne sont pas là
des champignons sortis de terre, ce sont des fruits qu'un arbre a portés
(01). Je n'aurais pas la cruauté de
donner à ma mère ce qui pourrait lui faire du mal ; cet aliment est
sain, elle peut en manger sans crainte. |
|
XIX. Pro aliis deliciis et lacte.
|
XIX. Pour d'autres friandises et du lait. (A Agnès.)
|
|
Inter multiplices
epulas jejunia mittis,
Atque meos animos plura videndo cremas.
Respiciunt oculi medicus quo non jubet uti,
Et manus illa vetat, quod gula nostra rogat.
Attamen ante aliud cum lactis opima ministras,
Muneribus vincis regia dona tuis.
Nunc cum matre pia gaudens soror esto, precamur:
Nam nos lætitiæ mensa benigna tenet.
|
Avec tous vos
mets délicats, c'est le jeûne que vous m'envoyez et le supplice du feu
que vous me faites endurer rien qu'à les voir. Ce que convoitent mes
yeux le médecin l'interdit a ma bouche, et sa main me retire ce
qu'appète ma gourmandise. Cependant, comme avant tout vous me servez
d'excellent lait, vos présents l'emportent sur tous les présents des
rois. Maintenant, mu sœur, réjouissez-vous, je vous prie avec notre
pieuse mère ; bonne est la table où je suis, car c'est la table de la
joie (01). |
|
XX. Pro ovis et prunis.
|
XX. Pour des œufs et des prunes. (A Radegonde et Agnès.)
|
|
Hinc me deliciis,
illinc me pascitis herbis,
Hinc ova occurrunt, hinc mihi pruna datur.
Candida dona simul præbentur et inde nigella:
Ventri utinam pax sit, sic variante cibo!
Me geminis ovis jussistis sero cibari;
Vobis vera loquor : quatuor ipse bibi
Atque utinam merear cunctis parere diebus:
Sic animo, ceu nunc hoc gula jussa facit. |
D'une part des
friandises, de l'autre des légumes ; ici des œufs et là des prunes ; ce
sont là vos présents et c'est ma nourriture. Il y en a de blancs, il y
en a de noirs. Puisse cette bigarrure ne point troubler la paix de mon
ventre ! Vous m'ordonnez de m'en tenir à deux œufs le soir : à vous dire
vrai, j'en ai gobé trois. Plaise à Dieu que tous les jours de ma vie ma
pensée obéisse à vos ordres comme ma gourmandise le fait aujourd'hui. |
|
XXI. De absentia sua.
|
XXI. Sur son absence. (Aux mêmes.)
|
|
Si me non nimium
pluviatilis aura vetaret,
Dum nesciretis, vos repetisset amans.
Nec volo nunc absens una detenter ut hora,
Cum mea tunc lux est quando videtur amans. |
Si une forte pluie ne l'en eût empêché, votre ami fût allé vous
surprendre. Désormais je ne veux pas être absent une seule heure des
lieux où vous êtes; car je vous aime, et vous voir pour moi c'est la
vie. |
|
XXII. De convivio.
|
XXII. Sur un repas. (A Radegonde.)
|
|
Per pietatis opus,
per qui pius imperat astris,
Per quod mater amat, frater et ipse cupit:
Ut, dum nos escam capimus, quodcumque ciberis,
Quod si tu facias, bis satiabor ego. |
Au nom de la piété, au nom de celui qui commande aux astres, au nom de
ce que lanière aime, le frère désire vivement que tandis que nous
mangeons, vous preniez vous-même quelque nourriture. Si vous le faites,
j'aurai mangé deux fois. |
|
a. Item de eadem re.
|
a. Même sujet.
|
|
Deliciis variis
tumido me ventre tetendi,
Omnia sumendo: lac, holus, ova, butur.
Nunc instructa novis epulis mihi fercula dantur,
Et permixta simul dulcius esca placet.
Nam cum lacte mihi posuerunt inde buturum:
Unde prius fuerat, huc revocatur adeps. |
J'ai mangé tant de bonnes choses que j'en ai le ventre gonflé comme un
ballon. Le lait, les légumes, les œufs, le beurre, tout y a passé. Mais
voici qu'il m'arrive d'autres mets et d'un genre nouveau. Le mélange en
pareil cas est un agrément et une douceur de plus. Ici est le beurre, à
côté est le lait; ainsi le corps gras se rapproche de l'élément dont il
est formé. |
|
XXIII. Item versus in convivio factus.
|
XXIII. Vers sur un festin. (A Radegonde et à Agnès.)
|
|
Inter delicias
varias mixtumque saporem,
Dum dormitarem dumque cibarer ego,
(Os aperiebam, claudebam rursus ocellos,
Et manducabam somnia jura videns),
Confusos animos habui, mihi credite, caræ,
Nec valui facile libera verba dare.
Nec digitis poteram, calamo neque pingere versus,
Fecerat incertas ebria Musa manus.
Nam mihi vel reliquis sic vina bibentibus apta
Ipsa videbatur mensa natare mero.
Nunc tamen, ut potui, matri pariterque sorori,
Alloquio dulci carmina parva dedi.
Et si me somnus multis impugnat habenis,
Hæc dubitante manu scribere traxit amor. |
Plongé dans les délices d'une table où il y en avait pour tous les
goûts, je mangeais et sommeillais en même temps. Tantôt j'ouvrais la
bouche, tantôt je fermais les yeux, et tout en mangeant, j'avais,
croyez-moi, mes amies, l'esprit trop brouillé pour être en état de
parler à mon aise et avec facilité. Mes doigts ni ma plume n'étaient
capables d'écrire des vers ; ma muse était ivre, et ma main n'eût formé
que des zigzags. A moi et aux autres buveurs la table semblait nager
dans le vin. Cependant pour répondre aux aimables sommations de ma mère
et de ma sœur, je leur ai fait aujourd'hui comme je l'ai pu, ces
quelques vers. Quoique le sommeil m'assaille et m'enlace, mon amitié me
pousse à vous écrire ; mais ma main est bien mal assurée. |
|
a. Item de eadem re.
|
a. Sur le même sujet.
|
|
Blanda magistra suum
verbis recreavit et escis,
Et satiat vario deliciante joco. |
La conversation et la table de ma douce maîtresse ont récréé son
serviteur ; ses diverses et charmantes plaisanteries, l'ont extrêmement
diverti. |
|
XXIV. De munere suo.
|
XXIV. Sur un présent qu'il leur fait. (Aux mêmes.)
|
|
Si non complestis
quod hic completa vocatur,
Hæc, rogo suppliciter, suscipe, summe libens.
Nec parva spernas: non tu mea vota requiras,
Munere in angustum cernitur amplus amor. |
Si vous n'avez pas encore complété, comme on dit ici les compiles (01),
je vous prie humblement d'accepter de bon gré ces présents. Ne les
dédaignez pas à cause de leur peu de valeur, car si vous me demandez ce
que j'en pense, je vous dirai qu'on voit la grandeur de l'amitié dans la
petitesse du présent. |
|
XXV. Ad easdem de itinere suo.
|
XXV. Sur son voyage. (Aux mêmes.)
|
|
Casibus innumeris
hominum momenta rotantur,
Instabilique gradu pendula vita meat.
Ipsa futurarum titubans mens anxia rerum,
Ventura ignorat quid sibi lux pariat.
Nam me digressum a vobis Eomundus amator
Illa suscepit qua bonitate solet.
Hinc citus excurrens Cariacæ devehor aulæ;
Tuncillacensi perferor inde loco.
Hinc sacer antistes rapuit me Domitianus,
Ad sancti Albini gaudia festa trahens.
Inde relaxatus, per plura pericula, fessa,
Puppe sub exigua fluctus et imber agit.
Quo gravis incumbens Aquilo subverterat amnem,
Et male curvatos extulit unda sinus:
Nec sua commotos capiebant litora fluctus,
Invadunt terras æquora fusa novas.
Pascua, rura, nemus, segetes, viburna, salictum,
Viribus iratis una rapina tenet.
Huc mihi commissi per confraga murmura ponti
Flatibus horrificis laxa fremebat hiems.
Surgebatque cadens per aquosa cacumina puppis,
Ascendens liquidas monte vcacante vias:
Quo rate suspensa modo nubila nauta tenebat,
Gurgite subducto rursus ad arva redit.
Fluctibus infestis pelagi spumante procella,
Assidue rapidas prora bibebat aquas;
Æquora lambebant inimica pace carinam.
Tristius amplexu nos nocitura suo.
Sed mora nulla vetat varias memorare querelas,
Post referenda simul, murmura corde tego.
Hoc mihi præcipue divina potentia præstet.
Ut cito felices vos revidere queam. |
Les courts instants de la vie humaine sont troublés par d'innombrables
incidents, et la vie elle-même s'écoule dans l'inconstance et
l'instabilité. De son côté l'esprit manque d'équilibre, incertain qu'il
est de l'avenir, et ne sachant pas même ce qu'enfantera le lendemain.
Quand j'eus pris congé de vous, l'ami Eomundus me reçut avec sa bonté
habituelle. Je le quittai pour me rendre en toute bite au palais de
Cariac (01), d'où je partis pour
aller à Tincillac (02). De là
l'évêque Domitianus (03) m'entraîna
aux fêtes célébrées en l'honneur de Saint-Albin (04).
Cela fait, je montai sur un petit bateau, qui, emporté par le courant et
pendant qu'il pleuvait, me poussa déjà fatigué et non sans de nombreux
périls, vers un point où un fort vent du nord bouleversait le fleuve (05)
et faisait décrire aux flots des sinuosités extravagantes. Les rives
étaient impuissantes à contenir les eaux. Celles-ci envahissaient les
terres, et leurs forces irritées entraînaient à la fois les prés, les
champs, les bois, les moissons, les viornes et les saules. Pendant que
j'étais ainsi le jouet des flots déchaînés, le vent et la pluie
faisaient rage. Le bateau tour à tour escaladait les vagues et retombait
dans l'abîme. Tantôt ferme à la barre, le pilote maîtrisait la
tourmente, tantôt il était chassé vers la rive par une lame énorme qui
se retirait ensuite. Cependant battu par les flots ennemis et noyé
d'écume, l'esquif ne cessait d'embarquer de l'eau. Les lames léchaient
sa coque; caresses hostiles sous des apparences de paix, et pour nous
d'autant plus perfides et dangereuses. Mais le temps me manque pour
rappeler tous mes sujets de plaintes, et je renferme en moi des murmures
qui en sortiront plus tard tous à la fois. Surtout, que la puissance
divine me fasse la grâce de vous revoir heureuses d'ici à peu de temps. |
|
XXVI. Item aliud.
|
XXVI. Même sujet. (Aux mêmes) (01).
|
|
Passim stricta riget
glacies concreta pruina,
Nec levat adflictas flexilis herba comas.
Terra jacet crustata gelu sub cortice duro,
Mollis et arboreas nix tegit alta comas.
Proflua crustatum struxerunt flumina murum,
Et densata gravem vestiit unda cutem.
Mole sua frenantur aquæ, se lympha ligavit,
Obice sub proprio vix sibi præbet iter.
Fluminibus mediis nata est crystallina ripa,
Nec capimus subter, nec super itur iter.
Asperius tumuit glacies Aquilone fremente:
Cui dabit illa viam quæ sibi pugnat aqua?
Sed si concipitur nunc spiritus ille caloris
Qui tum in principio perferebatur aquis,
Assiduis precibus si flectitis Omnipotentem
Et mihi, ceu cupitis, prosperiora datis.
Nam vobis parere animo quodcumque jubetur
Posse utinam sic sit, quam mihi velle placet. |
Il gèle serré partout ; l'herbe flexible baisse la tête et n'a plus la
force de la relever. La terre est couverte d'une écorce dure, et les
branches des arbres sont chargées d'une neige molle et épaisse. Sur les
fleuves qui coulaient à l'aise, s'est formée une croûte solide comme un
mur; l'eau condensée s'est revêtue d'une cuirasse pesante. Arrêtées par
leur propre masse, les eaux se sont liées d'elles-mêmes, et c'est à
peine si à travers les digues qu'elles ont élevées, elles se frayent un
passage. Des rives de glace se sont formées au milieu des fleuves; nous
ne souhaitons pas d'aller dessous, et l'on ne peut non plus aller
dessus. La glace s'est amoncelée sous l'influence d'un vent du nord
violent. Qui donc laissera-t-elle passer cette eau qui combat contre
elle-même? Mais s'il vient à souffler un vent tiède comme celui qui a
l'origine du monde était porté sur les eaux, et si par vos fréquentes
prières vous fléchissez le Tout-puissant, j'arriverai heureusement ainsi
que vous le désirez (02), car, de
vous obéir de cœur en tout ce que vous m'ordonnerez, plaise à Dieu que
j'en aie le pouvoir aussi bien que j'y aurais de plaisir et que j'en ai
la volonté! |
|
NOTES SUR FORTUNAT, LIVRE XI.
-------------<*****>-------------
II.
01. — Voy. liv. VIII, pièce
ix, note 1, et la Vie de sainte
Radegonde, par Fortunat, dans ses écrits en prose.
III.
01. — Ce jour de naissance d'Agnès n'était pas le jour où elle
était née à la vie charnelle, mais celui où, ayant été choisie par Radegonde
pour être abbesse du monastère de Sainte-Croix, elle était née en même temps a
la vie spirituelle. C'est ainsi que le natalis dies
des évêques était le jour de leur intronisation, et qu'on en célébrait
exactement les anniversaires.
02. — Il entend par là les religieuses de Sainte-Croix.
IV.
01. — Fortunat par ce mot d'agent entend bien, selon son
habitude, faire un jeu de mot avec Agnès, comme il en a fait un d'agnus
avec la même, dans la pièce III de ce livre, vers 10. Mais s'il se pare de
cette qualification d'agent, il en a le droit, car il était effectivement
l'agent in rebus, l'homme d'affaire du monastère, des intérêts
duquel il s'occupait avec l'approbation et au grand contentement de la mère
et de l'abbesse. — « Au bas empire on nommait agentes in rebus,
magistriani ou ministeriani,
une classe d'employés du palais mis à la disposition du ministre chargé de
la police générale (magister offîciorum), pour
remplir des missions au dehors. Placés jadis sous les ordres du préfet du
prétoire (præfectus prætorio), ils avaient pris la
place des agents appelés frumentarii, que leurs
exactions avaient fait supprimer à l'époque de Dioclétien. » (Diction. des
antiquités de MM. Daremberg et Edm. Saglio, au mot Agentes in
rebus).
02. — Il s'adresse ici également à Agnès et à Radegonde.
03. — Modico vino utere propter stomachum,
dit saint Paul à Timothée, I, 5, 23.
V.
01. — Cette pièce ne me paraît guère correspondre au titre, à
moins qu'on n'entende comme je l'ai fait l'hodiernum
tempus du troisième vers par le
natalis dies; ce qui n'est pas impossible.
02. — C’est Radegonde qui lui avait donné cet ordre.
VI.
01. — Mère par sa dignité d'abbesse, titre auquel Agnès
avait droit et que lui donnaient toutes les sœurs. Le poète ne le lui donne ici
qu'à cause de cela, et en ayant soin d'y joindre immédiatement celui de sœur. Sa
mère par excellence et qu'il ne cesse d'appeler ainsi, comme ci-devant
pièce iv, était Radegonde. — M.
Léo dit de ce poème qu'il a été écrit après la mort de Radegonde. Est-ce parce
que celle-ci est appelée beatæ au vers 11? Mais le
vers 16 et dernier où lit le mot vos paraît assez indiquer que le poète
s'adresse et à Agnès et à Radegonde.
IX.
(01)
Les eulogies, selon l'ancien usage et dans la langue de l'Église, étaient des
pains bénits qu'on offrait aux fidèles pendant la messe, et dont ou réservait
une partie pour la sainte Eucharistie. C'était aussi des pains et autres
aliments que les évêques et les prêtres, après les avoir bénits, s'envoyaient
les uns les autres, en les accompagnant de missions salutatoires. C'était
encore la desserte de la table des évêques et des abbés, qui était distribuée
probablement aux pauvres. Enfin on comprit sous le nom d'eulogies tout présent
même profane envoyé ou reçu, et c'est de celles-ci qu'il s'agit dans cette pièce
et dans d'autres de Fortunat.
X.
01. — Voy. note 1 de la pièce
xxiv du livre VII.
02. — Il me paraît difficile d'entendre autrement que je l'ai
fait les mots vitreo rotatu; on fabrique encore
des corbeilles formées de bâtonnets de verre contournés et entrelacés, comme
sont les corbeilles d'osier. Voy. la pièce
xiii. Après tout, peut-être ne
s'agit-il que d'une écuelle ronde. Tous ces détails seraient très précieux pour
l'industrie mérovingienne, s'ils étaient plus clairs.
XII.
01. Voy. la note 1 de la pièce
ix.
XIV.
01. Quels pouvaient être des mets au lait qui gardaient la marque
des doigts de l'artiste et dans les dessins qu'il y avait tracés, et dans les
vides qu'il y avait laissés? Quelque chose comme des blanc-mangers, ou tout
autre laitage rendu solide de manière à pouvoir subir cette double opération?
Quoi qu'il en soit, et tout persuadés que nous devions être de l'excellence d'un
mets préparé par des mains si délicates et si industrieuses, la description
qu'en fait le poète n'est pas assez claire, assez précise pour en extraire la
formule d'un plat dont les Cuisinières bourgeoises puissent enrichir
leurs nomenclatures.
XV.
01. — Corinth.
I, 3.
XVI.
01. — Ainsi, le poète fut empêché par son médecin, sous quelque
fallacieux prétexte, d'assister au dîner qu'Agnès avait préparé pour lui, de là,
pour se venger, cette imputation de gourmandise qu'il lui adresse et ce jugement
sévère et laconique qu'il porte sur le corps si redoutable des suppôts
d'Esculape.
XVIII.
01. — A la façon dont Fortunat s'exprime, il semblerait
que ce fruit fût inconnu à Radegonde et à Agnès, puisqu'il les engage à n'en
avoir point de défiance; c'est fort probable. Il s'agit en effet de fruits issus
de sauvageons qui, ne se rencontrant que dans les bois où ni l'une ni l'autre
n'avalent pour habitude de se promener, elles avaient besoin d'être assurées de
leurs propriétés inoffensives; sans quoi l'avertissement de Fortunat serait une
plaisanterie assez fade.
XIX.
01. — Je n'entends pas ce qu'il veut dire par cette table de la
joie. Peut-être s'agit-il de la sainte Table. Mais j'ai traduit littéralement.
XXIV.
01, — J'ai taché de conserver le jeu de mots dans ma traduction.
Une fois complies dites, il était défendu aux religieux d'avoir des entretiens
avec qui que ce fût, et d'en recevoir des cadeaux. Telle était la règle de saint
Benoît, qu'avait adoptée saint Césaire, et après lui Radegonde.
XXV.
01. — J'ignore quel est ce palais. Les éditeurs et annotateurs ne
donnent à cet égard aucun éclaircissement. Voy. sur les motifs de ce voyage
l'en-tête des notes de la pièce viii
du livre VI.
02. — Tincillac parait avoir été un monastère où saint Albin fut
abbé, avant d'être évêque d'Anjou, comme le dit Fortunat dans la vie de ce
saint, n° 5. C'est sans doute de ce monastère où il était alors que Fortunat fut
appelé par Domitianus pour venir à Angers célébrer la fête de saint Albin,
03. — Ce Domitianus succéda à Eutrope sur le siège d'Angers. Il
avait assisté au troisième concile de Paris en 557, puis au second de Tours en
566. Fortunat dit liv. III, vi,
qu'il présida à la dédicace de l'église de Nantes; en 568, suivant
Lecointe.
04. — Fortunat écrivit la Vie de saint Albin, selon le témoignage
de Grégoire de Tours, De Glor. Confess., 96,
et cette vie est comprise en effet dans les écrits en prose de Fortunat. M.
Ebert, dans son Histoire de la littérature du moyen âge en Occident,
traduite de l'allemand par le docteur Joseph Aymeric et le docteur James
Condamin, t. 1, p. 576, remarque que cette vie de saint Albin est le premier
essai de Fortunat dans la prose en général, et il fonde cette assertion sur ces
paroles du prologue adressé à un « personnage apostolique » : « Quid
ergo a me infra doctorum vestigia latitante res alta requiritur,
quem ad scribendi seriem nec natura profluum, nec litteratura facundum, nec ipso
usque quaque usus reddidit
expeditum. » Voy. cette Vie de saint Albin dans la Patrologie de
Migne, t. 88, p. 479 et suivantes.
05. — Ce fleuve était ou la Mayenne ou la Sarthe.
XXVI.
01. — Voy. sur les motifs de ce voyage dont on ignore le
but, l'en-tête des notes de la pièce vii
du liv. VI.
02. — Ce vers est extrêmement obscur, et l'on
ne peut qu'en conjecturer le sens, bien loin d'oser l'affirmer. Il se déduit
toutefois assez naturellement de l'ensemble de la pièce. Mais il ne souffrirait
aucune difficulté si au lieu de prosperiora datis
on lisait pronperiora dabit, ce dernier mot se
rapportant à omnipotentem du vers précédent. La
construction ne serait pas moins vicieuse, mais Fortunat en offre maints
exemples.
|