Autre traduction de Ferd. Hoefer (bilingue)
DIODORE DE SICILE.
I. AVANT-PROPOS.
JE SAIS qu'il est ordinaire à ceux qui écrivent l'histoire des temps fabuleux d'omettre un grand nombre de faits. Car il est difficile de les tirer tous des ténèbres de l'antiquité. Il y a même beaucoup de lecteurs qui méprisent cette partie de l'histoire dont le détail ne peut être fixé par aucune chronologie. La peine de l'historien est encore augmentée par le grand nombre de demi‑dieux, de héros et d'hommes illustres dont les noms et les actions se présentent à lui en foule et sans ordre. Mais ce qu'il y a de plus embarrassant est que ceux qui ont écrit sur la mythologie ne s'accordent nullement entre eux. De là vient que les plus célèbres des historiens modernes n'ont point touché à l'histoire des premiers temps et s'en sont tenus à celle des derniers siècles. Éphore de Cumes, disciple d'Isocrate, ayant entrepris d'écrire les faits les plus connus de l'Histoire, omet entièrement tout ce qui tient à la mythologie et son ouvrage ne commence qu'au retour des Héraclides. Callisthène et Théopompe, qui étaient contemporains, n'ont aussi rapporté aucune des anciennes fables. Pour moi, j'ai suivi une route contraire et j'ai cru qu'il convenait à cet ouvrage d'y rassembler toutes les relations qui nous restent de l'antiquité. Car il s'est fait un très grand nombre de choses mémorables par les demi‑dieux, par les héros et par les autres grands hommes qui vivaient dans les premiers âges. La postérité a institué en l'honneur des uns des sacrifices divins et a décerné aux autres des sacrifices héroïques, en reconnaissance des bienfaits que les hommes avaient reçus d'eux et l'Histoire doit conserver à jamais les louanges qui leur sont dues. Nous avons rapporté dans les trois premiers livres de cet ouvrage ce que les peuples étrangers racontent de leurs dieux, de la situation de leurs pays, des bêtes sauvages et des autres animaux qui y naissent ; en un mot, toutes les choses remarquables qu'ils en disent ou qu'on y voit. Nous écrirons dans celui‑ci ce que les Grecs ont conservé des premiers temps et nous y parlerons des demi‑dieux et des héros qui se sont rendus fameux dans la guerre par leurs exploits ou dans la paix par les choses utiles et nécessaires dont ils ont été les inventeurs. Nous commencerons par Bacchus tant à cause de sa grande ancienneté, qu'à cause des services importants qu'il a rendus au genre humain. Nous avons déjà dit que plusieurs nations barbares se vantaient d'avoir donné la naissance à ce dieu. Les Égyptiens prétendent que leur Osiris est le Bacchus des Grecs, que c'est lui qui a parcouru toute la terre, qui a enseigné aux hommes à planter la vigne et à faire du vin ; enfin que c'est en reconnaissance de ce bienfait que d'un commun consentement, on l'a mis au rang des immortels. Les Indiens veulent aussi que ce soit chez eux que ce dieu a pris naissance, qu'il a étudié avec soin tout ce qui concerne la vigne et qu'il a découvert aux hommes l'usage du vin. Comme nous en avons parlé en d'autres endroits suivant les opinions des barbares, nous en parlerons ici suivant les traditions grecques
II. Histoire de Bacchus suivant les traditions grecques. Quelques-uns admettent plusieurs Bacchus.
AGÉNOR, Roi de Phénicie, ayant envoyé son fils Cadmus à la recherche d'Europe, il lui défendit de revenir en Phénicie sans ramener avec lui cette princesse. Cadmus ayant parcouru bien des pays sans la trouver et forcé de renoncer à sa patrie, arriva enfin en Béotie, où il bâtit la ville de Thèbes par l'ordre d'un oracle. Ayant établi là sa résidence il épousa Harmonie, fille de Vénus, et il en eut Sémélé, Ino, Autonoé, Agapé et Polydore.
Bacchus fils de Sémélé.
Sémélé, qui était très belle, fut aimée de Jupiter et elle lui accorda ses faveurs. Mais comme Jupiter l'allait voir en secret, elle crut qu'il la méprisait, et elle le pria avec instance de venir à elle avec toute la majesté qui l'accompagnait lors qu'il s'approchait de Junon. Jupiter étant donc venu la trouver armé du tonnerre et de la foudre, Sémélé, qui était grosse, ne put soutenir cet éclat: elle avorta et fut elle‑même réduite en cendres. Jupiter prit aussitôt l'enfant et le donna à Mercure avec ordre de le transporter dans l'antre de Nyse qui est entre la Phénicie et le Nil. Il le fit nourrir par les Nymphes et leur recommanda de prendre un extrême soin de son éducation. Bacchus ayant ainsi été élevé à Nyse fut appellé Dionysius d'un nom composé de celui de Nyse et de celui de Jupiter que les Grecs appellent Dios. Cette origine est appuyée du témoignage d'Homère, déjà cité sur ce sujet. Bacchus, plus avancé en âge, inventa l'usage du vin et enseigna aux hommes la manière de planter la vigne. Il parcourut presque toute la terre et ayant policé plusieurs nations, on lui a rendu partout de grands honneurs. Il inventa aussi la bière qui est une boisson composée d'orge et presque aussi bonne que le vin: il en gratifia les peuples qui habitent des contrées peu propres à la culture des vignes. Son armée qui était composée non seulement d'hommes, mais aussi de femmes lui servait à punir les méchants et les impies, du nombre desquels furent Penthée et Lycurgue. Voulant répandre ses bienfaits sur sa patrie, il rendit libre tout le pays de Béotie et il y bâtit une ville qui fut appelée Éleuthère parce qu'elle ne recevait des lois que d'elle‑même. Il employa trois ans entiers à son expédition des Indes, au bout desquels il revint en Béotie chargé de riches dépouilles. On dit que monté sur un éléphant indien il fut le premier qui reçut l'honneur du triomphe. Les Béotiens, les Thraces et les autres peuples grecs ont institué en mémoire de cette expédition les fêtes qu'on appelle Triétérides, parce qu'elles reviennent tous les trois ans et ils prétendent qu'alors Bacchus se manifeste aux hommes. Dans la plupart des villes grecques les femmes célèbrent aussi les bacchanales tous les trois ans et c'est la règle que les jeunes filles portent alors des thyrses dans leurs mains et qu'éprises d'une espèce de fureur elles chantent des cantiques en l'honneur de Bacchus. Elles s'assemblent pour lui offrir des sacrifices et elles supposent dans leurs hymnes la présence de ce dieu à l'exemple des Ménades qu'on dit avoir été autrefois à sa suite. Comme l'invention du vin est d'une grande utilité aux hommes, tant à cause du plaisir qu'il leur procure, que parce qu'il augmente leurs forces, on a coutume d'apporter au milieu du repas du vin pur à tous les convives et d'invoquer le bon génie. Quand le repas est fini on leur donne du vin mêlé avec de l'eau, et ils invoquent alors Jupiter Sauveur. Le vin pur est capable d'ôter la raison aux hommes, mais lorsqu'il est tempéré par le secours de Jupiter, c'est‑à‑dire de l'eau, il ne leur procure que du plaisir, sans les conduire à l'ivresse et à la dissolution. On dit en général que Bacchus et Cérès sont ceux de tous les dieux à qui les hommes rendent les plus grands honneurs, par rapport à l'importance de leurs bienfaits, car l'un a trouvé une liqueur très agréable, et l'autre a fait présent aux hommes du plus salutaire des aliments simples.
Bacchus fils de Proserpine.
QUELQUES-UNS disent qu'il y a eu un autre Dionysius beaucoup plus ancien que celui dont nous venons de parler. On prétend qu'il naquit de Jupiter et de Proserpine, et certains auteurs lui donnent le nom de Sabazius. On ne lui offre des sacrifices et on ne lui rend aucun autre culte que la nuit, à cause de l'infamie qui accompagne ces assemblées. Il avait, dit‑on, l'esprit très inventif, et ce fut lui qui le premier attela des boeufs à la charrue et facilita les semailles par ce moyen. C'est pour cette raison qu'on lui donne ordinairement des cornes.
L'auteur reprend l'histoire de Bacchus fils de Sémélé.
Bacchus fils de Sémélé naquit longtemps après celui‑ci. II était beau, bien fait et il surpassait tous les autres hommes par les agréments de sa personne: il était aussi fort adonné aux plaisirs de Vénus et il se faisait suivre par une grande quantité de femmes armées de lances qui avaient la figure de thyrses. Il fut accompagné dans ses expéditions par les Muses qui étaient des filles très savantes et qui le divertissaient par leurs concerts, par leurs danses et par les beaux arts dont elles faisaient profession. Il avait aussi dans son armée Silène, qui était son père nourricier et son précepteur et qui avait contribué à son mérite et à sa gloire. Bacchus était couvert à la guerre de ses armes et d'une peau de panthère. Mais en temps de paix et surtout les jours de fête et d'assemblée, il s'habillait d'étoffes fines de différentes couleurs. Il portait une mitre fort étroite, afin de se préserver des maux de tête que le vin cause à ceux qui en prennent avec excès et c'est pour cette raison qu'on l'a appelé Mitrophore. On dit que c'est de cette mitre qu'est venu l'usage du diadème des rois. Bacchus est aussi appelé Dimeter, parce que les deux Bacchus sont nés du même père, mais de différentes mères. On a cependant attribué au plus jeune, comme par droit d'héritage, toutes les actions de son aîné. De là vient que la postérité, peu instruite du fait et trompée par la ressemblance du nom, a cru qu'il n'y avait eu qu'un Bacchus. On lui donne une baguette par la raison que nous allons dire. Comme dans les premiers temps du vin, on ne s'était pas encore avisé de le tempérer avec de l'eau, la coutume était de le boire pur. Il arrivait souvent de là que, dans les assemblées et les festins, ceux qui étaient de la fête en ayant trop pris entraient en fureur et se frappaient les uns les autres avec leurs bâtons. Plusieurs étaient blessés et quelques‑uns même si grièvement qu'ils en mouraient. Bacchus, offensé de ces accidents, ne condamna pas les hommes à s'abstenir entièrement de boire du vin pur, à cause du plaisir que procure cette boisson, mais il voulut qu'au lieu de bâtons ils se servissent de baguettes. Les hommes lui ont donné plusieurs surnoms conformes à ses différentes aventures. Ils l'ont appelé Bacchus à cause des Bacchantes qui l'accompagnaient, Lenaeus parce qu'on écrase les raisins dans des pressoirs qu'on nomme en Grec Lenoi, Bromius à cause du tonnerre qu'on entendit au moment de sa naissance. C'est pour la même raison qu'on l'a appelé aussi Pyrigène, c'est‑à‑dire enfant du feu. Il fut encore nommé Thriambus parce que revenant des Indes chargé de riches dépouilles, il est le premier de tous ceux que nous connaissons qui ait reçu dans sa patrie l'honneur du triomphe. On explique à peu près ainsi les autres épithètes par lesquelles on le désigne. Il serait trop long et il n'est pas même de notre sujet de les rapporter toutes. On lui attribua deux corps parce qu'il y a eu deux Bacchus, l'ancien surnommé Catapogon parce que tous les anciens avaient coutume de laisser croître leur barbe, et celui‑ci qui était jeune et bien fait comme nous l'avons déjà dit. Quelques‑uns cependant prétendent qu'on lui a attribué deux formes à cause des différentes dispositions qu'on remarque dans les ivrognes qui deviennent ou gais ou furieux. Bacchus avait aussi avec lui les Satyres qui lui donnaient du plaisir par leurs danses et par les tragédies qu'ils représentaient. Les Muses, par l'étendue de leurs connaissances, lui procuraient des divertissements utiles. Mais les Satyres ne cherchant qu'à le faire rire, lui faisaient agréablement passer le temps. On dit que Bacchus inventa les farces et les théâtres, et qu'il établit même des écoles de musique. Il exempta de toutes fonctions militaires dans ses armées ceux qui s'étaient rendus habiles dans cet art. C'est pour cette raison que depuis, à l'imitation de Bacchus, on a formé des compagnies de musiciens qui ont joui de grands privilèges. Mais de peur de fatiguer le lecteur par un trop long détail, terminons ici l'article de Bacchus.
III. Du dieu Priape et d'Hermaphrodite.
Nous y joindrons immédiatement et en peu de mots les différentes choses que l'on raconte de Priape parce qu'elles ont beaucoup de liaison avec l'histoire de Bacchus. Les anciens mythologistes prétendent que Priape est fils de Bacchus et de Vénus et ils expliquent cette naissance d'une manière assez vraisemblable en disant que ceux qui sont pris de vin sont naturellement portés aux plaisirs de Vénus. Quelques‑uns cependant soutiennent que le nom de Priape n'a été inventé que pour désigner honnêtement les parties de l'homme. Il y en a même qui croient qu'on leur a déféré les honneurs divins, parce qu'elles sont le principe de la génération et de la propagation éternelle du genre humain. Les mythologistes égyptiens qui ont parlé de Priape disent que les Titans ayant autrefois tendu des embûches à Osiris, le massacrèrent. Ayant ensuite partagé son corps en plusieurs parties égales ils les emportèrent secrètement hors du palais. Les seules parties qu'on ne nomme pas furent jetées dans le fleuve ne s'étant trouvé personne qui voulût s'en charger. Isis ayant recherché avec soin les auteurs de ce meurtre et ayant fait punir de mort les Titans, rassembla toutes les autres parties et les remit à leur place. Elle confia ensuite aux prêtres d'Égypte le soin de les enterrer et elle leur commanda d'honorer Osiris comme un dieu. Mais ne pouvant retrouver les parties que les Titans avaient jetées dans le Nil, elle voulut néanmoins qu'on leur rendît les honneurs divins: c'est pourquoi elle les fit représenter dans les temples ; voilà ce que les anciens Égyptiens racontent de Priape et des honneurs, qu'on lui rend. Quelques‑uns lui donnent le nom d'Ithyphalle et d'autres celui de Typhon. Ce qu'il y a de certain c'est qu'on lui fait des sacrifices non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes et qu'on le regarde comme le dieu tutélaire et le gardien des jardins, des vignes et des fruits. Ceux mêmes qui gâtent les fruits par sortilège croient que c'est de lui qu'ils reçoivent leur punition. On a conservé la coutume de rendre quelque honneur à Priape non seulement dans les sacrés mystères de Bacchus, mais aussi dans ceux des autres dieux, et l'on porte sa figure aux sacrifices en riant et en folâtrant. On dit que l'origine d'Hermaphrodite, fils de Mercure et de Vénus, est presque entièrement semblable à celle de Priape. Il fut appelé Hermaphrodite d'un nom composé de celui de son père et de celui de sa mère. On prétend que ce dieu se montre aux hommes en certains temps et que de sa nature, il est également homme et femme ; puisqu'il a toute la délicatesse et la beauté de la femme quoiqu'il ait quelque chose de mâle dans le visage et toute la force de l'homme. Ces productions paraissent à quelques‑uns de vrais monstres qui naissent fort rarement et qui présagent tantôt des biens et tantôt des maux.
IV. Des Muses.
COMME nous avons déjà fait mention des Muses dans l'histoire de Bacchus, il est à propos d'en rapporter ici quelque chose de plus particulier. Selon les plus célèbres mythologistes elles sont filles de Jupiter et de Mnémosyne. Quelques poètes cependant entre lesquels est Alcman, les font filles d'Uranus et de la Terre. On n'est pas non plus d'accord sur leur nombre. Car les uns veulent qu'il y en ait eu neuf et les autres qu'il n'y en ait eu que trois. Mais l'opinion de ceux qui en admettent neuf a prévalu sur l'autre, comme étant celle des plus habiles mythologistes, j'entends parler d'Homère, d'Hésiode et de plusieurs autres fameux auteurs. Homère dit
A chanter tour à tour les neuf Muses se plaisent.
Hésiode même les nomme toutes: Clio, Euterpe, Thalie, Melpomène, Terpsicore, Érato, Polymnie, Uranie et Calliope la plus savante d'entre elles, On les fait présider chacune en particulier à différents arts comme à la musique, à la poésie, à la danse, aux choeurs, à l'astrologie et à plusieurs autres. Quelques‑uns disent qu'elles sont vierges parce que les vertus de l'éducation paraissent inaltérables. Elles sont appelées Muses d'un mot grec qui signifie expliquer les mystères, parce qu'elles ont enseigné aux hommes des choses très curieuses et très importantes, mais qui sont hors de la portée des ignorants. On dit que chacun de leurs noms propres renferme une allégorie particulière. Clio, par exemple, a été ainsi appelée parce que ceux qui sont loués dans les vers acquièrent une gloire immortelle ; Euterpe à cause du plaisir que la poésie savante procure à ceux qui l'écoutent ; Thalie pour dire qu'elle fleurira à jamais ; Melpomène pour signifier que la mélodie s'insinue jusque dans le fond de l'âme des auditeurs ; Terpsicore pour marquer le plaisir que ceux qui ont appris les beaux arts retirent de leurs études ; Érato semble indiquer que les gens savants s'attirent l'estime et l'amitié de tout le monde ; Polymnie avertit par son nom que plusieurs poètes sont devenus illustres par le grand nombre d'hymnes qu'ils ont consacrés aux dieux. On se convient en nommant Uranie que ceux qu'elle instruit élèvent leurs contemplations et leur gloire même jusqu'au ciel et jusqu'aux astres. Enfin la belle voix de Calliope lui a fait donner ce nom pour nous apprendre que l'éloquence charme l'esprit et entraîne l'approbation des auditeurs.
V. Histoire ou vie d'Hercule.
C'EST ici le lieu de parler des grandes actions d'Hercule. Les auteurs se trouvent extrêmement embarrassés quand ils arrivent à l'histoire de ce dieu. Car on sait d'une part qu'il a surpassé par le nombre et par la grandeur de ses exploits tout ce qui s'est jamais fait de mémorable parmi les hommes ; ainsi il est très difficile de rapporter dignement des actions dont l'immortalité a été le prix. D'un autre côté, comme quantité de gens n'ajoutent aucune foi aux récits de la mythologie, tant à cause de leur ancienneté, que parce qu'ils paraissent incroyables; il faut nécessairement ou qu'omettant la plupart des actions d'Hercule, on lui enlève une grande partie de sa gloire, ou que les rapportant toutes, on s'engage dans une narration qui ne sera point crue. En effet la plupart des lecteurs jugent injustement des premiers temps par le nôtre, et mesurant les anciens héros aux hommes de leur siècle, traitent de fable toutes les actions qui s'élèvent trop au‑dessus de celles dont ils sont témoins. Mais quand on accorderait que la mythologie a un peu enchéri sur l'exacte vérité, ce ne serait pas une raison de la rejeter absolument. Nous ne prenons pas à la lettre les représentations théâtrales des centaures à deux formes ni de Geryon à trois corps. Elles ne laissent pas de nous imprimer du respect pour le héros capable de vaincre les monstres les plus terribles. En général il ne serait pas raisonnable d'envier aujourd'hui à Hercule les louanges dues aux bienfaits qu'il a répandus par tant de travaux en divers endroits de la terre et nous devons conserver du moins pour sa mémoire la vénération et la reconnaissance que nos pères ont marquées pour lui en le plaçant au rang des dieux. Cependant laissant à part ces raisonnements, il nous suffira de rapporter par ordre ses actions sur le témoignage des plus anciens poètes et mythologistes.
Son extraction, sa naissance. Il étrangle deux serpents dans son berceau.
POUR commencer par son extraction, Persée fut fils de Jupiter et de Danaé, fille d'Acrisius. Ce prince ayant épousé Andromède, fille de Céphée, en eut un fils nommé Électrion. De celui‑ci et d'Eurymède, fille de Pélops, naquit Alcmène. Jupiter ayant eu commerce avec Alcmène par le moyen d'un déguisement, en eut Hercule: ainsi tant du côté paternel que du côté maternel, Hercule rapportait son origine au plus grand des dieux. Il est aisé de juger de la grandeur de son courage non seulement par ses actions, mais encore par le phénomène étrange qui arriva à sa conception. Car on dit que Jupiter étant en la compagnie Alcmène voulut que la nuit fut alors trois fois plus longue qu'elle ne l'est ordinairement. On prétend même que ce ne fut point pour satisfaire une passion désordonnée qu'il rechercha Alcmène, comme il avait recherché toutes les autres femmes, mais seulement par l'envie qu'il avait d'avoir un fils. Ne voulant point forcer Alcmène, espérant encore moins de vaincre sa vertu, il eut recours à la ruse et ayant pris la figure d'Amphitryon, il la trompa sous cette ressemblance. Quand le temps fut arrivé qu'Alcmène devait accoucher, Jupiter attentif à la naissance d'Hercule déclara en présence de tous les dieux qu'il donnerait le royaume de Perse à un enfant qui devait naître ce jour‑là. Junon, pleine de jalousie, ayant mis dans son parti sa fille Ilithye, suspendit la naissance d'Hercule et fit naître Eurysthée avant terme. Jupiter se voyant prévenu par cette adresse ne révoqua point sa parole mais il eut soin en même temps de la gloire d'Hercule. Il donna donc à Eurysthée le royaume, ainsi qu'il l'avait lui‑même promis, et lui soumit Hercule, mais il persuada à Junon de placer ce dernier au rang des dieux après qu'il aurait accompli douze travaux, tels qu'Eurysthée les ordonnerait. Alcmène étant accouchée et craignant la jalousie de Junon, exposa son enfant dans un champ qui s'appelle encore à présent le champ d'Hercule. Cependant Minerve se promenant avec Junon fut frappée de la beauté de cet enfant et elle persuada à cette déesse de lui donner à téter. Hercule ayant serré la mamelle de Junon beaucoup plus fort que son âge ne semblait le permettre, cette déesse pressée par la douleur jeta l'enfant à terre mais Minerve le reporta à sa mère et lui conseilla de le nourrir. On peut remarquer ici un coup surprenant de la fortune. Une mère qui devait chérir et conserver son propre enfant l'exposa et celle qui devait le haïr comme sa marâtre, sauva sans le savoir ou donna lieu de sauver celui qui devait naturellement être son plus grand ennemi. Cependant, Junon envoya deux dragons pour dévorer cet enfant, mais lui, les ayant pris chacun par le col, les étrangla l'un et l'autre avec ses deux mains. Il avait d'abord été nommé Alcée mais ensuite les Grecs ayant appris cet exploit lui donnèrent le nom d'Hercule parce que c'était de Junon qu'il tirait toute la gloire. Ainsi au lieu que les parents imposent ordinairement le nom à leurs enfants, le seul Hercule ne doit son nom qu'à sa vertu. Amphitryon s'étant enfui de Tirynthe vint habiter à Thèbes. Hercule ayant été nourri dans cette ville et s'étant adonné à différents exercices, surpassa tous les autres hommes par la force de son corps et par la grandeur de son âme.
Exploits de son adolescence.
IL AVAIT à peine atteint l'adolescence, lorsqu'il délivra Thèbes de la servitude où elle était et s'acquitta ainsi de la reconnaissance qu'il devait à sa patrie. Les Thébains étaient soumis alors à Ergine, roi des Minyens, et ce prince envoyait tous les ans dans cette ville des commissaires pour exiger les tributs, ce qu'ils faisaient en outrageant les habitants. Hercule bravant les suites dangereuses que pouvait avoir son dessein, entreprit une action qui le rendra à jamais fameux, car ceux d'entre les Minyens qui venaient demander les tributs étant arrivés et ayant fait toutes sortes d'injures aux citoyens, il les mit hors de la ville, après leur avoir coupé les extrémités du corps, Ergine demanda le coupable et Créon, roi de Thèbes, craignant sa puissance était prêt de le livrer. Mais Hercule ayant persuadé à de jeunes gens de son âge de délivrer leur patrie, il leur donna les armes qui étaient suspendues dans les temples, et qui faisaient partie des dépouilles des ennemis que ses ancêtres avaient consacrées aux dieux, car il était impossible de trouver dans toute la ville des armes qui ne fussent pas consacrées, d'autant que les Minyens avaient enlevé aux Thébains toutes les autres afin de leur ôter toute pensée de révolte. Hercule ayant appris qu'Ergine s'approchait avec ses troupes, l'attendit dans un passage étroit, et rendant par là leur grand nombre inutile, il tua Ergine même et fit périr presque toute son armée avec lui. S'étant ensuite jeté sur Orchomène, capitale des Minyens, il y brûla le palais de leurs rois et rasa leur ville. Le bruit de cet exploit se répandit dans toute la Grèce et chacun en fut étonné comme d'un prodige. Créon, frappé lui‑même de la vertu et du courage de ce jeune homme, lui donna sa fille Mégare en mariage et le regardant comme son propre fils, il lui confia le gouvernement de sa ville. Mais Eurysthée, qui était roi d'Argos, craignant qu'Hercule ne devint trop puissant le fit appeler et lui ordonna d'achever tes travaux. Hercule le refusa d'abord, mais Jupiter lui commanda d'obéir à Eurysthée son roi. Cependant Hercule étant allé lui‑même à Delphes et ayant interrogé l'oracle, il en reçut une réponse qui lui marqua que les dieux voulaient qu'il exécutât ces douze travaux et qu'au bout de ce terme il acquerrait l'immortalité. Hercule fut alors saisi de grande tristesse: il jugeait indigne de sa vertu de servir un homme qui valait beaucoup moins que lui et d'un autre côté, il lui paraissait dangereux et même impossible de désobéir à Jupiter son père. Pendant que ces réflexions l'agitaient, Junon le fit tomber dans la frénésie. La folie s'empara d'abord de son esprit malade et ses accès augmentant chaque jour, il devint absolument furieux. Il voulut tuer Iolaüs, mais Iolaüs s'étant enfui, il perça à coups de flèches ses propres enfants auprès de Mégare leur mère, croyant que c'étaient des ennemis. Étant revenu avec peine de ce transport et ayant reconnu son erreur, il fut mortellement affligé de l'excès de son infortune. Quoique chacun prît part à ses malheurs, il se tint longtemps caché, fuyant la compagnie et la rencontre des hommes. Le temps l'ayant enfin consolé, il alla trouver Eurysthée dans le dessein d'affronter tous les périls.
Premier travail: le lion de Némée.
SON PREMIER travail fut de tuer le lion de Némée. Il était d'une grandeur monstrueuse et comme on ne pouvait le blesser avec le fer, avec l'airain, ni avec des pierres il fallait nécessairement employer la force des bras pour le dompter. Ce lion ravageait souvent le pays qui est entre Mycènes et Némée, auprès d'une montagne appelée le mont Trétos. Au pied de cette montagne il y avait une grande caverne où ce monstre se retirait ordinairement Hercule alla un jour l'attaquer, mais le lion s'enfuit dans sa retraite. Hercule s'y jeta après lui et en ayant bouché l'entrée, il le combattit corps à corps, et lui serrant le col avec ses deux mains, il l'étrangla. La peau de cet animal, qui était fort grande, lui servit toujours dans la suite de vêtement et même de bouclier dans ses combats.
Second travail: l'hydre de Lerne.
SON SECOND travail fut de tuer l'hydre de Lerne. Elle avait un seul corps et cent cous et chacun de ces cous se terminait à une tête de serpent. C'est avec raison que ce monstre passait pour invincible: car du cou qu'on lui avait coupé, il renaissait toujours deux autres têtes, et sa blessure même lui fournissait un double secours. Pour surmonter cette difficulté, Hercule se servit de cette ruse. Il commanda à Iolaüs de brûler avec un flambeau la partie coupée, afin d'arrêter cette reproduction funeste. Étant ainsi venu à bout de cet animal, il trempa des flèches dans son fiel afin que chaque trait qu'il lancerait contre d'autres monstres leur fît des plaies incurables.
Troisième travail: le sanglier d'Erymanthe.
EURYSTHÉE lui commanda en troisième lieu de lui amener vif le sanglier d'Érymanthe qui paissait dans les campagnes d'Arcadie. Ce commandement paraissait d'une difficile exécution et pour y satisfaire il fallait prendre son temps avec beaucoup d'adresse. Hercule courait risque d'être dévoré s'il laissait trop de force à l'animal et de le tuer s'il l'attaquait trop vivement. Cependant, il le combattit si à propos qu'il l'apporta tout vif à Eurysthée. Le roi le voyant porter ce sanglier sur ses épaules fut saisi de frayeur et s'alla cacher sous une cuve d'airain.
Occasion du combat des Centaures.
Hercule, de son propre mouvement, combattit ensuite les Centaures à l'occasion que nous allons dire. Un Centaure appelé Pholus avait accordé l'hospitalité à Hercule. Il ouvrit en son honneur un tonneau de vin qu'il tira de terre. On dit que l'ancien Bacchus avait donné ce tonneau à Pholus avec ordre de le conserver jusqu'à la venue d'Hercule. Ce héros étant donc arrivé dans ce pays après quatre générations, le Centaure se ressouvint de l'ordre de Bacchus. Il perça le tonneau et l'odeur excellente qui en sortit, causée par la bonté et par l'ancienneté du vin, s'étant répandue jusqu'aux prochaines demeures des Centaures, fut pour eux comme un aiguillon qui les incita à s'assembler en fort grand nombre autour de l'habitation de Pholus et à se jeter avec impétuosité sur cette boisson. Pholus tremblant de peur alla se cacher, mais Hercule se défendit avec un courage surprenant contre les Centaures qui voulaient à toute force emporter le tonneau. Il fallait qu'il combattît contre des gens que la mère des dieux avait avantagés de la force et de la vitesse des chevaux, aussi bien que de l'esprit et de l'expérience des hommes. Ces Centaures l'attaquèrent armés, les uns de pins qui avaient encore toutes leurs racines, les autres de grandes pierres ; quelques‑uns portaient des torches ardentes, et le reste avait des haches propres à tuer des boeufs. Hercule les attendit sans s'émouvoir et avec un courage digne de ses premiers exploits. Néphélé, mère des Centaures, combattait encore contre lui en répandant une grande quantité de pluie qui ne nuisait en rien à ses fils, qui avaient quatre pieds, mais qui faisait glisser Hercule qui ne se soutenait que sur deux. Cependant, malgré tous les avantages que ses adversaires avaient sur lui, il les battit vigoureusement ; il en tua plusieurs et mit les autres en fuite. Les plus célébres d'entre les morts furent Daphnis, Argée, Amphion, Hippotion, Orée, Isoplès, Mélanchète, Thérée, Dupon et Phrixus. Chacun de ceux qui s'enfuirent furent punis ainsi qu'ils le méritaient. Omade ayant violé en Arcadie Alcyone, soeur d'Eurysthée, Hercule le fit mourir. C'est en ceci qu'il faut admirer la vertu de ce héros ; car quoiqu'il regardât Eurysthée comme son ennemi, cependant il crut qu'il était de l'équité d'avoir compassion d'une femme outragée. Il arriva un accident fort particulier à Pholus ami d'Hercule. Comme il était de même famille que les Centaures, il enterrait tous ceux qui avaient été tués. En tirant un trait du corps d'un d'entre eux, il s'en blessa lui‑même, et sa plaie étant incurable, il en mourut. Hercule donna à Pholus sous une montagne voisine de son habitation une sépulture qui lui fut plus honorable que ne l'aurait été une colonne élevée à sa gloire. Car cette montagne ayant été nommée Pholoé, conserva fidèlement la mémoire de celui qui y avait été enterré, sans qu'il fût besoin d'aucune inscription. Hercule tua aussi sans le vouloir le Centaure Chiron qui s'était rendu fameux dans la médecine.
Quatrième travail: la biche aux cornes d'or.
EURYSTHÉE ordonna ensuite à Hercule de lui amener la biche aux cornes d'or qui courait d'une grande vitesse. Il se servit plus de son adresse que de sa force pour venir à bout de cette entreprise. Car les uns disent qu'il la prit dans des filets, d'autres qu'il la fit tomber dans un piège, et quelques autres enfin veulent qu'il s'en soit rendu le maître en la forçant à la course. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il acheva cet exploit sans courir aucun danger.
Cinquième travail: les oiseaux du lac Stymphalide.
ENSUITE, il reçut ordre de chasser les oiseaux du lac Stymphalide, et il employa encore l'adresse en cette occasion. Il s'était ramassé autour de ce lac une multitude incroyable de ces oiseaux qui ravageaient entièrement les fruits des contrées voisines. Il était impossible d'en exterminer un si grand nombre en les tuant l'un après l'autre. C'est pour cette raison qu'Hercule imagina un tambour d'airain qui faisant un bruit continuel et très grand, les fit tous fuir, et par cet expédient, il en délivra absolument le lac.
Sixième travail: l'étable d'Augée.
APRÈS qu'il eut fini ce travail, Eurysthée lui ordonna de nettoyer sans l'aide de personne l'étable d'Augée où s'était amassé depuis plusieurs années une quantité énorme de fumier. L'insulte était jointe à la peine dans ce commandement d'Eurysthée. Mais Hercule ne voulut pas emporter ce fumier sur les épaules afin d'éviter la honte qui pourrait rejaillir sur lui de cette fonction et il nettoya cette étable sans ignominie, en y faisant passer le fleuve Penée. Ce travail ne fut pour lui que l'affaire d'un jour. Et il y donna de plus une grande preuve de sa prudence, car ne voulant rien faire qui ne fût digne de l'immortalité, il exécuta d'une manière honorable un ordre très humiliant.
Septième travail: le Minotaure.
SON SEPTIÈME travail fut d'aller chercher en Crète le taureau dont on dit que Pasiphaé fut amoureuse. Étant passé dans cette île, il amena dans le Péloponnèse, du consentement du roi Minos, ce monstre au sujet duquel il avait traversé une si grande étendue de mer.
Institution des jeux olympiques.
Il institua ensuite les jeux olympiques. Ayant choisi près du fleuve Alphée une place favorable pour un pareil exercice, il en consacra les jeux au Jupiter de la patrie. Le prix qu'il proposa fut une simple couronne parce que lui‑même n'avait jamais voulu recevoir aucune récompense de tout ce qu'il avait fait en faveur des hommes. Hercule fut victorieux dans tous les jeux sans avoir pourtant combattu, personne n'osant se mesurer contre lui à cause de sa force extraordinaire. Cependant ces jeux étaient fort opposés les uns aux autres. Il est très difficile à l'athlète ou au pancratiaste de devancer un coureur. De même il est presque impossible à un homme qui excelle dans les combats d'adresse de vaincre ceux qui réussissent dans les combats de force. C'est donc avec justice que celui‑là emporte la palme de tous les jeux à qui les plus habiles en chacun n'ont pas osé disputer le prix. Mais nous ne devons point passer sous silence les présents que les dieux firent à Hercule pour honorer sa vertu. Car lorsqu'il se fut retiré de la guerre pour vaquer aux fêtes, aux assemblées et aux jeux, chacun des dieux lui fit un don particulier. Minerve lui apporta un voile, Vulcain une massue et une cuirasse. Il y avait une grande émulation entre ces deux premiers par rapport à leurs fonctions, Minerve s'adonnait aux arts pacifiques et qui regardent l'usage ou les plaisirs de la vie, et Vulcain ne travaillait qu'à ceux qui conviennent à la guerre. Entre les autres dieux, Neptune lui fit présent d'un cheval, Mercure d'une épée, Apollon d'un arc, et il apprit même à Hercule à s'en servir. Cérès voulant aussi l'honorer institua les petits mystères pour l'expier du meurtre des Centaures. Nous avons oublié de rapporter une particularité de la naissance d'Hercule. De toutes les femmes que Jupiter aima, la première fut Niobé, fille de Phoronée, et la dernière fut Alcmène. Les mythologistes comptent seize générations depuis celle‑là jusqu'à celle‑ci. Jupiter commença donc à engendrer des hommes avec une femme qu'Alcmène comptait parmi ses ancêtres, et il finit par celle‑ci tout commerce avec des mortelles, n'espérant plus avoir d'elles des enfants dignes de leurs aînés.
Hercule combat les Géants.
CEPENDANT, les Géants entreprirent de se battre contre les dieux auprès de Pallène. Hercule vint au secours de ceux‑ci, et ayant tué plusieurs de ces enfants de la Terre, il reçut de très grands honneurs. Jupiter donna aux seuls dieux qui l'avaient secouru le surnom d'Olympiens, afin que les braves qui le porteraient pussent être distingués des lâches. Quoique Bacchus et Hercule fussent nés de femmes mortelles, ils furent honorés de ce surnom non seulement parce qu'ils étaient fils de Jupiter? mais aussi parce qu'ayant des inclinations semblables à celles de leur père, ils avaient adouci par leurs bienfaits la férocité des hommes.
Il tue l'aigle de Prométhée.
Jupiter tenait cependant enchaîné Prométhée qui avait communiqué aux hommes le feu céleste? et un aigle venait lui ronger le foie. Hercule? voyant que Prométhée n'était puni que pour avoir répandu ses bienfaits sur le genre humain, tua l'aigle à coups de flèches, et ayant persuadé à Jupiter d'apaiser sa colère, il sauva un bienfaiteur des hommes.
Huitième travail: les cavales de Diomède.
ON LUI ordonna ensuite d'amener de Thrace les cavales de Diomède. Elles étaient si furieuses qu'on leur avait donné des mangeoires d'airain et si fortes qu'on était obligé de les lier avec des chaînes de fer. Ce n'était point des fruits de la terre qu'on leur donnait à manger, mais elles se nourrissaient de membres coupés des malheureux étrangers qui arrivaient dans la Thrace. Hercule voulant prendre ces cavales se saisit d'abord de leur maître, et il les rendit obéissantes en les rassasiant de la chair de celui qui les avait accoutumées à manger de la chair humaine. Après qu'elles furent amenées à Eurysthée, ce prince les consacra à Junon. Leur race subsista jusqu'au règne d'Alexandre, roi de Macédoine. Hercule accompagna ensuite Jason à Colchos pour conquérir la Toison d'Or. Mais nous parlerons dans un autre endroit de l'expédition des Argonautes.
Neuvième travail: baudrier de l'Amazone Hippolyte.
IL LUI fut ordonné bientôt après d'apporter le baudrier de l'Amazone Hippolyte. Hercule ayant traversé la mer du Pont à qui il donna le nom d'Euxin, et étant arrivé aux embouchures du fleuve Thermodoon, déclara la guerre aux Amazones et campa près de leur capitale, appelée Thémyscire. Il demanda d'abord le baudrier qui était le sujet de son voyage, et ayant été refusé, il livra bataille aux Amazones. Les moins célèbres furent opposées aux soldats d'Hercule ; mais les plus fameuses combattirent contre ce héros et se défendirent vaillamment. La première qui l'attaqua fut Aella ainsi nommée à cause de sa légèreté à la course, mais elle trouva un ennemi encore plus léger qu'elle. La seconde fut Philippis: celle‑ci tomba sur-le-hamp d'une blessure mortelle. Ensuite vint Prothoë qu'on disait être sortie victorieuse de sept combats en duel: Hercule l'ayant tuée, en vainquit une quatrième appelée Ériboée. Celle‑ci se vantait de n'avoir besoin d'aucun secours, mais elle éprouva qu'elle s'était trompée et elle tomba sous les coups d'un homme plus vaillant que ceux qu'elle avait vaincus. Celéno, Eurybie et Phoebé combattirent ensuite: elles accompagnaient ordinairement Diane à la chasse et elles savaient parfaitement tirer de l'arc. Mais pour cette fois, elles manquèrent leur coup et demeurèrent sur la place malgré l'appui qu'elles se prêtaient les unes aux autres. Hercule vainquit ensuite Déjanire, Astérie, Marpé, Tecmesse et Alcippe. Cette dernière ayant fait serment de demeurer vierge, garda exactement sa parole, mais elle ne put pas sauver sa vie. Mélanippe, reine des Amazones, et qui se faisait admirer par sa valeur perdit alors son royaume et sa liberté. Hercule ayant tué les plus célèbres des Amazones, réduisit les autres à s'enfuir, mais il en fit un si grand carnage dans leur fuite qu'il détruisit entièrement cette nation. Entre les captives, il choisit Antiope pour en faire présent à Thésée. Pour Mélanippe, elle se racheta en donnant à Hercule le baudrier qu'il était venu demander.
Dixième travail: les vaches de Géryon.
LE DIXIÈME travail qu'Eurysthée imposa à Hercule fut d'amener les vaches de Géryon qui paissaient sur les côtes de l'Ibérie ou de l'Espagne. Hercule voyant qu'il ne pouvait exécuter ce commandement qu'avec beaucoup de peine et d'appareil, équipa une très belle flotte et leva des soldats dignes d'une telle entreprise. Le bruit s'était répandu par toute la terre que Chrysaor, qui avait été ainsi nommé à cause de ses grandes richesses, régnait alors sur toute l'Ibérie, qu'il avait trois fils qui combattaient ordinairement avec lui, remarquables par leur force et par leurs exploits, que de plus, chacun d'eux commandait de puissantes armées toutes composées de vaillants hommes. Eurysthée croyant que c'était une entreprise insurmontable que de leur faire la guerre, avait donné exprès à Hercule cette commission ; mais ce héros regarda ce péril avec autant de fermeté qu'il avait regardé les autres. Il marqua le rendez‑vous de ses troupes en l'île de Crète parce que cette île est avantageusement située pour envoyer de là des armées par toute la terre. Les Crétois lui déférèrent de grands honneurs pendant le séjour qu'il fit chez eux, et lui‑même voulant à son tour leur marquer sa reconnaissance purgea leur île de toutes les bêtes sauvages qui la ravageaient auparavant de telle sorte que depuis ce temps‑là, il n'y a eu dans toute l'île de Crète, ni serpents, ni ours, ni loups, ni aucune autre espèce d'animaux malfaisants. Il entra aussi dans son dessein d'illustrer un pays qui avait donné le jour et l'éducation à Jupiter. Étant enfin parti de cette île, il relâcha en Afrique. D'abord qu'il il fut arrivé, il appela au combat Antée qui s'était rendu fameux par la force de son corps et par son expérience dans la lutte. Il avait coutume de faire mourir tous les étrangers qu'il avait vaincus à cet exercice, mais il fut enfin tué en se battant contre Hercule.
Voyage d'Afrique et d'Espagne.
CE HÉROS nettoya ensuite l'Afrique d'un grand nombre d'animaux sauvages dont elle était remplie et par ses soins et ses conseils, il la rendit si fertile qu'il croissait abondamment des blés et des fruits dans des lieux auparavant déserts, et que des contrées arides se virent bientôt couvertes de vignes et d'oliviers. En un mot, d'une région pleine de monstres, il fit le plus heureux séjour de la terre, et poursuivant partout les scélérats et les tyrans, il rétablit la tranquillité dans les villes. On a dit que c'était par une animosité particulière qu'il s'était rendu ennemi des bêtes féroces et des méchants hommes, d'autant que dès son berceau il avait été attaqué par des serpents malicieusement envoyés contre lui, et qu'étant homme fait, il avait été soumis aux ordres d'un tyran injure et superbe. C'est par ce motif qu'étant allé en Égypte après la mort d'Antée, il fit mourir le roi Busiris qui massacrait tous les étrangers qui venaient loger chez lui. Mais auparavant il traversa les vastes solitudes de la Libye et se trouvant dans un pays fertile et rempli d'eau, il y bâtit une ville d'une grandeur étonnante. On lui donna le nom d'Hécatompyle à cause du grand nombre de ses portes, et sa gloire a subsisté jusque dans ces derniers temps, mais enfin les Carthaginois ayant envoyé contre elle une armée aguerrie et conduite par d'excellents capitaines, elle a été réduite sous leur domination. Hercule parcourut l'Afrique jusqu'à l'océan et arriva enfin au détroit de Cadix ou de Gibraltar, où il éleva deux colonnes sur les bords de l'un et de l'autre continent. De là, ayant pénétré dans l'Espagne, il alla au devant des enfants de Chrysaor, qui commandant chacun une grande armée étaient campés séparément. Hercule les fit appeler en combat singulier, les vainquit et les tua tous trois, il conquit ensuite toute l'Espagne, et il emmena ces fameux troupeaux de vaches qu'il cherchait. Étant arrivé chez un roi du pays homme recommandable par sa piété et par son équité, il en reçut de grands honneurs. Ce fut pour cette raison qu'il lui fit présent d'une partie de ces vaches. Ce roi consacra aussitôt à Hercule le troupeau qu'il venait de lui donner, et il lui sacrifia depuis tous les ans le plus beau taureau qui en provenait. Ces vaches sacrées ont été soigneusement conservées en Espagne jusqu'à nos jours.
Digression au sujet des colonnes d'Hercule.
Nous placerons ici une courte digression au sujet des colonnes d'Hercule dont nous venons de parler. Ce héros étant arrivé aux deux extrémités de l'Afrique et de l'Europe sur l'océan, voulut y poser ce monument immortel de son expédition. Selon quelques‑uns, les deux continents étaient autrefois très éloignés l'un de l'autre. Il résolut de les rapprocher jusqu'à ne laisser entre eux qu'un passage étroit qui ne permit plus aux monstres de l'océan d'entrer dans la Méditerranée, ouvrage mémorable par les terres dont il fallut combler un grand espace de mer. D'autres disent au contraire que les deux continents étant joints, il coupa l'isthme et forma la communication qui est aujourd'hui entre les deux mers. Chacun peut suivre selon son goût l'une ou l'autre de ces deux opinions. Cependant Hercule avait déjà fait quelque chose de semblable dans la Grèce. La vallée qu'on appelle aujourd'hui Tempé était autrefois couverte d'eau dans toute son étendue. Il creusa dans son voisinage une fosse profonde, ou par le moyen d'un canal, il fit passer toutes ces eaux et mit à sec cette plaine délicieuse de Thessalie qui n'est arrosée aujourd'hui que par le fleuve Penée. Il fit le contraire dans la Béotie qu'il inonda toute entière, en détruisant les rivages de la rivière qui passe à côté de la ville de Minye. Par le premier de ces deux ouvrages il fit plaisir à toute la Grèce et par le second il vengea les Thébains des outrages qu'ils avaient essuyés durant la captivité où les Minyens les avaient réduits.
VI. Continuation de la vie et des voyages d'Hercule placée par l'auteur entre le détail ou l'énumération de ses travaux. Il va chez les Celtes et dans les Gaules.
MAIS POUR reprendre le fil de notre histoire, Hercule donna l'Espagne à gouverner à quelques‑uns des habitants, en qui il avait reconnu le plus de vertu et de probité. Pour lui, s'étant mis à la tête de son armée il prit le chemin de la Celtique, et ayant parcouru toute cette contrée, il abolit plusieurs coutumes barbares en usage parmi ces peuples, et entre autres celle de faire mourir les étrangers. Comme il avait dans son armée quantité de gens qui l'étaient venus trouver de leur plein gré, il bâtit une ville qu'il appela Alésie, nom tiré des longues courses qu'ils avaient faites avec lui. Plusieurs d'entre les Celtes vinrent y demeurer et étant en plus grand nombre que les autres habitants ils les obligèrent de prendre leurs coutumes. Cette ville est encore à présent en grande réputation parmi les Celtes qui la regardent comme la capitale de tout leur pays. Elle a toujours conservé sa liberté depuis Hercule jusqu'à ces derniers temps. Mais enfin, Jules César qu'on a honoré du titre de dieu, à cause de la grandeur de ses exploits, l'ayant prise par force, la soumit avec toutes les autres villes des Celtes, à la puissance des Romains.
Il passe en Italie.
HERCULE voulant ensuite passer de la Celtique en Italie prit le chemin des Alpes. Il rendit les routes de ce pays, de rudes et de difficiles qu'elles étaient, si douces et si aisées qu'une armée y pouvait passer sans peine avec tout son bagage. Les habitants de ces montagnes avaient coutume de tailler en pièces et de voler toutes les troupes qui les traversaient. Mais Hercule ayant dompté cette nation et en ayant fait punir les chefs, établit pour toujours la sûreté de ces passages. Étant descendu des Alpes, il parcourut le plat pays de la Galatie et entra ensuite dans la Ligurie. La contrée qu'habitent les Liguriens est très âpre et très stérile. Cependant forcée par les travaux immenses de ses habitants, elle leur rapporte des fruits quoiqu'en fort petite quantité. C'est pour cela que tous les Liguriens sont de médiocre taille, mais d'ailleurs ils deviennent très vigoureux à cause des violents exercices auxquels ils sont condamnés par la nature de leur terroir ; l'éloignement où ils se trouvent des voluptés de la vie leur donne une force et une agilité surprenantes dans les combats. Comme la terre qu'ils cultivent demande beaucoup de soins et de labours, les femmes mêmes sont accoutumées à partager avec les hommes tous leurs travaux. Les personnes de l'un et de l'autre sexe se louent pour toutes sortes d'ouvrages moyennant une certaine récompense. Il arriva une chose étonnante et tout à fait extraordinaire par rapport à nous, à une femme de ce pays. Elle s'était louée, quoique grosse pour travailler avec des hommes Ayant senti les douleurs de l'enfantement, elle alla sans bruit se cacher dans des buissons. Là étant accouchée elle couvrit son enfant de feuilles et le laissa. Elle revint ensuite travailler avec ces hommes sans leur rien dire de ce qui lui était arrivé mais l'enfant s'étant mis à crier découvrit sa mère. Cependant quelque chose que lui dît celui qui commandait les ouvriers, il ne put lui persuader de quitter son travail jusqu'a ce qu'enfin son maître lui ayant payé son salaire, l'obligea d'aller prendre du repos. Hercule étant sorti de la Ligurie entra dans la Toscane et arrivant proche du Tibre, il vint camper dans le même endroit où est à présent la ville de Rome bâtie plusieurs siècles après lui par Romulus fils de Mars. Il y avait alors sur le mont Palatin une petite ville habitée par les originaires du pays. Potitius et Pinarius les plus considérables d'entre eux le reçurent d'une manière très généreuse et lui firent des présents magnifiques. On voit encore leurs monuments dans la ville de Rome: et la famille des Pinariens passe aujourd'hui pour la plus ancienne noblesse qui soit parmi les Romains. Il y a aussi au mont Palatin une descente dont les degrés sont de pierre qu'on appelle la descente de Potitius parce qu'elle est auprès du lieu où sa maison était bâtie. Hercule ayant reçu avec plaisir les marques de bienveillance que lui donnèrent les habitants du mont Palatin, leur prédit que ceux qui après sa déification lui offriraient la dîme de leurs biens, mèneraient ensuite une vie très heureuse. Cette prédiction s'est accomplie jusque dans ces derniers temps. Car on connaît à Rome plusieurs personnes aisées et même quelques citoyens fort riches, qui après avoir fait voeu de donner à Hercule la dixième partie de leurs richesses, les ont vu monter à quatre mille talents. Lucullus, qui était peut‑être le plus riche des Romains de son temps, ayant fait l'estimation de tous ses biens, en sacrifia la dîme qu'il employa en festins publics. Les Romains lui ont bâti sur le bord du Tibre un superbe temple où ils lui consacrent la même partie de leurs fonds.
Il parcourt les côtes de l'Italie.
HERCULE quitta enfin le Tibre, parcourut les côtes maritimes de l'Italie. Il entra dans le pays de Cumes, dans lequel on dit qu'il y avait des hommes très forts mais très scélérats: on les nommait les Géants. Cette contrée s'appelait aussi Champ Phlégréen à cause d'une montagne de ce pays là qui jetait autrefois des flammes comme en jette le mont Etna dans la Sicile. Cette montagne est à présent nommée le mont Vésuve et on y remarque encore aujourd'hui des traces de son ancien embrasement. Les Géants ayant appris qu'Hercule était entré dans leur pays s'assemblèrent et marchèrent contre lui en ordre de bataille. Comme ils étaient forts et vaillants, le combat fut très rude Mais enfin Hercule remporta la victoire, avec le secours des dieux qui l'aidèrent dans ce combat. Il tua plusieurs de ses ennemis et remit la tranquillité dans le pays. Les Géants ont passé pour fils de la terre à cause de leur prodigieuse grandeur. Voilà ce que racontent plusieurs mythologistes suivis de Timée, sur la défaite des Géants à Phlègre. Hercule ayant quitté ce pays, continua son chemin le long des côtes de la mer. Il fit plusieurs ouvrages sur le lac d'Averne qui était consacré à Proserpine. Ce lac est situé entre Misène et Dicéarche, auprès des eaux chaudes. Il a environ cinq stades de tour et il est d'une profondeur extraordinaire. De là vient que ses eaux d'ailleurs très pures paraissent toutes bleues. On dit qu'il y avait autrefois en cet endroit un oracle rendu par les morts mais à présent il est entièrement aboli. Ce lac se déchargeait auparavant dans la mer mais Hercule ferma le canal de communication et pratiqua le long des côtes de la mer un chemin qui s'appelle encore aujourd'hui le chemin d'Hercule. Il entra ensuite dans la Posidonie et il trouva sur sa route une pierre posée en mémoire d'une aventure singulière. Un fameux chasseur de ce pays s'était fait une loi dès ses premières années de consacrer à Diane la tête et les pieds de tous les animaux qu'il avait pris à la chasse et de les pendre à des arbres. Un jour s'étant rendu maître d'un sanglier extraordinairement grand, il méprisa la déesse et dit qu'il ne lui consacrerait que la tête. Il joignit aussitôt l'effet aux paroles et suspendit seulement la tête du sanglier à un arbre. Il faisait alors fort chaud. Le chasseur s'étant endormi sur le midi, la tête du sanglier se détacha d'elle‑même de l'arbre et tombant sur lui pendant qu'il dormait, le tua sur-le-champ. Au reste, il ne faut pas s'étonner de cette punition, puisque l'on nous raconte que Diane s'est vengée ainsi plus d'une fois des impies. Il arriva le contraire à Hercule à cause de sa piété. Car étant venu sur les confins du pays de Rhège et de la Locride, et la fatigue d'un long chemin le contraignant de se reposer ; on dit qu'il pria les dieux d'éloigner de lui une grande quantité de cigales qui le tourmentaient: les dieux exaucèrent sa prière et non seulement elles s'écartèrent pour lors, mais on n'en a jamais vu depuis dans ce canton.
Hercule traverse le bras de mer qui sépare l'Italie de la Sicile pour entrer dans cette île.
HERCULE étant ensuite arrivé dans un endroit de l'Italie qui n'est séparé de la Sicile que par un bras de mer fort étroit, fit passer ses vaches à la nage dans cette île. Pour lui s'étant pris aux cornes d'un taureau, il traversa toute la largeur de ce détroit, qui, comme le dit Timée, est de treize stades. Voulant ensuite faire le tour de la Sicile, il alla du cap Pélore jusqu'au Mont Éryx. Pendant qu'il marchait le long des côtes de cette île, on dit que les Nymphes lui ouvrirent des bains d'eaux chaudes afin de le délasser. Il y a deux sources de ces eaux et les lieux où elles sont situées leur ont fait donner les noms d'Hémérée et d'Égestée. Quand Hercule fut entré dans les terres de la domination d'Éryx, ce prince qui était fils de Vénus et d'un roi du pays appelé Buta l'envoya provoquer à la lutte. Les prix qu'ils se proposèrent l'un l'autre furent le sujet d'une dispute. Car Éryx ayant offert son royaume pour prix de la victoire, Hercule lui proposa ses vaches. Éryx se fâcha d'abord de la comparaison qu'Hercule faisait de ses vaches avec un royaume. Mais Hercule lui ayant appris que s'il les perdait il perdrait l'espérance de l'immortalité, Éryx accepta le parti: cependant, il fut vaincu à la lutte, et ses états demeurèrent à Hercule qui les remit entre les mains des habitants et leur permit d'en recueillir les fruits, jusqu'à ce que quelqu'un de ses descendants vînt les redemander. Cela arriva dans la suite: car Doriée le Lacédémonien étant venu en Sicile longtemps après Hercule, on lui rendit ce pays et il y bâtit la ville d'Héraclée. Cette ville s'étant extrêmement accrue dans ses commencements, les Carthaginois lui portèrent envie. Ils craignirent qu'elle ne devînt un jour plus puissante que la leur et qu'elle ne leur ôtât la supériorité qu'ils avaient sur les autres peuples. C'est pourquoi, étant venus l'attaquer avec une puissante armée et l'ayant prise de force, ils la rasèrent. Nous parlerons de cette guerre dans son temps: cependant, Hercule fit le tour de la Sicile et arriva enfin dans la ville qu'on appelle aujourd'hui Syracuse où il apprit l'histoire de Proserpine. Il offrit à cette déesse un magnifique sacrifice et ayant immolé auprès de Cyane un de ses plus beaux taureaux, il enseigna aux habitants à faire tous les ans en l'honneur de Proserpine des fêtes et des assemblées solennelles. S'étant ensuite avancé avec ses vaches dans le milieu des terres, les Sicaniens vinrent contre lui avec une forte armée mais il leur livra un grand combat et les vainquit. Plusieurs des ennemis y furent tués, entre lesquels on dit qu'étaient Leucaspis, Pedicratès, Buphonas, Gaugatès, Cygée et Crytidas, tous capitaines fameux et à qui on a rendu les honneurs héroïques. Après cela étant entré dans le pays des Léontins il en admira la beauté. Comme ces peuples le reçurent avec une vénération extraordinaire, il résolut de laisser chez eux des monuments éternels de son passage. Il lui arriva quelque chose de singulier dans la ville des Agyrinéens. Car les habitants lui firent dès son vivant et en sa présence des sacrifices comme à un dieu et ils solennisèrent des fêtes en son honneur. Hercule n'avait encore accepté aucun culte et celui des Agyrinéens fut le premier auquel il consentit comme à un signe que les dieux lui donnaient de son immortalité prochaine. Non loin de cette ville est un chemin pierreux dans lequel les vaches d'Hercule imprimèrent leurs traces comme sur de la cire. Ce nouvel indice joint aux dix travaux qu'il avait déjà accomplis lui firent croire qu'il était actuellement immortel et il jugea qu'il pouvait recevoir dès lors les sacrifices anniversaires que les Agyrinéens avaient institués en son honneur. Voulant ensuite marquer sa reconnaissance à un peuple qui lui avait donné des preuves si particulières de son respect, il creusa devant cette ville un lac de quatre stades de tour qu'il appela de son nom. Il dédia au héros Géryon dans l'endroit où ses vaches avaient imprimé leurs traces un bois qui est encore en grande vénération parmi les Agyrinéens. Il en dédia un autre à Iolaüs son compagnon d'armes et il institua en son honneur des sacrifices que les habitants du pays célèbrent encore aujourd'hui. Ceux qui demeurent dans la ville d'Agyre vouent leur chevelure à Iolaüs et la cultivent soigneusement jusqu'à ce qu'ils soient en état de l'offrir à ce dieu avec de grandes cérémonies. Son temple est si saint et si respectable que ceux qui manquent d'y faire les sacrifices accoutumés perdent la voix et deviennent comme morts. Cependant ils sont rétablis dans leur premier état dès qu'ils ont fait voeu de satisfaire à ce devoir et qu'ils en ont donné les sûretés convenables. Les Agyrinéens ont nommé Herculéenne la porte devant laquelle ils font leurs offrandes à Iolaüs. Ils célèbrent sa fête tous les ans avec la même solennité, par des exercices de lutte et par des courses de chevaux et confondant alors les maîtres et les esclaves, ils les admettent aux mêmes danses, aux mêmes tables et aux mêmes sacrifices. Hercule étant repassé avec ses vaches en Italie marcha le long du rivage de la mer. Il porta un coup mortel à Lacinius dans le moment qu'il lui dérobait ses vaches et il tua par mégarde Croton auquel il dressa un mausolée après lui avoir fait des obsèques magnifiques. Il prédit aux habitants du pays qu'on verrait quelque jour dans cet endroit une ville fameuse qui porterait le nom du mort. Ayant ensuite fait à pied le tour de la mer Adriatique il entra dans le Péloponnèse par l'Épire.
Onzième travail: le chien Cerbère.
IL N'EUT pas plutôt fini son dixième travail qu'Eurysthée lui ordonna de tirer hors des enfers le chien Cerbère. Dès qu'Hercule eut reçu cet ordre qu'il regarda comme glorieux pour lui, il prit le chemin d'Athènes. Là, il se fit initier aux mystères d'Éleusine dont Musée fils d'Orphée était chef alors. Puisque nous venons de parler d'Orphée, il sera, je crois, assez à propos d'en rapporter ici quelque chose. Orphée Thrace de nation était fils d'Oeagre. Son érudition et son habileté dans la poésie et dans la musique l'ont mis au‑dessus de tous les hommes dont les noms sont venus jusqu'à nous. En effet le poème qu'il a composé est admirable non seulement par la disposition du sujet, mais encore par la beauté et par la cadence des vers. Ses talents lui attirèrent une si grande réputation qu'on croyait qu'il avait le don de charmer par sa mélodie les bêtes féroces et les arbres mêmes. S'étant appliqué dès son enfance à l'étude de la théologie et y ayant fait de grands progrès, il alla en Égypte où il acheva de se rendre profond dans cette science: de telle sorte qu'il fut le premier des Grecs dans la théologie et dans la connaissance des sacrés mystères aussi bien que dans la poésie et dans la musique. Orphée accompagna aussi les Argonautes dans leur voyage et il aima tant sa femme qu'il eut la hardiesse de l'aller chercher jusque dans les enfers. En effet ayant charmé Proserpine par les sons de sa lyre, il obtint d'elle le privilège de ramener Eurydice qui venait de mourir et il la tira des Enfers à l'exemple de Bacchus. Car on dit que ce dieu en avait fait sortir de même Sémélé sa mère et que lui ayant fait part de l'immortalité il lui donna le nom de Thyoné. Mais revenons à Hercule. Ce héros ainsi que le rapportent les mythologistes, étant descendu dans les Enfers, fut reçu de Proserpine comme son frère, et elle lui permit même d'emmener avec lui Thésée et Pirithoüs qui y étaient retenus prisonniers. Ayant ensuite lié Cerbère avec des chaînes de fer, il le tira hors des enfers et le fit voir aux hommes.
Douzième et dernier travail d'Hercule: les pommes d'or des Hespérides.
SON DERNIER travail enfin étant d'apporter d'Afrique, les pommes d'or des Hespérides, Hercule prit une seconde fois par mer la route de ce pays. Les sentiments des mythologistes sont fort partagés au sujet de ces pommes. Car les uns dirent qu'il croissait effectivement des pommes d'or en certains jardins d'Afrique qui appartenaient aux Hespérides mais quelles étaient gardées par un épouvantable dragon qui veillait sans cesse. D'autres prétendent que les Hespérides possédaient de si beaux troupeaux de brebis, que par une licence poétique on leur avait donné le surnom de dorées, comme on l'avait donné à Vénus à cause de sa beauté. Quelques‑uns enfin ont écrit que ces brebis étaient d'une couleur particulière qui tirait sur l'or. Ce derniers ajoutent même que par le dragon il faut entendre le pasteur qui gardait ces brebis, homme très fort et très courageux, et qui avait coutume de mettre à mort tous ceux qui entreprenaient de lui ravir quelques pièces de son troupeau. Mais nous laissons au lecteur la liberté de croire tout ce qu'il voudra la‑dessus. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'Hercule ayant tué le gardien de ces brebis ou de ces pommes, il les apporta à Eurysthée et qu'ayant accompli ses douze travaux il se tint assuré d'avoir l'immortalité pour sa récompense ainsi que le lui avait promis l'oracle d'Apollon.
VII. Atlas et les Hespérides.
IL NE FAUT cependant point omettre ce que les mythologistes racontent d'Atlas et des Hespérides. Ils disent que dans le pays appelé Hespéritis vivaient autrefois Atlas et Hespérus tous deux frères et tous deux très fameux ; qu'Hespérus étant devenu père d'une fille nommée Hespéris, la donna en mariage à son frère Atlas, et que ce fut de cette fille que le pays d'Hespéritis avait pris son nom. Atlas eut d'Hespéris sept filles qui furent appelées Atlantides du nom de leur père ou Hespérides de celui de leur mère. Comme elles étaient d'une beauté et d'une sagesse peu communes on dit que sur leur réputation Busiris, roi d'Égypte, conçut le dessein de s'en rendre le maître et qu'il commanda à des pirates d'entrer dans leur pays, de les enlever et de les lui amener. Ces pirates ayant trouvé dans leur jardin les filles d'Atlas qui s'y divertissaient, se saisirent d'elles et s'étant enfuis au plus vite dans leurs vaisseaux ils les embarquèrent avec eux. Mais Hercule les ayant surpris pendant le temps qu'ils mangeaient près du rivage et ayant appris de ces jeunes vierges le malheur qui leur était arrivé, il tua tous leurs ravisseurs et rendit ensuite les Atlantides à leur père Atlas. Ce prince reconnaissant donna non seulement à Hercule les pommes qu'il était venu chercher, mais aussi il lui apprit à fond l'astronomie. Atlas avait étudié cette science avec beaucoup d'assiduité et d'application, il y était devenu très savant, il avait même construit avec un grand art une sphère céleste et c'est pour cette raison qu'on a cru qu'il portait le monde sur ses épaules. Comme Hercule fut le premier qui apporta en Grèce la science de la sphère, il acquit aussi une très grande gloire et l'on feignit à ce propos qu'Atlas s'était reposé sur lui du fardeau du monde ; les hommes racontant d'une manière fabuleuse un fait véritablement arrivé. Étant venu de là en Égypte, il fit mourir le roi Busiris qui outre l'injure qu'il avait faite aux Atlantides sacrifiait, dit‑on, à Jupiter les étrangers qui abordaient en ses états. Ensuite, remontant par le Nil jusqu'en Éthiopie, il tua Hémation, roi de ce pays, qui lui avait déclaré la guerre.
Guerre incidente des Amazones d'Asie.
PENDANT qu'Hercule était occupé à son douzième travail, on dit que le reste de la nation des Amazones s'étant rassemblé sur le Thermodoon, elles résolurent de se venger sur les Grecs des pertes qu'elles avaient essuyées dans la guerre qu'elles eurent contre Hercule. Elles en voulaient surtout aux Athéniens parce qu'Antiope, reine des Amazones, que quelques‑uns nomment Hippolyte, était retenue en esclavage par Thésée. S'étant donc alliées avec les Scythes, elles mirent sur pied une armée nombreuse. Ces troupes conduites par les Amazones ayant d'abord traversé le Bosphore Cimmérien, se rendirent dans la Thrace. Elles traversèrent encore une grande partie de l'Europe ; étant entrées dans le pays d'Attique, elles campèrent dans un endroit qu'on appelle encore à présent le camp des Amazones. Thésée ayant appris leur marche, alla au devant d'elles avec une armée composée tout entière de ses citoyens. Il mena aussi avec lui l'Amazone Antiope, dont il avait eu un fils nommé Hippolyte. Le signal étant donné, les Athéniens combattirent si vigoureusement qu'ils taillèrent en pièces la plus grande partie des Amazones, chassèrent tout le reste hors de l'Attique. Antiope armée elle‑même pour la cause de Thésée, son mari, finit sa vie d'une manière héroïque. Celles des Amazones qui échappèrent de ce combat s'en retournèrent avec les Scythes dans la Scythie et désespérant de rétablir leur patrie, elles se résolurent d'habiter avec eux. Mais c'est assez parlé des Amazones et il faut reprendre l'histoire d'Hercule.
VIII. Les Thespiades, fils d'Hercule conduits par Iolaüs son neveu.
APRÈS qu'il eut fini ses douze travaux, un oracle lui dit qu'avant qu'il fût reçu au nombre des dieux, il fallait qu'il envoyât une colonie en Sardaigne sous la conduite des fils qu'il avait eus des Thespiades. Mais comme ils étaient fort jeunes, Hercule jugea à propos de mettre à leur tête Iolaüs son neveu. Il est, je crois, nécessaire de rapporter ici l'histoire de la naissance de ces enfants, pour parler avec plus de suite de la colonie qu'ils conduisirent en Sardaigne. Thespis, d'une des meilleures familles d'Athènes, fils d'Erechtée et roi d'un pays qui portait son nom, avait eu cinquante filles de plusieurs femmes. Hercule était alors fort jeune et d'une force de corps prodigieuse ce qui fit souhaiter à Thespis que ses filles pussent avoir des enfants de lui. L'ayant donc invité à un sacrifice et lui ayant fait ensuite un festin magnifique, il le donna pour mari à toutes ses filles. Hercule par ce moyen devint père de cinquante enfants, qu'on appela en général Thespiades comme leurs mères. Quand ils furent parvenus à l'adolescence, Hercule les envoya en Sardaigne suivant l'ordre de l'oracle. Comme Iolaüs l'avait accompagné dans toutes ses expéditions, il lui confia les Thespiades et le déclara chef de la colonie. De ces cinquante enfants d'Hercule, il n'en resta que deux à Thèbes et leur postérité y est encore aujourd'hui dans une grande considération. Il en resta aussi sept autres à Thespies qui y gouvernèrent et l'on dit que leurs descendants y étaient encore les maîtres dans ces derniers temps. Tous les autres s'étant rassemblés sous la conduite d'Iolaüs firent voile en Sardaigne avec ceux qui voulurent se joindre à eux. Iolaüs ayant défait les insulaires, choisit pour séjour le plus bel endroit de toute l'île et surtout une vallée qui retient en core aujourd'hui son nom. Ayant ensuite défriché cette contrée, il y planta quantité d'arbres fruitiers et la rendit si fertile qu'elle fut dans la suite le sujet de plusieurs guerres. Les Carthaginois surtout dès qu'ils furent devenus puissants, donnèrent plusieurs batailles et coururent plusieurs dangers par l'envie extrême qu'ils avaient de la joindre à leur domination. C'est de quoi nous parlerons en son lieu. Cependant Iolaüs ayant établi sa colonie fit venir Dédale de Sicile, pour exécuter plusieurs grands ouvrages qui subsistent encore aujourd'hui et qui s'appellent Dédaliens du nom de celui qui les a faits. Ce sont par exemple de vastes bâtiments propres à toutes sortes d'exercices, des tribunaux magnifiques, en un mot tout ce qui peut embellir le séjour d'une province. Les Thespiades permirent même à leur conducteur de donner son nom à cette colonie et ils lui déférèrent cet honneur comme à leur père ; car il avait mérité ce nom par l'amitié qu'il leur portait. De là vient que dans ces derniers temps ceux qui font des sacrifices au dieu Iolaüs lui donnent le nom de père, à l'exemple des Perses qui appellent ainsi Cyrus. Cependant Iolaüs voulant retourner en Grèce, prit le chemin de la Sicile, où il demeura un assez long espace de temps. Quelques‑uns de ceux qui l'accompagnaient, charmés de la beauté de cette île, résolurent de s'y établir et s'y étant mêlés avec les Sicaniens, ils s'attirèrent beaucoup d'estime de la part de ces peuples. Pour lolaüs ayant répandu ses bienfaits en divers lieux, il acquit non seulement une très grande gloire mais on lui rendit en plusieurs villes les honneurs dus aux héros et on lui consacra plusieurs bois. Il arriva au reste une chose assez singulière à la colonie des Thespiades. Un dieu leur prédit que non seulement les sujets vivants de cette colonie, mais aussi leurs descendants jouiraient à jamais de la liberté et cet oracle s'est trouvé vrai jusqu'à ce jour. Car des barbares s'étant mêlés par la suite des temps avec cette colonie, les uns et les autres devinrent une espèce de sauvages: ils allèrent demeurer ensemble sur des montagnes et dans des lieux de très difficile accès. D'ailleurs, ne se nourrissant que de la chair et du lait de leurs troupeaux qu'ils entretiennent avec soin et en grand nombre, ils ne manquent jamais de vivres Enfin comme leurs habitations sont cachées dans des rochers escarpés, ils évitent aisément les périls de la guerre. C'est pourquoi les Carthaginois et ensuite les Romains, les ayant attaqués plusieurs fois n'ont jamais réussi dans leur entreprise. Je crois qu'en voilà assez au sujet d'Iolaüs, des Thespiades et de la colonie qu'ils conduisirent en Sardaigne ; retournons pour la troisième fois à l'histoire d'Hercule.
IX. Suite de l'histoire d'Hercule.
APRÈS qu'Hercule eut achevé ses douze travaux, il céda à Iolaüs Mégare sa femme, dont les enfants avaient eu un sort si funeste et il espéra qu'une autre lui en donnerait de plus heureux. Il demanda Iolé, fille d'Euryte roi d'Oechalie. Mais ce prince ayant appris l'infortune de Mégare demanda du temps pour se déterminer. Hercule qui prit cette réponse pour un refus, emmena secrètement pour se venger, les chevaux d'Euryte. Iphitus, fils de ce prince soupçonnant Hercule d'avoir dérobé ces chevaux et étant allé les chercher dans Tirynthe, Hercule le fit monter sur une tour fort haute et lui permit de porter ses regards de tous côtés pour voir s'il les decouvrirait. Mais Iphitus ne les apercevant point, il lui dit que c'était à tort et faussement qu'on l'accusait de les avoir dérobés et là‑dessus il le jeta du haut de la tour en bas. Sur ces entrefaites étant tombé malade en punition de ce meurtre, il s'en alla à Pyle chez le roi Nélée et le pria de l'expier. Nélée ayant consulté ses enfants, tous, à l'exception du seul Nestor qui était le plus jeune, furent d'avis qu'on refusât cette expiation. Hercule prit le parti d'aller chez Déiphobe fils d'Hippolyte pour le prier de la lui donner, mais on en fit inutilement la cérémonie et sa maladie ne le quitta point. Il alla donc enfin consulter l'oracle d'Apollon sur ce qu'il devait faire pour recouvrer la santé. L'oracle lui répondit que s'il voulait être guéri il fallait qu'on le vendît publiquement et qu'on donnât le prix de sa vente aux enfants d'Iphitus. La durée de sa maladie l'ayant obligé d'obéir à cet oracle, il prit avec quelques‑uns de ses amis le chemin de l'Asie. Quand il fut arrivé dans ce pays, il se laissa vendre volontairement par un de ses amis et il devint esclave d'Omphale, fille de Jardanus et reine des Lydiens, peuples qu'on appelait alors les Méoniens. Celui qui l'avait vendu remit ensuite aux enfants d'Iphitus, selon le commandement de l'oracle, l'argent provenu de la vente d'Hercule. Ce héros cependant ayant recouvré la santé et demeurant esclave de la reine Omphale entreprit de punir tous les voleurs qui infectaient cette contrée.
La reine Omphale.
IL TUA d'abord une partie des Cercopes, fameux brigands qui faisaient beaucoup de ravage et il amena le reste enchaîné aux pieds de la reine. Il fit aussi mourir d'un coup de bêche Sylée qui enlevait tous les étrangers qui voyageaient de ce côté‑là et les obligeait de travailler à ses vignes. Il reprit sur les Itons les vols qu'ils avaient faits en plusieurs contrées, qui appartenaient à Omphale ; il démolit la ville dans laquelle ils se retiraient et il les fit tous prisonniers. Omphale voyant les exploits d'Hercule et ayant appris qui il était et de qui il était sorti, eut sa vertu en admiration, le remit en liberté et l'épousa. Elle en eut un fils qui fut nommé Lamon. Hercule avait aussi eu d'une des compagnes de son esclavage, un fils appelle Cleolaüs. Étant ensuite retourné dans le Péloponnèse, il alla combattre Laomédon, roi de Troie. Le sujet de cette guerre fut qu'Hercule s'étant joint à Jason pour la conquête de la Toison d'or, Laomédon lui manqua de parole au sujet des chevaux qu'il lui avait promis, à condition qu'il le déferait d'un monstre marin. Nous en parlerons plus bas dans l'histoire des Argonautes. Cependant l'expédition de la Toison d'or n'ayant pas laissé à Hercule le temps de se venger, il en trouva enfin l'occasion.
Il punit Laomédon.
QUELQUES‑UNS dirent qu'il partit pour la guerre de Troie avec dix‑huit grands vaisseaux. Mais selon le témoignage d'Homère il n'en avait que six. C'est Tlépolème qui parle dans l'Iliade:
Tel, d'un commun aïeul, fut Hercule mon père ;
De cent monstres divers intrépide vainqueur,
Et qui des fiers lions eut la force et le coeur.
Du roi Laomédon la promesse parjure
L'amena sur ces bords pour venger son injure:
Suivi de six vaisseaux, faible appui pour son bras.
Dans le sein d'Ilion il porta le trépas.
Hercule étant arrivé dans la Troade prit avec lui les plus braves de ses compagnons et vint entourer les murailles de la ville. Il confia à Oiclée, fils d'Antiphatès, la garde de ses vaisseaux. Cependant, Laomédon à qui cette attaque imprévue n'avait pas permis de lever beaucoup de troupes, ayant ramassé des soldats tels qu'il put les rencontrer, alla droit aux vaisseaux d'Hercule: espérant que s'il les pouvait brûler, il mettrait fin à la guerre, Oiclée vint à sa rencontre: mais celui‑ci ayant été tué dans le combat, ceux qui l'avaient suivi s'enfuirent dans leurs vaisseaux et prirent le large au plus vite. Laomédon qui revenait sur ses pas étant tombé sur les soldats d'Hercule qui assiégeaient Troie, fut tué dans la mêlée avec plusieurs de ses citoyens. Hercule prit ensuite la ville d'assaut et ayant fait passer au fil de l'épée tous les habitants qui se mettaient en défense, il rendit justice à Priam en lui donnant le royaume de Troie. Car il avait été le seul des enfants de Laomédon qui s'opposant aux mauvais conseils de ses frères, eût été d'avis de remettre à Hercule les chevaux qu'on lui avait promis. Ce héros récompensa aussi Télamon d'une manière fort honorable en lui donnant Hésione, fille de Laomédon. Il était entré le premier dans Troie par l'endroit le plus fort de la citadelle, auquel Hercule s'était d'abord attaché. Ce héros étant de retour dans le Péloponnèse déclara la guerre à Augée qui l'avait aussi frustré de la récompense à laquelle il s'était engagé. Il donna une bataille aux Éliens, mais la laissant indécise, il s'en alla à Olenus chez Dexamène. Hippolyte, fille de ce dernier, venait d'être mariée à Axan. Hercule ayant été prié du festin des noces tua le Centaure Eurytion qui voulait forcer la mariée. Étant ensuite revenu à Tirynthe, Eurysthée lui commanda d'en sortir, lui, Alcmène, Iphiclès et Iolaos, sous prétexte qu'ils avaient fait complot de lui enlever son royaume. Ils furent donc obligés de s'exiler de Tirynthe et Hercule se retira dans l'Arcadie chez Phénée. Là ayant appris que les Éliens avaient envoyé plusieurs de leurs gens au détroit, pour y célébrer une fête de Neptune, et qu'Euryte neveu d'Augée était le conducteur de cette troupe, il l'alla attaquer à l'improviste et le tua auprès de Cléones, dans l'endroit même où l'on a depuis élevé un temple en l'honneur d'Hercule. Il mena ensuite son armée contre la ville d'Élis et il tua le roi Augée. S'étant après cela rendu maître de la ville, il rappela d'exil Phylée, fils de ce prince, et lui mit la couronne sur la tête. Phylée avait été exilé par son père parce qu'ayant été choisi pour arbitre entre lui et Hercule, au sujet du salaire dont ils étaient convenus ensemble, il avait donné gain de cause à Hercule. Ce fut aussi dans ce temps‑là qu'Hippocoon exila de Sparte son frère Tyndare et que les enfants d'Hippocoon, qui étaient au nombre de vingt, tuèrent Hyjon, fils de Licymnius ami d'Hercule. Ce héros indigné de ce meurtre mena son armée contre les enfants d'Hippocoon: il remporta sur eux une victoire complète et ayant pris d'emblée la ville de Sparte, il en fit roi Tyndare, père des Dioscures. Mais comme il avait conquis ce royaume à la pointe de l'épée, il ne le lui céda qu'à condition de le remettre un jour à ses héritiers qui viendraient le lui redemander. Il n'en coûta a Hercule dans cette bataille que fort peu de gens entre lesquels étaient Iphiclès et dix‑sept enfants de Céphée: car de vingt qu'ils étaient, il ne s'en sauva que trois. Les ennemis perdirent Hippocoon, dix de ses enfants, et un grand nombre de Spartiates.
Son amour pour Augé.
CETTE guerre finie, Hercule prit le chemin d'Arcadie. Il alla loger chez le roi Alée mais ayant eu un commerce secret avec Augé, fille de ce roi, il partit pour Stymphale. Cependant, Alée ignorait entièrement ce qui était arrivé à sa fille, lorsque son ventre, venant à enfler, découvrit sa honte. Alée lui ayant demandé qui était celui qui l'avait corrompue, elle lui répondit qu'elle avait été violée par Hercule. Mais lui n'ajoutant aucune foi à ce qu'elle lui disait, ordonna à un de ses plus fidèles serviteurs appelé Nauplius de la prendre et de la noyer. Pendant qu'on la conduisait à Nauplie et qu'elle traversait le mont Parthénien, elle se sentit si vivement pressée des douleurs de l'enfantement, qu'elle fut contrainte de se retirer dans la forêt voisine. Là, étant accouchée d'un enfant mâle, elle le laissa caché sous un buisson. Elle continua ensuite sa route avec Nauplius et arriva enfin à Nauplie, port de mer de l'Argolide où elle conserva sa vie d'une manière, qu'elle n'aurait jamais osé espérer. Car Nauplius n'ayant pas jugé à propos de la noyer, suivant les ordres qu'il en avait reçus, la donna à des Cariens à condition qu'ils la feraient passer en Asie. Ceux‑ci l'y ayant menée la vendirent à Theutras roi de la Mysie. Cependant l'enfant qu'Augé avait laissé sur le mont Parthénien fut trouvé, tétant une biche, par quelques bergers du roi Corytus, qui l'apportèrent à leur maître. Ce roi reçut ce jeune enfant avec plaisir, l'éleva comme son propre fils et lui donna le nom de Télèphe, à cause qu'il avait été nourri par une biche. Quand il fut devenu grand, poussé du désir de savoir qui était sa mère, il alla consulter l'oracle de Delphes qui lui ordonna de se rendre en Asie chez le roi Theutras. Télèphe ayant trouvé sa mère et connu qui était son père, s'acquit une très grande réputation. Theutras même qui n'avait point d'enfants mâles lui donna en mariage sa fille Argione et le déclara son successeur à la couronne. Sur ces entrefaites, Hercule qui avait demeuré cinq ans chez Phénée portant impatiemment la mort d'Hyjon, fils de Licymnius, et celle de son frère Iphiclès se bannit volontairement de l'Arcadie et de tout le Péloponnèse. Il s'en alla à Calydon, ville d'Etolie, suivi de plusieurs Arcadiens, et il s'y arrêta. Comme il n'avait ni femme, ni enfants légitimes, il épousa après la mort de Méléagre Déjanire fille d'OEnée. Je crois qu'il ne sera pas hors de propos de rapporter en passant ce qui arriva à Méléagre.
Digression au sujet de Méléagre.
OENÉE ayant recueilli une grande abondance de blé, fit des sacrifices à tous les dieux, excepté à Diane qu'il négligea. La déesse irritée envoya à Calydon un sanglier que sa grandeur surprenante a rendu fameux. Ce sanglier ravageant toutes les campagnes voisines et dévorant tous les bestiaux, Méléagre, fils d'Oenée, qui était alors à la fleur de son âge et doué d'une force et d'un courage extraordinaire, assembla plusieurs jeunes gens pour aller à la chasse de cet animal. Comme ce fut lui qui le blessa le premier de son dard, tous les autres chasseurs lui déférèrent d'un commun consentement le prix de la chasse, qui était la peau de cet animal. Méléagre, amoureux d'Atalante, fille de Schoenée, qui assistait à cette chasse, lui fit présent de cette peau, comme si elle avait mérité le prix. Cependant, ses oncles, enfants de Thestius, qui en étaient aussi indignés de ce que Méléagre, sans avoir aucun égard à la parenté qui était entre eux, leur avait préféré une étrangère, regardèrent comme une injustice le don qu'il lui avait fait. Ils résolurent même d'attendre cette princesse sur le chemin. En effet, l'ayant attaquée lorsqu'elle s'en retournait en Arcadie, ils lui enlevèrent la peau du sanglier. Méléagre désolé de l'affront qu'on avait fait à sa maîtresse, courut à son secours. D'abord, il pria ses oncles, frères d'Althée sa mère, de rendre à Atalante le prix qu'ils lui avaient arraché. Mais ensuite, voyant qu'ils n'en faisaient rien, il les tua. Althée que le meurtre de ses frères avait mise au désespoir pria les dieux de faire mourir Méléagre et on dit qu'ils exaucèrent sa prière. Quelques auteurs prétendent pourtant qu'à la naissance de Méléagre, les Parques apparurent en songe à Althée, sa mère et lui déclarèrent que son fils ne mourrait que quand un tison qui était au feu serait consumé: qu'Althée croyant que le salut de son fils dépendait de ce tison, le conserva avec soin: qu'ensuite, irritée du meurtre de ses frères, elle le remit au feu et fut ainsi la cause de la mort de Méléagre. Mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'étant au désespoir de tout ce qui était arrivé elle se pendit. Sur ces entrefaites Hipponoüs de la ville d'Olène, irrité contre sa fille Péribée qui se disait grosse du fait du dieu Mars, l'envoya en Étolie chez Oenée, en le chargeant de la faire mourir. Mais Oenée qui venait de perdre par un événement si triste son fils et sa femme ne voulut point faire mourir Péribée ; au contraire, l'ayant épousée il en eut un fils aprellé Tydée. Voilà ce que nous avions à dire de Méléagre, d'Althée et d'Oenée.
X. Suite et fin de la vie d'Hercule.
HERCULE pour rendre service aux Calydoniens, détourna le fleuve Acheloüs et l'ayant fait passer dans le nouveau lit qu'il avait creusé lui‑même, il mit à sec une vaste étendue de terre qui autrefois couverte et maintenant arrosée par les eaux de ce fleuve est devenue très fertile. C'est ce qui a donné lieu aux poètes de feindre qu'Hercule se battit contre le fleuve Acheloüs changé en taureau ; que dans ce combat il lui cassa une corne dont il fit présent aux Étoliens et que cette corne fut appelée la corne d'Amalthée. Ils ajoutent qu'elle renferme tous les fruits d'automne, comme des raisins, des pommes et des oranges. Mais le but de cette fable est de représenter par la corne le nouveau canal de l'Acheloüs, et par les raisins, les pommes et les oranges, la fertilité de la contrée voisine du fleuve et la multitude infinie des arbres fruitiers qui y naissent. D'autres cependant croient que la corne d'Amalthée signifie l'ardeur et la persévérance du travail que demande la culture de la terre. Hercule combattit ensuite pour les Calydoniens contre les Thesprotes. Il se rendit maître par force de la ville d'Éphyre et tua de sa propre main Phylée, roi de ces peuples. La fille même de ce prince fut amenée prisonnière. Hercule ayant eu commerce avec elle en eut un fils appelé Tlépolème. Trois ans après son mariage avec Déjanire, ce héros dînant avec Oenée et étant servi à table par Eurynome, fils d'Architèle, à peine alors sorti de l'enfance, ce jeune homme fit une faute en servant. Hercule le tua quoiqu'involontairement en lui donnant un coup de poing. Cet accident l'affligea beaucoup, et il s'exila lui‑même de la ville de Calydon. Prenant avec lui Déjanire sa femme et leur fils Hyllus qui n'était alors qu'un enfant, ils arrivèrent ensemble au bord du fleuve Événus. Ils trouvèrent là le Centaure Nessus, qui moyennant un certain salaire transportait d'un côté du fleuve à l'autre ceux qui avaient envie de le traverser. Ce Centaure ayant d'abord pris Déjanire pour la faire passer de l'autre côté du fleuve, fut frappé de sa beauté et entreprit de lui faire violence. Déjanire implora en criant le secours de son mari. Hercule lança un trait contre le Centaure qui se sentant blessé à mort dit à Déjanire qu'il voulait lui laisser un philtre dont la propriété serait de faire qu'Hercule n'aimât plus aucune autre femme qu'elle: que pour cet effet, il fallait qu'elle mêlât l'huile qu'il lui donnait avec le sang qui découlait de la pointe de la flèche et qu'elle en frotât la tunique d'Hercule. Il expira dès qu'il eut donné cet avis à Déjanire. Cette femme recueillit dans un vase ce prétendu philtre et le garda à l'insu de son mari. Cependant, Hercule traversant le fleuve se rendit chez Ceïx, roi des Trachiniens, où il alla loger, menant toujours à sa suite un grand nombre d'Arcadiens. Sur ces entrefaites, Phylas, roi des Dryopes, ayant commis des impiétés dans le temple de Delphes, Hercule se mit à la tête des Méliens, tua le roi des Dryopes et chassa ses sujets de leur pays qu'il abandonna ensuite aux Méliens. Il fit prisonnière la fille de Phylas et il en eut un fils appelé Antiochus. Il avait aussi eu depuis la naissance d'Hyllus deux autres enfants de Déjanire, savoir Gynée et Oditès. Entre les Dryopes, quelques‑uns se retirèrent dans l'Eubée et y bâtirent la ville de Caryste: quelques autres étant passés dans l'île de Chypre s'y établirent avec les habitants du pays. Le reine se réfugia chez Eurysthée, qui les reçut favorablement en haine d'Hercule et ce fut par le secours de ce roi qu'ils bâtirent trois villes dans le Péloponnèse, savoir Asine, Hermione et Eïone. Quelque temps après le malheur des Dryopes, la guerre s'alluma entre les Doriens qui habitent Hestréotis et qui étaient alors gouvernés par le roi Aegimius et les Lapithes habitants du mont Parnasse, qui avaient pour roi Coronus, fils de Phoronée. Comme l'armée des Lapithes était beaucoup plus nombreuse que celle des Doriens, ceux‑ci eurent recours à Hercule. Ils lui offrirent la troisième partie de leur pays et de leur royaume à condition qu'il les aiderait dans cette guerre. Ayant obtenu leur demande, ils marchèrent tous ensemble contre les Lapithes. Hercule se mit à la tête des Arcadiens qui l'accompagnaient dans toutes ses expéditions, il battit les Lapithes, tua leur roi Coronus et ayant laissé un grand nombre de soldats sur la place, il les obligea de relâcher aux Doriens le pays qu'ils leur contestaient. Hercule remit à Aegimius le tiers de la Doride qu'on était convenu de lui céder, à condition de le rendre à ceux de ses héritiers qui le lui viendraient redemander. Pendant qu'il s'en retournait à Trachine, il tua en chemin Cygnus, fils de Mars, qui l'avait appelé à un combat singulier. Étant ensuite sorti de la ville d'Itone, comme il traversait la Pélasgiotide, il alla à la rencontre du roi Ormenius et lui demanda en mariage Astydamie, sa fille. Mais Hercule ayant été refusé, parce qu'Ormenius savait qu'il était marié à Déjanire, fille d'Oenée, lui déclara la guerre ; il prit sa ville et fit enfin mourir ce prince qu'il n'avait pu persuader: se rendant maître par droit de conquête de la personne d'Astydamie, il en eut un fils nommé Ctésippe. Après cette expédition, il mena son armée dans l'Oechalie contre les enfants d'Eurytus pour se venger de ce qu'on lui avait refusé Iole qu'il avait demandée en mariage. Les Arcadiens l'ayant encore accompagné dans cette guerre, il emporta la ville et il fit passer au fil de l'épée Toxée, Molion et Pytius, fils d'Eurytus. Il emmena avec lui sur un promontoire de l'Eubée appelé Cénée, Iole qu'il avait fait prisonnière.
Déjanire, sa seconde femme, cause innocente de sa mort.
Hercule voulant offrir un sacrifice dans cet endroit, envoya à Trachine vers Déjanire, sa femme, un de ses serviteurs appelé Lichas, pour lui aller chercher la tunique dont il avait coutume de se revêtir lorsqu'il sacrifiait. Déjanire ayant appris par Lichas que son mari était éperdument amoureux d'Iole et croyant le guérir de cette passion et le ramener à elle, frotta cette tunique du philtre que le Centaure Nessus lui avait donné pour se faire toujours aimer d'Hercule, Lichas ne sachant rien de ce secret, prit des mains de Déjanire les vêtements du sacrifice et les apporta à Hercule. Mais dès que ce héros eut mis sur lui la tunique empoisonnée, la force du venin dont elle était imbibée venant à opérer fit une révolution étrange dans son corps. Car le fiel de l'hydre de Lerne dans lequel la flèche d'Hercule avait trempé et qui était passé dans la tunique, corrompit par sa chaleur toutes les chairs. Ainsi ce héros souffrant des douleurs extraordinaires fit d'abord mourir Lichas auteur innocent de son mal. Il licencia ensuite son armée et revint demeurer à Trachine. Mais comme ses douleurs augmentaient toujours, il envoya à Delphes Licymnius et Iolaüs pour demander conseil à Apollon sur cette cruelle maladie. Dans cet intervalle, Déjanire apprenant le malheur d'Hercule dont elle se voyait la cause se livra au désespoir et s'étrangla elle‑même. L'oracle répondit qu'il fallait qu'on portât Hercule avec un appareil de guerre jusque sur le mont Oeta, que là on dressât auprès de lui un grand bûcher et que Jupiter aurait soin du reste. Iolaüs et ceux qui l'accompagnaient obéirent à ces ordres et se tenaient assez loin du bûcher, attentifs à tout ce qui allait arriver. Mais Hercule desespérant entièrement de sa guérison, monta sur le bûcher et appelant tous ceux qui l'avaient suivi il les conjurait d'y mettre le feu. Personne n'osait le faire et il n'y eut que le seul Philoctète qui lui obéit. Hercule en récompense de ce service lui fit présent de ses flèches et de son arc. Dans le moment, un coup de tonnerre fit paraître en flammes tout le bûcher. Iolaüs et sa troupe étant venus bientôt après chercher ses os et n'en ayant retrouvé aucun, ils crurent qu'Hercule avait été fait dieu conformément à tant d'oracles qui lui avaient promis cette récompense. Ce fut pour cette raison qu'ils lui offrirent des sacrifices et qu'ils ne s'en retournèrent à Trachine qu'après avoir élevé des espèces d'autels dans l'endroit où il avait cessé de paraître parmi les hommes. Ménénius, fils d'Actor et ami d'Hercule, lui sacrifia un taureau, un sanglier et un bouc ; il ordonna qu'on lui offrît tous les ans dans la ville des Opuntiens ce même sacrifice institué pour les héros. Les Thébains suivirent aussi cet exemple. Cependant, les Athéniens ont été le premier peuple qui lui ait rendu les honneurs divins. Et l'exemple de cette piété fut cause que d'abord tous les peuples de la Grèce, et ensuite toutes les nations de la terre le reconnurent pour dieu. Je dois ajouter qu'après l'apothéose d'Hercule, Jupiter persuada à Junon d'adopter Hercule pour son fils et que cette déesse eut toujours pour lui dans la suite l'amitié d'une véritable mère. On dit que cette adoption se fit en cette manière. Junon monta d'abord sur son lit tenant Hercule caché sous ses habits, et ensuite, afin de mieux imiter la nature, elle le laissa tomber sous elle. On prétend que les barbares emploient encore à présent cette cérémonie lorsqu'ils veulent adopter quelqu'un. On ajoute qu'Hercule étant devenu dieu épousa Hébé et Homère paraît avoir été de ce sentiment lorsqu'il fait dire à Ulysse dans la description des Enfers:
……………… Je vis l'ombre d'Hercule ;
Car pour lui‑même, assis à la table des dieux,
L'hymen d'Hébé le rend encore plus glorieux.
Au reste, Hercule ayant été choisi par Jupiter pour être l'un des douze dieux ne voulut point recevoir cet honneur, de peur d'offenser celui d'entre eux qu'il aurait fallu exclure pour lui donner sa place. Nous nous sommes beaucoup étendu sur l'histoire d'Hercule, mais aussi nous n'avons rien omis de ce que les mythologistes ont dit de plus remarquable sur son sujet.
XI. De Jason et des Argonautes.
JE CROIS qu'il ne sera pas hors de propos de parler ici du voyage des Argonautes d'autant plus qu'Hercule les accompagna dans cette expédition. Jason était fils d'Aeson et neveu de Pélias roi des Thessaliens. Comme il surpassait par la force de son corps et par le brillant de son esprit tous les hommes de son âge, il souhaitait ardemment de faire quelque entreprise qui fît parler de lui dans tous les siècles. Il savait que Persée et quelques autres s'étaient acquis une réputation immortelle par leurs exploits extraordinaires et en portant la guerre loin de leur pays. Leur gloire le piqua d'émulation. Il communiqua son dessein au roi Pélias qui y consentit aisément non pas tant par l'envie qu'il eût que ce jeune homme s'acquît de l'honneur, que parce qu'il souhaitait qu'il pérît en quelque rencontre dangereuse. Car comme Pélias n'avait point d'enfants mâles, il craignait que son frère ne le détrônât en faveur et avec l'aide de son fils. Pour mieux cacher ses soupçons, Pélias offrit à son neveu de lui fournir une flotte et tous les secours nécessaires pour aller jusqu'à Colchos enlever la toison d'or. Le Pont était alors habité par des barbares extrêmement sauvages et qui tuaient tous les étrangers qui abordaient chez eux. C'est pour cette raison que les Grecs lui avaient donné le nom d'Axénos qui signifie inhospitalier. Cependant Jason qui n'aspirait qu'à la gloire prévoyait bien les dangers de cette expédition, mais ne la jugeant pas impossible, il se flattait de tirer un plus grand honneur d'un plus grand nombre de difficultés vaincues. Il fit d'abord construire au pied du mont Pélion un vaisseau qui surpassait par sa grandeur et par son appareil tous ceux que l'on avait vus jusqu'alors. Car avant ce temps‑là, on n'avait navigué que dans des barques ou de petits vaisseaux marchands. Mais la magnificence de ce vaisseau et la hardiesse du motif qui l'avait fait construire frappèrent d'étonnement toute la Grèce et inspirèrent à tout ce qu'il y avait de jeunes gens distingués par leur naissance ou par leur valeur, un désir ardent d'accompagner Jason dans cette expédition. Pour lui, ayant lancé son vaisseau à l'eau et l'ayant abondamment pourvu de tout ce qui était nécessaire pour étonner les barbares il choisit les plus considérables d'entre ceux qui s'étaient offerts. Il n'en prit que cinquante‑quatre, dont les plus fameux, outre Jason même, auteur de l'entreprise, furent Castor, Pollux, Hercule, Télamon, Orphée, Atalante fille de Schoenée et les fils de Thespius. Quelques mythologistes disent que le navire qu'ils montèrent fut nommé Argo du nom de celui qui l'avait construit et qu'Argus s'embarqua aussi afin d'être toujours prêt à raccommoder le vaisseau s'il en avait besoin dans la route. Mais quelques autres prétendent que ce nom n'a été donné à ce vaisseau que pour marquer sa grande vitesse, les anciens Grecs ayant exprimé le mot de prompt par celui d'argos. Cependant les Argonautes s'étant assemblés choisirent Hercule pour leur chef, croyant devoir cette déférence à son grand courage. Ils partirent enfin du port d'Iolcos et ils avaient déjà passé le mont Athos et la Samothrace, lorsque la tempête les ayant surpris les jeta contre un promontoire de la Troade appelé Sigée. Là ils firent une descente et l'on dit qu'ils trouvèrent sur le rivage de la mer, une fille qui y était liée, pour la raison que je vais dire.
Hercule accompagnant les Argonautes délivre Hésione fille de Laomédon exposée à un monstre marin.
NEPTUNE, irrité contre Laomédon au sujet de la construction des murs de Troie si célèbre dans les fables, envoya un monstre marin qui emportait tout d'un coup les habitants du rivage et même les laboureurs des campagnes les plus voisines. La peste attaqua le peuple et les arbres mêmes périrent. Toute la nation s'étant assemblée pour chercher un remède à tant de maux, le roi fit une députation au dieu Apollon pour le consulter. L'oracle répondit que la cause de ces fléaux était la colère de Neptune, qui ne finirait que lorsque les Troyens auraient exposé au monstre celui de leurs enfants que le sort aurait marqué. Les noms de tous ayant été écrits, on tira celui d'Hésione, fille de Laomédon. Il fut obligé de livrer sa fille qui venait d'être enchaînée sur le bord de la mer, lorsqu'Hercule descendit à terre avec les autres Argonautes. Dès que cette jeune princesse lui eut appris elle‑même son infortune, il rompit les chaînes qui la tenaient attachée et entrant aussitôt dans la ville, il promit au roi de tuer le monstre. Le roi charmé de cette offre généreuse lui promit de son côté pour sa récompense ses chevaux invincibles. Hercule ayant achevé cet exploit, on donna à Hésione la liberté de suivre son libérateur ou de demeurer dans sa famille et dans sa patrie. Hésione qui préférait son bienfaiteur à ses parents et qui craignait d'ailleurs que ses citoyens ne l'exposassent une seconde fois si le monstre venait à reparaître, consentit de suivre les étrangers. Mais Hercule après avoir reçu bien des honneurs et bien des présents, laissa en garde à Laomédon Hésione et les chevaux qu'il lui avait promis à condition qu'il les lui rendrait à son retour de Colchide, son premier objet qu'il ne voulait pas abandonner. S'étant donc remis en mer avec les autres Argonautes, ils furent bientôt surpris par une seconde tempête plus fâcheuse que la première de sorte que chacun d'eux désespérant de son salut, on dit qu'Orphée, le seul des Argonautes qui fût initié aux sacrés mystères, fit des voeux aux dieux Samothraces et qu'aussitôt les vents s'apaisèrent. On ajoute même que deux étoiles tombèrent alors sur la tête de Castor et de Pollux au grand étonnement de tout le monde, ce qu'ils prirent pour une preuve certaine que les dieux allaient écarter le péril. De là vient que quand les mariniers sont battus de la tempête ils ont coutume de faire des voeux aux dieux Samothraces et d'attribuer à la présence de Castor et de Pollux les étoiles qu'ils voient reparaître.
Les Argonautes vengent les enfants de Phinée, roi de Thrace, de l'injustice de leur père.
APRÈS que l'orage fut passé les Argonautes descendirent dans une province de la Thrace dont Phinée était roi. Là, ils trouvèrent deux jeunes hommes chassés de leur ville et marqués encore des coups de fouet qu'il avaient reçus. Ils étaient fils de Phinée et de Cléopâtre, qu'on disait être fille de Borée et d'Orithye. L'audace et les calomnies d'une marâtre les avait fait maltraiter ainsi par leur père: car Phinée ayant épousé Idée, fille de Dardanus roi des Scythes, en était si éperdument amoureux qu'il lui avait laissé prendre un plein pouvoir sur son esprit. Elle lui persuada que ses enfants, pour faire plaisir à leur mère encore vivante, avaient voulu lui faire insulte et la violer. Dès qu'Hercule et ceux qui l'accompagnaient furent arrivés sur cette côte, on dit que ces jeunes gens les invoquèrent comme des dieux et que leur ayant appris la raison pour laquelle leur père les avait si cruellement traités, ils les prièrent de les délivrer de leur misère. Mais Phinée étant accouru au‑devant de ces étrangers leur dit avec aigreur qu'ils ne se mêlassent point de ses affaires et qu'il n'y avait aucun père qui punît un fils d'une manière si rigoureuse, si la grandeur de ses forfaits n'avait étouffé en lui l'amitié naturelle que les pères ont pour leurs enfants. Cependant, les Boréades, frères de Cléopâtre, qui se trouvaient parmi les Argonautes s'armèrent pour secourir ces jeunes gens qui étaient leurs parents. Ayant d'abord brisé les chaînes dont ils étaient liés, ils tuèrent tous les barbares qui avaient voulu s'opposer à cette délivrance. Phinée accourant à ce tumulte se mit en devoir de combattre les Argonautes et un grand nombre de Thraces se joignirent à lui. Mais Hercule qui les surpassait tous en courage, tua le roi lui‑même et plusieurs de ceux qui l'accompagnaient. S'étant ensuite rendu maître du palais, il fit sortir Cléopâtre de prison et rendit aux enfants de Phinée le royaume de leur père. Comme ils voulaient condamner leur marâtre à une mort honteuse, Hercule leur persuada de n'en rien faire et de la renvoyer seulement dans la Scythie, chez son père, en le priant de les venger des injures qu'ils avaient reçues d'elle. Les enfants de Cléopâtre ayant exécuté le conseil que leur avait donné Hercule, le Scythe condamna la fille à mourir. Pour eux, ils s'acquirent chez les Thraces la réputation d'être doux et équitables. Je n'ignore pas que quelques mythologistes ont prétendu que Phinée ayant fait crever les yeux à ses enfants, avait reçu de Borée un traitement semblable. Quelques autres ont dit aussi qu'Hercule étant descendu à terre pour chercher de l'eau, avait été laissé dans l'Asie par les Argonautes. Car l'ancienne mythologie n'est point constante ; au contraire, on y trouve très souvent des contradictions. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner si dans les faits que nous rapporterons nous ne nous accordons pas avec tous les poètes, ou avec tous les historiens. Quoiqu'il en soit, les Phinéides partirent avec les Argonautes après avoir confié le gouvernement de leur royaume à Cléopâtre, leur mère. Les Argonautes étant sortis de la Thrace pour prendre la route du Pont mirent pied à terre dans la Tauride, ne connaissant pas la férocité des barbares qui l'habitaient. C'était une coutume établie parmi eux de sacrifier à Diane Taurique tous les étrangers qui abordaient sur leur rivage. On dit que dans la suite, Iphigénie ayant été établie prêtresse de cette déesse, lui sacrifiait tous les passants qu'on pouvait prendre. Notre sujet demande que nous rapportions ici la raison pour laquelle ces peuples avaient établi chez eux cette coutume, parce que cette digression sert beaucoup à l'histoire des Argonautes.
Digression sur la Colchide patrie de Médée.
LE SOLEIL, dit‑on, eut deux fils, l'un appelé Aeétès et l'autre Persès, qui se rendirent tous deux célèbres par leurs cruautés. Aeétès fut roi de la Colchide: Persès eut une fille appellée Hécate encore plus cruelle que lui. Elle aimait fort la chasse et lorsqu'elle n'avait rien trouvé, elle s'amusait à tuer des hommes comme des bêtes. Elle se rendit fort savante dans la composition des poisons et ce fut elle qui trouva l'aconit. Elle éprouvait la force de chacun d'eux en le mettant dans les viandes quelle donnait aux étrangers. Ayant acquis une grande expérience dans cet art funeste, elle empoisonna d'abord son père et s'empara du royaume. Ensuite, elle fit construire un temple en l'honneur de Diane et elle ordonna qu'on sacrifierait à cette déesse tous les étrangers qui y aborderaient. Aeétès, qui l'épousa, en eut deux filles, Circé et Medée, et un fils, appelé Aegialée. Circé s'étant adonnée à l'étude des poisons découvrit la différente nature des herbes et leurs propriétés merveilleuses. Il est vrai qu'Hécate, sa mère, lui avait appris beaucoup de secrets pour ces compositions, mais il est vrai aussi qu'elle fit de plus grandes découvertes par la force de son génie de telle sorte qu'elle ne le cédait à aucun autre dans cette science. Cependant ayant été donnée en mariage au roi des Scythes ou Sarmates, elle l'empoisonna aussitôt et se saisit de sa couronne: mais comme elle traitait ses sujets avec violence et inhumanité, ils se soulevèrent contre elle. Ce revers l'obligea, selon quelques historiens, de venir du côté de l'océan, où elle s'établit dans une île déserte, avec quelques femmes qui l'avaient accompagnée. Mais selon d'autres, elle s'arrêta sur un promontoire de l'Italie, auquel elle donna son nom, qu'il porte encore aujourd'hui. On raconte de Médée que sa mère et sa sœur lui apprirent la vertu de tous les poisons, mais qu'elle n'en fit aucun usage: qu'au contraire elle ne s'occupait qu'à sauver la vie aux étrangers qui abordaient sur cette côte tantôt en demandant instamment à son père la grâce de ceux qu'il allait faire mourir, tantôt en faisant sortir de prison ces malheureux et pourvoyant à leur sûreté. Car Aeétès incité tant par son naturel féroce que par les persuasions de sa femme avait approuvé la coutume de tuer les étrangers. Médée résistant donc toujours aux volontés de son père et de sa mère, Aeétès soupçonna sa fille de lui dresser des embûches et la fit garder à vue.
Mais ayant trouvé le moyen de s'échapper, elle se réfugia dans le temple du Soleil qui était situé auprès du rivage. Ce fut justement dans ce temps‑là que les Argonautes, sauvés des dangers de la Tauride, abordèrent dans la Colchide, tout auprès de l'endroit où était bâti le temple du Soleil. Là, ils trouvèrent Médée errante et ils apprirent d'elle que c'était la coutume dans la Colchide de faire mourir les étrangers. Charmés de sa douceur et en reconnaissance de son avis, ils lui découvrirent leur dessein. Alors elle leur raconta les persécutions qu'elle essuyait de la part de son père, à cause de sa bienveillance à l'égard des étrangers. Elle ajouta qu'entrant dans les intérêts des Argonautes devenus communs avec les siens, elle les aiderait dans tout le cours de leur entreprise. Jason, de son côté, jura qu'il l'épouserait et qu'il passerait avec elle le reste de sa vie. Cependant, les Argonautes laissant dans leur vaisseau quelques‑uns d'eux pour le garder, s'en allèrent de nuit avec Médée pour enlever la Toison d'or. Mais il est à propos d'exposer ici l'origine de cette Toison, afin de ne rien omettre de ce qui concerne cette histoire.
XII. Histoire de la Toison d'or.
ON DIT que Phrixus, fils d'Athamas, fut obligé de fuir hors de la Grèce avec sa soeur Hellé pour éviter les embûches de leur marâtre. Se croyant guidés par une providence particulière des dieux, ils passèrent d'Europe en Asie, sur un bélier à toison dorée. Cependant Hellé tomba dans la mer qui pour cette raison même s'appelle aujourd'hui l'Hellespont. Pour Phrixus, ayant heureusement achevé sa course, il aborda enfin dans la Colchide. Là, il sacrifia son bélier pour obéir à un oracle et il appendit sa dépouille dans le temple de Mars. En ce temps, il fut prédit qu'Aeétès, roi de la Colchide, finirait ses jours lorsque des étrangers arrivés par mer dans son pays lui enlèveraient la Toison d'or. Cette prédiction, jointe à la cruauté naturelle de ce roi, fut cause qu'il ordonna qu'on tuerait tous les étrangers afin que la renommée publiant par toute la terre cette loi de la Colchide, personne n'osât y venir. De plus, il fit environner de murailles le temple de Mars et y mit une garnison de soldats tauriens: c'est ce qui a donné lieu aux fables monstrueuses des Grecs qui disent que ce temple était gardé par des taureaux qui soufflaient le feu et qu'un dragon veillait à la sûreté de la Toison d'or: car c'est ainsi que la fable bâtit sur des noms ou sur des faits vrais des merveilles incroyables. On interprète de même la fable de Phrixus et d'Hellé en disant que Phrixus s'embarqua sur un vaisseau dont la proue portait la tête d'un bélier et qu'Hellé incommodée des nausées qu'excite la mer s'avança sur le bord du vaisseau et se laissa malheureusement tomber. Quelques auteurs racontent qu'un roi des Scythes, gendre d'Aeétés, se trouvant en Colchide lorsque Phrixus venait d'y être jeté avec son gouverneur, demanda ce jeune homme au roi Aeétés, qui le lui céda, et que dans la suite, le chérissant comme son propre fils, il lui laissa le royaume de Scythie. Mais que le gouverneur qui portait le nom de Bélier fut sacrifié suivant la coutume du lieu, et qu'Aeétés ayant fait dorer sa peau la fit appendre dans un temple conformément à la loi. Après quoi, ayant appris par un oracle que sa vie était attachée à la conservation de cette peau, il la donna en garde à des soldats comme un trésor précieux. Nous laissons au lecteur la liberté de choisir de ces deux opinions celle qui lui plaira le plus. Médée conduisit les Argonautes dans le temple de Mars. Ce temple était éloigné de soixante‑dix stades de la ville de Sibaris où était le palais des rois. Quand elle fut arrivée aux portes du temple qu'on tenait fermées pendant la nuit, elle parla en langue taurique à ceux qui les gardaient. Ces soldats l'ayant reconnue pour être la fille du roi lui ouvrirent volontiers les portes. Mais les Argonautes s'étant jetés aussitôt dedans l'épée à la main tuèrent plusieurs de ces barbares et ayant rempli les autres d'effroi, ils les chassèrent du temple. Ils se saisirent ensuite de la Toison et ils l'emportèrent à la hâte dans leur vaisseau. De son côté, Médée fit mourir par le poison le dragon qui veillait, dit‑on, sans cesse autour de la Toison d'or et qui l'entourait même par les replis de son corps. Elle monta ensuite dans le vaisseau avec Jason. Cependant, les Tauriens qui s étaient sauvés par la fuite ayant appris à Aeétès ce qui s'était passé, on dit que ce prince se mit aussitôt à la tête de ses soldats et poursuivit les Grecs, qu'il rencontra près de la mer. Á la première attaque, il tua un des Argonautes appelé Iphitus, frère de cet Eurysthée qui avait ordonné les travaux d'Hercule. Sa troupe grossissait à chaque moment et pressait très vivement les Grecs. Ceux‑ci néanmoins se reconnurent bientôt, et Méléagre en particulier mit par terre un grand nombre des ennemis ; le roi même périt dans ce tumulte et tout le reste qui s'enfuyait fut atteint et massacré. Jason, Laërte et les Thespiades furent blessés dans ce combat, mais on dit que Médée les guérit en peu de jours par la vertu des herbes et des racines qu'elle savait employer.
XIII. Suite de l'histoire des Argonautes.
LES ARGONAUTES après avoir embarqué dans leur vaisseau de nouvelles munitions de bouche prirent le large. Ils étaient au milieu de la mer du Pont lorsqu'ils furent surpris d'une tempête qui leur fit courir un grand danger. Mais Orphée ayant fait comme la première fois des voeux aux dieux Samothraces, les vents s'apaisèrent et on vit paraître autour du vaisseau Glaucus surnommé le Marin. Ce dieu les accompagna continuellement pendant deux jours et deux nuits. Il annonça à Hercule la fin de ses travaux et sa divinité prochaine. Il prédit aussi aux Tyndarides qu'ils seraient nommés Dioscures et que les hommes leur déféreraient les honneurs divins. Il appela ensuite chacun des Argonautes par leur nom propre ; il leur dit que c'était par l'ordre des dieux et par l'intercession d'Orphée qu'il leur apparaissait et qu'il leur découvrait l'avenir. Il ajouta que, dès qu'ils auraient pris terre, ils devaient s'acquitter des voeux qu'ils avaient faits aux dieux qui venaient de les sauver des flots. Dès que Glaucus eut achevé de parler il se replongea dans la mer. Les Argonautes arrivèrent bientôt au détroit de la mer du Pont et ils abordèrent dans un pays dont Byzas était alors roi. C'est de ce prince que la ville de Byzance a pris son nom. Là, les Argonautes ayant élevé des autels accomplirent leurs voeux et consacrèrent aux dieux un terrain qui est encore à présent révéré par tous les navigateurs. De ce lieu‑là ils vinrent dans la Troade après avoir traversé l'Hellespont et la Propontide. Aussitôt Hercule envoya à la ville Iphiclès, son frère, et Télamon pour demander Hésione et les chevaux. Mais Laomédon les fit mettre en prison et dressa des embûches à tous les autres Argonautes dans le dessein de les faire périr. Tous ses enfants étaient là-dessus d'accord avec lui. Il n'y eut que le seul Priam qui voulut qu'on tînt la parole qu'on avait donnée à ces étrangers, et qu'on leur livrât sa soeur et les chevaux qu'ils demandaient. Mais voyant qu'on ne l'écoutait pas, il porta dans la prison deux épées et les donna à Télamon et à Iphiclès. Il crut devoir leur découvrir l'intention de son père, ce qui fut la cause de leur salut: car ayant tué les geôliers, ils s'enfuirent vers la mer où ils apprirent à leurs compagnons ce qui leur était arrivé. Ceux‑ci se tinrent prêts au combat et ils allèrent même au‑devant d'une troupe de Troyens armés qui accompagnait le roi. Le combat fut sanglant. Tous les Argonautes s'y signalèrent. Mais on dit qu'Hercule donna l'exemple d'une valeur encore plus grande, et ce fut lui qui tua Laomédon. Ayant ensuite pris la ville d'emblée, il punit tous ceux qui avaient applaudi à l'infidélité du roi et il donna le royaume de Troie à Priam pour prix de son équité. Il lia amitié avec ce prince et il partit ensuite avec les autres Argonautes. Quelques anciens poètes prétendent néanmoins que ce ne fut point par les Argonautes que Troie fut prise, mais qu'Hercule y étant venu dans un autre temps avec six vaisseaux s'en rendit maître lui seul. Homère a suivi cette opinion dans les vers que nous avons allégués plus haut. Les Argonautes étant partis de la Troade descendirent dans l'île de Samothrace. Là, ils accomplirent leurs voeux et ils consacrèrent dans le temple, des fioles qui s'y voient encore à présent. On ignorait leur retour lorsque le bruit se répandit en Thessalie que Jason et ses compagnons avaient péri dans des lieux voisins du royaume de Pont. Pélias crut que c'était alors le temps de se défaire de tous ceux qui pouvaient prétendre à sa couronne. Il obligea donc le père de Jason de boire du sang de taureau et il égorgea lui‑même Promachus, frère de Jason, qui n'était encore qu'un enfant. On dit qu'Amphinome, mère de ce héros, se voyant aussi condamnée, fit une action courageuse et digne d'être rapportée dans l'histoire. Car s'étant réfugiée auprès du foyer du roi et ayant prié les dieux de punir les impiétés de ce prince, elle se perça le coeur avec une épée et finit ainsi ses jours d'une manière héroïque. Au reste Pélias ayant fait mourir tous les parents de Jason fut bientôt puni par Jason même, car ce héros étant arrivé de nuit dans la Thessalie se retira dans un port assez éloigné de la ville d'Iolcos pour n'être point aperçu des habitants. Là il apprit par un inconnu tout le détail des malheurs de sa famille: chacun des Argonautes était prêt de donner du secours à Jason et de partager avec lui les périls de son entreprise, lorsqu'il s'éleva une contestation entre eux. Les uns voulaient que les Argonautes fissent alors tous leurs efforts pour entrer dans la ville et pour surprendre le roi. Les autres, au contraire, étaient d'avis que chacun d'eux allât lever des soldats dans son pays et qu'ensuite ils revinssent tous ensemble faire la guerre à Pélias. Ceux‑ci alléguaient, pour raison de leur avis, que c'était une chose impossible à cinquante-trois hommes de vaincre un roi qui avait une puissante armée et de très fortes places.
XIV. Prestiges de Médée en faveur des Argonautes contre Pélias.
PENDANT qu'ils hésitaient ainsi sur le parti qu'ils avaient à prendre, Médée leur offrit de faire mourir le roi par adresse et de leur livrer ensuite le palais sans qu'ils fussent obligés de s'exposer à aucun danger. Lorsqu'étonnés de sa proposition ils voulurent savoir son dessein, elle leur dit qu'elle avait sur elle plusieurs poisons inventés par Hécate, sa mère, ou par Circé, sa soeur, dont les effets étaient infaillibles ; qu'elle ne s'en était jamais servie pour faire périr les innocents, mais qu'elle allait à présent les employer avec justice pour se venger de Pélias. Elle leur enseigna ensuite la manière dont ils devaient venir attaquer le roi et elle convint que le signal pendant le jour serait de la fumée et pendant la nuit du feu qu'elle placerait au haut du palais afin que ceux des Argonautes qui seraient en sentinelle près de la mer fussent avertis dans un instant. Elle prépara donc une statue creuse de Diane dans laquelle elle cacha toute sorte de poissons. S'étant frottée les cheveux avec de certaines drogues, elle les fit paraître blancs et elle se rendit le visage et tout le corps si ridés que ceux, qui la voyaient l'auraient véritablement prise pour une vieille. Enfin elle entra dans la ville à la pointe du jour, portant avec elle cette statue de Diane qu'elle avoir habillée d'une manière propre à inspirer de la terreur. Aussitôt, paraissant saisie d'une espèce d'enthousiasme, elle éleva la voix et dit au peuple qui la suivait en foule dans les rues, qu'ils eussent à recevoir dévotement la déesse qui venait exprès des contrées hyperboréennes pour leur salut et pour celui du roi. Ensuite, pendant que tout le peuple saisi à son exemple d'une fureur fanatique, adorait la déesse et lui faisait des sacrifices, Médée s'étant introduite jusque dans le palais fit tant par ses prestiges que Pélias et ses filles éprises de la même fureur crurent effectivement que la déesse était arrivée dans leur ville pour faire le bonheur de leur maison. Médée leur dit que Diane ayant parcouru différents pays de la terre sur un char tiré par des dragons volants, avait choisi le plus pieux de tous les rois pour établir sa demeure dans son palais et pour y être honorée d'un culte éternel. Elle ajouta qu'elle avait reçu ordre de la déesse d'ôter la vieillesse à Pélias par la force de ses remèdes ; qu'ainsi, elle allait lui renouveler tout le corps et lui procurer une vie aussi heureuse que longue. Ce discours ayant extrêmement surpris le roi, Médée lui annonça qu'elle en allait faire l'expérience sur elle‑même pourvu qu'une de ses filles lui allât chercher de l'eau claire et pure. Cet ordre ayant été exécuté, elle se retira dans une chambre à part. Là, s'étant lavé tout le corps, elle détruisit entièrement l'effet des drogues dont elle s'était frottée. Ayant donc recouvré son premier état et s'étant venu montrer au roi, elle frappa d'admiration et d'étonnement tous ceux qui la virent et personne ne douta que ce ne fût par un miracle visible que, malgré l'âge qu'elle avait paru avoir, elle eût re pris ainsi toute la fleur et tout le brillant de la jeunesse. Ensuite, elle fit paraître en l'air par la vertu de ses compositions, des figures de dragons qui avaient apporté, disait‑elle, la déesse des pays hyperboréens jusque chez le roi Pélias. Toutes les actions de Médée paraissant ainsi fort au-dessus des forces humaines, Pelias lui rendit de grands honneurs et ajouta foi à tous ses discours. On raconte même que s'étant trouvé seul avec ses filles, il leur commanda d'aider à Médée et de faire tout ce qu'elle ordonnerait à son égard ; puisque d'ailleurs il était juste qu'il reçût les bienfaits des dieux par le ministère de ses filles plutôt que par celui de ses esclaves. Sur cette exhortation, ses filles se tinrent prêtes à exécuter les ordres de Médée. La nuit venue, et Pélias s'étant endormi, Médée leur dit qu'il fallait faire bouillir son corps dans un chaudron. Quoique les filles de Pélias se disposassent déjà à le faire, Médée voulut néanmoins confirmer leur crédulité par une seconde expérience. Il y avait dans la maison un vieux bélier: elle leur dit qu'après qu'elle l'aurait fait cuire il deviendrait un jeune agneau. Ces filles ayant consenti à cette épreuve, Médée coupa le bélier par morceaux et le fit cuire. Leur ayant ensuite fasciné le yeux par d'autres secrets, elle tira du chaudron la figure trompeuse d'un agneau. Ce prodige les remplit d'étonnement et elles n'hésitèrent plus de se fier à la promesse qu'on leur avait faite. S'étant donc saisies de Pélias, elles le firent mourir par les coups qu'elles lui donnèrent toutes en même temps. Il n'y eut que la seule Alcestis que sa grande piété envers son père empêcha de prendre part à une si funeste tentative. Cependant, Médée différa de couper et de faire bouillir le corps, sous prétexte qu'il fallait auparavant invoquer la Lune. Aussitôt, elle fait monter les filles de Pélias avec des flambeaux sur le plus haut toit du palais et elle se mit à réciter en langue colchique une longue prière pour donner aux Argonautes le temps de venir exécuter leur entreprise. Ceux‑ci qui étaient en sentinelle ayant aperçu du feu comprirent que le roi était mort et coururent tous ensemble vers la ville. Ils franchirent aussitôt les murs du palais l'épée à la main et ils tuèrent la garde qui voulait leur résister. Les filles de Pélias étaient à peine descendues du toit pour faire cuire le corps de leur père qu'elles aperçurent dans le palais Jason et les autres Argonautes. Elles furent consternées de ne pouvoir ni se venger de Médée ni réparer le crime que ses tromperies leur avait fait commettre. Elles étaient prêtes à s'ôter la vie, mais Jason ayant pitié de leur état les en empêcha et leur dit pour les consoler qu'elles ne devaient point s'imputer un crime involontaire où la fraude d'une ennemie les avait jetées. Ayant fait assembler ensuite tous les habitants, il se justifia sur tout ce qui était arrivé et il fit voir que de la manière dont il se vengeait de ceux qui lui avaient fait tort, la punition était encore moindre que l'offense. Après cela, il donna à Acaste, fils de Pélias, le royaume de son père, il jugea qu'il n'était point indigne de lui d'avoir soin des filles du roi et pour exécuter les promesses qu'il leur avait faites, il les maria toutes à des personnes illustres. Alcestis fut donnée à Admète, Thessalien, fils de Phérès, Amphinome à Andrémon, frère de Léontée et Évadné à Canès? fils de Céphalé et alors roi des Phocéens. Mais tout cela ne se fit que dans la suite. Pour lors il revint dans le Péloponnèse avec les autres Argonautes. Là, il offrit des sacrifices au dieu Neptune et il lui consacra le navire Argo. S'étant bientôt acquis l'amitié de Créon, roi des Corinthiens, il demeura le reste de sa vie dans Corinthe où il jouissait des mêmes privilèges que les citoyens.
XV. Institution des jeux olympiques par Hercule, lorsqu'il était à la tête des Argonautes.
AU RESTE chacun des Argonautes, voulant s'en retourner dans son pays, Hercule fut d'avis qu'ils s'obligeassent tous par serment de secourir ceux d'entre eux que les accidents de la fortune obligeraient d'implorer le se cours des autres. Il ajouta qu'il serait bon de choisir le plus bel endroit de la Grèce pour y établir des jeux et pour y assembler tous les Grecs ; qu'il fallait consacrer ces jeux à Jupiter Olympien. Les Argonautes consentirent au serment et aux jeux proposés par Hercule et ayant choisi le lieu de l'assemblée dans le pays des Éliens, près du fleuve Alphée, ils le consacrèrent au plus grand des dieux et l'appelèrent Olympie de son nom. Hercule institua des combats gymniques et des courses de chevaux, il régla tout ce qui les concernait et il envoya des Théores dans toute la Grèce pour inviter tous les peuples à ces spectacles. La réputation qu'il s'était acquise parmi les Argonautes fut encore augmentée par l'institution des jeux Olympiques, de telle sorte qu'il devint le plus fameux de tous les Grecs. Son nom s'étant même répandu dans plusieurs villes étrangères, la plupart de leurs habitants recherchèrent son amitié avec empressement et étaient toujours prêts à le suivre à travers les plus grands dangers. Ainsi, comme son courage et son expérience dans l'art militaire le faisaient admirer partout, il leva bientôt une puissante armée avec laquelle il parcourut la terre entière dans le dessein de faire du bien à tous les hommes qui par reconnaissance lui attribuèrent l'immortalité. Les poètes qui ne se plaisent qu'à raconter des choses prodigieuses, ont écrit qu'Hercule avait exécuté seul et sans armes les combats que nous venons de raconter. Mais nous avons déjà rapporté tout ce que les mythologistes ont dit d'Hercule. Il nous reste à achever l'histoire de Jason.
XVI. Suite de l'histoire de Jason et de Médée.
CE HÉROS, pendant les dix ans qu'il demeura à Corinthe avec Médée, eut trois enfants d'elle: les deux aînés étaient jumeaux et s'appelaient Thessalus et Alcimenès. Le troisième, nommé Tisandre, était leur cadet de plusieurs années. Pendant ce long espace de temps, Médée fut toujours aimée de son mari tant à cause de sa grande beauté qu'à cause de sa sagesse et de ses autres vertus. Mais enfin, sa beauté ayant été effacée par les années, Jason devint amoureux de Glaucé, fille de Créon, et la demanda en mariage. Créon ayant consenti à sa demande et ayant même fixé le jour des noces, Jason proposa d'abord à sa femme une réparation volontaire. Il lui dit que ce n'était point par répugnance pour elle qu'il voulait épouser la fille du roi, mais que c'était pour faire entrer leurs enfants dans la famille royale. Médée, indignée de cette proposition, prit les dieux à témoin des serments qu'il lui avait faits ; mais Jason méprisant ses plaintes épousa la fille de Créon. Ce roi exila aussitôt Médée et ne lui donna qu'un seul jour pour préparer son équipage. Cependant Médée s'étant changé le visage par les secrets qui lui étaient connus, entra de nuit dans le palais et y mit le feu en se servant d'une racine qui avait été trouvée par Circé et dont la propriété était de ne s'éteindre que très difficilement lorsqu'elle était une fois allumée. Tout le palais étant embrasé, Jason eut le temps de s'échapper mais Glaucé et Créon furent consumés par les flammes. Il y a des historiens qui disent que les enfants de Médée portèrent à la nouvelle mariée des présents frottés avec de certaines drogues ; que Glaucé les ayant reçus et mis sur elle sentit aussitôt des douleurs violentes et que Créon venant à son secours eut à peine touché le corps de sa fille, qu'il mourut avec elle. Médée ayant réussi dans cette première vengeance n'abandonna pas celle qu'elle voulait prendre de Jason. Elle était parvenue à un tel excès de colère, de jalousie et même de cruauté, qu'elle voulut lui faire sentir qu'il ne s'était sauvé du danger où avait péri sa nouvelle épouse, que pour souffrir un nouveau supplice dans la mort des enfants qu'elle même avait eus de lui. En effet, elle les tua tous à l'exception d'un seul qui s'enfuit et elle enterra leurs corps dans le temple de Junon. Enfin, étant sortie de Corinthe au milieu de la nuit avec ses plus fidèles suivantes, elle fut se réfugier chez Hercule. Il lui avait promis dans le temps qu'il ménageait à Colchos une alliance entre elle et Jason, de la secourir si Jason lui manquait de foi. Cependant, tout le monde jugeait que Jason, privé de sa femme et de ses enfants, s'était attiré son infortune: c'est pourquoi accablé de la grandeur de ses maux, il se tua lui‑même. Les Corinthiens, consternés de tout ce qui venait d'arriver, étaient surtout très embarrassés au sujet de la sépulture des enfants de Jason. Ils envoyèrent des députés à Python pour demander au dieu ce qu'il fallait faire des corps de ces enfants. Mais la Pythie répondit qu'on les enterrât dans le temple de Junon et qu'on leur rendît les honneurs héroïques. Les Corinthiens exécutèrent les ordres de l'oracle. Sur ces entrefaites, Thessalus, qui avait évité la mort que lui préparait Médée, sa mère, étant revenu à Corinthe où il fut élevé alla ensuite à Iolcos patrie de Jason. Là, ayant trouvé qu'Acaste fils de Pélias était mort, il se saisit du royaume qui lui appartenait par droit de parenté. Il donna ensuite son nom à ses sujets et les appela Thessaliens. Je n'ignore pas toutefois qu'on raconte plusieurs autres origines du nom des Thessaliens, qui sont toutes fort différentes entre elles, et même notre dessein est de les rapporter chacune en son temps. Au reste, Médée arrivée à Thèbes trouva qu'Hercule était devenu furieux et qu'il avait tué ses enfants. Elle le guérit par ses remèdes, mais comme Eurysthée le pressait alors d'exécuter ses travaux, Médée voyant qu'elle ne devait point attendre de secours de lui pour le présent, se retira à Athènes chez Égée, fils de Pandion. Ce fut‑là qu'Égée l'épousa et en eut un fils appelé Médus qui dans la suite fut roi des Mèdes. Selon d'autres historiens, Hippotus, fils de Créon, ayant appelé Médée en justice, elle fut déclarée innocente. Mais après que Thésée fut revenu de Trézène à Athènes, Médée voyant qu'on la regardait toujours comme une empoisonneuse, s'enfuit de cette ville avec les gens qu'Égée lui avait donnés pour l'accompagner partout où elle voudrait aller et elle choisit la Phénicie pour sa retraite. Ensuite, étant passée dans l'Asie supérieure, elle épousa un des plus grands rois de ce pays‑là, et elle en eut un fils appelé Médus qui s'étant rendu recommandable par son courage, devint roi après la mort de son père et donna à ses sujets le nom de Mèdes. Au reste, on peut dire en général que les monstrueuses fictions des poètes tragiques font que l'histoire de Médée est si dissemblable à elle‑même. Car quelques‑uns, voulant gratifier les Athéniens, ont écrit que Médée prenant avec elle Médus qu'ils font fils d'Egée était allée à Colchos ; que dans ce temps‑là, Aeétès avait été chassé de son royaume par son frère Persès, mais que Médus, fils de Médée, ayant tué Persès rétablit Aeétès sur son trône: que Médus leva ensuite une armée avec laquelle il parcourut les pays de l'Asie qui sont au‑delà du Pont et se rendit maître d'une contrée à laquelle il donna le nom de Médie. Il serait trop long et fort inutile de rapporter ici tout ce que les mythologistes ont dit de Médée. C'est pourquoi nous allons achever ce qui nous reste de l'histoire des Argonautes.
XVII. Conclusion de l'histoire des Argonautes.
PLUSIEURS historiens, tant modernes qu'anciens, entre lesquels est Timée, ont prétendu qu'après que les Argonautes eurent enlevé la Toison d'or, ils apprirent qu'Aeétès tenait l'embouchure du Pont fermée par ses vaisseaux. Cet obstacle leur donna lieu de faire une action mémorable. Car remontant jusqu'aux sources du Tanaïs, en traînant leur vaisseau sur terre pendant un assez long chemin, ils se rembarquèrent sur un autre fleuve qui se déchargeait dans l'océan. Laissant toujours la terre à gauche, ils continuèrent leur route du septentrion au couchant et enfin, étant arrivés près de Cadix, ils passèrent de l'océan dans la Méditerranée. Pour preuve de cette navigation, ils rapportent que les Celtes qui habitent le long de l'océan révèrent surtout les Dioscures et que leurs traditions portent que ces dieux vinrent autrefois dans leur pays par l'océan: qu'il y a encore le long de cette mer plusieurs rivages qui retiennent le nom ou des Argonautes ou des Dioscures: qu'on voit particulièrement sur les côtes de Cadix des marques évidentes de leur passage: que les Argonautes traversant la mer de Toscane et ayant abordé dans le plus beau port de l'île Aethalie, l'appelèrent Argos du nom de leur vaisseau et qu'à présent même il retient encore ce nom: que pareillement, ils ont donné celui de Télamon à un port de la Toscane qui n'est éloigné de Rome que de huit cents stades et qu'enfin, à Formies, ville d'Italie, il y a un port qu'ils nommèrent Aeète et qui depuis s'est appelé Caïete. Ils ajoutent que les vents les ayant jetés dans les Syrtes, ils apprirent de Triton, alors roi de l'Afrique, les particularités de cette mer: qu'ayant ainsi évité les périls qui les menaçaient, ils lui firent présent d'un trépied d'airain: qu'on voyait sur ce trépied des caractères anciens et que les Hespérides l'ont gardé jusque dans ces derniers temps. Il ne faut pas oublier de réfuter ici l'opinion de ceux qui disent que les Argonautes ayant remonté l'Ister jusqu'à sa source repassèrent par un autre canal de ce fleuve dans la mer Adriatique. La suite des temps a fait voir que ceux‑là se sont trompés qui ont cru que l'Ister qui se décharge par plusieurs bouches dans le Pont et celui qui se décharge dans la mer Adriatique, avaient leurs sources dans le même endroit. Car les Romains ayant vaincu les Istriens, on a trouvé que les sources de ce dernier fleuve n'étaient éloignées de la mer que de quarante stades au plus. Le même nom commun à ces deux fleuves a été la cause de l'erreur où sont tombés ces historiens. Mais c'est assez parlé d'Hercule et des Argonautes, notre dessein général demande que nous donnions ici l'histoire des enfants d'Hercule.
XVIII. Histoire des Héraclides.
APRÈS que ce héros eut été reçu au nombre des dieux, ses enfants demeurèrent à Trachine chez le roi Ceïx. Cependant Hyllus et quelques autres de ses frères étant devenus grands, Eurysthée craignit qu'ils ne le chassassent du royaume de Mycènes qu'il possédait et il résolut de faire sortir de la Grèce tous les enfants d'Hercule. Il manda donc au roi Ceïx de bannir de son royaume les Héraclides, les enfants de Licymnius, Iolaüs et tous les Arcadiens qui avaient combattu sous Hercule et qu'en cas qu'il ne le voulût pas faire, il lui déclarerait la guerre. Les Héraclides et ceux qui étaient de leur suite, voyant qu'ils n'étaient pas en état de soutenir la guerre contre Eurysthée, s'exilèrent volontairement de Trachine. Ils allèrent successivement dans plusieurs autres grandes villes très puissantes, demandant qu'on voulût bien les agréer pour habitants. Mais aucune d'elles n'ayant osé le faire, les seuls Athéniens guidés par leur équité naturelle les reçurent volontiers. Ils leur assignèrent pour demeure à eux et à toute leur suite Tricorinthe qui est un des quatre quartiers de l'Attique, appelée pour cette raison même Tétrapole. Quelque temps après, les enfants d'Hercule se trouvant forts et nombreux et la gloire de leur père leur enflant déjà le coeur, Eurysthée qui les craignait mena contre eux une puissante armée. Mais les Héraclides secourus par les Athéniens et commandés par Iolaüs neveu d'Hercule, par Thésée et par Hyllus vainquirent Eurysthée en bataille rangée et lui tuèrent un grand nombre de soldats. Eurysthée lui‑même fut tué par Hyllus, fils d'Hercule, son char s'étant rompu sous lui lorsqu'il s'enfuyait et tous ses enfants périrent dans cette bataille. Cet heureux succès ayant attiré dans l'armée des Héraclides un grand nombre de soldats, ils entrèrent dans le Péloponnèse sous la conduite d'Hyllus. Après la mort d'Eurysthée, Atrée s'était saisi du royaume de Mycènes. Celui‑ci ayant pris à sa solde les Tégéates et tous ceux qui s'offrirent à lui, marcha contre les Héraclides. Mais Hyllus, fils d'Hercule, ayant fait passer ses troupes dans l'isthme de Corinthe, défia à un combat particulier un de ses ennemis, quel qu'il fût, à cette condition que s'il était vainqueur, les Héraclides succéderaient au royaume d'Eurysthée, et que s'il était vaincu, ils ne rentreraient dans le Péloponnèse qu'après cinquante ans. Échenus, roi des Tégéates, accepta le défi et tua Hyllus dans ce combat. Les Héraclides donc suivant leur traité s'abstinrent d'entrer dans le Péloponnèse et s'en retournèrent à Tricorinthe. Cependant, au bout de quelque temps, il arriva que Licymnius vint avec ses enfants et avec Tlépolème, fils d'Hercule, demeurer à Argos où les Argiens les avaient reçus volontairement. Mais tous les autres restèrent à Tricorinthe, où, ayant attendu que la cinquantième année fût venue, ils rentrèrent dans le Péloponnèse. Nous rapporterons leurs exploits lorsque nous écrirons l'histoire de ces temps‑là. Sur ces entrefaites, Alcmène étant arrivée à Thèbes et ayant ensuite disparu, les Thébains lui rendirent les honneurs divins. D'un autre côté, quelques Héraclides étant allés chez Aegimius, fils de Dorus, redemandèrent à ce prince la partie de son pays que leur père lui avait laissée en dépôt et ils habitèrent depuis avec les Doriens. On dit au reste que Tlépolème, fils d'Hercule, ayant eu une dispute avec Licymnius, fils d'Electrion, il le tua et qu'étant obligé de sortir d'Argos, à cause de ce meurtre, il vint demeurer à Rhodes, que cette île était alors habitée par les Hellènes qui y avaient été conduits par Triops, fils de Phorbas, que Tlépolème de concert avec eux divisa cette île en trois parties et y bâtit trois villes, savoir Linde, Ialyse et Camire, que la gloire de son père fit que les Rhodiens le reconnurent pour leur roi, et qu'enfin il accompagna Agamemnon au siège de Troie. Après avoir rapporté l'histoire d'Hercule et celle de ses enfants, il est juste de parler de Thésée ; d'autant plus qu'il a été un des plus fidèles imitateurs de ce héros.
XIX. Histoire de Thésée.
THÉSÉE était fils de Neptune et d'Aethra, fille de Pithée. Il avait été élevé à Trézène chez Pithée, son grand père, lorsqu'ayant trouvé les signes de reconnaissance que la fable dit qu'Égée avait laissés sous une pierre, il partit pour Athènes. Pendant qu'il voyageait le long des côtes de la mer, il résolut, dit‑on, de s'acquérir de la gloire, comme Hercule, par des combats et des travaux utiles aux hommes. Il tua d'abord Corynète, ainsi nommé parce qu'il portait une massue qui non seulement lui servait de défense mais avec laquelle il assommait les passants. En second lieu, il fit mourir Sinnis qui demeurait dans l'Isthme: celui‑ci avait coutume de courber deux pins jusqu'à terre et d'attacher à chacun d'eux chaque bras d'un homme ; après quoi, ces arbres abandonnés à eux‑mêmes séparaient en deux parts en se relevant les corps de ces malheureux que ce monstre de cruauté laissait expirer dans les douleurs. En troisième lieu, il tua près de Crommyone un sanglier d'une grandeur et d'une force prodigieuses et qui avait dévoré plusieurs personnes. Il punit ensuite Sciron qui habitait dans le pays de Mégare sur des roches qu'on appelle encore aujourd'hui les Scironides. Ce barbare obligeait tous les passants à lui laver les pieds sur le bord d'un précipice et les poussant ensuite, il les faisait rouler du haut en bas de ce rocher qui porte le nom de Chéloné. Thésée fit ensuite mourir près d'Éleusine Cercyon qui luttait contre tous ceux qu'il rencontrait et qui tuait tous ceux qu'il avait vaincus. Il en fit de même à Procruste qui demeurait à Corydalle, ville de l'Attique. Celui‑ci contraignait les passants de se coucher sur un lit: il coupait à ceux qui étaient trop grands la partie de la jambe qui excédait le lit et tirait de toute sa force les pieds de ceux qui étaient trop petits. C'est pour cette raison qu'on l'appelait Procruste ou extenseur. Enfin, Thésée étant arrivé à Athènes fut reconnu par Égée aux signes qu'il portait. Ayant ensuite attaqué le sanglier de Marathon qu'Hercule dans un de ses travaux avait transporté de l'île de Crète dans le Péloponnèse, il le surmonta dans un combat et l'amena à Athènes: Égée en fit un sacrifice à Apollon. Nous parlerons ici de la victoire qu'il remporta sur le Minotaure mais pour en faire connaître l'occasion, il est nécessaire de rapporter en gros quelques faits particuliers qui ont précédé cette victoire.
Digression sur l'origine des rois de Crète.
TECTAME, fils de Dorus, petit‑fils d'Hellen et arrière‑petit-fils de Deucalion, étant allé par mer dans l'île de Crète avec des Éoliens et des Pélagiens, devint roi de cette île. Ayant épousé la fille de Cretès, il en eut un fils appelé Asterius. Pendant que ce dernier était roi de Crète, on dit que Jupiter enleva Europe du pays de la Phénicie, l'amena dans l'île de Crète, eut commerce avec elle et fut père de trois enfants, Minos, Rhadanante et Sarpédon. Ensuite, Astérius, roi de Crète, épousa Europe, mais comme il n'en avait point d'enfants, il adopta les fils de Jupiter et leur laissa son royaume. Rhadamante donna des lois aux Crétois, mais Minos ayant eu le sceptre pour partage, épousa Itone, fille de Lyctius, et en eut Lycaste. Celui‑ci étant devenu roi épousa Ida, fille de Corybas, et fut père du second Minos. Quelques historiens disent pourtant que ce Minos était fils de Jupiter. Il fut le premier, qui ayant équipé une puissante flotte se rendit maître de la mer. Il épousa Pasiphaé, fille du Soleil et de Crète, et il en eut Deucalion, Astrée, Androgée, Ariane et plusieurs autres enfants. Androgée, fils de Minos, étant allé à Athènes sous le règne d'Égée pour assister aux fêtes panathéniennes, vainquit dans les jeux tous les athlètes. Il s'attira par là l'amitié des fils du prince Pallas. Mais Égée qui avait peur que cette amitié ne portât Minos à donner du secours à ceux‑ci, et qu'ils ne le dépouillassent de son royaume, résolut de faire périr Androgée par trahison. Il prit le temps que ce jeune prince s'en allait à Thèbes et le fit tuer près d'Oenoé, ville d'Attique, par quelques habitants du pays. Minos, ayant appris la mort d'Androgée, alla à Athènes pour demander justice de ce meurtre, Mais n'ayant rien obtenu, il déclara la guerre aux Athéniens et il pria Jupiter de leur envoyer la sécheresse et la famine. Peu de temps après cette imprécation, il arriva une si grande sécheresse dans le pays d'Attique et dans toute la Grèce que tous les fruits manquèrent. Les chefs de chaque ville envoyèrent donc des députés pour demander à Apollon par quel moyen ils pourraient faire cesser leurs maux. L'oracle leur répondit qu'ils allassent chez Éaque, fils de Jupiter et d'Égine, fille d'Asope, et qu'ils le priassent de faire des voeux pour eux. Ils obéirent à l'oracle, et Éaque ayant intercédé auprès des dieux en leur faveur, la sécheresse finit dans la Grèce et ne resta plus que chez les Athéniens. Ces derniers se virent donc dans la nécessité d'aller à l'oracle, qui leur prescrivit de donner à Minos la satisfaction qu'il demandait sur le meurtre d'Androgée. Les Athéniens obéirent à cet ordre. Et Minos exigea d'eux de livrer tous les sept ans sept jeunes garçons et autant de jeunes filles pour être dévorés par le Minotaure, tant que ce monstre serait en vie. Dès la première fois que les Athéniens eurent satisfait à cette condamnation, la sécheresse finit entièrement chez eux, et Minos cessa la guerre qu'il leur faisait.
XX. Continuation de l'histoire de Thésée.
MAIS au bout de sept autres années, Minos vint en armes dans l'Attique pour demander le même tribut de quatorze jeunes personnes qu'il emmena avec lui. Comme Thésée était de leur nombre, son père Égée ordonna au maître pilote de mettre des voiles blanches à son vaisseau, si Thésée venait à bout de vaincre le Minotaure mais que s'il périssait dans son entreprise il laissât les voiles noires dont on se servait pour ce funeste voyage. Cependant, Thésée et ceux qui l'accompagnaient étant arrivés dans l'île de Crète, à son seul aspect, Ariane, fille de Minos, devint amoureuse de lui et ayant trouvé le moyen de parler à Thésée, elle lui offrit son assistance. Ce prince entra sans crainte dans le labyrinthe où était ce monstre sûr d'en sortir par l'adresse d'Ariane. Il tua le Minotaure et se tira de ces détours où tant d'autres s'étaient perdus. Voulant enfin s'en retourner dans sa patrie, il enleva secrètement Ariane et étant parti pendant la nuit, il relâcha dans l'île de Die, à présent l'île de Naxos. Là, on dit que Bacchus épris de la beauté d'Ariane, la ravit à Thésée et que la regardant comme sa femme, il conserva toujours pour elle un amour extrême. De telle sorte même que lorsqu'elle fut morte, il lui fit part des honneurs divins et plaça sa chevelure au rang des astres. Cependant, Thésée et ceux qui étaient avec lui extrêmement fâchés de ce qu'on leur avait enlevé Ariane, oublièrent entièrement les ordres d'Égée et arrivèrent dans l'Attique avec des voiles noires. Égée ayant vu le vaisseau de loin et croyant son fils mort, finit ses jours d'une manière bien malheureuse mais en même temps très héroïque. Car la douleur lui faisant mépriser la vie, il monta au haut de la citadelle d'où il se précipita. Thésée parvenu au trône après la mort d'Égée gouverna ses peuples avec justice et il travailla à l'agrandissement d'Athènes. Ce qu'il y eut de plus remarquable fut qu'il transporta à Athènes toutes les tribus qui habitaient dans l'Attique. Elles étaient fort nombreuses, mais toutes assez pauvres. Depuis ce temps‑là, les Athéniens encouragés par le nombre de leurs citoyens, ont affecté de se rendre maîtres de toute la Grèce. Mais revenons à Thésée. Deucalion, l'aîné des enfants de Minos, étant devenu roi de Crète, fit alliance avec les Athéniens et donna en mariage à Thésée Phèdre, sa soeur. Thésée avait déjà eu d'une Amazone un fils nommé Hippolyte qu'il avait envoyé à Trézène et qu'il avait donné à nourrir à sa soeur Aethra. Il eut ensuite deux enfants de Phèdre, Acamante et Démophon. Peu de temps après, Hippolyte étant venu à Athènes pour les mystères, Phèdre devint amoureuse de lui. Elle éleva même, quand il s'en retourna, un temple à Vénus à côté de la citadelle d'où elle pouvait découvrir Trézène. Enfin, étant partie avec Thésée pour aller voir Pithée elle sollicita Hippolyte de satisfaire sa passion. Mais ayant été refusée, elle en conçut un si violent chagrin, qu'étant revenue à Athènes, elle dit à Thésée qu'Hippolyte avait entrepris de la violer. Thésée, doutant de la vérité de cette accusation, manda à Hippolyte de se venir justifier d'un crime donc on l'accusait. Alors, Phèdre craignant que la vérité ne se découvrît, se pendit elle‑même. Cependant, Hippolyte monté sur un char apprit en chemin cette calomnie. Il en eut l'esprit si troublé et il jeta un si grand cri que ses chevaux en furent effarouchés. Son char fut rompu et lui‑même s'étant embarrassé dans les rênes, fut traîné et tué malheureusement par ses chevaux. Mais comme il avait toujours été irréprochable dans sa conduite, les Trézéniens lui rendirent les honneurs divins. Peu de temps, après Thésée mourut en exil ayant été chassé de sa patrie par les Athéniens qui s'étaient soulevés contre lui. Mais ces peuples s'en étant repentis dans la suite firent rapporter ses os dans leur ville, le mirent au rang des dieux et lui consacrèrent un asile auquel on donna son nom. Ayant fini l'histoire de Thésée, nous allons parler en particulier du rapt d'Hélène et de celui que Pirithoüs voulut faire de Proserpine, d'autant plus que ces histoires font partie de celles de Thésée.
XXI. Enlèvements faits ou tentés par Thésée et Pirithoüs.
PIRITHOÜS, fils d'Ixion, ayant perdu Hippodamie, sa femme, de laquelle il avait un fils appelé Polypoete, vint à Athènes chez Thésée. Ayant appris là que Phèdre, femme de Thésée, était morte, il lui persuada d'enlever Hélène, fille de Jupiter et de Léda, qui était alors âgée de dix ans et extrêmement belle. Thésée et Pirithoüs étant partis pour Lacédémone avec plusieurs de leurs gens et ayant trouvé une occasion favorable, enlevèrent Hélène ensemble et la menèrent à Athènes. Ils convinrent ensuite que le sort déclarerait à qui appartiendrait Hélène et que celui à qui elle tomberait en partage ferait serment de s'exposer à toutes sortes de périls pour aider son ami à trouver une autre femme. Le sort échut à Thésée. Mais voyant les Athéniens irrités de cet enlèvement, il jugea à propos d'envoyer cette jeune fille à Aphidne, ville d'Attique, et il la donna en garde à Ethra, sa mère, et aux plus braves de ses amis. Pirithoüs de son côté voulut avoir Proserpine pour femme et il somma Thésée de lui aider dans cette entreprise. Thésée tâcha d'abord de le dissuader de cette impiété, mais Pirithoüs le pressant toujours davantage, il fut enfin obligé de tenir sa parole et de l'accompagner dans les enfers. Quand ils y furent descendus, on les y retint tous deux pour les punir de leur audace. Dans la suite, on délivra Thésée en considération d'Hercule, mais Pirithoüs demeura dans les enfers, où il souffre une punition éternelle. Quelques‑uns disent même qu'ils y sont restés l'un et l'autre. Dans ce temps‑là, les Dioscures, frères d'Hélène attaquèrent Aphidne qu'ils prirent d'assaut et qu'ils rasèrent. Ils ramenèrent à Lacédémone leur soeur qui était encore vierge et y conduisirent avec elle Ethra, mère de Thésée, qu'ils avaient faite esclave.
XXII. Histoire des sept chefs devant Thèbes.
Nous allons à présent rapporter l'histoire des sept chefs devant Thèbes, après avoir raconté les causes de cette guerre. Laïus, roi de Thèbes, avait épousé Jocaste, fille de Créon. Il y avait déjà longtemps qu'il était marié avec elle sans avoir d'enfants, lorsqu'il envoya consulter l'oracle sur la stérilité de sa femme. La Pythie répondit qu'il ne devait point souhaiter d'avoir des enfants ; que celui qu'il aurait deviendrait un jour parricide et qu'il remplirait sa maison de malheurs. Laïus ayant oublié cet oracle, eut un fils, mais il le fit ensuite exposer après lui avoir percé les pieds. C'est pour cela qu'on lui donna le nom d'Oedipe. Au reste, les domestiques de Laïus ayant pris cet enfant et ne pouvant se résoudre à le faire périr, le donnèrent à la femme d'un pasteur nommé Polybe, laquelle était stérile. Oedipe était devenu grand lorsque Laïus alla encore une fois consulter le dieu sur l'enfant qu'il avait exposé. D'un autre côté, Oedipe ayant appris par quelqu'un ce qu'on avait voulu faire de lui, allait demander à la Pythie qui étaient son père et sa mère. S'étant rencontrés tous deux dans la Phocide, Laïus lui commanda impérieusement de lui laisser le chemin libre, et Oedipe irrité tua Laïus sans savoir qu'il était son père. Ce fut dans ce même temps, selon la fable, que parut à Thèbes un monstre appelé le Sphinx, qui avait la figure de deux animaux. Il proposait une énigme à tous les passants et il les étranglait dès qu'il les voyait embarrassés. On assigna un grand prix pour celui qui pourrait résoudre l'énigme: c'était d'épouser la reine Jocaste et de monter sur le trône de Thèbes. Oedipe seul en vint à bout. Le Sphinx demandait quel est l'animal qui marche à deux, à trois et à quatre pieds. Oedipe répondit que c'était l'homme et expliqua ainsi sa réponse. Quand l'homme est enfant il marche à quatre pieds ; devenu plus grand, il marche à deux pieds ; et enfin lorsque ne pouvant plus se soutenir à cause de la vieillesse, il est obligé de se servir d'un bâton, il marche à trois pieds. Alors, le Sphinx se précipita ainsi que l'avait prédit un oracle. Pour Oedipe qui avait épousé sa mère sans la connaître, il en eut deux fils, Étéocle et Polynice, et deux filles, Antigone et Ismène. Les deux fils devenus grands ayant appris l'opprobre de leur maison enfermèrent leur père dans son palais: après quoi, s'étant rendus maîtres du royaume, ils convinrent entre eux qu'ils régneraient tour à tour l'espace d'une année. Étéocle qui était l'aîné régna le premier, mais l'année étant expirée, il refusa de remettre la couronne à son frère. Polynice indigné se retira à Argos chez le roi Adraste. Dans ce temps‑là, Tydée, fils d'Oenée, ayant tué à Calydon Alcathoüs et Lycopée, ses oncles, se réfugia aussi de l'Étolie à Argos, Adraste les reçut bien tous deux et pour obéir à un oracle, il leur fit épouser ses filles. Il donna Argie à Polynice et Deïpyle à Tydée. Ces deux jeunes hommes s'étaient acquis une grande réputation et étant très bien auprès du roi, on dit qu'Adraste pour leur marquer son estime leur promit de les faire rentrer l'un et l'autre dans leur patrie. Voulant d'abord établir Polynice dans son royaume, il envoya Tydée en ambassade chez Étéocle pour lui parler du retour de son frère. On raconte que Tydée tombé dans une embuscade de cinquante hommes qu'Étéocle avait posés sur son chemin, les tua tous et que s'étant sauvé d'une manière si étonnante il revint à Argos. Adraste, apprenant cette trahison, se prépara à une expédition militaire ; il engagea dans son parti Capanée, Hippomédon et Parthénopée ; celui‑ci était fils d'Atalante, fille de Schoenée. De son côté, Polynice tâcha de persuader au devin Amphiaraüs de venir avec eux au siège de Thèbes. Mais lui sachant bien qu'il périrait s'il les accompagnait dans cette guerre, rejeta cette proposition. On dit que Polynice fit présent à la femme d'Amphiaraüs d'un collier d'or que Minerve avait autrefois donné à Harmonie, pour la porter à engager son mari à venir avec eux. Dans ce même temps, Adraste et Amphiaraüs étant en contestation au sujet du royaume d'Argos, étaient convenus entre eux qu'ils s'en rapporteraient à la décision d'Ériphyle, femme d'Amphiaraüs et soeur d'Adraste. Elle donna gain de cause à Adraste et déclara qu'Amphiaraüs était obligé d'assister au siège de Thèbes. Amphiaraüs, croyant que sa femme le trahissait, ne laissa pas de partir pour Thèbes mais il commanda en même temps à Alcméon, son fils, de tuer Ériphyle dès qu'il apprendrait sa mort. Alcméon exécuta fidèlement cet ordre sanglant et tua sa mère. Mais dans la suite, sa conscience lui reprochant toujours ce crime, il devint furieux. Cependant, Adraste, Polynice et Tydée ayant partagé le commandement de l'armée avec Amphiaraüs, Capanée, Hippomédon et Parthénopée marchèrent contre Thèbes suivis de nombreuses troupes. Étéocle et Polynice se tuèrent l'un l'autre, Capanée voulant monter sur le rempart avec une échelle fut renversé et mourut de sa chute: la terre s'étant entrouverte sous Amphiaraüs l'engloutit avec son char. Tous les autres périrent dans cette expédition à l'exception d'Adraste seul. Un grand nombre de soldats y laissèrent la vie ; Adraste fut obligé de revenir à Argos sans leur donner la sépulture, les Thébains n'ayant pas voulu lui permettre d'enlever ces corps. Cependant, comme personne n'osait les enterrer, les Athéniens, que leur justice élevait au-dessus des autres peuples, leur rendirent ce devoir à tous. Voila quelle fut la fin de l'expédition des sept chefs devant Thèbes.
XXIII. Second siège de Thèbes par les Épigones ou fils des sept Chefs.
LEURS enfants qu'on appela les Épigones voulant venger la mort de leurs pères et ayant résolu d'aller tous ensemble assiéger Thèbes, l'oracle d'Apollon les avertit de donner le commandement de ce siège à Alcméon, fils Amphiaraüs. Alcméon ayant été déclaré général de l'armée, consulta Apollon sur l'événement de cette guerre et sur la vengeance qu'il devait tirer de sa mère. Le dieu lui répondit qu'il exécutât les deux parce que sa mère avait non seulement reçu un collier d'or pour perdre son père, mais qu'elle avait aussi reçu un voile pour le faire périr lui‑même. On dit que ce collier et ce voile dont Vénus avait autrefois fait présent à Harmonie, avaient été donnés à Ériphyle, l'un par Polynice et l'autre par Thersandre, fils de Polynice, afin qu'elle engageât son propre fils à aller au siège de Thèbes. Au reste, Alcméon leva non seulement plusieurs soldats dans Argos, mais il tira encore des forces très considérables de toutes les villes d'alentour, avec lesquelles il marcha contre Thèbes. Les Thébains allèrent au devant de lui. Le combat fut sanglant mais Alcméon remporta la victoire. Les Thébains diminués par cette défaite d'un grand nombre de leur concitoyens, commencèrent à désespérer de leur fortune. Se voyant même hors d'état de tenir tête à Alcméon, ils allèrent prendre conseil du devin Tirésias, qui leur dit que leur unique ressource était de se sauver hors de Thèbes. Ils abandonnèrent leur ville, selon le conseil de ce devin et ils se réfugièrent clans un certain pays de la Béotie qu'on appelle Tilphosée. Cependant les Épigones se rendirent maîtres de Thèbes et la pillèrent. Ensuite pour satisfaire à un voeu qu'ils avaient fait, ils consacrèrent à Delphes, comme les prémices de leurs dépouilles, Daphné, fille de Tirésias. Elle n'était pas moins savante que son père dans l'art de la divination, et elle y fit de très grands progrès après qu'elle eut été transportée à Delphes. Comme elle était douée d'un esprit merveilleux, elle écrivit un grand nombre d'oracles de plusieurs manières différentes les unes des autres. On dit que le poète Homère s'est approprié plusieurs vers de Daphné et qu'il s'en était servi pour l'ornement de ses poèmes. Comme cette fille était souvent éprise d'une fureur divine en rendant ses réponses, on lui donna le nom de sibylle, qui dans la langue du pays signifiait enthousiasme. Au reste, les Épigones ayant terminé glorieusement cette guerre retournèrent dans leur patrie chargés de riches dépouilles. Tirésias étant mort à Tilphosée, où les Thébains s'étaient retirés, ils l'ensevelirent honorablement et le regardèrent comme un dieu. Ayant ensuite quitté Tilphosée, ils marchèrent contre les Doriens et les ayant vaincus dans une bataille en forme, ils les chassèrent de leur patrie et s'y établirent eux‑mêmes, Enfin au bout de quelque temps, une partie d'entre eux resta dans le pays qu'ils avaient conquis et les autres retournèrent à Thèbes sous la conduite de Créon, fils de Ménécée. Les Doriens rentrèrent aussi vers ce temps‑là dans leur patrie dont ils avaient été chassés ; ils y habitèrent les villes d'Erinée, de Cytinie et de Boïe.
XXIV. Origine des Éoliens.
AVANT cela, Boeotus, fils de Neptune et d'Arné, étant entré dans l'Éolide qu'on appelle présentement la Thessalie, donna à ceux qui l'accompagnaient le nom de Béotiens. Mais il est nécessaire de rapporter l'histoire de ces Éoliens en remontant à leur origine. Dès les premiers temps, plusieurs des fils d'Éole, qui étaient par conséquent petits‑fils d'Hellen, arrière‑petits-fils de Deucalion, s'étaient établis dans les provinces que nous venons de nommer. Un d'entre eux, appelé Mimas, étant resté dans l'Éolide, devint roi de ce pays. Hippotès, fils de Mimas, eut de sa femme Mélanippe un fils appelé Éole. Arné, fille de ce dernier, fut mère de Boeotus qu'elle prétendit avoir eu de Neptune. Mais Éole ne croyant nullement que Neptune eût jamais eu la jouissance de sa fille, la donna à un Métapontin que le hasard avait amené là avec ordre de l'emmener avec lui à Métaponte. Cet homme ayant obéi à ce commandement, Arné enfanta dans Métaponte de deux fils appelés l'un Éole et l'autre Boeotus. Le Métapontin, qui était sans enfants, les adopta pour obéir à un oracle qui le lui avait ordonné. Lorsqu'ils furent devenus grands, ils se servirent de l'occasion d'une émeute qui s'éleva dans cette ville pour se saisir du royaume. Dans la suite, ils tuèrent Autolyte, femme du Métapontin, en voulant prendre le parti de leur mère avec qui elle était entrée en contestation. Mais ce meurtre ayant irrité le Métapontin, ils furent tous deux obligés de s'enfuir sur mer avec Arné, leur mère, et plusieurs de leurs amis. Dans la suite, Éole se rendit maître de quelques îles situées dans la mer de Toscane qu'il appela de son nom Éolide et il bâtit la ville de Lipare. Boeotus s'étant réfugié chez Éole, son grand‑père, ce prince le reçut comme son fils et lui laissa le royaume de l'Éolide. Boeotus donna alors au pays dont il était roi le nom de sa mère Arné et le sien à ses sujets. Iton, fils de Boeotus, eut quatre fils, appelés Hippalcime, Électryon, Archiluque et Alégénor. Hippalcime fut père de Pénélée, Électryon de Leitus, Alégénor de Clonius et Archiluque de Prothoenor et d'Archesilaüs. Ces deux derniers conduisirent au siège de Troie tous les Béotiens.
XXV. Des ancêtres de Nestor.
C'EST ICI le lieu de parler de Salmonée, de Tyro et de leurs descendants jusqu'à Nestor, qui fut l'un des princes grecs qui assistèrent au siège de Troie. Deucalion fut père d'Éole, Éole le fut d'Hellen, et Hellen le fut de Salmonée. Ce dernier étant sorti de l'Éolide avec plusieurs Éoliens vint demeurer dans l'Élide sur les bords du fleuve Alphée. Il bâtit là une ville qu'il appela Salmonée, de son nom. Ayant ensuite épousé Alcidice? fille d'Alée, il en eut une fille appelée Tyro qui fut d'une beauté merveilleuse. Mais Alcidice étant morte, Salmonée se remaria à Sidero. Celle‑ci agit en marâtre avec Tyro et la traita fort cruellement. Cependant Salmonée qui était un homme violent et impie étant devenu l'objet de la haine de ses peuples et de la colère des dieux, fut tué d'un coup de foudre. Dans ce temps‑là, Tyro qui était encore fille devint grosse du fait de Neptune et accoucha de Pélias. et de Nélée. S'étant ensuite mariée avec Crétès, elle le rendit père d'Amythaon, de Phérès et d'Aeson. Après la mort de Crétès, Pélias et Nélée se disputèrent le royaume. Mais enfin Pélias fut roi d'Iolcos et des pays d'alentour et Nélée alla faire la guerre dans le Péloponnèse. Il fut accompagné dans cette expédition par Mélampe, par Bias, fils d'Amythaon et d'Aglée, et par plusieurs braves Achaiens ou Phtiotes ou Éoliens. Mélampe, qui était devin, guérit dans Argos toutes les femmes que Bacchus irrité avait rendu insensées. Anaxagore, fils de Mégapenthe, et roi des Argiens, lui donna en récompense les deux tiers de son royaume. Mélampe ayant associé son frère Bias à la couronne choisit Argos pour sa demeure. Il épousa ensuite Iphianire, fille de Mégapenthe, et il en eut Antiphatès, Manto, Abas et Pronoé. Antiphatès eut de Zeuxippe, fille d'Hippocoon, Oiclée et Amphalcée. Enfin d'Oiclée et d'Hypermnestre, fille de Thespius, naquirent Iphianire, Polyboée et Amphiaraüs. C'est ainsi que Mélampe, Bias et leurs descendants devinrent les maîtres d'Argos. Cependant, Nélée suivi de ceux que nous avons nommés plus haut, étant entré dans le pays de Messène y bâtit la ville de Pyle après que les Messéniens lui eurent cédé le pays où elle fut située. Ce roi épousa Chloris, fille d'Amphion le Thébain, et il en eut douze enfants dont l'aîné fut Périclymène et le dernier Nestor qui assista au siège de Troie. Notre dessein ne demande pas que nous en disions davantage sur les ancêtres de Nestor.
XXVI. Des Lapithes et des Centaures.
NOUS PASSONS à l'histoire des Lapithes et des Centaures. Il est rapporté dans les livres de mythologie que l'Océan et Thétis eurent plusieurs enfants qui portèrent tous les noms de quelque fleuve. Parmi eux était Pénée qui a donné son nom à un fleuve de la Thessalie. Celui‑ci eut Ypsée et Stilbé d'une Nymphe appelée Créüse. De Stilbé et d'Apollon naquirent Lapithe et Centaure. Le premier alla s'établir près du fleuve Pénée, devint roi d'une partie de ce pays et fit passer son nom à ses sujets. Il épousa Orsinome, fille d'Eurynome, et fut père de Phorbas et de Périphas qui montèrent après lui sur le trône. Phorbas choisit Oléné pour le lieu de sa demeure. Quelque temps après, Alector, roi des Éliens, craignant la puissance de Pélops, appela Phorbas à son secours et partagea son royaume avec lui. Phorbas eut deux fils, Égée et Actor, qui furent après sa mort rois des Éliens. Périphas, second fils de Lapithe, ayant pris pour femme Astiagée, fille d'Ypsée, fut père de huit enfants dont l'aîné, appelé Antion, eut de Périmèle, fille d'Amythaon, un fils nommé Ixion. Celui‑ci ayant promis de grands présents à Hésionée s'il lui accordait en mariage sa fille Dia, épousa effectivement cette princesse et en eut Pirithoüs. Mais différant de jour en jour de livrer à sa femme les présents dont ils étaient convenus, Hésionée enleva ses chevaux. Ixion pria son beau‑père de venir chez lui en lui faisant espérer un bon accueil mais sitôt qu'il fut arrivé il le fit jeter dans une fosse de charbons ardents. Chacun ayant en horreur l'énormité de ce crime, personne ne voulait l'expier ; Jupiter seul accorda cette grâce à Ixion. Cela n'empêcha pas qu'il ne devînt amoureux de la femme de ce dieu et il osa même lui déclarer sa passion. Cependant, Jupiter donna à une nuée la ressemblance de Junon et Ixion l'ayant embrassée engendra les Centaures qui étaient de nature humaine. Enfin, on raconte qu'en punition de ses forfaits, Jupiter attacha Ixion sur une roue pour y tourner éternellement après sa mort. Quelques auteurs ont écrit que les Centaures furent nourris par les Nymphes sur le mont Pélius, qu'étant devenus grands ils se mêlèrent avec des cavales et engendrèrent les Hippocentaures, monstres qui tenaient en même temps de la nature de l'homme et de celle du cheval. D'autres ont dit qu'on donna aux Centaures, fils d'Ixion et de Néphélé, le nom d'Hippocentaures parce qu'ils ont été les premiers qui aient su monter à cheval et que c'est de là que provient l'erreur de ceux qui ont cru qu'ils étaient moitié hommes et moitié chevaux. L'histoire rapporte qu'ayant demandé à leur frère Pirithoüs qu'il partageât avec eux le royaume de leur père, et que Pirithoüs n'ayant point écouté leur proposition, ils lui déclarèrent la guerre à lui et aux Lapithes. Cette guerre étant apaisée, Pirithoüs épousa Hippodamie, fille de Bystus et invita à ses noces Thésée et les Centaures. Ces derniers s'étant enivrés entreprirent de violer toutes les femmes qui étaient du festin. Thésée et les Lapithes, irrités de cette insolence, en tuèrent un grand nombre et chassèrent les autres hors de la ville. Les Centaures marchèrent ensuite tous ensemble contre les Lapithes et les ayant vaincus, ils obligèrent ceux qui étaient échappés du combat de s'enfuir à Pholoé d'Arcadie. Quelques‑uns des Lapithes se retirèrent à Malée et s'y établirent. Au reste les Centaures que ce succès avait rendus vains et superbes firent plusieurs irruptions autour de Pholoé et ne s'occupèrent plus qu'à voler les passants et à massacrer leurs voisins.
XXVII. D'Esculape et de ses descendants.
APRÈS avoir parlé des Lapithes et des Centaures nous parlerons d'Esculape et de ses descendants. Il était,dit‑on, fils d'Apollon et il fut doué d'un esprit très vif et très subtil. Il étudia avec un soin particulier l'art de la médecine et il inventa quantité de remèdes salutaires aux hommes. Enfin, ayant guéri plusieurs maladies desespérées, il parvint à un si haut degré de réputation qu'on a dit de lui qu'il avait redonné la vie à des morts. Les histoires mythologiques ajoutent même que Pluton cita Esculape devant le tribunal de Jupiter et qu'il se plaignit à lui de ce que l'empire des Ombres était considérablement diminué de sorte que Jupiter irrité tua Esculape d'un coup de foudre. Mais Apollon indigné de la mort injuste de son fils tua aussi les Cyclopes qui forgeaient les foudres de Jupiter. Jupiter, à son tour, bannit Apollon du ciel et le condamna à servir un homme sur terre en punition de cet attentat. Esculape eut deux fils, Machaon et Podalire, qui étant devenus très habiles dans la médecine, accompagnèrent Agamemnon au siège de Troie. Ils furent d'un grand secours aux Grecs dans cette guerre, traitant avec beaucoup de succès ceux d'entre eux qui étaient blessés. Aussi s'acquirent‑ils une très grande réputation et le besoin qu'on avait de leur art fut cause qu'on les exempta des combats et de toutes les autres fonctions militaires. Nous bornons là l'histoire d'Esculape et de ses enfants, pour venir à celle des filles d'Asope et des fils d'Éaque.
XXVIII. Des filles d'Asope et des fils d'Éaque.
NOUS AVONS déjà dit plus haut que l'Océan et Thétys eurent plusieurs enfants qui portèrent tous des noms de fleuves ; entre lesquels était Pénée et Asope. Pénée s'établit dans la Thessalie auprès d'un fleuve de son nom. Asope alla demeurer à Phlias où il épousa Méthone, fille de Ladon, de laquelle il eut deux fils, Pelasgus et Ismenus, et douze filles, Corcyre, Salamine, Égine, Pirène, Cléone, Thébé, Tanagra, Thespine, Asopis, Sinope, Oenie et Chalcio. Isménus établit sa demeure dans la Béotie auprès d'un fleuve auquel il donna son nom. Sinope fut ravie par Apollon et transportée dans l'endroit où est aujourd'hui située la ville de Sinope. Elle en eut un fils appelé Syrus qui étant devenu roi donna son nom aux Syriens, ses sujets. Corcyre fut enlevée par Neptune et conduite dans cette île fameuse à laquelle son nom est demeuré. Elle fut mère de Phaeax qui donna le sien aux Phéaciens et qui fut père de cet Alcinoüs qui ramena Ulysse dans l'île d'Ithaque. Salamine fut aussi enlevée par Neptune et portée dans l'île de Salamine. D'elle et de Neptune naquit Cenchrée qui fut roi de cette île et qui devint célèbre pour avoir tué un épouvantable serpent qui désolait son royaume. Égine fut menée par Jupiter dans l'île qui porte son nom et elle y accoucha d'Éaque qui dans la suite fut roi de cette île et père de Pélée et de Télamon. On dit de Pélée que jouant un jour au palet il tua involontairement Phocus son frère, mais né d'une autre mère, qu'ensuite ayant été banni par son père il se retira dans la partie de la Thessalie appelée Phtie, qu'Actor qui y régnait l'expia de ce meurtre, et que mourant sans enfants, il le laissa son successeur. De Pélée et de Thétys naquit Achille qui accompagna Agamemnon au siège de Troie. Télamon s'enfuit aussi d'Égine et alla demeurer à Salamine. Là, il épousa Glaucé, fille de Cenchrée, roi des Salaminiens, et devint ensuite lui‑même roi de cette île. Après la mort de sa première femme, il épousa Ériboee, fille d'Alcathoüs Athénien, et en eut Ajax un des capitaines grecs qui assiégèrent Troie.
XXIX. D'Oenomaeüs, de Pélops et de Tantale.
NOUS ALLONS à présent rapporter les histoires de Pélops, de Tantale et d'Oenomaüs. Mais il faut nécessairement prendre les choses de plus haut. Le dieu Mars ayant entretenu dans Pise, ville du Péloponnèse, un commerce secret avec Harpine, fille d'Asope, en eut un fils appelé Oenomaüs. Celui‑ci n'eut pour enfants qu'une fille appelée Hippodamie. Quelques temps après, étant allé consulter l'oracle sur le temps de sa mort, il lui fut répondu qu'il ne finirait ses jours que lorsque sa fille se marierait. Oenomaüs craignant pour sa vie résolut de tenir sa fille dans un célibat perpétuel puisque c'était la seule manière d'éviter le péril dont il était menacé. Il obligea donc au combat tous ceux qui la venaient demander en mariage ; à condition que s'il était vainqueur, ils devaient mourir de sa main, mais il leur accordait sa fille en cas qu'il fût vaincu. La loi du combat était qu'ils poussassent leurs chariots depuis la ville de Pise jusqu'à l'isthme de Corinthe, et l'autel de Neptune était le but où se terminerait leur course. Cependant, Oenomaüs, avant que d'entrer dans la carrière, immolait d'abord un bélier à Jupiter. Pendant le temps du sacrifice, celui qui était venu demander sa fille en mariage faisait partir à toute bride son char attelé de quatre chevaux. Le sacrifice fini, Oenomaüs montait sur le sien que conduisait son cocher Myrtile et tenant sa lance en main, il poursuivait avec vitesse l'amant de sa fille. S'il parvenait jusqu'à lui avant le terme de la course, il le frappait de sa lance et le faisait tomber mort. Il tua de cette sorte plusieurs princes amoureux d'Hippodamie, les ayant tous atteints à cause de la vitesse de ses chevaux. Enfin, Pélops s'étant rencontré par hasard à Pise et y ayant vu Hippodamie, devint amoureux d'elle et la demanda en mariage. Il corrompit d'abord Myrtile cocher d'Oenomaüs qui lui donna le temps d'arriver à l'autel de Neptune avant son maître. Ainsi, Oenomaüs croyant l'oracle déjà accompli se laissa aller au désespoir et se donna lui‑même la mort. Pélops épousa donc cette princesse et devint en même temps roi de Pise. Dans la suite, comme il joignait une grande intelligence à un grand courage il augmenta de beaucoup sa puissance et il joignit à ses états plusieurs provinces du Péloponnèse qui n'a même emprunté que de lui cette dénomination qui signifie île de Pélops., Mais avant que de sortir de l'histoire de Pélops nous dirons un mot de Tantale, son père, ne voulant rien omettre de ce qui est digne de la curiosité des lecteurs. Tantale était fils de Jupiter et il habitait dans cette province de l'Asie que l'on appelle la Paphlagonie. Sa réputation et ses richesses l'élevèrent fort au-dessus du commun des hommes, et l'on dit que l'avantage de sa naissance lui avait attiré l'amitié de tous les dieux. Son bonheur le rendit si insolent qu'ayant été admis à leurs festins, il ne fit aucun scrupule de divulguer ce qu'ils avaient dit entre eux. Aussi les dieux le punirent pendant sa vie et les histoires mythologiques disent même qu'après sa mort il fut placé parmi les impies pour y subir un supplice convenable à sa vanité. Il eut un fils et une fille, Pélops et Niobé. Celle‑ci fut mère de sept fils et d'autant de filles qui toutes furent douées d'une beauté extraordinaire. Ce grand nombre d'enfants remplit Niobé d'orgueil et elle se vanta d'être plus féconde que Latone. Cette déesse, irritée, exigea d'Apollon qu'il tuât à coups de flèches tous les fils de Niobé, et de Diane qu'elle en fît autant des filles. Ces dieux ayant obéi à leur mère, Niobé se vit privée en un moment de tous ses enfants, dont le nombre fut celui de ses malheurs. Au reste, Tantale devenu l'objet de la haine des dieux, fut chassé de la Paphlagonie par Ilus, fils de Tros, dont il est à propos d'exposer ici l'origine.
XXX. Origine des rois de la Troade.
LE PREMIER roi de la Troade fut Teucer, fils du fleuve Scamandre et de la nymphe Idaee, homme illustre qui donna son nom à ses sujets. Il eut une fille appelée Batée que Dardanus, fils de Jupiter, épousa. Ce prince ayant succédé à son beau‑père donna à son tour son nom à ses sujets et à la ville de Dardane qu'il bâtit sur le bord de la mer. Il lui naquit un fils, appelé Erichton, que son bonheur et ses richesses ont rendu célébre. C'est de lui qu'Homere dit:
Des grands biens il goûta les douceurs si chéries,
Et trois mille juments paissaient dans ses prairies.
Tros fut fils d'Erichton: ses sujets furent aussi appelés Troyens de son nom. Il fut père d'Ilus, d'Assaracus et de Ganymède. Ilus bâtit dans une plaine la plus belle des villes de la Troade à laquelle son nom fit prendre celui d'Ilion. Il fut père de Laomédon qui eut pour fils Tithon et Priam ; Tithon alla porter la guerre dans les parties orientales de l'Asie et l'on conte qu'étant venu dans l'Éthiopie il fut aimé de l'Aurore et en eut un fils appelé Memnon. Celui‑ci vint dans la suite porter du secours à la ville de Troie où il fut tué par Achille. Priam ayant épousé Hécube devint père de plusieurs enfants, entre lesquels était Hector le plus fameux défenseur des Troyens. Assaracus fut roi des Dardaniens, père de Capys et grand‑père d'Anchise. De ce dernier et de la déesse Vénus naquit Énée, le plus célèbre des princes de Troie. Et à l'égard de Ganymède, comme il était le plus beau de tous ses frères, il fut enlevé par les dieux pour servir d'échanson à Jupiter.
XXXI. De Dédale.
Nous parlerons ici de Dédale, du Minotaure et de la guerre que Minos alla faire en Sicile au roi Cocalus. Dédale était Athénien de nation et de la noble famille des Érechtides. Son père s'appelait Hymétion, fils d'Eupalame Athénien et petit‑fils d'Erechtée. Dédale surpassa tous les hommes dans les ouvrages de la main et surtout dans la sculpture. Non seulement il donna des règles très utiles pour la perfection des arts, mais encore il a laissé en différents endroits de la terre des ouvrages admirables de sa façon. En effet ses statues étaient faites avec tant d'art et imitaient la nature de si près que les mythologistes qui sont venus après lui, ont dit qu'elles étaient parfaitement semblables à des êtres vivants, qu'elles voyaient, qu'elles marchaient, en un mot qu'elles avaient tous les mouvements que l'on remarque dans l'homme qui vit et qui pense. Mais il ne faut pas être surpris qu'il ait excité l'admiration des premiers hommes auxquels il a fait voir des statues qui avaient un regard, une démarche, une action, au lieu que les autres statuaires s'étaient bornés à des représentations d'hommes qui avaient les yeux fermés et les bras collés au corps, suivant leur longueur. Cependant, Dédale qui s'était fait admirer par l'excellence de son art fut exilé par les juges de l'Aréopage en punition d'un meurtre qu'il avait commis: en voici le sujet. Dédale avait un neveu appelé Talos, fils de sa soeur, et qui n'était encore qu'un enfant lorsqu'il fut mis sous sa discipline. L'écolier devint plus habile que le maître ; il inventa, pour son coup d'essai, la roue dont se servent les potiers de terre. Ayant ensuite rencontré la mâchoire d'un serpent et s'en étant servi pour couper un petit morceau de bois, il tâcha d'imiter avec le fer l'âpreté des dents de cet animal. C'est ainsi qu'il donna aux gens de sa profession la scie qui est un de leurs instruments les plus utiles. Enfin, c'est de lui que nous vient le tour et quantité d'autres inventions d'un grand usage dans les arts mécaniques. Dédale porta lui‑même envie à son neveu et craignant que sa réputation ne s'élevât au‑dessus de la sienne, il s'en défit par trahison. Mais il fut découvert pendant qu'il enterrait ce corps et ayant été interrogé sur ce qu'il faisait, il répondit qu'il enterrait un serpent. Il y a lieu de remarquer ici que le même animal qui avait donné occasion à ce jeune homme d'inventer la scie, servit aussi à déceler l'auteur de sa mort. Au reste, Dédale accusé de ce meurtre devant les juges de l'Aréopage et condamné par eux, s'enfuit d'abord dans un bourg de l'Attique dont les habitants retiennent encore à présent le nom de Dédalides: il se retira ensuite dans l'île de Crète où sa grande habileté lui acquit bientôt l'amitié du roi Minos.
Histoire de Pasiphaé et du Minotaure. Le labyrinthe ouvrage de Dédale.
LA FABLE dit que Pasiphaé, femme de Minos, étant devenue amoureuse d'un taureau, Dédale pour favoriser cet horrible amour fit une figure de génisse assez ressemblante pour tromper le taureau même. On raconte que Minos qui avait coutume de sacrifier tous les ans à Neptune le plus beau de ses taureaux, voulut épargner celui‑ci qui était d'une grande beauté et que Neptune, irrité contre Minos, rendit sa femme amoureuse du taureau qu'il devait offrir à ce dieu. Pasiphaé par le secours de Dédale jouit donc de ses infâmes amours, enfanta le Minotaure. Ce monstre ressemblait à un taureau par la tête, mais des épaules en bas il ressemblait à un homme. On dit enfin que Dédale construisit pour l'enfermer un labyrinthe dont les routes égaraient tous ceux qui y entraient. Nous avons déjà dit plus haut que l'on donnait à dévorer au Minotaure sept jeunes garçons et sept jeunes filles que l'on envoyait d'Athènes tous les sept ans. Cependant, Dédale épouvanté des menaces de Minos, et craignant les effets de sa vengeance sur le moyen qu'il avait fourni à sa femme de satisfaire sa passion monstrueuse, s'enfuit de l'île de Crète avec son fils Icare sur un vaisseau que Pasiphaé lui avait donné. Étant arrivé au bord d'une île très éloignée de la terre ferme, Icare qui y descendait avec précipitation, tomba dans l'eau, où s'étant noyé, on donna à cette mer et à cette île le nom d'Icariennes. Dédale s'étant rembarqué aborda enfin dans cette partie de la Sicile dont Cocalaus était roi, et ce prince qui le connaissait de réputation l'honora de son amitié. Quelques mythologistes prétendent que Pasiphaé cacha quelque temps Dédale dans l'île de Crète et que Minos qui voulait le faire punir, n'ayant pu le trouver dans la visite qu'il fit faire de tous les vaisseaux où il aurait pu chercher le moyen de fuir, promit une grande somme d'argent à celui qui le lui amènerait: que Dédale craignant cette perquisition et ne pouvant trouver aucun autre expédient pour sortir de l'île, attacha avec de la cire sur son dos et sur celui de son fils, des ailes faites avec un grand art et traversa en volant la mer de Crète: mais qu'Icare ayant in considérément pris un vol trop haut et donné lieu à l'ardeur du soleil de fondre la cire de ses ailes, tomba dans la mer: qu'au contraire son père qui ne volait qu'à fleur d'eau et qui mouillait même ses ailes de temps en temps se sauva dans la Sicile. Quoique ce récit paraisse fabuleux, nous n'avons pas cru qu'il nous fût permis de l'omettre. Au reste, Dédale demeura longtemps en cette île chez le roi Cocalus et il se fit admirer des Siciliens par ses talents. L'on voit même encore à présent dans la Sicile plusieurs ouvrages dont il l'a embellie. En premier lieu, il creusa près de Mégaride une piscine à travers laquelle le fleuve Alabon se décharge dans la mer. Il bâtit ensuite sur le haut d'un rocher dans le Camique une citadelle très forte et absolument imprenable autour de laquelle on a bâti depuis Agrigente. Il en rendit les avenues si étroites et si obliques qu'il ne faut au plus que trois ou quatre hommes pour les garder. Cette situation engagea Cocalus à placer là son palais et à y mettre ses richesses en sûreté. Dédale creusa ensuite une caverne dans le territoire de Sélinonte, où il employa avec tant d'art et de bonheur les vapeurs des feux souterrains que les malades qui y entraient le sentaient peu à peu provoquer à une sueur douce et guérissaient insensiblement, sans éprouver même l'incommodité de la chaleur. Le mont Éryx était si escarpé et d'ailleurs si entrecoupé dans toute sa hauteur que les maisons qu'on avait été obligé de bâtir autour du temple de Vénus situé sur ce mont paraissaient prêtes à tomber à chaque moment dans le précipice. Dédale augmenta beaucoup la largeur du sommet par des terres soutenues d'une muraille. Il dédia en suite à Vénus Érycine une ruche d'or qui imitait une ruche véritable, d'une manière qu'on n'aurait pas cru possible à l'art. Il avait fait dans la Sicile plusieurs autres ouvrages dont l'injure des temps nous a privés.
XXXII. Voyage de Minos en Sicile où il meurt à la poursuite de Dédale. Les troupes qu'il y avait menées y bâtissent un temple célèbre.
CEPENDANT, Minos qui était alors maître de la mer, ayant appris que Dédale s'était retiré dans la Sicile, résolut d'y porter la guerre. Dans ce dessein, il équipa une flotte où commandant lui‑même, il aborda près d'Agrigente, dans un endroit qui s'appelle encore aujourd'hui de son nom. Ayant fait débarquer ses troupes, il envoya demander au roi qu'il lui livrât Dédale pour le punir. Mais Minos ayant ensuite accepté l'hospitalité que ce prince lui fit offrir, en lui promettant de le satisfaire, Cocalus l'engagea à se baigner et le fit tenir si longtemps dans le bain qu'il y étouffa de chaleur. Cocalus rendit son corps à ses soldats en leur disant qu'il était mort pour être tombé malheureusement dans un bain d'eau chaude. Ils enterrèrent ce corps avec pompe et lui élevèrent en son honneur un tombeau double. Ses os reposaient dans la partie la plus secrète de ce monument, l'autre partie était un temple consacré à Vénus ; les Siciliens l'avaient fréquenté longtemps, seulement par rapport à cette déesse, car dans la suite le lieu de la sépulture de Minos ayant été découvert pendant qu'on bâtissait Agrigente, son tombeau fut entièrement démoli et l'on rendit ses os aux Crétois. Théron était alors roi des Agrigentins. Mais dans le temps de Minos, les Crétois qui l'avaient suivi en Sicile s'étant brouillés les uns avec les autres faute de maître, les Siciliens sujets du roi Cocalus prirent ce temps pour aller brûler leurs vaisseaux et leur ôtèrent entièrement par là l'espérance du retour. Ils prirent donc le parti de demeurer dans la Sicile, ils y bâtirent une ville à laquelle ils donnèrent le nom de Minos qui avait été leur roi, Quelques‑uns d'eux néanmoins errèrent dans les terres jusqu'à ce qu'ayant trouvé un lieu très fort par sa situation, ils y élevèrent une ville qu'ils appelèrent Engyon du nom d'un ruisseau qui la traversait. Après la prise de Troie, Mérion aborda en Sicile, accompagné de plusieurs Crétois. Ils y furent bien reçus par les habitants d'Engyon, comme étant les uns et les autres originaires du même pays, et ils leur accordèrent le droit de bourgeoisie dans leur ville. Ayant fait tous ensemble quelques irruptions sur leurs voisins, ils conquirent un assez grand pays. Dans la suite, rendus encore plus puissants, ils bâtirent un temple en l'honneur des déesses mères. Ils les eurent en grande vénération et leur firent bien des offrandes On dit que c'est de Crète, où ces déesses étaient extrêmement révérées, que les habitants d'Engyon ont apporté leur culte en Sicile. Les histoires mythologistes racontent qu'elles avaient autrefois nourri Jupiter à l'insu de son père Saturne et qu'en récompense de ce bienfait ce dieu les plaça dans le ciel et les transforma en ces étoiles qui composent la grande Ourse. Le poète Aratus a suivi cette opinion dans son poème des Phénomènes.
Ce sont elles qu'on voit vers le pôle tournées,
Rouler avec le ciel sur leur char entraînées,
S'il est quelque récit merveilleux et certain ;
Jupiter leur a fait un si brillant destin
Pour prix d'avoir tenu dans un antre de Crète,
Loin d'un père jaloux, son enfance secrète
Et, pour le bien commun de la terre et des cieux,
Nourri le souverain des mortels et des dieux.
Nous ne saurions passer sous silence la grande célébrité que la dévotion des peuples a donnée à ces déesses. Car non seulement les habitants d'Engyon, mais encore leurs voisins leur offrent des sacrifices magnifiques et leur rendent des honneurs extraordinaires. Les oracles d'Apollon ont même ordonné à plusieurs villes de les honorer en leur promettant toutes sortes de prospérités et une longue vie à leurs habitants. Enfin leur culte s'est si fort accrédité que dans le temps même que j'écris cette histoire les habitants du pays leur portent souvent de nombreuses offrandes d'or et d'argent. Ils ont élevé en leur honneur un temple remarquable, non seulement par sa grandeur mais par l'élégance de sa construction. Comme ils n'avaient point chez eux d'assez belles pierres a leur gré pour cet édifice, ils les ont été chercher jusqu'auprès de la ville des Agyrinaeens, quoiqu'elle soit éloignée de la leur d'environ cent stades. De plus le chemin est si inégal et si pierreux qu'ils ont été obligés de les apporter toutes sur des chariots à quatre roues et traînés par cent paires de boeufs. Ils en ont eu le moyen par les dons faits aux déesses et qui surpassaient encore tous ces frais. Quelque temps avant ma naissance, elles avaient trois mille boeufs sacrés et une grande étendue de pays dont leur temple tirait de grands revenus.
XXXIII. Histoire d'Aristée.
Nous allons présentement raconter l'histoire d'Aristée: il était fils d'Apollon et de Cyrène, fille d'Ypsée et petite fille de Pénée. Il est rapporté dans les histoires mythologiques qu'Apollon devint amoureux de Cyrène qui étant encore fort jeune était élevée sur le mont Pélion et qu'il la transporta dans cet endroit de l'Afrique où l'on a depuis bâti la ville de Cyrène: qu'Aristée étant né dans cet endroit, son père chargea aussitôt les Nymphes de son éducation: qu'elles lui donnèrent trois noms, savoir Nomius, Aristée et Agraee, et qu'elles lui enseignèrent la manière de faire cailler le lait, l'art d'élever les abeilles et la culture des oliviers. Aristée, ajoute‑t‑on, fit bientôt part aux hommes de toutes ces connaissances, et en revanche, les hommes lui rendirent les honneurs divins et le regardèrent comme un second Bacchus. Il alla ensuite dans la Béotie où il épousa Autonoë, fille de Cadmus. Il fut père d'Actéon de qui les fables disent qu'il fut dévoré par ses propres chiens. La cause de ce malheur fut selon quelques‑uns, qu'étant dans le temple de Diane, il dit qu'il voulait faire son festin de noces du tribut de la chasse qu'il apportait à la déesse, et selon d'autres, qu'il s'était vanté d'être plus habile chasseur que Diane même. Quoiqu'il en soit, il n'est pas surprenant que la déesse se soit irritée de l'un ou de l'autre discours: et ce fut avec justice qu'elle se vengea si rigoureusement d'un homme qui venait jusque dans son temple braver le choix qu'elle a fait de la virginité ou qui se vantait de surpasser dans l'art de la chasse une déesse à qui les dieux cèdent à cet égard. Diane l'ayant donc métamorphosé lui‑même en bête fauve, il fut méconnu par ses propres chiens qui le déchirèrent. Après la mort d'Actéon, Aristée alla consulter l'oracle de son père. Apollon lui ordonna d'aller dans l'île de Cos et l'assura qu'il y recevrait de grands honneurs. Pour obéir à ces ordres, Aristée prit la route de cette île. La peste désolait alors toute la Grèce. Aristée offrit aux dieux un sacrifice au nom de tous les Grecs et à peine le sacrifice fut‑il commencé que la peste cessa. C'était alors le commencement de la canicule, temps auquel les vents étésiens ont coutume de s'élever. On admirera là‑dessus l'ordre du destin qui permit que le même homme, qui avait vu déchirer son fils par des chiens, fut la cause du salut de sa patrie, en détournant de dessus ses concitoyens les influences malignes du chien céleste. On dit qu'Aristée ayant laissé ses enfants dans l'île de Cos repassa en Afrique et que de là, il alla en Sardaigne sur une flotte que la Nymphe, sa mère, avait équipée. Cette île était inculte quand il y arriva. Cependant, elle lui sembla si belle qu'il y établit sa demeure et qu'il y planta toutes sortes d'arbres fruitiers. Il y eut deux fils, Charmus et Calécarpe. Il visita ensuite plusieurs petites îles et il s'arrêta quelque temps dans la Sicile. Il fut si charmé de l'abondance des fruits et des troupeaux qu'il vit dans ses campagnes, qu'il résolut de faire part de ses inventions aux Siciliens. C'est aussi pour cette raison que tous les Siciliens en général, mais plus particulièrement ceux qui cultivent les oliviers lui rendent les honneurs divins. Après cela, il alla rejoindre Bacchus dans la Thrace, et il lia avec lui une amitié parfaite. Ce dieu même l'initia dans ses mystères et lui communiqua ses découvertes. Enfin, ayant demeuré quelques temps sur le mont Haemus, Aristée devint invisible et fut regardé comme un dieu non seulement par les Barbares de ce canton, mais encore par les Grecs.
XXXIV. D'Éryx et du temple de Vénus Érycine.
Nous devons parler ici d'Éryx et de Daphnis. Éryx, homme très illustre, fut fils de Vénus et de Buta, roi d'un petit pays de la Sicile. La naissance d'Éryx fut cause qu'une partie des Siciliens le choisirent pour roi. Il bâtit sur une hauteur une ville considérable à laquelle il donna son nom et au milieu de la citadelle un temple qu'il dédia à sa mère et qu'il enrichit d'un grand nombre de présents magnifiques. Les honneurs que Vénus reçut de son fils, et la vénération que les peuples avaient pour elle, lui plurent si fort qu'elle aima cette ville. sur toutes les autres et qu'elle voulut même porter le surnom d'Érycine. De tous ceux qui examineront de près la fortune de ce temple, il n'y en aura aucun qui n'en soit étonné, car tous les autres après avoir eu de la réputation pendant quelque temps l'ont enfin perdue ou tout entière ou en partie par différentes révolutions ; au lieu que celui‑ci quoique très ancien n'a jamais cessé d'être célèbre et même sa réputation s'est toujours accrue. Depuis le temps d'Éryx, Énée qui allait en Italie, ayant relâché dans cette île, laissa de grands dons dans ce temple, comme étant aussi fils de Vénus. Pendant plusieurs générations les Siciliens ont offert à Venus Érycine quantité de sacrifices et de présents. Dans la suite les Carthaginois s'étant rendus rnaîtres d'une partie de cette île ont entretenu le culte de cette déesse avec beaucoup de pompe. Enfin les Romains ayant soumis à leur domination toute la Sicile, ont surpassé par les honneurs qu'ils ont rendus à ce temple toutes les nations qui avaient possédé l'île avant eux. Ils s'y croyaient plus obligés que d'autres: car rapportant leur origine à cette déesse et lui attribuant le succès de toutes leurs entreprises, il était juste qu'ils lui en marquassent leur reconnaissance. A présent, même lorsque leurs consuls, leurs généraux, en un mot tous ceux qu'ils envoient en Sicile revêtus de quelque dignité sont arrivés à Éryx, ils offrent de magnifiques sacrifices dans le temple de Vénus. Se dépouillant ensuite de cette fierté qui leur est naturelle, ils se mêlent dans les assemblées de femmes et jouent avec elles croyant que c'est la seule manière de faire agréer leur domination à cette déesse. Enfin, le Sénat, pour signaler sa piété, a ordonné que dix‑sept des villes de Sicile qui leur sont les plus fidèles apporteraient de l'or dans son temple et qu'il serait toujours gardé par deux cents hommes.
XXXV. De Daphnis.
QUANT à Daphnis voici ce qu'on en raconte. Il y a dans la Sicile les monts Héraéens que leur beauté, leur fertilité et leur situation rendent délicieux pendant l'été. Ils sont arrosés par un nombre infini de ruisseaux dont les eaux surpassent en douceur toutes les eaux du monde et ils sont couverts d'arbres de toute espèce. Les chênes qui y croissent sont fort grands et portent des glands deux fois plus gros que ceux des autres chênes. On y trouve des arbres fruitiers des vignes qui y croissent sans culture et un nombre incroyable de pommiers. On raconte que l'armée des Carthaginois, ayant eu beaucoup à souffrir de la faim, se rétablit dans cet endroit, le lieu fournissant sans s'épuiser la nourriture à plusieurs milliers d'hommes. Au milieu de ces montagnes est situé un agréable vallon rempli d'arbres et dédié aux Nymphes de même qu'un bois qui y tient. Les mythologistes prétendent que ce fut là que naquit de Mercure et d'une Nymphe, Daphnis, ainsi nommé à cause de la quantité de lauriers qui ornaient le lieu de la naissance. Cet enfant ayant été élevé par les Nymphes devint possesseur de plusieurs troupeaux de boeufs et il fut même surnommé Bucolos, parce qu'il leur donnait tous ses soins. Il avait de grandes dispositions pour les vers et il fut l'inventeur de cette espèce de poésie que l'on appelle bucolique et qui est encore à présent fort estimée par les Siciliens. On dit que Daphnis allait souvent à la chasse avec Diane: que sa compagnie plaisait beaucoup à cette déesse et qu'il la divertissait par sa flûte et par ses bucoliques: qu'il fut aimé d'une Nymphe qui lui prédit qu'il perdrait la vue s'il s'attachait jamais à quelqu'autre femme qu'elle. L'événement vérifia cette prédiction car la fille d'un roi l'ayant enivré, il eut commerce avec elle et devint aveugle
XXXVI. D'Orion et de ses ouvrages en Sicile.
IL EST Aussi rapporté dans les histoires mythologiques qu'Orion a surpassé les plus célèbres héros par la hauteur de sa taille et par sa force. Il aimait la chasse et il a fait plusieurs actions qui sont des preuves de son courage et de son amour pour la gloire. Zanclus régnait alors en Sicile et il faisait bâtir la ville de Zancle, présentement Messine. Orion y fut l'auteur et le conducteur de plusieurs ouvrages. Il présida entre autres à la construction de ce port de la ville qui s'appelle Acté. Á ce propos, il est bon de dire ici quelque chose du détroit qui sépare la Sicile de l'Italie. Les anciens mythologistes racontent que la Sicile était autrefois une presqu'île et voici comme ils prétendent qu'elle est devenue île. Dans l'endroit le plus étroit de cet isthme les vagues de la mer frappaient l'un et l'autre rivage avec tant de violence qu'elles se firent un chemin en rompant les terres qui les empêchaient de se joindre. Pour preuve de leur opinion, ils disent que depuis ce temps‑là on a bâti sur ce détroit une ville à laquelle on a donné le nom de Rhège mot grec qui signifie rupture. Quelques auteurs cependant ont écrit que cette séparation n'a été causée que par de violents tremblements de terre. Hésiode dit au contraire que pour garantir la côte de Sicile des fréquents débordements de la mer, Orion forma par un grand transport de terres le cap Pélore sur lequel il bâtit ensuite le temple de Neptune qui est fort révéré par les habitants: qu'après avoir mis la dernière main à cet ouvrage, il alla dans l'île d'Eubée où il établit sa demeure: enfin qu'ayant été transporté au ciel il y fût placé au nombre des étoiles et jugé digne des honneurs immortels. Homère fait mention de lui en ces termes qu'il met dans la bouche d'Ulysse racontant sa descente aux enfers:
Là, j'aperçus bientôt le géant Orion
Poursuivant chez les Morts comme dans nos campagnes,
A travers les forêts, par dessus les montagnes,
Des animaux pareils à ceux dont autrefois,
Armé de sa massue, il dépeuplait les bois.
Il avait déjà fait juger de sa taille en lui comparant les Aloïades dont il dit qu'à l'âge de neuf ans, ils avaient l'épaisseur de neuf coudées et la longueur de neuf arpents.
Les deux fils d'Aloüs si hauts, si belliqueux,
Et qui ne connaissaient qu'Orion plus beau qu'eux.
Nous terminons ici le quatrième livre, où suivant notre projet nous avons parlé suffisamment des demi-dieux et des héros.
Fin de Livre IV