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HISTOIRE UNIVERSELLE

 

DE DIODORE DE SICILE

 

traduite en français par Monsieur l'Abbé TERRASSON

 

FRAGMENTS DES LIVRES PERDUS ENTRE LE CINQUIÈME LIVRE DE DIODORE ET LE ONZIÈME.

 

 

 

livre I (partie I)
livre I (Hoefner)
livre II
livre III
livre IV
livre V
 
livre XI
livre XII
livre XII
livre XIV

livre XV
livre XVI
livre XVII
livre XVII
livre XIX

livre XX
livre XXI
livre XXV
livre XXXVII
 

 

Tome deuxième

 


 

PREMIER FRAGMENT PRIS dans le sixième livre de Diodore, et cité par Eusèbe de Pamphile dans la préparation Evangélique Livre 2. Ce Fragment a été employé par H. Etienne et par Rhodoman, et il contient une distinction faite par les païens entre les dieux éternels et les héros que leurs bienfaits ont fait mettre au rang des dieux , avec une description de l'île Panchaïe, abrégée de celle qui a déjà été faite au Livre V.

LES ANCIENS ont laissé à la postérité une distinction des dieux en deux classes. Les uns, selon eux, sont éternels et immortels, comme le Soleil, la Lune et les autres astres. Ils y joignent les vents et tous les êtres qui tiennent de leur nature. Ils croient que ceux-là, ont été de tout temps et qu'ils doivent toujours durer. Les dieux de la seconde classe sont nés sur la terre et ne sont parvenus au titre et aux honneurs de la divinité que par les biens qu'ils ont faits aux hommes, Tels sont Hercule, Bacchus, Aristée et autres semblables. Les Historiens d'une part et les Mythologistes de l'autre, nous font des récits fort différents au sujet de ces dieux terrestres. L'historien Euhemerus, par exemple, nous a donné leurs vies en particulier dans un ouvrage qu'il intitule Histoire sacrée. A l'égard des Mythologistes tels qu'Homère, Hésiode, Orphée et autres poètes, ils leur ont fait faire des actions prodigieuses et surnaturelles : Nous parcourrons en abrégé ce qu'en ont dit ces deux ordres d'écrivains, que l'on pourra comparer entr'eux. Euhemerus devenu ami de Cassandre et obligé par cette raison de remplir des commissions de confiance, jusques dans des pays éloignés, vint, dit-on, dans les parties méridionales de l'Arabie heureuse. De là s'embarquant sur l'océan même, il y fit une assez longue navigation , et aborda en plusieurs îles de cette mer. Il en rencontra une entr'autres qui s'appelait l'île Panchaïe. Tous les habitants vivaient dans une piété extraordinaire, faisant sans cesse de grands sacrifices aux dieux et apportant souvent dans leurs temples des offrandes d'or et d'argent. L'île entière semblait n'être qu'un temple. Euhemerus admira ce qu'on lui dit de l'ancienneté et ce qu'il vit lui-même de la magnificence de leurs édifices, Nous en avons fait le détail dans les livres précédents. Il y a surtout au sommet d'une colline fort élevée un temple de Jupiter Triphylien. On prétend qu'il a été bâti par le dieu même lorsque, n'étant encore qu'un homme, il régnait sur toute la terre. Dans ce temple est une colonne d'or, sur laquelle sont gravées en caractères Panchaïens les principales actions d'Uranus, de Saturne et de Jupiter, Il y est marqué qu'Uranus le plus ancien roi du monde avoir été un homme juste, bienfaisant, très versé dans la connaissance des astres et le premier qui ait fait des sacrifices aux dieux du Ciel, ce qui lui fit même donner le nom d'Uranus. Il eut pour fils de sa femme Vesta, Pan et Saturne , et pour filles Rhéa et Cérès, Saturne régna après Uranus et ayant épousé Rhéa, il en eut Jupiter, Junon et Neptune. Jupiter qui succéda au trône de son père épousa Junon, Cérès et Thémis. La première lui donna les Curètes, la seconde, Proserpine et la troisième, Minerve. Etant allé ensuite à Babylone, il y fut reçu par Bélus. De là il passa dans l'île de Panchaïe sur l'Océan et il y dressa un autel en l'honneur d'Uranus son aïeul. A son retour il vint en Syrie chez Caesius qui pour lors en était roi. C'est celui-ci qui a donné le nom au mont Caesius. Jupiter alla ensuite dans la Cilicie, ou il vainquit en bataille rangée Cilix qui en était le souverain. Il parcourut encore plusieurs autres villes et partout il fut respecté et regardé comme un dieu. Diodore ayant rapporté ainsi ce qu'avait dit Euhemerus au sujet des dieux qui n'avaient été que des hommes, continue et dit : Nous nous contenterons de ce passage d'Euhemerus tiré de son histoire sacrée. Et en faveur de ceux qui sont curieux de savoir ce que les Mythologistes grecs ont pensé de ces mêmes dieux ; voici en abrégé ce qu'on en trouve dans Hésiode, dans Homère et dans Orphée.

Fin de la citation d'Eusèbe.

SECOND FRAGMENT.

LE MOINE GEORGE SYNCELLE de Constantinople, qui a écrit en Grec une histoire chronologique, a emprunté ce qui suit de Diodore parlant du gouvernement des Corinthiens.

Ce Fragment a été employé par Rhodoman.

ROIS DES CORINTHIENS.

APRES ce que nous venons de rapporter, il nous reste encore à parler de la Corinthie et de la Sicyonie. Ce sont les Doriens qui ont fourni des habitants à ces deux contrées. Presque tous les peuples du Péloponnèse excepté les Arcadiens, furent dépossédés de leur pays au retour des Héraclides. Ceux-ci donc ayant partagé entr'eux à leur arrivée le territoire qu'ils voulaient occuper et n'ayant pas compris dans ce partage la Corinthie et la Sicyonie qui en est voisine, envoyèrent des députés à Aletès pour lui offrir ces deux provinces. Ce nouveau maître se rendit illustre, il augmenta considérablement la ville de Corinthe et régna 38 ans. Après sa mort les aînés de ses descendants se succédèrent toujours les uns aux autres, jusqu'à la Tyrannie de Cypselus, qui commença quatre cent quarante-sept ans après le retour des Héraclides. Voici l'ordre de ces Rois de Corinthe.

APRES Aletès Ixion régna aussi 38 ans : Agelas 37, Prumnès 35 et Bacchus autant. Ce dernier se rendit plus célèbre qu'aucun de ses prédécesseurs: de sorte que les rois de Corinthe qui s'appelaient auparavant Héraclides, ne s'appelèrent après lui que Bacchides. Son successeur fut un autre Agélas qui régna 30 ans, ensuite Eudamus en régna 25 et Aristomède 35. Celui-ci laissa en mourant son fils Téleste encore enfant, ce qui donna lieu à Agemon son oncle et son tuteur de lui enlever sa couronne qu'il garda 16 ans. Après celui-ci vient Alexandre qui régna 25 ans. Cependant Téleste alors homme fait le tua et se rétablit dans la succession de son père qu'il garda 12 ans ; au bout desquels ses cousins l'ayant tué à son tour Automenès régna un an. Enfin les Bacchides qui se trouvaient au nombre de plus de deux cents à la fois convinrent de régner en commun : mais ils élisaient tous les ans un d'entr'eux qui commandait au nom de tous : ce gouvernement dura 90 ans, jusqu'à l'usurpation de Cipselus, qui le détruisit.

Deux ou trois mots qui se trouvent ici dans Rhodoman font le titre et les premiers mots d'une table où ces rois sont arrangés dans le Syncelle.

REMARQUE.

J'AJOUTERAI ici en forme de remarque, que le règne de tous ces rois en y comprenant le gouvernement des rois associés qui dura 90 ans, fait la somme de 417 ans. Le Sincelle a dit plus haut, que la tyrannie de Cypselus commença 447 ans après le retour des Héraclides : si conformément à Diodore dans sa préface, nous comptons 80 ans de la prise de Troie au retour des Héraclides ; nous aurons 447 ans et 80, ou 527 ans de la guerre de Troie à Cypselus. D'un autre côté, en nous en rapportant encore à Diodore, il y a eu 328 ans du retour des Héraclides à la première Olympiade. Joignant à ce nombre les 80 ans d'intervalle entre la guerre de Troie et le retour des Héraclides, nous aurons 408 ans de la guerre de Troie à la première Olympiade. Or nous avons eus 527 de la guerre de Troie à Cipselus. La suite des rois de Corinthe prend donc sur les Olympiades 119 ans, différence de 408 à 527. Et ainsi chaque Olympiade comprenant 4 années ; ces rois ont fini dans l’année de la 30 Olympiade bien avant le 11e Livre qui commence à l'Olympiade 75. Nous parlerons encore plus bas du calcul des Olympiades.

 

TROISIÈME FRAGMENT.

LE MÊME AUTEUR GEORGE Syncelle a tiré du septième livre de Diodore, le Fragment qui suit sur la première origine des Romains.

Il a été employé par Rhodoman. 

QUELQUES auteurs ont cru que Romulus né d'une fille d'Enéé avait jeté les fondements de la ville de Rome. Mais ces auteurs se sont trompés, car c'est un fait vrai qu'il y a eu une longue suite de rois entre Énée et Romulus. Rome ne fut bâtie que vers la seconde année de la septième Olympiade plus de quatre cent trente ans après la ruine de Troie ; au lieu qu'il n'y avait que trois ans qu'Énée était échappé de l'embrasement de cette ville, lorsqu'il prit possession du royaume des Latins. Au bout de trois années il disparut d'entre les hommes et reçut les honneurs divins. Son fils Ascagne qui lui succéda, bâtit la ville d'Albe appelée aujourd'hui Longa. Son premier nom lui venait du fleuve Alba , qu'on a depuis nommé le Tibre. Cependant Fabius qui a écrit une histoire romaine nous conte fort différemment l'origine de ce premier nom. Il dit qu'un oracle avertit Énée qu'un animal à quatre pieds le conduirait au lieu où il devoir bâtir une ville. Comme il était sur le point d'immoler une truie blanche qui était pleine, elle lui échappa des mains et ayant été suivie jusque sur une hauteur voisine, elle y mit bas trente cochons. Énée surpris de cette merveille qu'il regarda comme une suite de l'oracle, choisit là son habitation. Mais un songe qu'il eut ensuite retarda l'entreprise d'y bâtir et la lui fit différer jusqu'après trente ans, suivant le nombre des cochons qu'il avait vus.

QUATRIÈME FRAGMENT TIRÉ DU MÊME GEORGE Syncelle sur les Rois de Macédoine. Georg. Sync. p. 262.

AVERTISSEMENT.

CE Fragment n'a encore été employé par aucun des éditeurs de Diodore soit en grec soit en latin. En effet il est difficile de le démêler du texte même du Syncelle qui allègue seulement le nom de Diodore, sans qu'on soit assuré s'il rapporte ses propres paroles, ni jusqu'où va la citation. Il n'en est pas de même des autres Fragments que l'on trouve détachés de tout dans le Syncelle et dans les autres Auteurs qui les fournissent. Ainsi renonçant ici à la curiosité d'avoir les termes mêmes de Diodore, je tâcherai d'y suppléer par une autre qui me paraît plus importante. C'est la liste de tous les rois de Macédoine tirée de l'endroit même du Syncelle où il cite notre historien. Le premier de ces rois fut Caranus que le Syncelle place à l'an du monde 4700, c'est-dite selon son calcul 800 ans avant  J.C. Ce Caranus était frère de Phidon Roi d'Argos et descendant d'Hercule, suivant cette Généalogie rapportée de Diodore.

1. HERCULE.
2 HILLUS.
3 CLEODATES.
4 ARISTOMAQUE.
5 TIMENES.
6 CISSIUS.
7 THEOSTIUS.
8 MEROPS.
9 ARISTODAMIDAS.
10 CARANUS.

Il suit de là qu'Hercule était le neuvième aïeul de Caranus ; mais Timenés qui est ici au 5e rang, est au 8e dans une autre Généalogie rapportée aussi, selon le Syncelle, par Diodore cité une seconde fois. Cette Généalogie est en remontant.

I CARANUS.
2 PAEAN.
3 CROESUS.
4 CLEODIUS.
5 EURYBIADAS.
6 DEBALLUS.
7 LACHARUS.
8 TIMENES.

Quoiqu'il en soit ce Timenes fut un de ces descendants d'Hercule dont l'arrivée dans le Péloponnèse avec plusieurs autres guerriers de même sang que lui, fut appelée le retour des Héraclides, placé par Diodore dans sa préface et par le Syncelle même  80 ans après la guerre de Troie. L'objet de ce retour pour les Héraclides était d'entrer en possession de divers pays conquis par Hercule et dont ce héros n'avait laissé en possession quelques princes de son temps, qu'à condition de les remettre à ses descendants à mesure qu'ils viendraient les redemander, comme nous l'avons vu en plusieurs endroits du 4e Livre.

CARANUS qui vivait allez long temps après ce retour et lorsqu'il ne restait presque plus d'autres descendants d'Hercule que lui, voulut se faire un royaume. Dans ce dessein il emprunta des troupes du roi d'Argos son frère et de quelques villes du Péloponnèse. Avec cette armée il se joignit à un roi de certains peuples voisins de la Thrace nommez les Orestes. Après avoir fait ensemble dans les environs quelques conquêtes au nombre desquelles était la Macédoine, Caranus la demanda pour son partage et il l'obtint. Il y bâtit une ville que le Syncelle ne nomme ni en cet endroit p. 161 ni à la p. 198 où ce même fait a déjà été raconté. Il y a apparence que c'est Edisse ; car Pella séjour ordinaire des derniers rois de Macédoine ne fut bâtie que 400 ans après. Voici maintenant la liste dont il s'agit et la durée du règne de chaque roi ; non pas tout-à-fait telles qu'on les trouve dans le texte du Syncelle , mais corrigées suivant le canon chronologique qui est à la fin de son volume. Ces corrections sont conformes au discours qui continue dans la p. 262 et 263 du Syncelle et qui paraît être une suite de la citation de Diodore. 

Liste des rois de Macédoine.

1. CARANUS. 30 ans.
2 COENUS. 28
3 TYRIMNAS. 45
4 PERDICCAS I. 48
5 ARGAEUS. 34
6 PHILIPPUS. 37
7 AEROPAS. 23
8 ALCETAS. 18

somme 273

9 AMYNTAS I. 42 ans,
10 ALEXANDRE I. 44
11 PERDICCAS II. 23
12 ARCHELAUS I. 14
13 ORESTES. 4
14 ARCHELAUS II. 4
15 AMYNTAS II. 1
16 PAUSANIAS. 1
17 AMYNTAS III. 5
18 ARGAEUS II. 2
19 AMYNTAS IV. 12
20 ALEXANDRE II. 1
21 PTOLEMEE I. 3
22 PERDICCAS III. 6
23 PHILIPPE II. 23
24 ALEX. LE GRAND III, 12
25 PHIL. ARIDAEE III. 7
26 CASSANDER. 19
27 ANTIGONE & ALEX. 3
28 DEMET. POLIORCETE. 6
29 PYRRHUS. 7 mois.
30 LYSIMACHUS. 3
31 PTOLEM. II. fils de Lagus. 1
32, MELEAGER. 2 mois.
33 ANTIPATER. 45 jours.
34 SOSTHENES. 2
INTERREGNE. 2
35 ANTIGON. GONATAS. 44

Somme 284

36 DEMET. fils d'Antigonus. 10 ans.
37 ANTIGON. PHYSCUS. 12
38 PHILIPPE IV. 42
39 PERSEUS. 10
40 PSEUDO PHILIPPUS. 1

somme 75

Total 632 ou 633.

REMARQUE.

Les trois sommes rassemblées font 632 ou 633 ans qu'a duré le royaume de Macédoine depuis Caranus jusqu'a la conquête qui en fut faite par les Romains 198 ou 197 ans avant J. C. selon ce qui résulte de la chronologie du Sincelle. Il n'est pas de mon sujet de répondre aux difficultés qu'on peut faire sur cette liste toute corrigée qu'elle soit. Il me suffit d'avoir recueilli un morceau considérable de l'Histoire, où le nom de Diodore a été employé , et dont il est au moins le premier auteur. Je me contenterai de dire au sujet de Pseudo-Philippus, qu'après la défaite de Persée par les Romains, Andriscus surnommé Pseudo-Philippus fils d'un foulon , se fit passer pour un fils de Persée à l'instigation de Démétrius I, roi de Syrie et sous ce nom les Macédoniens le reçurent avec joie. Mais il fut vaincu au bout d'un an de règne par Q. Caecilius Metellus qui le mena en triomphe dans Rome, comme Paul Emile y avait mené Persée dernier roi de Macédoine. Voyez sur Pseudo-Philippus, Reinerus Reineccius, syntagma de Familiis etc. de regno Macedonico , où se trouve recueilli tout ce que les auteurs anciens ont dit de cet imposteur. Au reste le commencement du règne de Caranus a précédé la première Olympiade et appartient par conséquent à l'intervalle du 5e au 11e Livre ; quoique la liste entière vienne jusqu'aux livres perdus depuis le 20 jusqu'au 40.

FRAGMENTS DE  DIODORE DE SICILE TIRÉS DU RECUEIL DE FULVIUS URSINUS.

AVERTISSEMENT.

FULVIUS URSINUS qui vivait à Rome sous le Pontificat de Grégoire XIII. avait reçu d'Antoine Augustin Archevêque de Tarragone une quantité assez considérable de Fragments de l'historien Polybe qu'il voulut donner au public. Ces Fragments dans le manuscrit qu'on lui avait envoyé portaient tous le même titre, de Legationibus, des Ambassades. Il paraît qu'à cette occasion Fulvius Urfinus songea à recueillir des Fragments d'autres Auteurs sur le même sujet et il a joint à ceux de Polybe, quelques autres de Denys d'Halicarnasse, de Diodore de Sicile, d'Appien d'Alexandrie et de Dion Cassius. Mais les Fragments de ces quatre derniers pris ensemble font à peine le tiers de ce qui appartient à Polybe seul. Le titre même du livre d'Urfinus , ni sa dédicace au Cardinal de Granvelle, ne font aucune mention d'eux et il ne dit point où il a trouvé ce qu'il en produit. Quoiqu'il ait donné des notes et des corrections sur tous, il n'a pris la peine de traduire en latin aucun d'eux, ni Polybe même. Cependant comme on ne peut pas douter qu'il n'ait trouvé ces Fragments ou dans la Bibliothèque du Vatican ou dans la Bibliothèque Palatine, que Grégoire XIII. faisait embellir alors, je n'ai pas cru devoir négliger cette indication au sujet de Diodore, dont Fulvius Ursinus nous présente 35 Fragments. Il n'y a que les deux premiers qui conviennent à l'intervalle du 5e au 11e Livre. Ils vont voir ici le jour en français avant que de l'avoir vu en latin : ce que les soins des savants qui ont vécu jusqu'à ce jour ont rendu assez rare à l'égard d'un texte Grec.

PREMIER FRAGMENT.

AU temps d'Hostilius Tullus Roi des Romains, les peuples d'Albe auxquels les progrès de la grandeur romaine commençaient à faire ombrage, supposèrent que des coureurs qui appartenaient aux Romains, étaient venus faire du ravage sur leurs terres. Ils envoyèrent des ambassadeurs à Rome pour demander justice et réparation de cette insulte, avec ordre de déclarer la guerre, si l'on ne leur donnait pas satisfaction. Hostilius instruit qu'ils ne cherchaient qu'un prétexte pour rompre avec Rome, recommanda aux principaux et aux plus fidèles de ses amis de recevoir gracieusement ces ambassadeurs et de les inviter à entretenir la paix et l'union avec Rome. Pour lui, il évitait leur rencontre avec un extrême soin et il dépêcha de son côté des ambassadeurs aux Albains pour leur porter précisément les mêmes plaintes en les accompagnant d'une déclaration toute pareille. Il se conformait en cela à une ancienne maxime selon laquelle nos ancêtres n'avaient rien tant à coeur que de n'entreprendre que des guerres jutes et il craignait beaucoup que ne pouvant découvrir ces coureurs prétendus, ni par conséquent les livrer aux Albains, il ne parut en guerre avec eux pour soutenir une injustice. Cependant les ambassadeurs envoyés de sa part n'ayant point obtenu des Albains la demande qu'ils leur avaient faite, leur déclarèrent la guerre pour le trentième jour suivant. On fit donc aux ambassadeurs des Albains une réponse qui dans le fond était assez con forme à leurs désirs : savoir qu'ayant refusé les premiers la justice que les Romains leur avaient demandée, on leur déclarait la guerre. C'est ainsi que ces deux peuples, qui avaient entretenu jusque-là une amitié cimentée entr'eux par des mariages réciproques, devinrent enfin ennemis l'un de l'autre.

SECOND FRAGMENT.

DES que Cambyse se fut rendu maître de toute l'Égypte, les peuples de la Libye et de la Cyrenaïque qui avaient toujours pris les armes en faveur des Égyptiens , envoyèrent des présents au roi et l'assurèrent qu'ils se conformeraient toujours à ses volontés,

Le troisième Fragment parle de Nabis tyran de Lacédémone du temps de T. Quintus Flaminius pacificateur de la Grèce pour les Romains, assez longtemps depuis Alexandre. Ainsi ce troisième Fragment et tout ce qui suit appartient aux Livres perdus après le vingtième.

EXTRAITS DE DIODORE FAITS PAR L'EMPEREUR CONSTANTIN PORPHYROGENETE.

AVERTISSEMENT.

MONSIEUR Henri de Valois fit imprimer à Paris en 1634 in-4o, avec une version latine, des Extraits que l'Empereur Constantin Porphyrogenete avait faits de divers Historiens grecs de l'antiquité. Ces Extraits étaient divisés en 35 volumes dont il ne reste aujourd'hui que deux : l'un intitulé de Legationibus, des Ambassades, déjà donné au public par Fulvius Urfinus et l'autre que donnait actuellement M. de Valois et qui portait pour titre dans l'original, des Vertus et des Vices. Il nous avertit dans sa Dédicace à M. de Peiresch, que c'était ce fameux conseiller au parlement d'Aix qui en avait trouvé le manuscrit dans l'île de Chypre, qui l'avait apporté en France et envoyé à Paris. Le Volume de M. de Valois contient les Extraits de Polybe, de Diodore de Sicile, de Nicolas de Damas, de Denys d'Ha­licarnasse, d'Appien d'Alexandrie, de Dion Cocceianus qu'il croit être Dion Chrysostome et enfin de Jean d'Antioche. Je n'ai dû prendre de ces Extraits que ce qui appartient à Diodore et je n'en dois joindre à cette première partie de ma traduction que ce qui est tiré des cinq Livres perdus depuis le cinquième jusqu'au onzième. Ce qui reste à mettre après les dix autres Livres que nous avons encore à donner sera beaucoup plus long.

FRAGMENTS DES LIVRES VI. VII. VIII. IX. ET X. DE DIODORE EXTRAITS PAR L'EMPEREUR Constantin Porphyrogenete et publiés par M. Henri de Valois.

LA réputation de Castor et de Pollux appelés aussi les Dioscures, s'est soutenue jusqu'à notre temps. Elle nous apprend qu'ils ont surpassé les autres hommes en vertu et qu'ils ont été d'un grand secours aux Argonautes dans leur expédition. Leur courage, leur capacité dans l'art militaire et surtout leur religion et leur justice leur ont acquis l'estime de tous les hommes dont ils ont visiblement secouru plusieurs dans les plus grands périls. C'est à ces titres qu'ils ont passé pour fils de Jupiter et qu'après leur mort ils ont obtenu les honneurs divins.

EPOPEUS roi de Sicyone défia les dieux mêmes au combat et profana leurs temples et leurs autels.

ON DIT que Sisyphe excella par son adresse et par son savoir et que sur l'inspection des entrailles des victimes , il prédisait aux hommes tout ce qui leur devait arriver.

SALMONEE homme impie et superbe parlait mal des dieux et élevait ses actions au-dessus de celles de Jupiter même. Ce fut lui qui inventa une certaine machine par le moyen de laquelle il faisait un bruit prodigieux et semblable à celui du tonnerre. Il n'offrait point de sacrifices aux dieux et il ne célébra jamais leurs fêtes. Il eut une fille appelée Tyro, nom qui lui fut donné a cause de la blancheur et de la finesse de son teint

ADMETE homme pieux et juste fut si chéri et si estimé des dieux pour sa vertu que ce fut à son service qu'ils mirent Apollon, lorsque celui-ci tomba dans la disgrâce de Jupiter. On ajoute que ce fut pour la même raison qu'on lui donna pour femme Alceste, la seule de toutes les filles de Pélias, qui n'eut point participé à l'entreprise de ses malheureuses soeurs contre leur père lorsqu'à la persuasion de Médée elles le coupèrent en morceaux dans l'espérance de le voir rajeunir.

MELAMPE par son extrême piété devint ami d'Apollon.

A la prise de Troie, Énée s'étant retranché dans un quartier de la ville y soutint encore longtemps l'effort des ennemis. Ensuite les Grecs ayant relâché plusieurs des citoyens sous certaines conditions et laissé même à quelques-uns toutes les richesses qu'ils pourraient emporter sur eux ; Enée ne se chargea point comme les autres d'or, d'argent, ou semblables effets précieux ; mais prenant sur ses épaules son père cassé de vieillesse, il crut sauver son plus grand trésor. Les Grecs charmés eux-mêmes de cet exemple de piété lui permirent encore de choisir tout ce qu'il voudrait dans les richesses de son palais. Il prit alors les Pénates et les vases sacrés que lui avaient laissés ses ancêtres, et il augmenta encore par ce second choix le respect de ses ennemis. Ils ne pouvaient assez admirer un homme qui au milieu de la plus grande désolation faisait passer avant toutes choses le culte des dieux et la piété envers son père : c'est pourquoi aussi ils lui fournirent les sûretés qui lui étaient nécessaires pour sortir de Troie, accompagné du peu de Troyens qui subsistaient encore et pour se retirer où il lui plairait.

ROMULUS SYLVIUS roi des Albains qui avait toujours été d'un orgueil insupportable, s'attaqua enfin à Jupiter même. Lorsqu'il entendait tonner, il ordonnait à ses soldats de frapper tous ensemble de leurs épées sur les boucliers les uns des autres et il disait que ce bruit surpassait celui celui du tonnerre, dont il fut enfin frappé lui-même.

IL Y EUT dans la ville de Cumes un Tyran nommé Malacus, qui s'étant acquis du crédit sur la populace par les déclamations continuelles qu'il faisait contre les citoyens les plus puissants, parvint ainsi à la monarchie. Alors il fit étrangler les plus riches et s'étant emparé de leurs biens , il en entretint une compagnie de gens armés et se rendit redoutable à tous les habitants de Cumes.

LYCURGUE avait porté la vertu à un si haut degré qu'étant venu au temple de Delphes , la Pythie lui dit ces vers.

L'Auteur grec ne les met pas ici et renvoie pour les trouver , à son recueil de Sentences. Ils ont été allégués par Herodote L. 1 . au sujet du même Lycurgue ; on l'y compare à un dieu ,ou on le prend pour un dieu à cause de sa vertu.

LES LACEDEMONIENS en suivant les lois de Lycurgue , s'élevèrent de très petits commencements jusqu'à devenir les plus puissants de tous les Grecs et ils conservèrent cette supériorité plus de 400 ans. Mais ensuite ayant négligé chacune de ces lois l'une après l'autre, s'étant laissé aller insensiblement à l'oisiveté et aux plaisirs ; mais surtout l'usage de l'argent monnayé leur ayant donné du goût et de la facilité pour amasser des richesses, ils déchurent entièrement de la réputation et de l'autorité qu'ils s'étaient acquise. Comme les Eléens gouvernaient très sagement leur république et se multipliaient beaucoup, les Lacédémoniens en conçurent quelque jalousie et cherchèrent des moyens de les faire relâcher de leur discipline et de les amener à une vie plus commune afin que s'accoutumant aux douceurs de la paix ils s'éloignassent d'eux-mêmes de toute entreprise militaire. Dans cette vue et du consentement des autres Grecs, ils les consacrèrent à Jupiter. Ainsi on les exempta de la guerre contre Xerxès comme des gens uniquement dévoués au service divin. Les guerres particulières que les Grecs se faisaient les uns aux autres ne causaient jamais aucun trouble aux Eléens. Au contraire les Grecs s'accordaient tous à défendre la ville et le territoire de l'Élide comme un pays sacré et inviolable. Mais dans la suite des temps cette pratique cessa et les Eléens firent la guerre pour leurs propres intérêts et prirent part aux guerres de la Grèce pour des intérêts communs.

ROMUS ET RÉMUS qui avaient été exposés croissaient toujours et surpassèrent bientôt en beauté et en force les hommes de leur temps. Ils étaient d'un grand secours à tous les bergers qu'ils défendaient des voleurs, en tuant les uns dans l'attaque même et prenant les autres vivants. Indépendamment de ce service ils se faisaient aimer de tous les habitants du pays, en se trouvant à toutes les assemblées et se montrant doux et officieux en toute occasion. Ainsi ces gens persuadés que leur sûreté dépendait de ces deux frères se soumirent à leur commandement ; ils exécutaient leurs ordres et ils les suivaient en quelque endroit qu'ils les conduisissent.

POLYCHARES de Messène homme distingué par sa naissance et par ses richesses fit une société de troupeaux avec Evaephne de Sparte. Celui-ci s'étant chargé de la direction des troupeaux et des bergers fut tenté de s'enrichir aux dépens de son associé, mais il fut bientôt découvert. Ayant vendu une partie de ces troupeaux et des bergers mêmes à des marchands qui devaient les conduire dans un pays éloigné, il supposa qu'ils avaient été enlevés de force par des voleurs. Cependant ceux qui les avaient achetés, faisant voile pour la Sicile, côtoyaient le Péloponnèse lorsqu'une tempête qui s'éleva les obligea de prendre terre. Aussitôt les bergers vendus, qui connaissaient le pays, s'enfuirent du côté de Messène et ayant découvert la vérité à Polycharès leur maître, celui-ci, après les avoir fait cacher, manda aussitôt au Spartiate son associé de venir le voir. Le Spartiate soutint d'abord son premier exposé et dit que des voleurs avaient tué une partie de ses bergers et enlevé l'autre. Là-dessus Polycharès fit paraître devant lui ceux qu'il avait fait cacher. Evaephne convaincu et confondu eut recours aux prières et aux soumissions et pour obtenir sa grâce il promit de restituer son larcin. Polycharès respectant l'hospitalité se laissa fléchir et se contenta d'envoyer son fils avec le Spartiate pour recevoir cette restitution. Mais Evaephne violant sa promesse porta encore la perfidie jusqu'à égorger ce jeune homme dès qu'il fut rentré dans Sparte. Polycharès outré de douleur à cette horrible nouvelle envoya demander justice aux Lacédémoniens. Ceux-ci ne jugèrent pas à propos de la lui rendre comme il la demandait : mais ils envoyèrent à Messène le fils d'Evaephne chargé d'une lettre de leur part, pour déclarer à Polycharès qu'il fallait qu'il vint lui-même porter son accusation devant les éphores et les rois. On dit que Polycharès indigné se vengea lui-même en tuant ce jeune homme et en ravageant les environs de Lacédémone.

Diodore rapportait cette histoire comme la cause de la première guerre Messenienne. L'histoire et la guerre se trouvent dans les Messeniaques de Pausanias. Voyez la note de M. Valois sur ce fragment.

ARCHIAS de Corinthe qui aimait éperdument le jeune Actéon, essaya d’abord de le gagner par des présents et par des promesses magnifiques : mais cette voie ayant été rendue inutile par la vigilance du père et par la sagesse de l'enfant même, il assembla un grand nombre de ses camarades. pour enlever de force celui qui résistait à ses insinuations et à ses prières. S'étant donc enivré un jour avec sa troupe, il s'abandonna à cet excès de fureur d'aller avec eux jusque dans la maison de Mélissus pour en arracher son fils. Le père et tous ses gens se réunirent bientôt pour s'opposer à cette violence. Pendant la chaleur de la querelle et de l'action, l'enfant mourut , sans qu'on y prit garde, entre les mains de ceux qui le défendaient contre ses ravisseurs. Quand on aperçut ce malheur, on admira, en pleurant l'enfant, la conformité de sa fortune avec le sort de celui dont il portait le nom ; car l'un et l'autre ont perdu la vie par ceux-mêmes qui, étaient disposés à la défendre.

Il fait allusion à la Fable d'Actéon déchiré par ses chiens. Au reste Diodore rapportait ce fait pour entrer dans l'histoire de la fondation de Syracuse qu'Archias banni de Corinthe pour son crime, alla bâtir. Voyez les notes de M. de Valois sur cet endroit.

AGATHOCLE ayant été choisi à Syracuse pour présider à la construction d'un temple qu'on élevait à Minerve, fit à la vérité toute la dépense de son propre fonds ; mais il réserva les plus belles pierres pour s'en faire bâtir à lui-même une maison magnifique. La divinité ne fut pas insensible à cet outrage, car un coup de tonnerre le fit périr dans sa maison embrasée. Les géomores, magistrats de Syracuse, jugèrent que sa succession appartenait à la république, quoique ses héritiers prouvassent qu'il n'avait point détour né les deniers publics et sacrés. La malédiction fut jetée sur sa maison et on en interdit l'entrée. C'est pour cela qu'on l'appelle encore aujourd'hui la maison du tonnerre.

Cet Agathocle doit être antérieur de beaucoup au fa­meux Tyran de Syracuse de même nom, dont il est parlé amplement dans les der­niers livres qui nous restent de Diodore.

POMPILIUS roi des Romains entretint la paix durant tout son règne. On dit qu'il avoir été disciple de Pythagore, duquel il tenait plusieurs secrets qui concernaient les mystères et les volontés des dieux. C'est par-là qu'il s'était rendu illustre et qu'il avait même obtenu le sceptre , quoi qu'il fût étranger.

DEJOCES roi des Mèdes au milieu des désordres et des crimes de son temps, cultiva la justice et les autres vertus.

LES SYBARITES sont esclaves de leur ventre et de toutes fortes de voluptés : c'est pour cela qu'ils préfèrent les Ioniens et les Tyrrhéniens aux autres nations ; parce que ceux-là surpassent tous les Grecs et ceux-ci tous les Barbares dans l'abondance et l'usage des plaisirs,

MINDYRIDE a été le plus somptueux des Sybarites. Car Clisthène roi de Sicyone qui venait d'être vainqueur à la course du char, ayant fait publier par des hérauts que ceux qui recherchaient sa fille, princesse d'une grande beauté, eussent à se trouver à Sicyone, un certain jour qu'il désignait ; on vit arriver ce même jour Mindyride dans une felouque à cinquante rames. Elles n'étaient servies que par ses domestiques , dont les uns étaient pêcheurs et les autres oiseleurs pour l'usage de sa table. Étant entré dans Sicyone il surpassa par la magnificence de son train non seulement tous ses rivaux,  mais le roi même, quoique ses sujets eussent contribué à l'envi les uns des autres à l'éclat de cette fête. Dans le repas qui se donna aux prétendants assemblés, l'un d'eux ayant voulu se mettre à côté de lui sur un des lits de la table : il dit que se tenant aux termes de la publication , il voulait coucher avec une épouse ou coucher seul.

HIPPOMENES archonte d'Athènes tira une vengeance outrée et inouïe de sa fille qui s'était laissé corrompre. Il la fit enfermer dans une écurie avec un cheval , auquel ayant ôté toute nourriture ; cet animal au bout de quelques jours fut contraint d'assouvir sa faim sur le corps de cette malheureuse.

D'autres, comme Dion Chrisostome, ont dit que cette fille aimait le cheval , fable assez semblable à celle de Pasiphaé : On peut lire sur tous ces morceaux les remarques de M. de Valois. Je crois qu'il suffit à mon dessein de dire ici que son sentiment est qu'à l'exception de l'histoire du Sybarite que Diodore ne rapportait que par occasion, tous les autres faits suivent assez l'ordre des temps dans ces extraits , comme ils le suivaient dans le texte.

ARCESILAS roi de Cyrène se voyant accablé de calamités consulta l'oracle de Delphes, qui lui répondit qu'elles étaient un effet de la colère des dieux parce que les rois successeurs du premier Battus s'étaient écartés de l'exemple de ce prince. Content du titre de roi, il avait gouverné. justement et populairement et surtout il avait entretenu avec une grande attention le culte divin ; au lieu que ses successeurs exerçant une puissance tyrannique, s'étaient approprié les biens publics et avaient extrêmement négligé le service des dieux.

Voyez ici dans M. de Valois une suite des rois de Cyrène.

DEMONAX de Mantinée apaisa par son équité et par sa prudence une guerre civile qui s'était élevée entre les villes des Cyrenéens. S'étant embarqué à ce dessein pour Cyrène, il y fut reçu comme souverain arbitre de leurs différents et il concilia leurs villes entr'elles.

LUCIUS TARQUINIUS roi des Romains avait reçu une excellente éducation. Curieux des sciences, il en avait fait dans sa jeunesse un grand usage pour la vertu. Parvenu à l'âge d'homme il s'attacha au roi des Romains Ancus Marcius, il devint son ami et prit de lui communication de beaucoup de choses qui concernaient le gouvernement. Il employa ses richesses qui étaient grandes, à secourir les indigents. Il agissait familièrement et en ami avec tout le monde. Non seulement il fut irréprochable dans sa conduite ,mais il s'acquit même beaucoup de gloire par sa sagesse.

SOLON était fils d'Execestide, et né à Salamine ville dépendante de l'Attique : il surpassa tous les hommes de son temps en sagesse et en connaissances. Mais ayant une disposition très singulière pour la vertu, il s'y livra tout entier. Il employa un très long temps à s'instruire de toutes ses règles et il en devint lui-même un parfait exemple. Il avait eu dès son enfance d'excellents maîtres et il ne fréquenta toute sa vie que les plus grands hommes en ce genre de philosophie. Aussi fut-il admis dans le nombre des sept sages. Il se distingua même parmi eux et on lui a déféré la première place entre tous ceux que la vertu a rendu illustres. Le même Solon a éternisé sa mémoire par l'institution de ses lois ; sa sagesse le faisait paraître également admirable dans ses entretiens, dans ses réponses et dans ses consultations. Enfin Solon ayant trouvé la ville d'Athènes plongée dans les moeurs ioniennes et ses citoyens efféminés par l'oisiveté et par les plaisirs, il vint à bout de les transformer en hommes vertueux et de les piquer même d'émulation pour des entreprises courageuses.
Harmodius et Aristogiton, armés pour ainsi dire de ses lois, conçurent le dessein d'abattre la tyrannie des Pisistratides.

UN CERTAIN Myson de Malie qui habitait dans le village nommé Chêne, autour du mont Oeta , avait passé toute sa vie dans son héritage et était connu de peu de gens. On le choisit néanmoins pour le mettre au nombre des sept sages à la place de Périandre, tyran de Corinthe, qui déchu de sa première vertu devenait tous les jours plus méchant.

CHILON mena une vie toujours conforme à ses préceptes, ce qu'on voit assez rarement car la plupart de nos philosophes disent de très bonnes choses et en font de très mauvaises, condamnant ainsi par leurs discours leur propre conduite. Mais Chilon indépendamment des exemples de vertu qu'il a donnés pendant sa vie, pensait très juste et a laissé plusieurs maximes dignes d'être retenues.

PITTACUS de Mitylène n'était pas seulement un philosophe, il était encore bon politique et tel que l'île de Lesbos n'en a point produit de semblable. Je crains même qu'elle n'en donne jamais d'aussi bons et en aussi grande abondance que ses vins. Celui-ci a été un législateur sage. Il était humain en général et ami en particulier. Il a enfin délivré sa patrie de trois grands maux, la tyrannie, la sédition et la guerre. Pittacus était en même temps secret et affable : il cherchait en lui-même l'excuse des fautes des autres : ce qui lui donnait universellement la réputation d'un homme parfait. Il paraissait dans ses lois politique et prévoyant. Il était fidèle à sa parole, très courageux à la guerre et d'un désintéressement au-dessus de tout soupçon.

CEUX de Priène racontent que Bias ayant délivré des mains des coureurs des filles de distinction de Messène, les traita comme ses propres filles : leurs parents étant venus quelque temps après pour les reprendre, Bias ne voulut recevoir d'eux ni la rançon qu'il avoir donnée pour elles, ni même les frais de leur entretien : il leur fit au contraire de grands présents. Aussi ces filles le regardèrent toujours comme leur père et pour le bienfait de leur délivrance et pour le soin qu'il avait pris d'elles dans sa maison. Et le retour dans leur patrie n'effaça jamais son image dans leur esprit. Des pêcheurs Messéniens ne tirèrent d'un second coup de filet, qu'ils avaient jeté dans la mer, qu'un trépied d'airain qui portait cette inscription : Au plus sage. Ils allèrent aussitôt le présenter à Bias. Bias surpassait tous les hommes de son siècle par la force de ses discours mais il faisait de son éloquence un usage tout différent de celui des autres orateurs. Car il ne l'employait point à gagner de l'argent et à s'en faire un gros revenu : il ne la faisait servir qu'à défendre les indigents opprimés : ce qui est extrêmement rare.

CYRUS fils de Cambyse et de Mandane fille d'Astyage roi des Mèdes, surpassa en intelligence, en courage et en toute sorte de grandes qualités tous les princes de son siècle. Son père lui donna une éducation vraiment royale , et fit naître en lui une émulation héroïque. Aussi n'aspirait-il qu'a de grandes choses et sa vertu parut bientôt au-dessus de son âge.

ASTIAGE roi des Mèdes ayant été vaincu et réduit à une fuite honteuse, en conçut une colère furieuse contre ses troupes. Il commença par casser tous les officiers et il en mit d'autres à leur place. Ensuite recherchant tous ceux qui ayant fui les premiers avaient été la cause de la déroute, il les fit égorger. Il croyait que cet exemple redonnerait du courage à tous les autres mais d'ailleurs il était naturellement cruel. Non seulement les troupes furent étonnées d'une pareille exécution, mais y trouvant de la férocité et de la barbarie, elles en conçurent des pensées de révolte. Les propositions et les projets en couraient de bouche en bouche et les soldats s'exhortaient les uns les autres à venger leurs camarades.

CYRVS, dit-on, n'était pas seulement brave à la guerre ; il était encore humain, doux et bienfaisant à l'égard de ses sujets. C'est pourquoi les Perses lui donnèrent le surnom de père.

UN CERTAIN Adraste de Phrygie tirant sur un sanglier à la chasse, blessa sans le vouloir un fils de Crésus roi de Lydie nommé Atys et les tua. Il se condamna lui-même et se jugea indigne de vivre après un pareil accident quoiqu'involontaire. Il conjura le roi de ne point lui pardonner et de le faire égorger sur le tombeau de son fils. Crésus dans les premiers mouvements de sa douleur en avait conçu le dessein et même il avait menacé de le faire brûler vif. Cependant touché ensuite de la résignation de cet homme qui livrait lui-même sa vie pour apaiser le sang du mort, il revint entièrement de sa colère et ne s'en prit plus qu'au destin et à son propre malheur. Mais Adraste ne s'en tint pas moins à sa première résolution et s'alla étrangler lui-même sur le tombeau d'Atys.

CRÉSUS roi de Lydie faisant sem blant d'envoyer consulter l'oracle de Delphes par Eurybate d'Éphèse, lui donna de l'argent avec un ordre secret de lui amener de la Grèce autant de soldats qu'il en pourrait enrôler à son service. Mais Eurybate se retirant chez Cyrus roi de Perse lui révéla sa commission. Cette trahison ayant été connue des Grecs, on a donné lenom d'Eurybate à ceux à qui l'on veut reprocher leur méchanceté et leur perfidie.

CYRUS s'étant persuadé que les dieux protégeaient Crésus, sur ce qu'au moment qu'il allait être exécuté par son ordre, il était tombé une grande pluie qui avait éteint la flamme du bûcher se ressouvenant aussi de la réponse que Solon avait faite à ce prince il le retint auprès de sa personne avec une considération particulière, et même il lui donna place dans son conseil. Il fit réflexion que celui qui avait eu un long commerce avec plusieurs hommes sages et éclairés, devait avoir lui-même beaucoup d'intelligence.

SERVIUS TULLIUS roi des Romains régna 44 ans et sa vertu lui inspira un grand nombre de réglements utiles au public. Dans la 61e Olympiade , Thericlès étant Archonte d'Athènes le philosophe Pythagore déjà très avancé dans la sagesse commença à être connu. Il a mérité une place dans l'histoire, plus qu'aucun autre de ceux qui ont fait profession de philosophie. Il était Samien d'origine, quoique d'autres le fassent Tyrrhénien. L'agrément du discours et le don de la persuasion lui étaient propres à un tel degré , que toute une ville s'assemblait autour de lui, comme pour jouir de la présence d'un dieu ; et il avait rendu les hommes avides d'instruction. Mais ce n'est pas seulement en paroles qu'il excellait. Les bonnes moeurs semblaient lui être naturelles et faire l'essence de son âme ; sa vie était un parfait modèle à proposer à la jeunesse. Il retirait de la mollesse et de la volupté tous ceux qui avaient commerce avec lui ; quoique l'abondance qui régnait de son temps parût avoir fait tomber tous les hommes dans une dissolution extraordinaire, par rapport aux sentiments de l'âme et aux plaisirs des sens.

PYTHAGORE ayant appris que Phérécyde qui avait été son maître, était grièvement malade dans l'île de Délos, s'embarqua aussitôt pour aller de l'Italie où il demeurait, jusque dans cette île. Phérécyde vécut néanmoins encore assez longtemps pour donner lieu à son disciple, de le nourrir dans sa vieillesse. Il avait pris d'abord tous les soins imaginables pour sa guérison. Cependant Phérécyde ayant enfin succombé sous le poids des années et des infirmités, Pythagore le fit ensevelir avec tout le soin et tous les honneurs qu'un fils rendrait à son père ; après quoi il revint en Italie.

LES Pythagoriciens faisaient part de leurs biens comme frères, à ceux qui tombaient dans l'indigence. Cette pratique n'était pas même renfermée entre ceux qui vivaient ensemble. Elle s'étendait à tous les disciples de cette école.

CLINIAS de Tarente qui était de ce nombre, ayant appris que Prorus de Cyrène avoir perdu tout son bien dans une sédition populaire et se trouvait réduit à une extrême pauvreté, partit aussitôt d'Italie avec des richesses considérables. A son arrivée à Cyrène, il les fit accepter à Prorus quoiqu'il ne l'eût jamais vu et qu'il ne sût autre chose de lui sinon qu'il était Pythagoricien. On raconte un semblable trait de plusieurs autres d'entr'eux. Ils ne se bornaient pas même à des secours d'argent, mais ils partageaient les périls de leurs camarades dans les occasions les plus dangereuses : un certain Phintias Pythagoricien sous Denys le tyran, ayant conspiré contre lui, était sur le point d'être exécuté lorsqu'il lui demanda la permission d'aller mettre auparavant quelque ordre aux affaires de sa famille, en lui proposant en même temps un de ses amis pour être sa caution. Le tyran demeura étonné qu'il y eût quelqu'un qui pût être ami jusqu'au point de se laisser mettre en prison pour un homme condamné à mort. Cependant Phintias lui présenta un nommé Damon Pythagoricien, qui fans hésiter offrit sa personne en gage de celle de Phintias. Les uns admiraient cet excès et cet héroïsme d'amitié et les autres n'y trouvaient que de l'extravagance et de la manie. Au jour marqué pour le supplice le peuple s'assembla en foule pour voir si le condamné serait fidèle et viendrait dégager sa caution. Comme le temps s'avançait personne ne l'attendait plus, lorsque Phintias arriva en courant et rencontra Damon que l'on conduisait déjà à la place publique. Cet exemple réciproque ayant frappé tout le monde d'admiration, le tyran prononça la grâce du condamné et les faisant venir tous deux devant lui, il les pria de le recevoir en tiers d'une amitié si parfaite.

LES Pythagoriciens exerçaient extrêmement leur mémoire par une méthode qui avait encore une autre utilité. Ils ne se levaient point qu'ils n'eussent repassé dans leur esprit tout ce qu'ils avaient fait la veille, en commençant par le matin et en finissant par le soir. Si même ils avaient plus de loisir qu'à l'ordinaire, ils remontaient jusqu'au troisième et au quatrième jour et même plus loin. Outre l'habitude qu'ils acquerraient par là de se ressouvenir exactement de beaucoup de choses ; ils y trouvaient l'avantage de se rendre plus circonspects et plus prévoyants. Ils s'accoutumaient aussi à la tempérance par une épreuve singulière. Ils faisaient servir devant eux tous les mets qui peuvent entrer dans un repas magnifique et ils les contemplaient durant quelque temps. Ensuite lorsque les sens irrités par ces objets, étaient sur le point de faire succomber la nature, ils ordonnaient à leurs gens d'enlever tout cet appareil et s'en allaient sans avoir goûté de quoi que ce fut.

PYTHAGORE recommandait à ses disciples de jurer très rarement mais d'être d'une fidélité inviolable à l'égard des serments qu'ils avaient faits. Le même Pythagore consulté sur l'usage du mariage le plus convenable pour la santé répondit que pendant l'été il ne fallait point s'approcher de sa femme et que pendant l'hiver il fallait le faire avec beaucoup de modération. En général il regardait les plaisirs charnels comme très dommageables à l'homme et leur continuité lui paraissait être une cause infaillible du dépérissement de ses forces et de l'avancement de sa mort. Pythagore voulait aussi que pour sacrifier aux dieux, on se présentât non avec des habits magnifiques, mais avec des habits décents et propres et il exigeait non seulement que le corps fut purifié de toute action extérieure contraire à la justice et à l'honnêteté ; mais encore que l'âme fût innocente et sans tache. C'est ainsi qu'entretenant ses auditeurs de tout ce qui pouvait contribuer à la pureté des moeurs, au courage, à la constance et à toutes les autres vertus, il reçut des honneurs semblables à ceux que l'on rend aux dieux.

UN certain Crotoniate nommé Cylon, distingué parmi ses concitoyens par ses richesses et par son crédit, souhaita d'être admis dans l'école de Pythagore. Mais comme il était d'un naturel dur et violent , qu'il avait excité des séditions , et qu'il paraissait même aspirer à la tyrannie, il fut refusé. Outré de cet affront il se déclara ennemi de toute la secte Pythagoricienne. Ayant même formé un parti contre elle, il passa le reste de sa vie à la déchirer par ses discours et à faire aux particuliers qui en étaient tous les torts dont il fut capable.

LYSIS Pythagoricien étant venu Thèbes de Béotie pour être précepteur d'Épaminondas, le rendit un homme accompli dans toutes les vertus et devint en quelque sorte son père adoptif. Ainsi Épaminondas ayant puisé dans l'école pythagoricienne les principes du courage, de la tempérance et de toutes les qualités de l'âme qui caractérisaient les philosophes de cette secte, devint non seulement le premier homme de Thèbes, mais le premier homme de son siècle.

LE récit des actions de la vie des grands hommes est un travail pénible pour les écrivains qui l'entreprennent : mais il est d'une grande utilité pour le public. Car l'histoire mettant à découvert les actions des hommes relève les bons par ses éloges et avilit les méchants par ses reproches. La louange est pour ainsi dire un prix qui ne coûte rien au peuple ; le blâme est une punition qui ne répand point le sang. Il est bon que nos descendants soient persuadés que la mémoire que l'on laissera après sa mort sera conforme à la vie que l'on aura menée. C'est en vain qu'ils essayeront de s'immortaliser par des tombeaux superbes qui ne sortent jamais de leur place, et que le temps y fait même disparaître : Ils ne doivent compter que sur la réputation attachée à la vertu et qui a feule le privilège de s'étendre partout. Le temps qui détruit les ouvrages matériels assure l'immortalité aux belles actions et les rend même d'autant plus glorieuses qu'elles sont plus anciennes. Les hommes vertueux jouissent actuellement de la récompense qu'on leur avait annoncée; et ils sont aussi présents à notre esprit que s'ils vivaient encore.

LE SECOND Cambyse était né furieux et insensé et son avènement à un grand empire le rendit encore plus orgueilleux et plus cruel.
Cambyse roi de Perse, enivré de sa prospérité après la prise de Memphis et de Péluse, fit ouvrir le tombeau d'Amasis ancien roi d'Égypte. Le trouvant embaumé dans son cercueil, il insulta son cadavre, et après avoir fait toutes sortes d'outrages à un corps inanimé et insensible, il le condamna au feu. Comme ce n'était point la coutume de brûler les morts en Égypte, il s'imagina qu'Amasis quoique mort depuis longtemps pourrait sentir quelque douleur ou quelque honte de son supplice.
Cambyse se disposant à porter la guerre en Égypte envoya auparavant un corps de troupes au temple de Jupiter Ammon. Il leur avait donné ordre de brûler ce temple après l'avoir pillé, et de lui amener les fers aux pieds tous les habitants des environs.

QUELQUES Lydiens pour se sauver de la tyrannie du satrape Oritès vinrent se réfugier dans l'île de Samos avec de grandes richesses en demandant asile à Polycrate. Celui-ci les reçut d'abord avec amitié. Mais au bout de quelque temps il les fit égorger tous, et s'empara de leurs dépouilles.

THESSALUS fils de Pisistrate et philosophe renonça à la tyrannie de son père et se réduisant à la qualité de citoyen, il s'acquit une haute estime parmi ses compatriotes. Mais ses deux frères Hipparque et Hippias hommes violents et injustes voulurent demeurer maîtres de la ville. Ils donnèrent différents sujets de plainte aux Athéniens : Hipparque surtout ayant conçu une passion désordonnée pour un jeune garçon parfaitement beau fut exposé à de grands périls. Les deux hommes dont nous avons parlé plus haut, Harmodius et Aristogiton, formèrent entr'eux le dessein de remettre Athènes en liberté. Mais la constance inébranlable dans l'épreuve des tourments ne demeura que du côté d'Aristogiton , qui conserva jusques dans le sein d'une mort violente la fidélité à sa patrie et le désir de la venger de ses oppresseurs.

ZÉNON d'Élée conspira contre Néarque pour délivrer sa patrie de la domination cruelle de ce tyran. Mais ayant été découvert, et mis à la question pour la révélation de ses complices, il dit : Je souhaiterais pouvoir disposer du reste de mon corps, comme je puis disposer de ma langue. A ces paroles le tyran fit redoubler les tortures, Zénon les soutint quelque temps. Après quoi pour procurer quelque trêve à ses maux et pour en faire souffrir aussi à leur auteur, il s'avisa de cet expédient. Dans un nouvel effort des bourreaux, il fit semblant de succomber à ses douleurs, et il cria : laissez-moi, je vais tout déclarer. Néarque les ayant fait cesser aussitôt Zénon le pria de s'approcher de lui, afin qu'il pût lui parler bas, avant à lui dire des choses qui demandaient un profond secret. Le tyran lui ayant présenté son oreille avec beaucoup de curiosité et d'empressement Zénon la prit avec ses dents et la serra de toute sa force. Tout ce qu'il y avait là d'exécuteurs et de domestiques se mirent aussitôt à tourmenter le patient de toutes les façons dont ils pouvaient s'aviser, pour lui faire quitter prise. Mais les tourments ne servant qu'à lui faire serrer les dents encore davantage, ils furent obligés d'avoir recours aux prières pour l'engager à relâcher leur maître. C'est ainsi que Zénon vint à bout de se donner quelque repos et de se venger de son ennemi.

SEXTUS fils de Lucius Tarquinius roi des Romains fit un voyage dans la ville de Collatie. Il vint loger chez L. Tarquinius parent du roi son père, et qui avait épousé Lucrèce femme très belle et très sage. Son mari étant parti pour la guerre, Sextus se leva une nuit et alla jusqu'à la chambre de cette femme. Enfonçant la porte tout d'un coup et tirant son épée, il lui dit qu'il menait par la main un esclave qu'il allait tuer et qu'il la tuerait ensuite elle-même, comme l'ayant surprise en adultère avec cet esclave : châtiment qui serait approuvé par son mari de la part de son parent et de son hôte. Qu'ainsi elle n'avait point d'autre parti à prendre que de satisfaire à ses désirs en secret et en silence. Que pour prix de ses faveurs, non seulement il lui ferait de grands présents, mais qu'il l'emmènerait pour l'épouser et qu'il changerait sa fortune de particulière en celle de reine. Lucrèce épouvantée à cette vue et à ce discours, craignant surtout qu'il ne parut vraisemblable qu'elle avait été surprise et tuée dans les bras d'un adultère, demeura interdite. Mais le lendemain dès que Sextus se fut retiré, elle appela tous ceux qui composaient sa maison. Elle les conjura de ne point laisser impuni l'attentat d'un homme qui avait violé en même temps tous les droits de la parenté et de l'hospitalité. Que pour elle, elle se croyait indigne de voir le jour après avoir essuyé un si cruel affront. Aussitôt prenant un poignard, elle se l'enfonça dans le coeur et mourut sur le champ.

HIPPOCRATE tyran de Gélas ayant vaincu les Syracusains vint assiéger le temple de Jupiter. Il y surprit le prêtre avec d'autres citoyens qui se hâtaient d'enlever des offrandes d'or massif et surtout un manteau de Jupiter qui était tissu d'or. Il les traita comme des profanateurs et les renvoya dans la ville. Dans le dessein de s'attirer la bienveillance des peuples, il s'abstint de toucher à aucune des richesses du temple et jugea en même temps que dans la guerre qu'il avait entreprise il ne devait pas s'exposer à la colère des dieux. Son projet était aussi de rendre odieux aux Syracusains ceux qui avaient gouverné leur République, comme étant des gens intéressés et qui ne songeaient point à entretenir la liberté et l'égalité publique.

THERON d'Agrigente fut un homme distingué par sa naissance, par ses richesses , par son amour pour la patrie ; non seulement entre les citoyens de la ville, mais encore entre tous les habitants de la Sicile.

CIMON fils de Miltiade ne pouvant ensevelir son père dont le corps demeurait engagé pour dette, se mit lui-même en prison et satisfit tous ses créanciers de son propre bien.
Cimon ayant commencé par une sage administration des biens de la République, devint encore un grand homme de guerre et fit des exploits glorieux , qui ne furent dus qu'à son intelligence et à son courage.

LES Grecs qui combattaient aux Thermopyles sous Léonidas terminèrent leurs jours de cette manière.

Et le reste qu'on trouvera dans le L. 11.

Fin des extraits de Constant. Porph. à l'égard des Livres perdus entre le 5e et le 11e.

FRAGMENT DE DIODORE DE SICILE CONTENANT LA DISPUTE de Cleonnis et d'Aristomène pour obtenir le prix de la valeur.

AVERTISSEMENT.

CE Fragment seul mériterait d'être précédé ici d'une longue préface, si nous n'avions sur ce sujet une Dissertation complète de M. Boivin l'aîné, imprimée parmi les Mémoires de l'Académie des Belles Lettres et Inscriptions , tom. 2. p. 84. Je n'en rapporterai que ce qui est nécessaire pour mettre le lecteur au fait. Henry Etienne imprima ce Fragment en Grec en 1567 avec quelques autres déclamations anciennes, comme une pièce détachée dont il ne connaissait pas l'auteur. Ce ne fut qu'en 1640 qu'Isaac Vossius le trouva sous le nom de Diodore de Sicile, dans un manuscrit de la Bibliothèque du Grand Duc à Florence. La première guerre Messénienne à laquelle donna lieu l'injure faite à Polycharès, qui a été racontée plus haut dans les Extraits de Constantin Porphyrogénète, fut l'occasion de cette dispute sur le prix de la Valeur. M. Boivin, la place après la bataille d'Ithome la troisième année de la douzième Olympiade 730 ans avant J. C. Cette bataille fut gagnée sur Théopompe et Polydore rois de Lacédémone, par Euphaès Roi de Messène. Et c'est une circonstance remarquable que ce roi présida à ce jugement quoique blessé de telle sorte qu'il en mourut peu de jours après. Son successeur fut ce même Aristomène un des deux contendants que l'on va entendre. M. Boivin a traduit ce morceau curieux en latin et en français. Je donne ici la seconde de ces deux versions, quoique son auteur avoue lui-même qu'il a eu plus d'égard à la fidélité qu'à l'élégance.

Version française et littérale par M. Boivin.

Après cela le roi, sentant un peu moins ses blessures, proposa d'adjuger le prix à celui qui avait le mieux fait au combat. Deux se le disputèrent, qui furent Cléonnis et Aristomène : l'un et l'autre avait quelque chose de particulier en sa faveur : car Cléonnis, défendant le roi renversé par terre, avait tué sur la place huit Spartiates qui l'entraînaient, entre lesquels il y en avait deux qui étaient des capitaines signalés ; et ayant dépouillé tous ces morts, il avait mis leurs armes en garde entre les mains de ses soldats afin d'avoir des preuves de sa valeur devant les juges. Il avait reçu plusieurs blessures, et elles étaient toutes de front ; marque certaine qu'aucun des ennemis ne lui avait fait lâcher le pied. Pour ce qui est d'Aristomène en combattant dans la même occasion pour sauver le roi, il avait tué cinq Lacédémoniens, et avait aussi emporté leurs dépouilles malgré tous les ennemis : il avait outre cela paré tous les coups et su s'exempter d'être blessé. Il avait depuis cela fait encore une action louable , en retournant à la ville après la bataille. Car Cléonnis, à cause de ses blessures, ne pouvant marcher, ni de lui-même, ni avec le secours de ceux qui lui donnaient la main ; Aristomène, sans vouloir quitter ses propres armes, le chargea sur son corps et le porta à la ville, quoique Cléonnis fût d'une taille et d'une corpulence plus haute et plus forte qu'un autre. Chacun d'eux apportant ces raisons de recommandation pour le prix de la bravoure, le roi présida au conseil avec les officiers de guerre suivant la loi. Cléonnis parla le premier et tint ce discours.

Il n'y a pas grande harangue à faire touchant le prix. Car ceux qui. sont les juges, ont vu eux-mêmes les belles actions de chacun, je veux seulement les faire souvenir que quand nous avons combattu l'un et l'autre contre les mêmes hommes, dans le même temps et dans le même lieu, c'est moi qui en ai tué le plus. Or il est manifeste que dans les mêmes circonstances, celui qui a tué un plus grand nombre d'ennemis, a le plus de droit au prix : mais d'ailleurs les corps de l'un et de l'autre sont des preuves très évidentes de celui qui a été le plus brave. Car l'un est sorti de la bataille tout couvert de plaies reçues de front : l'autre en revient comme d'une fête et non pas comme d'une mêlée si sanglante. Il n'a seulement pas éprouvé ce que peut faire le fer des ennemis. On doit juger de-là qu'Aristomène peut avoir été plus heureux, mais non pas plus brave que moi. Il est indubitable qu'un homme qui s'est fait hacher le corps en tant d'endroits, n'a pas craint de s'exposer pour sa patrie : mais quiconque au milieu de tant d'ennemis et de tant de dangers s'en est pu tirer sans blessure, doit avoir été merveilleusement attentif à la conservation de sa personne. Ce serait donc une étrange chose, si par le jugement de ceux qui ont vu l'action, celui qui a tué moins d'ennemis et qui a moins souffert en son corps, remportait le prix sur un autre qui le surpasse en ces deux points. Au reste ce n'est point une action de valeur d'avoir emporté sur ses épaules, lorsqu'il n'y avait plus d'ennemi ni de péril, un homme qui ne pouvait marcher à cause de ses blessures : Cela peut seulement prouver la force du corps. Voilà tout ce que j'avais à représenter devant tous. Car il n'est pas question ici de paroles, mais d'actions.

Alors Aristomène se défendant à son tour : J'admire, dit-il, que le prix de la valeur doive être en contestation entre celui qui a été sauvé et celui qui l'a sauvé. Car c'est une nécessité que mon adversaire croie, ou que les juges ne sont pas de bon sens, ou qu'ils vont juger sur ce qui se dit présentement et non pas sur ce qui s'est passé au champ de bataille. On ira faire voir que Cléonnis a eu non seulement moins de valeur, mais qu'il est tout-à-fait ingrat. Car il a moins songé à raconter les actions qu'il a faites, qu'à donner aux miennes un mauvais tour. Il fait voir plus d'ambition qu'il n'est permis ; car enfin c'est par envie qu'il a privé de la louange due aux belles actions, un homme à qui il a de très grandes obligations de l'avoir sauvé. J'avoue que j'ai été heureux au milieu de ces périls, mais je soutiens qu'avant toutes choses j'aie été brave. Car si j'avais évité les ennemis venant à la charge pour m'exempter d'être blessé, je ne devrais pas être appelé heureux, mais lâche et je ne serais reçu à prétendre le prix, mais j'aurais encouru la peine des lois. Mais puisqu'en com battant aux premiers rangs, et tuant ceux qui faisaient face, je n'ai pas souffert ce que j'ai fait souffrir aux autres, il faut dire que j'ai été non seulement heureux, mais outre cela vaillant. Car soit que les ennemis étonnés de ma valeur, n'aient osé me résister, ce m'est une grande louange de m'être fait craindre d'eux ; soit que quand ils ont combattu, j'aie eu tout ensemble et la force de les tailler en pièces et la sage précaution de me préserver d'être blessé, j'aurai été tout à la fois et vaillant et prudent. Car quiconque dans la chaleur même du combat , s'expose aux hasards avec précaution, possède les vertus et du corps et de l'esprit. Mais ces raisons me pourraient servir auprès d'un homme qui aurait plus d'équité. Cependant je suis persuadé que dans le temps que j'emportais Cléonnis mourant, du champ de bataille dans la ville, sans avoir pour cela quitté mes armes, je suis persuadé, dis-je, qu'alors Cléonnis me rendait justice. Et peut-être même, que si vous eussiez marqué alors moins de considération pour lui, il ne songerait pas aujourd'hui à me disputer le prix de la valeur et pour diminuer le mérite d'un si grand bienfait, il ne dirait pas que c'est une action peu considérable, parce qu'alors les ennemis avaient quitté le champ de bataille. Qui ne sait pas que souvent ceux qui s'étaient retirés du combat en désordre, sont revenus à la charge et ont remporté la victoire par cette conduite ! Voilà tout ce que j'avais à vous dire et je ne crois pas que vous ayez besoin d'un plus long discours.

Après ces paroles les juges tout d'un avis prononcèrent en faveur d'Aristomène.

Fin de la dispute de Cléonnis d'Aristomène.

REMARQUE

Sur le temps de cette dispute , avec une méthode pour le calcul des Olympiades.

CETTE date de la 3e année de la12e Olympiade 630 ans avant J. C. fait conclure à M. Boivin que ce fragment est tiré du 6e Livre de Diodore, parce que la dispute dont il s'agit arriva à l'occasion de la première guerre Messénienne, qui eut pour cause l'injure faite à Polycharès , dont il est parlé dans les extraits de Constantin Porphyrogénète qu'on a vus ci-dessus. Mais cette même date me ferait rapporter ce fragment à quelques-uns des livres suivants qui sont perdus, par exemple au 7e Livre. Car bien que M. de Valois à la tête de fa traduction latine écrive E Libro VI. Il est clair par la fin même qu'ils conduisent jusqu'au Livre 11e. Ainsi l'histoire de Polycharès qui n'est pas au commencement de ces extraits peut fort bien avoir été mise plus loin que le livre 6 dans le texte perdu. Il y a plus : Diodore dans les 5 premiers Livres n'a parlé historiquement ou de dessein formé d'aucun personnage ou d'aucun fait qui n'ait précédé la guerre de Troie. Lui-même faisant dans sa Préface le plan de son histoire, borne non seulement les cinq mais les six premiers livres aux temps qui ont précédé cette guerre. Il est donc impossible que la guerre Messénienne postérieure de près de trois cents ans à la guerre de Troie se soit trouvée dans le 6e Livre. Ainsi le plutôt qu'on puisse placer la dispute de Cleonnis et d'Aristomène arrivée en la troisième année de la 12e Olympiade, c'est dans le 7e Livre. Comme le 11e Livre le premier qui se remontre après une lacune de 5 Livres entiers, commence à la 75e Olympiade ; le 8e le 9e et le dixième auront à parcourir 63 Olympiades qui multipliées par quatre, suivant le nombre d'années dont chacune était composée , donneront 252 ans.
J'ajouterai même ici pour la commodité de ceux qui ne font pas encore accoutumés à cette forme de calcul chronologique, que l'on place communément la naissance de J. C. au commencement de la 195e Olympiade ou après la fin de la 194e. La dispute de Cléonnis et d'Aritomène étant arrivée en la 12e Olympiade, je retranche 12 de 194 reste 182 que je multiplie par quatre, je trouve 728 ans. Mais comme cette dispute n'arriva pas à la fin de la quatrième année, mais qu'elle arriva après la fin de la seconde année de la 12e Olympiade, j'ajoute encore deux ans ; et j'ai 730 ans avant J. C. comme dans l'Avertissement.
Ou bien encore ; si l'on veut se ressouvenir que la première année de la première Olympiade tombe en l'année 776 avant J. C. puisque ce nombre est le quadruple de 194. Pour avoir la date de la dispute de Cléonnis et d'Aritomène arrivée à peu-près au commencement de la 3e année de la 12e Olympiade ; je prendrai 4 fois 11 Olympiades ou 44 ans; et ajoutant deux années, j'aurai 46, que je retrancherai de 776; et j'aurai 730 avant J. C. comme ci-dessus.
L'Auteur n'ayant employé aucune Chronologie dans les cinq premiers Livres de son Histoire ; cette dernière remarque n'a encore eu d'usage qu'à l'égard de ces Fragments ; mais elle en aura beaucoup à l'égard des Livres qui viendront ensuite et que j'espère donner dans peu de temps.

fin du second Tome.

livre V      livre XI