LIVRE XIII
I
1.
Comment le peuple juif, réduit en servitude par les Macédoniens, recouvra sa
liberté ; après combien de combats et de quelle importance leur général
Judas mourut en luttant pour eux, c'est ce que nous avons raconté dans le livre
précédent. Après la mort de Judas, tout ce qu'il y avait encore de renégats,
tous ceux qui avaient transgressé les lois nationales, surgirent de nouveau
contre les Juifs et, foisonnant de tous côtés, les persécutèrent. À leur
perversité s'ajouta la famine, qui s'abattit sur le pays, si bien que beaucoup,
à cause de la disette de vivres et de l'impossibilité où ils étaient de résister
ensemble à la famine et à leurs ennemis, passèrent aux Macédoniens. Bacchidès
rassembla ceux des Juifs qui avaient renié leurs coutumes nationales et choisi
le genre de vie des autres peuples, et leur confia l'administration du pays ;
ils s'emparèrent des amis de Judas et de ses partisans et les livrèrent à
Bacchidès. Celui-ci les fit périr après des tortures et des mauvais
traitements qu'il leur infligea par plaisir. Devant une semblable calamité,
telle que les Juifs n'en avaient pas éprouvé depuis le retour de Babylone,
ceux qui restaient des compagnons de Judas, voyant que le peuple périssait misérablement,
allèrent trouver son frère Jonathas et le supplièrent d'imiter l'exemple de
son frère et sa sollicitude pour ses compatriotes, qu'il avait poussée jusqu'à
mourir pour la liberté commune; il ne pouvait laisser le peuple sans défenseur
dans un moment où le malheur s'abattait sur lui. Jonathas répondit qu'il était
prêt à mourir pour eux, et comme on ne le jugeait en rien inférieur à son frère,
il fut élu général des Juifs.
2.
Bacchidès, à cette nouvelle, craignant que Jonathas ne créât des difficultés
au roi et aux Macédoniens comme auparavant Judas, chercha à s'en débarrasser
par ruse. Mais il ne put cacher son dessein à Jonathas et à son frère Simon,
qui, l'ayant appris, s'enfuirent en toute hâte, avec tous leurs compagnons,
dans le désert le plus rapproché de la ville ;
arrivés sur les bords de l'eau qu'on appelle la citerne d'Asphar,
ils s'y établirent. Bacchidès, quand il sut qu’ils étaient partis et se
trouvaient en cet endroit, marcha contre eux avec toutes ses forces, et arrivé
au delà du Jourdain, campa pour faire reposer
ses troupes. Jonathas, à la nouvelle que Bacchidès marchait sur lui, envoya
son frère Jean, appelé aussi Gaddin, aux Arabes Nabatéens pour déposer chez
eux les bagages de l'armée jusqu'à ce qu'il eut fini de combattre Bacchidès :
ces Arabes étaient, en effet, ses amis. Mais comme Jean se rendait chez les
Nabatéens, les fils d'Amaraios
lui dressèrent une embuscade au sortir de la ville de Médaba, s'emparèrent de
lui et de son escorte, et après avoir pillé le convoi, tuèrent Jean et tous
ses compagnons. Cependant les frères de leur victime leur infligèrent bientôt
le châtiment qu'ils méritaient, comme nous le raconterons.
3.
Bacchidès, à la nouvelle que Jonathas campait dans les marais du Jourdain,
choisit le jour du Sabbat pour l'attaquer, persuadé qu'il ne combattrait pas ce
jour-là, pour obéir à la loi. Mais Jonathas, après avoir exhorté ses
compagnons et leur avoir dit qu'il y allait de leur vie, puisque, pris entre le
fleuve et l'ennemi,
ils ne pouvaient fuir (car l'ennemi était devant eux et le fleuve derrière),
pria Dieu de lui accorder la victoire et engagea la bataille. Il avait déjà tué
beaucoup d'ennemis, quand il vit Bacchidès se précipiter furieusement sur lui ;
il étendit alors la main droite comme pour le frapper. Mais Bacchidès aperçut
le geste et évita le coup ; Jonathas sauta dans le fleuve avec ses
compagnons, le traversa à la nage, et se mit ainsi en sûreté au delà du
Jourdain ; les ennemis ne traversèrent plus le fleuve et Bacchidès revint
aussitôt à la citadelle de Jérusalem. Cette bataille lui coûta environ deux
mille hommes de son armée.
Bacchidès se rendit ensuite maître de plusieurs villes de Judée et les
fortifia Jéricho, Emmaüs, Béthoron, Bethèla, Thamnatha, Pharatho, Tochoa,
Gazara ; il construisit dans chacune d'elles des tours, bâtit une enceinte
de murailles hautes et solides, et y établit des garnisons destinées à faire
des sorties pour dévaster le territoire juif. Il fortifia surtout la citadelle
de Jérusalem. Et prenant comme otages les enfants des premiers de la Judée, il
les enferma dans la citadelle et la garda ainsi.
4.
Vers ce même temps un messager vint annoncer à Jonathas et à son frère Simon
que les fils d'Amaraios allaient célébrer un mariage, et amener de la ville de
Nabatha
la fiancée, fille d'un haut personnage arabe ; le cortège de la jeune
fille serait riche et brillant. Jonathas et Simon jugèrent qu'une occasion
favorable se présentait de venger leur frère, et qu'ils auraient là toutes
les facilités pour tirer des fils d'Amaraios le châtiment de la mort de Jean ;
ils marchèrent sur Médaba, et, s'embusquant dans la montagne, attendirent
leurs ennemis. Quand ils les virent arriver conduisant la jeune fille et le
fiancé, accompagnés du cortège d'amis usité dans les noces, ils s'élancèrent
de leur embuscade, les tuèrent tous et s'en retournèrent après avoir pris
toutes les parures et fait main basse sur tout le bagage des hommes. Telle fut
la vengeance qu'ils tirèrent des fils d'Amaraios pour le meurtre de leur frère
Jean : les coupables eux-mêmes, les amis qui les accompagnaient, leurs
femmes et leurs enfants, périrent, au nombre d'environ quatre cents.
5.
Simon et Jonathas retournèrent aux marais du Jourdain et y demeurèrent.
Bacchidès, après avoir assuré la tranquillité de la Judée en mettant
partout des garnisons, retourna auprès de roi. Et pendant deux ans les Juifs
eurent la paix. Les transfuges et les renégats, voyant que Jonathas et ses
compagnons parcouraient le pays en toute liberté, à la faveur de la paix,
firent demander à Démétrius de leur envoyer Bacchidès pour s'emparer de
Jonathas ; ils assuraient que cette capture serait facile, et qu'en tombant
une nuit sur eux sans qu'ils s'y attendissent, on les tuerait tous. Le roi
envoya donc Bacchidès ; celui-ci, aussitôt arrivé en Judée, écrivit à
tous ses amis, aux Juifs, à ses alliés, de lui livrer Jonathas. Tous essayèrent
de s'emparer de Jonathas, mais en vain, car il se gardait bien, se doutant du
complot tramé contre lui. Bacchidès entra alors dans une violente colère
contre les Juifs transfuges, prétendant qu>ils l'avaient trompé, lui et le
roi, et s'emparant de cinquante des plus importants d'entre eux, il les mit à
mort.
Jonathas avec son frère et ses compagnons se retira à Béthalaga, bourg du désert,
par crainte de Bacchidès ; il y construisit des tours et une enceinte de
murailles, et s'y tint en sûreté, sous bonne garde. Bacchidès, à cette
nouvelle, marcha contre Jonathas, avec ses troupes et ceux des Juifs qui étaient
ses alliés, vint attaquer ses retranchements et l'assiégea pendant de longs
jours. Mais Jonathas ne céda pas à l'effort du siège. Après une vigoureuse résistance,
il laissa son frère Simon dans la place pour tenir tête à Bacchidès, et
lui-même gagna secrètement la campagne, réunit une troupe considérable de
ses partisans, tomba pendant la nuit sur le camp de Bacchidès, et lui tua
beaucoup de monde, en sorte que son frère Simon sut bientôt lui-même qu'il
avait attaqué les ennemis. Comprenant que c'était Jonathas qui les massacrait,
Simon fit une sortie contre eux, brûla les machines de siège des Macédoniens
et en fit un assez grand carnage. Quand Bacchidès se vit cerné par ses
adversaires et attaqué de front et à revers il tomba dans le découragement et
l'indécision, consterné de la façon imprévue dont se dénouait le siège. Il
tourna donc sa fureur contre les Juifs transfuges qui avaient prié le roi de
l'envoyer, les accusant de l'avoir trompé, et ne songea plus qu'à terminer le
siège sans trop de déshonneur et à rentrer chez lui.
6.
Jonathas, ayant eu connaissance de ses dispositions, lui envoya proposer un
traité de paix et d'amitié, et l'échange des prisonniers faits de part et
d'autre.
Bacchidès, trouvant que c'était là une retraite très honorable, fit amitié
avec Jonathas, échangea avec lui le serment qu'ils ne marcheraient plus l'un
contre le territoire de l'autre, puis, après avoir rendu les prisonniers juifs
et recouvré les siens, il rentra à Antioche auprès du roi ; une fois de
retour, il n'envahit plus jamais la Judée. Jonathas, désormais libre, s'établit
dans la ville de Machma,
où il jugea la population et purgea la nation des méchants et renégats en les
châtiant.
1.
La cent soixantième année,
Alexandre, fils d'Antiochus Épiphane,
remonta en Svrie et s'empara de Ptolémaïs grâce à la trahison des soldats de
la garnison, qui en voulaient à Démétrius de sa fierté et de la difficulté
qu'il y avait à l'aborder. Il s'était, en effet, enfermé dans un palais défendu
par quatre tours, qu'il s'était fait bâtir non loin d'Antioche, et ne laissait
approcher de lui personne ; il était de plus négligent et insouciant des
affaires, ce qui redoublait la haine de ses sujets, comme nous l'avons déjà
raconté ailleurs. A la nouvelle de l'entrée
d’Alexandre dans Ptolémaïs, Démétrius marcha contre lui avec toute ses
forces. Il envoya aussi à Jonathas des messagers pour faire avec lui alliance
et amitié ; il voulait devancer Alexandre, de peur que celui-ci ne le prévint
et n'obtint l'aide de Jonathas, car il avait lieu de craindre que Jonathas, se
souvenant du mal que Démétrius avait fait, ne se laissât facilement persuader
de se déclarer contre lui. Il l'invita donc à réunir ses forces, à préparer
ses armes, et à reprendre les otages prélevés sur les Juifs et enfermés par
Bacchidès dans la citadelle de Jérusalem. Jonathas1 au reçu de ces ouvertures
de la part de Démétrius, se rendit à Jérusalem, et lut la lettre du roi en
présence du peuple et des soldats qui gardaient la citadelle. A cette lecture,
les Juifs transfuges et apostats de la citadelle furent saisis de crainte,
voyant que le roi permettait à Jonathas de réunir une armée et de reprendre
les otages. Jonathas rendit chacun de ceux-ci à leurs parents. Et c'est ainsi
qu'il se fixa à Jérusalem ; il fit d'importants remaniements dans la
ville et régla tout à sa volonté. Il fit construire notamment les murailles
de la ville en pierres carrées pour
qu'elles résistassent mieux aux attaques de l'ennemie. En présence de ces
faits, les soldats des garnisons de Judée abandonnèrent tous leur poste et
s'enfuirent à Antioche, à l'exception de ceux de Bethsoura et de la citadelle
de Jérusalem :
ceux-ci étaient, en effet, pour la plus grande partie des Juifs transfuges et
apostats ; c'est pour cela qu'ils n'abandonnèrent pas leurs garnisons.
2.
Alexandre, ayant su les promesses faites par Démétrius et Jonathas, et ayant
appris la vaillance de celui-ci, les exploits qu'il avait accomplis en luttant
contre les Macédoniens, tout ce qu'il avait eu à souffrir de Démétrius et de
Bacchidès, le général de Démétrius, déclara à ses amis qu'il ne pouvait,
dans les circonstances présentes, trouver un meilleur allié que ce Jonathas,
si courageux contre l'ennemi et nourrissant une haine personnelle contre Démétrius
qui lui avait fait et avait éprouvé de lui beaucoup de mal. Si donc ils étaient
d'avis de se l'attacher contre Démétrius, rien ne pouvait être plus utile que
de solliciter maintenant son alliance.
Ses amis et lui décidèrent donc d'envoyer un messager à Jonathas et lui écrivirent
en ces termes : « Le roi Alexandre à Jonathas, son frère, salut.
Nous avons entendu depuis longtemps vanter ta valeur et ta fidélité, et c'est
pourquoi nous t'envoyons demander ton amitié et ton alliance. Nous te nommons dès
aujourd'hui grand-prêtre des Juifs et te donnons le titre de notre ami. Je
t'envoie en présent un habit de pourpre et une couronne d'or, et je te prie
d'avoir pour nous la considération que nous avons pour toi. »
3.
Jonathas, au reçu de cette lettre, revêtit l'habit de grand-prêtre, à
l'occasion de la fête des Tabernacles, quatre ans
après la mort de son frère Judas : pendant ces quatre années il n'y
avait pas eu de grand prêtre. Il réunit une armée considérable et forgea une
grande quantité d'armes. Quand Démétrius apprit ces faits, il en fut vivement
contrarié ; il se reprocha sa lenteur et de n'avoir pas gagné par de bons
procédés Jonathas, et devancé ainsi Alexandre, au lieu de lui laisser le
temps d'agir. Il écrivit donc lui aussi une lettre à Jonathas et au peuple,
ainsi conçue : « Le roi Démétrius à Jonathas et au peuple juif,
salut. Puisque vous avez conservé votre amitié pour nous et que vous n'avez
pas passé à nos ennemis, malgré leurs tentatives pour vous débaucher, je
loue votre fidélité et vous prie de rester dans les mêmes sentiments, dont
vous recueillerez de notre part fruit et récompense. Je vous libérerai, en
effet, de la plupart des tributs et des redevances que vous payiez aux rois mes
prédécesseurs et à moi-même, et dès maintenant je vous exempte des tributs
permanents. Outre cela, je vous fais la remise du sel et des couronnes que vous
m'apportiez ; la part qui me revenait en remplacement du tiers de la
moisson et de la moitié de la récolte des arbres fruitiers,
je vous l'abandonne, à dater de ce jour. Je vous exempte également à partir
d'aujourd'hui et pour toujours de la taxe que devaient me payer par tête les
habitants de la Judée et des trois toparchies annexes, Samarie, Galilée et Pérée.
Je veux que la ville de Jérusalem soit sacrée, inviolable, et exempte, jusqu'à
ses limites, de la dîme et des droits de douane. Je remets la citadelle aux
mains de votre grand-prêtre Jonathas il pourra y placer, comme garnison, ceux
de ses fidèles et amis qu’il voudra, qui la garderont pour nous. Je remets en
liberté tous les Juifs prisonniers et esclaves sur notre territoire. J'interdis
la réquisition des bêtes de somme des Juifs ; ceux-ci seront exempts de
toutes corvées les jours de Sabbat ou de fête, et trois jours avant
chaque fête. De même, je renvoie libres et indemnes de tout dommage tous les
Juifs habitant mon royaume, et j'autorise ceux qui le désirent à entrer dans
mon armée, jusqu'à concurrence de trente mille ; et partout où ils
iront, ils recevront la même solde que mes propres soldats. J'en placerai une
partie dans les garnisons, quelques-uns dans ma garde personnelle, et je leur
donnerai des commandements à ma cour. Je vous
permets aussi d'observer et de conserver vos lois nationales, et de réduire à
votre obéissance les trois préfectures annexées à la Judée ;
j'autorise le grand-prêtre à veiller à ce qu'aucun Juif n'ait d'autre temple
où adorer Dieu, que le Temple de Jérusalem.
Je donnerai sur mon trésor chaque année, pour les frais des sacrifices, cent
cinquante mille (drachmes),
et je veux que tout l'excédent des sommes
vous appartienne. Quant aux dix mille drachmes
que les rois retiraient du Temple, je vous en fais la remise parce qu'elles
reviennent aux prêtres qui desservent le Temple. Et tous ceux qui se réfugieront
dans le Temple de Jérusalem ou dans ses dépendances, soit parce qu'ils
devaient de l'argent au trésor royal, soit pour toute autre cause, seront libérés
et n'auront rien a craindre pour leurs biens. Je permets aussi de restaurer le
Temple et de le rebâtir à mes frais ; j'autorise la reconstruction des
murailles de la ville, et l'édification de tours élevées, également à mes
frais, et s'il est quelque place forte qu'il importe à la sécurité du
territoire des Juifs de fortifier, que ces travaux soient faits à ma charge. »
4.
Telles furent les promesses et les marques de bienveillance que Démétrius
prodigua aux Juifs dans sa lettre. Le roi Alexandre de son côté réunit une
armée considérable de mercenaires et des troupes de Syrie qui s'étaient ralliées
à lui et marcha contre Démétrius. La bataille s'engagea ; l'aile gauche
de Démétrius mit en fuite ses adversaires, les poursuivit fort loin, en tua un
grand nombre et pilla leur camp ; mais l'aile droite, où se trouvait Démétrius,
fut vaincue. Tous les soldats s'enfuirent ; Démétrius combattit
bravement, tua beaucoup d'ennemis, et se mit à la poursuite des autres ;
mais il se lança dans un marais profond et difficile à traverser ; son
cheval étant tombé, il ne put s'enfuir et fut tué : les ennemis, en
effet, à la vue de sa chute, firent volte-face, l'entourèrent et l'accablèrent
de leurs javelots. Démétrius, quoique démonté, résista courageusement ;
mais enfin, couvert de blessures, incapable de tenir davantage, il tomba. Telle
fut la fin de Démétrius ; il avait régné onze ans, comme nous l'avons
raconté ailleurs.
1.
Cependant le fils du grand-prêtre Onias, qui portait le même nom que son père,
et qui s'était réfugié à Alexandrie, où il vivait auprès du roi Ptolémée,
surnommé Philométor, comme nous l'avons dit plus haut,
voyant la Judée maltraitée par les Macédoniens et leurs rois, et désireux de
s'acquérir une gloire et une renommée impérissables, fit demander au roi Ptolémée
et à la reine Cléopâtre la permission de construire en Egypte un temple
semblable à celui de Jérusalem, et d'y installer des Lévites et des prêtres
de la race voulue. Il s'appuyait surtout dans son dessein sur une prophétie du
prophète Esaïe, qui vivait plus de six cents ans auparavant et avait prédit
qu'il fallait absolument qu'un temple fût bâti en Egypte au Dieu tout-puissant
par un Juif. Onias, enflammé par
cette prophétie, écrivît la lettre suivante à Ptolémée et à Cléopâtre :
« Après vous avoir rendu de nombreux et importants services à la guerre,
avec l'aide de Dieu,
après avoir parcouru la Cœlé-Syrie et la Phénicie, je suis arrivé avec les
Juifs à Léontopolis, dans le nome d'Héliopolis,
et en divers autre lieux habités par notre peuple ; j'ai trouvé presque
partout des sanctuaires élevés contre toute convenance, ce qui indispose les
fidèles les uns contre les autres ;
c'est ce qui est arrivé aussi aux Egyptiens, parce qu'ils ont trop de temples
et ne s'entendent pas sur le culte. Ayant donc rencontré, dans la forteresse
qui porte le nom de la Boubastis Sauvage, un endroit à souhait, foisonnant de
bois de toutes sortes, plein d'animaux sacrés, je vous prie de me permettre de
nettoyer et purifier le temple abandonné et écroulé qui s'y trouve, et de le
relever en l'honneur du Dieu tout-puissant, à l'image de celui de Jérusalem et
sur les mêmes mesures, sous l'invocation de toi, de ta femme et de tes enfants ;
de cette façon, les Juifs qui habitent l'Egypte, trouvant là un lieu où ils
pourront se réunir dans une mutuelle concorde1 serviront tes intérêts. Car le
prophète Esaïe a prédit ceci : il y aura en Egypte un autel de
sacrifices consacré au Dieu notre maître ; et cet endroit lui a
inspiré beaucoup d'autres prophéties pareilles. »
2.
Voilà ce qu'écrivit Onias à Ptolémée. On jugera de la piété du roi ainsi
que de sa sœur et épouse Cléopâtre d'après la lettre qu'ils lui répondirent :
ils rejetèrent, en effet, sur la tête d'Onias la faute et la violation de la
loi ; voici leur réponse :
« Le
roi Ptolémée et la reine Cléopâtre à Onias, salut. Nous avons lu la
supplique par laquelle tu nous demandes la permission de relever à Léontopolis,
dans le nome d'Héliopolis, un temple ruiné, appelé temple de Boubastis
Sauvage. Nous nous demandons si ce temple bâti dans un lieu impur et plein
d'animaux sacrés sera agréable à Dieu. Mais puisque tu dis que le prophète
Esaïe a prédit cet événement depuis longtemps, nous te donnons cette
permission, si elle ne doit avoir rien de contraire à la loi : car nous ne
voulons paraître coupables d'aucune faute envers Dieu. »
3.
Onias prit donc possession de ce lieu, et y construisit à Dieu un temple et un
autel semblable à celui de Jérusalem, mais plus petit et moins riche. Je ne
crois pas utile d'en décrire ici les dimensions et le mobilier, car je l'ai
fait dans mon septième livre des Guerres des Juifs.
Onias trouva, de plus, des Juifs semblables à lui, des prêtres et des lévites
pour célébrer le culte. Mais ces détails suffisent au sujet de ce temple.
1.
Après la mort de Démétrius, tué dans la bataille, comme nous l'avons raconté
plus haut, Alexandre, devenu maître
du royaume de Syrie, écrivit à Ptolémée Philométor pour lui demander sa
fille en mariage ; il était juste, disait-il, que Ptolémée s'alliât
ainsi à un prince qui avait recouvré le pouvoir paternel, guidé par la
protection divine, qui avait vaincu Démétrius, et qui ne serait d'ailleurs
nullement indigne d'une alliance avec lui. Ptolémée accueillit favorablement
sa proposition ; il répondit qu'il était heureux de le voir recouvrer une
puissance qui avait appartenu à son père et promit de lui donner sa fille ;
il le priait de venir au devant de lui jusqu’à Ptolémaïs, où il allait la
conduire lui-même ; il l'accompagnerait, en effet, d'Égypte jusqu'à
cette ville et là l'unirait à Alexandre. Après avoir écrit cette lettre,
Ptolémée s'empressa de se rendre à Ptolémaïs en emmenant sa fille Cléopâtre.
Il y trouva Alexandre qui était venu à sa rencontre, suivant ses instructions,
et lui donna sa fille avec une dot en argent et en or, digne d'un roi.
2.
Pendant les fêtes du mariage, Alexandre écrivit au grand-prêtre Jonathas pour
l'inviter à venir à Ptolémaïs. Jonathas se rendit auprès des souverains,
leur offrit des présents magnifiques et fut traité par tous deux avec la plus
grande distinction. Alexandre l'obligea à quitter son vêtement habituel pour
en prendre un de pourpre, puis après l'avoir fait asseoir à ses côtés sur
l'estrade, il ordonna à ses officiers d'aller avec lui dans la ville et de
faire déclarer par un héraut défense de parler contre lui, de lui susciter
des difficultés. Les officiers accomplirent leur mission ; et, quand on
vit les honneurs rendus publiquement à Jonathas par ordre du roi, tous ceux qui
s'apprêtaient à porter des accusations coutre lui ou qui le haïssaient
s'enfuirent, dans la crainte d'être eux-mêmes victimes de quelque malheur. Et
le roi Alexandre poussa la bienveillance pour Jonathas jusqu'à l'inscrire parmi
ses « premiers amis
».
3.
La cent soixante-cinquième année,
Démétrius, fils de Démétrius, avec un nombre considérable de mercenaires
que lui fournit Lasthénès le Crétois, s'embarqua en Crète pour la Cilicie.
Cette nouvelle jeta dans l'inquiétude et le trouble Alexandre, qui rentra précipitamment
de Phénicie à Antioche afin d'y prendre toutes les mesures de sûreté avant
l'arrivée de Démétrius. Il laissa, pour gouverner la Cœlé-Syrie, Apollonios
Daos. Celui-ci, à la tête
d'une armée importante, vint à Iamnée et fit dire au grand-prêtre Jonathas
qu'il était injuste que seul il vécut en pleine sécurité et à sa guise,
sans obéir au roi; que de tous côtés on lui reprochait de ne pas se soumettre
au roi. « Tranquillement établi dans les montagnes, ajoutait-il, ne te
fais pas l'illusion de te croire fort ; si tu as confiance en ta puissance,
descends donc dans la plaine, viens te mesurer avec notre armée et la victoire
montrera quel est le plus courageux. Sache cependant que les meilleurs de chaque
ville sont dans mon armée ; et ce sont les hommes qui ont toujours vaincu
tes ancêtres. Viens donc te battre avec nous sur un terrain où l'on puisse
lutter non à coups de pierres, mais avec les armes, et où le vaincu n'ait pas
de retraite. »
4.
Cette provocation irrita Jonathas, qui prit dix mille soldats d'élite et partit
de Jérusalem avec son frère Simon. Arrivé à Jopé, il campa hors de la
ville, les habitants lui ayant fermé leurs portes ; car ils avaient une
garnison établie par Apollonios. Comme Jonathas se disposait à les assiéger,
effrayés à l'idée que leur ville pourrait être prise de force, ils lui
ouvrirent les portes. Apollonios, à la nouvelle que Jopé était tombé au
pouvoir de Jonathas, vint à Azotos, à la tête de trois mille cavaliers et
huit mille hommes d'infanterie,
et de là continua sa route tranquillement et lentement ; arrivé près de
Jopé, il attira par une feinte retraite Jonathas dans la plaine, plein d'une
confiance aveugle dans sa cavalerie sur laquelle reposaient toutes ses espérances
de victoire. Jonathas s'avança et poursuivit Apollonios jusqu'à Azotos.
Celui-ci, dès que l'ennemi se trouva en plaine, fit volte-face et l'attaqua. Il
avait disposé mille cavaliers en embuscade dans un ravin pour se montrer sur
les derrières de l'ennemi ; Jonathas s'en aperçut et ne se laissa pas
effrayer. Il fit former le carré par son armée et prit ses dispositions pour
recevoir l'ennemi des deux côtés, prêt à résister aux assaillants qui se présenteraient
de front et à revers. Le combat se prolongea jusqu'au soir. Jonathas donna
alors à son frère Simon une partie de ses troupes avec ordre d'attaquer la
phalange des ennemis ; lui-même ordonna à ses gens de se retrancher sous
leurs armures et d'y recevoir les traits lancés par les cavaliers. Les soldats
exécutèrent cet ordre ; les cavaliers ennemis lancèrent sur eux leurs
traits, jusqu'au dernier, sans leur faire aucun mal, car les traits
n'atteignaient pas les hommes ; ceux-ci protégés par leurs boucliers
fortement unis, grâce à cette épaisse carapace arrêtaient facilement les
projectiles qui retombaient inoffensifs. Lorsque les ennemis eurent passé la
journée depuis le matin jusqu'an soir à cribler de traits les troupes juives,
Simon profita de leur fatigue pour attaquer la phalange, et grâce à l'ardeur
de ses soldats, milles ennemis en fuite. Les cavaliers, voyant fuir
l'infanterie, lâchèrent pied à leur tour, et, harassés pour avoir combattu
jusqu'à la nuit, perdant d'autre part tout espoir de secours du côté de
l'infanterie, ils s'enfuirent en désordre, les rangs mêlés, et se dispersèrent,
débandés, à travers toute la plaine. Jonathas les poursuivit jusqu'à Azotos,
en tua un grand nombre et força les autres, désespérant de se sauver, à se réfugier
dans le temple de Dagon, qui était à Azotos. Il emporta la ville d'assaut et
l'incendia ainsi que les villages environnants. Il n'épargna même pas le
temple de Dagon, auquel il mit le feu, faisant ainsi périr ceux qui s'y étaient
réfugiés. Les ennemis tombés dans le combat et brûlés dans le temple étaient,
au total, au nombre de huit mille. Après avoir vaincu des forces aussi
importantes, Jonathas partit d'Azotos pour Ascalon ; comme il campait en
dehors de la ville, les habitants vinrent à sa rencontre portant les présents
d'hospitalité et lui rendant
honneur. Jonathas les remercia de leurs bonnes dispositions, et de là retourna
à Jérusalem avec un butin considérable, fruit de sa victoire sur les ennemis.
Alexandre, à la nouvelle que son général Apollonios avait été battu,
feignit de s'en réjouir, parce que celui-ci avait attaqué contre sa volonté
Jonathas qui était son ami et son allié ;
il envoya à Jonathas l'assurance de sa satisfaction, et le combla d'honneurs et
de présents, entre autres une agrafe d'or, comme il est coutume d'en donner aux
parents du roi ; enfin il lui concéda Accaron
à titre héréditaire avec la toparchie qui en dépend.
5.
A ce même moment, le roi Ptolémée, surnommé Philométor, arriva en Syrie
avec une flotte et des troupes pour prêter assistance à Alexandre, qui était
son gendre. Sur l'ordre d'Alexandre, toutes les villes le reçurent avec
empressement et lui firent escorte jusqu'à la ville d'Azotos ; là tous
l'assaillirent de leurs réclamations au sujet de l'incendie du temple de Dagon ;
ils accusaient Jonathas qui avait détruit ce temple, ravagé le pays et tué un
grand nombre des leurs. Ptolémée ne se laissa pas troubler par ces plaintes ;
et Jonathas, venu à sa rencontre à Jopé, reçut de lui de riches présents et
toutes sortes d'honneurs.
Après avoir accompagné le roi jusqu'au fleuve appelé Éleuthéros,
il revint à Jérusalem.
6.
Arrivé à Ptolémaïs, Ptolémée, contre toute attente, faillit périr victime
des embûches d'Alexandre, de la main d'Ammonios, ami de celui-ci. Le complot
ayant été découvert, Ptolémée écrivit à Alexandre pour demander qu'on lui
livrât Ammonios, disant que celui-ci avait conspiré contre lui, et qu'en conséquence,
il méritait un châtiment. Alexandre refusant de le livrer, Ptolémée comprit
qu'il était lui-même l'auteur du complot, et fut vivement irrité contre lui.
Déjà auparavant Alexandre était mal vu des habitants d'Antioche à cause
d'Ammonios, qui les avait souvent maltraités. Ammonios porta cependant la peine
de ses méfaits et fut égorgé honteusement comme une femme, car il essaya de
se cacher sous des vêtements féminins, comme nous l’avons raconté ailleurs.
7.
Ptolémée, se reprochant d'avoir uni sa fille à Alexandre et de s'être allié
à lui contre Démétrius, rompit ses liens de parenté avec ce prince. Il lui
enleva sa fille, et écrivit aussitôt à Démétrius pour faire avec lui
alliance et amitié, promettant de lui donner sa fille en mariage et de le rétablir
dans le pouvoir paternel. Démétrius, heureux de ces offres, accepta l'alliance
et le mariage. Il restait à Ptolémée à persuader les gens d'Antioche de
recevoir Démétrius, qu'ils haïssaient à cause de toutes les injustices
commises envers eux par son père Démétrius. Il réussit dans cette tâche ;
car les gens d'Antioche détestaient Alexandre, à cause d'Ammonios, comme je
l'ai raconté, et le chassèrent de leur ville sans se faire prier. Alexandre,
expulsé d'Antioche, passa en Cilicie. Ptolémée, à son arrivée à Antioche,
fut choisi comme roi par les habitants et l'armée, et, malgré lui, ceignit
deux couronnes, celle d'Asie et celle d'Égypte. Mais honnête et juste de
nature, nullement désireux de s'emparer du bien d'autrui, et, de plus, capable
de prévoir l'avenir, il résolut d'éviter de donner prise à la jalousie des
Romains. Il réunit donc les habitants d'Antioche en assemblée et leur persuada
de recevoir Démétrius, alléguant que celui-ci, bien accueilli, ne leur
garderait pas rancune de ce qu'ils avaient fait à son père ; lui-même,
Ptolémée, proposait d'être son maître et son guide dans la voie du bien, et
promettait de ne pas le laisser commettre de mauvaises actions ; quant à
lui, le royaume d'Égypte lui suffirait. Par ce discours il décida les
habitants d'Antioche à recevoir Démétrius.
8.
Cependant Alexandre, avec une armée considérable et un matériel important,
repassa de Cilicie en Syrie et vint incendier et piller le territoire d'Antioche ;
Ptolémée marcha contre lui avec son gendre Démétrius ; il avait, en
effet, déjà donné à celui-ci sa fille en mariage. Ils battirent Alexandre et
le mirent en fuite. Alexandre se réfugia en Arabie. Dans le combat, le cheval
de Ptolémée, effrayé par le barrissement d'un éléphant, se cabra et désarçonna
le roi ; les ennemis, s'en étant aperçus, se précipitèrent sur lui, lui
firent de nombreuses blessures à la tête et le mirent en danger de mort ;
arraché de leurs mains par ses gardes du corps, Ptolémée était dans un état
si grave que pendant quatre jours il ne recouvra ni la con naissance ni la parole. Le prince des Arabes, Zabélos,
coupa la tête d'Alexandre et l'envoya à Ptolémée, qui, revenant de ses
blessures le cinquième jour et recouvrant ses sens, jouit d'un récit et d'un
spectacle réconfortants : la nouvelle de la mort d'Alexandre et la vue de
sa tête. Il mourut lui-même peu après, plein de joie de savoir Alexandre
mort. Alexandre surnommé Balas avait régné sur l'Asie cinq années, comme
nous l'avons dit ailleurs.
9.
Démétrius, surnommé Nicanor,
devenu maître du pouvoir, commença, dans sa méchanceté, par détruire les
troupes de Ptolémée,
oubliant que ce roi lui avait porté secours et était devenu son beau-père et
son parent, par le mariage de Démétrius avec Cléopâtre. Les soldats, pour échapper
à ses mauvais desseins, s'enfuirent à, Alexandrie, mais Démétrius resta maître
des éléphants. Cependant le grand-prêtre Jonathas leva une armée dans la Judée
entière et alla mettre le siège devant la citadelle de Jérusalem, occupée
par une garnison macédonienne et par quelques-uns des juifs apostats qui
avaient abandonné les coutumes de leurs pères. Les assiégés tout d'abord méprisèrent
les machines que dressait Jonathas pour s’emparer de la citadelle, confiants
qu'ils étaient dans la force des lieux ; quelques-uns de ces misérables
s'échappèrent de nuit et vinrent rejoindre Démétrius, auquel ils annoncèrent
le siège de la citadelle. Démétrius, irrité par cette information, partit
d'Antioche avec ses troupes contre Jonathas. Arrivé à Ptolémaïs, il lui
manda de se rendre aussitôt auprès de lui dans cette ville. Jonathas
n'interrompit pas le siège, mais à la tête des anciens du peuple et des prêtres,
chargé d'or, d'argent, de vêtements et de nombreux présents, il se rendit
auprès de Démétrius, et grâce à ces cadeaux apaisa si bien la colère du
roi, que celui-ci l'honora et lui confirma la sûre possession de la grande prêtrise
telle qu'il la tenait des rois ses prédécesseurs. Démétrius n'ajouta aucune
foi aux accusations portées contre lui par les transfuges ; tout au
contraire, sur la proposition que lui fit Jonathas de payer trois cents talents
pour la Judée tout entière et les trois toparchies de Samarie, Pérée et
Galilée,
Démétrius lui donna à ce sujet une lettre dont voici le contenu :
« Le roi Démétrius à son frère Jonathas et au peuple juif, salut. Nous
vous envoyons copie de la lettre que j'ai écrite à Lasthénès notre parent,
afin que vous en preniez connaissance. - Le roi Démétrius à Lasthénès son père,
salut. J'ai résolu de reconnaître la bienveillance du peuple juif, qui est mon
ami et qui respecte à mon égard la justice. Je leur abandonne avec leurs dépendances
les trois districts d'Aphereima, de Lydda, et de Rhamatha,
qui furent détachés de la province de Samarie pour être réunis à la Judée ;
je leur fais, de plus, remise de toutes les taxes que les rois mes prédécesseurs
prélevaient sur les sacrifices offerts à Jérusalem, de toutes les redevances
sur les fruits de la terre ou des arbres ou autres produits, des marais salants,
des couronnes qu'on nous apportait ; à dater de ce jour et à l'avenir ils
ne seront plus contraints à payer aucune de ces taxes. Veille donc à ce qu'une
copie de cette lettre soit faite, remise à Jonathan, et déposée à une place
d'honneur dans le Temple saint. » Telle était cette lettre. Puis Démétrius,
voyant que la paix régnait et qu'il n'y avait ni danger ni crainte de guerre,
licencia son armée et diminua la solde, ne payant plus que les troupes étrangères
qui étaient venues avec lui de Crête et des autres îles. Il s'attira ainsi
l'inimitié et la haine des soldats auxquels il ne donnait plus rien, tandis que
les rois ses prédécesseurs les payaient même en temps de paix afin de
s’assurer leur fidélité et leur dévouement dans les combats, si jamais il
était nécessaire.
1.
Ces mauvaises dispositions des soldats contre Démétrius furent aperçues par
un ancien général d'Alexandre, Diodotos, d'Apamée, surnommé Tryphon. Il se
rendit auprès de l'Arabe Malchos,
qui élevait le fils d'Alexandre, Antiochus, révéla à ce chef le mécontentement
de l'armée a' l'égard de Démétrius, et le pressa de lui confier Antiochus,
voulant, disait-il, le faire roi et lui rendre le trône de son père. Malchos résista
d’abord, par défiance ; beaucoup plus tard, sur les insistances prolongées
de Tryphon, il se laissa convaincre et amener à ce que celui-ci lui demandait.
Tels étaient les mouvements de ce côté.
2.
Cependant le grand-prêtre Jonathas, désireux d'expulser les soldats établis
dans la citadelle de Jérusalem avec les Juifs transfuges et apostats, et de
chasser toutes les garnisons du pays, envoya à Démétrius des ambassadeurs
chargés de présents pour lui demander de retirer les troupes des places fortes
de Judée. Démétrius lui promit non seulement ce retrait des troupes, mais de
bien plus importantes faveurs encore, une fois terminée la guerre où il était
engagé ;
car celle-ci absorbait en ce moment ses loisirs. Il lui demanda, en outre, de
lui envoyer du renfort, lui révélant la défection de ses soldats ; et
Jonathas lui envoya trois mille hommes de choix.
3.
Les habitants d'Antioche, qui détestaient Démétrius pour tout ce qu'ils
avaient souffert de sa part, et lui en voulaient, de plus, de toutes les
injustices commises à leur égard par son père Démétrius, guettaient
l'occasion de l'attaquer. A la nouvelle de l'arrivée des renforts que lui
envoyait Jonathas, ils comprirent que le roi allait réunir une armée considérable
s'ils ne se hâtaient de le prévenir ; ils prirent donc les armes, cernèrent
son palais comme dans un siège, et, maîtres des issues, cherchèrent à
s'emparer de sa personne. Démétrius, voyant le peuple d'Antioche insurgé
contre lui et sous les armes, rassembla ses mercenaires et les Juifs envoyés
par Jonathas et attaqua les habitants ; mais il fut accablé par le nombre
- il y en avait plusieurs myriades - et vaincu. Quand les Juifs virent que les
habitants d'Antioche l'emportaient, ils montèrent sur les toits du palais, d'où
ils tirèrent sur eux ; hors d'atteinte eux-mêmes en raison de leur
position, ils firent beaucoup de mal à leurs adversaires, qu'ils attaquaient
d'en haut, et les repoussèrent des maisons voisines. Aussitôt ils mirent le
feu à celles-ci, et la flamme s'étendant sur toute la ville, où les maisons
étaient très serrées et pour la plupart bâties en bois, la ravagea tout entière.
Les habitants d'Antioche, ne pouvant organiser des secours ni se rendre maîtres
du feu, prirent la fuite. Les Juifs en sautant de maison en maison les
poursuivirent de la façon la plus singulière. Le roi, quand il vit les
habitants occupés à sauver leurs enfants et leurs femmes et pour cette raison
rompant le combat, les rejoignit par d'autres ruelles, les attaqua, en tua un
grand nombre et finit par les obliger à jeter leurs armes et à se rendre. Puis
leur ayant pardonné leur audacieuse agression, il arrêta la révolte. Après
avoir récompensé les Juifs avec le produit du butin et les avoir remerciés
comme les principaux auteurs de sa victoire, il les renvoya vers Jonathas, à Jérusalem,
avec ses remerciements pour l'aide reçue. Plus tard cependant il se montra
fourbe à l'égard du grand-prêtre, manqua à ses promesses et le menaça de la
guerre s'il ne s'acquittait de tous les tributs que le peuple juif payait aux
premiers rois. Et il aurait accompli sa menace si Tryphon ne l'en avait empêché
en l'obligeant de consacrer à sa propre sûreté les préparatifs faits contre
Jonathas. Revenu, en effet, d'Arabie en Syrie avec le jeune Antiochus, qui était
encore un enfant, il lui fit ceindre le diadème. Toutes les troupes qui avaient
abandonné Démétrius, parce qu'il ne payait pas de solde, se rallièrent à
Tryphon ; il fit la guerre à Démétrius, l'attaqua, le vainquit en
bataille rangée et s'empara de ses éléphants ainsi que de la ville
d'Antioche.
4.
Démétrius battu se retira en Cilicie.
Le jeune Antiochus envoya à Jonathas des ambassadeurs avec une lettre, en fit
son ami et son allié, lui confirma la grande-prêtrise et évacua quatre
districts qui avaient été réunis
au territoire des Juifs. Il envoya encore à Jonathas, en lui permettant de s'en
servir, des vases d'or, des coupes, un vêtement de pourpre, lui fit présent
d'une agrafe d'or et l'autorisa à se compter parmi ses premiers amis, Il nomma
Simon, frère de Jonathas, gouverneur de la côte depuis l'échelle des Tyriens jusqu'à l’Égypte.
Jonathas, heureux des avances que lui faisait Antiochus, lui envoya, ainsi qu'à
Tryphon, des ambassadeurs, se déclara son ami et son allié, prêt à combattre
avec lui contre Démétrius ; il rappela que celui-ci ne lui avait pas su
gré de tous les services qu'il avait reçus de lui dans le besoin, et n'avait répondu
que par l'injustice aux bienfaits.
5.
Antiochus l'ayant autorisé à lever une armée considérable en Syrie et en Phénicie
pour combattre les généraux de Démétrius, Jonathas marcha sans tarder sur
les villes de ces provinces. Elles le reçurent magnifiquement, mais ne lui donnèrent
pas de troupes.
De là, il se rendit à Ascalon, et les habitants étant venus à sa rencontre
avec des démonstrations d’amitié et des présents, il les exhorta, ainsi que
chacune des villes de Cœlé-Syrie, à quitter Démétrius pour se rallier à
Antiochus et combattre avec lui afin d'essayer de se venger sur Démétrius des
injustices qu'il leur avait faites ; car elles avaient bien des raisons
pour prendre ce parti. Après avoir décidé les villes
à convenir de s'allier à Antiochus, il se rendit à Gaza pour gagner aussi les
habitants à la cause d’Antiochus. Mais il les trouva beaucoup plus hostiles
qu'il ne s'y attendait : ils lui fermèrent leurs portes, et, tout en
abandonnant Démétrius, refusèrent de se rallier à Antiochus. Cette attitude
détermina Jonathas à faire le siège de la ville et à ravager le territoire
ayant donc établi une partie de ses troupes autour de Gaza, il alla lui-même
avec le reste dévaster et incendier la campagne. Les habitants de Gaza voyant
les maux dont ils souffraient sans qu'aucun secours leur vint de Démétrius,
considérant d'ailleurs que les inconvénients de leur attitude étaient bien
actuels tandis que le profit en était fort éloigné et incertain, jugèrent
sage de renoncer au rêve pour remédier à la réalité. Ils envoyèrent donc
assurer Jonathas de leur amitié et de leur alliance ; car les hommes,
avant d'avoir fait l'expérience du malheur, ne comprennent pas leur intérêt ;
puis lorsqu'ils se trouvent dans une mauvaise situation, changeant d'avis, ils
prennent, une fois éprouvés, le parti auquel ils auraient pu, sans ressentir
le moindre dommage, s'arrêter d'abord. Jonathas fit donc amitié avec les
habitants de Gaza et prit des otages qu'il envoya à Jérusalem ; lui-même
s'enfonça dans le pays jusqu'à Damas.
6.
Il apprit bientôt que les généraux de Démétrius s'avançaient avec une
nombreuse armée vers Kédasa, ville située entre le territoire de Tyr et la
Galilée ;
ils pensaient, en effet, l'attirer de Syrie en Galilée pour secourir cette
province, persuadés qu'il ne resterait pas indifférent à une attaque contre
les Galiléens qui dépendaient de lui.
Il marcha à leur rencontre, laissant en Judée son frère Simon. Celui-ci leva
aussi dans le pays une armée aussi forte que possible et alla mettre le siège
devant Bethsoura, place très forte de Judée qu'occupait une garnison de Démétrius,
comme nous l'avons dit plus haut.
Simon éleva des terrassements, dressa des machines, et mena si énergiquement
les préparatifs du siège de Bethsoura que la garnison craignant, si le bourg
était enlevé de force, d'être passée au fil de l'épée, lui fit proposer,
moyennant le serment de ne pas être inquiétée, d'abandonner la place et de se
retirer auprès de Démétrius. Simon leur donna l'assurance demandée, les fit
sortir de la ville et y plaça lui-même une garnison.
7.
Jonathas, parti de Galilée, des bords du lac dit de Génésara, où il campait
alors, s'avança jusqu'à la plaine nommée Asôr,
ignorant que les ennemis s'y trouvaient. Informés, un jour à l'avance, que
Jonathas allait marcher de leur côté, les généraux de Démétrius placèrent
une embuscade dans la montagne, et eux-mêmes avec leur armée vinrent à sa
rencontre dans la plaine. Jonathan les voyant prêts au combat prépara, comme
il put, ses propres soldats à la bataille. Mais les troupes postées en
embuscade par les généraux de Démétrius survinrent sur les derrières des
Juifs, et ceux-ci, dans la crainte de périr enveloppés, prirent la fuite.
Presque tous abandonnèrent Jonathas ; quelques-uns seulement, au nombre
d'environ cinquante,
restèrent, avec Mattathias, fils d'Absalomos, et Judas, fils de Chapsaios,
qui étaient les chefs de toute l'armée ; avec l'intrépidité et l'audace
du désespoir, ils s'élancèrent sur les ennemis, les effrayèrent par leur
hardiesse, et par leur vigueur les mirent en fuite. Lorsque les soldats de
Jonathas qui avaient fait retraite virent l'ennemi en déroute, ils se rallièrent,
se mirent à sa poursuite et poussèrent ainsi jusqu'à Kédasa, où se trouvait
le camp des ennemis. Jonathas, après cette brillante victoire où il tua deux
mille
ennemis, revint à Jérusalem.
8.
Voyant que, par la providence divine, tout lui réussissait, il envoya des
ambassadeurs aux Romains pour renouveler l'amitié que son peuple avait faite
auparavant avec eux. Il ordonna à ces mêmes ambassadeurs, en revenant de Rome,
de se rendre auprès des Spartiates et de leur rappeler l'amitié et la parenté
qui les liaient aux Juifs. Les ambassadeurs, arrivés à Rome, se présentèrent
devant le Sénat et déclarèrent qu'ils venaient de la part du grand-prêtre
Jonathas, pour resserrer l'alliance ancienne ; le Sénat confirma ses décisions
précédentes relatives à l'amitié avec les Juifs, et leur donna des lettres
pour tous les rois d'Asie et d'Europe et pour les magistrats des villes, qui
devaient leur servir de sauf-conduit jusqu'à leur patrie. Ils repartirent donc
et allèrent à Sparte, où ils remirent la lettre que leur avait donnée
Jonathas. En voici la copie : « Jonathas, grand-prêtre du peuple des
Juifs, l'assemblée des anciens et la communauté juive,
aux éphores, à la gérousie et au peuple des Lacédémoniens, leurs frères,
salut. Si vous êtes en bonne santé, si vos affaires publiques et privées vont
à votre gré, c'est tout ce que nous souhaitons ; nous-mêmes nous allons
bien. Jadis, quand Démotélès apporta à notre grand-prêtre Onias de la part
de votre roi Areios une lettre sur la parenté qui nous unit à vous, - lettre
dont la copie se trouve ci-dessous
- nous l'avons reçue avec joie et avons témoigné nos bonnes dispositions à Démotélès
et à Areios ; nous n'avions cependant pas besoin de cette démonstration,
car le fait nous était appris par nos livres saints.
Nous n'avons pas voulu prendre l'initiative de cette reconnaissance, pour ne pas
paraître courir après la gloire que nous recevrions de vous. Bien des années
se sont écoulées depuis le jour où fut proclamée à nouveau (?) la parenté
qui nous unit dès l'origine,
et toujours, dans nos fêtes sacrées et nos anniversaires, en offrant à Dieu
des sacrifices, nous le prions pour qu'il vous donne la sécurité et la
victoire. Nous avons eu à soutenir bien des guerres nées de la convoitise de
nos voisins ; mais nous n’avons voulu être un embarras ni pour vous ni
pour aucun de nos parents. Cependant après avoir battu nos ennemis, comme nous
envoyions aux Romains Nouménios, fils d'Antiochus, et Antipater, fils de Jason,
qui sont des hommes honorés appartenant à notre Sénat, nous leur avons aussi
donné des lettres pour vous, afin de renouveler l'amitié qui nous unit
ensemble. Vous ferez donc bien de nous écrire de votre côté et de nous mander
ce que vous pourriez désirer, assurés que nous sommes prêts à agir conformément
à vos souhaits. » Les Lacédémoniens firent un cordial accueil aux envoyés,
rendirent un décret d'alliance et d'amitié, et l'envoyèrent aux Juifs.
9.
A cette époque, il y avait parmi les Juifs trois sectes qui professaient
chacune une doctrine différente sur les affaires humaines : l'une était
celle des Pharisiens, l'autre celle des Sadducéens, la troisième celle des Esséniens.
Les Pharisiens disent que certaines choses, mais non pas toutes, sont fixées
par le destin et que l'accomplissement ou le non accomplissement de certaines
autres dépend de notre propre volonté. Les Esséniens déclarent que le destin
est maître de tout et que rien n'arrive aux hommes qui n'ait été décrété
par lui. Les Sadducéens mettent de côté le destin, estimant qu'il n'existe
pas et qu'il ne joue aucun rôle dans les affaires humaines, que tout dépend de
nous-mêmes, en sorte que nous sommes la cause du bien qui nous arrive, et que,
pour les maux, notre seule imprudence nous les attire. Mais sur ce sujet j'ai
donné d'assez exacts éclaircissements dans le second livre de mon histoire
judaïque.
10.
Les généraux de Démétrius, voulant prendre leur revanche de leur défaite,
rassemblèrent une armée plus considérable que la première et marchèrent
contre Jonathas. Lorsque celui-ci apprit leur approche, il se porta rapidement
à leur rencontre dans le pays d'Hamath ; il ne voulait pas
en effet leur laisser le temps d'envahir la Judée. Il campa à cinquante stades
des ennemis, et envoya des éclaireurs pour reconnaître leur situation et
comment ils étaient campés. Ces éclaireurs lui donnèrent tous les
renseignements et firent des prisonniers qui avouèrent que l'ennemi devait
pendant la nuit
attaquer les Juifs. Jonathas prévenu se tint sur ses gardes, mit des
avant-postes hors du camp et tint tous ses soldats sous les armes pendant la
nuit entière ; il les exhorta à se montrer courageux et à se tenir prêts
à combattre au besoin de nuit, afin que le projet de l'ennemi ne les surprit
pas. Les généraux de Démétrius, ayant su que Jonathas connaissait leur
dessein, perdirent leur assurance, et furent troublés à la pensée qu'ils
avaient été déjoués par l'ennemi ; il n'y avait plus à espérer de
pouvoir le vaincre d'une autre manière, leur ruse ayant échoué ; car en
bataille rangée, ils ne croyaient pas être de force à lutter contre Jonathas.
Ils résolurent donc de s'enfuir, et, après avoir allumé de nombreux feux,
dont la vue persuaderait à l'ennemi qu'ils étaient toujours là, ils battirent
en retraite. Jonathas vers le matin, s'étant approché de leur camp et le
trouvant désert, comprit qu'ils fuyaient et se mit à leur poursuite. Mais il
ne put les atteindre, car ils avaient déjà traversé le fleuve Eleuthéros
et se trouvaient en sûreté. Il revint donc sur ses pas jusqu'en Arabie,
guerroya contre les Nabatéens,
fit sur eux un butin considérable et des prisonniers, et alla à Damas où il
vendit tout. Pendant ce temps, son
frère Simon parcourut toute la Judée et la Palestine
jusqu'à Ascalon, assurant la défense des places qu'il renforça par des
travaux et l'établissement de postes ; il marcha ensuite sur Jopé,
l'occupa et y plaça une forte garnison ; il avait appris, en effet, que
les habitants voulaient livrer la ville aux généraux de Démétrius.
11.
Après ces opérations, Simon et Jonathas revinrent à Jérusalem. Jonathas réunit
tout le peuple dans le Temple, et mit en délibération le projet de restaurer
les murailles de Jérusalem, de reconstruire la partie détruite de l'enceinte
du Temple, et d'en défendre les abords par des tours élevées ; de plus,
il proposa de construire un autre mur au milieu de la ville, pour couper les
arrivages à la garnison de la citadelle, et l'empêcher ainsi de se ravitailler ;
enfin, de fortifier les postes du pays et de les rendre beaucoup plus sûrs
encore qu’ils ne l'étaient. Le peuple approuva ces plans ; Jonathas
s'occupa alors lui-même des constructions dans la ville, et envoya Simon pour
fortifier les places de la campagne. Démétrius cependant, ayant traversé
(l'Euphrate), vint en Mésopotamie avec l'intention de s'en emparer ainsi que de
Babylone, et, une fois maître des satrapies de l'intérieur, de partir de là
pour recouvrer tout son royaume. En effet, les Grecs et les Macédoniens qui
habitaient ces contrées lui envoyaient constamment des ambassades, promettant,
s'il venait chez eux, de lui faire leur soumission, et de combattre avec lui
Arsace, roi des Parthes. Exalté par ces espérances, il se dirigea de leur côté,
dans l'intention, s'il battait les Parthes et réunissait des forces
suffisantes, de s'attaquer à Tryphon et de le chasser de Syrie. Reçu avec
empressement par les habitants du pays, il réunit des troupes et attaqua Arsace ;
mais il perdit toute son armée et fut lui-même pris vivant, comme on l'a
raconté ailleurs.
1.
Tryphon, quand il eut appris le sort de Démétrius, cessa d'être fidèle à
Antiochus et médita de le tuer pour s'emparer lui-même de la royauté. Mais il
était arrêté dans ses projets par la peur que lui inspirait Jonathas, ami
d'Antiochus ; aussi résolut-il de se débarrasser d'abord de Jonathas
avant de s'en prendre à Antiochus. Il décida de se défaire de Jonathas par
surprise et par ruse. A cet effet il se rendit d'Antioche à Bethsané, ville
que les Grecs appellent Scythopolis, et près de laquelle Jonathas vint à sa
rencontre avec quarante mille hommes de troupes choisies, car il soupçonnait
que Tryphon venait pour l'attaquer. Tryphon, voyant Jonathas prêt pour le
combat, le circonvint par des présents et des protestations et ordonna à ses
propres généraux de lui obéir, espérant par ces moyens le persuader de ses
bonnes dispositions et écarter tout soupçon, puis de s'emparer de lui sans
qu'il fût sur ses gardes et à l'improviste. Il l'engagea à licencier son armée,
amenée, disait-il, sans nécessité, puisqu'on n'était pas en guerre et que la
paix régnait partout ; il le pria de garder cependant quelques troupes
avec lui et de l'accompagner à Ptolémaïs : il voulait, en effet, lui
livrer la ville et lui remettre tous les forts qui se trouvaient dans le pays ;
il était venu dans ce dessein.
2.
Jonathas, sans aucun soupçon, convaincu que Tryphon lui donnait ces conseils
dans de bonnes intentions et avec une entière bonne foi, licencia son armée,
ne garda que trois mille hommes en tout, dont il laissa deux mille en Galilée,
et partit avec les mille autres pour Ptolémaïs, en compagnie de Tryphon. Mais
les habitants de Ptolémaïs fermèrent leurs portes, sur un ordre donné par
Tryphon, et celui-ci s'empara de Jonathas vivant et massacra tous ses
compagnons. Il envoya ensuite des troupes contre les deux mille hommes laissés
en Galilée avec ordre de les faire aussi périr ; mais ceux-ci, informés
par la rumeur publique du sort de Jonathas, eurent le temps, en se couvrant de
leurs armes, de quitter le pays avant l'arrivée des soldats envoyés par
Tryphon. Et les troupes détachées contre eux, les voyant prêts à défendre
chèrement leur vie, revinrent auprès de Tryphon sans les avoir inquiétés.
3.
Les habitants de Jérusalem, à la nouvelle de la capture de Jonathas et du
massacre des soldats qui l'accompagnaient, déplorèrent vivement son sort et
furent dans l'angoisse à son sujet ; de plus ils furent tourmentés par la
crainte justifiée que, les voyant privés de ce chef vaillant et prudent, les
peuples voisins qui les détestaient et que la crainte seule de Jonathas
maintenait en paix, ne se soulevassent contre eux, les engageant ainsi dans une
guerre qui les mettrait dans le plus extrême péril. Ce qu'ils redoutaient leur
arriva en effet ; car au bruit de la mort de Jonathas ces peuples commencèrent
à guerroyer contre les Juifs, qu'ils croyaient sans chef ; et Tryphon
lui-même, ayant réuni ses troupes, médita de marcher sur la Judée et d'en
attaquer les habitants. Mais Simon, quand il vit les habitants de Jérusalem
effrayés de ces préparatifs, voulant leur parler et leur rendre courage pour
soutenir vaillamment l'attaque de Tryphon, réunit le peuple dans le Temple, et
se mit à l'exhorter en ces termes : « Vous n'ignorez pas, chers
compatriotes, avec quelle joie mon père, mes frères et moi nous avons risqué
notre vie pour votre liberté. Les grands exemples que j'ai sous les yeux, ma
conviction que la destinée des membres de notre famille est de périr pour la défense
du nos lois et de notre religion
font que nulle crainte ne sera capable de chasser de mon âme cette résolution,
et de l'y remplacer par l'amour de la vie et le mépris de la gloire. Ne croyez
donc pas qu'il vous manque un chef capable de supporter pour vous et de faire de
grandes choses, mais suivez-moi avec ardeur contre qui je vous conduirai ;
car je ne suis ni meilleur que mes frères, pour vouloir épargner ma vie, ni
pire pour vouloir fuir et refuser l'honneur qu'ils ont regardé comme le plus
grand, celui de mourir pour nos lois et pour le culte de notre Dieu. Ce qu'il
faut faire pour montrer que je suis bien leur frère, je le ferai. J'ai bon
espoir de tirer vengeance de l'ennemi, de vous arracher vous tous, vos femmes et
vos enfants à leurs outrages, de préserver, avec l'aide de Dieu, le Temple de
tout pillage. Car je vois que les nations, pleines de mépris pour vous, parce
qu'elles vous croient sans chef, se préparent à vous faire la guerre. »
4.
Ce discours de Simon rendit courage au peuple ; abattu naguère par la
crainte, il reprit alors bon espoir ; d'une seule voix il décerna par
acclamation le commandement à Simon et le prit comme chef, pour remplacer ses
frères Judas et Jonathas ; tous promirent d'être dociles à ses ordres.
Simon ayant donc réuni tous ceux de la nation qui étaient en état de
combattre, hâta la reconstruction des murs de la ville, la fortifia de tours élevées
et solides, et envoya un de ses amis, Jonathas, fils d'Absalomos,
à la tête d'une armée à Jopé, avec ordre d'en chasser les habitants il
craignait en effet que ceux-ci ne livrassent leur ville à Tryphon. Lui-même
resta pour garder Jérusalem.
5.
Tryphon, parti de Ptolémaïs avec une armée nombreuse, arriva en Judée
amenant son prisonnier Jonathas. Simon, à la tête de ses troupes, vint à sa
rencontre à Addida, ville située sur la
hauteur et au pied de laquelle s'étend la plaine de Judée. Tryphon, à la
nouvelle que les Juifs avaient pris pour chef Simon, lui envoya des messagers,
espérant le circonvenir lui aussi par surprise et par ruse ; il lui
faisait dire, s'il voulait délivrer son frère Jonathas, d'envoyer cent talents
d'argent, et deux des fils de Jonathas, comme otages, afin qu'une fois relâché
celui-ci ne soulevât pas la Judée contre le roi ; car s'il était retenu
prisonnier, c'était à cause des sommes qu'il avait empruntées au roi et lui devait encore.
Simon ne fut pas dupe de l'artifice de Tryphon ; comprenant bien qu'il
perdrait son argent sans obtenir pour cela la délivrance de son frère, et
qu'il aurait avec celui-ci livré à l'ennemi ses fils, mais craignant d'autre
part d'être accusé auprès du peuple d'avoir causé la mort de son frère,
pour n'avoir voulu donner en échange ni de l'argent, ni les fils de Jonathas,
il réunit son armée et lui fit part du message de Tryphon ; il ajouta que
ce message cachait un piège et une trahison ; que cependant il croyait préférable
d'envoyer l'argent et les enfants plutôt que de s'exposer, en refusant d'écouter
les propositions de Tryphon, à l'accusation de n'avoir pas voulu sauver son frère.
Il envoya donc les fils de Jonathas et l'argent. Tryphon prit le tout, mais ne
tint pas sa parole et ne délivra pas Jonathas ; au contraire, à la tête
de son armée, il contourna le pays, et résolut de remonter par l'Idumée pour
gagner finalement Jérusalem ; il partit donc et vint à Adôra,
ville d'Idumée. Simon, avec son armée, se porta à sa rencontre, et campa
constamment en face de lui.
6.
La garnison de la citadelle ayant fait parvenir un message à Tryphon pour le
prier de venir en hâte à leur secours et de leur envoyer des vivres, il fit préparer
sa cavalerie comme s'il devait être la nuit même à Jérusalem. Mais pendant
la nuit la neige tomba en abondance, cachant les chemins et rendant, à cause de
son épaisseur, la route impraticable pour les chevaux. Tryphon fut par suite
empêché d'aller à Jérusalem. Il leva donc le camp, arriva en Cœlé-Syrie,
envahit rapidement la Galaaditide, et là fit mettre à mort et ensevelir
Jonathas, puis il rentra à Antioche. Simon envoya à Basca
chercher les restes de son frère et les ensevelit à Modéï sa patrie ;
le peuple entier fit pour lui de grandes démonstrations de deuil. Simon
construisit à son père et à ses frères un vaste monument de marbre blanc et
poli. Il lui donna une hauteur remarquable, l'entoura de portiques, et y dressa
des colonnes monolithes, d'un admirable aspect ; il éleva de plus sept
pyramides, une pour chacun de ses parents et de ses frères, étonnantes par
leur hauteur et leur beauté, et qui existent encore aujourd'hui.
On voit donc le soin qu'apporta Simon à la sépulture de Jonathas et à l'érection
des monuments consacrés aux siens. Jonathas mourut après avoir été grand-prêtre
pendant [dix] ans et chef de la nation [pendant dix-huit].
7.
Telle fut la fin de Jonathas. Simon, nommé grand-prêtre par le peuple, délivra
les Juifs, dès la première année de sa grande- prêtrise,
de la servitude des Macédoniens et de l'obligation de leur payer des tributs.
La liberté et l'exemption des tributs furent acquises aux Juifs la cent
soixante-dixième année du règne des Assyriens
à compter du jour où Séleucus, surnommé Nicator, s'empara de la Syrie. Et
telle était la considération du peuple pour Simon, qu'on datait les contrats
privés et les actes publics de la première année de Simon, bienfaiteur des
Juifs et ethnarque. Ils furent, en effet, très heureux sous son gouvernement et
vainquirent les ennemis qui les environnaient. Simon détruisit la ville de
Gazara, Jopé et Iamnée ; puis, ayant assiégé et pris la citadelle de Jérusalem,
il la rasa jusqu'au sol afin qu'elle ne redevint pas pour les ennemis, s'ils
s'en emparaient de nouveau, une place d'armes d'où ils pourraient les molester
comme autrefois. Après quoi, il jugea bon et utile de niveler la colline elle-même
sur laquelle la citadelle se trouvait, afin que le Temple la dominât. Il
convoqua le peuple en assemblée et l'amena à son projet en lui rappelant tout
ce qu'ils avaient souffert de la garnison et des Juifs transfuges, et en démontrant
tout ce qu'ils auraient à souffrir si quelque étranger s'emparait encore du
pouvoir et plaçait là une garnison. Par ces arguments il convainquît le
peuple dans l'intérêt duquel il parlait. Tous se mirent à l'ouvrage pour
abaisser la colline et, sans s'interrompre ni nuit ni jour, en trois ans, la rasèrent
jusqu'à la base et jusqu'au niveau de la plaine. Désormais le Temple domina
toute la ville, la citadelle et la colline sur laquelle elle était bâtie ayant
été détruite. Tels furent les actes du gouvernement de Simon.
VII
1.
Usurpation de Tryphon. - 2-3. Antiochus Sidétès et Simon. - 4. Mort de Simon.
1.
Peu après que Démétrius eut été fait prisonnier, Tryphon mit à mort son
pupille, le fils d'Alexandre, Antiochus, surnommé Théos, qui avait régné
quatre ans.
Il raconta que ce prince était mort des suites d'une opération ; puis il
envoya ses amis et ses familiers auprès des soldats, pour leur promettre de
leur donner beaucoup d'argent s'ils l’élisaient roi : Démétrius,
disait-il, était prisonnier des Parthes, et son frère Antiochus, s'il
parvenait au pouvoir, les traiterait durement, pour se venger de leur défection.
Les soldats, dans l'espoir de vivre grassement s'ils donnaient la royauté à
Tryphon, le proclamèrent souverain. Mais Tryphon, dès qu'il fut le maître,
laissa voir son naturel pervers. Simple particulier, il flattait la foule,
feignait la modération et amenait par ce moyen le peuple à ses fins ; une
fois roi, il jeta le masque et fut le véritable Tryphon. Par là il renforça
ses ennemis : l'armée, en haine de lui, se rangea du côté de Cléopâtre,
femme de Démétrius, alors enfermée à Séleucie avec ses enfants. Et comme le
frère de Démétrius, Antiochus, surnommé Sôter,
errait sans qu'aucune ville le reçut, à cause de Tryphon, Cléopâtre l'appela
auprès d'elle en lui offrant sa main et la royauté. Elle faisait à Antiochus
ces propositions en partie sur le conseil de ses amis, en partie dans la crainte
que quelques habitants de Séleucie ne livrassent la ville à Tryphon.
2.
Antiochus, arrivé à Séleucie, vit ses forces augmenter de jour en jour. Il
partit donc en guerre contre Tryphon, le vainquit dans un combat, le chassa de
la haute Syrie en Phénicie, et l'ayant poursuivi jusque là, l'assiégea dans Dôra,
place forte difficile à prendre, où il s'était réfugié. Il envoya aussi des
ambassadeurs à Simon, le grand-prêtre des Juifs, pour faire alliance et amitié
avec lui. Simon accueillit avec joie ses propositions, et, après avoir rendu
une ambassade à Antiochus, envoya force argent et vivres aux troupes assiégeant
Dôra, de manière à leur assurer l'abondance. Aussi fut-il pendant quelque
temps compté parmi les plus intimes amis d'Antiochus.
Tryphon s'enfuit de Dôra à Apamée, y fut assiégé, pris et mis à mort après
avoir régné trois ans.
3.
Antiochus, par avarice et méchanceté, oublia les secours que lui avait apportés
Simon dans des circonstances difficiles. Il donna une armée à l'un de ses
amis, Kendebaios, et l'envoya piller la Judée et s'emparer de Simon. Simon, à la nouvelle
de la déloyauté d'Antiochus, bien qu'il fût déjà vieux, s'indigna cependant
de l'injustice d'Antiochus à son égard ; montrant une résolution qu'on
n'eut pas attendue de son âge, il entreprit la guerre avec l'ardeur d'un jeune
général. Il envoya en avant ses
fils avec les plus intrépides de ses soldats, et lui-même s'avança d'un autre
côté avec le gros de l'armée ; il plaça de nombreux détachements en
embuscade dans les défilés des montagnes, et, sans avoir jamais éprouvé d'échec,
battit l'ennemi sur toute la ligne ; il put ainsi finir sa vie en paix, après
avoir, lui aussi, fait alliance avec les Romains.
4.
Il gouverna les Juifs huit années en tout,
et mourut dans un banquet, victime d'un complot ourdi contre lui par son gendre
Ptolémée ; celui-ci s'empara aussi de la femme de Simon et de deux de ses
fils, qu'il jeta dans les fers ; puis, il envoya contre le troisième,
Jean, qu'on appelait aussi Hyrcan, des émissaires chargés de le tuer. Mais le
jeune homme, prévenu de leur arrivée, put échapper au danger dont ils le menaçaient,
et se réfugier dans la ville, se fiant à la reconnaissance du peuple pour les
services rendus par son père et à l'impopularité de Ptolémée. Et le peuple,
après avoir reçu Hyrcan, repoussa Ptolémée qui essayait d'entrer par une
autre porte.
1.
Ptolémée se retira dans une des forteresses situées au-dessus de Jéricho,
appelée Dagôn.
Hyrcan, qui avait hérité de la charge de grand-prêtre que remplissait son père,
offrit d'abord à Dieu des sacrifices, puis marcha contre Ptolémée, et mit le
siège devant la place. Il avait sur tous les points l'avantage, mais sa piété
pour sa mère et ses frères le paralysait, car Ptolémée les faisait amener
sur le rempart et les maltraitait à la vue de tous, menaçant de les précipiter
des murailles si Hyrcan ne levait pas le siège. Hyrcan, pensant que moins on
mettrait de hâte à la prise de la place, plus il épargnerait de souffrances
à ceux qu'il aimait le plus, se relâcha un peu de son ardeur. Cependant sa mère,
lui tendant les mains, le suppliait de ne pas fléchir à cause d'elle ;
tout au contraire, donnant un bien plus libre cours à sa colère, il devait hâter
la prise de la forteresse et venger, une fois maître de son ennemi, ses plus
chers parents : elle-même trouverait douce la mort dans les supplices Si
l'ennemi, coupable envers eux d'une telle perfidie, en subissait la peine.
Hyrcan, quand sa mère parlait ainsi, se sentait plein d'ardeur pour la prise de
la place ; mais lorsqu'il la voyait frappée et déchirée, il faiblissait et se
laissait vaincre par la pitié que lui inspiraient ses souffrances. Le siège
traîna ainsi en longueur, et l'on arriva à l'année pendant laquelle les Juifs
doivent rester inactifs : c'est en effet leur coutume tous les sept ans,
comme tous les sept jours.
Ptolémée, profitant de la suspension de la guerre qui en résulta, fit mettre
à mort les frères et la mère d'Hyrcan, et ce meurtre accompli, s'enfuit auprès
de Zénon, surnommé Cotylos, tyran de la ville de Philadelphie.
2.
Cependant Antiochus, vivement irrité des échecs que lui avait infligés Simon,
envahit la Judée la quatrième année de son règne, qui était la première du
gouvernement d'Hyrcan, dans la cent soixante-deuxième Olympiade. Après avoir ravagé le
pays, il enferma Hyrcan dans Jérusalem même, qu'il entoura de sept camps. Tout
d'abord il ne fit aucun progrès, tant à cause de la solidité des murailles,
que de la valeur des assiégés et du manque d'eau, auquel remédia cependant
une pluie abondante qui tomba au coucher des Pléiades.
Du côté du mur nord, au pied duquel le terrain était plat, il éleva cent
tours à trois étages, dans lesquelles il plaça des détachements de soldats.
Il livra des assauts journaliers, et ayant creusé un double fossé d'une grande
largeur, il bloqua les habitants. Ceux-ci de leur côté firent des sorties
nombreuses ; quand ils pouvaient sur quelque point tomber à l'improviste
sur l'ennemi, ils le maltraitaient fort ; s'ils le trouvaient sur ses
gardes, ils se retiraient facilement. Mais lorsque Hyrcan s'aperçut que l'excès
de population était nuisible, que les vivres se consommaient trop rapidement,
et que, comme de juste, tant de mains gâtaient la besogne, il renvoya, après
avoir fait son choix, toutes les bouches inutiles et ne garda que les hommes d'âge
et de force à combattre. Antiochus empêcha le départ des expulsés, et nombre
de ces malheureux, errant entre les deux lignes fortifiées, épuisés par la
faim, périrent misérablement. Enfin, à l'approche de la fête des Tabernacles,
les assiégés pris de pitié les firent rentrer. Hyrcan cependant ayant fait
demander à Antiochus une trêve de sept jours pour célébrer la fête,
Antiochus, par respect pour la divinité, l'accorda et envoya de plus un
magnifique sacrifice, des taureaux aux cornes dorées et des coupes d'or et
d'argent pleines de parfums de toutes sortes. Les gardiens des portes reçurent
cette offrande des mains de ceux qui l'apportaient et la conduisirent au Temple ;
Antiochus pendant ce temps donna un festin à son armée,
bien différent d'Antiochus Epiphane, qui, après avoir pris la ville, sacrifia
des porcs sur l'autel et arrosa le Temple de leur graisse, au mépris des
coutumes des Juifs et de leur religion nationale, sacrilège qui poussa le
peuple à la guerre et le rendit intraitable. Cet Antiochus au contraire, pour
son extrême piété, fut surnommé par tous Eusébès (le Pieux).
3.
Hyrcan, charmé de l'équité d'Antiochus et ayant appris son zèle à l'égard
de la divinité, lui envoya une ambassade pour lui demander de rendre aux Juifs
leur constitution nationale. Antiochus repoussa sans examen le conseil de ceux
qui le poussaient à exterminer ce peuple, comme refusant de partager le genre
de vie des autres ;
et résolu de conformer tous ses actes à sa piété, il répondit aux envoyés
qu'il mettrait fin à la guerre aux conditions suivantes : les assiégés
livreraient leurs armes, paieraient un tribut pour Jopé et les autres villes
limitrophes de la Judée qu'ils occupaient, et recevraient une garnison. Les
Juifs acceptèrent toutes ces conditions, à l'exception de la garnison,
repoussant tout commerce avec d'autres peuples. ils offraient en compensation
des otages et cinq cents talents d'argent; le roi ayant consenti, ils payèrent
aussitôt trois cents talents et remirent les otages, parmi lesquels était le
frère
d’Hyrcan. Antiochus détruisit de plus l'enceinte de la ville.
A ces conditions il leva le siège et se retira.
4.
Hyrcan ayant ouvert le tombeau de David, qui surpassait en richesses tous les
rois d'autrefois, en retira trois mille talents d'argent, et, grâce à ces
ressources, se mit, ce que n'avait encore jamais fait un Juif, à entretenir des
mercenaires.
Il fit amitié et alliance avec Antiochus, le reçut dans la ville, et fournit
abondamment et généreusement à tous les besoins de son armée. Et quand
Antiochus fit son expédition contre les Parthes,
Hyrcan l'accompagna. Nous en avons également pour garant Nicolas de Damas, qui
raconte le fait suivant :
« Antiochus, après avoir dressé un trophée sur les bords du fleuve
Lycos, en souvenir de sa victoire sur Indatès, général des Parthes, y demeura
deux jours à la demande d'Hyrcan le juif, à cause d'une fête nationale
pendant laquelle la loi interdisait aux Juifs de marcher. » Nicolas ne dit
là rien que de vrai : car la fête de la Pentecôte devait être célébrée
le jour après le Sabbat,
et il ne nous est pas permis de cheminer ni le jour du Sabbat ni les jours de fête.
Antiochus livra bataille au Parthe Arsace, perdit une grande partie de son armée
et périt lui-même. Le royaume de Syrie passa aux mains de son frère Démétrius,
qu'Arsace avait délivré de captivité au moment où Antiochus envahit le pays
des Parthes on l'a raconté ailleurs.
1.
Hyrcan, à la nouvelle de la mort d'Antiochus, marcha aussitôt sur les villes
de Syrie, pensant les trouver, ce qui était exact, dépourvues de combattants
et de défenseurs. Après six mois de siège il s'empara de Médaba au prix de
dures fatigues supportées par son armée ; ensuite il occupa Samega
et les localités voisines, puis Sikima,
Garizim et le pays des Chouthéens ; ceux-ci habitaient autour du temple bâti
à l'image de celui de Jérusalem, et qu'Alexandre avait permis au gouverneur
Sanaballétès de construire pour son gendre Manassès, frère du grand-prêtre
Jaddous, comme nous l'avons raconté plus haut.
Ce Temple fut dévasté après deux cents ans d'existence. Hyrcan prit aussi les
villes d'Idumée, Adora et Marissa,
soumit tous les Iduméens et leur permit de rester dans le pays à la condition
d'adopter la circoncision et les lois des Juifs. Par attachement au sol natal,
ils acceptèrent de se circoncire et de conformer leur genre de vie à celui des
Juifs. C'est à partir de cette époque qu'ils ont été des Juifs véritables.
2.
Le grand-prêtre Hyrcan, désirant renouveler l'amitié qui liait son peuple aux
Romains, leur envoya une ambassade. Le Sénat reçut sa lettre et fit amitié
avec lui dans les termes suivants : « … Fannius, fils de Marcus, préteur
a réuni le Sénat au Comitium le huit avant les ides de février,
étant présents Lucius Manlius, fils de Lucius, de la tribu Mentina, Caïus
Sempronius, fils de Cnæus, de la tribu Falerna,.... pour délibérer sur
l'objet de l'ambassade de Simon, fils de Dosithéos, d’Apollonios, fils
d'Alexandre, et de Diodore, fils de Jason, hommes de bien envoyés par le peuple
des Juifs. Ceux-ci nous ont entretenus de l'amitié et de l'alliance qui existe
entre eux et les Romains, et de leurs affaires publiques ; ils ont demandé
que Jopé, les ports, Gazara, Pegæ,
et toutes les autres villes et places leur appartenant et qu'Antiochus a prises
de force contrairement au décret du Sénat, leur fussent restitués ;
qu'il fût interdit aux soldats du roi de traverser leur territoire et celui de
leurs sujets ; que toutes les mesures prises par Antiochus pendant cette
guerre, à l'encontre du décret du Sénat, fussent infirmées ; que les
Romains envoyassent des commissaires chargés de faire rendre aux Juifs tout ce
que leur a enlevé Antiochus et d'estimer les ravages faits pendant la guerre ;
qu'enfin on donnât aux envoyés juifs des lettres pour les rois et les peuples
libres, assurant la sécurité de leur retour dans leur patrie.
Sur ces points voici ce qui a été décidé : renouveler l'amitié
et l'alliance avec des hommes de bien, envoyés par un peuple honnête et ami.
» Quant aux lettres(?),
les Romains répondirent qu'ils en délibéreraient lorsque leurs affaires
particulières laisseraient du loisir au Sénat ;
qu’ils prendraient soin à l'avenir que les Juifs ne fussent plus en butte à
des injustices de ce genre ; et que le préteur Fannius donnerait aux envoyés,
sur le trésor public, l'argent nécessaire pour leur retour. Fannius renvoya
ainsi les ambassadeurs des Juifs après leur avoir donné de l'argent, sur le trésor
public, et remis le décret du Sénat, à l'adresse de ceux qui devaient les
escorter et assurer leur retour en Judée.
3.
Telle était la situation du grand-prêtre Hyrcan. Le roi Démétrius désirait
faire une expédition contre lui, mais il n'en eut ni l'occasion ni le moyen,
car les Syriens et ses soldats, qui le détestaient à cause de sa méchanceté,
envoyèrent des ambassadeurs à Ptolémée surnommé Physcon,
pour lui demander de leur donner quelqu'un de la race de Séleucus qui pût
prendre la couronne. Ptolémée envoya Alexandre, surnommé Zébinas1 à la tête
d'une armée ; celui-ci livra bataille à Démétrius, qui, vaincu,
s'enfuit à Ptolémaïs au près de sa femme Cléopâtre ; mais sa femme
ayant refusé de le recevoir, il partit pour Tyr, fut pris et mourut après de
longues souffrances que lui firent subir ses ennemis.
Alexandre, devenu maître du pouvoir, lit amitié avec le grand-prêtre Hyrcan.
Puis, attaqué par Antiochus, fils de Démétrius, surnommé Grypos, il fut
battu et périt dans le combat.
1.
Antiochus, devenu ainsi roi de Syrie, s'apprêtait à marcher vers la Judée,
quand il apprit que son frère utérin, qui s'appelait aussi Antiochus,
rassemblait contre lui une armée.
Il resta donc sur son propre territoire, et résolut de se préparer à soutenir
l'invasion de son frère, qui avait été surnommé Antiochus Cyzicène parce
qu’il avait été élevé à Cyzique, et qui avait pour père Antiochus,
surnommé Sôter,
mort chez les Parthes, et frère lui-même de Démétrius, père de Grypos. Les
deux frères avaient épousé successivement la même femme, Cléopâtre, comme
nous l’avons raconté ailleurs.
Antiochus de Cyzique, arrivé en Syrie, fit pendant plusieurs années la guerre
à son frère. Hyrcan passa tout ce temps en paix.
Après la mort d'Antiochus,
il s'était, en effet, lui aussi détaché des Macédoniens, ne se conduisant
avec eux ni en sujet, ni en ami. Sous Alexandre Zébinas et surtout sous les
deux frères, ses affaires progressèrent et prospérèrent de plus en plus :
la guerre qu'ils se faisaient entre eux lui donna le loisir d'exploiter la Judée
en toute sécurité et d'amasser d'énormes sommes d'argent. Cependant quand
Antiochus Cyzicène dévasta ouvertement son territoire,
Hyrcan montra lui aussi ses intentions ;
et comme il voyait Antiochus privé de ses alliés d'Égypte, et l'un et l'autre
frère souffrir beaucoup dans les combats qu'ils se livraient, il les méprisait
également tous deux.
2.
Il fit une expédition contre Samarie, ville extrêmement forte ; nous
dirons ailleurs comment elle porte maintenant le nom de Sébasté, ayant été
rebâtie par Hérode. Il l'attaqua et l'assiégea avec vigueur, plein de
ressentiment contre les Samaritains, pour tout le mal qu’ils avaient fait, à
l'instigation des rois de Syrie, aux gens de Marissa, colons et alliés des
Juifs. Il entoura donc de tous
côtés la ville d'un fossé et d'un double mur, d'un développement d'environ
quatre-vingts stades, et confia les opérations à ses fils Antigone et
Aristobule. Pressés par ceux-ci, les Samaritains furent réduits par la famine
à une telle extrémité, qu'ils durent se nourrir des aliments les plus
insolites et appeler à leur secours Antiochus Cyzicène.
Antiochus se porta volontiers à leur aide, mais vaincu par Aristobule, il dut
s'enfuir, poursuivi jusqu'à Scythopolis par les deux frères. Ceux-ci, revenant
contre les Samaritains, les bloquèrent de nouveau dans leurs murailles, et les
réduisirent à appeler une seconde fois à leur secours ce même Antiochus.
Antiochus fit demander environ six mille hommes à Ptolémée Lathouros :
celui-ci les lui envoya malgré sa mère, qui faillit le détrôner. Avec ces
troupes égyptiennes, Antiochus envahit d'abord le territoire d'Hyrcan et se mit
à le ravager comme un brigand, n'osant pas, à cause de l'insuffisance de ses
forces, attaquer Hyrcan en face, mais dans l'espoir qu'en dévastant le pays, il
le forcerait à lever le siège de Samarie. Cependant, quand il eut perdu
beaucoup d’hommes dans les embuscades, il se retira à Tripolis, après avoir
confié à Callimandros et à Epicratès la conduite de la guerre contre les
Juifs.
3.
Callimandros, s'étant porté avec trop de hardiesse contre les ennemis, fut mis
en déroute et périt aussitôt. Epicratès, par avidité, livra ouvertement aux
Juifs Scythopolis et d'autres places,
mais ne put faire lever le siège de Samarie. Hyrcan, au bout d'un an de siège
s'empara de la ville, et non content de ce succès la détruisit entièrement en
l'inondant à l'aide des torrents : par des affouillements il la fit ébouler
dans des ravines et disparaître toutes traces indiquant qu'une ville s'élevait
jadis en cet endroit. - On raconte aussi du grand-prêtre Hyrcan un fait
extraordinaire, comment Dieu eut un entretien avec lui. On dit que le jour où
ses fils livrèrent bataille à Antiochus Cyzicène, comme il faisait lui-même
seul brûler de l'encens dans le sanctuaire, le grand-prêtre entendit une voix
lui disant que ses enfants venaient de vaincre Antiochus. Sortant du Temple, il
annonça à tout le peuple la nouvelle, que l'événement confirma.
Telles étaient les affaires d'Hyrcan.
4.
En ce temps là, la fortune ne souriait pas seulement aux Juifs de Jérusalem et
de son territoire, mais encore à ceux qui habitaient Alexandrie, l'Egypte et
Chypre. En effet la reine Cléopâtre étant en lutte avec son fils Ptolémée,
surnommé Lathouros, prit pour généraux Chelkias et Ananias, fils de cet Onias
qui avait construit dans le nome d'Héliopolis un temple semblable à celui de Jérusalem,
comme nous l'avons raconté plus haut.
Cléopâtre leur confia le commandement de son armée et ne fit rien sans
prendre leur avis, comme en témoigne le passage suivant de Strabon de Cappadoce :
« La plupart de ceux qui vinrent alors et de ceux qui furent ensuite envoyés
à Chypre par Cléopâtre faisaient aussitôt défection pour se rallier à Ptolémée ;
seuls les Juifs du pays dit d'Onias restèrent fidèles, à cause de la grande
faveur dont jouissaient auprès de la reine leurs compatriotes Chelkias et
Ananias. » Voilà ce que dit Strabon.
5.
Les succès d'Hyrcan et de ses fils excitèrent l'envie chez les Juifs ; il
était surtout mal vu des Pharisiens, l'une des sectes des Juifs, comme nous
l'avons dit plus haut.
Ces hommes ont une telle influence sur le peuple, que même s'ils parlent contre
le roi ou le grand-prêtre, ils trouvent aussitôt créance.
Hyrcan avait cependant été leur disciple et était très aimé d'eux. Un jour
il les invita à un banquet et les festoya magnifiquement ; quand il les
vit dans de bonnes dispositions, il se mit à leur parler, disant qu'ils
connaissaient sa volonté d'être juste et ses efforts pour être agréable à
Dieu et à eux-mêmes : les Pharisiens, en effet, se piquent de
philosophie. Il les priait donc, s'ils voyaient quelque chose à reprendre dans
sa conduite et qui fût hors de la bonne voie, de l'y ramener et de le
redresser. L'assemblée le proclama vertueux en tout point, et il se réjouit de
leurs louanges ; mais l'un des convives, nommé Éléazar, homme d'un
naturel méchant et séditieux, prit la parole en ces termes : « Puisque
tu désires connaître la vérité, renonce, si tu veux être juste, à la
grande-prêtrise et contente-toi de gouverner le peuple. » Hyrcan lui
demanda pourquoi il devait dépose la grande-prêtrise. « Parce que, dit
l'autre, nous avons appris de nos anciens que ta mère fut esclave sous le règne
d'Antiochus Epiphane. » C'était un mensonge, Hyrcan fut vivement irrité
contre lui, et tous les Pharisiens fort indignés.
6.
Mais un homme de la secte des Sadducéens - qui ont des idées opposées à
celles des Pharisiens, - un certain Jonathas, qui était des meilleurs amis
d'Hyrcan, prétendit qu'Eléazar n'avait insulté celui-ci que de l'assentiment
général des Pharisiens : Hyrcan s’en convaincrait facilement s'il leur
demandait quel châtiment Eléazar avait mérité par ses paroles. Hyrcan invita
donc les Pharisiens à lui dire quelle punition avait méritée Eléazar ;
il reconnaîtrait que cette injure ne lui avait pas été faite de leur aveu,
s'ils fixaient la peine à la mesure de l'offense. Ceux-ci répondirent :
« les coups et les chaînes », car une insulte ne leur paraissait
pas mériter la mort ; et d'ailleurs les Pharisiens sont par caractère
indulgents dans l'application des peines. Hyrcan fut très irrité de leur
sentence et conclut que le coupable l'avait insulté d'accord avec eux. Jonathas
surtout l'excita vivement et l'amena à passer à la secte des Sadducéens,
abandonnant celle des Pharisiens ; il abrogea les pratiques imposées au
peuple par ceux-ci et punit ceux qui les observaient. De là vint la haine du
peuple contre lui et ses fils. Mais nous reviendrons sur ce point.
Je veux maintenant dire simplement que les Pharisiens avaient introduit dans le
peuple beaucoup de coutumes qu'ils tenaient des anciens, mais qui n'étaient pas
inscrites dans les lois de Moïse, et que, pour cette raison, la secte des
Sadducéens rejetait, soutenant qu'on devait ne considérer comme lois que ce
qui était écrit, et ne pas observer ce qui était seulement transmis par la
tradition. Sur cette question s'élevèrent des controverses et de grandes
disputes, les Sadducéens ne parvenant à convaincre que les riches et n'étant
pas suivis par le peuple, les Pharisiens, au contraire, ayant la multitude avec
eux. Mais de ces deux sectes et de celle des Esséniens il a été longuement
parlé dans le second livre de mes Judaica.
7.
Hyrcan, après avoir apaisé la sédition,
vécut heureux ; il occupa le pouvoir avec le plus grand succès pendant
trente et un an
et mourut, laissant cinq fils. Il avait été jugé par Dieu digne des trois
plus hautes faveurs le pouvoir sur le peuple, la charge de grand-prêtre, le don
de prophétie. L'esprit divin, en effet, était en lui et lui permit de connaître
et d'annoncer l'avenir, si bien qu'il prédit de ses deux fils aînés qu'ils ne
resteraient pas longtemps maîtres du pouvoir.
Il nous faut raconter leur chute, qui nous apprendra combien ils ont été loin
du bonheur de leur père.
1.
Après la mort de leur père, l'aîné, Aristobule jugea à propos de
transformer de sa propre autorité le pouvoir en royauté, et le premier ceignit
le diadème quatre cent quatre-vingt-un ans et trois mois après le retour du
peuple, délivré de la captivité de Babylone.
De ses frères, il n'aimait que son puîné Antigone, qu'il jugea digne de
partager ses honneurs ; quant aux autres, il les jeta dans les fers. Il mit
aussi en prison sa mère, qui lui disputait le pouvoir, car Hyrcan l'avait laissée
maîtresse de tout ; et il poussa la cruauté jusqu'à la laisser mourir de
faim dans des chaînes. Puis il fit subir le même sort à son frère Antigone,
qu'il paraissait aimer tendrement et qu'il avait associé à sa royauté. Il fut
éloigné de lui par des accusations, auxquelles il ne crut pas tout d'abord,
soit que son affection l'empêchât d'y prêter attention, soit qu'il supposât
ces calomnies inspirées par la jalousie. Mais un jour qu'Antigone était revenu
couvert de gloire d'une expédition militaire, à l'époque de la fête dans
laquelle on dresse des tentes en l'honneur de Dieu, il arriva qu'Aristobule
tomba malade. Antigone, pour célébrer la fête, monta au Temple, en brillant
équipage, entouré de ses hommes d'armes, et fit les plus ardentes prières
pour le salut de son frère. Les méchants, qui désiraient détruire la
concorde régnant entre les deux frères, saisirent l'occasion que leur
fournissaient l'éclat du cortège d'Antigone et ses succès. Ils se rendirent
auprès du roi, exagérant dans de mauvaises intentions la pompe déployée par
Antigone pendant la fête, prétendant que chacun de ses actes, loin d'être
d'un simple particulier, révélait des visées à la royauté ; sans
doute, à la tête d'une troupe en armes, il allait venir mettre à mort son frère,
pensant qu'il serait sot, pouvant être roi, de se croire suffisamment avantagé
par le simple partage des honneurs souverains.
2.
Aristobule, entendant ces propos et persuadé contre son gré, désireux à la
fois de ne pas éveiller les soupçons de son frère et d'assurer son propre
salut, plaça ses gardes du corps dans un souterrain obscur - il couchait dans
la forteresse appelée d'abord Bans, plus tard Antonia,
- avec ordre de ne pas toucher Antigone s'il se présentait sans armes, mais de
le tuer s'il voulait pénétrer armé auprès de lui. Il envoya cependant lui-même
un messager à Antigone pour le prier de venir sans armes. Mais la reine et ceux
qui avec elle conspiraient contre Antigone persuadèrent l'envoyé de dire le
contraire, à savoir que son frère, ayant appris qu'il s'était fait faire une
belle armure et un appareil de guerre,
le priait de se rendre auprès de lui tout armé, afin de voir son équipage.
Antigone, sans soupçonner rien de mal, confiant dans les bonnes dispositions de
son frère, se rendit dans l'accoutrement où il se trouvait, revêtu de son
armure, auprès d’Aristobule, pour lui montrer ses armes. Mais lorsqu'il
arriva au pied de la tour dite de Straton, où le passage était très obscur,
les gardes du corps le tuèrent. Sa mort prouva bien que rien n'est plus fort
que la haine et la calomnie, et que rien n'est plus propre que ces passions à détruire
la bienveillance et les affections naturelles. Il arriva à ce sujet une chose
étonnante à un certain Judas, de race essénienne, dont les prédictions
avaient toujours été conformes à la vérité. Cet homme, voyant Antigone
passer près du Temple, s'écria au milieu de ses compagnons et des familiers,
qui l'entouraient comme des élèves pour apprendre à prédire l'avenir :
« Je mérite de mourir pour avoir menti puisqu'Antigone est vivant » :
il avait annoncé, en effet, qu'Antigone mourrait ce jour même à l'endroit
appelé tour de Straton ; or, il le voyait passer sous ses yeux, alors que
le lieu où, selon sa prédiction, devait être commis le meurtre était éloigné
d'environ six cents stades, et que le jour était déjà fort avancé ;
il y avait donc chance que sa prédiction fût fausse. Comme il parlait ainsi,
tout confus, on annonça qu'Antigone venait d'être tué dans le souterrain, qui
s'appelait aussi tour de Straton, comme la ville maritime de Césarée. Le devin
en fut bouleversé.
3.
Aristobule, pris de remords du meurtre de son frère, en devint malade, l'esprit
torturé par la pensée de son crime, au point que, la violence de la douleur
ayant corrompu ses organes, il vomit du sang. Un des pages qui le servaient, -
et je pense qu'il faut voir là le doigt de Dieu - emportant ce sang, glissa à
l'endroit même où se trouvaient encore les traces du sang d'Antigone égorgé,
et répandit son fardeau. Les spectateurs se récrièrent que l'esclave l'avait
fait exprès. Aristobule, les ayant entendus, demanda la cause de ce bruit, et,
comme on ne lui répondait pas, brûla plus encore de la connaître, car les
hommes en semblable circonstance sont portés à soupçonner que ce qu'on leur
tait est pire que la réalité. Et lorsque, devant ses menaces et contraints par
la terreur, ils lui eurent dit la vérité, écrasé par la conscience de ses
crimes, il versa d'abondantes larmes, et, avec de profonds gémissements, s'écria :
« Je ne pouvais donc cacher à Dieu des actions si impies et scélérates ;
le châtiment du meurtre de mon frère est vite survenu. Jusqu'à quand, Ô
corps misérable, retiendras-tu une âme due aux mânes
de mon frère et de ma mère ? Pourquoi ne pas la rendre tout d'un coup au
lieu de répandre goutte à goutte mon sang en libations à mes victimes ? »
Il mourut en prononçant ces paroles mêmes, après un an de règne. On l'appelait Philhellène,
et il avait rendu de grands services à sa patrie : il avait fait la guerre
aux Ituréens,
et annexé une partie considérable de leur territoire à la Judée, forçant
les habitants, s'ils voulaient demeurer dans le pays, à se circoncire et à
vivre suivant les lois des Juifs. Il était d'un naturel équitable et très
modeste, comme en témoigne Strabon, d'après Timagène : « C'était un
homme équitable, et qui fut d'une grande utilité aux Juifs ; il agrandit,
en effet, leur territoire, et leur annexa une partie du peuple des Ituréens,
qu'il leur unit par le lien de la circoncision.
».
1.
Après la mort d'Aristobule, Salomé, sa femme, que les Grecs appelaient
Alexandra, délivra les frères d'Aristobule, que celui-ci avait emprisonnés,
comme nous l'avons dit plus haut, et donna la royauté à Jannée, appelé aussi
Alexandre, l'aîné et le plus modéré.
Jannée, dès sa naissance, était devenu un objet de haine pour son père,
lequel jusqu'à sa mort refusa de le voir. La cause de cette haine était,
dit-on la suivante : Hyrcan qui, de ses enfants, aimait surtout les deux aînés,
Antigone et Aristobule, demanda à Dieu qui lui était apparu en songe lequel de
ses enfants serait son successeur. Dieu lui ayant tracé les lettres du nom
de Jannée, Hyrcan, affligé à l'idée qu'il serait l’héritier de tous ses
biens, le fit élever en Galilée. Dieu ne l'avait cependant pas trompé. Jannée
ayant pris le pouvoir après la mort d'Aristobule, fit périr l'un de ses frères
qui aspirait à la royauté, et traita avec honneur l’autre, qui préférait
vivre sans se mêler aux affaires.
2.
Après avoir constitué le pouvoir de la manière qu'il pensait la plus utile,
il marcha contre Ptolémaïs ; il remporta la victoire et enferma les
vaincus dans la ville, dont il fit le siège. Sur toute la côte il ne lui
restait alors à soumettre que Ptolémaïs, Gaza, et le tyran Zoïle, qui
occupait la Tour de Straton et Dora. Antiochus Philométor
et son frère Antiochus surnommé Cyzicène combattant l'un contre l'autre et détruisant
ainsi leurs propres forces, il n'y avait, pour les habitants de Ptolémaïs,
aucune aide à attendre d'eux. Eprouvés par le siège, ils obtinrent cependant
un faible secours de Zoïle, qui occupait la Tour de Straton et Dora,
entretenait un corps de troupes et aspirait à profiter des discordes des rois
pour s'emparer de la tyrannie. Car les rois n'étaient pas assez bien disposés
à leur égard pour qu'on pût rien espérer d'eux : ils étaient, en
effet, tous deux comme des athlètes qui, leurs forces épuisées, mais retenus
par la honte de céder, retardaient, dans l'inaction et le repos, la reprise du
combat. Il ne restait aux habitants d'autre espoir que dans les souverains d'Égypte
et dans Ptolémée Lathouros, qui occupait Chypre, où, chassé du pouvoir par
sa mère Cléopâtre, il s'était réfugié. Les habitants de Ptolémaïs envoyèrent
donc auprès de lui, le suppliant de s'allier à eux pour les arracher des mains
d'Alexandre, où ils risquaient de tomber. Les envoyés lui firent espérer que,
s'il passait en Syrie, il trouverait comme alliés, avec les gens de Ptolémaïs,
ceux de Gaza et Zoïle ; les Sidoniens et bien d'autres se joindraient à
lui. Soulevé par ces assurances, il se hâta d'apprêter sa flotte pour le départ.
3.
Pendant ce temps Démainètos, qui avait alors la confiance des habitants de
Ptolémaïs et gouvernait le peuple, les fit changer d'avis, en leur remontrant
qu'il était préférable de courir le risque d'une lutte incertaine contre les
Juifs, plutôt que d'accepter une servitude assurée en se donnant un maître ;
que par surcroît ils s'attireraient ainsi, outre la guerre présente, une
guerre beaucoup plus grave, de la part de l'Égypte. Cléopâtre, en effet, ne
verrait pas d'un oeil indifférent Ptolémée rassembler des forces chez ses
voisins ; elle marcherait contre eux avec une armée considérable, car
elle s'efforçait de chasser son fils de Chypre même. Ptolémée, si les choses
tournaient contrairement à ses espérances, aurait encore Chypre comme refuge ;
eux-mêmes, au contraire, seraient réduits à la dernière extrémité. Ptolémée
apprit pendant la traversée le changement d'attitude des habitants de Ptolémaïs ;
il n'en continua pas moins sa navigation, et ayant abordé à l'endroit appelé
Sycaminos,
il y débarqua ses troupes. Son armée comptait au total, infanterie et
cavalerie, environ trente mille hommes ; il la conduisit sous les murs de
Ptolémaïs, et campa en cet endroit, fort soucieux, car les habitants
refusaient de recevoir ses envoyés et d'écouter ses propositions.
4.
Cependant Zoïle et les habitants de Gaza vinrent solliciter son alliance, car
leur territoire était ravagé par les Juifs et Alexandre. Celui-ci, craignant
Ptolémée, leva alors le siège, ramena l'armée dans ses foyers et désormais
eut recours à la ruse, appelant secrètement Cléopâtre contre Ptolémée,
tandis qu'il proposait ouvertement à ce roi son amitié et son alliance. Il lui
promit même quatre cents talents d'argent, s'il voulait faire disparaître le
tyran Zoïle et attribuer ses possessions aux Juifs. Ptolémée conclut
volontiers amitié avec Alexandre et s'empara de Zoïle ; mais ayant par la
suite appris les négociations secrètes d'Alexandre avec sa mère Cléopâtre,
il rompit les serments échangés avec lui et alla mettre le siège devant Ptolémaïs,
qui avait refusé de le recevoir. Laissant pour faire le siège ses généraux
et une partie de ses forces, il se tourna lui-même avec le reste vers la Judée
qu'il envahit. Alexandre, à la nouvelle des projets de Ptolémée, rassembla de
son côté environ cinquante mille des habitants du pays – quatre-vingt mille
même, suivant quelques historiens - et à la tête de ces troupes se porta à
la rencontre de Ptolémée. Ptolémée étant tombé à l'improviste sur Asôchis,
ville de Galilée,
un jour de sabbat, s'en empara par la force, et fit environ dix mille
prisonniers et un riche butin.
5.
Il fit aussi une tentative sur Sepphoris, située non loin de la ville qu'il
venait de dévaster ; mais il y perdit un grand nombre de soldats. De là,
il partit pour aller combattre Alexandre. Alexandre vint à sa rencontre sur les
bords du Jourdain, en un lieu appelé Asophôn,
non loin du fleuve, et planta son camp près des ennemis. Il avait comme
combattants de première ligne, huit mille hommes, qu'il appelait « champions
de cent hommes », armés de boucliers recouverts d'airain. Les soldats de
première ligne de Ptolémée avaient aussi des boucliers pareils; mais inférieurs
sur tous les autres points, les soldats de Ptolémée allaient au danger plus
timidement. Cependant le tacticien Philostéphanos leur inspira une grande
confiance en leur faisant traverser le fleuve qui séparait les deux camps.
Alexandre ne jugea pas à propos de s'opposer à leur passage : il pensait,
en effet, que, s’ils avaient le fleuve à dos, il écraserait plus facilement
les ennemis, qui auraient la retraite coupée. Quand on en vint aux mains, au
commencement, mêmes exploits des deux côtés, même ardeur ; les deux armées
éprouvaient de grandes pertes ; puis les soldats d'Alexandre ayant pris le
dessus, Philostéphanos, divisant habilement ses troupes, vint renforcer les
rangs qui faiblissaient. Comme personne ne vint au secours du corps juif ébranlé,
il finit par prendre la fuite, sans trouver d'aide dans les troupes voisines
qu'il entraîna au contraire dans sa déroute. Les soldats de Ptolémée firent
tout le contraire : ils se mirent à la poursuite des Juifs, qu'ils taillèrent
en pièces, puis, enfin, ayant mis en déroute l'armée entière, ils les
pourchassèrent et les massacrèrent jusqu'à ce que leurs épées fussent émoussées
et leurs mains lasses de tuer. On dit qu'il périt trente mille juifs, cinquante
mille d'après Timagène ;
les autres furent pris ou se sauvèrent dans leurs bourgades respectives.
6.
Ptolémée, après la victoire, parcourut le pays et, le soir venu, s’arrêta
dans certains villages de Judée ; il les trouva pleins de femmes et
d'enfants, qu'il ordonna à ses soldats d'égorger, de couper en morceaux, et de
jeter ainsi démembrés dans des marmites d'eau bouillante, avant de partir. Il
donna ces ordres pour que les Juifs échappés au combat qui rentreraient chez
eux s'imaginassent que les ennemis se nourrissaient de chair humaine et fussent,
à ce spectacle, encore plus terrifiés. Strabon et Nicolas rapportent que les
soldats de Ptolémée exécutèrent l'ordre que je viens de raconter. Il prit
ensuite de force Ptolémaïs, comme je l'ai dit ailleurs.
1.
Cléopâtre, voyant que son fils avait accru ses forces, qu'il ravageait la Judée
à son gré, et avait assujetti la ville de Gaza, ne put rester indifférente en
le sentant aux portes de son royaume et convoitant de reprendre l'empire de
l'Egypte.
Aussi, sans tarder, réunissant des forces de terre et de mer, dirigea-t-elle
contre lui une expédition dont elle donna le commandement en chef aux Juifs
Chelkias et Ananias ; en même temps elle envoya à Cos en dépôt la plus
grande partie de ses richesses, ses petits-fils et son testament. Après avoir
donné à son fils Alexandre l'ordre de faire voile pour la Phénicie avec une
flotte considérable, elle vint elle-même à la tête de toutes ses forces, à
Ptolémaïs, et, les habitants ayant refusé de la recevoir, assiégea la ville.
Ptolémée, partant de Syrie, se dirigea en toute hâte sur l'Égypte, pensant
la trouver dégarnie de troupes et s'en emparer par surprise. Mais son espoir
fut déçu. Vers le même temps, Chelkias, l'un des deux généraux de Cléopâtre,
mourut en Cœlé-Syrie en poursuivant Ptolémée.
2.
Cléopâtre, à la nouvelle de la tentative de son fils et de la déconvenue
qu'il avait éprouvée en Egypte, envoya une partie de ses troupes pour le
chasser du pays. Ptolémée, se retirant d'Egypte, passa l'hiver à Gaza, Cléopâtre,
pendant ce temps, s'empara, après un siège en règle, de la garnison de Ptolémaïs
et de la ville elle-même. Alexandre se présenta à elle avec des cadeaux et
des flatteries qui convenaient à un homme maltraité par Ptolémée et n'ayant
plus d'autre refuge ; quelques-uns des amis de la reine lui conseillèrent
d'accepter tout, puis d'envahir le pays, de s'en emparer, et de ne pas souffrir
que tant de richesses appartinssent à un seul homme.
Mais Ananias lui donna un conseil contraire, disant que ce serait une injustice
que de déposséder de son bien un allié, « et de plus notre compatriote,
ajouta-t-il, car je ne veux pas que tu ignores que si tu commets cette injustice
à son égard, tu feras de nous tous, Juifs, tes ennemis. » Ces représentations
d'Ananias détournèrent Cléopâtre de faire aucun tort à Alexandre ;
elle fit même, au contraire, alliance avec lui à Scythopolis, en Cœlé-Syrie.
3.
Alexandre, délivré de la crainte de Ptolémée, marcha aussitôt sur la Cœlé-Syrie.
Il s'empara de Gadara,
après un siège de dix mois, et prit Amathonte,
le grand boulevard des populations au delà du Jourdain, où Théodore, fils de
Zénon, avait enfermé ses richesses les plus grandes et les plus précieuses.
Mais Théodore tomba à l'improviste sur les Juifs, leur tua dix mille hommes et
pilla les bagages d'Alexandre.
Cet échec ne troubla nullement Alexandre, qui alla guerroyer contre les villes
maritimes, Raphia et Anthédon
- plus tard dénommée Agrippias par le roi Hérode - et dont il s’empara par
force. Puis voyant que Ptolémée était retourné de Gaza à Chypre et sa mère
Cléopâtre en Égypte, plein de colère contre les habitants de Gaza qui
avaient appelé Ptolémée à leur aide, il mit le siège devant leur ville et
pilla leur territoire. Apollodotos, général des Gazéens, à la tête de deux
mille mercenaires et de dix mille citoyens,
attaqua de nuit le camp des Juifs ; tant que dura l'obscurité, il conserva
la supériorité, donnant à l'ennemi l'illusion que c'était Ptolémée qui était
revenu à la charge ; mais le jour venu et l'illusion dissipée, les Juifs,
avertis de la réalité, se rallièrent, attaquèrent les troupes de Gaza et
leur tuèrent environ mille hommes. Les habitants de Gaza résistèrent sans se
laisser abattre par les privations ou le nombre des morts, prêts à tout
supporter plutôt que de subir la domination ennemie ; leur courage fut
encore soutenu par l'espoir qu'Arétas, roi des Arabes, allait arriver à leur
secours. Mais la mort d'Apollodotos survint auparavant : son frère
Lysimaque, en effet, jaloux de sa popularité auprès de ses concitoyens,
l'assassina, réunit un corps de troupes et livra la ville à Alexandre.
Celui-ci, une fois entré, se conduisit d'abord avec douceur, puis il lâcha ses
soldats sur les habitants en leur permettant de se venger. Les soldats, se répandant
de tous côtés, massacrèrent les gens de Gaza. Les habitants, qui n'étaient
point lâches, se défendirent avec ce qui leur tombait sous la main et tuèrent
autant de Juifs qu'ils étaient eux-mêmes. Quelques-uns, à bout de ressources,
incendièrent leurs maisons pour que l'ennemi ne pût faire sur eux aucun butin.
D'autres mirent à mort de leur propre main leurs enfants et leurs femmes, réduits
à cette extrémité pour les soustraire à l'esclavage. Les sénateurs, au
nombre de cinq cents en tout, s'étaient réfugiés dans le temple d'Apollon :
la prise de la ville les avait surpris en séance. Alexandre les mit à mort, et
les ensevelit sous les ruines de leur ville ; puis il revint à Jérusalem.
Le siège avait duré un an.
4.
Vers ce même temps, Antiochus, surnommé Grypos, mourut assassiné par Héracléon,
à l'âge de quarante-cinq ans, après vingt neuf ans de règne. Son fils Séleucus, qui
lui succéda sur le trône, eut à combattre le frère de son père, Antiochus,
surnommé Cyzicène ; il le vainquit, le fit prisonnier, et le mit à mort. Peu après, le fils
d'Antiochus Cyzicène, Antiochus surnommé Eusèbe, vint à Arados et ceignit le
diadème ; il déclara la guerre à Séleucus, le vainquit, et le chassa de
toute la Syrie. Séleucus s'enfuit en Cilicie. Arrivé à Mopsueste il recommença
à extorquer de l'argent. Le peuple de Mopsueste irrité incendia son palais et
le tua avec ses amis. Antiochus, fils d'Antiochus Cyzicène, continua à régner
en Syrie. Antiochus,
frère de Séleucus, l'attaqua, mais fut vaincu et périt avec son armée. Après
lui, son frère Philippe prit la couronne et régna sur une partie de la Syrie.
Mais Ptolémée Lathouros ayant fait venir de Cnide son quatrième
frère, Démétrius, appelé l'Intempestif (Acairos),
l'établit roi à Damas. Antiochus résista énergiquement à ces deux frères,
mais mourut peu après : étant allé porter secours à Laodice, reine des
Saméniens, en guerre contre les
Parthes, il tomba en combattant courageusement.
Les deux frères Démétrius et Philippe régnèrent en Syrie, comme on l'a
raconté ailleurs.
5.
Cependant Alexandre vit ses compatriotes se révolter contre lui ; le
peuple se souleva pendant la fête (des Tabernacles) ; comme le roi était
devant l'autel, sur le point de sacrifier, il fut assailli de citrons :
c'est, en effet, la coutume chez les Juifs que le jour de la fête des
Tabernacles chacun porte un thyrse composé de rameaux de palmiers et de citrons ;
c'est ce que nous avons déjà exposé ailleurs.
Ils l'injurièrent, lui reprochant d'être issu de captifs,
et indigne de l'honneur d'offrir les sacrifices.
Alexandre, irrité, en massacra environ six mille; puis il entoura l'autel et le
sanctuaire jusqu'au chaperon d'une barrière de bois que les prêtres seuls
avaient le droit de franchir,
et il empêcha ainsi l'accès du peuple jusqu'à lui. Il entretint, en outre,
des mercenaires de Pisidie et de Cilicie ; il ne se servait pas, en effet,
de Syriens, étant en guerre avec eux. Après avoir vaincu les populations
arabes de Moab
et de Galaad, qu'il contraignit à payer un tribut, il détruisit de fond en
comble Amathonte, sans que Théodore osât l'attaquer.
Mais ayant engagé le combat contre Obédas, roi des Arabes, il tomba dans une
embuscade, en un lieu escarpé et d'accès difficile ; précipité par un
encombrement de chameaux dans un ravin profond, près de Garada,
bourg de la Gaulanitide, il s'en tira à grand'peine, et s'enfuit de là à Jérusalem.
Cet échec lui ayant attiré l'hostilité du peuple, il le combattit pendant six
ans et ne tua pas moins de cinquante mille Juifs. Il pria alors ses compatriotes
de mettre un terme à leur malveillance à son égard ; mais leur haine, au
contraire, n'avait fait que croître à la suite de tout ce qui s’était passé ;
comme il leur demandait ce qu'ils voulaient, ils répondirent d'une seule voix :
« Ta mort » et envoyèrent des députés à Démétrius
l'Intempestif pour solliciter son alliance.
1.
Démétrius avec son armée, grossie de ceux qui l'avaient appelé, vint camper
aux environs de la ville de Sichem. Alexandre, à la tête de dix mille deux
cents mercenaires et d'environ vingt mille Juifs de son parti,
vint à sa rencontre. Démétrius avait trois mille hommes de cavalerie et
quarante mille d'infanterie. Les deux adversaires firent chacun des tentatives
pour essayer de provoquer la défection, l'un, des mercenaires d'Alexandre en
leur qualité de Grecs, l'autre, des Juifs qui s'étaient joints à Démétrius.
Ils ne purent réussir ni l'un ni l'autre, et durent engager le combat. Démétrius
fut vainqueur ; tous les mercenaires d'Alexandre périrent, donnant un bel
exemple de fidélité et de courage ; beaucoup de soldats de Démétrius
furent aussi tués.
2.
Alexandre s'enfuit dans la montagne, et dix mille Juifs environ se réunirent
autour de lui par compassion pour ce changement de fortune. Démétrius alors
prit peur et se retira. Les Juifs, après son départ, continuèrent la lutte
contre Alexandre, mais furent vaincus et périrent en grand nombre dans les
combats. Alexandre enferma les plus puissants d'entre eux dans la ville de Béthomé
et l'assiégea. Devenu maître de la ville et de ses ennemis, il les ramena à Jérusalem
ou il les traita de la manière la plus cruelle : dans un banquet qu'il
donna à la vue de tous, avec ses concubines, il fit mettre en croix environ
huit cents d'entre eux, puis, pendant qu'ils vivaient encore, fit égorger sous
leurs yeux leurs femmes et leurs enfants. C'était se venger de tout le mal
qu'ou lui avait fait, mais une vengeance trop inhumaine, même pour un homme qui
avait été poussé à bout par les guerres qu'il avait soutenues et qui avait
couru les plus grands dangers de perdre la vie et son royaume; car ses ennemis,
non contents de le combattre avec leurs propres forces, avaient fait appel à l'étranger
et l'avaient finalement réduit à la nécessité d'abandonner au roi des
Arabes, pour qu'il ne s'alliât pas à eux dans la guerre dirigée contre lui,
ses conquêtes de Galaad et de Moab et les places fortes de cette région ;
en outre, ils l'avaient abreuvé d'outrages et de calomnies de toute sorte. Il
semble bien cependant qu'il n'agit pas en ceci conformément à ses intérêts,
et l'excès de sa cruauté lui valut de la part des Juifs le surnom de Thracidas.
La masse des rebelles, au nombre d'environ huit mille, s'enfuirent dans la nuit
et restèrent en exil tant que vécut Alexandre. Celui-ci, délivré de tout
souci de leur côté, termina son règne en paix.
3.
Démétrius, ayant quitté la Judée pour Béroia, y assiégea son frère
Philippe, à la tête de dix mille hommes d'infanterie et mille de cavalerie.
Straton, tyran de Béroia et allié de Philippe, appela à son aide Azizos, chef d'une tribu arabe,
et Mithridate Sinacès, gouverneur parthe.
Ils arrivèrent avec des forces considérables et assiégèrent Démétrius dans
ses retranchements, où ils le continrent par une pluie de flèches; enfin, par
la soif, ils forcèrent son armée à se rendre. Après avoir pillé la région
et pris Démétrius, ils envoyèrent leur prisonnier à Mithridate, alors roi
des Parthes, et rendirent sans rançon aux habitants d'Antioche tous les captifs
qui se trouvaient être leurs concitoyens. Mithridate, roi des Parthes, témoigna
à Démétrius les plus grands égards, jusqu’au jour ou celui-ci mourut,
emporté par une maladie. Philippe, aussitôt après le combat, marcha sur
Antioche, s'en empara, et régna sur la Svrie.
1.
Peu après, son frère Antiochus, surnommé Dionysos, aspirant au pouvoir, vint
à Damas, et, s'en étant rendu maître, prit le titre de roi. Comme il faisait
une expédition contre les Arabes, son frère Philippe, informé de son absence,
marcha sur Damas. Milésios, à qui avait été laissée la garde de la
citadelle et des habitants, lui livra la ville ; mais Philippe se montra
ingrat à l'égard du traître et ne lui donna rien de ce qu'il avait espéré
pour prix de son accueil il voulait
faire croire qu'il s'était emparé de la ville par la crainte qu'il inspirait
et non par les bons offices de Milésios, ce qui serait arrivé s’il les avait
récompensés selon leur du. Devenu suspect, il fut de nouveau chassé de Damas :
un jour qu'il était sorti pour aller à l'hippodrome, Milésios ferma les
portes et garda Damas à Antiochus. Celui-ci, informé de la tentative de
Philippe, revint d'Arabie ; il se remit aussitôt en campagne vers la Judée
avec huit mille hoplites et huit cents cavaliers.
Alexandre, dans la crainte de cette invasion, creusa un large fossé, depuis
Chabarzaba, qu'on appelle aujourd'hui Antipatris,
jusqu'au bord de la mer, à Jopé, seul point où l'attaque fût facile ;
puis il éleva un mur, des tours de bois reliées par des courtines sur une
longueur de cent cinquante
stades, et attendit Antiochus. Mais celui-ci incendia tous ces ouvrages et fit
par cette brèche passer ses troupes en Arabie. Le roi des Arabes se retira
d'abord, puis reparut tout à coup avec dix mille cavaliers. Antiochus marcha à
leur rencontre et combattit courageusement ; vainqueur, il fut tué en se
portant au secours d'une partie de son armée qui faiblissait. Antiochus mort,
ses soldats se réfugièrent dans le bourg de Cana, où le plus grand nombre
moururent de faim.
2.
Après lui régna en Cœlé-Syrie Arétas,
appelé au pouvoir par ceux qui occupaient Damas, en haine de Ptolémée, fils
de Mennaios. De là Arétas marcha
sur la Judée, vainquit Alexandre aux environs de la place forte d'Addida, et se retira de Judée,
après avoir traité.
3.
Alexandre marcha de nouveau sur la ville de Dion,
et s'en empara, puis se dirigea sur Gerasa,
où se trouvaient les richesses les plus précieuses de Zénon, entoura la place
d'un triple mur et la prit sans combat. Il se tourna ensuite vers Gaulana et Séleucie.
Il s'empara également de ces villes, et réduisit encore le « ravin
d'Antiochus » et la forteresse de Gamala. Comme il avait à se plaindre de
Démétrius, gouverneur de ces localités, il le dépouilla.
Après cette expédition, qui dura trois longues années, il revint à Jérusalem
où les Juifs, à cause de ses succès,, le reçurent avec empressement.
4.
A ce moment tes Juifs possédaient les villes suivantes de Syrie, d'Idumée et
de Phénicie. Sur la mer, la Tour de Straton, Apollonia, Jopé, Iamnée, Azotos,
Gaza, Anthédon, Raphia, Rhinocoroura. Dans l'intérieur : en Idumée,
Adora et Marisa, l’Idumée entière ; Samarie, le mont Carmel, le mont
Itabyrion, Scythopolis, Gadara ; en Gaulanitide, Séleucie et Gamala ;
en Moabitide, Hesbon, Médaba, Lemba, Oronas,
Telithon, Zara, le val des Ciliciens. Pella, qui fut détruite parce que les
habitants refusaient d'adopter les coutumes nationales des Juifs ; nombre
d'autres villes parmi les plus importantes de Syrie leur furent soumises.
5.
Après tous ses succès, le roi Alexandre tomba malade des suites d’une
ivresse. Pendant trois années, bien que souffrant de la fièvre quarte, il ne
renonça pas à ses expéditions, jusqu'au jour où, épuisé par les fatigues,
il mourut, dans le territoire de Gérasa, en assiégeant la place forte de
Ragaba, au delà du Jourdain.
Quand la reine le vit sur le point de mourir, sans qu'aucun espoir subsistât de
le sauver, elle se mit à verser des larmes et à se frapper la poitrine, gémissant
sur l'isolement où elle allait rester avec ses enfants. « A quel sort
nous laisses-tu ainsi, lui disait-elle, moi et ces enfants qui ont besoin du
secours d'autrui ? Tu sais combien le peuple est mal disposé pour toi. »
Alexandre lui conseilla d'obéir à ses recommandations pour conserver avec ses
enfants le pouvoir en toute sécurité : il fallait cacher sa mort aux
soldats jusqu'à la prise de la place ; puis, comme au retour d'une
brillante victoire, elle rentrerait à Jérusalem et donnerait aux Pharisiens
une part au pouvoir ; ceux-ci la loueraient de ces égards, et en retour
lui concilieraient la bienveillance du peuple ; c'était, dit-il, des
hommes influents auprès des Juifs, capables de nuire à ceux qu'ils haïssaient
et de servir ceux qu'ils aimaient ; ils rencontraient grand crédit auprès
de la foule, même pour les calomnies que leur dictait l'envie ; lui-même,
s'il avait été mal avec le peuple, c'était, dit-il, parce que les Pharisiens,
outragés par lui, l'avaient noirci. « Quand donc tu seras à Jérusalem,
dit-il, fais venir leurs chefs, et leur montrant mon cadavre, permets-leur, en
toute sincérité, de le traiter à leur guise : soit qu'ils veuillent,
pour tout ce qu'ils ont souffert de ma part, faire à mes restes l'insulte de
les laisser sans sépulture, soit que leur colère leur inspire contre ma dépouille
quelque autre injurieux traitement. Promets-leur enfin de ne rien faire dans le
royaume sans demander leur avis. Quand tu leur auras tenu ce discours, ils me
feront de plus somptueuses funérailles que tu n'aurais fait toi-même, car dés
qu'ils auront le pouvoir de maltraiter mon cadavre, ils ne voudront pas en user,
et toi tu régneras en toute sécurité. » Après avoir donné ces
conseils à sa femme, il mourut, ayant régné vingt-sept ans,
et âgé de quarante-neuf.
1.
Alexandra, après s'être emparée de la place, suivant les recommandations de
son mari, parla aux Pharisiens et leur laissa toute liberté pour disposer du
cadavre et de la royauté ; elle apaisa ainsi leur colère contre Alexandre
et se concilia leur bienveillance et leur amitié. Ils se répandirent dans la
foule, discoururent en public, passant en revue les actes d'Alexandre, disant
qu'ils avaient perdu un roi juste ; ils amenèrent ainsi par leurs éloges
le peuple au deuil et aux regrets, si bien qu'on fit à Alexandre des funérailles
plus somptueuses qu'à aucun des rois qui l'avaient précédé. Alexandre
cependant laissa deux fils, Hyrcan et Aristobule ; mais il avait légué la
couronne à Alexandra. De ces deux fils, l'un, Hyrcan, était peu capable de
gouverner et préférait une vie paisible ; le plus jeune, Aristobule, était
actif et entreprenant. La reine était aimée du peuple, parce qu'elle
paraissait déplorer les fautes qu'avait commises son mari.
2.
Elle nomma grand-prêtre Hyrcan, parce qu'il était l'aîné, mais surtout à
cause de son indifférence pour les affaires, et elle donna tout le pouvoir aux
Pharisiens ; elle ordonna au peuple de leur obéir, et rétablit toutes les
coutumes que les Pharisiens avaient introduites d'après la tradition des ancêtres
et qui avaient été supprimées par son beau-père Hyrcan. Elle eut en titre la
royauté, mais en fait les Pharisiens en eurent l'exercice. Ils rappelaient les
exilés, délivraient les prisonniers, bref, agissaient en tout comme s'ils
avaient été les maîtres. La reine aussi cependant s'occupait du royaume. Elle
rassembla de nombreux mercenaires, et accrut du double ses forces, en sorte
qu'elle effraya les tyrans voisins et reçut d'eux des otages. Dans le pays,
tout était tranquille, à l'exception des Pharisiens : ceux-ci, en effet,
tourmentaient la reine pour obtenir qu'elle fît mettre à mort ceux qui avaient
conseillé [à Alexandre] de tuer les huit cents. Ils commencèrent par égorger
eux-mêmes un de ces conseillers, Diogène, puis d’autres et d'autres encore,
tant qu'un jour les grands se rendirent au palais, en compagnie d'Aristobule,
qui semblait désapprouver ce qui se passait et qui, visiblement, si l'occasion
se présentait, ne laisserait pas faire sa mère. Là ils rappelèrent au prix
de quels dangers ils avaient autrefois remporté des succès, montrant ainsi
combien avait été inébranlable leur fidélité à leur maître, qui les
avait, en retour, jugés dignes des plus hautes récompenses. Ils demandaient
qu'on ne les frustrent pas à tout jamais de leurs espérances : échappés
aux dangers du côté des ennemis publics, ils étaient maintenant massacrés
chez eux par leurs ennemis privés, comme des bestiaux, sans aucun secours. Ils
ajoutaient que si leurs adversaires se contentaient des meurtres déjà commis,
eux-mêmes, par loyauté à l'égard de leurs maîtres, se résigneraient à ce
qui s'était passé mais que si les mêmes faits devaient se reproduire, ils
suppliaient la reine de leur rendre leur liberté, car ils n'étaient pas hommes
à accepter aucun moyen de salut qui ne leur vint pas d'elle et ils mourraient
volontiers aux portes du palais plutôt que de se charger la conscience d'une
infidélité. Ce serait une honte pour eux-mêmes et pour la reine si, abandonnés
par elle, ils trouvaient l'hospitalité chez les ennemis de son mari : car
l'Arabe Arétas et les autres princes attacheraient le plus grand prix à
prendre à leur service de pareils hommes, dont autrefois le seul nom prononcé
leur donnait aussitôt un frisson d'effroi. Si la reine refusait, si elle était
bien décidée à favoriser les Pharisiens, ils demandaient comme grâce
subsidiaire qu'elle leur assignât à chacun comme séjour une forteresse :
pendant que quelque mauvais génie s'acharnait ainsi sur la famille
d’Alexandre, eux-mêmes, vivant dans une humble condition (pourraient lui
rester fidèles).
3.
Ils ajoutèrent bien d'autres choses encore, implorant la pitié des mânes
d'Alexandre sur leurs amis morts, sur eux-mêmes en péril ; tous les
assistants fondirent en larmes, et Aristobule surtout montra clairement sa pensée
par les reproches qu'il fit à sa mère : car, disait-il, ces hommes étaient
bien eux-mêmes cause de leurs propres malheurs, pour avoir, contre toute
raison, confié le pouvoir à une femme dévorée de l'ambition de régner,
alors qu'elle avait des fils adultes. La reine, ne sachant que faire pour s'en
tirer à son honneur, leur confia la garde des places fortes à l'exception de
Hyrcania, Alexandreion et Machairous, où se trouvaient ses richesses les plus
précieuses. Et peu après elle envoya son fils Aristobule avec une armée à
Damas, contre Ptolémée, fils de Mennaios, qui était un voisin incommode pour
la ville. Mais il revint sans avoir rien fait d'important.
4.
Vers ce même temps on annonça que Tigrane, roi d’Arménie, à la tête d'une
armée de trois cent mille hommes
avait envahi la Syrie et allait arriver en Judée. Cette nouvelle, comme de
juste, épouvanta la reine et le peuple. Ils envoyèrent donc de nombreux et
riches présents et des ambassadeurs à Tigrane qui assiégeait alors Ptolémaïs :
car la reine Séléné, appelée aussi Cléopâtre,
qui gouvernait alors la Syrie, avait persuadé les habitants de fermer leurs
portes à Tigrane. Les envoyés se rendirent donc auprès de Tigrane et le prièrent
d'accorder sa faveur à la reine et au peuple. Tigrane les reçut avec
bienveillance, flatté d'un hommage apporté de si loin, et leur donna les
meilleures espérances. Mais à peine s'était-il emparé de Ptolémaïs qu'il
apprit que Lucullus, à la poursuite duquel Mithridate venait d'échapper en se
réfugiant chez les Ibères,
avait ravagé l'Arménie et assiégeait (sa capitale). Et Tigrane, aussitôt
cette nouvelle connue, reprit la route de son royaume.
5.
Peu après, la reine étant tombée dangereusement malade, Aristobule trouva le
moment opportun pour s'emparer du pouvoir ; il quitta la ville de nuit avec
un de ses serviteurs et se rendit dans les places fortes où les amis de son père
avaient été relégués. Irrité, en effet, depuis longtemps de tout ce que
faisait sa mère, ses craintes s'accrurent encore à ce moment dans l'appréhension
que, la reine morte sous la dépendance des Pharisiens, toute sa famille ne tombât
au pouvoir de ceux-ci ; car il voyait bien l'impuissance de son frère qui
devait recueillir la royauté. Sa femme seule, qu'il laissa à Jérusalem avec
ses enfants, fut mise dans la confidence de son départ. Il se rendit d'abord à
Agaba,
où se trouvait un des grands nommé Galaistès, par qui il fut accueilli. Le
lendemain la reine eut connaissance de la fuite d'Aristobule, et pendant quelque
temps elle ne pensa pas que cette absence eût pour objet une révolution ;
mais quand on vint lui annoncer coup sur coup qu'il s'était emparé de la première
forteresse, puis de la seconde, puis de toutes - car dès que l'une eut donné
l'exemple, toutes se hâtèrent de faire leur soumission à Aristobule - alors
la reine et le peuple furent profondément troublés. Ils voyaient en effet
qu'Aristobule n'était pas loin de s'emparer du pouvoir, et ils craignaient
surtout qu'il ne les châtiât pour tous les affronts commis contre sa maison.
Ils décidèrent donc d'enfermer sa femme et ses enfants dans la forteresse qui
dominait le Temple.
Aristobule cependant, en raison de la foule qui se pressait autour de lui, était
entouré d'un véritable cortège royal ; en quinze jours environ il avait
pris vingt-deux places fortes, dont il avait tiré les ressources nécessaires
pour lever une armée dans le Liban, la Trachonitide, et chez les princes. Les
hommes, en effet, cédant au nombre, lui obéissaient volontiers. Ils espéraient,
d'ailleurs, qu'en aidant Aristobule, ils retireraient autant de profit de son règne
que ses proches,
puisqu'ils auraient été pour lui l'instrument de la victoire. Les anciens des
Juifs et Hyrcan se rendirent alors auprès de la reine et lui demandèrent son
avis sur les événements. Aristobule, disaient-ils, était déjà presque le maître
de tout, puisqu'il s'était emparé de tant de places fortes ; il ne
convenait pas que, bien qu'elle fût fort malade, ils prissent cependant à eux
seuls une résolution, puisqu'elle vivait encore ; or le danger était menaçant
et proche. La reine leur ordonna de faire ce qu'ils jugeraient utile ; ils
avaient encore de nombreuses ressources, un peuple vaillant, le pouvoir, et
l'argent des gazophylacies fortifiées ; quant à elle, ses forces l'ayant
déjà abandonnée, elle ne se souciait plus guère des affaires.
6.
Telle fut la réponse de la reine. Peu après elle mourut ; elle avait régné
neuf ans
et vécu soixante-treize ans. Ce fut une femme qui ne montra en rien la
faiblesse de son sexe ; ambitieuse entre toutes, elle prouva par ses actes
à la fois l'énergie de son caractère et la folie coutumière des mâles dans
l'exercice du pouvoir.
Estimant le présent plus que l'avenir, faisant passer tout après le pouvoir
absolu, elle ne rechercha ni le bien ni la justice pour eux-mêmes. Aussi
amena-t-elle les affaires de sa maison à ce degré de misère que ce pouvoir,
acquis au prix de mille dangers et de dures épreuves, grâce à une ambition déplacée
chez une femme, fut détruit au bout de peu de temps ; elle eut, en effet,
le tort de se ranger au parti de ceux qui étaient mal disposés pour sa
famille, et elle priva le pouvoir de l'aide de ceux qui lui étaient dévoués.
Les mesures prises par elle pendant sa vie remplirent même après sa mort le
palais de malheurs et de troubles. Cependant, si mal qu'elle ait ainsi régné,
elle garda la nation en paix. - Telle fut la fin du règne de la reine
Alexandra. Je raconterai dans le livre suivant ce qui arriva, après sa mort, à
ses fils Aristobule et Hyrcan.
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