Poèmes attribués à Virgile : traduction nouvelle de Maurice RAT, GARNIER, 1935 |
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PRIAPÉES (PRIAPEIA)
NOTICE SUR LES PRIAPÉES
On trouvera ici réunies les Priapées attribuées à Virgile, quatre poèmes en tout et le vers unique qui nous reste d'un cinquième poème disparu. Ces cinq morceaux ont une triple origine, qui est marquée dans notre texte par les divisions A, B, C. Les trois premiers, A1, A2, A3, font partie, avec les
Épigrammes publiées plus haut, du recueil traditionnellement appelé
Catalepton. Le quatrième, B, qui est d'ailleurs d'un caractère et d'un ton tout différents, provient de quatre manuscrits dont les deux meilleurs sont le
Monacensis 18059 du XIIe siècle, ont le poème porte la suscription : Priapeia Maronis
incepit, et surtout le Cujacius du XIVe fragment d'un manuscrit de Tibulle, qui seul a gardé le vers 28 du poème. Quant au fragment C, c'est un vers qui ne se lit aujourd'hui dans aucune des
priapées connues mais que le grammairien Diomède cite comme un exemple du vers priapéen employé par Virgile, dans ses badinages de jeunesse
(a).
Il est probable qu'il a existé sous le nom de Virgile un recueil de Priapées assez important
(b), dont subsistent seulement aujourd'hui ces cinq morceaux, et que c'est à ce recueil beaucoup plus riche que faisaient allusion et Donat
(c) et Servius (d), lorsqu'ils mentionnaient cette oeuvre de Virgile. Les scrupules d'un copiste vérécondieux et pudibond
(e) ont sans doute réduit le recueil primitif aux trois pièces
A1, A2, A3, les seules sans doute qui ne choquassent pas les bienséances, et auxquelles s'ajoutaient probablement la pièce B et bien d'autres encore dont le vers cité par Diomède est le seul débris qui en reste.
L'authenticité de ces Reliquiae a été contestée : celle des trois premières pour des raisons linguistiques ou littéraires assez spécieuses, celle de la quatrième et du fragment cité par Diomède pour des raisons morales qui nous semblent plus fragiles encore.
La première (A1) est une petite pièce de deux distiques dactyliques, où le dieu Priape s'adressant au passant lui fait part des honneurs dont on le couvre et des craintes
qu'il éprouve pour la saison d'hiver. Cali (f), sous prétexte d'une certaine analogie entre le dernier vers de cette priapée et une épigramme de
Martial (VII, 40, 6), décide que la pièce est de la fin du Ier siècle. M. Galletier
(g) prend argument de la construction de frequentor, qui avec l'ablatif apparaît pour la première fois chez Suétone, pour rejeter la pièce à la même époque. Il trouve par ailleurs le quatrain
"sec et sans couleur, et d'une forme un peu rude". On peut objecter à Cali que l'analogie avec Martial ne prouve rien, et à M. Galletier que la construction de
frequentari avec l'ablatif, encore qu'il n'en soit pas d'exemple avant Suétone, est si commune avec des verbes du même sens qu'elle a pu très bien être employée par Virgile. Enfin bien loin de trouver ce quatrain sec, sans couleur, assez rude, j'estime avec Birt
(h) qu'il est au contraire des plus virgiliens par sa brièveté élégante et gracieusement ornée, qui en fait un modèle du genre.
La seconde (A2) est une pièce de vingt et un sénaires ïambiques, où Priape parle avec complaisance de
lui-même, des troupeaux qu'il protège et du domaine qu'il garde avec une redoutable vigilance. Elle a été insérée à tort par Scaliger dans les oeuvres de Catulle, où elle figurait après la pièce 17. Mais dès 1664, Voss condamnait une attribution contraire aux manuscrits, et elle est aujourd'hui communément rejetée du recueil de Catulle pour être remise parmi les Priapées de Virgile. On a contesté qu'elle fût de Virgile pour des raisons métriques
; mais Birt (i) a réfuté victorieusement à ce sujet l'argumentation de Cali
(j) et de Lachmann (k), et il n'y a aucune raison sérieuse, quoi que M. Galletier en puisse dire
(l), qui empêche de croire que cette jolie pièce
"toute pénétrée de virgilianisme" soit du futur auteur des Bucoliques, qui en a repris quelques vers dans ses églogues.
La troisième (A3) est une pièce de vingt et un vers en mètres priapéens, où Priape fait les honneurs du domaine qu'il garde, énumère les offrandes qu'il a reçues et donne aux enfants maraudeurs le conseil d'aller chez le voisin. Insérée à tort par Scaliger dans les oeuvres de Catulle à la suite de la priapée A2, elle en a été rejetée pour les mêmes raisons que la précédente. Plus jolie encore que celle-ci, elle a été attribuée, à bon droit, semble-t-il, à Virgile, par la plupart des éditeurs et des critiques récents : Vollmer, Birt, Gubernatis et Norman W. de Witt, et ceux-là même, qui pour des raisons bien peu convaincantes, tels que Müller, Bährens, M. Plessis et M. Galletier, lui refusent l'authenticité, ne peuvent s'empêcher de lui trouver une élégance et une fraîcheur indéniables.
La quatrième (B) est une pièce de 45 trimètres iambiques où le poète qu'une impuissance subite a privé la nuit précédente des jouissances de l'amour, vitupère brutalement et obscènement Priape. A raison même de cette obscénité, elle a été retranchée de l'oeuvre de Virgile. Ce que nous savons des goûts du poète ne
s'oppose pourtant point à la sorte d'amours auxquelles l'auteur de cette priapée fait allusion, et la pièce, qui s'apparente à l'Épigramme 13 par la violence du ton et le réalisme des détails, et qui par la facture lui est bien supérieure, a au moins autant de chances que celle-ci d'être du poète à qui Pollion offrait un joli esclave.
Quant à la cinquième (C), c.-à-d. au vers cité par Diomède et qui lui non plus n'est point chaste, on n'a aucune raison pour ne pas le croire de Virgile, en dépit de L. Müller, qui le prétend forgé par Diomède.
PRIAPEA A I Priapius Vere
rosa, autumno pomis, aestate frequentor |
PRIAPÉES I Au printemps je suis couvert de roses (969), en automne (970) de fruits (971), en été d'épis (972) ; seul l'hiver m'est un horrible fléau (973). Car je crains le froid (974), et j'ai peur que le dieu de bois (975) que je suis ne fournisse du feu aux cultivateurs paresseux (976). |
II Mentula Priapi Ego
haec, ego arte fabricata rustica, |
II. La mentule de Priape (977). Moi que voici, moi qu'un art rustique (978) a fabriqué, moi, ce peuplier sec (979), je protège, ô passant (980), ce petit champ que tu vois devant toi et que tu es prêt à piller, et la maisonnette et le jardinet de mon pauvre maître, et les défends contre la main méchante du voleur (981). On me met au printemps une couronne bigarrée (982) ; quand le soleil est brûlant (983), des épis roux (984) ; quand le pampre verdoie (985), une douce grappe (986) ; quand le froid est rude (987) l'olive glauque de la cueillette (988). La chevrette délicate de mes pacages porte à la ville des pis gonflés de lait (989) ; et le gras agneau qui sort de mes bergeries (990) procure à son maître qui retourne chez lui une pleine main d'argent (991) ; et la tendre vachette, tandis que meugle sa mère, répand son sang devant les temples des dieux (992). C'est pourquoi, passant, tu respecteras le dieu que je suis, et tu garderas la main dans ta poche : cela vaut mieux pour toi. Car c'est un pal tout prêt (993) que dresse cette mentule-ci. - Je le voudrais, par Pollux ! dis-tu (994) - Eh bien, par Pollux ! voici le fermier qui vient (995) : à son bras vigoureux cette mentule dont tu ris (996) devient, lorsqu'il l'arrache (997), une massue qu'il a bien en main. |
III. Mentula Priapi Hunc
ego, o iuvenes, locum villulamque palustrem |
III. La mentule de Priape (998). C'est ce lieu (999), ô jeunes gens, et cette maisonnette palustre, couverte de tiges de joncs et de bottes de laiches, que moi, branche de chêne sec
(1000) taillée à la hache rustique
(1001), je nourris (1002), de plus en plus heureux chaque année. Car les maîtres de cette pauvre
chaumière (1003) m'honorent et me saluent comme un dieu
(1004) ; le père comme le fils, un jeune homme, l'un travaillant avec un soin assidu pour repousser l'herbe broussailleuse ou la ronce loin de mon petit sanctuaire
(1005), l'autre m'apportant toujours, dans sa large main, de petits présents. |
B Ad Priapum Quid
hoc novi est ? Quid ira nuntiat deum ? |
B Quelle est cette nouveauté? Qu'annonce la colère des dieux
(1020) ? Dans le silence de la nuit
(1021), tandis qu'un blanc garçon
(1022) reposait blotti sur mon sein tiède, Vénus fut au repos
(1023) et mon sexe engourdi ne dressa
point virilement la tête (1024). Est-ce ta volonté, Priape, toi qui sous la chevelure
(1025) d'un arbre, ta tête sacrée couronnée de pampres
(1026), sièges d'ordinaire tout rouge avec ton fêne rougissant
(1027) ? Pourtant, ô Triphallus (1028), Souvent avec des fleurs fraîches
(1029) nous avons sans apprêt (1030) enguirlandé tes cheveux, et souvent nous avons fait partir par nos cris le vieux corbeau ou le geai infatigable
(1031) qui de leur bec de corne frappaient ton chef sacré. Adieu, abominable abandonneur des aines, adieu, Priape : je ne te dois rien. Tu demeureras couché parmi
les guérets, pâli de moisissure (1032), et une chienne cruelle ou un porc fangeux frottera à ton bois son flanc impudique. Quant à toi, ô membre scélérat, ô mon malheur
(1033), tu expieras par une loi sévère et juste le dommage que tu m'as causé. Tu peux bien te plaindre jamais tu ne verras s'ouvrir
(1034) pour toi un tendre garçon, qui sur le bord d'un lit roule avec un art consommé ses fesses flexibles
(1035) ; jamais garce enjouée ne te flattera d'une main légère
(1036) ni ne te pressera de ses cuisses brillantes
(1037). On apprête pour toi une amie à deux dents
(1038), contemporaine du vieux Romulus
(1039), entre les sombres aines de laquelle se cache un antre enfoui dans ses tripes
(1040) et couvert d'une peau flasque, dont une moisissure aranéeuse au gel centenaire bouche l'entrée. Voici celle qu'on t'apprête, pour que trois ou quatre fois sa fosse profonde
(1041) dévore (1042) ton sexe lubrique. Tu auras beau, malade, t'affaisser, plus mou qu'un serpent
(1043), tu seras épuisé jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'hélas
! ô malheureux, malheureux, trois fois et quatre fois tu emplisses l'antre
! Mais cette superbe ne te servira de rien, car tu auras plongé ton sexe vagabond
(1044) dans une fange clapotante (1045)
! Quoi donc ? l'homme transi ! l'impuissance n'est pas une honte ? Tu pourras pour une fois t'en tirer sans que je me
venge ; mais à la condition que, quand ce garçon doré (1046) reviendra, dès que tu sentiras au bruit de son pas qu'il s'est mis en route,
mon nerf se réveille sous le roidissant désir et qu'une enflure qui ne
me cpnnaosse point dresse mon sexe et qu'elle ne cesse de m'exciter
jusqu'à ce que Vénus enjouée (1047)
ait rompu mon flanc amolli. |
C Priapei fragmentum. Incidi patulum in specum procubente Priapo. |
C Fragment de Priapée. Je suis tombé, le Priape en avant, sur une grotte largement ouverte |
a Inst. grammat., p. 512 (Keil) :
"Priapeum, quo Vergilius in praelusionibus suis usus fuit,
tale est :
Incidi patulum in specum procumbente Priapo."
b Ce recueil de Priapées dites virgiliennes ou recueil mineur ne doit pas être d'ailleurs confondu avec celui des Priapées d'auteurs divers, ou recueil majeur. Cf. Cali, Studi su i Priapea dans Studi letter., p. 29-30, Turin, 1898.
c Vergili vita : "Deinde fecit Catalecton et Priapea et Epigrammata et Diras, etc."
d Préface à l'Enéide : "Scripsit etiam septem sive octo libros hos : Cirim, Aetnam, Culicem, Priapeia, Catalepton, Epigramnata, Copam, Diras."
e Scaliger lui-même proteste, assez comiquement, contre les critiques qui peuvent croire qu'un auteur aussi honnête homme, aussi pudique, et aussi pur de moeurs que Virgile ait pu commettre des Priapées. Et l'Allemand Schopp (Priapeia, 1664) s'indigne bien davantage encore. - C'est oublier une confidence de Pline le Jeune (Epist., V, 3, 2) qui avoue "qu'il fait de temps en temps de petits vers qui ne sont point du tout austères" et qui ajoute à sa décharge que Virgile fut le premier à donner un pareil exemple, - faisant évidemment allusion aux Epigrammes et aux Priapées.
f L. c., cf. supra.
g L. c., pp. 30 sq. et 133-134.
h Erkl. der Catal., p. 24.
i Erkl. der Catal., pp. 23-24.
j L. c., pp. 62-64.
k Lucrèce, p. 199.
l L. c., pp. 25-26 et 137.
968.
Priape... Il est deux fois question de Priape dans Virgile la première fois dans les
Bucoliques, VII, 33-36, où le vieux jardinier Thyrsis offre au dieu rustique,
"gardien de son pauvre enclos", un grand vase plein de lait (sinum
lactis) et lui promet
une statue d'or ; la seconde fois, dans les Géorgiques, IV, 110-111, où le poète conseille qu'on ait pour les abeilles des jardins remplis de fleurs odorantes et sur lesquels s'étende la protection de Priape, épouvantail des oiseaux rapaces et des voleurs
:
Et custos furum atque avium cum falce saligna
Hellespontiaci servet tutela Priapi.
Ici le poète fait parler Priape lui-même, comme il est fréquent dans les Priapées, cf. V, VI, VII, VIII, IX, X, etc... et comme le fait aussi Horace, dans une Satire
célèbre (I, 8, v. 1-7) :
Olim truncus eram ficulnus...
"J'étais jadis un tronc de figuier, etc..."
969.
Au printemps je suis couvert de roses... La rose, symbole de l'amour et du désir, est la fleur de Vénus, de Bacchus et de Priape, auquel on offre aussi, à l'occasion, d'autres fleurs : violettes, pavots, etc.
Le rapprochement de la rose et du printemps, et celui qui suit entre les fruits et l'automne, évoquent le vers de Virgile, dans l'épisode du vieillard de Tarente
(Géorg., IV, 134) :
Primus vere rosam atque autumno carpere
poma,
et l'on sait, d'aitre part, qu'il y a plusieurs tétrastiches de l'Anthologie latine où des poètes chantent les saisons de l'année et les fruits ou les fleurs qu'elles produisent.
970.
En automne... L'ordre des saisons n'est pas observé, et l'automne succède au printemps comme dans le vers de Virgile cité à la note précédente ou dans le distique d'Ovide
(Rem. Am., 187-188) :
Poma dat autumnus; formosa et messibus aestas ;
Ver praebet flores; igne levatur hiems.
"L'automne donne ses fruits ; l'été est embelli de ses moissons ; le printemps offre ses
fleurs ; l'hiver s'adoucit par du feu."
971.
De fruits... Le poète ne précise pas. On voit dans la
Priapée suivante offrir à Priape des raisins, dans la
Priapée III des pommes et des courges.
Il semble d'ailleurs que les offrandes de fruits faites au dieu rustique fussent modestes, comme en témoignent ce vers final de la
53ème Priapée :
Quamvis pauca damus, consule poma boni.
"Bien que nous en donnions peu, accueille avec faveur nos fruits"
et la 60e Priapée
Si quoi habes versus, tot haberes poma, Priape,
Esses antiquo ditior Alcinoo.
"Si tu avais autant de fruits que tu as de vers, ô Priape, tu serais plus riche que l'antique Alcinoüs."
972. D'épis... Columelle, X, 108, nomme Priape le dieu "couvert d'épis" frugifero Priapo. On lui faisait l'été la même offrande qu'à Cérès.
973.
L'hiver m'est un horrible fléau... "Horrible"
(horrida) au sens propre du mot : l'hiver qui fait se hérisser de glaçons les paysages et qui contracte de ses froidures les mortels et les dieux exposés à ses atteintes. Cf. Hérédia, Hortorum
deus, V :
Dans ce clos ruiné, seul, depuis vingt hivers
Je me morfonds. Ma barbe est hirsute et compacte,
Mon vermillon s'écaille et mon bois se rétracte
Et se gerce, et j'ai peur d'être piqué des vers.
974.
Je crains le froid... Ainsi voit-on, au recueil des Poésies priapiques (LXIII, 4-7), Priape se plaindre plaisamment des averses qui le trempent, des grêlons qui lui tombent sur la tête et du gel qui donne à sa barbe rigide la dureté du cristal
:
...quod imi perfluunt sinus imbres
Et in capillos grandines cadunt nostros
Rigetque dura barba juncta crystallo.
975. Dieu de
bois... Priape était rarement figuré en pierre ou en marbre, comme l'était celui du Thyrsis des
Bucoliques (VII, 35) ; on le façonnait dans un tronc d'arbre : cyprès (Martial,
Epigr., VI, 49 et VI, 73), chêne, orme, peuplier, tilleul, surtout figuier
(Horace, Sat., I, 8, 1) ; cf. Victor Hugo, Toute la lyre,
L'Amour, XLIV :
Dans le plus ténébreux du bois je regardais,
Sous un chêne étendant son ombre comme un dais,
Non pas quelque déesse, une Vénus de marbre,
Mais un bonhomme en bois taillé dans un tronc d'arbre...
Jadis j'étais un tronc de figuier bon à rien.
- Oui-dal dit un sculpteur persan ou dorien,
De ceux dont le génie au cabaret trébuche,
Ferai-je un banc, ferai-je un dieu de cette bûche ?
Il lui plut que je fusse un dieu. C'est beau. Je fus
Priape, et je rêvai sous les arbres touffus.
et Hérédia, Hortorum deus, I :
...... A coup de serpe, autrefois, un berger
M'a taillé dans le tronc d'un dur figuier d'Egine...
Columelle d'ailleurs, en son traité De la Culture des jardins (X, 27), recommande soigneusement :
"N'ayez point de labyrinthes, point de statues, mais qu'au milieu des jardins, le tronc à peine dégrossi d'un vieil arbre offre à la vénération le dieu ithyphallique..."
976. Ne fournisse du feu aux cultivateurs paresseux... Les Priapes étaient souvent détroussés de leurs attributs, de leur faux par exemple ou du trait caractéristique de leur divinité, lequel était toujours énorme et peint en rouge, et "voué, si l'on en croit Martial (Epigr., VI, 73, 6), à périr par le feu" devota focis inguinis arma. Parfois même, le Priape était dérobé en entier pour faire du feu.
977.
La mentale de Priape... Le poète, ici et dans la Priapée suivante, fait parler la mentale de Priape, que le dieu brandissait généralement dans sa main gauche,
tandis qu'il tenait sa faux de la main droite.
Cette mentale était énorme. La légende conte, en effet, que Priape, fils de Bacchus et de Vénus, fut mis au monde sur les bords de l'Hellespont, à Lampsaque, auj. Lampsaki, en face de Gallipoli, mais que Junon, jalouse de Vénus, étira le sexe de l'enfant et le rendit de proportions si monstrueuses que sa mère en eut honte et l'abandonna dans le petit port de Priapos, sur la mer de Marmara. Là, il fut si aimé des dames de Lampsaque que leurs maris le chassèrent, en punition de quoi ils furent tous atteints de maladies vénériennes, tant et si bien qu'ils se virent
contraints de rappeler Priape, puis, lorsqu'il quitta Priapos pour l'Olympe, de lui élever un temple. Le dieu, représenté d'abord sous la forme d'un phallus et confondu plus tard, par les Latins, avec le dieu indigène de la virilité, Mutunus Tutunus, fut ensuite figuré avec un sexe
"tendu", épouvantail des maraudeurs. Cf. Hérédia, Hortorum
deus, III :
Le colon vous épie, et, s'il vient, par mon pieu !
Vos reins sauront alors tout ce que pèse un dieu
Du bois dur emmanché d'un bras d'homme qui frappe.
978. Un art
rustique... Cf. note 975. "J'avoue que je manque de beauté", dit Priape en la
Priapée XXXIX; et, dans la Priapée LXIII, il souligne que
"des mains rustiques le façonnèrent sans art"
Manus sine arte rusticae dolaverunt.
Ailleurs (Priapées, IX) Priape apostrophe une jeune femme qui se moque de lui :
"Certes, dit-il, ce n'est point Praxitèle qui m'a fait, ni Scopas, et je n'ai point été poli par la main de Phidias, mais un villageois a façonné mon bois grossier et m'a dit - Sois Priape."
979. Moi, ce peuplier sec... Cf. note 975.
980. O passant... La mentale de Priape s'adresse ici au voyageur qui passe devant le petit domaine qu'elle protège.
981. La main méchante du voleur... "La main du voleur" est qualifiée de "rapace" par Martial (Epigr., VI, 49, 8), de "rapace" aussi et de "scélérate" et d' "immodestement avide" dans les Priapées (XIV, 1 ; XXXI, 1 ; LII, 1).
982. Une couronne bigarrée... Cf. note 969.
Dans la Priapée B, le poète rappelle à Priape qu'il a souvent enguirlandé sa chevelure de fleurs fraîches
:
At, o Triphalle, serpe floribus novis
Tuas sine arte deligavimus comas.
983. Quand le soleil est brûlant... En été. Le poète suit ici l'ordre même des saisons.
984.
Des épis roux... Cf. note 972. - L'épithète fait songer au vers de Virgile,
Géorg., I, 297 :
At rubicunda Ceres media succiditur aestu.
985. Quand le pampre verdoie... En automne. Cf. note 983.
986. Une douce grappe... Cf. note 971.
987. Quand le froid est rude... En hiver. Cf. note 983.
988. L'olive glauque de la cueillette... La plus grande partie des olives était cueillie, comme aujourd'hui encore, avant leur maturité, quand elles étaient encore vertes ou glauques.
989.
Des pis gonflés de lait... Le poète dit littéralement "des pis où le lait a cru
" de même qu'Apulée, XI, 24, écrit fax flammis adulta, "un brandon chargé de flammes"
:
On songe aux vers 21-22 de la IVe Bucolique :
Ipsae lacte domum referent distenta capellae
Ubera...
990.
Le gras agneau qui sort de mes bergeries... Ce vers rappelle celui de la 1ère Bucolique, 8
:
tener nostris ab ovilibus agnus
"le tendre agneau qui sort de nos bergeries."
991.
Procure à son maître qui retourne chez lui une pleine main
d'argent... Cf. Buc., I, 35 :
gravis aere domum mihi dextra redibat.
992. La tendre vachette, tandis que meugle sa mère, répand son sang devant les temples des dieux... "Souvent, dit Lucrèce (De N. R., II, 352 sq.), un veau devant les temples des dieux répand de sa poitrine un flot de sang chaud, tandis que sa mère emplit l'air de ses plaintes."
993. Un pal tout prêt... Menace habituelle de Priape et de sa
mentule. Cf. Priapées, V : "J'ai beau être, comme tu le vois, un Priape de bois, une faux de bois, un membre de bois, cependant je te prendrai et je te maintiendrai une fois prise, pour t'enfoncer sans mentir aussi longue qu'elle est et plus tendue qu'une corde de cithare, ma
mentule jusqu'à la septième côte " ;
X, 3-4 : "Tu seras si bien transpercé de mon pieu long d'un pied que tu croiras que ton cul n'a jamais eu de rides
";
XVI, 3 : "Laisse venir [le voleur] : il s'en retournera plus large "
Accedat sine, laxior redibit.
XXVII : "Toi qui as de mauvais desseins..., tu seras empalé de mon fêne long d'un pied, et si ce châtiment si pénible et si gênant ne suffit pas, je t'atteindrai plus profondément.
"
XXIV, 6-7 : [Mon sceptre] entrera dans les boyaux du voleur jusqu'à ses poils et jusqu'à la garde des
couilles."
Ailleurs enfin (Priap., LXXIII) le poète invoque ainsi Priape
:
"Tutèle diligente du verger, ô Priape, menace les voleurs de ton rouge Mutinus."
Pomarii tutela diligens, rubro,
Priape, furibus minare Mutino.
994.
"Je le voudrais, par Pollux", dis-tu... Priape prête au passant cette réponse obscène, qui lui fait désirer comme un plaisir le supplice dont la mentule le menace. La même idée se retrouve dans les
Poèmes priapiques. Cf. LI, 27-28 : «"ous volez, dit Priape aux maraudeurs, vers le supplice qui vous est découvert, et cela même dont nous vous menaçons vous y invite"
:
Nimirum apertam convolatis ad poenam,
Et vos hoc ipsum, quod minamur, invitat;
et LXIV, où Priape parle d'un quidam qui vient à la maraude par amour du supplice
:
Quidam mollior anseris medulla
Furatum venit hue amore poenae...
995. Voici le fermier qui
vient... On voit aussi, dans un poème de Priapées (LVI, 5-6), Priape raillé remettre son fêne au maître de l'enclos pour besogner les maraudeurs
:
Mandabo [lignum] domino tamen salaci,
Ut pro me velit irrumare fures.
996. Cette mentule dont tu
ris... Dans le poème priapique cité à la note précédente, le voleur se rit aussi de la mentule de Priape, et, en signe de raillerie, lui fait le geste du médius qui a la signification obscène que l'on sait (cf. Perse,
Sat., II, 33-34; Pétrone, Satir, CXXXI)
:
Derides quoque, fur, et impudicum
Ostendis digitum mihi minanti...
997. Lorsqu'il l'arrache... L'engin de Priape était mobile. C'était une arme de jet (telum), une lance (hasta), dont, à l'égal des voleurs obscènes, les filles voulaient aussi être percées. Cf. Priapées, XLIV.
998. La mentule de Priape... Cf. note 977.
999.
Ce lieu... Le lieu ici décrit rappelle les descriptions faites par Virgile de son pays natal. Cf.
Buc., I, 46-48 :
Fortunate senex ! ergo tua rura manebunt,
Et tibi magna satis, quamvis lapis omnia nudus
Limosoque palus obducat pascua junco.
"Fortuné vieillard ! ainsi tes champs demeureront ta propriété ! Et ils te suffisent, quoique des pierres nues et un marécage aux joncs limoneux couvrent tous ces pacages!" et
Epigr., X :
Lutosa Gallia "la boueuse Gaule". -- Voir la note 890.
1000.
Branche de chêne sec... Cf. note 975.
Sidoine Apollinaire, Epist., I, 5, 4, mentionne encore des bois de chênes dans la vallée du Mincio.
1001. Taillée à la hache rustique... Cf. note 978.
1002.
Je nourris... Le même terme est appliqué par Horace à Cérès. Cf.
Od., IV, 5, 18 : nutrit rura
Ceres. La forme déponente du verbe (nutrior) employée ici se retrouve dans les
Géorgiques, Il, 425 :
Hoc pinguem et placitam Paci nutritor olivam
"Nourris donc la grasse olive, chère à la Paix."
1003. Pauvre chaumière... C'est l'expression même de Virgile,
Buc., I, 69 :
Pauperis et tuguri congestum caespite culmen
"Et le toit couvert de gazon d'une pauvre chaumière."
Ici, en un pays marécageux, le gazon est remplacé par des joncs et des laiches. Cf. Hérédia,
Hortorum deus, II : "Cet humble toit de joncs tressés et de glaïeul."
1004. M'honorent et me saluent comme un dieu... Priape est bien un dieu, mais un dieu de troisième ordre, une divinité de rien (pusillum numen, cf. Priapées, XIII, 6), vile entre toutes (inter cunctos vilius Deos numen, cf. Priapées, LXIII, 11) et qui est souvent saluée du titre dérisoire de "gardien des courges" (cucurbitarurn ligneus custos, cf. Priapées, XLIII, 12). Il exprime ici la gratitude qu'il éprouve à être honoré décemment.
1005. Petit sanctuaire... On a, dans le Corpus (V, 3634, 5117, etc.) plusieurs inscriptions relatives à ces petits sanctuaires sacellum, aedicula), où la statue de Priape était parfois placée. II est fait aussi allusion au sanctuaire de Priape dans les Priapées : Epigr. liminaire, 3; et I, 10, où l'on voit que les murs du sanctuaire recevaient quelquefois de plaisants graffitti; XLIX, où l'on apprend que ces graffitti étaient souvent obscènes.
1006. Une couronne bigarrée... Cf. note 982.
1007.
Les premiers épis verdissants et mols au grain tendre... Cf. notes 972 et 984.
Les épithètes appliquées ici aux épis font songer au vers de Virgile, Géorg., I, 315
:
Frumenta in viridi stipula lactentia turgent
"Les blés se gonflent, laiteux, dans leur éteule verte" et aux vers où Properce offre à Vertumne
(EL, IV, 2, 1-11 "des épis chevelus gonflés d'un grain laiteux"
Et coma lactenti spicea fruge fumet.
1008. Des violettes jaunes... Cette variété de violettes est mentionnée par Pline, qui distingue les violettes pourpres, les violettes jaunes et les violettes blanches : violarum plura genera : purpureae, luteae, albae (N. H., XXI, 14).
1009. Un pavot laiteux... L'épithète est équivoque, et peut désigner soit la couleur du pavot blanc, soit le suc laiteux du pavot noir, deux des trois espèces que Pline distingue (N. H., XIX, 6).
1010. Des pommes à la suave
odeur... On songe au vers de la Fille d'Auberge, 19 :
suave rubentia mala "des pommes à la rougeur suave" (cf. note 13) et au vers de Catulle, LXI, 7
:
Suave olentis amaraci
"...De la marjolaine à la suave odeur".
1011. Une grappe rougissante... Expression virgilienne, Buc.. IV, 29.
1012. L'ombre des pampres... Expression virgilienne, Buc, VII, 58, qu'on trouve aussi dans la Fille d'Auberge, vers 31.
1013. Ces armes... Les armes de Priape sont le fêne (fascinum, penis), qu'il appelle ailleurs (Priapées, XXXI, 3) "les armes de son ventre". Cf. note 997.
1014.
Mais vous n'en direz mot... Priape, s'adressant ici à de jeunes garçons, leur recommande de ne pas divulguer des sacrifices sanglants et de honteux mystères, qui le plus souvent d'ailleurs s'accomplissaient la nuit.
Non seulement on sacrifiait parfois à Priape un bouc (cf. aussi Satiricon CXXX), une chèvre ou un porc (cf.
Satiricon, CXXX, et Priapées, LXV, 2), avec le sang desquels on barbouillait son fêne, mais encore on
"adorait" celui-ci, les cinèdes en le couvrant de baisers (cf. Priapées, XXIV, 5), les femmes et leurs amants en y suspendant des couronnes (cf.
Priapées, XL, 3 ; L, 6-7) ou des gàteaux (cf. Priapées, LXXI, 2 et 7).
1015. Un petit bouc barbu... Epithète traditionnelle du bouc, qui est parfois désigné par elle seule : "le barbu".
1016. Une chevrette aux pieds de corne... Epithète traditionnelle du bouc ou de la chèvre, désignés parfois par elle seule : "le cornipède".
1017.
Dévotions en échange desquelles, etc... Plus encore peut-être que les autres religions la religion romaine a pour fondement un pacte tacite. Cf.
Priapées, LXXXIII, 1-4 :
Villicus aerari quondam, nunc cultor agelli,
Haec tibi Perspectus templa, Priape, dico
Pro quibus officiis, si fas est, sancte, paciscor
Assiduus custos ruris ut esse velis.
"Autrefois intendant de la trésorerie, aujourd'hui cultivateur de ce petit champ, moi, Perspectus je te dédie Priape, ce
temple-ci ; pour ces bons offices, je fais, si tu le permets, le pacte, ô vénérable, que tu veuilles bien être le gardien assidu de cette terre."
1018. Abstenez-cous ici de mauvaises
rapines... Tibulle, El., I, I, 33-34, dit de même :
"Epargnez, voleurs et loups, mon petit bétail ; votre proie doit être demandée à un grand troupeau
" :
At vos, exiguo pecori, furesque lupique
Parcite ; de magno est praeda petenda grege,
invitant, comme l'auteur de cette priapée, les maraudeurs à fuir un pauvre domaine pour celui d'un voisin plus riche.
1019. A Priape... Alors que les Priapées A1, A2, A3 font parler Priape ou sa mentule, celle-ci est adressée à Priape, comme le sont aussi beaucoup des poèmes priapiques, cf. III, XV, XVIII, XX, XXVI, XXVIII, XXIX, XXXIV, etc...
1020.
Qu'annonce la colère des dieux ?... Les anciens croyaient qu'une défaillance amoureuse était causée par la colère des dieux et notamment par celle de Priape. C'est ainsi que dans le Satiricon (CXXXI) on voit, lorsque Polyène-Encolpe fait fiasco auprès de Circé, la vieille
Prosélénos invoquer le dieu rustique
du désir
...Tu, rustice custos,
Huc ades, et nervis tente Priape, fave.
"Toi, rustique gardien, assiste-nous, et ô Priape tendu de toutes tes forces, favorise-nous."
Priape, apaisé par des offrandes et des sacrifices, non seulement portait remède à l'impuissance virile, mais encore pouvait guérir de la maladie ou d'une blessure un sexe malade, comme en témoigne l'ex-voto à Priape recueilli dans les Priapées (XXXVII), où l'on voit un quidam remercier le dieu d'avoir bien voulu, à
la place de Phébus ou d'Esculape, "dieux légitimes, certes, mais trop grands", soulager son sexe d'un mal redoutable qui faisait craindre la main du chirurgien.
1021. Dans le silence de la nuit... Dont l'agrément, après les bruits du jour, favorise les plaisirs de Vénus. Cf. Poésies attribuées à Pétrone, XLII, p. 396-397, éd. Garnier.
1022. Un blanc garçon... Les jeunes esclaves dont la peau était très blanche étaient particulièrement appréciés. L'épithète (cf. note 796) est d'ailleurs accolée par Virgile aux nymphes, aux dieux, aux déesses dont la beauté éblouit.
1023. Vénus fut au repos... L'acte d'amour ne fut pas accompli.
1024.
Mon sexe engourdi ne dressa point virilement la tête...
Dans le Satiricon (CXXXII), Ascylte parodiant des passages de l'Enéide et des
Bucoliques, apostrophe son sexe défaillant qui
"détourne la tête" et "tient les yeux fixés sur le sol" semblable à un saule flexible ou à un pavot à la tige lassée
:
Illa solo fixos oculos aversa tenebat,
Nec magis incepto vultus sermone movetur
Quam lentae salices lassove papavera collo.
On songe ici au petit poème que Fernand Fleuret prête au sieur Louvigné du Dézert, sermonnant son sexe mélancolique
:
Monsieur, je vous voy soucieux
Comme quelque Religieux
Qui dans un cloistre se pourmaine;
Garderez-vous ces airs penchés
D'un Prestre oyant catéchumène
Confesser de salles péchez ?
1025.
La chevelure... Les frondaisons. L'image est un lieu commun poétique. Cf. Catulle, IV, 11
Comata Silva : nam Cytorio in jugo
Loquente saepe sibilum edidit coma ;
Chénier :
Salut, monts chevelus, verts et sombres remparts !
Musset :
Ni le front chevelu du Pélion changeant...
1026. Couronnée de pampres... Cf. note 972.
1027. Sièges d'ordinaire tout rouge avec ton fêne
rougissant... Le fène de Priape était peint en rouge (ruber hortorum
custos), et cette couleur voyante et caractéristique est souvent évoquée dans les poésies priapiques. Cf. I,
5 ; XXVI, 9 ; LXXIV, 1-2, et aussi Horace, Sat., I, 8, 5. Hérédia,
l. c., V, fait dire à un vieux Priape au sexe rouge :
Mon vermillon s'écaille.
1028. Triphallus... Autre nom de Priape, confondu par les Latins avec leur dieu indigène Mutunus, puis avec Phallus, Ithyphallus, Triphallus. Le dieu était souvent figuré avec un triple sexe : l'un lui tenant lieu de corps, l'autre de sexe normal, le troisième, opposé au second, et se dressant par derrière. C'est sans doute en mémoire de Priape Triphallus que Pétrone nomme Trimalcion l'affranchi célèbre du Satiricon.
1029. Des fleurs fraîches... Cf. notes 969 et 982.
1030. Sans apprêt... Comme il convient pour un dieu rustique.
1031. Le vieux corbeau ou le geai infatigable... Chaque oiseau est dépeint d'un trait sûr, qui souligne la longévité du premier et l'ardeur du second.
1032.
Pâli de moisissure... Cf. Hérédia,
l. c., V :
Dans ce clos ruiné, seul, depuis vingt hivers,
Je me morfonds. Ma barbe est hirsute et compacte.
..... et mon bois se rétracte
Et se gerce, et j'ai peur d'être piqué des vers.
On voit aussi dans une Priapée (XXVI, 7-12) un Priape vieilli se décrire lui-même :
"Vous voyez vous-mêmes, Quirites, comme je suis exténué, et recru, et maigre, et pâle, moi qui autrefois, rouge et vaillant, avait coutume d'exterminer les plus vaillants voleurs. Je suis sur le flanc et, misérable, je crache en toussant une salive de moribond."
1033.
Quant à toi, ô membre scélérat, ô mon malheur... Ainsi voit-on également dans le
Satiricon Encolpe s'en prendre, en des termes analogues, à son sexe défaillant (CXXXII)
:
"Je tournai tous les feux de ma fureur vers ce qui avait été cause de tous mes maux
(mihi omnium malorum causa)... J'apostrophai à peu près en ces termes le contumace
: - Qu'as-tu à dire, fis-je, honte de tous les hommes et de tous les dieux ?... Ai-je mérité de toi que du ciel où j'étais tu me traînasses aux enfers
? que tu trahisses mes ans dans la fleur de leur force première et que tu m'imposasses la lassitude de l'extrême
vieillesse ? Va, je t'en prie, délivre-moi mon extrait mortuaire."
1034.
S'ouvrir... Le verbe patere "s'ouvrir" était appliqué, dans la langue érotique, aux
"patients", tandis qu'on employait pour les "agents" le verbe
dividere, "séparer, écarter les fesses d'un mignon." Cf.
Satiricon, X. - Dans une Priapée (LXXVII), Priape dit tout crûment
:
Per medios ibit pueros .........
Mentula.
"Ma mentule pénétrera au centre des jeunes garçons."
1035. Roule avec un art consommé ses fesses flexibles... Image souvent évoquée dans les Priapées. Cf. Pr., XIX, où Téléthuse "remue la fesse et roule les reins " ; XXVII, où Quinctia fait les délices de la foule aux spectacles du Grand Cirque "par son art à mouvoir ses fesses vibrantes" (vibratas docta movere nates) ; et l'Epigramme XIII, 21 (cf. supra), où un cinède "roule les reins". Cf. aussi Copa, 2, où le poète loue Syrisque, "qui sait mouvoir ses souples hanches".
1036. Ne te flattera d'une main légère... Priape s'enorgueillit, dans les Priapées, que les femmes flattent d'une main légère ou couvrent de baisers "le centre de son être" (cf. Pr., XLV, 1-2).
1037.
Ne te pressera de ses cuisses brillantes... Priape parle ailleurs
(Pr., XXV, 3) de son "sceptre" que recherchent les femmes
ou de sa "rude lance" qu'elles réclament et qui trouve en elles son véritable office
(Pr., XLV).
1038.
Une amie à deux dents... Il y a ici un jeu de mots sur
bidens, la victime à deux dents, c.-à-d. encore jeune et tendre qu'on apprête pour les sacrifices aux dieux (cf. Virgile,
En., IV, 57; V, 96, etc.) et qui désigne ici, au contraire, la vieille victime à qui il ne reste plus que deux dents.
Ailleurs (Priapées, XII, 9) il est question d'une vieille
"qui a craché une des trois dents qui lui restent". :
Dentem de tribus exsecravit unum.
1039.
Contemporaine du vieux Romulus... Ailleurs (Priapées, XII, 1-4) une vieille femme est traitée de
"contemporaine de Thésée", de "soeur de la Sibylle", d'
"aînée d'Hécube" :
Quidam serior Hectoris parente,
Cumaeae soror, ut puto, Sibyllae,
Aequalis tibi, quam domum revertens
Theseus repperit in rogo jacentem...
1040. Entre les sombres aines de laquelle se cache un antre
enfui dans ses tripes... Dans la Priapée XII, déjà citée à la note précédente, Priape conseille à une vieille femme de cacher
"l'antre indécent si largement ouvert, dressant en sa maigreur un nez barbu" qu'il compare au bâillement d'un porc
:
Qui tanto palet indecens hiatu
Barbato macer eminente naso,
Ut credas Epicuron oscitari.
1041. Sa
fosse profonde... Le même mot est employé dans les Priapées. Cf. LXXX, 6, où une femme épuisée d'amour,
"la pauvre Labdacé", nous est montrée "pouvant à peine se promener à cause de sa fosse"
:
...Misella Labdace
Vix posse jurat ambulare prae fossis
et XLVII, 9, où Priape refuse d'envahir "la fosse inguinale" d'une femme aux chairs
"flapies."
1042.
Dévore... Cf. Priapées, XXVI, 2-6, où Priape épuisé demande qu'on coupe son membre
"que fatiguent pendant des nuits entières des voisines au prurit sans fin, plus salaces que moineaux au printemps"
:
Aut praecidite seminale membrum,
Quod lotis mihi noctibus fatigant
Vicinae sine fine prurientes,
Vernis passeribus salaciores
Aut rumpar...
1043. Plus mou qu'un serpent... "Plus languissant que la tige d'un chou" (languidior caliculi thyrso), dit dans le même cas l'Ascylte du Satiricon (CXXXII) de son sexe défaillant. Dans le même Satiricon (LVIII) un sexe mou est encore comparé à "une courroie dans l'eau" (lorus in aqua).
1044. Vagabond... Errant à l'aventure dans l'antre flasque.
1045.
Une fange clapotante... Plus obscène encore, et poussant plus loin la comparaison, l'auteur de la
Priapée, XLVI, 19, mentionne la faune de cette fange
:
Cunni vermiculos scaturientes.
Et l'on connaît l'épigramme de Martial (XI, 21) contre Lydie :
"Lydie est aussi détendue que le cul d'un cavalier de bronze, que le rapide cerceau dont sonne l'airain crissant, que la roue à travers laquelle tant de fois passe, sans la frôler, l'acrobate, qu'une vieille godasse imbibée d'eau sale, que les filets à grandes mailles qui attendent les grives vagabondes, que les vélums du théâtre de Pompée se débattant contre le Notus, que le bracelet tombé du poignet d'un cinède phtisique, qu'une toile à matelas vidée de sa laine Leuconique, que les vieilles braies d'un Breton pauvre et que l'ignoble gosier d'un butor de Ravenne. On dit que j'ai besogné Lydie dans une piscine d'eau de mer. Je ne sais pas, mais je crois plutôt que c'est la piscine que j'ai besognée."
La même image se retrouve dans le Sonnet pour une grande fendasse du sieur Louvigné du Dézert (F. Fleuret)
:
Grande botte au cuir tout rompu,
D'un puits margelle ténébreuse...
1046. Ce garçon doré... L'épithète "doré" (aureus) est à rapprocher de l'épithète "éblouissant de blancheur, splendide » (candidus), employée plus haut par le poète.
1047. Vénus enjouée... Vénus était souvent accompagnée chez les anciens du cortège des Jeux et des Ris, divinités allégoriques qui présidaient à côté d'elle et de Cupidon aux plaisirs de l'amour. Cf. La Fontaine:
Toute la bande des Amours
Renient au colombier : les Jeux les Ris, la Danse
Ont aussi leur tour à la fin.
C'est cette Vénus enjouée, suivie de son cortège habituel, que Catulle (III, 1-2) invite à pleurer sur la mort du moineau de Lesbie
: Lugete, o Veneres Cupidinesque
Et quantum est hominum venustiorum !