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texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

Flavius Josèphe

ANTIQUITES JUDAÏQUES

 

 

LIVRE VI

— I —

1. L’arche sainte chez les Philistins : fléaux qu’elle provoque. — 2. Délibération et décision des Philistins. — 3. Un chariot, traîné par des vaches, amène l’arche à Beth-Schémesch. — 4. Mort de quelques habitants pour avoir touché à l’arche : les Hébreux la transportent chez le Lévite Aminadab.

1[1]. Les Philistins, ayant capturé l’arche de leurs ennemis, comme nous venons de le dire, l’apportent dans la ville d’Azôt et la placent comme un trophée auprès de leur dieu, qui se nommait Dagon. Mais, le lendemain, comme tous pénétraient au point du jour dans le temple pour se prosterner devant leur dieu, ils le trouvent lui-même précisément dans cette attitude devant l’arche : il gisait, en effet, à bas du piédestal sur lequel il était toujours dressé. Ils le relèvent et le remettent en place, fort troublés de cette aventure. Mais après plusieurs[2] visites à Dagon, qu’ils trouvèrent toujours dans la même posture de prosternation devant l’arche, ils furent plongés dans un extrême embarras et une grande confusion. Finalement, la divinité lança dans la ville des Azôtiens et dans toute la contrée la mortalité et la maladie. lis périrent, en effet, de dysenterie, mal cruel et qui entraînait très rapidement la décomposition, avant que l’âme eût quitté le corps par une mort normale : ils rejetaient leurs entrailles toutes rongées et complètement détruites par la maladie. De plus, une multitude de souris[3], sorties de terre, ravageaient tout ce qui couvrait le sol, sans épargner ni plantes, ni fruits. Au milieu de pareilles calamités, les Azôtiens, incapables de résister à ces fléaux, comprirent que c’était l’arche qui en était cause et que leur victoire et la capture de cette arche ne leur avaient pas porté bonheur. Ils envoient donc des messagers aux Ascalonites[4] pour leur demander de recevoir l’arche chez eux. Ceux-ci accueillirent sans déplaisir la requête des Azôtiens et leur rendirent volontiers ce service, mais ils n’eurent pas plus tilt reçu l’arche qu’ils se trouvèrent affligés des mêmes calamités : car l’arche apporta avec elle les maladies des Azôtiens chez ceux qui la reçurent de leurs mains. Aussi les Ascalonites s’en débarrassent, en la renvoyant à une autre ville. Mais là non plus elle ne put demeurer : accablés, en effet, par les mêmes maladies, les nouveaux détenteurs l’envoient dans les villes suivantes. Et c’est ainsi que l’arche se promène tour a tour parmi les cinq villes des Philistins, semblant imposer à chacune d’elles comme tribut de sa venue les maux qu’elle leur faisait souffrir.

2[5]. Les victimes, découragées par ces malheurs, dont le récit servait de leçon à tous les voisins de ne recevoir jamais chez eux une arche qui contait si cher, cherchèrent dès lors un moyen, un expédient pour s’en débarrasser. Les chefs des cinq villes, Gitta, Akkaron et Ascalon, ainsi que Gaza et Azôtos, se réunirent et délibérèrent sur la conduite à tenir. Au commencement, l’avis prévalait de renvoyer l’arche à ses propriétaires, car Dieu prenait fait et cause pour elle et c’était pourquoi ces fléaux s’y étaient attachés et la suivaient, s’abattant avec elle sur leurs villes. Quelques-uns toutefois soutenaient qu’il n’en fallait rien faire et ne pas commettre la méprise d’attribuer à l’arche l’origine de leurs maux ; il n’y avait pas en elle cette vertu et ce pouvoir ; jamais, en effet, si Dieu en avait tellement souci, il ne l’aurait laissée tomber aux mains des hommes. Ils les exhortaient donc à se tranquilliser et à supporter ces afflictions avec sérénité, ne leur attribuant d’autre cause que la nature elle-même, qui produit périodiquement des changements de ce genre dans les corps, dans la terre, dans les végétaux et enfin, dans tout ce qu’elle engendre[6]. Cependant sur toutes ces propositions l’emporta l’avis d’hommes qui, auparavant déjà, avaient prouvé la supériorité de leur intelligence et de leur sagacité, mais dans l’occurrence surtout parurent dire exactement ce que la situation comportait. Il ne fallait, déclarèrent-ils, ni renvoyer l’arche, ni la retenir, mais vouer à Dieu cinq images[7] d’or, une au nom de chaque ville, en offrande d’actions de grâce[8] à Dieu, parce qu’il avait pris soin de leur salut et leur avait conservé la vie quand ils allaient la perdre par suite de ces maladies auxquelles ils ne pouvaient plus résister[9], et puis autant de souris en or pareilles à celles qui avaient dévasté et ruiné leur pays. Ensuite, après les avoir placées dans un coffret et posées sur l’arche, on préparerait pour celle-ci un chariot neuf, on y attellerait des vaches avant fraîchement vêlé, on enfermerait et on retiendrait les veaux afin qu’ils ne retardassent pas leurs mères en les suivant, et afin que celles-ci, en peine de leurs petits, fissent plus de diligence[10] ; puis, quand on les aurait poussées, traînant l’arche, jusqu’à un carrefour, on les abandonnerait et on les laisserait libres de s’engager dans le chemin qu’elles choisiraient elles-mêmes. Si elles prenaient la route des Hébreux et montaient vers leur pays, il faudrait attribuer à l’arche l’origine de tous ces maux ; que si elles se dirigeaient ailleurs, « nous courrons, disaient-ils, la reprendre, assurés qu’elle ne possède aucun pouvoir de ce genre ».

3. On jugea que c’était bien parler, et aussitôt l’on conforma les actes aux paroles. Dociles au plan qu’on vient de dire, ils conduisent le chariot au carrefour et, l’avant laissé là, s’en retournent[11]. Puis, voyant les vaches aller tout droit, comme si quelqu’un les guidait, les chefs des Philistins suivirent, curieux de savoir où elles s’arrêteraient et chez qui elles allaient se tendre. Or, il existe un village de la tribu de Juta, du nom de Bethsamé[12] ; c’est là qu’arrivent les vaches ; une vaste et belle plaine s’offrait à leurs pas ; elles n’avancent pas davantage et arrêtent là le chariot[13]. Ce fut pour les habitants du village un spectacle et une joie. Comme on était dans la saison d’été où tout le monde se trouvait aux champs pour la récolte des blés, dès qu’il voient l’arche, saisis d’allégresse, ils laissent là leur travail et accourent incontinent vers le chariot. Puis, s’étant saisis de l’arche et du coffret qui renfermait les images et les souris, ils les placent sur un rocher qui se trouvait dans la campagne et, après avoir offert un magnifique sacrifice à Dieu et célébré un festin, ils brillèrent en holocauste chariot et boeufs. Ce qu’avant vu, les chefs des Philistins s’en retournèrent chez eux[14].

4. Cependant la colère et l’indignation de Dieu frappe soixante-dix hommes[15] du village de Bethsamé qu’il foudroie pour s’être approchés pie l’arche, alors qu’ils n’avaient pas le droit d’y porter la main, n’étant pas prêtres[16]. Les habitants du village pleurèrent ces victimes : ils célébrèrent pour eut le deuil que comporte un malheur envoyé par Dieu. et chacun en particulier se lamentait sur son mort. Puis, se reconnaissant eux-mêmes indignes de conserver l’arche par devers eux, ils firent savoir à l’assemblée générale des Hébreux que l’arche leur avait été restituée par les Philistins. Les Hébreux, dès qui ils l’apprirent, la transportèrent à Kariathiarima[17], ville proche des Bethsamites : et comme là vivait un homme de la race des Lévites Aminadab(os)[18]. réputé pour sa justice et sa piété, ils amenèrent l’arche dans sa demeure, comme en un endroit digne de Dieu, puisqu’elle était habitée par un juste. Les fils[19] de cet homme gardèrent l’arche et furent commis à ce soin durant vingt ans : elle resta, en effet, tout ce temps à Kariathiarima, après avoir passé quatre mois[20] chez les Philistins.

 

— II —

1. Exhortation de Samuel aux Hébreux : il les conduit à Masphaté. — 2. Expédition des Philistins. Victoire des Hébreux. — 3. Samuel reprend le pays précédemment conquis par les Philistins.

1[21]. Pendant tout le temps ou la ville des Kariathiarimites posséda l’arche, le peuple entier offrait des vœux et des sacrifices à Dieu et témoignait envers lui d’une piété et d’un zèle exemplaires. Le prophète Samuel, témoin de leur ardeur, trouva l’occasion belle, devant de telles dispositions, pour leur parler de la liberté et des bienfaits qu’elle apporte ; il leur tint le langage qu’il jugea le plus propre à lui concilier leurs esprits et à les persuader : « Hommes, leur dit-il, pour qui aujourd’hui encore les Philistins sont des ennemis pesants, mais à qui Dieu commence à devenir propice et bienveillant, vous ne devez pas vous contenter d’aspirer à la liberté, mais agir aussi de façon à la conquérir, ni vous borner à vouloir être délivrés de vos tyrans, tout en continuant à vous comporter de manière à perpétuer votre esclavage. Soyez donc justes et, en chassant le mal de vos âmes et en cultivant la vertu[22], tournez-vous vers la divinité de toute votre pensée et persévérez dans son culte : cette conduite vous vaudra le bonheur, l’affranchissement de la servitude et la victoire sur vos ennemis, avantages qu’on ne peut acquérir ni par les armes, ni par la vigueur physique, ni par le nombre des combattants : car ce n’est pas à ces mérites-là que Dieu promet de tels biens, c’est à une vie de vertu et de justice. C’est moi qui me porte envers vous garant de ses promesses[23]. » À ces paroles, le peuple répondit par des acclamations : heureux de cet encouragement, il promit de se conduire en sorte de plaire à Dieu. Samuel les mène alors dans une ville appelée Masphaté[24], ce qui signifie lieu en lieu dans la langue des Hébreux. Là, s’étant approvisionnés d’eau, ils font des libations à Dieu et, consacrant toute la journée au jeune, se livrent à la prière.

2[25]. Cependant leur rassemblement en cet endroit ne passe pas inaperçu des Philistins ; ceux-ci, informés de leur réunion, marchent contre les Hébreux en forces considérables, dans l’espoir de les surprendre sans défiance et sans préparatifs. Cette attaque les bouleverse et les plonge dans la confusion et la terreur. Accourus auprès de Samuel, ils lui déclarent que leur courage est abattu par la peur et le souvenir de leur précédente défaite. « C’est pour cela, disent-ils, que nous restions tranquilles, de peur d’attirer sur nous les forces ennemies. Or, tandis que tu nous réunissais pour des prières, des sacrifices et des serments, voici que les ennemis tombent sur nous qui sommes nus et sans armes : aussi n’avons-nous d’espoir de salut qu’en toi seul et qu’en Dieu. si tu obtiens de lui que nous puissions échapper aux Philistins. » Samuel les engage à se rassurer, et leur annonce que Dieu les secourra. Et, avant pris un agneau de lait, il le sacrifie pour le salut du peuple et supplie Dieu d’étendre sa droite au-dessus d’eux pour les protéger dans la bataille contre les Philistins et ne pas leur laisser subir un second revers. Dieu daigne exaucer ses prières : il accepte le sacrifice dans une pensée propice et secourable, et leur promet la victoire et le triomphe. Dieu maintenait encore la victime sur l’autel et ne l’avait pas encore fait entièrement consumer par la flamme sacrée, quand l’armée ennemie sort de son camp et se range en bataille avec l’espoir de vaincre, croyant les Juifs[26] dans le désarroi, eux qui n’avaient pas d’armes et n’étaient pas venus là dans l’intention de combattre. Mais l’événement fut tel que. le leur eût-on prédit, les Philistins auraient eu peine à le croire. Tout d’abord, en effet, Dieu les trouble, par un tremblement de terre et rend le sol vacillant et incertain sous leurs pas, de sorte que ses ébranlements les faisaient chanceler sur leurs jambes, et quand le sol s’ouvrait, ils étaient engloutis dans les crevasses[27] : puis, avant fait retentir le tonnerre et brûler autour d’eux les flammes de la foudre comme pour leur brûler les veux, enfin leur arrachant les armes des mains, il les met en déroute tout dépouillés. Mais Samuel marche contre eux avec le peuple et, après en avoir massacré beaucoup, les poursuit jusqu’à un certain endroit appelé Corraea[28]. Là, il érige une pierre, pour marque de la victoire et de la fuite des ennemis, et il l’appelle Pierre Forte[29], comme symbole de la force que Dieu leur avait prêtée contre leurs ennemis.

3. Ceux-ci, après cette défaite, n’osèrent plus attaquer les Israélites ; la crainte et le souvenir de leur désastre les firent demeurer en repos. Et l’assurance qui animait autrefois les Philistins contre les Hébreux passa dans le coeur de ces derniers après la victoire. Samuel, avant fait campagne contre eux, en fait périr beaucoup, humilie complètement leur orgueil et leur enlève le pays qu’ils avaient arraché précédemment aux Juifs après leur victoire ; c’était la région qui s’étend depuis la frontière de Gitta jusqu’à la ville d’Akkaron[30]. À cette époque-là, les Israélites vivaient en bonne amitié avec ce qui restait des Chananéens.

 

— III —

1. Samuel juge le peuple. — 2. Inconduite des fils de Samuel. — 3. Le peuple réclame un roi, chagrin de Samuel. — 4. Dieu l’apaise et le charge d’élire un roi. — 5. Samuel expose au peuple les inconvénients de la monarchie. — 6. Instances du peuple ; Samuel cède.

1[31]. Le prophète Samuel. avant réparti le peuple et assigné (à chaque groupe) une ville[32], leur ordonna de s’y rendre pour y faire juger les différends qui s’élèveraient entre eux. Lui-même venait deux fois l’an[33] dans ces villes pour leur rendre la justice et il fit régner un ordre parfait pendant longtemps.

2[34]. Dans la suite, appesanti par la vieillesse et empêché de remplir ses fonctions habituelles, il remet à ses fils le pouvoir et le gouvernement du peuple ; l’aîné s’appelait Yôel, le second avait nom Abira[35]. Il établit que le premier siégerait et jugerait dans la ville de Béthel et le second à Barsoubai[36], soumettant ainsi à chacun d’eux la moitié du peuple. Mais ceux-ci démontrèrent clairement par leur exemple qu’on peut dans sa conduite ne pas ressembler à ses parents de braves et honnêtes gens peuvent être fils de méchants[37]... ceux-ci au contraire se rangèrent dans la classe des méchants, fils de gens de bien. S’écartant, en effet, des moeurs de leur père pour prendre un chemin tout opposé, ils trahissaient la justice pour des présents et des profits honteux, rendaient leurs sentences, non pas selon l’équité, mais selon leur intérêt, et s’abandonnaient à une vie de volupté et de festins somptueux ; par cette conduite ils offensaient à la fois Dieu et le prophète, leur père, qui dépensait tant de zèle et de soins pour inculquer même à la multitude l’idée de justice.

3[38]. Le peuple[39], voyant les attentats commis contre le régime et les institutions antérieures par les fils du prophète, était fort mécontent de leur conduite ; ils accourent ensemble auprès de Samuel, qui habitait dans la ville d’Armatha, lui dénoncent les dérèglements de ses fils et ajoutent. que déjà vieux comme il l’est, affaibli par l’âge, il ne peut plus diriger les affaires ainsi qu’auparavant ; ils le prient donc instamment de leur désigner un roi pour gouverner le peuple et tirer vengeance des Philistins, qui leur doivent encore des comptes pour leurs injures passées. Ces paroles chagrinèrent fort Samuel, à cause de sa droiture naturelle et de sa répulsion pour les rois , car il était fort attaché au gouvernement aristocratique, qu’il tenait pour divin et propre à faire le bonheur de ceux qui l’adoptaient. Dans les soucis et les tourments que ces révélations lui causèrent, il perdit le manger et le dormir et passa toute la nuit à rouler mille pensées touchant ces affaires[40].

4[41]. Comme il était dans cet état d’esprit, la divinité lui apparaît et l’exhorte à ne pas s’offenser des revendications du peuple, car ce n’était pas lui qu’ils avaient dédaigné, c’était Dieu même, ne voulant plus de celui-ci seul pour roi ; et cette démarche-là, c’était depuis le jour où il les avait fait sortir d’Égypte qu’ils la méditaient. Mais ils ne tarderaient pas à être saisis de douloureux regrets. « Regrets qui n’empêcheront rien de ce qui doit arriver de s’accomplir, mais qui confondront leur mépris et leur ingratitude envers moi et envers ton autorité de prophète. Je t’ordonne donc de leur élire un roi que je te désirerai moi-même. après que tu les auras prévenus de quels maux ils seront victimes sous le gouvernement d’un roi et avertis hautement dans quelle révolution ils se jettent. »

5[42]. Avant entendu ces paroles, Samuel, dès l’aube, convoqua les Juifs[43] et dit qu’il consentait à leur désigner un roi, mais qu’il devait d’abord leur exposer en détail ce qui leur adviendrait sous des rois et de combien de maux ils seraient accablés. « Sachez, en effet, que d’abord ils vous enlèveront vos enfants, qu’ils obligeront les uns à devenir conducteurs de chars, les autres cavaliers et gardes du corps. d’autres coureurs, commandants de mille et de cent hommes ; ils feront d’eux aussi des artisans, des fabricants d’armes, de chars, d’instruments, des cultivateurs qui devront travailler leurs champs et creuser leurs vignobles. Il n’est rien enfin qu’on ne leur fera faire comme à des esclaves achetés à prix d’argent. Quant à vos filles, on les emploiera comme parfumeuses, cuisinières, et boulangères, et on leur imposera tous les travaux qu’exécutent les servantes par peur des coups et des tortures. Ils vous prendront votre avoir et en feront cadeau à leurs eunuques et à leurs gardes du corps ; et ils distribueront vos troupeaux de bêtes à leurs créatures. En un mot, vous serez asservis avec tous les vôtres au roi : et deviendrez les égaux de vos propres domestiques : alors, les souffrances que vous éprouverez vous feront souvenir de ces paroles, et, dans votre repentir, vous supplierez Dieu de vous prendre en pitié et de vous accorder une prompte délivrance de la domination royale. Mais lui n’exaucera pas vos prières, il vous repoussera et vous laissera subir la juste peine de votre mauvais dessein. »

6[44]. Cependant, même à ces prédictions d’avenir, le peuple demeurait sourd, et il était malaisé de chasser de leur pensée une résolution déjà arrivée, rebelle à tout raisonnement. En effet, ils ne changèrent pas de sentiment et ne se soucièrent pas des paroles de Samuel, mais ils le pressurent vivement, insistant pour qu’il élût sur l’heure un roi, sans se préoccuper de l’avenir. Car, pour tirer vengeance de leurs ennemis, il fallait qu’ils eussent un chef qui combattit avec eux, et il n’y avait rien de déraisonnable, si leurs voisins étaient gouvernés par des rois, qu’ils eussent la même forme de gouvernement. Samuel. voyant que, loin d’être retournés par ses paroles, ils ne faisaient que s’opiniâtrer : « Pour le moment, dit-il, retirez-vous chacun chez vous. je vous manderai quand il sera nécessaire, dès que j’aurai appris de Dieu quel roi il vous donne. »

 

— IV —

1. Saül à la recherche des ânesses de son père : sa rencontre avec Samuel. — 2. Samuel oint Saül et lui fait des prédictions. — 3. Discrétion de Saül. — 4. Samuel convoque le peuple. — 5. Il tire au sort la royauté. Nomination de Saül.

 

1[45]. Or, il y avait dans la tribu de Benjamin un homme de bonne naissance et de mœurs honnêtes, nommé Kis(os). Il avait un fils, jeune homme grand et bien fait, et qui brillait encore plus par son courage et son intelligence que par ses avantages extérieurs : on l’appelait Saül. Ce Kis, un jour que de belles ânesses de son troupeau s’étaient égarées loin du pâturage, comme elles lui étaient plus chères que tout ce qu’il possédait, envoya son fils avec un serviteur à la recherche de ces bêtes. Celui-ci, après avoir parcouru la tribu paternelle en quête des ânesses, s’en alla dans les autres tribus[46] ; ne les avant pas trouvées davantage, il songeait à s’en retourner, de crainte que son père ne fût en peine à son sujet. Cependant, quand ils arrivèrent à la ville d’Armatha[47], le serviteur qui l’accompagnait lui dit qu’il y avait là un prophète véridique et lui conseilla d’aller le trouver, pour savoir de lui ce qui était advenu des ânesses. Saül objecta que, s’ils allaient chez le prophète, ils n’avaient rien à lui offrir eu échange de son oracle, car leur argent de route était déjà épuisé. Là-dessus, le serviteur déclara qu’il lui restait un quart de sicle et qu’il le donnerait, — ils ne savaient pas que le prophète n’acceptait point de salaire, d’où leur erreur[48] ; — ils se dirigent donc vers la ville, et avant rencontré près des portes des jeunes filles qui allaient à la fontaine, ils leur demandent la maison du prophète. Celles-ci la leur indiquent et les engagent à se hâter, avant que le prophète n’aille souper ; car il avait beaucoup de convives et se mettait à table avant ses invités[49]. Or, c’était pour cela même que Samuel avait convoqué tant de monde à ce repas ; il avait, en effet, demandé tous les jours à Dieu de lui annoncer qui il devait faire roi et, la veille, Dieu le lui avait désigné, disant qu’il lui enverrait lui-même un jeune homme de la tribu de Benjamin, précisément à cette heure. Assis sur la terrasse de sa maison[50], Samuel attendait que le temps fût écoulé, et, le moment venu, il descendit pour aller dîner. Ce faisant, il rencontre Saül, et Dieu lui révèle que c’est celui-là qui règnera. Cependant Saül s’approche de Samuel, le salue et le prie de lui indiquer la demeure du prophète parce que, étant étranger dans la ville. il l’ignorait. Samuel lui déclare que le prophète c’est lui et l’emmène au festin, l’assurant que les ânesses qu’on l’avait envoyé chercher étaient sauves et que tous les biens imaginables seraient son partage[51]. Saül lui réplique : « Seigneur, je suis trop peu de chose pour concevoir une telle espérance : ma tribu est trop intime pour faire des rois, et ma maison de condition plus humble que les autres maisons. Tu railles et tu vas faire rire de moi en parlant de grandeurs hors de proportion avec mon origine[52]. » Cependant le prophète l’amène au repas, le fait asseoir, ainsi que son compagnon, au-dessus de tous les invités, qui étaient au nombre de soixante-dix[53] et prescrit aux serviteurs de poser devant Saül une portion royale. Puis, quand vint l’heure de se mettre au lit, les autres convives se levèrent et s’en retournèrent chacun chez soi, mais Saül coucha chez le prophète ainsi que son serviteur.

2[54]. Avec le jour, Samuel, l’avant fait lever de sa couche, le reconduisit, et, une fois hors de la ville, lui prescrivit de faire marcher son serviteur en avant et de demeurer seul en arrière : car il avait quelque chose à lui dire sans témoin[55]. Alors Saül renvoie son compagnon, et le prophète, avant pris l’huile sainte[56], la verse sur la tête du jeune homme et l’embrasse : « Sache, dit-il, que tu es élu roi par Dieu pour combattre les Philistins et pour défendre les Hébreux. Et en voici le signe que je vais t’annoncer. Quand tu seras parti d’ici, tu rencontreras sur ta route trois hommes[57] se dirigeant sur Béthel pour y adorer Dieu ; le premier portera trois pains, le second un chevreau[58], le troisième viendra à leur suite chargé d’une outre de vin. Ces gens te salueront, te feront des compliments et te donneront deux pains, et toi, tu les accepteras. De là, tu iras à l’endroit appelé Tombeau de Rachel, où tu trouveras quelqu’un[59] qui t’annoncera que tes finesses sont retrouvées. De là, tu viendras à Gabatha, où tu rencontreras des prophètes assemblés et, saisi d’un transport divin, tu prophétiseras avec eux, de sorte que quiconque t’apercevra sera frappé pie stupeur et dira tout étonné : « Comment un si grand honneur est-il arrivé au fils de Kis[60] ? » Quand ces signes te seront apparus, tu sauras que Dieu est avec toi ; puis tu iras embrasser ton père et tes parents. Mais tu viendras à Galgala, où je te rappellerai, afin que nous offrions à Dieu des sacrifices d’actions de grâce pour tous ces événements. » Après ces paroles et ces prédictions, il congédie le jeune homme. Et tout ce que Samuel avait annoncé à Saül ne manqua pas d’arriver.

3[61]. Quand il entra dans sa maison, son parent Abénar(os)[62], — c’était, de tous ses proches celui qu’il aimait le mieux, — le questionna sur les incidents de son voyage. Saül lui en raconta le détail sans rien cacher, comment il était arrivé chez le prophète Samuel, et comment ce dernier lui avait dit que les ânesses étaient retrouvées. Mais quant à la royauté et à ce qui y avait trait. estimant que ce récit exciterait la jalousie et la méfiance, il n’en dit mot, même à un homme qui lui semblait des plus bienveillants et qu’il chérissait le plus de tous ceux de son sang. il ne jugea pas prudent ou sape de confier ce secret, parce qu’il avait réfléchi, j’imagine, à ce qu’est en réalité la nature humaine : personne, ami ou parent, n’est bon d’une bonté à toute épreuve, ni ne conserve ses sentiments devant une situation aussi éclatante procurée par Dieu, mais tous se montrent jaloux et envieux à l’égard des supériorités[63].

4[64]. Samuel convoque ensuite le peuple dans la ville de Masphathé[65] et lui adresse ces paroles, parlant, dit-il, conformément aux instructions qu’il a reçues de Dieu : « Après que Dieu leur a procuré la liberté et asservi leurs ennemis, ils se montrent oublieux de ses bienfaits et répudient sa royauté, sans réfléchir à l’avantage qu’il y a d’être gouverné par le meilleur de tous et que le meilleur de tous, c’est Dieu ; au lieu de quoi ils préfèrent prendre pour roi un homme, qui se, servira de ses sujets comme de sa chose, selon sa fantaisie ou son caprice au gré de toutes ses autres passions, abusant sans pudeur du pouvoir ; qui, n’étant pas l’auteur et organisateur du genre humain, ne se souciera pas non plus de le préserver, alors que Dieu, pour cette raison même, en prend le plus grand soin. Mais, ajoute-t-il, puisqu’il vous plait ainsi, et que vous persistez dans votre dessein outrageant pour Dieu, rangez-vous tous par tribus et par maisons[66] et tirez au sort. »

5[67]. Les Hébreux ayant ainsi fait, le lot de la tribu de Benjamin sortit. Et quand on eut tiré dans celle-ci, ce fut la famille appelée Matris[68] qui fut désignée ; on tira enfin entre les individus de cette famille et la royauté échut au fils de Kis, à Saül. Sitôt informé, le jeune homme alla se retirer à l’écart[69], ne voulant pas, j’imagine, avoir l’air avide de prendre le pouvoir. Loin de là, il fit preuve d’une maîtrise de soi et d’une modestie surprenantes, car tandis que la plupart des hommes sont incapables de contenir leur joie devant les moindres succès et se précipitent pour se faire voir à tout le monde, lui non seulement ne manifesta rien de pareil pour avoir été élu roi et désigné comme le souverain de tant de peuples considérables, mais même se déroba loin de la vue de ses futurs sujets et les força à le chercher, non sans peine. Comme ils étaient embarrassés et inquiets de la disparition de Saül. le prophète supplia Dieu de leur indiquer où il se trouvait et de faire apparaître le jeune homme aux veux de tous. Dieu leur révèle l’endroit où se tenait caché Saül, Samuel l’envoie chercher, et, sitôt arrivé, le place au milieu du peuple. Or, il les dépassait tous de la tête, et sa stature lui donnait un air vraiment royal. Alors le prophète s’écrie : « Voici le roi que Dieu vous a donné. Voyez comment il est supérieur à tous et digne de commander. » Et comme le peuple l’acclamait aux cris de « Vive le roi ! », le prophète, ayant mis par écrit pour eux tout ce qui adviendrait dans l’avenir[70], leur en donna lecture, en présence du roi, puis il déposa le livre dans le tabernacle de Dieu, afin d’attester ses prédictions auprès des générations futures. Ceci accompli, Samuel congédie le peuple et se retire dans la ville d’Armatha, sa patrie. Saül, de son côté, partit pour Gabatha, d’où il était issu, beaucoup de gens de bien l’accompagnèrent en lui rendant les hommages dus à un roi, mais aussi plusieurs méchants qui affectaient de le mépriser, de railler ses amis, ne lui offraient pas de présents et ne témoignaient ni par des égards, ni par des paroles, d’aucune sympathie pour Saül.

 

— V —

1. Naas, roi des Ammanites, menace Jabès en Galaad ; les habitants demandent à envoyer un message aux Hébreux. — 2. Envoi au message : Saül promet son secours. — 3. Victoire de Saül ; sa popularité. — 4. Confirmation de l’élection de Saül. — 5. Samuel prend à témoin le peuple de l’intégrité de son gouvernement. — 6. Reproches de Samuel au peuple, orage miraculeux ; repentir du peuple.

1[71]. Cependant, un mois après[72], Saül commence à gagner le respect de tous par la guerre contre Naas(ès)[73] roi des Ammanites. Ce dernier, en effet, avait fait beaucoup de mal à ceux des Juifs[74]. établis de l’autre côté du Jourdain[75], qu’il attaqua avec une grande et forte armée. Il réduisit leurs villes en servitude, et, après avoir d’abord subjugué les hommes par la force et la violence, il s’attacha à les affaiblir pour l’avenir par sa malice et son habileté, de façon à détruire tout espoir de relèvement et d’affranchissement pour eux : en effet, aussi bien à ceux qui venaient à lui sur parole qu’à ceux qui étaient pris par droit de guerre, il faisait arracher l’œil droit. Il calculait — l’œil gauche étant déjà caché par le bouclier — qu’ils seraient ainsi tout à fait réduits à l’impuissance[76]. Le roi des Ammanites, après avoir ainsi traite veux qui habitaient au-delà du Jourdain, lit campagne contre le peuple appelé Galadéniens. Avant établi sou camp près de la capitale de ses ennemis nommée Jabès, il leur envoya des messagers pour les inviter a se rendre incontinent, en acceptant qu’on leur crevât l’œil droit ; sinon il les menaçait d’un siège et de la destruction de leurs villes : à eux de choisir, s’ils préféraient perdre une petite partie de leur corps ou le perdre tout entier. Les Galadéniens, frappés de terreur, n’osèrent rien répondre ni dans un sens, ni dans l’autre, ne sachant s’ils voulaient se rendre ou résister, ils demandèrent un délai de sept jours afin d’envoyer un message à leurs frères pour les prier de leur porter secours ; alors si l’on venait à leur aide, ils lutteraient, s’il n’y avait aucun espoir d’assistance. ils se rendraient au roi, prêts à souffrir ce que bon lui semblerait.

2. Naas, plein de mépris pour le peuple des Galadéniens et leur réponse, leur accorde le sursis désiré et leur permet d’envoyer un message à tous les alliés qu’ils voudraient. Ayant donc dépêché aussitôt vers chaque ville, ils annoncèrent aux Israélites les menaces de Naas et l’extrémité où ils étaient réduits. Ceux-ci se livrèrent aux larmes et à la douleur en entendant ce qui était arrivé aux Jabiséniens, mais la crainte ne leur permit pas d’oser davantage. Cependant, quand les messagers furent arrivés dans la ville du roi Saül et eurent raconté le péril de ceux de Jabis, le peuple se borna à gémir, comme celui des autres villes, sur le malheur de ses frères. Saül, qui rentrait du travail des champs, rencontre ses concitoyens éplorés, et, leur ayant demandé la raison de leur désespoir et de leur abattement, apprend le rapport des messagers. Alors. saisi de l’inspiration divine, il congédie les Jabiséniens avec promesse de leur venir en aide le troisième jour[77] et de triompher des ennemis avant l’aube, afin que le soleil à son lever les vit déjà vainqueurs et affranchis de leurs craintes. Il pria quelques-uns d’entre eux de rester avec lui afin de lui servir de guides.

3[78]. Pour déterminer le peuple par la crainte du châtiment à partir en guerre contre les Ammanites et les faire se rassembler le plus vite possible, il trancha les nerfs à ses bœufs et menaça de traiter de même les réfractaires[79], ceux qui ne viendraient pas en armes le jour suivant près du Jourdain. prêts à le suivre, lui, ainsi que le prophète Samuel, partout où ils voudraient les mener. Les Israélites, effrayés par cette menace, se rassemblèrent au moment fixé ; il dénombra leur multitude dans la ville de Baia[80] et les trouva réunis au nombre de sept cent mille[81], indépendamment de la tribu de Juda : cette dernière comptait soixante-dix mille hommes[82]. Avant franchi le Jourdain et marché pendant toute la nuit l’espace de dix schènes[83], il arrive avant le lever du soleil et, après avoir partagé en trois son armée, il tombe soudain de tous les côtés sur les ennemis qui ne s’y attendaient pas ; le combat engagé, il massacra une quantité d’Ammanites et le roi Naas lui-même[84]. Cet éclatant exploit accompli par Saül répandit parmi tous les Hébreux ses louanges et procura à sa vaillance un renom merveilleux. En effet, s’il s’était trouvé précédemment des gens pour faire peu de cas de lui, ils changèrent alors de sentiment pour l’honorer et le considérer comme le premier entre tous. Car il ce lui suffit pas d’avoir sauvé la vie aux Jabiséniens, mais il pénétra dans le pays des Ammanites, le ravagea tout entier et revint dans sa patrie chargé d’un borin considérable. Le peuple, dans sa joie des liants faits de Saül, se félicitait d’avoir élu un tel roi, et se retournant contre ceux qui avaient prétendu qu’il ne servirait en rien leurs intérêts. Il s’écriait : « Où sont-ils aujourd’hui, ceux-là ? » et « Qu’ils soient châtiés ! » enfin, tout ce qu’a coutume de vociférer une foule grisée par des succès contre ceux qui en dénigraient tout à l’heure les auteurs. Quant à Saül, il accueillait avec reconnaissance leurs témoignages de bienveillance et leur zèle pourra personne, mais il jura qu’il ne souffrirait pas qu’en un tel jour on mit à mort aucun de ses frères : il serait insensé de souiller la victoire due à Dieu par une effusion de sang et le meurtre d’hommes de leur race : il convenait plutôt de célébrer une fête dans des sentiments de mutuelle concorde.

4[85]. Samuel déclare encore qu’il faut par une deuxième élection confirmer la royauté de Saül, et tous se réunissent dans la ville de Galgala : car c’est là qu’il leur avait prescrit de se rendre. Et de nouveau, à la vue de tout le peuple, le prophète répand l’huile sainte sur la tête de Saül et pour la seconde fois le proclame roi. C’est ainsi que le gouvernement des Hébreux se changea en monarchie. En effet, sous Moïse et son disciple Josué, qui fut général en chef, ils vécurent sous un régime aristocratique. Après la mort de ces derniers, pendant une durée totale de dix-huit années[86], le peuple resta dans l’anarchie. Ensuite, ils revinrent à leur premier régime. confiant l’autorité suprême à l’homme qui avait paru le plus éminent par son courage et sa capacité à la guerre : et c’est pourquoi ils appelèrent cette période de leur vie politique « période des Juges ».

5[87]. Le prophète Samuel, avant réuni les Hébreux en assemblée, s’exprima en ces termes : « Je vous adjure, par le Dieu suprême qui appela à la vie ces deux frères illustres, je veux dire Moïse et Aaron. qui a délivré nos pères des Égyptiens et de leur servitude, de vous avancer sans fausse honte. sans vous laisser paralyser par la crainte ou tout autre sentiment, et de déclarer si j’ai rien fait d’oblique et d’injuste par amour du lucre ou par cupidité ou par faveur. Ne craignez pas de m’accuser, si j’ai détourné quelque chose comme veau ou brebis[88], — qu’on peut cependant sans crime recevoir pour sa nourriture, — ou si j’ai contristé quelqu’un en lui confisquant sa bête de somme pour mon propre usage ; si j’ai encouru un grief de ce genre, qu’on l’articule en présence de votre roi. » Sur cela tous s’écrièrent qu’il n’avait rien fait de semblable et qu’il avait gouverné le peuple saintement et équitablement.

6[89]. Alors Samuel, devant ce témoignage unanime : « Puisque vous avez reconnu, dit-il, que vous n’avez rien eu à me reprocher, laissez-moi maintenant vous dire en toute franchise quelle grande impiété vous avez commise envers Dieu en réclamant un roi. Il fallait vous souvenir que c’est avec soixante-dix personnes seulement de notre race que notre ancêtre Jacob, poussé par la famine, se rendit en Égypte. Là, après que sa postérité, infiniment multipliée, fut par les Égyptiens réduite a l’esclavage et soumise a de durs sévices, Dieu, sur la prière de nos pères, sans recourir à un roi, leur permit de se délivrer de cette contrainte en leur envoyant les deux frères, Moïse et Aaron, qui vous conduisirent dans ce pays que vous occupez maintenant. Après avoir joui de ce bienfait de Dieu, vous avez trahi son culte et sa religion. Et malgré tout, quand vous êtes tombés sous la main des ennemis. il vous a délivrés, d’abord en vous faisant triompher des Assyriens[90] et de leur puissance, puis en vous procurant la victoire sur les Ammanites et les Moabites, et enfin sur les Philistins. Tout cela, ce n’est pas sous la conduite d’un roi que vous l’avez accompli, c’est avec Jephté et Gédéon pour chefs. Quelle démence vous a donc poussés à fuir votre Dieu et à souhaiter d’être soumis à un roi ? J’ai consenti cependant à désigner celui que Dieu même a élu. Toutefois, pour que vous sachiez clairement que Dieu est courroucé et mécontent que vous ayez introduit la royauté, je vous le ferai révéler par des signes irréfragables. Une chose dont personne d’entre vous n’a jamais oui parler. une tempête au cœur de l’été, voilà ce qu’après avoir prié Dieu je vais maintenant vous faire contempler. » Samuel avait à peine fini de parler au peuple, que la divinité atteste par des coups de tonnerre, des éclairs et une averse de prèle la véracité de toutes les paroles du prophète. Frappés de stupeur et d’épouvante, ils confessèrent qu’ils avaient péché, égarés par l’ignorance, et supplièrent le prophète. comme un père bon et indulgent, de leur rendre Dieu propice et de leur faire remise de cette faute qu’ils avaient ajoutée à tant d’autres rébellions et transgressions. Samuel promet qu’il suppliera Dieu de leur pardonner et essaiera de le fléchir ; il les exhorte cependant à être justes et vertueux et à se souvenir toujours des maux que leurs défaillances ont déchaînés sur eux, des miracles de Dieu et de la législation de Moïse, s’ils ont le désir d’être sauvés et de vivre heureux sous un roi. Que s’ils négligeaient ces avis, il viendrait, disait-il, sur eux et sur le roi une grande calamité envoyée par Dieu. Samuel, avant fait ces prophéties aux Hébreux, les congédia dans leurs foyers, après avoir consacré pour la seconde fois la royauté de Saül.

 

— VI —

1. Guerre avec les Philistins : terreur des Hébreux. — 2. Saül méconnaît les instructions de Samuel, les Hébreux impuissants devant les incursions des Philistins : exploits de Jonathan. — 3. Victoire de Saül : mesure prise par lui pour assurer la défaite complète de l’ennemi : Jonathan, par ignorance, enfreint ses ordres. — 4. Cérémonies après la victoire. — 5. Découverte de la faute involontaire de Jonathan. il est sauvé par le peuple. — 6. Succès de Saül dans d’autres guerres.

1[91]. Saül, avant choisi parmi le peuple environ trois mille hommes, en prit pour son compte dette mille comme gardes du corps et vécut dans la ville de Béthel ; il donna les autres comme gardes à son fils Jonathan[92] et les envoya à Gaba[93]. Ce dernier s’empare, après un siège, d’un fort des Philistins non loin de Galgala[94]. En effet, les Philistins de Gaba, après avoir mis les Juifs en déroute, les avaient dépouillés de leurs armes et occupaient avec des garnisons les positions les plus fortes de la contrée : ils défendaient aux vaincus de porter sur eux du fer et même de faire autan usage de ce métal[95]. Par suite de cette interdiction, les laboureurs avaient-ils besoin de réparer un instrument de travail, soc ou hoyau ou quelque autre outil nécessaire à l’agriculture, ils allaient continuellement chez les Philistins faire ces réparations. Quand les Philistins apprirent la destruction de leur fortin, furieux et ressentant vivement le mépris de cette injure. ils marchent contre les Juifs avec trois cent mille fantassins et trente mille chars de guerre ; ils emmenaient aussi six mille cavaliers[96]. Ils vont camper prés de la ville de Machmà[97]. Dès qu’il en eut la nouvelle, Saül, le roi des Hébreux, descend vers la ville de Galgala, et envoie des hérauts à travers tout le pays qui convoquent le peuple, s’il veut la liberté, à marcher en guerre contre les Philistins ; il rabaissait leur puissance et la présentait comme si négligeable qu’il n’y avait aucune crainte à se mesurer avec eux. Cependant, quand ils eurent considéré la multitude des Philistins, les gens de Saül furent frappés de terreur : les uns se cachèrent dans des cavernes et des chemins souterrains, la plupart s’enfuirent de l’autre côté du Jourdain, dans le pays de Gad et de Roubel[98].

2[99]. Saül adressa alors un message au prophète, et le manda prés de lui pour conférer ensemble au sujet de la guerre et de la situation. Samuel lui prescrivit (le l’attendre sur place et de préparer des victimes ; dans six jours il viendrait le rejoindre, afin de sacrifier le septième, après quoi on livrerait bataille aux ennemis. Saül attend d’abord, ainsi que le prophète le lui avait mandé ; cependant il n’observa pas jusqu’au bout sa recommandation, mais lorsqu’il vit que le prophète tardait à venir et que ses soldats commençaient à déserter, il saisit lui-mime les victimes et les immola. : ce moment il entendit que Samuel approchait et sortit à sa rencontre. Celui-ci lui reprocha d’avoir mal agi en désobéissant à ses ordres et en devançant son arrivée, alors qu’il se conformait à la volonté ale Dieu en venant présider aux prières et aux sacrifices pour le salut du peuple . le roi avait ainsi mal accompli les rites et fait preuve de précipitation. Saül s’excusa, alléguant qu’il avait attendu le nombre de jours fixé par le prophète, mais que la nécessité, la débandade de ses troupes effrayées, le camp des ennemis planté à Machma, la nouvelle qu’ils allaient descendre contre lui à Galgala l’avaient déterminé à boiter le sacrifice. Alors Samuel reprenant : « En vérité, dit-il, si tu avais été juste et ne m’avais pas désobéi, si tu n’avais pas fait trop bon marché des avis que Dieu m’a donnés sur la situation présente, en te hâtant plus que de raison, il t’aurait été donné d’avoir un règne plus long, toi et ta postérité. » Samuel, affligé de cet incident, s’en retourna chez lui, et Saül, n’avant que six cents combattants, vint seul avec son fils Jonathan dans la ville de Gabaon. La plupart de ses hommes n’avait pas d’armes, le pars manquant de fer et de bras capables de forger des armes : car les Philistins, ne le permettaient pas, ainsi que nous venons de le dire. Les Philistins avaient divisé leur armée en trois corps et cheminant par autant de routes, envahirent et ravagèrent le pays des Hébreux sous les veux de Saül, leur roi, et de son fils Jonathan, incapables de défendre leur sol, puisqu’ils n’avaient pu réunir que six cents hommes. Assis[100] avec le grand-prêtre Achias, descendant du grand-prêtre Éli, sur une colline élevée, Saül et son fils contemplaient leur pays dévasté, eu proie à une anxiété douloureuse. Alors le fils de Saül propose a son écuyer de se glisser seuls en secret dans le campement de ses ennemis et d’y jeter le désordre et la confusion L’écuyer déclare qu’il suivra son maître avec empressement partout où il le mènera, fallut-il périr : Jonathan, escorté du jeune homme, descend du haut de la colline et se dirige vers les ennemis. Or, le camp des ennemis occupait un lieu escarpé, flanqué tout alentour de trois promontoires[101] rocheux, formant des crêtes allongées et étroites, qui servaient comme de remparts pour le défendre coutre tout coup de main. En conséquence, on ne se préoccupait pas de la garde du camp, l’endroit étant naturellement sûr de tous côtés, et l’un pensait qu’il était absolument impossible non seulement de gravir ces promontoires, mais même de s’en approcher. Quand donc ils arrivèrent au retranchement, Jonathan encouragea l’écuyer : « Abordons l’ennemi, dit-il ; si, quand ils nous auront aperçus, ils nous invitent à monter vers eux, vois là un présage de victoire ; s’ils ne disent rien, s’ils ne nous appellent pas, nous rebrousserons chemin. » Comme ils se rapprochaient du camp des ennemis, au moment où le jour commençait à poindre, les Philistins, les ayant aperçus, se dirent les uns aux autres : « Voici les Hébreux qui sortent de leurs souterrains et de leurs cavernes », et, s’adressant à Jonathan et à son écuyer : « Allons, s’écriaient-ils, venez à nous, pour recevoir le juste châtiment de vos témérités. » Le fils de Saül accueille ce propos comme un augure de victoire ; tout d’abord il se retire de l’endroit d’où ils avaient été signalés par l’ennemi, file à côté et gravit le rocher, si peu accessible qu’on l’avait laisse dépourvu de gardes. De là, en rampant, avec beaucoup de peine, ils forcent les obstacles naturels du lieu et parviennent à s’élever jusqu’aux ennemis ; ils les surprennent en plein sommeil, en tuent une vingtaine, et jettent parmi eus tant de trouble et de consternation que plusieurs s’enfuient en se débarrassant de leurs armes ; la plupart ne se reconnaissent pas eux-mêmes, à cause des diverses nationalités qui composaient leur armée, et se prennent mutuellement pour des ennemis : ils ne pouvaient, en effet, s’imaginer que ces deux Hébreux fussent, seuls, montés jusqu’à eux. Ainsi ils se jettent les uns sur les autres ; ceux-ci périssent massacrés ; ceux-là en fuyant et se bousculant, sont précipités en bas des rochers.

3[102]. Les espions de Saül ayant rapporté au roi que le camp des Philistins paraissait en désarroi, Saül demanda si quelqu’un des siens s’était écarté. Il apprend que son fils et, avec lui, son écuyer se sont absentés ; alors il ordonne au grand prêtre de revêtir sa robe sacerdotale et de lui prophétiser l’avenir. Le grand prêtre déclare que la journée lui apportera victoire et gloire sur ses ennemis ; là-dessus le roi s’élance contre les Philistins et tombe sur eux quand ils sont en plein désordre, en train de se massacrer entre eux. Alors, à la nouvelle que Saül est vainqueur, accourent se joindre à lui ceux qui auparavant s’étaient réfugiés dans les souterrains et les cavernes. Se voyant à la tête de quelque dix mille Hébreux, il poursuit les ennemis épars de tous côtés. Mais entraîné soit par l’excès de joie d’une victoire inespérée — il arrive, en effet, que la raison succombe dans une pareille fortune, — soit par son ignorance, il commet une faute lourde et très digne de blâme. Dans son ardeur de se venger lui-même et d’infliger un châtiment aux Philistins, il déclare avec imprécation aux Hébreux, que quiconque s’avisera d’interrompre le massacre des ennemis et de prendre de la nourriture avant que la nuit mette fin au carnage et à la poursuite, celui-là sera maudit. Après que Saül eut ainsi parlé, on arriva dans une forêt de chines, profonde et remplie d’abeilles, sur le territoire d’Éphraïm ; là, le fils de Saül, qui n’avait pas entendu l’imprécation de son père, ni l’approbation qu’elle avait reçue de la multitude, détache un rayon de miel[103] et commence à le manger. À ce moment, on l’informe que son père a défendu, sous une imprécation redoutable, qu’on goûtât quoi que ce fut avant le coucher du soleil, il cesse alors son repas, mais critique la défense de son père : on aurait mis, dit-il, plus de vigueur et de fougue dans la pour-suite, si l’on avait pris un peu de nourriture. et ainsi l’on aurait capturé et massacré un beaucoup plus grand nombre d’ennemis.

4[104]. Après avoir ainsi tailla en pièces de nombreuses myriades de Philistins, aux approches du soir ils se livrent au pillage du camp ennemi, s’emparent d’une quantité de butin et de têtes de bétail, les immolent et se mettent à en consommer la chair toute sanglante. Cependant le roi est informé par les scribes que le peuple commet un péché envers Dieu en sacrifiant et eu mangeant avant d’avoir dûment fait écouler le sang et purifié les chairs[105]. Alors Saül commande qu’on roule une grosse pierre au milieu de l’armée et fait proclamer l’ordre que le peuple immole les victimes sur cette pierre et ne consomme pas les chairs avec le sang : car cela n’était pas agréable à Dieu. Cela fait par tous, selon tes instructions du roi, Saül érige en ce lieu un autel et y offre des holocaustes à Dieu. Ce fut le premier autel qu’il construisit.

5[106]. Comme il voulait conduire sur-le-champ l’armée au retranche-ment ennemi. pour y faire main basse avant le jour sur ce qu’il renfermait et que les soldats. loin d’hésiter à le suivre. témoignaient d’une grande ardeur à se conformer à ses ordres, le roi fit venir le grand prêtre Achitôb(os)[107] et lui commanda de s’informer si Dieu leur accordait et leur permettait. une fois entrés dans le camp des ennemis, d’y mettre à mort ceux qui s’y trouvaient. Le prêtre déclara que Dieu ne répondait pas. « Ce n’est certes pas sans motif, dit alors Saül, que Dieu ne donne pas de réponse à nos questions, lui qui naguère nous prévenait lui-même de toutes choses, et, sans qu’on l’interrogeât, s’empressait de parler : quelque faute secrète de notre part est cause de son silence. Pour moi, je le jure par ce Dieu, quel que soit le coupable, fût-ce mon fils Jonathan lui-même, je jure de le mettre à mort et d’apaiser Dieu ainsi, comme si je châtiais un étranger, quelqu’un qui ne me touchât en aucune façon. » Le peuple s’étant écrié qu’il devait en user ainsi, aussitôt il rassemble tout le monde en un même lieu, se place lui-même avec son fils d’autre part et demande au sort de designer le délinquant. Or c’est Jonathan qui fut désigné. Comme son père lui demandait ce qu’il avait fait, quelle faute il avait commise, et ce qu’il reconnaissait avoir accompli, pendant sa vie, d’illicite et d’impie. « Mon père, dit-il, je n’ai rien fait, si ce n’est qu’hier, dans l’ignorance de l’imprécation et du serment prononcés par toi, pendant que je poursuivais l’ennemi, j’ai goûté d’un rayon de miel. » Saül alors jura de le mettre à mort, respectant plus son serment que les doux liens de la paternité et de la nature. Jonathan n’est pas atterré par la menace de la mort, mais se dressant dans une attitude généreuse et magnanime : « Pour moi, dit-il, je ne te supplierai pas de m’épargner, mon père. Elle m’est très douce la mort subie en l’honneur de ta piété et à l’occasion d’une victoire magnifique ; car ce m’est un bien grand réconfort de laisser les Hébreux vainqueurs des Philistins[108]. » Ces mots émurent tout le peuple de douleur et de sympathie, et il jura de ne point permettre que l’artisan de la victoire. Jonathan, périt. Ainsi ils l’arrachent à la malédiction de son père ; eux-mêmes adressent des prières à Dieu en faveur du jeune homme, pour qu’il lui fasse remise de son péché.

6[109]. Alors Saül revint dans la ville après avoir détruit environ soixante mille ennemis[110]. Il gouverne heureusement et, ayant guerroyé contre les peuplades voisines, soumet celles des Ammanites et des Moabites ainsi que les Philistins, les Iduméens et les Amalécites et le roi de Sôba[111]. Il eut trois fils : Jonathan, Jésous[112] et Melchis(os)[113], et deux filles, Mérobé[114] et Michal(a)[115]. Comme général, il employa le fils de son oncle paternel, Abner (Abennèros)[116]. Cet oncle s’appelait Ner(os) ; Ner et Kis, le père de Saül, étaient frères, fils d’Abiél(os)[117]. Saül entretenait une grande quantité de chars et de cavaliers ; chaque fois qu’il combattit, il revint vainqueur ; il amena ainsi les Hébreux au succès et à un faut degré de prospérité et les rendit plus puissants que les autres nations. Tous les jeunes hommes qui se distinguaient par leur stature et leur beauté, il en faisait ses gardes du corps.

 

— VII —

1. Instructions de Samuel à Saül touchant les Amalécites. — 2. Saül, vainqueur des Amalécites, épargne le roi Agag, malgré les ordres reçus. — 3. Saül ravage le territoire des Iduméens. — 4. Dieu, irrité contre Saül. repousse l’intervention de Samuel en sa faneur. — 5. Remontrances de Samuel à Saül ; il lui annonce sa déchéance et fait périr Agag.

1[118]. Samuel vint vers Saül et lui déclara qu’il lui était envoyé par Dieu pour lui rappeler que celui-ci l’avait désigné comme roi de préférence à tous et que, pour cette raison, il lui devait soumission d obéissance, car, s’il avait la suprématie sur les nations, Dieu la possédait sur le roi et sur l’univers entier. Il lui déclara donc que Dieu disait ceci : « Comme les Amalécites ont fait beaucoup de mal aux Hébreux dans le désert, lorsqu’au sortir de l’Égypte ils se dirigeaient vers ce pays qui est maintenant à eux, j’ordonne à Saül de tirer vengeance des Amalécites par la guerre et, s’il triomphe, de n’en pas laisser survivre un seul ; qu’il fasse périr les gens de tout âge, en commençant par les femmes et les enfants, et venge ainsi le mal qu’ils ont fait à vos ancêtres : qu’il n’épargne ni bêtes de somme, ni aucun autre bétail pour un intérêt ou un profit particulier ; mais qu’il consacre le tout à Dieu et efface complètement le nom d’Amalec en se conformant aux instructions de Moïse[119]. »

2. Saül promit de faire ce qui lui était prescrit. Réfléchissant que l’obéissance à Dieu ne consistait pas uniquement à partir en guerre contre les Amalécites, mais qu’il manifesterait mieux son zèle en se hâtant et en ne différant pas d’un instant, il rassembla toutes ses forces et, les avant dénombrées à Galgala[120], trouva pour les Israélites, indépendamment de la tribu de Juda, près de quatre cent mille hommes ; cette dernière à elle seule comptait trente mille combattants[121]. Saül, avant fait irruption dans le pays des Amalécites, poste quantité d’embuscades et de détachements près du torrent, afin non seulement de les malmener par des combats livrés à découvert, mais aussi de tomber sur eut à l’improviste sur les routes et de les exterminer, après les avoir enveloppés. Et en effet, leur avant livré bataille, il met les ennemis en déroute et les taille tons en pièces, en poursuivant les fuyards. Après cet exploit, conforme à la prédiction de Dieu, il se jeta sur les villes des Amalécites, et les avant assiégées et prises, les unes à l’aide de machines de guerre, les autres grâce à des galeries souterraines et des circonvallations opposées à leurs remparts, d’autres par la faim et la soif, d’autres enfin par d’autres moyens[122], il se livra au carnage des femmes et des enfants ce faisant, il ne crut pas agir avec cruauté ni avec une rigueur contraire à l’humanité, d’abord parce que c’étaient des ennemis qu’il traitait ainsi, ensuite parce qu’il se conformait à l’ordre de Dieu, à qui on ne saurait sans danger désobéir[123]. Il fit prisonnier même le roi des ennemis, Agag(os) ; mais, émerveillé de sa beauté et de sa haute stature, il crut qu’il méritait d’être épargné : il cessait dès lors de se conformer à la volonté de Dieu, pour céder à un sentiment personnel et s’abandonner inopportunément à la pitié, dans un cas où elle ne lui était pas permise sans péril. En effet, Dieu avait pris en haine à tel point la nation des Amalécites qu’il avait prescrit de ne pas épargner même les petits enfants, que leur faiblesse rend les plus dignes de pitié ; or Saül sauva le roi lui-même, l’artisan de tous les malheurs des Hébreux, faisant plus de cas de la beauté d’un ennemi que des commandements de Dieu. Le peuple se rendit d’ailleurs complice de sa faute. En effet, les Hébreux épargnèrent les bêtes de somme et les troupeaux et se les partagèrent, alors que Dieu avait recommandé de ne pas les conserver, et ils emportèrent tous les autres biens et les objets de prix ; seules, les choses qui ne méritaient pas d’être acquises furent détruites.

3. Saül, après avoir vaincu tous les peuples qui s’étendent depuis Péluse[124] en Égypte jusqu’à la mer Érythrée, ravagea les territoires ennemis, à l’exception de celui des Sichémites[125]. Ceux-ci sont établis ait milieu du pays du Madian. Avant la bataille, il les avait avertis par un message de se retirer pour n’être pas compris dans le désastre des Amalécites, car, leur parenté avec Ragouel, le beau-père de Moïse, le déterminait à les épargner[126].

4. Saül, comme s’il n’avait enfreint aucune des prescriptions reçues du prophète avant sa campagne contre les Amalécites et les avait au contraire strictement observées en tout point dans sa victoire sur ses ennemis, s’en retourna chez lui, fier de ses succès. Mais Dieu s’irrita qu’il eût sauvé le roi des Amalécites et que le peuple eût partagé les troupeaux, contrairement à sa défense. Il trouvait indigne qu’après avoir vaincu et abattu l’ennemi grâce à la force qu’il leur avait départie, ils eussent méprisé et méconnu ses commandements, comme on ne ferait pas de ceux d’un roi humain. Aussi déclara-t-il à Samuel qu’il se repentait d’avoir élu pour roi Saül, puisque celui-ci n’obtempérait pas à ses ordres et n’agissait qu’à sa guise. Samuel, à ces paroles, fut profondément troublé et, pendant toute la nuit, supplia Dieu de se réconcilier avec Saül et de ne pas lui en vouloir. Mais Dieu n’accorda pas son pardon à Saül, en dépit des instances du prophète. pensant qu’il n’était pas juste d’écouter son intercession pour des péchés : car rien ne favorise plus l’impiété qu’une excessive indulgence ; en cherchant un renom de mansuétude et de bonté, on ne s’aperçoit pas qu’on multiplie le mal. Quand donc Dieu eut repoussé la prière du prophète et montré clairement qu’il ne se laisserait pas fléchir, dès le jour paru, Samuel se rendit à Galgala auprès de Saül. A sa vue, le roi court à lui et l’embrasse : « Je rends grâce, dit-il, à Dieu, qui m’a donné la victoire. » Il ajoute que, tout ce que Dieu lui a commandé, il l’a exécuté. Mais Samuel l’interrompant : « D’où vient donc, dit-il, que j’entends des mugissements de bétail et de bêtes de somme dans le camp ? » Le roi répondit que le peuple les avait gardés à l’usage de sacrifices, mais que la race des Amalécites était complètement anéantie selon les instructions divines, qu’on n’avait laissé vivre personne, sauf le roi, qu’on lui avait amené, et sur le sort duquel, disait-il, on allait délibérer ensemble. Alors le prophète répliqua que ce n’étaient pas les sacrifices qui étaient agréables à la divinité, mais les vertueux et les justes, c’est-à-dire ceux qui se conformaient à sa volonté et à ses ordres et qui croyaient ne pouvoir agir honnêtement qu’en exécutant ses commandements. On montrait du mépris à Dieu, non en lui refusant des sacrifices, mais en paraissant lui désobéir. « Et ceux qui ne se soumettent pas, qui n’offrent pas à Dieu le seul et véritable culte qui loi plaise, quand même ils sacrifieraient d’innombrables et grasses victimes, quand même ils lui présenteraient de somptueuses offrandes d’or et d’argent travaillé, loin d’accepter leurs dons avec bienveillance, il les repousse et les considère comme des témoignages de perversité plutôt que de piété. Au contraire, ceux qui ne gardent an mémoire que ce que Dieu a déclaré et prescrit et aiment mieux mourir que d’y porter la moindre atteinte, ceux-là réjouissent son cœur ; il n’exige même pas d’eux de sacrifice, et, s’ils lui apportent les plus modestes offrandes, il reçoit avec plus de plaisir cet hommage de la pauvreté que celui de l’opulence. Sache donc que tu as provoqué la colère de Dieu, car tu as méprisé et négligé ses commandements. De quel oeil crois-tu qu’il puisse envisager un sacrifice fait avec les choses dont il a décrété la destruction ? À moins que tu ne te figures que les offrir en sacrifice à Dieu équivaut à les détruire ! C’est pourquoi il faut t’attendre à être dépossédé de la royauté et de la puissance qui t’a poussé à négliger Dieu, de qui tu la tiens. » Saül convient qu’il a mal agi et ne nie pas son péché ; oui, il a transgressé les instructions du prophète ; mais c’était, en vérité, par la crainte et l’appréhension que lui causaient ses soldats qu’il n’avait pas osé les empêcher de se partager le butin et ne les avait pas retenus. « Mais, dit-il, pardonne et sois indulgent ; je me garderai à l’avenir de retomber dans le péché. » Et il invite le prophète à revenir sur ses pas, et à offrir à Dieu des sacrifices d’actions de grâce. Cependant Samuel, qui voyait Dieu irréconciliable, fait mine de s’en retourner chez lui. Alors Saül, cherchant à le retenir, saisit son manteau, et, comme Samuel faisait effort pour se dégager, il tire si fort qu’il déchire le vêtement. Le prophète lui déclare qu’ainsi serait déchirée sa royauté et que celle-ci serait recueillie par un homme vertueux et juste, car Dieu persisterait dans ses décisions, la versatilité et le changement étant le propre de l’infirmité humaine, non de la puissance divine. Saül répartit qu’à supposer qu’il ait mal agi, il ne peut revenir sur des choses accomplies. Il le prie donc de lui faire honneur néanmoins et de venir avec lui en présence du peuple se prosterner devant Dieu. Samuel accorde cette grâce à Saül, l’accompagne et prie Dieu avec lui. On amène aussi en sa présence le roi des Amalécites, Agag, et comme celui-ci se plaignait de l’amertume de la mort[127], il lui dit : « De même que tu as fait pleurer sur leurs enfants et que tu as plongé dans le deuil beaucoup de mères parmi les Hébreux, ainsi tu feras gémir ta mère sur sa perte. » Et il le fait mourir sur-le-champ à Galgala, tandis que lui-même se retire dans la ville d’Armatha.

 

— VIII —

1. Samuel va à Bethléem oindre David. — 2 David chez Saül.

1[128]. Le roi Saül, voyant dans quel malheur il était tombé en s’attirant l’inimitié de Dieu, monta vers la maison royale de Gabâ — ce nom, traduit, signifie colline — et, à dater de ce jour, ne parut plus en présence du prophète. Comme Samuel s’affligeait à son sujet, Dieu lui ordonna de quitter ce souci et, muni de l’huile sainte, de se rendre dans la ville de Bethléem auprès de Jessée (Jessaïos), fils d’Obéd(os),et d’oindre celui des fils de cet homme qu’il lui désignerait lui-même pour être roi. Samuel exprima la crainte que Saül, informé de cet acte, ne le fit périr insidieusement ou même ouvertement ; cependant, comme Dieu lui promettait et lui donnait le moyen d’assurer sa sécurité il se rendit dans la ville désignée[129]. Là, tous l’accueillent avec joie et s’informent du motif de sa venue. Il répondit qu’il était venu offrir un sacrifice à Dieu. Le sacrifice accompli, il convoqua Jessée avec ses enfants au festin sacré, et ayant remarqué que le plus âgé de ses fils était fort grand et de bonne mine, il conjectura, d’après cette belle apparence, que c’était lui qui était appelé à régner. Mais il se méprenait sur les intentions de Dieu. En effet, comme il lui demanda s’il devait sacrer ce jeune homme, qu’il admirait et estimait digne de la royauté, il lui fut répondu que les hommes et Dieu ne voient pas de même. « Ainsi toi, séduit par la beauté de ce jeune homme, tu le juges digne de régner ; moi, je fais de la royauté le prix non de la beauté physique, mais de la valeur morale ; je cherche quelqu’un en qui la vertu brille d’un parfait éclat, qui soit orné de piété, de droiture, de courage et de soumission, qualités qui constituent la parure de l’âme. » Quand Dieu eut ainsi parlé, Samuel pria Jessée de lui faire voir tous ses fils. Celui-ci manda aussitôt les cinq[130] autres ; l’aîné s’appelait Eliab(os), le second Aminadab(os)[131], le troisième, Samal(os)[132], le quatrième, Nathanaèl(os)[133], le cinquième, Raél(os)[134], le sixième Asam(os)[135]. Quand le prophète vit que les plus jeunes n’étaient pas moins bien faits que l’aîné, il demanda à Dieu lequel d’entre eux il choisissait pour roi. Dieu répond : « Aucun ! » Alors Samuel s’informe auprès de Jessée s’il n’a pas, outre ceux-là, d’autres enfants encore. Celui-ci lui déclara qu’il avait encore un fils du nom de David(ès), mais qu’il était pâtre et occupé à garder les troupeaux ; le prophète le prie de l’appeler aussitôt, car il ne leur est pas possible de se mettre à table sans lui. David vint, mandé par son père ; c’était un adolescent à la peau blonde, aux regards vifs, bien fait de toute sa personne. « Voici, se dit Samuel à part lui, celui qu’il a plu à Dieu de faire roi. » Il se couche alors, fait coucher à ses côtés le jeune homme[136], puis Jessée avec ses autres enfants. Ensuite, ayant pris l’huile sous les yeux de David, il la répand sur lui et lui parle bas à l’oreille, lui faisant signe que Dieu l’a choisi pour régner. Il l’exhorte à se montrer juste et docile aux prescriptions divines ; c’est par là que la royauté lui demeurera longtemps et que sa maison deviendra brillante et célèbre ; il abattra les Philistins et, vainqueur et triomphant de toutes les nations qu’il ira combattre, s’acquerra pendant sa vie et lèguera à sa postérité une gloire digne d’être célébrée.

2[137]. Samuel se retire après ces exhortations, et la divinité quitte Saül pour s’attacher désormais à David. Celui-ci commença de prophétiser, grâce à l’esprit divin qui avait pénétré en lui. Quant à Saül, il était en proie à des souffrances et envahi par des démons qui lui causaient des suffocations et des angoisses atroces. Les médecins[138] ne trouvèrent d’autre remède que de lui conseiller de faire chercher quelqu’un capable de chanter et de jouer de la harpe, et, toutes les fois que Saül serait assailli et tourmenté par les mauvais esprits, de placer ce musicien au chevet du roi pour faire vibrer les cordes et réciter les cantiques. Saül ne néglige pas cet avis, et ordonne qu’on se mette en quête de l’homme capable de lui apporter ce soulagement. Et comme un des assistants dit qu’il avait vu dans la ville de Bethléem te fils de Jessée, encore très jeune, mais gracieux et de bonne mine, parfaitement digne d’estime, habile à jouer de la harpe et à chanter des cantiques, enfin excellent guerrier, Saül fit mander à Jessée de décharger David du soin de ses troupeaux et de le lui envoyer ; il voulait, disait-il, voir le jeune homme, ayant ouï parler de sa beauté et de sa vaillance. Jessée lui envoie son fils, en le chargeant de présents pour Saül. Celui-ci se réjouit de sa venue, en fait son écuyer et le comble d’honneurs. Il trouvait un soulagement à ses chants, et, dans le trouble où le jetaient les démons, chaque fois qu’ils s’emparaient de lui, il n’avait pas d’autre médecin que David, qui, récitant ses cantiques et jouant de la harpe, le faisait revenir à lui. Aussi manda-t-il à Jessée, père du jeune homme, pour le prier de laisser auprès de lui David, dont la vue et la présence le charmaient. Jessée, n’osant point contrarier Saül[139], lui permit de garder son fils.

 

— IX —

1. Nouvelle guerre avec les Philistins ; provocations du géant Goliath. — 2. David est envoyé au camp des Hébreux pour porter des pro-visions à ses frères ; il relève le défi de Goliath. — 3. Lutte entre David et Goliath, mort de Goliath ; déroute des Philistins.

1[140]. Peu de temps après, les Philistins, s’étant réunis de nouveau en forces considérables, marchent contre les Israélites, occupent le pays entre Sôchos[141] et Azéka et y établissent leur camp. Saül, de son côté, fait sortir son armée contre eux ; il s’installe sur une montagne, et force les Philistins à abandonner leur première position[142] et à placer leur camp sur une autre montagne en face de celle qu’il occupait. Les deux camps étaient séparés par un vallon courant entre les deux collines. Or, un des guerriers du camp des Philistins descendit dans le vallon, il se nommait Goliath(ès), de la ville de Gitta, homme d’une taille tout à fait gigantesque. Il mesurait, en effet, quatre coudées et demie[143] et était revêtu d’armes proportionnées à son corps : il avait autour de la poitrine une cuirasse pesant 5.000 sicles ; il portait un casque, et des jambières d’airain capables de protéger les membres d’un homme de dimensions si extraordinaires. Son javelot n’était pas le léger fardeau de sa droite : il le portait appuyé sur l’épaule ; il avait aussi une lance[144] pesant 600 sicles ; plusieurs hommes[145] le suivaient, qui portaient ses armes. Ce Goliath donc, s’étant placé au milieu des deux armées, pousse un cri retentissant et dit à Saül et aux Hébreux : « Je viens vous délivrer de la bataille et de ses dangers. Qu’est-il besoin que votre armée en vienne ana mains et se fasse maltraiter ? Choisissez quelqu’un des vôtres qui veuille lutter avec moi, et l’issue de la guerre sera décidée par ce combat singulier. Le parti du vainqueur recevra la soumission de l’autre. Il est bien préférable, je pense, et plus raisonnable d’en finir en exposant un seul homme que toute une armée. » Ayant ainsi parlé, il se retira dans le camp de ses compatriotes. Le lendemain, il revint et tint les mêmes propos ; puis. quarante jours durant. il ne cessa de provoquer dans les mêmes termes ses ennemis, frappant de terreur et Saül et l’armée. Les Hébreux présentaient toujours la bataille, mais n’osaient pas en venir aux mains.

2[146]. Or, quand la guerre avait éclaté entre les Hébreux et les Philistins, Saül avait congédié David[147] chez son père Jessée, se contentant des trois fils que ce dernier lui avait envoyés pour partager la guerre et ses périls. David retourne donc d’abord à ses troupeaux et à ses pâturages, mais, peu après, il s’en vient au camp des Hébreux, chargé par son père d’apporter à ses frères des provisions et de prendre de leurs nouvelles. Ce jour-là, Goliath était revenu à son ordinaire avec ses provocations et ses invectives, se vantant que personne ne fût assez brave parmi les Hébreux pour oser descendre se mesurer avec lui. David, qui entretenait alors ses frères des commissions dont son père l’avait chargé, s’indigna d’entendre le Philistin insulter et railler l’armée, et déclara à ses frères qu’il était prêt à l’affronter en combat singulier. Là-dessus, l’aîné de ses frères, Eliab, le morigéna, lui disant qu’il était trop hardi pour son âge et ignorant des convenances, et il lui ordonna de s’en retourner à ses troupeaux et auprès de son père. Par respect pour son frère, David se retira, mais confia à quelques soldats qu’il avait envié de se mesurer avec celui qui les défiait. Ceux-ci rapportent aussitôt à Saül la résolution du jeune homme, et le roi le fait venir. Et comme il lui demandait ce qu’il voulait et l’invitait à parler : « Ne laisse pas tomber ton courage, dit David, et ne crains rien, ô roi, car je vais abaisser, moi, l’outrecuidance de l’ennemi : j’irai lutter avec lui et j’abattrai sous moi ce géant énorme. Alors il deviendra d’autant plus risible et ton armée d’autant plus glorieuse, qu’on verra que ce n’est pas même la main d’un guerrier expert, versé dans la tactique et les batailles, qui l’a terrassé, mais un homme qui parait encore un enfant et qui en a réellement l’âge. »

3. Saül admire son audace et son courage, mais n’ose pas se confier à lui, vu son âge si tendre : « Ta jeunesse, dit-il. te rend trop faible pour lutter avec un guerrier éprouvé. » Alors David : « Si je te fais cette promesse, c’est dans l’assurance que Dieu est avec moi, car j’ai déjà éprouvé son assistance. Un jour qu’un lion s’était jeté sur mes troupeaux et avait emporté un agneau, je le poursuivis, je le saisis, j’arrachai l’agneau de la gueule du fauve et, au moment où il s’élançait sur moi, je le soulevai parla queue[148] et le tuai eu l’écrasant contre terre. Je n’ai pas eu moins de bonheur en combattant un ours. Eh bien cet ennemi n’est-il pas le pareil de ces bêtes féroces, lui qui insulte depuis si longtemps notre armée et blasphème contre notre Dieu, qui le livrera entre mes mains ? »

4[149]. Alors Saül adresse une prière à Dieu, lui demandant d’accorder un semblable[150] succès à l’ardeur et à la hardiesse de cet enfant. « Pars, dit-il, au combat ! » Il le revêt de sa propre cuirasse, le ceint de son épée, lui ajuste son casque et ainsi équipé le congédie. Mais David, alourdi sous le poids de ces armes — l’exercice ne l’avait pas encore accoutumé à en porter — s’écrie : « Tout cet attirail, ô roi, est une parure convenable pour toi, qui sais t’en servir ; quant à moi, accorde-moi, comme à ton serviteur, de combattre à ma guise. » Il dépose donc ses armes, saisit son bâton, prend cinq pierres dans le lit du torrent et les met dans sa besace de pâtre, puis, portant une fronde dans la main droite, il s’avance contre Goliath. L’ennemi, en le voyant marcher dans cet équipage, le regarde avec mépris et lui prodigue ses moqueries : pourquoi donc vient-il se battre, non avec les armes qu’il faut pour lutter contre un homme, mais avec celles qu’on prend pour poursuivre ou repousser les chiens ? Goliath est-il donc a ses yeux un chien et non un homme ? David lui répond : « Pas même un chien, mais moins encore ! » La colère de Goliath s’exaspère ; il profère des imprécations contre son adversaire en invoquant le nom de son Dieu et menace de donner ses chairs à manger aux bêtes des champs et aux oiseaux du ciel. David lui réplique : « Toi, tu viens coutre moi avec un glaive, un javelot et une cuirasse ; moi, en t’affrontant, j’ai pour armure Dieu lui-même, qui veut se servir de mon bras pour te détruire, toi et toute ton armée : car je vais te trancher la tête aujourd’hui, et le reste de ton corps je le livrerai aux chiens, tes pareils, afin que tous connaissent que la divinité s’est mise à la tête des Hébreux, que c’est elle qui nous procure des armes et des forces, et que tout autre appareil, toute autre puissance sont vains quand Dieu n’est pas là. » Le Philistin, que le poids de ses armes empêchait d’aller plus vite, arrive lentement sur David, plein de mépris et sûr de terrasser sans peine un adversaire à la fois sans armes et d’un âge si tendre. Le jeune homme s’avance à sa rencontre, escorté d’un allié invisible a l’ennemi : Dieu lui-même. Il tire de sa besace une des pierres du torrent qu’il y avait placées, l’ajuste à sa fronde et en atteint Goliath au front. Le projectile pénètre jusqu’au cerveau, et le géant tombe aussitôt étourdi, le visage contre terre. David accourt, met le pied sur son ennemi terrassé et, avec le propre glaive de ce dernier, car il n’avait pas d’épée à lui, il lui tranche la tête. La chute de Goliath entraîne la défaite et la déroute des Philistins. Voyant, en effet, le plus illustre d’entre eux abattu, craignant un désastre complet, ils n’osèrent pas tenir davantage et cherchèrent le salut dans une débandade honteuse et confuse. Mais Saül et toute l’armée des Hébreux. poussant une grande clameur, s’élancent sur eux, en font un grand carnage et les poursuivent jusqu’aux frontières de Gitta et jusqu’aux portes d’Ascalon[151]. Les Philistins eurent environ trente mille[152] morts et deux fois autant de blessés. Saül, étant retourné dans leur camp, y sème le pillage et l’incendie, et David emporte la tête de Goliath dans sa propre tente et consacre l’épée du Philistin à Dieu[153].

 

— X —

1. Jalousie de Saül à l’égard de David ; il cherche à le perdre. — 4. Il accorde sa fille Michal à David à condition qu’il tuera six cents Philistins. — 3. David y réussit et obtient Michal.

1[154]. Cependant la jalousie et la haine de Saül furent excitées contre David. Les femmes, accourues au devant de l’armée victorieuse avec des cymbales, des tambourins et toute sorte de sigles de réjouissance, disaient dans leurs chants que Saül avait tué les Philistins par milliers, et les jeunes filles[155] disaient que David les avait anéantis par dizaines de milliers. Le roi, en entendant ces chants, qui lui réservaient la moindre part de gloire et qui attribuaient le plus gros chiffre au jeune homme, pensa qu’après ces brillantes acclamations il ne manquait plus à celui-ci que la royauté ; il commença dès lors à redouter David et à le tenir en suspicion. Alors, comme dans sa peur il lui semblait que David était trop proche de sa personne — car il avait fait de lui son écuyer — il lui enlève sa première fonction et le nomme chiliarque[156]. emploi plus considérable, mais, pensait-il, plus dangereux : il se proposait, en effet, de l’envoyer contre l’ennemi et a la bataille, pour l’exposer a la mort.

2. Mais comme Dieu n’abandonnait jamais David partout ou il allait, celui-ci rencontrait le succès et on le voyait réussir dans toutes ses entreprises, si bien que, devant ses prodiges de valeur, tout le peuple ainsi que la fille même de Saül[157], vierge encore, se prirent pour lui d’amour ; la passion de la jeune fille, qui dépassait toutes les bornes, se trahit et fut dénoncée à son père. Celui-ci, saisissant cette occasion de perdre David. apprit la chose avec joie, et déclara a ceux qui lui en parlèrent qu’il donnerait de grand cœur sa fille à David, puisque cet amour, accueilli par lui, l’entraînerait à des dangers et à sa perte : « car, dit-il, je lui accorde la main de ma fille à condition qu’il me rapporte les têtes de six cents ennemis[158]. Devant l’offre d’une si brillante récompense, avide de se couvrir de gloire par un exploit extraordinaire et périlleux, il courra l’accomplir, mais il sera tué par les Philistins, et ainsi mes vœux seront exaucés le mieux du monde : je serai débarrassé de David, mais c’est la main des autres, non la mienne, qui l’aura immolé. » Il ordonne donc à ses serviteurs de sonder les sentiments de David, touchant ce mariage. Ceux-ci engagèrent l’entretien en lui disant que Saül l’aimait, ainsi que le peuple tout entier, et voulait unir sa fille avec lui. Mais David : « Est-ce donc si peu de chose à vos yeux, dit-il, que de devenir gendre du roi ? Je ne suis pas de ce sentiment, moi, surtout dans mon humble condition, n’ayant ni éclat ni rang. » Quand les serviteurs lui eurent rapporté la réponse de David, Saül leur dit : « Informez-le que je ne demande ni richesses, ni présents, — ce serait vendre ma fille et non la donner, — ce que je veux, c’est un gendre plein de courage et de toutes les autres vertus que j’aperçois en lui ; par conséquent, je ne veux obtenir de lui, en retour de ce mariage, ni or ni argent, ni tout ce qu’il pourrait m’apporter de la maison de son père[159], mais seulement le châtiment des Philistins et les têtes de six cents d’entre eux. Car, pour moi-même, je ne puis souhaiter de présent plus désirable, plus magnifique ni plus précieux, et ma fille aimera bien mieux, au lieu des cadeaux d’usage, la joie de vivre avec un tel homme, dont la seule présence lui rappellera la défaite de nos ennemis. »

3[160]. Ces paroles ayant été rapportées à David, celui-ci, joyeux de l’empressement que mettait Saül à le compter dans sa famille, sans s’arrêter à délibérer, sans calculer si l’entreprise proposée était facile ou ardue, partit sur-le-champ avec ses compagnons contre les ennemis pour accomplir une tâche couronnée d’un si beau prix. Grâce à Dieu, qui rendait tout possible et aisé à David, il tue un grand nombre de Philistins, en décapite six cents, et revient chez le roi, apportant ces têtes, et demandant la fiancée promise en récompense. Saül trouva impossible de se dérober à ses promesses, parce qu’il lui aurait été honteux de paraître avoir menti ou offert ce mariage comme un piège pour faire périr David dans une entreprise impossible ; il lui accorde donc sa fille, nommée Michal (Melcha)[161].

 

— XI —

1. Saül décide de faire périr David : Jonathan le prévient et promet d’apaiser Saül. — 2. Saül se calme aux discours de Jonathan. — 3. Succès nouveaux de David ; Saül tente de le tuer. — 4. Michal fait fuir David ; stratagème de Michal ; David chez Samuel. — 5. Saül envoie des hommes pour s’emparer de David : délire prophétique de ces envoyés et de Saül. — 6. David se plaint de Saül à Jonathan. — 7. Service demandé par David à Jonathan. — 8. Promesse solennelle de Jonathan : plan adopté pour faire connaître à David les sentiments de Saül. — 9. Saül remarque l’absence de David au repas de la néoménie : Jonathan menace de mort par Saül. — 10. Entrevue de David et de Jonathan : séparation.

1[162]. Saül ne devait pas en rester là bien longtemps. Voyant David de plus en plus aimé de Dieu et du peuple, il prit peur et, ne pouvant cacher ses appréhensions, — puisqu’il s’agissait de grands intérêts. la royauté et la vie, dont la perte était également redoutable. — il résolut de faire périr David et en donna l’ordre à son fils Jonathan et aux plus dévoués de ses serviteurs. Jonathan s’étonne de voir son père changer de sentiments à l’égard de David, passant d’une bienveillance extrême non pas même à l’indifférence, mais à la résolution de le tuer. Comme il aimait le jeune homme et estimait sa vertu, il lui révèle le secret et le dessein de son père. Il lui conseille de s’en préserver en prenant la fuite le lendemain ; lui-même ira saluer son pare, et saisira l’occasion de lui parler de David, de découvrir le sujet de sa haine ; il lui représentera, pour l’adoucir, qu’il ne faut pas au moindre grief faire périr un homme qui a rendu de si grands services au peuple, qui a obligé Saül lui-même par des exploits capables de valoir le pardon même aux plus grandes fautes. « Je t’informerai, ajoute-t-il, des sentiments de mon père. » David, obéissant à cet excellent conseil, se retire hors de la vue du roi.

2. Le jour suivant, Jonathan se rend auprès de Saül et, l’avant trouvé de bonne humeur et réjoui, commence à lui parler au sujet de David. « Quelle faute, grande ou petite, a-t-il pu commettre, mon père, pour te porter à vouloir le faire mourir, lui qui a tant fait pour ta propre sûreté, et encore davantage pour le châtiment des Philistins, qui a délivré le peuple des Hébreux des injures et des avanies que nous avions endurées pendant quarante jours, qui osa seul affronter le défi de l’adversaire, qui ensuite t’apporta le nombre prescrit de têtes ennemies et reçut en récompense la main de ma sœur ? Ainsi sa mort nous serait un sujet d’affliction, non seulement à cause de son mérite, mais à cause de nos liens de parenté ; elle serait aussi un malheur pour ta fille, destinée à faire l’épreuve du veuvage avant même d’avoir pu jouir de la vie conjugale[163]. Que toutes ces considérations te ramènent à plus de mansuétude : ne fais aucun mal à un homme qui d’abord nous a rendu ce grand service de rétablir ta santé, quand il a chassé le mauvais esprit et les démons qui l’assiégeaient et a rendu la paix à ton âme, et, ensuite, nous a vengés de l’ennemi. Il serait honteux d’oublier tout cela. » Saül s’apaise a ces raisons et jure à son fils de ne faire aucun mal à David : tant il est vrai qu’un sage discours l’emporte sur la colère et sur la crainte. Jonathan, alors, ayant mandé David, lui fait connaître que les sentiments de son père sont bienveillants et rassurants ; il le ramène auprès du roi, et David demeure auprès de celui-ci comme auparavant.

3[164]. Sur ces entrefaites, les Philistins entreprennent une nouvelle expédition contre les Hébreux, et Saül envoie David avec une armée pour les combattre. La bataille engagée, David en tua beaucoup et revint victorieux trouver le roi. Mais Saül ne lui fit pas l’accueil qu’il espérait : au contraire, il se montra fâché de son succès, comme si la gloire de David mettait en péril sa propre sécurité. Ensuite, comme un nouvel accès de l’esprit démoniaque l’envahit et l’agite, il appelle David dans la chambre on il était couché et, son javelot à la main, il lui commande de le récréer par le jeu de la harpe et le chant des hymnes. Et tandis que David exécute ses ordres, Saül tend le bras et lui lance son javelot David, qui avait pressenti le coup, l’évite, s’enfuit dans sa maison et n’en bouge de tout le jour.

4. La nuit venue, le roi envoie des gardes chargés de surveiller David jusqu’à l’aube, de peur qu’il ne s’échappe tout à fait ; il compte ensuite l’amener au tribunal et le livrer à la justice, pour le faire mettre à mort[165]. Mais Michal, femme de David et fille du roi, eut avis des intentions de son père. Elle court chez son mari, pleine d’inquiétude à son sujet et tremblant aussi pour sa propre vie ; car, lui mort, elle ne supporterait pas de vivre. « Si, dit-elle, le soleil te trouve encore ici, il ne te verra plus jamais. Fuis, tandis que la nuit te le permet encore ; je supplie Dieu de la prolonger pour toi, car sache bien que si mon père te découvre, tu es un homme perdu. » Et l’ayant descendu à l’aide d’une corde par la fenêtre, elle le fait sauver. Ensuite, elle accommode le lit comme pour un malade et place sous les couvertures le foie d’une chèvre[166] ; à l’aube, comme son père envoie chercher David, elle dit à ses gens que David a été tourmenté toute la nuit, et leur montre le lit recouvert : les palpitations du foie, qui faisaient mouvoir la couverture, leur persuadent que David est couché là, suffocant de fièvre[167]. Quand les envoyés eurent rapporté à Saül que David s’était trouvé malade pendant la nuit, il ordonna qu’on le lui amenât en quelque état qu’il pût être, pour qu’il le fit périr. Les envoyés reviennent, soulèvent la couverture et constatent la supercherie de la femme ; ils en rendent compte aussitôt au roi. Celui-ci lui reproche d’avoir sauvé son ennemi en le jouant lui-même ; elle imagine alors une excuse spécieuse : elle raconte que son mari l’a menacée de mort et obtenu ainsi par crainte qu’elle l’aidât à se sauver ; il faut lui pardonner, puisqu’elle a agi par contrainte et non de plein gré. « Je pense bien, en effet, dit-elle, que tu tiens plus à ma vie qu’à la mort de ton ennemi. » Et Saül pardonne à la jeune femme. Quant à David, échappé au danger, il se réfugia auprès du prophète Samuel, à Armatha ; il lui raconta les embûches du roi, comment il avait manqué être percé de son javelot alors qu’il n’avait ni péché envers lui, ni manqué de courage en combattant les ennemis, et qu’il avait toujours eu Dieu et le succès avec lui. !lais c’était précisément la raison qui avait attisé la haine de Saül.

5[168]. Le prophète, informé de l’injustice du roi, quitte la ville d’Armatha et emmène David en un lieu nommé Galbouath[169], où il demeure quelque temps avec lui. Dès que Saül apprit que David se trouvait chez le prophète, il envoya des hommes armés avec ordre de l’arrêter et le lui amener. Mais ceux-ci, en arrivant chez Samuel, v trouvent une assemblée de prophètes : saisis, eux aussi, de l’inspiration divine, ils se mettent à prophétiser avec eux. Saül, à cette nouvelle, envoie d’autres gens vers David : le même transport les entraîne ; il dépêche une troisième équipe, qui en fait autant. Enfin, furieux, il accourt en personne. Hais dès qu il fut dans le voisinage, Samuel, avant même de l’avoir aperçu, l’obligea lui aussi de prophétiser. Saül, en arrivant près de lui, devient si rempli du souffle divin qu’il perd le sens ; il se dépouille de ses vêtements et demeure prosterné à terre tout le jour et toute la nuit, sous les regards de Samuel et de David[170].

6[171]. De là, David s’en vint auprès de Jonathan, le fils de Saül, et se plaignit à lui des machinations de son père, affirmant que, sans qu’il eût à se reprocher aucun méfait, aucune faute, celui-ci continuait à comploter sa mort. Jonathan le supplia de n’écouter ni ses propres soupçons, ni les calomniateurs, s’il s’en trouvait, mais de se fier à lui et de prendre courage : assurément son père ne méditait aucun dessein pareil : autrement il lui en aurait parlé, à lui Jonathan, et l’aurait pris pour conseiller, puisqu’il agissait en toute occasion de concert avec lui. David protesta avec serment que rien n’était cependant plus certain et pria Jonathan de le croire et de veiller sur lui, plutôt que de mépriser des propos véridiques, en attendant, pour les reconnaître vrais, d’avoir vu ou appris l’assassinat de son ami. Si le roi ne lui avait rien dit, c’est qu’il connaissait l’amitié et les sentiments de son fils pour David.

7. Affligé de n’avoir pu convaincre David des bons sentiments de Saül[172], Jonathan lui demanda ensuite eu quoi il pouvait l’assister. Alors David : « Je sais, dit-il, qu’il n’y a rien que je ne puisse attendre de ton amitié. C’est demain nouvelle lune et j’ai coutume alors de souper assis aux côtés du roi. Si tu veux bien, je sortirai de la ville et demeurerai caché dans la plaine. Lorsque le roi demandera après moi, dis-lui que je suis allé dans ma patrie. Bethléem, pour assister à la fête célébrée par ma tribu[173], et ajoute que tu m’en as donné l’autorisation. Si, comme il est d’usage et naturel de faire pour des amis absents, il s’écrie « Je lui souhaite bon voyage ! », sache qu’il n’a point envers moi d’intentions perfides et hostiles ; s’il fait une autre réponse, ce sera l’indice de ses mauvais desseins. Tu me feras connaître les dispositions de ton père, ce sera une marque de la pitié et de l’amitié qui t’ont fait accepter de moi des gages et m’en fournir toi-même, de maître à serviteur. Que si tu trouves en moi quelque malice, fais-moi mourir toi-même, sans attendre que ton père l’ordonne. »

8. A ces derniers mots, Jonathan s’indigne ; il promet de se conformer au désir de David et, au cas où son père lui répondrait par quelque grole dure et témoignant sa haine, d’en avertir son ami. Et pour lui donner toute confiance, il le mène en plein air, sous un ciel pur, et fait serment de ne rien négliger pour le salut de David. « Ce Dieu, dit-il, que tu vois si grand et partout répandu, ce Dieu qui, avant que je l’exprime, connaît déjà toute ma pensée, je le prends à témoin de l’engagement que je contracte envers toi : je ne cesserai point de faire l’épreuve des intentions de mou père, jusqu’à ce que j’aie réussi à les bien connaître et à pénétrer les secrets de son âme. Quand j’en serai informé, je ne te les cèlerai point, j’irai te les révéler, qu’il soit bien ou mal disposé à ton égard. Dieu lui-même sait avec quelle ferveur je le prie de demeurer toujours avec toi. Aussi bien, il est avec toi aujourd’hui, il ne t’abandonnera pas et il te rendra plus fort que tes adversaires, fût-ce mon père, fût-ce moi-même. Pour toi, souviens-toi seulement de toutes ces paroles ; s’il m’arrive malheur, conserve la vie à mes enfants, et ce que je fais présenteraient pour toi, fais-le à ton tour pour eux. » Après ces serments, il congédie David et l’invite à se retirer en un certain lieu de la plaine où il avait coutume de faire ses exercices. Une fois que Jonathan aura sondé les intentions de son père, il viendra l’y rejoindre, accompagné seulement d’un jeune page. « Et si, après avoir lancé trois flèches vers la cible, je commande à l’enfant de me les rapporter — car elles se trouveront en face de lui — sache qu’il n’y a rien de fâcheux à craindre de mon père ; si tu m’entends dire le contraire, attends-loi aussi à des dispositions contraires du roi. D’ailleurs, je saurai assurer ta sécurité et tu n’auras aucun mal à craindre. Mais prends garde de te souvenir de ceci à l’heure du succès et d’être secourable à mes enfants. »

9[174]. David, ayant reçu ces assurances de la part de Jonathan, se retira dans l’endroit convenu. Le lendemain, qui était le jour de la nouvelle lune, le roi, après s’être purifié selon l’usage, vint au festin, et, quand se furent assis à ses côtés son fils Jonathan à droite et le général en chef Abner à gauche, voyant le siège de David inoccupé, il garda d’abord le silence, croyant que celui-ci était en retard, faute de s’être purifié après un commerce sexuel[175]. Mais, comme le second jour de la néoménie, David ne paraissait pas davantage, il demanda à son fils Jonathan pourquoi, et la veille et ce jour même, le fils de Jessée avait manqué au repas et à la fête. Jonathan répondit, comme on était convenu que David était allé dans sa ville natale où sa tribu célébrait une fête, après lui en avoir demandé la permission : « David, dit-il, m’a même invité à venir assister à ce sacrifice[176], et si tu me le permets, je vais partir : car tu sais l’amitié que j’ai pour lui. » C’est alors que Jonathan connut toute la malveillance de son père à l’égard de David et vit clairement le fond de sa pensée. En effet, Saül ne contint pas sa colère ; mais, commençant à injurier Jonathan, il l’appela fils de prostituée[177], ennemi de son roi, allié et complice de David ; il lui reprocha de manquer de respect à son père et à sa mère eu montrant de tels sentiments et en s’obstinant à ne pas voir que, tant que vivrait David. leur royauté était compromise : « Mande-le donc ici, dit-il, afin que justice en soit faite. » Comme Jonathan répliquait : « Pour quel crime veux tu donc le châtier ? », la colère de Saül ne se borna plus aux paroles et aux injures, mais, saisissant son javelot, il bondit sur Jonathan pour le tuer. Ses amis l’empêchèrent de commettre un pareil forfait[178] ; mais il en avait fait assez pour démontrer qu’il haïssait David et qu il désirait sa mort, puisqu’il s’en était fallu de peu que, à cause de lui, il ne devint l’assassin de son propre fils.

10. Le prince, s’élançant hors de la salle du festin, et, dans son affliction, incapable de goûter à rien, passa toute la nuit dans les larmes, en pensant que lui-même avait failli périr et que le meurtre de David était décidé. A l’aube, il sort de la ville et se rend dans la plaine, sous couleur de s’exercer, en réalité pour faire connaître à son ami les dispositions de son père, ainsi qu’il l’avait promis. Et Jonathan, après s’être conformé à ce qui était convenu entre eux, renvoie le page à la ville, et s’enfonce dans le désert pour retrouver David et s’entretenir avec lui. Celui-ci, en l’apercevant, tombe aux pieds du prince, lui rend hommage et l’appelle le sauveur de sa vie. Jonathan le relève et, mutuellement enlacés, ils s’embrassent longuement dans les larmes, pleurant leur jeunesse, leur liaison victime de l’envie et leur séparation prochaine, qui leur paraissait aussi dure que la mort. Leurs larmes à grand peine séchées, après s’être mutuellement recommandé de se rappeler leurs serments, ils prirent congé l’un de l’autre.

 

— XII —

1. David à Nob, chez le grand-prêtre Achimélech ; il reçoit de lui des provisions. — 2. David chez le roi des Philistins ; il simule la folie ; on l’expulse. — 3. Réfugié dans la caverne d’Adullam, il réunit quatre cents partisans. — 4. Saül convoque une assemblée pour délibérer au sujet de David ; Doëg dénonce Achimélech. — 5. Achimélech se disculpe. — 6. Saül le fait mettre à mort avec sa famille. — 7. Réflexions sur la conduite de Saül. — 8. Abiathar, échappé seul au massacre, rejoint David.

1[179]. David, fuyant devant le roi et la mort dont il le menaçait, s’arrêta dans la ville de Naba[180] chez le grand prêtre Achimélech(os)[181] ; celui-ci s’étonna de le voir arriver seul, sans ami, sans serviteur et voulut savoir pour quelle raison personne ne l’accompagnait. David lui répondit qu’il était chargé par le roi d’une mission confidentielle qui ne comportait pas d’escorte, car il voulait le secret. « Pourtant, ajouta-t-il, j’ai prescrit à mes serviteurs de venir me rejoindre en ce lieu-ci. » Il demanda aussi quelques provisions de route ; ce serait agir en ami et le seconder dans la tache qui lui était confiée. Son désir exaucé, à demanda encore une arme portative, glaive ou javelot. Or, il y avait là un certain esclave de Saül, de race syrienne[182], nommé Doëg(os), qui faisait paître les mules[183] du roi. Le grand-prêtre déclara ne posséder, quant à lui, point d’armes, mais qu’il y avait le glaive de Goliath, que David lui-même, après avoir tué le Philistin, avait consacré à Dieu.

2[184]. Muni de cette arme, David quitte le pays des Hébreux pour se réfugier à Gitta, ville des Philistins, dont le roi se nommait Anchous[185]. Les gens du roi le reconnurent et le dénoncèrent à celui-ci, lui disant que c’était là ce David qui avait tué tant de myriades de Philistins. David, craignant d’être mis à mort par le roi et se voyant dans un péril aussi grand que celui auquel il avait échappé chez Saül, s’avise de simuler la folie et la rage : il laisse couler la bave de sa bouche, et donne tous les autres signes de la démence, de façon à persuader le roi de Gitta de sa maladie. Le roi s’irrite contre ses serviteurs de lui avoir amené un insensé, et ordonne d’expulser David sans délai.

3[186]. S’étant ainsi sauvé de Gitta, il s’en va dans la tribu de Juda[187] ; là, se cachant dans une caverne proche de la ville d’Adullam, il en donne avis à ses frères. Ceux-ci, avec toute sa famille, se rendirent auprès de lui, et tous ceux qui étaient dans le besoin ou qui avaient peur du roi Saül accoururent le joindre et se déclarèrent prêts à suivre ses ordres. Ils étaient au total environ quatre cents. En se voyant à la tête d’une troupe et assuré de ces concours, David reprend courage ; il part de là, arrive chez le roi des Moabites et lui demande de recueillir et de garder ses parents chez lui, jusqu’à ce qu’il soit fixé sur son propre sort. Le roi lui accorde cette faveur et comble d’honneurs les parents de David durant le temps qu’ils demeurent dans son pays.

4. Cependant le prophète[188] ordonne à David de quitter le désert et de regagner le territoire de la tribu de Juda pour y demeurer ; il obéit et, arrivé dans la ville de Saré[189], s’y arrête. Saül, en apprenant que David avait été aperçu à la tête d’une troupe, tomba dans un émoi et un trouble peu communs ; connaissant la bravoure et l’audace de l’homme, il se douta que l’entreprise qu’il voyait poindre n’était pas médiocre et qu’elle cogiterait bien des larmes et des efforts. Il convoque donc ses amis, ses officiers et la tribu d’où il était issu sur la colline[190] où il avait son palais royal, et, s’étant assis sur l’endroit dit Aroura (champ)[191], tous les magistrats et la troupe des gardes du corps rangés autour de lui, il leur parla ainsi : « Hommes de ma tribu, je sais que vous vous souvenez de mes bienfaits, comment j’ai donné à quelques-uns d’entre vous ries champs, à d’autres des dignités et des commandements parmi le peuple. Eh bien ! je voudrais savoir si volts comptez recevoir du fils de Jessée des faveurs plus grandes et plus nombreuses ; car je sais que vous tous inclinez vers lui, parce que ce sont les sentiments de mon propre fils Jonathan, et qu’il vous tes a inspirés. Je n’ignore pas les serments et les engagements qui le lien avec David, je sais que Jonathan est le complice et le conseiller de ceux qui se sont ameutés contre moi ; et nul de vous n’en a cure ; vous attendez en grand repos l’événement. » Le roi s’étant tu, aucun autre assistant ne prit la parole ; seul Doëg le Syrien, l’homme qui faisait paître ses mules, raconta qu’il avait vu David arriver dans la ville de Naba chez le grand-prêtre Achimélech, que celui-ci lui avait prophétisé son avenir, et que, muni ensuite de provisions de route et du glaive de Goliath ; il avait été conduit en toute sécurité là où il voulait.

5. Saül mande aussitôt le grand-prêtre et toute sa race : « Quel mal t’ai-je fait, lui dit-il, quelle injustice as-tu éprouvée de ma part pour avoir accueilli le fils de Jessée, lui avoir donné des vivres et des armes, à lui qui conspire contre ma couronne ? Et pourquoi aussi lui as-tu fait des révélations sur l’avenir ? Certes tu ne pouvais ignorer qu’il me fuyait et qu’il déteste toute ma maison. » Le grand-prêtre n’essaya pas de nier les faits ; il convint franchement de tout ce qu’il avait accordé à David, mais assura l’avoir fait par amitié pour le roi et non pour David : « J’ignorais, dit-il, qu’il fut ton ennemi ; je le croyais ton serviteur fidèle, s’il en fut, ton chiliarque, et, qui plus est, ton gendre et ton parent. Ces dignités, on ne les accorde pas d’ordinaire à des ennemis, mais à ceux qui vous témoignent le plus de dévouement et d’égards. Quant à mes oracles, ce n’est pas la première fois que je les lui ai rendus, je l’ai déjà fait maintes fois ailleurs. Enfin, comme il assurait avoir été envoyé par toi en toute diligence pour certaine affaire, si je lui avais refusé ce qu’il réclamait, j’aurais cru t’offenser plus que David même. Aussi, ne pense aucun mal de moi et ne va pas, à cause de ce que tu apprends actuellement des entreprises de David. suspecter la bienveillance que j’ai cru devoir lui témoigner naguère : j’en faisais hommage à ton ami, à ton gendre, au chiliarque, et non à ton ennemi. »

6. Ces paroles du grand-prêtre ne convainquirent pas Saül, car la peur est assez puissante pour rendre suspect même un plaidoyer sincère ; il ordonne donc aux hommes d’armes de le saisir et de le mettre à mort avec toute sa race. Comme les gardes n’osaient pas porter la main sur le grand-prêtre et redoutaient plus d’offenser la divinité que de désobéir au roi, il charge Doëg le Syrien d’exécuter ce meurtre ; ce dernier, avec quelques autres misérables de son espèce[192], massacre Achimélech et sa parenté, en tout environ trois cent cinq personnes[193]. Saül envoya également des gens dans la ville des prêtres, à Nabà, fit périr tous ceux qui s’y trouvaient sans épargner ni femmes, ni enfants, ni aucun âge, et incendier la ville. Un seul enfant s’échappa, un fils d’Achimélech, nommé Abiathar(os)[194]. Ces événements s’accomplirent selon ce que Dieu avait prédit au grand-prêtre Éli, quand il lui déclara qu’en raison des impiétés de ses deux fils, sa postérité serait détruite[195].

7. Le roi Saül, en exécutant un acte aussi cruel, en immolant toute la famille des grands-prêtres, sans pitié pour les petits enfants, sans respect pour la vieillesse, allant jusqu’à ruiner la ville que la divinité même avait élue comme résidence et pépinière du sacerdoce et des prophètes et désignée comme seule capable de produire de tels hommes, Saül par là fait connaître et comprendre à tous le véritable caractère des hommes. Tant que la médiocrité de leur condition les empêche de se livrer à leurs instincts et d’oser tout ce qu’ils désirent, ils se montrent doux et mesurés, ne poursuivent que la justice et v appliquent toute leur pensée et tous leurs efforts. Alors aussi, à l’égard de la divinité. ils sont convaincus qu’elle préside à tous les événements de la vie et que non seulement elle voit tous les actes qu’on accomplit, mais pénètre aussi parfaitement les pensées d’où procèdent ces actes. Nais dès qu’ils arrivent au pouvoir et à la souveraineté. dépouillant toutes ces attitudes et jetant bas. comme autant de masques de théâtre, les convenances et les usages, ils révèlent, en échange, l’audace, l’insolence, le mépris des choses divines et humaines. Et au moment où la piété et la droiture leur seraient le plus nécessaires, à eux qui sont à portée de l’envie et dont les pensées et les actes sont exposés à tous les yeux, alors. comme s’ils pensaient que Dieu ne les voit plus ou redoute leur puissance, voilà la conduite démente où ils se livrent. Toutes leurs terreurs excitées par un simple propos, toutes leurs haines gratuites, toutes leurs prédilections inconsidérées, ils y attachent un caractère d’autorité, de certitude et de vérité, et les croient agréables à Dieu et aux hommes ; quant à l’avenir, ils ne s’en mettent point en peine. Ils honorent tout d’abord les grands services, et, après les avoir honorés, les jalousent ; après avoir promu des gens à de hautes distinctions, ils les privent, non seulement de leur récompense, mais de la vie même. sous de misérables prétextes que leur seule extravagance rend invraisemblables. S’ils punissent, ce n’est pas pour des actes dianes de répression, mais sur la foi de calomnies, d’accusations sans contrôle, et le châtiment s’abat non sur ceux qui le méritent, mais sur ceux qu’ils peuvent mettre à mort. C’est de quoi nous donne un merveilleux exemple la conduite de Saül, fils de gis, le premier qui ait été roi sur les Hébreux après le gouvernement aristocratique et celui des Juges, lui qui mit à mort trois cents prêtres et prophètes, sur un simple soupçon contre Achimélech, lui qui détruisit aussi leur ville et chercha par cette boucherie à vider ce qu’on peut appeler le temple[196] à la fois de prêtres et de prophètes, ne laissant même pas subsister leur patrie pour qu’elle pût en produire d autres après eux.

8[197]. Abiathar, le fils d’Achimélech, qui, seul de la race de prêtres massacrés par Saül avait pu s’échapper, s’en alla trouver David, et lui raconta la catastrophe des siens et la mort de son père. David répondit qu’il avait prévu ce qui devait arriver, dès qu’il avait aperçu Doëg ; il s’était douté, en effet, que cet homme calomnierait le grand-prêtre auprès du roi et il s’accusait lui-même de leur malheur. Cependant il pria Abiathar de demeurer là et de vivre avec lui, car nulle part ailleurs il ne serait aussi bien en sûreté.

 

— XIII —

1. Victoire de David sur les Philistins ; sa fuite dans le désert d’Engaddi. — 2. Rencontre de David et de Jonathan à Ziph ; les Ziphéniens offrent de livrer David ; fuite de ce dernier. — 3. Saül arrêté dans sa poursuite par une invasion des Philistins. — 4. Saül poursuit de nouveau David : rencontre dans une caverne ; générosité de David ; repentir de Saül. — 5. Mort de Samuel. — 6. Brutalité du Ziphénien Nabal. — 7. Excuses d’Abigaïl, sa femme, à David. — 8. Mort de Nabal, David épouse Abigaïl. — 9. Nouvelles poursuites de Saül, David dans le camp de Saül : réconciliation. -10. David chez Anchous, roi de Gitta ; il obtient Sékéla pour lieu de .séjour.

1[198]. Sur ces entrefaites, informé que les Philistins avaient fait irruption dans le pays des Killaniens[199] et y commettaient un grand dégât, David s’offre à marcher contre eux, après avoir demandé à Dieu par l’intermédiaire du prophète s’il le lui permettait. Samuel ayant répondu que Dieu promettait la victoire, il s’élança contre les Philistins avec ses compagnons, en Gt un grand carnage et remporta force butin. Comme il prolongea son séjour chez les Killites jusqu’à ce qu’ils eussent rentré leurs blés et leurs fruits, on dénonça sa présence au roi Saül. Car son exploit et son succès n’étaient pas restés le secret du canton qui en avait été le théâtre : la renommée les propagea de tous côtés et jusqu’aux oreilles du roi, en exaltant l’acte et l’auteur. Saül se réjouit de savoir David enfermé dans Killa. « Enfin Dieu l’a livré entre mes mains, dit-il, puisqu’il l’a forcé à s’arrêter dans une ville pourvue de murailles, de portes et de verrous », et il ordonna à tout le peuple de se ruer sur Killa, d’en faire le siège, et de n’en point partir qu’on n’eût pris et tué David. Cependant David s’était méfié de cette agression, et Dieu l’avait averti que s’il restait chez les gens de Killa, ils le livreraient à Saül ; il emmène donc ses quatre cents[200] hommes, et quitte la ville pour s’enfoncer dans le désert situé au-dessus d’Engedaïn[201]. Le roi, ayant appris qu’il s’était enfui de chez les Killites, renonça à son entreprise contre lui.

2. David, parti de là, arrive en un endroit appelé Kainé (La Nouvelle)[202] dans la Ziphène : là, Jonathan, fils de Saül, se rencontre avec lui, et, lui ayant donné l’accolade, l’exhorte à prendre courage, à bien espérer pour l’avenir et à ne pas se laisser accabler par le présent : David était appelé à régner et à tenir sous son pouvoir toutes les forces des Hébreux, et une si haute fortune exige volontiers de grandes épreuves. Puis, avant renouvelé ses serments d’affection et de confiance réciproque pour toute la vie, avant pris Dieu à témoin des malédictions qu’il appelait sur lui-même, s’il venait à transgresser leur alliance et à montrer des sentiments opposés. il laisse David nu peu soulagé de ses soucis et de ses craintes et s’en retourne chez lui. Cependant les gens de Ziph, pour faire leur cour à Saül, lui révélèrent que David séjournait parmi eux et promirent de le livrer, si Saül marchait contre lui ; en effet, les défilés de la Ziphène une fois occupés, il ne pourrait plus se sauver ailleurs. Le roi loua leur fidélité, déclarant qu’il leur savait gré d’avoir dénoncé son ennemi et que ce service n’attendrait pas longtemps sa récompense. Puis il envoya des hommes pour rechercher David et fouiller le désert, assurant qu’il les suivrait bientôt lui-même. Ainsi ces méchants poussaient le roi à poursuivre et à saisir David, et s’empressaient. non-seulement de lui dénoncer son ennemi, mais de le livrer entre ses mains pour lui prouver leur zèle d’une façon plus manifeste. Mais l’espoir impie de ces hommes fut déçu, d’autant plus pervers qu’ils n’auraient couru aucun risque en s’abstenant de faire ces révélations à Saül, et que, par flatterie et dans l’attente d’un salaire, ils calomnièrent et offrirent de trahir un homme cher à Dieu, dont la tête était injustement mise à prix et qui pouvait rester caché. En effet, David, informé des mauvais desseins des Ziphéniens et de l’approche du roi, quitte les défilés de leur pays et se réfugie auprès de la grande roche qui se trouve dans le désert de Simon[203].

3[204]. Saül l’y relance aussitôt. Ayant appris en route que David avait franchi les défilés, il se dirigea vers l’autre côté de la roche. Mais au moment où David allait être pris, Saül fut détourné de la poursuite par la nouvelle que les Philistins avaient derechef envahi le territoire des Hébreux ; il se retourna contre eux, estimant plus à propos de combattre l’ennemi héréditaire que de laisser dévaster son pays en pourchassant son ennemi personnel.

4[205]. David, ainsi échappé au danger par miracle, se retire dans les gorges du pays d’Engaddi[206]. A peine Saül eut-il chassé les Philistins, on vint lui annoncer que David séjournait sur les confins de l’Engadène. Alors, ayant pris trois mille hommes d’armes d’élite, il s’y dirige à marches forcées. Arrivé à proximité des lieux indiqués, il rencontre, au bord de la route, une caverne profonde et creuse. fort longue et large, où par hasard se trouvait caché David avec ses quatre cents hommes. Pressé par quelque besoin naturel, Saül pénètre seul dans la caverne. Un des compagnons de David l’aperçoit ; il dit à son chef que voilà l’occasion envoyée par Dieu de se venger de son ennemi et lui conseille de trancher la tête à Saül pour s’affranchir enfin de cette vie de vagabondages et de misères. David, se dressant debout, arrache le pan du manteau dont Saül était enveloppé, puis, s’étant aussitôt ravisé, pensa qu’il ne pouvait sans impiété assassiner son maître, l’homme que Dieu avait jugé digne de la royauté : « S’il se conduit mal envers moi, dit-il, ce n’est pas une raison pour que j’en use de même envers lui. » Quand Saül fut sorti de la caverne, David court devant l’entrée et pousse un cri, pour se faire entendre de lui. Et le roi s’étant retourné, il se prosterne devant lui, la face à terre, selon l’usage, et dit : « Ô roi, vas-tu continuer à prêter l’oreille aux méchants, aux calomniateurs, à leur faire l’honneur d’ajouter foi à leurs mensonges et à tenir en suspicion tes meilleurs amis ? C’est aux actes qu’il faut juger le caractère de chacun. La calomnie égare, les actes révèlent clairement les bons sentiments ; les paroles ont naturellement deux aspects. vérité ou mensonge, mais les faits mettent sous les regards l’intention à nu. Laisse-toi donc convaincre par ce qui vient de se passer : sois persuadé que je ne veux que du bien à toi et à ta maison, et, sans plus t’attacher à ceux qui m’accusent de desseins que je n’ai jamais conçus et qui ne peuvent pas avoir existé, cesse de persécuter ma vie et de n"avoir, jour et nuit, d’autre souci en tête que celui de ma perte, injustement méditée. Comment, en effet, ne reconnais-tu pas le mensonge de la rumeur a laquelle tu as donné créance, mon prétendu complot contre ta vie ? Comment ta conduite ne serait-elle pas un outrage envers Dieu, lorsqu’un homme qui aujourd’hui pouvait satisfaire sa rancune et tirer vengeance de toi, et qui n’a pas voulu le l’aire ni cherché à profiter d’une occasion que tu n’aurais pas, toi, laissé passer, si le sort l’avait livré en tes mains. lorsque cet homme-là, tu aspires à sa mort et tu le rêves toit ennemi ? Car lorsque j’ai coupé le pan de ton manteau. je pouvais aussi facilement te trancher la tête.» Et lui avant fait voir le morceau d’étoffe, en témoignage de la vérité de son discours : « Oui, dit-il, moi, j’ai renoncé à une légitime vengeance. et toi, tu ne rougis pas de nourrir contre moi une haine injustifiée. Que Dieu soit juge et prononce sur notre conduite à tous deux ! » Saül, surpris de la façon merveilleuse dont il venait d’être sauvé, frappé de la générosité et du caractère du jeune homme, poussa un soupir. Comme David en faisait autant : « C’est à moi de gémir, reprit-il[207], car toi, tu m’as fait du bien, tandis que je ne t’ai rendu que du mal. Tu as montré aujourd’hui que tu possédais cette droiture de nos anciens, qui ont recommandé de laisser la vie à un ennemi surpris dans la solitude. Dès maintenant je ne doute pas que Dieu te réserve la royauté et que l’empire sur tous les Hébreux sera ton partage. Mais donne-moi l’assurance par serment de ne pas anéantir ma famille, de ne pas faire périr, par rancune contre moi, mes descendants, de conserver et de sauver ma maison. » David prête le serment désiré et laisse rentrer Saül dans son royaume : quant à lui, il monte en compagnie des siens dans le défilé de Masthéra[208].

5[209]. Vers ce temps-là, mourut le prophète Samuel, homme qui jouit chez les Hébreux d’une considération peu commune. L’éclat de ses vertus et l’affection dont la multitude l’entourait s’exprimèrent par le deuil que célébra longtemps le peuple, l’empressement unanime et le zèle qu’on montra à l’occasion de sa sépulture et pour l’accomplissement des rites légaux. On l’enterra dans sa patrie, Armatha, et on le pleura pendant de très longs jours ; ce n’était pas un deuil public, comme pour la mort d’un étranger : chacun individuellement le regretta comme son propre parent. Samuel fut un homme de naturel juste et bon, et par là même très aimé de Dieu. Il avait commandé et gouverné le peuple après la mort du grand-prêtre Éli pendant douze ans tout seul, et avec le roi Saül pendant dix-huit ans. Ainsi finit Samuel.

6. Or, il y avait un certain homme du pays de Ziph, de la ville d’Emmà[210], qui était riche et possédait de nombreux troupeaux : il faisait paître, en effet, trois mille brebis et mille chèvres. Ces troupeaux, David avait recommander aux siens de les protéger contre tout dommage et tout dégât et de n’y porter aucune atteinte, quelque    tentés qu’ils pussent être par le désir, le besoin, ou la solitude, quelque facilité qu’ils eussent d’échapper ; ils devaient placer au-dessus de toutes ces considérations la règle de ne léser personne et regarder comme un crime et un péché envers Dieu le fait d’attenter au bien d’autrui. En donnant ces ordres aux siens, David croyait obliger un homme de bien et digne de pareils égards. Mais Nabal(os), — tel était son nom — était un brutal, de caractère méchant, et qui pratiquait la manière de vivre des cyniques[211] ; en revanche, le sort lui avait donné pour compagne une femme excellente, vertueuse et, de plus, très belle. Dans le temps donc où Nabal faisait tondre ses brebis, David envoya dix de ses compagnons pour lui présenter ses hommages et lui souhaiter de continuer dans la prospérité pendant de longues années ; en même temps, il le priait de leur fournir un peu de ce qu’il avait en abondance : « Tu dois savoir, dirent-ils, par tes bergers, que nous ne leur avons causé aucun tort, qu’au contraire nous nous sommes faits les gardiens de leurs personnes et de leurs troupeaux, depuis le long temps que nous vivons dans le désert. Ton bienfait, d’ailleurs, ne sera pas perdu. » Les envoyés s’étant acquittés de leur mission auprès de Nabal, il les accueillit avec beaucoup d’inhumanité et de dureté. Il leur demanda d’abord qui était ce David, et apprenant qu’il était le fils de Jessée : « On voit prendre aujourd’hui de grands airs, s’écrie-t-il, à des fugitifs et s’enorgueillir des serviteurs qui ont planté là leurs maîtres. » Ces propos, rapportés à David, le mirent fort en colère ; il commande à quatre cents hommes de le suivre en armes, laissant deux cents autres pour garder les bagages — car il avait maintenant réuni six cents combattants — et marche contre Nabal, faisant serment d’anéantir, cette nuit même, sa maison et tout son bien : il lui en voulait non pas seulement de son accueil peu gracieux et de n’avoir pas répondu à la parfaite courtoisie de son adresse, mais en outre d’avoir injurié et outragé des gens dont il n’avait qu’à se louer.

7. Cependant un des esclaves qui gardaient les troupeaux de Nabal rapporte à sa maîtresse, la femme de Nabal, comment David avait envoyé un message à son mari, mais, loin de rencontrer de sa part un accueil courtois, n’en avait reçu que de grossiers outrages, et cela malgré ses égards envers eux et le soin qu’il avait pris de leurs troupeaux ; sûrement une telle attitude portera malheur à son maître. Au récit de l’esclave, Abigaïl (Abigaïa)[212], — tel était son nom, — fait sur-le-champ bâter des ânes et charger leurs bâts de toute sorte de présents, puis, sans mot dire à son mari, que l’ivresse empêchait de rien voir[213], elle va trouver David. Comme elle descendait les défilés de la montagne, elle rencontre celui-ci s’acheminant avec ses quatre cents hommes vers Nabal. Dès qu’elle l’aperçoit, la femme saute à terre, et, tombant sur sa face, le salue et le supplie de ne pas garder rancune des paroles de sou époux : il ne devait pas ignorer en effet, que cet homme était ce qu’indiquait son nom ; — nabal dans la langue des Hébreux signifie démence[214] ; — quant à elle, elle s’excusait de n’avoir pas vu les envoyés de David. « C’est pourquoi, pardonne-moi, dit-elle, et rends grâce à Dieu qui t’empêche de tremper tes mains dans le sang humain. Si tu demeures pur, Dieu lui-même te vengera des méchants, et les malheurs dont tu menaçais Nabal fondront sur la tête de tes ennemis. Mais sois bon pour moi, en me faisant l’honneur de recevoir ces présents de mes mains, et renonce en ma faveur à l’indignation et à la colère que tu nourris contre mon mari et contre sa maison. Il te sied, en effet, de faire paraître de la mansuétude et de l’humanité, à toi qui dois régner un jour. » David accepte les présents et lui répond : « En vérité, femme, c’est Dieu, dans sa bonté, qui t’a menée vers nous aujourd’hui ; sans quoi tu n’eusses pas vu le jour de demain, car j’avais juré de détruire, cette nuit mime, la maison de Nabal et de ne laisser vivre personne d’entre vous, tant cet homme s’est montré méchant et ingrat envers moi et mes compagnons. Mais tu m’as devancé et tu es arrivée à temps pour apaiser ma colère, puisque Dieu te protège. Quant a Nabal, il peut bien aujourd’hui, grâce à toi, retarder son châtiment, mais il n’évitera pas l’expiation ; sa perversité deviendra sa perte dans quel-que autre occasion. »

8[215]. Cela dit, il congédie la femme. En rentrant chez elle, elle trouve son mari festoyant avec de nombreux convives et déjà pris de boisson, sur le moment, elle ne révéla rien de ce qui s’était passé, mais, le jour suivant, quand il était à jeun, elle lui raconta tout et le vit aussitôt défaillir ; l’effet de ses paroles et du dépit qu’il en ressentit lui rendit le corps tout perclus. Après avoir vécu encore dix jours, pas un de plus, Nabal mourut. Quand il fut instruit de sa fin, David déclara qu’il avait été justement puni par Dieu ; « Nabal, dit-il, a péri victime de sa propre dépravation, et je suis vengé de lui, sans m’être souillé de son sang. Il apprit par cet exemple que les méchants sont poursuivis par Dieu, à qui rien n’échappe de ce qui se passe chez les hommes, qui paie les bons selon leur mérite, et envoie aux méchants un prompt châtiment. Ensuite David adressa un message à la femme, pour l’inviter à vivre désormais comme épouse avec lui. Elle répondit aux messagers qu’elle n’était pas digne de toucher ses pieds ; mais elle vint cependant avec tout son équipage. Elle demeura donc avec David, et cet honneur lui échut parce qu’elle était à la fois de mœurs honnêtes et sages et parfaitement belle. David avait déjà une autre épouse, qu’il avait prise dans la ville d’Abisaros[216]. Quant à Michal, la fille du roi Saül qui avait été femme de David, son père l’avait unie ensuite à Pheltias, fils de Lisos[217], de la ville de Gethla[218].

9[219]. Un peu plus tard, quelques hommes de Ziph s’en vinrent donner avis à Saül que David était de nouveau dans leur pays et qu’ils pourraient s’emparer de lui s’il voulait les aider. Saül se mit aussitôt en campagne avec trois mille hommes d’armes, et, la nuit approchant, campa en un endroit nommé Sékéla[220]. David, averti que Saül marchait contre lui, envoya des espions chargés de reconnaître ses positions. Ceux-ci lui ayant rapporté que le roi passait la nuit à Sékéla, David, à l’insu des siens, se glisse jusqu’au camp de Saül, emmenant avec lui Abisaï (Abesséos)[221], fils de sa sœur Sarouya[222], et Achiméléch(os), le Chettéen. Saül dormait, ses hommes d’armes et le général Abner couchés en cercle autour de lui. David, ayant pénétré dans le camp du roi, s’abstient de tuer Saül, dont il avait reconnu la couche au javelot qui était liché en terre à son côté ; il ne laissa même pas faire Abisaï, qui voulait le tuer et s’élançait dans cette intention : il déclara qu’il était abominable de mettre à mort l’élu de Dieu, si coupable fût-il ; le temps viendrait où celui qui lui avait donné le pouvoir se chargerait de le châtier. Il arrêta donc le bras d’Abisaï, mais, pour bien marquer qu’il avait pu tuer le roi et ne l’avait pas voulu, il enleva le javelot ainsi que ta cruche d’eau qui était posée près de Saül endormi, sans qu’aucun de ceux qui étaient dans le camp s’en aperçût, et, pendant que tout te monde sommeillait à terre, il s’en alla tranquillement, sa hardiesse et les circonstances lui ayant permis d’accomplir tout ce qu’il avait médité de l’aire aux yeux du roi. Après avoir repassé le torrent[223], il monte sur le sommet d’une colline d’ou sa voix portait au loin, appelle à grands cris les gens de Saül et le général Abner, et les réveille en sursaut de leur sommeil, chef et soldats. Abner ayant entendu et demandé qui l’appelait, David répond : « C’est moi, le fils de Jessée, que vous avez chassé. Mais comment se fait-il que toi, un si haut personnage, qui tiens le premier rang auprès du roi, tu marques tant de négligence à veiller sur la personne de ton maître et que ton sommeil te soit plus précieux que son salut et sa sécurité ? Vous avez tous mérité la mort et le châtiment, pour n’avoir pas aperçu que tout a l’heure quelques hommes ont pénétré dans votre camp jusqu’auprès du roi et de tous ceux qui l’entourent. Vois ce que sont devenus le javelot du roi et sa cruche d’eau et juge par là quel danger était parmi vous sans que vous vous en doutiez. » Saül reconnaît la voix de David : il devine que celui-ci, l’ayant surpris sans défense, endormi et mal gardé par une escorte négligente, loin de l’assassiner, l’a épargné quand il aurait eu le droit de le tuer ; alors il s’écrie qu’il lui sait gré de son salut et l’engage à se rassurer et, sans plus craindre aucun mauvais traitement de sa part, à rentrer au foyer. Il était maintenant persuadé, ajoute-t-il, qu’il ne s’aimait pas lui-même autant que l’aimait David : cet homme lui aurait pu être sa sauvegarde[224] et qui lui avait fourni mille preuves de son attachement, il l’avait traqué, contraint de vivre longtemps en proscrit, tremblant pour son existence, sans amis ni parents, et cependant voilà que plusieurs fois il avait été sauvé par lui et avait reçu de ses mains une vie en danger manifeste. David alors envoya un homme rapporter le javelot et la cruche d’eau[225] et protesta que Dieu serait juge de leur caractère et de leurs actions, « Dieu qui savait qu’ayant eu le pouvoir aujourd’hui même de tuer Saül, il s’en était abstenu ».

10[226]. Saül, qui avait ainsi pour la seconde fois échappé aux mains de David, retourna dans sou palais et sa patrie : mais David, craignant, en restant dans le pays, d’être pris par Saül, jugea préférable de descendre chez les Philistins pour y demeurer. Et avec les six cents hommes qui l’accompagnaient il arriva chez Anchous[227], roi de Gitta, une de leurs cinq villes. Le roi l’ayant accueilli, ainsi que ses hommes, lui assigna une habitation, pour lui et ses deux femmes Achima[228] et Abigaïl, et l’installa à Gitta. Saül, quand il l’apprit, ne parla plus d’envoyer ou de marcher contre David, car, par deux fois déjà, il avait failli tomber entre ses mains, en cherchant à le prendre[229]. Cependant David ne jugea pas bon de demeurer dans la ville des Gittiens : il demanda à leur roi, puisque aussi bien il l’avait accueilli avec hospitalité, une grâce de plus : c’était de lui donner un endroit sur son territoire pour y habiter : il craignait, en restant dans la ville, de lui être à charge et importunité. Alors Anchous lui donna une bourgade nommée Sékéla[230] que David aima tellement qu’une fois roi il en fit un domaine particulier pour lui et ses fils ; mais de ceci nous parlerons ailleurs. Le temps pendant lequel David demeura a Sékéla en Philistée fut de quatre mois et vingt jours[231]. Il passa ce temps à faire des incursions clandestines chez les peuples voisins des Philistins, les Serrites et les Amalécites[232]. Il ravageait leur pays et s’en retournait muni d’un butin abondant en bêtes de somme et chameaux ; quant aux hommes, il les épargnait[233] craignant qu’on ne le dénonçât au roi Anchous ; il envoyait d’ailleurs à ce dernier, en guise de présent, une part du butin. Comme le roi demandait à qui il s’était attaqué pour gagner tant de prises, il lui raconta que c’était a des gens de Juda, demeurant au raidi de ce pays, dans la plaine, et réussit à le faire croire a Anchous. Celui-ci, en effet, avait conçu l’espoir que David tiendrait son propre peuple en haine et qu’il le garderait à sou service, sa vie durant, établi dans ses états.

 

— XIV —

1. David promet son concours à Anchous contre les Hébreux. — 2. Saül, effrayé par les forces des Philistins, consulte la ventriloque d’Endor ; évocation de l’âme de Samuel : prédiction de la mort de Saül. — 3. Saül s’évanouit ; la devineresse le ranime. — 4. Éloge de la femme d’Endor ; panégyrique de Saül. — 5. Les généraux philistins repoussent David, l’allié d’Anchous ; retour de David à Sékéla ; sac de cette ville par les Amalécites. — 6. David les poursuit et les taille en pièces. — 7. Combat des Hébreux avec les Philistins : mort de Saül et de ses fils. — 8. Les Philistins exposent les dépouilles sur les murs de Bethsan ; les habitants de Jabès viennent les reprendre pour les ensevelir. — 9. Durée du règne de Saül.

1[234]. Sur ces entrefaites, les Philistins résolurent de faire une expédition contre les Israélites et envoyèrent des messagers à la ronde chez tous leurs alliés, leur donnant rendez-vous à Rengàn[235], d’où ils devaient, tous ensemble, partir en guerre contre les Hébreux. Le roi des Gittiens, Anchous, invita David à l’assister avec ses soldats contre les Hébreux. David s’empresse de le lui promettre et déclare que c’est là une occasion pour lui de payer Anchous de retour pour ses bons offices et son hospitalité : le roi s’engage alors à faite de lui son garde du corps[236] si la lutte contre l’ennemi commun tourne à souhait[237], espérant échauffer encore son zèle par cette marque d’honneur et de confiance[238].

2. Or, il faut savoir que le roi Saül avait banni de ses états les devins, les ventriloques[239] et tous les professionnels de ce genre, à l’exception des prophètes[240]. Quand il apprit que les Philistins étaient à ses portes et qu’ils avaient posé leur camp tout près de la ville de Souna[241], située dans la plaine, il se mit en route contre eux à la tête de son armée. Parvenu près d’un mont nommé Gelboué, il établit son camp en face des ennemis. Mais un grand trouble le saisit en apercevant leurs forces si nombreuses et, en toute apparence, supérieures aux siennes ;alors il interroge Dieu, par le ministère des prophètes, au sujet du combat et lui demande l’issue qu’il doit en attendre. Dieu ne répondant pas, ce silence redouble sa crainte ; il perd courage. prévoyant, compte de juste, un désastre, puisque la divinité l’abandonnait. Dans cette extrémité, il ordonne qu’on aille lui chercher une femme, ventriloque de son métier, et sachant évoquer les âmes des morts, dans l’espoir qu’il pourra apprendre ainsi comment les événements tourneront pour lui. Car les ventriloques, par le moyen des âmes des morts qu’ils font surgir, prédisent l’avenir a ceux qui les interrogent. Informé par un de ses serviteurs qu’il y avait une femme de cette sorte dans la ville d’Endor(os), Saül s’en va à l’insu de tout le camp et, dépouillé de son costume royal, accompagné seulement de deux serviteurs d’une fidélité assurée, se rend à Endor chez cette femme et lui demande de lui prédire l’avenir et de faire revenir l’âme qu’il lui désignerait. D’abord la femme s’en défendit, protestant qu’elle n’osait pas enfreindre l’édit du roi, qui avait banni ce genre de devins ; c’était mal à lui, qui n’avait reçu d’elle aucun tort, de lui tendre ce piège et de lui faire commettre un acte défendu qui lui attirerait un châtiment. Saül jure alors que nul n’en saura rien, qu’il ne confiera à personne son oracle et qu’elle n’a rien à redouter. L’avant rassurée par ses serments, il lui commande d’évoquer devant lui l’âme de Samuel. La femme, ignorant qui était Samuel, l’appelle de l’Hadès. Il apparaît : elle, apercevant un homme vénérable et d’aspect divin, se trouble et s’effraye à ce spectacle : « N’es-tu pas, s’écrie-t-elle, le roi Saül ? » Car Samuel le lui avait désigné. Saül répond affirmativement et demande d’où lui vient ce grand trouble. « C’est, dit-elle, que je vois surgir un homme semblable par son aspect à un Dieu. » Saül l’invite à lui décrire la forme, le vêtement, l’âge de l’apparition. Elle le dépeint ainsi : c’est déjà un vieillard, d’apparence très vénérable, revêtu de la robe sacerdotale[242]. À ce signalement. Baht reconnaît Samuel et, se jutant à terre, le salue et lui rend hommage. L’ombre de Samuel lui demande pourquoi il l’a dérangé et fait remonter sur la terre. Saül, en gémissant, lui fait connaître la nécessité qui le presse : les ennemis tombent sur lui de tout leur poids, il se voit à bout de ressources, abandonné de Dieu et n’ayant pas même le réconfort d’une prédiction, soit par des prophètes, soit par des songes : « C’est pourquoi, dit-il, je me suis réfugié auprès de toi pour que tu me prennes sous ta garde. » Mais Samuel, sachant qu’il touchait au terme de ses vicissitudes : « C’est chose superflue, dit-il, que de vouloir rien apprendre de moi, dès que Dieu t’a abandonné ; sache cependant que David doit régner et achever heureusement cette guerre, et que toi, tu dois perdre le pouvoir et la vie pour avoir désobéi à Dieu lors de la guerre contre les Amalécites et n’avoir pas observé ses commandements, ainsi que je te l’ai annoncé de mon vivant. Apprends donc que ton peuple sera terrassé par tes ennemis, que toi-même avec tes enfants tu tomberas demain dans la bataille et que tu viendras me rejoindre. »

3. En entendant ces paroles, Saül devint muet de douleur et, précipité sur le sol, soit à cause du chagrin que lui causaient ces révélations, soit par faiblesse, — car il n’avait pas pris de nourriture, ni le jour ni la nuit précédente, — il gisait comme un mort[243]. Quand à grand peine il eut repris connaissance, la femme le força de manger quelque chose : c’était la seule grâce quelle lui demandait en récompense de cet oracle téméraire qu’elle avait osé lui donner sans en avoir le droit, par crainte de celui qu’elle n’avait pas reconnu. En retour, donc, elle insiste pour qu’il la laisse dresser une table avec des mets. afin qu’ayant réparé ses forces, il s’en retourne plus vaillant dans le camp des siens. Quoique le roi, dans son découragement, ne voulait rien entendre, elle lui fit violence et finit par le persuader. Elle possédait pour tout bien un veau dont elle faisait son compagnon, qu’elle avait voulu elle-même panser et nourrir, en pauvre mercenaire qu’elle était : elle l’immola, accommoda ses chairs et les offrit à Saül et à ses gens. Et Saül, cette nuit même, retourna dans son camp.

4[244]. Il convient de louer ici la générosité de cette femme. Bien qu’empêchée par d’exercer une profession qui aurait apporté plus d’aisance et de bien-être à son ménage, bien qu’elle n’eut jamais vu le roi auparavant, elle ne lui garda pas rancune d’avoir condamné son art, et ne l’éconduisit pas comme un étranger, un inconnu. Au contraire, elle lui apporta sympathie et consolation, l’exhorta à vaincre son dégoût, et lui offrit avec un généreux empressement l’unique bien que possédât sa pauvreté. En agissant de la sorte, elle ne payait pas quelque bienfait reçu, elle n’ambitionnait aucune marque future de reconnaissance, — puisqu’elle savait que Saül allait mourir, — alors que les hommes sont naturellement portés à se dévouer seulement pour ceux qui leur ont fait quelque bien ou à faire des avances à ceux de qui ils en espèrent. Il est donc beau de prendre exemple sur cette femme, de soulager tous ceux qui sont dans le besoin et de se persuader qu’il n’est rien de meilleur et de plus avantageux au genre humain, rien qui puisse mieux nous rendre Dieu propice et disposé à assurer notre bonheur. Mais en voilà assez au sujet de cette devineresse. Faisons maintenant une autre réflexion qui pourra être utile aux cités, aux peuples, aux nations, et profitable aux gens de bien ; tous y trouveront un aiguillon pour rechercher la vertu et poursuivre ce qui pourra leur procurer gloire et renom éternel : elle est propre à imprimer au cœur des rois, des nations et des chefs des cités le vif désir et l’amour du bien, à leur faire braver les dangers et la mort même pour le salut de leur patrie, à leur apprendre à mépriser les plus redoutables épreuves. L’occasion de cette réflexion m’est fournie par Saül, roi des Hébreux. Ce roi, à qui l’oracle du prophète ne laissait aucun doute sur son destin et sa mort prochaine, ne songea pas à éviter la mort ni, par amour de la vie, à livrer les siens à l’ennemi et à déshonorer la majesté royale ; au contraire, s’étant offert aux dangers, lui, sa maison, ses enfants, il jugea beau de tomber avec eux en combattant pour ses sujets et voulut que ses fils périssent en braves gens plutôt que de les laisser vivre, incertain de leur conduite future : pour tout successeur et pour toute postérité, il laissait une gloire et une renommée impérissable. Tel est, à mon sens, l’homme droit, vaillant et sage, seul digne, s’il fut ou doit être pareil, de recueillir pour sa vertu les suffrages unanimes. Ceux, en effet, qui partent pour la guerre, le cœur gonflé d’espérances, pensant triompher et revenir sains et saufs après avoir accompli quelque action d’éclat, ils ne méritent guerre ce nom de vaillants que leur décernent les historiens et les autres écrivains. Certes, eux aussi sont dignes d’approbation, mais la force d’âme, la hardiesse, le mépris du mal ne sont vraiment l’apanage que de ceux qui ont suivi l’exemple de Saül. Ignorer ce qui vous adviendra à la guerre, et s’y engager, sans faiblesse, en s’en remettant, comme le navigateur sur une mer orageuse, à un avenir incertain, voilà qui n’est pas si magnanime, quelque nombreux exploits qu’on doive accomplir. Mais que, sans concevoir aucune espérance, sachant d’avance, au contraire, qu’on va mourir dans la bataille, on n’éprouve aucune peur, on ne tremble pas devant ce tragique destin, qu’on aille au-devant de lui en connaissance de cause, voilà, je le prétends, une preuve de véritable vaillance. Et c’est ainsi qu’agit Saül pour montrer que tous ceux qui souhaitent laisser un grand nom après leur mort doivent se conduire de manière à le mériter[245], les rois surtout, car l’éminence de leur dignité leur interdit non seulement d’être mauvais envers leurs sujets, mais même de n’être bons que médiocrement. Je pourrais en dire davantage sur Saül et sa grandeur d’âme : le sujet s’y prête amplement ; mais je craindrais de passer la mesure du goût dans ce panégyrique[246] et je reviens au point d’où je m’étais écarté.

5[247]. Les Philistins, ayant établi leur camp comme je l’ai dit et faisant le dénombrement de leurs forces par peuples, royaumes et satrapies, virent arriver en dernier lieu le roi Anchous avec ses propres gens, suivi de David avec ses six cents hommes d’armes. En les apercevant, les généraux Philistins demandèrent au roi d’où venaient ces Hébreux et qui les avait appelés. Le roi répondit que c’était David fuyant Saül, son maître, il l’avait accueilli quand il était venu à lui : maintenant, désireux à la fois de s’acquitter du service reçu et de se venger de Saül, David venait combattre dans leurs rangs. Là-dessus, les chefs le blâmèrent d’avoir pris pour allié un ennemi et ils l’engagèrent à le congédier de peur qu’il ne devint, à l’insu d’Anchous, la cause de grands malheurs pour ses amis : car c’était fournir à David un excellent moyen de se réconcilier avec son maître que de lui donner l’occasion de perdre leur armée. Pour éviter ce danger, ils lui ordonnèrent de renvoyer David dans le canton qu’il lui avait concédé pour y habiter avec ses six cents hommes d’armes : car c’était là ce David de qui les jeunes tilles disaient dans leurs chants : « qu’il avait tué les Philistins par dizaines de milliers. » Le roi des Gittiens trouva qu’ils parlaient raison ; il appela donc David et lui dit : « Pour moi, je puis porter témoignage de ton zèle et de ton affection parfaite à mon égard, et c’est pour cela que je t’ai emmené comme allié ; mais tel n’est pas l’avis de nos chefs. Va-t-en donc, dès le jour, vers l’endroit que je t’ai donné en toute confiance, et là, veille sur le pays pour moi de peur que quelques peuples n’y fassent invasion : ainsi encore tu empliras ton devoir d’allié. » David[248], se conformant à l’ordre du roi des Gittiens, retourna vers Sékéla. Or, pendant qu’il s’était absenté pour porter secours aux Philistins, la nation des Amalécites, faisant irruption, s’était emparée de vive force de Sékéla et, après l’avoir incendiée et tiré force butin de cette ville même et du reste du pays philistin, ils s’étaient retirés.

6. Quand David trouva Sékéla toute dévastée et mise au pillage, quand il apprit que ses deux femmes et celles de ses compagnons étaient emmenées captives avec leurs enfants. Il déchira ses vêtements et commença à pleurer et à se lamenter avec ses amis ; il tomba dans un tel abattement que les larmes mêmes finirent par lui manquer. Ses compagnons, qui gémissaient sur la capture de leurs femmes et de leurs enfants, dont ils le rendaient responsable, faillirent même le lapider. Cependant, il finit par revenir à lui et, élevant sa pensée vers la divinité, il pria le grand-prêtre Abiathar de revêtir sa robe de grand-prêtre, d’interroger Dieu et de lui prédire si, au cas où il poursuivrait les Amalécites, il lui serait accordé de les joindre, de délivrer les femmes et les enfants et de punir les ennemis. Le grand-prêtre l’engage à entreprendre la poursuite ; alors il s’élance avec ses six cents hommes sur la trace des ennemis. Parvenu au bord d’un torrent nommé Basélos[249], il rencontre un traînard ; c’était un Égyptien, accablé par la fatigue et la faim, qui était resté pendant trois jours à errer dans le désert sans nourriture. David, après lui avoir donné à boire et à manger et l’avoir réconforté, lui demanda qui il était et d’où il venait. Il répondit qu’il était de race égyptienne et qu’il avait été abandonné par son maître, ne pouvant le suivre à cause de sa faiblesse : ce maître était un des chefs qui avaient incendié et ravagé le territoire de Juda ainsi que Sékéla. David alors prend l’homme comme guide pour le mener vers les Amalécites : il surprend ceux-ci affalés à terre, les uns en train de faire bonne chère, les autres déjà ivres, abrutis par le vin, tout à la jouissance des dépouilles et du butin : il les assaille à l’improviste et en fait un grand carnage : sans armes et pris au dépourvu, ne songeant qu’à boire et à festoyer, c’était une proie facile. Les uns se laissèrent saisir et massacrer pendant qu’ils étaient encore assis autour des tables, et leur sang, se répandant, entraîna les pains et les viandes ; d’autres étaient occupés à se porter réciproquement des santés quand la mort les surprit : quelques-uns, gorgés de vin pur, étaient plongés dans le sommeil. Un petit nombre avait eu le temps de revêtir ses armures et de faire front : mais David les tailla en pièces aussi aisément que leurs camarades désarmés. Les compagnons de David, comme lui, se livrèrent au carnage depuis la première heure jusqu’au soir, si bien qu’il ne survécut pas plus de quatre cents Amalécites, qui avaient eu le temps de monter sur des dromadaires et de prendre la fuite. David recouvra tout le butin qu’avaient enlevé les ennemis, ainsi que ses femmes et celles de ses compagnons. Au retour, ils arrivèrent en un endroit où ils avaient laissé à la garde des bagages deux cents hommes incapables de suivre le gros de leur troupe. Les quatre cents ne voulurent point partager avec ceux-ci les gains et le butin de la journée ; comme ils ne les avaient pas accompagnés et avaient manqué de cœur devant la poursuite, ils devaient, disait-on, s’estimer satisfaits de reprendre leurs femmes délivrées. David déclara que cet avis était méchant et injuste : dès l’instant que Dieu leur avait accordé de châtier leurs ennemis et de recouvrer tous leurs biens, il fallait qu’on partageât également les profits entre tous ceux qui avaient fait campagne, d’autant plus que ces hommes étaient restes à la garde des bagages. Et depuis lors cette règle a prévalu chez les Israélites que les gardiens des bagages recevraient la même part que les combattants. Revenu à Sékéla, David envoya à tous ses familiers et amis de la tribu de Juda une portion des dépouilles. Telles furent les circonstances du pillage de Sékéla et du massacre des Amalécites.

7[250]. Cependant les Philistins en étant venus aux mains avec les Israélites, après un combat acharné, la victoire leur reste et ils anéantissent beaucoup de leurs adversaires. Saül, roi des Israélites, et ses fils luttèrent vaillamment et de toute leur force, mettant leur seule gloire à bien mourir et à combattre hardiment l’ennemi, car rien ne leur tenait davantage au cœur. Ainsi ils attirent sur eux tout l’effort de leurs adversaires et, une fois enveloppés, périssent après avoir abattu quantité de Philistins. Les fils de Saül étaient Jonathan, Aminadab(os) et Melchis(os)[251]. Ceux-ci tombés, la cohue des Hébreux est mise en déroute : les ennemis se ruent sur les fuyards et sèment parmi eux le désordre, la confusion et le carnage. Saül fuyait avec une forte troupe massée autour de lui : les Philistins ayant envoyé contre lui des archers et de gens de trait, il les abat à peu près tous lui-même. Après avoir fait des prodiges de valeur et reçu beaucoup de blessures[252], incapable de continuer la résistance ou de soutenir davantage les coups, trop faible pour se tuer lui-même, il ordonne à son écuyer de tirer son glaive et de l’en transpercer, de peur qu’il ne tombe vivant aux mains des ennemis. Comme l’écuyer ne pouvait se résoudre à tuer son maître. Saül tire lui-même son épée, se place contre la pointe et essaie de se l’enfoncer dans le corps : mais il ne pouvait ni la pousser ni s’appuyer assez fort pour faire pénétrer le fer. En cet instant, il se retourne[253] et aperçoit un jeune homme à ses côtés ; il lui demande qui il est et, entendant qu’il était Amalécite, il le prie de lui enfoncer l’épée dans le corps, puisque ses propres mains en sont incapables, et de lui procurer ainsi la mort qu’il convoite. Le jeune homme obéit, puis arracha le bracelet d’or du roi et son diadème royal et disparut. L’écuyer, voyant Saül mort, se transperça lui-même. Aucun des gardes du corps du roi ne survécut ; tous tombèrent autour du mont appelé Gelboué. Quand ceux des Hébreux qui habitaient la vallée au-delà du Jourdain et les villes de la plaine apprirent que Saül, ses fils et toute son armée avaient péri, abandonnant leurs villes, ils se réfugièrent dans les forteresses ; les Philistins, trouvant les villes inoccupées, s’y logèrent.

8[254]. Le jour suivant, les Philistins, en dépouillant les cadavres de leurs ennemis, découvrent les corps de Saül et de ses fils ; ils les dépouillent, puis leur tranchent la tête et font annoncer dans tout le pays alentour que leurs ennemis sont abattus. Ils consacrèrent les armures des princes dans le temple d’Astarté et mirent les corps en croix le long des remparts de la ville de Bethsan[255], qui s’appelle aujourd’hui Scythopolis. Cependant, lorsque les habitants de Jabès en Galaditide apprirent qu’on avait mutilé les cadavres de Saül et de ses fils, ils s’indignèrent à l’idée de les laisser sans sépulture. Les plus courageux et les plus hardis d’entre eux firent donc une sortie, — les enfants de cette cité sont vaillants d’âme comme de corps, — et, ayant cheminé toute la nuit, ils arrivèrent à Bethsan, s’approchèrent du rempart et en détachèrent les corps de Saül et de ses fils ; puis ils les emportèrent à Jabès, sans que les ennemis eussent pu ou osé les en empêcher, tant leur audace en imposa. Le peuple entier de Jabès, après avoir brûlé les corps, les ensevelit dans le plus bel endroit du pays, au lieu dit le Champ (Aroura)[256] ; puis ils célébrèrent pour eux un deuil de sept jours avec leurs femmes et leurs enfants, pendant lequel ils se frappèrent la poitrine et pleurèrent le roi et ses lits, sans toucher ni nourriture ni boisson.

9[257]. Ainsi finit Saül, selon la prédiction de Samuel, parce qu’il avait contrevenu aux commandements de Dieu, touchant les Amalécites, et parce qu’il avait fait périr la race du grand-prêtre Achimélech ainsi qu’Achimélech lui-même, et réduit en cendres la ville des grands-prêtres. Il avait régné dix-huit ans du vivant de Samuel et, après la mort de ce dernier, encore vingt-deux années.

 


 

[1] I Samuel, V, 1.

[2] Dans la Bible le fait ne se reproduit qu’une fois. En revanche, on ajoute des détails sur la mutilation de la statue du dieu.

[3] Conforme aux LXX. L’hébreu ne parte de l’invasion des souris qu’au chapitre VI, 4, 3 ; c’est une addition provenant d’une fausse interprétation des souris d’or offertes en expiation.

[4] Dans la Bible, les gens d’Asdod convoquent les princes des Philistins, qui font transporter l’arche à Gath, puis à Ekron (LXX : Ascalon).

[5] I Samuel, VI, 1.

[6] Toute cette partie de la délibération est ajoutée au récit biblique. Toutefois elle a pour origine le verset 9 du chap. VI.

[7] Les LXX traduisent l’hébreu par hémorroïdes ou anus d’or. Les statues de Josèphe ne peuvent être que des statuettes, si elles entrent toutes dans une botte. Dans le texte primitif il n’était question que de cinq souris d’or, emblème de la peste.

[8] L’offrande dans la Bible n’est pas destinée à remercier Dieu, mais à l’apaiser.

[9] Explication rationaliste, qui est de la façon de Josèphe.

[10] I Samuel, VI, 10.

[11] Lapsus de Josèphe, puisque, aussitôt après, il nous montre les chefs des Philistins suivant le chariot.

[12] Hébreu : Beth-Sehémesch ; LXX : Βαιθσυμύς.

[13] La Bible dit : au champ de Josué (LXX. Ώσηέ) de Beth-Schémesch.

[14] A Ekron, selon la Bible (V, 16).

[15] I Samuel, VI, 19 : 70 hommes (et) 50.000 hommes. Le second chiffre paraît interpolé. Il semble que la Bible de Josèphe ne l’avait pas encore.

[16] Cette explication n’est pas dans l’Écriture (VI, 19), où il est dit seulement qu’ils avaient regardé dans l’arche. Le Talmud (Sofa. 35a et b ; cf. Nombres rabba, V, vers la fin) s’étonne qu’un fait aussi insignifiant ait provoqué le châtiment céleste et rapporte à ce sujet les opinions d’Abbahou et d’Eléazar (fin du IIIe siècle). Selon le premier, les gens de Beth-Schémesch auraient regardé l’arche tout en continuant leur travail, donc (selon le commentaire de Raschi) d’une façon dédaigneuse ; selon Eléazar, ils se seraient même permis des réflexions déplacées touchant l’arche, disant : « Qui t’a irritée au point de te laisser capturer, et qui t’a apaisée et a obtenu ton retour spontané ? »

[17] Hébreux : Kiriath-Yearim.

[18] I Samuel, VII, 1. Hébreux : Abinadab. La bible ne dit pas qu’il était Lévite.

[19] La bible ne parle que d’un fils nommé Éléazar.

[20] Sept mois, selon la Bible (I Samuel, VI, 1).

[21] I Samuel, VII, 2.

[22] Τήν πονηριαν έxβαλόντες τών ψυχών xαί θεραπεύοντες (ou θεραπεύσαντεv) αύτήν. Le mot αύτήν ne peut se rapporter grammaticalement qu’au mot πονηρια et n’offre aucun sens. Nous proposons de changer αύτήν en άρετήν, légère correction qui donne un sens satisfaisant.

[23] Ce délayage rend très mal le sens du discours de Samuel (VII, 3), qui demande aux Hébreux de prouver la sincérité de leur zèle en détruisant les idoles étrangères.

[24] Hébreu : Miçpa ; LXX : Μασοηοαθ.

[25] I Samuel, VII, 7.

[26] Anachronisme fréquent pour Israélites (cf. Ant., IV. § 11 et plus loin, $ 30 et 40).

[27] La Bible ne parle que de tonnerre.

[28] Hébreu : Bêt-Car ; LXX : Βαιθχόρ.

[29] Hébreu : Eben-Haézer (Pierre d’assistance) ; LXX : Άβενέζρ traduit par λίθος τού Βοηθού. Peut-être Josèphe a-t-il mal lu l’hébreu (Michaëlis, Thénius, Siegfried).

[30] Comme l’hébreu et l’Alexandrinus ; le Vaticanus a : d’Ascalon jusqu’à Azot.

[31] I Samuel, VII, 15.

[32] πσλιν αύτοϊς άποδούς. Le singulier étonne. Dans la Bible (VII, 16) il y a trois villes de judicature (Rethel, Gilgal, Miçpa), plus Rama, résidence ordinaire de Samuel.

[33] La Bible dit seulement : tous les ans. Le « deux fois l’an » de Josèphe est peut-être une déduction hagadique de la répétition du mot « année », dans l’hébreu (LXX : xατ ’ένιαυτόν ένιαυτόν).

[34] I Samuel, VIII, 1.

[35] Hébreu et LXX : Abia (leçon du ms. E. de Josèphe). Seule la recension de Lucien donne Αβηρα (Αβιρα) ; la Vetus Latina : Abiathar.

[36] Hébreu : Beer-Schéna ; LXX : Βηρσαει. D’après la Bible, les deux fils de Samuel exerçaient à Bersabée.

[37] Il semble que le texte présente ici une lacune : on attend la réciproque.

[38] I Samuel, VIII, 4.

[39] Dans la Bible, ce sont les anciens qui vont trouver Samuel. Mais au verset VIII, 10, c’est le peuple qui apparaît.

[40] La Bible ne parle que d’une prière adressée à Dieu par Samuel.

[41] I Samuel, VIII, 7.

[42] I Samuel, VIII, 10.

[43] Cf. note 26.

[44] I Samuel, VIII, 19.

[45] I Samuel, IX, 1.

[46] D’après la Bible, Saül parcourt d’abord la montagne d’Éphraïm et trois territoires, ensuite la tribu de Benjamin.

[47] Hébreu : dans le pays de Çouf (tribu d’Éphraïm) ; Σείφ (Σίφα).

[48] La Bible ne dit rien des tel. Voir cependant plus loin, V, 5.

[49] Josèphe modernise. Dans la Bible il n’est pas question d’un « dîner privé », mais d’un repas populaire, consécutif à un sacrifice, que Samuel doit bénir.

[50] έπί τού δώματος, sens douteux.

[51] Texte altéré, nous nous inspirons de I Samuel, IX, 20.

[52] χώραν ou χρειαν selon les mss.

[53] Comme les LXX. L’hébreu dit : trente environ.

[54] I Samuel, IX, 26.

[55] Ces mots sont omis par les mss R et O.

[56] I Samuel, X, 1.

[57] I Samuel, X, 3. Josèphe intervertit l’ordre des deux rencontres annoncées aux versets 2 et 3-4.

[58] D’après l’Écriture le premier des trois hommes porte trois chevreaux et le second trois miches de pain.

[59] Dans la Bible, deux hommes.

[60] Dans la Bible (I Samuel, X, 12) les assistants (familiers de Saül) disent simplement : « Qu’est-il arrivé au fils de Kis ? Saül est-il aussi parmi les prophètes ? » C’était un vieux dicton dont ce récit cherchait à fournir l’explication.

[61] I Samuel, X, 13.

[62] La Bible parle ici, sans le nommer, du cousin de Saül. Josèphe a supposé qu’il s’agissait d’Abner (LXX : Άβεννήρ) nommé plus loin I Samuel, XIV, 51, comme cousin paternel de Saül.

[63] Ces réflexions chagrines sont, bien entendu, de Josèphe.

[64] I Samuel, X, 17.

[65] Miçpa.

[66] σxήπτρα (I Samuel, X, 19). Spanheim (cité par Ernesti, opusc. phil., p. 397) propose à tort πατριάς (cf. le § suivant : έλαχεν ή Ματρίς... πατριά).

[67] I Samuel, X, 20.

[68] Hébreu : Matrï ; LXX : Ματταρί.

[69] Rien de tel dans la Bible. Elle dit simplement qu’on ne trouva pas le nouvel élu.

[70] L’Écriture dit « la manière de la royauté » (I Samuel, X, 25), ce qu’on interprète généralement par le droit constitutionnel nouveau. Josèphe y voit l’histoire même des rois futurs, sans doute parce que les deux premiers livres des Rois étaient attribués à Samuel.

[71] I Samuel, XI, 1.

[72] Comme les LXX : μετά μήνα, ce qui suppose que les mots hébreux (I Samuel, X, 27 fin) ont été mal lus et formaient le début du premier verset du chapitre XI.

[73] Hébreu : Nahasch.

[74] Cf. note 26.

[75] L’Écriture ne parle que du siège de Jabes. Josèphe paraît avoir contaminé deux rédactions, dont l’une parlait en général des Hébreux au-delà du Jourdain, l’autre plus spécialement des gens de Galaad.

[76] L’hébreu dit seulement que Nahasch veut humilier tout Israël.

[77] L’hébreu dit (I Samuel, XI, 9) : « demain, quand il fera chaud. »

[78] I Samuel, XI, 7.

[79] Dans la Bible, Saül coupe une paire de bœufs en morceaux, qu’il envoie dans tout le pays, en menaçant d’en faire autant aux bœufs de ceux qui ne se joindraient pas à lui.

[80] Hébreu : Bézek. LXX : Βεζέx έν Βαμά (AL : έν ‘Ραμα).

[81] Hébreu : 300.000 ; LXX : 600.000.

[82] Hébreu : 30.000 ; comme LXX.

[83] Le schène vaut environ 30 stades (5,1 kilomètres). Ce détail est de l’invention de Josèphe.

[84] La Bible ne mentionne pas la mort du roi.

[85] I Samuel, XI, 14.

[86] Cf. supra, V, § 187, où cette durée de dix-huit ans représente non tout l’intervalle compris entre Josué et le premier juge, mais la période d’asservissement aux Moabites entre Keniaz (Othniel) et Ehoud.

[87] I Samuel, XII, 1.

[88] Ces deux mots sont condamnés par Niese. La Bible dit : un bœuf ou un âne.

[89] I Samuel, XII, 6.

[90] Cf. V, § 180 où l’on a déjà signalé l’erreur Assyriens pour Syriens (Araméens).

[91] I Samuel, XIII, 2.

[92] Hébreu : Jonathan ; LXX : Ίωναβαν. Josèphe emploie la forme Ίωναθης.

[93] Hébreu : Gheba ; LXX : έν τώ ρουνώ.

[94] L’hébreu dit qu’il tue le Necib de Ghéba, mot qu’on traduit d’ordinaire par « gouverneur ». Les LXX, dans le doute, ont simplement transcrit l’hébreu  (τόν Νασίβ). Seule la recension lucienne a ύπόστημα « garnison », mot qui traduit l’hébreu Maçab dans II Samuel, XXIV, 14. Josèphe, ou sa source, a dû faire une erreur de lecture de l’hébreu.

[95] I Samuel, XIII, 19.

[96] La Bible dit 30.000 chars, 6.000 cavaliers, « et une infanterie aussi nombreuse que le sable de la mer. »

[97] Hébreu : Mikhmasch ; LXX : Μαχμάς.

[98] Bible : Gad et Ghilead.

[99] I Samuel, XIII, 8.

[100] I Samuel, XIV, 2.

[101] Le récit biblique parle de deux pointes de rochers, l’une Boceç, l’autre Séné.

[102] I Samuel, XIV, 16.

[103] Dans la Bible, Jonathan y trempe seulement le bout de son bâton.

[104] I Samuel, XIV, 31.

[105] Il n’est pas question de scribes dans l’Écriture. Le texte hébreu se contente de dire que le peuple mangea la chair avec le sang.

[106] I Samuel, XIV, 36.

[107] La Bible parle ici du prêtre sans le nommer. On attendrait, en tout cas, le nom d’Achias, mentionné au § 107. Achitôb (hébreu Ahitoub) est le père d’Achias d’après I Samuel, XIV, 3.

[108] Discours forgé par Josèphe. En revanche, il omet de dire que le peuple « racheta » Jonathan (I Samuel, XIV, 45).

[109] I Samuel, XIV, 46.

[110] La Bible ne donne pas de chiffre.

[111] Les LXX ajoutent à cette liste Βαιβσιώρ altération de Beth Rehob.

[112] Hébreu : Yischvi ; LXX : Ίεσσιού (Alex. Ισουει).

[113] Hébreu : Malkischoua ; LXX : Μελχισά (A. Μελχισουε), Josèphe n’utilise ici que Samuel. Les Chroniques (l. VIII, 33 ; IX, 39) mentionnent un quatrième fils : Esbaal.

[114] Hébreu : Mérab ; LXX : Μεροβ.

[115] LXX : Μελχολ.

[116] Hébreu : Abiner.

[117] Josèphe a dû lire un mot hébreu pour un autre. (v. 51).

[118] I Samuel, XV, 1.

[119] Trait ajouté par Josèphe.

[120] Hébreu : à Telaïm ; LXX comme Josèphe.

[121] Mêmes chiffres que dans les LXX. Dans l’hébreu, 200.000 d’une part et 10.000 de l’autre.

[122] Toute cette amplification est de l’invention de Josèphe.

[123] Réflexions ajoutées par Josèphe au récit biblique ; de même les motifs pour lesquels Saül épargne Agag.

[124] Hébreu (XV, 1) = « depuis Havila (?) jusqu’à Schour, sur a frontière d’Égypte ».

[125] Les Kénites, selon la Bible (I Samuel, IV, 6). Herwerden propose de lire aussi Κενιτών dans Josèphe.

[126] La Bible fait intervenir comme motif la bonté témoignée par les Kénites aux enfants d’Israël lors de leur sortie d’Égypte. Josèphe suit la tradition en voyant dans ce passage une allusion au rôle joué par Jéthro (Ragouel) et sa famille.

[127] πυνθασνομένου πώς εϊη πιxρός ό θάνατος, mot à mot : « s’informant combien la mort serait amère ». Le texte paraît altéré.

[128] I Samuel, XV, 34 ; XVI, 1.

[129] δόντος άσφαλείας όδόν, si le texte est correct, ne peut avoir d’autre sens.

[130] Le texte dit « les cinq autres, dont l’aîné, etc. » — et suivent 6 noms ! Il y a ici inadvertance ou altération. D’après I Samuel, XVI, 10 (cf. XVII, 12), Jessée a 7 fils, plus David. D’après I Chroniques, II, 13-15, il en a sept, dont David. C’est ce dernier texte que Josèphe a suivi, et les 6 noms qu’il donne ne se trouvent que là.

[131] Hébreu : Abinadab ; LXX : Άμιναδάõ.

[132] Hébreu : Schamma (I Chron., II, 13 : Schimea) ; LXX : Σxμά (Chron., Σxμαα).

[133] Hébreu : Netanel ; LXX : Ναθαναήλ.

[134] Hébreu : Raddaï ; LXX : Ζαβδαί (Alex. : Ραδδαϊ ; L : ‘Ρεηλαι).

[135] Hébreu : Ocem ; LXX : L. Ασάμ (A. Ασομ).

[136] Il n’est pas question de ce repas dans la Bible, ni des exhortations adressées par Samuel à David après l’onction.

[137] I Samuel, XVI, 14.

[138] L’hébreu dit : les serviteurs de Saül.

[139] Texte altéré.

[140] I Samuel, XVII, 1.

[141] Hébreu : Sôkho ; LXX : Σοαχώθ.

[142] Rien de pareil dans le récit biblique.

[143] Comme les LXX ; l’hébreu a : six coudées et un empan (l’empan est une demi-coudée).

[144] Josèphe a le même mot que les LXX pour traduire l’obscur mot hébreu ; on a supposé une mauvaise lecture des LXX dans l’hébreu, ce qui leur a suggéré la traduction λόγχη. D’après l’hébreu, c’est la pointe en fer du javelot qui pèse 600 sicles.

[145] D’après la Bible, un seul, porteur du bouclier et marchant en avant de Goliath.

[146] I Samuel, XVII, 12. La première moitié du paragraphe correspond à I Samuel, XVII, 12-31, morceau qui manque dans le texte actuel de la Septante.

[147] Détail ajouté au récit biblique pour en harmoniser les données.

[148] La Bible dit : la barbe.

[149] I Samuel, XVII, 37.

[150] Dans la Bible, ce vœu est mis dans la bouche de David.

[151] Hébreu : Ekron ; les LXX donnent dans le même verset une première foi, Γέθ et Άσxάλων, et ensuite Γέθ et Άxxαρών.

[152] La Bible ne donne aucun chiffre.

[153] Dans la Bible, David porte la tête du Philistin à Jérusalem et les armes dans sa tente. Josèphe parait avoir intentionnellement modifié ce texte, afin de le faire concorder avec ce qui est dit plus loin (I Samuel, XXI, 10) de l’épée de Goliath. déposée dans la ville sacerdotale de Nob, derrière l’éphod. Josèphe laisse aussi de côté l’épisode de la présentation de David a Saül par le général Abner (I Samuel, XVII, 55-fin), cet épisode ne cadrant pas avec les données précédentes, d’après lesquelles David a déjà vécu à la cour du roi ; il ne se trouve d’ailleurs pas non plus dans le Vaticanus.

[154] I Samuel, XVIII, 6. Josèphe observe ici encore le même ordre que les LXX (Vaticanus), où l’épisode des femmes célébrant la victoire de Saül et David suit immédiatement la défaite de Goliath.

[155] La Bible ne distingue pas entre les acclamations des femmes et celles des jeunes filles.

[156] I Samuel, XVIII, 13.

[157] Il s’agit de Mikhal (v. § 3). Josèphe omet l’épisode de Mérab, fille aînée de Saül (ibid., 17), qui, destinée à David, est donnée à Adriel de Mehola.

[158] Dans la Bible, cent prépuces de Philistins.

[159] συδ õπως ταΰτα des mss. n’a guère de sens. Peut-être όπωστιούν.

[160] I Samuel, XVIII, 26.

[161] Hébreu : Mikhal ; Μιχάλα. La forme Melchoné (S. P.) répond à la transcription des LXX : Μελχόλ.

[162] I Samuel, XIX, 1.

[163] Cet argument et le suivant sont imaginés par Josèphe.

[164] I Samuel, XIX, 8.

[165] Détail singulier, absent de la Bible : là, les émissaires sont simplement chargés de tuer David au matin. Josèphe veut donner à croire que le roi Saül ne songeait pas à un simple attentat, mais à une condamnation régulière.

[166] I Samuel, XIX, 13. Josèphe suit les LXX, qui lisent dans l’hébreu un mot pour un autre, ce dernier l’on traduit généralement par « coussin » ou « tapis de poil de chèvre ». Dans la Bible, Mikhal prend le terafim, qu’elle place dans le lit ; Josèphe n’en fait pas mention.

[167] Détails forgés par Josèphe, qui développe très ingénieusement le contresens de la Septante.

[168] I Samuel, XIX, 18.

[169] Hébreu : Naïot ; LXX : Αυαθ έν ‘Ραμά. Le Γαλβουαθ de Josèphe correspond à l’hébreu Ghilboa mentionné plus loin dans la Bible (I Samuel, XXVIII, 4). Mez (Bibel des Josephus) croit que Josèphe a lu gal au lieu de Rama et l’a combiné avec αυαθ, de façon à transformer une désignation inintelligible en un mot rappelant une localité connue. Rien n’est moins vraisemblable ; la variante doit remonter à l’une des branches de la Septante.

[170] Josèphe omet la pointe du récit biblique, l’explication du proverbe « Saül est-il aussi parmi les prophètes ? » C’est qu’il s’est aperçu que ce proverbe avait déjà été expliqué.

[171] I Samuel, XX, 1.

[172] Texte altéré.

[173] La Bible dit : le sacrifice annuel de ma gens.

[174] I Samuel, XX, 24.

[175] Josèphe semble avoir pris l’hébreu dans le sens physiologique que lui attribue la tradition.

[176] Détail étranger à la Bible.

[177] έξ αύτομόλων γεγενημένον, texte peu intelligible, dérivé de Septante : υίέ xορασίων αύτομολούντων. L’hébreu semble signifier « une égarée ».

[178] Addition de Josèphe.

[179] I Samuel, XXI, 1.

[180] Hébreu : Nob ; LXX : Νομβά.

[181] Les mss. flottent entre Άχιμέλεχος, leçon conforme à l’hébreu, et Άβιμέλεχος comme les LXX.

[182] Comme les LXX (sauf L, corrigé d’après l’hébreu) ; l’hébreu dit : Iduméen.

[183] D’après l’hébreu, intendant des troupeaux ; Josèphe est conforme aux LXX (ήμιόνους).

[184] I Samuel, XXI, 11.

[185] Hébreu : Akhisch. LXX comme Josèphe.

[186] I Samuel, XXII, 1.

[187] Localisation exacte, mais omise dans la Bible.

[188] Josèphe ne le nomme pas. D’après l’Écriture, c’est Gad (I Samuel, XXII, 5).

[189] Hébreu : le bois de Héret . LXX : έν πόλει Σαρίx.

[190] Βουνός, comme dans les LXX (yhibea dans l’hébreu).

[191] Même traduction que chez les LXX de l’hébreu Eschel, traduit ordinairement par « tamarisc ».

[192] D’après l’Écriture, Doëg travaille seul, ce qui est peu vraisemblable.

[193] Comme les LXX et Zonaras. Hébreu : Quatre-vingt-cinq. Certains mss. de Josèphe ont 85, 385, 530.

[194] Hébreu : Ebiatar.

[195] Cf. supra, V, où cependant la ruine totale de la maison d’Éli n’est pas indiquée.

[196] Nous traduisons littéralement le texte νόν τρόπψ τινί ναόν, mais il est probablement altéré. — Tout le développement (section 7) est l’œuvre propre de Josèphe.

[197] I Samuel, XXII, 21.

[198] I Samuel, XXIII, 1.

[199] Bible : Kéïla.

[200] Comme les LXX ; hébreu : six cents hommes environ.

[201] Dans la Bible, le désert de Ziph. Engedaïn correspond à l’hébreu, En-Ghedi (LXX : Ένγαδδί), mentionné plus loin, au chap. XXIV.

[202] Josèphe suit les LXX, qui traduisent par έν τή Καινή Ζίφ les mots hébreux (I Samuel, XXIII, 15), lisant sans doute « nouvelle » au lieu du mot hébreu traduit communément par « forêt ».

[203] L’hébreu dit : « dans le désert de Maon, dans la plaine au midi du Yeschimôn ». LXX : έν τή έρήμφ τή Μαών.... έx δεξιών τοΰ Ίεσσαιμοϋ.

[204] I Samuel, XXIII, 25.

[205] I Samuel, XXIV, 1.

[206] Hébreu : En-Ghedi ; LXX : Ένγαδδί.

[207] Ce jeu de scène n’est pas dans la Bible. Saül fond en larmes et proclame la générosité de David.

[208] Hébreu : Meçouda, tenu généralement pour un nom commun et traduit par « abri » : Josèphe est conforme aux LXX : είς τήν Μεσσερά στενήν.

[209] I Samuel, XXV, 1. Cf. XXVIII, 3. Les chiffres donnés plus bas sont ajoutés par Josèphe.

[210] Hébreu : un homme du Maon.

[211] Le texte hébreu dit que Nabal était un kéleb (traduction usuelle : « un homme de Kaleb, un Kalébite »). Josèphe suit étourdiment les LXX, qui voient dans kéleb un nom commun : « chien » (xαί ό άνθρωπος xυνιxός).

[212] Comme les LXX.

[213] Détail ajouté ici par Josèphe, mais suggéré par I Samuel, XXV, 36.

[214] Les LXX traduisent aussi nabal par άφροσύνη. Le sens propre du mot est plutôt impie, brutal (Isaïe, XXXII, 6).

[215] I Samuel, XXV, 36.

[216] I Samuel, XXV, 43. C’est Achima (infra, section 10). La Bible l’appelle Ahinoam de Jezreel ; LXX : Άχινάαμ έξ Ίεζραέλ.

[217] Hébreu : Palti, fils de Layisch ; LXX : Φαλτί υίώ Άμίς (A : Δαϊς).

[218] Hébreu : Gallim ; LXX : Ρομμά (A : Γαλλει ; L : Γολιαθ).

[219] I Samuel, XXVI, 1.

[220] Hébreu : Hakila. Josèphe semble avoir confondu cette ville avec celle de Ciklag dont il est parlé un peu après (sect. 10). Les Septante (B et A) donnent Κεειλα, mais on trouve Σεxελαγ dans L (Samuel, XXVI, 4).

[221] Hébreu : Abischaï ; LXX : Άβεσσά.

[222] Hébreu : Cerouya. Sa qualité de sœur de David est indiquée dans I Chroniques, II, 16

[223] Ce torrent n’est pas mentionné dans la Bible : David passe seulement « de l’autre côté » (LXX : διέβη είς τό πέραν).

[224] Texte altéré.

[225] Dans la Bible, David dit : voici la lance du roi, qu’un des serviteurs vienne la prendre.

[226] I Samuel, XXVII, 1.

[227] Hébreu : Akhisen, roi de Gath.

[228] Hébreu : Ahinoam : LXX : Άχινάαμ.

[229] La Bible dit seulement : « Saül cessa de le poursuivre ».

[230] Hébreu : Ciklag ; LXX : Σεxελάx.

[231] L’hébreu dit : des jours (on traduit communément par un an) et quatre mois ; les LXX ont : τέσσαρας μήνας (A : ημερας τεσσαρες μηνας).

[232] Hébreu : les Gheschourites, Ghezrites et Amalécites ; LXX : έπί πάντα τόν Γεσιρί (A : Γεσερει xαί Γεζρxνιν) xαί έπί τόν Άμαληxίτην.

[233] La Bible dit au contraire (I Samuel, XXVII, 9 et 11) qu’il les tuait tous, pour empêcher les dénonciations.

[234] I Samuel, XXVIII, 1.

[235] On ne voit pas où Josèphe a pris ce nom de ville.

[236] C’est-à-dire le capitaine de ses gardes (άρχισωματοφύλαξ, LXX, I Samuel, XXVIII, 2).

[237] Texte suspect. Les mots μετά τήν νίxην pourraient être une glose.

[238] Dans la Bible, Akis confère ce titre à David hic et nunc.

[239] έγγαστριμύθους. Josèphe traduit comme les LXX l’hébreu ov (I Samuel, XXVIII, 3, 7, 8).

[240] Inspiré par I Samuel, XXVIII, 6.

[241] Hébreu : Schounem : LXX : Σωνάμ.

[242] Enveloppé d’un meil, selon la Bible. Josèphe a la même traduction que les LXX : διπλοίς, mais il y ajoute l’épithète de ίερατιxή.

[243] Texte incertain. Je traduis la leçon des mss. RO corrigée par Niese (έxειτονέxυς ώς τις).

[244] Toute l’homélie verbeuse qui suit est, bien entendu, ajoutée au simple récit biblique.

[245] Teste obscur ou corrompu.

[246] Josèphe a éprouvé le besoin de faire un héros sans peur, sinon sans reproche, du premier roi de l’histoire d’Israël ; la Bible, au moins en ce passage, — car la complainte de David (II Samuel, I, 19 et suiv.) donne une note différente —, n’a pas un mot d’éloge pour la vaillance de Saül à la fin de sa vie. Elle semble dire même que, sur le mont Ghelboé, les archers qui surprirent Saül lui causèrent une grande frayeur (I Samuel, XXXI, 3). Josèphe présentera les choses tout autrement, cf. infra, sect. 7 et la note.

[247] I Samuel, XXIX, 1.

[248] I Samuel, XXXI, 1.

[249] Hébreu : Bessot ; LXX : Βοσορ.

[250] I Samuel, XXXI, 1 ; I Chroniques, X, 1.

[251] Hébreu : Malkischoua ; LXX : Μελχισά.

[252] Détails ajoutés par Josèphe et peu conformes à la donnée biblique (v. 3) : « L’attaque s’acharna contre Saül : il fut surpris par les archers qui lui causèrent une grande frayeur ». Telle est, du moins, l’interprétation correcte du texte massorétique.

[253] La Bible raconte ici que Saül se jeta sur son épée et mourut (I Sam., XXXI, 4) : mais d’après le second livre de Samuel (I, 6-10, passage tardif), c’est un Amalécite qui aide Saül à mourir, sur sa prière. Josèphe a soudé ensemble les deux récits.

[254] I Samuel, XXXI, 8.

[255] Hébreu. Bêt-Schân ; LXX : Βαιθσάμ (A. Βηθσαν).

[256] La Bible dit simplement : sous le Eschel tamarisc : pour la traduction de Eschel par Άρουρα, voir la note 191.

[257] Les réflexions qui suivent s’inspirent de I Chroniques, X, 13. Mais, dans la Bible, le seul reproche particulier fait à Saül est d’avoir consulté l’ov (la pythonisse).