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AVANT-PROPOS

livre I
livre II
livre III
livre IV
livre V
livre VI
livre VII
livre VIII
livre IX
livre X
livre XI
livre XII
livre XIII
livre XIV
livre XV

livre XVII
livre XVIII
livre XIX
livre XX

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

(Notes en grec relues et corrigées - F. D. F)

 

 

 
 

Flavius Josèphe

 
 

ANTIQUITES JUDAÏQUES

LIVRE XVI

texte grec

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ANTIQUITES JUDAÏQUES

Flavius Josèphe

Traduction de Julien Weill

 Sous la direction de
Théodore  Reinach

Membre de l’Institut
 

1900
Ernest Leroux, éditeur - Paris

 

 

 

LIVRE XVI

— I[1]

1. Lois d’Hérode — 2. Ses fils reviennent de Rome, sont calomniés par Salomé, se marient.

[1] 1. Dans l’administration générale de l’État, le roi prit à cœur de réprimer une à une les iniquités commises dans la ville et la campagne. A cet effet il établit une loi absolument différente des lois primitives, loi qu’il sanctionna personnellement et condamnait les coupables de vol par effraction à être vendus aux fins de déportation hors du royaume. Cette mesure ne constituait pas seulement un châtiment d’une dureté intolérable, mais une violation des coutumes nationales. [2] En effet, le fait de subir l’esclavage chez des gens d’une autre race et pratiquant une autre manière de vivre, l’obligation de faire tout ce que ces gens-là ordonnaient, représentaient plutôt un attentat aux pratiques religieuses qu’un châtiment pour les condamnés, tandis que primitivement on s’en était tenu au genre de peine que voici. [3] Les lois enjoignaient que le voleur payât le quadruple[2] du dommage causé, et que, s’il n’avait pas de quoi, il fût vendu, mais non pas à des gens de race étrangère, ni pour un esclavage perpétuel ; car il fallait l’affranchir au bout de six ans révolus. [4] Au contraire, le châtiment dur et illégal fixé par la nouvelle ordonnance paraissait une marque d’arrogance et prince semblait l’avoir établi moins en roi qu’en tyran, sans aucun égard   pour l’intérêt, commun de ses sujets. [5] Comme le reste de sa       conduite, cette     législation provoquait contre lui       des médisances et de l’hostilité.        

[6] 2. C’est à ce moment qu’il fit le voyage d’Italie, cédant à la fois au désir de rencontrer l’empereur et de voir ses fils qui séjournaient à Rome. Entre autres marques de bienveillance que lui prodigua l’empereur, il lui donna la permission de ramener dans sa patrie ses fils, dont il regardait les études comme désormais terminées. [7] A leur retour d’Italie la foule s’enthousiasma pour ces jeunes gens : ils étaient l’objet de l’attention générale, parés de la grandeur de leur fortune et, dignes, par leur apparence, du rang royal.  

[8] Cependant ils furent immédiatement en butte à. la haine de Salomé, sœur du roi, et de ceux qui avaient accablé Mariamne par leurs calomnies[3] ; ces derniers craignaient que les jeunes princes, s’ils arrivaient, au trône leur fissent expier les crimes dont ils s’étaient rendus coupables envers leur mère. [9] Au sujet même de leurs craintes ils surent tirer une calomnie contre eux en répandant la fable que c’était contre leur gré qu’ils vivaient avec leur père : la mort de leur mère leur faisait juger même criminel de demeurer en compagnie du meurtrier de celle qui les avait mis au monde. [10] Fondant ainsi leur accusation sur des faits véritables pour lui donner de la vraisemblance, ils étaient en mesure de nuire et de saper la bienveillance que le      roi éprouvait pour ses fils. Ils se gardaient bien, en effet, de rien dire ouvertement devant lui, mais ils faisaient pleuvoir des propos de ce genre parmi le reste du peuple et, par les rapports qui en revenaient à Hérode, ils excitaient sous main sa haine qui, avec le temps, devait l’emporter sur les liens naturels eux-mêmes. [11] Cependant, à ce moment là, le roi, dont l’affection paternelle dominait encore tous les soupçons et les calomnies, donna à ses fils la part d’honneurs qui leur reverrait, et, comme ils étaient en âge, leur choisit des épouses : à Aristobule la fille de Salomé, Bérénice, à Alexandre la fille d’Archélaüs, roi de Cappadoce, Glaphyra.

 

— II[4]

1-2. Hérode accompagne Agrippa dans sa campagne du Pont. — 3-4. Il fait obtenir gain de cause aux Juifs d’Asie contre les Grecs. — 5. Hérode, rentre à Jérusalem, rend compte de son voyage et exempte le peuple du quart des impôts de l’année précédente.

[12] 1. Après avoir pris ces dispositions, lorsque Hérode apprit que Marcus Agrippa était à nouveau passé d’Italie en Asie Mineure[5], il se hâta d’aller à sa rencontre et l’invita à venir dans son royaume pour y recevoir l’accueil dû à un hôte et à un ami. [13] Agrippa, cédant à ses instances pressantes, vint en Judée. Hérode ne négligea rien pour gagner ses bonnes grâces, le recevant dans les villes nouvellement fondées ; tout en lui montrant ses bâtiments, il lui offrit ainsi qu’à ses amis les jouissances de festins luxueux, aussi bien à Sébaste, à Césarée, autour du port qu’il avait construit, que dans les forteresses qu’il avait édifiées à grands frais, Alexandrion, Hérodion[6], Hyrcania. [14] Il l’emmena aussi dans la ville de Jérusalem où tout le peuple vint à sa rencontre en vêtements de fête et accueillit Agrippa par des acclamations. Celui-ci offrit à Dieu une hécatombe et, un festin au peuple, qui ne le cédait pas en nombre aux cités les plus populeuses. [15] Personnellement il serait resté pour son plaisir encore plus longtemps, mais le temps le pressait, car il ne croyait pas prudent d’entreprendre à l’approche de l’hiver le voyage qu’il était obligé de faire pour retourner en Ionie.

[16] 2. Agrippa s’embarqua donc après qu’Hérode l’eut honoré de multiples présents, ainsi que les plus distingués de ses amis. Quant au roi, ayant hiverné dans ses propres États, il se hâta au printemps de rejoindre Agrippa parce qu’il savait qu’il avait décidé une expédition au Bosphore[7]. [17] Et ayant navigué en passant, par Rhodes et Cros, il se dirigea vers Lesbos dans l’espoir d’y rattraper Agrippa. Mais là il fut arrêté par un vent du Nord qui empêcha ses navires de mettre à la voile. [18] Alors il séjourna plusieurs jours à Chios, où il reçut avec bienveillance beaucoup de visiteurs et leur offrit des présents royaux. Comme il constata que le portique de la ville était en ruines — il avait été détruit, au cours de la guerre de Mithridate et en raison de sa grandeur et de sa beauté était plus difficile à restaurer que tout autre — [19] il donna de l’argent non seulement en quantité suffisante, mais même en excédant, pour achever la restauration de l’édifice et il recommanda que, loin de différer l’ouvrage, on le menât vivement pour rendre à la ville son ornement particulier. [20] Le vent tombé, il toucha à Mitylène, puis de là à Byzance, et lorsqu’il apprit qu’Agrippa avait déjà doublé les îles Cyanées[8], il se hâta à sa poursuite à force de voiles. [21] C’est aux environs de Sinope du Pont qu’il rejoignit, Agrippa, qui, ne s’attendant pas à le voir rencontrer ses navires, l’accueillit avec joie ; ce fut un grand échange de caresses, parce qu’Agrippa voyait un suprême témoignage de bonne volonté et d’affection de la part du roi qui avait accompli une si longue traversée et n’avait pas négligé de lui apporter son concours, le préférant à ses propres affaires dont il avait abandonné l’administration en même temps que son royaume. [22] Et il est certain que pendant toute l’expédition Hérode fut tout pour lui : son auxiliaire dans les affaires publiques, son conseiller dans les affaires particulières, agréable même dans les moments de repos, il était le seul à partager tout avec lui, les peines par affection, les plaisirs par déférence. [23] Une fois réglées les affaires du Pont[9] qui étaient l’objet de la mission d’Agrippa, ils décidèrent de ne pas rentrer par mer : ils traversèrent la Paphlagonie et la Cappadoce, gagnèrent ensuite la Grande Phrygie et arrivèrent à Ephèse, d’où ils se rembarquèrent pour Samos. [24] Nombreuses furent les libéralités faites par le roi à chacune des villes, selon les besoins de ceux à qui il donnait audience : en effet, personnellement, il ne refusa ni argent ni accueil[10], fournissant lui-même aux dépenses, et de plus il s’entremettait pour ceux qui espéraient quelque chose d’Agrippa et obtenait pour tous les solliciteurs complète satisfaction. [25] Comme Agrippa aussi était vertueux et libéral, comme il s’appliquait à obliger les uns sans faire tort aux autres, le roi avait la plus grande influence pour décider à des bienfaits un ami qui lui-même y était prompt. [26] C’est ainsi qu’il réconcilia les habitants d’Ilion avec Agrippa irrité contre eux, libéra les habitants de Chios de leurs dettes envers les procurateurs de l’empereur         et de leurs impôts, et ainsi de suite pour les autres, qu’il aidait chacun dans sa demande.

[27] 3. Comme ils étaient alors en Ionie, une grande foule des Juifs qui habitaient les villes du pays saisirent cette occasion de parler librement et vinrent à lui. Ils lui dirent les injustices qu’ils subissaient, n’ayant pas la permission de suivre leurs lois particulières, forcés d’ester en justice les jours de fête par la tyrannie des gouvernants ; [28] on confisquait les sommes d’argent qu’ils mettaient de côté pour Jérusalem, on les obligeait de participer au service militaire et aux charges publiques et de dépenser pour cela le trésor sacré, alors que les Romains les en avaient toujours dispensés[11] et leur avaient permis de vivre ainsi conformément à leurs lois particulières. [29] Comme ces gens clamaient ainsi, le roi pria Agrippa de les entendre plaider leur cause, et, il confia même à un de ses amis, Nicolas i, le soin de soutenir leurs justes revendications. [30] Lorsque Agrippa eut convoqué à ses côtés comme assesseurs les dignitaires, romains, les rois et les princes présents, Nicolas[12], investi de cette mission, parla en ces termes pour les Juifs :

[31] « Très grand Agrippa, pour tous ceux qui se trouvent pressés par le besoin, c’est une nécessité de recourir aux hommes capables de les délivrer des injustices qui les accablent ; ceux qui te sollicitent à présent ont obtenu de parler librement. [32] Comme antérieurement déjà ils vous ont souvent trouvés, Romains, tels qu’ils vous souhaitaient, ils demandent, à n’être pas privés par vous-mêmes des grâces que vous leur avez données : surtout qu’ils les ont reçues de ceux là qui seuls avaient pouvoir de le leur donner, tandis que ceux qui essaient de les leur enlever ne sont pas, ils le savent, leurs supérieurs, mais leurs égaux et soumis comme eux à votre autorité. [33] Et pourtant, si ce qu’ils ont obtenu est d’une grande importance, il est honorable pour les bénéficiaires de s’être montrés dignes d’un tel présent ; si au contraire c’est peu de chose, il est honteux que leurs bienfaiteurs ne leur en confirment pas la possession. [34] Ceux qui s’y opposent et traitent injurieusement les Juifs offensent à la fois les bénéficiaires des grâces,         puisqu’ils jugent indignes des gens à qui leurs maîtres ont rendu témoignage en les leur accordant, et les bienfaiteurs, puisqu’ils prétendent rendre leurs grâces inefficaces. [35] D’ailleurs, si l’on demandait à ces mêmes hommes ce qu’ils préféreraient, se voir enlever la vie ou leurs coutumes nationales, c’est-à-dire les pompes, les sacrifices et les fêtes qu’ils célèbrent en l’honneur des dieux auxquels ils croient, je sais bien qu’ils aimeraient mieux subir n’importe quelle privation que la destruction d’une de leurs coutumes ancestrales. [36] Et en effet la plupart des peuples ne se décident à faire la guerre que pour empêcher ces coutumes d’être transgressées ; de plus, le bonheur que possède à présent, grâce à vous, le genre humain tout entier, est justement mesuré par nous au fait qu’il est permis à chacun de vivre et de prospérer dans son pays en observant ses lois nationales. [37] Eh bien, ce que ces gens là ne pourraient supporter eux-mêmes, ils essaient de l’imposer par la violence à d’autres, comme si ce n’était pas commettre même impiété de négliger ses rites religieux envers ses propres dieux ou de détruire les rites d’autrui d’une manière sacrilège.

[38] « Entrons maintenant dans d’autres considérations. Y a-t-il un pays, un État, une communauté nationale d’hommes auxquels n’apparaisse pas comme le plus grand des biens la protection qu’ils reçoivent de votre empire et, de la puissance romaine ? Y a-t-il quelqu’un qui voudrait que les grâces qui en viennent soient sans valeur ? [39] Personne, pas même un insensé. Car il n’est personne qui n’y participe soit à titre public, soit à titre privé. Et assurément, ceux qui privent quelqu’un de vos dons ébranlent eux-mêmes la possession de ce qu’ils ont obtenu de vous. [40] Cependant vos grâces pour eux sont telles qu’on ne peut même les mesurer. En effet, si l’on compare les royautés de jadis et le gouvernement d’à présent, si grands que soient tous les autres dons de ce dernier pour notre bonheur, un seul[13] suffit à les égaler tous : c’est qu’on ne voit plus en nous maintenant des esclaves, mais des hommes libres. [41] Quant à notre situation, bien que brillante, elle ne peut exciter la jalousie. Car c’est grâce à vous et avec tous que nous sommes heureux, et la seule chose à quoi nous ayons demandé à participer, c’est le droit de conserver sans entrave notre religion nationale, avantage qui en lui-même ne paraîtrait pas susceptible d’exciter l’envie même de ceux-là qui l’ont accorda. [42] Car si la divinité aime à être honorée, elle aime également ceux qui permettent qu’on l’honore. D’ailleurs, dans nos coutumes, il n’y a rien d’inhumain ; tout au contraire y respecte a piété et est consacré par la justice protectrice[14]. [43] Nous ne cachons rien des préceptes qui fournissent dans notre vie des guides pour la piété et pour les occupations humaines ; nous réservons le septième jour à l’étude de nos coutumes et de notre loi parce que nous croyons devoir nous instruire, comme de tout autre objet, des règles qui nous préservent du péché. [44] Ces coutumes, si on les examine, sont belles en soi ; de plus, elles sont pour nous anciennes, quoi qu’en pensent certains ; aussi est-il difficile à ceux qui les ont pieusement reçues et qui les observent de désapprendre ce qui a reçu la consécration du temps. [45] Voilà ce dont ces gens nous privent injurieusement en détournant, par un vol manifestement sacrilège, les richesses que nous réunissons pour les consacrer au nom de Dieu, en nous imposant des contributions, en nous traînant en justice ou en nous forçant à d’autres actes les jours de nos fêtes, non par respect, des contrats, mais pour insulter notre culte dont ils connaissent l’existence, et cela par l’effet d’une haine injuste et qui leur est interdite. [46] En effet, votre empire universel et unique donne à la bienveillance son efficacité et annihile la méchanceté de ceux qui préfèrent haïr plutôt qu’aimer.

[47] « C’est pourquoi nous demandons, très grand Agrippa, à ne pas subir de mauvais traitements, à ne pas être insultés, ni empêchés d’observer nos coutumes nationales, ni privés de nos biens, et à ne pas supporter des violences que nous épargnons à autrui. Ce ne sont pas là seulement des demandes justes, mais des droits que vous nous avez déjà octroyés. [48] Nous pourrions à ce sujet donner lecture de nombreux sénatus-consultes et des tablettes déposées au Capitole, qui évidemment nous ont été accordés après l’épreuve de notre fidélité envers vous et qui seraient valables même si nous n’avions rien fait pour les mériter. [49] Car ce n’est pas nous seuls, mais presque tous les hommes dont vous avez gardé les biens, à qui vous avez accordé plus qu’ils n’espéraient et dont vous avez été les bienfaiteurs par votre domination ; et si l’on voulait énumérer en détail tous les services dont ils vous sont redevables, on ne finirait jamais de parler. [50] Mais, pour montrer que nous méritons tout ce que nous avons reçu, il suffit à notre franchise, en taisant tout le passé, de nommer celui qui règne maintenant sur nous et qui siège à tes côtés. [51] Quelle marque de dévouement a-t-il négligés ; envers votre maison ? Quelle preuve de fidélité a-t-il omise ? Quel honneur n’a-t-il pas imaginé ? En quel besoin ne jette-t-on pas d’abord les yeux sur lui ? Qu’est-ce qui empêche donc que nos propres privilèges ne soient comptés au nombre des bienfaits mérités par tant de services[15] ? [52] Peut-être serait-il juste aussi de ne pas passer sous silence la vaillance de son père Antipater, qui, lorsque César envahit l’Égypte[16], le renforça de deux mille fantassins et ne se montra inférieur à personne tant pour les combats de terre que pour les besoins de la flotte. [53] A quoi bon dire de quel poids frirent alors ces hommes, de quels dons importants César les combla chacun ? Il faudrait rappeler le rapport envoyé alors par César au Sénat, et comment Antipater reçut du peuple romain des honneurs et le droit de cité. [54] Ces témoignages suffiront à montrer que c’est à juste titre que nous avons obtenu ces faveurs et, que nous en demandons la confirmation à vous, qui, si nous n’en n’avions été déjà gratifiés, eussiez pu nous en faire espérer l’octroi en raison de l’attitude de notre roi à votre égard et de la vôtre envers lui. [55] D’ailleurs, les Juifs, là-bas[17] nous font savoir combien tu t’es montré bienveillant en courant leur pays, comment tu as offert à Dieu les sacrifices rituels et l’as honoré de voeux rituels, comment tu as gratifié le peuple d’un festin et accepté ses présents d’hospitalité. [56] Tout, ce qui, dans notre peuple et notre ville, a été fait pour un homme investi d’un si grand pouvoir, doit être regardé comme des preuves et des marques d’une amitié que tu as donnée à ton tour au peuple juif quand le foyer d’Hérode t’accueillait officiellement. [57] En te rappelant ces choses, ainsi que le souvenir du roi qui siège ici à tes côtés, nous ne te demandons rien d’excessif, mais seulement de pas nous laisser dépouiller par d’autres de ce que vous nous avez donné vous-mêmes. »

[58] 5. Lorsque Nicolas eut terminé cet exposé, il n’y eut aucune réplique de la part des Grecs, car il ne s’agissait pas d’un procès devant un tribunal, mais seulement d’une supplique contre leurs violences. [59] Et ils ne se défendaient nullement d’avoir agi ainsi, mais allégeraient, seulement que les Juifs, par le seul fait d’habiter leur pays, commettaient une injustice[18]. Mais ces derniers démontraient qu’ils étaient indigènes et habitaient le pays sans causer aucun préjudice par l’observation de leurs coutumes nationales. [60] Donc Agrippa, ayant reconnu qu’on leur faisait violence, répondit qu’en raison du dévouement et de l’amitié que lui témoignait Hérode, il était prêt à accorder aux Juifs n’importe quelle faveur ; que, au surplus, leurs réclamations lui paraissaient justes en elles-mêmes et que, si même ils demandaient davantage, il ne refuserait pas de leur concéder tout ce qui ne gênerait pas l’autorité des Romains ; comme ils demandaient seulement la confirmation de ce qu’ils avaient reçu précédemment, il leur assurait le droit de continuer à pratiquer leurs coutumes nationales sans être molestés.

[61]   Après avoir ainsi parlé, Agrippa congédia le conseil. Hérode se levant lui donna l’accolade et le remercia de ses bonnes dispositions envers lui. Agrippa, témoignant encore au roi son amitié, le paya de retour en l’embrassant également et en lui donnant à son tour l’accolade, puis il se retira[19]. [62] Le roi décida de faire voile de Samos pour son pays et, après avoir pris congé d’Agrippa, il appareilla. Il arriva quelques jours après à Césarée grâce à des vents favorables. Venu de là à Jérusalem, il réunit le peuple en assemblée générale ; il y eut une grande foule, qui vint même de la campagne. [63] Montant à la tribune, Hérode rendit compte de tout son voyage et releva ce qu’il avait fait en faveur des Juifs d’Asie, qui, grâce à lui, pourraient à l’avenir vivre sans être molestés. [64] Enfin, joyeux de tous ses succès dans l’administration de son royaume et de n’avoir rien négligé de leurs intérêts, il leur fit remise du quart des impôts de l’année précédente. [65] Le peuple, charmé par cette faveur autant que par ses paroles, se retira joyeux en souhaitant au roi toute sorte de prospérités.

 

— III[20]

1-2. Dissentiments entre Hérode et ses fils Alexandre et Aristobule. — 3. Faveur marquée par Hérode à Antipater, qui part pour Rome avec Agrippa.

[66] 1. Cependant de jour en jour les dissentiments de la maison d’Hérode prenaient une tournure plus grave, car Salomé avait à son tour conçu contre les jeunes princes comme une haine héréditaire tout ce qui avait réussi contre leur mère la remplissait de démence et d’audace, si bien qu’elle ne voulait laisser survivre aucun descendant qui pu venger cette femme dont elle avait procuré la mort. [67] D’autre part, les adolescents avaient eux aussi quelque audace et, quelque malveillance à l’égard de leur père, parce qu’ils se souvenaient de ce que leur mère avait injustement souffert, et qu’ils avaient le désir de régner. [68] Et les mêmes machinations se répétaient que précédemment ; ils déblatéraient contre Salomé et Phéroras ; ceux-ci témoignaient de mauvais sentiments envers leva adolescents et s’appliquaient à leur tendre des pièges. [69] La haine était égale de part et d’autre, mais la manière de haïr différente : les jeunes gens étaient portés à injurier et à insulter ouvertement, parce que, dans leur inexpérience, ils croyaient agir noblement en manifestant leur colère sans réticence ; les autres n’agissaient pas de la même façon, mais se servaient de la calomnie avec adresse et astuce provoquant sans cesse les jeunes gens dans l’espoir que leur témérité les amènerait à un coup de force contre leur père. [70] Car, n’ayant aucune honte des fautes de leur mère et croyant, inique son châtiment, ils étaient poussés         irrésistiblement à la venger même de leurs propres mains sur celui qui leur paraissait le coupable. [71] Finalement toute la ville fut remplie de rumeur sur ce sujet, et, comme dans les luttes judiciaires, on avait pitié de l’inexpérience des jeunes gens ; mais le succès était du côté de la diligente Salomé, qui trouvait dans la conduite de ses adversaires même un prétexte de paraître dire la vérité. [72] En effet, ils étaient si irrités de la mort de leur mère, victime comme eux de calomnies[21], qu’ils rivalisaient de zèle pour montrer combien elle était à plaindre — et elle l’était en effet — et combien ils étaient à plaindre eux-mêmes d’être       obligés de vivre avec ses meurtriers et de partager leurs intérêts.

[73]   2. La situation avait empiré pendant l’absence du roi, qui fournissait, une occasion de trouble. Dès qu’Hérode revint et qu’il eut parlé au peuple comme nous l’avons raconté plus haut, il fut immédiatement assailli par Phéoras et Salomé qui lui dépeignaient quel danger il courait de la part de ces jeunes gens, menaçant ouvertement, de ne pas supporter que le meurtre de leur mère restât sans vengeance. [74] Ils ajoutaient encore que ceux-ci s’appuyaient sur les espérances que leur donnait Archélaüs de Cappadoce de pouvoir, grâce à lui, arriver jusqu’à l’empereur pour accuser leur père. [75] Dès qu’il eut entendu ces discours, Hérode fut troublé et d’autant plus effrayé que quelques autres lui faisaient les mêmes rapports. Il revenait, sur ses malheurs précédents et se les remémorait ; il se disait qu’à cause des dissensions de sa maison il n’avait jamais pu jouir des affections les plus chères, ni de l’amour d’une femme qu’il chérissait, et, pressentant que le malheur futur serait encore plus lourd et plus grand que les précédents, il tombait dans un profond désarroi moral. [76] En effet, si la divinité lui accordait les plus nombreux avantages et les plus inespérés quant à sa prospérité extérieure, à l’intérieur de sa famille les affaires les plus importantes échouaient contre son attente ; de sorte que les deux faces de sa destinée se développaient comme on ne l’aurait jamais cru et faisaient douter lequel valait mieux, [77] ou de jouir d’une telle fortune dans les affaires étrangères au prix de maux domestiques, ou d’échapper à de si grands malheurs dans ses affections familiales en renonçant même à tout ce qui faisait la parure de la royauté.

[78] 3[22]. Dans son trouble et ces dispositions il manda, afin de brider les jeunes princes, un autre fils qu’il avait eu avant d’être roi et qui se nommait Antipater. Il décida de le combler d’honneurs, non qu’il se mit, comme plus tard, complètement sous sa domination et s’en rapportât à lui de toutes choses, mais parce que, par cette politique, [79] il croyait diminuer l’arrogance des fils de Mariamne et leur donner à réfléchir : ils seraient moins orgueilleux s’ils se persuadaient que la succession au trône n’était pas due nécessairement et uniquement à eux. [80] Dans cette pensée il introduisait Antipater comme une manière de suppléant, croyant faire acte de prudence et de sagesse, et espérant qu’il pourrait, après avoir calmé les jeunes princes, trouver chez eux en temps opportun de meilleurs sentiments. [81] Mais le résultat ne fut pas conforme à ses prévisions. D’une part ses enfants se jugèrent gravement lésés par l’injustice commise à leur égard ; d’autre part, Antipater, qui était d’un caractère redoutable, lorsque ses nouvelles espérances lui eurent donné quelque liberté, n’eut plus qu’un seul but : faire du tort à ses frères, ne pas leur céder le premier rang et s’attacher à son père, déjà aliéné par les calomnies et facile à amener là où Antipater visait, c’est à dire à s’irriter de plus en plus contre ceux qu’on avait noircis à ses yeux. [82] Il se gardait bien de paraître l’unique source de tels rumeurs et évitait que ces médisances semblassent inspirées de lui ; il se servait plutôt de complices à l’abri du soupçon et qu’on pouvait croire mûs seulement par leur affection pour le roi. [83] Déjà beaucoup de gens lui faisaient leur cour, flattaient ses espérances et séduisaient Hérode, parce qu’ils semblaient parler par dévouement. Et tandis que les gens se distribuaient ainsi les rôles en se montrant fidèles les uns aux autres, les adolescents leur fournissaient de plus en plus d’occasions. [84] On les voyait pleurer des insultes dont on les humiliait ; ils invoquaient souvent leur mère et s’efforçaient ouvertement de convaincre leur père d’injustice auprès de leurs familiers. Or, tout cela, malignement guetté par l’entourage d’Antipater et rapporté avec exagération à Hérode, finit par envenimer cette querelle domestique. [85] Le roi, exaspéré par ces calomnies et voulant abaisser les fils de Mariamne, ne faisait qu’avancer Antipater dans les honneurs[23]. Finalement, dominé par lui, il fit revenir sa mère[24] à la cour et, écrivit souvent à son sujet à l’empereur en le lui recommandant particulièrement comme un excellent sujet. [86] Comme Agrippa partait pour Rome après avoir passé dix ans à administrer l’Asie Mineure, il s’embarqua en Judée et Hérode l’y rencontra, accompagné du seul Antipater, qu’il lui confia pour le conduire à Rome avec beaucoup de présents, afin qu’il devint l’ami de l’empereur. [87] Ainsi désormais tout semblait déjà au pouvoir d’Antipater et, les adolescents paraissaient complètement exclus de l’empire.

 

— IV[25]

1. Hérode accuse ses fils devant l’empereur.   — 2-3. Alexandre se défend. — 4. Réconciliation d’Hérode et de ses fils. — 5-6. De retour en Judée, Hérode règle l’ordre de sa succession.

[87] 1. Le voyage d’Antipater lui servir pour acquérir des honneurs et sembler monter au premier rang. En effet, il fut très considéré à Rome, où Hérode l’avait recommandé à tous ses amis. [88] Mais il s’irritait de n’être pas sur les lieux et de perdre ainsi l’occasion de continuer à charger ses frères ; il craignait surtout que son père ne changeât de sentiment et ne s’avisât, laissé à lui-même, de s’adoucir envers les fils de Mariamne. [89] Dans cet état d’esprit, il ne renonça pas à son dessein et, de Rome même, ne cessait d’écrire à son père tout ce qu’il espérait pouvoir le chagriner et l’exaspérer contre ses frères, sous prétexte qu’il s’inquiétait du sort d’Hérode, en réalité parce que sa nature perverse s’abandonnait à de grandes espérances. [90] Finalement, il amena Hérode à un tel degré de colère et de désarroi[26] que celui-ci prit en haine les adolescents, tout en reculant encore devant la tragédie suprême. Pour ne pas pécher par négligence ou par précipitation, il jugea préférable de faire voile lui-même pour Rome et d’y accuser ses fils auprès de l’empereur, sans se permettre un acte qui, par la gravité du sacrilège, pût le rendre suspect. [91] Arrivé à Rome, il alla jusqu’à la ville d’Aquilée dans sa hâte de rencontrer l’empereur ; puis, saisissant la première occasion de lui parler des grands malheurs dont il se croyait affligé, amena en présence de César ses fils[27] et dénonça leur folie et leur conspiration. [92] Ils étaient, dit-il, ses ennemis, s’efforçant par tous les moyens de témoigner leur haine envers leur père au point de vouloir le tuer et s’emparer de la royauté de la manière la plus atroce, alors que lui-même avait reçu de l’empereur le droit de la laisser à sa mort non à ses héritiers nécessaires, mais plutôt, par son propre choix, au fils qui serait resté le plus pieux envers lui. [93] D’ailleurs peu leur importait le pouvoir ni, s’ils en étaient privés, la vie, pourvu qu’ils pussent se défaire de leur père, tant la haine née dans leurs âmes était sauvage et impie. Lui-même, qui supportait depuis longtemps cette infortune, maintenant se voyait contraint de la révéler à l’empereur et de souiller ses oreilles de ces horreurs. [94] Et pourtant, quels mauvais traitements avaient-ils supportés de son fait ? En quoi pouvaient-ils lui reprocher d’avoir été dur ? Comment était-il possible et juste de ne pas lui permettre de disposer d’un pouvoir qu’il n’avait acquis lui-même qu’à force de travaux et de périls, et de ne pas le laisser maître de le donner à qui il en jugeait digne ? [95] Ce pouvoir, il en faisait le prix de la piété filiale pour celui qui saurait se conduire envers lui de manière à mériter une telle récompense. [96] Qu’il fût impie de leur part de se mêler de sa succession, c’était l’évidence : quiconque songe continuellement à devenir roi escompte en même temps la mort de son père, puisqu’il ne lui est pas possible de régner autrement. [97] Pour lui, tous les avantages que l’on confère à des rois désignés ou à des fils de roi, il les en avait comblés : dignités, serviteurs, luxe ; il leur avait même procuré les unions les plus brillantes en mariant l’un à la fille de sa sœur et l’autre, Alexandre, à la fille du roi Archélaüs. [98] Par dessus tout, après une telle conduite de leur part, il n’avait pas exercé contre eux l’autorité dont il était investi ; il les avait menés devant l’empereur, leur commun bienfaiteur, se dépouillant de tous les droits d’un père victime d’une impiété, d’un roi victime d’un complot, pour se présenter au jugement sur un pied d’égalité avec eux. [99] Il suppliait pourtant l’empereur de ne pas le laisser complètement sans vengeance et de ne pas le forcer à vivre dans les plus grandes craintes : à quoi leur servirait-il de voir la lumière du jour après ce qu’ils avaient projeté, s’ils échappaient au châtiment, ayant tout osé et méritant de tout subir ?

[100] 2. Voilà ce qu’Hérode imputa non sans émotion à ses fils devant l’empereur, et pendant qu’il parlait encore, les jeunes gens versaient des pleurs et se montraient bouleversés ; mais ce fut encore pis quand Hérode cessa de parler, car si leur conscience leur assurait qu’ils étaient innocents d’une telle impiété, ils jugeaient avec raison difficile de réfuter les accusations portées par leur père, [101] parce qu’il était indécent en l’occurrence de parler librement et de chercher à le convaincre d’avoir toujours été égaré par la violence et la précipitation. [102] De là leur embarras de parler, leurs larmes et leurs gémissements qui firent pitié ; car ils craignaient, s’ils se taisaient, de sembler gênés par la conscience de leur culpabilité et ils ne trouvaient pas facilement le moyen de se disculper, à cause de leur jeunesse et de leur désarroi. [103] Mais l’empereur, remarquant leur état, comprit que leur hésitation venait non pas de la conscience qu’ils avaient de leur perversité, mais bien de leur inexpérience et de leur retenue. Les assistants étaient saisis de pitié pour eux et ils émurent aussi leur père d’une sincère affliction.

[104] 3. Une fois qu’ils virent quelque bienveillance en lui et chez l’empereur, que des autres assistants les uns pleuraient avec eux et que tous compatissaient à leurs maux, l’un des fils, Alexandre, implora son père et tenta de se disculper : [105] « Ô mon père, dit-il, ton affection envers nous se manifeste même dans ce procès, car si tu avais médité contre nous un acte de rigueur, tu ne nous aurais pas menés vers le protecteur du monde entier. [106] Comme roi et comme père tu avais toute liberté de punir des coupables ; nous amener à Rome et prendre un pareil témoin, c’est l’acte de quelqu’un qui voulait notre salut ; personne, s’il a décidé de tuer un autre, ne le mène dans un sanctuaire ou dans un temple. [107] Mais notre situation à nous est bien pire : nous ne pourrions supporter de survivre si nous croyions avoir été si criminels envers un tel père. Et peut-être serait-il moins dur encore de mourir innocents que de vivre soupçonnés de crime. [108] Mais si la vérité parlant librement peut se taire écouter, nous serons heureux de te persuader et d’échapper au danger ; si la calomnie au contraire est si forte, à quoi nous sert la lumière du soleil, qu’il nous faudrait voir en suspects ? [109] Dire que nous aspirons à la royauté, c’est porter une accusation facile contre des jeunes gens ; ajouter le souvenir de notre mère infortunée, c’est aggraver nos malheurs présents par nos malheurs anciens. [110] Considère que ce sont là des lieux communs et qu’on peut insinuer contre tous de la même manière. Rien n’empêchera, en effet, un roi, s’il a de jeunes fils dont la mère est morte, de les soupçonner tous de vouloir comploter contre leur père. Mais un soupçon ne suffit pas quand il s’agit d’un crime si impie. [111] Que quelqu’un dise si nous avons rien tenté de si évident que même l’incroyable en prenne quelque créance. Quelqu’un peut-il nous convaincre d’avoir préparé du poison, conspiré avec nos compagnons, corrompu des serviteurs, écrit une lettre contre toi ? [112] Cependant il est des cas où chacun de ces crimes a déjà été inventé par la calomnie sans qu’il se soit produit. En effet, c’est chose pénible dans un royaume qu’une maison royale désunie, et le pouvoir que tu déclares la récompense de la piété est souvent pour les plus pervers la cause d’espoirs qui ne les font, reculer devant aucun forfait. [113] Personne donc ne nous convaincra d’un crime, quant aux calomnies, comment en serions-nous absous par celui qui ne veut pas nous écouter ? Avons-nous parlé avec un peu trop de licence ? Oui, mais non point, contre toi — c’eût été impie — mais contre ceux qui ne se taisaient point même si nous ne parlions pas[28]. [114] L’un de nous a-t-il pleurés notre mère ? Ce n’était pas parce qu’on l’avait fait mourir, mais parce qu’une fois morte elle était insultée par des gens indignes. Nous désirons le pouvoir que nous savons aux mains de notre père ? [115] Dans quelle intention ? Si nous avons les honneurs des rois — et nous les avons — quelle peine inutile ! Si nous ne les avons pas, ne pouvons-nous les espérer ? Pouvions-nous présumer nous emparer de la royauté après t’avoir tué, qui après un tel acte, ne trouverions plus de terre où marcher, ni de mer où naviguer ? La piété de tous tes sujets, la religion de tout le peuple  supporteraient-elles que des parricides prissent l’empire et entrassent dans le temple très saint que tu as construit ? [116] Et si même nous avions méprisé les autres, quel meurtrier pourrait rester impuni vivant de l’empereur ? Non, tu n’as pas engendré des fils aussi impies ni aussi fous, mais peut-être des fils trop infortunés pour que tu sois heureux. [117] Si tu n’as pas de griefs précis et ne découvres aucun complot, qu’est-ce qui suffirait à te faire croire à une telle impiété ? La mort de notre mère ? mais son sort ne pouvait que nous donner à réfléchir, et, non nous surexciter. [118] Nous voudrions nous défendre plus longuement encore, mais le néant ne comporte aucune une réfutation. C’est pourquoi devant l’empereur, maître suprême et notre arbitre en la circonstance, voici l’arrangement que nous proposons : [119] si tu reprends à notre égard, comme l’exige la vérité,  des sentiments de confiance, mon père, nous vivrons, bien que sans joie, car c’est une dure chose qu’être accusés de grands crimes même faussement. [120] Mais s’il te reste quelques soupçons, continue à prendre tes précautions[29] ; quant à nous, nous nous ferons justice à nous-mêmes, car la vie ne nous est pas assez précieuse pour la garder au détriment de qui nous l’a donnée »[30].

[121] 4. Pendant qu’Alexandre parlait ainsi, l’empereur qui, dès l’origine, n’avait pas ajouté foi à cette terrible accusation, se sentait encore plus retourné, et regardait avec insistance Hérode qu’il voyait également ébranlé. Tous les assistants étaient anxieux et les rumeurs répandues dans la cour rendaient le roi odieux. [122] Car l’invraisemblance de l’accusation, la pitié qu’inspiraient des adolescents dans la fleur de l’âge et de la beauté physique, leur attiraient la sympathie de tous, surtout quand Alexandre eut répondu avec adresse et, bon sens. Eux-mêmes n’avaient plus la même attitude ; ils pleuraient encore et restaient penché vers la terre avec humilité, [123] mais ils entrevoyaient un espoir meilleur, et le roi qui, à force de se persuader lui-même, croyait avoir prononcé un réquisitoire plausible, faute d’avoir réussi à les confondre, avait lui-même besoin d’une excuse. [124] L’empereur, après un court délai, prononça que les jeunes gens, même s’ils semblaient tout à fait étrangers au crime dont on les accusait avaient du moins fait une faute en ne se comportant pas envers leur père de manière à ne pouvoir être accusés. [125] Il exhorta Hérode à bannir tout soupçon et à se réconcilier avec ses fils ; en effet, il n’était, pas juste même de soupçonner ainsi ses enfants et, d’autre part, en changeant de dispositions, ils pourraient non seulement, effacer le passé, mais encore exciter leur affection mutuelle, quand les uns et les autres, pour vaincre leur tendance au soupçon, feraient effort pour se témoigner réciproquement un plus grand zèle. [126] Pendant cette admonestation, il fit signe aux deux jeunes gens. Comme ils voulaient tomber au pied de leur père pour le prier, celui-ci, les devançant, les embrassa au milieu de leurs pleurs en leur donnant tour à tour l’accolade, si bien qu’aucun des assistants, libre ou esclave, ne résister à l’émotion.

[127] 5[31]. Alors, après avoir remercié l’empereur, tous s’en allèrent ensemble, accompagné d’Antipater qui feignait de se réjouir de leur réconciliation. [128] Les jours suivants Hérode fit don à l’empereur de trois cents talents, pour les spectacles et les distributions qu’il offrait au peuple romain. [129] L’empereur lui donna en retour la moitié du revenu des mines de cuivre de Chypre et lui confia la gestion de l’autre moitié ; il lui offrit en outre force présents d’hospitalité et de résidence et lui laissa la liberté de désigner pour lui succéder au trône celui de ses enfants qu’il choisirait, ou de leur conférer à tous cet honneur en le divisant par parties égales ; et comme Hérode voulait le faire à l’instant, l’empereur s’y opposa ne voulant pas que de son vivant il ne restât pas le maître de son royaume et de ses fils.

[130] 6. Ensuite Hérode reprit le chemin de la Judée. Pendant son absence, les gens de Trachône[32], qui formaient une partie importante de son empire, s’étaient révoltés, mais les généraux laissés sur place par le roi les vainquirent et les réduisirent de nouveau à l’obéissance. [131] Quant à Hérode, naviguant avec ses fils, il arriva en Cilicie à Aiousa, villa qui a reçu maintenant le nom de Sébaste, et y trouva le roi de Cappadoce, Archélaüs. Celui-ci l’accueillit avec affabilité, joyeux de le voir réconcilié avec ses fils, et qu’Alexandre, qui avait épousé sa fille, eût dissipé les accusations. Ils se firent mutuellement des cadeaux dignes de rois[33]. [132] De là Hérode regagna la Judée et, entrant dans le temple, y parla des événements de son voyage : il exposa notamment les marques de bienveillance qu’il avait reçues de l’empereur et fit connaître en détail tous ceux de ses actes dont il jugeait utile d’informer le public. [133] Enfin il termina en admonestant ses fils et en invitant les courtisans et le reste du peuple à la concorde. Il désigna pour régner après lui ses fils dans l’ordre suivant : en premier lieu Antipater, puis les fils de Mariamne, Alexandre et Aristobule[34] ; [134] pour le présent, il invita tout le monde à ne regarder que lui comme leur roi et leur maître à tous, car il n’était ni incommodé par la vieillesse, période de la vie qui donne le plus d’expérience pour gouverner, ni dépourvu de tous les moyens nécessaires pour régir son royaume et commander à ses fils. Quant aux officiers et aux soldats, pourvu qu’ils le regardassent comme leur seul *chef, il leur promit qu’ils auraient une vie sans souci et que lui et eux se procureraient mutuelle félicité. [135] Ayant ainsi parlé, il leva l’assemblée ; son discours avait été agréable à la plupart des auditeurs, mais non à tous, car déjà, en raison des rivalités et des espérances qu’il avait provoquées chez ses fils, il se dessinait des vagues d’agitation[35] et force désirs de nouveautés.

 

— V[36]

1. Dédicace de Césarée Sébaste. — 2. Fondations de villes. 3. Libéralités d’Hérode. 4 — Explication des contrastes dans le caractère d’Hérode.

[136] 1. Vers ce temps fut achevée Césarée Sébaste qu’Hérode construisait : tout l’ouvrage fut mené à bonne fin en dix ans ; la date d’achèvement fut fixée à la vingt-huitième année du règne[37], dans la cent quatre-vingt douzième Olympiade. [137] Il y eut aussitôt pour la dédicace une grande fête et des préparatifs très coûteux. Le roi avait annoncé un concours de musique et de jeux athlétiques ; il avait préparé une grande quantité de gladiateurs et de fauves, une course de chevaux et force ornements luxueux venus de Rome et d’autres pays. [138] Il dédia ce spectacle à l’empereur, en décidant de le faire célébrer tous les quatre ans. L’empereur régla sur ses ressources personnelles tous les frais de cette pompe, afin de rehausser encore l’éclat de sa magnificence ; [139] l’Impératrice Julia[38] lui envoya en outre sur ses propres revenus beaucoup de choses les plus appréciées dans son pays, de sorte que le total de la dépense estimée ne s’éleva pas à moins de mille cents talents. [140] Comme une grande foule était réunie dans la ville pour un spectacle, ainsi que des ambassades envoyées par les peuples en reconnaissance des bienfaits qu’ils avaient reçus d’Hérode, il accueillit tous ces gens, les logea, les reçut à sa table, leur offrit des fêtes continuelles. Le jour, l’assemblée avait le plaisir des spectacles ; la nuit, des divertissements d’un luxe coûteux, si bien que sa générosité devint fameuse. [141] En effet, il s’efforçait, dans tout ce qu’il organisait, de dépasser en splendeur ce qu’on avait déjà vu avant lui. On dit même que l’empereur et Agrippa répétaient souvent que le pouvoir d’Hérode ne correspondait pas à sa magnificence, car il aurait fallu, pour agir ainsi, être le roi de toute la Syrie et de l’Égypte.

[142] 2[39]. Après cette assemblée et ces fêtes, il fonda une autre ville, dans la plaine appelée Capharsaba[40], après avoir choisi un lieu bien irrigué et une terre très propre à la végétation car un fleuve coulait autour de la ville même et celle-ci était entourée d’une très belle forêt de grands arbres. [143] Il nomma cette ville Antipatris, en l’honneur de son père Antipater. Il fonda aussi, au delà de Jéricho, une localité portant le nom de sa mère, Cypros, à la fois remarquable par la force de sa position et l’agrément des habitations. [144] Il édifia il son frère Phasaël un très beau monument en souvenir de son affection, en élevant au-dessus de sa capitale une tour égale à celle du Phare et qu’il nomma Phasaël ; elle devait contribuer à la sécurité de la ville et son nom rappeler le souvenir du défunt. [145] Il fonda encore une ville qui portait le prénom de son frère dans la vallée de Jéricho quand on se dirige vers le nord, si bien que la contrée environnante, naguère déserte, fut rendue plus fertile par le travail des habitants : et il nomma cette ville Phasaelis.

[146] 3[41]. Il serait impossible d’énumérer tous les autres bienfaits dont Hérode combla les villes, tant en Syrie qu’en pays grec et dans toutes les régions où il lui advint de séjourner ; en effet, nombreuses sont les liturgies, les constructions d’intérêt public, les donations pour l’achèvement de travaux utiles, après épuisement des premiers fonds, qu’Hérode semble avoir prodiguées. [147] Voici les plus grandes et les plus remarquables de ses œuvres, il releva pour les Rhodiens le temple Pythien à ses propres frais et leur donna beaucoup de talents d’argent pour construire des vaisseaux ; aux habitants de Nicopolis, ville fondée par l’empereur près d’Actium, il accorda une contribution pour la plupart de leurs édifices publics ; [148] aux habitants d’Antioche, la principale ville de Syrie, qu’une large avenue traverse dans toute sa longueur, il offrit des portiques la bordant des deux côtés, et dans la partie découverte de la voie en pierres polies, contribuant ainsi singulièrement à la beauté de la ville et à la commodité des habitants. [149] Quant aux jeux Olympiques, que l’absence de ressources avait rendus bien indignes de leur nom, il en accrut l’éclat en leur assignant des revenus et il rehaussa la dignité de cette réunion religieuse tant pour les sacrifices que pour les autres cérémonies ; en reconnaissance de cette libéralité, il fut inscrit par les Éléens comme agonothète perpétuel.

[150] 4. Il est arrivé aux autres historiens de s’étonner de la diversité des penchants naturels d’Hérode. Lorsque nous considérons ses dons et les bienfaits qu’il a prodigués à trous les hommes, il n’y a pas moyen que même ceux qui l’estiment le moins refusent de lui reconnaître une nature très généreuse ; [151] mais si l’en considère ses rigueurs et ses iniquités à l’égard de ses sujets et de ses proches, si l’on observe combien son caractère a été dur et inexorable, on le juge nécessairement comme un être féroce et étranger à tout sentiment de modération. [152] On en conclut qu’il y avait en lui comme deux volontés différentes et contradictoires. Quant à moi, je suppose que ces traits si divers procèdent à une seule et même cause. [153] En effet, comme il était avide de gloire, et dominé par cette passion, il était incité à la prodigalité dès qu’il concevait l’espoir de laisser un grand souvenir à la postérité ou d’obtenir immédiatement une bonne renommée. [154] Mais parce qu’il dépensait au delà de ses ressources, il était forcé de se montrer dur envers ses sujets. La multiplicité même de ses prodigalités faisait de lui un percepteur cruel ; [155] ayant conscience que ses injustices envers ses sujets provoquaient leur haine, il jugeait difficile de réparer ses fautes — ce qui eût compromis ses revenus — et, bien au contraire, il rendait à ses sujets haine pour haine, tirant même de leur malveillance une nouvelle occasion de remplir ses coffres. [156] En ce qui concerne ses familiers, si l’un d’eux ne le flattait pas en paroles en se reconnaissant son esclave ou paraissait exciter quelque trouble contre son pouvoir, il était incapable de se maîtriser ; il ne cessait de châtier à la fois ses parents et ses « amis » autant que ses ennemis, ne reculant devant aucune rigueur parce qu’il voulait être seul honoré. [157] Ce qui prouve que c’était là sa passion la plus forte, ce sont les hommages qu’il multipliait envers l’empereur, Agrippa et ses autres amis ; car c’était les honneurs accordés par lui à de plus puissants qu’il voulait se voir rendre à lui-même, et en leur donnant, ce qu’il croyait de mieux, il montrait son désir d’être traité de même. [158] Mais le peuple juif, lui, est incliné pair sa loi à haïr ces choses et a l’habitude d’aimer la justice plutôt que la gloriole ; aussi n’était-il guère en faveur auprès d’Hérode, dont il ne pouvait flatter l’ambition par des statues, des temples et des dédicaces analogues. [159] Telle me parait la raison des violences d’Hérode à l’égard de ses familiers, et de ses conseillers, aussi bien que de ses bienfaits envers des étrangers et ceux qui ne le touchaient en rien.

 

— VI —

1. Requête des Juifs d’Asie-Mineure et de Libye contre les Grecs. — 2-8. Copies des décisions de l’empereur et d’Agrippa en faveur des Juifs.

[160] 1. Les Juifs d’Asie Mineure et ceux de la Libye voisine de Cyrène étaient maltraités par les villes. Les rois leur avaient autrefois accordé l’égalité de droits, mais maintenant, les Grecs les persécutaient avec injustice, au point de les spolier de leur numéraire sacré et de les léser en bétail. [161] Souffrant de la sorte et ne voyant pas de limite à l’inhumanité des Grecs, ils députèrent à ce sujet vers l’empereur. Celui-ci leur accorda l’égalité de charges est adressa aux provinces des rescrits dont nous donnons ci-dessous les calmer, comme témoignages des dispositions que les gouvernants ont eues dès l’origine à notre égard.

[162] « César Auguste, grand pontife, investi de la puissance tribunitienne, édicte : Attendu que le peuple juif a été reconnu animé de bons sentiments envers le peuple romain, non seulement au moment actuel, mais aussi dans le passé, et surtout sous mon père l’empereur César[42], et pareillement leur grand-prêtre Hyrcan, — [163] j’ai décidé, avec mon conseil, après serment et, de l’avis du peuple romain, que les Juifs pourraient observer leurs propres usages conformément à la loi de leurs ancêtres ainsi qu’ils le faisaient du temps d’Hyrcan, grand-pontife du Dieu Très-Haut ; que leurs contributions sacrées seraient inviolables et envoyées à Jérusalem pour être remises aux receveurs de cette ville, qu’ils ne seraient pas astreints à donner caution le jour du sabbat ni le jour précédent à partir de la neuvième heure. [164] Si quelqu’un est pris en flagrant délit de vol de leurs livres saints ou de leur argent sacré, soit dans une synagogue soit dans une salle de réunion, qu’il soit considérer comme un voleur sacrilège et que ses biens soient confisqués au profit du trésor public des Romains. [165] Quant au décret que les Juifs ont rendu en mon honneur pour la piété que je témoigne à tous les hommes, et en l’honneur de C. Marcius Censorinus[43], j’ordonne qu’il soit affiché avec le présent édit, dans l’emplacement très insigne qui m’a été consacré par le Konion de l’Asie à Ancyre. Si quelqu’un transgresse une des prescriptions ci-dessus, il subira un châtiment sévère ». Gravé sur une stèle dans le temple de l’empereur[44].

[166] 3. « César à Norbanus Flaccus[45], salut. Les Juifs de quelque lieu que ce soit, qui ont depuis longtemps l’habitude de recueillir des contributions sacrées pour les envoyer à Jérusalem, doivent pouvoir le faire sans empêchement ».

Voilà ce qui concerne César (Auguste).

[167] 4. Agrippa, lui aussi, écrivit en faveur des Juifs dans les termes suivants : « Agrippa aux magistrats, au Conseil et au peuple d’Éphèse, salut. Je veux que la gestion et la garde des contributions sacrées, rassemblées pour le temple de Jérusalem soient assurées par les Juifs d’Asie-Mineure conformément à leurs lois nationales. [168] Je veux que ceux qui auront volé l’argent sacré[46] des Juifs soient arrachés même des lieux d’asile où ils se seraient réfugiés et livrés aux Juifs au même titre que les auteurs de vols sacrilèges. J’ai également écrit au préteur Silanus que nul ne doit forcer les Juifs à donner caution le jour du sabbat. »

[169] 5. « Marcus Agrippa aux magistrats, au Conseil et au peuple de Cyrène, salut. Les Juifs de Cyrène[47], en faveur desquels Auguste a déjà écrit au préteur Flavius qui gouvernait alors la Libye et aux autres magistrats de la province, afin qu’il puissent envoyer sans empêchement leurs contributions sacrées à Jérusalem selon leurs coutumes ancestrales, [170] se sont présentés à moi parce qu’ils sont molestés par quelques délateurs et empêchés d’envoyer cet argent, sous le prétexte faux qu’ils devraient certains impôts. J’ordonne qu’on remette tout dans l’état antérieur sans les inquiéter en rien, et si de l’argent sacré à été enlevé dans certaines villes, j’ordonne que les gens chargés de ce prélèvement en fassent réparation aux Juifs de ces endroits ».

[171] 6[48]. « C. Norbanus Flaccus, proconsul aux magistrats et au conseil de Sardes, salut. L’empereur m’a écrit pour défendre qu’on empêchât les Juifs d’envoyer à Jérusalem les sommes, quelles qu’elles soient, qu’ils ont, l’habitude de recueillir à cet effet selon leur coutume nationale. Je vous ai donc écrit, pour que vous sachiez que l’empereur et moi le voulons ainsi.

[172]  7. Le proconsul Julius Antonius[49] écrivit également : « Aux magistrats, au Conseil et au peuple d’Éphèse, salut. Les Juifs résidant en Asie, pendant que je rendais la justice à Ephèse aux ides de Février, m’ont fait connaître que César Auguste et Agrippa leur avaient accordé de suivre leurs propres us et coutumes, de percevoir sans empêchement les offrandes que chacun d’eux donne en contribution volontaire par piété pour la divinité...[50] et de pouvoir les escorter. [173] Ils me demandaient de confirmer par ma propre décision les faveurs conférées par Auguste et Agrippa. Je veux donc que vous sachiez que selon les volontés d’Auguste et d’Agrippa je leur permets de vivre et d’agir sans entraves conformément à leurs coutumes ancestrales ».

[174] 8. J’ai jugé nécessaire de donner ces textes, puisque mes annales de notre histoire sont surtout destinées aux Grecs, pour leur montrer que dès le début nous avons été traités de la façon la plus honorable, que les magistrats ne nous pas empêchés de pratiquer nos lois ancestrales et que nous fument au contraire aidés à observer notre religion et à honorer Dieu. [175] Si je mentionne souvent ces faits, c’est pour nous réconcilier les autres peuples en déracinant les haines implantées parmi les sots chez eux comme chez nous. [176] Car il n’y a aucun peuple qui ait toujours les mêmes lois ; même de ville à ville, il y a beaucoup de diversité. [177] Mais la justice est très utile à cultiver pour tous les hommes pareillement, qu’ils soient Hellènes ou barbares ; or, c’est d’elle que tiennent le plus grand compte nos lois qui, si nous les observons intégralement, nous rendent bienveillants et affectueux envers tous les hommes. [178] C’est pourquoi noirs avons droit à même traitement de la part des autres et il ne faut pas croire que la différence des nationalités se résume dans la différence des coutumes, mais dans la rivalité pour la vertu[51], car c’est là un bien commun à tous et seul capable de sauver la civilisation humaine. Mais je reprends le fil de mon histoire.

 

— VII —

1. Hérode ouvre le sépulcre de David. — 2. Aggravation de ses malheurs domestiques. — 3-5. Calomnies de Phéroras. — 6. Aventures de Salomé et de l’Arabe Syllaios. — Réconciliation du roi avec Phéroras.

[179] 1. Hérode, qui faisait de grandes dépenses à la fois pour l’extérieur et l’intérieur de son royaume, avait appris assez vite[52] que le roi Hyrcan, un de ses prédécesseurs, avait ouvert le tombeau de David[53] et y avait pris trois mille talents, mais qu’il en restait bien d’avantage, de quoi suffire largement à ses dépenses somptuaires. [180] Depuis longtemps il projetait cette entreprise. Ayant donc fait ouvrir de nuit le tombeau, il y entrer, en prenant soin que la ville le sût le moins possible, mais en se faisant accompagner des plus sûrs de ses amis. [181] Il ne trouva pas, comme Hyrcan, des sommes d’argent, mises en réserve, mais beaucoup d’ornements d’or et de joyaux, qu’il enleva tous. Il s’efforça, pour faire une recherche plus approfondie, de s’avancer plus à l’intérieur et, jusqu’aux sarcophages qui renfermaient les corps de David et de Salomon. [182] Mais deux de ses gardes périrent, par l’effet d’une flamme qui, à ce qu’on raconte, jaillit de l’intérieur à leur entrée ; lui-même se retira épouvanté. Comme monument expiatoire de sa terreur, il éleva à la porte du sépulcre un monument de marbre blanc d’un grand prix. [183] Nicolas l’historien, son contemporain, mentionne bien cette construction, mais non pas la descente du roi dans le tombeau, parce qu’il se rendait compte que cet acte lui faisait peu d’honneur. D’une manière générale, c’est ainsi qu’il en use constamment dans son ouvrage : [184] comme il vivait dans le royaume d’Hérode et était de ses familiers, il a écrit pour le servir et le flatter en ne racontant que ce qui importait à sa gloire et en travestissant beaucoup de ses actes manifestement injustes, ou en s’efforçant avec le plus grand soin de les cacher. [185] C’est ainsi que, voulant donner au supplice de Mariamne et de ses fils, perpétré par le roi avec tant de cruauté, une apparence spécieuse, il a faussement accusé la mère d’impudicités et les jeunes gens de complot. Dans tout le cours de son ouvrage, il n’a cessé d’exalter outre mesure les actions honnêtes du roi et d’excuser de même ses forfaits. [186] D’ailleurs, comme je l’ai dit, on peut lui pardonner beaucoup, car ce n’est pas une histoire pour le public, mais un service pour le roi qu’il composait. [187] Mais nous, bien que par la naissance nous touchions aux rois Asmonéens et qu’à ce titre nous ayons été honoré et pourvu de la prêtrise, nous avons considéré comme déshonorant de mentir à leur sujet et nous exposons les faits avec sincérité et justice ; car si nous respectons beaucoup de descendants de ce roi, qui règnent encore, nous honorons avant eux la  vérité qui....[54] n’a pas laissé de leur causer de la colère.

[188] 2[55]. E Par suite de cet attentat contre le tombeau, Hérode sembla de jour en jour plus malheureux dans ses affaires domestiques, soit que la colère divine se fût attachée à aggraver les maux dont il soutirait précédemment et à faire d’eux des calamités incurables, soit que la fortune lui livrât assaut avec tant d’à-propos qu’on se persuadait que ses malheurs résultaient de son impiété. [189] Il se produisit, en effet, à la cour des discordes dignes d’une guerre civile et des haines entre ennemis qui rivalisaient de calomnies. [190] La campagne était toujours dirigée par Antipater contre ses frères, habile à les envelopper d’accusations venues d’ailleurs, tout en faisant souvent mine de les excuser, afin que sa réputation de bienveillance lui valût la confiance du roi pour les entreprises qu’il méditait. De cette façon il avait circonvenu artificieusement son père et passait pour le seul qui sacrifiât tout pour son salut. [191] Le roi associa à Antipater Ptolémée, intendant de la couronne, et il délibérait avec la mère du premier sur les affaires les plus pressantes. En général ces personnes menaient tout ; elles pouvaient faire ce qu’elles voulaient ou exciter la colère du roi contre les autres au gré de leur intérêt. [192] Quant aux fils de Mariamne, ils s’irritaient davantage de jour en jour et, en raison de leur haute naissance, ils ne supportaient pas de se voir écartés et réduits à un rang peu honorable. [193] Pour leurs femmes, l’une, celle d’Alexandre, Glaphyra, fille d’Archélaüs, avait de la haine contre Salomé à la fois par affection pour son mari et par arrogance envers la fille de Salomé, mariée à Aristobule et qu’elle s’indignait de voir jouir d’honneurs égaux aux siens.

[194] 3[56]. Quand s’éleva ainsi cette deuxième cabale, Phéroras, frère du roi, tomba également dans le trouble, car il offrait de son côté des motifs particuliers de suspicion et de haine : il était, en effet, devenu épris d’une de ses esclaves et si follement dominé par sa passion pour cette créature qu’il dédaignait la fille du roi[57] qui lui  avait été promise en mariage, pour ne penser qu’à la servante. [195] Hérode s’irritait de cette insulte, car il avait comblé son frère de bienfaits, lui avait fait partager la puissance royale et, ne se voyant pas payé de retour, se croyait ouvertement outragé[58]. [196] En présence de l’injustice de Phéroras, il donna sa fille au fils de Phasaël ; puis, après un certain laps de temps, pensant que la passion de Phéroras était déjà à son déclin, il lui fit des représentations au sujet de ses amours et l’invita à épouser sa deuxième fille nommée Cypros. [197] Ptolémée conseilla à Phéroras de cesser d’outrager son frère et de renoncer à son amour : c’était une honte que, dominé par une esclave, il se privât de l’affection du roi et devint pour lui une cause d’inquiétude et un objet de haine. [198] Phéroras, voyant que tel était son intérêt, parce qu’auparavant déjà il avait obtenu son pardon après avoir été calomnié, renvoya la femme, bien qu’il eût d’elle un enfant et promit, au roi d’épouser sa seconde fille ; il fixa le mariage à trente jours de là et donna sa foi qu’il n’avait plus rien de commun avec celle qu’il avait répudiée. [199] Les trente jours écoulés, il fut tellement dominé par son amour qu’il ne tint aucun de ses engagements et se remis à vivre avec sa maîtresse. [200] Hérode en conçut un chagrin visible et de la colère : il lui échappait constamment des paroles à ce sujet et bien des gens prenaient prétexte de l’humeur du roi pour accuser Phéroras. Ainsi il n’y avait presque pas de jour ou d’heure qui s’écoulât pour le roi sans ennui ; il n’entendait parler que des luttes de ses parents et de ses plus chers amis les uns contre les autres. [201] Salomé, aigrie et mécontente contre les fils de Mariamne, ne permettait même pas à sa fille, mariée à l’un des jeunes princes, Aristobule, de conserver à celui-ci l’affection conjugale, mais la pressait de lui rapporter et dénoncer tous leurs entretiens intimes, aigrissant leurs moindres dissentiments. [202] Ainsi elle apprenait tout ce qui concernait les frères, et, d’autre part, rendait sa fille hostile au jeune prince. [203] L’autre, pour faire plaisir à sa mère, lui racontait souvent que les fils de Mariamne rappelaient le souvenir de celle-ci lorsqu’ils étaient entre eux, qu’ils détestaient leur père et, ne cessaient de menacer, si jamais ils obtenaient le pouvoir, de faire des fils qu’Hérode avait eus de ses autres épouses des greffiers de village — fonction parfaitement convenable à leurs occupations actuelles et à leur éducation. [204] Quant aux femmes, si par hasard ils les voyaient mettre la main sur les parures de leur mère, ils promettaient qu’au lieu de leur luxe présent ils les vêtiraient de guenilles et les priveraient de la lumière du soleil. [205] Tous ces propos étaient immédiatement rapportés par Salomé au roi, qui les apprenait avec peine et s’efforçait cependant de rétablir la concorde, mais les soupçons lui faisaient tant de mal qu’il s’aigrissait de jour en jour et croyait tous contre tous. Au début, il admonesta seulement ses fils et, après avoir entendu leur défense, se montra plus doux envers eux pour le moment ; mais bientôt sa colère devait s’exaspérer.

[206] 4. En effet Phéroras vint trouver Alexandre qui, comme nous l’avons relaté, avait pour femme la fille d’Archélaüs, Glaphyra. Il dit tenir de Salomé qu’Hérode était éperdument épris d’elle et que son désir était difficile à calmer. [207] Alexandre, à ces mots, prit feu dans sa jalousie et sa jeunesse, interpréta en mal tous les honneurs qu’Hérode accordait à la jeune femme — et ces attentions étaient fréquentes, à cause des soupçons qu’avaient fait naître en lui les paroles de Phéroras. [208] Il ne maîtrisa pas le chagrin que lui causait cette nouvelle et, se rendant auprès de son père, lui rapporta en pleurant ce qu’avait dit Phéroras. Mais Hérode se montra encore plus ému que lui et, ne supportant pas de se voir si honteusement calomnié, fut tout à fait bouleversé. [209] A maintes reprises, il se lamenta sur la perversité des gens de sa maison, rappelait ce qu’il leur avait, donné et ce qu’il recevait d’eux en récompense ; puis il fit mander Phéroras et, après l’avoir accablé de reproches : « Ô le plus méchant des hommes, dit-il, en es-tu donc venu à un tel excès d’ingratitude que tu imagines et racontes à mon sujet de pareils mensonges ? Est-ce que je ne pénètre pas ton dessein ? [210] Ce n’est pas pour le plaisir de calomnier que tu rapportes de tels contes à mon fils, mais pour en faire le poison et le complot qui me perdront. Qui donc, à moins d’être assisté de bons génies comme cet adolescent, aurait supporté de ne pas se venger d’un père soupçonné de pareille infamie ? [211] Sont-ce des mots que tu crois lui avoir glissés dans l’esprit, ou n’est-ce pas plutôt une épée que tu lui as mise en main pour frapper son père ? Quelle a été ton intention, puisque tu le hais ainsi que son frère, en simulant la bienveillance envers lui pour me diffamer et lui débiter les calomnies que ton impiété seule pouvait imaginer ? [212] Va-t’en, criminel que tu es envers ton bienfaiteur et ton frère, puisse ton remords durer autant que ta vie ? Quant à moi, puissé-je toujours vaincre les miens en ne les punissant pas comme ils le méritent et en les comblant de bienfaits plus qu’ils n’en sont dignes ! »

[213] 5. Ainsi parla le roi. Phéroras, pris en flagrant délit de perversité, dit que c’était Salomé qui avait combiné l’affaire et que c’était d’elle que venaient ces propos. Mais elle, dès qu’elle l’entendit — car elle était présente — s’écria avec l’accent de la vérité qu’elle n’était pour rien dans tout cela, [214] que tout le monde s’acharnait à la faire haïr du roi et à la perdre par tous les moyens, à cause de son affection pour Hérode, qu’elle avertissait, toujours des dangers qui le menaçaient ; à présent elle était encore plus entourée de complots ; [215] en effet, elle seule avait conseillé à son frère de répudier la femme qu’il avait et d’épouser la fille du roi, ce qui sans doute lui avait attiré sa haine. [216] Tout en parlant ainsi, elle s’arrachait, les cheveux et se frappait la poitrine à mainte reprise. Son aspect portait à croire à ses dénégations, mais la perversité de son caractère trahissait une comédie jouée en la circonstance. [217] Phéroras restait sur la sellette sans trouver rien de spécieux pour sa défense, puisqu’il avouait avoir parlé, mais ne pouvait faire croire ce qu’il prétendait avoir entendu. La confusion et la lutte de paroles ne faisaient que grandir. [218] Enfin le roi, après avoir déclaré sa haine contre son frère et sa sœur, les renvoya et, louant son fils de s’être maîtrisé et de lui avoir rapporté ces propos, se décida tardivement à se reposer. [219] Après cette semonce, Salomé fut mal vue, car c’était elle qui paraissait avoir machiné la calomnie. Les femmes du roi étaient irritées contre elle parce qu’elles la savaient d’une nature très acariâtre et très inconstante, haineuse ou affectueuse selon le moment. Elles ne cessaient de dire du mal d’elle à Hérode ; de plus, un incident survint qui augmenta encore leur audace à la diffamer.

[220] 6[59]. Le roi d’Arabie Obadas était d’un naturel indolent et lourd ; tous ses intérêts étaient administrés par Syllaios, homme habile, encore jeune et de belle tournure. [221] Comme celui-ci était venu voir, Hérode pour quelque affaire, il aperçut, en soupant avec lui Salomé, à qui il fit attention. [222] Quand il la sut veuve, il lui parla. Salomé, qui avait perdu de son crédit auprès de son frère et qui ne regardait pas ce jeune homme avec indifférence, avait hâte de l’épouser ; les femmes d’Hérode, pendant le festin, remarquèrent les signes fréquents et trop prononcés de leur entente. [223] Elles rapportèrent le fait au roi, raillant ce manque de tenue. Hérode interrogea aussi Phéroras à ce sujet, en l’invitant à observer pendant le banquet l’attitude des deux convives. Phéroras lui rapporta qu’on pouvait clairement connaître leur passion mutuelle à leurs signes et à leurs oeillades. [224] L’Arabe, se sentant soupçonné, s’en alla, mais après une absence de deux ou trois mois, il revint pour ce motif, en parlait Hérode et lui demanda Salomé en mariage ; car cette alliance lui serait fort utile en resserrant ses relations avec le royaume des Arabes, qui dès lors ajoutait de la puissance à Syllaios et devait lui appartenir un jour. [225] Hérode rapporta ces paroles à sa sœur et lui demanda si elle était disposée à ce mariage ; elle y consentit aussitôt. Mais Syllaios, à qui l’on demandait d’embrasser les coutumes juives avant ce mariage lequel, sans cela, était impossible, refusa en disant qu’il serait: lapidé par les Arabes s’il le faisait ; cela dit, il s’en alla. [226] Dès lors Phéroras attaqua Salomé en la taxant de dévergondage, et les femmes d’Hérode renchérissaient en affirmant qu’elle avait été la maîtresse de l’Arabe. [227] Comme le roi avait promis à son frère la jeune fille que Phéroras n’avait pas épousée parce qu’il était, comme je l’ai dit, dominé par sa concubine, Salomé la demanda pour le fils qu’elle avait eu de Costobar. [228] Hérode fut d’abord enclin à consentir à ce mariage, mais il changea de sentiment sous l’influence de Phéroras, qui fit valoir que le jeune homme ne pourrait l’aimer en raison du supplice de son père et qu’il serait plus juste de la donner à son propre fils, héritier de sa tétrarchie. Ainsi il obtint son pardon et le fils de Costobar fut évincé[60]. A la suite de ce changement d’épousailles la fille d’Hérode épousa donc le jeune fils de Phéroras et le roi lui donna cent talents de dot.

 

— VIII —

1-4. Machinations d’Antipater contre ses frères. — 5-6. Alexandre est réconcilié avec son père par Archélaüs de Cappadoce.

[229] 1[61]. Cependant Hérode n’avait pas de répit dans ses affaires domestiques de plus en plus troublées. D’ailleurs il survint un nouvel incident d’origine peu honorable et qui plus tard causa du mal. [230] Le roi possédait des eunuques, qu’il chérissait outre mesure à cause de leur beauté. L’un s’était vu confier par le roi les fonctions d’échanson, l’autre le soin de servir son repas, l’autre de le coucher et de s’occuper de ses affaires les plus importantes. [231] Quelqu’un les dénonça au roi comme ayant été corrompus par Alexandre son fils pour une grosse somme. Quant le roi les fit interroger, ils reconnurent leurs relations et, leur commerce avec le prince, mais déclarèrent n’avoir rien machiné contre son père. [232] Cependant, quant ils furent mis à la torture et très maltraités par des esclaves qui renchérissaient de cruauté pour plaire à Antipater, ils dirent qu’Alexandre avait de mauvais sentiments et une haine congénitale contre son père, [233] qu’il les avait avisés qu’Hérode était à bout de forces, qu’il avait excessivement vieilli et qu’il dissimulait sa décrépitude en se teignant les cheveux et en cachant tout ce qui accusait son âge ; mais que, s’ils s’attachaient, à lui, une fois qu’il aurait la couronne, qui même, malgré, son père, ne pouvait échoir à aucun autre, ils obtiendraient vite le premier rang ; [234] en effet, non seulement sa naissance, mais encore ses intelligences le mettaient en mesure de s’en emparer, car beaucoup de capitaines et d’amis du roi le secondaient, hommes résolus, prêts à subir ou à faire n’importe quoi.

[235] 2(1). A ces révélations Hérode bondit sous l’outrage, et la crainte, à la fois irrité des paroles insultantes et alarmé de celles qui éveillaient ses soupçons. Les unes et les autres l’excitaient, de plus en plus, si bien que, dans son exaspération, il craignait que réellement une tentative ne fût dirigée contre lui et, qu’il fût alors trop faible pour y parer. [236] Aussi, au lieu d’instituer une enquête publique, il envoyait espionner ceux qu’il soupçonnait. Sa méfiance et sa haine s’exerçaient à l’égard de tous. Croyant la suspicion universelle nécessaire à sa sûreté, il se méfiait de ceux même qui ne la méritaient pas. [237] Et il n’y avait à cela aucun terme ; tous ceux qui le fréquentaient beaucoup lui paraissaient d’autant plus redoutables qu’ils étaient plus puissants ; quant à ceux qu’il ne connaissait guère, il suffisait de les nommer et aussitôt sa sécurité semblait exiger leur perte. [238] En fin de compte, les gens de son entourage, n’ayant plus aucun espoir solide de salut, se tournèrent les uns contre les autres, chacun pensant que, s’il se hâtait d’accuser à son tour, il assurait sa propre sécurité ; quand ils se faisaient haïr on obtenant ; gain de cause, ils récoltaient le fruit de leur malice[62]. [239] Certains assouvissaient de cette façon ries haines domestiques ; une fois pris, ils subissaient le même sort, ne voyant dans les occasions qui s’offraient que machines et pièces contre leurs ennemis, victimes de l’embûche qu’ils avaient dressée contre autrui. [240] Car bientôt le remords saisissait le roi pour avoir mis à mort des gens dont la culpabilité n’était, pas démontrée ; mais le chagrin, loin de l’empêcher de recommencer, l’incitait seulement à punir de même les dénonciateurs.

[241] 3. Tel était donc le désordre de la cour. Hérode en arriva à inviter beaucoup de ses amis à ne plus paraître désormais devant lui ni même entrer au palais ; il donna cet avis à ceux dont la franchise lui faisait plus ou moins honte. [242] Il écarta ainsi Andromachus et Gemellus, ses amis de longue date, qui lui avaient été très utiles dans les affaires publiques du royaume comme ambassadeurs ou conseillers, qui avaient en outre contribué à l’éducation de ses enfants, et cela bien qu’ils eussent auprès de lui la plus grande liberté de parler. [243] Mais Démétrius, fils d’Andromachus, était lié avec Alexandre, et, quant à Gemellus, Hérode le savait bien disposé pour le prince, car il avait assisté à son enfance et à son éducation et l’avait fréquenté pendant son séjour à Rome. Il les écarta de sa personne et les aurait volontiers traités encore plus mal, mais il ne se sentait pas les mains libres à l’égard de ces hommes illustres et se contenta de leur enlever leur charge, avec le pouvoir de s’opposer à ses fautes[63].

[244] 4. Le responsable de tous ces malheurs était Antipater, qui avait remarqué le caractère morbide de la disposition[64] de son père et qui, associé depuis longtemps à ses conseils, le pressait et croyait pouvoir mieux réaliser ses projets si tous les gens capables de s’y opposer étaient supprimés. [245] Alors, après avoir empêché Andromachus et ses amis de lui parler librement, le roi commença à mettre à la question tous ceux qu’il croyait fidèles à Alexandre pour leur arracher ce qu’ils savaient de ses trames contre lui ; mais ils mouraient tous sans avoir rien à révéler. [246] Or, le roi sentait son prestige en jeu s’il ne parvenait à découvrir ce qu’il imaginait à tort ; mais Antipater déployait toute son adresse à calomnier les gens réellement innocents, en attribuant leur attitude à leur endurance et à leur fidélité envers le prince, et à exciter le roi pour qu’il cherchât auprès d’autres témoins le secret de la conspiration. [247] L’un des nombreux individus mis à la torture dit qu’il savait que le jeune homme répétait souvent, lorsqu’on le louait de sa haute taille, de son adresse à tirer de l’arc et des autres qualités par lesquelles il dépassait tous les autres, que la nature lui avait fait là des dons plus funestes qu’utiles, [248] car son père ne faisait que s’en irriter et le jalousait si bien que lui-même, lorsqu’ils se promenaient ensemble, se rapetissait et se tassait de manière à ne pas sembler plus grand que son père, et, lorsqu’il tirait de l’arc dans une chasse où son père était présent, faisait exprès de manquer le gibier, tant il savait son père d’un orgueil jaloux contre quiconque    se distinguait[65]. [249] Lorsque la torture fut terminée[66] et qu’on eut accordé du répit à son corps, l’homme ajouta qu’Alexandre, avec la complicité de son frère Aristobule, avait décidé de tuer traîtreusement leur père pendant une chasse et, une fois le crime commis, de s’enfuir à Rome pour réclamer la royauté. [250] On trouva même une lettre du jeune homme à son frère, où il reprochait à leur père d’avoir donné contre toute justice à Antipater un pays qui lui rapportait deux cents talents. [251] Immédiatement Hérode crut avoir entra une preuve sûre, de nature à confirmer ses soupçons contre ses fils ; il fit arrêter Alexandre et le mettre aux fers. Mais il ne cessait pourtant d’être tourmenté : il ne croyait pas trop ce qu’il entendait et, en raisonnant, trouvait aucun motif d’être l’objet d’un complot de leur part ; il voyait là des récriminations et des rivalités juvéniles ; quant à ce départ pour Rome, après l’avoir tué au vu de tous, c’était chose invraisemblable. [252] Il lui fallait un témoignage plus grave de la faute de ses fils et il mettait son point d’honneur à ne pas paraître avoir décidé cet emprisonnement à la légère. Il soumit donc à la torture ceux des amis d’Alexandre qui avaient des charges publiques et en fit mourir bon nombre sans en obtenir rien de ce qu’il attendait. [253] Comme il mettait à cette recherche beaucoup d’ardeur et que le palais était plein de crainte et de trouble, un jeune homme, sous l’angoisse de la torture, déclara qu’Alexandre avait écrit à ses amis de Rome en les priant de le faire mander au plus tôt par l’empereur, car il pouvait révéler un projet formé contre celui-ci : son père avait sollicité l’amitié de Mithridate, roi des Parthes, contre les Romains ; il ajouta qu’Alexandre avait du poison prêt à Ascalon.

[254]  5[67]. Hérode crut à cette accusation et, dans ses malheurs, trouva quelque encouragement à sa précipitation dans les flatteries des méchants. Il s’empressa de faire rechercher le poison, mais on ne le trouva pas. [255] Alexandre, voulant par point, d’honneur augmenter encore l’excès de ses maux, ne prit pas le parti de nier et accrut encore l’emportement de son père par une plus grande faute, peut-être dans la pensée de faire honte au roi de sa facilité à accueillir les calomnies et surtout pour que, si on le croyait, il en résultât du mal pour Hérode, [256] ainsi que pour tout le royaume. Il écrivit sur quatre rouleaux des lettres qu’il envoya et où il disait qu’il était inutile de torturer les gens et d’aller plus loin : il y avait bien un complot, auquel participaient Phéroras et les plus fidèles de ses amis, Salomé était venue de nuit cohabiter avec: lui contre son gré ; [257] tous n’avaient qu’un but : se débarrasser au plus vite du roi pour se délivrer d’une crainte perpétuelle. Dans ces lettres étaient: également mis en cause Ptolémée et Sapinnius, les plus fidèles amis du roi. [258] Aussitôt, comme si une espèce de rage les eût saisis, les gens jadis les plus liés d’amitié se déchiraient réciproquement, puisqu’ils n’avaient pas en vérité le moyen de se défendre ou de réfuter les accusations, mais que la mort sans jugement les menaçait tous : les uns pleurant leurs fers, les autres leur trépas, d’autres enfin l’attente de ces maux, la solitude et la tristesse dépouillaient le palais de la félicité qui l’ornait autrefois. [259] Toute la vie d’Hérode était empoisonnée, tant il était dans l’angoisse et dans l’impossibilité de se fier à personne, grand châtiment de sa propension aux soupçons. Souvent même il s’imaginait voir son ails se dresser contre lui et l’attaquer l’épée à la main. [260] Son âme, absorbée nuit et jour par cette pensée, tombait dans la folie et l’égarement.

[261] 6[68]. Telle était la situation lorsque Archélaüs, roi dei Cappadoce, ayant appris l’état d’Hérode, inquiet pour sa fille et son jeune gendre, et sympathisant avec son ami qu’il voyait dans un tel désarroi, vint lui-même en Judée, tant la situation lui paraissait grave. [262] Trouvant Hérode en tel état, il jugea peu opportun de lui faire des reproches ou de le taxer de précipitation, car, si on le rabrouait, son honneur serait blessé, et plus on ferait d’efforts, plus s’allumerait sa colère. [263] Archélaüs recourut donc à une autre méthode pour remédier à ces malheurs : ce fut de s’en prendre au jeune homme, de déclarer que ; le roi s’était montes: modéré et n’avait pas agi avec irréflexion. Il dit qu’il romprait le mariage d’Alexandre et n’épargnerait même pas sa fille si, instruite de quelque trame, elle ne l’avait pas dénoncée. [264] Archélaüs se montrant ainsi tout différent de ce qu’Hérode s’attendait à le voir et exagérant sa colère dans l’intérêt de ce dernier, le roi se relâcha un peu de sa dureté, et, passant pour avoir agi avec justice, revint peu à peu sans s’en douter à des sentiments paternels. [265] Ainsi il était doublement à plaindre : lorsque des gens cherchaient à détruire les calomnies lancées contre le jeune prince, il entrait en fureur ; lorsque Archélaüs soutenait ses griefs, il penchait vers les larmes et un chagrin touchant ; même il priait Archélaüs de ne pas rompre le mariage et de ne pas trop en vouloir ail jeune coupable. [266] Archélaüs, le trouvant un peu apaisé, tourna ses accusations contre les amis de son gendre, prétendant que sa jeunesse étrangère à la malice avait été corrompue par eux, et il rendit encore plus suspect le frère d’Hérode. [267] Car comme le roi était également irrité contre Phéroras, celui-ci, n’ayant personne pour le réconcilier avec lui et voyant Archélaüs en grand crédit, alla le trouver en habits de deuil et, avec tous les signes d’une ruine prochaine. [268] Archélaüs ne dédaigna pas sa supplique, mais se déclara incapable de changer si vite les dispositions du roi : il valait mieux que Phéroras se présentât à lui et implorât sa pitié en se reconnaissant coupable de tout ; ainsi l’excès de sa colère pourrait se calmer ; d’ailleurs Archélaüs serait présent et prêterait son appui. [269] En le persuadant d’agir ainsi, un double résultat fut obtenu : les calomnies contre le jeune prince furent dissipées contre toute attente et, d’autre part, Archélaüs réconcilia Phéroras avec son frère ; cela fait, il repartit pour la Cappadoce, devenu plus cher à Hérode en cette crise que quiconque, si bien que celui-ci l’honora de présents très somptueux et lui donna en toute manière les marques les plus généreuses d’une grande amitié. [270] Hérode s’engagea même à aller à Rome[69] puisqu’on avait écrit à l’empereur au sujet de ces affaires, et ils prirent route ensemble jusqu’à Antioche ; là Hérode réconcilia avec Archélaüs le gouverneur de Syrie Titius qui était irrité contre lui, puis retourna en Judée[70].

 

— IX —

1. Excès des habitants de la Trachonitide. — 2. Hérode, ne pouvant obtenir satisfaction des Arabes, envahit l’Arabie. — 3-4. L’Arabe Syllaios accuse Hérode auprès de l’empereur qui s’irrite contre ce dernier[71].

[271] 1. Après qu’Hérode eut fait le voyage à borne et en fut revenu, une guerre éclata contre les Arabes pour la cause `suivante. Les habitants de la Trachonitide[72], une fois que l’empereur eut enleva ce pays à Zénodore pour l’attribuer à Hérode, n’avaient plus la liberté de se livrer au brigandage et étaient forcés de vivre paisiblement et de pratiquer l’agriculture. [272] Ce genre de vie ne leur plaisait guère et la terre rapportait peu de profit à ceux qui la travaillaient. Pourtant, au début, devant la défense du roi, ils s’abstinrent de violences contre leurs voisins, ce qui valut à Hérode une grande renommée de vigilance. [273] Mais à l’époque où il s’embarqua pour Rome afin d’accuser son fils Alexandre, voir l’empereur et lui recommander son fils Antipater[73], les gens de Trachonitide répandirent le bruit de sa mort, se révoltèrent contre son gouvernement et se remirent à maltraiter leurs voisins selon leur habitude. [274] Les généraux du roi, en son absence, réussirent cependant a les maîtriser : environ quarante chefs de brigands, terrifiés par l’exemple du sort des captifs, s’enfuirent du pays ; [275] ils se réfugièrent en Arabie où ils furent accueillis par Syllaios, après l’échec de son mariage avec Salomé. Cr:!lui-ri leur donna tin emplacement fortifié qu’ils colonisèrent et d’où ils faisaient des incursions de pillage, non seulement en Judée, mais dans toute la Coelé-Syrie, car Syllaios leur assurait un repaire et .l’impunité de leurs méfaits. [276] A son retour de Rome, Hérode apprit que ses possessions avaient subi beaucoup de dommages. Comme il ne pouvait se rendre maître des brigands à cause de la sécurité que leur avait donnée la protection des Arabes, et comme, d’autre part, il s’irritait de leurs crimes, il cerna la Trachonitide et massacra leurs         familles. [277] Ce traitement ne fit que les exaspérer davantage, d’autant qu’ils avaient pour foi de se venger à tout prix des meurtriers de leurs parents ; aussi ne cessaient-ils de dévaster et de piller impunément tout le territoire d’Hérode. Ce dernier s’entretint à ce sujet avec les officiers de l’empereur, Saturninus[74] et Volumnius[75], réclamant l’extradition des brigands en vue de les châtier. [278] Les forces et le nombre ce ceux-ci ne cessant de croître, ils bouleversèrent tant pour détruire le royaume d’Hérode, pillant villes et villages et massacrant les gens qu’ils capturaient, si bien que leur brigandage prenait les allures d’une guerre ; [279] en effet ils étaient déjà environ un millier. Hérode, poussé à bout, demanda l’extradition des brigands et le remboursement d’un prix de soixante talents fait à Oboulas par l’intermédiaire de Syllaios et dont l’échéance était arrivée. [280] Syllaios, qui avait mis Obodas à l’ombre et dirigeait tout par lui-même niait que les brigands fussent en Arabie et traînait en longueur pour la dette, le débat fut porté devant Saturninus et Volumnius qui commandaient en Syrie. [281] Finalement il fut décidé par eux qu’Hérode recevrait la somme dans les trente jours et que chacun des deux rois livrerait les nationaux de l’autre qu’il avait dans son royaume. Du côté d’Hérode on ne trouva absolument aucun Arabe qui fût retenu soit pour crime soit pour une autre raison, tandis que les Arabes furent convaincus d’abriter chez eux les brigands.

[282] 2. Comme l’échéance était passée, Syllaios, sans se conformer à aucune de ses obligations, partit pour Rome. Mais Hérode prit des sûretés pour l’argent et les brigands qui étaient chez lui. [283] Saturninus et Volumnius l’autorisant à poursuivre ses offenseurs, il s’avança avec son armée en Arabie, parcourant sept étapes en trois jours. Une fois parvenu au fortin qu’occupaient les brigands, il les prit tous dès le premier assaut et rasa la localité, nommée Rhaïpta ; il ne fit ailleurs aucun dommage. [284] Comme des Arabes conduits par Nakeb étaient venus à la rescousse, il y eut un combat où tombèrent, du côté d’Hérode, quelques hommes et de l’autre le chef des Arabes Nakeb avec vingt-cinq environ de ses gens, le reste fut mis en fuite. [285] Après avoir châtié les délinquants et établi en Trachonitide trois mille Iduméens, il dompta les brigands de cette région et écrivit à ce sujet aux chefs romains qui se trouvaient en Phénicie, déclarant qu’il n’avait rien fait de plus que le nécessaire pour mettre à la raison les malfaiteurs arabes. Après une enquête approfondie, ceux-ci reconnurent qu’il avait dit la vérité.

[286] 3. Cependant des messagers se rendirent en toute hâte à Rome annoncer à Syllaios ces événements, en exagérant naturellement chaque détail. [287] Celui-ci, qui s’était déjà fait connaître de l’empereur, se trouvait alors à la cour ; dés qu’il eut reçu ces nouvelles, changeant ses vêtements pour des habits de deuil, il se présenta à l’empereur et lui dit que la guerre avait dévasté l’Arabie, que tout le royaume était bouleversé, Hérode l’ayant ravagé avec son armée. [288] En pleurant il ajoutait que deux mille cinq cents des premiers d’entre les Arabes avaient péri, qu’ils avaient également perdu leur général Nakeb, son familier et son parent, que l’on avait pillé les trésors qui était à Rhaïpta, au mépris d’Obodas que sa faiblesse rendait incapable rie taire la guerre, puisque ni Syllaios ni l’armée arabe n’étaient sur place. [289] Syllaios parlait ainsi, ajoutant insidieusement qu’il ne serait pas parti de son pays s’il n’avait eu confiance en l’empereur pour veiller à ce que la paie régnât entre voisins dans tout l’univers, et, que, s’il avait été sur les lieux, Hérode n’aurait pas tiré profit de la guerre. L’empereur, irrité par ces paroles, ne posa aux amis d’Hérode présents et aux particuliers venus de Syrie que cette seule question : Hérode avait-il mené son armée en expédition ? [290] Comme ils étaient forcés de le reconnaître, et que l’empereur ne voulait entendre ni le motif ni les circonstances du fait, sa colère devint plus vive et, il écrivit à Hérode, entre autres duretés, ceci, qui faisait l’objet principal de sa lettre : qu’il l’avait, traité jadis en ami, mais que désormais il le traiterait en sujet. [291] Syllaios écrivit aussi à ce propos aux Arabes ; ceux-ci, encouragés, ne livrèrent pas les brigands qui avaient échappé et ne versèrent[76] pas l’argent ; ils usèrent en outre, sans en payer le fermage, des pâturages d’Hérode qu’ils occupaient comme fermiers, tant le roi des Juifs était abaissé par la colère de l’empereur. [292] Les habitants de la Trachonitide saisirent également cette occasion pour se révolter contre la garnison iduméenne et pour exercer le brigandage d’accord avec les Arabes qui pillaient les terres des Iduméens et les maltraitaient durement, non seulement par intérêt, mais encore par rancune.

[293] 4. Hérode endurait tout cela parce qu’il avait perdu le crédit dont il jouissait auprès de l’empereur et avait dépouillé presque tout son orgueil. L’empereur n’avait pas même admis qu’il lui envoyât une ambassade pour s’excuser et avait renvoyé ceux qui étaient venus sans leur laisser remplir leur mission. [294] Ces procédés remplissaient Hérode de découragement et de crainte, et il était très chagriné de voir Syllaios inspirer confiance et être présent à Rome avec de plus grandes perspectives devant lui. En effet, Obodas était mort et Énée, qui prit ensuite le nom d’Arétas, avait hérité du pouvoir en Arabie. [295] Syllaios tentait de l’écarter par des calomnies pour s’emparer lui-même du trône, distribuait beaucoup d’argent aux courtisans et en promettait beaucoup à l’empereur. Celui-ci était irrité contre Arétas qui régnait sans lui en avoir demandé la permission au préalable. [296] Mais Arétas aussi envoya une lettre à l’empereur et des présents, avec une couronne d’or valant beaucoup de talents. La lettre accusait Syllaios d’être un esclave malfaisant qui avait fait empoisonner Obodas et qui, du vivant même de ce prince, gouvernait déjà lui-même en corrompant les femmes des Arabes et empruntait pour usurper le pouvoir. [297] Mais l’empereur ne prêta aucune attention à ces accusations et renvoya le tout sans accepter aucun des présents. Les royaumes de Judée et d’Arabie se trouvaient donc progresser de jour en jour, le premier vers le désordre, le second vers une décadence que rien ne pouvait conjurer : [298] en effet, des deux rois, l’un, n’ayant pas encore un pouvoir certain, était incapable de châtier les séditieux ; l’autre, Hérode, était forcé de supporter toutes les injustices, puisque sa vengeance trop prompte avait irrité l’empereur contre lui. [299] Enfin, ne voyant aucun terme à ses maux, il décida d’envoyer une nouvelle ambassade à Rome pour voir s’il pourrait obtenir un accueil plus clément grâce à ses amis et en faisant parvenir ses plaintes à l’empereur lui-même.

 

— X —

1. Machinations d’Euryclès contre les fils d’Hérode. — 2-7. Enquêtes d’Hérode contre ses fils. — 8. Nicolas de Damas réconcilie Hérode avec l’empereur et perd Syllaios.

[300] 1[77]. En conséquence, Nicolas de Damas partit pour Rome. Cependant les affaires domestiques d’Hérode et ses rapports avec ses fils ne faisaient qu’empirer. Il était parfaitement clair, et depuis longtemps déjà, que les plus grands et les plus terribles maux menaçaient la royauté par le seul effet de la fortune, niais ils s’aggravèrent encore alors pour la raison que voici. [301] Euryclès de Lacédémone[78], homme notable dans son pays, mais d’une âme perverse, très enclin à la débauche et à la flatterie, tout en affectant de ne pratiquer ni l’une ni l’autre, vint à séjourner chez Hérode, lui fit des radeaux et en reçut de plus grands en échange ; grâce aux facilités que lui donnaient ses entretiens, il fit en sorte de devenir un des amis les plus intimes du roi. [302] Or, il recevait l’hospitalité d’Antipater, mais il rencontrait et fréquentait Alexandre, car il affichait un grand zèle pour Archélaüs de Cappadoce. [303] Aussi feignait-il d’honorer grandement Glaphyra et il s’évertuait à témoigner à tous son zèle, tant en épiant les bavardages et les actes afin de répondre à l’amitié par la calomnie. [304] Finalement, il eut la chance, d’être avec eux en des termes tels qu’il paraissait à chacun un ami qui ne fréquentait les autres que par intérêt, pour lui. Cet homme séduisit Alexandre qui était, jeune et se persuadait qu’il ne pouvait confier sans crainte qu’à lui ce qu’il avait souffert. [305] Alexandre lui révéla donc avec affliction comment son père s’était détaché de lui ; il raconta ce qui concernait sa mère et Antipater, qui les écartait des honneurs et exerçait, déjà tout le pouvoir ; il déclarait cette vie insupportable parce que son père était déjà tout près à les haïr et ne pouvait se résoudre à manger ou à converser avec eux. Tels étaient les propos qu’il tenait, comme de juste, au sujet de ses souffrances. [306] Or, Euryclès les rapportait à Antipater en lui disant : « Ce n’est pas dans mon intérêt que j’agis, mais, chargé d’honneurs par toi, je cède à la grandeur du péril et t’invite à te méfier d’Alexandre ; car ce n’est pas avec calme qu’il dit tout cela et ses paroles      mêmes respirent le meurtre ». [307] Antipater, persuade d’après cela de son amitié, lui donnait chaque fois des présents considérables et finit par le décider à rapporter ces propos à Hérode. [308] Euryclès avait les moyens de faire croire à l’hostilité d’Alexandre d’après les paroles qu’il disait avoir entendues et, à force de circonvenir le roi et de l’irriter par ses discours, il provoqua en lui une haine irréconciliable. L’occasion le fit, bien voir. [309] Hérode, en effet, donna aussitôt à Euryclès une récompense de cinquante talents ; lui, ainsi gratifié, repartit chez Archélaüs, roi de Cappadoce, où il loua Alexandre et prétendit l’avoir beaucoup servi en le réconciliant avec son père. [310] Il s’en alla, également enrichi par Archélaüs, avant que sa perversité ne fût dévoilée. Mais cet Euryclès, n’ayant cessé même à Lacédémone de faire le mal, fut exilé de sa patrie pour de multiples forfaits.

 [311] 2. Quant au roi des Juifs, il ne se contentait plus comme avant de prêter l’oreille aux calomnies contre Alexandre et. Aristobule, mais était déjà pris d’une haine si violente que, même si personne ne les attaquait, [312] il y forçait les gens, s’informant de tout, posant des questions et donnant à qui voulait la liberté de médire d’eux. Il apprit...[79] qu’Euaratos de Cos avait conspiré avec Alexandre, et en ressentit le plus vif plaisir.         

[313] 3. Mais il arriva aux jeunes princes un malheur encore pire, parce que la calomnie ne cessait de forger des armes contre eux et qu’il y avait, pour ainsi dire une émulation générale pour rapporter à leur sujet quelque méchant propos qui semblait importer au salut du roi. [314] Hérode avait deux gardes du corps[80], Jucundus et Tyrarrnus, très estimés du roi pour leur force et leur taille. Le roi, mécontent d’eux, les disgracia, depuis ils montaient à cheval avec Alexandre et sa suite, et leur réputation dans les exercices gymniques leur valut de l’or et d’autres présents. [315] Le roi s’empressa de les soupçonner et les fit mettre à la torture. Après avoir longtemps résisté, ils finirent par dire qu’Alexandre leur avait conseillé de tuer Hérode lorsqu’ils le rencontreraient dans une chasse aux fauves ; il serait facile de dire qu’il était tombé de cheval et s’était enferré sur sa propre lance, accident qui lui était déjà arrivé auparavant. [316] Ils révélèrent aussi que de l’or avait été enfoui dans l’écurie et ils convainquirent, le grand veneur de leur avoir donné des lances du roi et d’avoir fourni des armes aux serviteurs d’Alexandre sur l’ordre de celui-ci[81].

[317] 4. Après eux fut arrêté le gouverneur d’Alexandreion, que l’on mit à la torture. Il était accusé d’avoir promis de recevoir dans sa place les jeunes princes et de leur livrer les trésors royaux, gardés dans cette forteresse. [318] Personnellement il n’avoua rien    mais son fils survenant, déclara la chose véritable et remit une lettre écrite apparemment de la main d’Alexandre : « Après avoir accompli, écrivait-il, avec l’aide de Dieu, tout ce que nous avons projeté, nous viendrons vers vous ; faites alors en sotte, comme vous nous l’avez promis, de nous recevoir dans la forteresse. » [319] A la lecture de cet écrit, Hérode ne douta plus du complot de ses fils contre lui. Mais Alexandre assura que le scribe Diophante avait contrefait son écriture et que le billet était une forgerie d’Antipater.  De fait, Diophante semblait très habile en ce genre de faux et, plus tard, convaincu d’autres crimes, il fut mis à mort.

[320] 5. Le roi amena les dénonciateurs qu’il avait fait torturer en présence du peuple à Jéricho pour qu’ils accusassent ses fils, mais la foule les tua à coups de pierres. [321] Comme elle se disposait à tuer de même Alexandre et ceux qui l’entouraient, le roi l’empêcha en faisant calmer le peuple par Ptolémée et Phéroras. Les jeunes gens furent placés sous bonne garde, personne ne Ies approchait plus ; on épiait toits leurs actes et toutes leurs paroles ; ils étaient, dans la situation humiliante et dans l’angoisse dag véritables condamnés. [322] L’un d’eux, Aristobule, chercha, dans son désespoir, à persuader sa tante et belle-mère de compatir à ses malheurs et de haïr celui qui s’était laissé aller à pareille cruauté. « N’es-tu pas, dit-il, toi-même en danger de mort, foi qui as été accusée d’avoir dénoncé à Syllaios tout ce qui se passait, dans l’espoir de l’épouser ? » [323] Salomé s’empressa de rapporter immédiatement ces propos a son frère. Ce dernier, ne pouvant se maîtriser davantage, ordonna de les enchaîner, de les séparer l’un de l’autre et de leur faire confesser par écrit tous les crimes qu’ils avaient machinés contre leur père pour en faire rapport, à l’empereur. [324] Les princes, quand on leur donna cet ordre, écrivirent qu’ils n’avaient ni imaginé ni tramé aucun complot contre leur père et que, s’ils avaient songé, à la fuite, c’était par nécessité et parce qu’ils vivaient dans la suspicion et les persécutions.

[325] 6. Vers ce temps là arriva de Cappadoce un envoyé d’Archélaüs, un certain Mélas, qui était un prince de sa famille. Hérode, dans l’intention de lui démontrer l’hostilité d’Archélaüs à son égard, fit venir Alexandre, qui était dans les fers et l’interrogea à nouveau sur sa fuite, lui demandant où et comment ils comptaient trouver un refuge. [326] Alexandre répondit que c’était chez Archélaüs, qui avait promis de les envoyer de là à Rome, mais il déclara n’avoir rien projeté de coupable ou de fâcheux contre son père et que de tout ce que la méchanceté de ses ennemis avait forgé, il n’y avait rien de vrai ; [327] qu’il voudrait que Tyrannus et ses amis fussent encore vivants pour que l’enquête fût plus décisive, et que, s’ils étaient morts si vite, c’était parce qu’Antipater avait mêlé à la fouie ses propres amis.

[328] 7. Quand Alexandre eut ainsi parlé, Hérode ordonna de le mener avec Mêlas auprès de Glaphyra, fille d’Archélaüs, et de s’enquérir d’elle si elle savait quelque chose du complot tramé contre lui. [329] Dès leur arrivée, Glaphyra, voyant Alexandre chargé de chaînes, se frappa la tête et, l’âme bouleversée poussa de grands et lamentables gémissements. Le jeune homme pleurait également ; pour les assistants le spectacle était si pénible que pendant longtemps ils ne purent ni dire ni faire ce pour quoi ils étaient venus. [330] Enfin Ptolémée, à      qui avait été confiée la mission d’amener Alexandre, lui ordonna de dire si sa femme avait été complice de quelqu’un de ses actes. « Comment pourrait-elle, dit-il, n’avoir pas été ma confidente, elle qui m’était plus chère que la vie et qui avait des enfants en commun avec moi ? » [331] Elle s’écria à ces mots qu’elle n’était complice de rien de mal, mais que, s’il importait au salut de son mari qu’elle fît un mensonge même contre elle-même, elle convenait de tout. Et Alexandre : « Je n’ai moi-même imaginé et tu ne connais rien de criminel, comme m’en soupçonnent les gens qui devraient le moins le faire, mais seulement notre projet de nous retirer chez Archélaüs et d’aller de là à Rome ». [332] Comme elle en tombait, d’accord, Hérode, estimant qu’Archélaüs était, ainsi convaincu d’hostilité envers lui, confia à Olympos et à Volumnius[82] des lettres et leur ordonna de relâcher dans leur voyage à Eléoussa de Cilicie pour exposer ces faits à Archélaüs ; [333] puis, après lui avoir reproché n’avoir aidé ses fils dans leur conspiration, de s’embarquer de là pour Rome ; au cas où ils trouveraient que Nicolas avait apaisé l’empereur à soit égard, ils devaient lui remettre les lettres et les pièces à conviction réunies contre les jeunes gens[83] qu’il lui expédiait. [334] Archélaüs chercha à se justifier : il reconnut avoir promis un asile aux jeunes gens, mais c’était qu’il valait mieux pour leur père comme pour eux que rien de trop grave ne fût décidé dans la colère que lui causait la rébellion dont il les soupçonnait ; il ajoutait qu’il ne les aurait pas envoyés à l’empereur et n’avait fait aux jeunes princes aucune promesse témoignant de l’hostilité contre Hérode.

[335] 5. Lorsque les deux envoyés furent arrivés à Rome, ils eurent l’occasion de remettre les lettres à l’empereur, qu’ils trouvèrent réconcilié avec Hérode. Voici en effet comment s’était         accomplie la mission de Nicolas. [336] Lorsqu’il arriva à Rome et se    rendit à la cour, il décida non seulement de s’occuper de l’objet de son ambassade, mais encore, d’accuser Syllaios. Et avant même de se rencontrer, ils se firent déjà ouvertement la guerre. [337] Les Arabes, se détachant[84] de l’autre, s’adressèrent à Nicolas et lui dénoncèrent toutes ses injustices en         lui donnant, des preuves évidentes du meurtre de bien des gens d’Obodas ; car ils avaient, même des lettres de Syllaios dont ils s’étaient emparés en le quittant et qui l’accablaient. [338] Nicolas, saisissant la chance qui s’offrait ainsi à lui, l’exploita pour parvenir à ses fins de réconcilier l’empereur avec Hérode. En effet, il savait bien que, s’il voulait défendre le roi pour ses actes, il n’obtiendrait pas la liberté de s’exprimer, mais que, s’il voulait accuser Syllaios, il trouverait l’occasion de parler en faveur d’Hérode. [339] Comme la lutte était ainsi engagée et le jour de l’audience fixé, Nicolas, appuyé par les envoyés d’Arétas, accusa Syllaios de bien des crimes et notamment d’avoir causé la mort du roi et de beaucoup d’Arabes, [340] d’avoir emprunté de l’argent dans de mauvaises intentions ; il le convainquait même d’avoir débauché des femmes, non seulement en Arabie, mais encore à Rome et, ajoutait-il, chose plus grave encore, d’avoir trompa l’empereur en lui mentant au sujet des actes d’Hérode. [341] Lorsqu’il en arriva à ce point, l’empereur l’arrêta en lui demandant de se borner à répondre, au sujet d’Hérode, si celui-ci avait ou non conduit une armée contre l’Arabie, tué deux mille cinq cents indigènes et ravagé le pays en emmenant des prisonniers ; [342] à quoi Nicolas répondit qu’il était en mesure de prouver que rien ou presque rien de tout cela ne s’était passé comme l’empereur l’avait entendu dire, ni de telle sorte qu’il pût en être justement irrité. [343] L’étonnement produit par cette déclaration fit que l’empereur lui prêta l’oreille. Nicolas parla alors de l’emprunt de cinq cents talents, du contrat stipulant qu’il était permis au roi, une fois l’échéance passée, de prendre des gages dans tout le royaume ; il dit que l’expédition n’était pas une offensive, mais la juste revendication d’une créance. [344] Bien plus, Hérode ne l’avait pas entreprise précipitamment ni de la façon que le contrat autorisait, mais il était allé souvent consulter Saturninus et Volumnius, les légats de Syrie, et qu’enfin à Béryte, en leur présence, Syllaios lui avait juré par la fortune de l’empereur que, dans un délai de trente jours, il verserait la somme et livrerait les fugitifs du territoire d’Hérode ; [345] comme Syllaios n’en avait rien fait, Hérode était retourné auprès de ces magistrats, et c’était seulement après avoir reçu d’eux la permission de se nantir de gages qu’il s’était décidé à grand peine à se mettre en campagne avec les siens. Voilà comment s’était passée « la guerre », comme ils l’appelaient tragiquement, ou l’expédition. [346] « Et d’ailleurs, comment y aurait-il pu y avoir une guerre, puisque les magistrats avaient donné la permission d’agir, que le contrat l’autorisait, que ton nom, comme celui des autres dieux, ô César, était outragé ? [347] Arrivons maintenant à la question des prisonniers : des brigands habitaient la Trachonitide, d’abord quarante, ensuite davantage ; fuyant le châtiment que leur réservait Hérode, ils avaient fait de l’Arabie leur repaire. Syllaios les accueillit et les nourrit pour faire du mal à tous les hommes, leur donna une contrée à habiter, participa lui-même aux profits de leurs brigandages. [348] Or, il avait promis par serment de les rendre le jour même de l’échéance du prêt, et à cette heure personne ne pourrait établir qu’aucun de ces brigands eût été emmené du pays des Arabes ; encore ne le furent-ils pas tous, mais ceux-là seuls qui ne surent pas se cacher. [349] Donc l’affaire des prisonniers de guerre apparaissant comme une infâme calomnie. Apprends maintenant, César, la plus odieuse invention et le plus grand mensonge digne d’exciter ta colère. [350] J’affirme que c’est après que l’armée arabe nous eut attaqués, après qu’un ou deux des gens d’Hérode furent tombés, qu’alors seulement Hérode se décida à se défendre et le général des Arabes Nakeb vint à être tué avec vingt-cinq hommes en tout ; ce sont ces morts que Syllaios a multipliés par cent pour en faire deux mille cinq cents. »

[351] 9. Ce plaidoyer frappa vivement l’empereur et, se tournant plein de colère vers Syllaios, il lui demanda combien d’Arabes étaient tombés. L’autre hésite, déclare qu’il a pu se tromper ; alors on fit les conventions de l’emprunt, et les lettres des légats, ainsi que les plaintes des villes concernant les brigandages. [352] Finalement l’empereur fut si bien retourné qu’il condamna à mort Syllaios, se réconcilia avec Hérode, à qui il regrettait d’avoir écrit trop durement sous l’influence de la calomnie, et déclara à Syllaios qu’il l’avait amené par ses mensonges à méconnaître un ami fidèle. [353] En définitive Syllaios fut, renvoyé des fins du procès et condamné à rembourser en attendant de subir le supplice[85]. D’autre part l’empereur était mal disposé pour Arétas, parce qu’au lieu de recevoir le pouvoir de César il s’en était emparé lui-même. Il avait donc décidé de donner aussi à Hérode l’Arabie, mais il en fut empêché par les lettres que lui envoya celui-ci. [354] En effet, Olympos et Volumnius, apprenant les bonnes dispositions de l’empereur, avaient, décidé aussitôt, conformément aux ordres d’Hérode, de lui remettre la lettre et les pièces à conviction concernant les princes. [355] L’empereur, les ayant lues, ne jugea pas raisonnable de donner encore un autre pays à gouverner à ce vieillard qui avait de telles querelles avec ses fils ; il reçut donc les envoyés d’Arétas et, après s’être borné à reprocher à ce prince sa précipitation à s’emparer de la royauté sans attendre de la tenir de lui, il accepta ses présents et le confirma dans son pouvoir.

 

— XI —

1-3. Sur le conseil de l’empereur, Hérode réunit à Béryte un conseil pour juger ses fils. — 4-6. Tentative infructueuse de Tiron et des chefs de l’armée. — 7. Supplice des jeunes gens. — 8. Réflexions sur leurs fautes et sur celles d’Hérode[86].

[356] 1. Réconcilié avec Hérode, l’empereur lui écrivit qu’il s’affligeait au sujet de ses fils : s’ils avaient osé commettre une impiété, il convenait de les châtier comme parricides, et il lui en laissait la liberté ; mais s’ils n’avaient pensé qu’à s’enfuir, il l’allait simplement les admonester sans rien faire d’irrémédiable. [357] Il lui recommandait de désigner lui-même et de réunir à cet effet un conseil à Béryte, colonie romaine, en s’adjoignant les légats impériaux, le roi de Cappadoce Archélaüs et tous autres qu’il jugeait éminents par leur amitié et leur rang et de décider suivant leur avis ce qu’il conviendrait de faire. [358] Telles furent les instructions de l’empereur. Hérode, quand la lettre lui fut remise, se réjouit fort de sa rentrée en grâce et aussi de la liberté complète qu’on lui donnait de décider au sujet de ses fils. [359] Tandis que dans l’infortune il avait été dur, mais n’avait montré ni témérité ni précipitation pour perdre ses fils, alors, devant cette amélioration de ses affaires et cette liberté conquise, il se félicita d’avoir toute licence dans sa haine. [360] Il manda donc tous ceux qu’il lui parut bon de convoquer en conseil, à l’exception d’Archélaüs, dont il ne voulut pas l’assistance, soit par inimitié, soit parce qu’il craignait de trouver en lui un obstacle à ses volontés.

[361] 2. Une fois que les légats furent arrivés à Béryte avec tous les autres qu’il avait fait venir des villes, il fit conduire ses fils — qu’il ne jugeait pas bon d’amener devant le conseil — dans un bourg du territoire de Sidon nommé Platané[87], à proximité de la ville, de manière à pouvoir les faire comparaître si on les convoquait. [362] S’avançant alors tout seul au milieu des cent cinquante personnages         qui siégeaient, il porta contre eux une accusation non pas douloureuse comme le comportait la nécessité où il se trouvait, mais bien différente de celle d’un père contre ses enfants. Car il prenait, un ton violent, [363] se troublait dans la démonstration de la culpabilité et donnait les plus grands signes de colère et de férocité ; il ne laissait pas aux juges le soin d’examiner les preuves, mais leur présentait un réquisitoire indécent, pour un père plaidant contre ses enfants ; il lisait leurs lettres où n’était contenu aucun projet de complot, aucune pensée criminelle, mais où s’exprimaient seulement, leur désir de fuite et quelques reproches injurieux pour le roi à cause de la malveillance qu’il leur témoignait. Lorsqu’il en arriva là, [364] il cria encore plus fort et grossit la chose à l’excès jusqu’à y voir un aveu de leur complot, jurant qu’il eût préféré être privé de la vie à entendre de pareilles choses. [365] Finalement, il dit que la nature et la générosité de l’empereur lui avaient donné la liberté de décider ; il ajouta que la loi de ses ancêtres ordonnait que si des parents, après avoir accusé leurs enfants, leur imposaient les mains sur la tête, les assistants étaient obligés de lapider les condamnés jusqu’à ce que mort s’ensuivit(2). [366] Bien qu’il eut été disposé      à procéder ainsi dans sa patrie et son royaume, il attendait pourtant leur verdict ; ils étaient cependant là, non pas tant pour juger des actes évidents de ses enfants que pour avoir l’occasion de partager soir indignation, car personne, si étranger fût-il, ne pouvait regarder avec indifférence un tel complot.

[367] 3. Lorsque le roi eut ainsi parlé, sans même permettre, aux jeunes gens de présenter leur défense, les membres du conseil, s’étant mis d’accord que l’affaire ne comportait ni transaction ni réconciliation, lui confirmèrent sa liberté de décision. [368] Saturninus, personnage consulaire et d’un rang élevé, donna le premier un avis très modéré[88] vu les circonstances : il déclara qu’il condamnait les fils d’Hérode, mais ne croyait pas juste de les mettre à mort, car il avait lui-même des enfants et cette peine était trop grave, même si Hérode avait tout souffert de leur part. [369] Après lui, les fils de Saturninus, qui le suivaient tous trois comme légats[89], opinèrent de même. Volumnius au contraire dit qu’il fallait punir de mort des hommes qui avaient outragé leur père de façon si impie. Ensuite la majorité des autres juges opina dans le même sens, de telle sorte qu’il parut manifeste que les jeunes gens étaient condamnés à la peine capitale.

[370] Hérode, s’en alla aussitôt en les emmenant à Tyr et comme Nicolas était revenu de Rome auprès de lui, il lui exposa ce qui s’était passé à Béryte et l’interrogea sur ce que pensaient au sujet de ses fils ses amis de Rome. [371] Nicolas répondit : « Leurs desseins contre toi paraissent impies ; il faut cependant te contenter de les emprisonner et les garder dans les fers. [372] Si tu juges plus tard nécessaire de les châtier plus sévèrement, tu ne paraîtras pas suivre ta colère plutôt que la raison ; si au contraire tu veux les délivrer, tu n’auras pas rendu ton malheur irrémédiable. Voilà l’avis de la plupart de tes amis de Rome. » Hérode se tut, se plongea dans une profonde rêverie, puis l’invita à s’embarquer avec lui[90].

[373] 4. Lorsqu’il fut arrivé à Césarée, on ne parla aussitôt que des fils du roi et tout le royaume était en suspens, se demandant comment tournerait l’affaire. [374] En effet, tout le monde était saisi d’une grande crainte, que cette décision prolongée ne les menât à leur fin. On plaignait leurs malheurs, mais on n’osait pas sans danger prononcer ou même écourter une parole téméraire : la pitié se contenait et supportait cette infortune excessive avec affliction, mais pourtant en silence. [375] Un vieux soldat, nommé Tiron, qui avait un fils lié avec Alexandre et du même âge, exprima librement tout ce que les autres renfermaient au fond du coeur ; [376] il ne pouvait s’empêcher de crier souvent dans les foules, proclamant ouvertement que la vérité était inconnue, la justice bannie de l’humanité, que les mensonges et la perversité triomphaient et qu’an nuage si obscur enveloppait la situation que même les plus grands des malheurs humains ne frappaient plus les yeux des égarés. [377] Cette attitude et ce langage semblaient le mettre en péril, mais la justesse de ses paroles émouvait tout le monde et l’on trouvait qu’il se conduisait en homme dans la circonstance. [378] C’est pourquoi tous écoutaient volontiers Tiron dire ce qu’ils eussent voulu dire eux-mêmes et, tout en pourvoyant à leur propre sécurité par le silence, ils n’en approuvaient pas moins sa liberté de langage, le malheur que l’on prévoyait forçant tout le monde à parler en sa faveur.

[379] Tiron forçant son chemin jusqu’auprès du roi, lui demanda très hardiment un entretien seul à seul. Quand on le lui eut accordé : « Roi, dit-il, je ne puis supporter plus longtemps pareille peine ; je préfère à ma propre sécurité cette audacieuse liberté de langage, nécessaire et avantageuse pour toi, pourvu que, tu saches en profiter. [380] Ta raison est-elle égarée et exilée de ton âme ? Où est la fameuse sagesse grâce à laquelle tu as réussi tant d’entreprises importantes ? [381] N’as-tu plus ni amis ni proches ? Car je ne considère, même présents, ni comme des parents ni comme des amis ceux qui laissent s’accomplir une telle abomination dans un royaume jadis heureux. [382] Mais toi-même ne vois-tu pas ce qui se passe ? Une épouse de sang royal t’a donné deux jeunes gens éminents par toutes les vertus, et tu vas les tuer et confier ta vieillesse à un seul fils qui a si mal justifié l’espoir qu’on mettrait en lui et à des proches que tu as toi-même tant de fois condamnés à mort. [383] Ne comprends-tu pas que tes peuples en silence voient pourtant ton erreur et détestent cette horreur, que toute l’armée et ses chefs sont pleins de pitié pour les infortunés et de haine contre les auteurs de ces maux ? » [384] Le roi écoutait avec quelque attention au début, mais il fut bouleversé, est-il besoin de le dire ? lorsque Tiron aborda franchement la tragédie et le mit en défiances à l’égard de ses familiers. [385] L’autre s’emportait peu à peu avec sa liberté excessive de soldat, car son inexpérience le faisait trébucher ; aussi Hérode perdit-il tout sang-froid, [386] et se croyant insulté plutôt qu’averti dans son intérêt, lorsqu’il eut appris les dispositions des soldats et l’irritation de leurs chefs, il ordonna que tous ceux dont les noms avaient été prononcés et Tiron lui-même fussent enchaînés et gardés en prison.

[387] 6. Peu après, un certain Tryphon, barbier du roi, saisit l’occasion de se présenter et dit que souvent Tiron lui avait conseillé de trancher la gorge au roi avec son rasoir quand il lui donnerait ses soins, car il obtiendrait ainsi un des premiers rangs auprès d’Alexandre et recevrait une récompense importante. [388] Sur ce propos, le roi ordonna de l’arrêter et fit mettre à la torture Tiron, son fils et le barbier. [389] Comme Tiron tenait bon, le jeune homme, voyant son père déjà fort maltraité et sans aucun espoir de salut, devinant d’ailleurs d’après les souffrances du patient ce qui l’attendait lui-même, dit qu’il révélerait au roi la vérité si à ce prix on faisait grâce de la torture et des tourments à son pure et à lui. [390] Le roi lui en ayant donné sa foi, il déclara qu’on avait convenu que Tiron tuerait le roi de sa propre main, car il était facile pour lui de l’assaillir dans un tête à tête, et si, après, il subissait un sort semblable, il s’en ferait gloire puisqu’il aurait ainsi servi Alexandre. [391] Par ce discours il délivra son père de la torture, soit que la contrainte lui eût arraché la vérité, soit qu’il eût imaginé cette échappatoire à ses maux et à ceux de son père.

[392] 7. Si Hérode avait eu auparavant quelque hésitation à tuer ses enfants, il ne restait plus maintenant aucune place au doute dans son âme ; rejetant tout ce qui pouvait ramener ses sentiments à plus de raison, il ne pensa plus qu’à exécuter au plus vite sa décision. [393] Après avoir amené devant l’assemblée du peuple trois cents officiers inculpés, Tiron, ses fils et le barbier qui les avait convaincus, il les accusa tous. [394] Le peuple les massacra en leur jetant tout ce qui se présentait sous sa main. Alexandre et Aristobule, conduits à Sébaste, furent étranglés sur l’ordre de leur père[91]. Leurs corps furent portés de nuit à l’Alexandreion où étaient ensevelis leur grand-père maternel et la plupart de leurs aïeux[92].

[395] 8. Peut-être semblera-t-il naturel à quelques lecteurs qu’une haine invétérée se soit exaspérée à ce point et ait, fini par vaincre la nature. Mais on se demandera sans doute si l’on doit en rejeter la faute sur les jeunes gens qui auraient fourni à leur père un motif de colère et dont l’hostilité l’aurait avec le temps rendu implacable, ou bien sur le père lui-même, insensible et excessif dans son appétit de pouvoir et de gloire, [396] au point de ne rien épargner pour que ses volontés fussent souveraines, ou enfin sur la fortune dont la puissance l’emporte sur tout raisonnement sage, [397] ce qui nous persuade que les actions humaines sont soumises d’avance par elle à la nécessité de se produire en tout cas et nous la fait appeler fatalité, parce qu’il n’existe rien qui n’arrive par elle. [398] Cette dernière hypothèse doit, je pense, être écartée dans le cas d’Hérode[93], si nous nous accordons à nous-mêmes quelque spontanéité et ne soustrayons pas à toute responsabilité la corruption de notre humeur, question qui déjà avant nous a été discutée par notre loi. [399] Passons aux deux autres explications. Du côté des enfants on pourrait incriminer leur présomption juvénile et leur arrogance princière, leur complaisance à écouter les insinuations contre leur père, leurs enquêtes malveillantes sur les actes de sa vie, leur méfiance acerbe et leur intempérance de langage, qui, toutes deux, en faisaient une proie facile pour ceux qui les épiaient, et les dénonçaient, afin de se mettre en faveur. [400] Quant au père, assurément, il ne semble mériter aucune indulgence, en raison du crime impie qu’il a commis contre eux, lui qui, sans preuve décisive du complot, sans pouvoir les convaincre d’avoir préparé une entreprise contre lui, a osé tuer ceux qu’il avait engendrés, deux princes bien faits, admirés de tous les étrangers, comblés de talents, également habiles à la chasse, aux exercices militaires, à parler à propos. Ils possédaient toutes les qualités, surtout l’aîné, Alexandre. [401] Il aurait suffi au roi, même s’il les avait condamné, de les garder dans les fers ou de les exiler loin de son royaume ; en effet, entouré de la puissance des Romains, il jouissait de la plus grande sécurité, n’avait à craindre ni violence, ni surprise. [402] Ce meurtre précipité et commis uniquement pour assouvir la passion qui le dominait, est le témoignage d’une inqualifiable impiété, et c’est au moment où il était arrivé à la vieillesse qu’il put faillir ainsi ! [403] Même ses délais et ses atermoiements ne peuvent lui valoir quelque excuse ; qu’un homme qui a été épouvanté et bouleversé se porte instantanément, à quelque excès, c’est chose grave, mais humaine : qu’au contraire, après réflexion et après avoir passé souvent de la fureur à l’hésitation, il finisse par céder et agir, c’est le fait d’une âme meurtrière et impossible à détourner du mal. [404] C’est ce que confirma aussi la suite des événements, car Hérode n’épargna pas même ceux des survivants qu’il se croyait les plus attachés ; si la justice de leur sort les faisait moins plaindre, la cruauté était toujours celle qui n’avait pas même épargné ses fils. Mais ceci paraîtra plus clairement dans la suite du récit.


 

[1] Ce chapitre n’est pas parallèle dans Guerre, qui ignore le premier voyage d’Hérode à Rome. Pour les § 8-11, cf. Guerre, I, 445-7, plus défavorables aux fils d’Hérode (T. R.).

[2] La législation mosaïque fixait la peine au quintuple pour le vol de gros bétail, et au quadruple pour le petit bétail (Exode, 21, 37). Les peines avaient-elles été unifiées avant Hérode, ou Josèphe simplifie-t-il à l’excès son exposé ?

[3] Voir Antiq., XV, 62-87 et 213-236 ; Guerre, I, 438 sqq.

[4] Aucune trace des faits racontés dans ce chapitre ne se trouve dans la Guerre. La source est sûrement l’Histoire de Nicolas de Damas.

[5] En l’an 14 av. J.-C.

[6] À 60 stades à l’est de Jérusalem.

[7] Le royaume du Bosphore cimmérien (sud-est de la Crimée).

[8] Au débouché nord du Bosphore de Thrace. Elles marquaient pour les anciens les limites des eaux européennes dans cette direction.

[9] Par « Pont » il faut ici entendre le Bosphore cimmérien où Agrippa installa comme roi Polémon Ier, roi de la Cappadoce pontique. De Panticapée il regagna Sinope pour prendre la route de la terre.

[10] ἢ δεξιώσεως W δεξιώσεως M ἠπίξεως P ἐπείξεως Niese. Texte douteux.

[11] Voir les textes cités Antiq., XV, 200-264.

[12] Nicolas de Damas, le célèbre historien auquel Josèphe a tant emprunté (T. R.).

[13] Nous lisons avec Herwerden ἕν τι (ἔτι. mss.).

[14] σωζούσῃ (codd.) salutari (vers. lat.) συνήθη P συνηθεῖ Niese.

[15] Texte altéré τί δὴ κωλύει καὶ τὰς ἡμετέρας (ὑμετέρας Hudson) χάριτας τῶν εἰς τοσοῦτον (τοῦτον Niese) εὐεργεσίων ἀριθμὸν εἶναι ;

[16] Voir Antiq., XIV, 127-139, c’est la « guerre d’Alexandrie ».

[17] De Palestine.

[18] Lire τοῦτο γοῦν (Naber) ἀδικοῖεν au lieu de πάντα νῶν ἀδκ.

[19] Les mots ἀπὸ Λέσβου, qui manquent dans P, paraissent interpolés.

[20] III, sections 1 et 2 — Guerre, I, 447.

[21] ἐπειδὴ κἀκείνην καὶ σφᾶς αὐτοὺς κακῶς ἔλεγον, texte douteux

[22] Section 3 — Guerre, I, 448-451.

[23] Le récit de Guerre, § 451, va jusqu’à préciser qu’il fut officiellement déclaré héritier du trône (T. R.).

[24] La juive Doris (Guerre, I, 241). Il est singulier que le texte des Antiquités ne la nomme pas (T. R.).

[25] Sections 1-4 = Guerre, I, 452-454.

[26] δυσθμίας Cocceius, δυσφημίας codd.

[27] D’après Guerre, § 452, Hérode n’amène en Italie que l’un des deux princes, Alexandre (T. R.).

[28] οὐδ' εἴ τι μὴ λελάτητο Niese (οὐδ' ὅτι λελάλητο Codd).

[29] εὐκαβείᾳ Dindorf : εὐσεβείᾳ Codd.

[30] On remarquera dans ce discours l’absence de toute attaque contre Antipater, alors que le résumé de Guerre (§ 453) y fait allusion.

[31] Section 5 = Guerre, I, 455-466, où le discours d’Hérode est plus développé.

[32] Chef-lieu de Trachonitide, au nord-ouest du Haouran.

[33] Dans Guerre, § 456, Archélaüs, par ses lettres à Rome, avait contribué à l’accommodement. Il accompagna Hérode jusqu’à Zéphyron et lui fit des présents s’élevant à 30 talents.

[34] Il semble être question ici d’un ordre de succession, tandis que Guerre § 458 indique un partage entre les trois princes.

[35] Nous lisons avec Niese μεμετεώριστο (νενωτέριστο Codd).

[36] = Guerre, I, 415

[37] 10 av. J.-C.

[38] Livie.

[39] Guerre, I, 417-418.

[40] Entre Césarée et Jérusalem, près d’Apollonia.

[41] Guerre, I, 422-428, où l’énumération des villes gratifiées est plus complète.

[42] Antiq., XVIII, 32.

[43] Consul en 8 av. J.-C., proconsul d’Asie en 2 ap. J.-C. Horace lui avait dédié la 8e Ode du livre III.

[44] Il s’agit du temple consacré à Ancyre par les délégués des Civitates Asiae, Romae et Augusto.

[45] Consul en 38 av. J.-C., triompha de l’Espagne en 34, plus tard proconsul d’Asie. C’est en cette qualité qu’il a reçu ce rescrit.

[46] χρήματα de la plupart des mss. et non γράμματα (P)

[47] La Cyrénaïque unie à la Crète dépendait d’Agrippa, chargé spécialement des affaires d’Orient. Le préteur Flavius désigné comme « gouverneur de Libye » est évidemment le propréteur Cretae et Cyrenaicae.

[48] Cette lettre, qui se rattache étroitement au document du § 166 et n'est précédée d'aucune introduction, doit avoir été changée de place (T. R.).

[49] Fils de Marc-Antoine, consul en 10 av. J.-C., mort en 2 av. J.-C. Horace lui dédia le deuxième Ode du livre IV.

[50] Lacune de quelques mots.

[51] Texte altéré, nous traduisons au jugé (T. R.).

[52] ἔτι τάχιον, mots altérés ou déplacés.

[53] Voir Antiq., VII, 393 ; XIII, 249 ; Guerre, I, 61.

[54] Trois mots incompréhensibles, lacune probable.

[55] Section 2-3 — Guerre, I, 467-484, tableau plus détaillé.

[56] VII, 3 à 5 = Guerre, I, 483-484.

[57] Salampsio, fille de la première Mariamne.

[58] κἀν τῷ προσώπῳ δυστθχεῖν ᾤετο, texte douteux.

[59] VII, 6 = Guerre, I, 487 (très succinct).

[60] μετέπεσεν AM μὴ πείσας I.W. Niese μετέπεισεν ed. princ.

[61] VIII, 1 = Guerre, I, 488-491.

[62] Le texte est corrompu.

[63] κωλύειν, ἁμαρτάνουντας, dans la plupart des mss., ἁμαρτάνοντα P.

[64] παρρησίας corrompu.

[65] κατὰ τῶν εὐδοκιμούντων Cocceius : τούτων εὐδοκιμούντων Codd.

[66] βασανιζομένῳ τῷ λόγῳ Codd. βασανιζομένου τοῦ λόγου Coccieus, texte corrompu.

[67] VIII, 5 = Guerre, I, 498.

[68] VIII, 6 = Guerre, I, 499-512, récit plus détaillé et plus vivant.

[69] D’après Guerre, § 510, c’est Alexandre qu’on décida d’envoler à Rome pour parler au César. Le voyage d’Hérode a été mis en doute par Kovach.

[70] M. Titeius, ancien questeur d’Antoine, consul suffectus en 31, passé au parti d’Auguste avant Actium, gouverneur de Syrie.

[71] Antiq., XVI, 103 (20 av. J.-C.). L’histoire de la guerre d’Hérode contre les Arabes et du procès qui s’ensuivit devant Auguste était raconté en détail dans l’ouvrage de Nicolas de Damas (F. H. G., III, 351).

[72] Josèphe, comme Strabon, écrit Τράχων ; mais il n’y avait pas de ville de ce nom. C’est le canton situé à mi-distance de Damas et de Bostra.

[73] Ceci semble faire allusion au deuxième voyage à Rome, 12 av. J.-C. (§ 87 et suiv.) ; mais alors pourquoi le récit de la guerre arabe ne vient-il qu’ici ?

[74] L. Volusius Saturninus, consul suffectus en 12 av. J.-C., gouverneur d'Afrique, puis de Syrie, mort en 20 ap. J.-C.

[75] Si c'est un procurateur, il est inconnu par ailleurs et différent du Volumnius du § 332, en qui Rohden-Dessau (Prosop. Imp. Rom.) voient un chef des troupes d'Hérode. Mais l'identité de ces deux personnages est plus probable ; il s'agit sans doute d'un tribun militaire (στρατοπεδάρχης, Guerre, I, 535), particulièrement lié avec Hérode. On comprend fort bien qu'ayant porté à Rome les plaintes d'Hérode contre ses fils, il prenne l'initiative, au conseil de Béryte, de proposer leur mort (cf. § 369).

[76] διευλύτοθν, mot inconnu. διέλυον ? διελύτρουν ? (forme inconnue).

[77] Sections 1-2 = Guerre, I, 513-526, 530-1. Sections 3-4 = Guerre, 527-9.

[78] C. Julius Euryclès, crée citoyen romain par Auguste et très influent à Sparte.

[79] Lacune probable de quelques mots.

[80] Hipparques, d’après Guerre, 527.

[81] Rien dans Guerre sur ces aveux.

[82] Tribun (στρατοπεδάρχης) d'après Guerre, 535 ; cf. plus haut § 277.

[83] κατεσκευασμένους WE ; κατεσκευασμένως Niese.

[84] ὑπονοήσαντε (ὑπονοστήσαντες, ὑποτοπήσαντες) ἐξ αὐτοῦ texte corrompu. Peut-être ἀποστάντες (T. R.).

[85] En fait Syllaios ne fut pas exécuté alors : nous le retrouverons à Rome en conflit avec Antipater, XVII, 54 suiv. Il finit par être condamné et décapité pour une trahison commise lors de l’expédition de Gallus en Arabie (Strabon, XIV, 4, 24, p. 782 ; Nicolas de Damas fr. 5 = F. H. G., III, 351).

[86] Guerre, I, 538-551.

[87] Παλαεστῷ codd. = Πλατάνῃ W, AM (in marg.) Guerre, I, 589.

[88] αἰδημονεστάτην codd., ἀηδεστάτῃ P.

[89] Sur les légats légionnaires, cf. la note sur Guerre, I, 541.

[90] Récit conforme dans l'autobiographie de Nicolas fr. 5, § 7 (F. H. G., III, 352).

[91] Hiver 7-6 av. J.-C.

[92] De nuit, d’après Nicolas de Damas, fr. 5, 8, Müller.

[93] τοῦτον μὲν οὖν τὸν λόγον ὡς νομίζω (Terry : μείζω codd.) πρὸς ἐκεῖνον ἀρκέσει κινεῖν (κρίνειν Τerry), texte très douteux.