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A LA TABLE DES MATIÈRES DE FORTUNAT
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
FORTUNAT
POÉSIES
LIVRE VIII
vie -
dissertation - livre I -
livre II - livre III -
livre IV - livre V -
livre VI - livre VII - livre IX -
livre X - livre XI -
Appendice
VENANCE FORTUNAT
POÉSIES MÊLÉES
LIBRE OCTAVUS
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LIVRE HUITIEME
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I. Ex nomine suo ad diversos.
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I. A divers en son nom (01).
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Aonias avido qui
lambitis oro Camenas.
Castaliusque quibus sumitur arte liquor,
Quos bene fruge sua Demosthenis horrea ditant,
Largus et irriguis implet Homerus aquis,
Fercula sive quibus fert dives uterque minister:
Tullius ore cibum, pocula fonte Maro;
Vos quoque, qui nunquam morituras carpitis escas,
Quas paradisiaco germine Christus alit,
Facundo tonitru penetrati, qui retinentur
Nunc monitis Pauli, postea clave Petri:
Fortunatus ego hinc humili prece, voce saluto.
(Italiæ genitum Gallica rura tenent).
Pictavis residens, qua sanctus Hilarius olim,
Natus in urbe fuit, notus in orbe pater.
(Eloquii currente rota, penetravit ad Indos,
Ingeniumque potens ultima Thyle colit.
Perfundens cunctas, vice solis, lumine terras.
Cujus dona favens, Persa, Britannus habet;
Christicolo Scythicas laxavit amore pruinas,
Dogmate ferventi frigida corda calent).
Martinum cupiens, voto Radegundis adhæsi,
Quam genuit cælo terra Thoringa sacro.
Germine regali pia neptis Herminefredi,
Cui de fratre patris Hamalafredus adest.
Mens ornata bonis fugitivos sprevit honores,
Sciens in solo firma manere Deo.
Regia lactineo commutans pallia cultu,
Vilior ancillæ vestis amata tegit.
Splendida serraco quondam subvecta superbo,
Nunc terit obsequio planta modesta lutum.
Quæ prius insertis onerata est dextra zmaragdis,
Servit inops famulis sedulitate suis.
Aulæ celsa regens quondam, modo jussa ministrat,
Quæ dominando prius, nunc famulando placet.
Paupertate potens, et solo libera voto,
Clarius abjecto stat radiata loco.
Aurea fulcra tenens jam tum sibi vilis honore,
Effugit extructum, pulvere fusa, torum.
Si contemnatur, tunc nobilis esse fatetur,
Et putat esse minor, si datur ullus honor.
Parca cibo Eustochium superans, abstemia Paulam,
Vulnera quo curet, dux Faviola monet :
Melaniam studio reparans, pietate Blesillam,
Marcellam votis æquiparare valens,
Obsequio Martham renovat, lacrimisque Mariam,
Pervigil Eugeniam, vult patiendo Theclam.
Sensibus ista gerit quidquid laudatur in illis,
Signa recognosco quæ prius acta lego.
Omnia despiciens, et adhuc in corpore constans,
Spiritus hic vivit, sed caro functa jacet.
Terram habitans, cælos intrat, bene libera sensu,
Atque homines inter jam super astra petit.
Cujus sunt epulæ, quidquid pia regula pangit,
Quidquid Gregorius Basiliusque docent,
Acer Athanasius, quod lenis Hilarius edunt,
Quos causæ socios lux tenet una duos,
Quod tonat Ambrosius, Hieronymus atque coruscat,
Sive Augustinus fonte fluente rigat,
Sedulius dulcis, quod Orosius edit acutus,
Regula Cæsarii linea nata sibi est.
His alitur jejuna cibis, palpata nec unquam
Fit caro, sit nisi jam spiritus ante satur.
Cetera nunc taceam, melius quia teste Tonante,
Judicioque Dei glorificata manent.
Cui sua, quisque potest, sanctorum carmina vatum
Mittat in exiguis munera larga libris:
Se putet inde Dei dotare manentia templa,
Quisquis ei votis scripta beata ferat.
Hæc quoque qui legitis, rogo, reddite verba salutis,
Nam mihi charta levis, pondus amoris erit. |
Vous qui n'épargnez pas aux Muses Aoniennes vos avides baisers, et dont
l'oreille s'abreuve de la liqueur de Castalie; vous que les greniers de
Démosthène enrichissent de leur blé, et qui vous baignez dans les eaux
abondantes et fécondes d'Homère; vous à qui deux serviteurs opulents,
Cicéron et Virgile, apportent sur des plateaux, l'un le ragoût de son
éloquence, l'autre le breuvage de sa poésie; vous aussi qui vous
alimentez de mets immortels, que le Christ nourrit de la semence du
paradis, qui, pénétrés de la parole divine retentissante comme le
tonnerre, avez pour frein, tantôt les avertissements de Paul, tantôt les
clefs de Pierre, moi Fortunat, je vous salue humblement. La Gaule garde
dans son sein un enfant de l'Italie ; il demeure à Poitiers où jadis est
né saint Hilaire connu dans le monde entier. Sur le char roulant de son
éloquence Hilaire a pénétré dans les Indes, et Thulé, située à la limite
du monde, vénère son puissant génie. Il remplit toutes les terres de sa
renommée, comme le soleil de sa clarté. Les Perses ont ses enseignements
en grande faveur, ainsi que les Bretons. Il a dissipé par l'amour du
Christ les frimas de la Scythie, et fondu les glaces des cœurs par la
chaleur de sa doctrine. Je n'avais d'autre désir que de visiter le
tombeau de saint Martin : Radegonde a voulu que je restasse et je restai
(02).
Née du sang royal sous le ciel sacré de la Thuringe, cette pieuse
princesse est la nièce d'Herménéfride (03)
et a pour cousin Hamalafrède, fils du père de son père (04).
Son cœur parfait méprise les honneurs éphémères; sa science est de
rester ferme en Dieu seul. Elle a échangé ses habits de reine contre les
vêtements blancs (05); elle porte
avec amour la robe sordide des servantes. Jadis on la voyait traînée sur
un char superbe, maintenant, par obéissance à la règle, elle va
modestement à pied dans la boue (05 bis).
Celle dont les bras étaient chargés de bracelets ornés d'émeraudes, est
pauvre, et est la servante empressée de ses servantes. A la cour, elle
donnait des ordres, ici elle en reçoit et les exécute. Maîtresse, on
l'aimait ; servante, on l'aime encore. Puissante par sa pauvreté et
libre par sa seule volonté (06),
elle jette d'autant plus d'éclat que sa condition actuelle est plus
basse. Elle couchait dans un lit aux balustres d'or,
elle se
sentit avilie par tant de luxe, et refusant même un lit dressé, elle
couche à même sur la poussière. Si on la méprise, elle dit qu'on
l'ennoblit, et elle croit déchoir si on lui rend quelque honneur. Elle
surpasse Eustochie (07) par son
extrême sobriété et Paule par ses jeûnes; elle a appris de Fabiola le
moyen de guérir ses blessures morales. Elle nous a rendu le zèle de
Mélanie, et la piété de Blésilla. Par les vœux qui la lient elle peut
être comparée à Marcella. Elle rappelle Marthe par sa diligence, Mariel
par ses armes, Eugénie par ses veilles, Thècle par sa patience. Elle a
en soi tout ce qu'on loue dans ces saintes femmes, et je reconnais dans
ses actes les leurs mêmes tels que je les ai lus. Son esprit, qui
dédaigne toutes choses, vit toujours dans son enveloppe de chair, mais
cette chair est abattue et morte. Habitante de la terre, elle s'élève du
milieu des hommes, et entre dans le ciel, libre des entraves des sens.
Elle fait ses délices des saintes prescriptions de sa règle, des
enseignements de Grégoire (08) et
de Basile, de ceux de l'intrépide Athanase et du doux Hilaire (09),
l'un et l'autre éclairés de la même lumière et soldats de la même cause.
Elle lit Ambroise qui tonne, Jérôme qui lance des éclairs, Augustin,
source inépuisable d'éloquence, l'élégant Sedulius et le subtil Orose.
Elle suit la règle de Césaire (10)
qui semble avoir été faite pour elle. C'est quand elle est à jeun
qu'elle se nourrit de ces mets; elle ne touche jamais à la viande avant
que l'esprit ne soit rassasié. Je n'en dis pas davantage. Le témoignage
et le jugement de Dieu la glorifieront mieux que je ne saurais le faire.
Que chacun selon son pouvoir lui envoie les vers des saints poètes; ce
sera un présent considérable sous un très petit volume. Ce sera aussi
doter les églises établies que de lui apporter des écrits édifiants (11). Vous qui lisez ceci, envoyez-lui vos vœux pour sa santé,
car, à mon avis, une lettre de vous, si légère soit-elle, donnera du
poids à votre affection (12). |
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II. De itinere suo, cum ad domnum Germanum ire
deberet, et a domna Radegunde teneretur.
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II. De son voyage, lorsque voulant aller trouver saint Germain, à
Paris, il était retenu à Poitiers par Radegonde (01).
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Emicat ecce dies, nobis iter instat
agendum,
Debita persolvens, emicat ecce dies.
Me vocat inde pater radians Germanus in orbe,
Hinc retinet mater: me vocat inde pater.
Dulcis uterque mihi, voto amplectente cohæsit,
Plenus amore Dei, dulcis uterque mihi:
Carior hæc animo quanquam sit, et ille beato,
Clarior ille gradu, carior hæc animo.
Mens tenet una duos æquali calce viantes,
Ad pia tendentes mens tenet una duos.
Proficit alterutro quidquid bene gesserit alter,
Unius omne bonum proficit alterutro.
Sunt quia corde pares, jussus non ire recuso,
Obsequar ambobus, sunt quia corde pares:
Nec tamen hinc abeo, quamvis nova tecta videbo:
Corpore discedo, nec tamen hinc abeo
Hic ego totus ero, nec corde, ac mente revellor,
Sic quoque dum redeo, hic ego totus ero.
Porrigat arma mihi cælestia mater eunti:
Ut sibi plus habeat, porrigat arma mihi. |
Voici le jour
venu, où l'on me presse de partir et de m'acquitter de ma promesse;
voici le jour venu. Germain, mon père, la lumière du monde, m'appelle
là-bas ; ma mère (02) me retient
ici, Germain m'appelle là-bas. L'un et l'autre me sont chers; jeteur
suis étroitement uni, ils me souhaitent avec une ardeur égale, et sont
remplis de l'amour de Dieu; l'un et l'autre me sont chers. Celle-ci est
plus avant dans mon cœur, quoique mon cœur soit heureux de posséder
aussi celui-là ; il est supérieur en dignité; elle est plus avant dans
mon cœur. Ils ont un même esprit, et marchent du même pas, dans la voie
de la piété; ils ont un même esprit. Le bien que l'un a fait profite à
tous les deux, et le bien qui échoit à un seul profite à tous les deux.
Puisque leur affection pour moi est égale, je ne refuse pas de partir;
je ferai leur volonté, puisque leur affection pour moi est égale.
Cependant je ne m'en vais pas d'ici, quoique j'aille visiter d'autres
toits, et si mon corps s'éloigne, cependant je ne m'en vais pas d'ici.
Ici je serai tout entier, ne pouvant m'en arracher d'esprit ni de cœur;
de même qu'à mon retour de là-bas, je serai ici tout entier. Que ma
mère, à mon départ, me donne des armes célestes; pour qu'elle obtienne
davantage (03), qu'elle me donne
des armes célestes. |
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III. In nomine domini nostri Jesu Christi, et domnæ
Mariæ, matris ejus. De virginitate.
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III. Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de Notre-Dame Marie,
sa mère. De la Virginité (01).
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Culmina
multa polos radianti lumine complent.
Lætanturque piis agmina sancta choris.
Carmine Davidico plaudentia brachia texunt,
Creditur et sacro tripudiare gradu.
Cœtibus angelicis hominum sociata propago,
Reddit honorificum laudis amore sonum,
Alternis vicibus divina pœmata psallunt,
Atque Creatori mystica verba canunt.
Lucida sidereo cœli strepit aula tumultu,
Laudibus et Domini concutit astra fragor.
Hinc patriarcharum resonant modulamina vocum,
Inter quos Abrahæ est maxima cura fide.
A quo acceperunt, reddunt dehinc verba prophetæ,
Moyses ante alios dux, mare teste, viros.
Inde favent fratres, et celsa caterva piorum,
Lumen apostolicum, præmeditante Petro.
Qui valet ex meritis cineres animare sepultos
Et revocare diem voce jubente potest.
Hinc mercede pari sequitur prius ordo senatum,
In quibus est Stephanus, victor honore prior.
Quos saxis, gladiisque, fame, site, frigore, flammis.
Ereptos terris jungit in astra fides.
Casibus heu variis, quos sic tulit ira furentis,
Etsi mors dispar, lux tamen una tenet.
Inde Dei genitrix, pia virgo Maria coruscat,
Virgineoque agni de grege ducit oves:
Ipsa puellari medio circumdata cœtu,
Luce pudicitiæ splendida castra trahit.
Per paradisiacas epulas sua vota canentes,
Ista legit violas, carpit et illa rosas.
Pratorum gemmas ac lilia pollice rumpunt,
Et quod odoratum est flore comante metunt.
Eufemia illic, pariter quoque plaudit Agathe,
Et Justina simul, consociante Tecla.
Hic Paulina, Agnes, Basilissa, Eugenia regnant,
Et quascumque sacer vexit ad astra pudor.
Felices quarum Christi contingit amore
Vivere perpetuo nomina fixa libro.
Has inter comites conjuncta Casaria fulget,
Temporibus nostris Arelatense decus.
Cæsarii monitis luci sociata perenni,
Si non martyrii, virginitatis ope.
Quos Liliola refert, æquatis moribus, ambos,
Et claram heredem proxima palma manet.
Et quæcumque suos vigilans meditabitur actus,
His erit egregio participanda gradu
Concipiente fide Christi Radegundis amore
Cæsarii lambit regula quidquid habet;
Cujus pontificis refluentia pectore mella
Colligit, et rivos insatiata bibit.
Quantum fonte trahit, tantum sitis addita crescit,
Et de rore Dei plus madefacta calet.
Nec sibi, sed cunctis generaliter unica vivens,
Felix angustam pandit ad astra viam.
Sed tibi præ reliquis, mater pia, carior instat,
Eligit excelso consociare choro.
Res probat ipsa tamen, quoniam quæ filia constas,
Te matrem votis optat habere suam.
Quamque suis genibus caram nutrivit alumnam,
Præficit ecce, suo constituenda loco;
Et quæ te semper baculi moderamine rexit,
Prompta sub imperio vult magis esse tuo.
Proficit illa sibi, cum tu præponeris illi,
Illa subit votum, te potiente gradu.
Ecce diem festum tandem pietate Tonantis,
Quam precibus genitrix sæpe rogabat, habet.
Cujus respirant tacito præcordia pulsu,
Angustosque animos gaudia larga replent.
Exspectata nimis oculos ad tempora tendens,
Semina lætitiæ dona superna metit.
Optat adhuc supplex unum quod restat honoris.
Ut placeas Christo, consocianda polo.
Qualiter hæc capias, labor esse videtur agentis:
Sed labor iste brevis fruge replendus erit.
Servitio domini subdenda est ad juga cervix,
Nec grave, sed leve fit, quidquid amore feres.
Non aliunde petas, in matre exempla require:
Aspicis ante oculos quod mediteris opus;
Cum qua festinas simul esse in luce perenni,
Condecet hic simili currere lege viam.
Sit tibi dulce decus, veneranda Casaria præsens,
Præsule Cæsario non caritura tuo.
Illos corde sequens, mandataque corpore complens,
Ut teneas flores, has imiteris apes.
Respice qui voluit nasci de ventre puellæ,
Et Domini summi qua caro carne venit.
Spiritus intactam venerabilis adtigit alvum,
Virgineam cupiens inhabitare domum.
Hanc Deus ingrediens, hominis quæ nesciit usum,
Sola suo nato conscia virgo viro.
Concipiente fide, nullo se semine lusit
Et quo factus homo est, non fuit alter homo.
Virginitas felix, quæ partu est digna Tonantis,
Quæ meruit dominum progenerare suum.
Templa Creatoris sunt membra pudica puellæ,
Et habitat proprius tale cubile Deus,
Quantum sponsa potest de virginitate placere,
Ipsa cui genitrix non nisi virgo placet?
Sara, Rebecca, Rachel, Esther, Judith, Anna, Nœmi,
Quamvis præcipue culmen ad astra levent:
Nulla tamen meruit mundi generare parentem:
Quæ dominum peperit, clausa Maria manet.
Intemerata Deum suspendit ad ubera natum,
Et panem cœli munere lactis alit.
Hoc ergo in sponsæ nunc viscera diligit ipse,
Quod prius in matrem legit honore sacer.
Pectora liberius penetrat sibi cognita soli,
Et quo nemo fuit, lætior intrat iter.
Hæc sua membra putans, quæ nulla injuria fuscat,
Quæ neque sunt alio participata viro,
Mitis in affectu, pectus conplectitur illud,
Promptus amore colens, quo alter amator abest.
Cum sua regna Deus pariter velit omnibus esse,
Hoc commune tamen Christus habere fugit.
Per paradisiacas epulas cupit esse coheres,
Virgineam solus vult habitare domum.
Castra pudicitiæ melius rex ipse tuetur,
Si sibi non violet turba dicata fidem.
Ipse voluntatem si viderit esse fidelem,
Proque suis famulis et Deus arma tenet.
Lorica, clipeo, galea præmunit amantem,
Et stabilit solidum mentis in arce gradum.
Ballista jaculans pro te mox exit in hostem,
Perdat ut adversos, qui tibi bella movent,
Currit ad amplexus post prœlia gesta triumphans,
Infigens labiis oscula casta sacris.
Blanditur, refovet, veneratur, honorat, obumbrat,
Et locat in thalamo membra pudica suo.
Siderei proceres ad regia vota frequentes,
Certatim veniunt, adglomerando chorum.
Quo præter Cherubin, Seraphin, reliquosque beatos,
Aligeros comites, quos tegit umbra Dei,
Bis duodena senum concursat gloria vatum
Attonitu, sensu plaudere, voce, manu.
His venit Elias, illis in curribus Enoch,
Et nati dono, virgo Maria prior.
Jurisconsulti Pauli comitante volatu,
Princeps Romana currit ab arce Petrus:
Conveniunt ad festa simul sua dona ferentes,
Hi quorum cineres urbs, caput orbis, habet,
Culmen apostolicum, radianti luce coruscum.
Nobilis Andream mittit Achaia suum.
Præcipuum meritis Ephesus veneranda Johannem,
Dirigit et Jacobos terra beata sacros:
Læta suis votis Hierapolis alma Philippum,
Producens Thomam munus Edessa pium.
Inde triumphantem fert India Bartholomæum,
Matthæum eximium Naddaver alta virum.
Hinc Simonem ac Judam lumen Persida gemellum,
Læta relaxato mittit ad astra sinu.
Et sine rore ferax Ægyptus torrida Marcum.
Lucæ evangelica participante tuba.
Africa Cyprianum, dat Siscia clara Quirinum.
Vincenti Hispana surgit ab arce decus.
Egregium Albanum fecunda Britannia profert,
Massilia Victor martyr ab urbe venit.
Porrigit ipsa decens Arelas pia dona Genesi,
Astris, Cæsario concomitante suo.
Ipse Parisiaca properat Dionysius urbe,
Augustodino, Symphoriane, venis.
Privatum Gabalus, Julianum Arvernus abundans,
Ferreolum pariter pulchra Vienna gerit.
Hinc simul Hilarium, Martinum Gallia mittit,
Te quoque, Laurenti, Roma, beate mihi.
Felicem meritis Vicetia læta refundit,
Et Fortunatum fert Aquileia suum.
Vitalem, ac reliquos, quos cara Ravenna sepultat,
Gervasium, Ambrosium, Mediolane, meum.
Justinam Patavi, Euphemiam huc Calchedon offert:
Eulalia Emerita tollit ab urbe caput.
Cæciliam Sicula profert, Seleucia Theclam,
Et legio felix Agaunensis adest.
Europæ atque Asiæ quis lumina tanta recurrat?
Vel tua quis possit pignora, Roma, loqui?
Undique collectos diversis partibus orbis,
Agminibus junctis, regia pompa trahit.
Intrant sidereo vernantes lumine portas:
Excipit hos proceres urbs patefacta poli.
Incedit sensim tunc prætextata potestas,
Ordine patricio sic potitura loco.
Nobilitas cœli, dives cruce, sanguine Christi,
Festinat festos concelebrare choros.
Paupertas terræ censu, cæleste redundans,
Consulibus tantis regia vota colit.
Undique distincte numerosa sedilia complent,
Attonitique silent, rege loquente, patres.
Majestas arcana Dei tum pondere fixo,
Alloquitur proceres, quos sua dextra regit;
« Hæc
mihi pollicitum servavit virgo pudorem,
Nec voluit placitam dilacerare fidem:
Sollicitis animis, sponsi vestigia sectans,
Et mea vota petens, inviolata venit.
Per tribulos gradiens, spinæ cavefecit acumen.
Sentibus in mediis nescia ferre vepres.
Vipera, serps, jaculus, basiliscus, emorrois, aspis,
Faucibus horrificis sibila torsit iners,
Inde sagitta volans, hinc terruit arcus euntem:
Doctast insidiis cautius ire suis,
Inter tot hostes nulli se subdidit insons,
Vulnera suscepit, sed tolerando fugit
Per tela et gladios, tenuit mora nulla sequentem:
Sed tam dura nimis nonnisi ferret amor.
Ad me aures, oculos, animos suspensa tetendit,
Cum terris jacuit, jam super astra fuit.
Singultus, gemitus, curas, suspiria, fletus
Sæpius audivi non abolenda mihi.
Abscondens aliis, nulli confessa dolores,
Intellecta mihi murmura clausa dedit.
Vidit forte meum quotiens in imagine vultum,
Oscula dans labiis, lumine fudit aquas,
Pervigil incubuit, si forte alicunde venirem,
Marmore jam tepido frigida membra premens,
Hæc gelifacta meum servavit in ossibus ignem:
Visceribus rigidis pectus amore calet.
Corpore despecto, recubabat in aggere nudo,
Seque oblita jacens, me memor ipsa fuit.
Fletibus adsiduis exhausto humore genarum,
Siccatis oculis, terra natabat aquis.
Et quia me vivens carnali lumine quondam
Cernere non potuit, misit amata precem.
Nam mihi sollicito nocturnis sæpius horis,
Scripta suis lacrimis pagina lecta fuit.
Plena quidem variis tremulo sermone querellis,
Quod sine me sola mæsta jaceret humo.
Cujus ab ore fluens nativo gutta liquore,
Hæc dedit in tremulis signa relata notis:
Strata
solo recubo lacrimans, neque cerno quod opto,
Tristis in amplexu, pectore saxa premo.
Sponso absente manens tam dura cubilia servo;
Nec mea quem cupiunt, membra tenere queunt.
Dic ubi sis, quem exspecto gemens qua te urbe requiram
Quave sequar, nullis semita nota locis.
Ipsa venire velim, properans si possit in astris
Pendula sideream planta tenere viam.
Nunc sine te fuscis graviter nox occupat alis,
Ipsaque sole micans, est mihi cæca dies.
Lilia, narcissus, violæ, rosa, nardus, amomum,
Oblectant animos germina nulla meos.
Ut te conspiciam, per singula nubila pendo,
Et vaga per nebulas lumina ducit amor.
Ecce procellosos suspecta interrogo ventos,
Quid mihi de domino nuntiet aura meo?
Proque tuis pedibus cupio cæmenta lavare,
Et tua templa mihi tergere crine libet.
Quidquid erit tolerem; sunt omnia dulcia dura:
Donec te videam, hæc mihi pœna placet.
Tu tamen esto memor, quoniam tua vota requiro;
Est mihi cura tui, sit tibi cura mei.
«
Hæc referens avidis
jactabat brachia palmis,
Si posset plantas forte tenere meas:
Cum decepta sibi sine me sua dextra rediret,
Luminis instillans ora lavabat aquis.
Cum recubaret humo neque victa sopore quievit,
Consuliturus ei sæpe simul jacui.
Condolui pariter, lacrimarum flumina tersi,
Oscula dans rutilis mellificata favis.
Nunc igitur regnet, placidoque fruatur amore,
Quæ mihi jam pridem pectore juncta fuit. »
Adsensu
fremit aula poli, residente senatu:
Nomen perpetuo scribitur inde libro.
Traditur æternum mansura in sæcula censum,
Virginis in thalamos fundit Olympus opes.
Inseritur capiti radians diadema beryllis,
Ordinibus variis alba zmaragdus inest;
Alligat et nitidos amethystina vitta capillos,
Margaritato flexilis arte sinu.
Sardonyche impressum per colla monile coruscat,
Sardia purpurea luce metalla micant.
Dextræ armilla datur carcedone, jaspide, mista,
Aut hyacinteo sudat honore manus.
Brattea gemmatam cycladem fila catenant;
Sidereis donis arte sigilla tument.
Pulchra topaziacis oneratur zona lapillis,
Chrysolitha aurata fibula claudit acu,
Veste superposita: bis cocto purpura bysso,
Qualem nupta Deo ferre puella potest,
His cumulata bonis thalamo regina sedebit,
Atque poli solem sub pede virgo premet.
Cui tamen hoc opus est, cum virginitatis honore,
Ut placeat sponso mens moderata suo.
Inconcussa gravem teneat, patientia vultum,
Viribus ira suis ne labefacta ruat.
Neu faciles animos ventosa procella fatiget,
Fluctibus in mediis anchora cordis agat.
Virtutum speciale decus patientia fulget,
Qua gradiaris iter, Job tibi signa dabit.
Quidve
loquar humilem, quem gratia celsa decorat?
Et quantum ima petit, surgit ad alta magis.
Quod diversa nimis divisa est causa duobus:
Qui jacet, ille subit; qui tumet, ipse cadit.
Hæc exempla quidem Joseph Faraoque dederunt:
Tollitur ille lacu, mergitur iste freto.
Est etiam laudis stipendia poscere, tantum
Ne premat ipsa suum pestis avara sinum.
Contentus minimis, si non majora requirat,
Pauper in angusto regnat, habendo Deum.
Sapphira vel mulier geminos largita minutos,
Illa tenendo perit, hæc sua dando manet.
O nimium felix quem non modo mollia frangunt,
Judice qui sese membra labore terit!
Spernit opum laqueos, unguenta, toreumata fluxa
Ut custos animæ sit rigor ipse suæ.
Hoc etiam recolens, quid possit parcior usus,
Sobrietas Judith vincere sola facit.
Quidve animum dulcem memorem, quem gratia pascit?
Cum intra se populos viscera cara ferant!
Pacificus, gaudens, unus complectitur omnes,
Stringit in affectu pectora cuncta suo.
O nimium felix, florens bonitate voluntas,
Qua sine nil populo, nec placet ara Deo!
Hoc opus, ut quotiens aliquo mens fertur amaro,
Firmet in adversis spes comitata fidem,
Aspera non frangant, tumidos neque prospera reddant:
Sic mediocre tenens, cautius itur iter.
Hæc bona sumit homo, tribuat si gratia Christi,
Inspirante illo, vel moderante gradum.
His ornata bonis radiantia lumina fundis,
Has retinens gemmas, tu quoque gemma micas.
Virginitas felix nullis æquanda loquellis,
Nec si centenuuus suppleat ora sonus!
Quod prius est: sine sorde nitet, venerabilis orbi,
Naturæ proprium non vitiando bonum.
Corporis inlæsum servans pretiosa talentum,
Perpetuas retinens, nescia furis, opes.
Non premit incluso torpentia viscera fetu,
Aut grave facta jacet pignore mœsta suo,
Inter anhelantes animæ seu corporis æstus,
In dubio pendens stamine fessa salus.
Quando suis jaculis uteri læsura tumescit,
Atque voluptatis morbida crescit hydrops.
Ultra hominis habitum tantum cutis effera turget,
Ut pudeat matrem hoc, quod amore gerit.
Se fugiens propriis verecunda parentibus aufert,
Donec depositum sarcina solvat onus.
Quis gemitum partus verbis æquare valebit,
Aut cui tot lacrimas carmine flere vacet,
Cum sua secretum compago relaxat onustum;
Atque dolore gravi viscera fascis agit?
Victa puerperio, membrorum porta fatiscit,
Exit et ad lucem fors sine luce puer.
Sin vivat genitus, genitrix se oblita requirit,
Tristis, et ad natum lumina lassa trahit.
Respicit expositum, nec jam sua mater, alumnum,
Quæ vix dum peperit, hæc modo funus habet.
Nec mater fructu meruit, nec virgo vocari,
Hæc duo damna dolens, se male nupta gemit.
Nam validus * * * spes rapta dolores.
Nec fletu nati se fovet illa sui.
Non caras lacrimas infantis ab ore resorbet,
Aut teneras voces, lacte fluente, rapit.
Tristis decrepito damnat sua viscera luctu,
Quod jacuit natus, heu, dolet ille sinus.
Quod si vita manet pueri, nec semper habenda,
Incipiat teneros ut dare voce sonos:
Imperfecta rudis conlidens murmura linguæ,
Cum matrem dulci fauce susurrus alit.
Contingatque nefas, rapiatur pectore matris?
Ætas ad damnum crevit adulta suum.
Triste flagellatis genitrix orbata capillis,
Defuncti in labiis ubera sicca premit;
Infundens lacrimas, lamenta resuscitat ardens,
Et gelidum corpus, fonte tepente lavat.
Dilacerat faciem, crinem aufert, pectora tundit,
Heu dolor armatus, sic sua membra ferit.
Si videt alterius natum, sua pignora deflet,
Æqualemque suum tristis obisse gemit.
Alter si ploret, currat, stet, gaudeat infans,
Ante oculos nati ludit imago sui.
Quem semel effudit, per cuncta momenta requirit
Nec miseræ matris pendet ad ora puer.
Quid si aliud gravius, moriatur et ipse jugalis?
Quæ nova nupta fuit, jam viduata jacet.
De thalamo ad tumulum, modo candida, tam cito nigra;
Ante quibus caluit frigida membra tenet.
Construit exsequias, perversaque vota celebrans
Exornat tumulum, heu, spoliando torum.
Sæpe maritalem repetit miserando sepulchrum,
Contemptaque domo, funus amata colit.
Incumbit tumulo, solacia cassa requirens,
Cujus membra prius, nunc super ossa premit,
Fletibus irriguis, perituro carmine, luget:
Funeris obsequio lumina perdit amor.
Quot mala plebeiæ veniant quis pandere possit?
Vix bene reginæ, quæ viduata manet.
«
Non veto conjugium,
sed præfero virginis alvum.
»
Quod dat apostolica Paulus ab ore tuba.
Inclita virginitas, cælos quæ dote mereris,
Cum thalamis Christi consocianda places.
Funera nulla gemis, sine limite gaudia sumis:
Vivit amor semper, nec tibi Christus obit.
Illic regna tenes, hic vincis, et integra fulges,
Omni tuta loco, sanctificata Deo.
Hæc tibi, cara Deo, meritis venerabilis Agnes.
Offero: quo placeas, tu faciendo colas.
Judicis ut jussu munus tribuatur utrisque:
Quando corona tibi, tunc mihi vel venia.
Opto per hos fluctus, animas tu, Christe, gubernes
Arbore et antemna velificante crucis.
Ut post emensos mundani gurgitis æstus,
In portum vitæ nos tua dextra locet. |
Une foule de hauts personnages remplissent le ciel d'une lumière
radieuse, et de saints concerts y réjouissent leurs pieuses phalanges.
Ils accompagnent de leurs battements de mains les cantiques de David, et
l’on croit même qu'ils exécutent des danses sacrées. Les enfants des
hommes, mêlés aux chœurs des anges, font entendre un chant de gloire et
d'amour. Ils chantent aussi en alternant de divines poésies, et
célèbrent le Créateur en un langage mystique. La brillante cour céleste
retentit de la joie tumultueuse de ses hâtes, et les astres sont
ébranlés par le bruit des louanges du Seigneur. On entend les voix
mélodieuses des patriarches, et parmi eux est Abraham, le prince des
croyants. Les prophètes redisent les paroles de celui qui les inspirait.
Moïse en est le chef et marche à leur tête ; tel on le vit au passage de
la mer Rouge. Les apôtres (02)
poussent des acclamations ainsi que la troupe glorieuse des élus. Voici
Pierre, se préparant par la méditation à répandre la lumière
apostolique, qui par ses mérites ranime la cendre des tombeaux et peut à
son commandement rappeler les morts à la vie. Suit l'ordre des
sénateurs, dignes par leur piété d'une égale récompense. Parmi eux et en
première ligne est Etienne, vainqueur du martyre; il est suivi de ceux
que la lapidation, le fer, la faim, la soif, le froid, les flammes ont
ravis à la terre, et que la foi réunit dans le ciel. Victimes de tous
les genres de supplices et de la fureur des bourreaux, ils sont éclairés
d'une même lumière, quoiqu'ils aient subi une mort différente.
Après eux parait dans tout son éclat la pieuse Marie, mère de Dieu,
conduisant les brebis du troupeau virginal de l'Agneau. Entourée d'un
nombreux essaim de jeunes vierges, elle entraîne avec soi cette
splendide armée de la chasteté. Les vierges célèbrent leurs vœux dans
les banquets du paradis. L'une cueille des violettes, l'autre des roses.
D'autres cueillent des lis; d'autres ces fleurs qui sont les pierres
précieuses des prairies. Toutes celles que leur parfum trahit sont
moissonnées. Euphémie est là ; là aussi est Agathe qui applaudit avec
Justine et Thècle. Ici triomphent Pauline, Agnès, Basilisse, Eugénie, et
toutes celles que leur chasteté a conduites dans ces demeures sacrées.
Heureuses celles qui ont mérité, par leur amour du Christ, d'être
inscrites sur le livre de la vie éternelle! De ce nombre est Casarie (03)
qu'on distingue parmi ses compagnes. Elle fut l'ornement de la ville
d'Arles, et dut aux conseils de Césaire de participer à la lumière
éternelle sinon par le martyre, du moins par sa virginité. Liliola (04)
les rappelle tous deux par des mœurs semblables ; une palme prochaine
attend cette brillante héritière. Quiconque entre ses filles voudra
réfléchir et veiller sur ses actions, arrivera comme elle à la place
éminente qu'elle occupe (05).
Pénétrée d'une foi féconde et pleine d'amour pour le Christ, Radegonde
pratique scrupuleusement la règle de Césaire. Elle recueille le miel qui
découlait du cœur de ce pontife, et boit à cette source sans être
rassasiée. Autant elle y puise, autant sa soir s'en accroît, et plus
elle est trempée de la divine rosée, plus sa foi en ressent d'ardeur.
Vivant non pour soi, mais pour tous sans exception, elle a le bonheur de
s'ouvrir par ce moyen la voie étroite qui mène au ciel. Cette sainte
mère vous a choisie (06) de
préférence à toute autre pour vous associer au gouvernement de sa
communauté, et elle vous en a tendrement pressée. C'était dire assez
qu'elle vous veut pour mère, vous qui êtes sa fille, élevée sur ses
genoux comme son enfant de prédilection, et que vous commandiez à sa
place. Après avoir exercé jusqu'ici l'autorité, il lui plaît aujourd'hui
de vous être' subordonnée. Il lui est avantageux à elle-même qu'il en
soit ainsi- Vous avez le rang, elle s'y soumet. Enfin, grâce à Dieu, il
est venu ce jour de fête (07) que
la mère demanda si souvent dans ses prières, dont l'attente faisait
battre son cœur en silence, et le remplissait, dans son étroite mesure,
d'un bonheur immense. Les yeux fixés sur ce moment trop attendu, elle
recueille les excellents fruits de la joie qu'elle a semée. Il ne lui
reste plus qu'à vous souhaiter d'avoir cette gloire, de plaire au
Christ, et de lui être un jour unie dans le ciel. De quelque façon que
vous fassiez votre charge, il y aura de la peine pour vous; mais elle
sera courte et les fruits en seront abondants. Il vous faut courber la
tête sans le joug du Seigneur, et alors tout ce que vous ferez par amour
pour lui loin d'être pesant vous sera léger. Modelez-vous sur votre
mère; ne cherchez pas ailleurs d'autres exemples ; vous avez sous les
yeux la tâche qui doit être l'objet de vos méditations. Il importe de
régler vos pus sur celle avec qui vous avez hâte de partager la lumière
éternelle. Ne perdez pas de vue la douce et vénérable Casarie, non plus
que Césaire, son évêque. Suivez-les de cœur, et eu ce qui regarde le
corps, suivez leurs commandements. Imitez ces abeilles et reposez-vous
sur les mêmes fleurs.
Considérez celui qui a voulu naître d'une vierge, et comment le Dieu
fait chair est venu de la chair. L'Esprit souffla sur le sein immaculé
d'une vierge où il voulait fixer sa demeure. La vierge en qui Dieu
entrait n'avait point connu d'homme ; elle comprit seulement qu'il
naîtrait d'elle un homme. Elle fut fécondée par la foi sans le concours
de la semence humaine, et un homme ne naquit pas d'un autre homme (08).
Heureuse virginité trouvée digne d'enfanter un Dieu et de créer son
créateur! Les chastes membres d'une vierge sont sis temples; c'est là
qu'il habite et qu'il repose. Quelle puissance et quel attrait dans la
virginité pour qu'aucune épouse ne plaise à Dieu si elle n'est vierge ?
Sarah, Rébecca, Rachel, Esther, Judith, Anne, Noémi se sont élevées
jusqu'aux astres; aucune d'elles cependant n'a mérité de donner la
naissance au père du monde. Marie eut cet honneur, après quoi son sein
resta fermé. Créature sans tache, elle tient le Dieu son fils suspendu à
sa mamelle, et nourrit de son lait le pain du ciel. Maintenant ce que
Dieu aime dans son épouse, il l'avait auparavant trouvé dans sa mère. Il
pénètre librement dans ces entrailles connues de lui seul; il entre avec
plus de joie dans un chemin où nul n'entra jamais. Ce sont là,
pense-t-il, ses propres membres, exempts de toute souillure, et dont il
n'a été donné à aucun homme de partager la possession. Affectueux et
tendre, il embrasse ce sein qu'il honore d'un amour interdit à tout
autre. Dieu veut que son royaume appartienne également à tous; le Christ
cependant se soustrait à cette communauté. Il veut sans doute être
cohéritier dans la jouissance des biens du paradis, mais il veut habiter
seul dans la maison des vierges. Là il est roi, et il défend mieux les
retranchements de la chasteté, si la troupe qui lui est consacrée ne
viole pas sa foi, et s'il voit qu'on a la volonté de lui titre fidèle;
il est Dieu et il a des armes à l'usage de ses servantes. Celle qu'il
aime il l'a munie d'une cuirasse, d'un bouclier et d'un casque, et l'a
solidement établie dans la citadelle au sommet de la montagne. Lui-même,
lançant des traits, fait des sorties contre l'ennemi, pour détruire tout
adversaire qui ose vous combattre (09).
Après la victoire il accourt triomphant aux embrassements de son épouse,
et applique de chastes baisers sur ses lèvres sacrées. Il la caresse, la
serre contre son sein, l'honore, la vénère, l'honore de ses ailes, et la
dépose tout émue de pudeur dans le lit nuptial.
Les princes de la hiérarchie céleste accourent à l'envi aux noces de
leur roi. Leur troupe se concentre et se forme en chœur. Outre les
chérubins, les séraphins, et le reste des anges, leurs compagnons, que
Dieu couvre de son aile, arrivent à la hâte les quatre-vingt quatre
vieillards (10) qui admirent et
applaudissent de la voix et du geste. Viennent ensuite sur leur char
Élie et Enoch (11), et aussi la
première par le privilège qu'elle tient de son fils, la vierge Marie (12).
Le prince des apôtres, Pierre, accourt de Rome, et avec lui, précipitant
sa marche, Paul, le docteur des nations. Les saints, dont la capitale du
monde garde les cendres, se rendent à ces fêtes et y apportent leurs
présents. La noble Achaïe envoie son André (13),
cette grande et éclatante lumière de l'apostolat, et la vénérable
Ephèse, Jean (14), aux mérites
supérieurs. Les deux Jacques arrivent également de ce bienheureux pays (15).
Hiérapolis, la sainte, joyeuse de voir ses vœux accomplis, envoie
Philippe (16), et Édesse le pieux
Thomas (17). L'Inde envoie
Bartholomé triomphant (18), et
Naddaver l'excellent Mathieu (19).
La Perse ouvrant son sein, en fait sortir, pour les diriger vers les
régions célestes, Simon et Jude, ces deux flambeaux de la foi (20).
La brûlante Egypte, fertile sans pluie, envoie Marc conjointement avec
Luc, la trompette évangélique (21);
l'Afrique Cyprien (22), Scissia
Quirin (23), l'Espagne Vincent (24),
honneur de ce pays; la féconde Bretagne Alban (25),
Marseille Victor le martyre (26) ;
Arles donne. Genès et Césaire (27),
Paris Denys (28), Autun Symphorien
(29), le Gévaudan Privat (30),
l'Auvergne Julien (31), Vienne
Ferréol (32), la Gaule Hilaire et
Martin (33), Rome le bienheureux
Laurent (34), et Vicence le
bienheureux Félix (35). Aquilée
envoie son Fortunat, Ravenne Vital et ceux qui y sont enterrés (36);
Milan Gervais et mon cher Ambroise (37),
Padoue Justine (38), la
Calcédoine, Euphémie (39), Mérida
Eulalie (40), la Sicile Cécile (41),
la Séleucie Thècle (42), enfin
Agaune la sainte Légion thébaine (43).
Qui pourrait rappeler toutes les grandes lumières venues d'Europe et
d'Asie? Qui pourrait nommer les confesseurs de la foi venus de Rome ? La
fête royale attire de tous les points du monde les bataillons unis de la
milice sacrée. La cité céleste leur ouvre ses portes lumineuses, et les
reçoit dans son enceinte. Les hautes puissances, revêtues de la
prétexte, s'avancent peu à peu, et en ordre, et prennent place sur leurs
chaises curules. La noblesse du ciel, riche de la croix et du sang du
Christ, célèbre sans retard les fêtes de l'hymen mystique. Ceux qui
vécurent pauvres sur la terre, comblés aujourd'hui des biens célestes,
témoignent en présence de ces grands consuls de leur respect pour la
volonté du roi. Les Pères silencieux écoutent le Christ parler. Alors la
divine Majesté dont les desseins sont mystérieux, s'adresse en ces
termes aux chefs que dirige sa main :
Cette vierge est restée chaste, comme elle me l'avait promis; elle n'a
pas voulu violer la foi qu'elle m'a jurée et qui m'est chère. Elle a
suivi avec une attention scrupuleuse les traces de l'époux, et sans
avoir porté aucune atteinte à sa pureté, elle est venue à mon appel.
Marchant parmi les chausse-trapes, elle en évita les pointes aiguës, et,
parmi les ronces, ne sut pas être sensible aux épines. Vainement la
vipère, la givre, le javelot, le basilic, l’hémorroïsse et l'aspic
firent entendre autour d'elle leurs horribles sifflements ; vainement
les arcs bandés et les flèches décochées l'épouvantèrent dans sa route,
elle avait appris des embûches mêmes qui lui étaient tendues, à se
diriger sûrement. Environnée de tant d'ennemis, l'innocente ne céda à
pas un d'eux. Elle reçut des blessures, mais elle continua à fuir en les
supportant. Rien n'était capable de l'arrêter, quand elle me suivait, au
travers des traits et des glaives. Quoi donc, si ce n'est l'amour, lui
faisait accepter de si dures épreuves? Toujours ses yeux, ses oreilles,
ses pensées étaient tendus vers moi ; quand elle était encore sur la
terre, elle avait déjà un pied dans le ciel. Souvent je l'ai entendue
soupirer, gémir, sangloter avec larmes; je ne l'ai pas oublié. Réservée
vis-à-vis des autres, n'avouant ses douleurs à personne, elle renfermait
en soi ses plaintes qui n'étaient entendues que de moi. Toutes les fois
qu'elle voyait mon image, elle y appliquait ses lèvres en mêlant ses
larmes à ses baisers. S'il arrivait que je vinsse de quelque part auprès
d'elle, je la trouvais, veillant, et couchée sur le marbre devenu tiède
au contact de ses membres à leur tour devenus glacés. Mon feu
réchauffait ses os, mais son cœur brûlait d'amour, pendant qu'elle avait
les entrailles rigides. Au mépris de son corps, elle couchait sur la
dure, et dans cet état et cet oubli de soi-même, elle ne pensait qu'à
moi. La terre était inondée de ses larmes; ses yeux étaient desséchés,
et comme alors cette créature bien-aimée ne pouvait plus me voir de ses
yeux charnels, elle m'adressait des prières. Souvent pendant la nuit et
alors qu'elle était l'objet de ma sollicitude, elle me lisait quelque
page écrite de sa main, arrosée de ses pleurs, et où, le cœur gros de
soupirs, elle se plaignait en tremblant de rester étendue sur la terre
triste et sans moi. Voici en quels termes émus et mêlés de larmes elle
exhalait ses plaintes :
« Je suis étendue sur la terre, pleurant et ne voyant pas ce que je
désire; j'embrasse tristement la pierre et la presse contre ma poitrine.
Je reste sur ce dur lit pendant que mon époux est absent, et que je ne
puis comme je le veux, le tenir dans mes bras. Dis-moi où tu es, toi que
j'attends et après qui je soupire? En quelle ville te trouverai-je? Où
te suivre, pauvre femme que je suis et partout inconnue? Je voudrais
accourir près de toi, si mes pas chancelants pouvaient s'assurer sur le
chemin du ciel. Maintenant sans toi, la nuit m'enveloppe de ses sombres
ailes, et le jour le plus resplendissant de soleil est pour moi sans
clarté. Il n'est fleur ni plante qui puisse me récréer, ni le lys, ni le
narcisse, ni la violette, ni la rose, ni le nard, ni l'amome. Dans
l'espérance de te voir, j'examine avec attention chaque nuage, mais mon
amour n'est guidé dans ces régions que par une lumière incertaine. Je
suppose que les vents orageux m'apprendront quelque chose sur mon
Seigneur, et je les interroge. Puis, je voudrais laver les dalles où tu
poseras tes pieds, et j'aimerais à essuyer avec mes cheveux le pavé de
tes temples. Enfin, il n'est rien que je ne supporte, et plus dure
serait l'épreuve, plus j'y trouverais de douceur. Toute peine m'est
agréable pourvu que je te voie. Cependant, souviens-toi de moi, parce
que je cherche ta volonté, et inquiète-toi de moi comme je m'inquiète de
toi-même. »
« En parlant ainsi elle portait vivement ses bras en avant comme si elle
eût pensé me saisir les pieds, et, parce que trompée dans son espoir,
elle n'avait saisi que le vide, elle versait des torrents de larmes.
Quand elle était couchée sur la terre, ne goûtant ni repos, ni sommeil,
souvent je pris place à ses côtés, dans le dessin de la consoler; je la
consolais en effet, souffrant avec et comme elle, essuyant ses larmes
qui tombaient sans mesure, et lui donnant des baisers aussi doux que le
miel. Maintenant donc qu'elle règne, qu'elle jouisse de son amour qui
m'a plu, celle qui depuis longtemps m'était unie par le cœur. »
La cour céleste, le sénat siégeant accueillit ces paroles par des
acclamations, et le nom de la nouvelle épouse du Christ fut inscrit sur
le livre éternel. Le ciel où elle doit demeurer à jamais lui ouvre ses
inépuisables trésors, et les richesses qu'ils contiennent sont versées
sur le lit de la vierge. On pose sur sa télé une couronne radieuse,
sertie de béryls entremêlés de blanches émeraudes (44)
; une bandelette couleur d'améthyste lie ses beaux cheveux, et
retombe flexible sur sa collerette garnie de perles. Autour de son cou
est un brillant collier de sardoines aux teintes pourprées. Un bracelet
de calcédoines mêlées d'agates est à son bras droit, et sa main est si
chargée d'hyacinthes qu'elle en est toute en sueur. Sa cyclade, garnie
de gemmes (45), est retenue par un
cordon tissu de fils d'or, et les sujets qui la décorent sont brodés
avec un art divin. Sa magnifique ceinture chargée de topazes, se ferme
au moyen d'une boucle en chrysolite avec ardillon d'or. Par-dessus cet
ajustement elle jette un surtout de fin lin trempé deux fois dans la
pourpre, et tel qu'en pouvait porter une épouse du Christ. Ainsi parée
la vierge-reine se tiendra sur le lit nuptial, et pressera le soleil
sous ses pieds. Cependant outre sa virginité il importe qu'elle ait des
pensées modestes et que par là aussi elle plaise à l'époux ; qu'un calme
imperturbable se lise sur sa figure, qu'il ne lui échappe aucun
mouvement de colère, que les orages de la vanité ne troublent point son
esprit trop docile, et qu'elle tienne son cœur à l'ancre au milieu des
flots. La patience donne aux vertus un éclat particulier. Job a montré
par quelle voie on y arrive.
Que parlerais-je d'humilité à qui a la grâce au suprême degré ? Qui tend
à s'abaisser s'élève d'autant plus. Où il y a trop de disproportion dans
deux états différents, l'humble se relève de terre, l'orgueilleux y est
renversé. Joseph et Pharaon en sont des exemples. L'un fut tiré du fond
d'une citerne, l'autre fut noyé dans la mer. Il est louable d'ailleurs
de demander le prix des services ; seulement que l'avariée, cette peste
qui dévore le cœur, n'y soit pour rien. Il faut se contenter de peu. Si
l'on ne prétend rien au delà, on est à l'étroit sans doute, on est
pauvre, mais on règne en possédant Dieu. Saphira, qui elle aussi était
une femme, offrit aux apôtres son bien diminué d'une partie; elle mourut
pour ce trait d'avarice; la vierge vit pour avoir tout donné. Heureux
qui ne se laisse pas vaincre par la mollesse, et qui ne consulte que soi
pour mortifier son corps par la peine! Il méprise l'appât des richesses,
les parfums, les vases ciselés, les vêtements trop lâches, afin de
sauvegarder sévèrement son âme; il s'en tient à ce qui est de l'usage le
plus économique. La sobriété seule a rendu Judith victorieuse. Que
dirai-je de l'homme au cœur doux, que la grâce nourrit et qui porte ses
semblables dans ses entrailles ? il est pacifique) il aime tous les
hommes; c'est là sa jouissance; il les confond tous dans une même et
étroite affection. Deux fois heureux celui dont la volonté est adoucie
par la bonté! Sans la bonté rien n'est agréable au peuple ; l'autel même
ne l'est point à Dieu. Toutes les fois que l'esprit a sujet d'être
triste, il faut que l'espérance, compagne de la Toi, le raffermisse, que
l'adversité ne l'abatte pas, que la prospérité ne renfle pas. Garder le
milieu est le plus sûr. L'homme prend possession de ces biens, si le
Christ l'inspirant de sa grâce et réglant ses pas, veut bien les lui
accorder. Pour vous, vierge, ces biens sont une parure qui lance des
rayons lumineux, et sous les pierreries qui vous décorent vous êtes
vous-même une pierrerie. Heureuse virginité! il n'est point de paroles,
fussent-elles répétées par cent bouches à la fois, qui puissent donner
une juste idée de ce qu'elle est. Et d'abord son lustre est sans tache,
et c'est parce qu'elle garde dans toute sa pureté le bien qui lui est
propre qu'elle est vénérée du monde entier. Elle garde précieusement et
dans son état parfait cette richesse du corps, retenant en outre sans
penser aux voleurs les richesses éternelles. Elle ne charge point ses
entrailles engourdies, d'un embryon qui y est prisonnier, et ne demeure
pas triste et accablée sous ce faix incommode. Dans les agitations
violentes de l'âme et du corps, quand par suite du trait qui l'a blessé,
le ventre se gonfle, et que l'hydropisie de la volupté augmente, la
santé épuisée de la femme ne tient plus qu'à un fil. La peau soulevée (46)
se distend si fort au delà de sa mesure habituelle que tout heureuse
qu'elle est de son fardeau, la mère en a honte. Elle se fuit elle-même
et par pudeur se tient à l'écart de ses propres parents, jusqu'à ce
qu'elle soit délivrée du dépôt qui l'accable de son poids. Qui pourrait
exactement décrire les douleurs de l'enfantement, ou qui pourrait
pleurer en vers toutes les larmes versées, alors que les muscles se
relâchant, livrent passage au prisonnier, et que les entrailles
s'allègent, au prix de cruelles souffrances? Forcée par la violence de
l'accouchement, la porte s'ouvre, et un être peut-être sans vie vient à
la vie. La mère s'ou-bliaut elle-même, demande si son enfant vit, et
tourne péniblement vers lui des regards mornes. Que voit-elle ? un
nourrisson dont elle n'est déjà plus la mère, étendu sans mouvement.
Elle vient de le mettre au monde, et le voilà mort! Elle ne mérite donc
plus d'être appelée ni vierge, ni mère. Déplorant ce double malheur,
elle gémit de s'être mariée ; elle a perdu l'espoir d'une postérité qui
l'eût dédommagée de ses tortures (47);
elle n'a plus pour le ranimer les chères larmes de son enfant, et ne les
tarit pas à force de baisers ; enfin elle n'apaise pas ses tendres
vagissements en lui donnant son lait. Dans sa tristesse pareille à celle
d'un vieillard décrépit, elle accuse ses entrailles. Ce ventre où reposa
son enfant est tout endolori. Que si l'enfant vit, sans être viable,
qu'arrive-t-il? Dès qu'il commence à pousser ses premiers vagissements,
ou dès que mal déliée encore, sa langue ne fait que bégayer;
lorsqu'enfin le moindre murmure échappé à son faible gosier ravit de
joie sa mère, survient la mort qui l'arrache au sein maternel. Il ne
grandissait que pour mourir. Privée de son enfant, la mère se flagelle
misérablement la chevelure, et presse son sein tari sur les lèvres du
mort ; elle redouble de pleurs et de lamentations passionnées, et baigne
de ses larmes cuisantes un corps glacé. Elle se déchire la figure,
s'arrache les cheveux, se meurtrit la poitrine. C'est ainsi hélas! que
sa douleur trouve des armes pour en frapper son corps. Voit-elle le fils
d'une autre mère, elle pleure le sien qui était du même âge. Qu'un
enfant soit affligé ou qu'il se réjouisse, qu'il coure ou reste en
place, l'image du sien apparaît à ses regards abusés. A tout moment elle
redemande celui à qui elle a donné le jour ; mais il ne vient pas se
suspendre au cou de sa malheureuse mère. Qu'est-ce donc et quoi de plus
triste s'il meurt étant marié? Son épouse est d'hier, et déjà elle est
veuve. Hier vêtue de blanc, elle l'est de noir aujourd'hui et va du lit
nuptial au cercueil, où elle embrasse les membres glacés de celui qui
tout à l'heure l'avait lui-même réchauffée. Elle fait les préparatifs
des obsèques, et par un renversement impie de l'usage, des dépouilles du
lit nuptial elle pare le cercueil. Souvent elle va sur la tombe de son
mari se livrer à sa douleur ; elle a pris en dégoût la maison, elle aime
la mort, elle lui porte ses hommages. Couchée sur cette tombe, elle y
cherche en vain des consolations; elle ne fait que peser sur les os de
celui dont elle avait naguère embrassé le corps vivant. Elle verse à
flots des larmes où se mêlent des imprécations que le vent emporte. A
servir la mort l'amour perd ses yeux. Qui pourrait décrire les maux de
la femme du peuple dans une situation pareille? A peine est-ce un bien
pour une reine d'être veuve.
« Je n'empêche pas le mariage, dit saint Paul, la trompette apostolique,
mais je préfère le sein d'une vierge (48).
» Sublime virginité, toi qui par essence es digne du ciel, lorsque tu as
plu au Christ et que tu es destinée à partager sa couche, tu n'as plus
de morts à pleurer, et tes joies sont sans bornes. L'amour que tu
inspires vit toujours, et pour toi le Christ ne meurt pas. Ici tu
règnes, là tu es victorieuse, éclatante et pure, partout protégée et
sanctifiée de Dieu. O Agnès, chère à Dieu et l'objet de notre vénération
par vos mérites, je vous offre ces vers; si vous voulez m'être agréable,
mettez tous vos soins à ce que par l'ordre de celui qui est notre juge,
chacun de nous reçoive sa récompense, vous la couronne des vierges, et
moi le pardon de mes péchés (49).
Je souhaite, Christ, que sur les flots agités du monde tu guides les
âmes avec la croix pour voile et pour antenne, afin qu'après avoir
navigué sur les abîmes de cette mer, nous soyons conduits par ta main au
port de la vie. |
|
IV. Ad Virgines.
|
IV. Aux vierges (01).
|
|
Inter
apostolicas acies sacrosque prophetas,
Proxima martyribus præmia virgo tenet.
Splendida sidereo circumdata lumine pergens,
Jungitur angelicis casta puella choris.
Fruge pudicitiæ, cœli dotanda talento,
Æterni regis ducitur in thalamos.
Pulchra corona caput triplici diademate cingit,
Et gemmæ exornant pectora, colla, comam.
Induitur teneris superaddita purpura membris,
Et candore nivis fulgida palla tegit.
Floribus æternis oculos rosa, lilia pascunt,
Et paradisiacus naribus intrat odor.
Unde magis, dulcis, hortamur, ut ista requiras,
Quæ dedit Eugeniæ Christus et alma Theclæ.
Virgo Dei, fructus cœli, victoria mundi,
Ut semper regnes, has pete regis opes.
Sunt ibi chrysolithis fabricata palatia gemmis,
Atque smaragdineo janua poste viret.
Limina sardonychæ variato lumine florent,
Et hiacynthæus circuit ordo domum.
Aurea tecta micant, plebs aurea fulget in aula,
Et cum rege pio turba corusca nitet.
Ille puellarum locus est, quæ, lucis amore,
Hic servant domino, corpore, mente, fidem.
Despice quod terræ est, et clara sedebis in astris,
Christi ut sponsa placens regna superna colas.
Præsens vita nimis fugitivo tempore transit,
Virginis integritas glorificanda manet.
Paupertas te parva rogat cum divite Christo,
Ut venias nostro, dulcis alumna, sinu,
Quo patris auxilium domino obtentura preceris,
Atque tibi felix regna beata pares,
Ut pariter sanctæ merearis juncta Mariæ,
Gaudia perpetuo concelebrare choro.
Has quæcunque piis manibus susceperis arrhas,
Non nuptura homini, sed sis amata Dei. |
Dans les armées
apostoliques et parmi les saints prophètes, la vierge a les honneurs
immédiatement après les martyrs. Environnée et toute resplendissante de
la lumière céleste, la chaste jeune fille s'avance et se rallie aux
chœurs des anges. Destinée par sa chasteté à avoir le ciel en dot, elle
est conduite à la chambre nuptiale du roi éternel. Sa tête est ceinte
d'un triple diadème; des pierreries ornent son sein, son cou et ses
cheveux. Ses membres délicats sont revêtus d'une robe de pourpre, sur
laquelle est jeté un riche manteau blanc comme la neige. Les roses et
les lys sont l'éternel aliment de ses yeux; elle aspire les suaves
odeurs du paradis. C'est pourquoi, chère fille, nous t'exhortons à
chercher ces précieuses faveurs que le Christ a accordées à Eugénie et à
Thècle. Vierge de Dieu, fruit du ciel, victorieuse du monde, si tu veux
régner à jamais, demande les munies grâces au seul roi qui les dispense.
Il y a là des palais de topazes, avec des portes d'émeraudes, dont les
linteaux sont garnis de sardoines aux reflets variés. Un cordon
d'hyacinthe règne autour de la maison, les toits sont couverts d'or; un
peuple vêtu de même brille dans cette cour avec le roi de gloire (02).
C'est là la demeure des filles qui, par amour de la lumière céleste,
consacrent nu Seigneur leur corps et leur âme, et lui restent fidèles.
Méprise les choses de la terre et tu auras une belle place dans le ciel
; épouse aimée du Christ, tu habiteras avec lui les royaumes supérieurs.
La vie présente passe et fuit rapidement; la pureté de la vierge
demeure, et doit être glorifiée. L'humble pauvreté, conjointement avec
le Christ, source de toute richesse, t'invite, chère fille, à entrer
dans notre communauté, où tu prieras pour obtenir par la grâce du
Seigneur le secours du Père, et où tu te prépareras l'accès du royaume
de; bienheureux, afin qu'unie à la vierge Marie, tu mérites de chanter
avec elle ses joies dans un concert perpétuel. Qui que tu sois donc qui
auras reçu ces arrhes d'une main pieuse, ne te marie point, et ne sois
aimée que de Dieu. |
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V. Ad domnam Radegundem.
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V. A Radegonde.
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Regali
de stirpe potens Radegundes in orbe,
Altera cui cœlis regna tenenda manent,
Despiciens mundum meruisti acquirere Christum,
Et dum clausa lates, hinc super astra vides.
Gaudia terreni conculcas noxia regni,
Ut placeas regi læta, favente polo.
Nunc angusta tenes, quo cœlos largior intres,
Diffundens lacrimas, gaudia vera metes.
Et corpus crucias, animam jejunia pascunt
Salve, quam dominus servat amore suus. |
Vous qui par
votre origine royale êtes une des puissances de ce monde, et que
d'autres couronnes attendent dans le ciel, vous avez méprisé le monde,
et par là vous avez mérité d'avoir le Christ en partage. Pendant que
dans l'enceinte du cloître, vous vous dérobez à tous les regards, les
vôtres se portent vers le ciel. Vous foulez aux pieds les joies
dangereuses d'un règne terrestre, pour avoir celle de plaire au roi (01),
et le ciel vous approuve. Et maintenant, afin d'y entrer par la porte la
plus large, vous suivez les voies étroites. C'est en versant des larmes
que vous moissonnerez les véritables félicités. Vous vous martyrisez le
corps; les jeûnes sont la nourriture de votre âme ; mais le Seigneur
l'aime et veille sur elle. |
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VI. Ad eandem de violis.
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VI. A la même, sur des violettes.
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Tempora
si solito mihi candida lilia ferrent,
Aut speciosa foret suave rubore rosa,
Hæc ego rure legens, aut cespite pauperis horti,
Misissem magnis munera parva libens.
Sed quia prima mihi desunt, vel solvo secunda,
Profert qui violas, fert et amore rosas;
Inter odoriferas tamen has, quas misimus, herbas,
Purpureæ violæ nobile germen habent.
Respirant pariter regali murice tinctæ,
Et saturat foliis hinc odor, inde color.
Hæc, quod utrumque gerit pariter, habeatis utraque
Et sit mercis odor flore perenne decus. |
Si la saison m'avait donné, suivant sa coutume, des lys blancs et des
roses vermeilles à l'odeur suave, j'en aurais cueilli à la campagne ou
dans les plates-bandes de mon modeste jardin, et j'aurais avec beaucoup
de plaisir envoyé à Vos Grandeurs (01)
ces petits présents. Mais parce que les uns me manquent, et qu'il me
faudrait payer les autres, que votre amitié pour moi fasse de mes
violettes des roses. Cependant, parmi les plantes odoriférantes que je
vous envoie il y a des violettes pourprées (02);
c'est une noble espèce. Teintes du murex royal, elles sentent aussi bon
que les autres, et sont également saturées de couleur et d'odeur. Soyez
l'une et l'autre douées des mêmes qualités, et que le parfum de mon
offrande (03) en reçoive un éternel
honneur. |
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VII. Ad eandem de floribus super altare
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VII. A la même, à propos de fleurs sur un autel.
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Frigoris
hiberni glacie constringitur orbis,
Totaque lux agri, flore cadente, perit.
Tempore vernali, dominus quo Tartara vicit,
Surgit perfectis lætior herba comis.
Inde viri postes et pulpita floribus ornant,
Hinc mulier roseo complet odore sinum.
At vos non vobis, sed Christo fertis odores,
Has quoque primitias ad pia templa datis.
Texistis variis altaria festa coronis,
Pingitur, ut filis, floribus ara novis.
Aureus ordo crocis violis, hinc blatteus exit,
Coccinus hinc rubicat, lacteus inde nivet.
Stat prasino venetus, pugnant et flore colores,
Inque loco pacis herbida bella putes.
Hæc candore placet, rutilo micat illa decore;
Suavius hæc redolet, pulchrius illa rubet,
Sic specie varia florum sibi germina certant,
Ut color hinc gemmas, thura revincat odor.
Vos quoque, quæ struitis hæc, Agnes cum Radegunde,
Floribus æternis vester anhelet odor. |
L'hiver sévit, la
terre est gelée partout; la vie est éteinte dans la campagne, faute de
fleurs. En la saison printanière qui est le temps où le Seigneur
triompha de l'enfer, l'herbe pousse et déploie sa chevelure avec plus
d'abondance. Les hommes ornent de fleurs les portes, les théâtres; les
femmes remplissent et parfument de roses leur corsage. Vous autres vous
portez des odeurs non pour vous-mêmes, mais pour le Christ: vous en
donnez aussi les prémices aux églises. Aux jours de fête vous tressez de
vos mains des couronnes pour les autels, et les parez de guirlandes de
fleurs nouvellement écloses. Il y a une disposition particulière pour le
safran à la corolle dorée, et aussi pour la violette pourprée. Ici
paraissent le rouge vif et le blanc de neige; là le bleu est voisin du
vert. Les couleurs se contrarient tellement qu'on croirait toutes ces
fleurs en guerre les unes avec les autres dans le sanctuaire de la paix.
L'une charme par sa blancheur, l'autre par ses tons jaunes d'or;
celle-ci sent meilleur, celle-là brille davantage. Bref, c'est une lutte
entre ces différentes espèces à qui l'emportera ou par la couleur ou par
l'odeur. Cet arrangement, Radegonde et Agnès, est l'œuvre de vos mains.
Puissiez-vous respirer un jour les senteurs éternelles! |
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VIII. Item ad eandem pro floribus transmissis.
|
VIII. A la même, en lui envoyant des fleurs.
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O regina
potens, cui aurum et purpura vile est,
Floribus ex parvis te veneratur amans.
Et si non res est color, attamen ipse per herbas,
Purpura per violas, aurea forma crocus.
Dives amore Dei, vitasti præmia mundi,
Illas contemnens, has retinebis opes.
Suscipe missa tibi variorum munera florum,
Ad quos te potius vita beata vocat.
Quæ modo te crucias, recreanda in luce futura,
Aspicis, hinc qualis te retinebit ager.
Per ramos fragiles, quos nunc præbemus olentes,
Perpende hinc, quantus te refovebit odor,
Hæc cui debentur, precor, ut cum veneris illuc,
Meque tuis meritis dextera blanda trahat.
Quamvis te spectet paradisi gratia florum,
Istæ vos cupiunt jam revidere fores.
Et licet egregio videantur odore placere,
Plus ornant proprias, te redeunte, comas. |
Puissante reine,
pour qui l'or et la pourpre sont choses viles, un ami vous fait hommage
de ces humbles fleurs. Quoiqu'elles ne soient rien par elles-mêmes,
cependant par leurs couleurs elles sont quelque chose, la violette par
sa teinte purpurine, le safran par son jaune d'or. Riche de l'amour de
Dieu, vous avez fui les richesses du monde ; vous les méprisez, vous
garderez les autres. Recevez ces fleurs variées que je vous envoie; la
vie bienheureuse! vous en donnera de plus belles (01).
Vous qui vous crucifiez maintenant pour renaître à la vie future, vous
voyez déjà quelle y sera votre place. Jugez de la vertu des odeurs qui
vous y ranimeront par ces fragiles fleurs que je vous offre aujourd'hui.
Je vous prie, vous qui devez habiter ce pays, de m'y attirer moi-même,
dès que par vos mérites vous y serez arrivée. Mais quoique les fleurs du
paradis vous attendent, celles-là (02)
souhaitent que vous sortiez dès à présent de votre retraite (03),
et bien qu'elles semblent plaire par leur seule odeur, elles n'en
décoreront que mieux votre tête, quand vous reviendrez. |
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IX. Ad eandem, cum se reclauderet.
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IX. A la même, pendant sa retraite.
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Mens
fecunda Deo, Radegundis, vita sororum,
Quæ ut foveas animam, membra domando cremas,
Annua vota colens, hodie claudenda recurris,
Errabunt animi, te repetendo, mei.
Lumina quam citius nostris abscondis ocellis,
Nam sine te nimium nocte premente gravor;
Omnibus exclusis, uno retineberis antro,
Nos magis includis, quos facis esse foris.
Et licet hic lateas, brevibus fugitiva diebus,
Longior hic mensis, quam celer annus erit;
Tempora subducis, ceu non videaris amanti,
Cum vos dum cerno, hoc mihi credo parum.
Sed tamen ex voto tecum veniemus in unum,
Et sequor huc animo, quo vetat ire locus.
Hoc precor, incolumem referant te gaudia Paschæ,
Et nobis pariter lux geminata redit. |
Esprit que Dieu
féconde, vous qui êtes la vie de vos sœurs, et qui pour réchauffer votre
âme, vous consumez le corps à force de le dompter, aujourd'hui,
Radegonde, vous entrez en retraite (01)
ainsi que vous le faites chaque année; je perdrais ma peine à vous en
rappeler. Lumière qui vous dérobez trop tôt à nos yeux, sans vous je
suis plongé dans les plus profondes ténèbres. Retenue dans le sombre
asile d'où nous sommes exclus, vous vous enfermez d'autant plus que vous
nous tenez plus au dehors. Dieu que vous nous fuyiez et ne vous cachiez
que pour quelques jours, ce mois nous semblera plus long qu'une année si
courte qu'elle soit. Vous nous privez des occasions de vous voir, comme
si celui qui vous aime (02) ne vous
voyait pas toujours, et comme si, quand je vous vois, je ne pensais pas
que je ne vous vois pas assez. Je le jure cependant, je pénétrerai avec
vous dans votre retraite, car je vous suivrai en esprit là où il m'est
défendu d'aller moi-même. Je prie Dieu qu'à la fêle de Pâques vous nous
soyez rendue en bonne santé, et alors ce sera pour nous double fête. |
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X. Ad eandem, cum rediit.
|
X. A la même, après sa retraite.
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Unde mihi rediit
radianti lumine vultus?
Quæ nimis absentem te tenuere moræ?
Abstuleras tecum, revocas mea gaudia tecum,
Paschalemque facis bis celebrare diem.
Quamvis incipiant modo surgere semina sulcis,
Hic egomet hodie, te revidendo, meto.
Colligo jam fruges, placidos compono maniplos,
Quod solet Augustus mensis, Aprilis agit.
Et licet in primis modo gemma et pampinus exit,
Jam meus autumnus venit, et uva simul.
Malus, et alta pirus gratos modo fundit odores,
Sed cum flore nova jam mihi poma ferunt.
Quamvis nudus ager nullis ornetur aristis,
Omnia plena tamen, te redeunte, nitent. |
D'où nous revient
ce visage radieux? Quels obstacles vous ont tenue si longtemps absente?
Vous aviez emporté ma joie avec vous ; vous me la ramenez et êtes cause
que nous célébrons deux fois la fête de Pâques. Quoique le blé ne
commence qu'à lever dans les sillons, aujourd'hui que je vous revois, je
fais la moisson. Je forme déjà les gerbes, j'entasse déjà le grain; je
fais en avril ce qu'on fait en août. Bien que le bourgeon de la vigne ne
commence qu'à percer, l'automne est venu pour moi et le raisin aussi. Le
pommier et le poirier exhalent leurs douces odeurs; mais ils me donnent
des fruits en même temps que des fleurs. Quoique la campagne soit nue et
qu'on n'y voie pas un épi, depuis que vous avez reparu, elle est riante
et l'abondance est partout. |
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XI. Ad Gregorium episcopum, pro infirmitate sua.
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XI. A l’évêque Grégoire (de Tours), sur la maladie du poète.
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Venit ad ægrotum
medici vox alma Gregori,
Urbe ex Toronica, dum cubo rure thoro,
Concite presbytero recitante Leone sereno,
Irem ut Martini sunt ubi festa pii.
Tum fateor, morbi grave debilitate laborans,
Febre calens summo, jam rigor intus eram.
Hinc fragili nimium, forti languore, redacto,
Ilia lassa levans, halitus æger erat.
Ibat anhelanti vapor aridus, ora perurens,
Ibat ab arcanis flatilis aura coquens
Fervor eram totus, tristis rogus igne caminus,
Febris et in fibris stabat aperta, patens.
Donec Christus opem, sudore undante, refudit,
Fervidus et gelidas ignis abegit aquas.
Redditur ipsa salus, pater alme, saluto salutem,
Auxilium exsili sis rogo pastor ovi. |
J'étais malade à
la campagne et alité, quand par un aimable message de mon médecin
Grégoire, transmis par le bon prêtre Léon (01),
je fus invité à venir au plus vite prendre part aux fêtes en l'honneur
de saint Martin. Ma faiblesse, je l'avoue, était extrême ; la fièvre me
brûlait tout le haut du corps, pendant que le bas restait glacé. J'étais
si languissant et si abattu que je respirais avec peine, et que mes
poumons fatigués n'en pouvaient plus. J'étais très oppressé, j'avais la
bouche sèche et brûlante, des gaz recuits s'échappaient de leur magasin
secret; j'étais tout embrasé, un bûcher funèbre, une cheminée où le feu
a pris ; la fièvre demeurait dans mes veines, à la fois visible et
invisible. Le Christ enfin vint à mon aide, j'eus une transpiration
abondante, et les sueurs froides firent place à une chaleur intense.
Rendu maintenant à la santé, ô mon père vénéré, je vous salue. Pasteur,
venez au secours d'une ouaille qui a perdu toute sa graisse |
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XII. Ad eundem pro causa abbatissæ.
|
XII. Au même, pour la cause de l'abbesse.
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Repsit quale nefas
intra pia septa synaxis?
Inconsulte dolor, rumpere verba vetas.
Quale nec ante oculos, patulas neque polluit aureis,
Nec facerent vitio qui sua fana colunt,
Tu tamen, alme pater, pietatis amore labora,
Ut sacer antistes, culmina cujus habes,
Unde repræsentes Martinum in tempore sacrum,
Cursibus atque fide dando salutis opem. |
Quel crime a
pénétré dans l'enceinte sacrée de la communauté! La douleur m'empêche
d'en parler à la légère ; il est tel cependant que jusqu'ici jamais
pareil crime n'a souillé les yeux et les oreilles, et que ceux dont les
temples sont le théâtre du vice, ne le commettraient même pas.
Efforcez-vous donc, père vénérable, de représenter en cette
circonstance, par amour pour la piété, le saint pontife Martin dont vous
occupez le siège, et hâtez-vous d'accourir et de rapporter ici le
secouru de la foi avec le salut (01). |
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a. Epistula pro eadem re
|
a. Au même, lettre sur le même sujet (01).
|
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Commendans humilitatem meam copiosissimæ vestræ dulcedini et mitissimæ
dominationi, suggero ut (causa universalis ecclesiæ talem vos habens
basidem, ut nullus ventorum turbo succlinans, nulla procellarum
propellens congeries possit illic invenire, quod quatiat, aut quod
labefactet, reperiat) in causa, qua conservus meus presbyter, præsentium
portitor, ad vos pro singulari præsidio confidens occurrit (sicut ipse
singula poterit explicare) memores commendationis beatæ dominæ meæ
filiæ, vel jam matris vestræ, domnæ Radegundæ pro loci sui, vel personæ,
totiusque regulæ stabilitate, quod petiit, et verborum vel viscerum
supplicatione commisit, ita præcipiatis infatigabiliter laborare,
qualiter ipse vobis in retributione sempiterna restituat, qui videt
auxilio indigentibus in causa justitiæ vester apostolatus pastoraliter
desudet. |
Mon humilité
recommande à votre abondante charité et à votre autorité paternelle la
cause de l'Église catholique dont vous êtes l'appui, et qui par cela
même ne peut être ébranlée ni renversée par les bourrasques et les
tempêtes. Un prêtre, mon compagnon de cloître, porteur de la présente,
et ayant une confiance particulière en votre assistance, accourt vers
vous, et vous expliquera chaque chose en détail. Rappelez-vous la
recommandation que vous fit Radegonde, ma sainte maîtresse, votre fille
et déjà même votre mère, pour assurer la conservation de sa communauté,
de sa personne et de toute sa règle; comme elle vous en pria par ses
paroles, et vous adjura par ses entrailles. Ordonnez donc que, sans
désemparer, et de manière à ce que celui qui voit tout, vous le rende au
jour de la rétribution éternelle, ou vienne au secours de celles qui en
ont si grand besoin. Faites éclater dans la cause de la justice (02)
toute votre sollicitude de pasteur et d'apôtre. |
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XIII. Ad eundem.
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XIII. Au même (01).
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Antistes Domini,
bone pastor, et auctor honoris,
Rite decus generis, quo est generosa fides.
Justinam famulam pietate, memento, beate,
Per te et commender, stirpe vel arce patri.
Hinc referens grates aviæ, quia reddita tandem,
Ad vultus neptis dulcis imago venit.
Ista diu nostris votis dans gaudia, rector,
Inter avam et neptem tu mediator agas. |
Ministre du
Seigneur, pasteur plein de bonté, vous qui donnez l'exemple de
l'honneur, et êtes le digne ornement d'une famille où la foi va de pair
avec la générosité, daigne votre Béatitude se souvenir de sa pieuse
servante Justine. Intercédez pour moi, ô vous qui m'êtes un père et par
la parenté et par l'autorité. Je vous rends grâce de l'arrivée de mon
aïeule qui m'est enfin rendue, et dont sa petite-fille contemple
actuellement la douce figure. En me donnant cette joie que mes vœux
appelaient depuis longtemps, soyez mon guide et le médiateur
entre la petite-fille et l'aïeule. |
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XIV. Ad eundem salutatoria.
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XIV. Au même, pour le saluer.
|
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Alme, beate pater,
lumen generale, Gregori,
Jure sacerdotum culminis arce caput.
Reddo Deo grates de vobis prospera noscens,
Vestris nunc scriptis lætificatus agens.
Me quoque commendans humili prece, voce saluto,
Jugiter officio quem mea corda colunt. |
Saint et vénéré
père, lumière universelle, Grégoire, chef suprême et légitime des
prêtres du Seigneur, j'apprends les meilleures nouvelles de vous par
votre lettre. Elles me comblent de joie et j'en rends grâce à Dieu. Je
vous salue et nie recommande humblement à vous que je ne cesse d'aimer
et d'honorer. |
|
XV. Ad eundem salutatoria.
|
XV. Au même, même sujet.
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|
Summe Pater patriæ,
celsum et generale cacumen,
Forte decus, generis Toronicensis apex.
Lumen ab Arvernis veniens feliciter arvis:
Qui inlustrans populos, spargeris ore pharus.
Alpibus ex illis properans, mens altior ipsis,
Vir per plana sedens qui pia castra tegis.
Ne noceant hostes qui sunt in ovile fideles,
Unicus in campis publica turris ades.
Huic date dulce caput, regioni care Gregori,
Martini retinet quem sacra sella Patrem.
Me Fortunatum humilem commendo patrono,
Sic tua vita diu hoc sit in orbe Deo. |
Illustre père de la patrie, vous qui, par votre éminente dignité, êtes
au-dessus de tous ; honneur d'une race généreuse (01),
orgueil de la Touraine, lumière venue pour notre bonheur du pays des
Arvernes, phare qui éclairez les peuples, montagne détachée des Alpes et
plus haute qu'elles-mêmes, vous qui, campé dans la plaine, protégez
l'armée des pieux, et veillez à ce que l'ennemi ne fasse aucun mal au
troupeau des fidèles, unique tour vers laquelle la population des
campagnes tourne les yeux, chef parfait donné à ce pays où vous occupez
le trône de saint Martin, cher Grégoire, Fortunat se recommande
humblement à vous, son patron. Que Dieu prolonge encore longtemps votre
vie dans ce monde ! |
|
XVI. Ad eundem salutatoria.
|
XVI. Au même, même sujet.
|
|
Si qua mihi veniet
quoties occasio dulcis.
Opto, sacer, calamo solvere vota meo.
Summe pater patriæ, toto venerabilis orbe,
Undique care mihi, fulgida cura Dei.
Commendas humilem tibi me, sacer arce Gregori.
Pro famulo proprio, quæso, precare Deum. |
Père saint,
chaque fois que s'en présente l'occasion favorable, je m'empresse de
vous écrire pour vous payer le tribut de mes vœux. Père de la patrie,
que le monde entier révère, cher à moi partout où vous êtes, objet de
l'éclatante protection de Dieu, saint pontife Grégoire, je me recommande
humblement à vous ; priez Dieu, s'il vous plaît, pour votre serviteur. |
|
XVII. Ad eundem salutatoria.
|
XVII. Au même, même sujet.
|
|
Si cessent homines
velociter ire, per austros,
Ad te, care pater, carmina missa velim.
Nunc tamen est quoniam gerulus mihi, porrigo verbum,
Sed minus eloquio quam quod amore colo.
Dulcis, opime, decus nostrum, pie papa, Gregori,
Versiculis brevibus solvo salutis opus.
Sed memor ipse mei commenda, quæso, Tonanti:
Sic te consocium reddat honore throni. |
Si les messagers
à la course rapide venaient à manquer, cher père, je m'adresserais aux
vents pour vous porter mes vers. Cependant comme j'ai en ce moment un
porteur sous la main, je le charge d'un mot pour vous, moins éloquent
qu'affectueux. Grégoire, cher et pieux pontife, l'honneur de notre
temps, voici quelques vers dont je paye le rétablissement de votre
santé. Souvenez-vous de moi et me recommandez au Tout-Puissant.
Puisse-t-il, vous appelant au trône de saint Pierre (01),
faire de vous son associé ! |
|
XVIII. Ad eundem salutatoria.
|
XVIII. Au même, même sujet.
|
|
Gurgitis in morem si
lingua fluenta rigaret,
Turbine torrentis vel raperetur aquis,
Ad tua præcipue præconia summa, Gregori,
Dum non explerem flumine, gutta forem.
Munificumque patrem æquaret nec musa Maronis,
Fers bone, quanta mihi, quis valet ore loqui?
Ac brevitate, sacer, famulum commendo subactum,
Me Fortunatum: sit veniale, precor. |
Si, pour vous louer dignement, mes paroles affluaient comme les eaux
d'un gouffre qui déborde, ou se précipitaient comme celles que roule un
torrent, tout cela ne serait qu'une goutte, et je n'aurais pas rempli
mon objet. La Muse elle-même de Virgile serait trop faible pour célébrer
votre paternelle munificence. Qui pourrait dire les biens dont vous me
comblez? C'est donc en peu de mots que je vous recommande votre
serviteur Fortunat. Pardonnez-lui, je vous prie, cette liberté. |
|
XIX. Ad eundem pro villa præstita.
|
XIX. Au même, sur une campagne qu'il lui avait prêtée.
|
|
Tramite munifico
celebravit pagina cursum,
Carmine dulcifluo, quam tuus edit amor.
In qua sorte loci facta est conlatio doni,
Qua Vigenna procax littore frangit aquas.
Lapsibus et tumidis dum fertur nauta carinis,
Jugera culta videt, quando celeuma canit.
Grates, care, gero pietatis fruge reperta,
Qui facis unde decens multiplicetur apex.
Et sine his mea sunt, a te quæcumque tenentur:
Grex habet omnis agris quod bone pastor habes. |
Dans une lettre
en vers doux et coulants, que votre amitié a dictée et où vous célébrez
ma course par un chemin magnifique (01),
vous m'offrez en don (02), et eu
égard peut-être à la situation des lieux, une campagne près de la Vienne
dont les flots inconstants minent les rives, et d'où le batelier,
glissant sur les eaux, ses voiles enflées, contemple les champs
cultivés, en chantant le chant des rameurs. Je vous rends grâce, ami
cher, dont la bonté est si productive, d'avoir ainsi rehaussé l'honneur
de mes fonctions sacerdotales (03).
Mais sans cela même, tout ce qui est à vous est à moi, quelle qu'en soit
la nature. Les champs du bon pasteur sont à ses brebis. |
|
XX. Ad eundem precatoria pro ipso agro.
|
XX. Au même, action de grâces pour le même sujet.
|
|
Munifici reparans Martini gesta,
Gregori,
Texit ut ille habitu, nos alis ipse cibo.
Discipulus placidum sapiens imitando magistrum;
Ille ubi dux residet, miles habebis opem.
Ut chlamydem ille prius, sic tu partiris agellum;
Ille tegendo potens, tuque fovendo decens.
Ille inopem antiquum relevans, tu, care, novellum,
Fit dives merito paupere quisque suo.
Quando reposcetur, vestris redit usibus arvum,
Et domino proprio restituemus agrum.
Unde amplas refero grates, dulcissime rector,
Et repeto pandens hæc tua, pastor, ovis.
Nec tantum reddo, quantum tibi debeo, præsul:
Pro Fortunato sed, rogo, flecte Deum. |
Vous renouvelez,
ô Grégoire, les actes du généreux Martin ; il habillait les pauvres, et
vous les nourrissez. Vous êtes le plus sage disciple et imitateur de ce
bon maître. Il est le général, vous êtes le soldat. Où qu'il soit, son
aide ne saurait vous manquer. De même qu'il partagea son manteau, de
même vous partagez vos terres ; il donnait aux gens des habits, vous
leur donnez le confort et l'aisance. Il me secourut autrefois (01);
vous faites de même aujourd'hui. Il est juste que chacun de vous
s'enrichisse de son pauvre. Ce champ vous sera rendu pour en jouir de
nouveau (02), dès qu'il me sera
redemandé, et retournera à son véritable maître. Je vous rends mille
grâces, ô le plus doux des pasteurs, et mille autres encore au moment où
moi, votre brebis, je vous écris ces vers. Certes, je ne vous rends pas,
cher évêque, autant que je vous dois, cependant invoquez, je vous prie,
pour Fortunat la miséricorde de Dieu. |
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XXI. Ad eundem pro pellibus transmissis.
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XXI. Au même, sur des peaux qu'il en avait reçues.
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Egregio compacta
situ, falerata rotatu,
Atque Sophocleo pagina fulta sopho,
Me arentem vestro madefecit opima rigatu,
Fecit et eloquio quod loquor esse tuo.
Dulcis, care, decens, facunde, benigne Gregori,
Atque pater patriæ hinc sacer, inde cate.
Muneribus, meritis, animis et moribus æquis.
Omnibus officiis, unde colaris, habens:
Me Fortunatum tibi celso sterno pusillum,
Commendo et voto supplice rite tuum.
Cui das unde sibi talaria missa ligentur,
Pellibus et niveis sint sola tecta pedis.
Pro quibus a domino detur stola candida vobis:
Qui datis hoc minimis, unde feratis opes. |
Ces pages si bien
assemblées, ce rouleau orné de phalères (01),
ces vers sur le ton de Sophocle ont été pour ma muse aride un arrosement
qui a eu pour résultat de me faire parler de même style que vous. Doux,
cher, aimable, éloquent et bon Grégoire, père de la patrie, saint et
avisé à la fois, qui attirez le respect de tous par vos libéralités, vos
mérites, votre équité, vos mœurs pures, moi Fortunat, chétif que je
suis, je me prosterne aux pieds de votre grandeur, et vous recommande
scion l'usage avec d'humbles prières celui à qui vous avez envoyé des
talaires (02), en y joignant de quoi les attacher, et des peaux blanches
pour couvrir ses semelles. Puisse en retour le Seigneur vous revêtir de
la robe blanche! Ayez toutes les richesses de la terre, vous qui
gratifiez ainsi les petits. |
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NOTES SUR FORTUNAT, LIVRE VIII.
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I.
01. — Fortunat s'adresse ici à tous les poètes et orateurs
chrétiens en général et indistinctement. Le poète los informe de sa condition
actuelle, et à cette occasion il leur parle et fait l'éloge de Radegonde qui eut
une si grande influence sur sa conduite et ses résolutions.
02. — C'est-à-dire que sur les instances de Radegonde il renonça
à retourner dans sa patrie.
03. — Herménifride, oncle de Radegonde, est le même qui tua
Bertarius, son frère et père de celle-ci. Vaincu dans la suite par Théodoric et
Clotaire, rois des Francs, il fut précipité du haut d'une muraille et tué, dans
une circonstance où tout porte a croire qu'il fut victime d'un guet-apens
préparé par Théodoric. Voy. Grégoire de Tours, Hist. Fr.
III, 4 et 8.
04. — Sur Hamalafrède, cousin germain de Radegonde, voyez la
pièce 1 de l'Appendice.
05. — Ce vêtement était prescrit par la régie de saint Césaire
que suivait Radegonde. On lit en effet dans cette règle, n° 43 :
Tinctura in monasterio nulla alia fiat nisi laja et lactina,
quia aliud humilitati Virginum non oportet, Du Cange,
v° Laïus, ne donne pas la signification de cet adjectif. Je
suppose qu'il indique une couleur, grise par exemple, et que ce mot de basse
latinité pourrait bien venir du grec
λαῖνεος;,
de pierre : gris de pierre.
05 bis. —Elle ne portait pas de chaussure, mais, comme le
poète semble le donner ici à entendre, une toile modeste ou une simple
semelle de bois, qui ne préservait pas ses pieds de la bouc, et qui plus tard
fit partie des reliques de la sainte, mentionnées dans l'inventaire de celles de
l'église de Sainte-Croix de Poitiers, dressé en 1470. Voy. le Trésor de
l'Abbaye de Sainte-Croix de Poitiers, par Mgr Barbier de
Montault, p. 12, n° 33.
06. —M. Léo estime que libera est pour libéralis ;
je crois que le poète fait ici allusion a la volonté de Radegonde qui,
s'étant affranchie par ses vœux des obligations du monde, était libre par ses
vœux mêmes de tout respect humain.
07. — Sainte Eustochie, née à Rome en 365, fit vœu de virginité
en 383, et se mit sous la direction de saint Jérôme. Ce fut pour elle que
celui-ci composa son traité de la Virginité, connu ordinairement sous le nom de
Lettre à Eustochie. Elle avait appris l'hébreu et le savait
parfaitement. Saint Jérôme lui dédia ses commentaires sur Ezéchiel et sur Isaïe.
Elle mourut vers 419. — Sainte Paule, mère d'Eustochie, naquit le 5 mai 347.
Elle descendait des Gracques. Après la mort de Toxollus, son mari, a qui clic
avait donné quatre filles, entre autres Blésilla et Eustochie, elle se consacra
tout entière à Dieu, et, accompagnée d'Eustochie, vint se fixer à Bethléem. Là,
sous la conduite de saint Jérôme, elle se voua à une pénitence austère. Ella
fonda quatre monastères à Bethléem, et fut supérieure de l'un d'eux. Après sa
mort en 401 Eustochie lui succéda en la même qualité. — Fabiola, dame romaine,
de l'antique famille Fabia, morte le 29 décembre 400, se maria deux fois, et
pour ce fait fut exclue de la communion des fidèles. Elle n'y rentra qu'après
une pénitence publique. Elle consacra toute sa fortune à soulager les pauvres,
et fonda un hôpital. Elle alla ensuite en Palestine où elle visita saint Jérôme.
Voy. l'éloge que celui-ci fait de cette dame Epist. 84. — Mélanie,
née à Rome vers 388. Elle avait épousé Pinianus, et, d'accord avec lui et sa
mère Albina, elle embrassa la vie chrétienne dans ce qu'elle avait de plus
austère. Après la mort d'Albina, elle s'enferma dans une cellule sur le mont des
Oliviers, et y vécut quatorze ans. Elle mourut à Jérusalem le 31 décembre 414. —
Marcella, dame romaine, morte à Rome vers 410. Veuve après sept mois de mariage,
elle se retira entièrement du monde dans une communauté de jeunes filles
chrétiennes qu'elle avait fondée. Saint Jérôme en fait le plus grand éloge. —
Sainte Thècle, vierge d'Isaurie, convertie par saint Paul. Elle souffrit le
martyre. Sa fête est le 23 septembre, et chez les Grecs de même. Plus loin, le
poète la fait venir de Séleucie, ville qu'on appelait
Seleucia ad Taurum, en Pisidie, province à laquelle
appartenait le district d'Isaurie. — Sainte Eugénie, vierge et martyre à Rome,
l'an 304. Sa fête est le 25 décembre.
08. — Grégoire de Nazianze et saint Basile, son ami. — Cette
énumération des écrits grecs et latins dont Radegonde faisait sa nourriture
spirituelle, semble indiquer que la princesse était également versée dans les
deux langues. Pour la latine cela ne peut pas faire de doute; car outre qu'au
temps où vivait Radegonde, l'usage de cette langue était familier à la plupart
des religieux de l'un et l'autre sexe, et que la transcription des manuscrits
dans les couvents était généralement confiée à des frères ou à des sœurs
entendant plus ou moins ce qu'ils transcrivaient, il n'y avait pas alors de
traductions en langue vulgaire des auteurs païens et sacrés, grecs ou latins.
Cependant, il pouvait y avoir, quoiqu'il soit bien difficile d'en apporter la
preuve, des traductions ou fragments de traductions en latin, des Pères de
l'Église grecque, et ce serait au moyen de ces traductions que Radegonde aurait
connu et lu les Pères grecs. Petit-Radel croit que ce fut en leur langue (Recherches
sur les bibliothèques, 1819 in-8°); Don Rivet le croit aussi : « Elle
lisait, disait-il, les Péres grecs comme les latins, et leurs ouvrages
dogmatiques comme les moraux. » (Annales de l’Assoc. pour les Etud.
grecq., ann. 1879, p. 95.) Mais ces deux affirmations me persuadent
difficilement.
09. — Le doux Hilaire, et plus loin Ambroise qui tonne,
désignations, remarque Ampère, qui sont au rebours de la vérité. On pourrait
en dire autant du subtil Orose.
10. — Voy. la note 3 de la pièce III de ce livre.
11. — J'avoue n'entendre guère ce rotit
scripta beata, et avoir traduit un peu à l'aventure, peut-être
s'agit-il des vies des saints.
12. — Même remarque que ci-dessus.
II.
01. —Voyez-la note de la dernière pièce du livre III, relative à
ce genre de versification. Outre les noms d'ophites ou serpentins
et d'échoïques qu'on donnait à ces distiques, on les appelait encore
péractériques et réciproques. C'est ce dernier nom que leur
applique Eberhard de Béthune dans son Labyrinthus, L. III, v. 173,
en joignant la définition à l'exemple :
Hæc quæ suscripsi sunt metra reciproca dicta,
Dimidium primi finœ sequentis habent :
Filia, flecte patrem; mater, natumque precare;
Pro natis Evæ, filia, flecte patrem.
Les Grecs nommaient ce genre de figure
ἐπανάληψις, c'est-à-dire l'action de recommencer, de répéter.
Sédulius l'a employée dans un poème (Elegia)
en 55 distiques, qui a pour sujet les louanges du Christ, contient aussi en
grande partie des faits de l'Ancien Testament, et offre tous les raffinements de
l'épanalepse. Admirateur de ce poète, Fortunat l'a sans doute pris pour modèle
dans ses pièces du même genre, lesquelles n'ont pas plus de valeur sous le
rapport poétique que celles de Sédulius. Là comme ici tout est sacrifié à ce jeu
de versification. Voyez Ébert, Histoire de la littérature du moyen âge en
Occident, t. I, p. 404, de la traduction de MM. Aymeric et Condamin.
02. — Radegonde, que le poète appelle toujours sa mère, comme il
appelle toujours sa sœur Agnès, l'abbesse du monastère de Sainte-Croix de
Poitiers. Celle-ci avait été choisie par Radegonde elle-même pour remplir cette
dignité. Elle fut sacrée par saint Germain, évêque de Paris.
03. — Je ne suis pas bien sûr d'avoir entendu ce passage,
que j'ai traduit du reste littéralement.
III.
01. — Ce poème qui, dans les anciennes éditions, était incomplet
et mis en pièces, a été restitué par Brower d'après les manuscrits. George
Fabricius, comme le remarque cet éditeur, a plus augmenté le désordre de cette
pièce qu'il ne l'a goûtée, y ayant ajouté des notes ennuyeuses, selon sa
coutume, et en quelques endroits, ut canis Nilo,
c'est-à-dire en courant, comme font les chiens, quand ils boivent dans le
Nil. Il lui plut, ajoute Brower, de donner à ce poème le titre de
De gaudiis et spe vitœ æternæ, lequel lui
agréait plus à lui hétérodoxe que celui de De virginitate.
Dès le début du poème, Fortunat fait l’énumération des saints personnages
composant la cour céleste, et il les présente dans un ordre qui était déjà de
convention de son temps, et qui tantôt tel qu'il est ici, tantôt interverti, a
été observé par les poètes chrétiens venus après lui. On en voit un notable
exemple dans un cantique spirituel sur la douleur du péché, fort
touchant, attribué à Godescalch ou Gottschalk, hérésiarque du neuvième siècle,
tiré d'un manuscrit de la Bibl. Nat. n° 1151, f° 98, et cité par Ed. du Méril
dans ses Poés. popul. latin. antér. au douzième
siècle, p. 177 et suiv. — Le poème de Fortunat est adressé à Agnès,
abbesse du monastère de Sainte-Croix.
02. — Fratres. On appelait
quelquefois de ce nom les apôtres.
03. — « Saint Césaire, évêque d'Arles, fonda vers l'an 512 dans
cette ville une abbaye de filles, sous le titre de Saint-Jean, et
il en confia la direction à Césarie, sa sœur, qui mourut vers l'an 529. Une
autre abbesse à peu près du même nom, Casarie, lui succéda et reçut de saint
Césaire, son oncle présumé, une règle pour son monastère. Lorsque Radegonde eut
fondé l'abbaye de Sainte-Croix à Poitiers, elle fit prier Casarie de lui
communiquer la règle établie par saint Césaire, mort en 542. Casarie la lui
envoya, et l'accompagna d'une lettre remarquable que l'on peut regarder comme
une exhortation éloquente à la perfection religieuse (Voy. le Thesaur.
Anecdot. de DD. Durand et Martin, t. 1, col. 3-6). Ces particularités
sont connues par la lettre de Casarie, par la présente pièce, v. 39-48 ; 81, 82,
et par la pièce I du même livre, v. 60. Casarie mourut vers l'an 560, et avant
la composition des pièces I et III du présent livre; mais elle était encore
vivante à l'époque où Fortunat composa la pièce XIII de l'Appendice, dont les
deux derniers vers permettent de supposer, ou que le poète, lorsqu'il les
écrivait, était à Arles, près de Casarie, ou que celle-ci était avec lui à
Poitiers. (Note de Guérard, dans Notic. et Extr. des mss.,
t. XII, 2e partie, p. 94.) Voy. aussi les Nouveaux Mélanges
du P. Cahier, t. IV, p. 91, 92, et la Vie de saint Césaire dans
Mabillon, Act. ss. Bened.
t. 1, p. 668. — Ajoutons ici, la chose en vaut la peine pour la chronologie
des pièces de Fortunat, s'il se trouve jamais quelqu'un d'assez intrépide pour
l'entreprendre, ajoutons ce passage tiré des Singularités, etc.,
de D. Liron, t. I, p. 263 et suiv. : « On trouve dès le commencement du t.
I, du Thesaur. Anecdot., de Martène, une lettre de Césarie,
abbesse d'Arles, a Richilde ct à sainte Radegonde, laquelle lettre nous apprend
que Richilde et Radegonde avaient envoyé un exprès à Césarie, et lui avait écrit
pour la prier de leur envoyer un exemplaire de la règle que le pape Césaire, de
sainte mémoire, avait faite pour les religieuses d'Arles. Cette Césarie (ou
Casarie) est la seconde qui avait succédé à la bienheureuse Césarie, sœur de
saint Césaire, qui avait été première abbesse du monastère d'Arles. Celte
seconde Césarie (ou Casarie) envoya donc un exemplaire de la règle de S.
Césaire, à Poitiers, comme elle nous l'apprend dans sa lettre. Il est vrai que
le P. Martène marque que cette lettre a été écrite vers 570; mais c'est ce qu'il
est facile de renverser; car il est certain que Liliose (la Liliola du v. 43 de
cette pièce) qui succéda à la seconde Césarie, reçut dans son monastère sainte
Rusticule en 562, et qu'elle mourut en 574. Ces deux faits sont
indubitables par la vie originale de sainte Rusticule. Voilà donc Liliose qui a
succédé à Césarie, abbesse du monastère d'Arles, longtemps avant l'an 570 : ce
qui nous apprend en passant que Fortunat écrivit son huitième livre avant 574,
puisqu'il y parle de Liliose (Liliosa) comme vivante ; par conséquent la lettre
de Césarie à Richilde et à sainte Radegonde a été écrite avant l'an 559:,
puisque Liliose était alors abbesse d'Arles, et qu'elle reçut dans son monastère
la jeune Marcie Rusticule, et même fort probablement avant l'an 559, puisque la
lettre est adressée à Richilde et non à Agnès qui fut faite abbesse ou cette
année. Il résulte de tout ce détail que Grégoire de Tours s'est trompé, et qu'il
le faut abandonner en tout ce qu'il dit du voyage de Radegonde et d'Agnès en
Provence, et sur le temps où il met ce voyage ; de plus, qu'il doit demeurer
pour constant que la règle de saint Césaire fut reçue au monastère de Poitiers,
l'an 559 au plus tard. »
04. — Liliola, la même que la Liliose de la note précédente, qui
fut abbesse après la seconde Casarie.
05. — C'est-à-dire à la dignité d'abbesse.
06. — Vous; c'est Agnès.
07. — Il est facile de voir de quelle fête Fortunat parle ici :
c'est de la nomination ou élection d'Agnès comme abbesse du monastère de
Sainte-Croix, par Radegonde, élection qui, d'après le calcul de D. Liron, avait
eu lieu en 559. Fortunat rapporte ce fait comme s'il était actuel sans doute par
une licence poétique.
08. — Tout ce passage et un autre qui le suit immédiatement sont
d'une grande hardiesse ; mais voici qui est au moins naïf. S'il était vrai que
la pièce VIII de l’Appendix spuriorum publié par
M. Fréd. Léo dans son édition, p. 385, fût de Fortunat, on n'aurait pas ici le
dernier mot de son sentiment sur la conception de la Vierge. On lit en effet
dans cette pièce, strophe troisième :
Mirantur ergo sæcula
Quod Angelus fert semina,
Quod aure Virgo concipit,
Et corde credens parturit.
La même idée eut cours aux XIe et XIIe siècles, témoin ces
vers étranges, tirés du Liber floridi aspectus de nativitate
Christi, et cités par Edelest. du Méril, dans ses Poésies
antérieures au douzième siècle, p. 144, en note :
Et pudor et partus sunt sine lite simul :
Quatuor hæc partum commendant : Virginis auris,
Vox Gabrielis, opus Pneumatis, umbia patris.
09. — Il est probable; que Fortunat fait ici allusion à Agnès en
qui il personnifie l'épouse du christ.
10. — Voyez l'Apocalypse, en. IV.
11. — Élie. Voy. Rois IV, ch. 2, 11. — Enoch. Voy. l'Ecclésiastique,
ch. XLIV, 10.
12. — Ce vers ne me paraît guère être à sa place.
13. — On croit qu'il souffrit le martyre à Patras, en Achaïe.
14. — Saint Jean l'Evangéliste. Il fut le premier évêque
d'Éphèse.
15. — Je ne sais où Fortunat a pris cela, saint Jacques le
majeur fut mis à mort à Jérusalem par Hérode Agrippa, l'an 44, et saint
Jacques le mineur, qui fut le premier évêque de Jérusalem, y fut
assommé par le peuple à l'instigation du grand prêtre des juifs, en 62.
16. — Il prêcha l’Evangile en Phrygie où il mourut a Hiéropolis
vers l’an 80?
17. — Selon les traditions, saint Thomas alla prêcher l'Évangile
chez les Parthes et jusque dans l'Inde, subit le martyre à Calamine (ville
inconnue), et son corps fut transporté à Edesse.
18. — Bartholomé ou Barthélémy, prêcha aussi, dit-on, l'Évangile
dans les Indes, l'Ethiopie, etc., et souffrit le martyre en Arménie vers l'an
71.
19. — Selon Lucchi, Naddaver était la ville royale d'Ethiopie,
où saint Mathieu était allé prêcher l'Évangile.
20. — Saint Simon, natif de Cana, en Galilée, subit, dit-on, le
martyre en Perse, ainsi que saint Jude qui subit le même sort vers l'an 60.
L’Église fait commémoration des deux ensemble le 28 octobre.
21. — Marc fonda l'Église d'Alexandrie, et fui pris et mis à
mort par les idolâtres l'an 68. Quant à saint Luc, Il n'est pas aussi certain
qu'il alla en Egypte, mais il suivit saint Paul en Troade, en Macédoine,
partagea sa captivité à Rome, et fut, dit-on, mis à mort en Achaïe, à l’âge de
84 ans.
22. — Cyprien, un des pères de l'Église latine, naquit à
Carthage où il fut évêque en 248, et souffrit le martyre en 258.
23. — Sciscia était une ville de la Pannonie supérieure, où
saint Quirin fut martyrisé. Voy. Prudence, Hym. V,
de Coronis, et
Grégoire de Tours, Hist. Franc. I, 33.
24. — Vincent, né à Saragosse, fut martyrisé en 304 par l'ordre
du proconsul d'Espagne, Dacien.
25. — Alban fut le premier martyr en Angleterre. Il avait servi
dans les armées de Dioclétien. Il embrassa le christianisme, et à son retour en
Angleterre, il fut mis à mort en 286, ou, selon d'autres, en 303.
26. — Victor, de Marseille, était soldat dans l'armée de
l'empereur Maximien. Arrêté comme chrétien, il subit le martyre vers l'an 303,
le 21 juillet.
27. — Saint Gênés ou Genest, de Rome, exerçait la profession de
comédien sous Dioclétien, et se convertit un jour qu'il parodiait les cérémonies
de baptême. Dioclétien le fit frapper de verges. Comme Genest persistait dans sa
foi récente, il fut martyrisé vers l'an 280, selon les uns, 303, selon les
autres. Sa fête est le 25 août. — Césaire, né en 470, près de Châlons-sur-Saône,
entra au monastère de Lérins, et fut nommé malgré lui évêque d'Arles. On a assez
parlé de lui dans les notes précédentes.
28. — Saint Denys, apôtre des Gaules, y fut, dit-on, envoyé de
Rome, vers l'an 250, et fut le premier évêque de Paris. Pendant la persécution
de Valérien, vers 272, il souffrit le martyre, à Montmartre, dit-on (mons
martyrum) et fut décapité (Voy. Livre I, pièce
xi). Il y a des Actes de ce saint
écrits vers la fin du septième ou au commencement du huitième siècle; mais ils
ne méritent aucune autorité.
29. — Symphorien, né à Autun au deuxième siècle, souffrit le
martyre vers l'an 179, pour avoir refusé d'adorer Cybèle. Sa fête est le 22
août.
30. — Privat souffrit le martyre sous les empereurs Valérien et
Galien. D'autres ne le font vivre et mourir qu'au cinquième siècle. Grégoire de
Tours, Hist. Fr. I, 32, dit que ce fut lors de l'irruption
des Alamans dans la Gaule.
31. — Saint Julien, contemporain d'un autre saint Julien qui fut
le premier évêque du Mans, au troisième siècle, périt à Brioude ou Brivas
chez les Arvernes, lors de la persécution de Dioclétien.
32. — Ferréol avait été tribun dans l'armée romaine. Il subit le
martyre à Vienne, eu Dauphiné, l'an 304.
33. — Hilaire, docteur de l'Église, évêque de Poitiers, naquit
dans cette ville au commencement du quatrième siècle, et fut élevé à l'épiscopat
par ses concitoyens vers 350. Il a laissé quelques écrits, dont le style
véhément et quelquefois obscur et enflé l'a fait appeler par saint Jérôme le
Rhône de l'éloquence latine. Il mourut vers l'an 367. — Saint
Martin, évêque de Tours, né vers 316, à Sabarle, en Pannonie, fut d'abord
soldat, puis ordonné prêtre par saint Hilaire. Tout le monde connaît sa légende.
Il mourut vers 397 ou 400.
34. — Saint Laurent, né à Rome dans le troisième siècle, fut
martyrisé sous l'empereur Valérien, avec les circonstances abominables qui ne
sont ignorées de personne.
35. — Il y a plusieurs saints du nom de Félix. Cinq sont
antérieurs au temps où écrivait Fortunat, mais aucune circonstance de leur vie
n'indique qu'ils aient vécu à une époque quelconque à Vicence. Cependant des
reliques de celui dont il est ici question étaient, selon Lucchi, conservées
dans un monastère de Vicence, conjointement avec celle de saint Fortunat. Ce
dernier, mort à Chelles, près de Paris, vers 569, a souvent été confondu avec
notre poète qui a été son contemporain et qui l'a connu. Il fut élevé à
l'épiscopat, et sans doute à Aquilée, puis il se retira en France où il se lia
d'amitié avec saint Germain, évêque de Paris.
36. — Saint Vital, de Milan, martyrisé à Ravenne vers l'an 60,
avec ses compagnons, comme l'indique sans doute le mot
reliquos.
37. — Saint Gervais, fils de saint Vital, souffrit le martyre
avec son frère saint Protuis, vers la fin du premier siècle. — Saint Ambroise,
Père de l'Église, né vers l'an 340, élu évêque de Milan par le peuple en 374,
mort on 397.
38. — Sainte Justine, patronne de Padoue, vierge et martyre,
vers le quatrième siècle.
39. — Sainte Euphémie, vierge de Chalcédoine, souffrit le
martyre vers 307.
40. — Sainte Eulalie, vierge et martyre, née à Augusta
emerita auj. Herida, en Estrémadure. Elle n'avait que
douze ans, lors de la persécution de Dioclétien. Un jour elle s'échappa de la
maison paternelle pour aller braver le juge, et renversa les idoles en sa
présence. Elle fut livrée aux tortures, en 308.
41. — Sainte Cécile, patronne des musiciens, mourut vierge et
martyre en Sicile, vers l'an 176. Elle s'accompagnait d'un instrument de
musique, à cordes, en chantant les louanges de Dieu.
42. — Thècle. Voy. la note 7 de la pièce qui précède.
43. — La Légion thébéenne ou thébaine.
44. — Les émeraudes sont ordinairement d'un beau vert; les
blanches étaient ainsi dites sans doute parce qu'elles étaient d'un vert très
pâle. Le béryl est une autre variété d'émeraude couleur vert de mer.
45. — La cyclade,
κυκλάς,
était proprement un vêtement de femme, qui consistait en une draperie longue et
ample qu'on jetait autour du corps comme le pallium, et assez
large pour couvrir au besoin la figure tout entière. Il y avait autour de ce
vêtement une bande couleur de pourpre ou une broderie d'or, d'où lui venait le
nom de cyclas. Papias donne une autre cause de ce nom :
cyclas, genus vestis a rotunditate
dicta, sursum stricta, deorsum ampla.
Il semble qu'à l'époque où écrivaient Sidoine Apollinaire (11, ep. 5) et
Fortunat, c'était une robe de mariée.
46. — On trouve dans Du Cange le mot
efferentia interprété par elatio.
47. — La lacune de ce vers est ainsi comblée par M. Fr. Léo :
Non validos [tenit prolis] spes rapta dolores;
conjecture très heureuse et qu'on ne peut ne pas adopter.
48. — Ce n'est pas là précisément ce que dit saint Paul. Voy.
Corinth. VII, 36-38.
49. — J'ai longtemps balancé pour savoir si
judicis se rapportait à Radegonde ou à Dieu. Il me semblait que
Radegonde pouvait trouver tous ces détails, comme on dirait aujourd'hui, un peu
réalistes, et avoir quelque peine à les excuser. Mais j'ai réfléchi qu'eu égard
au peu de délicatesse qui caractérisait les mœurs de ce temps jusque dans les
monastères, Radegonde avait sans doute jugé toutes naturelles les peintures de
Fortunat, et les avait aussi approuvées; j'ai donc rendu à Dieu ce qui
d'ailleurs, comme tous les jugements définitifs, lui appartient de toute
éternité.
IV.
01. — Cette pièce paraît avoir été composée par Fortunat au nom
de Radegonde et d'Agnès pour engager des jeunes filles à entrer au monastère de
Sainte-Croix, afin d'y faire profession de la vie monastique. C'est ce qui
résulte en effet et plus particulièrement des vers 29 et 30 de cette pièce.
02. — Ces peintures des richesses du paradis toutes matérielles,
et dont la toilette de la fiancée du Christ (v. 263 à 270 de la pièce
précédente), décrite peut-être d'après les modèles que le poète avait eus sous
les yeux à la cour et au mariage de Sigebert, offre un si remarquable exemple,
étaient assez fréquentes chez les premiers écrivains du christianisme, et ne
sont pas encore tombées en désuétude. Et de même qu'ils se représentaient le
paradis rempli de toutes les richesses tirées du sein de la terre, et mises en
œuvre par la main des hommes, de même ils l'embellissaient de toutes les
merveilles du règne végétal; ils lui donnaient un printemps perpétuel, et
réduiraient d'un jour sans fin et sans soleil. Toutes ces imaginations se
trouvent dans l'Apocalypse, au ch. XX, 16-23 où est décrite la Jérusalem
céleste, et ce sont elles que les poètes et prosateurs dont on parle, ont
imitées à l'envi, sans s'élever toutefois à la hauteur des idées, et sans avoir
surtout l'éloquente et énergique concision de l'écrivain sacré. Voyez entre
autres le Rythme sur les joies du paradis attribué à saint Augustin par
quelques critiques, et cité par Edel. du Méril, dans Poésies popul.
lat. antér. au XIIe siècle, p. 131 et s.; un
passage d'Abdias, Histor.
certaminis apostolici, l. VII, ch. 5 dans Fabricius,
Codex apocryphus, p. 645; le poème De statu
futuræ gloriæ, par Franco, dans Fabricius,
Bibliotheca latina, au mot Franco,
etc., etc.
V.
01. — Quel est ce roi à qui Radegonde a voulu plaire? Au roi
Clotaire, son mari sans doute, lequel, après s'être opposé de toutes ses
forces à la résolution qu'elle avait prise d'embrasser la vie religieuse,
avait fini non seulement par y consentir, mais par trouver bon qu'elle fondât un
monastère. Ce fut celui de Sainte-Croix de Poitiers, où elle passa le reste de
sa vie.
VI.
01. — Il s'adresse ici à la fois à Radegonde et à Agnès.
02. — Ce sont des violettes mêlées de rouge et de bleu foncé.
03. — Métaphoriquement et en général merx,
antérieurement à l'époque classique, voulait dire, chose, objet, affaires,
etc.
VIII.
01. — C'est là, si je ne me trompe, le sens de ce vers. Quelle
apparence en effet que la vie bienheureuse ne donne à Radegonde que des fleurs
terrestres pareilles à celles que lui envole le poète? Elle ne peut que lui en
donner de plus belles.
02. — Celles-là, c'est-à-dire les fleurs offertes
par le poète qu'il lui envoie dans sa retraite et qu'il suppose faire des vœux
pour qu'elle en sorte.
03. — C'était la retraite de carême. Le mot vos indique
qu'Agnès la partageait avec Radegonde. Le même vos qui est reproduit au
vers 12 de la pièce suivante, indique la même chose.
IX.
01. — Voy. sur les motifs de cette séquestration volontaire en
temps de carême, la Vie de sainte Radegonde par Fortunat, nos
21, 22. Il paraîtrait surtout par les vers 1 et 2 de la pièce suivante, que
Radegonde se retirait alors en quelque endroit solitaire, ignoré des religieuses
et du poète lui-même, et où par conséquent il n'était pas possible de venir la
troubler.
02. — « Celui qui vous aime, » c'est-à-dire Dieu.
XI.
01. — Ce Léon parait être le même que celui dont parle Grégoire
de Tours, de Vitæ sancti Martini, IV, 23,
en ces termes : Leonis presbyteri nostri vernacula,
etc. Par ses prières et avec la protection de saint Martin, il guérit de la
fièvre une jeune fille qui était en danger de mort.
XII.
01. — Cette pièce est une allusion aux désordres et aux
faits scandaleux qui en 580, deux ans après la mort de Radegonde,
ensanglantèrent le monastère de Sainte-Croix, à Poitiers. Ils avaient pour
auteur principal une religieuse nommée Chrodielde, qui se disait reine, fille du
roi Charibert. Ces troubles arrivèrent au point que le monastère fut le théâtre
de pillages, de sacrilèges, de meurtres et d'autres crimes abominables. Voy.
Grégoire de Tours, Hist. Fr. IX, 39 et X, 15 et 10.
a.
01. — C’est ici une lettre officielle, qui montre en quel style
les ecclésiastiques ou les laïques écrivaient à leur évêque, quand ils
réclamaient l'exercice de sa Juridiction. Le tutoiement en latin n'y était pas
alors permis.
02. — Deux manuscrits portent justitiæ
au lieu de Justinæ. Lucchi estime que
cette leçon est fautive, et qu'il faut rétablir Justinæ.
Cette Justine était nièce de Grégoire de Tours (De
miraculis sancti Martini II, 2), et prieure du monastère de
Sainte-Croix. C'est elle qui, voulant dérober l'abbesse Leubovère aux coups des
assassins qui la poursuivaient a l'instigation de Chrodielde (Voir la note 1 de
la pièce précédente), la couvrit d'une nappe d'autel qu'elle jeta sur le coffre
où l'on renfermait habituellement la sainte Croix et dans lequel l'abbesse
s'était réfugiée. Et comme alors le jour était à son déclin, Justine se laissa
prendre comme étant elle-même l'abbesse, et fut traînée par les cheveux hors du
sanctuaire. L'erreur reconnue, on lui rendit la liberté. Voy. Grégoire de Tours,
Hist. Fr. X, 15 et suiv. Quant à Lucchi, je crois qu'il est
dans l'erreur. La pièce qui suit, où il s'agit en effet de Justine, indique
assez que c'est pour une affaire étrangère aux troubles du couvent que
l'intervention de Grégoire était réclamée ; et cette affaire paraît avoir été
une cause de brouille entre Justine et son aïeule, laquelle brouille Grégoire
fit cesser.
XIII.
01. — Cette pièce a été écrite au nom de Justine que le poète
fait parler.
XV.
01. — Voyez la Vie de Grégoire de Tours, dans
Migne. t. LXXI, p. 117.
XIX.
01. — Qu'est-ce qu'un trames munificus?
Il y a là nécessairement une altération du texte; je crois qu'il faut dire
mirifico et j'ai traduit en conséquence.
02. — Ce don n'était qu'un prêt, comme le titre l'indique, et
surtout le vers 9 de la pièce suivante.
03. — Fortunat était prêtre attaché à l'église métropolitaine de
Poitiers.
XX.
01. — Il le guérit d'un mal d'yeux. Voy. la Vie de Fortunat,
n° 23.
02. — Ce champ était sans doute un bien de l'évêché de Tours et
non de l'évêque; sans doute aussi est-ce pour cela que le poète dit
usibus vestris.
XXI.
01. — Les phalères étaient des plaques rondes d'or, d'argent ou
d'autres métaux, sur lesquelles était gravée ou ciselée quelque figure en
relief, ainsi, la tête d'un dieu, l'image d'un roi ou d'un empereur, ou quelque
emblème; des pendants en forme de croissants ou de larmes y étaient souvent
attachés. Les personnes de distinction en portaient sur la poitrine comme
ornement; c'était pour les soldats une décoration militaire. On en appliquait
aussi sur les harnais et aux mors des chevaux. On en a découvert tout récemment
de cette espèce dans des sépultures à char de l'époque gauloise antérieure à
César. Ces sépultures situées dans le département de la Marne, ont été explorées
et très savamment décrites par M. Auguste Nicaise, dans une brochure intitulée
l’Époque gauloise dans le département de la Marne, 1884. On y voit
que ces phalères étaient appliquées aux deux extrémités du mors; qu'elles
étaient en bronze et découpées à jour de manière à ressembler à de la guipure
métallique. On voit ici qu'elles servaient encore à orner les volumes ou
manuscrits en rouleaux. Un reste de cet usage a survécu dans certains livres
d'aujourd'hui, entre autres les livres de liturgie, où les sinets parfois très
nombreux qu'ils renferment, ont à leur extrémité des petites plaques de métal
dont le poids empêche le ruban de sortir de sa place ou de se recroqueviller
dans l'intérieur des pages. Voyez sur les phalères, leurs formes et leurs usages
divers, un très savant et très intéressant article de feu A. de Longperrier, t.
II, p. 246 et suiv, de ses Œuvres, publiées par M. G.
Schlumberger, membre de l'Institut.
02. —
Voyez ma Dissertation, n° 8.
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