texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER (Notes en grec relues et corrigées - F. D. F)
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Flavius Josèphe |
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ANTIQUITES JUDAÏQUES LIVRE XVIII Pour avoir le texte grec d'un paragraphe, cliquer sur le numéro du paragraphe ANTIQUITES JUDAÏQUES Flavius Josèphe Traduction de Julien Weill Sous
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LIVRE XVIII 1. Quirinius va régler les affaires de Syrie arec Coponius comme procurateur de Judée. Le grand-pontife Joazar détermine les Juifs à leur obéir. - 2. Sectes philosophiques des Juifs. - 3. Pharisiens. - 4. Saddducéens. - 5. Esséniens - 6. Disciples de Judas de Galilée.
[1] 1 (01).
Quirinius (02), membre élu Sénat, qui, par toutes
les magistratures, s'était élevé jusqu'au consulat et qui jouissait d'une
considération peu commune, arriva en Syrie où l'empereur l'avait envoyé pour
rendre la justice dans cette province et faire le recensement des biens. 2. [11] (04) Les Juifs avaient, depuis une époque très reculée, trois sectes philosophiques interprétant leurs coutumes nationales : les Esséniens, les Sadducéens et enfin ceux qu'on nommait Pharisiens. Bien que j'en aie parlé dans le deuxième livre de la Guerre des Juifs (05), je les rappellerai cependant ici en peu de mots. [12]. 3. (06). Les Pharisiens méprisent les commodités de la vie, sans rien accorder à la mollesse ; ce que leur raison a reconnu et transmis comme bon, ils s'imposent de s'y conformer et de lutter pour observer ce qu'elle a voulu leur dicter. Ils réservent les honneurs à ceux qui sont avancés en âge et n'osent pas contredire avec arrogance leurs avis. [13] Ils croient que tout a lieu par l'effet de la fatalité, mais ne privent pourtant pas la volonté humaine de toute emprise sur eux, car ils pensent que Dieu a tempéré les décisions de la fatalité par la volonté de l'homme pour que celui-ci se dirige vers la vertu ou vers le vice. [14] Ils croient à l'immortalité de l'âme et à des récompenses et des peines décernées sous terre à ceux qui, pendant leur vie, ont pratiqué la vertu ou le vice, ces derniers étant voués à une prison éternelle pendant que les premiers ont la faculté de ressusciter. [15] C'est ce qui leur donne tant de crédit auprès du peuple que toutes les prières à Dieu et tous les sacrifices se règlent d'après leurs interprétations. Leurs grandes vertus ont été attestées par les villes, rendant hommage à leur effort vers le bien tant dans leur genre de vie que dans leurs doctrines. [16]. 4. (07). La doctrine des Sadducéens fait mourir les âmes en même temps que les corps, et leur souci consiste à n'observer rien d'autre que les lois. Disputer contre les maîtres de la sagesse qu'ils suivent passe à leurs yeux pour une vertu. [17] Leur doctrine n'est adoptée que par un petit nombre, mais qui sont les premiers en dignité. Ils n'ont pour ainsi dire aucune action ; car lorsqu'ils arrivent aux magistratures, contre leur gré et par nécessité, ils se conforment aux propositions des Pharisiens parce qu'autrement le peuple ne les supporterait pas. [18]. 5. Les Esséniens ont pour croyance de laisser tout entre les mains de Dieu ; ils considèrent l'âme comme immortelle et estiment qu'il faut lutter sans relâche pour atteindre les fruits de la justice. Ils envoient des offrandes au Temple, mais ne font pas de sacrifices parce qu'ils pratiquent un autre genre de purifications. C'est pourquoi ils s'abstiennent de l'enceinte sacrée pour faire des sacrifices à part. Par ailleurs ce sont de très honnêtes gens et entièrement adonnés aux travaux de la terre. [19] Il faut aussi les admirer, plus que tous ceux qui visent à la vertu, pour leur pratique de la justice, qui n'a jamais existé chez les Grecs ou chez les barbares, pratique qui n'est pas nouvelle mais ancienne chez eux... (08). Les biens leur sont communs à tous et le riche ne jouit pas plus de ses propriétés que celui qui ne possède rien. Et ils sont plus de quatre mille hommes à vivre ainsi. [21]. Ils ne se marient pas et ne cherchent pas à acquérir des esclaves parce qu'ils regardent l'un comme amenant l'injustice, l'autre comme suscitant la discorde ; ils vivent entre eux en s'aidant les uns les autres. [22] Pour percevoir les revenus et les produits de la terre ils élisent à main levée des hommes justes, et choisissent des prêtres pour la préparation de la nourriture et de la boisson. Leur existence n'a rien d'inusité, mais leur vie rappelle au plus haut degré celle des Daces appelés "Fondateurs" (09). [23] 6. La quatrième secte philosophique eut pour fondateur ce Judas le Galiléen. Ses sectateurs s'accordent en général avec la doctrine des Pharisiens, mais ils ont un invincible amour de la liberté, car ils jugent que Dieu est le seul chef et le seul maître. Les genres de mort les plus extraordinaires, les supplices de leurs parents et amis les laissent indifférents, pourvu qu'ils n'aient à appeler aucun homme du nom de maître. [24] Comme bien des gens ont été témoins de la fermeté inébranlable avec laquelle ils subissent tous ces maux, je n'en dis pas davantage, car je crains, non pas que l'on doute de ce que j'ai dit à leur sujet, mais au contraire que mes paroles ne donnent une idée trop faible du mépris avec lequel ils acceptent et supportent la douleur. [25] Cette folie commença à sévir dans notre peuple sous le gouvernement de Gessius Florus (10), qui, par l'excès de ses violences, les détermina à se révolter contre les Romains. Telles sont donc les sectes philosophiques qui existent parmi les Juifs. 1. Création de villes par les tétrarques Hérode et Philippe. - 2. Les Samaritains souillent le temple. Mort de Salomé. Gouvernement d'Ambivius, d'Annius Rufus et de Valerius Gratus. - 3. Fondation de Tibériade. - 4. Artabane s'empare du royaume des Parthes. - 5. Révolte de la Commagène. Mort de Germanicus. [26] 1. (11) Après avoir liquidé les biens d'Archélaüs et terminé le recensement, ce qui eut lieu lu trente-septième année après la défaite d'Antoine par César à Actium (12), Quirinius dépouilla de sa dignité Joazar, le grand pontife, contre qui le peuple s'était révolté, et lui substitua Anan, fils de Seth. [27] Hérode (13) et Philippe avaient pris chacun possession de leurs tétrarchies. Hérode fortifia Sepphoris, parure de toute la Galilée, et l'appela Autokratoris (14) (impériale); de même, après avoir entouré de murailles Betharamphtha, autre ville, il la nomma Julias d'après le nom de l'impératrice (15). [28] De son côté Philippe, ayant réorganisé Panéas, à la source du Jourdain, la nomma Césarée, tandis que le bourg de Bethsaïda, situé près du lac de Gennésareth, fut élevé par lui à la dignité de ville à cause du nombre de ses habitants et reçut le même nom de Julias en l'honneur de la fille de l'empereur (16). [29]. 2. Sous l'administration de Coponius, venu, comme je l'ai dit, avec Quirinius pour gouverner la Judée, il se passa le fait suivant. Lors de la célébration de la fête des pains azymes que nous appelons la Pâque, les prêtres avaient coutume d'ouvrir les portes du Temple à partir de minuit. [30] Dès leur ouverture, cette fois, des Samaritains, entrés en secret à Jérusalem, jetèrent des ossements humains sous les portiques. Dés lors on interdit à tous les Samaritains l'accès du Temple, ce dont on n'avait pas l'habitude auparavant, et l'on se mit à le garder avec plus de vigilance. [31] Peu de temps après, Coponius rentra à Rome et eut pour successeur Marcus Ambivius, sous lequel Salomé, sœur du roi Hérode, légua à Julia en mourant Iammée et toute sa toparchie, ainsi que Phasaélis dans la plaine, et Archélaïde où se trouve une grande palmeraie dont les fruits sont excellents (17). [32] Son successeur fut Annius Rufus, sous la magistrature duquel mourut Auguste. C'était le second empereur romain ; il avait régné cinquante-sept ans sis mois et deux jours, sur lesquels il avait partagé le pouvoir avec Antoine pendant quatorze ans, et il avait vécu soixante-dix sept ans. [33] Son successeur fut Tiberius Nero, fils de sa femme Julia ; ce fut le troisième empereur romain. Il envoya comme gouverneur de Judée Valerius Gratus, pour succéder à Annius Rufus. [34] Celui-ci destitua de la prêtrise Anan et désigna comme grand pontife Ismael, fils de Phabi. Il le destitua peu après et investit du grand pontificat Eléazar, fils du grand pontife Anan. Une année après, l'ayant également. privé de ses fonctions, il transmit le grand pontificat à Simon, fils de Camith. Celui-ci n'avait pas rempli cette charge pendant plus d'un an quand lui succéda Joseph, appelé aussi Caïphe. Gratus, après avoir fait cela, rentra à Rome ; il avait passé onze ans en Judée. Ponce Pilate lui succéda (18). [36] 3. Le tétrarque Hérode, en raison de la très grande amitié qui l'unissait à Tibère, bâtit une ville qu'il nomma Tibériade d'après son nom, située dans la meilleure partie de la Galilée près du lac de Gennésareth. Il y a dans un bourg du voisinage, nommé Emmaüs, des sources thermales. Là vint habiter une foule d'hommes, beaucoup de Galiléens, ainsi que tous les gens qui, dans le pays d'Hérode, étaient forcés contre leur gré et par la violence d'émigrer pour s'établir là, et même quelques dignitaires. Il installa comme habitants à côté d'eux tous les gent sans ressources qu'il avait rassemblés de partout, quelques-uns même dont la qualité d'homme libres n'était pas clairement établie. [38] II les dota de toute sortes de libertés et de bienfaits, en les obligeant rependant à ne pas abandonner la ville ; il leur lit construire à ses frais des maisons et leur donna des terres, car il savait que demeurer là était contraire à la loi ancestrale des Juifs, parce que Tibériade était construite sur de nombreuses sépultures qu'on osait détruites, alors que notre loi déclare souillés pour sept jours (19) ceux qui habitent un tel lieu. [39] 4. Vers le même temps mourut aussi Phraates, roi des Parthes, par suite des embûches dressées contre lui par son fils Phraataces pour la raison que voici. [40] Alors que Phraates avait des enfants légitimes, une jeune esclave d'Italie, nommée Thermusa (20), lui fut envoyée par Jules César (21) avec d'autres présents. Il l'eut d'abord pour concubine; puis, frappé par sa grande beauté, après un certain temps, comme elle lui avait donné un fils, Phraataces (22), il fit de cette femme son épouse et la combla d'honneurs. [41] Comme elle était en mesure de persuader au roi tout te qu'elle voulait et qu'elle aspirait â donner à son fils le royaume des Parthes, elle réfléchit qu'elle y réussirait. seulement au prix de quelque stratagème pour écarter les enfants légitimes de Phraates. [42] Elle persuada donc celui-ci d'envoyer à Rome ses enfants légitimes comme otages. Comme il n'était guère facile à Phraates de résister aux volontés de Thermusa, ils y furent envoyés. Mais Phraataces, élevé seul pour le pouvoir, supportait avec peine et trouvait trop long d'attendre pour le recevoir que son père le lui donnât. C'est pourquoi il complota contre son père avec la complicité de sa mère dont il passait pour être l'amant. [43] Cette double raison le fit haïr, car ses sujets eurent son inceste en horreur autant que son parricide. Surpris par une révolte avant d'avoir consolidé sa puissance, il fut chassé du pouvoir et tué. [44] Les plus nobles des Parthes tombèrent d'accord qu'il leur était impossible de rester sans roi pour les gouverner ; or leurs rois devaient être des Arsacides, la tradition interdisant à tout autre de régner. C'était assez, à leurs yeux, que la royauté eût été déjà et à maintes reprises abaissée par le mariage du roi avec une esclave italienne et par la postérité de celle-ci. Ils rappelèrent, donc par ambassadeurs Orodès qui, sans doute, était haï du peuple et blâmé pour son excessive cruauté - en effet, il était d'humeur difficile et intraitable dans ses colères - mais qui était de la famille. [45] Or, il fut assassiné par des conspirateurs, à ce que disent certains, au milieu d'une beuverie et d'un banquet - car tout le monde a l'habitude là-bas de porter des armes - à ce que disent d'antres, à une chasse où on l'avait entraîné. [46] Des ambassadeurs envoyés à Rome demandèrent comme roi un des otages, et l'on envoya Vononès qui fut préféré à ses frères. A celui-ci la fortune paraissait céder (23), puisque les deux plus grandes puissances de l'univers, la sienne et l'autre (24), la lui apportaient. [47] Mais il y eut bien vite un revirement chez les barbares, inconstants de nature, contre l'indignité de ce traitement - car ils refusaient d'obéir à un esclave étranger, considérant un otage comme un esclave - et contre la honte de cette désignation, car ce n'était pas en vertu du droit de la guerre que ce roi était imposé aux Parthes, mais, ce qui était bien pire, par suite d'une pair outrageante. [48] Aussitôt ils mandent Artabane, roi des Mèdes, de la dynastie des Arsacides. Artabane se laisse persuader et arrive avec son armée. Vononès se porte à sa rencontre et comme, au début, la plus grande partie des Parthes reste d'accord avec lui, il vaine son rival en bataille rangée et Artaban s'enfuit vers les frontières de Médie. [49] Mais, peu après, il rassemble de nouveau ses troupes, attaque Vononès et remporte la victoire. Vononès s'enfuit à cheval à Séleucie avec quelques-uns de ses partisans. Artabane, après avoir fait dans la poursuite un grand carnage pour épouvanter les barbares, se dirige avec ses troupes vers Ctésiphon. [50] Il régna désormais sur les Parthes. Vononès se réfugia en Arménie et tout d'abord revendiqua le pouvoir en ce et . pays ; il envoya, à cet effet, des ambassadeurs aux Romains. [51] Mais comme Tibère lui opposa un refus, tant à cause de sa lâcheté qu'à cause des menaces du Parthe qui avait annoncé par des ambassadeurs qu'il se tenait prêt à faire la guerre : comme, d'autre part, il n'avait aucun autre moyen d'obtenir la royauté parce que les plus puissants des Arméniens de la région du Niphates (25) s'étaient ralliés à Artabane, il se rendit Silanus, gouverneur de Syrie. [52] II fut gardé avec déférence en Syrie en raison de son éducation à Rome, et l'Arménie fut donnée par Artaban à Orodès, un de ses fils. [53] 5. En ce temps là mourut encore Antiochus, roi de Commagène, et il y eut une révolte du peuple contre les nobles. Des deux côtés furent envoyées des ambassades, les nobles réclamant un changement dans la forme du gouvernement et la réduction du pays en province, tandis que le peuple demandait à avoir un roi, selon la coutume nationale. [54] Un sénatus-consulte désigna Germanicus (26) pour aller régler les affaires d'Orient; c'était l'occasion de mourir que la fortune lui réservait, car lorsqu'il fut arrivé en Orient et eut tout réglé, il fut empoisonné par Pison, comme d'autres historiens l'ont raconté (27). 1-2. Soulèvement des Juifs contre Ponce Pilate ; sa répression. - 3. Vie, mort et résurrection de Jésus-Christ. - 4. Scandale du temple d'Isis à Rome. - 5. Expulsion des Juifs de la capitale. [55]. 1. (28) Pilate, qui commandait en Judée, amena son armée de Césarée et l'établit à Jérusalem pour prendre ses quartiers d'hiver. Il avait eu l'idée, pour abolir les lois des Juifs, d'introduire dans la ville les effigies de l'empereur qui se trouvaient sur les enseignes, alors que notre loi nous interdit de fabriquer des images ; [56] c'est pourquoi ses prédécesseurs avaient fait leur entrée dans la capitale avec des enseignes dépourvues de ces ornements. Mais, le premier, Pilate, à l'insu du peuple - car il était entré de nuit - introduisit ces images à Jérusalem et les y installa. Quand le peuple le sut, il alla en masse à Césarée et supplia Pilate pendant plusieurs jours de changer ces images de place. [57] Comme il refusait, disant que ce serait faire insulte à l'empereur, et comme on ne renonçait pas à le supplier, le sixième jour, après avoir armé secrètement ses soldats, il monta sur son tribunal, établi dans le stade pour dissimuler l'armée placée aux aguets. [58] Comme les Juifs le suppliaient à nouveau, il donna aux soldats le signal de les entourer, les menaçant d'une mort immédiate s'ils ne cessaient pas de le troubler et s'ils ne se retiraient pas dans leurs foyers. [59] Mais eux, se jetant la face contre terre et découvrant leur gorge, déclarèrent qu'ils mourraient avec joie plutôt que de contrevenir à leur sage loi. Pilate, admirant leur fermeté dans la défense de leurs lois, fit immédiatement rapporter les images de Jérusalem à Césarée. [60] 2. Pilate amena de l'eau à Jérusalem aux frais du trésor sacré, en captant. la source des cours d'eau à deux cents stades de là. Les Juifs furent très mécontents des mesures prises au sujet de l'eau. Des milliers de gens se réunirent et lui crièrent de cesser de telles entreprises certains allèrent même jusqu'à l'injurier violemment, comme c'est la coutume de la foule. [61] Mais lui, envoyant un grand nombre de soldats revêtus du costume juif et porteurs de massues dissimulées sous leur robes au lieu de réunion de cette foule, lui ordonna personnellement de se retirer. [62] Comme les Juifs faisaient mine de l'injurier, il donna aux soldats le signal convenu à l'avance, et les soldats frappèrent encore bien pins violemment que Pilate le leur avait, prescrit, châtiant à la fois les fauteurs de désordre et, les autres. Mais les Juifs ne manifestaient aucune faiblesse, au point que, surpris sans armes par des gens qui les attaquaient de propos délibéré, ils moururent en grand nombre sur place ou se retirèrent couverts de blessures. Ainsi fut réprimée la sédition.
[63] 3. (29) Vers le même temps vint Jésus, homme
sage, si toutefois il faut l'appeler un homme. Car il était un faiseur de
miracles et le maître des hommes qui reçoivent avec joie la vérité. Et il attira
à lui beaucoup de Juifs et beaucoup de Grecs (30).
[64] C'était le Christ. Et lorsque sur la dénonciation de nos premiers citoyens,
Pilate l'eut condamné à la crucifixion, ceux qui l'avaient d'abord chéri ne
cessèrent pas de le faire, car il leur apparut trois jours après ressuscité,
alors que les prophètes divins avaient annoncé cela et mille autres merveilles à
son sujet. Et le groupe appelé d'après lui celui des Chrétiens n'a pas encore
disparu. 1-2. Pilate massacre les Samaritains. Vitellius le renvoie à Rome. - 3. Vitellius rend aux prêtres la garde des vêtements pontificaux. - 4. Artabane perd et reprend l'Arménie. - 5. Entrevue d'Artabane et de Vitellius. - 6. Mort de Philippe. Sa tétrarchie est réunie à la Syrie.
[85] 1. Les Samaritains ne manquèrent pas
non plus de troubles, car ils étaient excités par un homme qui ne considérait
pas comme grave de mentir et qui combinait tout pour plaire au peuple. II leur
ordonna de monter avec lui sur le mont Garizim (32),
qu'ils jugent la plus sainte des montagnes, leur assurant avec force qu'une fois
parvenus là il leur montrerait, des vases sacrés enfouis par Moïse, qui les y
avait mis en dépôt. [86] Eux, croyant ses paroles véridiques, prirent les armes,
et, s'étant installés dans un village nommé Tirathana, s'adjoignirent tous les
gens qu'ils purent encore ramasser, de telle sorte qu'ils firent en foule
l'ascension de la montagne. [87] Mais Pilate se hâta d'occuper d'avance la route
où ils devaient monter en y envoyant des cavaliers et des fantassins, et
ceux-ci, fondant, sur les gens qui s'étaient rassemblés dans le village, tuèrent
les uns dans la mêlée, mirent les autres en fuite et en emmenèrent en captivité
beaucoup, dont les principaux furent, mis à mort par Pilate, ainsi que les plus
influents d'entre les fuyards. [96] 4. Tibère écrivit à Vitellius pour lui ordonner de se concilier l'amitié d'Artabane roi des Parthes, car il redoutait sa haine et craignait qu'ayant attiré à lui l'Arménie, il ne fit encore plus de mal ; mais le seul moyen de se lier à son amitié était de faire livrer des otages, notamment le fils d'Artabane. [97] Après avoir écrit cela à Vitellius, Tibère persuada par le don de grosses sommes le roi des Ibères et celui des Albaniens (34) d'attaquer sans hésitation Artabane Mais ils refusèrent. tout en livrant, le passage aux Alains (35) à travers leur territoire et on leur ouvrant les Portes Caspiennes pour les lancer contre Artabane. [98] L'Arménie fut reprise et le pays des Parthes entièrement envahi par la guerre. Les chefs Parthes furent tués ; tout le pays fui dévasté et le fils du roi périt dans ces combats avec plusieurs milliers de soldats. [99] Vitellius se disposait à faire périr Artabane son père en envoyant de l'argent à ses parents et à ses amis, et il avait obtenu leur aide par ces présents. Mais Artabane comprit qu'il ne pourrait échapper à ce complot tramé par de très nombreux hommes haut placés et que ceux-ci ne manqueraient pas d'arriver à leurs fins ; [100] il pensait au nombre des gens qui restaient ouvertement ses partisans et qui sans doute feignaient par ruse l'affection, bien qu'ils eussent été corrompus, ou qui, si l'on tentait quelque chose contre lui, passeraient à ceux qui l'avaient déjà trahi. Aussi s'enfuit-il vers les satrapies du haut pays (36). Puis, ayant rassemble une grande année de Dahes et de Saces, il vainquit ses ennemis et reprit son royaume. [101] 5. A ces nouvelles Tibère décida de lier amitié avec Artabane. Celui-ci accepta avec joie la conférence à laquelle on l'invita à ce sujet. [102] Artabane et Vitellius vinrent sur l'Euphrate ; ils se rencontrèrent au milieu d'un pont jeté sur le fleuve : chacun avait sa garde autour de lui. Quand ils eurent discuté le traité, le tétrarque Hérode leur offrit un festin dans une tente luxueuse dressée au milieu du pont. [103] Artabane, peu après. envoya en otage à Tibère son fils Darius avec de nombreux présents, parmi lesquels un homme grand de sept coudées, de race juive, nommé Eléazar et surnommé le Géant à cause de sa taille. Ensuite Vitellius retourna à Antioche et Artabane à Babylone. Hérode, voulant être le premier à annoncer à l'empereur l'obtention des otages, envoya des courriers et écrivit une lettre détaillée qui ne laissait au proconsul rien à ajouter.
[105] Vitellius avait également écrit une lettre. L'empereur lui ayant fait
savoir qu'il connaissait déjà tout, parce qu'Hérode le lui avait mandé
auparavant, Vitellius, très troublé et supposant qu'on lui avait fait un tort
plus grand qu'il n'était en réalité, dissimula sa colère jusqu'à son retour sous
le principat, de Caius (37). 1. Le tétrarque Hérode, vaincu par son beau-père Arétas. demande l'appui de Tibère. - 2. Histoire de Jean Baptiste. - 3. Vitellius, apprenant la mort de Tibère, arrête les hostilités. - 4. Descendants d'Hérode le Grand. [109] 1. A ce moment il y eut un conflit entre Arétas, roi de Pétra, et Hérode pour la raison suivante. Le tétrarque Hérode avait épousé la fille l'Arétas et vivait avec elle depuis longtemps. Partant pour Rome, il descendit chez Hérode, son frère, fils d'une autre mère, car il était né de la fille du grand pontife Simon. [110] Or, le tétrarque s'éprit de la femme de celui-ci, Hérodiade, qui était la fille d'Aristobule, un autre de ses frères, et la sœur d'Agrippa le Grand; et il eut l'audace de lui parler de l'épouser. Elle y consentit ; ils convinrent qu'elle cohabiterait avec, lui dès son retour de Rome et qu'il répudierait la fille d'Arétas. [111] II s'en alla donc à Rome après avoir conclu ce pacte. Quand il revint, ayant réglé à Rome les affaires pour lesquelles il s'y était rendu, sa femme, instruite de son accord avec Hérodiade, le pria, avant qu'il eût découvert qu'elle savait tout, de l'envoyer à Machaero (38) - sur les confins du territoire d'Arétas et de celui d'Hérode - sans rien dévoiler de ses intentions. [112] Hérode l'y envoya, supposant que sa femme ne se doutait de rien. Mais elle, qui avait envoyé quelque temps auparavant des émissaires à Machaero, lieu dépendant alors de son père, y trouva préparé par le commandant tout ce qui était nécessaire à son voyage. A peine y fut-elle arrivée qu'elle se hâta de gagner l'Arabie, en se faisant. escorter par les commandants de postes successifs ; elle arriva aussi vite que possible chez son père et lui révéla les intentions d'Hérode. [113] Arétas chercha un prétexte d'hostilités dans une contestation au sujet des frontières du territoire de Gamala. Tous deux réunirent leur armée en vue de la guerre et y envoyèrent à leur place des généraux. [114] Une bataille eut lieu et toute l'armée d'Hérode fut taillée en pièces à cause de la trahison de transfuges qui, tout en appartenant à la tétrarchie de Philippe, étaient au service d'Hérode, Hérode manda cotte nouvelle à Tibére. [115] Celui-ci, irrité de l'incursion d'Arétas, écrivit à Vitellius de lui faire la guerre et de le ramener enchaîné, s'il le prenait vivant, ou d'envoyer sa tête s'il était tué. Tels furent les ordres donnés par Tibère au proconsul de Syrie. [116] 2. Or, il y avait des Juifs pour penser que, si l'armée d'Hérode avait péri, c'était. par la volonté divine et en juste vengeance de Jean surnommé Baptiste (39). [117] En effet, Hérode l'avait fait tuer, quoique ce fût un homme de bien et qu'il excitât les Juifs à pratiquer la vertu, à être justes les uns envers les autres et pieux envers Dieu pour recevoir le baptisme ; car c'est à cette condition que Dieu considérerait le baptême comme agréable, s'il servait non pour se faire pardonner certaines fautes, niais pour purifier le corps, après qu'on eût préalablement purifié l'âme par la justice. [118] Des gens s'étaient rassemblés autour de lui, car ils étaient très exaltés en l'entendant parler. Hérode craignait qu'une telle faculté de persuader ne suscitât une révolte, la foule semblant prête à suivre en tout les conseils de cet homme. Il aima donc mieux s'emparer de lui avant que quelque trouble se fût produit à son sujet, que d'avoir à se repentir plus tard, si un mouvement avait lieu, de s'être exposé à des périls. [119] A cause de ces soupçons d'Hérode, Jean fut envoyé à Machaero, la forteresse dont nous avons parlé plus haut, et y fut tué. Les Juifs crurent que c'était pour le venger qu'une catastrophe s'était abattue sur l'armée, Dieu voulant ainsi punir Hérode. [120] 3. Après avoir fait des préparatifs de guerre contre Arétas et s'être mis â la tête de deux légions, de toutes les troupes légères et de la cavalerie qui y étaient attachées, guidé par les rois soumis aux Romains, Vitellius se hâta vers Pétra et occupa Ptolémaïs. [121] Comme il se préparait à faire traverser la Judée par son armée, les principaux citoyens vinrent le trouver et essayèrent de le détourner de passer par leur pays, car il n'était pas conforme à leur tradition de laisser transporter des images ; or, il y en avait beaucoup sur les enseignes (40). Déférant à leur demande, il changea les résolutions qu'il avait prises à ce sujet. Ayant ordonné à ses troupes de marcher par la grande plaine (41), lui-même monta avec le tétrarque Hérode et ses amis à Jérusalem, pour sacrifier à Dieu pendant la fête nationale des Juifs qui y avait lieu. [122] II y assista et fut reçu avec honneur par la foule des Juifs ; il séjourna là pendant trois jours et destitua de la grande-prêtrise Jonathas pour la transmettre à son frère Théophile. [123] Le quatrième jour il reçut une lettre qui lui apprenait la mort de Tibère et il fit jurer par le peuple fidélité à Caïus. Il rappela aussi l'armée pour faire hiverner chacun dans ses foyers, parce qu'il n'avait pas le pouvoir nécessaire pour faire la guerre comme avant, maintenant que l'empire était aux mains de Gaius. [125] On raconte mare qu'Arétas, prenant les auspices à l'annonce de l'expédition de Vitellius, dit que cette armée ne pourrait arriver à Pétra, car on verrait survenir la mort soit du chef qui avait ordonné cette guerre, soit de celui qui se disposerait à obéir à son ordre, soit de celui en faveur de qui l'expédition était préparée. Vitellius retourna à Antioche.
[126] Agrippa, fils d'Aristobule, était parti pour Rome, l'année précédant la
mort de Tibère, afin de traiter de ses affaires avec l'empereur dès qu'il en
aurait la possibilité. [127] Je veux donc parler plus longuement de la situation
d'Hérode et de sa famille, d'abord parce que cet exposé importe à l'histoire, et
aussi parce que c'est une manifestation de la providence divine, prouvant que
rien ne sert, d'avoir le nombre, ou toute autre des forces qu'emploient les
hommes, sans la piété envers Dieu, puisqu'en l'espace d'un siècle presque tous
les descendants d'Hérode, pourtant fort nombreux, disparurent. [128] La
connaissance de leur malheur pourrait encore servir à rendre le genre humain
plus sage, [129] ainsi que le récit de la vie tout à fait étonnante d'Agrippa
qui, de simple particulier, s'éleva, contre l'attente de tous ceux qui le
connaissaient, à un tel degré de puissance. J'ai déjà parlé d'eux (42)
auparavant., mais maintenant j'en parlerai de façon précise.
VI [143] 1. Peu de temps avant la mort, du roi Hérode, Agrippa vivait à Rome. Élevé avec le fils de Tibère, Drusus, et très lié avec lui, il devint également l'ami d'Antonia, femme de Drusus le Grand (46) parce que sa mère Bérénice, que celle-ci estimait, lui avait demandé de faire avancer son fils dans les honneurs. [144] Agrippa était d'un naturel magnifique et aimait à dépenser beaucoup en largesses, mais tant que sa mère vécut, il dissimula site dispositions, parce qu'il voulait éviter la colère que cela provoquerait chez elle. [145] Mais une fois Bérénice morte, livré à ses penchants, il dépensa sa fortune en prodigalités dans la vie quotidienne et par sa propension immodérée aux largesses ; il fit surtout de très grandes dépenses pour les affranchis de l'empereur dans l'espoir de se les concilier, si bien qu'en peu de temps il fut réduit à la gêne, ce qui l'empêchait de vivre à Rome. D'ailleurs, Tibère avait interdit aux amis de son fils défunt de se présenter à lui parce que leur vue, en lui rappelant le souvenir de son fils, ranimait sa douleur. [147] 2. Pour toutes ces raisons, Agrippa s'embarqua pour la Judée. Il partit très affligé, abattu par la perte de toutes ses richesses et par l'impossibilité de payer ses dettes à ses nombreux créanciers qui ne lui laissaient aucune échappatoire. Réduit donc à ne savoir que faire et honteux de sa situation, il se retira dans un fort à Malatha d'Idumée et songeait à se tuer. [148] Son dessein fut deviné par Cypros sa femme, qui tenta de toutes les manières de l'en détourner. Elle écrivit aussi à sa sœur Hérodiade, femme du tétrarque Hérode, une lettre où elle lui révélait le projet d'Agrippa et l'extrémité qui l'y réduisait ; [149] elle la priait, comme sa proche parente, de veiller à lui porter secours et d'y déterminer aussi son mari (47). En voyant que Cypros essayait elle-même par tous les moyens de soulager sou époux sans avoir autant de ressources qu'eux, Hérode et Hérodiade firent venir Agrippa, lui assignèrent comme résidence Tibériade avec une somme limitée pour vivre et l'honorèrent des fonctions d'agoranome de Tibériade. [150] D'ailleurs, Hérode ne resta pas longtemps dans ces dispositions, bien que ce qu'il fit fût déjà insuffisant au gré de l'autre. En effet, à Tyr, dans un banquet, la chaleur du vin provoqua des insultes; Agrippa jugea insupportable qu'Hérode lui reprochât d'être tourné dans l'indigence et de recevoir de lui ce qui était nécessaire pour vivre. Il se rendit auprès de Flaccus, personnage consulaire avec qui il avait été très lié auparavant à Rome et qui gouvernait alors la Syrie. [151] 3. Il vécut alors auprès de Flaccus qui l'avait reçu avec Aristobule son frère, brouillé cependant avec. lui. Leurs dissentiments n'allaient pas pourtant, jusqu'à les empêcher de s'honorer mutuellement en apparence, par amitié pour le proconsul. [152] Mais Aristobule n'abandonnait pas sa haine contre Agrippa et il finit par lui aliéner Flaccus pour la raison suivante. [153] Les Damascènes avaient avec les Sidoniens une contestation de frontières et Flaccus allait leur donner audience à ce sujet. Connaissant l'influence très grande d'Agrippa sur lui, ils lui demandèrent d'être de leur parti et lui promirent une grosse somme. [154] Agrippa s'efforça de faire tout pour aider les Damascènes. Mais Aristobule, qui avait découvert le pacte intervenu au sujet de l'argent, l'accusa auprès de Flaccus. Celui-ci, après avoir enquêté sur l'affaire et s'être éclairé sur la vérité, exclut Agrippa de son amitié. [155] Retombé dans la plus extrême misère, il alla à Ptolémaïs et, n'ayant nul moyen de vivre ailleurs, décida de s'embarquer pour l'Italie. Comme sa pauvreté l'en empêchait, il ordonna à Marsyas, son affranchi, de lui fournir l'argent nécessaire en empruntant n'importe où. [156] Marsyas pria Primus, affranchi de Bérénice, mère d'Agrippa, légalement mis par le testament de celle-ci au pouvoir d'Antonia, de lui fournir au moins cet argent sous sa propre signature et sa garantie. [157] Mais l'autre, mettant au compte d'Agrippa certaines sommes dont il avait été dépouillé, força Marsyas à faire un acte portant vingt milles drachmes attiques, alors qu'il en versait deux mille cinq cents de moins. Marsyas accepta, parce qu'il lui était impossible d'agir autrement. [158] Muni de cet argent, Agrippa, parvenu à Anthédon (48) et ayant frété un navire, était prêt à lever l'ancre ; mais Herennius Capito, gouverneur d'Iamnée, l'apprit et envoya des soldats pour exiger trois cents mille pièces d'argent dues par Agrippa au trésor impérial pendant son séjour à Rome ; [159] ils le forcèrent à rester là. II feignit alors d'obéir aux ordres reçus ; mais, la nuit venue, il coupa les amarres et fit voile pour Alexandrie. Là il demanda à Alexandre l'alabarque (49) de lui consentir un prêt de deux cent mille drachmes. Celui-ci refusa de les lui prêter, mais ne les refusa pas à Cypros, dont l'amour conjugal et les autres vertus l'avaient frappé d'admiration. [160] Cypros s'engagea donc et Alexandre, leur ayant versé cinq talents à Alexandrie, promit de leur donner le reste à l'arrivée à Dicéarchia, parce qu'il craignait la prodigalité d'Agrippa (50). Quant à Cypros, après avoir quitté son mari qui allait faire voile vers l'Italie, elle revint en Judée avec ses enfants. [161] 4. Agrippa, ayant abordé à Pouzzoles, écrivit une lettre à l'empereur Tibère qui résidait à Caprée; il était venu pour lui rendre hommage, le voir et lui demander la permission d'aborder à Caprée. [162] Tibère se hâta de lui répondre très aimablement, entre autres choses, qu'il se réjouissait de le voir revenir sain et sauf à Caprée. Quand Agrippa y fut arrivé, sans rien renier de l'empressement qu'il avait montré dans sa lettre, Tibère l'embrassa et lui offrit l'hospitalité. [163] Mais le lendemain l'empereur reçut d'Herennius Capito une lettre l'informant qu'Agrippa, après avoir emprunté trois cent mille drachmes et laissé passer le délai stipulé pour los rendre, avait, lorsqu'on lui avait réclamé la somme, pris la fuite hors du territoire soumis à son commandement, l'empêchant ainsi de pouvoir recouvrer l'argent. [164] A la lecture de cette lettre, l'empereur, irrité, défendit à Agrippa de se présenter à lui avant d'avoir réglé ses dettes. Nullement ému de la colère de l'empereur, Agrippa demanda à Antonia, mère de Germanicus et du futur empereur Claude, de lui prêter les trois cent mille drachmes pour l'empêcher de perdre l'amitié de l'ibère. [165] En mémoire de Bérénice, mère d'Agrippa - car elles avaient été très liées - et parce qu'il avait été élevé avec Claude, elle lui donna l'argent, et, quand il eut payé ses dettes, il n'y eut plus d'obstacle à la bienveillance de Tibère. [166] Ce fut à Agrippa que l'empereur, un peu plus tard, confia son petit-fils (51) lui ordonnant de l'accompagner dans toutes ses sorties. Comme il avait été accueilli avec faveur par Antonin, Agrippa se mit à servir Caius, son petit-fils, très honoré par suite de l'affection portée à son père (52). [167] Il y avait parmi les affranchis de l'empereur un certain Thallos, d'origine samaritaine ; lui ayant emprunté un million, Agrippa paya à Antonin ce qu'il lui devait et, dépensant le reste pour servir Caius. augmenta son crédit auprès de celui-ci. [168] 5. Agrippa faisait donc de très grands progrès dans l'amitié de Caius. Un jour qu'ils causaient en voiture au sujet de Tibère, Agrippa se mit à souhaiter - car ils étaient seuls - que Tibère laissât au plus vite le pouvoir à Caius qui en était plus digne en tous points. Ces paroles furent entendues par Eutychus, affranchi et cocher d'Agrippa, qui se tut sur le moment. [169] Mais accusé par Agrippa de lui avoir volé des vêtements, ce qu'il avait réellement fait, il prit la fuite et, une fois arrêté et mené devant le préfet de la ville Pison, répondit, quand un lui demanda pourquoi il avait fui, qu'il avait à révéler à l'empereur des secrets touchant la sûreté de sa vie. L'ayant fait enchaîner. Pison l'envoya à Caprée, et Tibère, selon son habitude, le garda en prison, parce qu'il était plus temporisateur que ne le fut jamais roi ou tyran. [170] Tibère ne recevait jamais immédiatement les ambassades, et les généraux ou les gouverneurs qu'il avait nommés n'étaient jamais remplacés, à moins que la mort ne les surprit. C'est pourquoi aussi l'interrogatoire des prisonniers était différé. [171] Lorsque ses familiers demandaient à Tibère la raison de ses atermoiements pour des choses de ce genre, il répondait que, s'il traînait les ambassades en longueur, c'était de crainte qu'au cas où il se débarrasserait d'elles tout de suite, d'autres ambassadeurs ne fussent nommés pour revenir le trouver et qu'il n'eût de nouveau l'ennui de les recevoir et de les renvoyer. [172] Quant aux commandements, il les conservait longtemps à ceux qu'il avait choisis une fois pour toutes afin qu'ils fissent preuve de quelque réserve dans l'administration de leurs sujets. En effet, la nature de tous ceux qui avaient le pouvoir inclinait à la tyrannie, et ceux qui ne l'ont pas d'une manière stable (53), mais pour peu de temps et sans savoir quand ils en seront privés, sont plus portés au vol : [173] mais s'ils sont investis de leurs fonctions pour plus longtemps, ils seront bientôt rassasiés de rapines et leurs gros profits leur inspireront plus de retenue pour le reste du temps. Au contraire, si on leur donnait immédiatement des successeurs, les sujets offerts en proie aux fonctionnaires ne pourraient jamais leur suffire, parce que ceux-ci ne verraient pas revenir les occasions qui avaient permis à leurs prédécesseurs de se gorger de butin et de se relâcher ensuite de leur âpreté au gain, puisqu'ils seraient déplacés avant d'avoir profilé de leur chance. [174] Et voici ce que Tibère donnait en manière d'exemple (54). Un blessé gisait à terre ; une quantité de mouches couvrait ses plaies. Un passant plaignit son infortune et, le croyant incapable de s'aider lui-même, se mit en devoir de chasser les mouches. [175] Mais l'autre lui demanda de cesser d'agir ainsi. Le passant le questionna sur la raison qui lui faisait négliger d'échapper au mal qui avait fondu sur lui. «Tu me ferais, dit le blessé, un plus grave tort en chassant ces mouches ; car celles-ci, déjà pleines de mon sang, ne sont plus aussi acharnées à me tourmenter et se retiennent un peu. Mais si d'autres, avec des forces intactes et attirées par la faim, s'emparaient de mon corps déjà épuisé, elles le conduiraient au trépas ». [176] C'est donc pour ces raisons que Tibère lui-même, parce que les tributaires étaient accablés par de nombreuses malversations, avait soin de ne pas changer continuellement leurs gouverneurs qui, à la façon des mouches, les harcelaient, craignant qu'à leur nature déjà portée à la cupidité s'ajoutât encore la perspective d'être bientôt privés du profit qu'ils en tiraient. [177] Mon exposé sur les dispositions naturelles de Tibère est confirmé par ses actes mêmes ; en effet, dans ses vingt-deux ans de principat, il n'envoya au total aux Juifs que deux hommes pour gouverner leur peuple, Gratus et Pilate son successeur. [178] Et ce n'est pas seulement envers les Juifs qu'il se comportait ainsi ; il ne tenait pas une autre conduite à l'égard de ses autres sujets. Quant aux prisonniers, il laissait entendre que, s'il remettait à plus tard leur interrogatoire, c'était pour qu'une condamnation à mort ne vînt pas alléger leurs maux présents, puisque ce n'était pas leur vertu qui les avait mis en telle situation, et pour qu'une peine plus grande s'ajoutât ainsi à celle qu'ils éprouvaient. [179] 6. Voilà pourquoi Eutychus n'obtenait pas d'audience et restait enchaîné. Avec le temps, Tibère, partant de Caprée, arrive à Tusculum à environ cent stades de Rome et Agrippa demande à Antonia d'obtenir que l'on écoute les accusations qu'Eutychus portait contre lui. [180] Or, Antonia avait toujours du crédit auprès de Tibère en raison de leur parenté - car elle était la femme de son frère Drusus - et à cause de sa vertu, car, encore jeune, elle avait persisté dans le veuvage et refusé de se remarier bien qu'Augusta l'eût exhortée à le faire, vivant à l'abri de tout reproche. [181] D'autre part., elle avait rendu un très grand service à Tibère. En effet, une grande conspiration avait été ourdie centre lui par Séjan, son familier, qui avait alors le plus grand pouvoir parce qu'il avait le commandement de l'armée (55) la plupart des sénateurs et des affranchis s'étaient ralliés à lui ; l'armée avait été séduite, l'entreprise faisait de grands progrès et Séjan aurait réussi son coup si Antonia n'avait montré une audace plus avisée que la perversité de Séjan. [182] Dès qu'elle apprit ce qui se machinait contre Tibère, elle lui écrivit tout en détail et, remettant la lettre à Pallas, celui de ses esclaves dont elle était le plus sûre, l'envoya auprès de Tibère à Caprée. Tibère, averti de la chose, mit à mort Séjan et ses complices, tandis qu'il honora encore plus Antonia, déjà estimée par lui, et lui accorda une confiance entière. [183] Donc, sollicité par cette Antonia de questionner Eutychus : « Si, dit Tibère, Eutychus a menti pour amuser Agrippa, le châtiment que je lui ai infligé moi-même est une punition suffisante ; mais si à la torture on reconnaissait qu'il a dit la vérité, qu'Agrippa craigne, en voulant punir son affranchi, d'attirer plutôt sur lui-même un juste châtiment. » [184] Antonia raconta cela à Agrippa et celui-ci ne fit qu'insister davantage pour demander une enquête sur l'affaire. Comme il ne cessait de la supplier, Antonia saisit le moment favorable. [185] Tibère se faisait porter, couché dans sa litière, précédé par son petit-fils Caius et par Agrippa qui venaient de prendre leur repas du matin, et. Antonia marchait auprès de la litière ; elle lui demanda donc de faire appeler Eutychus et de l'interroger. [186] Mais lui : « Eh bien, que les dieux sachent, ô Antonia, dit-il, que ce n'est pas de mon propre gré, mais forcé par la demande que je vais agir ainsi ». Après avoir dit cela, il ordonna à Macron (56), successeur de Séjan, d'amener Eutychus. Ce dernier arriva aussitôt. Tibère lui demanda ce qu'il avait à lui dire contre l'homme qui lui avait donné la liberté. [187] L'autre répondit : « Maître, Caius que voici et Agrippa se faisaient transporter en char et j'étais assis à leurs pieds ; après avoir fait le tour de beaucoup de sujets de conversation, Agrippa dit à Caius : Si seulement arrivait enfin le jour où ce vieillard, en quittant la vie, te désignera nomme maître du monde ; en effet, Tibère son petit-fils ne nous gênerait guère, car tu le ferais périr et la terre jouirait de la félicité et moi-même tout le premier. » [188] Tibère considéra ces paroles comme dignes de créance et rappela aussitôt son ancien ressentiment contre Agrippa, parce qu'ayant reçu l'ordre de servir Tibère, petit-fils de l'empereur et fils de Drusus, Agrippa l'avait négligé en désobéissant aux ordres reçus et s'était entièrement mis du côté de Caius. [189] « Macron, dit-il, fais enchaîner cet homme ». Marron, soit qu'il n'eût pas compris clairement à qui l'ordre s'appliquait, soit qu'il ne s'attendit pas à un tel ordre concernant Agrippa, temporisa pour être sûr de ce qu'avait dit Tibère. [190] Mais quand l'empereur eut fait le tour de l'hippodrome et trouvé Agrippa encore debout : « Eh bien ! Macron, dit-il, j'ai ordonné d'enchaîner cet homme ! ». Et l'autre lui demandant encore quel homme : « Mais Agrippa ! » dit-il. Mors Agrippa eut recours aux prières, lui rappelant le fils dont il avait partagé la jeunesse et l'éducation donnée à Tibère ; néanmoins cela ne servit de rien et on l'emmena enchaîné et vêtu de pourpre.
[191]. Comme la chaleur était excessive et qu'on ne lui donnait avec ses
aliments que peu de vin, la soif le brûlait ; il se désespérait de cela et le
regardait comme une indignité. Ayant donc vu un des esclaves de Caius, nommé
Thaumaste, qui portait de l'eau dans un vase, il lui demanda à boire. [192]
Quand l'autre lui eut volontiers tendu le vase et qu'il eut bu :
«
Puisque c'est pour mon bien,
dit-il, ô esclave, que tu m'as rendu ce service, si je suis délivré de ces
chaînes, je m'empresserai de demander ta liberté à Caius, car, même lorsque
j'étais prisonnier, tu n'as pas plus manqué de me servir qu'auparavant lorsque
j'étais en état d'être honoré.
»
II tint parole et le paya de retour comme il le disait, : [194] plus tard, en
effet, devenu roi, il affranchit avec éclat Thaumaste que lui avait donné Caius
devenu empereur et il le nomma intendant de sa fortune. En mourant, il le laissa
à son fils Agrippa et à sa fille Bérénice pour les servir dans les mêmes
fonctions, si bien que Thaumaste mourut âgé avec cette dignité ; mais cela se
passa bien plus tard. [203] Antonia, très affligée du malheur d'Agrippa, considérait comme trop délicat et d'ailleurs impossible de parler de lui à Tibère ; mais elle obtenait de Macron que les soldats à qui sa garde était confiée fussent des gens convenables, commandés par un centurion qui lui serait attaché, qu'on lui accordât de se baigner chaque jour, qu'on donnât accès à ses affranchis et à ses amis et qu'on lui fournit toutes les autres facilités pour prendre soin de son corps. [204] On laissait venir à lui son ami Silas et ses affranchis Marsyas et Stoicheus, qui lui apportaient les mets qu'il aimait et l'entouraient de tous les soins, lui fournissant des vêtements sous prétexte de les vendre et les étendant, sous lui, quand venait la nuit, grâce à la complicité des soldats avertis par Macron. Cela dura six mois. Telle était pendant ce temps la situation d'Agrippa. [205] 8. Mais Tibère, revenu à Caprée, s'affaiblissait peu à peu ; bientôt sa maladie s'aggrava, il désespéra de guérir et ordonna à Evodus, l'affranchi qu'il estimait le plus, de lui amener ses enfants, parce qu'il désirait leur parler avant de mourir. [206] Il n'avait plus d'enfants légitimes, car Drusus, son fils unique, était mort. Mais le fils de celui-ci, Tibère surnommé Gemellus, survivait, ainsi que le fils de son frère Germanicus. [207] Ce denier était déjà un jeune homme : il avait reçu une éducation très soignée et était entouré de l'affection du peuple, qui l'honorait à cause des vertus de Germanicus son père. Celui-ci avait, en effet, atteint le comble de la faveur parmi le peuple, qu'il n'avait jamais froissé, grâce à la fermeté de son caractère et à l'affabilité de son accueil, et il en avait acquis l'estime en voulant se montrer équitable envers tous. [208] Aussi non seulement le peuple et le sénat en faisaient grand cas, mais encore tous les peuples sujets, car les uns, qui l'avaient fréquenté, avaient été gagnés par l'agrément de son commerce et les autres avaient entendu les premiers leur en parler. [209] A sa mort ce fut un deuil général (59), non parce que le dévouement à l'empire faisait feindre d'avoir subi une calamité, mais parce que chacun ressentait une affliction vraie et. regardait la mort de Germanicus comme un malheur personnel, tant son commerce était agréable. [210] Cela fut même un legs très utile à son fils auprès de tout le monde, et l'armée surtout était enthousiasmée, considérant comme une vertu de mourir, s'il le fallait, pour lui assurer le pouvoir. [211] 9. Après avoir donne à Evodus l'ordre de lui amener les enfants le lendemain vers l'aube, Tibère pria les dieux de ses pères de lui montrer par quelque signe manifeste celui qui devait succéder à l'empire, car, s'il s'efforçait de laisser le pouvoir au fils de son fils, il se fiait plutôt au signe que la divinité ferait paraître touchant ses héritiers qu'à son opinion et à sa volonté personnelles. [212] Or, il se vit prédire que l'héritier de l'empire serait celui qui, le lendemain, arriverait le premier auprès de lui. Après réflexion, il envoya dire au précepteur de son petit-fils de lui amener l'enfant à la première heure, parce qu'il supposait que Dieu serait dupe du stratagème ; mais Dieu tourna en sens contraire la décision de Tibère. [213] Donc l'empereur, après avoir formé son projet, ordonna à Evodus, dès qu'il lit jour, d'introduire celui de ses enfants qui serait là le premier. L'autre, sortant, rencontra Caius devant le palais. Tibère n'était pas encore arrivé parce qu'il attendait son repas, et Evodus ignorait complètement le désir de son maître. «Ton père t'appelle, dit-il à Caius. » Et. il le fit entrer. Quand Tibère aperçut Caius, il eut pour la première fois la notion de la puissance divine et comprit que la sienne lui était entièrement retirée, puisque Dieu ne lui avait pas donné la possibilité de sanctionner ses décisions. [215] Il se lamenta beaucoup de s'être vu dépouiller du pouvoir de ratifier ses résolutions et de ce que son petit-fils Tibère manquât l'empire romain et en même temps se trouvât en péril, parce que son salut dépendait de gens plus puissants qui jugeraient sa fréquentation intolérable, sans que sa parenté pût lui servir, puisque son supérieur le craindrait et le haïrait en croyant d'abord qu'il ferait le siège du pouvoir et ensuite qu'il conspirerait sans cesse pour sa sécurité et pour s'emparer de l'autorité. [216] Mais Tibère s'adonnait beaucoup à la connaissance des horoscopes et dirigeait volontairement sa vie d'après leur succès (60), encore bien plus que n'importe quel autre adepte de cette science. Ainsi, ayant un jour vu venir Galba, il fit à quelques-uns de ses amis les plus intimes qu'ils voyaient, arriver l'homme qui serait un jour honoré de l'empire romain. [217] De tous les empereurs il fut celui qui crut le plus à la valeur de toutes les prophéties à cause de leur vérité et il les employait dans ses affaires. [218] Aussi fut-il tourmenté par cette coïncidence, s'affligeant comme si le fils de son fils était mort et accusant d'avoir eu recours à des auspices: en effet, il aurait pu mourir débarrassé de toute affliction s'il avait ignoré l'avenir, et il avait fait en sorte qu'il mourrait (61) avec la prescience du malheur futur de ses parents les plus chers. [219] Mais, bien que bouleversé par l'attribution imprévue de l'empire à celui qu'il n'aurait pas choisi, il n'en dit pas moins à Caius, à contre cœur et contre son gré : « Mon enfant, quoique Tibère me soit plus proche que lui, par ma décision et par le décret conforme des dieux, je remets entre tes mains l'empire des Romains. [220] Je te demande, quand tu l'auras obtenu, de ne rien oublier, ni ma bienveillance qui te porte à un tel comble d'honneur, ni ta parenté avec Tibère; [221] et puisque, tu le sais, avec la volonté des dieux et d'après elle, je t'ai procuré de si grands biens, je te prie de me récompenser de ma bonne volonté en cette circonstance et aussi de t'intéresser à Tibère en bon parent, en sachant surtout que Tibère, s'il vit, peut être un rempart pour toi et défendre à la fois ton empire et ta vie, tandis que sa mort serait le prélude de ta perte. [222] Car l'isolement est périlleux pour ceux qui sont placés au faite d'une telle puissance et les dieux ne laissent pas impunies les injustices commises malgré la loi qui ordonne d'agir d'une manière toute contraire. » [223] Telles furent les paroles de Tibère. Mais il ne persuada pas Caius, en dépit des promesses de celui-ci, car, après son accession à l'empire, il mit à mort le jeune Tibère comme l'autre l'avait prédit et périt peu après victime d'un complot tramé contre lui. [224] 10. Tibère, après avoir désigné Caius pour son successeur à l'empire, vécut encore quelques jours, puis mourut après avoir occupé lui-même le pouvoir vingt-deux ans cinq mois et trois jours. Caius fut le quatrième empereur. [225] A le nouvelle de la mort de Tibère, les Romains se réjouirent ; néanmoins ils osaient à peine y croire, non qu'ils ne la désirassent pas - ils auraient payé cher pour que ce bruit fût véridique - mais par crainte qu'une fausse nouvelle ne les incitât à trahir leur joie et ne les perdit ensuite par une accusation. [226] En effet, cet homme, plus que tout autre, avait fait le plus grand mal aux nobles Romains, car il était irascible en tout et, assouvissait sans mesure sa colère, même si la haine qu'il avait conçue était sans motif; d'ailleurs son naturel même le poussait à sévir contre tous ceux qu'il jugeait (62), et il punissait de mort même les fautes les plus légères. [227] Aussi, bien qu'on eût accueilli avec joie le bruit répandu à sen sujet, on était empêché de manifester à cette nouvelle tout le plaisir qu'on aurait. voulu par la crainte des maux à prévoir au cas où on aurait été frustré de cette espérance. [278] Mais Marsyas, l'affranchi d'Agrippa, ayant appris la mort de Tibère, se précipita en courant pour annoncer la bonne nouvelle à Agrippa et, le rencontrant qui sortait pour aller aux Thermes, il lui lit un signe de tête et lui dit en langue hébraïque : « Le lion est mort. ». Agrippa comprit le sens de sa phrase et, tout transporté de joie : « Mille grâces te soient. rendues, dit-il, non seulement de tout le reste, mais surtout de cette bonne nouvelle, pourvu seulement que ce que tu me dis soit vrai ! » [230] Le centurion chargé de la garde d'Agrippa, voyant avec quelle hâte Marsyas était arrivé et quelle joie ses paroles avaient apportée à Agrippa, supposa que quelque changement était l'objet de leur entretien et leur demanda de quoi ils parlaient. [231] Ils éludèrent un certain temps sa question, mais comme il insistait. Agrippa lui dit tout sans aucune crainte, car c'était déjà un ami, Le centurion partagea la joie causée par la nouvelle parce qu'elle était bonne pour Agrippa et lui offrit à dîner. Pendant qu'ils festoyaient et buvaient libéralement, quelqu'un vint annoncer que [232] Tibère était vivant et allait revenir à Rome dans quelques jours. Le centurion tout bouleversé par ces paroles car il avait fait un acte qui le mettait en péril de mort en soupant joyeusement avec un prisonnier et cela pour fêter la mort de l'empereur - jette Agrippa à bas de son lit et s'écrie : « Supposes-tu par hasard que j'ignore que tu m'as menti en m'annonçant la mort. de l'empereur et que tu ne paieras pas tes paroles de ta tête ? »s [233] A ces mots il fait enchaîner Agrippa qu'il avait fait libérer auparavant et établit autour de lui une garde plus vigilante qu'avant. Agrippa passa cette nuit là dans de tels maux. [234] Mais le lendemain le bruit de la fin de Tibère grandit à Rome et prit de la consistance ; les gens avaient déjà le courage d'en parler ouvertement ; quelques-uns même offraient des sacrifices. [235] Puis vinrent deux lettres de Caius, l'une au Sénat annonçant le mort de Tibère et sa propre accession à l'empire, l'autre à Pison, préfet de la ville, lui faisant connaître la même chose et lui ordonnant de laisser Agrippa quitter le camp (63) pour la maison où il vivait avait son arrestation. Agrippa fut désormais sûr de son salut, car, s'il était gardé et surveillé, c'était pourtant avec toutes sortes de libertés. [236] Quand Caius fut arrivé à Rome, amenant le corps de Tibère, et qu'il lui eut fait de somptueuses funérailles selon les coutumes ancestrales, il aurait volontiers fait remettre Agrippa en liberté le jour même si Antonia ne l'en avait empêché, non par haine coutre le prisonnier, mais par souci de la dignité de Caius et pour lui épargner la réputation d'avoir accueilli avec joie la mort de Tibère en libérant sur le champ un homme emprisonné sur son ordre. [237] Cependant, peu de jours après, il le manda près de lui, le fit tondre et lui fit changer de vêtements ; puis il lui mit le diadème sur la tête et le nomma roi de la tétrarchie de Philippe en lui faisant cadeau de celle de Lysanias; (64) en échange de sa chaîne de fer, il lui en donna une d'or de poids égal, et il envoya Marcel!us comme vice-roi en Judée. [238] 11. La deuxième année du principat. de Caius César, Agrippa lui demanda la permission de s'embarquer pour aller installer son gouvernement et de revenir quand il aurait réglé toutes ses autres affaires comme il le fallait. [239] Avec la permission de l'empereur il y alla et, contre l'attente de tous, s'y montra en roi, prouvant ainsi la puissance de la fortune sur les choses humaines à tous ceux qui le contemplaient et comparaient sa pauvreté de jadis à sa prospérité présente. Les uns le félicitaient de n'avoir pas été déçu dans ses espérances, les autres ne pouvaient croire à ses épreuves passées. 1. Hérode et Hérodiade sont jaloux d'Agrippa. - 2. Caligula les exile à Lyon et donne à Agrippa leur territoire et leur fortune.
[240] 1. (65) Hérodiade,
sœur d'Agrippa et femme d'Hérode, tétrarque de Galilée et
de Pérée, regardait avec jalousie la puissance de son frère parce qu'elle le
voyait parvenu à une bien plus grande dignité que son mari et parce que, après
s'être enfui faute de pouvoir payer ses dettes, il revenait avec des honneurs et
une telle félicité. [241] Elle en était donc chagrinée et supportait mal un si grand changement
; surtout, quand elle le voyait avec les insignes habituels de la royauté et
environné de multitudes, elle ne pouvait dissimuler la souffrance causée par sa
jalousie. Par ses sollicitations, elle excitait son mari à s'embarquer pour
Rome afin de revendiquer des honneurs égaux ; [242] en effet la vie leur serait à charge si
Agrippa, fils de roi Aristobule que son père avait condamné à mort, réduit à une
indigence si désespérée qu'il avait fallu lui fournir tout le nécessaire pour
chaque jour et forcé de s'embarquer pour fuir ses créanciers, revenait en roi,
alors que lui, Hérode, bien qu'il fût fils de roi et que sa proximité du trône
l'appelât à jouir d'un changement analogue, se contentait de vivre en simple
particulier. [243]
« Même si auparavant, Hérode, disait-elle, tu n'étais pas attristé
de te trouver à un rang moins élevé que le père dont tu es né, maintenant du
moins aspire à la dignité qu'a ton parent et ne supporte pus d'être au-dessous
de cet homme qui te dépasse et
honneurs après avoir courtisé ta richesse ; ne reconnais pas que sa pauvreté
puisse avoir eu plus de vertu que notre opulence, et considère comme honteux
d'être surpassé par ceux qui, hier et naguère, n'ont pu vivre que grâce à ta pitié.
[244] Allons donc à Rome sans
épargner notre peine, notre argent et notre or, car il ne vaut pas mieux les
garder que de los dépenser pour acquérir la royauté 1. Accusations d'Apion contre les Juifs. - 2. Caligula ordonne à Petronius de lui dédier une statue dans le Temple. - 3-6. Résistance passive des Juifs. Petronius en réfère à l'empereur. - 7-9. Agrippa obtient de Caligula qu'il renonce à son projet. Petronius est sauvé par la mort de l'empereur. [257] 1. Des troubles (69) s'élevèrent à Alexandrie entre la colonie juive et les Grecs ; trois délégués choisis par chacun des deux partis allèrent, trouver Caius. L'un des ambassadeurs des Alexandrine était Apion (70), qui calomniait beaucoup les Juifs en prétendant, entre autres choses, qu'ils méprisent le culte de l'empereur : [258] alors que tous les sujets de l'empire romain élevaient à Caius des autels et des temples et lui rendaient, par ailleurs en tout les mêmes honneurs qu'aux dieux, seuls les Juifs considéraient comme honteux de l'honorer par des statues et de jurer en attestant son nom. [259] Apion dit ainsi beaucoup de choses désagréables par lesquelles il espérait exciter Caius, comme c'était probable. Philon (71), chef de la délégation juive, homme illustre en tout, frère de l'alabarque Alexandre et très versé dans la philosophie, était en mesure de réfuter ses accusations. Caius le lui interdit et lui ordonna de s'éloigner de sa présence ; il était visiblement très irrité et prêt à prendre une mesure terrible contre les Juifs. Philon s'en alla sous les outrages et dit aux Juifs qui l'entouraient qu'il fallait avoir bon courage, car, si Caius s'emportait contre eux en paroles, en fait il s'était déjà attiré l'inimitié de Dieu.
[261] 2. (72) Mais Caius, irrité d'être tellement dédaigné par les Juifs seuls,
envoya comme légat en Syrie Petronius (73), qui succéda à Vitellius dans le
gouvernement ; il lui ordonna d'entrer en Judée avec de nombreuses forces et de
lui dresser une statue dans le Temple de Dieu, si les Juifs l'accueillaient de
bon gré, et de les mâter d'abord par la guerre s'ils se montraient malveillants.
[264]
«
Si, dirent-ils, tu as entièrement résolu d'apporter et de dresser cette
statue, tue-nous avant de faire ce que tu as décidé, car nous ne pourrions vivre
en contemplant (74) des choses qui nous sont interdites par l'autorité de notre
législateur et de nos ancêtres qui ont décidé que cela importe à la vertu.
».
[265] Petronius, irrité, leur répondit:
« Si j'étais l'empereur et que j'eusse conçu le projet de faire cela de ma
propre volonté, le discours que vous venez de me tenir serait légitime ; mais
maintenant que l'empereur m'a donné des ordres, il est de toute nécessité
d'obéir à ses prescriptions, parce que les enfreindre entrainerait un châtiment
inexorable.
»
[266] «Puis donc que tu es d'avis, Petronius, dirent les Juifs, de ne
pas enfreindre les ordres de Caius, nous-mêmes nous ne pouvons enfreindre les
ordres de notre roi, car, confiants en Dieu et grâce à la vertu et aux peines de nos
ancêtres, nous sommes restés jusqu'ici sans les transgresser ; nous n'oserions
pas devenir assez pervers pour violer nous-mêmes, par crainte de la mort, les interdictions que Dieu a prononcées pour notre bien.
[267] Nous supporterons
donc toutes les vicissitudes du sort pour maintenir les lois de nos pères En
nous exposant aux dangers, nous savons bien que l'espoir de les vaincre nous
restera, car Dieu nous assistera si nous acceptons les plus terribles épreuves
pour l'honorer, et la fortune est d'essence changeante. En t'obéissant, au
contraire, nous nous exposerions au très grave reproche de lâcheté, car c'est
pour ce motif que nous semblerions transgresser la loi, et nous nous attirerions
la colère de Dieu qui pourrait bien, même à ton jugement, être plus fort que
Caius. » [284] 6. Après avoir dit cela, il renvoya l'assemblée des Juifs et demanda aux notables de s'occuper de l'agriculture et d'entretenir le peuple dans des espérances favorables. Tandis qu'il se hâtait, ainsi de rendre courage à la foule, Dieu faisait connaitre à Petronius sa présence (81) et son concours. En effet, dès qu'il eut terminé le discours qu'il tint aux Juifs, Dieu fit tomber aussitôt une grande pluie contre l'attente des hommes, car cette journée avait été sereine depuis l'aurore, le ciel ne donnait pas le moindre signe d'ondée et, pendant, toute l'année la grande sécheresse qui régnait avait fait désespérer de voir tomber l'eau du ciel même lorsqu'on apercevait parfois des nuages. [286] Aussi, quand se produisit cette averse abondante, inaccoutumée et inattendue, les Juifs eurent l'espoir que Petronius n'échouerait pas dans sa requête en leur faveur, et Petronius fut très frappé en voyant clairement que Dieu s'intéressait aux Juifs et dévoilait si manifestement sa présence que même ceux qui auraient été réellement résolus à s'opposer à lui ne pouvaient. dire le contraire. [287] Petronius écrivit, entre autres choses propres à convaincre Caius et à le détourner de pousser tant de milliers d'hommes au désespoir, que, s'il les tuait - car ce ne serait pas sans une guerre qu'ils renonceraient à leur lui religieuse - il se priverait du revenu qu'ils lui versaient et remporterait comme trophée des malédictions pour tout l'avenir ; [283] que d'ailleurs la divinité qui régnait sur les Juifs avait montré sa puissance d'une façon certaine et ne laissait aucun doute sur la manifestation de son pouvoir. Voilà où en était Petronius. [289] 7. Le roi Agrippa, qui séjournait à ce moment-là à Rome, s'avançait beaucoup dans les bonnes graves de Caius. Un jour il lui offrit un festin et voulut surpasser tout le monde par le luxe du repas et les mesures prises pour le plaisir des convives, si bien que non seulement un autre mais Caius lui-même ne pût songer à l'égaler, encore moins à le surpasser, tant il l'emportait sur tout le monde par ses apprêts et par son désir de tout, offrir à l'empereur. [290] Gaius admira ses dispositions et sa magnificence, car il s'était imposé de gagner sa faveur par le déploiement d'une abondance qui allait jusqu'au-delà de ses moyens. [291] Caius voulut donc rivaliser avec la générosité qu'Agrippa avait montrée pour lui faire plaisir. Excité par le vin et l'esprit tourné vers la joie, il dit pendant le souper, quand Agrippa porta sa santé : [292] « Agrippa, je savais déjà quelle déférence tu as pour moi et le grand dévouement que tu m'as témoigné, malgré les dangers que tu courus du fait de Tibère à cause de cela ; maintenant encore, tu ne négliges rien pour te conduire honnêtement envers moi, en excédant même tes ressources. Aussi, comme je juge déshonorant de t'être inférieur en zèle, je veux compenser toute mon infériorité antérieure. [293] C'est bien peu de chose que tous les dons que je t'ai déjà faits ; aussi, tout ce qui pourrait contribuer à le rendre heureux te sera fourni par ma bonne volonté et ma puissance ». [294] En parlant ainsi, il pensait qu'Agrippa lui demanderait beaucoup de terres ou les revenus de certaines villes. Mais bien qu'ayant sa requête toute prête, Agrippa ne dévoilait pas sa pensée ; il répondit sur le champ à Caius que ce n'était pas auparavant dans l'espoir d'un gain qu'il l'avait servi contre l'ordre de Tibère, et que maintenant non plus il n'agissait pas pour un profit et, un avantage particuliers. [295] Les présents précédents étaient grands et avaient dépassé ses plus audacieuses espérances. « Et même s'ils ont été inférieurs à ta puissance, dit-il, tes dons dépassent du moins mon attente et mon mérite ». [296] Caius, frappé d'admiration pour sa vertu, n'en persista que davantage à lui demander quel présent lui serait agréable à recevoir. Et Agrippa : « Maître, dit-il, puisque ta bienveillance me juge digne de tes présents, je ne te demanderai rien de ce qui touche à la richesse parce que j'y excelle déjà grandement grâce à ce que tu m'as donné, [297] mais quelque chose qui t'attirerait la gloire d'être pieux et te concilierait l'aide divine pour ce que tu voudrais et me vaudrait chez ceux qui l'apprendraient la gloire d'avoir su que j'obtiendrais de ta puissance tout ce que j'aurais désiré. Je te demande donc de ne plus songer à te faire consacrer la statue que tu ordonnes à Petronius de t'ériger dans le Temple des Juifs ».
[298] 8. (82) Bien qu'Agrippa jugeât cette demande périlleuse - car si Caius se ne
laissait pas persuader, le résultat certain était sa mort
- mais croyait la chose très importante eu qu'elle était en effet, il avait décidé de risquer le coup.
[299] Or, Caius était à la fois
séduit par la déférence d'Agrippa et porté à regarder comme honteux de faillir,
devant de si nombreux témoins, en se repentant si vite de ses promesses, à une
demande qu'il avait forcé Agrippa à formuler ; [300] il admirait. aussi la vertu d'Agrippa qui, négligeant
d'augmenter son pouvoir personnel par des revenus ou d'autres moyens d'action,
s'occupait à satisfaire son peuple par respect pour ses lois et son Dieu. Il
acquiesça donc et écrivit à Petronius, le louant et d'avoir rassemblé l'armée et
de l'avoir consulté par lettre au sujet des Juifs. [301]
« Maintenant donc, si tu as devancé cette
lettre en me dédiant la statue, laisse-la debout ; mais si tu n'as pas encore
fait la dédicace, ne te tourmente pas davantage à ce sujet, renvoie ton armée et
reprends ta charge primitive ; car je ne désire plus qu'une statue me soit
dédiée, voulant accorder ma faveur à Agrippa que j'estime trop pour résister à
sa demande et à ses prières ». [302] Caius avait écrit cela à Petronius avant
d'être
averti que celui-ci soupçonnait les Juifs de préparer un soulèvement, parce que
leurs dispositions indiquaient qu'ils étaient résolus à menacer de faire la guerre aux Romains.
[303] Aussi, très offensé de
ce qu'ils eussent osé braver sa puissance, comme il ne reculait jamais devant le
mal, ne se distinguait jamais par la vertu, se laissait plus que tout autre
emporter par la colère quand bon lui semblait saris y apporter aucune modération
et se plaisait à mettre son bonheur à la satisfaire, il écrivit à Petronius :
[304]
«
Puisque tu as préféré tous les dons que les Juifs t'ont faits à mes
instructions et que tu as eu l'audace de le mettre à leur service pour leur
plaire en transgressant mes ordres, je t'ordonne de juger toi-même ce que tu
dois faire, t'étant exposé à ma colère, puisque je suis disposé à faire de toi
un exemple enseignant à tous les hommes de maintenant et à toute la postérité
qu'il ne faut jamais négliger les ordres de l'empereur.
» 1. Histoire d'Anilaios et d'Asinaios. - 2-4. Leurs succès. - 5-7. Leurs revers. - 8. Répercussions de ces événements sur le sort des Juifs de Séleucie et de Babylonie. [310] 1. Il arriva aux Juifs de Mésopotamie et surtout de Babylonie une catastrophe pire que toute autre : on fit d'eux un massacre immense et tel qu'on n'en avait pas encore raconté auparavant. Je vais en exposer exactement les détails et aussi les causes qui provoquèrent ce malheur. [311] Naarda est une ville de Babylonie, non seulement populeuse, mais maitresse d'un territoire fertile, étendu et rempli d'habitants avec toute sorte de biens : elle est de plus peu accessible à des ennemis, parce qu'elle est entourée sur tout son pourtour par l'Euphrate qui l'environne et par des remparts. [312] Dans le même circuit du fleuve se trouve encore la ville de Nisibis (84). Les Juifs, se fiant à la nature des lieux, déposaient là les doubles drachmes que, selon la coutume nationale, chacun consacrait à Dieu, ainsi que toutes leurs offrandes, et ils se servaient de ces villes comme d'un trésor. [313] C'est de là que, le moment venu, on envoyait les offrandes à Jérusalem. Par dizaines de mille les Juifs s'occupaient de leur transport, parce qu'ils craignaient les brigandages des Parthes dont la Babylonie était tributaire. [314]. Il y avait deux frères, Asinaios et Anilaios, originaires de Naarda. Comme ils avaient perdu leur père, leur mère leur fit apprendre la fabrication des toiles, car il n'est pas déshonorant, aux yeux des indigènes que les hommes travaillent la laine. Mais celui qui surveillait leur travail et chez qui ils avaient fait leur apprentissage, les frappa parce qu'il leur reprochait d'arriver on retard. [315] Ils regardèrent ce châtiment comme une injustice et, s'emparant de toutes les armes gardées dans la maison, s'en furent vers une région qui séparait les fleuves, propre à fournir de bons pâturages et du fourrage à mettre en réserve pour l'hiver. Autour d'eux se rassemblèrent les jeunes gens les plus dénués de ressources, qu'ils pourvurent d'armes et dont ils devinrent les chefs ; rien ne les empêcha de les tourner vers le mal. [316] Devenus invincibles et ayant construit une citadelle, ils envoyaient auprès des bergers pour leur ordonner de verser un tribut de bétail, ce qui leur fournissait une nourriture suffisante ; ils promettaient leur amitié à ceux qui acceptaient, ainsi qu'une protection contre n'importe quel ennemi venu d'ailleurs, et menaçaient ceux qui refusaient de massacrer leurs troupeaux. [317] Les bergers, ne pouvant, faire autrement, les écoutaient et leur envoyaient le bétail prescrit. Ainsi la force acquise par eux augmenta et ils furent maîtres de s'élancer sur le champ pour maltraiter qui bon leur semblait. Tous ceux qui les rencontraient commençaient à les servir et ils étaient redoutables même pour ceux qui voulaient se mesurer avec eux, de sorte que leur renom arrivait, déjà au roi des Parthes. [318] 2. Or, le satrape de Babylonie informé de la chose, voulut les écraser avant que le mal ne devint plus grave. Réunissant une armée aussi forte que possible de Parthes et de Babyloniens, il marcha contre eux dans le dessein de les surprendre et de les enlever par son attaque avant même qu'on eût annoncé qu'il préparait son armée. [319] Il se posta donc autour du marais et se reposa. Le lendemain était un sabbat, jour consacré par les Juifs à un repos absolu ; il pensait que les ennemis n'oseraient pas lui résister et croyait qu'il pourrait les prendre sans combat et les ramener enchaînés. Il s'avança donc peu à peu, parce qu'il voulait tomber sur eux à l'improviste. [320] Mais Asinaios se trouvait alors assis avec ses compagnons et ils avaient leurs armes sous la main. « Camarades, dit-il, j'ai entendu hennir des chevaux et non des chevaux qui paissent, mais de ceux qui perlent des cavaliers sur leur dos, car je crois entendre aussi quelque bruit de mors. Je crains que les ennemis ne nous entourent à notre insu. Mais que quelqu'un s'en aille en éclaireur pour nous renseigner clairement sur ce qui nous menace, et. puissé-je me tromper !» [321] Cela dit, quelques hommes allèrent observer ce qui se passait et revinrent en hâte.
«
Tu ne t'es pas trompé, dirent-ils, et tu as exactement deviné ce que font les
ennemis : ils ne sont plus disposés à supporter que nous commettions des violences.
[322] Nous avons été environnés d'un piège comme
du bétail, et quand cette immense masse de cavalerie s'élance sur nous, nous ne
pouvons pas nous servir de nos bras, car le respect des lois de nos ancêtres
nous réduit à l'inaction.
» [325] 3. Quand la nouvelle de ce combat arriva au roi des Parthes, étonné de l'audace des frères, il désira les voir et leur parler. II leur envoya donc le plus fidèle de ses gardes du corps pour leur dire : « Le roi Artabane, bien que victime de votre injustice. puisque vous avez attenté à son autorité, réfléchit moins à sa colère qu'à votre courage et il m'a envoyé vous donner l'assurance de sa foi ; il vous accorde la sûreté et l'inviolabilité pendant votre voyage et il désire que vous vous rendiez chez lui en amis, sans ruse et sans tromperie. Il promet de vous donner des présents et de vous élever à des honneurs qui, joints à votre valeur, pourront être utiles à sa puissance. » [327] Asinaios refusa pour sa part d'aller trouver le roi et envoya son frère Anilaios avec les dons qu'il pouvait fournir. Celui-ci partit et fut introduit auprès du roi. Lorsqu'Artabane vit qu'Anilaios était venu seul, il lui demanda pourquoi Asinaios demeurait en arrière. [328] Apprenant qu'il était resté dans son marais par crainte, il jura par les dieux de ses pères qu'il ne ferait pas le moindre mal à ceux qui s'étaient remis à sa bonne foi. [329] Il lui tendit sa dextre, ce qui chez tous les barbares de cette région est le plus grand gage de confiance dans une rencontre; personne n'oserait tromper lorsqu'il a donné sa main droite et personne ne craindrait d'avoir confiance après avoir reçu ce gage de sécurité de ceux même qu'il soupçonnerait d'injustice. Cela fait, Artabane renvoya Anilaios pour décider son frère à venir aussi. [330] Le roi agissait ainsi parce qu'il voulait se servir de la valeur des frères juifs comme d'un frein et se concilier leur amitié, alors que ses satrapies étaient en révolte ou en effervescence et qu'il se préparait déjà à marcher contre elles. [331] Il craignait que, tandis qu'il serait occupé à guerroyer et à maîtriser les rebelles, les compagnons d'Asinaios ne fissent de grands progrès et ne pussent rallier la Babylonie à leur obéissance, ou du moins, s'ils n'y réussissaient pas, ne fussent capables de se livrer à de pires déprédations. [332] 4. C'est après avoir fait ces réflexions qu'il congédia Anilaios. Celui-ci persuada son frère en lui exposant, entre autres marques de bienveillance du roi, le serment qu'il avait prêté, de sorte qu'ils se hâtèrent d'aller ensemble chez Artabane. [333] Le roi les reçut avec joie à leur arrivée et s'étonna de voir qu'Asinaios, si vaillant dans l'action, était tout à fait petit de stature et provoquait à première vue chez ceux qui le rencontraient un sentiment de mépris, parce qu'ils le regardaient comme un homme de rien. Il dit à ses familiers que l'âme que faisait voir Asinaios était plus grande que son corps, si on les comparait. Comme au cours d'une beuverie il montrait Asinaios à Abdagase, son maître de camp (85), il le lui nomma et lui dit quelle était sa valeur guerrière. [334] Abdagase lui demanda l'autorisation de le tuer pour tirer vengeance dos injustices qu'il avait commises au détriment du pouvoir des Parthes. « Non, dit le roi, je ne puis t'y autoriser, car cet homme a eu confiance en ma foi, et surtout je lui ai donné ma dextre et j'ai juré par les dieux pour le convaincre. [335] Si tu es un brave, tu n'as pas besoin de mon parjure pour venger la puissance parthe outragée : attaque cet homme à son retour avec les forces qui t'entourent, pourvu que je ne le sache pas. » [336] Ayant à l'aurore fait venir Asinaios : « Il est temps, jeune homme, lui dit-il, que tu rentres dans ton pays, de peur que tu n'excites plusieurs des chefs qui sont ici à entreprendre, dans leur colère, de te tuer contre ma volonté. [337] Je te confie en dépôt la terre de Babylone qui sera par tes soins exempte de maux et purgée de brigands. Il est juste que j'obtienne ton aide pour t'avoir montré que je ne violais pas la foi que je t'avais jurée alors qu'ils s'agissait non du bagatelles, mais de ton salut. » [338] Après avoir ainsi parlé et lui avoir donné des présents, il congédia sur l'heure Asinaios. Celui-ci, rentré dans sa résidence, accrut ses forts déjà construits ou en édifia d'autres : en peu de temps il devint plus puissant. qu'aucun de ceux qui avant lui osèrent usurper le pouvoir après de tels débuts. [339] Les chefs parthes, envoyés de ce côté, lui rendaient hommage, car l'honneur que lui accordait la Babylonie paraissait peu de chose et inférieur à son mérite. II était. donc en pleine puissance et eu plein crédit. Toutes les affaires de Mésopotamie dépendaient désormais de lui et son bonheur ne lit que croître pendant quinze ans. [340] 5. Alors que les deux frères étaient ainsi au comble du succès, la fortune commença à tourner contre eux pour la raison suivante : ils transformèrent en injustice la valeur qui les avait portés au faite de la puissance et transgressèrent les lois de leurs pères pour s'adonner aux passions et aux plaisirs. [341] Un Parthe, venu comme chef des régions voisines, était accompagné de sa femme. Celle-ci, qui surpassait toutes les autres femmes par ses qualités, avait surtout pris sur lui une grande influence à cause de sa merveilleuse beauté. [342] Soit qu'il eût appris sa beauté par ouï-dire, soit qu'il l'eût peut-être vue de ses propres yeux, Anilaios, frère d'Asinaios, en devint à la fois l'amoureux et l'ennemi, parce qu'il ne pouvait espérer s'unir à elle autrement que s'il obtenait par la force le pouvoir d'en disposer, et parce qu'il jugeait que son désir d'elle était irrésistible. [343] Aussitôt donc son mari fut déclaré leur ennemi et il mourut (86) dans la bataille ; faite prisonnière, elle fut mariée à celui qui l'aimait. Mais ce ne fut pas sans grands malheurs pour Anilaios lui-même et aussi pour Asinaios que cette femme entra dans leur maison : ce fut à leur grand dam, et pour la cause que voici. [344] Une fois son mari mort et ayant été emmenée en captivité, elle dissimula les images des divinités ancestrales de son mari et les siennes - car c'est la coutume de tous les gens de cette région d'avoir dans leur maison des objets de culte et de les emporter quand ils voyagent à l'étranger - et elle emporta ainsi avec elle les coutumes religieuses de sa patrie. D'abord ce fut à l'insu de tous qu'elle pratiqua sort culte ; mais une fois proclamée épouse, c'est comme autrefois et avec les mêmes cérémonies que du vivant de son premier époux qu'elle honorait ses dieux. [345] Alors les compagnons les plus estimés des frères leur firent d'abord des reproches parce qu'Anilaios n'agissait nullement en Hébreu ni de façon conforme à leurs lois en épousant une femme étrangère qui transgressait l'observance de leurs sacrifices et de leurs rites accoutumés ; il fallait donc prendre garde que, par une indulgence excessive pour les plaisirs des sens, il ne perdit l'autorité due à l'honneur et la puissance que Dieu avait fait croître jusqu'à maintenant. [346] Mais ils n'arrivaient à rien et même un des plus estimés fut tué par Anilaios pour avoir usé d'un langage trop libre. En mourant (87) par attachement aux lois, il souhaita que, pour venger son meurtre, Anilaios lui-même, Asinaios et tous leurs compagnons subissent une même fin sous les coups de leurs ennemis, [347] les uns parce qu'ils avaient pris l'initiative la transgresser les lois, les autres parce qu'ils n'étaient pas venus à son secours quand il était ainsi traité pour son respect des traditions. Ils en furent affligés, mais supportèrent cependant cela parce qu'ils se rappelaient que la seule source de leur bonheur avait été la valeur des frères. [348] Mais lorsqu'ils apprirent aussi le culte rendu aux dieux honorés chez les Parthes, ils jugèrent désormais impassible de supporter les outrages infligés par Anilaios à leur loi ; allant trouver Asinaios en grand nombre, ils poussèrent des clameurs contre Anilaios ; [349] ils déclaraient juste que, même si auparavant Asinaios avait dédaigné son intérêt, maintenant du moins il apportât un changement à la situation avant que sa faute n'attirât sa perte avec celle de tous ; ils disaient que le mariage de cet homme n'était conforme ni à leurs avis ni à leurs lois habituelles et que le culte que pratiquait, cette femme insultait le Dieu qu'eux-mêmes vénéraient. [350] Asinaios savait d'ailleurs que l'incartade de son frère était et serait cause de grands maux, mais il la tolérait, vaincu par ses sentiments de famille, et l'excusait d'être dominé par un mal trop puissant, l'amour. [351] Mais comme de jour en jour les gens s'assemblaient plus nombreux et que leurs clameurs étaient de plus eu plus fortes, il en parla enfin à Anilaios. Il blâma sa conduite antérieure et lui recommanda de cesser d'agir ainsi à l'avenir et de renvoyer la femme à ses parents. [352] Mais ses paroles n'eurent aucun succès, et la femme, comprenant qu'elle était la cause des murmures du peuple et craignant que son amour ne causât le malheur d'Anilaios, mêla du poison à la nourriture d'Asinaios et se débarrassa de cet homme sans rien redouter des conséquences de cet acte, parce que celui qui aurait à la juger était amoureux d'elle. [353] 6. Anilaios, exerçant désormais seul le pouvoir, mena son armée contre des villages de Mithridate, un des premiers parmi les Parthes et gendre du roi Artabane, et les livra au pillage; il y trouva beaucoup d'argent, d'esclaves, de troupeaux et de tout ce dont la possession rend heureux. [354] Mais Mithridate était là par hasard. Dès qu'il connut la prise de ses villages, il fut très irrité qu'Anilaios eût commencé à lui faire du tort sans aucune provocation et eût, de plus, méprisé sa dignité; il réunit donc tous les cavaliers qu'il put, la plupart en pleine force, et se porta à la rencontre des gens d'Anilaios. Quand il fut arrivé dans une de ses bourgades, il resta en repos dans le dessein de combattre le lendemain, parce que c'était le jour du sabbat, que les Juifs passent dans l'inaction. [355] Mais Anilaios en fut informé par un étranger syrien d'un autre village qui lui dit exactement, entre autres choses, où Mithridate allait souper. Anilaios prit donc son repas à temps et, s'élança la nuit pour tomber sur les Parthes, sans qu'ils se doutassent de ses mouvements. [356] Aux environs de la quatrième relève (88) des sentinelles il tomba sur eux, tua les uns encore couchés et mit les autres en fuite. Quant à Mithridate, qu'il avait, capturé vivant, il l'emmena chez lui après l'avoir placé tout nu sur un âne, et, qui est regardé chez les Parthes comme le plus grand des outrages. [357] Comme il l'avait conduit dans une forêt en l'insultant (89) ainsi et que ses amis l'exhortaient à se débarrasser de lui, Anilaios s'empressa de les reprendre et de les contredire. II n'y aurait pas lieu de tuer un homme qui était, parmi les Parthes, un des premiers par la naissance et que son alliance avec la famille royale avait encore honoré davantage. [358] Ce qu'on lui avait fait était supportable et, bien que Mithridate eût été fort outragé, comme il avait la vie sauve, il garderait de la reconnaissance aux auteurs de ce bienfait ; [359] si, au contraire, il subissait l'irréparable, le roi ne serait pas tranquille avant d'avoir fait, un grand massacre des Juifs de Babylone ; il valait, mieux qu'il les épargnât, parce que c'étaient leurs frères de race et qu'eux-mêmes n'auraient plus de ressource en cas d'échec, tandis que maintenant ils utilisaient la plupart de leurs jeunes gens. Après avoir pensé à cela, l'avoir exposé dans l'assemblée et l'avoir convaincue, il mit en liberté Mithridate. Mais, à son retour, celui-ci fut chargé de reproches par sa femme: [361] gendre du roi, il ne se hâtait pas de la venger et de se venger, mais acceptait d'avoir été ainsi outragé, en se contentant d'une vie qu'il avait obtenue d'un Juif dont, il avait été le captif. « Maintenant, dit-elle, retrouve vite ton courage, ou je jure par les dieux royaux que je romprai mon union conjugale avec toi. » [362] Mithridate, ne pouvant supporter le tourment quotidien de ces reproches: et craignant aussi que l'orgueil de sa femme ne la poussât à rompre son mariage, rassembla ù nouveau, contre son gré et sa volonté, l'armée la plus nombreuse qu'il put et se mit en campagne, pensant aussi que la vie sauve ne serait pas supportable si lui, un Parthe, était vaincu à la guerre par un Juif.
[363] 7. Quand Anilaios apprit que Mithridate marchait contre lui avec de
grandes forces, il crut peu glorieux de rester dans ses marécages au lieu de se
porter à la rencontre de l'ennemi. Espérant avoir le même bonheur qu'auparavant
et pensant que le prix de la valeur appartient aux audacieux (90)
et à ceux qui ont l'habitude de la hardiesse, il fit sortir ses troupes. [364]
Beaucoup de gens s'étaient joints à son armée proprement dite pour piller le
bien d'autrui et frapper de terreur l'ennemi par leur aspect. [365] Quand il se
furent avancés à quatre-vingt dix stades de distance et que par l'effet de leur
marche dans le désert, en plein midi, ils se sentirent accablés, principalement
par la soif, Mithridate apparut et se jeta sur eux.
[368] Anilaios n'en fit pas moins des incursions dans les bourgades des
Babyloniens et ses violences y causèrent une dévastation générale. [369] Les
Babyloniens et ceux qui faisaient la guerre envoyèrent des messagers à Naarda
aux Juifs qui étaient là et réclamèrent d'eux la livraison d'Anilaios. Comme
ceux-ci résistaient à leur demande - d'ailleurs ils n'auraient pu, quand même
ils l'auraient voulu, le remettre à leur discrétion - les envoyés les invitèrent
à faire la paix. Les Juifs dirent qu'eux-mêmes désiraient des pourparlers de
paix et déléguèrent avec les Babyloniens des hommes pour négocier avec Anilaios.
[370] Les Babyloniens firent de l'espionnage ; connaissant l'endroit où Anilaios
s'était installé, ils assaillirent furtivement pendant la nuit ses gens ivres et
livrés au sommeil, tuèrent sans risques tous ceux qu'ils prirent et Anilaios
lui-même avec eux.
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