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A LA TABLE DES MATIÈRES DE FORTUNAT
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
FORTUNAT
POÉSIES
LIVRE VII
vie -
dissertation - livre I -
livre II - livre III -
livre IV - livre V -
livre VI - livre VIII - livre IX -
livre X - livre XI -
Appendice
VENANCE FORTUNAT
POÉSIES MÊLÉES
LIBER SEPTIMUS
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LIVRE SEPTIÈME
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I. Ad Gogonem.
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I. A Gogon (01).
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Orpheus orditas
moveret dum pollice chordas,
Verbaque percusso pectine fila darent,
Mox resonante lyra tetigit dulcedine silvas,
Ad citharae cantus traxit amore feras
Undique miserunt vacuata cubilia dammas,
Deposita rabie tigris et ipsa venit.
Sollicitante melo nimio filomela volatu,
Pignora contemnens, fessa cucurrit avis.
Sed quamvis longo spatio lassaverat alas,
Ad votum veniens se recreavit avis.
Sic stimulante tua captus dulcedine, Gogo,
Longa peregrinus regna viator adit.
Undique festini veniant ut promptius omnes,
Sic tua lingua trahit, sicut et ille lyra.
Ipse fatigatus huc postquam venerit exul,
Antea quo doluit, te medicante, caret.
Eruis adflictis gemitus, et gaudia plantas;
Ne tamen arescant, oris ab imbre foves.
Aedificas sermone favos, nova mella ministrans,
Dulcis et eloquii nectare vincis apes.
Ubere fonte rigat labiorum gratia pollens,
Cujus ab arcano vox epulanda fluit.
Pervigili sensu dives prudentia regnat,
Fomite condito cui salis unda natat.
Qui fulgore animi radios a pectore vibras,
Et micat interior lux imitata diem.
Sed vicibus mundum modo sol, modo nubila complent:
At tua semper habent corda serena diem.
Visceribus promptis templum pietatis haberis,
Muneribusque sacris es fabricata domus.
Forma venusta tibi proprio splendore coruscat,
Ut mentis habitum vultus et ipse probet.
Omne genus laudum specie concludis in una,
Nec plus est aliquid quam tua forma gerit,
Principis arbitrio Sigiberti magnus haberis,
Judicium regis fallere nemo potest:
Elegit sapiens sapientem, et amator amantem,
Ac veluti flores docta sequestrat apes.
Illius ex merito didicisti talis haberi,
Et domini mores, serve benigne, refers.
Nuper ab Hispanis per multa pericula terris,
Egregio regi gaudia summa vehis.
Diligis hunc tantum, quantum meliora parasti:
Nemo armis potuit quod tua lingua dedit.
Haec bona si taceam, te nostra silentia laudant,
Nec voces spectes, qui mea corda tenes.
Vera favendo cano, neque me fallacia damnat,
Teste loquor populo, crimine liber ero.
Haec tibi longinquos laus ardua surgat in annos,
Haec te vita diu servet, et illa colat. |
Pendant qu'Orphée faisait vibrer d'une main les cordes de sa lyre, et
que, les frappant de l'autre avec le plectre (02),
il en tirait des sons harmonieux, il charmait les forêts par la douceur
de ses accords, et attirait à soi les bêtes captivées par la mélodie de
son instrument. Les daims, quittant leurs gîtes, accouraient de toutes
parts ; le tigre lui-même, dépouillant sa férocité, venait à son tour.
Philomèle ravie, laissait à l'abandon ses petits, et quoiqu'elle eût
forcé son vol et fait une longue traite, arrivée là où elle voulait
arriver, elle ne sentait plus la fatigue. Ainsi, Gogon, le voyageur
étranger, séduit par votre douceur enchanteresse, vient dans ces régions
lointaines où votre langage, comme la lyre d'Orphée, attire les gens, et
où ils rivalisent à qui viendra le plus vite. L'exilé, las du chemin,
arrivé près de vous, est réconforté avant d'avoir eu le temps de se
plaindre. Vous chassez le chagrin du cœur des affligés, et vous y semez
la joie; et pour que cette semence ne se dessèche pas, vous la
rafraîchissez des eaux de votre éloquence. Vous pétrissez de vos
discours et servez à qui vous écoute des gâteaux d'un miel nouveau dont
le nectar l'emporte sur celui de l'abeille (03).
Une source abondante de grâce coule de vos lèvres, et du fond de cette
source sort une voix qui est le régal des oreilles. Une prudence extrême
jointe à une raison toujours en éveil, mais qui recèle un foyer
d'enjouement, domine tout cela. Votre esprit lance des éclairs; des
traits de feu jaillissent de votre cœur, et une lumière pareille à celle
du jour illumine votre intérieur. Le soleil et les nuages règnent tour à
tour dans le ciel, mais le jour qui luit en votre cœur est constamment
serein. Le fond de votre âme qu'on voit à découvert est le temple de la
piété; vous êtes une maison construite de matériaux sacrés. Toute votre
personne a des beautés et des grâces qui vous sont particulières, et
votre visage est le reflet de votre âme. Tous les éloges possibles sont
compris dans celui-ci : il ne se peut rien voir de plus beau que vous.
La volonté du roi Sigebert vous a fait grand; nul ne peut tromper le
jugement de ce prince. Sage, il a choisi un sage, ami un ami ; il imite
l'abeille qui fait un choix parmi les fleurs. C'est de son mérite que
vous avez appris à être tel que vous êtes. Serviteur plein de bonté,
vous rappelez le caractère de votre maître. Il n'y a pas longtemps qu'à
travers mille dangers d'un voyage par terre, vous avez ramené à cet
excellent prince l'objet de ses désirs les plus vifs (04).
Vous l'aimez d'autant plus que vous lui avez procuré le plus précieux
des biens. Ce que vous avez obtenu par la parole, nul ne l'eût obtenu
par les armes. Si je n'en dis pas davantage, c'est que mon silence même
vous loue. Vous connaissez mon cœur; ne regardez donc pas à la manière
dont je m'exprime. La vérité parle par ma bouche ; on ne saurait me
taxer de mensonge. J'en atteste le peuple; son témoignage me justifiera.
Que la gloire grandisse pour vous d'année en année, et vivez longtemps
pour avoir longtemps ses faveurs. |
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II. Ad eundem, cum me rogaret ad cenam.
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II. Au même qui l'invitait à souper.
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Nectar, vina, cibus,
vestis, doctrina, facultas,
Muneribus largis tu mihi Gogo, sat es;
Tu refluus Cicero, tu noster Apicius extas,
Hinc satias verbis, pascis et inde cibis.
Sed modo da veniam: bubula turgente quiesco,
Nam fit lis uteri, si caro mixta fremat.
Hic ubi bos recubat, fugiet, puto, pullus, et anser,
Cornibus et pinnis non furor aequus erit.
Et modo jam somno languentia lumina claudo:
Nam dormire meum carmina lenta probant. |
Du nectar, des
vins, des mets, des habits, de la science, de la fortune! Vous m'êtes
assez, Gogon, sans tout cela. Vous m'êtes à la fois l'abondant Cicéron
et Apicius mon compatriote (01) ;
vous me rassasiez de beau langage et me nourrissez de bons morceaux.
Mais je demande grâce ; j'ai le ventre bourré de viande de bœuf; je me
recueille. Le mélange avec d'autres viandes me donnerait la colique. Où
le bœuf est couché, il n'y a place, selon moi, ni pour l'oie ni pour le
poulet; ils prendront la fuite. Dans la lutte entre cornes et plumes la
partie ne serait pas égale. Cependant, appesantis par le sommeil, mes
yeux se ferment; la faiblesse de ces vers prouve même que je dors déjà. |
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III. Item ad eundem.
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III. Au même.
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Quas
mihi porrexit modo pagina missa querellas,
Immunem culpae me loquor esse tuae.
Nam causam, remus, tua plus praesentia laesit:
Quo vos peccastis crimine, culpor ego.
Non tamen ex tali titulo dulcedo peribit:
Fructus amicitiae corde colente,manet. |
Malgré les plaintes que contient votre dernière lettre, je suis innocent
d'une faute qui est la vôtre. Mon avis est que votre présence a fait le
plus de mal. Je suis accusé d'un tort qui est de votre fait. Cependant
la douceur de nos rapports ne sera point troublée. Les fruits de
l'amitié subsistent dans le cœur qui sait les cultiver (01).
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IV. Item ad eundem.
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IV. Au même.
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Nubila,
quae, rapido perflante Aquilone, venitis,
Pendula sidereo quae movet axe rota,
Dicite qua vegitet carus mihi Gogo salute,
Quid placidis rebus mente serenus agit:
Si prope fluctivagi remoratur litora Rheni,
Ut salmonis adeps rete trahatur aquis.
Aut super uviferi Mosellae obambulat amnem,
Quo levis ardentem temperet aura diem.
Pampinus et fluvius medios ubi mitigat aestus;
Vitibus umbra rigens, fluctibus unda recens.
Aut Mosa dulce sonans, quo grus, ganta anser olorque est,
Triplice merce ferax, (alite, pisce, rate).
An tenet herbosis qua frangitur Axona ripis.
Cujus aluntur aquis pascua, prata, seges ;
Esara? Sara? Cares? Scaldis? Saba? Somena? Sura?
Seu qui MettiS adit, de sale nomen habens?
Aut aestiva magis nemorum, saltusque pererrans,
Cuspide, rete feras hinc ligat, inde necat?
Ardenna an Vosagus, cervi, caprae, helicis, uri
Caede sagittifera silva fragore tonat?
Seu validi bufali ferit inter cornua campum,
Nec mortem differt ursus, onager, aper?
An sua rura colens exusta novalia sulcat,
Et rude cervici taurus aratra gemit?
Sive palatina residet modo laetus in aula,
Cui schola congrediens plaudit amore sequax?
An cum dulce Lupo pietatis jura retractat,
Consilioque pari mitia mella creant?
Quo pascatur inops, viduae solatia praestent,
Parvus tutorem sumat, egenus opem?
Quidquid agunt, pariter felicia vota secundent;
Et valeant Christi regis amore frui.
Vos precor, o venti, qui curritis, atque reditis,
Pro Fortuna nuntia ferte suo. |
Nuages qui venez
à moi chassés par le rapide Aquilon, nuages que le soleil suspendu sur
son axe fait rouler dans l'espace, dites-moi comment se porte mon cher
Gogon, de quelles agréables affaires il occupe son brillant esprit, s'il
est arrêté sur les bords du Rhin au cours capricieux, pour y pécher au
filet le gras saumon, s'il se promène sur la Moselle aux riches
vignobles, où la chaleur du milieu du jour est tempérée à la fois par la
brise, par le fleuve et par les pampres, où l'ombre de la vigne est
froide, et fraîche l'eau du fleuve? Est-il retenu vers la Meuse aux doux
murmures, que hantent la grue, l'oie sauvage, l'oie domestique et le
cygne, et où fleurit le triple commerce du poisson, des oiseaux de
basse-cour et des bateaux? Ou est-il vers l'Aisne qui ronge ses rives
herbeuses et qui fertilise les prairies, les pâturages et les moissons?
Est-ce l'Oise qui le possède, la Sarre (02),
le Cheir (03), l'Escaut, la Sambre,
la Somme ou la Saur (04)? Est-ce la
rivière qui tire son nom du sel et qui coule vers Metz (05)?
Bat-il les bois où il a établi ses quartiers d'été, pour y frapper de
l'épieu les bêtes fauves ou les prendre dans ses toiles? Les Ardennes ou
les Vosges entendent-elles le sifflement des flèches meurtrières dont il
perce le chevreuil, le cerf, l'élech (06)
et l'aurochs? Ou bien frappe-t-il entre les cornes le buffle robuste, ou
s'il tue l'ours, l'onagre et le sanglier? Cultive-t-il ses domaines?
laboure-t-il ses terres en friche et brûlées par le soleil, où le jeune
taureau s'épuise à tirer la charrue? A-t-il le bonheur de résider
maintenant à la cour où les jeunes gens de l'école palatine le suivent
et l'acclament avec transport (07)?
Travaille-t-il avec le doux Lupus (08)
à réviser les lois sur la charité (09)
et composent-ils d'un commun accord un excellent miel, attentifs à
nourrir les pauvres, à consoler les veuves, à pourvoir de tuteurs les
orphelins, et à secourir ceux qui sont dans la détresse? Mais quoi
qu'ils fassent, puisse le succès couronner leurs efforts, et
puissent-ils être aimés du Christ? Vents qui allez et qui revenez,
portez-leur, je vous prie, des nouvelles de leur Fortunat. |
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V. De Bodegisilo duce.
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V. Du duc Bodégisile (01).
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Pectore
de sterili si flumina larga rigarem,
Non te sufficerem, dux Bodegisle, loqui.
Invasit nostram subito tua gratia mentem,
Ut modo plus vester quam meus esse velim.
Quo primum placidos merui cognoscere vultus,
Oris ab unguento membra refecta gero.
Conloquio dulci satiasti pectus amantis,
Nam mihi devoto dant tua verba cibum.
Distribuunt epulas alii, quae corpora supplent,
Unde animum saties, das magis ipse dapes.
Non sic inficiunt placidissima mella Falernum,
Ceu tuus obdulcat pectora nostra sapor.
Qualiter oblectas, quos semper amare videris,
Horae qui spatio me facis esse tuum?
Quae tibi sit virtus, si possem, prodere vellem,
Sed parvo ingenio magna referre vetor.
Exiguus titubo tantarum pondere laudum,
Sed melius gradior, quem tua facta regunt;
Massiliae ductor felicia vota dedisti,
Rectoremque suum laude perenne refert;
Hic tibi consimili merito Germania plaudit,
Cujus ad laudem certat uterque locus.
De bonitate tua lis est regionis utraeque:
Te petit illa sibi, haec retinere cupit.
Justitiam pauper nunquam te judice, perdit,
Nec poturit pretio vertere vera potens.
Non ligat inmunem, non solvit poena nocentem,
Nil persona capit, si sua causa neget.
Lumina cordis habes, animi radiante lucerna,
Et tuus aeterna luce coruscat apex.
Ingenio torrente loquax de fonte salubri,
Divitiasque pias ore fluente rigas.
Si videas aliquem defectum forte labore
Nilus ut Aegyptum, sic tua lingua fovet.
Qui patrias leges intra tua pectora condens,
Inplicitae causae solvere fila potes.
Assiduis epulis saturas, venerande, catervas,
Et repletus abit qui tua tecta petit.
Si venis in campos, ibi plebs pascenda recurrit,
Consequiturque suas te comitando, dapes.
Vota feras cunctis per saecula longa superstes;
Et maneas populi semper in ore potens. |
Mon esprit
stérile laissât-il échapper des torrents de paroles, ce ne serait pas
assez, duc Bodégisile, pour parler de vous. Mais vous l'avez rempli tout
à coup de votre grâce, et dès lors je veux être plus à vous qu'à
moi-même. A peine eus-je été digne de connaître, votre aimable personne
que je me sentis fortifié par l'onction de vos discours. La douceur de
vos entretiens comble de félicité ce cœur qui vous aime, et je me
nourris de vos paroles. Les mets que les autres distribuent réparent les
forces du corps; les vôtres sont la réfection de l'esprit. Le falerne
n'est pas plus saturé du miel le plus doux que mon cœur n'est pénétré de
la saveur de votre langage. Quels attraits n'avez-vous pas pour ceux que
vous paraissez avoir toujours aimés, puisque dans l'espace d'une heure
vous m'avez fait tout à vous? Je voudrais dévoiler tous vos mérites, si
j'en avais le pouvoir, mais mon chétif esprit ne me permet pas d'aborder
les grands sujets. Je chancelle sous le poids des louanges à vous
départir, et qui défient mon insuffisance et ma faiblesse. Mais
j'hésiterai moins en me réglant sur vos actes. Gouverneur de Marseille,
vous avez réalisé les plus heureuses promesses, et l'on n'entend dans
toutes lesquelles que l'éloge de votre gouvernement. Ici, en Germanie,
on vous applaudit pour les mêmes motifs; mais ici et là, c'est à qui
vous louera davantage. Votre bonté est un sujet de dispute entre les
deux pays; l'un veut vous attirer à soi, l'autre veut vous retenir (02).
Le pauvre, quand vous rendez la justice, est toujours sûr de l'obtenir,
et le riche avec son argent ne vous ferait pas prendre le faux pour le
vrai. La peine ne lie pas l'innocent et ne délie pas le coupable, nul ne
gagne sa cause si cette cause s'y refuse (03).
Vous avez les lumières du cœur; une lampe radieuse éclaire votre esprit;
votre tête, est ceinte de l'auréole éternelle. De votre ardent génie
s'échappe une fontaine murmurante et salubre, des trésors de piété
coulent de votre bouche. Si vous voyez quelqu'un épuisé par le travail,
vos paroles le raniment, comme les eaux du Nil rafraîchissent le sol de
l'Egypte. Connaissant à fond les lois de la patrie, vous savez
démêler les fils du procès le plus embrouillé. Il y a table ouverte chez
vous, digne Bodégisile; on y vient en foule, et l'on n'en sort que
l'estomac repu. Allez-vous dans les campagnes, le peuple accourt pour
avoir sa pitance, et en la poursuivant il forme un cortège à celui qui
la lui donne. Soyez, pendant de longues années encore, l'interprète des
vœux de tous, et que le peuple ne cesse de glorifier en vous l'homme qui
peut tout pour lui. |
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VI. De Palatina filia Galli Magni, uxore Bodegisili
ducis.
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VI. Sur Palatina, fllle de Gallus Magnus, femme de Bodégisile (01).
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Lucifer
ut nitidos producit in aethera vultus,
Clarior et laeto nuntiat ore diem,
Ornat eundo polum, terris quoque lampada mittit,
Atque inter stellas lumine regna tenet:
Sic, Palatina, tuo diffundens lumina vultu,
Femineos vincis pulchrior ore choros:
Aut tibi sic cedit muliebris turba decore,
Ut solis radiis lumine luna minor.
Clara serenatos permutat forma colores,
Lilia nunc reparans, nunc verecunda rosas.
Credite, nam si quis vultus conspexerit illos,
Hic relegit flores, quos dare verna solent.
Pingere non possunt pretiosam verba figuram.
Nec valet eloquium mira referre meum.
Gratior incessu, sensu reverenda pudico,
Talis in ingenio, qualis in ore nitor;
Blandior alloquio, placidis suavissima verbis:
Despiciamque lyram, si tua lingua sonat.
Pectore perspicuo sapientia provida fulget,
Ornatur sexus, te radiante, tuus.
Conjuge pervigili nituit magis aula mariti,
Floret et egregia dispositrice domus.
Jure quidem magna est, quae est Galli filia Magni,
Sed merito natae crevit honore pater.
Non aliter poterat nisi munere clarior esse,
Quae meruit celso digna placere viro.
Elegit e multis, quam carus amaret amantem.
Et judex patriae judicat ipse sibi.
Ambo pares juncti longos maneatis in annos,
Et quaecumque volunt gaudia vestra, ferant. |
Dès que la brillante étoile du matin paraît, l'horizon, annonçant par sa
clarté plus vive l'approche du jour, elle décore le ciel au fur et à
mesure qu'elle s'élève, lance ses feux jusque sur la terre, et domine
par son éclat toutes les autres étoiles. Ainsi Palatina, quand votre
visage lumineux s'épanouit, vous l'emportez en beauté sur toutes les
femmes, ou bien toutes les femmes vous cèdent comme l'humble lune au
soleil. Les couleurs qui distinguent ce visage varient dans leur
sérénité; tantôt elles rappellent le lis, tantôt la pudique rose. Mais à
le bien considérer, on y découvre, et l'on peut m'en croire, toutes les
fleurs que le printemps fait éclore. Nulles paroles ne sauraient peindre
cet incomparable visage, et toute mon éloquence serait impuissante à le
décrire. Votre démarche est pleine de grâce; chastes sont vos pensées et
commandent le respect, et quant à votre esprit, sa beauté répond à celle
de votre figure. Votre conversation est douce, caressante et suave ;
comparés aux sons de votre voix, ceux de la lyre ne méritent que le
mépris. La sagesse et la prudence brillent dans votre âme limpide; toute
votre personne enfin est radieuse. Sous l'œil vigilant d'une épouse
telle que vous, la cour de votre mari a plus de splendeur, et votre
habile direction se fait voir dans le gouvernement de sa maison. La
fille de Gallus le Grand est à bon droit grande elle-même, mais
l'honneur du père doit son accroissement aux mérites de la fille. Il
n'en pouvait être autrement de celle qui fut digne de plaire à un tel
mari, à moins qu'elle ne fût elle-même d'un rang au-dessus de lui (02).
Entre plusieurs autres femmes Bodégisile choisit celle qu'il aimait et
dont il était aimé, en quoi le juge de la patrie se jugea bien. Vivez
tous deux dans cette union pendant de longues années, et ayez toutes les
joies que vous désirez. |
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VII. De Lupo duce.
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VII. Sur le duc Lupus (01)
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Antiqui
proceres, et nomina celsa priorum
Cedant cuncta, Lupi munere victa ducis.
Scipio quod sapiens, Cato quod maturus habebat,
Pompeius felix, omnia solus habes:
Illis consulibus Romana potentia fulsit:
Te duce sed nobis hic modo Roma redit.
Te tribuente aditum, cunctis fiducia surgit,
Libertatis opem libera lingua dedit.
Maestitiam si quis confuso in pectore gessit,
Postquam te vidit, spe meliore manet.
Fundatus gravitate animi, quoque corde profundus,
Tranquilli pelagi fundis ab ore salem.
Sed facunda magis plebi tua munera prosunt:
Tu condis sensus; nam salis unda cibos.
Consilii radix, fecundi vena saporis,
Ingenio vivax, ore rotante loquax.
Qui geminis rebus fulges, in utroque paratus,
Quidquid corde capis, prodere lingua potest.
Pectore sub cujus firmantur pondera regis,
Pollet et auxilio publica cura tuo.
Subdis amore novo tua membra laboribus amplis:
Pro requie regis, dulce putatur onus.
O felix animus patriae qui consulit actus,
Et vivit cunctis mens generosa viris!
Legati adveniunt: te respondente, ligantur,
Et jaculo verbi mox jacuere tui.
Lancea sermo fuit, quoque vox armata loquentis,
Auspicium palmae te Sigeberethus habet.
Responsum gentis sensu profertur ab illo,
Et votum populi vox valet una loqui.
Cujus ab ingenio sortita est causa triumphum;
Adsertoris ope, justior illa fuit.
Nullus enim poterit proprias ita pandere causas,
Ceu tua pro cunctis inclita lingua tonat.
Nilus ut Aegyptum recreat, dum plenus inundat,
Sic tu colloquii flumina cuncta foves.
Justitia florente, favent, te judice, leges;
Causarumque aequo pondere libra manes.
Ad te confugiunt, te cingula celsa requirunt,
Nec petis ut habeas: te petit omnis honor:
In cujus gremio nutritur adepta potestas,
Quo rectore datus crescere novit apex.
Quam merito retinet concessos semper honores,
Per quem digna magis culmina culmen habent!
Antiquos animos Romanae stirpis adeptus,
Bella moves armis, jura quiete regis.
Fultus utrisque bonis, hinc armis, legibus illinc,
Quam bene fit primus cui favet omne decus!
Quae tibi sit virtus cum prosperitate superna,
Saxonis et Dani gens cito victa probat.
Bordaa quo fluvius sinuoso gurgite currit,
Hic adversa acies, te duce, caesa ruit.
Dimidium vestris jussis tunc paruit agmen;
Quam merito vincit, qui tua jussa facit!
Ferratae tunicae sudasti pondere victor,
Et sub pulverea nube coruscus eras.
Tamque diu pugnas, acie fugiente, secutus,
Langona dum vitreis terminus esset aquis.
Qui fugiebat iners, amnis dedit ille sepulchrum,
Pro duce felici flumina bella gerunt.
Inter concives meruit te Gallia lumen,
Lampade qui cordis splendor ubique micas.
Sunt quos forma potens sunt quos sapientia praefert:
Singula sunt aliis, sed bona plura tibi.
Occurrens dominis veneranda palatia comples,
Et tecum ingrediens multiplicatur honor.
Te veniente, novo domus emicat alma sereno,
Et reparant genium regia tecta suum.
Nempe oculos recipit, cum te videt aula redire,
Quem commune ducum lumina lumen habent:
Principis auxilium, patriae decus, arma parentum,
Consultum reliquis, omnibus unus amor.
Admiranda etiam quid de dulcedine dicam?
Nectare qui plenus construis ore favos.
Cara serenatum comitatur gratia vultum,
Fulget et interius perpetuata dies.
Qui satias escis, reficis sermone benignus,
Sepositis epulis sunt tua verba dapes.
Quis tibi digna loqui valeat, quem voce patente,
Rex pius ornatum praedicat esse suum?
Sit tibi summus apex, illo regnante, per aevum,
Vitaque sit praesens, atque futura colat. |
Arrière, grands
hommes et personnages fameux de l'antiquité, le duc Lupus l'emporte sur
vous. En vous, Lupus, sont réunies la sagesse de Scipion, la prudence de
Caton et le bonheur de Pompée. Sous leur consulat Rome fut toute
puissante ; votre gouvernement nous a rendu Rome. Votre abord inspire à
tous la confiance; votre parole libre souffre la même liberté dans les
autres. Si quelqu'un a l'âme triste et troublée, il lui suffit de vous
voir pour recouvrer l'espérance. Votre esprit est grave et vos pensées
profondes; le sel d'une mer calme coule de votre bouche; mais c'est
surtout par les dons précieux de l'éloquence que vous êtes utile au
peuple. Vous donnez de l'assaisonnement à la raison comme le sel aux
mets (02). Vous êtes la racine des
conseils et la veine féconde du goût. Votre intelligence est prompte;
abondant et harmonieux votre langage, et tout ce que votre cœur ressent
vous l'exprimez avec facilité. Ces deux avantages vous caractérisent
particulièrement et sont toujours à votre poste. Le roi se décharge sur
vous du poids des affaires, et c'est à votre concours que la chose
publique est redevable de sa prospérité. Animé d'un zèle jusqu'alors
sans exemple, vous vous assujettissez à de pénibles travaux et vos
fatigues vous semblent douces, parce que le repos du roi y trouve sa
sûreté. Heureux esprit qui veillez aux intérêts de la patrie, et dont
les ressources et l'activité sont généreusement à la disposition de
tous! Arrivent des ambassadeurs, ils sont captivés par vos réponses, et
tombent bientôt sous le javelot de votre parole. Votre discours est une
lance, et il y a des armes dans votre voix. En vous Sigebert a le
présage de la victoire. Mais la réponse de la nation est donnée par le
roi, sa voix seule exprimant ce que le peuple veut. La cause qui doit
son triomphe à l'habileté du serviteur est devenue plus juste par
l'approbation du maître. Nul ne saurait exposer ses propres affaires
aussi éloquemment que vous, quand il s'agit des affaires publiques. De
même que l'Egypte est fertilisée par le débordement du Nil, de même tout
est fécondé par le fleuve de vos entretiens. La justice, quand vous la
rendez, est florissante, et les lois sont en crédit. Vous êtes la
balance bien équilibrée des procès. Les chefs militaires ont recours à
vous et sollicitent vos ordres. Vous ne demandez pas les honneurs, ce
sont les honneurs qui vous demandent. Le roi, en qui la puissance est
incarnée, a vu cette puissance s'accroître sous votre gouvernement. Il a
bien raison de n'abandonner rien des honneurs qui lui sont concédés,
celui par qui les plus dignes de l'autorité souveraine l'exercent en
effet (03). Comme les anciens
Romains sur qui vous modelez votre conduite, vous portez les armes en
temps de guerre, et rendez la justice en temps de paix. Qui s'appuie
d'un côté sur les armes, de l'autre sur les lois, devient aisément le
premier, et toute sorte de gloire vient au devant de lui. Votre bonheur
égale votre courage. La défaite si rapide des Saxons et des Danois (04)
le prouve assez. La bataille fut livrée par vous et gagnée sur les bords
sinueux du Bordaa (05) ; la moitié
de l'armée était sous vos ordres; la victoire était bien due à ceux qui
vous ont obéi. Couvert de sueur sous la cuirasse, vous lanciez den
éclairs parmi des nuages de poussière. Longtemps vous poursuivies
l'ennemi qui fuyait lâchement vers la Langona, là où cette rivière se
jette dans le Rhin (06); il y
trouva son tombeau. Les fleuves même combattent pour un général heureux.
La Gaule a mérité que vous fussiez une lumière parmi ses citoyens; mais
partout ailleurs cette lumière, dont le siège est dans votre cœur, verse
sa clarté. Les uns ont la beauté en partage, les autres la sagesse,
d'autres encore ont chacun un mérite qui lui est particulier, mais vous
avez tout cela et bien davantage. Quand vous allez au sacré palais de
vos maîtres, vous le remplissez de votre présence, et un surcroît
d'honneur y entre avec vous (07).
La cour en reçoit une splendeur et une sérénité nouvelles; l'habitation
royale a repris possession de son génie tutélaire. En vous voyant de
retour, vous que les ducs regardent comme leur commune lumière, la cour
recouvre ses yeux mêmes. Appui du prince, honneur de la patrie, bouclier
de votre famille, oracle et amour de tous les autres, que dirai-je de
votre admirable douceur, nectar que distillent vos lèvres avec
abondance, et dont vous composez un miel? La grâce aimable est à demeure
sur votre calme visage; un jour perpétuel éclaire votre cœur. Si vos
mets assouvissent la faim, votre conversation charmante en rehausse le
goût. Que dis-je? les mets sont de trop; vos parole; seules sont un
festin. Qui pourrait dignement parler de vous, si ce n'est le pieux
Sigebert, dont la voix, plus forte que toutes autres, vous déclare
l'ornement de la royauté? Continuez d'être, tant qu'il vivra, le
personnage que vous êtes ; que lui-même jouisse de la vie présente, et
songe à la vie à venir. |
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VIII. Ad eundem.
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VIII. Au même.
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Aestifer
ignitas cum Julius urit harenas,
Siccaque pulvereo margine terra sitit,
Languidior placidas vix pampinus explicat umbras,
Mollior et glaucas contrahit herba comas,
Summissis foliis Phoebi regnante vapore,
Vix sua defendit frigida tecta nemus.
Pabula fastidiens fugit aestu bucula saltus,
Ipse nec afflictis pascitur herbis equus.
Longius expositam linguam canis ore flagellat,
Ilia lassa trahens, tristis anhelat ovis:
Forte viator iter, gradiens ferventibus horis,
Uritur accensus, sole premente, comis.
Qui arescente solo, modico recreetur ut haustu,
Saepius irriguas anxius optat aquas,
Arboris aut tremulae viridante cacumine fuso,
Frondibus oppositis temperet umbra sitim.
Pro peritate nova si jam prope lucus opacet,
Et vitrei fontis sibilet unda recens:
Huc properans placidis homo laetus sternitur arvis.
Volvit in herbosos et sua membra toros.
Vota secunda tenens gemino refovetur amoeno:
Hinc levat umbra diem, hinc fugat unda sitim.
Carmina si qua tenet, cantu modulante, recurrit,
Provocat et placidos blandior aura sonos.
Si sibi forte fuit bene notus Homerus Athenis,
Aut Maro Trajano lectus in urbe foro;
Vel si Davitico didicit sacra dogmata plectro,
Psallit honorificum, fauce rotante, melum,
Tangitur aut digito lyra, tibia, fistula, canna,
Quisque suis Musis carmine mulcet aves,
Sic ego, curarum valido defessus ab aestu,
Noscens te salvum, fonte refectus agor.
O nomen mihi dulce Lupi, replicabile semper,
Quodque mei scriptum pagina cordis habet.
Quem semel inclusum tabulis dulcedinis intus,
Non abolenda virum pectoris arca tenet:
Thesauros pietatis habens, pretiosa voluntas,
Producens animo pura talenta suo!
Divitias quas mundus habet mens aurea vincit.
Gemmarumque decus, corde micante, refert.
Sensus aromaticus suaves diffundit odores,
Hoc tribuens animae quod bene tura solent.
Melle saporatum refluens a pectore verbum,
Et sale conditum reddis ab ore sophum.
Post tenebras noctis, stellarum lumina subdens,
Lucifer ut radiis, sic mihi mente nites.
Ut recreat mundum veniens lux solis ab ortu,
Inlustrant animum sic tua verba meum.
Cum peregrina meos tenuit Germania visus,
Tu pater et patriae consuliturus eras.
Quando merebar ovans placidos intendere vultus,
Mox geminata mihi fulsit in orbe dies.
Conserui quotiens vestro sermone loquellas,
Credidi in ambrosiis me recubare rosis.
Omnibus una manens, sed plus tua gratia nobis,
Vinxit in affectu, me properante, suo.
Nunc quoque pro magnis quis digna rependat honoris?
Materia vincor, est quia lingua minor.
Sic per ascensum culmen supereminet altum:
Hinc meus urget amor, hinc tuus obstat honor.
Sed pro me reliqui laudes tibi reddere certent,
Et qua quisque valet, te prece, voce, sonet,
Romanusque lyra, plaudat tibi barbarus harpa,
Graecus Achilliaca, crotta Britanna canat.
Illi te fortem referant, hi jure potentem,
Ille armis agilem praedicet, iste libris:
Et quia rite regis quod pax est, bella requirunt;
Judicis ille decus concinat, iste ducis.
Nos tibi versiculos, dent barbara carmina leudos:
Sic variante tropo laus sonet una viro.
Hi celebrem memorent, illi te lege sagacem:
Ast ego te dulcem semper habebo, Lupe. |
Quand les fortes
chaleurs de juillet rendent le sable brûlant et que la terre desséchée
et réduite en poussière (01)
demande de l'eau, les pampres flétris donnent à peine de l'ombre, et les
tiges de l'herbe, à la couleur glauque, se contractent. Contre cette
action persistante du soleil, la forêt défend à peine ses frais
ombrages; les feuilles inclinent vers la terre. Dégoûtée des pâturages,
la génisse abandonne les clairières, et les chevaux, accablés par cette
température, refusent de manger l'ers (02).
Le chien tire une langue sans fin qui fouette ses babines, et la brebis,
triste et haletante, ne peut plus se traîner. En ces heures brûlantes où
le soleil darde à plomb, le voyageur qui chemine a la tête en feu.
Inquiet, il souhaite bien des fois de rencontrer sur le sol aride une
eau courante pour en boire quelques gorgées, ou d'être étendu sous la
voûte verdoyante d'un arbre agité par le vent, pour se rafraîchir à son
ombre. Si par bonheur il y a dans le voisinage un petit bois épais, et
qu'une fraîche et claire fontaine y fasse entendre son murmure, notre
voyageur y court tout joyeux, et se couche sur le gazon où il étire ses
membres. Enfin, il est au comble de ses vœux, ayant à la fois ces deux
plaisirs, de l'ombre qui le protège contre les feux du jour, de l'eau
pour étancher sa soif. S'il sait par cœur quelques vers, il les récite
en marquant la cadence; la température devenue plus douce l'invite à cet
agréable exercice. Si par hasard il connaît Homère cher aux Athéniens,
ou Virgile qu'on lit encore dans le forum Trajan (03)
; s'il a appris les psaumes sacrés que David chantait en s'accompagnant
de la harpe, il; en répète des passages en variant les intonations de sa
voix. Ou bien il joue de la lyre, de la flûte, du chalumeau ou de la
flûte de Pan : chacun de ces instruments charme les oiseaux par ses sons
mélodieux. Ainsi, Lupus, après les cruelles inquiétudes qui m'ont
assailli, je me sens bien soulagé, vous sachant saint et sauf (04).
O Lupus, doux nom que je redis sans cesse, qui est inscrit sur la page
de mon cœur, tandis que celui qui le porte, couché sur les tablettes de
ma tendre affection, repose dans le coffre indestructible de ma poitrine
(05), vous recelez en vous des
trésors de piété; il suffit de votre volonté dont le prix est
inestimable pour que votre cœur en produise du plus pur métal. Vous
avez, une âme d'or qui surpasse toutes les richesses du monde, et qui
l'emporte par son éclat sur celui des pierres précieuses. Votre raison a
les suaves odeurs des aromates, et donne à votre âme les mêmes
propriétés que l'encens. Les mois qui s'échappent de votre for intérieur
ont un goût de miel, et l'éloquence qui est en votre bouche est
assaisonnée de sel. Comme Lucifer après les ténèbres de la nuit domine
encore par son éclat celui des étoiles, ainsi domine votre lumière au
dedans de moi-même; et comme le soleil, en se levant, réjouit le monde,
ainsi vos paroles illuminent mes pensées. Quand, voyageur étranger, je
vins en Germanie, vous étiez le père et alliez être le conseil de la
patrie, vous me jugeâtes digne de contempler votre aimable visage; j'en
étais fier, et dès lors il me parut que le jour était pour moi deux fois
plus lumineux. Toutes les fois que je m'entretins avec vous, je me crus
sur un lit de roses. Votre faveur, qui est la même pour tous, fut pour
moi une distinction particulière et un lien charmant au-devant duquel je
courus. Maintenant comment vous louer assez des grandes choses que vous
avez faites? Je suis vaincu par la matière, car mon langage est
au-dessous de ce qu'elle demande. Comme au fur et à mesure qu'on gravit
une montagne, le sommet semble s'en élever davantage, ainsi plus mon
amitié pour vous est pressante, plus votre haute dignité met de stades à
cet empressement. Que d'autres donc à ma place luttent à qui vous louera
le mieux, et que chacun vous prie, ou vous chante, selon ses moyens. Que
le Romain y emploie la lyre, le Barbare la harpe, le Grec le luth
d'Achille, le Breton la crowd (06).
Qu'ils disent que vous êtes courageux, grand jurisconsulte, rompu au
métier des armes et à l'étude des lettres. Et parce que vous traitez
comme il convient les affaires de la guerre et de la paix, que l'un
célèbre la gloire du magistrat, l'autre celle du général. Je vous envoie
ces vers; les Barbares vous donneront des lieds (07);
ainsi vous serez loué d'une seule et même manière sur deux tons
différents. Ici on rappellera votre illustration dans les armes, là
votre habileté dans les lois; pour moi, Lupus, je me contenterai de vous
aimer toujours. |
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IX. Item ad Lupum ducem.
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IX. Au même.
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Officiis
intente piis, memorator amantis,
Prompte per affectum consuliture tuum,
Carius absentis nimium miseratus amici,
Quando, latente loco signa requirit amor:
Unde meis meritis datur hoc, ut protinus esset
Spes Fortunati cura benigna Lupi?
Exul ab Italia nono, puto, volvor in anno:
Littoris Oceani contignante salo:
Tempora tot fugiunt, et adhuc per scripta parentum,
Nullus ab exclusis me recreavit apex.
Quod pater, ac genitrix, frater, soror, ordo nepotum,
Quod poterat regio, solvis amore pio.
Pagina blanda tuo sub nomine missa benigno,
Nectarei fontis me recreavit aquis.
Nec solum a vobis me dulcis epistola fovit,
Missus adhuc in rem portitor ecce venit.
Munera quis poterit, rogo, tot memor ore referre?
Affectum dulcem pandere lingua nequit.
Sed tibi restituat rex cuncta supernus ab alto,
Quae minimis fiunt, qui docet esse suum. |
Vous qui êtes
attentif à obliger, qui n'oubliez pas un ami et êtes prompt à lui donner
d'affectueux conseils, vous avez eu pitié de votre ami absent, et votre
lettre est venue le trouver dans sa retraite. Comment Fortunat a-t-il
mérité que le bon Lupus réalisât si tôt ses espérances? Exilé d'Italie
depuis tantôt neuf ans, si je ne me trompe (01),
j'erre dans ces régions voisines de l'Océan, sans avoir reçu, pendant
tout ce temps-là, aucune lettre, non pas même un trait d'écriture de mes
parents, pour me consoler de notre séparation (02).
Mais ce que mon père, ma mère, mon frère, ma sœur (03),
mes neveux, mon pays enfin auraient pu faire, votre charitable amitié
l'a fait pour moi. Les mots aimables signés de votre nom, que vous
m'avez fait parvenir, m'ont rafraîchi de leurs eaux douces comme le
nectar, et non seulement votre lettre m'a causé un plaisir extrême, mais
voici que m'arrive à point le porteur de votre envoi. Que de présents!
Et comment en parler comme il faut? Ma langue est impuissante à exprimer
ma reconnaissance. Je prie Dieu qu'il vous rende tout cela, lui qui nous
apprend que tout ce qu'on donne aux petits, on le donne à lui-même. |
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X. Ad Magnulfum fratrem Lupi.
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X. A Magnulfus, frère de Lupus (01).
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Quam cito fama volat
pernicibus excita pennis.
Et loca cuncta suis actibus aucta replet!
Nam tibi cum Rhenus, mihi sit Liger ecce propinquus,
Hic, Magnulfe decens, magnus honore places.
Sic tuba praeconis Sigimundi missa cucurrit,
Ut tua diffuso sint bona nota loco.
Quod tamen in brevibus vix signat epistola verbis:
Non quia cuncta canit, nec reticere cupit.
Juredico in primis pollens torrente relatu,
Sic regis, ut revoces facta vetusta novis.
Cujus in officiis aequi cultoris aratro,
Semine justitiae plebs sua vota metit.
Nemo caret propriis, alienis nemo recumbit,
Sic facis ut populum non vacet esse reum.
Sollicitudo tua reliquis fert dona salutis,
Et labor unius fit populosa quies.
Aequalis concors ut ab omnibus, alme, voceris,
Legibus hinc judex, hinc bonitate parens.
Da paucis veniam, quoniam mihi portitor instat:
Nam de fratre Lupi res monet ampla loqui.
Sic tribuat dominus, meritis reparetis ut illum,
Quem pariter tecum cordis amore colo. |
Avec quelle
extrême rapidité vole la Renommée, remplit le mondé de ses faits et
gestes, et les grossit elle-même? Vous êtes dans le voisinage du Rhin,
Magnulfus, je suis près de la Loire; on vous aime dans ces parages, et
pour votre grâce personnelle et pour le grand honneur dont vous êtes
revêtu. La trompette de Sigismond (02)
a si bien fait son devoir qu'il n'est bruit que du bien dont vous êtes
l'auteur. Une lettre est trop courte pour pouvoir le raconter, car il
faudrait tout dire sans rien omettre. C'est surtout dans les affaires
qui ont rapport au droit que vous excellez; votre éloquence y est
entraînante, et vous les traitez de telle sorte que l'ancienne procédure
a cédé la place à la nouvelle. Vous faites la fonction d'un cultivateur
qui trace avec le soc des sillons égaux; c'est de la semence de la
justice que le peuple récolte ce qui est l'objet de ses vœux. Personne
n'est privé de ce qui lui appartient, et personne n'usurpe ce qui est à
autrui. Telle est votre activité que le peuple n'a pas même le temps
d'être coupable. Votre sollicitude veille au salut de chacun, et le
travail d'un seul est le repos de tous. Juste et conciliant à la fois,
si vous êtes, de l'aveu unanime, un juge selon les lois, vous êtes un
père par la bonté. Le porteur de ce billet me presse; excusez-moi, car
il y aurait lieu de parler plus amplement du frère de Lupus. Fasse le
Seigneur que vous obteniez par vos mérites le rétablissement de celui
que j'aime et que j'honore avec vous et autant que vous (03)
! |
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XI. Ad Jovinum inlustrem ac patricium et rectorem
provinciae.
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XI. A l'illustre Jovinus, patrice et gouverneur de Provence.
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Prosaico quotiens
direxi scripta relatu!
Nullaque de vestro pocula fonte bibo:
Quem prius irrigua recrearas ditior unda,
Nec modo Castaliis redditur haustus aquis.
Si me cura minor vestri tenuisset amoris,
Jam fuerat licitum stringere colla manu.
Nunc magis, inde minus capio, quia diligo majus,
Et cum plus cupiam, vota negata gemam.
Qui tibi transfudit mea pectora pectore toto,
Cur, rogo, non pariter lumina lumen habent?
Vel quod, amice, licet scriptis fero, care, salutem,
Sed mihi qua relever pagina reddat opem. |
Que de fois ne
vous ai-je pas écrit en prose! Et je n'ai pas encore bu un seul verre de
votre fontaine! Jusque-là pourtant vous m'en aviez régalé ; à présent je
ne bois pas même une gorgée de ces eaux castaliennes. Si je n'étais pas
si attentif à vous aimer, il m'eût été permis sans doute de vous
embrasser (01); maintenant je me
contente de moins que cela, car lorsque je désire davantage, j'ai la
douleur de voir que ce surplus m'est refusé. Pourquoi, lorsque nos cœurs
se confondent si bien, n'en est-il pas de même de nos yeux? Que du moins
je vous salue par cette lettre, et qu'elle me console de la privation de
votre personne. |
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XII. Item ad eundem.
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XII. Au même.
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Tempora lapsa
volant, fugitivis fallimur horis,
Ducit et in senium lubrica vita viros.
Fine trahit celeri sine fune volubilis axis,
Nec retinet rapidas ad sua frena rotas.
Cuncta movens secum momenta et pondera rerum,
Donec meta avidos sistere cogat equos.
Sic quoque dissimiles ad finem tendimus omnes,
Nemo pedem retrahit quo sibi limes erit.
Imperiale caput, regnum trahit, aeque senatum,
Nec spectante die, cum venit hora, rapit.
Quid sunt arma viris? cadit Hector, et ultor Achilles,
Ajax in clipeo murus Achaeus,obit.
Quid satis est cupido, gremio quod condit avaro?
Deliciis refluis,Attalus auctus abest.
Quis non versutus recubet dum fine supremo,
De Palamede potens ars in Ulyxe perit?
Forma venusta fluit, cecidit pulcherrimus Astur Astris,
Occubat Hyppolitus, nec superexstat Adon.
Non agiles fugiunt; quo terminus instat eundum,
Nam cum fratre celer sorte Quirinus abit.
Quid, rogo cantus agit? modulis blanditus acutis,
Orpheus, et citharae vox animata jacet.
Docta recessuris quid prodest lingua sophistis,
Qui voluere loqui curva, rotunda poli?
Archita, Pythagoras, Aratus, Cato, Plato, Chrysippus,
Turba Cleantharum stulta favilla, cubat.
Quidve poeta potest? Maro, Lysa, Menander, Homerus,
Quorum nuda tabo membra sepulcra tegunt?
Cum venit extremum, neque Musis carmina prosunt,
Nec juvat eloquio detinuisse melos.
Sic dum puncta cadunt, fugiunt praesentia rerum,
Et vitae tabulam tessera rapta levat.
Est tamen una salus, pia, maxima, dulcis, et ampla:
Perpetuo trino posse placere Deo.
Hoc valet, atque viget, manet, et neque fine peribit,
Hinc quoque post tumulum nascitur almus honor.
Quod superest, obitu meritorum, flore beato,
Suavis justorum fragrat odor tumulo.
Gratius aura fluens, quam spiret aroma Sabaeum,
Vincens, quae pinguis balsama silva reflat:
Cinnama, calta, crocus, violae, rosa, lilia cedunt
Ut similis nullus nare bibatur odor.
Quid quod morte magis virtus generatur in illis,
Dumque sepulcra tenent, languida membra fovent?
Multorum dubiam solidant pia funera vitam,
Et redit ex tumulo vivificatus homo.
Nobilis urna tegit pretiosa talenta tonantis,
Ac terris recubat quod super astra volet.
Qui sub amore Dei, sacro moderamine vivens,
Fit peregrinus humi, civis eundo poli.
Denique post illos qui fundamenta coruscant,
Postque Petri ac Pauli lumina prima fide,
Quis numerus radiat sanctorum sparsus in orbe,
Quanta columnarum gratia fusa viget?
Per loca, per populos mundo sua sidera praesunt,
Quidquid ab Oceanis circulus ambit aquis.
Arctos, meridies, oriens, occasus honorat,
Lumina muneribus clarificata suis.
De reliquo nihil est quodcumque videtur in orbe,
Nam tumor hic totus, fumus et umbra sumus.
Cur igitur metu trahitur data vita susurro,
Nec Fortunato pauca, Jovine, refers?
Tempora lapsa vides, neque longa silentia rumpis,
Me quoque ne recrees, ad mea damna taces.
Non ita rebar ovans, postquam Germania nostros,
Contulerat visus, ut resiliret amor.
Credideram potius, quantum se tenderet aetas,
Ut vestri affectus se duplicaret opus.
Heu magis, ut video, vota in contraria currunt,
Tempora longantur, sed breviatur amor.
An quantum ex oculo, tantum tibi corde recedo?
Et tam longe animo, quam sumus ambo loco?
Non ego sic refero, quoniam tibi pectore nector:
Praedicat hoc aliter, mens ubi dulce fovet.
Nam cui cara fides animum sociavit amici,
Quod minus est oculis, flagrat amore magis.
Et licet absentem paries, locus, aula retentet,
Corde suo illic est, est ubi forma placens.
Prospicit affectu, quem vultu non videt ipso,
Et vox longinqua de regione sonat.
Quid gerit, aut ubi sit, tacito dare verba videtur:
Intra se loquitur pectore clausus amor.
Si volat aura levis, putat inde venire salutes:
Hoc fragor aure refert, quod homo mente gerit.
Hinc tuus ergo cliens ego, care, colende requiro,
Absentem faciunt quem loca, non animus.
Qui semper nostro memoralis, haberis in ore,
Scribimus et haec dum, non sine te loquimur.
Affectu, studio, voto, tua brachia cingo,
Atque per amplexum pectora, colla ligo.
Ingrederis mecum, pariterque moveris amator,
Et quasi blanda loquens oscula libo labris.
Ante oculos habeo, sed cara refugit imago,
Hic quoque quem habeo, non retinere queo.
Alternis vicibus modo vadis, et inde recurris,
Vix fugis ex oculis, ecce figura redis;
Et cum terga dabis, facies mihi cernitur insons,
Si pede conversus, fronte regressus ades.
Saepe etiam videor dare te pia dicta relatu:
Illic forte taces, hic mihi verba refers.
Hoc de te minus est, quia prendi non potes absens:
Nam velut illic es totus, et hic meus es.
Qualiter ambo simul paucis halitavimus horis,
Non fugit ex oculis, dum manet ista dies.
Misimus o quotiens timidis epigrammata chartis!
Et tua, ne recreer, pagina muta silet.
Quis, rogo, reddat eas, taciti quas perdimus horas?
Tempora non revocat lux levis, atque fugax.
Dic homo, note meus: quid agis? Quid, amice recurris?
Si tua rura colis, cur mea vota neges?
Scribe vacans animo, refer alta poemata versu,
Et quasi ruris agrum me cole voce, melo;
Per thoraca meum ducas, precor, oris aratrum;
Ut linguae sulcus sint sata nostra tuae,
Pectoris unde seges gravidis animetur aristis,
Pullulet et nostrum farre novale ferax.
Nam mihi si loqueris, bone vir, pietatis opimae,
Exsuperas labiis dulcia mella favis.
Plusque liquore placet quem fert oleagina succo,
Suavius et recreat, quam quod aroma reflat.
Cum Aspasio pariter caris patre, fratre Leone,
Longa stante die, dulcis amice, vale. |
Le temps s'écoule
et s'envole; nous sommes trompés par les heures fugitives, et la vie
glisse insensiblement vers la vieillesse. Le monde tourne sur son axe,
sans le secours d'une corde (01),
dans un court délai, et avec une vitesse extrême. Aucun frein n'arrête
son rapide mouvement de rotation. Grandes et petites choses, il entraîne
tout avec lui, jusqu'à ce qu'enfin les bornes qui lui sont assignées le
forcent à suspendre la course de ses chevaux impatients. Ainsi aussi
tous dissemblables nous marchons vers nue semblable fin. Arrivé au terme
prescrit, nul ne revient sur ses pas. Empires, royaumes, sénats sont
emportés au jour et à l'heure auxquels ils ne s'attendent pas. Qu'est-ce
pour l'homme que le métier des armes? Hector tombe, et après lui
Achille, vengeur de son ami. Le rempart des Grecs, Ajax (03),
meurt sur son bouclier. Ce que l'avare enfouit dans le sein de ta terre
ne suffit pas pour le préserver. Attale, qui regorgeait de richesses,
n'est plus. Quel homme, si fécond qu'il fût en expédients, ne dort pas
du dernier sommeil? La ruse d'Ulysse fut ruinée par l'invention de
Palamède (04). La beauté du corps
passe vite : le bel Astur a péri (05);
Hippolyte est sous terre ; il ne reste plus rien d'Adonis. Les plus
alertes ne se sauvent point par la fuite ; il leur faut aller là où vont
tous les autres. Quirinus prompt à la main meurt comme son frère (06).
Et le chant, à quoi sert-il? Orphée, qui charmait par les vifs accords
de sa lyre, expire avec le son qui en était l'âme. A quoi servent leur
science et leur éloquence aux philosophes? Qu'ont-ils pu contre la mort
ceux qui ont disserté sur la sphère céleste? Archytas, Pythagore,
Aratus, Caton, Platon, Chrysippe et la secte insensée de Cléanthe (07)
ne sont plus que cendre. Et la poésie, qu'y peut-elle faire? Virgile,
Lysa (08), Ménandre, Homère, ne
sont plus que des squelettes couchés dans le tombeau. Quand vient la
fin, il n'est vers, ni prose qui viennent. Chaque heure qui sonne met en
fuite le présent; chaque pion enlevé décharge d'autant l'échiquier de la
vie. Pourtant, il est un moyen de se sauver, mais un seul, à la fois
doux et saint, et supérieur à tous les autres : c'est de plaire à la
Trinité éternelle. Elle est toute-puissante et pleine de force,
immanente et impérissable ; et lui plaire est s'assurer la gloire au
delà de la tombe. Mais de la tombe où repose la fleur des bienheureux
s'exhale l'odeur suave des justes, odeur plus délicieuse que celle des
parfums d'Arabie, que les senteurs balsamiques et concentrées des bois.
Le cannellier, le souci, le safran, la violette, la rose, le lys
s'effacent devant cette fleur; jamais l'odorat n'en sentit de pareille.
La mort a-t-elle donc pour effet de communiquer aux saints une vertu
plus grande, et le sépulcre qui garde leurs corps glacés les
réchauffe-t-il? Plusieurs ont eu une vie équivoque qu'ils ont rachetée
par une sainte mort; l'homme sort vivifié du tombeau. Une urne vénérable
renferme ses restes précieux aux regards du Tout Puissant et tel est
couché sous la terre qui prendra son vol vers le ciel. Qui vit
saintement et avec l'amour de. Dieu pour règle, est un étranger sur la
terre; il revient au ciel qui est sa patrie. Enfin, après Pierre et,
Paul, ces illustres fondateurs de la foi et ses premières lumières, que
de saints ont rayonné dans le monde! que de force infuse dans ces
colonnes de la grâce! En tous lieux, chez tous les peuples de la terre,
sur tous les rivages que baigne l'Océan, leur astre brille par-dessus
tous les autres. Le Nord, le Midi, l'Orient, l'Occident honorent ces
lumières épurées par leurs venus. Au reste, tout ce qu'on voit dans le
monde n'est rien ; nous n'y sommes qu'enflure, ombre et fumée. Pourquoi
donc quitter en murmurant celle vie qu'on nous a donnée (09),
et pourquoi, Jovinus, ne pas répondre un mot à Fortunat? Le temps
s'écoule, vous le voyez, et vous ne rompez pas le silence. Est-ce de
peur de me faire plaisir? Je ne croyais pas, lorsque nous nous vîmes en
Germanie, que votre amitié ferait un pas en arrière; j'avais cru plutôt
qu'elle augmenterait avec le temps. Hélas! je ne le vois que trop, c'est
le contraire qui arrive. Le temps s'est allongé, et l'amitié s'est
raccourcie. Suis-je donc aussi loin de votre cœur que je le suis de vos
yeux? Et sommes-nous aussi séparés par la pensée que par la distance?
Soit dit sans reproche, parce que je vous aime ; un cœur moins chaud que
le mien parlerait autrement. Qui est fidèle à son ami, l'aime d'autant
plus qu'il le voit moins, et, quoiqu'absent et enfermé chez soi, à la
cour ou partout ailleurs, il a le cœur là où est celui qu'il aime. La
force de l'amitié lui fait voir le visage de l'homme qui est hors de sa
vue; il entend sa voix, si loin qu'il soit de lui. Quoi qu'il fasse, où
qu'il soit, il semble répondre à qui ne lui parle pas. L'amitié qu'il a
dans le cœur s'entretient intérieurement avec lui. Au moindre vent qui
souffle, il croit que ce sont des saints qu'on lui envoie; il entend
parmi le bruit les pensées de son ami. Moi donc, qui suis votre client,
ami cher et respectable, je cherche un patron dont l'absence me prive,
mais que mon cœur ne cesse pas de posséder. Toujours vous serez présent
à ma mémoire et toujours votre nom sera dans ma bouche. Même en écrivant
ceci, je suis avec vous, je vous entoure de mon affection, de mes soins,
de mes vœux, je vous embrasse, je me pends à votre cou. Vous cheminez
avec moi, vous suivez tous mes mouvements, et comme si j'avais à vous
dire des douceurs, j'applique mes lèvres sur les vôtres. Je vous ai
devant mes yeux, mais votre image s'enfuit, et celui que je possédais je
suis hors d'état de le retenir. Vous parlez et revenez tour à tour; vous
fuyez et reparaissez aussitôt. Si vous tournez le dos, je n'eu vois pas
moins votre aimable figure; si vous revenez sur vos pas, je la vois bien
mieux encore. Souvent il me semble que vous me parlez, et que si là-bas
vous vous taisez, ici vous me répondez. C'est le moins que je puisse
avoir de vous, l'absence vous rendant insaisissable; mais ici du moins
vous êtes à moi, encore que vous soyez tout entier ailleurs. Le peu
d'heures que nous avons habité ensemble, je me les représenterai tant
que je vivrai. Que de fois, non sans hésiter pourtant, je vous ai envoyé
des vers ! Et vous, de peur de m'être agréable, vous ne m'écrivez pas
même une lettre ! Qui nous rendra, je vous prie, ces moments perdus à ne
rien dire? Le présent qui s'enfuit ne ramène pas le passé. Dites-moi
donc, vous que je connais si bien, que faites-vous? où courez-vous? Si
vous vivez aux champs, pourquoi me refuser ce que je vous demande?
Écrivez, pendant que vous êtes de loisir; faites-nous part de vos
sublimes poésies; chantez, et cultivez ainsi mon esprit comme vous
cultiveriez un champ. Poussez, s'il vous plaît, le soc de votre
éloquence à travers ma poitrine; ouvrez-y des sillons dont vos discours
soient la semence, afin qu'une moisson abondante rende la vie à mon
cœur, que les épis en soient lourds, et que le grain provenant de cette
friche mise en culture rapporte le centuple. Car, si vous me parlez, ami
excellent et plein de bonté, vos paroles me sont plus douces que le
miel; je les préfère au jus qu'on exprime de l'olive, au parfum
qu'exhalent les plus suaves odeurs. Portez-vous bien et longtemps, ami,
vous, votre père Aspasius, et Léon, votre frère. |
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XIII. Ad Felicem, socium.
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XIII. A Félix, son ancien camarade? (01).
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Ardua Pierio cui
constant culmina fastu,
Vix humili valeo tangere claustra manu.
Sed quoniam patriae fuit aula sodalibus una,
Affectu fidens pulso, benigne, fores. |
Je puis à peine
frapper d'une main timide à la porte d'un habitué du Parnasse, d'un
favori des Muses orgueilleuses; mais parce que, dans notre patrie, nous
fûmes compagnons d'études et logeâmes sous le même toit, confiant dans
ton amitié, je heurte, mon cher. |
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XIV. De Mummoleno.
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XIV. Sur Mummolenus (01).
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Dum mihi fessus iter
gradior prope noctis in umbra,
Solis in occasu, jam fugiente die,
Cum super undarum viridantes gramine ripas,
Pascua conspexi, pastus et ipse fui.
Huc oculis captus, voto ducente trahebar,
Deflectensque viam prosperiora peto.
Mummolenus enim, qui celsa palatia regis
Altis consiliis crescere rite facit,
Inter concives merito qui clarior extat,
Quemque super proceres unica palma levat,
Nobilitate potens, animo bonus, ore serenus,
Ingenio solers, et probitate sagax,
Cui genus a proavis radianti luce coruscat,
(Moribus ipse tamen vicit honore patres):
Huc ergo adveniens, epulis expletus opimis:
Quem vidisse, mihi constitit esse cibum.
Fercula magna quidem dapibus cumulata benignis,
Ac si colle tumens, discus onustus erat:
Undique montis opus, medium quasi vallis habebat,
Quo meliore via piscis agebat iter:
Ille natans oleum, pro undis; pro caespite discum
Incoluit, cui pro gurgite mensa fuit.
Attamen ante aliud data sunt mihi mitia poma,
Persica quae vulgi nomine dicta sonant.
Lassavit dando, (sed non ego lassor edendo)
Vocibus hinc cogens, hinc tribuendo dapes.
Mox quasi parturiens subito me ventre tetendi,
Admirans uterum sic tumuisse meum.
Intus enim tonitrus vario rumore fremebat:
Viscera conturbans Eurus et Auster erat.
Non sic Aeoliis turbatur harena procellis,
Nec vaga per pelagus puppis adacta tremit.
Nec sic inflantur ventorum turbine folles,
Malleolis famulos quos faber ustus habet.
Alter in alterius ructabat mole susurros,
Et sine me mecum pugna superba fuit.
Sit tibi longa salus celsa cum conjuge, rector,
Et de natorum prole voceris avus.
Laudis honore potens, felicia tempora cernas,
Et valeas dulces concelebrare jocos. |
Tandis que,
accablé de fatigue, je poursuis mon chemin dans une demi-obscurité (car
le soleil se couche et le jour finit), j'aperçois des pâturages le long
des rives verdoyantes d'un cours d'eau ; c'était à m'en nourrir moi-même
(02). J'étais sous le charme. Guidé
par mon caprice, je me laissai entraîner vers ces lieux. Soudain je
tournai bride et allai chercher ailleurs meilleure aubaine. Justement
Mummolenus, intendant des palais royaux desquels, sur ses intelligents
avis, on augmente le nombre, qui est à juste titre le plus illustre de
ses concitoyens, et qui, par la nature de sa fonction unique eu ce
genre, est élevé au-dessus des grands, qui est puissant par sa noblesse,
d'un cœur excellent, d'un visage serein, d'un esprit judicieux et d'une
probité qu'on ne saurait surprendre, qui enfin tire de ses ancêtres,
bien qu'il les surpasse tous par ses dignités et par ses mœurs, un éclat
considérable, Mummolenus, dis-je, arrive, escorté d'un festin somptueux.
Mais rien qu'à voir le personnage, on se sent en appétit. On apporte
d'immenses plateaux chargés de mets délicieux, et en si grande quantité
qu'ils forment comme une chaîne de montagnes. Au centre est une espèce
de vallée où le poisson circule sur un meilleur chemin que le sien
habituel, nageant dans l'huile au lieu d'eau, habitant d'un plat au lieu
d'une touffe d'herbes aquatiques, enfin étalé sur une table au lieu
d'être dans un trou. On m'offrit d'abord des fruits exquis, de ceux
qu'on appelle vulgairement pommes de Perse. Mummolenus se lassa plus
vite de m'en donner que moi d'en manger. Tantôt il me pressait sur un
mets, tantôt il le mettait sur mon assiette. Soudain mon ventre enfla
tellement qu'on eût dit que j'allais accoucher. J'admire comment cet
organe peut se dilater à ce point. Le tonnerre grondait dans le mien
avec des roulements divers; l'Eurus et l'Auster bouleversaient mes
entrailles, le sable n'est pas si fortement secoué par les tempêtes
éoliennes, le navire qui erre à l'aventure n'est pas aussi ébranlé par
le choc des vagues, les soufflets, serviteurs des marteaux du noir
forgeron, ne sont pas aussi gonflés par l'air qu'ils aspirent. Les gaz
accumulés dans mon corps s'échappaient en éructations bruyantes. Bref,
il y eut en moi et sans moi une magnifique bataille. Cher intendant,
jouissez longtemps vous et votre illustre épouse, d'une bonne santé, et
qu'une lignée de petits-fils vous appelle un jour grand-père.
Puissiez-vous, loué, honoré et puissant, ne connaître que des jours
heureux et ne goûter que des plaisirs sans mélange! |
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XV. De Berulfo comite.
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XV. Du comte Bérulfe (01).
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Delicias, Berulfe,
tuas spectando libenter,
Me fateor duplicem sustinuisse famem;
Sic ego credebam, quarta satiarer ut hora:
Me nec ad octavam mensa benigna vocat.
Per vestras epulas didici jejunia gestans:
Litania fuit prandia vestra magis.
Det tibi vota Deus, per quem (modo laeta notamus)
Haec quoque dum scribo, plus satiatus agor. |
En attendant,
sans me plaindre, que votre excellent dîner fût prêt, j'avoue, Bérulfe,
avoir souffert deux fois de la faim. Je croyais me mettre à table vers
la quatrième heure ; nous sommes à la huitième et la table ne m'appelle
pas encore. Vos repas m'ont appris à supporter le jeûne, un jeûne pire
que celui qui accompagne la récitation des litanies (02).
Dieu vous donne ce que votre cœur désire! C'est grâce à lui, soit dit
pour vous égayer, qu'en écrivant ce billet je me sens l'estomac plus
lesté. |
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XVI. De Condane domestico.
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XVI. De Condan, majordome du palais (01).
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Temporibus longis
regalis dives in aula,
Enituit meritis gloria, Conda, tuis.
Nam semel ut juvenem vigili te pectore vidit,
Elegit secum semper habere senem.
Quis fuit ille animus vel quae moderatio sensus,
Cum fueris tantis regibus unus amor?
Mens generosa tibi pretioso lumine fulget,
Quae meritis propriis amplificavit avos.
Floret posteritas, per quam sua crescit origo,
Et facit antiquos surgere laude patres:
Nam si praefertur generis qui servat honorem,
Quanta magis laus est nobilitare genus?
Qui cupit ergo suum gestis adtollere nomen,
Ille tuum velox praemeditetur opus.
A parvo incipiens existi semper in altum,
Perque gradus omnes culmina celsa tenes.
Theudericus ovans ornavit honore tribunum
Surgendi auspicium jam fuit inde tuum.
Theodeberethus enim comitivae praemia cessit,
Auxit et obsequiis cingula digna tuis.
Vidit ut egregios animos meliora mereri,
Mox voluit meritos amplificare gradus.
Instituit cupiens ut deinde domesticus esses:
Crevisti subito, crevit et aula simul:
Florebant pariter veneranda palatia tecum,
Plaudebat vigili dispositore domus,
Theudebaldi etiam cum parva infantia vixit,
Hujus in auxilium maxima cura fuit.
Actibus eximiis sic publica jura fovebas,
Ut juvenem regem redderes esse senem:
Ipse gubernabas, veluti si tutor adesses,
Commissumque tibi proficiebat opus.
Chlotharii rursus magna dominatus in aula,
Quique domum simili jussit amore regi.
Mutati reges, vos non mutastis honores,
Successorque tuus tu tibi dignus eras.
Tantus amor populi, solertia tanta regendi,
Ut hoc nemo volens subripuisset onus,
Nunc etiam placidi Sigiberethi regis amore
Sunt data servitiis libera dona tuis.
Jussit et egregios inter residere potentes,
Convivam reddens proficiente gradu.
Rex potior reliquis merito meliora paravit,
Et quod majus habet, hoc tua causa docet.
Sic tuus ordo fuit, semper majora mereri,
Vitaque quam senior, tam tibi crevit honor.
Quae fuerit virtus, tristis Saxonia cantat,
Laus est arma truci non timuisse seni:
Pro patriae votis, et magno regis amore,
Quo duo natorum funera cara jacent.
Nec graviter doleas cecidisse viriliter ambos,
Nam pro laude mori vivere semper erit.
Laetitiam vultus hilari diffundit ab ore,
Et sine nube animi gaudia fida gerit.
Munificus cunctis largiris multa benignus,
Et facis adstrictos per tua dona viros.
Sit tibi longa salus placidis felicius annis,
Atque suum reparet proles opima patrem. |
La gloire, Condan, qui depuis bien longtemps est le riche apanage de la
maison royale, doit à vos services une partie de son éclat. Dès qu'elle
eut reconnu en vous un jeune homme doué d'une grande prudence, elle vous
choisit pour cohabiter avec elle jusque dans votre vieillesse. Quelle
raison vous aviez déjà, quelle mesure et quel bon sens, quand vous
devîntes l'unique objet de l'amitié de si grands rois! Par vos
sentiments généreux, par vos précieuses lumières, et par toutes les
qualités qui vous sont propres vous avez grandement ajouté à
l'illustration de vos aïeux. Heureux les descendants dont le mérite
rejaillit sur leurs auteurs, et les font paraître plus dignes de
louanges! Car si celui-là se fait distinguer, qui conserve l'honneur de
sa race, combien n'est-il pas p'.us glorieux pour lui de l'ennoblir
encore? Qui veut donc acquérir de la célébrité commence par méditer vos
œuvres. A partir de votre enfance vous n'avez cessé de monter, et c'est
en passant par tous les grades que vous êtes arrivé au plus haut de
tous. C'est avec joie que Théodoric vous nomma tribun du fisc (02)
: de là date votre élévation. Théodebert (03)
vous fit comte, ajoutant à cette grâce le don d'un baudrier, digne
récompense de vos services (04).
Dès que vos talents supérieurs eurent démontré que vous méritiez mieux,
il voulut vous élever encore et vous fit majordome. Vous grandîtes tout
à coup et la cour grandit avec vous. Par vous florissaient ses palais
augustes, et la maison royale applaudit à la vigilance de leur
ordonnateur. Théodebald étant enfant (05),
vous fûtes l'appui du son jeune âge et eûtes le plus grand soin de lui.
Par votre excellente administration de la justice de ce jeune roi vous
fîtes un vieux roi. Vous-même gouverniez comme si vous étiez son tuteur,
et l'œuvre confiée à vos mains prospérait. Vous eûtes les mêmes pouvoirs
à la cour de Clotaire, qui vous chargea aussi de régir sa maison avec le
infime dévouement. Les rois ont changé, vos honneurs vous sont restés ;
vous étiez digne d'être le successeur de vous-même. Si grand était votre
amour du peuple, et vous vous montriez si habile dans l'art de le
gouverner, que personne n'eût osé prétendre à vous supplanter.
Maintenant encore le bon Sigebert, par amitié pour vous, a donné des
exemptions (06) à vos esclaves. Il
a voulu que vous ayez votre place parmi les seigneurs les plus
qualifiés, et de plus que vous l'ayez à sa table (07).
Par ce roi meilleur que tous les autres, vous fûtes avec raison mieux
traité que vous ne l'aviez été par eux, et la supériorité de votre
condition actuelle en est une preuve. Ainsi donc vous eûtes pour lot de
mériter toujours de plus grands honneurs, et plus vous avez avancé dans
la vie, plus ils se sont accrus. La triste Saxonie redit dans ses chants
quelle fut votre valeur (08). Il
fut très glorieux pour un vieillard comme vous étiez de ne pas craindre
de porter les armes, el de payer son dévouement à sa patrie et à son
roi, de la perte de ses deux fils tués dans les combats. Ne regrettez
pas trop qu'ils soient morts en braves; mourir ainsi est vivre toujours.
Cette joie communicative qui brille sur votre figure est le reflet de la
joie loyale et pure qui est dans votre âme. Libéral envers tout le
monde, vous donnez beaucoup et de bonne grâce, et par là vous vous
attachez étroitement vos obligés. Vivez longtemps heureux et en bonne
santé, et que votre nombreuse postérité nous donne un jour un père tel
que vous ! |
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XVII. Ad Gunduarium.
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XVII. A Gondoaire.
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Si prodi verbis
affectus posset amantis,
Carmina plura tibi pagina nostra daret.
Sed quod ab ore loqui nequeo, quod pectore claudo,
Sit satis ex multis vel modo pauca dari.
Nam si respicias votum per verba canentis,
Malueram majus qui tibi parva fero.
Aspicimus sensum totum in dulcedine fusum,
Quo sine nube doli corde serena micant.
Puro fonte rigans, nectar de fauce redundat,
Cujus verba libens pectore corde bibo.
Providus, exertus, viligans, moderatus, honestus,
Condimentum animae mens tua semper habet.
Reginae egregiae patrimonia celsa gubernas,
Quae tibi commisit, sensit ubique fidem.
Nemo piae poterat reginae carior esse,
Quam qui pro meritis talis et ipse foret.
Gundeari, longo vigeas placiturus in aevo,
Conjuge cum propria luce perenne manens. |
Si l'amitié
pouvait être exprimée par des paroles, je vous enverrais force vers;
mais parce que je ne puis pas non plus vous dire de vive voix ce que
j'ai dans le cœur, je me borne à quelques mole. J'aurais aimé beaucoup
mieux vous en dire plus long, si vous mesuriez mon dévouement pour vous
au nombre de mes paroles. Nous remarquons en vous une raison toute
fondue en douceur ; pas le plus petit nuage suspect ne voile la sérénité
de vos pensées. De votre bouche coule un nectar que je bois avec grand
plaisir. Vous êtes sage, sincère, vigilant, modéré et honnête homme ;
votre esprit en tout temps est le sel de votre âme. Vous régissez le
patrimoine d'une grande reine (01);
elle reconnaît votre fidélité dans l'exercice de votre charge. Nul ne
pouvait être plus cher à cette pieuse princesse que celui qui le lui eût
été par d'autres mérites. Vivez longtemps aimé, Gondoaire, vous et votre
épouse, en attendant la lumière éternelle. |
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XVIII. Ad Flavum.
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XVIII. A Flavus.
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Ad carum totiens mea
pergit epistola Flavum:
Sic monet officii sedula cura loqui.
Nunc quoque prosaico, modo mittens carmina versu,
Blandior afflatu debita solvit amor.
Quin tibi pauca ferat, qui vult iter ire viator,
Nemo mihi tacite praetereundus abit.
Foetus amiticiae te ut pagina, saepe requirat;
Et si vir desit, portitor aura placet.
Attonitis animis ego per vaga nubila prendo,
Nullaque suscipio signa relata manu.
An tibi charta parum peregrina merce rotatur?
Non amor extorquet quod neque tempus habet?
Scribere quo possis, discingat fascia fagum:
Cortice dicta legi fit mihi dulce tui.
An tua Romuleum fastidit lingua susurrum?
Quaeso vel Hebraicis reddito verba notis.
Doctus Achaemeniis quae vis perscribito signis,
Aut magis Argolico pange canora sopho.
Barbara fraxineis pingatur rhuna tabellis,
Quodque papyrus agit, virgula plana valet.
Pagina vel redeat perscripta dolatile charta:
Quod relegi poterit, fructus amantis erit. |
Toutes les fois
que j'écris à mon cher Flavus, l'observation rigoureuse de ce devoir
m'avertit de lui parler comme je le fais. Tantôt en vers, tantôt en
prose, mon amitié paye sa dette de la façon la plus affectueuse. Il
n'est pas de voyageur prêt à partir que je ne sache quand il doit
passer, et que je ne charge d'un mot pour vous, où je vous rappelle, et
je le fais souvent, l'amitié qui nous unit. S'il n'y a pas de voyageur,
c'est au vent que je confie ma commission. D'ailleurs, je regarde
superstitieusement les nuages, et m'étonne de n'y voir aucun signe de
votre main. Est-ce que le papier qu'on vend en rouleau est rare chez
vous? L'amitié ne saurait-elle avec des efforts obtenir ce que
l'occasion lui refuse? Que n'enlevez-vous pour y écrire une bande
d'écorce de hêtre? Il me sera doux d'y lire les mots tracés par vous. La
langue latine ne vous agrée point? écrivez, de grâce, en hébreu. Mais le
persan vous est familier (01);
écrivez donc en persan, ou plutôt exprimez vos pensées dans la langue
harmonieuse des Grecs. Écrivez encore en caractères runiques sur des
tablettes de frêne (02). Une
baguette plate peut aussi remplacer le papier. Enfin écrivez sur des
tablettes de bois façonnées avec la dolabre (03).
Quoi que je lise de vous, mon amitié y trouve son compte. |
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XIX. Item ad Flavum et Euodium.
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XIX. A Flavus et à Evodius.
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Quam bene conveniunt
genitor quos sustulit unus,
Si simul hos unum pectus utrosque tenet?
Visceribus iisdem genitos Flavum Euodiumque,
Prorsus amore uno viscera nostra tegunt.
Alter in alterius mihi visu visus habetur,
Et fratris speciem fratris imago dedit.
Unius ex facie facies mihi nota secundi:
Sic speculo similem forma repressa refert.
Ergo pari voto paribus dans vota salutis,
Ambos inter ego tertius alter ero:
Hoc cupiens, ut quos caris amplexibus idem
Tres amor unus habet, nos quoque charta liget. |
Que la ressemblance entre ces fils nés d'un seul père est parfaite,
s'ils n'ont ensemble qu'un seul cœur! Ces enfants sortis des mêmes
entrailles, je les porte avec un amour égal dans mes propres entrailles.
Je vois l'un quand je vois l'autre ; l'image de celui-ci est l'image de
celui-là. La figure de l'un me donne celle de l'autre-, un miroir n'est
pas plus fidèle. Je les salue tous deux également et forme pour eux les
mêmes vœux; je serai moi troisième leur alter ego. Et
puisqu'un seul amour nous tient déjà liés tous trois par ses dures
étreintes, lions-nous encore davantage en nous écrivant. |
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XX. Ad Sigimundum, carissimo et omni gratia
praedicando Sigimundo Fortunatus salutem.
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XX. A Sigismond (01), son très
obligeant et très cher ami, salut.
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Fixus amore tuo,
votis inhiantibus adstans,
Quae tibi, care, salus, saepe requiro viros:
Quisque viator adest, properans Aquilonis ab axe,
Quamvis festinum sollicitando moror:
Seu privata virum, seu publica cura citabit,
Hinc, nisi perconter, nullus abibit iter.
Quam vegetus membris? Quae te loca care, coercent?
Ordine disposito cuncta requirit amor.
Si gravis arma tenens Italas terit hospes arenas,
Aut quae Francus habet, pagina pandat age.
Quid geris, oro, refer; tamen ut queo longius opto,
Vivas pars animae dimidiata meae. |
Toujours ferme
dans mon amitié pour vous, et désirant avec passion de savoir des
nouvelles de votre santé, j'en demande souvent, mon cher, à tout le
monde. Il n'est pas un voyageur venant du nord, que je n'arrête tout
pressé qu'il est, et ne poursuive de mes questions. Qu'il soit un simple
particulier ou un personnage public, il ne partira pas d'ici que je ne
l'aie interrogé. Allez-vous bien? Quel pays vous possède? Mon amitié
veut savoir tout et avec ordre. Dites-moi si des armées étrangères
foulent encore de leur pied brutal le sol de l'Italie (02),
et de quelles régions le Franc est le maître? Dites-moi encore, je vous
prie, ce que vous faites. Cependant, vivez selon mes souhaits et si loin
qu'ils peuvent s'étendre, vivez, moitié de mon âme. |
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XXI. Ad Sigismundum et Alagisilum.
|
XXI. A Sigismond et Alagisile
|
|
Nomina amicorum mihi
dulcis epistola pandit:
Hinc Sigimunde nitens, hinc Alagisle decens.
Prosperitas felix ventorum flamina fudit,
Quando mihi caros nuntiat aura viros.
Testor utrumque caput, tantum mea vota juvantur,
Quantum fit florens laeta sub imbre seges.
Ne sitiam rapidis aestivo tempore flammis,
Nectarei fontis me recreastis aquis.
Post Italas terras mittis mihi, Rhene, parentes;
Adventu fratrum non peregrinus ero.
Tempore belligero pacis nova gaudia surgunt,
Hic quia venerunt quos meus optat amor.
Qui mihi festivae diei duplicatis honorem,
Sic vester crescat munere regis honor. |
Cette lettre
m'est bien douce; elle est signée de deux noms amis, le brillant
Sigismond et l'aimable Alagisile. Le bonheur a voulu que les vents
violents tombassent, et qu'un vent favorable m'apportât des nouvelles de
personnes qui me sont si chères. J'en atteste vos têtes, ces nouvelles
me font autant de bien que la pluie aux moissons qu'elle fait croître et
fleurir. Pour prévenir la soif dont on est dévoré par cette chaleur,
vous m'avez envoyé des eaux rafraîchissantes de votre fontaine de
nectar. Après l'Italie, c'est le Rhin qui m'envoie des parents (02).
A l'arrivée des deux frères, je ne serai plus un étranger. D'un temps
qui est tout à la guerre naissent les joies de la paix, puisque vous
venez, vous qu'appellent mon amitié et mes vœux. Ça été pour moi un jour
de fête, et l'honneur en a été doublé; qu'ainsi croisse pour vous celui
que vous devez à la munificence royale. |
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XXII. Ad Bosonem referendarium.
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XXII. Au référendaire Boson (01).
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|
Sic tegat omnipotens
radiantia culmina regis,
Atque ejus causas arma superna regant,
Sic dominum ac servos divina potentia servet.
Et patriae maneat, hoc dominante, salus.
Sic placido regi summus, pius auctor ab alto,
Qui dedit ante Petro, porrigat ipse manum.
Sic te longaevi comitetur gratia regis,
Et florente illo gaudia fixa metas.
Hoc rogo quam citius veniat, quicumque jubetur,
Ne gravet ultra animos hic mora tarda meos.
Nam festinato, statuit quod certes voluntas,
Si votum adceleret, dulcius esse solet.
Illud enim nimium per verba precantia posco,
Commender domino, te memorante, meo.
Actibus excellens maneat per saecula felix,
Et memor ipse mei, dulcis amice, vale. |
Que le Dieu
tout-puissant protège les hauts et magnifiques serviteurs du roi, et
donne au gouvernement de ce prince l'appui de ses armes célestes! Que sa
divine puissance conserve le maître et les sujets, et que la patrie,
durant tout ce règne, soit assurée de son salut! Que le souverain et
saint auteur de toutes choses, qui tendit la main à Pierre, la tende
aussi à ce bon roi! Puissiez-vous jouir pendant de longues années du sa
faveur, et moissonner, sous son sceptre florissant, des plaisirs
durables! Que celui qui aura l'ordre de venir, quel qu'il soit, vienne,
je vous prie, au plus vite, de peur que son retard n'augmente outre
mesure mon impatience. Quand il y a nécessité de partir, il y a quelque
douceur à se hâter, du moment qu'il s'agit d'obéir à une volonté bien
déterminée. Je vous prie en outre très instamment de me rappeler au
souvenir de mon maître, et de me recommander à lui. Irréprochable comme
il est dans sa conduite, qu'il soit heureux à jamais. Vous aussi, ami
cher, souvenez-vous de moi. Adieu. |
|
XXIII. Ad Paternum.
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XXIII. A Paternus (01).
|
|
Nominis auspicio
fulgent tua facta, Paterne,
Munere qui proprio te facis esse patrem,
Servitii nostri non immemor omnia praestas
Et tibi devotis das pia vota libens.
Ut bona distribuas modo qui tam promptus haberis,
Unde magis praestes amplificentur opes. |
Votre nom fait bien augurer de vos actes et leur donne de l'éclat,
Paternus, vous qui êtes déjà père au sens littéral du mot. Vous
rappelant notre dépendance à votre égard, vous nous obligez en tout, et
vous prenez plaisir à faire de charitables vœux pour ceux qui vous sont
dévoués. Prompt comme vous êtes à faire du bien, plus vous donnez, plus
vous augmentez vos richesses. |
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XXIV. Versus in Gavatis.
a.
|
XXIV. Vers sur des plats (01).
a.
|
|
Qui legis in pulchro
circumdata verba metallo,
Si venias purus, hoc imitaris opus:
Nam velut argentum calida fornace probatur,
Sic se purgato pectore prodit homo. |
Toi qui lis les
mots gravés autour de ce beau plat d'argent, si tu es pur, tu ressembles
à ce chef-d'œuvre ; car comme l'argent est purifié par le feu, ainsi est
l'homme par la purgation de son cœur. |
|
b.
|
b.
|
|
Qui venis ad caros
conviva fidelis amicos,
Quod minus est epulis plus in amore capis.
Non haec per pelagus peregrinus detulit hospes,
Sume libens patrii quod genuere lares. |
Toi qui es le
fidèle convive de tes amis, tu es dédommagé de l'insuffisance de leurs
mets par un redoublement de leur amitié. Ces mets n'ont point passé la
mer ; ils n'ont point été apporte: par un hôte étranger ; c'est un
produit du pays ; prends-en donc de bon cœur. |
|
c.
|
c.
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|
Quamvis doctiloquax
te seria cura fatiget,
Huc veniens festos misce, poeta, jocos:
Sic tamen, ut propriam rationem servet honestas,
Nam solet incautus sermo movere manus. |
Quelque graves
que soient les soucis dont un savant et beau parleur comme toi est
obsédé, si tu viens ici, poète, dis-nous quelques joyeuses
plaisanteries. Que l'honnêteté toutefois soit respectée, car des paroles
inconsidérées appellent ordinairement les voies de fait. |
|
d.
|
d.
|
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Vita brevis hominum,
fugiunt praesentia rerum,
Tu cole quae potius non moritura manent.
Erige justitiam, sere pacem, dilige Christum.
Expete delicias, quas sine fine geras. |
La vie est
courte; le présent est fugitif ; attache-toi plutôt à ce qui est
immortel. Pratique la justice, sème la paix, aime le Christ. Recherche
les délices que tu goûteras éternellement. |
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e.
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e.
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Pelle palatinas post
multa negotia rixas,
Vivere jucunde mensa benigna monet.
Causae, irae, strepitus sileant, fora, jurgia, leges:
Hic placeat requies, quam dat amica dies. |
Laisse-là les
disputes de palais et les nombreuses affaires dont elles sont la suite ;
une bonne table t'invite à vivre gaîment. Silence aux colères, au tapage
du barreau, aux procès, aux lois! Jouis ici du repos que t'offre un jour
ami. |
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f.
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f.
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Quem rogo, pacificos
animos ad prandia defer :
Hostem quaere alibi, si tibi pugna placet.
Deliciis mediis lites agitare recuses:
Arma tibi campus, mensa ministret olus. |
Apporte aux
repas, je te prie, des dispositions pacifiques ; cherche ailleurs un
ennemi, si tu aimes à batailler. Ne soulève point de disputes au sein
des plaisirs. Au champ de Mars les armes ; à table, les légumes (02). |
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g.
|
g.
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Si tibi magnanimus
rigida virtute videris,
Secure ad calices fortia bella refer.
Qui venit huc nostrae dapes cognoscere mensae,
Commendet positos gratia sola cibos. |
Si tu as à la
guerre un courage ferme et magnanime, montre-le à vider les verres ; il
n'y a pas de danger. A quiconque vient manger à notre table, les mets se
recommandent par la seule bonne grâce avec laquelle ils sont offerts (03). |
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XXV. Ad Galactorium comitem.
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XXV. Au comte Galactorius (01).
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Saepius optaram
fieri me remige nautam,
Cursibus undifragis ut ratis iret aquis.
Flatibus aut rapidis per dorsa Garonnica ferrer,
Burdigalense petens ut celer actus iter,
Velaque fluctivagum traherent Aquilone secundo,
Me quoque litoreo redderet aura sinu,
Qua pius antistes sacra Gundegisilus offert,
Culmine pro populi qua micat ara Dei,
Tu quoque, quo resides meritis, comes, ample serenis.
Care, Galactori, sedula cura mihi.
Cui rite excellens rex Gunthechramnus honores
Majus adhuc debet, qui tibi magna dedit.
Cum tamen hoc vellem, timor obstitit, aestibus ille
Qui cumulo rapidae mons fremit albus aquae.
Dulcedo invitat civilis, et unda repugnat,
Sic vocat atque vetat hinc amor, inde pavor.
Plane hoc, quod superest, solvat vel epistola currens,
Littera, quod facerem, reddat amore vicem.
Maxime nunc igitur te, dulcis amice, saluto,
Sperans a domino, te superesse diu.
Cumque domo, sociis, antistite, conjuge, natis,
Vive comes, cui sint jura regenda ducis:
Pontifici summo commender, opime, precatu,
Sic tua pars meritis sit data dextra polis.
Si superest aliquid quid forte tributa redundent,
Qui modo mitto apices, te rogo mitte pices |
J'ai souvent
désiré d'être matelot et de ramer à bord d'un navire qui brise les
vagues dans sa course impétueuse, car alors je naviguerais sur la
Garonne, ayant le vent en poupe, et me hâterais d'aller à Bordeaux. Le
vent du nord qui est le bon enflerait mes voiles, et je serais porté
vers les rivages où le pieux évêque Gundégisile (02)
célèbre avec pompe à l'autel de Dieu les saints mystères pour le salut
du chef de la nation (03). C'est
aussi là que vous habitez, comte, riche en mérites sans mélange impur et
l'objet de ma constante sollicitude. C'est à vous que l'illustre roi
Gontran a eu raison d'accorder des honneurs, et il vous en doit d'autres
et de plus grands. Cependant la crainte des vagues qui se dressent en
montagnes écumeuses et frémissantes, s'est opposée à l'accomplissement
de mes désirs. Votre bonté m'invite à venir avec courtoisie, mais l'eau
y est contraire. Ainsi m'appellent et me repoussent tour à tour l'amitié
et la peur. Il ne me reste, pour me mettre hors de peine, d'autre
ressource que de vous écrire. Que cette lettre aille donc vous trouver
et vous rendre à ma place ces devoirs de l'amitié que je vous aurais
rendus moi-même. Je vous salue, cher et illustre ami, espérant que par
la grâce de Dieu vous resterez encore longtemps en ce monde. Vivez,
comte, à qui je souhaite le pouvoir et l'autorité de duc; vivez, vous,
votre famille, vos compagnons, votre femme, vos enfants et l'évêque.
Recommandez-moi aux prières de cet éminent pontife. Que la place due à
vos vertus vous soit donnée dans le ciel. S'il vous reste par hasard
quelque excédant de tributs, envoyez-moi, je vous prie, de la poix en
échange de cette lettre (04). |
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NOTES SUR FORTUNAT, LIVRE VII.
-------------<*****>-------------
I.
01. — Ce Gogon, avant d'arriver à être
maire du palais sous Sigebert, avait été nutritius regis
ou le commensal du prince. C'est la même chose, selon toute
apparence, que le conviva regis de la Loi
Salique, tit. xliii, 6, et de la
Loi Burgonde, tit. xxxviii, 2.
Gogon fut envoyé en Espagne auprès du roi Athanagilde pour demander à ce prince
la main de sa fille Brunehaut pour Sigebert. C'est ce que dit Grégoire de Tours
au chapitre 57 de ses Epitomata, et ce que
Fortunat fait entendre assez clairement aux vers 41 et 43 de cette pièce.
Grégoire, ibid. ch. 59, raconte de plus que Brunehaut finit par
inspirer au roi, son mari, une telle haine contre Gogon que Sigebert le fit
tuer. Cependant, au liv. VI, ch. 1 de son Histoire, Grégoire dit :
Non post multum tempus Gogo moritur; d'où il
semble que l'historien ait voulu dire que Gogon était mort de mort naturelle.
Grégoire se contredirait donc. Mais il ne faut pas donner ici un sens si
restreint au mot moritur; Grégoire ne s'en
est servi sans doute que parce qu'il ne voulait pas répéter les circonstances
tragiques de la mort de Gogon, et qu'après tout d'un homme qui est tué ou qui
est mort dans son lit, ce n'est pas s'exprimer improprement que dire de lui
moritur.
02. — Afin d'éclaircir ce passage j'ai dû y
indiquer que pour jouer de la lyre avec les doigts et faire usage en même temps
du plectrum ou archet, il fallait y employer les
deux mains, la gauche pour pincer les cordes, la droite pour les frapper avec le
plectre. Sur cette double opération voyez une figure tirée d'une ancienne
frasque romaine conservée au Vatican dans le Dict. des Antiq.
de Rich, au mot Plectrum.
03. — Gogon avait l'esprit très cultivé, de
l'éloquence et du style. C'est ce qu'on peut voir par des lettres qu'il écrit au
duc Chamingus, à Trasericus et à d'autres, lettres que Duchesne a publiées au
tome 1, p. 859 du recueil des Historiens de France. Voy. aussi dom
Ruinart, dans ses notes sur le livre VI, ch. 1, de l'Histoire de Grégoire de
Tours.
04. — Voy. ci-dessus la note 1.
II.
01. On ne connaît le lieu de naissance
d'aucun des trois Apicius. Le plus fameux, contemporain de Sénèque, celui dont
Fortunat parle ici sans doute, et qu'il appelle noster, serait-il
comme lui né aux environs de Trévise, ou à Trévise même?
III.
01. —II y avait eu entre eux sans doute
quelque brouille légère, suite d'un malentendu.
IV.
01. — Je ne trouve pas d'autre sens à
donner à ce recens.
02. — Cette rivière prend sa source en
France, dans les Vosges, et va se jeter dans la Moselle à Consarbrück.
03. — Selon Brower, le Cheir est cette
rivière qui passe sous les murs d'Ivodium, ancienne ville forte située dans les
contrées qu'arrose la Meuse où elle se jette. Le Dictionnaire d'Histoire et
de Géographie de Douillet donne Ivodium pour le nom latin moderne
d'Époisses. Or Époisses est un bourg du département de la Côte-d’Or, à 11 km de
Semur; cela nous reporte un peu loin de la Meuse, la vérité pouvait être
qu'Ivodium était une ville des Trévires, dans la Gaule Belgique, aujourd'hui
Yvoix, Yvoix-Carignan, dans les Ardennes. Voy. le Dict.
de Géogr. anc. et moderne, à l'usage des libraires,
par un bibliophile, 1870, gr. in-8°, au mot
Epoissum. — Plus loin Saba, mot que Brower,
d'après un ancien manuscrit, substitue Sata, et qui est celui que
les populations des Ardennes donnaient à la Sambre.
04. — La Saur prend sa source dans les
Ardennes et se jette dans la Moselle A environ huit mille pas de Trêves.
05. — La Seille qui prend sa source dans le
département de la Meurthe, et se jette à Metz dans la Moselle, après un cours de
105 km. Voy. la note 3 de la pièce xiii
du l. III.
06. — La remarque de Brower sur le mot
helicis est au moins originale. Il pense que par ce
mot le poète désigne l'ours, parce que la constellation de la Grande Ourse est
ainsi nommée en latin (hélice), en grec
ἐλίκη.
Lucchi estime que c'est l'animal appelé elech chez les Germains. Ce doit
être l'élan.
07. — Il ne s'agit pas ici sans doute de
l'école palatine telle qu'elle ne fut constituée que sous Charlemagne, et où on
enseignait les sciences et les arts suivant la division indiquée par Cassiodore
et Martianus Capella, et comprise par ce dernier sous le nom des Sept arts; il
s'agit plutôt de l'école qui avait pour objet d'élever à la cour des jeunes gens
destinés à devenir les leudes des rois mérovingiens, leurs compagnons d'armes et
leurs convives. Cet usage avait été importé d'Orient. Voy. Agathias, l. V, p.
154, 1ère édit., Sulpice Sévère, Vita Martini,
l. I, c. 1. Il y avait aussi à la cour de Charlemagne, à coté de l'école des
sciences et des arts, une école de ce genre. Voy. le moine de Saint-Gall,
de Carolo Magna, l. I, ch. 14, et le moine
Ardon in Vita S.
Benedicti Anianensis, ch. 1 ; voy. enfin Du Cange, v.
Scholaris.
08. — Lupus. Voy. ci-après pièce
vii.
09. — Pietatis jura.
Mot à mot « droits de la piété ». Par la manière dont j'ai traduit ces deux
mots, j'ai plutôt conjecturé qu'entendu ce que le poète a voulu dire.
V.
01. — Grégoire de Tours, Hist.
Franc, VIII, 22, fait mention de ce personnage en ces termes :
Obiit his diebus Bodegisilus dux,
plenus dierum; sed nihil de facultate ejus filiis minutum est.
On voit par là quelle fut la probité de ce duc, mort en 585, puisque le fisc
ne revendiqua rien de la fortune du défunt, sous prétexte d'exactions, comme
c'était l'usage de le faire en ce temps-là, et comme on n'y était que trop
souvent autorisé. Il n'y a donc rien à rabattre des éloges que le poète lui
donne ici, sauf l'emphase et le mauvais goût.
02. — On voit par là que Bodégisille était
en Germanie, quand Fortunat écrivit cette pièce.
03. — Nil persona capit,
terme emprunté à la langue des jurisconsultes.
VI.
01. — Brower et Lucchi donnent
Godegisili pour Bodegisili que portent différents manuscrits indiqués
par M. Léo. Un autre porte simplement ejus.
Or celle pièce venant immédiatement après celle qui est adressée à Bodégisile,
il n'est pas douteux que ce mot ejus ne se
rapporte à ce personnage dont le copiste s'est ainsi évité la peine d'écrire le
nom. — Dans trois manuscrits du Vatican, on trouve le mot
episcopi joint à celui de Galli Magni.
Mais Brower pense que c'est une glose déplacée et qu'il faut la supprimer;
car on ne voit nulle part que Gallus, évêque de Limoges, ait eu des enfants. On
peut ajouter que cet évêque était mort en 554, époque à laquelle Fortunat
n'était point encore venu en France, et qu'on voit ici que le poète parle de
Gallus Magnus comme encore vivant. Il y eut toutefois un Gallomagnus, évêque de
Trêves (Grégoire de Tours, Vit. Patrum, c.
viii, n° 8) qui souscrivit au IVe
concile de Paris, en 573, et au Ier de Maçon en 581, ou 583, selon
Lecomte. Lucchi n'ose affirmer que c'est de cet évêque que parle Fortunat. Quant
à Brower, il croit qu'il s'agit d'un autre Gallomagnus, référendaire, dont parle
Grégoire de Tours, Hist. Franc, IX, 18, qui jouit d'une
grande autorité sous Childebert, puis fut disgracié, dépouillé de ses biens, et
exilé.
02. — C'est-à-dire à moins qu'elle ne fût
quelque chose comme une princesse. Je ne crois pas qu'on puisse entendre
autrement ce passage.
VII.
01. — Lupus fut
d'abord gouverneur de Marseille, puis duc de Champagne, sous Sigebert. Après la
mort du roi, assassiné par ordre de Frédégonde en 515, en butte à la haine
d'Egidius évêque de Reims, il fut dépouillé de ses biens et de son duché, et il
eût péri sous les coups de ses ennemis, sans l'intervention de Brunehaut qui
l'arracha, pour ainsi dire, de leurs mains. (Grégoire de Tours, Hist.
Franc, VI, 4; IX, II.) Cependant, condamné à l'exil par Childebert,
fils de Sigebert, il se retira à Laon, chez le roi Gontran qui l'accueillit avec
bonté, et le garda jusqu'à ce que le jeune roi d'Austrasie eut atteint l'âge
légitime, aetatem legitimam : ce qui
veut dire sans doute l'âge de gouverner par lui-même. (Idem, ibid.
VI, 4.) Plus tard, Lupus revint auprès de Childebert et rentra dans ses bonnes
grâces. (Idem, ibid. IX, 11.) On est surpris que ni Grégoire, ni
Frédégaire, ni Fortunat lui-même dans cette pièce et dans les deux suivantes, ne
disent pas que Lupus ait été maire du palais, major domus,
sous Sigebert. Cependant, d'après l'énumération que fait le poète des
attributions et des actes d'autorité de ce personnage, il est difficile d'en
douter. Ainsi, dans cette pièce vii,
nous voyons que le roi se déchargeait sur lui du poids des affaires (v. 10), que
son repos était assuré, grâce au soin que prenait Lupus des intérêts de la
pairie (v. 22, 23) ; que le même Lupus recevait les ambassadeurs, discutait avec
eux, leur imposait ses vues auxquelles le roi n'avait plus qu'à donner son
approbation (v. 25, 29, 30); que lorsqu'il entrait au palais, il le remplissait
de sa présence, y apportait avec soi un surcroît d'honneur, la joie et la
sérénité, et y était reçu comme le génie tutélaire de ta royauté (v. 65-68); que
les chefs militaires, c'est-à-dire les ducs ou leudes, le regardaient comme leur
commune lumière (v. 70), et s'effaçaient devant lui; qu'il avait bien raison de
n'abandonner rien de ses honneurs, lui par qui les rois sont maintenus à la
hauteur à laquelle ils ont mérité d'être élevés (v. 43, 44). Pour finir,
Fortunat compara Lupus aux anciens Romains, par où il semble entendre les
consuls qui prenaient les armes en temps de guerre, et proposaient ou
défendaient les lois en temps de paix (v. 45, 46). On voit là, si je ne me
trompe, comme un tableau rapide des prérogatives et de la puissance des maires
du palais sous les rois mérovingiens, en Austrasie, ce qui rend encore plus
probable que Lupus exerça cette fonction suprême, ce sont les flatteries que le
poète lui prodigue, comme à l'homme de qui dépendaient toutes les grâces, et
dont la faveur et la protection étaient sans doute moins difficiles à obtenir,
et aussi plus efficaces que celles du roi même. Victor Leclerc a traduit uni;
partie de cette pièce. Il ne l'a pas entendue, la plupart du temps, et s'est
tiré d'affaire en cachant ses grosses infidélités au texte sous un style d'une
élégance un peu recherchée. Voyez le Répertoire de la littérature ancienne et
moderne, t. XIV, p. 202 et suiv. — Un autre personnage nommé Conda ou
Condan, à qui est adressée la pièce xvi
de ce livre, jouit successivement sous les rois Théodoric, Théodebert,
Théodebald, Clotaire et Sigebert, et, avec le titre de
domesticus, auquel Sigebert ajouta en dernier lieu celui de
conviva regit, d'une autorité à peu près égale
à celle du maire du palais.
02. — Tu condis sensus,
nam salis unda cibos. Ce nam que portent cependant tous
les manuscrits, est une faute ou le poète lui donne ici le sens de
ut ou de ceu. Il fait
une comparaison, cela est évident. Remarquez en outre que c'est le nom de Conda
qui amène ce verbe condis.
03. — C'est une allusion à Sigebert et à
Brunehaut, de la royauté desquels Lupus est ici considéré comme le tuteur et le
gardien. Cela peut être vrai; mais cette vérité n'eût sans doute pas été du goût
de Sigebert, si Lupus eut eu l'imprudence de lui en faire part.
04. — Leibnitz, dans
Excerpta veter. autor. au t. I,
p. 59 des Scriptores rerum Brunsvicens., se
demande qu'avaient à faire les Danois en Vétéravie, pays où s'était livré le
combat dont il est ici question, et il répond qu'il résulte de ce passage que
les anciens ont quelquefois confondu ce peuple avec les Saxons.
05. — On ne saurait dire quel était ce
fleuve. Selon Leibnitz, loc cit., c'était une rivière de la
Vétéravie, comme la Nida, la Weddera, d'où liraient leurs noms les Wedderavi,
les Bordari, ainsi qu'on le voit par une lettre du pape
Grégoire adressée à ces peuples en faveur de Windfrid ou saint Boniface. Voy.
les lettres de Grégoire III dans les Conciles de Labbe, t. V, p. 1401,
dans les Annales de Baronius, t. XII, p. 400, et dans l’Italia
sacra d'Ughelli, t. V, p. 1089 et 1090.
06. — Laugona, probablement
Logana, rivière du Nassau, affluent du Rhin.
07. — Voyez ci-dessus la note 1.
VIII.
01. — Brower et Lucchi donne margine
qui n'a aucun sens, et cela, il est vrai, d'après tous les manuscrits;
mais il doit y avoir là ou faute de copiste ou mauvaise lecture. M. Fréd. Léo
propose spargine el il a raison. Il eût introduit
cette version dans le texte qu'il n'eût pas eu tort non plus.
02. — M. Léo ne pouvait pas non plus
laisser subsister ce singulier hémistiche : pascitur herbis
equus qui a cinq ou six formes différentes et aussi malheureuses dans
les manuscrits, et dans les plus anciennes éditions. Il y a substitué et a
imposé au texte pascitur ervus equis que
Fortunat a dû écrire. L'ers est une plante légumineuse qui, comme la jarosse,
était donné en herbe aux bestiaux et aux chevaux : bobus
jumentisque utilissimum, dit Pline, XXII, 73, éd. Littré.
03. —Le poète a déjà rappelé ce fait, l.
III, pièce xviii, v. 8.
04. — Fortunat semble ici faire allusion
aux graves dangers qu'avait courus Lupus, et dont il avait été tiré par
l'intervention de Brunehaut. Voy. la pièce ci-dessus, note 1.
05 — J'ai voulu donner en français une idée
de cet étrange galimatias, et pour cela j'ai dû serrer du plus près possible le
latin en le traduisant.
06. — Le luth dont jouait Achille, au
moment où les députés d'Agamemnon vinrent le trouver pour essayer de fléchir sa
colère et le supplier de venir au secours des Grecs :
τερόμενον
φρένα
φορμιγγι
λιγείν, dit Homère, Il. IX, 180. — La crowd (altération du
mot celtique cruid) était un petit luth en usage chez les bardes Gallois.
Cet instrument est le même que les trouvères appellent la rote : Krote
en Irlandais, luth ; Kruit, harpe, id. Voyez du Cange, v.
Rocta.
07. — Leudos.
Voy. liv. I, Préf., note 3.
IX.
01. — Fortunat étant venu en Gaule en 565
environ, comme on l'a fait voir dans sa Vie, on doit en conclure que ce poème
fut écrit en 574.
02. — On peut conjecturer de ce passage que
si Fortunat ne recevait pas de lettres des siens, c'était moins leur faute que
celle de la guerre qui sévissait en Italie alors ravagée par les Lombards. Ou
les lettres étaient interceptées, ou elles se perdaient en chemin.
03. —Cette sœur est nommée Titiana, l. XI,
6.
X.
01. — Ce Magnulfus n'a de commun que le nom
avec celui qui fut évêque de Toulouse, et qui fut insulté, frappé, puis envoyé
en exil par Désiderius, ainsi que le rapporte Grégoire de Tours, Hist.
Franc, VII, 97. Il était comte, et comme on le voit ici, gouverneur
de quelque ville ou province.
02. — Ce Sigismond parait être le même que
celui auquel sont adressées les pièces xx
et xxi de ce livre.
03. — Ces deux derniers vers que les divers
éditeurs de Fortunat se sont bien gardés d'éclaircir, comme tant d'autres qui
sont aussi obscurs, donnent lieu à quelques observations. La première regarde le
mot reparetis, la seconde le mot
illum, la troisième l'époque où cette pièce a
été écrite. Et d'abord ce pluriel reparetis
indique que le poète s'adresse non seulement a Magnulfus, mais à sa famille
particulière ou à ses administrés. Illum désigne
Ici Lupus, disgracié et exilé, comme on l'a dit note 1 de la pièce
vii de ce livre, et pour le
rétablissement duquel le poète fait ici des vœux. Ce rétablissement eut lieu en
effet; mais il résulte de ces deux vers que la disgrâce de Lupus arriva dans
l'intervalle qui sépare la composition des trois pièces précédentes, de la
composition de celle-ci.
XI.
01. — Suivant M. Léo, Fortunat aurait
manqué d'aller trouver Jovinus. Or, Il semble ici que le poète aurait été
empêché de le faire par quelque circonstance où il avait dû payer de sa personne
par affection pour son ami, et peut-être dans l'intérêt de cet ami. Le style de
la fin de cette pièce est fort bizarre, et l'on n'est pas aussi assuré de
l'entendre que le Pater et l'Ave.
XII.
01. — Sine fune.
Voyez ma Dissertation n° 4.
02. — Ovide, Met. XIII, v.
281, donne cette qualification à Achille : Graium murus
Achilles.
03. — Ce fut Palamède qui découvrit la
feinte d'Ulysse contrefaisant l'insensé pour ne point aller au siège de Troie.
Il prit Télémaque alors au berceau, et le mit devant le soc de la charrue
qu'Ulysse conduisait. Mais Ulysse détourna aussitôt la charrue.
04. —
Virgile, En, X, v. 180 : sequitur
pulcherrimus Astur, Astur equo fidensa.
05. — Celer sorte
Quirinus. Le poète fait-il allusion ici à la tromperie de
Romulus à l'égard de Rémus auquel il avait assuré faussement qu'en consultant le
vol des oiseaux ou le sort, il avait vu douze vautours, tandis qu'il n'en avait
vu réellement que six comme Rémus lui-même? Cette tromperie fâcha fort Rémus, et
le ressentiment qu'il en eut fut cause qu'il franchit, en se moquant, le fameux
fossé de Romulus qui le tua sur le champ. Voy. Plutarque, Romulus,
14 et 15; si ce n'est pas cela qu'impliquent les mois celer sorte,
je ne sais ce qu'ils signifient.
06. — Philosophe Stoïcien, disciple et
successeur de Zénon de Cittium, il mourut vers l'an 225 avant J.-C.
07. — On ne sait quel est ce Lysa placé ici
et d'une manière assez inattendue entre Virgile et Ménandre, et pas loin
d'Homère. Lucchi croit qu'il est mis là pour Lysis, disciple de Pythagore, dont
parle Cicéron, de Off. I, 40, et de
Orat. III, 34. C'est une erreur, car il ne s'agit pas ici
d'un orateur, comme était Lysis, mais d'un poète.
08. — Quelle liaison y a-t-il entre ce
vers, fort peu clair d'ailleurs, et le vers suivant? M. Léo propose
Quin igitur mutuo; on a traduit ici
conformément à cette leçon, car elle offre au moins un sens raisonnable.
XIII.
01. — Ce Félix dont les manuscrits et
l'édition de Venise font assez plaisamment le beau-père,
socer, de Fortunat, fut le condisciple du poète à Ravenne, et
dans la suite évêque de Trévise, qui était leur patrie commune. Voy. la Vie de
Fortunat, nos 23 et 24.
XIV.
01. — Ce Mummolenus parait être le même qui
est appelé suessonicus par Grégoire de Tours,
Hist. Fr. X. 2. On voit ici qu'il était quelque chose comme
intendant des palais royaux. Son fils Bobo conduisit en Espagne Rigunthe, fille
de Chilpéric, pour y épouser le roi Récarède, comme le rapporte le même
historien, ibid. VI, 45. Son autre fils Bodégisille, qu'il ne faut
pas confondre avec le Bodégisille de la pièce V, fut envoyé en ambassade auprès
de l'empereur Maurice par le roi Childebert, et tué à Carthage, dans une
sédition. Grégoire de Tours, Ibid. X, S.
02. — Il ne veut pas dire certainement
qu'il eût tondu de sa langue la largeur de ces pâturages, mais qu'il crut s'en
nourrir, rien qu'à les voir.
XV.
01. —Ce Bérulfe, qui fut duc ou gouverneur
de la Touraine et du Poitou, comme le dit Grégoire de Tours, Hist.
Franc., VIII, 20, n'était que comte lorsque Fortunat lui adressa
cette petite pièce agréablement ironique. Après la mort de Sigebert qui l'avait
fait duc, ayant clandestinement enlevé de l'argent du trésor royal, Bérulfe fut
pris et jeté en prison avec son frère et complice Arnégisèle, et sans
l'intervention des évêques, le roi Childebert l'eût fait mettre à mort. On voit
ici par les vers 5 et 6, que la pièce fut écrite pour les deux frères.
02. — Brower pense que
litania est ici le même que jejunium,
parce que dans l'ancienne Église, le Jeûne se joignait à la récitation des
litanies. On le voit prescrit en effet par la lettre de Charlemagne, t. I, des
capitulaires, col. 3SG : Nos autem Domino adjuvante tribus
diebus Litaniam fecimus... Et a vino et a carne
ordinaverunt sacerdotes nostri... ut abstinuissent... et interim
quod ipsas litanias faciebant, discalecati ambulassent.
— Remarquez la construction bizarre de ce vers, et l'impossibilité absolue d'en
ordonner les mots et de les traduire régulièrement.
XVI.
01. — On appelait
domestici ceux qui étaient chargés, entre autres fonctions, de la
garde du palais du roi et veillaient à toutes les dépenses nécessaires pour
l'entretien du mobilier et de la table de la demeure royale, voy. Grégoire de
Tours, Hist. Franc, X, 28. Leur chef était qualifié de
comes domesticorum. Ils faisaient partie des
optimates du royaume, et assistaient avec le roi aux placita
conjointement avec les autres dignitaires du palais. Voy. Ruinart dans les notes
sur l’Hist. Franc. de Grégoire de Tours, VI, 11 et VII, 21,
où il rapporte que ces domestici étaient aussi
appelés cubicularii. Voyez aussi Du Cange
qui, dans son Glossaire, explique en détail les différents grades et fonctions
des domestici. — On a adopté ici le mot de
majordome, parce que les majordomes réunissaient communément en
leurs mains tout ou plusieurs pouvoirs des domestici,
comme par exemple Lupus (pièce vii
de ce livre, note 1), et parce que ce mot nous est plus familier.
02. — Théodoric, fils de Clovis, et frère
de Clotaire. Le tribun du fisc, était le collecteur des impôts. Il avait aussi
la garde du camp et des prisons, comme on le voit dans la Vie de Saint
Germain, évêque de Paris, par Fortunat, ch. 62 et 68, et par la Vie
de sainte Radegonde, ch. 38, par le même.
03. — Théodebert était fils de Théodoric,
et lui succéda.
04. — On sait que le Cingulum,
en grec
ζώνη, était une ceinture que portait un chef militaire comme insigne de
sa dignité. Ce même mot était aussi appliqué à la dignité et au dignitaire
lui-même. C'est dans ce dernier sens qu'il est employé au vers 39 de la pièce
VII de ce livre. Voyez des exemples nombreux de ce double emploi dans Du Cange,
édit. Didot, au mot Cingulum.
05. — Théodebald, fils de Théodebert, était
encore enfant, lorsqu'il succéda à son père mort, en 548. Ce même Théodebald
étant mort en 555, Clotaire en réunit le royaume au sien, ainsi que le dit
Grégoire de Tours, Hist. Franc, IV, 9. C'est sous ce prince
que Condan, comme on le voit au vers 33, conserva sa place et ses honneurs,
comme aussi sous Sigebert, fils de Clotaire, à qui échut le royaume de
Théodoric. V. la Vie de Fortunat, n° 43.
06. — Je ne puis croire que Fortunat
veuille dire ici que Sigebert affranchit les esclaves de Condanus; c'eût été lui
faire un méchant cadeau; mais il put leur accorder certaines exemptions ou
privilèges, comme il se pratiquait alors en effet.
07. — De là on est porté à conclure que les
convives du roi l'emportaient sur les domestici.
Dans le Concile de Tolède, can. 3, sont appelés convives du
roi ceux quos regia potestas participes mensœ sua efficit.
08. —Sur la guerre que Sigebert fit aux
Saxons, voyez la pièce i du livre
VI.
XVII.
01. — S'agirait-il ici de
Théodechilde dont Fortunat loue la piété, pièce
iii, liv. VI?
XVIII.
01. — Achaemeniis...
signis. Achémènes est considéré comme le chef d'une famille
puissante de la tribu des Pasargades, d'où descendaient Darius et Cyrus. Chez
les poètes, Achéménie et Perse sont souvent synonymes. Sidonius,
dans les Panégyriques d'Anthémius :
Interea te, Susa, tremunt, ac supplice cullu
Flectit Achaemenius lunatam Persa tiaram.
02. — On sait que les runes sont les
caractères dont se servaient jadis pour écrire les Scandinaves (Danemark, Suède,
Norvège, Allemagne septentrionale). Ils sont antérieurs à notre ère, suivant les
uns, et, selon d'autres, ne datent guère que du neuvième siècle après
Jésus-Christ. En Scandinavie on les trouve gravés tantôt sur des pierres
funéraires, tantôt sur des bâtons célèbres sous le nom de bâtons runiques
et qui furent des calendriers portatifs.
03. — Sous le nom de charta dolatilis
le poète n'a pu entendre du papier fait à coup de dolabre, mais du bois
préparé en tablettes pour en faire la fonction.
XX.
01. — Ce Sigismond paraît avoir vécu en
Germanie, comme on le voit plus clairement dans la pièce qui suit.
02. — Allusion aux Lombards qui dévastaient
alors l'Italie.
XXI.
01. — Alagisile, frère du Sigismond de la
pièce précédente et de celle-ci.
02. — Parentes. Que veut dire
par là le poète? Comment ces deux frères étaient-ils ses parents? Pourquoi
cessera-t-il d'être un étranger a leur arrivée? Sigismond et Alagisile
auraient-ils été Italiens? En tout cas ils ont eu quelque emploi militaire en
Germanie sous le roi Sigebert, comme il paraît par les vers 11 et 13 et par le
dernier.
XXII.
01. — On appelait référendaires, chez les
rois Francs, ceux à qui était confiée la garde de l'anneau, ou sceau royal, et
qui l'apposaient sur les actes officiels. Voy. Grégoire de Tours, Hist.
Franc, V. 31. Mabillon, de
Re diplom. II, 11, s'étend longuement sur les devoirs et
les prérogatives des référendaires. Il serait trop long de rechercher si le
Boson à qui celle pièce est adressée, est le même que Gontram Boson qui
est qualifié de duc par Grégoire de Tours (Hist. Franc, VI,
34 et passim), et qui commandait l'armée du roi Gontram. Si c'est lui, il
avait été référendaire avant d'être duc.
XXIII.
01. — Ce Paternus serait-il le même à qui
est adressée la pièce xxv du livre
III?
XXIV.
01. — Gavatae ou Gabatae.
Cette expression n'a été employée que postérieurement à Auguste. Voy.
Martial, VII, 48; XI, 31. C'était une espèce particulière de plat; on n'en sait
pas davantage, si ce n'est qu'ils étaient la plus souvent en argent. Isidore,
Orig., XX, 4, dit : Lancis,
gavata, quasi cavata. g pro c littera posita. Du
Cange : Paropsis; gavata vel
catinus.
02. — C'était donc un festin de carême?
03. — Ce dernier vers semble répondre à la
question ci-dessus.
XXV.
01. — C'est le même personnage auquel est
adressée la pièce xix du liv. X.
02. — Avant d'être évêque, Gondégisile
avait été comte de la Saintonge et il portait alors le surnom de Dodo
(Grégoire de Tours, Hist. Franc, VIII, 22). Il succéda à
Bérichram sur le siège épiscopal de Bordeaux en 585, et il fut un des
évêques qui intervinrent pour apaiser les troubles arrivés dans le monastère
Sainte-Croix, après la mort de Radegonde.
03. — Culmine pro populi. Nul
doute que par ces termes le poète ne désigne le roi Gontram. Fortunat emploie
communément et jusqu'à satiété le mot culmen pour indiquer tout
personnage revêtu de quelque haute dignité civile, militaire ou religieuse.
04. — Voyez ma Dissertation, n° 8.
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