Diodore de Sicile, traduit par l'abbé Terrasson : Tome I.

DIODORE DE SICILE

HISTOIRE UNIVERSELLE.

TOME PREMIER : LIVRE II

Traduction française : l'abbé TERRASSON.

 

livre I - section II - livre 3

Autre traduction de Ferd. Hoefer (bilingue)

 

DIODORE DE SICILE.

 

LIVRE SECOND.

I. Avant-propos.

Le livre précédent qui est le premier de tout cet ouvrage contient ce qui concerne l'Égypte. Nous y avons exposé la théologie fabuleuse des Égyptiens ; nous y avons donné une idée générale de tout le pays et nous y avons fait une ample description du Nil, sans omettre les singularités incroyables qu'on rapporte de ce fleuve. Nous sommes venu ensuite à l'histoire des anciens rois de l'Égypte. Nous avons raconté leurs principales actions et entre autres le soin qu'ils ont pris de faire élever ces pyramides fameuses qui ont été mises au nombre des sept merveilles du monde. Nous avons parlé des lois et des jugements des animaux sacrés, de la sépulture des morts et nous avons fini par les noms des Grecs les plus savants dans l'art d'enseigner et de conduire les hommes et qui ont été eux-mêmes chercher dans l'Égypte une grande partie des pratiques et des instructions qu'ils ont laissées à la Grèce. Le livre où nous entrons contiendra l'ancienne histoire de l'Asie, en commençant par les Assyriens.

II. Ninus, premier roi des Assyriens connu par l'histoire.

On ne raconte aucune action mémorable des anciens rois qui ont gouverné l'Asie où ils étaient nés et leurs noms même sont tombés dans l'oubli. Le premier dont l'histoire fait mention est Ninus roi des Assyriens ; aussi a-t-il fait de grandes choses dont nous essayerons de donner quelque détail. Ce prince était né avec une forte inclination pour la guerre et une grande émulation pour la vertu. Il avait choisi de bonne heure ce qu'il y avait de plus distingué parmi les jeunes gens de son royaume et il les avait accoutumés à toute sorte de travaux et de dangers. Il en fit bientôt une armée nombreuse et formidable avec laquelle il alla proposer un traité d'alliance à Arieüs roi d'Arabie, dont le pays était plein alors d'hommes très forts et très courageux. Les Arabes sont extrêmement jaloux de leur liberté et rien ne serait capable de leur faire accepter un maître étranger. De là vient que ni les rois de Perse ni ceux de Macédoine, quelque puissance qu'ils aient eue, n'ont jamais pu les soumettre. Il faut dire aussi que l'Arabie est défendue par des déserts arides dont le sable trompeur couvre des puits qui ne sont connus que des gens du pays. Le roi d'Assyrie menant donc avec lui le roi des Arabes alla attaquer les Babyloniens qui étaient ses plus proches voisins.

III. Conquêtes innombrables de Ninus.

La ville de Babylone que nous voyons aujourd'hui n'était pas encore bâtie. Mais il y avait un grand nombre d'autres villes considérables dans la Babylonie. Ninus subjugua bientôt ces peuples qui n'avaient aucune expérience de la guerre et après leur avoir imposé un tribut annuel, il emmena prisonnier leur roi et ses enfants qu'il fit mourir. De là il conduisit ses troupes dans l'Arménie et ayant renversé quelques villes, il fit trembler toutes les autres. Ainsi Barsanès roi d'Arménie voyant qu'il n'était point en état de tenir tête à son ennemi vint au-devant de lui chargé de présents et se soumit à toutes ses volontés. Ninus usa généreusement de son avantage. Il rendit à Barsanès ses états et le recevant au nombre de ses alliés, il n'exigea de lui que de lui envoyer des troupes et des provisions de guerre. Son armée grossissant de plus en plus entra dans la Médie. Pharnus qui en était roi s'avança contre son ennemi avec une armée qui paraissait capable de lui résister : mais après avoir perdu la meilleure partie de ses troupes, il fut pris et mis en croix avec sa femme et sept enfants qu'il avait. Ces premiers succès inspirèrent à Ninus une violente envie d'enfermer dans son empire toute la partie de l'Asie qui est comprise entre le Tanaïs et le Nil, tant il est vrai que la prospérité et l'abondance ne font qu'irriter les désirs de l'homme. Ainsi il laissa dans la Médie un satrape en qui il avait confiance et poursuivant ses conquêtes il subjugua en dix‑sept ans toute l'Asie, excepté la Bactriane et les Indes. Aucun écrivain n'a conservé le nombre exact des batailles qu'il a gagnées, ni des nations qu'il a vaincues : ainsi nous nous en tiendrons aux faits les plus remarquables, à l'exemple et sur le rapport de l'historien Ctésias de Cnide. Ninus suivant les côtes de la mer et s'enfonçant aussi dans le continent conquit l'Égypte, la Phénicie, la Célé‑Syrie, la Cilicie, la Pamphylie, la Lycie, la Carie, la Phrygie, la Mysie et la Lydie. Il réduisit encore la Troade, la Phrygie sur l'Hellespont, la Propontide, la Bithynie, la Cappadoce et toutes les nations barbares qui bordent la mer jusqu'au Tanaïs. Il se rendit maître des Caddusiens, des Tapyriens, des Hircaniens et des Daces ; aussi bien que des Derbices, des Carmaniens et des Choramniens et même des Borcaniens et des Parthes. Il pénétra jusque dans la Perse, dans la Susiane et dans la Caspiane où l'on entre par des passages étroits qu'on appele pour cette raison les portes caspiennes. Nous ne finirions jamais si nous voulions nommer les autres peuples moins considérables qui tombèrent sous sa puissance.

IV. Il fait bâtir Ninive.

Á l'égard de la Bactriane comme il était difficile d'en forcer les barrières, le pays étant fort peuplé et les habitants très aguerris, après plusieurs tentatives inutiles, Ninus renvoya à un autre temps la guerre qu'il avait dessein de leur faire et ramenant son armée dans la Syrie, il choisit un lieu favorable pour bâtir une grande ville. Car ayant par l'éclat de ses victoires effacé tous ses prédécesseurs, il forma encore le projet d'une ville si magnifique, que non seulement elle surpassât toutes celles qu'on pouvait avoir vues jusques alors, mais encore qu'il fût très difficile à la postérité d'en voir jamais une pareille. Ainsi après avoir comblé de présents le roi des Arabes et partagé avec lui ses riches dépouilles, il le renvoya dans son royaume avec ses troupes. Il ne songea plus qu'à rassembler des ouvriers et à ramasser des matériaux, sur le bord de l'Euphrate, où il bâtit une ville entourée de puissantes fortifications et plus longue que large. Sa longueur était de cent cinquante stades et sa largeur de quatre‑vingt-dix : ce qui fait en tout quatre cent quatre‑vingts stades de tour. Ninus ne fut point trompé dans ses espérances : car aucune ville n'a égalé celle‑ci ni par la grandeur du circuit ni par la magnificence des murailles. Elles avaient cent pieds de haut et trois chariots pouvaient marcher de front sur leur épaisseur. Elles étaient encore fortifiées de quinze cents tours posées d'espace en espace, dont chacune avait deux cents pieds de haut. La plus grande partie de la ville était occupée par les plus riches Assyriens ; mais Ninus y reçut aussi tous les étrangers qui voulurent s'y établir. Il donna aux habitants les campagnes des environs pour leur subsistance et nomma la ville Ninus ou Ninive de son nom.

V. Sémiramis femme de Ninus. Naissance et éducation de cette reine.

Après l'exécution de ce grand dessein, Ninus s'arma de nouveau pour entrer dans la Bactriane où il épousa Sémiramis. Comme c'est la plus illustre de toutes les femmes de l'antiquité, il est à propos de dire avant toutes choses comment d'une fortune très basse elle parvint à un si haut degré de gloire. Il y a dans la Syrie une ville nommée Ascalon auprès de laquelle est un grand et profond lac abondant en poissons et un temple dédié à une déesse fameuse que les Syriens appellent Dercéto. Elle a la tête et le visage d'une femme, mais tout le reste du corps est d'un poisson. Voici la cause qu'on allègue de cette forme. Les plus habiles de la nation disent que Vénus ayant été offensée par Dercéto lui inspira un amour violent pour un jeune sacrificateur fort bien fait. Dercéto ayant eu de lui une fille conçut une si grande honte de sa faiblesse qu'elle fit disparaître le jeune homme et ayant exposé l'enfant dans un lieu désert et plein de rochers, elle se jeta elle‑même dans le lac, où son corps fut métamorphosé en poisson. De là vient que les Syriens s'abstiennent encore aujourd'hui de cette nourriture et révèrent les poissons comme des dieux. Cependant sa petite fille fut sauvée et nourrie miraculeusement par des colombes qui venaient en grand nombre faire leur nid au lieu où elle avait été exposée. Les unes s'assemblant sur elle la réchauffaient, pendant que les autres observant le moment où les pasteurs d'alentour laissaient en se retirant du lait dans des vases, en apportaient dans leur bec et le versaient dans la bouche de cet enfant. Quand elle eut un an et qu'une nourriture plus solide lui devint nécessaire, les colombes eurent soin de lui apporter des morceaux de fromage. Les bergers, remarquant à leur retour leurs fromages becquetés et entamés, en cherchèrent et en suivirent la cause avec tant d'attention qu'ils découvrirent enfin la petite fille dont l'extrême beauté les frappa: aussitôt l'emportant dans leur village, ils la donnèrent à celui qui avait soin des troupeaux du roi et qui s'appelait Simma. Celui-ci n'ayant point d'enfants éleva cette fille avec autant d'affection que si elle avait été la sienne et la nomma Sémiramis, nom qui dans la langue syriaque fait allusion aux colombes que ces peuples depuis ce temps ont regardées comme des divinités. Voilà à peu près l'histoire ou la fable de la naissance et de l'éducation de Sémiramis. Quand elle fut en âge d'être mariée elle surpassait en beauté toutes ses compagnes : le roi envoya visiter alors ses troupeaux par un de ses favoris appelé Menonès, chef de son conseil et gouverneur de la Syrie. Celui-ci étant descendu chez Simma, fut saisi d'amour à l'aspect de Sémiramis : de sorte que l'ayant demandée en mariage à son hôte il l'épousa et l'ayant emmenée avec lui à la cour, il en eut deux enfants Hypatès et Hydaspes. Au reste Sémiramis qui avait autant d'esprit et de sagesse que de beauté, se rendit maîtresse absolue de son époux qui ne faisant plus rien sans son avis réussissait en toutes choses.

VI. Entreprise de Ninus contre la Bactriane.

NINUS ayant donc achevé la construction de sa ville songea à conquérir la Bactriane. Mais connaissant le nombre et le courage des habitants de ce royaume, sachant d'ailleurs que la nature l'avait rendu inacessible en plusieurs endroits, il fit lever des soldats dans toute l'étendue de son empire. Car ayant manqué la première fois son entreprise, il voulut s'en assurer le succès par une armée à laquelle rien ne put résister. Elle montait, selon le dénombrement qu'en a fait Ctésias dans son histoire, à dix‑sept cent mille hommes d'infanterie, à deux cent dix mille hommes de cavalerie et à près de dix mille six cents chariots armés de faux. Ce nombre surprendra sans doute ceux qui n'ont vu que nos armées ; mais il ne paraîtra point incroyable à ceux qui connaissent l'Asie et qui savent la multitude d'hommes qu'elle renferme. Car sans parler de l'armée de huit cent mille hommes que Darius mena contre les Scythes et de celle de Xerxès qui descendit en Grèce avec des troupes innommables, il n'y a pas longtemps que l'Europe même en a vues qui doivent nous aider à croire ce que nous disons de celle de Ninus. Denys tyran de Sicile tira de la ville de Syracuse une armée de cent vingt mille hommes de pied et de douze mille chevaux et du seul port de la même ville quatre cents grands navires dont plusieurs étaient à trois et à cinq rangs de rames. Un peu avant la descente d'Annibal en Italie, les Romains, prévoyant l'importance de cette guerre, firent le dénombrement de ceux qui étaient capables de porter les armes dans l'étendue de leur domination et ils en trouvèrent près d'un million tant de leurs sujets que de leurs alliés. Or pour le nombre des habitants l'Italie entière n'approche pas d'une seule province de l'Asie. Cela suffit contre ceux qui veulent juger du nombre des habitants des villes anciennes par la solitude qui y régne aujourd'hui. Ninus donc, partant pour la Bactriane avec toutes les troupes que nous venons de marquer, fut obligé par la difficulté des chemins et des passages de les faire défiler séparément. Entre plusieurs grandes villes dont la Bactriane est remplie, il y en a une très magnifique où les rois faisaient leur séjour. On l'appelait Bactres et elle surpassait toutes les autres par sa grandeur et par la beauté de ses fortifications. Oxyactes, qui en était roi, fit assembler toute la jeunesse de sa ville et en composa une armée de quatre cent mille hommes. Il la conduisit sur les frontières de son royaume à la rencontre de Ninus ; de telle sorte pourtant qu'il laissa entrer dans la Bactriane une grande partie de troupes ennemies. Quand il crut qu'il y en avait assez pour rendre sa victoire décisive, il se mit en bataille dans la plaine et après un sanglant combat, les Bactrians ayant défait les Assyriens, les poursuivirent jusqu'au détroit des montagnes et leur tuèrent cent mille hommes. Mais tout le reste des troupes assyriennes ayant eu enfin le temps de passer, elles se trouvèrent encore plus nombreuses que les Bactrians : de sorte que ceux‑ci jugèrent à propos de se séparer pour aller défendre les villes particulières. Ninus les prit facilement les unes après les autres ; mais il ne pouvait emporter de force la capitale à cause des fortifications qui la défendaient et des munitions de guerre dont elle était pourvue.

VII. Sémiramis vient au siège de Bactres et prend elle-même la ville. Le roi l'épouse et meurt à son retour.

Comme le siège traînait en longueur, le mari de Sémiramis qui avait suivi le roi fut impatient de revoir fa femme et l'envoya chercher. Elle était pleine d'intelligence, de courage et de toutes les qualités qui mènent à la plus haute fortune ; ainsi elle accepta avec joie cette occasion de faire voir de quoi sa vertu la rendait capable. Comme le voyage était long, elle prit un habit ambigu et par lequel on ne pouvait pas juger si elle était homme ou femme : d'un côté il était très propre à garantir son corps et son visage des impressions du soleil dans le chemin et de l'autre il laissait une pleine liberté à tous ses membres pour les exercices de guerre. Cet habit avait d'ailleurs tant de grâce qu'il a été pris par les Mèdes et ensuite par les Perses lorsque ces deux peuples se sont rendus successivement maîtres de l'Asie. Dès qu'elle fut arrivée elle examina l'état du siège et de la place. Elle vit que toutes les attaques se faisaient du côté de la plaine, par où il paraissait plus aisé d'entrer dans la ville et qu'on abandonnait la citadelle bâtie sur un lieu escarpé et que l'on croyait inaccessible. Elle observa aussi que les assiégés ne faisaient aucune garde dans la citadelle et qu'ils ne se défendaient qu'aux fortifications basses qu'on avait d'abord attaquées. Aussitôt elle prit avec elle quelques soldats accoutumés à grimper sur des rochers et par un sentier très difficile elle arriva jusque dans la citadelle dont elle s'empara sans obstacle, en donnant en même temps à l'armée qui était dans la plaine le signal dont on était convenu. Les assiégés épouvantés de la prise de leur citadelle désespérèrent de sauver leur ville et abandonnèrent leurs portes et leurs murailles. Le roi admirant le courage et la sagesse de Sémiramis la combla d'abord de magnifiques présents et s'étant laissé gagner ensuite à ses charmes il proposa à son mari de la lui céder en lui offrant en échange sa propre fille nommée Sosanne. Menonès ne pouvant s'y résoudre, le roi le menaça de lui faire crever les yeux s'il ne se rendait à ses désirs : de sorte que ce mari infortuné agité d'amour et de crainte tomba dans le désespoir et se pendit. Sémiramis monta ainsi sur le trône. Cependant Ninus s'étant saisi de tous les trésors des Bactres qui consistaient en une quantité prodigieuse d'or et d'argent, régla toutes choses dans la Bactriane et licencia son armée. Il eut ensuite un fils de Sémiramis nommé Ninias et il mourut bientôt après laissant son royaume entre les mains de sa femme. Sémiramis fit ensevelir le roi son époux dans l'enceinte de son palais et fit élever sur sa tombe une terrasse qui, au rapport de Ctésias, avait neuf stades de haut et dix de large de sorte que comme la ville présente son aspect à une grande plaine du côté de l'Euphrate, ce tombeau paraît de loin comme une puissante forteresse. On dit qu'il subsiste encore, quoi que les Mèdes aient détruit l'empire des Assyriens et Ninive même.

VIII. Sémiramis bâtit la ville de Babylone.

Sémiramis qui était née pour les grandes choses voulant porter sa gloire au‑delà de celle de son époux, conçut le dessein de bâtir d'abord une grande ville dans la Babylonie. Elle fit venir des architectes et des ouvriers de tous les endroits de son royaume, au nombre de deux millions d'hommes et fit amasser tous les matériaux nécessaires à cette entreprise. Mettant l'Euphrate au milieu de son plan, elle fit faire un mur de trois cent soixante stades qui était partagé et fortifié par de grandes et grosses tours. Son épaisseur était telle qu'elle aurait fourni l'espace nécessaire à six chariots de front. Sa hauteur à s'en tenir au récit de Ctésias, serait incroyable mais au rapport de Clitarque et de quelques autres qui passèrent en Asie à la suite d'Alexandre, on avait affecté de donner au circuit des remparts autant de stades qu'il y a de jours dans l'année, c'est‑à‑dire trois cent soixante‑cinq. Les murailles étaient faites de brique liée avec du bitume. Leur hauteur, selon Ctésias, était de cinquante toises : mais selon des écrivains plus récents, elle n'allait qu'à cinquante coudées et leur largeur était de plus de deux chariots de front. Enfin elles étaient flanquées de deux cent cinquante tours d'une grosseur et d'une hauteur proportionnée au reste de l'ouvrage. Le nombre des tours paraîtra peut-être petit, eu égard au circuit des murailles : mais la ville était bordée de marais en plusieurs endroits, de sorte qu'on pouvait s'y passer de fortifications de main d'homme. Il y avait de tous côtés la longueur de deux arpents entre les maisons et les murailles de la ville. Pour hâter l'exécution d'une si grande entreprise, la reine avait donné à chacun de ses principaux amis un stade de muraille à faire, en leur fournissant les ouvriers et les matériaux et en les engageant à l'achever dans l'année. Elle eut lieu de se louer de la diligence qu'ils avaient apportée à remplir leur commission.

Elle s'était chargée cependant de construire un pont sur l'endroit du fleuve le plus étroit. Le pont ne laissa pas d'avoir cinq stades de long. Les piles étaient distantes l'une de l'autre de douze pieds et il avait fallu beaucoup d'art et de travail pour en jeter les fondements : elle en avait fait lier toutes les pierres avec des clefs de fer et remplir tous les joints de plomb fondu ; elle avait fait faire aux piles du côté du flot des éperons extrêmement avancés, qui coupant l'eau de fort loin et la faisant glisser le long de leurs flancs arrondis, en réduisaient presque à rien le coup et le poids. Le dessus du pont était un plancher de bois de cèdre et de cyprès posé sur des poutres et des soliveaux de palmier d'une très grande longueur car le pont avait trente pieds de large et répondait parfaitement à la magnificence des autres ouvrages de Sémiramis. Elle fit faire des deux côtés du fleuve des quais dont les murs étaient presque aussi larges que ceux de la ville et de la longueur de cent soixante stades. Elle fit bâtir deux palais pour elle, un à chaque entrée du pont ; de sorte qu'en même temps elle découvrait toute la ville et était maîtresse des passages les plus importants. Ainsi comme l'Euphrate traverse Babylone du septentrion au midi, ses deux palais étaient exposés l'un au levant et l'autre au couchant. Elle les bâtit magnifiquement l'un et l'autre. Elle prit pour celui qui était au couchant un terrain de soixante stades de tour qu'elle fit environner de murailles très hautes de brique cuite. Elle fit en dedans un second mur dont l'enceinte était parfaitement ronde et elle y fit représenter en relief sur la brique, dans le temps qu'elle était encore molle, des animaux de toute espèce sur lesquels on avait mis en suite leurs couleurs naturelles de sorte qu'ils paraissaient vivants. Ce second mur avait quarante stades de tour, trois cents briques d'épaisseur, cinquante toises de haut, selon Ctésias. Les tours qui l'accompagnaient s'élevaient jusqu'à soixante et dix toises. Elle fit enfin un troisième mur qui environnait la citadelle, dont le tour était de trente stades et ce mur surpassait celui du milieu en largeur et en hauteur. On avait aussi représenté sur le troisième mur et sur les tours qui le partageaient toutes sortes de bêtes en relief et en couleur. Il y avait d'abord une chasse pleine d'animaux qui passaient tous quatre coudées de haut. Au milieu d'eux paraissait Sémiramis à cheval qui perçait un tigre de son dard et auprès d'elle était Ninus qui tuait un lion d'un coup de lance. Ce palais avait trois grandes portes au‑delà desquelles étaient trois salons et murs d'airain qui s'ouvraient par machine et il surpassait de beaucoup par sa grandeur et par sa magnificence celui qui était de l'autre côté du fleuve. L'unique mur qui environnait celui‑ci était aussi de brique cuite, mais il n'avait que trente stades de tour. Au lieu des animaux qui ornaient le premier on avait placé dans le second la statue de Jupiter appelé Bélus par les Babyloniens, celles de Ninus, de Sémiramis et des principaux officiers de l'état. On y voyait aussi des armées et des chariots d'une beauté surprenante. Elle choisit ensuite le lieu le plus bas des environs de Babylone pour y faire creuser un lac carré de trente‑cinq pieds de profondeur et dont chaque côté avait trois cents stades de long ; il était revêtu partout d'un mur de brique de bitume. On y fit entrer le fleuve pendant qu'on exécutait une autre entreprise qu'elle avait conçue : c'était de bâtir une galerie sous l'eau. Les murs qui la formaient, enduits en dedans d'une couche de bitume de six pieds d'épaisseur, avaient vingt briques de large et douze pieds de haut jusqu'à la naissance de la voûte et l'intérieur de sa galerie avait quinze pieds de largeur. Tout ce travail fut achevé en deux cent soixante jours après lesquels la reine fit ramener le fleuve dans son lit ordinaire. Ainsi ses eaux couvrant la galerie, Sémiramis allait d'un de ses palais à l'autre par dessous le fleuve. Elle fit former cette galerie de portes d'airain qui subsistaient encore sous le règne des Perses.

IX. Temples de Bélus.

ENFIN elle éleva au milieu de la ville le temple de Jupiter nommé Bélus par les Babyloniens, comme nous l'avons déjà dit. Les historiens qui en ont parlé en ayant fait des descriptions différentes ; et ce temple même étant absolument ruiné, nous n'en pouvons rien dire de bien exact mais on convient qu'il était d'une hauteur excessive et que les Chaldéens y ont fait leurs principales découvertes en astronomie par l'avantage qu'il y avait d'observer de là le lever et le coucher des astres. Tout l'édifice construit d'ailleurs avec un soin extrême était de brique et de bitume. Elle plaça sur le haut trois statues d'or massif, celle de Jupiter, celle de Junon et celle de Rhéa. Jupiter était debout dans la disposition d'un homme qui marche. Il avait quarante pieds de haut et était du poids de mille talents babyloniens. Rhéa, représentée assise dans un chariot d'or était du même poids : elle avait à ses genoux deux lions et à côté d'elle deux énormes serpents d'argent qui pesaient trente talents. Junon qui était debout et du poids de huit cents talents avait à la main droite un serpent qu'elle tenait par la tête et à la main gauche un sceptre chargé de pierreries. Il y avait devant ces trois divinités une table d'or longue de quarante pieds, large de quinze et du poids de cinq cents talents. Sur cette table étaient posées deux urnes chacune du poids de trente talents et deux cassolettes chacune de trois cents. Il y avait aussi trois grandes coupes : celle qui était devant Jupiter pesait douze cents talents et les deux autres chacune six cents. Les rois de Perse ont pillé ces trésors et à l'égard des palais et des autres édifices le temps en a détruit une partie et considérablement endommagé l'autre, car aujourd'hui il n'y a qu'un très petit quartier de l'ancienne Babylone qui soit habité et on laboure au‑dedans des murailles.

X. Le jardin appelé jardin de Sémiramis.

Il y avait dans la citadelle un jardin suspendu, mais Sémiramis n'y a point de part et il a été fait par un roi syrien du nombre de ses successeurs, en faveur d'une courtisane. Comme elle était de Perse où l'on voit des prés et des vergers jusque sur les montagnes, elle inspira au roi d'imiter à Babylone par les efforts de l'art cet agrément de la Perse. Les côtés de ce jardin qui était carré avaient chacun quatre arpents de longueur. On y arrivait en montant et l'avenue en était bordée de part et d'autre de bâtiments convenables, ce qui lui donnait l'air d'un théâtre. Les degrés ou plutôt les plates-formes par lesquelles on y montait étaient soutenues par des arcades qui servaient aussi à porter le poids du jardin. Ces arcades s'élevaient presque insensiblement les unes au‑dessus des autres. Mais enfin la dernière était de cinquante coudées de haut et soutenait le devant du jardin qui gardait ensuite un parfait niveau dans toute son étendue. Il était posé sur des espèces de piliers d'une solidité extrême puisqu'ils avaient vingt‑deux pieds d'épaisseur en carré. Comme ils n 'étaient distants les uns des autres que de dix pieds, on avait jeté de l'un à l'autre des blocs de pierre de seize pieds de long et de quatre pieds d'épaisseur. Ces pierres soutenaient un plancher ou une première couche de roseaux liés avec une grande quantité de bitume ; une seconde couche, qui était double, de briques cuites liées avec du plâtre et une troisième couche de plomb pour empêcher que l'humidité de la terre qu'on mettrait dessus ne pénétrât jusqu'aux murs. On y en avait porté une si grande quantité que sa hauteur suffisait aux racines des plus grands arbres. Le jardin en contenait en effet un grand nombre de toutes les espèces qui étaient d'une grandeur et d'une beauté surprenante. Comme le jour entrait librement par dessous les arcades, on avait pratiqué entre les piliers plusieurs chambres magnifiques où l'on pouvait manger. Un seul des murs était creux depuis le haut jusqu'en bas. C'est celui dans l'épaisseur duquel on avait placé des pompes qui descendaient dans le fleuve et qui apportaient jusque dans le jardin toute l'eau dont on pouvait avoir besoin pour l'arroser de sorte que du dehors on n'apercevait rien de toute cette construction. Mais comme nous l'avons déjà dit, ce jardin était postérieur à Sémiramis. Cette reine avait bâti plusieurs autres villes le long de l'Euphrate et du Tigre dans lesquelles elle avait établi des entrepôts pour toutes les marchandises qui venaient de la Médie, de la Paratacéne et des pays circonvoisins.

XI. Fleuves et autres avantages de la Babylonie.

Après le Nil, le Gange et un petit nombre d'autres fleuves les plus célèbres de l'Asie sont l'Euphrate et le Tigre qui sortent des montagnes d'Arménie et dont les sources sont éloignées l'une de l'autre de quinze cents stades. A l'extrémité de la Médie et de la Paratacène, ils embrassent la Mésopotamie à laquelle même ils ont donné ce nom parce qu'en effet elle est située entre ces deux fleuves. Traversant ensuite la Babylonie ils vont se jeter dans la mer Rouge : comme ces fleuves sont fort grands et qu'ils parcourent de grands pays, ils sont très favorables pour le commerce. De là vient que les villes qu'ils arrosent sont très marchandes et contribuent par là à l'éclat et à la magnificence de Babylone. Sémiramis avait tiré des montagnes d'Arménie une pierre de cent trente pieds de longueur et de vingt‑cinq de largeur et d'épaisseur. L'ayant fait traîner par plusieurs couples d'ânes et de boeufs jusque sur le fleuve on la mit sur une barque faite exprès de sorte qu'étant arrivée jusque dans la Babylonie on dressa sur le grand chemin ce monument, qu'on a mis au nombre des sept merveilles du monde et qu'on a appelé obélisque à cause de la forme d'aiguille qu'on lui avait donnée. Entre les choses surprenantes qu'on voit dans la Babylonie, la quantité de bitume qui s'y forme n'est pas des moins considérables. Car outre l'usage qu'on en a fait dans les bâtiments immenses dont nous avons parlé, tout le peuple en va prendre autant qu'il en veut et le met au feu comme du bois après l'avoir fait sécher. Quoi que le nombre de ceux qui en puisent tous les jours soit prodigieux, ce qui en reste paraît toujours dans la même quantité comme l'eau d'une fontaine intarissable. Auprès de la grande source de bitume, il y en a une autre plus petite, mais remarquable par une propriété terrible. Elle jette une vapeur de souffre si violente que tout animal qui s'en approche perd la respiration et meurt sur-le- champ, suffoqué par l'odeur qui sort de cette source empoisonnée. L'inflammation et l'enflure gagnent tout le corps, mais particulièrement les parties qui sont autour du poumon. Il y a aussi au‑delà du fleuve un lac environné d'une terre extrêmement sèche : ceux qui ne le connaissant pas entreprennent de s'y baigner nagent quelque temps mais à peine sont‑ils vers le milieu qu'ils se sentent comme tirés par une force inconnue de sorte qu'essayant de gagner le bord pour se sauver ils ne peuvent en venir à bout. Les jambes, les cuisses, les reins s'engourdissent successivement, jusqu'à ce qu'enfin tout le corps devenant perclus tombe au fond et revient bientôt sans vie au-dessus de l'eau. Nous finirons là les particularités qui concernent le pays de la Babylonie.

XII. Expéditions de Sémiramis dans la Médie, dans la Perse, dans la Libye et dans l'Ethiopie. Ouvrages qu'elle fit faire dans sa route.

Sémiramis ayant achevé tous ces ouvrages marcha avec une grande armée contre les Mèdes et étant arrivée au pied d'une montagne appelée le Bagistan elle y forma son camp et de plus elle traça dans la plaine un jardin de douze stades de tour. Au milieu de ce jardin il y avait une fontaine qui fournissait l'eau nécessaire pour l'arroser. Le mont Bagistan qui est consacré à Jupiter présentait au jardin une de ses faces qui était un rocher escarpé de dix‑sept stades de hauteur et plein d'inégalités. Sémiramis le fit unir par le bas et y fit tailler sa figure accompagnée de cent gardes. Elle y ajouta une inscription en caractères syriens qui portait que Sémiramis, en mettant en un monceau le bagage dont étaient chargées les bêtes de somme qui suivaient son armée, était montée jusqu'au haut de la montagne. Ayant décampé de là pour aller auprès de Chaone ville de la Médie, elle aperçut sur un terrain assez élevé une pierre d'une grosseur étonnante. Elle traça là un autre jardin très grand au milieu duquel la pierre se trouvait enfermée. Elle fit bâtir à l'entour des maisons de délices, d'où elle découvrait non seulement tout le jardin, mais encore son armée qui était campée dans la plaine. Elle passa un très long temps en ce lieu en se livrant à toutes les voluptés qui se présentaient à son esprit. Elle ne voulut jamais se marier de peur que son mari ou ses enfants ne la dépossédassent de l'empire mais elle choisit les plus beaux hommes de son armée pour avoir commerce avec elle et les fit tous mourir ensuite. De là elle marcha vers Ecbatane et arriva à la montagne appelée Zarcée. Cette montagne occupe plusieurs stades de terrain et les rochers et les précipices qui la partagent lui donnent un très grand circuit. La reine voulant abréger sa route et en même temps immortaliser sa mémoire, fit couper des rochers et combler des précipices, traçant ainsi à grands frais un chemin droit et uni qui retient encore aujourd'hui le nom de Sémiramis. Étant arrivée à Ecbatane ville située dans la plaine, elle y bâtit un palais magnifique et prit même un soin plus particulier de cette ville que des autres. Car comme elle manquait souvent d'eau et qu'il n'y avait pas de sources dans son voisinage, elle fit venir avec des travaux immenses une si grande abondance de la plus belle eau que toute la ville en était arrosée. A douze stades d'Ecbatane est une montagne appelée Oronte fort droite et si élevée qu'elle à vingt‑cinq stades de hauteur perpendiculaire. De l'autre côté est un grand lac qui se décharge dans le fleuve, La reine fit percer cette montagne vers le pied, pour y faire passer un canal auquel elle donna quinze pieds de largeur sur quarante de profondeur et qui conduisait l'eau depuis le lac jusqu'à Ecbatane.

Suite de l'expédition de Sémiramis.

De la Médie elle passa dans la Perse et parcourut tous les pays qu'elle possédait dans l'Asie. Changeant partout en plaines les montagnes et les précipices, elle fit des chemins magnifiques. Dans les lieux plains au contraire elle fit élever des terrasses pour y placer les tombeaux des principaux officiers de son armée ou même des collines pour y bâtir des villes. Elle avait coutume aussi de faire faire de petites hauteurs à côté de son camp afin qu'y faisant dresser sa tente elle pût découvrir toute son armée. Plusieurs de ces travaux subsistent encore dans l'Asie où on les appelle les ouvrages de Sémiramis. Elle entra suite dans l'Égypte et ayant subjugué la plus grande partie de la Libye, elle alla jusqu'au temple de Jupiter Ammon pour interroger l'oracle sur le temps de sa mort. On dit qu'il lui fut répondu qu'elle disparaîtrait d'entre les hommes et que quelques nations commenceraient à lui rendre les honneurs divins lorsque son fils Ninyas lui aurait dressé les embûches. De là elle passa chez les Éthiopiens qu'elle vainquit et où elle observa toutes les singularités du pays ; par exemple, ce lac carré qui a cent soixante pieds de tour dont l'eau est de la couleur du cinabre et qui répand une odeur très agréable et approchante de celle du vin vieux. Mais cette eau a, dit‑on, une propriété extraordinaire, c'est qu'elle fait tomber ceux qui en boivent dans un délire qui leur fait révéler des crimes qu'ils avaient oubliés eux‑mêmes depuis longtemps. Cependant on n'ajoute pas beaucoup de foi à cette particularité. A l'égard des Éthiopiens, ils ont des cérémonies très singulières dans leurs funérailles. Après avoir salé les corps, ils les mettent dans une niche de verre qu'ils posent sur une colonne de sorte qu'on les voit à découvert. C'est ainsi que le rapporte Hérodote. Mais Ctétias soutient qu'il se trompe. Il dit qu'à la vérité on sale les corps, mais qu'on ne les voit point à nu dans une niche de verre. Car comme ils ont été altérés par le feu où on les a fait passer, ils ne sauraient conserver la ressemblance du défunt : et il soutient que l'on fait une statue d'or qui le représente dans laquelle son cadavre est enfermé et que c'est cette statue que l'on pose dans une niche et qu'on voit au travers du verre. Au reste ce ne sont que les plus riches que l'on ensevelit ainsi. On fait faire des statues d'argent pour ceux qui le sont moins et des statues de terre cuite pour les pauvres. A l'égard du verre, on en trouve abondamment en Éthiopie et il n'est personne qui ne soit en état d'en avoir. Mais nous parlerons bientôt des lois des Éthiopiens et des choses remarquables qui se voient en leur pays lorsque nous raconterons ce que l'histoire véritable ou fabuleuse a conservé de leurs antiquités.

XIII. Retour de Sémiramis à Bactres : préparatifs extraordinaires pour la guerre qu'elle veut porter aux Indes.

Sémiramis ayant réglé toutes choses dans l'Éthiopie et dans l'Égypte reprit le chemin de l'Asie et revint à Bactres avec toute son armée. Se voyant de très grandes forces, elle voulut se signaler après une longue paix par une guerre d'éclat. Ayant donc appris que les Indiens formaient la plus grande nation de la terre et qu'ils occupaient un très grand et très beau pays, elle résolut de les aller combattre. Stabrobatès était alors roi des Indes et il entretenait toujours une armée innombrable. Il avait plusieurs éléphants qu'on parait magnifiquement et qui étaient terribles dans les combats. L'Inde surpasse en beauté tous les pays du monde : elle est arrosée d'un grand nombre de fleuves qui la traversent et elle fournit double récolte par an. Ainsi les habitants y trouvent en abondance toutes les choses nécessaires à la vie. On dit que le climat y est si favorable qu'on n'y a jamais vu de famine, ni même aucun de ces accidents qui nuisent ailleurs aux fruits de la terre. Il y a une quantité prodigieuse d'éléphants qui en courage et en force surpassent de beaucoup ceux de la Libye. Elle produit de l'or, de l'argent, du fer, du cuivre, toute sorte de pierreries très parfaites, en un mot tout ce qui peut enrichir les hommes ou contribuer à leurs plaisirs. Ces avantages qui étaient connus de Sémiramis l'engagèrent à déclarer la guerre à ces peuples, quoiqu'elle n'eût reçu d'eux aucune offense. Comme cette expédition demandait une armée nombreuse, elle envoya des ordres à tous les commandants de ses provinces de faire enrôler l'élite de la jeunesse au nombre qu'elle avait prescrit, selon l'étendue de chaque gouvernement. Toutes ces troupes devaient paraître bien équipées et avec des armes neuves à une revue générale qu'elle indiqua à Bactres dans le terme de trois ans. Elle fit venir aussi des ouvriers de marine de la Phénicie, de la Syrie, de l'île de Chypre et de toutes les côtes de la mer. Elle leur fit fournir les bois nécessaires pour des bateaux qui se pussent démonter. Elle en voulait avoir sur le fleuve Indus qui bornait ses états, un assez grand nombre pour passer chez les ennemis et pour les arrêter quand ils entreprendraient de venir chez elle. Mais comme il n'y a pas de forêts aux environs du fleuve Indus, il fallait y porter par terre ces barques toutes prêtes. Sémiramis ne trouvait son armée inférieure à celle des Indiens que du côté des éléphants qui lui manquaient. Pour y suppléer elle imagina de faire des représentations de ces animaux qui surprendraient extrêmement des peuples persuadés qu'il n'y avait d'éléphants que dans leur pays. Elle choisit pour cet effet trois cent mille boeufs noirs dont elle laissa par avance toutes les chairs au profit des ouvriers qui exécuteraient son dessein. C'était d'en assembler les cuirs et de les remplir de foin de telle sorte qu'on leur donnât la figure qu'elle demandait. On ajustait ces cuirs sur des chameaux et l'on trouvait moyen de placer un homme dans la machine pour la faire mouvoir, de sorte qu'elle paraissait de loin un véritable éléphant. Ceux qu'on choisit pour ce travail furent enfermés dans un bâtiment muré de tous les côtés et dont la porte était si étroitement gardée qu'aucun d'eux ne pouvait sortir et que personne ne pouvait ni les voir ni leur parler. Elle en usait ainsi de peur que la chose se divulguant ne parvînt jusqu'aux oreilles des Indiens. Ayant employé deux ans tant à la préparation de ces faux éléphants qu'à celle de ses barques, elle assembla toutes ses troupes dans la Bactriane. Son armée, selon Ctésias, montait à trois millions d'hommes d'infanterie, à cinq cent mille hommes de cavalerie et à cent mille chariots. Il y avait de plus cent mille hommes montés sur des chameaux et tous armés d'épées de six pieds de long. Elle avait deux mille de ces barques qui se démontaient, elle les fit porter jusqu'au fleuve sur des chameaux, aussi bien que les formes d'éléphants dont nous avons parlé ; les cavaliers marchant à côté accoutumaient leurs chevaux à cet objet extraordinaire. Persée roi de Macédoine mit en usage un stratagème à peu près semblable contre les Romains qui avaient dans leur armée des éléphants de Libye : cette tromperie ne lui réussit pas mieux qu'à Sémiramis. Nous allons voir plus en détail ce qui arriva à l'égard de cette reine.

XIV. Elle est vaincue par Stabrobatès, roi des Indes, et elle revient à Bactres.

Stabrobates ayant appris les préparatifs immenses que l'on faisait contre lui s'efforça de porter les siens à un tel excès qu'ils surpassassent encore ceux de Sémiramis. Dans cet te vue il fit faire quatre mille barques de roseaux. Car dans les lndes les lieux voisins des fleuves et des marécages portent des roseaux d'une telle grosseur que c'est tout ce que peut faire un homme que de les embrasser et l'on dit de plus que les vaisseaux qui sont faits de cette espèce de bois sont d'un excellent usage parce qu'il est incorruptible. On forgea aussi des armes avec un soin particulier et les levées qu'il fit faire dans tous ses états lui fournirent une armée beaucoup plus nombreuse que celle de Sémiramis. Il envoya des chasseurs à la poursuite des éléphants sauvages pour augmenter le nombre de ceux qu'il avait nourris jusqu'alors et il les fit enharnacher de sorte que leur vue seule inspirait la terreur. En effet quand on les mit en marche il ne semblait pas à leur nombre et à l'armure dont ils étaient couverts qu'aucune force humaine pût leur résister. Ayant ainsi disposé toutes choses pour sa défense, il envoya des hérauts au‑devant de Sémiramis qui attestèrent les dieux en sa présence qu'elle venait attaquer une nation qui ne lui avait fait aucun tort. Les lettres dont ils étaient chargés étaient remplies d'ailleurs de reproches secrets sur les dérèglements de sa vie et il assurait par serment que si elle tombait en sa puissance il la ferait mettre en croix. Sémiramis ayant lu ces lettres répondit en se moquant que dans le combat elle ferait preuve de sa vertu. S'étant ensuite avancée jusque sur le fleuve Indus elle trouva l'armée ennemie rangée en bataille. Aussitôt mettant ses barques en état et les remplissant de ses meilleurs soldats elle entreprit un combat naval de telle forte pourtant qu'elle était encore aidée des troupes qu'elle avait disposées sur le rivage. L'on combattit vaillamment de part et d'autre mais enfin la victoire demeura à Sémiramis. Elle coula à fond mille barques et fit un grand nombre de prisonniers. Encouragée par cette première victoire elle prit toutes les îles, du fleuve et toutes les villes qui y étaient bâties et fit dans cette seule course cent mille captifs. Le roi des Indes retira ses troupes d'auprès du fleuve en faisant semblant de fuir, mais dans le dessein d'attirer l'ennemi sur ses terres. Sémiramis flattée par ces succès fit jeter sur le fleuve un pont d'une largeur extraordinaire par dessus lequel elle fit passer toutes ses troupes. Elle laissa soixante mille hommes à la garde du pont et conduisit le reste à la queue des fuyards, en faisant marcher à la tête de son armée ses faux éléphants afin que les espions du roi lui en fissent le rapport. Elle ne fut pas trompée à cet égard et comme les espions parlaient du nombre prodigieux de ces animaux, les Indiens se demandaient les uns aux autres comment une armée assyrienne pouvait avoir tant d'éléphants : cependant la fraude fut bientôt découverte. Quelques soldats de Sémiramis surpris à faire mauvaise garde pendant la nuit et craignant d'en être punis, étaient passé chez les Indiens et leur avaient dévoilé tout le mystère. Le roi prenant un nouveau courage sur ce rapport et découvrant à ses soldats ce qu'il avait appris des transfuges, revint en bataille rangée contre ses ennemis. La reine s'était préparée à le recevoir : ainsi quand les deux armées furent en présence, le roi des Indes fit avancer sa cavalerie avec les chariots pour commencer le combat. Sémiramis soutint vigoureusement ce choc, en leur opposant ses faux éléphants qui étaient rangés à la tête de l'armée en égale distance les uns des autres. Les chevaux indiens en furent bientôt effrayés : cet aspect ne les effarouchait pas d'abord parce qu'ils étaient accoutumés à voir des éléphants que ces figures mouvantes représentaient de loin ; mais quand ils en furent plus proches, l'odeur des cuirs à laquelle ils n'étaient pas faits, jointe aux différences très sensibles de près entre de vrais éléphants et ces formes monstrueuses les mirent absolument en désordre : ainsi les uns jetaient par terre leurs cavaliers, les autres n'obéissant plus à la main portaient les leurs au milieu des ennemis. Sémiramis profitant de ce tumulte se jette avec l'élite de ses soldats sur la cavalerie ennemie et la met en fuite. Stabrobatès étonné de cette déroute fait avancer ses fantassins précédés de ses éléphants. Lui‑même commandant l'aile droite monté sur le plus beau de tous, alla droit à la reine que le hasard avait amenée devant lui. Les faux éléphants s'avançant aussi de leur côté soutinrent peu de temps l'impétuosité des véritables. Car ces animaux étant extraordinairement courageux et se confiant en leur force, tuaient du premier coup tous ceux qui s'opposaient à eux. Ainsi écrasant les uns avec leurs pieds, déchirant les autres avec leurs dents et jetant les autres en l'air avec leurs trompes, ils eurent bientôt répandu une terreur générale dans l'armée de Sémiramis. Enfin comme les morts s'entassaient les uns sur les autres et que le carnage avait quelque chose de plus effroyable qu'à l'ordinaire, on ne gardait plus de rang. Toute l'armée étant en déroute, le roi des Indes s'attacha à Sémiramis et lui tira d'abord une flèche qui l'atteignit au bras. Ensuite il lui lança un dard qui par un mouvement qu'elle fit la blessa au dos. Sémiramis, quoiqu'elle sentît à peine le coup monta à cheval et s'enfuit, laissant derrière elle l'éléphant du roi qui ne courait pas aisément. Toute son armée retourna précipitamment vers le fleuve où conduisait un seul chemin assez étroit de sorte que se foulant aux pieds les uns les autres et tombant pêle‑mêle hommes et chevaux, ils périssaient d'une manière étrange. Comme les ennemis les serraient de près, le désordre ne fut pas moins terrible sur le pont où ils se jetèrent en si grand nombre que n'y pouvant tenir tous, ils tombaient de part et d'autre dans le fleuve. Cependant dès que Sémiramis vit que la plus grande partie de ses troupes échappées du combat était passée, elle fit rompre le pont. Toute la charpente qui le soutenait se partageant en mille pièces, emporta avec elle les bateaux des Indiens qui poursuivaient les fuyards et qui se noyant dans les eaux rapides du fleuve, laissèrent en sûreté Sémiramis. Outre cela le roi des Indes ayant vu des signes dans le ciel qui, selon l'interprétation de ses devins, lui défendaient de passer outre, cessa sa poursuite et Sémiramis ayant échangé ses prisonniers revint à Bactres après avoir perdu les deux tiers de son armée.

XV. Mort de Sémiramis.

QUELQUE temps après son fils Ninyas lui dressa des embûches par l'entremise d'un eunuque son confident. Elle les découvrit et se ressouvenant alors de l'oracle de Jupiter Ammon, elle ne prit aucune résolution violente contre son fils : au contraire, elle lui céda la couronne et ayant recommandé à tous ses sujets de lui obéir, elle disparut comme pour faire croire qu'elle allait passer au rang des dieux, suivant la promesse de l'oracle. Quelques‑uns content qu'elle fut changée en colombe et qu'une bande de ces oiseaux s'étant venue placer sur son palais elle s'était envolée avec elles. C'est une des raisons pour lesquelles les Assyriens ayant immortalisé Sémiramis, ont rendu les honneurs divins à la colombe. Ainsi ayant été souveraine de toute l'Asie, excepté des Indes, Sémiramis finit ses jours après une vie de soixante et deux ans et un régne de quarante‑deux. Nous nous sommes conformés à Ctésias de Cnide dans tout ce que nous avons dit d'elle jusqu'à présent. Mais Athénée et quelques autres historiens, ont écrit qu'elle avait été une belle courtisane qui avait gagné par ses attraits le roi d'Assyrie. Elle n'avait d'abord eu qu'un crédit médiocre auprès de lui mais dans la suite ayant été déclarée sa femme légitime, elle lui proposa de la laisser maîtresse de l'empire pendant cinq jours. Ayant donc pris le manteau royal et le sceptre, elle employa le premier jour à faire des festins magnifiques auxquels elle invita les grands seigneurs et tous ceux qui avaient quelque autorité dans l'état pour les mettre dans ses intérêts. Toute la cour s'étant accoutumée ce jour‑là à la traiter de souveraine ; dès le lendemain elle fit mettre son mari en prison et étant pleine d'ambition et de courage, elle se saisit de l'autorité royale et fit pendant une longue vie de très grandes choses. C'est ainsi que les historiens varient au sujet de Sémiramis.

XVI. Ninyas son fils lui succède. Oisiveté et politique de ce prince.

Ninyas son fils qu'elle avait eu de Ninus lui succéda et s'éloignant de l'humeur guerrière et entreprenante de sa mère, il entretint la paix pendant tout son règne. Il passa toute sa vie dans son palais, ne se laissant voir à personne qu'à des concubines et à des eunuques. Il n'était jaloux que de son indolence et de ses plaisirs ; il ne travaillait qu'à éviter la douleur et le chagrin et il faisait consister le plus grand avantage de la royauté à satisfaire librement tous ses désirs. Cependant pour assurer sa couronne et pour maintenir ses sujets dans l'obéissance, il faisait lever tous les ans dans chaque province de son vaste empire un certain nombre de soldats fournis à un chef de la même nation. Il faisait camper l'armée composée de toutes ces milices autour de sa capitale et donnait cependant à chaque nation un gouverneur dévoué à sa personne. A la fin de l'année il renvoyait ces soldats chacun chez eux et en levait de nouveaux. Il retenait ainsi dans le devoir tous ses peuples qui voyaient une armée nombreuse toujours prête à aller réduire les rebelles les plus éloignés. Le changement annuel de ses troupes empêchait d'un autre côté que les officiers et les soldats ne prissent de trop fortes liaisons les uns avec les autres et n'acquissent même dans les armées une expérience et une hardiesse qui inspirent souvent des entreprises séditieuses. Le soin qu'il prenait de se cacher n'allait à vrai dire qu'à dérober au public la vue de ses débauches : cependant on le regardait comme un dieu invisible dont personne n'osait mal parler. Enfin quoiqu'il passât sa vie à Ninive il ne laissa pas d'établir des généraux dans les armées, des gouverneurs dans les provinces et des juges dans les villes ; en un mot il pourvut à tout ce qui lui parut nécessaire pour le bon ordre de ses états. Ses successeurs se conduisirent à peu près de la même manière pendant trente générations et jusqu'à Sardanapale.

XVII. Il y a une longue suite de rois inconnus jusque Sardanapale.

Sous celui-ci la monarchie des Assyriens passa aux Mèdes après avoir subsisté treize cent soixante et tant d'années, selon la supputation de Ctésias de Cnide en son second livre. Mais il n'a daigné nous rapporter ni le nom de chacun de ces rois ni la durée de leur règne parce qu'on n'en cite rien de remarquable, si ce n'est le secours qui fut envoyé à Troie par les Assyriens sous le commandement de Memnon fils de Tithon : car on dit que Teutamus, vingtième roi de l'Asie depuis Ninyas, étant sur le trône plus de mille ans après la fondation de cet Empire, Agamemnon mena les Grecs au siège de Troie et que Priam roi de la Troade se sentant pressé envoya demander du secours au roi d'Assyrie dont il relevait. Teutamus lui donna, dit‑on, dix mille Éthiopiens et autant de Susians aves deux cents chariots sous le commandement de Memnon. On ajoute que Tithon qui était le général des Perses, avait la première place dans la faveur du roi et que son fils se trouvant alors à la fleur de son âge surpassait tous les autres satrapes par son courage et par ses autres grandes qualités. Ce fut lui qui bâtit dans la citadelle de Suse un palais qui a subsisté jusqu'au temps de la monarchie des Perses et qui avait retenu son nom, aussi bien qu'un grand chemin qu'il avait fait faire dans cette province. Cependant, les Éthiopiens voisins de l'Egypte rendent douteuses ces dernières circonstances. Car ils prétendent que Memnon est né chez eux, et ils montrent encore de vieux palais qu'ils appellent Memnoniens. Ils conviennent de son voyage à Troie à la tête du secours que nous avons marqué plus haut et ils disent qu'il s'y signala par son courage et qu'il tua plusieurs Grecs de sa main ; après quoi il fut tué lui‑même par les Thessaliens dans une embuscade. Les Éthiopiens ayant recouvré son corps le brûlèrent et rapportèrent ses cendres à Tithon. Ces barbares assurent que son histoire est ainsi racontée dans les annales de leurs rois.

XVIII. Sardanapale dernier roi d'Assyrie.

Sardanapale dernier roi de la monarchie des Assyriens et le trentième depuis Ninus qui l'avait fondée surpassa tous ses prédécesseurs en fainéantise et en volupté, car outre qu'il ne se laissait voir à personne, il menait absolument la vie d'une femme. Il en portait l'habit, il en affectait la voix et étant sans cesse au milieu de ses concubines, il n'avait entre les mains que des ouvrages de laine et de pourpre. Il se fardait avec de la céruse et se parfumait le visage et tout le corps de ces essences recherchées qu'emploient les plus molles et les plus lascives courtisanes. Il recherchait avec soin les viandes et les breuvages qui provoquent aux actions impudiques et il abusait des deux sexes sans se soucier de l'infamie attachée à cet horrible excès. Enfin il s'était plongé si avant dans l'intempérance et dans les plus honteuses débauches qu'il fit lui‑même en langue barbare cette épitaphe qui de puis a été mise en deux vers grecs.

J'emporte des trésors que je laisse aux vivants,

Tout ce que j'en ai mis à contenter mes sens.

Il avait recommandé à ses successeurs de la faire graver sur son tombeau.

XIX. Conjuration et guerre contre Sardanapale. Il y succombe.

Sardanapale étant tel que nous venons de le représenter, non seulement fit une fin malheureuse pour lui-même mais de plus il fut cause du renversement de la monarchie des Assyriens qui avait duré plus longtemps que toutes celles dont nous avons connaissance. Arbacès, qui avait de l'élévation d'esprit et du courage, conduisait les troupes que la Médie où il était né envoyait tous les ans à Ninive. Le chef des troupes babyloniennes avec qui il s'était lié d'amitié lui mit dans l'esprit de changer l'état des choses en Assyrie. Celui‑ci se nommait Bélésis le plus illustre des prêtres que les Babyloniens appellent Chaldéens. Comme il était fort versé dans l'astrologie et dans la divination, il avait fait à plusieurs personnes des prédictions que l'événement avait justifiées. S'étant mis par là dans un grand crédit, il assura le capitaine des Mèdes son ami qu'il régnerait un jour à la place de Sardanapale. Arbacès le remerciant lui promit, si la prophétie s'accomplissait, de le faire satrape de Babylone. Et cependant aussi plein d'espérance que s'il avait ouï la voix d'un dieu, il rechercha l'amitié des chefs des autres provinces. Il leur faisait de grands festins et leur donnant chaque jour de nouvelles marques de considération il les mettait insensiblement dans son parti. Il voulut d'abord pénétrer jusque dans le palais du roi et s'instruire au vrai de la vie qu'il y menait. Il ne lui en coûta pour y parvenir qu'une coupe d'or dont il fit présent à un des eunuques. Étant donc introduit chez le roi il fut témoin de sa mollesse et de ses débordements. Il le méprisa comme un prince indigne de son rang et il s'affermit plus que jamais dans son projet et dans ses espérances. Ainsi se liant par serment avec Bélésis, ils convinrent entre eux qu'Arbacès ferait révolter les Perses, tandis que Bélésis ferait entrer les Babyloniens dans cette conjuration, à laquelle il tâcherait aussi d'attirer le roi des Arabes qui était son ami particulier. Le temps arriva cependant de ramener les troupes de l'année pour en lever d'autres, selon la coutume. Arbacès profita de cette occasion pour exciter les Mèdes à se rendre maîtres de l'empire d'Assyrie et il flatta en même temps les Perses d'un gouvernement plus libre. Bélésis de son côté pressa les Babyloniens de secouer le joug et passant dans l'Arabie il fit goûter sa proposition au roi qui la gouvernait et qui avait été son hôte et son ami. Au commencement de la nouvelle année, les troupes de toutes les provinces se rendirent à Ninive, en apparence pour satisfaire à la coutume établie, mais en fait pour ôter l'empire aux Assyriens. Les quatre nations que nous venons de nommer, c'est-à-dire les Mèdes, les Perses, les Babyloniens et les Arabes s'assemblèrent en un même lieu et composèrent une armée de quatre cent mille hommes ; ce fut là qu'ils tinrent leur premier conseil de guerre.

Arbacès capitaine des Mèdes et Bélésis devin de Babylone chefs de la conjuration perdent trois batailles et demeurent vainqueurs

SARDANAPALE ayant appris ces nouvelles assembla de son côté les troupes de toutes les autres provinces. Le combat s'étant donné dans la plaine, les conjurés furent vaincus et poursuivis avec une grande perte jusque sur une montagne éloignée de soixante‑dix stades de Ninive. Cependant ils en redescendirent bientôt pour tenter encore une fois la fortune. Sardanapale après avoir rangé toutes ses troupes en bataille, envoya des hérauts à l'armée des ennemis pour déclarer de sa part qu'il donnerait deux cents talents d'or à celui qui tuerait le Mède Arbacès et deux fois autant avec le gouvernement de la Médie à celui qui le lui amènerait vivant. Il fit faire une déclaration à peu près semblable à l'égard de Bélésis le Babylonien. Ces promesses n'ayant tenté personne, il livra un second combat où les conjurés perdirent encore beaucoup des leurs et le reste s'enfuit dans le camp qu'ils avaient sur la montagne. Découragés qu'ils étaient par cette seconde défaite, ils consultèrent entre eux sur le parti qu'ils avaient à prendre. La plupart étaient d'avis de s'en retourner chacun dans sa province et de s'y retrancher jusqu'à ce qu'ils eussent rétabli leurs forces. Mais Bélésis les excitant par des motifs qui convenaient à leur situation présente et leur promettant de la part des dieux un succès heureux pour prix et pour terme de leurs travaux les engagea de nouveau dans le péril. Il se donna un troisième combat où le roi victorieux pour la troisième fois se rendit maître de leur camp et les poursuivit jusque dans les montagnes de la Babylonie. Arbacès faisant des prodiges de valeur et ayant tué de sa main plusieurs Assyriens fut blessé lui‑même. Les chefs des conjurés, voyant la fortune opposée si constamment à leur entreprise, commencèrent à en désespérer et ne songeaient plus qu'à leur sûreté particulière. Mais Bélésis ayant passé toute une nuit dans un lieu découvert à observer les astres leur assura que s'ils avaient la patience d'attendre seulement cinq jours ils recevraient un secours auquel ils ne s'attendaient point et qui ferait absolument changer la face des choses. Il avait vu, disait‑il, cette destinée clairement écrite dans le ciel ; ainsi il ne leur demandait que ce terme pour leur donner une preuve complète de son savoir et de la faveur des dieux. Les conjurés s'étant laissé gagner par ses instances et par des promesses qui devaient être sitôt vérifiées, reçurent avis qu'il venait au roi en diligence un puissant renfort de la Bactriane et qu'il était prêt d'arriver. Arbacès jugea à propos d'aller à sa rencontre avec une élite de soldats armés à la légère afin que s'il ne pouvait inspirer à ces Bactrians d'entrer dans son parti il fut en état de les y contraindre. Mais la liberté qu'il leur promit gagna bientôt ces nouvelles troupes et tous les conjurés se réunirent ensemble dans le même camp. Cependant le roi d'Assyrie qui ignorait la défection des Bactrians et qui comptait alors sur la fortune qui lui avait été jusqu'alors si favorable, était retombé dans l'oisiveté. Il avait fait distribuer à ses soldats la chair d'un nombre infini de victimes, du vin en abondance et toutes sortes de provisions de bouche de manière que son armée passait le temps en festins. Arbacès ayant appris par des transfuges la négligence et l'ivresse où l'on était dans le camp du roi, l'alla attaquer inopinément. Alors tombant à propos et en bon ordre sur des soldats hors de leurs rangs et qui ne s'attendaient à rien de pareil, il les chassa de leur camp et en ayant fait un grand carnage il poursuivit le reste jusqu'à Ninive. Le roi laissant Salémenès, frère de sa femme, à la tête des troupes qui lui restaient en campagne, s'enferma dans la ville pour la défendre. Les conjurés ayant livré deux combats sous les murailles demeurèrent deux fois vainqueurs. Salémenès fut tué et ses troupes ne pouvant se réfugier dans la ville dont les ennemis fermaient le passage, furent contraintes de se précipiter dans l'Euphrate où elles périrent presque toutes. Le nombre des morts fut si grand que le fleuve porta fort loin la couleur dont il était teint. Quand on vit le roi enfermé dans sa capitale, la plupart de ses sujets l'abandonnèrent et furent ravis de s'affranchir d'un joug honteux. Le roi, se voyant prêt à tomber du trône, envoya avec de grands trésors trois fils et deux filles qu'il avait chez Cotta gouverneur de la Paphlagonie, le plus fidèle de ses satrapes. Pour lui, il écrivit de tous côtés dans les provinces qui lui étaient encore fidèles, pour avoir des troupes et les munitions de guerre et de bouche qui lui étaient nécessaires pour soutenir un siège. Or il y avait un ancien oracle qui avait dit que Ninive ne serait jamais prise de force à moins que le fleuve même ne devînt ennemi de la ville. Comptant que cette condition qu'il regardait comme impossible rendait la ville imprenable, il résolut de la défendre en attendant les secours qui devaient lui venir des provinces. Les assiégeants de leur côté animés par leurs derniers succès continuaient leurs attaques mais la hauteur des murailles mettait les assiégés à l'abri de leurs insultes. Car les tortues, les béliers, les catapultes et toutes les machines propres pour abattre les murs n'étaient pas encore inventées et la ville était abondamment fournie de vivres par le soin particulier que le roi avait pris sur cet article. Ainsi le siège traînant en longueur ils demeurèrent deux ans entiers devant les remparts, empêchant d'ailleurs exactement qu'on ne pût sortir de la place. Mais la troisième année il y eut des pluies si abondantes que l'Euphrate se débordant inonda une partie de la ville et renversa vingt stades de murailles. Le roi jugeant par le dommage que le fleuve avait causé, que la condition de l'oracle était accomplie, désespéra de son salut. Et pour ne pas tomber vivant au pouvoir de ses ennemis, il fit dresser au milieu de son palais un grand bûcher sur lequel il fit mettre tout son or, tout son argent et tous les vêtements royaux. Il fit aussi enfermer toutes ses concubines et tous ses eunuques dans une chambre construite au milieu du bûcher. On y mit le feu et il fut ainsi consumé avec son palais et ses trésors. Les rebelles, ayant appris la mort de Sardanapale, entrèrent dans la ville par la brèche que les eaux y avaient faite et ayant revêtu Arbacès des ornements de la royauté ils le proclamèrent et le reconnurent maître absolu de l'empire.

XX. Arbacès est fait roi et donne dès le commencement de son règne un grand exemple de générosité. Il transporte le trône d'Assyrie chez les Mèdes.

Le nouveau roi ayant distribué des présents convenables à tous ceux qui l'avaient servi dans son entreprise et ayant établi des satrapes dans toutes les provinces, Bélésis se présenta à lui pour le faire ressouvenir de la part qu'il avait à son élévation et pour lui demander le gouvernement de la Babylonie qu'il lui avait promis pour récompense de ce service. Il lui dit aussi que dans les périls qu'ils avaient courus, il avait fait voeu à Jupiter Bélus que si Sardanapale était défait et que l'on brûlât son palais, il en transporterait les cendres à Babylone pour en élever auprès du temple un monument qui rappelât à tous ceux qui descendraient l'Euphrate la mémoire de celui qui avait renversé la monarchie des Assyriens. Il faisait cette demande parce qu'il avait appris d'un eunuque de Sardanapale qui s'était donné à lui et qu'il tenait caché dans sa maison, la circonstance de l'or et de l'argent mis dans le bûcher. Arbacès ne sachant rien de tout cela, parce qu'il n'était resté personne de la maison du roi qui pût l'en instruire, accorda à Bélésis les cendres qu'il lui demandait et lui donna Babylone exempte de tout tribut. Celui‑ci ayant fait charger plusieurs barques de ces cendres aussi bien que de l'or et de l'argent qu'elles couvraient, les envoya incessamment à Babylone. Cependant la chose s'étant découverte d'elle‑même, le roi nomma pour juges de cette action tous les capitaines qui avaient combattu pour lui. L'accusé ayant avoué son larcin, les juges opinèrent tous à la mort. Mais le roi qui était généreux et qui voulait donner des marques de bonté et de clémence au commencement de son règne, non seulement pardonna à Bélésis, mais encore lui fit don de tout ce qu'il avait enlevé. Il ne lui ôta point non plus le gouvernement de Babylone disant que les services que Bélésis lui avait rendus auparavant l'emportaient de beaucoup sur la faute qu'il venait de commettre. Le bruit de sa modération s'étant répandu partout il en recueillit une estime et une bienveillance générale et l'on disait de toutes parts que celui qui était si indulgent était très digne de la royauté. Arbacès se conduisit avec justice et avec douceur à l'égard des habitants de Ninive mais faisant donner à chacun ce qui lui appartenait, il les envoya tous habiter à la campagne. Après quoi il fit raser la ville jusqu'aux fondements et transporta à Ecbatane de Médie tout l'or et tout l'argent qu'on put retirer encore des cendres du palais brûlé, ce qui ne laissa pas de monter à plusieurs talents. C'est ainsi que la monarchie des Assyriens qui avait subsisté jusqu'à la trentième génération et plus de quatorze cents ans depuis Ninus, fut renversée et passa aux Mèdes.

XXI. Chaldéens de Babylone prêtres et devins. Leur philosophie.

Il ne paraît pas hors de propos de dire ici quelque chose des Chaldéens de Babylone et de leur origine afin de ne rien omettre de tout ce qui nous reste de l'antiquité qui soit digne de mémoire. Les Chaldéens descendent des plus anciennes familles de Babylone et ils observent une forme de vie approchante de celle des prêtres d'Égypte. Car pour se rendre plus savants et plus entendus au service des dieux, ils s'appliquent continuellement à la philosophie et se sont fait surtout une grande réputation en astronomie. Ils étudient avec un grand soin l'art de la divination. Ils prédisent l'avenir et croient pouvoir détourner les maux et procurer les biens par leurs expiations, par leurs sacrifices et par leurs enchantements. Ils ont aussi l'expérience des augures ou du vol des oiseaux et ils sont versés dans l'interprétation des songes et des prodiges. Outre cela ils consultent les entrailles des victimes et en tirent des connaissances qui passent pour certaines. Au reste ils s'instruisent dans ces sciences d'une manière tout autre que ceux d'entre les Grecs qui s'y adonnent. Chez les Chaldéens cette philosophie demeure toujours dans la même famille ; elle passe du père aux enfants et ils se dispensent de toute autre fonction. Ainsi n'ayant pour maîtres que leurs parents, la jalousie ne fait rien cacher à celui qui enseigne et le disciple apporte toute la docilité nécessaire pour s'instruire. De plus ayant commencé dès le bas âge ils acquièrent une habitude extrême dans ces matières, soit par la facilité que l'on a d'apprendre dans l'enfance, soit par la longueur du temps qu'ils y ont employé. Chez les Grecs au contraire la plupart entrent dans cette étude fort tard ou sans disposition naturelle et après s'y être appliqués quelque temps les besoins de la vie les en détournent. Ceux-mêmes qui s'y adonnent entièrement ne le sont guère que dans le dessein d'y trouver leur subsistance. Ainsi au lieu de s'en tenir aux anciens fondements de cette science ils cherchent à s'attirer des disciples en s'écartant eux‑mêmes des principes de leurs maîtres. Les barbares au contraire ne faisant jamais qu'une seule chose s'y rendent infiniment plus habiles. Ils évitent d'ailleurs l'inconvénient où tombent les Grecs par la recherche des nouveautés qui les font paraître si opposés les uns aux autres, que leurs disciples voyant ces contradictions perpétuelles, s'entretiennent dans la défiance à leur égard et n'osent compter sur rien de ce qu'on leur enseigne. En effet si l'on examine les principales sectes de la philosophie grecque, on les trouvera différentes les unes des autres dans les points les plus importants. Les Chaldéens prétendent que la matière est de toute éternité et que n'ayant point eu besoin de génération elle n'est pas sujette à corruption. Mais ils croient que l'arrangement et l'ordre du monde vient d'une intelligence divine et que tout ce que l'on voit dans les cieux et sur la terre est l'effet non d'un mouvement fortuit ou nécessaire, mais de la sagesse et de la puissance des dieux.

Astronomie et astrologie des Chaldéens

Les Chaldéens ayant fait d'ailleurs de longues observations des astres et connaissant plus parfaitement que tous les autres astrologues leurs mouvements et leurs influences, ils prédisent aux hommes la plupart des choses qui doivent leur arriver. Ils regardent surtout comme un point difficile et de conséquence la théorie des cinq astres qu'ils nomment interprètes et que nous appelons planètes et ils observent particulièrement celle à qui les Grecs ont donné le nom de Cronus. Cependant ils disent que le soleil est non seulement le plus brillant des corps célestes, mais encore celui dont on tire le plus d'indications pour les grands événements. Ils distinguent les quatre autres comme les Grecs, par les noms particuliers d'Arès, d'Aphrodite, d'Hermès et de Zeus. Ils leur ont donné le nom d'interprètes, parce que les étoiles fixes gardant toujours la même position et les mêmes distances entre elles ; celles‑là ont un mouvement propre qui sert à marquer l'avenir et elles assurent souvent les hommes de la bienveillance des dieux. Car les unes par leur lever, les autres par leur coucher, d'autres par leur couleur seule annoncent diverses choses à ceux qui les observent attentivement. On est averti par elles des vents, des pluies et des chaleurs extraordinaires. Ils prétendent aussi que les apparitions des comètes, les éclipses du soleil et de la lune, les tremblements de terre et tous les changements qui arrivent dans la nature, sont des présages de bonheur ou de malheur, non seulement pour les nations entières, mais encore pour les rois et pour les moindres particuliers. Ils s'imaginent que les cinq planètes commandent à trente étoiles subalternes qu'ils appellent dieux conseillers dont la moitié domine sur tout ce qui est au‑dessous de la terre et l'autre moitié observe les actions des hommes, ou contemple ce qui se passe dans le ciel. De dix jours en dix jours une étoile est envoyée par les planètes sous la terre, et il en part une de dessous la terre pour leur apprendre ce qui s'y passe. Cette vicissitude a été ainsi déterminée de tout temps et se doit continuer toute l'éternité. Ils comptent douze dieux supérieurs qui président chacun à un mois et à un signe du zodiaque. Le soleil, la lune et les cinq planètes passent par ces douze signes, mais le soleil ne fait ce chemin que dans une année et la lune l'achève dans un mois. Chaque planète a sa période particulière, mais leurs révolutions se font avec de grandes différences de temps et de grandes variations de vitesses. Les astres selon eux influent particulièrement sur la naissance des hommes et l'observation de leurs aspects dans ce moment contribue beaucoup à faire connaître les biens ou les maux qu'ils doivent attendre. Ils allèguent pour exemples les prédictions qui ont été faites à un grand nombre de rois mais particulièrement à Alexandre vainqueur de Darius et à ses successeurs Antigone et Séleucus Nicanor, prédictions qui paraissent toutes avoir eu leur accomplissement : nous en parlerons dans leur lieu. Ils assurent aussi qu'ils ont prédit l'avenir à des particuliers d'une maniére si juste que ceux-ci en ont été frappés d'admiration et n'ont pu se dispenser de reconnaître en cela quelque chose de surnaturel. Ils déterminent hors du zodiaque vingt-quatre constellations, douze septentrionales et douze méridionales ; les douze qui se voient dominent sur les vivants et celles qui ne se voient pas dominent sur les morts et ils les croient juges de tous les hommes. La lune est placée au‑dessous de toutes les étoiles et de toutes les planètes dont nous venons de parler. Comme elle est la moindre de toutes, elle est aussi la plus proche de la terre et sa révolution se fait en moins de temps non à cause d'une plus grande vitesse, mais à cause de la petitesse de son orbite. Ils conviennent avec les Grecs qu'elle n'a qu'une lumière empruntée et que ses éclipses viennent de ce qu'elle entre dans l'ombre de la terre. Ils n'ont encore qu'une théorie fort imparfaite des éclipses de soleil et ils n'oseraient les déterminer ni les prédire. Ils ont des idées particulières au sujet de la terre qu'ils prétendent être creuse et ils apportent un grand nombre de raisons assez vraisemblables en faveur de ce sentiment et de plusieurs autres qui leur sont particuliers sur ce qui le passe dans la nature : mais toutes ces opinions sont trop étrangères à notre histoire. Il nous suffit de dire que les Chaldéens sont les plus habiles astrologues qu'il y ait au monde, comme ayant cultivé cette science avec plus de soin qu'aucune autre nation connue. Au reste on n'ajoutera pas foi aisément à ce qu'ils avancent sur l'ancienneté de leurs premières observations. Car, selon eux, elles ont commencé quatre cent soixante et treize mille ans avant le passage d'Alexandre en Asie. Nous ne parlerons pas plus longtemps des Chaldéens de peur de nous trop écarter de notre sujet et nous y rentrerons en revenant à la translation de l'empire des Assyriens aux Mèdes.

XXII. Différentes opinions sur l'empire des Mèdes. l'auteur s'en tient à la suite de ses rois donnée par Ctésias. Il parle aussi à leur occasion des Caduciens, des Parthes et des Saces.

Comme les plus célèbres auteurs sont partagés sur ce qui concerne cette fameuse monarchie, la fidélité de l'Histoire demande que nous comparions leurs différentes opinions. Hérodote qui vivait du temps de Xerxès dit que les Assyriens furent subjugués par les Mèdes après avoir tenu l'empire de l'Asie l'espace de cinq cents ans ; mais il soutient que d'abord après ce changement il n'y a pas eu de roi qui ait prétendu avoir une autorité absolue et unique et qu'au contraire pendant plusieurs générations toutes les villes ont été indépendantes les unes des autres et sont demeurées dans le gouvernement démocratique. Enfin dit‑il, après plusieurs années les Mèdes choisirent pour roi un homme plein de vertu appelé Ciaxarès. Celui‑ci soumit aux Mèdes les peuples voisins et devint le fondateur de la nouvelle monarchie. Ses descendants augmentèrent de proche en proche leur empire jusqu'à Astyagès qui fut vaincu par Cyrus et par les Perses. Nous raconterons dans leur temps et plus en détail ces événements que nous ne faisons qu'indiquer ici. Car ce ne fut, selon Hérodote, qu'en la seconde année de la dix‑septième olympiade que Cyaxarès fut élu roi des Mèdes. Ctésias de Cnide est à la vérité postérieur à Hérodote, ayant vécu dans le temps de l'expédition du jeune Cyrus contre son frère Artaxerxès, mais aussi ayant été fait prisonnier dans cette guerre et son habileté dans la médecine l'ayant mis en honneur et en crédit auprès du roi Artaxerxès, il a eu occasion, pendant dix‑sept ans qu'il a séjourné dans cette cour, de visiter les archives de la Perse. C'est en effet de ces membranes sur lesquelles les Perses, conformément à une ancienne loi, ont écrit de tout temps ce qui s'est passé chez eux, que Ctésias a tiré, avec une grande exactitude et un grand ordre, l'histoire qu'il a composée pour les Grecs. Il assure, qu'après la destruction de l'empire d'Assyrie, les Mèdes se rendirent maîtres de l'Asie sous Arbacès devenu roi par la défaite et la mort de Sardanapale, ainsi que nous l'avons raconté. Il ajoute qu'Arbacès ayant régné vingt‑huit ans, son fils Madaucès monta sur le trône qu'il occupa l'espace de cinquante ans. Après lui Sozarmès régna trente ans, Artias cinquante, Arbianès vingt‑deux et Artée quarante. Il s'éleva sous celui‑ci une guerre sanglante entre les Mèdes et les Cadusiens dont nous allons expliquer le sujet. Un Persan nommé Parsodès, homme plein de courage, de prudence et de toutes sortes de vertus en un degré éminent, s'était acquis l'amitié du roi et était devenu le premier de son conseil. Cependant ayant été offensé dans la suite d'un jugement que le roi avait porté contre lui, il se retira chez les Cadusiens avec trois mille fantassins et mille chevaux. S'étant attaché celui qui avait le plus d'autorité dans cette nation, par sa soeur qu'il lui donna en mariage et ayant gagné tous les Cadusiens par l'espérance de la liberté, il les engagea dans sa révolte et sa valeur le fit choisir pour chef de l'entreprise. Apprenant qu'on assemblait dans la Médie de nombreuses troupes contre lui, il fit armer tous les Cadusiens et s'alla poster sur les frontières pour fermer les passages de la province, n'ayant avec lui guère moins de deux cent mille hommes. Artée le vint attaquer et quoique celui‑ci fût à la tête de huit cent mille hommes, il eut le dessous, il laissa sur la place cinq cent mille de ses soldats et fut obligé de sortir avec le reste des confins des Cadusiens. Ceux-ci conçurent une si grande opinion de Parsodès sur cette victoire qu'ils l'élurent pour leur roi. Ils firent ensuite des courses continuelles dans la Médie et ravagèrent tout le pays. Parsodès, étant enfin arrivé à une glorieuse vieillesse, exigea de celui qui devait lui succéder un serment par lequel il promettait d'entretenir toujours la haine qui était entre les Mèdes et les Cadusiens sous peine de voir périr toute sa race et toute sa nation. C'est la raison pourquoi les Cadusiens ont toujours été ennemis des Mèdes et ne se sont jamais soumis à leur roi jusqu'à Cyrus qui transporta l'empire des Mèdes aux Perses. Artunès succéda à Artée et régna vingt‑deux ans. Après Artunès vient Artibarnas qui en régna quarante. Sous celui-ci les Parthes s'étant révoltés contre les Mèdes livrèrent leur pays et leur ville aux Saces. Ce fut-là la cause d'une guerre qui dura plusieurs années entre les Mèdes et les Saces. Mais enfin la paix fut conclue entre eux à ces conditions : savoir que les Parthes rentreraient sous l'obéissance des Mèdes, mais que d'ailleurs les uns et les autres se tiendraient dans leurs anciennes bornes et feraient entre eux une ligue offensive et défensive.

Zarine, reine des Saces.

Les Saces avaient alors une reine nommée Zarine, très belliqueuse et qui par sa hardiesse et son habileté était fort au‑dessus de toutes les femmes de sa nation ; quoique ce soit la coutume en ce pays‑là que les femmes soient braves et partagent avec les hommes le péril et la gloire des entreprises militaires. On dit que cette reine était parfaitement belle et qu'elle faisait voir autant de sagesse dans ses projets que de courage dans leur exécution. Elle avait défait les barbares ses voisins, peuples féroces et formidables qui avaient tenu longtemps les Saces en esclavage. Elle adoucit même les moeurs du pays et bâtissant plusieurs villes elle fit goûter à ses sujets le plaisir et les avantages de la société. En mémoire et en reconnaissance de ces bienfaits les Saces lui dressèrent le tombeau le plus magnifique qui soit chez eux. C'est une pyramide triangulaire dont chaque coté a trois stades de long et dont le sommet qui se termine en pointe a un stade de hauteur. Ils posèrent sur sa tombe une statue d'or colossale. Ils lui rendirent tous les honneurs qu'on rend aux héros et de plus grands qu'ils n'en avaient rendus encore à aucun de ses prédécesseurs. Astibaras roi des Mèdes étant mort de vieillesse à Ecbatane eut pour successeur son fils Aspadas que les Grecs nomment Astyage. C'est en lui que finit la monarchie des Mèdes que Cyrus leur vainqueur fit passer aux Perses de la manière que nous le raconterons quand nous serons arrivés à ce temps‑là. Mais c'est assez parler de l'empire des Assyriens et de celui des Mèdes, aussi bien que des variations des historiens sur leur sujet. Nous allons entrer dans l'histoire des Indes et rapporter même ce qu'on en a dit de fabuleux.

XXIII. Description de l'Inde.

L'Inde est d'une figure carrée. Les côtés qui regardent le levant et le midi font les bords d'une vaste mer. Vers le septentrion le mont Hémade la sépare de cette partie de la Scythie qui est habitée par les Saces et vers le couchant elle est bornée par le fleuve Indus le plus grand qui soit au monde, après le Nil. On dit que la longueur de l'Inde de l'orient à l'occident est de vingt‑huit mille stades et de trente‑deux mille du septentrion au midi, Il paraît par cette grandeur que l'Inde est de tous les pays du monde celui qui s'étend le plus sous le tropique du Cancer. En effet vers son extrémité méridionale le style d'un cadran horizontal ne fait quelquefois point d'ombre midi ; l'Ourse paraît se coucher et l'Arcturus même en certains endroits où l'ombre en été se tourne vers le pôle austral. L'Inde a plusieurs montagnes fort hautes et couvertes d'arbres chargés de fruits. On y voit aussi de grandes plaines très abondantes et coupées par des rivières qui les embellissent extrêmement. La terre y est d'une fécondité merveilleuse. Elle fournit deux récoltes par an et le climat est favorable à toute sorte d'animaux terrestres aussi bien qu'à toute sorte d'oiseaux qui y sont tous grands et forts dans leur espèce. Il s'y trouve surtout une grande quantité d'éléphants que la bonté des pâturages rend bien plus beaux que ceux de la Libye. Le mâle et la femelle de ces animaux ne se joignent point, ainsi que quelques‑uns l'ont dit, d'une manière qui leur soit particulière ; mais il en est d'eux en ce point comme des chevaux et de tous les animaux à quatre pieds. La femelle porte seize mois au moins et dix‑huit au plus. Elle ressemble à la jument en ce qu'elle ne fait pour l'ordinaire qu'un seul éléphant, mais elle le nourrit six ans. Cet animal vit un grand âge d'homme et quelques‑uns même vont à deux cents ans. Les Indiens en prennent beaucoup à la chasse pour les mener à la guerre. Le secours qu'ils tirent de ces animaux dans les combats décide très souvent de la victoire. La qualité du pays est avantageuse aux hommes mêmes qui sont là plus grands et plus gros qu'ailleurs, Comme ils respirent un air très pur et qu'ils boivent des eaux très légères, ils sont aussi plus propres aux arts que les autres nations. Si la terre pousse au-dehors toutes sortes de fruits, elle renferme au-dedans des mines de toutes sortes de métaux d'or, d'argent, de cuivre, de fer, d'étain, en un mot de toutes les matières de cette espèce qu'on emploie à l'ornement, aux usages ordinaires de la vie ou à la guerre. Outre les blés dont on fait du pain, l'Inde rendue féconde par la nature des eaux qui l'arrosent, porte une quantité extraordinaire de millet, de riz, d'un grain qu'on nomme bospore, d'excellents légumes et plusieurs autres productions de la terre qui servent à la nourriture. Il serait trop long de parler de toutes les herbes et de tous les fruits qui ne sont propres qu'aux animaux. Il suffit de dire que la disette de quelqu'une des choses qui peuvent contribuer aux besoins et aux plaisirs de la vie, est un accident inconnu dans l'Inde. On a déjà vu qu'il s'y fait deux récoltes par an, l'une à l'entrée de l'hiver, lorsque les semailles se font ailleurs et l'autre au milieu de l'été qui est le temps où ils sèment aussi leur orge, leur bospore, leur sésame et leur millet. Les deux récoltes sont pour l'ordinaire également heureuses, mais en tout cas si l'une manque, l'autre y supplée abondamment. Les fruits mêmes qui naissent sans culture et toutes les racines qui croissent dans les lieux marécageux sont d'une bonté et d'une douceur à fournir elles seules d'excellents repas. En effet, presque toutes les campagnes se sentent des vapeurs favorables qui s'élèvent des rivières et qui se résolvent tous les étés en des pluies réglées et périodiques. La chaleur du soleil qui pénètre jusqu'au fond des marais y fait naître abondamment toutes les racines et particulièrement celles des grands roseaux. Au reste les lois que les Indiens gardent entre eux contribuent beaucoup à les préserver de la famine. Quand les autres nations se font la guerre elles ravagent mutuellement leurs campagnes et quelquefois même les rendent infertiles pour longtemps. Mais chez les Indiens les terres sont sacrées et inviolables et l'on a vu des laboureurs tracer tranquillement leurs sillons à côté de deux armées qui se battaient. Les soldats se massacrent les uns les autres mais ils respectent ceux qui travaillent à la terre comme leurs bienfaiteurs communs. Ils ne mettent jamais le feu aux blés ni la cognée au pied des arbres de leurs ennemis. Le pays est plein de fleuves très grands et très navigables qui ont leurs sources dans les montagnes du septentrion et qui se répandent de tous côtés dans la campagne. Plusieurs de ces fleuves se rencontrant dans leur cours vont se rendre tous ensemble dans le Gange. Ce fleuve a trente stades de large, il coule du septentrion au midi et allant se décharger dans l'Océan, il borde du côté de l'orient le pays des Gandarides qui est rempli d'éléphants d'une grandeur extraordinaire. Aucun prince étranger n'a jamais subjugué ces peuples par la crainte qu'on a du nombre et de la force de ces animaux qui les défendent. Alexandre qui a mis sous ses lois toute l'Asie n'a point attaqué les Gandarides. Mais étant arrivé jusqu'aux bords du Gange, vainqueur de toutes les nations qu'il laissait dernière lui et dans le dessein de porter plus loin ses conquêtes, il s'arrêta dans sa course dès qu'il eut appris que ces peuples l'attendaient avec quatre mille éléphants. Le fleuve Indus qui est voisin du Gange vient aussi du côté du septentrion et dans sa route jusqu'à la mer, il sépare l'Inde du reste de l'Asie. Comme il arrose un vaste pays il reçoit dans son lit plusieurs autres fleuves navigables dont les plus célèbres sont l'Hypanis, l'Hydaspe et l'Acesine. Je ne nomme point les autres qui sont en très grand nombre et qui traversant toute l'Inde en font un jardin fertile et délicieux. Leurs philosophes et leurs physiciens rapportent une raison de cette quantité de rivières et d'autres eaux qui se trouvent dans l'Inde. Ils disent que les campagnes des Scythes, des Bactrians et des Arians étant beaucoup plus élevées que l'Inde dont elles sont voisines, toutes les eaux vont s'y rendre comme dans un fond, humectent d'abord toutes les terres et forment enfin les plus grands fleuves. Il y en a un nommé Silla qui sort d'une source de même nom et qui a une propriété singulière. Son eau ne soutient aucun corps et l'on voit s'y enfoncer les matières les plus légères. Quoique l'Inde soit peuplée de plusieurs nations différentes en bien des choses, il n'en est aucune qui soit venue d'ailleurs et elles se croient toutes indigènes. Les indiens n'ont jamais reçu de colonies et n'en ont jamais envoyé nulle part. On rapporte que des anciens habitants ne vivaient que des fruits de la terre que même ils ne cultivaient point et ne se couvraient que de peaux de bête, comme on l'a dit des premiers Grecs. Ils inventèrent bientôt les arts et toutes les pratiques nécessaires pour la vie ou pour la société, le besoin conduisant à tout un animal à qui la nature a donné la raison, la parole et des mains.

XXIV. Abrégé de l'histoire de l'Inde.

Nous devons placer ici quelque chose de ce que les Indiens les plus savants dans leurs antiquités racontent de leurs premiers temps. Ils disent que lorsqu'ils n'habitaient encore que dans des villages, Bacchus venant des pays occidentaux entra chez eux avec une puissante armée et qu'il parcourut aisément toute l'Inde, n'y ayant alors aucune ville qui fût capable de l'arrêter. Des chaleurs excessives étant survenues et la maladie s'étant mise dans son armée, cet habile capitaine la tira des lieux bas, pour la conduire sur les montagnes. Les vents frais que ses soldats y recevaient et les eaux pures qu'ils buvaient dans leurs sources les eurent bientôt rétablis. Ce lieu qui avait été si salutaire pour ses troupes était appelé Méros, mot qui en Grec signifie cuisse et c'est là l'origine de la fable qui porte que Bacchus a été conservé dans la cuisse de Jupiter. On dit qu'il apprit aux Indiens la culture des fruits, qu'il leur donna l'invention du vin et leur communiqua d'autres secrets nécessaires ou utiles. Outre cela il bâtit des villes considérables et bien situées et y appela les habitants des villages pour les peupler. Il leur enseigna le culte des dieux et leur donna des lois. Il établit la justice parmi eux et mérita enfin par tant de bienfaits le nom de dieu et les honneurs divins. On ajoute qu'il avait mené un grand nombre de femmes dans son armée, que la trompette n'étant pas encore en usage il se servait de tambours et de timbales dans les batailles, et qu'il mourut enfin de vieillesse après un règne de cinquante-deux ans. Ses fils lui succédèrent et transmirent le royaume à leur postérité qui le conserva pendant plusieurs générations, jusqu'à ce qu'enfin la monarchie fût changée en démocratie. C'est l'abrégé de ce que les habitants des montages de I'Inde disent de Bacchus et de ses descendants. Ils prétendent aussi qu'Hercule est né parmi eux et ils donnent à ce héros la massue et la peau de lion comme les Grecs. Ils croient comme eux qu'il a surpassé tous les hommes du monde en force et en courage et qu'il a purgé de monstres la terre ferme et les rivages des mers. Hercule suivant leur récit eut plusieurs enfants de différentes femmes et une seule fille. Quand ils furent tous en âge il partagea l'Inde entre eux, et les fit rois chacun dans la portion de l'héritage qui leur était échue, sans excepter sa fille qui fut reine dans son canton. Il avait bâti plusieurs villes dont la principale fut Palibothre. Il y avait élevé des palais superbes, il l'avait remplie d'habitants et l'avait entourée de fossés profonds et pleins d'eau vive que les fleuves leur fournissaient. Hercule étant mort fut mis au rang des dieux. Ses descendants, dont le règne fut continué un grand nombre d'années, firent plusieurs actions vertueuses et mémorables. Mais ils n'ont point conduit d'armées ni envoyé de colonies hors de leur pays. Quoique la plupart des villes eussent dans la suite secoué le joug des rois, il en restait pourtant encore quelques‑uns à l'arrivée d'Alexandre.

XXV. Lois et moeurs des Indiens.

Les lois des Indes sont presque toutes assez particulières, mais la plus remarquable est la maxime que leur ont laissée leurs anciens philosophes de ne traiter personne en esclave et de se croire tous égaux. Ils ont estimé que rien ne dispose mieux les hommes à toutes sortes d'événements que de les accoutumer à ne se regarder ni comme supérieurs ni comme inférieurs à d'autres hommes et qu'il est ridicule de faire des lois uniformes pour tous les sujets d'un état en permettant la différence des biens. Toute la nation se divise en sept classes. La première est celle des philosophes, moindre en nombre que la plupart des autres, mais la plus illustre et la plus révérée. Comme ils sont exempts de toute fonction publique, ils ne commandent et n'obéissent à personne. Ils sont seulement employés par les particuliers aux sacrifices et aux obsèques, comme étant les amis des dieux et ayant des connaissances de l'autre vie. On leur fait pour cela des présents considérables qu'on accompagne de plusieurs marques de respect. Ils rendent aussi de grands services au public. Lorsqu'ils se trouvent au commencement de chaque année dans l'assemblée générale des états, ils prédisent les sécheresses, les pluies, les vents et les maladies qui régneront pendant l'année et différentes circonstances dont il est utile d'être instruit : alors le roi et les particuliers prévenus de ce qui doit arriver prennent leurs mesures pour remédier par avance à une partie de ces inconvénients Lorsqu'un philosophe s'est trompé dans sa prédiction, il ne reçoit d'autre châtiment que de perdre sa voix dans l'assemblée pour le reste de ses jours. La seconde classe est celle des laboureurs qui est la plus nombreuse. Ils sont dispensés de la guerre ainsi que des autres offices publics et ne s'occupent que de l'agriculture. Il n'est aucun soldat qui voulût les insulter dans sa route, ils respectent tous une profession utile à tout le monde. C'est pour cela aussi que les campagnes soigneusement cultivées satisfont abondamment aux besoins et aux désirs des habitants. Les laboureurs passent leur vie à la campagne avec leurs femmes et leurs enfants et il ne leur arrive jamais d'entrer dans les villes. Chacun d'eux paie un tribut au roi qui est propriétaire de tous les biens dont il ne laisse que l'usufruit aux particuliers. Outre ce tribut ils lui donnent encore le quart de leurs fruits. La troisième classe comprend les pasteurs de toutes sortes de bétail. Ils n'habitent ni dans les villes ni même dans les villages et ils passent leur vie sous des tentes. Comme ils chassent continuellement ils défendent les terres labourées des bêtes farouches et des oiseaux de toute espèce, qui étant en grand nombre dans les Indes ne laisseraient rien dans les campagnes. Les ouvriers composent la quatrième classe. Entre ceux‑ci, les uns travaillent aux armes, les autres font les instruments nécessaires à l'agriculture et aux différents usages de la vie. Non seulement ils sont exempts de tribut, mais le roi leur fait même une distribution de blé. Dans la cinquième classe sont les soldats et ceux qui suivent les armées. Elle est la plus nombreuse après celle des laboureurs. Ceux qui en sont passent le temps de la paix dans l'oisiveté et dans les jeux. Le roi les nourrit tous aussi bien que les chevaux et les éléphants destinés à la guerre. La sixième est la classe des éphores : ce sont des gens exactement instruits de ce qui se passe au‑dedans du royaume et qui en font un rapport fidèle au roi ; ou si c'est une république, aux magistrats qui la gouvernent. La septième classe est des conseillers et des sénateurs. Elle est la moins nombreuse mais la plus considérable par la noblesse et par la prudence de ceux qui la composent. Les uns assistent le roi de leurs conseils, les autres exercent les charges de l'état ; d'autres rendent la justice qui est toujours très sévère à l'égard des coupables. C'est enfin de cette classe que l'on tire les gouverneurs des provinces et les généraux d'armée. Voilà à peu près la division de la république des Indiens. Il n'est pas permis de se marier dans une autre classe que la sienne, ni de sortir de sa profession pour en prendre une autre, ni même d'en exercer deux à la fois. Ainsi le soldat ne peut point s'appliquer à l'agriculture, ni l'artisan à la philosophie. Il y a chez les Indiens des gens préposés pour recevoir les étrangers et pour empêcher qu'on ne leur fasse d'injustice : on leur mène des médecins quand ils sont malades, on a d'eux tout le soin possible et on les ensevelit honorablement quand ils sont morts, on rend enfin les biens qu'ils laissent à ceux à qui ils peuvent appartenir. Mais en voilà assez sur l'histoire et sur les moeurs des Indiens par rapport à notre dessein.

XXVI. Idée de la nation des Scythes.

Nous rapporterons maintenant quelques particularités des Scythes qui sont leurs voisins du côté du Septentrion. Ceux‑ci n'occupaient d'abord qu'un canton assez borné mais s'étendant peu à peu, leur courage les a enfin rendus maîtres d'un vaste pays et leur courage leur a acquis une grande réputation dans la guerre. Ils n'habitaient d'abord que le long du fleuve Araxe et l'on méprisait leur petit nombre ; lorsqu'un de leurs rois qui aimait et qui savait la guerre, se rendit maître de toutes les montagnes qui sont aux environs du Caucase et de toute la plaine qui s'étend de l'Océan au Palus Méotide et au Tanaïs. Les fables des Scythes disent qu'ils ont eu chez eux une fille née de la terre qui avait la tête à la moitié du corps d'une femme et qui de la ceinture en bas avait la forme d'un serpent. Jupiter l'ayant aimée eut d'elle un fils appelé Scythes. Celui‑ci s'étant rendu fameux laissa son nom à la nation des Scythes. Il y a eu dans sa postérité deux frères d'une vertu distinguée dont l'un s'appelait Palus et l'autre Napès. Ceux‑ci ayant partagé entre eux le royaume nommèrent leurs peuples chacun de leur nom et divisèrent ainsi les Scythes en Palusiens et en Napésiens. Quelque temps après, des rois de leur race grands hommes de guerre, étendirent leurs conquêtes au‑delà du Tanaïs jusqu' à la Thrace, et d'un autre côté jusqu'en Égypte et jusqu'au Nil. Ayant aussi subjugué de grandes provinces à droite et à gauche, l'empire des Scythes s'accrut beaucoup et comprit enfin tout ce qui est enfermé entre l'Océan oriental, la mer Caspienne et le Palus Méotide. La nation se multiplia aussi prodigieusement et c'est d'elle que sont sortis les Saces, les Massagètes, les Arimaspes et plusieurs autres peuples. Elle a eu des rois illustres qui amenèrent plusieurs colonies des pays qu'ils avaient conquis. Les deux plus fortes sont celles qu'ils ont tirées, l'une des Assyriens pour l'envoyer dans les terres situées vers la Paphlagonie et le Pont et l'autre des Mèdes pour l'établir le long du Tanaïs. Ce sont aujourd'hui les Sauromates. Ces derniers, devenus plus nombreux avec le temps, ravagèrent la plus grande partie de la Scythie, y mirent tout à feu et à sang et la rendirent presque déserte. Cette désolation ayant éteint la famille royale et même la royauté pendant un temps, le trône des Scythes fut rempli dans la suite par des femmes courageuses. Car parmi cette nation les femmes vont à la guerre comme les hommes et ne leur cèdent point en valeur. Aussi y en a‑t‑il eu de très fameuses non seulement chez les Scythes mais encore chez leurs voisins. Cyrus roi de Perse dont la puissance surpassait celle de tous les rois de son temps, ayant conduit une armée formidable en Scythie, la reine le défit, le prit et le fit mettre en croix. C'est là que sont nées les Amazones si célèbres par leur courage. On sait que non seulement elles se rendirent maîtresses des pays circonvoisins mais qu'elles conquirent même une grande partie de l'Europe et de l'Asie. Il n'est point hors de propos de rapporter ici une partie des choses incroyables que l'on raconte d'elles.

XXVII. Des Amazones.

AUPRÈS du fleuve Thermodoon était jadis un peuple puissant gouverné par des femmes et dont les femmes portaient les armes à l'exemple de leurs maris. Mais on dit qu'une de leurs reines distinguée par sa force et par sa bravoure leva une armée qui ne fut composée que de femmes Elle les exerça pendant quelque temps, et les conduisit ensuite contre quelques‑uns de ses voisins. Ses succès lui ayant enflé le coeur, elle mena son armée plus loin et la fortune la favorisant de plus en plus, elle se dit d'abord fille de Mars. Elle contraignit ensuite les hommes de travailler à la laine et aux autres ouvrages des femmes pendant que les femmes iraient à la guerre et auraient en toutes choses une autorité absolue sur les hommes. Elles estropiaient les bras et les jambes à leurs enfants mâles dès qu'ils venaient au monde afin de les rendre incapables de tous les exercices militaires. Elles brûlaient la mamelle droite aux filles de peur que cette partie qui s'avance ne les empêchât de tirer de l'arc. C'est cette pratique qui leur a fait donner le nom d'Amazones. Cette même reine qui était intelligente en tout, bâtit une grande ville à l'embouchure du Thermodoon. Elle la nomma Themiscyre et elle y fit élever un magnifique palais. Après avoir établi une excellente discipline parmi ses troupes, elle porta son empire jusqu'au‑delà du Tanaïs et elle fut tuée enfin dans une bataille où elle avait combattu vaillamment. Sa fille lui succéda et la surpassa même en quelques‑unes de ses actions. Dès sa plus tendre jeunesse elle menait les filles à la chasse et leur faisait faire tous les jours quelque exercice de guerre. Elle institua des sacrifices en l'honneur de Mars et de Diane surnommée Tauropole. Elle porta ses armes fort avant au delà du Tanaïs et joignit à ses états tout le pays qui s'étend depuis ce fleuve jusqu'à la Thrace. Étant revenue chargée de dépouilles, elle éleva des temples somptueux aux dieux que nous venons de nommer et s'acquit l'amour de ses sujets par la modération et la justice de son gouvernement. Revenant du côté de l'Asie, elle en conquit une partie considérable et étendit sa domination jusque dans la Syrie. Les reines qui lui succédèrent soutinrent l'honneur de leur race et firent touours croître la gloire et la puissance de leur nation. Le bruit de leur valeur s'étant répandu par toute la terre, on dit que dans la suite Eurysthée imposa à Hercule fils de Jupiter et d'Alcmène un de ses plus grands travaux, en exigeant de lui qu'il lui apportât le baudrier de l'Amazone Hippolyte. Hercule ayant entrepris cette expédition gagna une grande bataille dans laquelle il prit Hippolyte vivante et porta le coup mortel à la nation entière des Amazones. Car les Barbares qu'elles avaient pour voisins les méprisant après cette défaite et se souvenant des ravages quelles avaient faits chez eux, les attaquèrent et les battirent tant de fois qu'ils détruisirent jusqu'au nom même de leur empire. Il est vrai que quelques années après et au temps de la guerre de Troie, on dit que Penthésilée fille de Mars et reine du petit nombre des Amazones qui avaient échappé à la fureur de leurs ennemis, ayant été obligée de quitter le trône et sa patrie pour un meurtre qu'elle avait commis, combattit parmi les Troyens après la mort d'Hector ; qu'elle tua même plusieurs Grecs et qu'après s'être distinguée dans toutes les rencontres, elle perdit glorieusement la vie par la main d'Achille. Mais c'est la dernière des Amazones dont on fasse une mention honorable et leur nation ayant toujours décliné depuis ce temps‑là est enfin disparue. C'est ce qui fait que ceux qui entendent parler aujourd'hui de l'origine et des exploits de ces femmes belliqueuses traitent leur histoire de fable.

XXVIII. Des Hyperboréens.

Pendant que nous en sommes aux peuples de l'Asie voisins du Nord, nous dirons un mot de ceux qu'on a appelés Hyperboréens. Entre les écrivains qui ont ramassé les antiquités du monde, Hécatée et quelques autres disent qu'au‑delà des Gaules, dans l'Océan et du côté du septentrion, il y a une île aussi grande que la Sicile. C'est-là qu'habitent les Hyperboréens, ainsi nommés parce qu'on les croit au‑dessus de l'origine du vent Borée. Le terroir de l'île est excellent. Il est propre à toutes sortes de fruits et fournit deux récoltes par an. C'est, disent‑ils, le lieu de la naissance de Latone et de là vient que ces insulaires révèrent particulièrement Apollon son fils. Ils sont tous, pour ainsi dire, prêtres de ce dieu ; car ils chantent continuellement des hymnes en son honneur. Ils lui ont consacré dans leur île un grand terrain au milieu duquel est un temple superbe, de forme ronde, toujours rempli de riches offrandes. Leur ville même est consacrée à ce dieu et elle est pleine de musiciens et de joueurs d'instruments qui célèbrent tous les jours ses vertus et ses bienfaits. Ils parlent une langue particulière. Ils ont aimé de tout temps les Grecs et surtout ceux d'Athènes et de Délos. Ils prétendent que plusieurs de cette nation sont venus chez eux et qu'ils y ont laissé des offrandes chargées d'inscriptions grecques. Ils ajoutent que de leur côté Abaris vint autrefois dans la Grèce pour renouveler l'ancienne alliance des Hyperboréens avec les Déliens. Les mêmes historiens rapportent que la lune paraît là très proche de la terre et qu'on y découvre clairement des montagnes semblables aux nôtres. Les Hyperboréens croient qu'Apollon descend dans leur île tous les dix‑neuf ans qui sont la mesure du cycle lunaire. Les Grecs appellent cette période le cycle de Méton. Le dieu lui‑même joue de la lyre et danse toutes les nuits l'année de son apparition, depuis l'équinoxe du printemps jusqu'au lever des Pléiades comme s'il se réjouissait des honneurs que l'on lui rend. La dignité royale et en même temps sacerdotale est possédée dans cette île par les Boréades descendants de Borée, dont la succession n'a point encore été interrompue.

XXIX. De l'Arabie et premièrement des Arabes Nabatéens.

NOUS passerons maintenant aux autres peuples de l'Asie dont nous n'avons pas encore fait mention et nous commencerons par l'Arabie. Elle est située entre la Syrie et l'Egypte et elle enferme plusieurs peuples différents. Les Arabes qui sont du côté de l'orient se nomment Nabatéens. Leur pays est presque entièrement désert, stérile et sans eau. Ce sont des brigands qui ne vivent que du pillage qu'ils vont faire chez leurs voisins et qu'il est impossible de détruire car ils ont creusé dans leurs plaines des puits qui ne sont connus que d'eux et où ils trouvent le rafraîchissement dont ils ont besoin pendant que les étrangers qui les poursuivent meurent de soif dans ces sables arides ou sont fort heureux de revenir à moitié chemin, accablés de fatigues et de maladies. C'est par là que les Arabes Nabatéens toujours invincibles ont toujours conservé leur liberté et qu'il n'est point de conquérant qui les ait soumis. Les anciens Assyriens, les Mèdes, les Perses et enfin les rois de Macédoine ont été successivement obligés d'abandonner l'entreprise de les subjuguer, après y avoir employé toutes leurs forces. Il y a au milieu de leur pays une espèce de forteresse escarpée où l'on ne monte que par un sentier étroit et dans laquelle ils vont mettre leurs captures. Ils ont aussi un lac qui produit du bitume dont ils tirent de grands revenus. Ce lac a près de cinq cents stades de long sur soixante de large. Son eau est puante et amère, de sorte que bien que le lac reçoive dans son sein un grand nombre de fleuves dont l'eau est excellente, sa mauvaise odeur l'emporte et l'on n'y voit ni poisson, ni aucun autre des animaux aquatiques. Tous les ans le bitume s'élève au‑dessus du lac et occupe l'étendue de deux arpents et quelquefois de trois. Ils appellent Taureau la grande étendue et Veau la petite. Cette masse de bitume nageant sur l'eau parait de loin comme une île. On prévoit plus de vingt jours auparavant le temps où le bitume doit monter. Car il se répand à plusieurs stades aux environs du lac une exhalaison forte qui ternit l'or, l'argent et le cuivre. Mais la couleur revient à ces métaux dès que le bitume est dissipé. Cependant les lieux proches du lac sont malsains et corrompus ; les hommes y sont languissants et vivent peu. Les palmiers néanmoins croissent parfaitement bien dans ce voisinage, surtout dans les champs traversés par des rivières ou par des ruisseaux. Il naît aussi du baume dans un vallon de cette partie de l'Arabie ; c'en est même la plus grande richesse : car on ne trouve en aucun autre endroit du monde cette plante dont on fait tant de cas et tant d'usage dans la médecine. Les campagnes qui confinent à un pays si désert et si affreux en sont si différentes que l'abondance des fruits et des autres productions de la terre leur a fait donner le nom d'Arabie heureuse. C'est‑là que naissent le roseau, le schinus et un nombre infini d'autres plantes aromatiques où desquelles distillent des airs odoriférants. C'est au fond de l'Arabie qu'on va chercher de tous les endroits du monde la myrrhe et l'encens qu'on brûle dans les temples. Il y a là des plans ou pour mieux dire des forêts de coste, de cannelle et de cinnamome, si touffues et si épaisses que ces bois que l'on prend ailleurs au poids et à la mesure pour les mettre sur les autels des dieux ou que l'on garde comme des raretés dans les cabinets, servent là pour chauffer les fours et pour faire des lits d'esclaves. Le cinnamome surtout a des usages merveilleux. Nous ne parlerons point de la résine, ni du térébinthe qu'on trouve dans toute la contrée. Les montagnes sont chargées non seulement de pins et de sapins mais encore de cèdres, de genévriers et d'agyrées. Il y a plusieurs autres plantes qui répandent une odeur très suave et qui réjouit extrêmement ceux qui s'en approchent. Les vapeurs même de la terre ont quelque chose de semblable à la fumée qui s'élève sur un autel où l'on brûle de l'encens. En creusant la terre on trouve en certains endroits des veines de senteur qui conduisent à de grandes carrières. Les Arabes en tirent les pierres dont ils bâtissent leurs maisons. Dès que la rosée tombe dessus, elle forme avec la pierre qui s'amollit une espèce de ciment liquide qui découle dans les joints et qui étant desséché fait une liaison si étroite que le mur paraît n'être plus que d'une pièce. On trouve aussi dans l'Arabie des mines de cet or qu'on nomme apyre. On ne le tire point par grains et il n'est pas besoin de le purifier par le feu comme l'autre. Celui‑ci sort parfait de la mine et en morceaux aussi gros que des châtaignes. Sa couleur est si vive que servant à enchâsser des pierres précieuses, il fait avec elles le plus bel ornement qui soit possible de voir. Les bestiaux de toute espèce y sont en si grande abondance qu'ils suffisent à l'entretien de plusieurs troupes d'Arabes qui mènent une vie pastorale et qui ne mangent point de pain. Le côté qui confine à la Syrie est plein de bêtes farouches. Les lions et les léopards y sont en grande quantité et tous plus hauts et plus forts que ceux de la Libye. Il s'y trouve outre cela de ces tigres qu'on appelle babyloniens. Le pays nourrit encore des autruches dont le nom grec strutho‑camelus exprime fort bien qu'elles tiennent de l'oie et du chameau. Elles sont de la hauteur de ce dernier quand il est encore jeune. Elles ont la tête couverte d'un poil léger, les yeux grands, noirs et peu différents de ceux de cet animal, un long cou et un bec qui se recourbe en pointe. Leurs ailes sont assez faibles et couvertes de poil. Leur corps est posé sur deux jambes fort hautes qui n'ont chacune qu'un ongle fendu de sorte qu'elles ressemblent en même temps à des oiseaux et à des animaux terrestres. Leur pesanteur les empêche de s'élever en l'air mais elles courent très légèrement sur la terre et étant poursuivies par des chasseurs à cheval elles leur lancent des pierres avec les pieds, d'une si grande raideur et d'une si grande justesse qu'elles les blessent et les jettent par terre assez souvent. Quand elles sont sur le point d'être prises, elles cachent leur tête dans un arbre ou dans quelque fente non, comme disent quelques‑uns, par une stupidité qui leur fasse croire qu'on ne les voit pas parce qu'elles ne voient personne, mais par un instinct qui les porte à garantir leur tête comme la plus importante et la plus faible partie de leur corps. La nature qui est un excellent maître a enseigné aux animaux non seulement à se conserver eux‑mêmes mais encore à conserver leurs petits et par cet amour qu'elle leur inspire, elle se perpétue dans tous les temps. Il y a dans l'Arabie des chameaux‑léopards ainsi nommés des deux espèces qu'ils paraissent rassembler. Ils sont plus petits et ont les ongles plus courts que les chameaux mais ils ont l'épine du dos élevée comme eux. Du reste leur tête, leurs yeux, leur longue queue, la couleur de leur poil leur donne beaucoup de ressemblance avec les léopards.

Propriétés des pays chauds.

On trouve aussi dans l'Arabie des boucs‑cerfs, des buffles et plusieurs autres sortes d'animaux qui participent à deux formes différentes. Le détail en serait trop long: car comme ce pays approche fort de l'équateur, les rayons du soleil donnent à la terre une force et une fécondité particulière qui la rend propre à la production et à l'entretien de plusieurs espèces d'animaux remarquables par leur grandeur et par leur beauté. C'est par la même raison que l'Égypte a des crocodiles et des hippopotames, que l'Éthiopie et les déserts de la Libye enferment des éléphants, des serpents, des dragons et d'autres monstres énormes. La même vertu du climat entretient dans l'Inde, comme nous l'avons déjà vu, des éléphants extraordinaires par leur grosseur et par leur courage. Mais ce n'est pas seulement en animaux singuliers que les pays chauds sont abondants, ils produisent encore des pierres précieuses d'un éclat merveilleux. On y voit des cristaux qui ne sont autre chose qu'une eau fortement congelée, non par le froid, mais au contraire par la puissance miraculeuse de ce feu divin qui les rend incorruptibles et d'une liqueur spiritueuse qui leur donne des couleurs si vives et si variées. Les émeraudes et les béryls qui se tirent des mines de cuivre, reçoivent leur teinture et leur liaison du souffre qui les pénètre. Les chrysolithes prennent leur couleur de la vapeur brûlante que le soleil fait lever de la terre où ils sont formés ; comme l'on dit que les pseudo‑chrysès ou chrysolithes contrefaits sont des cristaux que l'on a fait passer par le feu ordinaire. Les escarboucles ne sont autre chose, à ce qu'on prétend, qu'une lumière ramassée et condensée et qui l'étant plus ou moins, fait aussi des escarboucles de différents prix. C'est à peu près ainsi que quelques‑uns expliquent les couleurs qui paraissent sur les plumes des oiseaux dont les unes sont toutes pourprées et les autres sont semées de taches différentes. Elles paraissent jaunes, de couleur de feu, de couleur d'émeraude, de couleur d'or, selon la manière dont elles se présentent au jour. Il naît quelquefois de tout cela des couleurs qu'on ne saurait nommer, semblables aux nuances dont l'aspect du soleil forme l'arc‑en‑ciel. Les physiciens conjecturent que bien que la chaleur essentielle et naturelle des corps leur donne la première teinture, l'ardeur efficace du soleil contribue beaucoup à perfectionner leur couleur. La variété de celle des fleurs vient de la même cause et s'explique par le même principe. Les arts, qui ont la nature pour modèle et pour maître, tachent de varier et d'embellir de la même manière tout ce qu'ils traitent. On conclut de là que la lumière fait les couleurs et que la chaleur du soleil a une très grande part aux odeurs des plantes et de leurs sucs, à la forme et à la grandeur des animaux ; en un mot à toutes les propriétés de la terre et de l'eau qu'il rend fécondes par ses rayons, comme étant le père de la nature. Le marbre de Paros et des carrières les plus fameuses n'en ont point de comparable à celui de l'Arabie, lequel est d'un blanc, d'un poids et d'un poli dont rien n'approche. C'est encore le soleil qui donne à ce marbre ces qualités en le pénétrant de sa lumière et en le purifiant par sa chaleur. Les oiseaux qui de tous les animaux sont ceux qui participent le plus à la chaleur du soleil, sont aussi plus variés en couleur et ont l'aile plus forte dans les pays les plus chauds. La Babylonie, par exemple, a des paons sur lesquels on voit cent couleurs différentes. Il y a dans les confins méridionaux de la Syrie des perroquets, des porphyrions, des méléagrides et un nombre infini d'autres espèces d'oiseaux remarquables par la variété de leurs plumages. Il faut dire à peu près la même chose de tous les pays du monde qui se trouvent dans le même climat ou dans la même position à l'égard du soleil, comme l'Inde, les côtes de la Mer Rouge, l'Éthiopie et une partie de la Libye. Cependant entre tous ces pays, comme les plus orientaux se trouvent avoir encore un terrain plus gras, ils produisent aussi des animaux plus forts et plus grands, car les animaux tiennent partout de la nature du lieu où ils sont nés. Il en est de même des arbres ; les palmiers de la Libye, par exemple, palmiers secs et petits ; dans la Coelé Syrie au contraire, ceux qu'on nomme Cariotes sont admirables par leur hauteur, aussi bien que par le suc et par la douceur de leurs fruits. Mais les palmiers de l'Arabie et de la Babylonie portent des dattes qui sont encore bien plus exquises : elles sont longues d'un demi-pied, les unes jaunes, les autres rouges et les autres de couleur de pourpre ; de sorte qu'elles ne sont pas moins agréables à la vue qu'au goût. Le tronc de l'arbre est d'une hauteur étonnante et partout également droit et uni: mais la tête ou le bouquet n'est pas en tous de même forme. Quelques palmiers étendent leurs branches en rond et le fruit de quelques‑uns sort en grappe de l'écorce fendue vers le milieu. D'autres portent toutes leurs branches d'un seul côté et leur poids les abaissant vers la terre leur donne la figure d'une lampe suspendue. D'autres enfin séparent les leurs en deux parts et les faisant tomber à droite et à gauche les mettent dans une parfaite symétrie.

XXX. Des autres parties de l'Arabie.

L’Arabie heureuse est la plus méridionale. On en distingue une troisième plus enfoncée dans les terres et habitée par des pasteurs nommés Scénites, parce qu'ils vivent sous des tentes. Ils ont des troupeaux innombrables dans des campagnes à perte de vue. Ils sont séparés de l'Arabie heureuse par l'Arabie déserte dont nous avons déjà fait la description. La partie occidentale de ce pays est couverte de sables immenses et ceux qui la traversent sont obligés de se guider comme sur la mer par l'étoile polaire. Mais tout le reste du côté de la Syrie est un pays très cultivé et qui sert de rendez‑vous aux marchands de toutes les parties du monde. C'est là qu'ils font un échange avantageux de part et d'autre de ce qu'ils apportent chacun de leur pays et donnant ce qu'ils ont de trop pour avoir ce qui leur manque, ils entretiennent partout une abondance égale de toutes choses. La partie de l'Arabie qui borde l'océan est au‑dessus de l'Arabie heureuse. C'est un pays coupé par plusieurs belles rivières qui forment en divers endroits de grands lacs. Leurs eaux qui débordent souvent, jointes à celles des pluies qui tombent pendant l'été, font porter aux terres double récolte. Le pays nourrit aussi des troupeaux d'éléphants et d'autres animaux terrestres de deux formes réunies en une seule et d'une grandeur aussi monstrueuse que leur figure. On y voit des bestiaux de toute sorte, mais surtout des boeufs et des brebis qui ont de longues et grosses queues. On y trouve plusieurs espèces de chameaux. Les uns sont sans poil et les autres sont velus. Ceux‑ci s'appellent dityles parce que leur dos est une fois plus élevé que celui des autres. Il y en a une espèce qui donne du lait et qui étant bonne à manger est d'un grand revenu dans le pays. Les chameaux de charge portent jusqu'à dix mesures de blé et cinq hommes couchés dessus. Les dromadaires sont plus petits et plus légers. Ils sont merveilleux à la course et fournissent de longues traites ; ce qui est avantageux surtout dans les lieux déserts et sans eau. On s'en sert aussi à la guerre. Ils sont commodes en ce qu'ils portent deux tireurs d'arcs assis dos à dos, dont l'un tire sur les ennemis qui les attaquent par devant et l'autre, sur ceux qui les prendraient par derrière. Voilà ce que nous avions à dire de l'Arabie sur laquelle nous nous sommes un peu étendus en faveur de ceux qui sont curieux de connaître tous les pays.

XXXI. Abrégé du livre où Iambule avait fait la description de son voyage

Nous rapporterons maintenant en abrégé les merveilles que l'on raconte d'une île fameuse de l'océan méridional, en commençant par l'histoire exacte de sa découverte. Iambule avait été très soigneux de s'instruire de tout dès son enfance. Après la mort de son père qui était marchand, il s'adonna lui‑même au commerce. Comme il traversait l'Arabie déserte pour arriver à celle qui produit les aromates, il tomba avec tous ceux qui l'accompagnaient entre les mains des voleurs. Il fut mis d'abord à la garde des troupeaux avec un de ses camarades. Ayant été pris là par d'autres voleurs qui venaient d'Éthiopie, il y fut conduit avec son compagnon. Les habitants de la côte se saisirent d'eux et les destinèrent comme étrangers à l'expiation du pays. Les Éthiopiens avaient une ancienne tradition, laquelle avait été confirmée par plusieurs oracles des dieux pendant l'espace de vingt générations, c'est‑à‑dire de six cents ans, parce que chaque génération comprend trente ans. Cette tradition portait que l'Éthiopie devait être purifiée par deux étrangers, d'une certaine manière qu'ils suivirent exactement. Ils préparèrent une barque assez forte pour résister à la mer, mais qui pût être gouvernée par deux hommes seuls. On la fournit de vivres pour six mois et on y embarqua les deux captifs, en leur enjoignant selon l'oracle de cingler vers le midi. On leur dit qu'au bout de leur course ils trouveraient une île fortunée où habitaient des hommes pleins de douceur et parmi lesquels ils se trouve. raient heureux de vivre. Que s'ils arrivaient sains et saufs dans cette île, l'oracle avait prédit que l'Éthiopie serait tranquille et florissante pendant six cents ans. Et qu'ainsi, ils pouvaient compter que si la fatigue de la mer ou l'ennui de leur recherche les ramenait sur leurs bords avant que d'avoir accompli ce voyage, tous les Éthiopiens se jetteraient sur eux et les puniraient comme des prévaricateurs et des impies. On célébra alors une fête solennelle sur le rivage et ayant offert un grand nombre de victimes choisies, ils couronnèrent les députés et les chargèrent de l'expiation publique. Iambule et son camarade se mettent en mer et après avoir été battus des flots pendant quatre mois, ils arrivèrent enfin dans l'île qu'on leur avait désignée. Elle est de forme ronde et elle a cinq mille stades de circuit. Dès qu'ils furent à la rade ils virent venir au‑devant d'eux des gens envoyés pour tirer leur barque à terre. Étant débarqués, tous les insulaires s'assemblèrent autour d'eux admirant leur entreprise et leur courage et s'empressant de leur apporter tout ce dont ils avaient besoin. Ce sont des hommes fort différents de tous les autres par leur manière de vivre et par la conformation même de leurs corps. Ils sont tous égaux de taille et ont un peu plus de six pieds de haut. Leurs os se plient et reviennent à leur situation ordinaire comme les parties nerveuses. Leurs corps paraissent faibles, mais leurs nerfs sont infiniment plus forts que les nôtres : car lorsqu'ils serrent quelque chose avec leurs doigts, il est absolument impossible de le leur ôter. Ils n'ont du poil qu'à la tête, aux sourcils, aux paupières et à la barbe : tout le reste de leur corps est si lisse et si uni qu'on n'y trouverait pas seulement un poil follet. Ils sont très beaux de visage et leur taille est admirablement proportionnée. Leurs oreilles sont beaucoup plus ouvertes que les nôtres et ils ont une languette dans le milieu. Leur langue a aussi quelque chose de particulier qui leur vient en partie de la nature et en partie d'une opération qu'ils y font. Elle est fendue dans sa longueur et paraît double jusqu'à la racine. Cela leur donne la faculté, non seulement de prononcer et d'articuler tous les mots et toutes les syllabes qui peuvent être en usage dans toutes les langues du monde mais encore d'imiter le chant ou le cri de tous les oiseaux et de tous les animaux, en un mot tous les sons imaginables. Ce qu'il y a de plus merveilleux est que le même homme entretient deux personnes à la fois par le moyen de ses deux langues et leur répond en même temps sur des matières très différentes sans se confondre. La température de l'air y est excellente, parce qu'ils sont sous l'équinoxial où ils n'éprouvent ni les grandes chaleurs, ni les grands froids et où ils jouissent d'un automne perpétuel, comme le dit Homère de l'île de Phéacie :

Aux fruits mûrs recueillis en ce lieu d'abondance,

Des fruits nouveaux succède aussitôt l'espérance.

Ils ont les jours égaux aux nuits toute l'année et ils n'ont aucune ombre à midi, parce que le soleil est toujours presque au‑dessus de leurs têtes. Toute la nation est partagée en plusieurs tribus, lesquelles ne contiennent jamais plus de quatre cents personnes qui vivent toujours ensemble. Ces peuples habitent dans des prairies où ils trouvent tout ce qui leur est nécessaire ; car la bonté du climat jointe à celle du terroir fait croître sans culture plus de fruits qu'il ne leur en faut. L'île produit sur tout une grande quantité de roseaux qui portent un fruit semblable au légume que nous appelons ers. Après qu'ils l'ont fait tremper dans l'eau chaude où il devient aussi gros qu'un oeuf de pigeon, ils le broient entre leurs mains avec une adresse particulière, ils le font cuire ensuite et en font un pain très savoureux. Ils ont des sources admirables d'eau chaude pour les bains de plaisir ou de remède et d'eaux fraîches excellentes à boire et merveilleusement saines. Les eaux chaudes ne se refroidissent jamais à moins que l'on n'y mette de l'eau froide ou du vin. Ils connaissent toutes sortes de science et d'exercices mais ils s'appliquent sur tout à l'astrologie. Ils se servent de sept caractères dans leur écriture mais chacun de ces caractères a quatre positions différentes, ce qui donne en tout vingt‑huit noms de lettres. Ils conduisent leurs lignes non de gauche à droite comme nous, mais de haut en bas. La durée de leur vie est très longue et ils parviennent ordinairement jusqu'à cent cinquante ans, la plupart sans avoir éprouvé de maladie. Une loi trop sévère condamne à mourir tous ceux qui naissent ou deviennent estropiés. Quand ils ont vécu le nombre d'années que nous venons de marquer, ils se donnent volontairement la mort d'une façon qui leur est particulière. Il croît chez eux une herbe dont il y a deux espèces. Toutes deux ont cette propriété, que lorsqu'on se couche dessus, on tombe insensiblement dans un doux sommeil dont on ne se réveille plus. Le mariage n'est point en usage parmi eux ; mais les femmes sont communes et ils élèvent avec une affection égale et générale tous les enfants qui en viennent. Lorsqu'ils sont à la mamelle on les change souvent de nourrices, afin que les mères mêmes oublient et méconnaissent ceux qui sont à elles. Bannissant par là toute prédilection, ils ne sont jamais exposés à la jalousie, ni pour eux, ni pour leurs enfants et ils passent leur vie dans une parfaite conformité de sentiments Leur île enferme une espèce d'animaux assez petits mais doués d'une forme et d'une propriété extraordinaire. Leur corps rond et à peu près semblable à celui des tortues, est chargé d'une croix jaune en forme d'X. Les quatre extrémités de cette X se terminent chacune à une bouche et à un oeil. Ainsi l'animal a quatre yeux et quatre bouches qui aboutissent à un seul gosier qui porte la nourriture à un seul ventre, Les entrailles et toutes les autres parties intérieures sont uniques. Ils ont plusieurs pieds sous la circonférence de leur corps, avec lesquels ils vont du côté qu'ils veulent. Leur sang a la vertu de recoller ou de faire reprendre dans l'instant les parties coupées d'un corps vivant comme la main ou le pied, lorsque la plaie est encore récente : ce qui ne s'étend pas néanmoins aux parties nobles et nécessaires à la vie. J'omets un grand nombre d'autres animaux dont les figures nous sont inconnues et que nous n'imaginerions jamais. On nourrit aussi une espèce particulière de grands oiseaux qui servent aux habitants à découvrir les dispositions naturelles de leurs enfants. Ils les mettent en présence de tout le peuple sur le dos de ces oiseaux qui les enlèvent aussitôt dans les airs. L'assemblée conserve les enfants qui soutiennent sans trembler la rapidité du vol mais elle rejette ceux qui ont montré quelque frayeur dans la pensée qu'ils ne sauraient vivre longtemps et qu'ils n'ont point le courage nécessaire pour ses événements de la vie. Le plus vieil homme de chaque classe en est comme le roi et tous les autres lui obéissent. Lorsqu'après avoir atteint cent cinquante ans il renonce à la vie suivant la loi, celui qui le suit immédiatement lui succède dans sa dignité. La mer qui est autour de l'île est toujours grosse, elle a un grand flux et reflux ; d'ailleurs son eau est douce comme de l'eau de fontaine. Ils ne voient point l'Ourse, ni plusieurs autres de nos constellations. Au reste, c'est moins une île que l'assemblage de sept îles placées dans la mer à distances égales les unes des autres, unies cependant par les mêmes lois et par les mêmes moeurs. Quoique la terre fournisse aux habitants sans aucun travail l'abondance de toutes sortes de biens, ils n'en usent point d'une manière désordonnée mais ils n'en prennent que ce qui leur est nécessaire et ils vivent dans une grande frugalité. Ils mangent à la vérité de la viande, et rôtie et bouillie, mais ils ne connaissent ni ces précis, ni tous ces raffinements que l'art de nos cuisiniers a mis en usage. Ils vont à la chasse de toutes sortes d'oiseaux et à la pêche de toutes sortes de poissons. Ils trouvent sur leurs arbres des fruits de toute espèce sans parler des oliviers qui leur fournissent d'excellente huile et des vignes qui leur donnent des vins exquis. L'île est pleine de serpents d'une grandeur excessive qui ne font aucun mal aux hommes et dont la chair est excellente à manger. Les habits se font d'une écorce de roseaux couverte partout d'un duvet fort doux et fort lustré. Ils ne laissent pas cependant de les faire passer encore par des teintures de différents coquillages d'où ils tirent même la couleur de pourpre. Tout ce qui regarde la manière de vivre est réglé chez eux. Ils ne mangent pas tous les mêmes choses mais les jours sont marqués auxquels les uns doivent manger du poisson, les autres de la volaille, d'autres se contenter d'olives et de fruits crus. Les fonctions utiles à la société sont aussi partagées entre eux : les uns s'appliquent à la pêche, les autres aux arts mécaniques, d'autres enfin rendent d'autres services à leur communauté ou à leur tribu. Ils exercent tour à tour les charges publiques dont on ne dispense que les vieillards. Ils adorent l'air, le soleil et tous les corps célestes et dans leurs fêtes ils leur adressent des voeux et des hymnes. Mais ils invoquent plus particulièrement le soleil auquel ils ont consacré leur île et seront consacrés eux‑mêmes. On ensevelit les morts sur le rivage quand la mer s'est retirée, afin que le sable qu'on a écarté et qu'elle ramène en revenant, leur élève comme un tombeau. Ils disent que leurs roseaux qui portent du fruit et dont la tête prend la forme d'une couronne, se remplissent de la nouvelle à la pleine lune et se vident quand ce astre est en décours.

XXXII. Conclusions du voyage de Iambule.

Après que Iambule eut passé sept ans dans cette île avec son compagnon, ils furent condamnés à en sortir comme des méchants et des gens de mauvaises moeurs. Ayant donc réparé leur petite barque et ayant pris des provisions, ils voguèrent l'espace de quatre mois. Ils échouèrent enfin sur des côtes basses et sablonneuses de l'Inde. Le compagnon de Iambule y périt : mais lui s'étant sauvé alla jusque dans un village dont les habitants le conduisirent au roi, qui faisait son séjour à Polibothre, éloignée de la mer de plusieurs journées. Comme ce roi aimait les Grecs et qu'il était fort curieux, il reçut parfaitement bien ce voyageur et lui donna ensuite une escorte qui le conduisit au travers de la Perse jusque dans la Grèce. C'est ainsi que Iambule l'a conté lui‑même dans son Histoire, où il apprend à son lecteur bien des particularités de l'Inde qu'on ne trouverait pas ailleurs. Pour nous, ayant achevé la matière que nous nous sommes proposée au commencement de ce livre, nous la terminons ici.

Fin du Livre II.