Poèmes attribués à Virgile : traduction nouvelle de Maurice RAT, GARNIER, 1935 |
La fille d'auberge | le cachat | l'aigrette | le moustique | l'Etna | Epigrammes | Priapées | imprécations | élégies pour Mécène |
IMPRÉCATIONS (DIRAE)
NOTICE
SUR LES IMPRÉCATIONS
Les Imprécations comprennent deux poèmes, qu'on a cru longtemps à tort n'en faire qu'un
(a) : le premier, de 103 hexamètres dactyliques, est une malédiction lancée par un homme qu'une confiscation au profit des vétérans a dépouillé de son patrimoine; la seconde (Lydie), de 80 hexamètres, une lamentation du poète, chassé de son pays où la maîtresse qu'il aimait est demeurée.
Que les deux poèmes soient d'un seul et même auteur, c'est ce qui ne saurait être sérieusement contesté
(b), car l'exécution littéraire des deux morceaux est semblable, et le nom de Lydie, héroïne du second poème, se trouve trois fois déjà dans le premier
(c).
Mais l'auteur en est-il Virgile ? C'est possible, ce n'est pas certain. C'est possible parce que les Imprécations
(Dirae) se trouvent mentionnées par Donat et Servius dans leur liste des oeuvres de
Virgile ; et aussi parce que des deux poètes à qui elles ont été attribuées, Valérius
Caton et Virgile, il est beaucoup plus vraisemblable que leur auteur soit le second nommé.
Sans doute Valérius Caton avait bien écrit une Indignatio et un poème intitulé
Lydie. Mais, outre qu'on ignore si le premier ouvrage était en prose ou en vers, il est difficile d'appliquer aux proscriptions de Sylla, dont Caton fut victime, le vers 82 des
Imprécations : O male devoti, praetorum crimina, agelli, tandis que le mot
praetores convient très bien aux triumvirs ; de plus, si l'on s'en rapporte au témoignage de Suétone
(d), Valérius Caton dans son Indignatio se disait ingénu, et on ne trouve point trace de cette déclaration dans les
Dirae. Contre l'attribution des Dirae à Virgile on objecte, il est vrai, que
"nous ne sommes pas dans le voisinage de Mantoue, puisque la mer est proche (vers 48 sq., 58 sq.) et que des montagnes s'élèvent aux environs (vers 13, 76, 87 sq.)"
; on ajoute que Virgile, dans ses Bucoliques, se plaint avec une tristesse douce et résignée de la spoliation, au lieu que le poète des
Dirae se répand en malédictions ; et l'on fait observer encore qu'il y a loin de la monotonie du procédé dans les
Dirae à l'ingéniosité et à la perfection délicate des
Bucoliques. Mais aucune de ces objections est-elle
insurmontable ? Ne peut-on voir dans les Imprécations un premier essai où Virgile, après la spoliation, et avant d'aboutir à la tristesse résignée, exhale avec plus d'âpreté et moins d'art son ressentiment, et donne à sa campagne un cadre de
fantaisie ? Sans pouvoir nous prononcer sur ce point, il est, croyons-nous, également possible que les
Imprécations soient de Virgile ou qu'elles soient d'un poète bucolique inconnu, contemporain de Virgile
(e).
Quant à la Lydie, cette brève idylle ne saurait rien avoir de commun avec l'ouvrage que Valérius Caton a écrit sous ce nom, et qui constituait tout un livre. Il est du même auteur que les
Imprécations, c.-à-d. soit de Virgile, soit d'un contemporain de Virgile qui demeure inconnu.
DIRAE I Battare, cycneas
repetamus carmine voces : |
IMPRÉCATIONS I Battare (1048) reprenons (1049) en un poème le cri du cygne (1050), chantons encore nos maisons et nos champs répartis (1051), nos maisons, source d'imprécations anciennes et de malédictions impies. Les chevreaux raviront les loups (1052) et les veaux les lions, les dauphins fuiront devant les poissons et les aigles devant les colombes, le monde à l'envers verra renaître le chaos, et beaucoup de phénomènes étranges auront lieu avant que mon pipeau (1053) soit libre. Je dirai aux montagnes et aux forêts, ô Lycurgue (1054), tes agissements impies (1055) Puissent se stériliser pour vous (1056) les richesses (1057) de la Trinacrie (1058), et, semailles infécondes, les champs fortunés de notre vieux père, ne point produire de récoltes, ni nos collines de pacages, ni nos arbres de nouveaux fruits, ni nos pampres de raisins, ni même nos forêts de feuillages ou nos montagnes de fleuves ! |
rursus et hoc iterum
repetamus, Battare, carmen: |
Oui, répétons-le encore en vers, Battare. Puissiez-vous semer dans les sillons de Cérès des avoines épuisées (1059), puissent vos prés desséchés de chaleur jaunir et se faner (1060), puissent avant d'être mûrs tomber des branches les pommes qui y pendent, puissent vos forêts manquer de feuillage et d'eau vos fontaines, mais nos pipeaux (1061) ne point manquer de formules d'imprécations ! |
Hinc Veneris vario
florentia serta decore,
20
|
Grâce à elles les guirlandes de Vénus (1062) florissantes en beauté de toutes sortes, qui, au printemps, décorent les plaines d'une couleur vermeille (1063), grâce à elles les douces brises et les suaves haleines se changeront en chaleurs pestilentielles et en affreux poisons : puissent-elles frapper sans douceur vos yeux (1064) et vos oreilles (1065). Telle est la prière que je fais, et puisse l'effet de nos malédictions dépasser encore nos voeux (1066) ! |
Lusibus et multum
nostris cantata libellis, |
Toi qu'ont tant célébrée et nos jeux et nos livres (1067), merveille des forêts, riche en belles verdures, tu ne balanceras plus pour moi tes ombres vertes (1068), où, joyeuse, tes flexibles rameaux chevelus que bercent les brises, et mon chant, ô Battare, ne les fera plus souvent retentir pour moi-même (1069) - puisque la droite impie d'un soldat les tranchera sous son fer, et que ses belles ombres tomberont, et qu'encore plus belle qu'elles, tu tomberas toi-même, bois fortuné (1070) d'un vieux maître ! Mais il n'en sera rien ! Il flambera plutôt, voué à la mort par nos livres, sous les feux éthérés ! Jupiter lui-même, Jupiter l'a fait croître : il faut que par Jupiter il soit réduit en cendres ! Puisse alors le Thrace Borée (1071) exhaler son énorme souffle ! puisse l'Eurus (1072) pousser une nuée chargée de fauves ténèbres (1073), puisse l'Africus (1074) presser des nuages lourds de pluie, quand ta forêt resplendissant dans l'éther cyané (1075) n'apprendra plus (1076), Lydie (1077), ce que tu as dit souvent (1078). Puissent les vignes voisines prendre feu l'une après l'autre, les souffles de l'air consumer les récoltes en propageant le feu, l'incendie voler d'arbre en arbre et atteindre aussi les épis. Puisse la perche (1079) impie qui mesura nos pauvres champs et ce qui était naguère nos domaines être toute réduite en cendres. Telle est la prière que je fais, et puisse l'effet de nos malédictions dépasser encore nos voeux (1080). |
Undae, quae vestris
pulsatis litora lymphis,
|
Ondes, qui battez les côtes de vos vagues et vous, côtes, qui répandez parmi les champs vos douces brises, exaucez les demandes qui suivent : faites que Neptune
(1081) émigre avec ses flots dans les guérets et inonde les campagnes de son sable épais. Et que les lieux, par où Vulcain consumant les champs les brûle du feu de Jupiter, prennent le nom de seconde Syrte
(1082), soeur barbare (1083) de la Syrte libyque. Tel est le triste chant, il m'en souvient, Battare, que tu m'as fait reprendre. |
Nigro multa mari dicunt
portenta natare,
55 |
On dit qu'il nage dans la sombre mer (1084) un grand nombre de monstres, des êtres qui font peur souvent par leurs figures soudaines, quand leurs corps tout à coup émergent de l'élément furieux (1085), puisse Neptune pourchasser leur aveugle élan d'un trident acharné, remuant avec les vents, de toute part déchaînés, la houle noire de la mer, et puiser dans les ondes chenues une cendre noirâtre (1086) ; puissent mes champs être dits une mer sauvage. Matelot, garde-toi des champs, source d'imprécations anciennes et de malédictions impies ! |
Si minus haec, Neptune,
tuas infundimus auris,
|
Si nos malédictions n'atteignent pas tes oreilles,
ô Neptune, toi, Battare, confie aux fleuves nos douleurs ; car les fontaines, les fleuves sont depuis toujours tes amis
(1087). Je n'ai plus rien à perdre : tous mes biens appartiennent à Dis
(1088). Fleuves errants, détournez le cours de vos ondes, rebroussez chemin
(1089) et répandez-vous en sens contraire parmi les campagnes : puissent les cours d'eau courir çà et là
(1090) en se frayant un lit de leurs ondes et ne pas laisser nos champs échapper à leurs
méandres. Tel est le doux chant, il m'en souvient, Battare, que tu m'as fait reprendre. Puissent des marais sortir soudain de la terre sèche (1091), et mon successeur moissonner des joncs, là où nous cueillîmes jadis des épis (1092), et la grenouille bavarde (1093) occuper le trou du grillon sonore (1094). |
Tristius hoc rursum
dicit mea fistula carmen.
75
|
Que mon pipeau émette encore la funeste imprécation
suivante. Puissent des pluies fumantes se précipiter du haut des monts et couvrir au loin les campagnes d'un gouffre envahissant, laissant leurs nouveaux maîtres sous la menace d'étangs hostiles, d'où l'onde en s'échappant parvienne à mes champs. Que pêche dans nos terres le laboureur étranger, -
l'étranger qui toujours a vu croître sa fortune de l'injustice civile ! |
O male devoti,
praetorum crimina, agelli,
|
O pauvres champs, maudits à cause de l'injustice des préteurs (1095), et toi, Discorde, éternelle ennemie des citoyens (1096) ! Exilé sans jugement, dénué, ai-je donc quitté mes champs pour qu'un soldat reçoive le prix d'une guerre funeste ? C'est pour cela que du haut d'un tertre je ne verrai plus que l'extrémité de mon champ ; pour cela que j'irai dans les bois. Les collines, les montagnes me barreront la route. Les campagnes pourront m'entendre dire : "Adieu, doux champs, et toi, Lydie, qui les surpasses en douceur, et vous, chastes fontaines (1097), et toi, nom fortuné de mon petit domaine (1098). Descendez, un peu tard hélas ! de la montagne, pauvres petites chèvres ; vous ne brouterez plus désormais vos tendres pâturages familiers (1099). Et toi, père du troupeau (1100), retourne-toi : voici qu'une fois encore, la dernière, je regarde au loin la plaine : le bouillonnement de la mer y demeure. Adieu encore, et tous mes voeux pour toi, chère Lydie; présente ou absente, tu ne mourras de toute façon qu'avec moi (1101)." |
Extremum carmen revocemus, Battare,
avena. |
Répétons sur notre pipeau, Battare, à la fin du chant la douceur deviendra amère et dure la tendresse, les yeux verront noir ce qui est blanc et à gauche ce qui est à droite, les corps passeront en d'autres corps avant que passe de notre être ton souvenir
(1102). Tu auras beau te changer en feu ou en eau, je t'aimerai toujours
(1103), car toujours je saurai me rappeler tes délices. |
II Invideo vobis, agri
formosaque prata : |
II Je vous envie, champs et belles prairies, prairies d'autant plus belles que ma belle amie est vôtre, elle qui soupire en silence après notre amour. Maintenant ma Lydie vous voit, maintenant elle joue pour vous, maintenant elle vous parle, maintenant elle vous sourit de ses jolis yeux, elle module à voix basse mes chants, et vous chante quelquefois ce qu'elle me chantait à l'oreille. |
Invideo vobis, agri : discetis amare. |
Je vous envie, champs : vous apprendrez à aimer. O champs trop fortunés, champs bienheureux, où elle imprimera les traces de son pied neigeux, où elle cueillera de ses doigts roses un vert raisin (car la petite vigne n'est pas encore gonflée d'un doux Bacchus (1104), où elle inclinera parmi des fleurs de toute sorte ses membres qui tiennent compagnie à Vénus (1105) et dont elle foulera l'herbe tendre, où elle racontera à l'écart mes furtives amours (1106) ! Les bois s'en réjouiront, ainsi que les molles prairies et les fontaines glacées; les oiseaux feront silence; les ruisseaux ralentiront leur course ; et vous, arrêtez-vous, eaux courantes, pendant que celle qui est mon souci a la joie d'épancher sa plainte ! |
Invideo vobis, agri : mea gaudia
habetis, et vobis nunc est, mea quae fuit ante voluptas. At male tabescunt morientia membra dolore, 125 (22) et calor infuso decedit frigore mortis, quod mea non mecum domina est. Non ulla puella doctior in terris fuit aut formosior ; ac, si fabula non vana est, tauro Iove digna vel auro (Iuppiter, avertas aurem) mea sola puella est. 130 (27) |
Je vous envie, champs : vous possédez celle qui fait mes délices, et elle est vôtre maintenant, celle qui jadis était mon plaisir. Mais mes membres moribonds se consument de douleur et ma chaleur fait place au froid de la mort qui envahit mon être, parce que ma maîtresse n'est pas avec moi. Aucune jeune fille sur terre n'était plus savante ni plus belle (1107), et, si la légende n'est point vaine, ma jeune fille seule est digne (puisses-tu, Jupiter, détourner l'oreille (1108) de Jupiter changé en taureau ou en or (1109). |
Felix taure, pater magni gregis et
decus : a te vaccula non umquam secreta cubilia captans, frustra te patitur silvis mugire dolorem. Et pater haedorum felix, semperque beate : sive petis montes praeruptos, saxa pererrans 135 (32) sive libet campis, tuum tua laeta capella est, sive tibi silvis nova pabula fastidire. Et mas quodcumque est, illi sua femina iuncta interpellatos numquam ploravit amores. Cur non et nobis facilis, natura fuisset ? 140 (37) Cur ego crudelem patior tam saepe dolorem ? |
Heureux taureau, père et honneur d'un grand troupeau (1110), jamais cherchant loin de toi une couche écartée la génisse que tu aimes ne te laisse dans les bois mugir en vain de douleur ! Et toi, père des boucs (1111), heureux et toujours fortuné ! soit que tu gagnes les monts abrupts, en errant à travers les rochers, soit que tu cherches dans les bois de nouveaux pâturages (1112), soit que tu aimes mieux les plaines, ta chevrette joyeuse t'accompagne. Tout mâle a sa femelle près de lui, et n'a jamais à déplorer une séparation amoureuse ! Pourquoi n'aurions-nous pas non plus cette facilité de la nature ? Pourquoi suis-je si souvent en proie à une cruelle douleur? |
Sidera per viridem redeunt cum pallida mundum inque vicem Phoebi currens, atque aureus orbis, Luna tuus tecum est : cur non est et mea mecum ? Luna, dolor nosti quid sit : miserere dolentis. 145 (42) Phoebe, recens in te laurus celebravit amorem ; et quae pompa deum non silvis Pana locuta est ? Omnia caelestes secum sua gaudia gestant, aut insparsa vident mundo, quae dicere longum est. Aurea quin etiam cum saecula volvebantur, 150 (47) conditio similis fuerat mortalibus illis. Haec quoque praetereo : notum Minoidos astrum quaeque virum virgo sicut captiva secuta est. Laedere, caelicolae, potuit vos nostra quid aetas, condicio nobis vitae quo durior esset ? 155 (52) |
Quand les pâles étoiles reviennent par le ciel vert et qu'entrant dans la course à la place de Phébus ton orbe d'or prend le départ, ton amant (1113), ô Lune, est avec toi : pourquoi n'ai-je pas aussi mon amante avec moi ? Lune, qui sais ce qu'est la douleur (1114), aie pitié d'un malheureux ! O Phébus, le frais laurier que tu portes célèbre ton amour (1115), et quel cortège dans les bois n'a pas célébré le dieu Pan (1116) ? Les habitants du ciel portent avec eux tous les objets de leurs délices (1117), ou les voient répandus dans le ciel (1118) : l'énumération en serait longue. Mieux encore : quand les siècles d'or se déroulaient (1119), les mortes d'alors jouissaient d'une semblable condition. Je passe sur ces cas, sur l'astre fameux de la Minoide (1120), sur la vierge qui comme une captive a suivi son amant (1121). Hôtes du ciel, qu'a donc pu vous faire notre temps, pour que les conditions de la vie nous fussent plus dures ? |
Ausus egon primus castos violare pudores sacratamque meae vittam temptare puellae ? Immatura mea cogor nece solvere fata ? Istius atque utinam facti mea culpa magistra prima foret : letum vita mihi dulcius esset. 160 (57) Non mea, non ullo moreretur tempore fama, dulcia cum Veneris furatus gaudia primum dicerer, atque ex me dulcis foret orta voluptas. Nam mihi non tantum tribuerunt impia fata, auctor ut occulti noster foret error amoris. 165 (62) |
Ai-je osé le premier violer de chastes pudeurs et toucher à la bandelette sacrée (1122) de mon amie pour être forcé de dénouer par ma mort un destin qui n'était pas mûr ? Plût au ciel que ma première et maîtresse faute eût été d'avoir commis pareil acte : la mort me serait plus douce que la vie ! Ma gloire ne mourrait pas, elle ne mourrait jamais, lorsqu'on dirait de moi que j'ai le premier dérobé les douces joies de Vénus et lorsque par mon oeuvre j'aurais fait naître la douce volupté. Mais en vérité l'impie destin ne m'a point assez comblé pour que notre faute fût la révélation des arcanes de l'amour ! |
Iuppiter ante, sui semper mendacia
furti, cum Iunone, prius coniunx quam dictus uterque est, gaudia libavit dulcem furatus amorem ; et moechum tenera gavisa est elidere in herba purpureos flores, quos insuper accumbebat, 170 (67) bracchia formoso supponens Cypria collo. Tum, credo, fuerat Mavors distentus in armis, nam certe Vulcanus opus faciebat, et illi tristi turpabat malas fuligine barba. Non Aurora novos etiam ploravit amores, 175 (72) atque rubens oculos roseo celavit amictu ? Talia caelicolae. numquid minus aurea proles ? Ergo quod deus atque heros, cur non minor aetas ? |
Jupiter autrefois, qui toujours pratique les mensonges du larcin, connut avec Junon, avant qu'ils fussent tous deux des époux officiels, les joies d'un doux amour dérobé (1123). Et, avec un tendre amant (1124) la Cyprienne (1125) nouant les bras autour de son beau cou (1126), se plut à meurtrir dans l'herbe les fleurs vermeilles, sur lesquelles elle se couchait (1127). Mavors (1128), paraît-il, était retenu aux armées ; tandis que Vulcain lui faisait son métier et se souillait la barbe d'une suie méchante et laide (1129). L'Aurore n'a-t-elle pas non plus pleuré sur de nouvelles amours (1130) et, rougissante, dissimulé ses yeux dans son rose manteau ? Voilà ce qu'ont fait les habitants du ciel. Mais les gens de l'âge d'or n'en ont-ils pas fait autant ? Ce qu'ont fait les dieux et les héros (1131), pourquoi donc un âge postérieur ne le ferait-il pas ? |
Infelix ego, non illo qui tempore natus, quo facilis natura fuit. Sors o mea laeva 180 (77) nascendi,miserumque genus, cui sera libido est ! Tantam fata meae carnis fecere rapinam, ut maneam, quod vix oculis cognoscere possis , |
Mon infortune est de n'être point né au temps où la nature était facile (1132). O sort sinistre qu'est le mien de naître à présent et de faire partie d'une génération malheureuse (1133), qui connaît le plaisir tardif ! Pourquoi les destins, par cette rapine (1134), accablèrent-ils ma chair au point que je demeure quelque chose que tes yeux auraient peine à reconnaître (1135) ? |
a Les deux poèmes font corps dans la plupart des manuscrits ; toutefois dans le Bembinus l'initiale du premier vers de la Lydie peinte en rouge est l'indice certain d'une ancienne séparation, que Frédéric Jacobs a le premier rétablie dans les éditions en 1834.
b Les objections de F. K. Hermann et de Rothstein à cet égard ont été victorieusement réfutées.
c Cf. Dirae, vers 41, 89 et 95.
d Valerius Cato... ( ipse, libello cui est titulus Indignatio, ingenuum se natum ait (Gramm., XI).
e F. Plessis (l. c., p. 273) remarque avec finesse que les imitations des Bucoliques qu'on signale dans les Imprécations ne sont peut-être que des rapports, qui peuvent provenir d'un modèle commun ou d'un même enseignement d'école. " Il est assez vraisemblable, écrit-il, qu'il y ait eu à Rome d'autres poètes bucoliques que Virgile, tout au moins quelques amateurs qui s'exercèrent dans ce genre ; ils employaient sans doute beaucoup des mêmes locutions, des mêmes tours et procédés."
1048. Battare... Ce Battare a fait couler beaucoup d'encre. Selon les uns, c'est un arbre et ce serait même le hêtre de la première Bucolique ; selon d'autres il s'agirait d'un village, ou d'un fleuve, ou d'une colline, ou d'une maison de campagne ; selon d'autres enfin, d'un homme et sans doute d'un poète dont ce serait le surnom (battaros, nugator, blatero). La question parait insoluble.
1049. Reprenons... Si Battare est un poète, on peut croire que l'auteur fait allusion à l'un des poèmes de Battare ; sinon, qu'il fait allusion à un précédent poème de lui que nous ignorons, l'un ou l'autre traitant le même sujet.
1050.
Le cri du cygne... Allusion au cri de douleur mélodieux qu'on a longtemps attribué au cygne près de mourir. Cf. Malherbe
:
Ce sera là que ma lyre,
Faisant un dernier effort,
Entreprendra de mieux dire
Qu'un cygne près de sa mort.
1051. Répartis... Entre les vétérans.
1052.
Les chevreaux raviront les loups, etc... L'auteur commence ici une énumération de faits irréels, à la façon de Virgile qui, dans la huitième
Bucolique, nous montre les griffons attelés au futur avec les chevaux et les chiens venant s'abreuver avec les daims (v. 27-28)
:
Jungentur jam gryphes equis aevoque sequenti
Curn canibus timidi venient ad pocula damae ;
de Cicéron (Philipp., XIII, 21) qui prétend qu'on mariera l'eau au fer avant de voir la république réconciliée avec les partisans d'Antoine, et de Sénèque
(Hippol., 568) qui emploie la même image que Cicéron.
1053. Mon pipeau... L'auteur emploie le même mot (avena) que Virgile dans la première Bucolique (vers 2).
1054. Lycurgue... Ce Lycurgue est sans doute le vétéran spoliateur, auquel l'auteur prête le nom du roi de Thrace légendaire qui fut mis à mort par ses sujets pour avoir voulu, en saccageant leurs vignes à coups de hache, proscrire l'usage du vin et s'opposer au culte de Bacchus. C'est ce même Lycurgue qu'Ovide appelle bipennifer (Trist, V, 3, 39 ; Mét., IV, 22) et Sénèque securiger (Oed,, 471).
1055. Impies... Le soldat a commis un rapt sacrilège comme Lycurgue (cf. note précédente) avait commis un crime d'impiété en s'opposant au culte de Bacchus.
1056, Pour vous... Pour toi et les tiens.
1057. Les richesses... Les abondantes récoltes : la Sicile (Trinacria) était le grenier à blé de l'Italie, d'une fécondité proverbiale.
1058. La Trinacrie... La Trinacrie (du grec
Tinakria,île "aux trois pointes") est l'ancien nom donné à la Sicile parce qu'elle est
terminée à ses extrémités par trois caps ou promontoires : celui de Pélore au
Nord-est (aujourd'hui Paro) ; de Lilybée, à l'ouest (aujourd'hui cap
Boco); et de Pachynum, au sud-est (aujourd'hui cap Passaro).
Le substantif Trinacria et l'épithète Trinacrius se trouvent employés douze fois dans
l'Enéide, une fois dans l'Etna (vers 71) et une fois dans les
Imprécations (vers 9)).
1059.
Dans les sillons de Cérès des avoines épuisées... Certains joignent
Cereris à effetas et font de
Cereris un génitif de relation, comme veri dans les vers 440 et 452 de
l'Enéide, chant VII :
verique effeta senectus.
1060.
Puissent vos prés desséchés de chaleur jaunir et se faner... Claudien
(De Rapt. Pros., III, 238-240) nous montre ainsi, à l'arrivée de Pluton, les prés qui se flétrissent
:
.... luror permanat in herbas ;
Deficiunt rivi ; squalent rubigine prata,
Et nihil afflatum vivit : pallere ligustra, etc.
1061. Nos pipeaux... Cf. note 1053.
1062. Les guirlandes de Vénus.., Les guirlandes de fleurs dont Vénus se couronne la tête, comme Junon couronne la sienne de myrte, Cérès d'épis, etc.
1063.
Qui au printemps décorent les plaines d'une couleur
vermeille... Cf. Catulle, Epithalame de Pélée et de Thétys
:
Aurave distinctos educit verna colores;
Virgile, Géorg., IV, 306 :
Ante novis rubeant quam prata coloribus;
Culex, 69-70 :
Florida cum tellus gemmantes picta per herbas
Vere notat dulci distincla coloribus arva ;
Pervig. Veneris, 13 :
Ipsa gemmeis purpurantem pingit annum floribus ;
et Claudien, De R, P., II 90 etc.
1064. Vos yeux... Les fleurs.
1065. Vos oreilles... Les brises.
1066.
Puisse l'effet de nos malédictions dépasser encore nos
voeux... Ovide, dans l'Ibis (643-644), exprime la même idée
:
Pauca quidem, fateor; sed di dent plura rogatis
Multiplicentque suo vota favore mea.
"C'est bien peu, je l'avoue ; mais puissent les dieux t'accorder plus que je ne leur demande et, par leur faveur, multiplier mes voeux
!"
1067. Et nos jeux et nos livres... Allusion probable de l'auteur à de brefs poèmes qu'il aurait écrits (lusus) et à des livres d'idylles champêtres (libelli).
1068.
Tes ombres vertes... Expression virgilienne : viridi umbra
(Buc., IX, 20). Cf. aussi Valérius Flaccus, III, 708
:
Quae neque jam frondes, virides nec proferet umbras.
1069.
Mon chant, ô Battare, ne les fera plus souvent retentir pour moi-même... On songe ici au vers célèbre de Virgile
(Buc., I,5):
Formosam resonare doces Amaryllida silvas.
Cf. encore Properce, El., I, 18, in fine :
Sed qualiscumque es, resonent mihi Cynthia silvae
Nec deserta tuo nomine saxa vacent.
1070. Et que ses belles ombres tomberont, et qu'encore plus beau qu'elles tu tomberas toi-même, bois fortuné... On songe au vers célèbre de Virgile
(Buc., V, 44) :
Formosi pecoris custos, formosior ipse
"Gardien d'un beau troupeau, plus beau encore lui-même."
Cf. aussi Columelle, X, 299 :
Formoso Nais puero formosior ipse;
et Horace, Od., I, 16, 1 :
Matre pulchra filia pulchrior.
1071. Le Thrace Borée... Borée, fils du Titan Astrée et de l'Aurore, et qui, dans la mythologie gréco-latine personnifie le vent du nord, avait la Thrace pour séjour. Il était le père de la Neige
(Chioné) qu'il avait eue d'Orithye, et on le représentait la barbe la chevelure et les ailes pleines de neige et vêtu d'une robe flottante qui soulevait des tourbillons de poussière. Cf. Virgile, En., X, 350
:
Tres quoque Threicios Boreae de gente suprema.
1072. L'Eurus... Le Volturne des Latins, vent du sud-est.
1073.
Fauves ténèbres... Même expression dans Stace (Théb., IX, 727
:
...venit in medios caligine fulva
Saepta globos.
La même épithète de faune est appliquée au nuage par Lucrèce (VI, 460), Virgile
(En., XII, 792), Ovide (Mét., III, 273), à la poussière par Ennius, à la cendre par Calvus.
1074.
L'Africus... Le vent du sud-ouest qui vient d'Afrique et amène la pluie. Cf. Virgile,
En., I, 85-86 :
...creberque procellis
Africus.
1075. L'éther cyané... C.-à-d. l'éther bleu comme la fontaine de Cyane. On sait que la nymphe de ce nom, suivante de Proserpine, se changea en fontaine pour pleurer le rapt de sa maîtresse par Pluton (Ovide, Mét., V 112). - La même épithète est employée aussi par Pline, X, 47, 1 et par plusieurs écrivains chrétiens.
1076. N'apprendra plus... On songe au vers de Virgile, cf. note 1069.
1077. Lydie... Nom de l'amie du poète. Voir notre Introduction.
1078. Ce que tu as dit souvent... Cf. Lydie, v. 8 et 19.
1079. La
perche... La perche d'arpenteur. Cf. Properce, El., IV, 1, 130
:
Abstulit excultas pertica tristis opes.
1080. Puisse l'effet de nos malédictions dépasser encore nos veux... Répétition du vers 25. Cf. note 1066.
1081. Neptune... La mer.
1082. Syrte... L'auteur entend ici par ce mot les rivages brûlants qui bordaient la Grande et la Petite Syrte, golfes de l'ancienne Libye, aujourd'hui golfes de Sidra et de Khabs. Cf. Strabon, XVII.
1083. Soeur barbare... Horace (Od., II, 6, 3) nomme aussi les Syrtes "les barbares Syrtes".
1084.
Dans la sombre mer... Horace (Od., I, 3, 18) dit que
quand la mer s'assombrit et que la tempête menace, les monstres marins affluent à sa surface. Et Pline
(H. N., IX, 3) corrobore cette opinion : In mari belluae circa solstitia maxime visuntur.
Tunc illic ruunt turbines, tunc imbres, tune dejectae montium jugis procellae ab imo vertunt maria pulsatasque ex profundo belluas
cum fluctibus volvunt. L'auteur de la Ciris écrit de son côté
(v. 451) :
Aequoreae pestes immania corpora ponti
Undique conveniunt...
1085.
Quand leurs corps tout à coup émergent de l'élément
furieux... On songe aux vers célèbres de Catulle :
Emersere feri candenti e gurgite voltus,
Aequoreae monstrum Nereides admirantes.
Silius Italicus (XI, 482-483) écrit de son côté :
...subito emicuere per undas
Ad murmur cete toto exsultantia ponto.
1086.
Une cendre noirâtre... Les sables troubles que soulèvent les lames de la mer. Cf. Virgile,
Géorg., III, 240-241 :
....at ima exaestuat unda
Vorticibus nigramque alte subvectat arenam
Ovide, Mét., XI, 499-500 :
Et modo, cum fulvas ex imo verrit arenas,
Concolor est illis ; Stggia modo nigrior unda.
1087. Les fleuves sont depuis toujours tes amis... Sans doute parce que le mugissement de leurs flots se mêle aux imprécations de Battare.
1088. Dis... Cf. note 486.
1089. Rebroussez chemin... Cf. Ovide, Epist., V, 31 : Ad fontem Xanthi versa recurret aqua. Xanthe, retro propera, versaeque recurrite lymphae.
1090.
Les cours d'eau courir çà et là... Une expression analogue est employée par Pétrone,
Sat., CXXII, v. 131-132 :
......... nec vaga passim
Flumina per notas ibant morientia ripas.
1091.
Puissent des marais sortir soudain de la terre sèche... Silius Italicus (IV, 751-752) dépeint des plaines qui nagent, des guérets recouverts d'un impraticable marais
:
Plana natant putrique gelu liquentibus undis
Invia limosa restagnant arva palude.
1092.
Moissonner des joncs là où nous cueillîmes jadis des épis... Ovide montre de même un paysan conduisant sa barque à la rame
là où il conduisait naguère sa charrue (Mét., I, 294)
:
Et ducit remos illic, ubi nuper ararat.
1093.
La grenouille bavarde... Même expression dans un poème de
l'Anthologie (V, CXLIII a, vers 58) :
Garrula limosis cana coaxat aquis.
"La grenouille bavarde coasse dans les eaux fangeuses."
1094.
Du grillon sonore... Virgile applique la même épithète
(argutus) aux cigales.
De même que l'auteur des Dirae montre ici les grenouilles prenant la place des grillons, Ovide, dans sa description du déluge
(Mét., I, 293-300), nous montre les phoques prenant la place des chênes
:
Et modo qua graciles gramen carpsere capellae,
Nunc ibi deformes ponant sua corpora phocae.
1095. Des préteurs... Des chefs de la guerre civile.
1096.
Toi, Discorde, éternelle ennemie des citoyens... On songe aux vers de Virgile
(Buc., I, 71-72) :
...En quo Discordia cires
Perduxit miseros!
La déesse Discorde, étrusque et latine, correspondant à l'Eris grecque, apparaît fréquemment chez les poètes latins. Ennius la montre en ses
Annales, ouvrant les portes d'airain du temple de Bellone
:
...Discordia tetra
Ferratos belli postes portasque refregit;
Virgile (En., VIII, 702) lui donne une chevelure hérissée de vipères et attachée par des bandelettes sanglantes
:
...Discordia demens
Vipereum crimen vittis innexa cruentis.
Pétrone (Satiric., CXXIV) l'a dépeinte sortant des enfers, les cheveux en désordre, la bouche écumante, les yeux pleins de sang, les dents rouillées, distillant de sa langue un venin infect, couverte de haillons, agitant le brandon des disputes;
Claudien l'appelle la nourrice de la guerre : nutrix Discordia
belli.
1097. Chastes
fontaines... Les fontaines, à cause de leur pureté et de leur transparence, sont souvent qualifiées par les poètes latins de
"chastes", comme ici, "d'ingénues" (ingenui
fontes) par Lucrèce, de "virginales" par l'auteur de la Copa (vers 15)
:
Et quae virgineo libata Acheloïs ab amne,
etc. Déjà Eschyle (Pers., 613) avait parlé d'une
"virginale fontaine", parthenou pêgês.
1098. Nom fortuné de mon petit
domaine... Expression très latine : on trouve dans Albinovanus (Epicède de
Drusus) la locution "grands noms des lieux",
Fluminaque et fontes et nomina magna locorum ;
et, quant à l'épithète de fortuné (felix) elle est très
virgilienne ;
cf. Buc., I, 74 :
Ite meae, quondam felix pecus, ite capella ;
et III, 3 :
Infelix o semper, oves, pecus.
1099.
Pâturages familiers... Expression virgilienne ; cf.
Géorg., IV, 266 : pabula
nota ; et Ciris, 300 :
Dictaeas ageres ad gramina nota capellas.
1100.
Père du troupeau... Il s'agit du bouc "père du troupeau des chèvres". Cf. Pétrone,
Satiric., CXXXIII :
Tuas hircus pecoris pater ibit ad aras
Corniger...
"On verra aller à tes autels le bouc encorné, père du troupeau... "
1101.
Présente ou absente tu ne mourras de toute façon qu'avec
moi... Tibulle écrit de son côté (El., III, 31-32)
:
Vivite felices, memores et vivite nostri,
Sive erimus, seu nos fata fuisse volent,
et Properce, avec une élégante brièveté (El., II, 15, 36-37)
:
Hujus ero vivus, mortuus hujus ero.
"Je lui appartiendrai vivant, mort je lui appartiendrai."
1102. Avant que passe de notre être ton
souvenir... On songe aux vers de Virgile (Buc., I, 64)
:
Quam nostro illius labatur pectore vultus
"Avant que son visage s'en aille de notre coeur "
et de Properce (El., XV, 31).
Quam tua sub nostro mutetur pectore cura.
1103.
Tu auras beau te changer en feu ou en eau, je t'aimerai
toujours... "Tu auras beau être ce que tu voudras, dit Pro perce (El., I, 18, 32), tu ne seras pas pour moi une étrangère."
Sis quodcumque voles, non aliena tamen.
1104. D'un doux Bacchus... D'un doux vin.
1105. Ses membres qui tiennent compagnie à Vénus... Son corps digne de Vénus.
1106.
Mes furtives amours... "Tes accouplements furtifs",
...concubitusque tuos furtim
dit, de son côté, Tibulle (El., II, 5, 53).
1107.
Aucune jeune fille sur terre n'était plus savante ni plus
belle... On trouve la même pensée dans l'épitaphe de Denyse, attribuée à Pétrone
(Poé., LIII, 5-6) :
Quod si longa suae mansissent tempora vitae
Doctior in terris nulla puella foret.
"S'il lui avait été donné de vivre plus longtemps, aucune belle sur la terre n'aurait été plus savante.
"
Par savante, il faut entendre "habile aux chants, à la musique, aux arts en général".
1108. Puisses-tu, Jupiter, détourner l'oreille !... Le poète feint de croire que Jupiter, s'il en connaissait la beauté, désirerait sa Lydie.
1109.
Changé en taureau ou en or... Jupiter se changea, on le sait, en taureau, pour ravir Europe, et en pluie d'or, pour séduire
Danaé.
Properce dit de même que l'amie de Gallus est digne de Jupiter par sa grâce (El., I, 13, 29-32)
:
Nec mirum, cum sit Joue digna, et Proxima Ledae
Et Ledae partu, gratior una tribus.
Illa sit Inachiis et blandior heroinis,
llla suis verbis cogat amare Jovem.
"Pourquoi s'en étonner ? N'est-elle pas digne de Jupiter, belle presque autant que Léda et que les enfants de Léda, plus gracieuse à elle seule que les trois
ensemble ? Elle est plus caressante que les demi-déesses Inachides, et forcerait, en parlant, Jupiter à l'aimer";
et Pétrone exprime une idée analogue (Satir., CXXVI)
:
Nunc erat a torva submittere cornus fronte,
Nunc pluma canos dissimulare tuos.
Hic vers est Danae...
"C'était le moment de laisser pousser des cornes sur ton front torve, le moment sous la plume de dissimuler tes cheveux chenus. Voici la vraie Dansé..."
1110. Heureux taureau père et honneur d'un grand troupeau... Le taureau est le père d'un grand troupeau, comme le bouc est celui d'un petit troupeau. Cf. supra, vers 93 et note 1100.
1111. Père des boucs... Cf. note 1100.
1112. De nouveaux pâturages...
"Le taureau, note Pétrone, aime broûter le gazon en changeant de vallée."
Taurus amat gramen mutata carpere valle.
1113.
Ton amant... Endymion, dont on sait la légende : roi de Carie, admis par Jupiter dans l'Olympe, il osa faire comprendre à Junon qu'il trouvait ses charmes à son goût
; Jupiter lui ayant laissé le choix de son chàtiment, il obtint de l'indulgence du roi des dieux l'immortalité, une jeunesse éternelle et la faculté de dormir aussi longtemps qu'il le voudrait dans la grotte de Latmos, dont le nom signifie
"l'oubli". C'est là, selon la tradition la plus répandue, que Phébé (la Lune), qui s'était éprise du beau dormeur, venait la nuit le visiter, - visites qui ne demeurèrent point stériles puisqu'elles rendirent la chaste déesse mère de cinquante filles et d'un fils.
Les amours de Phébé et d'Endymion ont été représentées dans de nombreux bas-reliefs et de nombreuses peintures artistiques, et célébrées par maints poètes, notamment par Callimaque, par Apollonius de Rhodes
(Argon., IV, 57 sq.) et par Catulle, dans le poème sur
la Chevelure de Bérénice :
Ut Triviam furtim sub Latmia saxa relegans
Dulcis amor gyro devocet aerio.
1114. Lune, qui sais ce qu'est la douleur... Allusion probable à la douleur éprouvée par la Lune (Phébé) qui ne peut voir Endymion que la nuit.
1115. O Phébus, le frais laurier que tu portes célèbre ton amour... Allusion au laurier, en grec daphné, que porte Phébus, et qui est le symbole de son amour pour la nymphe Daphné : on connaît la légende selon laquelle celle-ci, fille du fleuve Pénée et de la Terre, et qui préférait au dieu-berger le jeune et beau Leucippe, échappa à la poursuite du dieu avec l'aide de sa mère, la Terre, qui s'entr'ouvrit soudain et ne laissa entre les mains de Phébus qu'un laurier, tronc inanimé, dont le dieu détacha un rameau. Cf. Ovide, Mét., I, 450 sq.
1116.
Quel cortège dans les bois n'a pas célébré le dieu
Pan?... Allusion à la fable selon laquelle, comme Pan poursuivait Syrinx, nymphe d'Arcadie, fille du fleuve Ladon, celle-ci s'enfuit vers les eaux paternelles et y disparut métamorphosée en roseaux
:
Pan prit quelques-uns de ces roseaux et en fit la syrinx (en grec, roseau) ; autour de lui, les Faunes et les Silvains, son cortège habituel, jouaient aussi de la syrinx. Cf. Ovide,
Mét., I, 705 sq.
1117. Les habitants du ciel portent avec eux tous les objets de leurs délices... De même que Phébus le laurier (daphné) et Pan le roseau (syrinx), d'autres dieux portent d'autres "objets de leurs délices" : Bacchus la vigne (ampélos) en souvenir de la nymphe Ampélos, cf. Ovide, Fast., II I, 409 sq. ; Saturne le tilleul, en souvenir de la nymphe Philyre, cf. Philargyrius, sch. Géorg., III, 93 ; le Soleil l'héliotrope, en souvenir de Clytie, cf. Ovide, Mét., IV, 256 sq. ; Vénus l'anémone en souvenir d'Adonis cf. Ovide, Fast., V, 227, et Servius, sch. En., V, 72 ; Mercure le safran ou crocus, en souvenir de Crocus, etc...
1118. Répandus dans le ciel... Gomme les Pléiades, aimées de Jupiter, de Mars et de Neptune; Io (le Taureau), aimée de Jupiter ; Callisto (la Grande Ourse), aimée de Jupiter ; Ariane, aimée de Bacchus ; et beaucoup d'autres, transformées en astres, que, comme dit l'auteur de l'élégie, il serait trop long d'énumérer.
1119. Quand les siècles d'or se déroulaient... Aux temps antiques où Saturne était le roi du monde.
1120. L'astre fameux de la Minoïde... La couronne d'Ariane, fille de Minos, qui, à vrai dire fut promue au ciel non pas parce qu'elle avait suivi le mortel Thésée, mais parce qu'elle s'était donnée ensuite à Bacchus.
1121.
La vierge qui comme une captive a suivi sort amant... La périphrase semble désigner Médée, qui quitta sa maison, ses parents, sa patrie, pour suivre passivement
l'étranger Jason. Properce l'appelle précisément sequax
(El., IV, 5, 41) :
Nec te Medeae delectent probra sequacis ;
et ailleurs (El., II, 34, 8) il parle de la Colchidienne qui suivit un amant inconnu
:
Colchis et ignotum nonne secuta virum est?
1122. La bandelette sacrée... La ceinture symbole de la virginité. "La nouvelle mariée, dit Festus, était ceinte d'une ceinture que l'époux détachait au lit. Cette ceinture était faite de laine de brebis, et signifiait que, de même que cette laine levée en flocons était unie à elle-même, de même le mari était attaché comme par une ceinture et un lien étroit à sa femme."
1123.
Connut avec Junon les joies d'un doux amour dérobé... Selon une tradition samienne, Junon se serait donnée à Jupiter avant d'être épousée par
lui ; le dieu et la déesse seraient restés longtemps cachés dans une oseraie, au bord de la mer, et ce n'est qu'après cette période de concubinage clandestin que Jupiter aurait offert à Junon le gâteau de farine, gage de leur union indissoluble et origine légendaire du mariage par
confarreatio. L'île de Samos, en souvenir de la déesse encore vierge, portait jadis le nom de
Parthénia, "l'île de la Vierge". Stace
(Théb., X, 61-64) a fait allusion à ces amours de Jupiter et de Junon, conçues hors du mariage
:
Ipsa illic magni thalamo desponsa Tonantis,
Expers connubii et timide positura sororem,
Lumine demisso pueri Jovis oscula libat,
Simplex, et nondum furtis offensa mariti.
"Elle-même (Junon), promise là-bas à la chambre nuptiale de Jupiter tonnant avant les noces et au moment de cesser d'être une
soeur, tremblante, baissant les yeux, connut les baisers de Jupiter enfant, naïve et n'ayant pas encore été offensée des larcins de son mari."
1124. Un tendre amant... Adonis.
1125. La Cyprienne... Vénus, née de l'écume de l'onde dans les parages de Chypre.
1126.
Nouant les bras autour de son beau cou... (du cou
d'Adonis)... C'est l'attitude classique que les poètes prêtent à l'attirante Vénus dans ses diverses amours (avec Adonis, avec Mars, avec Anchise). Cf. Catulle, LXIV, 332
:
Levia substernens robusto brachia collo...
"Passant autour du cou robuste (de Mars) ses bras lisses... "
et Réposianus De concubitu Martis et Veneris, 109 sq.
On lit aussi dans le Vénus et Adonis de Tahureau :
Croisant ses beaux membres nus
Sur son Adonis qu'elle baise,
Et lui pressant le doux flanc,
Son cou douillettement blanc
Mordille de trop grand' aise.
1127.
Se plut à meurtrir dans l'herbe les fleurs merveilleuses sur lesquelles elle se
couchait... On songe aux vers charmants attribués à Pétrone :
Idaeo quales fudit de vertice flores
Terra parens, cum se confesso vinxit amori
Juppiter...
Les "amours sur l'herbe" de Vénus ont été décrites par Théocrite, XX, 35,
6 ; par Ovide, Mét., X, 556-558 ; Héroïd., IV,
97-98.
1128.
Mavors... Lucrèce N. R., 1, 32, appelle Mars
Mavors, et l'on retrouve ce doublet ancien dans Virgile et beaucoup d'autres poètes. Une inscription de Tusculum (C. I. L., 12, 49) donne une autre forme
Maurte, datif de Maurs.
Ancienne divinité italique, identifiée plus tard avec le dieu grec Arès, Mavors ou Mars est le
même dieu que le Mamers des Osques.
1129. Et se souillait la barbe d'une suie méchante et
noire... Vulcain est généralement dépeint par les poètes, coloré des flammes du brasier
(igneus), bouillant (ardens) et suant, la barbe pleine de suie et de fumerolles. Cf. Ovide,
Fast., I, 375 :
Oraque caerulea tollens rorantis barba
"Et (Vulcain) dressant son visage dégouttant à la barbe
bleuâtre ";
Mét., I, 339 :
...ora dei madida rorantia barba
"le visage du dieu où dégouttait une barbe mouillée."
1130. L'Aurore n'a-t-elfe pas non plus pleuré sur de nouvelles
amours ?... L'Aurore (Eôs), femme de Tithon, passait pour s'éprendre de tout ce qui était jeune et brillant comme elle; ses
"nouvelles amours" furent nombreuses. On cite parmi ceux quis lui plurent et à qui elle s'abandonna Céphale et
Orion ; mais il n'est aucun de ses amants successifs qui ne la rendît malheurese
:
Céphale, qu'elle avait enlevé pendant une chasse, préféra retourner auprès de sa femme Procris .... Orion, qu'elle avait aussi enlevé et transporté à Délos, y périt sous les flèches de Diane ou piqué par un scorpion que suscita la déesse rivale.
1131. Les héros... Tels que Thésée, Adonis, Orion, etc. Cf. supra.
1132. Mon infortune est de n'être point né au temps où la nature était facile... "Malheureuse que je suis, s'écrie de même Myrrha dans les Métamorphoses d'Ovide (X, 334-335), de n'avoir pas eu la chance de naître en ces temps reculés ! "
1133. O sort sinistre
qu'est le mien de naître à présent et de faire partie d'une génération
malheureuse !... Cf. Sénèque, Thyest., 878-879
:
In nos aetas ultima venit.
O nos dura sorte creatos !
" Nous sommes de la dernière génération. Oh . quel dur sort
que le nôtre !"
1134. Cette rapine... La confiscation des terres.
1135.
Quelque chose que tes yeux auraient peine à
reconnaître... Ovide dit de même en ses Pontiques (I, 4, 5-6)
:
Nec si me subito videas, agnoscere possis ;
Aetatis facta est tanta ruina meae !
"Et si tu me voyais tout à coup, tu ne pourrais me reconnaître tant l'âge a fait de moi une ruine
! "