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HISTOIRE UNIVERSELLE DE DIODORE DE SICILE
traduite en français par Monsieur l'Abbé TERRASSON
Tome septième
Paris 1744
FRAGMENTS DES SIX PREMIERS LIVRES DE DIODORE PERDUS APRÈS LE VINGTIÈME
LIVRE XXI.
I. La cupidité tient le premier rang entre les vices qu’il importe le plus à l’homme de fuir : d’autant que la recherche continue de son avantage propre le conduit bientôt à l’injustice ; ce qui jette dans les plus grands malheurs, non seulement les hommes en général, mais plus particulièrement encore les Rois et les Souverains. Antigonus par exemple, Roi de l’Asie, faisant la guerre à quatre autres Rois ligués ensemble, à savoir, Ptolémée fils de Lagus Roi d’Egypte, Séleucus Roi de Babylone, Lysimachus Roi de Thrace, Cassander fils d’Antipater Roi de Macédoine, tomba percé de flèches dans une bataille qu’il leur donnait. Il fut néanmoins enseveli d’une manière convenable à son rang. Son épouse Stratonice qui demeurait alors dans la Cilicie et son fils Démétrius se transportèrent avec toutes leurs richesses à Salamine ville de Chypre, que Démétrius s’était soumise.
II. Agathocle Roi de Sicile délivra Corcyre que Cassandre assiégeait par mer et par terre, sur le point qu’elle allait être prise, en mettant le feu à la flotte Macédonienne qui fut consumée dans cet embrasement. Le sort de la guerre est quelque chose de bien incertain. L’ignorance et la méprise y ont quelquefois un succès plus heureux que la valeur et l’habileté.
III. Agathocle à son retour de Corcyre étant venu rejoindre son armée et apprenant que des soldats de la Ligurie et de Toscane, qui avaient tué son fils Archagatus en Afrique et emporté la dépouille, étaient venus s’enrôler dans ses troupes en son absence, les fit égorger tous au nombre de deux mille qu’ils se trouvèrent. Les Bruttiens ayant paru mécontents de cette sévérité, Agathocle assiège leur ville nommée Etha. Mais ces barbares l’ayant attaqué subitement dès la nuit suivante lui tuèrent quatre mille hommes ; ce qui le fit revenir à Syracuse.
IV. Agathocle ayant armé une flotte passa en Italie et dans le dessein d’assiéger Crotone, il fit avertir Menedème tyran de cette ville, et dont il se disait ami, de ne point s’effrayer en vain, parce que l’unique objet de son armement était d’envoyer marier sa fille en Épire dans un équipage convenable à son rang. Par cette feinte il trouva la ville sans défense et l’environnant dans toute l’étendue de son rivage, il fit tomber à coups de pierres la plus grande maison du port dna sle fossé dont il l’avait entourée. A cet aspect les Crotoniates lui ouvrant toutes leurs portes le reçurent dans leur ville avec son armée entière : les soldats se jetant dans les maisons des particuliers les pillèrent et y massacrèrent même tous ce qu’ils y trouvèrent de citoyens. Agathocle fait ensuite alliance d’armes avec les Yapiges et les Peucetiens, barbares de ces cantons, auxquels il fournit des bâtiments pour pirater à condition de partager leurs prises. Laissant enfin une garnison à Crotone, il revient à Syracuse.
V. Diallus auteur athénien a fait vingt-six livres de l’histoire de tout ce qui s’est passé dans le monde entier et Psaun de Platées en a donné trente en continuation de la précédente.
VI. Dans la guerre des Etrusques, des Gaulois, des Samnites et de leurs alliés, le consul Fabius fit périr cent mille hommes suivant le témoignage de l’Historien Duris.
VII. Antipater fils de Cassander tue sa mère par jalousie du gouvernement. Il tue par le même motif son frère Alexandre, qui avait demandé le secours du roi Démétrius. Mais ensuite Démétrius tue Antipater lui-même, pour n’avoir point tant de concurrents au titre de Roi.
VIII. Agathocle ayant rassemblé ses forces, passe en Italie à la tête de trente mille hommes de pied et trois mille chevaux. Ayant confié sa flotte à Stilpon, il le charge de pirater sur la côte des Bruttiens. Celui-ci exécutant cet ordre fut assailli d’une tempête qui lui fit perdre un grand nombre de vaisseaux. Cependant Agathocle assiégeant la ville des Hipponiates, la prit à force de machines. La nation entière des Bruttiens effrayée de ce succès, lui envoye des ambassadeurs pour traiter de la apix avec lui. Il écoute les propositions et reçoit des otages de leur part. Après quoi, laissant une garnison dans la ville qu’il avait prise, il revient à Syracuse. Les Bruttiens violant leur serment, attaquent cette garnison en son absence et la défont entièrement ; ensuite de quoi ils lui enlèvent les otages dont elle était dépositaire et se délivrent eux-mêmes de toute dépendance d’Agathocle.... La douceur est ordinairement plus sûre que la violence.
IX. La plupart des généraux d’armée qui tombent dans l’adversité suivent les impressions de la multitude qu’ils ne veulent pas mettre contre eux.
X. Le roi Démétrius ayant assiégé et pris Thèbes qui s’était révoltée pour la seconde fois ne fit mourir que dix hommes auteurs de cette révolte.
XI. Agathocle envoie son fils de même nom que lui à Démétrius pour lui offrir son amitié et lui proposer une ligue offensive et défensive. Le Roi reçut gracieusement ce jeune homme et lui ayant fait prendre un vêtement royal, le renvoya comblé de présents. Il le fit accompagner dans son retour par un de ses amis nommé Oxythème, sous l’apparence de sceller cette union ; mais en effet pour se préparer l’invasion de la Sicile, dont il chargea son envoyé d’examiner la position.
XII. Le Roi Agathocle depuis assez longtemps en paix avec les Carthaginois, met sur pied une grande armée navale. Il se disposait à repasser dans la Libye et à lui couper le transport des blés qu’elle tirait de la Sardaigne et de la Sicile. Car les Carthaginois ayant acquis par la dernière guerre l’empire de la mer, paraissaient avoir mis leur patrie en sûreté. Agathocle avait alors deux cents galères à quatre ou six rangs de rame. Mais il ne mit point son dessein à exécution pour les raisons suivantes. Un jeune homme de la ville d’Aegeste appelé Maenon ayant été pris dans le sac de cette ville avait été donné comme esclave à Agathocle à cause de sa beauté. Il fit semblant pendant quelque temps d’être satisfait de sa fortune, qui le mettait au rang des amis du Roi ; mais comme il déplorait au fond le désastre de sa patrie et la honte de sa fonction, il attendait le moment de se venger de l’un et de l’autre. Le Roi qui devenait vieux avait déjà donné le commandement des troupes qui servaient en campagne à son petit-fils Archagarthus. Celui-ci était le fils de l’Achargathus qui avait été tué en Afrique et par conséquent petit-fils d’Agathocle. C’était un jeune homme d’une hardiesse et d’un courage extraordinaire. Pendant qu’il campait au pied du mont Aetna, le Roi qui voulait faire passer sa couronne sur la tête de son fils Agathocle, le recommande d’abord aux Syracusains et leur présente comme son successeur. Après quoi il envoie à son camp chargé d’une lettre par laquelle il ordonnait ç Archagathus de remettre à ce jeune homme le commandement des troupes de mer et de terre. Archagathus voyant que la succession de son aïeul passait en d’autres mains que les siennes, songe à se défaire des deux Agathocles, père et fils. Il dépêche un courrier à Maenon d’Aegeste par l’entremise duquel il le fait solliciter d’empoisonner le Roi même : et de son côté faisant célébrer une fête dans une île où devait aborder le jeune Agathocle, il l’enivra et l’étrangla à la fin d’un grand repas. Mais son corps jeté ensuite dans la mer fut retrouvé par quelques insulaires qui l’ayant reconnu le portèrent à Syracuse. D’un autre côté, comme le Roi ne manquait jamais de s’écurer les dents avec une plume au sortir du repas, il en demanda une à Maenon. Celui-ci avant de la lui donner, eut soin de la faire tremper dans le poison le plus violent. Agathocle s’en servant sans aucune méfiance, remplit ses gencives d’un venin corrosif, qui leur causèrent d’abord des inquiétudes, ensuite des douleurs extraordinaires et enfin une pourriture irrémédiable. Se voyant près de sa fin, il fit assembler le peuple, auquel in dénonça le crime d’Archagathus, dont il lui demandait vengeance ; en ajoutant qu’il était lui-même sur le point de rendre la liberté à Syracuse. Oxythemis envoyé depuis quelque temps auprès de lui par Démétrius, le mit sur un bûcher encore vivant, dit-on, mais hors d’état par la violence du venin de prononcer une parole. C’est ainsi que mourut Agathocle, après avoir fait lui même un nombre effroyable de meurtres et comblé la mesure de ses cruautés à l’égard de ses compatriotes et de ses impiétés envers les dieux. Il avait régné vingt-huit ans et vécu soixante et douze, suivant le témoignage de Timée de Syracuse, de Callias de la même ville qui a laissé une histoire en 22 livres et d’Antander frère d’Agathocle qui a écrit lui-même une histoire. Le peuple rentrant alors en liberté, mit à l’encan les biens du tyran et brisa toutes les images. Maenon auteur de la mort du roi s’étant échappé de Syracuse, se tenait dans le camp d’Archagathus et se vantant d’avoir détruit la tyrannie, il tua aussi Archagathus en secret : gagnant ensuite les soldats par des paroles insinuantes, il résolut de faire la guerre à Syracuse et d’en acquérir la domination.
XIII. Les Syracusains choisirent leur préteur Hicetas pour s’opposer à Maenon. Celui-ci ne cherchant qu’à éloigner le combat ne se mettait point en bataille et n’avait en vue que de prolonger la guerre ; lorsque les Carthaginois se joignirent à lui. Les Syracusains se virent alors obligés, vu leur petit nombre en comparaison de l’armée ennemie de renoncer à la guerre et de recevoir leurs bannis. Mais leurs soudoyés se voyant privés dans l’élection aux magistratures de la part qu’on leur avait promise, la ville se remplit de tumulte et les deux partis commençaient à s’armer l’un contre l’autre. Les magistrats qu’on avait chargés d’empêcher cette sédition par des exhortations adressées aux uns et aux autres, eurent bien de la peine à en venir à bout. Ils parvinrent néanmoins par leurs représentations à obtenir qu’au bout d’un temps marqué, les soudoyés se défaisant de toutes leurs acquisitions dans la Sicile, sortiraient de la capitale. Ces étrangers abandonnant enfin volontairement Syracuse, furent reçus à messine comme amis et compagnons d’armes. Mais dès la nuit suivante, ils égorgèrent leurs hôtes et épousant ensuite leurs femmes, ils se rendirent maîtres de cette ville et la nommèrent Mamertine, du nom de Mars, qui dans leur dialecte s’appelle Mavers.
Sentence détachée
Ceux qui ne participent pas au gouvernement du peuple n’ont pas droit de donner leurs voix pour l’élection d’un chef du sénat.
XIV. Autant qu’il est avantageux de se rendre terrible aux ennemis, autant est-il louable d’être doux et officieux envers ses compatriotes.
XV. Si dans un temps où vous ne connaissez pas vos véritables intérêts, vous vous êtes laissés gagner par des discours séducteurs : aujourd’hui que des événements sinistres nous ont instruits, c’est à vous à suivre d’autres maximes. Car enfin, il n’y a rien de si naturel à l’homme que de se tromper en quelques rencontres dans le cours de sa vie, mais de retomber plusieurs fois dans la même faute en des circonstances toutes semblables, c’est véritablement renoncer à la raison. Les dernières fautes méritent toujours une plus grande punition que les premières. Quelques-uns de nos citoyens en sont venus à ce point d’aveuglement que de se flatter de rendre leur maison plus illustre aux dépens de la patrie. Celui qui est capable de maltraiter ceux qui portent du secours aux malheureux, comment traiteront-ils les malheureux mêmes ?
XVI. Il faut pardonner à ceux qui ont commis des fautes et du reste se tenir en repos.
XVII. Ce ne sont pas ceux qui ont commis des fautes qu’il faut punir sévèrement, ce sont ceux qui ne se corrigent pas après les avoir commises.
XVIII. Dans la conduite de la vie, la douceur est bien supérieure à la colère et la clémence aux punitions.
XIX. Il est important de mettre fin aux inimitiés et d’en venir à la réconciliation. Rien n’invite plus un homme à se raccommoder avec ses amis que de se sentir tomber dans la misère.
XX. Il est de la nature de l’homme de souhaiter l’accroissement de son bien. Un souverain qui entre dans une ville libre doit laisser chez lui l’air et le ton de commandant et les habits qui sentiraient l’autorité de la tyrannie, pour ne montrer au dehors que le maintien et les vêtements ordinaires aux citoyens chez lesquels il se trouve. Tout homme sorti du sang royal et qui se voit héritier d’une couronne, doit vouloir succéder à la gloire de ses ancêtres : car il serait honteux de porter le nom de Pyrrhus fils d’Achille et de ne représenter que Thersite par les actions. Plus un homme aura acquis de gloire, plus il aura d’obligation à ceux auxquels il sera redevable de ses heureux succès. Je conclus de là que celui qui peut parvenir à son but avec honneur et à la satisfaction des autres a grand tort d’y tendre par des voies honteuses et qui lui attirent la haine et les reproches de tout le monde. O hommes qui m’écoutez, il est beau de tirer des fautes des autres une leçon qui nous conduise à notre tranquillité et à notre bonheur.
XXI. On ne doit pas préférer l’alliance avec les étrangers à celle de ses compatriotes, ni attendre plus de bienveillance de la part des ennemis de notre nation que de nos propres citoyens.
LIVRE XXII
I. Les Epirotes ont pour maxime de combattre non seulement pour leur patrie, mais encore pour les nations qui ont contracté quelque alliance avec eux.
II. Comme les Campaniens qui étaient à la solde d’Agathocle s’étaient saisis de Messine, sous prétexte de la défendre contre les Romains : ainsi Decius, tribun militaire, se saisit de Rhege sous prétexte de défendre cette ville de l’invasion de Pyrrhus. Il y fit des concussions et des meurtres sans nombre, dont les Romains indignés tirèrent ensuite vengeance eux-mêmes sur les soldats qui les avaient exécutées : car pour leur tribun Décius ayant eu une fluxion sur les yeux, il manda le plus habile médecin de Rhège, qui pour venger sa patrie les lui frotta avec un onguent de cantharides qui lui fit perdre la vus : le médecin s’échappa par la fuite, cependant la Sicile se partageait entre plusieurs tyrans, Hiceras occupait Syracuse, Phintias Agrigente, Tyndarius Tauromène et des hommes moins considérables d’autres villes plus petites. Cependant Phintias et Hicetas eurent guerre entre eux. Le combat se donna devant Hyblaee et ce fut Hicetas qui remporta la victoire. Faisant ensuite des ravages chacun de son côté, ils rendirent tout le pays inculte. Cependant Hiceras fier de sa victoire précédente, arma contre les Carthaginois et perdit auprès du fleuve Terias un grand nombre de siens. Phintias de son côté bâtit une ville qu’il appela Phintiade, de son nom, et qu’il peupla des habitants de Gela, chassés de chez eux. Il l’environna de murailles, y fit faire pour la commodité publique un très beau marché et y éleva des temples aux dieux. Mais s’étant rendu coupable d’un meurtre, il fut haï dans toute l’étendue de da domination et principalement dans Agyre : de sorte qu’on chassa de toutes les villes ceux qui les gardaient en son nom.
III. Le roi Ptolémée Ceraunus est tué par les Gaulois et toutes les troupes Macédoniennes taillées en pièces.
IV. Une victoire à la Cadméenne est une expression proverbiale par laquelle on veut désigner une victoire où le vaincu gagne plus que le vainqueur et demeure plus puissant que lui.
V. Phintias fondateur de Phintiade et tyran d’Agrigente eut un songe qui lui représenta la fin de sa vie. Croyant être à la chasse d’un sanglier, il rêva qu’un pourceau tombé sur lui, lui perçait les côtes avec ses dents et le tuait en traversant son corps par cette ouverture.
VI. Hiceras après avoir commandé neuf ans dans Syracuse, fut chassé de cette ville par Thynion fils de Mamméus.
VII. Thynion et Sostratus, successeurs d’Hicetas, appellent une seconde fois le roi Pyrrhus dans la Sicile.
VIII. Les Mamertins qui avaient égorgé les citoyens de Messine qui les avaient reçus dans leur ville, étaient entrés en société de guerre avec les Carthaginois, s’obligèrent par un décret public de s’opposer au passage de Pyrrhus dans la Sicile. Mais Tyndarion tyran de Tauromène favorisait le roi d’Épire et se disposait à ouvrir les portes de la ville à lui et à toute l’armée dont ce Roi se faisait accompagner.
IX. Les Carthaginois d’intelligence avec les Romains, en reçurent cinquante dans leur flotte et se présentant devant Rhege, ils entreprennent l’attaque de cette ville, mais ils s’en désistent bientôt ; et mettant eux-mêmes le feu aux bois qu’ils avaient assemblés pour en construire des vaisseaux, il se réduisent à garder le détroit et à observer la route de Pyrrhus.
X. Thynion qui gouvernait toute la Sicile et Sostrarus, maître de Syracuse seule, ayant chacun dix mille hommes de leur côté se faisaient la guerre. Mais las eux-mêmes de leurs querelles, ils envoient des ambassadeurs à Pyrrhus.
278-276 Pyrrhus en Sicile
XI. Pyrrhus fit la guerre en Italie pendant deux ans et quatre mois ; et lorsqu’il se disposait à la retraite, les Carthaginois pressaient Syracuse par mer et par terre. Ils avaient cent navire dans le grand port et en même temps un camp de cinquante mille hommes auprès des murailles, qui empêchaient les citoyens d’en sortir : de sorte que les ennemis ravageaient avec une liberté entière toute la campagne des environs et en faisaient un vaste désert. Les Syracusains n’avaient d’espérance qu’en Pyrrhus qui avait épousé Lanassa, fille d’Agathocle, dont il avait un fils nommé Alexandre. Aussi lui envoient-ils des députés les uns sur les autres pour hâter son arrivée. Pyrrhus faisant donc embarquer ses soldats, ses éléphants et tout son équipage militaire, partit de Tarente et arriva en dix jours à Locres. De là, il traversa le détroit pour aborder à Tauromène. S’étant joint là à Tyndarion, prince de Tauromène, il obtint encore de lui une recrue de soldats qu’il conduisit à Catane. Il y fut reçu avec une grande magnificence, de sorte qu’ayant sur la tête une couronne d’or qu’on lui avait fait prendre, il fit débarquer là ses troupes, et pendant que celles-ci allaient par terre à Syracuse, sa flotte disposée pour un combat naval les suivait par mer. A leur arrivée les Carthaginois qui avaient employé une trentaine de leurs vaisseaux à d’autres besoins, n’osèrent tenter le combat avec le peu qui leur en restaient. Ainsi Pyrrhus entra librement dans Syracuse. Là toute l’île lui fut remise par Thynion, et Sostratus à la tête des Syracusains lui fit hommage de la capitale. Ce dernier était aussi maître d’Agrigente et de quelques autres villes et tenait plus de dix mille homme sur pied. Pyrrhus à son arrivée réconcilia Thynion avec Sostratus, et les habitants de Syracuse avec leur chef et entre eux ; et par cette réconciliation il s’attira une très grande reconnaissance de la part des uns et des autres. On lui remit aussitôt toutes les armes et toutes les machines de guerre dont la ville était pourvue. La marine qu’on lui confia de même, était alors composée de six vingt vaisseaux pontés et de vingt autres sans pont : celui qu’on appelait le Royal était à neuf rangs de rames : enfin toute la flotte, en y comprenant les bâtiments qu’ils avaient amenés lui-même, montait à plus de deux cent voiles. Il lui vint là une ambassade de Léontins de la part d’Héraclide leur maître, pour lui offrir leur propre ville, avec tout ce qu’elle contenait d’hommes armés qui montaient alors à quatre mille fantassins et cinq cent cavaliers. Les mêmes offres lui furent faites de la part de beaucoup d’autres villes, qui se donnaient à lui et s’enrôlaient pour ainsi dire toute entières à son service. Pyrrhus reçut favorablement tous ces députés qui lui firent concevoir l’espérance de conquérir l’Afrique même.
XII. Le port de Corinthe porte le nom de Léchée.
279 : prise de Delphes par les Gaulois
XIII. Brennus, roi des Gaulois, à la tête de deux cent cinquante mille hommes armés de boucliers, de dix mille hommes de cheval et d’une foule d’autres gens ramassés dont plusieurs avaient été marchands forains, suivi outre cela de deux mille chariots, se jette en armes dans la Macédoine ; d’où ayant été repoussé avec une grande perte des siens, il passe dans la Grèce, où affaibli par ses défaites précédentes, il ne put venir à bout de rien, et pas même de piller le temple de Delphes, quoiqu’il en eut une grande envie. Ayant essayé divers combats à cette occasion, il laissa encore sur la place quelques milliers d’hommes, et reçut lui-même trois blessures : se voyant près de la fin, il fit assembler les Gaulois autour de lui et leur conseilla de tuer tous leurs blessés, sans l’excepter lui-même et de brûler tous leurs chariots de bagage, afin que rien ne les empêchât de retourner incessamment dans leur pays, en nommant dès lors Cichorius pour leur roi son successeur. Après ces dispositions, Brennus ayant bu autant de vin qu’il lui fut possible, se poignarda lui-même. Cochorius prit soin de la sépulture et fit égorger ensuite tous les blessés de l’armée, aussi bien que tous ceux que le froid ou la faim avait mis hors d’état de marcher. Les uns et les autres faisaient le nombre de vingt mille hommes, après quoi il ramena le reste par le même chemin. qu’il était venu. Mais les Grecs se postant à côté de l’endroit le plus difficile de leur passage, les prirent en queue, les taillèrent en pièces et leur enlevèrent tout leur bagage. Ces malheureux arrivés aux Thermopyles où leurs vivres avaient fini, perdirent là vingt autre mille hommes. Passant enfin dans la Dardanie en Europe, tout le reste y périt et il n’y eut pas un seul de cette nombreuse armée qui revit jamais sa patrie.
Pyrrhus ayant établi son pouvoir et
mis tout en règle dans Syracuse et dans Leontium, marcha vers Agrigente : il
était encore en chemin lorsqu’il lui vint par mer quelques officiers de ses
troupes, qui lui dirent qu’ils avaient chassé la garnison que les
Carthaginois avaient envoyée dans cette dernière ville en faveur du tyran
Phintias, dont elle ne voulait plus reconnaître l’autorité, disposée qu’elle
était à se donner à Pyrrhus et à entrer avec lui en alliance d’armes. Le
Roi arrivé aux portes d’Agrigente, reçut là en effet, par le ministère de
Sostratus, la ville même, et de plus, trois mille six cents hommes de pied et
huit cents hommes de cheval, tous gens choisis et qui ne le cédaient en rien
aux Apirotes mêmes. Il accepta aussi trente autres villes où le même
Sostratus avait commandé. Il envoya ensuite chercher à Syracuse toutes les
machines nécessaires pour assiéger des places et une quantité suffisante de
traits et d’autres armes, au moyen desquelles il se mit en état de parcourir
toutes les possessions des Carthaginois dans l’étendue de l’île. Il avait
en effet vingt mille hommes d’infanterie, quinze cents hommes de cheval et
quelques éléphants. Il prit d’abord Héraclée, défendue par une garnison
carthaginoise et ensuite Azon : ce fut là que les Sélinontins vinrent se
joindre à lui ; aussi bien que les citoyens d’Halice, d’Aegesse et de
plusieurs autres villes. Erycine, outre les défenses naturelles qu’elle
tirait de sa position, était alors gardée par une forte garnison de
Carthaginois. Pyrrhus avait néanmoins résolu de l’emporter de force, et dans
ce dessein il fit approcher ses machines. La défense devenant aussi vive et
aussi longue que l’attaque, le Roi qui voulait se faire un grand nom et qui
tendait à l’imitation d’Hercule, saute le premier sur la muraille, et là
combattant en héros il renverse tous les Carthaginois qui ont la hardiesse de l’approcher
; enfin soutenu par ceux des siens qui s’intéressaient à sa vie, il emporte
en effet la place dans ce dernier assaut. Laissant là une garnison, il passe à
Aegine voisine de Palerme. Les habitants d’Aegine s’étant accordés avec
lui, il vint à Palerme même, la ville de toute la Sicile qui a le plus beau
port, circonstance dont elle a même tiré son nom. Il l’emporta aussi d’assaut,
et forçant de même les défenses de la ville d’Erèbes, il se rendit maître
enfin de toutes les possessions des Carthaginois dans la Sicile, à l’exception
de Lilybée seule.
Cette dernière ville avait été bâtie par les Carthaginois mêmes, après que
le tyran Denys leur eut pris Motye ; et ils y logèrent tous ceux que la
destruction de celle-ci en avait exclus. Pyrrhus se disposait à assiéger
Lilybée, lorsque les Carthaginois envoyèrent au secours de leur colonie une
flotte considérable ; et comme ils étaient maîtres de la mer, il leur fut
aisé de faire passer jusque là d’abondantes provisions de vivres, aussi bien
que des machines et des armes de toute espèce pour la défense. Mais de plus
comme la ville était placée au bord de la mer, ils eurent soin de la défendre
du côté de la terre, par un grand nombre de hautes tours, et par un large
fossé qui les environnait toutes. Les citoyens de Lilybée ne laissèrent pas
de députer au Roi quelques-uns d’entre eux pour lui proposer un traité, et
pour lui offrir même une grosse somme d’argent. Le Roi rejeta de lui-même ce
dernier article : mais comme il penchait à accorder aux Carthaginois cet
hospice dans la Sicile ; ses propres confidents qui se trouvaient dans ce
conseil, aussi bien que les députés des autres villes siciliennes, lui
représentèrent qu’il ne convenait en aucune sorte de donner entrée à des
Barbares dans la Sicile ; et qu’il était important de leur interdire l’île
entière, et de mettre la mer entre l’une et l’autre nation. Le Roi ayant
donc fait tracer une circonvallation autour des murailles, les battit d’abord
à coups redoublés. Les assiégés le repoussèrent à forces égales, comme
ayant là une puissante garnison, amplement fournie de provisions de toute
espèce : car ils s’étaient munis d’une si prodigieuse quantité de traits,
et de machines propres à les lancer, qu’à peine l’enceinte de la ville
pouvait-elle les contenir : aussi la plus grande partie des assiégeants ayant
été tués ou blessés, le Roi sentit ce qui lui manquait, et fit venir
incessamment de Syracuse des machines propres à ébranler les murailles. Mais
malgré ce nouveau secours et tout l’usage qu’il en savait faire, les
Carthaginois continuèrent de se défendre par l’avantage de leur poste qui
était en effet un rocher inébranlable. Le Roi entreprit bien aussi de battre
les murs par des machines, ou de les faire tomber par la sape. Mais les
Carthaginois rendaient tous ses travaux inutiles par les leurs. Enfin le siège
de cette place qui était un véritable rocher, ayant occupé le Roi pendant
deux mois, il reconnut l’impossibilité du succès, et leva le siège ; mais
il tourna toutes ses pensées à rassembler une flotte immense, au moyen de
laquelle il ferait une descente dans l’Afrique même.
XV. Les
Mamertins qui s’étaient établis à Messine, s’y étant extrêmement accrus
en nombre, avaient muni de garnisons plusieurs forteresses de la province. Et
ayant levé une grosse armée, ils se disposaient à défendre toute la
Messénie d’une irruption dont elle était menacée. Hiéron revenant d’une
campagne où il avait pris la ville de Miles, et fait prisonnier quinze cents
soldats, et après la conquête de quelques autres villes, marcha vers Amesale,
située entre Centorippe et Agyrée. Quoique Amesale fût extrêmement forte et
défendue d’ailleurs par une bonne garnison, il la prit, la rasa et en
incorpora dans ses troupes la garnison à laquelle il pardonna sa résistance :
mais il donna les terres à parties égales aux citoyens de Centorippe et d’Agyre.
De là Hiéron se mit en marche à la tête d’une forte armée contre les
Mamertins, et réduisit d’abord la ville d’Alese à se rendre : après quoi
les citoyens d’Abacene et de Tyndaris vinrent s’offrir à lui de leur propre
mouvement. Ces succès mirent d’abord les Mamertins fort à l’étroit. Car
Hiéron possédait Tauromène dans le voisinage de Messine et Tyndaris sur la
mer de Toscane. Ayant donc fait une irruption dans la Messenie, il campa aux
environs du fleuve Loeran, à la tête de dix mille hommes de pied et de quinze
cents chevaux. Les Mamertins, sous la conduite de Cion, vinrent l’attaquer là
au nombre de huit mille hommes de pied et quatre mille hommes à cheval. Avant
le combat Cion consulta les haruspices, qui lui répondirent que les entrailles
des victimes indiquaient qu’il coucherait dans le camp des ennemis. Il se
réjouissait là-dessus comme se croyant déjà vainqueur de l’armée du Roi ;
et en même temps il donne ordre à ses troupes de se mettre en devoir de
traverser le fleuve à la nage : Hiéron avait alors dans ses troupes deux cents
bannis de Messine, gens exercés à la guerre et d’un courage à toute
épreuve, auxquels il joignit encore quatre cents hommes de choix. Il ordonna
aux uns et aux autres de faire le tour d’une colline qu’ils avaient devant
les yeux et qu’on appelait Thorax ; de sorte qu’ils pussent prendre les
ennemis par derrière. Pour lui mettant ses troupes en ordre, il attaque les
ennemis de front à la tête de sa cavalerie, pendant que ses gens de pied
postés sur une hauteur le long du fleuve, profitaient aussi de l’avantage de
leur situation. La victoire fut néanmoins assez longtemps douteuse. Mais ceux
qui avaient fait le tour de la colline tombant frais sur les Mamertins qui
avaient déjà combattu longtemps, en tuèrent d’abord un grand nombre, et
réduisirent tout le reste à s’enfuir en foule ; de sorte que les Syracusains
venant sur eux dans ce désordre, n’en laissèrent pas un seul en vie. Le
général même des Mamertins, après une défense très courageuse, couvert de
plaies et presque mort, fut pris encore vivant : il fut porté en cet état dans
un camp du Roi et recommandé à ses médecins. Ainsi fut accomplie la
prédiction des haruspices dont nous avons parlé plus haut, et par laquelle il
était annoncé à Cion qu’il coucherait dans le camp des ennemis. Pendant que
le Roi recommandait fortement ce prisonnier à ses médecins, il arriva des gens
qui amenaient un grand nombre de chevaux pris dans la bataille. Cion y reconnut
celui de son propre fils, sur quoi il jugea aussitôt que ce jeune homme avait
été tué dans le combat. Là-dessus il arracha tout le bandage de ses plaies,
pour venger la mort de son fils par la sienne propre.
Les Mamertins apprenant la défaite de leurs compatriotes et la mort de leur
chef, résolurent entre eux d’implorer la clémence du vainqueur. Leurs
affaires n’étaient pourtant pas encore absolument ruinées, car Annibal,
commandant des Carthaginois se trouvant alors par hasard dans l’île de
Lipare, et informé de la victoire signalée qu’Hiéron venait de remporter, l’alla
trouver, en apparence pour le congratuler, et en effet pour employer à son
égard une ruse de guerre. Le Roi se laissant tromper s’engagea à une trêve,
et Annibal passant incessamment à Messine y trouva les Mamertins déjà
disposés à rendre leur ville à Hiéron. Il les dissuada vivement d’une
pareille complaisance, et leur prêta le secours réel d’une très forte
garnison. C’est ainsi que les mamertins furent consolés et rétablis après
une perte aussi considérable que celle qu’ils venaient d’essuyer. Au lieu
qu’Hiéron désabusé du siège de Messine par le puissant secours que le
capitaine carthaginois venait d’y introduire, revint à Syracuse ; ayant
réussi d’ailleurs dans ses autres entreprises. Mais dans la suite Hiéon se
réunissant aux Carthaginois contre Messine, ils résolurent d’attaquer cette
même ville avec leurs forces unies ensemble...
sur Pyrrhus
http://lasicileantique.ifrance.com/lasicileantique/personnages/PYRRHUS.htm
sur Hiéron II
http://lasicileantique.ifrance.com/lasicileantique/personnages/hieron%20II.htm
La première guerre punique (264-241): A l'appel des Mammertins, les Romains débarquent en Sicile et concluent une alliance avec Hiéron, tyran de Syracuse, contre les Carthaginois. 262: Les Romains prennent
Sélinonte. Ils décident de construire une grande flotte de guerre. |
LIVRE XXIII
I. La Sicile est la première et la plus belle de toutes les îles, comme étant celle dont la possession assure le plus la durée et l’accroissement d’une puissante domination.
II. Hannon, fils d’Annibal étant venu en Sicile, et ayant assemblé ses troupes dans Lilybée, s’avança jusqu’à Sélinonte, et après avoir posé son camp auprès de cette ville, il y laissa son armée de terre : de là venant lui même à Agrigente, il y fit bâtir une citadelle, après y avoir gagné le peuple en faveur des Carthaginois. Revenu à son camp, il y reçut des ambassadeurs de la part d’Hiéron pour traiter de leurs intérêts communs : car ils étaient déjà convenus ensemble de se réunir contre les Romains, si ces derniers ne sortaient pas incessamment de la Sicile. Ces deux capitaines ayant amené leurs troupes auprès de Messine, Hiéron posa son camp sur la colline qu’on appelait Chalcidique ; et les Carthaginois se portèrent sur un terrain aplani qu’on appelait les lits, après que leur flotte se fut saisie d’une tour placée dans l’eau près du rivage et qu’on appelait Pelorias ou monstrueuse, d’où ils battaient continuellement la ville. Dès que le peuple romain fut instruit de cette entreprise, il envoya Appius Claudius, l’un de ses consuls bien accompagné, qui arriva très tôt à Rhege. De là le consul députe à Hiéron et aux Carthaginois des officiers qui les somment de lever incessamment le siège de Messine, promettant de son côté et publiquement de ne point faire la guerre à Hiéron. Celui-ci répondit qu’il attaquait très justement les Mamertins pour avoir détruit Camarine et Gela, et pour s’être saisis de Messine par fraude : ajoutant qu’il ne convenait point aux Romains de protéger une nation qui foulait aux pieds toute fidélité humaine, et qui s’était souillée de meurtres qu’elle s’était facilités par la trahison. Qu’ainsi les Romains continuant une guerre si injuste, feraient voir à toute la terre que sous prétexte de la protection des malheureux, ils ne tendaient en effet qu’à l’augmentation de leur puissance, et à s’emparer avant toute chose de la Sicile.
III. Les Romains portaient d’abord des boucliers de fer en forme carrée. Mais prenant garde ensuite que ceux des Tyrrhéniens qui étaient d’airain et arrondis, étaient moins embarrassants dans l’action, ils s’en firent faire se semblables, et dans la suite se rendirent supérieurs dans les combats à ceux mêmes qui leur avaient fourni ce modèle.
IV. Le consul étant parvenu jusqu’à Messine, Hiéron soupçonna les Carthaginois de lui avoir livré passage, et dans cette pensée il se réfugia lui-même dans Syracuse. Peu de temps après, les Carthaginois ayant été vaincus dans un combat qu’ils hasardèrent contre les Romains, le même consul entreprit en vain le siège d’Aegeste, et fut obligé de le lever, après avoir perdu bien des soldats dans cette entreprise.
V. Les deux consuls passés dans la Sicile y assiégèrent la ville d’Adranum et enfin la prirent d’assaut. Ayant formé dans la suite le siège de Centorippe, et campant alors aux portes d’airain, il leur vint des ambassadeurs de la part des Laesinois, et bientôt après de plusieurs villes effrayées, pour leur demander la paix, et leur offrir de leur ouvrir leurs portes, et de se donner à eux. Ces villes étaient au nombre se soixante sept, dont les Romains prenant les troupes marchèrent du côté de Syracuse pour y assiéger Hiéron. Celui-ci voyant les Syracusains indignés contre lui du danger où il les jetait, envoya des ambassadeurs aux consuls pour leur proposer quelque accommodement. Mes Romains qui n’en voulaient alors qu’aux Carthaginois, reçurent favorablement cette ambassade, et accordèrent à Syracuse une trêve de quinze ans, et la restitution de tous les prisonniers au prix de cent cinquante mille drachmes : permettant d’ailleurs à Hiéron de retenir sous son commandement Syracuse, et les villes dépendantes de celle-là ; c’est à dire Acre, Leontium, Mégare, Aelore, Neatine et Tauromène. Pendant que ces choses se passaient, Annibal était venu à la tête d’une flotte jusqu’à Xiphonie, pour donner du secours à Hiéron, mais apprenant le traité qu’on venait de conclure, il se retira.
VI. Les Romains ayant assiégé pendant plusieurs jours les petites villes d’Adranon et de Macella, se retirèrent sans avoir pu les prendre.
VII. Les habitants d’Aegeste soumis aux Carthaginois, se donnèrent aux Romains ; et les citoyens d’Aliene suivirent cet exemple. Mais les Romains emportèrent de force Hilare, Tyritte et Ascele. La ville de Tyndare, soutenue par les Carthaginois, songeait à prendre le même parti. Mais les Carthaginois se défiant de leur intention, enfermèrent les principaux otages que les Tyndariens leur envoyaient dans Lilybée, où ils avaient déjà une grande provision de blé, de vin et d’autres fournitures. Philémon, poète comique, a laissé quatre-vingt dix-sept pièces de sa composition, ayant vécu 99 ans. Les Romains qui assiégeaient Agrigente, et qui avaient fait une circonvallation prodigieuse autour de ses murailles, étaient au nombre de cent mille hommes : ainsi les Carthaginois, malgré toute la vigueur avec laquelle ils la défendaient, furent obligés de la leur rendre.
VIII. Hannon l’ancien, après la prise d’Agrigente par les Romains, amena de l’Afrique dans la Sicile, cinquante mille hommes de pied, six mille hommes de cheval, et soixante éléphants ; suivant le rapport de l’historien Philinus d’Agrigente même. Hannon abordé d’abord à Lilybée, passa ensuite à Héraclée, et là même il lui vint des députés qui lui offrirent Ernese. Hannon sur ces avantages poursuivant la guerre contre les Romains, perdit en deux combats 50.000 fantassins, deux cents cavaliers, et l’on fit sur lui trois mille cinq cents prisonniers de guerre, trente de ses éléphants furent tués et trois autres blessés.
IX. Entelle était une autre ville de la Sicile.... C’est ainsi qu’Hannon ayant pris un parti très sage surmonta en même temps les ennemis et les envieux.... Enfin les Romains après un siège de dix mois se rendirent maîtres d’Agrigente, où ils firent plus de vingt-cinq mille esclaves. De leur côté ils avaient perdu trente mille hommes de pied et quatre mille cinq cents cavaliers. Cependant les Carthaginois taxèrent Hannon à une amende de six mille pièces d’or, après l’avoir dégradé ; et ils donnèrent à Amilcar le commandement de leurs troupes en Sicile. Les Romains assiégeaient alors la ville de Mystrate et avaient construit bien des machines pour cette entreprise : mais sept mois de fatigues et une grande perte de leur part, n’aboutirent enfin qu’à lever le siège. Amilcar dans leur retraite alla au devant d’eux jusqu’à Thermes où il les défit, leur tua six mille hommes, et peu s’en fallut qu’il n’exterminât toute leur armée...la forteresse de Mazanon avait été prise par les Romains. D’un autre côté le Carthaginois Amilcar était entré dans Camarine par la trahison de quelques citoyens, et peu de jours après il se saisit de même d’Enna. Ensuite ayant élevé les murs de Drépanum, il en fit une ville, dans laquelle il fit passer les habitants d’Eryce, et abattit cette dernière à l’exception de son temple. Les Romains assiégeant Mystrate pour la troisième fois, la prirent enfin, la détruisirent totalement, et verdirent à l’encan ce qui y restait de citoyens. Le consul passa de là à Camarine qu’il assiégeait sans pouvoir la prendre ; mais empruntant d’Hiéron des machines de guerre, il en vint à bout et fit vendre le plus grand nombre de prisonniers qu’il y avait faits. Des traîtres lui livrèrent ensuite la ville d’Enna : il y extermina une partie de la garnison et le reste ne fut sauvé que par la fuite. Passant de là à Sitane, il emporta cette ville d’assaut, et posant des garnisons en quelques autres places sur la route, il arrive à Camicus qui appartenait aux Agrigentins. Cette forteresse lui fut livrée par quelques traîtres, et il y mit une garnison. Erbese fut abandonnée par ses propres citoyens.
X. L’homme raisonnable doit vaincre ou céder au vainqueur.
XI. C’est dans le temps des adversités que les hommes ont fréquemment recours aux dieux : mais dans la prospérité, et lorsque toutes choses leur réussissent, ils traitent de fables tout ce que l’on raconte au sujet de nos divinités. Mais enfin, il y a dans l’homme un piété naturelle qui n’est pas sans cause.
XII. On
peut se rendre supérieur à ses ennemis et à ses envieux, par de bons conseils
; et sur tout en profitant de celui qu’on peut tirer des fautes des autres
aussi bien que des siennes propres. Cette attention a conduit plusieurs hommes
et en peut conduite encore d’autres à un très haut degré de sagesse et de
vertu.... Ne pouvant porter dignement le bonheur dont il était en quelque sorte
accablé, il se priva d’une grande gloire, et jeta la patrie en de grandes
calamités....Les Romains ayant passé en Afrique sous la conduite du consul
Attilius Regulus, furent d’abord supérieurs aux Carthaginois, prirent sur eux
plusieurs forteresses et plusieurs villes, et leur fit perdre un grand nombre de
soldats. Mais dès que les Africains eurent mis à leur tête Xantippe de
Sparte, commandant gagé, ils remportèrent une grande victoire sur les Romains,
et leur détruisirent une grande armée. Il se donna plusieurs batailles
navales, où les Romains perdirent un grand nombre de vaisseaux, et jusqu’à
cent mille soldats : de sorte que toute la gloire de Régulus qui les commandait
fut changée en une cruelle ignominie, et devint pour tous les généraux une
leçon de modération dans les plus grands succès. Ce qu’il y eut de plus
fâcheux pour lui est qu’il fut réduit à essuyer les insultes et les
opprobres, dont lui-même avait accablé les Carthaginois qu’il avait d’abord
vaincus ; s’ôtant ainsi à lui-même toute espérance de modération de la
part de ceux qui pouvaient le vaincre, et qui les vainquirent effectivement à
leur tour.... Il jeta dans une déroute complète ceux qui venaient d’être
pleinement vainqueurs : et par la grandeur de sa victoire il rendit les ennemis
méprisables à ceux mêmes qui n’attendaient plus que la mort... Il n’est
pas nouveau que l’intelligence de l’expérience d’un général amène des
événements qui paraissent impossibles, d’autant que la prudence et l’adresse
sont supérieures par elles-mêmes à la force seule.... Les grandes armées
sont conduites par un général, comme le corps est conduit par l’âme.... Le
sénat rapportait tout à l’utilité publique.... Philistus dans son
Histoire...
Les Romains qui étaient passés en Afrique, et qui avaient combattu contre la
flotte carthaginoise, l’avaient vaincue, et s’étaient saisis de
vingt-quatre de leurs vaisseaux, recueillirent ceux des leurs qui étaient
échappés de la bataille de terre, et étant revenus vers la Sicile, ils furent
attaqués en abordant à Camarine ; là ils perdirent trois cent quarante
vaisseaux longs et trois cents autres plus petits : de sorte que depuis Camarine
jusqu’à Pachinus, toute la mer était couverte de débris de bâtiments,
aussi bien que de cadavres d’hommes et de chevaux. Hiéron recueillit avec
beaucoup d’humanité et de bienveillance ceux qui échappèrent à ce
désastre, et les ayant fournis de vivres, de vêtements et de toutes les autres
nécessités de la vie, il les fit arriver à Messine. Cependant le Carthaginois
Chartalon, après la tempête que les Romains avaient essuyée, assiégea et
prit Agrigente, dont il fit brûler les maisons et abattre les murailles. Les
citoyens échappés à ce désastre, se réfugièrent à Olympium : et les
Romains après avoir remplacé leur flotte perdue par une nouvelle, vinrent sur
deux cent cinquante vaisseaux à Cephaloedium, dont ils se saisirent par voie de
trahison. Passant de là à Drépanon, ils en formèrent le siège : mais
Carthalon venant au secours de cette place, le leur fit bientôt lever. De sorte
qu’il cinglèrent vers Palerme, où ayant jeté l’ancre, et se portant dans
le fossé même pour serrer de plus près la place, ils démolissaient le murs
par le pied : et comme la ville était environnée d’arbres dans tout le
terrain que la mer laissait libre, les assiégeants avaient de quoi construire
tous les ouvrages qu’on peut employer dans un siège. En effet les Romains
étant venus à bout d’abattre un grand mur, tuèrent beaucoup de monde dans
cette partie dont ils étaient déjà maîtres. Le reste de citoyens se réfugia
dans le coeur de la ville, et envoyant de là des députés aux assiégeants,
ils ne demandaient que la vie sauve. Les vainqueurs convinrent avec eux de leur
laisser la liberté au prix de deux mines par tête. Ils la donnèrent en effet
à tous ceux qui trouvèrent cette somme et les laissèrent aller. Mais pour
ceux qui ne purent pas la fournir, et qui montaient encore au nombre de trente
mille personnes, ils les pillèrent eux et leurs maisons. Cependant les citoyens
d’Iete chassant leur garnison carthaginoise et ceux de Solunte, de Petrine, d’Enatere
et de Tyndaris suivirent leur exemple. Enfin les consuls laissant une garnison
dans Palerme, passèrent à Messine.
L’année suivante les consuls ayant entrepris de faire une autre descente dans
la Libye, les Carthaginois les repoussèrent et les obligèrent de revenir à
Palerme. Les Romains s’étant mis en mer pour s’en retourner à Rome, furent
accueillis par une tempête qui leur fit perdre cent cinquante vaisseaux, sans
parler d’un grand nombre de barques chargées de leur pillage et de leurs
chevaux. Dans ces entrefaites le préfet de Thermes voyageant pour ses affaires
particulières, fut pris par quelques soldats de l’armée romaine. Pour se
tirer d’entre leurs mains, il fit dire à leur commandant que si on lui
rendait la liberté, il s’engageait à lui ouvrir dans une nuit marquée la
porte de la ville dont il était chargé. Le commandant romain acceptant cette
offre, fit relâcher le prisonnier, et envoie un corps de mille hommes à cette
porte un peu avant l’heure désignée. Le préfet leur ayant ouvert au moment
convenu, et les principaux des Romains envoyés là étant entrés les premiers,
firent aussitôt fermer les portes dans le dessein de profiter seuls du pillage
de cette ville. Cette lâche cupidité eut bientôt la punition qu’elle
méritait ; et ces premiers entrés furent tous égorgés dans un moment. Dans
la suite les Romains s’emparèrent de Thermes et de Lipare. Mais ils furent
obligés d’abandonner leur entreprise sur la forteresse d’Erecta, quoiqu’ils
l’eussent environnée de quarante mille hommes de pied et de mille chevaux.
Asdrubal, commandant des Carthaginois, apprenant qu’on parlait mal de lui, sur
ce qu’il ne donnait point de combat, se mit en marche à la tête de son
armée, pour arriver à travers toutes les difficultés du pays des Sélinontins
jusqu’à Palerme ; et ayant passé le fleuve qui coule aux environs de cette
ville, il campa auprès de ces murs, sans s’être environné de fossés ni de
palissades, précaution qu’il avait négligée par le peu de cas qu’il
faisait des ennemis. Là-dessus des marchands de vin en ayant apporté une
quantité extraordinaire dans son camp, les Celtes qui faisaient une partie
considérable de son armée en burent jusqu’à l’ivresse, ce qui donna lieu
à un désordre général et à des cris sans fin. Le consul Caecilius prit ce
temps-là pour les attaquer. Il les extermina sans beaucoup de peine, et leur
prit soixante éléphants qu’il envoya aussitôt à Rome, où ces animaux qu’on
y avait guère encore vus, causèrent une grande surprise.
La première guerre punique (264-241): A l'appel des Mammertins, les Romains débarquent en Sicile et concluent une alliance avec Hiéron, tyran de Syracuse, contre les Carthaginois. 262: Les Romains prennent
Sélinonte. Ils décident de construire une grande flotte de guerre. |
LIVRE XXIV
I. Les
Carthaginois avaient transféré à Lilybée les citoyens de la ville de
Sélinonte qu’ils avaient détruite. Mais les Romains pourvus d’une flotte
de deux cent quarante vaisseaux, accompagnés de soixante galiotes et d’autres
petits bâtiments de toute forme, se montrèrent devant Palerme, d’où ils
parvinrent à Lilybée dans le dessein d’assiéger cette dernière ville ; ils
creusèrent d’abord un fossé qui séparait en cet endroit la pointe de l’île
du continent : et sur ce terrain, ils établirent des catapultes, des béliers,
des tortues et toutes les machines dont on a besoin dans un siège pour des
travaux, ou pour l’attaque. Ils fermèrent d’abord le port même de la ville
par leurs soixante galiotes chargées de pierres et enfoncées dans l’eau. L’armée
romaine était composée en tout de cent dix mille hommes, dont on destinait à
l’attaque soixante mille hommes de pied, soutenus par sept cents homme de
cheval. Les assiégés reçurent de la part des Carthaginois un renfort de
quatre mille hommes, et des provisions de vivres, ce qui renouvela leur courage,
et celui d’Asdrubal qui devait soutenir le siège. Les Romains instruits de
cette nouvelle, et par conséquent de l’insuffisance de leurs travaux
précédents, pour fermer le port, redoublèrent le nombre de poutres, des
ancres et de toutes les matières de bois et de fer, qu’ils jetèrent encore
au fond de l’eau. Mais une tempête violente qui s’éleva détruisit la
liaison de toutes ces pièces. Ils construisirent aussi une machine à jeter des
pierres, et les Carthaginois élevèrent un mur intérieur à leurs remparts.
Les assiégeants comblent aussitôt le fossé, quoiqu’il eux soixante coudées
de largeur et quarante de profondeur. Le combat s’étant donné au pied du mur
bâti le long de la mer ; les deux partis tentèrent de se faire tomber
réciproquement dans le piège. Car les assiégés sortants en foule pour venir
au rendez-vous du combat qui devait de donner entre la muraille et la mer, les
assiégeants avaient déjà disposé des échelles pour monter les remparts et s’étaient
en effet déjà emparés du mur extérieur. Mais d’un autre côté le
capitaine carthaginois laissé à la garde du dedans de la ville, tomba sur ce
corps de troupes, leur rua dix mille hommes, et obligea tout le reste à se
précipiter, ou à s’échapper de quelque autre manière. Les assiégés
poussèrent leur avantage plus loin. Car sortant en foule, ils détruisirent
toutes les machines des Romains, leurs tortues, leurs béliers, leurs pierres,
leurs instruments à fouir la terre ; le vent même leur vint à leur secours,
et anima le feu qu’ils avaient mis à toutes les espèces d’instruments où
il entrait principalement du bois.
Du reste les Carthaginois voyant que les chevaux leur étaient fort inutiles par
la nature du terrain où Lilybée se trouvait bâtie, les envoyèrent à
Drépanon ; et il leur vint en même temps de grands secours de Carthage. Les
Romains au contraire, outre la perte de leurs machines, furent attaqués d’une
peste causée par la disette des vivres ; car eux seuls et leurs alliés se
nourrissaient de viande en ce temps-là dans la Sicile : de sorte qu’en peu de
jours ils perdirent dix mille hommes de maladie ; et ils ne songeaient plus qu’à
lever le siège. Mais Hièron, roi de Syracuse, leur rendit courage en leur
envoyant de très grandes provisions ; de sorte qu’ils persistèrent dans leur
entreprise. Cependant les Romains ayant changé de consuls, ce fut Claudius,
fils d’Appius, qui fut chargé de continuer le siège, et qui renouvela les
travaux et des ouvrages qui furent encore emportés par la mer. Ce consul
naturellement présomptueux avait fait équiper une flotte de deux cent dix
voiles qu’il amenait à Drépanum contre les Carthaginois : mais dans le
combat il perdit cent dix sept vaisseaux et vingt mille hommes. Il serait
difficile de trouver en ces temps-là une victoire plus complète, non seulement
de la part des Carthaginois, mais dans l’histoire de quelque peuple que ce
puisse être. Et ce qui est encore plus surprenant, est que les Carthaginois n’ayant
là que dix vaisseaux, il n’y fut pas tué un seul homme, et il n’y eut que
très peu de blessés. Peu de temps après Annibal fit partir pour Palerme un
commandant à la tête de trente galères qui amena à Drépanum un convoi de
vivres que les Romains envoyaient à leur armée, et s’y étant fournis
eux-mêmes de tout ce dont ils pouvaient avoir besoin, ils retournèrent à
Lilybée, où ils remplirent cette ville toujours assiégée par les Romains de
toutes les provisions qui pouvaient lui être nécessaires. Mais de plus il y
était déjà venu de Carthage ; le préteur Carthalon à la tête de soixante
et dix vaisseaux de guerre et d’autant d’autres chargés de vivres. Ayant
lui-même attaqué les Romains, il leur avait coulé à fond quelques vaisseaux,
et en avait tiré cinq à terre. Apprenant ensuite qu’il venait de Syracuse
une flotte de Romains au secours de ceux qui assiégeaient actuellement
Lilybée, il persuada à son conseil de guerre d’aller à leur rencontre avec
six vingt de leurs plus forts vaisseaux ; et les deux flottes se trouvèrent en
présence l’une de l’autre à la hauteur de Géla. Les Romains effrayés de
cette rencontre revirèrent de bord pour revenir à la hauteur de Phintiade :
mais en laissant derrière eux tous leurs vaisseaux de charge qui portaient les
vivres. Les Carthaginois les poursuivant dans cette espèce de fuite, donnèrent
lieu à un combat violent, où ils leur coulèrent à fond cinquante vaisseaux
de haut bord, dix-sept barques de longueur, et en mirent treize hors de service
: ce ne fut qu’à l’embouchure du fleuve Alicus qu’ils pensèrent à leurs
propres blessés.
Cependant le consul Junius qui n’avait point encore appris cette nouvelle,
part de Messine à la tête de trente-six vaisseaux de guerre, suivis d’un
assez grand nombre de vaisseaux de charge. Passant à la hauteur de Pachynus, et
arrivé enfin à Phintrade, il fut consterné de cette défaite. Mais bientôt
instruit encore de l’approche des Carthaginois, il fit d’abord mettre le feu
à treize barques inutiles ; et remit à la voile, pour retourner incessamment
à Syracuse, où il espérait de trouver un asile dans la cour du roi Hiéron.
Mais aussitôt serré de près par les vaisseaux carthaginois à la hauteur de
Camarine, il se fit mettre à terre, et chercha la sûreté en des lieux
escarpés et couverts de bois. Cependant la tempête devenant toujours plus
forte, les Carthaginois eux-mêmes jugeant à propos de prendre terre à
Pachinus, abordèrent sur un rivage que sa position mettait à l’abri de tout
vent. Les Romains ayant eu là un grand combat à essuyer, perdirent d’abord
tous leurs vaisseaux longs dont il restait à peine deux qui ne fussent pas
endommagés ; de sorte que la plus grande partie de leurs nautoniers avaient
péri en cette déroute. Le consul Junius recueillant dans ces deux vaisseaux ce
qui restait d’hommes en vie, se retira au camp posé devant Lilybée. Il prit
ensuite le château d’Erice de nuit et environna d’un mur celui d’Agotalle
appelé maintenant Acellus, où il laissa une garnison de huic cents soldats.
Carthalon de son côté apprenant qu’Erice était occupée par les ennemis,
transporta de ce côté-là un corps de troupes sur des vaisseaux ; et attaquant
la citadelle d’Aegotalle, il l’emporta ; et ayant mis par terre une partie
de la garnison, il réduisit l’autre à se sauver à Eryce. Cette dernière
place était gardée par trois mille hommes. Dès le premier combat naval qui
fut donné à son sujet, les Romains perdirent mille cinq cents hommes, et il
fut fait sur eux pour le moins autant de prisonniers de guerre.
II. On avait bâti sur le rocher du port de Catane un fort qu’on appelait Italique. Il fut assiégé par le Carthaginois Barcas... Les ruses de guerre imaginées par les généraux, et tous les projets dont ils font part à leurs confidents les plus intimes parviennent ordinairement à la connaissance des ennemis par des transfuges. Cette découverte ne manque guère de leur inspirer de la crainte ; et ils se croient dès lors exposés à un très grand danger et à leur perte prochaine. Barcas arrivé de nuit mit les troupes à bord, et passant jusqu’à Eryce qui est à trente stades dans les terres, il emporta cette ville, dont il fit passer presque tous les habitants au fil de l’épée, et envoya le reste à Drépanum... Il arrive toujours et en toute affaire que l’arrogance et le bon ordre procure de grands avantages...
III. Le consul Calatinus à la tête de trois cents vaisseaux de guerre et de sept cent autres bâtiments moins considérables, ce qui lui faisait en tout une flotte de mille voiles, passa dans la Sicile, et vint aborder au rendez-vous général des marchands d’Eryce. D’un autre côté le commandant Hannon parti de Carthage, et accompagné de deux cent cinquante vaisseaux, tant de guerre que de charge, ayant d’abords pris terre en l’île Sacrée, venait de là à Eryce : ce fut dans ce trajet qu’il se donna un grand combat naval, où les Carthaginois perdirent cent dix-sept navires, entre lesquels il y en eut vingt, dont il ne se sauva pas un seul homme. Les Romains se trouvèrent maîtres de quatre-vingt de ces vaisseaux, dont on garda trente pour les frais, en abandonnant les cinquante autres aux soldats. Les prisonniers carthaginois se montèrent au nombre de six mille, suivant le rapport de Philitius ; car d’autres n’en comptent que quatre mille quarante. Le reste de cette flotte ruinée profita d’un vent favorable pour se retirer à Carthage... Il ne reste aucune ressource au courage, lors que le navire commençant à s’enfoncer, on ne peut plus s’y tenir de pied ferme, et que la mer vous livre en quelque sorte elle-même aux ennemis. La première guerre entre les Romains et les Carthaginois ayant duré vingt-quatre ans, et Lilybée demeurant aux Romains après un siège de dix ans, les deux nations firent la paix entre elles.