RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE       RETOURNER A LA TABLE DES MATIERES DE L'APPENDIX VERGILIANA

 

 

Poèmes attribués à Virgile : traduction nouvelle de Maurice RAT, GARNIER, 1935

La fille d'auberge le cachat l'aigrette le moustique l'Etna Epigrammes Priapées imprécations élégies pour Mécène

LE MOUSTIQUE (CULEX)

NOTICE SUR LE MOUSTIQUE

Le Moustique (Culex) est un poème de 414 hexamètres qui a pour sujet la mort d'un moustique écrasé par un berger, au moment où il le réveille pour le sauver d'un serpent : le moustique, une fois mort, apparaît en songe à son meurtrier et lui demande une sépulture, qu'il obtient.
Le premier texte où il soit fait mention de ce poème remonte à Suétone (a). Au dire de cet écrivain, contemporain de Néron et des Flaviens, Lucain avait écrit une préface, où, comparant avec beaucoup de légèreté et d'outrecuidance son âge et ses essais de jeunesse à ceux de Virgile, il avait ironiquement osé dire : "Combien me reste-t-il encore à faire pour atteindre le
Culex (b)?" Puis vient Stace, qui fait deux fois allusion au Culex. La première fois (c), il le rapproche de la Batrachomyomachie pour justifier la frivolité de ses propres poèmes ; la seconde fois (d), dans celle de ses Silves où il tire l'horoscope de Lucain, il paraphrase le mot de Lucain cité par Suétone, prédisant au poète les oeuvres qu'il aura écrites "avant d'avoir atteint l'âge où 'Virgile composait le Culex".
Martial enfin, en des distiques qui devaient servir d'épigraphes à des éditions virgiliennes, a écrit (e) : 
"Soudain [-Virgile] conçut l'Italie et l'
Arma virumque (c.-à-d. l'Enéide), lui dont la voix naguère maladroite avait pleuré un Moustique";
et ailleurs : (f
"Reçois, lecteur passionné, le
Moustique de l'éloquent Maron car il ne faut pas quitter le badinage pour entonner l'Arma virumque."
Tels sont les seuls textes consacrés au
Culex au premier siècle après J.-C.
Il faut ensuite attendre jusqu'aux IIIe, IVe et Ve siècles, pour trouver d'autres textes, tirés de grammairiens ou de scoliastes.
Le lexicographe Nonius, qui cite le mot
labrusca (g), dit expressément qu'il "est du genre féminin dans les Bucoliques de Virgile (V, 7) et du genre neutre dans le Culex du même (v. 53)", - où le mot se trouve en effet.
Le second Donat, qui, dans sa
Vie de Virgile compilée de Suétone (h), énumère les essais de jeunesse du poète, après avoir cité le distique sur le brigand Ballista, puis le Catalecton, les Priapées, les Épigrammes et les Imprécations, mentionne la Ciris et le Culex, accordant à ce dernier ouvrage seulement une mention détaillée : "En voici, dit-il le sujet : un berger fatigué par la chaleur s'étant endormi et un serpent rampant vers lui d'un marécage, un moustique devança celui-ci par son vol et piqua le berger entre les deux tempes. L'autre aussitôt écrasa le moustique et tua le serpent ; puis il dressa un tombeau du moustique et lui fit cette épitaphe : (suit l'épitaphe qui forme les deux derniers vers du Culex)."  
Servius, dans son Commentaire de l'
Enéide (i), énumère le Culex parmi les 7 ou 8 ouvrages de jeunesse du poète.
Enfin Phocas, dans sa vie versifiée de Virgile, ne cite que deux oeuvres de jeunesse : le distique contre Ballista et le
Culex (j).
Ces sept témoignages des anciens firent foi jusqu'au XVIIe siècle, et l'authenticité du
Culex n'était mise en doute par personne. Mais en 1675, le P. de la Rue, dans la chronologie virgilienne dont il fit précéder son édition des oeuvres de Virgile (k), soutint que le Culex attribué à Virgile n'était pas l'oeuvre du poète, mais une contrefaçon ultérieure. Il appuyait son jugement sur des raisons de style et de date, et trouvait dans la reproduction servile des idées et des procédés du poète la certitude que l'oeuvre était d'un faussaire, qui, à une époque déterminée, avait eu la prétention audacieuse de restituer le Culex véritable, dont le texte s'était perdu.
Un siècle et demi plus tard, Heyne (l), moins sceptique que le P. de la Rue, soutenait une autre thèse : celle de l'authenticité partielle du
Culex. Selon lui, le Culex qui nous est parvenu est bien l'oeuvre de Virgile, mais sensiblement accrue par des interpolations ultérieures, qui auraient été faites déjà dans les écoles de rhétorique romaines (amplifications) et poursuivies durant le moyen âge. Et confiant dans son discernement, Heyne ramenait dans son Culex restitué à 99 vers (au lieu de 414) la partie de l'ouvrage qu'il croyait authentique.  

Les positions prises sur l'authenticité du Culex ne se sont pas modifiées de nos jours. Les trois thèses qui s'affrontent : celle de l'authenticité intégrale, acceptée par les anciens et par Scaliger (m); celle de la non-authenticité, préconisée par le P. de la Rue (n) ; celle de l'authenticité partielle, inaugurée par Heyne, ont chacune des partisans, - partisans sans doute téméraires, car la question, de fait, semble bien être intranchable. Nous ne la trancherons donc pas, mais pensant, pour notre part, que rien de décisif n'a été dit contre l'authenticité virgilienne du poème, nous examinerons ici succinctement les principaux arguments qui ont été fournis contre l'authenticité, en indiquant brièvement nos réserves.
Ce sont d'abord des arguments de date. Le mot prêté à Lucain ne s'explique guère, dit-on, si l'on admet avec Donat que Virgile ait composé le
Culex à seize ans : car "Lucain avait certainement dépassé cet âge et n'était plus un tout jeune enfant lorsqu'il s'exprimait ainsi". Il est vrai, mais l'objection tombe, si dans Donat, au lieu du chiffre XVI négligemment écrit en caractères romains ou à demi effacé, on lit XXI ou XXVI. La première de ces corrections a été proposée par Ettore de Marchi en 1903 (o) ; la seconde, bien antérieurement, par Fr. Ondin, en 1729 (p). L'hypothèse d'Ettore de Marchi a contre elle - son auteur en convient lui-même - le texte formel de Stace (cité plus haut), d'où il résulte qu'à l'âge où Virgile écrivait le Culex, Lucain avait déjà terminé la Pharsale (q) or Lucain, à vingt et un ans, n'avait pas encore écrit la Pharsale .
L'hypothèse de Fr. Oudin résout cette objection et elle a en outre pour elle, en rapprochant la date du
Culex, composé à vingt-six ans, de celle des premières Bucoliques, composées, comme on sait, à vingt-huit, l'avantage de s'accorder avec le mot de Donat, qui dit que Virgile, ayant fait le Culex, écrivit peu de temps après les Bucoliques (mox ad Bucolica transit); on objecte par contre qu'elle se concilie mal avec le ore rudi de Martial, et avec la différence de style et de manière qui sépare le Culex des Bucoliques. A vrai dire, ces deux dernières objections paraissent fragiles : Martial, par ore rudi voulait-il signifier autre chose que la différence de réussite qui distingue une oeuvre de jeunesse encore imparfaite comme le Culex d'un chef-d'oeuvre comme les Bucoliques? et quant à cette différence même, à deux ans d'intervalle, pourquoi donc serait-elle plus surprenante que celle qui existe, par exemple, entre les deux premières tragédies de Racine et Andromaque? En définitive, il n'est nullement impossible que le Culex ait pu être terminé (r) par Virgile deux ans avant les Bucoliques, c.-à-d. en 43 av. J.-C.
On invoque aussi, en faveur de la non-authenticité du
Culex, des arguments qui portent sur la versification, la langue, la composition du poème. "Le plan, dit Benoist, flotte au hasard, les épisodes se succèdent, se mêlent sans règle, débordent les uns sur les autres, se développent sans mesure ni proportion." La langue, ajoute-t-on, est différente : l'auteur du Culex emploie quelques mots que Virgile ne connaît pas et il use de constructions contraires à la syntaxe virgilienne. Enfin, comparant les vers du Culex à ceux des quatre premières Bucoliques (II, III, V, VI), on constate qu'il y a deux fois plus d'élisions dans les Bucoliques que dans le Culex, huit hiatus dans les Bucoliques et un seul dans le Culex, sept allongements de syllabes brèves à la césure dans les Bucoliques et un seul dans le Culex, bref que la versification du Culex est beaucoup moins hardie, beaucoup moins personnelle que celle des Bucoliques. Aucun de ces arguments n'a pourtant une force suffisante. D'abord on peut contester, quoi qu'en disent Benoist et Plésent, que le plan du Culex (s) soit beaucoup plus "flottant" que celui des chefs-d'oeuvre de Virgile; ensuite, les différences de langue sont minimes (t); enfin si la statistique des élisions, des hiatus et des allongements de syllabes ne prête matière à réfutation, rien n'empêche d'admettre que Virgile, en parvenant avec les Bucoliques à la maîtrise, ait montré plus de liberté et de hardiesse sur certains points ; pour le reste on est bien obligé de reconnaître que les rejets ne sont pas plus nombreux chez l'auteur des premières Bucoliques que chez celui du Culex, que le mélange des dactyles et des spondées y est semblable, que les césures principales s'y distribuent en même proportion. Il ne serait donc pas impossible prosodiquement, grammaticalement, littérairement que le Culex fût de Virgile lui-même.
Et j'ajoute que, puisqu'il n'est pas impossible qu'il en soit, il est dès lors probable qu'il en est. Je n'ignore pas que des juges éminents, au premier rang desquels se trouve M. Frédéric Plessis (u), pensent le contraire.  
Mais, révérence gardée, j'aime mieux m'en remettre sur ce point à Ovide, qui, de l'aveu même de Plésent, non seulement "croyait à l'authenticité du
Culex et ne le distinguait pas des autres productions virgiliennes", mais encore l'imita fréquemment, comme il a fréquemment imité les autres oeuvres du maître de Mantoue. Comme il n'est nulle trace de ces imitations du Culex dans les Amours, qui ont dû paraître vers 14 av. J.-C., que les imitations qu'on en peut relever dans les Héroïdes et l'Art d'aimer sont rares et douteuses, mais qu'en revanche à partir du Remède d'Amour elles deviennent nombreuses et flagrantes, j'en conclurais assez volontiers que le Culex écrit par Virgile vers 44, a été publié seulement vers l'an 12 ou l'an 11, donc bien avant le recueil de l'Appendix Vergiliana, qui date sans doute de Claude. L'hypothèse de cette publication séparée a en outre l'avantage d'expliquer la place à part donnée au Culex par Martial et Suétone.

a Suétone,
Vie de Lucain, II.

b. Tantae levitatis et tam immoderatae linguae fuit, ut in praefatione quadam, aetatem et initia sua cum VergiIio comparans, ausus sit dicere : "• Ah ! quantum mihi restat ad Culicem ?"
M. Frédéric Messis (
La Poésie latine, 1909, p. 558) croit que Suétone s'est mépris ici sur la pensée de Lucain et que le mot du poète ne comporte nulle ironie : ce serait, au contraire, "une exclamation toute de modestie.., par laquelle Lucain voulait dire qu'il se jugeait encore bien loin du Culex", et M. Plessis invoque à l'appui de son interprétation quil irait peu vraisemblable que Lucain, qui témoignait par ailleurs une "admiration généreuse, un peu candide" pour un poète subalterne comme Perse, se montrât si dédaigneux à l'égard de Virgile. - L'argument de M. Frédéric Plessis apparaît bien fragile. Outre qu' il est hardi de prêter un contresens à Suétone, - et du même coup à Stace, qui, on le verra plus loin, interprète le mot de Lucain comme Suétone. - M. Plessis semble se faire des illusions sur la modestie des poètes en général, et sur celle de Lucain en particulier, fier de ses lauriers juvéniles, représentant d'une école hostile à Virgile, et dont le seul témoignage d'admiration qu'on connaisse de lui à l'égard de Perse, son contemporain et son aîné, - disant (voir la Vie de Perse par Probus) qu'à côté des beaux vers (vera poemata) du satirique les siens ne sont que "jeux" - n'était sans doute qu'un mot de prudente courtoisie.

c Stace, Silv., Préf. du livre I : Et Culicem legimus, et Batrachomyomachiam etiam agnoscimus ; nec quisquam est illustrium poetarum qui non aliquid operibus suis stilo remissiore praeluserit.

d Stace, Silv., II, 7, 73-74 : 
Haec primo juvenis canes sub aevo 
Ante annos Culicis Maroniani
.

e Martial, Epigr., VIII, 56, 19-20 ; 
Protinus Italiam concepit et arma virumque 
Qui modo vix Culicem fleverat ore rudi

f Martial, Epigr. XIV, 185:
Accipe fecundi Culicem, studiose, Maronis 
Ne, nucibus positis, arma virumque legas
.

g Nonius : LABRUSCA, genere femineo, Verg. in Bucol. V, 7 neutro, Verg. in Culice, 53.

h Donat, Vergilii vita : .. item [fecit] Cirim et Culicem, cum esset annorum XVI. Cujus materies talis est : pastor fatigatus aestu cum sub arbore condormisset et serpens ad eum proreperet e palude, culer praevolavit atque inter duo tempora aculeum fixit pastori. At ille continuo culicem contrivit et serpentem interemit ac sepulcrum culici statuit et distichon fecit :
Parve culex, pecudum castor tibi tale merenti 
Funeris officium vitae pro munere reddit, "
 

i Servius, Vergilii vita, 1.

j Phocas, Virgilii vita, vers 60.

k P. de la Rue, en tête de son édition de Virgile, Paris 1675.

l Heyne, P. Virgilius Maro, 4- éd., Leipzig, 1832, t. IV, pp. v-xvi et 3-124.

m Scaliger, Commentarii et Castigationes in Culicem P. Virgilii Maronis, Lyon, 1572 et 1573.

n Sur la non-authenticité du Culex, voir les arguments de Benoist, Oeuvres de Virgile t. III, pp. XL-XLII, 1880 ; de M. Frédéric Plessis, l. c. ; de Plésent, Le Culex, pp. 1-40, 1920, 

o E. de Marchi, Di un poematto apocrifo attribuito a Virgilio, Biello, 1903.

p Fr. Oudin, Dissertation critique sur le Culex de Virgile, Paris, 1729.

q Cf. Stace, Silv., II, 7, 70-72, qui mentionne un des derniers épisodes de la Pharsale :
Tu Pelusiaci scelus Canopi
Deflebit pius et Pharo cruenta
Pompeio dabis altius sepulcrum

r Il a pu être commencé en 44, - ce qui expliquerait que le poème soit dédicacé à Octave et non à Octavien. Rien d'impossible non plus, quoi qu'on en ait dit, à ce que Virgile donne à Octave, âgé de dix-huit ans, le nom de puer. Et puis, reste à savoir si l'Octavius en question est bien Octave.

s Ce plan est le suivant : 1-41 : dédicace à Octave et invocation aux divinités amies des poètes, Phébus, Palès, les Muses ; 42-57 : le berger se lève à l'aurore et conduit son troupeau vers la montagne ; 58-97 - digression sur le bonheur de la vie champêtre; 98-162 : au milieu du jour, le berger mène son troupeau à l'ombre du bois sacré de Diane ; description du bois et de la source ; sommeil du berger ; 163-201 : un serpent va surprendre le berger endormi, quand un moustique l'éveille ; le berger écrase le moustique et tue le serpent ; 202-384 : le berger, le soir venant, remmène son troupeau et s'endort ; le moustique lui apparaît en songe, décrit les enfers, lui demande une sépulture ; 385-414 - le berger, qui a admis la juste réclamation du moustique, lui élève un tombeau et lui consacre une inscription.

t La statistique interne du Culex prouve qu'if n'est point de différence sensible entre les parties de l'ouvrage que Heyne juge authentiques et celles qu'il considère comme apocryphes. Sur ce point la critique de Plésent (1. c., pp. 24-25) fait justice, croyons-nous, de la thèse de l'authenticité partielle : "une forme aussi homogène, écrit-il, un système de versification aussi uniforme sont difficilement compatibles avec un travail de retouches et de mosaïque, même dans l'hypothèse d'un remaniement unique, à plus forte raison si l'on admet des interpolations successives. Si le Culex n'est que l'amplification d'une oeuvre authentique, comment se tait-il que ce qui appartient à Virgile ressemble si sort à ce qui évidemment vient d'ailleurs?

u "Ce n'est pas seulement l'art virgilien qui fait défaut [au Culex] c'est l'âme virgilienne : il n'y a dam ce long poème ni attendrissement, ni grâce, n! la moindre allusion aux événements contemporains, ni aucune ingéniosité." F. Plessis, l. c., p. 259.


Culex

Lusimus, Octavi, gracili modulante Thalia,
atque ut araneoli tenuem formavimus orsum ;
lusimus : haec propter culicis sint carmina dicta,
omnis ut historiae per ludum consonet ordo
notitiaeque ducum voces. Lcet invidus adsit :        5
quisquis erit culpare iocos Musamque paratus,
pondere vel culicis levior famaque feretur.
posterius graviore sono tibi musa loquetur.
Nostra, dabunt cum securos mihi tempora fructus,
ut tibi digna tuo poliantur carmina sensu.            10

 

Le moustique

Voici les jeux (333), Octave (334), que sur ses grêles pipeaux (335) module notre Thalie (336); car, comme l'araignée, nous n'avons fait qu'ourdir une trame légère. Voici nos jeux, - des vers ayant un moustique pour héros, mais que je voudrais n'être pas indignes de la haute poésie ni de l'épopée glorieuse (337). Que m'importent les envieux qui me guettent (338) ! Quel que soit celui qui s'apprête à blâmer mon badinage (339) et ma Muse (340), je veux qu'il passe pour plus léger de gloire que ne pèse un moustique. Plus tard, notre Muse t'adressera de plus graves accents (341), quand le temps me permettra de donner en toute tranquillité les fruits de mon génie, et que je pourrai polir des vers dignes de ton goût.

Latonae magnique Iovis decus, aurea proles,
Phoebus erit nostri princeps et carminis auctor
et recinente lyra fautor, sive educat illum
Arna Chimaeraeo Xanthi perfusa liquore,
seu decus Asteriae seu qua Parnasia rupes           15
hinc atque hinc patula praepandit cornua fronte,
Castaliaeque sonans liquido pede labitur unda.
Quare, Pierii laticis decus, ite, sorores
Naides, et celebrate deum ludente chorea.
Et tu, sancta Pales, ad quam ventura recurrit       20
agrestum fetura boum, sit cura tenentis
aerios nemorum cultus silvasque virentes.
Te cultrice vagus saltus feror inter et antra.

 

Le fils doré (342) de Latone et du grand Jupiter (343), leur ornement, Phébus, sera l'initiateur et le garant de notre poème, et le protecteur qui nous accompagne sur sa lyre (344), soit qu'Arna (345) l'ait nourri, Arna que baigne l'onde chimérique du Xanthe (346), ou la beauté d'Astérie (347), ou le rocher du Parnasse (348) qui étend deçà et delà son front vaste aux deux cornes (349), et qui voit bondir d'un pied liquide (350) le flot sonore de Castalie (351). Vous donc, honneur de la fontaine de Piérie (352), allez, soeurs Naïades (353), et célébrez le dieu (354) par vos jeux et vos rondes. Et toi, sainte Palès (355), qui vois accourir à tes autels l'abondante progéniture des boeufs rustiques (356), daigne protéger le poète à travers les espaces aériens des bois et les forêts verdoyantes. Avec toi qui hantes ces clairières (357) et ces antres, j'aime à porter là mes pas vagabonds.
Et tu, cui meritis oritur fiducia chartis,
Octavi venerande, meis adlabere coeptis,           25
sancte puer, tibi namque canit non pagina bellum
triste Iovis patrisque ;canit non pagina bellum,
Phlegra, Giganteo sparsa est quo sanguine tellus,
nec Centaureos Lapithas compellit in enses,
urit Ericthonias Oriens non ignibus arces,            30
non perfossus Athos nec magno vincula Ponto
iacta meo quaerent iam sera volumine famam,
non Hellespontus pedibus pulsatus equorum,
Graecia cum timuit venientis undique Persas ;
mollia sed tenui pede currere carmina versu        35
viribus apta suis Phoebo duce ludere gaudent.
Hoc tibi, sancte puer ; memorabilis et tibi perstet
gloria perpetuum lucens mansura per aevum,
et tibi sede pia maneat locus, et tibi sospes
debita felices memoretur vita per annos,            40
grata bonis lucens. Sed nos ad coepta feramur.
Et toi qui commences à inspirer confiance aux écrivains de mérite, Octave vénérable (358), sois propice à mon entreprise, ô saint enfants (359). Sans doute cette page ne chante pas la guerre lamentable de Jupiter et de son père (360) ; cette page ne chante pas la terre phlégréenne inondée du sang des Géants (361), ne jette pas les Lapithes contre les épées des Centaures (362) ; l'Orient n'y brûle pas de ses feux les tours d'Erichthon (363) ; l'Athos percé (364) ni le vaste Pont chargé de chaînes (365) n'ont pas à attendre de mon volume une célébrité qui serait bien tardive, ni l'Hellespont battu par les pieds des chevaux (366) lorsque la Grèce tremblante vit sur elle les Perses s'avancer de toutes parts ; non, ma Muse, que guide Phébus, se plaît à parcourir d'un vers léger une trame souple et ne se joue (367) qu'à une tâche adaptée à ses forces. Et toi, ô saint enfant (368), puisses-tu voir la gloire te demeurer fidèle et brillante à travers la continuité des âges ! Puisse une place t'attendre dans le séjour des justes ! Puisse la sécurité qui t'est due et dont tu auras joui pendant de longues années de bonheur t'être agréable parmi le bonheur qui l'éclaire ! Mais venons-en à notre entreprise.
Igneus aetherias iam sol penetrabat in arces
candidaque aurato quatiebat lumina curru,
crinibus et roseis tenebras Aurora fugarat,
propulit e stabulis ad pabula laeta capellas           45
pastor, et excelsi montis iuga summa petivit,
lurida qua patulos velabant gramina colles.
Iam silvis dumisque vagae, iam vallibus abdunt
corpora, iamque omni celeres e parte vagantes
tondebant tenero viridantia gramina morsu.        50
Scrupea desertas haerebant ad cava rupis,
pendula proiectis carpuntur et arbuta ramis,
densaque virgultis avide labrusca petuntur.
Haec suspensa rapit carpente cacumina morsu,
vel salicis lentae vel quae nova nascitur alnus ;   55
haec teneras fruticum sentes rimatur, at illa
imminet in rivi praestantis imaginis undam.

 

Le Soleil de feu avait déjà pénétré dans les citadelles de l'éther, projetant de son char doré la blanche lumière, et l'Aurore, de sa chevelure de roses, avait mis en fuite les ténèbres, quand un berger chassa de l'étable vers les riants pâturages ses chèvres, et gagna les sommets d'une haute montagne, là où les gazons jaunis (369) revêtaient les spacieux versants. Tantôt les bois et les buissons, tantôt les vallées cachaient les bêtes vagabondes ; tantôt ramassant de tous côtés leurs agiles bandes errantes, elles tondaient d'une tendre morsure le gazon verdoyant. On en voit qui grimpent aux creux interstices d'une roche isolée, qui cueillent les baies suspendues aux rameaux inclinés de l'arbousier (370), ou qui attaquent d'une dent avide les grappes de lambrusque (371) des broussailles. L'une saisit et mord la pointe des pousses que laisse retomber le saule flexible et l'aulne qui vient de naître; une autre fourrage les tendres épines des halliers ; une autre encore se penche sur le bord d'un ruisseau, fidèle miroir.
O bona pastoris (si quis non pauperis usum
mente prius docta fastidiat, et probet illis
somnia luxuriae spretis) incognita curis             60
quae lacerant avidas inimico pectore mentes !
Si non Assyrio fuerint bis lota colore
Attalicis opibus data vellera, si nitor auri
sub laqueare domus animum non angit avarum,
picturaeque decus, lapidum nec fulgor in ulla      65
cognitus utilitate manet, nec pocula gratum
Alconis referent Boethique toreuma, nec Indi
conchea baca maris pretio est, at pectore puro
saepe super tenero prosternit gramine corpus,
florida cum tellus, gemmantes picta per herbas, 70
vere notat dulci distincta coloribus arva.
Atque illum calamo laetum recinente palustri,
otiaque invidia degentem et fraude remota,
pollentemque sibi, viridi cum palmite lucens
Tmolia pampineo subter coma velat amictu.       75
Illi sunt gratae rorantes lacte capellae,
et nemus et fecunda Pales et vallibus intus
semper opaca novis manantia fontibus antra.

 

O bonheur du berger (372) (si le vain savoir de nos esprits prévenus ne dédaigne pas les jouissances du pauvre et ne se laisse pas prendre, pour mépriser la pauvreté, aux trompeuses vanités du luxe) - bonheur ignorant des soucis, qui déchirent dans un coeur haineux nos avides pensées ! Si jamais pour lui des toisons, payées par les trésors d'un Attale (373), n'ont été deux fois trempées dans la teinture assyrienne (374) ; si l'éclat de l'or rayonnant aux lambris de sa demeure (375) n'étreint pas son coeur avide ; s'il n'est pas destiné à posséder de magnifiques peintures ni des mosaïques resplendissantes, dont l'inutilité lui est connue ; si ses coupes n'étalent pas les agréables ciselures d'Alcon (376) et de Boèce (377) ; si la perle des coquilles de la mer Indienne (378) n'a point de prix à ses yeux ; du moins son coeur est pur : souvent il étend ses membres sur un tendre gazon, alors que la terre peinte de fleurs, parmi les herbes gemmées, parsème au doux printemps les champs rehaussés de mille couleurs ; alors, joyeux des chants qu'il tire d'un chalumeau palustre, coulant des loisirs exempts d'envie et de mensonge, il s'épanouit pour lui : l'arbuste du Tmolus (379), jouant de ses verts sarments, le voile de sa chevelure et le recouvre d'un manteau de pampre (380). Il aime les chèvres ruisselantes de lait; il aime les bocages, et la féconde Palès (381), et, au fond des vallées, les antres sombres où coulent des eaux toujours nouvelles. 
Quis magis optato queat esse beatior aevo,
quam qui mente procul pura sensuque probando      80
non avidas agnovit opes nec tristia bella,
nec funesta timet validae certamina classis,
nec, spoliis dum sancta deum fulgentibus ornet
templa vel evectus finem transcendat habendi,
adversum saevis ultro caput hostibus offert ?         85
Illi falce deus colitur non arte politus,
ille colit lucos, illi Panchaia tura
floribus agrestes herbae variantibus addunt,
illi dulcis adest requies et pura voluptas,
libera, simplicibus curis ; huic imminet, omnis        90
derigit huc sensus, haec cura est subdita cordi,
quolibet ut requie victu contentus abundet,
iucundoque liget languentia corpora somno.
O pecudes, o Panes et o gratissima Tempe
frondis Hamadryadum, quarum non divite cultu       95
aemulus Ascraeo pastor sibi quisque poetae
securam placido traducit pectore vitam.
Qui pourrait vivre d'une vie plus heureuse et plus digne d'envie que celui dont l'âme pure et le coeur sans reproche ne connaît pas, à l'écart du monde, l'avide amour des richesses, et ne craint ni les tristes guerres ni les funestes combats d'une flotte puissante. Il ne va pas, pour orner de brillantes dépouilles les saints temples des dieux, ou pour dépasser en s'élevant les bornes de la puissance, se jeter, la tête baissée, au-devant de cruels ennemis. Ce n'est pas l'art, c'est la faux qui a poli l'image du dieu qu'il adore (382) ; ses palais, ce sont les bois; ses encens de Panchaïe (383), ce sont les herbes des champs, émaillées de fleurs. Un doux repos, une volupté pure, et libre, les soins d'une âme simple, voilà sa vie : ce à quoi tendent ses désirs, ce vers quoi il dirige toutes ses pensées, le souci qu'il a au fond du coeur, c'est, content de toute nourriture, d'avoir du repos en abondance, et d'abandonner aux liens d'un doux sommeil ses membres alanguis. O brebis ! ô dieux Pans (384) ! ô délicieuse Tempé (385) aux frondaisons peuplées d'Hamadryades (386) ! dans le culte sans faste qu'il leur voue, chaque berger, émule du poète d'Ascra (387), passe comme lui, d'un coeur tranquille, une vie sans orage l
Talibus in studiis baculo dum nixus apricas
pastor agit curas et dum non arte canora
compacta solitum modulatur harundine carmen,     100
tendit inevectus radios Hyperionis ardor,
lucidaque aetherio ponit discrimina mundo,
qua iacit Oceanum flammas in utrumque rapaces.

 

Tels sont les travaux du berger appuyé sur sa houlette (388) - tantôt il berce des rêves ensoleillés, tantôt, inhabile aux harmonieux accords, il module sur ses roseaux loo accouplés une interminable chanson, cependant que le feu d'Hypérion (389) s'élève, dardant ses rayons (390), et qu'il pose au milieu du monde cette ligne lumineuse, par où il jette sur l'un et l'autre Océan (391) ses flammes dévorantes.
Et iam compellente vagae pastore capellae
ima susurrantis repetebant ad vada lymphae,         105
quae subter viridem residebant caerula muscum.
Iam medias operum partes evectus erat sol,
cum densas pastor pecudes cogebat in umbras.
Et procul aspexit luco residere virenti
Delia diva, tuo, quo quondam victa furore              110
venit Nyctelium fugiens Cadmeis Agave,
infandas scelerata manus et caede cruenta
quae gelidis bacchata iugis requievit in antro
posterius poenam nati de morte datura.
Hc etiam viridi ludentes Panes in herba                 115
et Satyri Dryadesque chorus egere puellae
Naiadum coetu. Tantum non Orpheus Hebrum
restantem tenuit ripis silvasque canendo,
quantum te, pernix, remorantem, diva, chorea
multa tuo laetae fundentes gaudia vultu,               120
ipsa loci natura domum resonante susurro
quis dabat et dulci fessas refovebat in umbra.
Nam primum prona surgebant valle patentes
aeriae platanus, inter quas impia lotos,
impia, quae socios Ithaci maerentis abegit,           125
hospita dum nimia tenuit dulcedine captos.
At quibus ignipedum curru proiectus equorum
ambustus Phaethon luctu mutaverat artus,
Heliades, teneris implexae bracchia truncis,
candida fundebant tentis velamina ramis.              130
posterius, cui Demophoon aeterna reliquit
perfidiam lamentandi mala : perfide multis,
perfide Demophoon et nunc deflende puellis !
Quam comitabantur, fatalia carmina, quercus,
quercus ante datae Cereris quam semina vitae :     135
illas Triptolemi mutavit sulcus aristis.
Hic magnum Argoae navi decus addita pinus
proceras decorat silvas hirsuta per artus,
appetit aeriis contingere motibus astra.
IIicis et nigrae species, Lethaea cupressus              140
umbrosaeque manent fagus hederaeque ligantes
bracchia, fraternos plangat ne populus ictus,
ipsaeque excedunt ad summa cacumina lentae
pinguntque aureolos viridi pallore corymbos.
Quis aderat veteris myrtus non nescia fati.              145
at volucres patulis residentes dulcia ramis
carmina per varios edunt resonantia cantus.
His suberat gelidis manans e fontibus unda,
quae levibus placidum rivis sonat orta liquorem,
et quanquam geminas avium vox obstrepit aures,    150
hac querulae referunt voces quis nantia limo
corpora lympha fovet; sonitus alit aeris Echo,
argutis et cuncta fremunt ardore cicadis.
At circa passim fessae cubuere capellae
excelsis subter dumis, quos leniter adflans              155
aura susurrantis poscit confundere venti.

 

Mais voici que, rassemblées par le berger qui les pousse devant lui, les chèvres vagabondes regagnent les basses rives d'une source murmurante : l'onde bleuâtre sommeillait sur la verte mousse. Déjà le Soleil, en s'élevant, avait accompli la moitié de ses travaux (392), quand le berger poussa ses chèvres sous d'épais ombrages, et les vit non loin se coucher, ô Délienne (393) divine, dans ton bois sacré (394) verdoyant, là où, jadis, épuisée de fureur (395), vint, fuyant Nyctélius (396), la fille de Cadmus, Agavé (397), ses mains abominables toutes sanglantes d'un meurtre criminel, lorsque après avoir, sur les versants glacés (398), promené son délire bachique, elle trouva le repos dans un antre, avant de subir plus tard (399) l'expiation de la mort de son fils. Là aussi, s'ébattant sur l'herbe verte, les Pans (400) et les Satyres (401) et les jeunes Dryades formèrent des choeurs (402) avec la troupe des Naïades : Orphée retint moins longtemps par ses chants l'Hèbre (403) immobilisé entre ses rives et. les forêts attentives (404) que ces Naïades joyeuses ne te retinrent, agile déesse, par le spectacle de leurs rondes (405), colorant ton visage d'une joie abondante : la nature même du site, cet asile qu'un murmure anime, semblait fait pour réconforter sous ses doux ombrages les chèvres lasses. En effet, par devant, sur les pentes de la vallée, s'élevaient de vastes platanes aériens (406), et, entre eux, l'impie lotus (407) détourna de leur devoir les compagnons du triste roi d'Ithaque captivés par las l'excessive douceur de leur hôtesse (408). Puis celles dont la chute de Phaéthon, tombé en flammes de son attelage resplendissant, avait de douleur métamorphosé les membres, les Héliades (409), les bras pris dans de tendres troncs, versaient les blanches tentures de leurs rameaux dressés (410). Plus loin celle (410 bis) à qui, pleurant sa perfidie, Démophoon laissa une éternelle douleur (411), - perfide, perfide Démophoon, qui encore aujourd'hui es cause que tant de jeunes filles versent des pleurs (412). - A ses côtés se montrait l'arbre aux chants fatidiques, le chêne (413) donné en nourriture aux hommes avant les semences de Cérès (414), le chêne qui fit place aux épis du sillon de Triptolème (415). Là, grande parure du navire Argo, le pin (416) élevé décore les hautes futaies de ses bras hérissés ; sa tête, en se balançant dans les airs, cherche à atteindre les astres (417) ; là se dressent la noire figure de l'yeuse (418), et le luxuriant cyprès, et les hêtres ombreux, et les lierres liant leurs branches à celles du peuplier, pour l'empêcher de se frapper lui-même au souvenir de son frère (419), qui se hissent jusqu'au faîte en flexibles spirales, et reflètent leur grisâtre verdure sur leurs grappes tachetées d'or (420) Tout près était le myrte, qui n'a pas oublié son ancien sort (421). Cependant les oiseaux qui se sont posés sur les larges rameaux font entendre des chants harmonieux sur mille tons différents. Au-dessous coulait d'une fontaine glacée une onde vive, qui, à sa sortie, épandue en légers ruisselets, fait entendre le tranquille murmure de son eau ; et, si fort que retentisse aux oreilles la voix des oiseaux, les voix plaintives y répondent des bêtes dont l'onde fangeuse réchauffe les corps qui nagent (422). Echo (423) nourrit les sons qui emplissent l'air, et tout frémit du cri aigu des ardentes cigales (424). Cependant à leur tour les chèvres lasses se sont couchées çà et là, sous les broussailles qui couvrent les hauteurs, et qu'une douce brise puisse les éventer et confondre de son souffle murmurant.
Pastor, ut ad fontem densa requievit in umbra,
mitem concepit, proiectus membra soporem,
anxius insidiis nullis, sed, lentus in herbis,
securo pressos somno mandaverat artus.                160
stratus humi dulcem capiebat corde quietem,
ni Fors incertos iussisset ducere casus.
Nam solitum volvens ad tempus tractibus isdem
immanis vario maculatus corpore serpens,
mersus ut in limo magno subsideret aestu,             165
obvia vibranti carpens, gravis aere, lingua
squamosos late torquebat motibus orbes:
tendebant aurae venientis ad omnia virus.
Jam magis atque magis corpus revolubile volvens
attollit nitidis pectus fulgoribus : ecce                    170
sublimi cervice caput, cui crista superne
edita, purpureo lucens maculatur amictu
aspectuque micant flammantia lumina torvo.
Metabat late circum loca, cum videt anguis
adversum recubare ducem gregis, acrior instat       175
lumina diffundens intendere et obvia torvus
saevius arripiens infringere, quod sua quisquam
ad vada venisset. Naturae comparat arma,
ardet mente, furit stridoribus, intonat ore,
flexibus eversis torquentur corporis orbis,              180
manant sanguineae per tractus undique guttae,
spiritibus rumpit fauces. Cui cuncta paranti
parvulus hunc prior humoris conterret alumnus,
et mortem vitare monet per acumina : namque
qua diducta genas pandebant lumina gemmis,         185
hac senioris erat naturae pupula telo
icta levi, cum prosiluit furibundus et illum
obtritum morti misit ; cui dissitus omnis
spiritus et cessit sensus. Tum torva tenentem
lumina respexit serpentem comminus, inde             190

impiger, exanimis, vix compos mente, refugit
et validum dextra detraxit ab arbore truncum.

Cui casus sociarit opem numenve deorum
prodere sit dubium, valuit sed vincere telis
horrida squamosi volventia membra draconis,          195
atque reluctantis crebris foedeque petentis
ictibus ossa ferit, cingunt qua tempora cristae.

Et quod erat tardus somni languore remoto,

nescius aspiciens, et  timor caecaverat artus,
hoc minus implicuit dira formidine mentem,             200

quem postquam vidit caesum languescere, sedit.

 

A peine le berger s'est-il reposé au bord de la fontaine sous un épais ombrage qu'il a senti une délicieuse torpeur envahir son corps allongé. Sans redouter aucun piège, il avait, étendu sur l'herbe, livré ses membres fatigués à l'insouciance du sommeil, et il allait, couché par terre, savourer un doux sommeil, si le Hasard n'eût amené pour lui un périlleux moment : car aux mêmes lieux et à son heure accoutumée, un énorme serpent (425) à la peau tachetée (426) allait se déroulant (427), pour s'enfoncer dans la vase profonde et s'y cacher aux feux du jour. Effleurant tout sur son passage de sa langue vibrante (428), chargé de pestilence (429), il déployait, par d'amples mouvements, ses anneaux écailleux ; il lançait sur toutes choses le virus de son souffle en marche. A mesure qu'il déroule ses orbes (430) sans cesse repliés, il lève de plus en plus haut son poitrail (431) aux brillantes fulgurances; sur sa nuque altière (432) sa tête luisante, que surmonte une crête (433) haute, se tache d'un revêtement de pourpre (434), et ses yeux flamboyants(435) qui étincellent donnent au monstre un aspect farouche. Le serpent mesure du regard tous les lieux à la ronde, quand il voit vis-à-vis de lui, étendu, le chef du troupeau : alors ses pupilles élargies dardent des regards plus ardents ; prêt à briser les obstacles, il s'élance avec un redoublement de rage sur qui s'est approché de ses eaux. Il rassemble les armes que lui donne la nature ; il brûle de colère, il éclate en furieux sifflements, il renâcle comme un tonnerre (436); sa croupe se recourbe en replis tortueux; à chaque foulée des gouttes de sang (437) coulent de tout son corps ; ses halètements lui rompent la gorge. Il apprêtait toutes ses armes, quand le minuscule nourrisson des vapeurs (438) le devance, et, par ses aiguillons, avertit le berger de se soustraire à la mort : au point même où la fente qui sépare les paupières découvrait les gemmes de ses yeux, le dard léger du moucheron avait frappé le cristallin du vieillard. Lui a bondi plein de fureur, a écrasé et mis à mort l'insecte, dont tout le souffle s'est dissipé avec le sentiment et s'est évaporé. C'est alors qu'en se retournant il aperçut le serpent qui de près fixe sur lui ses yeux farouches : alerte, exsangue, presque hors de lui-même, il fit un bond en arrière (439), et arracha à l'arbre voisin une forte branche : dire qui du hasard ou de la protection des dieux lui ouvrit cette voie de salut serait chose douteuse. Toujours est-il qu'il put vaincre à coups de pierres le dragon écailleux déroulant ses anneaux horribles, (440) puis, comme il luttait encore et essayait de le mordre d'une dent impure, il l'acheva de sa massue (441), lui portant des coups redoublés sur les os de ses tempes, là où elles ceignent la crête. Et bien qu'il fût lent à se reconnaître, ayant à peine secoué la langueur du sommeil et regardant sans comprendre, et que le saisissement lui eût glacé les membres, il ne permit pas néanmoins à l'épouvante sinistre de lui faire perdre la tête ; et ce n'est qu'après avoir vu le reptile meurtri se pâmer à ses pieds, qu'il se rassit.
Iam quatit et biiugis oriens Erebeis equos Nox,
et piger aurata procedit Vesper ab Oeta,
cum grege compulso pastor duplicantibus umbris
vadit et in fessos requiem dare comparat artus.       205
cuius ut intravit levior per corpora somnus
languidaque effuso requierunt membra sopore,
effigies ad eum culicis devenit et illi
tristis ab eventu cecinit convicia mortis.
«Quis» inquit «meritis ad quae delatus acerbas         210
cogor adire vices ? tua dum mihi carior ipsa
vita fuit vita, rapior per inania ventis.
Tu lentus refoves iucunda membra quiete,
ereptus taetris e cladibus ; at mea manes
Viscera Lethaeas cogunt tranare per undas ;              215
praeda Charonis agor. Vidi ut flagrantia taedis
limina collucent infernis omnia templis.
Obvia Tisiphone, serpentibus undique compta,
et flammas et saeva quatit mihi verbera ponae,
Cerberus et diris flagrant latratibus ora,                   220
anguibus hinc atque hinc horrent cui colla reflexis,
sanguineique micant ardorem luminis orbes.
Heu ! quid ab officio digressa est gratia, cum te
restitui superis leti iam limine ab ipso ? 
Praemia sunt pietatis ubi, pietatis honores ?            225
in vanas abiere vices ! et rure recessit
Iustitiae et prior illa fides ? Instantia vidi
alterius, sine respectu mea fata relinquens
ad pariles agor eventus. Fit poena merenti.
Poena fit exitium ; modo sit dum grata voluntas.     230
existat par officium. Feror avia carpens,
avia Cimmerios inter distantia lucos :
quem circa tristes densentur in omnia Poenae
nam vinctus sedet immanis serpentibus Otos,
devinctum maestus procul aspiciens Ephialten,        235
conati quondam cum sint escendere mundum.
Et Tityos, Latona, tuae memor anxius irae
(implacabilis ira nimis) iacet alitis esca.

 

Mais déjà la Nuit érébéenne (442) qui s'élève secoue les deux chevaux de son attelage (443) et le paresseux Vesper s'avance depuis l'OEta doré (444), lorsque après avoir rassemblé son troupeau, à l'heure où les ombres redoublent (445), le berger s'en va et se prépare à livrer au repos ses membres fatigués. Mais à peine un léger sommeil s'est-il glissé dans son corps, à peine ses membres languissants se sont-ils détendus dans une envahissante torpeur, que l'image du moustique vint le trouver, et, tout triste de l'événement qui l'a tué, lui reproche, en chantant, sa mort. « Ah ! qu'ai-je fait, dit-il, à quel crime me suis-je donc porté pour être réduit à mon sort cruel ? Pour avoir jugé ta vie plus chère que ma vie, je suis emporté dans le vide par les vents. Toi, mollement étendu, tu réchauffes tes membres d'un agréable repos, après avoir échappé à une effroyable destruction ; tandis que moi, les Mânes (446) forcent mes restes (447) à voguer à travers les ondes du Léthé (448). Proie de Charon (449), je vais et je viens. J'ai vu toutes les torches de résine brûlantes qui éclairent les terribles temples (450). Devant moi Tisiphone (451) dardant de tous côtés sa coiffure de serpents(452), secoue les flammes et le fouet redoutable (453) qui me doivent punir. Cerbère dresse ses gueules enflammées (454), avec d'affreux aboiements (455), tandis que de part et d'autre ses cous se hérissent de serpents enlacés et que les orbes ensanglantés de ses yeux jettent des éclairs. Hélas ! pourquoi ta gratitude méconnaît-elle le service que je t'ai rendu, lorsque je t'ai ramené au supérieur séjour (456) du seuil même de la mort ! Où sont les prix dus à la bienfaisance, les égards que la bienfaisance mérite ? Elle a été mal payée de retour. Faut-il croire que des champs aussi s'est retiré l'antique respect de la Justice (457) ? Je vois les destins d'un autre près de s'achever, et, sans songer un instant que j'abandonne les miens, je me jette dans le malheur que j'écarte de sa tête ; c'est le bienfaiteur qui est puni, et il est puni par la mort; qu'on témoigne au moins quelque gratitude, qu'on reconnaisse mon service par un égal bienfait ! J'erre, emporté à travers les parages dépourvus de routes qui s'étendent entre les bois Cimmériens (458). J'erre, et autour de moi se pressent de toutes parts des supplices attristants : là, enchaîné de serpents, est assis (459) l'énorme Otos (460), jetant tristement ses regards sur Ephialte (461) enchaîné à une faible distance, pour avoir tous les deux tenté jadis d'escalader le ciel ; et Tityos, ô Latone (462), qui se souvient encore, angoissé, de ta colère, - colère trop implacable ! - gît, pâture d'un oiseau de proie (463). 
Terreor, a ! tantis insistere, terreor, umbris.
Ad Stygias revocatus aquas.  Vix ultimus amni         240
exstat nectareas divum qui prodidit escas,
gutturis arenti revolutus in omnia sensu.
Quid, saxum procul adverso qui monte revolvit,
contempsisse dolor quem numina vincit acerbans ?
Otia quaerentem frustra, simul ite, puellae,            245
ite, quibus taedas accendit tristis Erinys.
Sicut Hymen praefata dedit conubia mortis.
Atque alias alio densas super agmine turmas,
impietate fera vecordem Colchida matrem,
anxia sollicitis meditantem vulnera natis;               250
iam Pandionias miserandas prole puellas,
quarum vox "Ityn" edit "Ityn", quo Bistonius rex
orbus, epops, maeret volucres evectus in auras.
At discordantes Cadmeo semine fratres
iam truculenta ferunt infestaque lumina corpus       255
alter in alterius, iamque aversatus uterque,
impia germani manat quod sanguine dextra.
Eheu ! mutandus numquam labor ! Auferor ultra
in diversa magis, distantia nomina cerno.
Elysium tranandus agor delatus ad undam.              260
obvia Persephone comites heroidas urget
adversas praeferre faces. Alcestis ab omni
inviolata vacat cura, quod saeva mariti !
In Chalcodoniis Admeti fata morata est.
Ecce Ithaci coniunx, semper decus, Icariotis,          265
femineum conspecta manet, et procul illa
turba ferox iuvenum telis confixa procorum.
Je tremble, ah ! je tremble de rester avec de si grandes ombres, une fois rappelé vers les eaux du Styx (464) ! J'y vois, la tête émergeant à grand'peine du fleuve, celui qui déroba le nectar (465), nourriture des dieux : il a beau se retourner en tous sens, son gosier est toujours sec. Dirai-je celui là-bas qui roule sans cesse un rocher au haut d'un mont (466), qui succombe sous l'amère douleur d'avoir bravé les dieux ? Vous, jeunes filles qui demandez en vain un moment de répit (467), allez ensemble, allez, vous dont la triste Erinys a allumé les torches (468), de même qu'en prononçant les paroles sacramentelles de l'Hymen elle a déterminé vos mariages meurtriers (469). Dirai-je aussi ces escadrons (470) serrés qui se pressent les uns sur les autres la Colchidienne (471), mère dénaturée, qui, dans sa féroce impiété, tient suspendus sur ses fils tremblants les coups de poignard que sa fièvre médite (472) ; puis les déplorables filles de Pandion (473), de qui la voix appelle "Itys, Itys (474)", tandis que le roi Bistonien (475) lamente son abandon : "Epops "(476) !" - en volant très haut dans les airs. Puis voici les irréconciliables frères issus de la sève de Cadmus (477), qui se portent l'un à l'autre tour à tour des regards furieux et terribles, et qui se détournent vite, en voyant l'un et l'autre son sang qui rougit la main impie de son frère. Épreuves, hélas ! qui jamais ne seront changées. Mais, me voici porté bien au delà, et dans des parages bien différents : j'aperçois à une certaine distance (478) des divinités ; je suis entraîné, déporté vers l'onde élyséenne (479) qu'il me faut traverser. J'y rencontre Proserpire qui force les Héroïnes, ses compagnes(480), à porter devant elle des torches ; seule, Alceste (481) est exempte de toute coercition et de tout soin, pour avoir, au pays du Chalcodon (482), retardé le cruel destin de son mari Admète. Voici l'épouse du roi d' Ithaque, l' Icariotide (483) qui toujours dans son honneur, - dans son honneur de femme - resta pure et sans tache (484) ; à distance se tient la troupe farouche de ses prétendants, percés de flèches (485). 
Quid misera Eurydice, tanto maerore recessit ?
Poenaque respectus et nunc manet Orpheus, in te.
Audax ille quidem, qui mitem Cerberon umquam     270
credidit aut ulli Ditis placabile numen,
nec timuit Phlegethonta furentem ardentibus undis,
nec maesta obtenta Ditis ferrugine regna,
ecfossasque domos ac Tartara nocte cruenta
obsita, nec faciles Ditis sine iudice sedes,              275
iudice, qui vitae post mortem vindicat acta.
Sed fortuna valens audacem fecerat ante.
Iam rapidi steterant amnes et turba ferarum
blanda voce sequax regionem insederat Orphei;
iamque imam viridi radicem moverat alte              280
quercus humo, steterant amnes, silvaeque sonorae
sponte sua cantus rapiebant cortice avara.
Labentis biiuges etiam per sidera Lunae
pressit equos et tu currentis, menstrua virgo,
auditura lyram tenuisti nocte relicta.                     285
Haec eadem potuit, Ditis, te vincere, coniunx,
Eurydicenque viro ducendam reddere ; non fas,
non erat in vitam divae exorabile mortis.
Illa quidem nimium manes experta severos
praeceptum signabat iter, nec rettulit intus           290
lumina nec divae corrupit munera lingua.
Sed tu crudelis, crudelis tu magis, Orpheu,
oscula cara petens rupisti iussa deorum.
Pourquoi la malheureuse Eurydice est-elle restée un peu en retrait avec tant de chagrin, et pourquoi, encore maintenant, Orphée, vois-tu peser sur toi le châtiment que tu méritas, quand tu t'es retourné pour la voir. Sans doute il fut audacieux, celui qui crut que Cerbère pût être jamais doux, ou qu'on pût apaiser la puissance de Dis (486) ; celui qui eut la folie de ne pas craindre le Phlégéthon furieux (487) avec ses ondes ardentes, ni le royaume de Dis (488) avec le voile de ferrugineuses ténèbres qui l'attriste, ni les souterraines demeures et le Tartare sanglant (489) recouvert par la nuit (490), ni le séjour de Dis (491) où l'on ne peut pénétrer sans le permis du juge (492), - du juge qui, punit après la mort les actes de la vie. Mais la Fortune, jusque-là constante dans ses faveurs, avait rendu Orphée audacieux. Déjà les fleuves rapides s'étaient arrêtés, et la troupe des bêtes fauves, habituée à suivre la voix caressante d'Orphée, s'était fixée aux lieux qu'il charmait ; déjà, remués dans leurs profondes racines, les chênes s'étaient soulevés du sol verdoyant, et, tandis que les fleuves s'étaient arrêtés, les forêts sonores buvaient d'elles-mêmes ses chants par leur avide écorce. II retint aussi les deux coursiers de la Lune (493) glissant à travers les astres ; et toi, tu arrêtas leur course, vierge qui présides aux mois (494), en oubliant la nuit pour entendre sa lyre (495). Cette lyre sut aussi te vaincre, épouse de Dis (496), et, par sa vertu propre, rendre à Orphée son Eurydice ; mais l'inexorable fatalité ne pouvait, même à une déesse, conférer le droit de remettre une morte dans la vie. Eurydice, qui ne connaissait que trop la sévérité des Mânes (497), suivait attentivement la route marquée, sans reporter les yeux au fond du gouffre (498), sans corrompre par sa langue (499) le présent de la déesse. Mais c'est toi, c'est toi plutôt qui fus cruel, Orphée (500), quand, t'élançant vers des baisers chéris (501), tu enfreignis les ordres des dieux ! 
Dignus amor venia, parvum, si Tartara nossent.
Peccatum meminisse grave est. Vos sede piorum,  295
vos manet heroum contra manus. Hic et uterque
Aeacides (Peleus namque et Telamonia virtus
per secura patris laetantur numina, quorum
conubiis Venus et Virtus iniunxit honorem.
Nunc rapuit serva, ast illum Nereis amavit)            300
assidet hac iuvenis, sociat quem gloria sortis.
Alter,in excidium referens a navibus ignes
Argolicis Phrygios torva feritate repulsos.
O quis non referat talis divortia belli,
quae Troiae videre viri videreque Graii,                305
Teucria cum magno manaret sanguine tellus,
et Simois Xanthique liquor, Sigeaque praeter
littora, cum Troas saevi ducis Hectoris ira
truderet in classes inimica mente Pelasgas,
vulnera, tela, neces, ignes inferre paratos.            310
ipsa iugis namque Ida potens, feritatis et ipsa
Ida faces altrix cupidis praebebat alumnis,
omnis ut in cineres Rhoetei littoris ora
classibus ambustis flamma lacrimante daretur.
Hinc erat oppositus contra Telamonius heros,         315
obiectoque dabat clipeo certamina, et illinc
Hector erat, Troiae summum decus, acer uterque,
fluminibus veluti fragor editus, intomat ense,
tegminibus telisque alter, si classibus Argos
eriperet reditus ; alter Vulcania ferro                      320
vulnera protectus depellere navibus instat.
Hoc erat Aeacides vultu laetatus honore,
Dardaniaeque alter fuso quod sanguine campis
Hectoreo victor lustravit corpore Troiam.
Rursus acerba fremunt, Paris hunc quod letat et huius   
firma dolis Ithaci virtus quod concidit icta.              326
huic gerit aversos proles Laertia vultus,
et iam Strymonii Rhesi victorque Dolonis
Pallade iam laetatur ovans, rursusque tremescit:
iam Ciconas iamiamque horret Lestrigone ipse ;      330
illum Scylla rapax canibus succincta Molossis,
Aetnaeusque Cyclops, illum Zanclea Charybdis
pallentesque lacus et squalida Tartara terrent.
Amour digne de pardon, si le Tartare savait pardonner (502) la moindre faute ! Mais du côté opposé au vôtre, Héroïnes, se tient dans le séjour des justes le groupe des Héros. Là se trouvent entre autres les deux Eacides : Pélée et le vaillant Télamon (503), tous deux participant à l'inaltérable béatitude de leur père (504), tous deux honneur exemplaire de ces hymens que forment Vénus et la Vaillance (505) : celui-ci se laissa ravir par une esclave (506), celui-là se fit aimer d'une Néréide (507). Près de ce dernier est assis un second guerrier (508) s'associant à lui par la gloire de son sort, racontant avec quelle farouche fureur il repoussa loin des navires d'Argos (509), entraînant la défaite de l'ennemi, les torches des Phrygiens (510) Oh ! qui ne redirait cette guerre si grande qui divisa le monde, et que virent les guerriers de Troie, que virent les guerriers Grecs, quand des flots de sang inondaient la terre de Teucer (511) et grossissaient le Simoïs (512) et le cours du Xanthe (513), quand, le long des rivages de Sigée (514), on vit, guidés par le courroux de leur chef terrible, Hector, les Troyens tout prêts dans leur ressentiment à lancer sur la flotte pélasgique (515) les blessures, les traits, la mort et l'incendie ? Ida elle-même, la puissante déesse (516), Ida elle-même, nourrissant leur férocité, offrait à ses enfants avides les torches résineuses de ses sommets, voulant que sur le bord du rivage rhétéen (517) la flamme triomphante réduise en cendres la flotte consumée. Face à face luttaient : d'un côté le héros fils de Télamon (518), qui, le bouclier à la main, pressait le combat ; de l'autre, Hector, honneur suprême de Troie, - tous les deux pleins d'ardeur. Comme la foudre qui éclate, l'un fulmine de son épée, de son armure et de ses javelots, pour arracher à la flotte son retour vers Argos ; l'autre (519), brandissant son glaive protecteur, tâche d'écarter des navires les blessures de Vulcain (520). L'Eacide (521) avait montré sa joie de ses glorieux coups ; l'autre (522), en couvrant de sang les plaines de la Dardanie (523), d'avoir autour de Troie traîné, vainqueur, le cadavre d'Hector (524). Mais ils frémissent cruellement à leur tour, l'un (525) d'être tué par Pâris (526), l'autre (527) de voir sa solide vaillance succomber, victime des fourberies de l'homme d' Ithaque (528). Le fils de Laerte (529), qui vient ensuite, détourne sa face d'Ajax (530) ; vainqueur du Strymonien (531) Rhésus (532) et de Dolon (533), il s'applaudit de son triomphe sur Pallas (534), mais à son tour il tremble devant les Cicones (535), il frissonne à l'aspect des Lestrygons (536), lui, l'homme féroce (537) ; la rapace Scylla (538) avec sa ceinture de chiens molosses (539), le Cyclope de l'Etna (540), et la Charybde de Zancle (541), et les lacs ténébreux (542), et le Tartare infect (543) le remplissent d'épouvante. 
Hic et Tantaleae generamen prolis Atrides
adsidet, Argivum lumen, quo flamma regente          335
Doris Ericthonias prostravit funditus arces ;
reddidit, heu ! Graius poenas tibi, Troia, ruenti, 
Hellespontiacis obiturus reddidit undis.
Illa vices hominum testata est copia quondam,
ne quisquam propriae fortunae munere dives           340
iret inevectus caelum super ; omne propinquo
frangitur invidiae telo decus ; ibat in altum  
vis Argea petens patriam, ditataque praeda
arcis Ericthoniae ; comes huic erat aura secunda
per placidum cursu pelagus.  Nereis ab unda             345
signa dabat, pars infelix super acta carinis :
cum seu caelesti fato, seu sideris ortu
undique mutatur caeli nitor, omnia ventis,
omnia turbinibus sunt anxia ; iam maris unda
sideribus certat consurgere, iamque superne            350
corripere et soles et sidera cuncta minatur,
ac ruere in terras caeli fragor. Hic modo laetans
copia nunc miseris circumdatur anxia fatis,
immoriturque super fluctus et saxa Capherei,
Euboicas aut per cautes Aegaeaque late                   355
littora, cum Phrygiae passim vaga praeda peremptae
omnis in aequorem fluitat iam naufraga fluctu.

Non loin de lui est assis (544) également le descendant de la race de Tantale (545), la lumière d'Argos (546), sous les ordres duquel la flamme dorique (547) renversa de fond en comble la citadelle d'Erichthon (548) ; mais hélas ! ô Troie, les Grecs expièrent ta chute; ils l'expièrent en allant périr dans les ondes hellespontiaques (549). Cette multitude fut jadis une preuve si éclatante des vicissitudes humaines, que personne ne devrait, riche des avantages de sa propre fortune, porter son essor au-dessus du ciel : près de toute gloire est l'envie qui la brise de ses traits. Les forces argiennes (550) voguaient vers la haute mer, regagnant leur patrie, riches du butin de la citadelle d'Erichthon (551) ; une brise favorable accompagnait leur flotte emportée sur la mer tranquille; des Néréides leur faisaient des signaux à la surface de l'onde, d'autres les pilotaient du haut de leurs carènes incurvées (552). Tout à coup, soit par un céleste décret, soit par le lever d'une constellation (553), d'un bout à l'autre de l'horizon la splendeur du ciel change ; la nature entière est anxieuse dans l'attente des vents, dans l'attente d'une trombe ; déjà l'onde de la mer se soulève et s'efforce d'atteindre les constellations ; déjà dans les hauteurs de l'éther elle menace de happer le soleil et tous les astres, et le tonnerre du ciel de se ruer sur les terres. Alors cette multitude, naguère joyeuse, est maintenant anxieuse du destin misérable qui l'enveloppe; elle meurt à la surface des flots, sur les rochers de Capharée (554), ou le long des brisants euboïques (555) et au large des côtes d'Egée (556) tandis que les dépouilles errantes de la Phrygie égorgée flottent maintenant çà et là dans un naufrage total sur les flots de la plaine liquide.
Hic alii resident pariles virtutis honore
heroes mediisque siti sunt sedibus omnes,
omnes, Roma decus magni quos suspicit orbis.       360
hic Fabii Deciique, hic est et Gracchia virtus,
hic et fama vetus, numquam moritura, Camilli,
Curtius et, mediis quem quondam sedibus Urbis
devotum tellus consumpsit gurgitis unda,
Mucius et prudens ardorem corpore passus,            365
cui cessit Lydi timefacta potentia regis ;
hic Curius clarae socius virtutis et ille
Flaminius, devota dedit qui corpora famae :
iure igitur tales sedes pietatis honores. 
Scipiadasque duces, quorum deiecta triumphis        370
moenia vepretis Libycae Carthaginis horrent.
Illi laude sua vigeant : ego Ditis opacos
cogor adire lacus, viduos, a lumine Phoebi,
et vastum Phlegethonta pati, quo, maxime Minos,
conscelerata pia discernis vincula sede.                  375
ergo iam causam mortis, iam dicere vitae,
verberibus saevae cogunt ab iudice Poenae,
cum mihi tu sis causa mali, nec conscius adsis;
sed tolerabilibus curis haec immemor audis,
et mane, ut vades, dimittes omnia ventis.              380
Digredior numquam rediturus ; tu cole fontes
et viridis nemorum silvas et pascua laetus,
at mea diffusas rapiantur dicta per auras.»
Dixit et extrema tristis cum voce recessit.

 

Là siègent encore d'autres héros, leurs rivaux en gloire et en vaillance, et tous logés comme eux au centre de ces demeures : tous ceux, honneur du vaste monde, que Rome produit (557). Voici les Fabius (558) et les Décius (559) voici la race vaillante des Gracques (560); voici Camille (561) dont la vieille renommée ne mourra jamais ; Curtius (562), que jadis, au milieu même des demeures de la Ville, la terre, quand il se dévoua, absorba dans l'onde de son gouffre ; Mucius (563), qui délibérément laissa la flamme s'attaquer à son corps, et devant qui dut céder la puissance terrifiée du roi lydien (564) ; voici Curius (565), leur compagnon de gloire et de vaillance, et le fameux Flaminius (566), qui, en dévouant sa vie, sauva l'honneur, et qui a donc à bon droit (567) un tel séjour, privilège réservé aux justes. Et voici les Scipions (568), généraux dont les triomphes sont cause que les murs écroulés de la libyque Carthage se hérissent de broussailles. Qu'ils florissent dans leur gloire, ces héros ! Moi, je suis contraint d'aller aux sombres lacs (569) de Dis (570), privés de la lumière de Phébus (571), et d'affronter le vaste Phlégéthon (572), barrière par laquelle, ô grand Minos (573), tu sépares les prisons du crime du séjour des âmes pieuses. Ainsi donc les Furies cruelles, à côté du juge, vont me forcer, par leurs coups de fouet, à défendre la cause de ma mort et de ma vie, quand toi qui es la cause de mon malheur et qui sais ce qu'il en est, tu ne daignes même pas m'assister. Sans doute as-tu tout oublié ; tu m'entends, et mes plaintes te paraissent supportables ; et, au matin, lorsque tu t'en iras, tu éparpilleras ces songes à tous les vents. Je m'éloigne pour ne jamais revenir ; toi, hante, toujours joyeux, les fontaines, les verts bosquets de la campagne et les pâquis, et laisse se perdre mes paroles à travers les brises vaporeuses !" Il dit, et sur ce triste et dernier mot, il disparut.
Hunc ubi sollicitum dimisit inertia vitae                   385
interius graviter regementem, nec tulit ultra
sensibus infusum culicis de morte dolorem,
quantumcumque sibi vires tribuere seniles,
(quis tamen infestum pugnans devicerat hostem),
rivum propter aquae, viridi sub fronde latentem       390
conformare locum capit impiger, hunc et in orbem
destinat ac ferri capulum repetivit in usum,
gramineam ut viridi foderet de caespite terram,
iam memor inceptum peragens sibi cura laborem
congestum cumulavit opus, atque aggere multo         395
telluris tumulus formatum crevit in orbem,
quem circum lapidem levi de marmore formans
conserit, assiduae curae memor. Hic et acanthos
et rosa purpureum crescent pudibunda ruborem,
et violae omne genus ; hic est et Spartica myrtus      400
atque hyacinthos et hic Cilici crocus editus arvo,
laurus item Phoebi decus ingens, hic rhododaphne
liliaque et roris non avia cura marini.
Herbaque turis opes priscis imitata Sabina,
chrysanthusque hederaeque nitor pallente corymbo     405
et bocchus Libyae regis memor ; hic amarantus
bumastusque virens et semper florida tinus.
Non illinc narcissus abest, cui gloria formae
igne Cupidineo proprios exarsit in artus,
et, quoscumque novant vernantia tempora flores,      410
his tumulus super inseritur ; tum fronte locatur
elogium, tacita firmat quod littera voce:
PARVE CULEX PECUDUM CUSTOS TIBI TALE MERENTI
FUNERIS OFFICIUM VITAE PRO MUNERE REDDIT.

 

Soudain une vive inquiétude, succédant à la torpeur du sommeil, s'empara du berger ; de profonds soupirs s'exhalèrent de son coeur, et il ne put supporter davantage la douleur que lui causait la mort du moustique, et qui se répandait dans tous ses sens. Rassemblant tout ce que la vieillesse lui a laissé de forces, - si faibles qu'elles soient, elles lui avaient permis pourtant de combattre et d'exterminer un ennemi acharné (574) - il s'évertue et commence à former au bord du ruisseau, sous les frondaisons vertes, un secret emplacement ; il lui donne une forme circulaire et il a recours au manche de son outil pour détacher de la verte pelouse des mottes de gazon. Puis, achevant la tâche commencée, dans son ingénieuse reconnaissance, il entasse ces mottes les unes par-dessus les autres, et, par cet amoncellement de terre, grandit un tertre de forme circulaire. Il en façonne le rebord avec des moellons de marbre poli, monument d'un regret éternel. Là poussent l'acanthe (575) et la rose rouge de nuance purpurine (576), là se mêlent des violettes de toute sorte (577), le myrte de Sparte (578) et l'hyacinthe (579) ; là, le safran que produisent les champs de Cilicie (580), et aussi le laurier, honneur croissant de Phébus (581); là, le laurier-rose (582), les lis (583), le romarin qui a sa place marquée dans nos jardins (584), l'herbe sabine que nos ancêtres employaient à la place des précieux encens (585) le chrysanthème (586) le lierre luisant aux grappes grisâtres (587), et le bocque qui rappelle le nom du roi de Libye (588) ; là, des amarantes (589), le verdoyant bumaste (590), et le laurier-tin toujours fleuri (591), sans oublier le narcisse, orgueilleux de sa beauté, qui s'enflamma pour ses propres charmes (592) du feu de Cupidon (593), et toutes les fleurs (594) que renouvelle la saison printanière. Au milieu d'elles se dissimule le tombeau ; à sa surface est disposée une épitaphe, que forment en leur muet langage les lettres suivantes : PETIT MOUSTIQUE (595), LE GARDEUR DE CHÈVRES TON OBLIGÉ 
TE REND CET HOMMAGE DE MORT EN RETOUR DU BIENFAIT DE LA VIE (596).

333. Les jeux... Cf. note 64.

334. Octave... On a, pour authentifier cet Octave prononcé plusieurs noms ; mais il ne saurait être question ni d'Octavius Avitus, ennemi de Virgile et auteur d'un pamphlet en plusieurs volumes où il dénonçait les plagiats du poète, ni d'Octavius Fronto, préteur en 16 ap. J.-C, ni d'Octavius Laenas, curateur des eaux en 34, personnages obscurs et d'ailleurs postérieurs à Virgile.
On peut penser qu'il s'agit d'Octavius Musa, historien distingué Mantouan, condisciple de Virgile et ami d'Horace, le même dont il est question dans les Epigrammes XIII et XIV, - et en ce cas, le vers 4 du Culex ferait allusion à l'oeuvre historique de Musa - ou, si l'on trouve trop emphatiques pour ce personnage de second ordre les expressions de l'auteur du Culex (sancte, venerande) et trop important le rôle qu'il semble jouer d'inspirateur des poètes, on peut croire plutôt que le poète s'adresse à Octave-Auguste, bien qu'après le mois d'avril 44, Octave, adopté par César, s'appelle Octavianus et non Octavius.

335. Sur ses grêles pipeaux... Cf. note 65.

336. Thalie... Thalie, l'une des neuf Muses, semble avoir été, à l'origine, une divinité agricole, celle qui a fait croître et fleurir les plantes» (thallô). Virgile l'invoque au début de la VIe Bucolique comme la Muse de la poésie pastorale :
Prima Syracosio dignata est ludere versu 
Nostro, nec erubuit silvas habitare Thalia.
L'auteur du Culex en fait autant pour la même raison, et non pas, comme l'a supposé le subtil Bembo, parce qu'il y aurait un rapport entre l'étymologie de Thalie (thallô) et la jeunesse florissante du poète.

337. Indignes... de l'épopée glorieuse... Le Culex est une continuelle parodie de l'épopée.

338. Que m'importent les envieux qui me guettent... Faut-il voir dans ce vers une possible allusion aux ennemis de Virgile, Bavius, Maevius, Octavius Avitus?

339. Mon badinage... Cf. note 64.

340. Ma Muse... Mes vers inspirés par Thalie.

341. Plus tard notre Muse t'adressera de plus graves accents... La promesse que fait l'auteur du Culex de s'attaquer à de plus 
grands sujets est un lieu commun poétique. On le retrouve notamment dans Virgile au début du chant III des Géorgiques et dans Stace au début de la Thébaide.

342. Le fils doré... Dans l'une des Priapées attribuées à Virgile (cf. Priapées), le poète appelle aussi l'Amour "l'enfant doré".

343. Le fils doré de Latone et du grand Jupiter... Phébus-Apollon, dieu des poètes, protecteur et patron de la famille des Jules et notamment d'Auguste, qui lui devait la victoire d'Actium. Il ne s'ensuit nullement que le poème du Culex soit postérieur à Actium.

344. Le protecteur qui nous accompagne sur sa lyre... Horace, Od., I, 1, 32, nous montre lui aussi Euterpe qui l'accompagne sur sa flûte, tandis que Polymnie l'accompagne sur son barbitos.

345. Arna... Arna (Arna), capitale de la province de Lycie, appelée quelquefois Arna du Xanthe, à cause du fleuve qui l'arrose, et qu'il ne faut pas confondre avec une bourgade de Lycie, du nom d'Arnées (Arneai). La Lycie était l'un des séjours favoris d'Apollon, et Arna possédait sans doute un temple d'Apollon ; son nom se trouve sur une stèle votive du British Museum et sur des monnaies lyciennes.
Le poète, en employant le nom indigène d'Arna, montre, à la façon alexandrine, son érudition.

346. L'onde chimérique du Xanthe... Le Xanthe qui roule ses ondes dans le pays où, d'après la légende, Bellérophon vainquit 
et tua la Chimère. Si l'on en croit Kiepert (Atlas antiq. et Lehrb. der alten Geogr., p. 124), le mot Chimère (chimaira), d'origine phénicienne, signifie feu ou asphalte, et, géologiquement, "l'onde chimérique du Xanthe" veut dire que le fleuve traverse un pays de solfatares.

347. Astérie... Délos, ainsi appelée du nom d'une fille du Titan Cée et de Phébé, aimée de Jupiter, qui, pour se dérober aux embrassements du dieu, se précipita du ciel dans la mer, où elle fut métamorphosée en une île du nom d'Astérie (île tombée du ciel comme une étoile). Cf. Callimaque, Ode à Délos, 36 sq. ; Pline, H. N., IV, 12, 22 ; Ovide, Mét., VI, 4.
On connaît l'importance du culte d'Apollon à Délos ; c'est encore par une coquetterie d'érudition alexandrine que le poète appelle Délos Astérie.

348. Le rocher du Parnasse... C'est dans une gorge du Parnasse qu'Apollon vainquit Python, gardien de l'oracle de la Terre, d'où son nom d'Apollon Pythien.
Pour les poètes latins, le Parnasse, qui était consacré par les Grecs à Dionysos et aux Ménades, est le séjour d'Apollon et des Muses. Cf. Virgile, Géorg., III 291. Apollon avait d'ailleurs son sanctuaire à Delphes, au pied du Parnasse.

349. Qui étend de çà de là son front vaste aux deux cornes... Le poète semble se représenter le Parnasse comme une sorte de cirque terminé par deux pointes. Le Parnasse est, en effet, célèbre par ses deux pointes (mons bifrons), dont la plus haute, Liakoura, atteint 2.450 m.

350. D'un pied liquide... Expression de Lucrèce, De Nat. Rer., V, 272 ; VI, 638 ; et d'Horace, Ep., XVI, 48.

351. Le flot sonore de Castalie... La fontaine de Castalie, qui jaillissait au nord-est de Delphes et servait aux purifications, était devenue chez les poètes latins une source inspiratrice. Cf. Virgile, Géorg., III, 293. D'après la légende, la nymphe Castalie, pour échapper à la poursuite d'Apollon, s'était jetée dans la fontaine qui prit ensuite son nom.

352. La fontaine de Piérie... Le culte des Muses semble originaire de la Grèce du Nord, au voisinage du mont Olympe, tout près de la Piérie, où l'on plaçait aussi le berceau des poètes thraces : Linus, Orphée, Thamyris, Musée, etc. A l'époque préhomérique une colonie piérienne apporta le culte des Muses en Béotie, où il s'implanta sur un point de la chaîne de l'Hélicon voisin de Coronée, en gardant d'ailleurs avec lui plus d'un nom originaire de Piérie et qui fut donné aux sources de la région.
La fontaine dite de Piérie se trouvait dans le bois de ce nom.

353. Soeurs Naïades... Il s'agit des Muses que le poète assimile ici aux Naïades. Les Muses, primitivement appartenaient à l'immense famille des Naïades, et elles étaient neuf soeurs, filles de Jupiter et de Mémoire.

354. Le dieu... Apollon, surnommé Musagète.

355. Sainte Palès... Palès est une des plus anciennes divinités romaines protectrice des bergers et des troupeaux. Son nom se retrouve dans celui du Palatin, colline qui fut le berceau de Rome et dont sans doute elle était le génie tutélaire. De sa fête annuelle, les Palilies ou Parilies, qui tombait vers la fin d'avril, César, après Munda, tenta de faire une fête politique, commémorative de la victoire qu'il avait remportée à la même époque. Il n'est donc point étonnant que l'auteur du Culex la nomme ici comme il le fait encore plus loin (v. 77 : fecunda Pales). Cf. Virgile, Buc., V, 35 ; Géorg., III, 1 et 294 ; Properce, El., IV, 1, 19 et 20 ; IV, 4, 73 ; Ovide, Mét., XIV, 774.

356. L'abondante progéniture des boeufs rustiques... Palès présidait à la fécondation des troupeaux. Cf. la description de la fête des Palilies dans Ovide, Fastes, 727 sq.

357. Avec toi qui hantes ces clairières... Expression de Catulle, LXIV, 301 ; de Virgile, En., XI,557 : nemorum cultrix Latonia 
virgo
; de Stace, Théb., IV, 425.

358. Octave vénérable... Cf. note 334. Octave est encore un tout jeune enfant et les bienfaits de sa protection commencent seulement de se faire sentir.

359. 0 saint enfant... L'auteur du Culex applique ici à Octave les mêmes termes que Catulle (Poé. LXIV, 95) appliquait à l'Amour. Peut-être (s'il s'agit d'Octave-Auguste) songe-t-il à l'apothéose qui, plus tard, fit d'Octave-Auguste un dieu officiel.

360. Cette page ne chante pas la guerre lamentable de Jupiter et de son père... Le poète énumère les sujets qu'il n'ose aborder encore : sujets mythologiques ou historiques, et d'abord la guerre de Jupiter et de Saturne.

361. La terre phlégréenne inondée de sang des géants... On sait que la bataille légendaire des géants contre les Dieux eut lieu dans les Champs Phlégréens, en Chalcidique. Cf. Properce, El., II, 1, 39 ; Ovide, Mét., X, 151 ; Stace, Silv., V, 3, 196 ; Théb., X, 909 ; XI, 7.

362. Ne jette pas les Lapithes contre les épées des Centaures... Le combat qui, aux noces de Pirithoüs, roi des Lapithes, mit aux prises centaures et Lapithes, a été décrit par Ovide, Mét., XII, 210 sq. Il en existe plusieurs représentations dans l'art grec notamment au fronton occidental du grand temple d'Olympie.

363. L'Orient n'y brûle pas de ses feux les tours d'Erichthon... L'auteur veut dire que son poème ne décrit pas l'incendie d'Athènes par les Orientaux, en l'occurrence par les Perses.
Il s'agit ici, en effet d'Erichthon ou Erechthée, fils de Vulcain, qui inventa le quadrige et régna sur Athènes, cf. note 68 ; il ne faut pas le confondre avec un autre Erichthon, fils de Dardanus et père de Tros, qui régna sur la Troade.

364. L'Athos percé... Allusion au percement de l'Athos, qui avait vivement frappé l'imagination des anciens, et qui était devenu un lieu commun poétique (rhetorum campus, dit Cicéron). Cf. Lucrèce, De Nat. Rer., III, 1029 ; Catulle, Poé., LXVI, 45 ; Properce, El., II, 1, 22.

365. Le vaste Pont chargé de chaînes... Allusion au passage de l'Hellespont par Xerxès, autre lieu commun de rhétorique.

366. L'Hellespont battu par les pieds des chevaux... On songe au vers célèbre de Lucrèce, De Nat. Rer., III, 1045 : 
Et contempsit equis insultans murmura ponti.
"Et il méprisa, les insultant de ses chevaux, les murmures de la mer."

367. Ne se joue... Cf. note 64.

368. O saint enfant... Cf. note 359.

369. Les gazons jaunis... Séchés par le vent et brûlés par le soleil.

370. L'arbousier... Dont les chèvres sont particulièrement friandes. Cf. Virgile, Géorg., III, 300.

371. Lambrusque... Vigne sauvage.

372. 0 bonheur du berger !... Le poète entame ici un autre lieu commun poétique : celui du bonheur de la vie champêtre, contrastant avec les soucis de l'existence des villes. Cf. Lucrèce, De Nat. Rer., II, 24, sq. ; Virgile, Géorg., II, 458, sq. ; Tibulle, EL, I, V, 19 ; II, 1, 37. En tant que motif bucolique, ce lieu commun date de Philétas et du cénacle de Cos. Cf. Legrand, Etude sur Théocrite, pp. 154-156.

373. Les richesses d'un Attale... Allusion aux fabuleuses richesses d'Anale II Philadelphe, roi de Pergame, qui étaient passées en proverbe chez les Romains. Cf. Horace, Od., I, 1, 12 ; Properce, El., II, 13, 22.

374. Deux fois trempées dans la teinture assyrienne... II était d'usage de tremper au moins deux fois les laines dans la teinture, quand on voulait qu'elles fussent d'une belle couleur.
Sur ce qu'il faut entendre par assyrienne, cf. note 285.

375. Si l'éclat de l'or rayonnant aux lambris de sa demeure... Souvenir probable de Lucrèce, De Nat. Rer., II, 22-25.
Si non aurea sunt juvenum simulacra per aedes,
...
Nec domus argento fulget, auroque renidet 
Nec citharis reboant laqueata aurataque templa...

"S'il n'y a point parmi nos demeures de statues en or ; si notre maison ne brille pas d'argent et ne resplendit pas d'or ; si les lambris et les temples dorés ne retentissent pas du bruit des cithares... "

376. Alcon... Ciseleur légendaire, contemporain de Dédale, qu'il ne faut pas confondre avec le statuaire célèbre, auteur d'une statue d'Hercule. - Virgile, Buc., V, 11, a donné son nom à l'un de ses bergers.

377. Boèce... Boèce est l'orfèvre illustre que nomme Pline l'Ancien, H. N., XXXIII, 12, 55, et qui, au dire de Cicéron, Verr., IV, 14, était l'auteur de la pièce d'argenterie extorquée par Verrés au lilybéen Pamphile.

378. La perle des coquilles de la mer Indienne... Lieu commun classique des développements sur la richesse.

379. L'arbuste du Tmolus... La vigne, qui couvrait les pentes du Tmolus, montagne de Lydie, à côté de la ville du même nom, 
au sud de Sardes. Virgile, Géorg., I, 56, célèbre le safran du Tmolus :
Nonne vides croceos ut Tmolus odores,
India mittit ebur?
 
et, Géorg., II, 98, cite son vin parmi les meilleurs (firmissima vina).

380. Le voile de sa chevelure et le recouvre d'un manteau de pampre... Les vignes du Tmolus, au lieu de ramper sur le sol comme celles de nos pays, étaient mariées à l'ormeau ou à d'autres arbres, comme c'était l'usage dans l'Italie ancienne, et comme cela se pratique encore, - un peu moins cependant - dans l'Italie de nos jours.

381. La féconde Palès... Cf. note 355.

382. Ce n'est pas l'art, c'est la faux qui a poli l'image du dieu qu'il adore... Le dieu en question est sans doute Priape, dont les images sacrées, taillées rustiquement, protégeaient les propriétés. Cf. Priapées, IX, 2-5 :
Non me Praxiteles Scopasve fecit, 
Nec sum Phidiaca manu politus, 
Sed lignum rude villicus dolavit
Et dixit mihi : "Tu Priapus esto.
"
"Ce n'est pas [c'est Priape qui parle] Praxitèle ni Scopas qui m'ont fait, je n'ai pas été poli par la main de Phidias, mais un villageois a dégrossi mon bois brut, et m'a dit : "Sois Priape !"

383. Ses encens de Panchaïe... La Panchaïe est une île fabuleuse, où prétendait avoir abordé Evhémère, s'inspirant des découvertes de l'armée d'Alexandre. L'Ecriture sacrée d'Evhémère, roman philosophique, avait été rendue familière aux Romains par l'adaptation d'Ennius, Evhemerus. Virgile, Géorg., II, 139, lorsqu'il énumère les riches pays qui doivent céder le pas à l'Italie, cite la Panchaïe "toute grasse de ses plages porteuses d'encens" :
Totaque turiferis Panchaia pinguis arenis.
Ailleurs, Géorg., IV, 379, il parle de l'encens de Panchaïe qu'on brûle sur les autels :
Penchaeis adolescunt ignibus arae.

384. O dieux Pans !... Pan, originaire d'Arcadie, est le dieu des bergers. Cf. Virgile, Buc., II, 31, 32, 33 ; IV, 58, 59 ; VIII, 24 ; X, 26, etc.

385. O délicieuse Tempé... Nom générique pour toute vallée fraîche. La véritable vallée de Tempé était une gorge de Thessalie, entre l'Ossa et l'Olympe, arrosée par le Pénée. Plus tard, on aménagea des vallées de Tempé dans les grandes propriétés, comme dans celle d'Hadrien à Tibur. Cf. Virgile, Géorg., II, ,469 : at frigida Tempe, etc. 

386. Aux frondaisons peuplées d'Hamadryades... Les Hamadryades étaient les nymphes des grands chênes et, en général, des grands arbres.

387. Du poète d'Ascra... D'Hésiode, le poète des Travaux et Jours, né à Ascra, en Béotie, et qui, au début de sa Théogonie, se représente en pâtre sur les pentes de l'Hélicon, lorsque les Muses l'invitent à chanter les dieux et lui remettent un sceptre fait d'un rameau de laurier. Virgile, Buc., VI, 70, le nomme "le vieillard d'Ascra"  Ascraeo seni, et, Géorg., II, 176, se glorifie de faire entendre le chant ascréen parmi les bourgades de l'Italie :
Ascraeumque cano Romana per oppida Carmen.

388. Appuyé sur sa houlette... C'est la pose consacrée que reproduisent les peintres et les sculpteurs. Cf. Théocrite, Id., III, 38 ; VII, 18 ; Virgile, Buc., VIII, 16 :
Incumbens tereti Damon... olivae
"Damon s'appuyant sur son bâton d'olivier poli ..."
et Ovide, Mét., II, 681 ; Pont., I, 8, 52 
Ipse velim baculo pascere nixus oves
"Je voudrais moi aussi, appuyé sur un bâton, faire paître des brebis..."

389. Le feu d'Hypérion... Le feu du soleil.
Hypérion (Huper - iôn  "Celui qui marche sur nos têtes) dont la Théogonie grecque faisait un Titan, fils d'Ouranos et de Gaia, père du Soleil (Hélios), était représenté comme un géant, le géant Soleil, qui parcourait les cieux, "rappelant d'une manière frappante, dit Maury, le Vichnou du Véda". Cf. Homère, Od., I, 8. C'est lui que dans l'Enéide, IV, 119, Virgile appelle Titan :
. .Ubi primos crastinus ortus
Extulerit Titan radiisque retexerit orbem
.
Ailleurs, En., VI, 725, il nomme le soleil "l'astre titanien" Titania astra.

390. Dardant ses rayons... Comme Apollon, Hypérion était couronné de rayons et monté sur un char.

391. L'un et l'autre Océan... Le fleuve Océan qui, d'après la conception homérique, cerne le monde à l'orient et à l'occident.

392. Le Soleil, en s'élevant, avait accompli la moitié de ses travaux... Il était midi. Cf. Ovide, Mét., III, 151 :
....nunc Phoebus utraque 
Distat idem terra.

393. O Délienne... Diane, née à Délos. Cf. Virgile, Buc., VII, 29.

394. Dans ton bois sacré... Ce bois sacré consacré à Diane doit être localisé sans doute en Chaonie, là où Agavé se réfugia pour fuir la colère de Bacchus. Cf. Plésent, Le Culex, pp. 44-47 et 139.

395. Epuisée de fureur... De fureur bachique.

396. Nyctélius... Nyctélius (Nuktelios), le dieu qui préside aux mystères nocturnes, c.-à-d. Bacchus (Dionysos). Cf. Ovide, Mét., 1V, 11 sq. ; Valérius Flaccus, Argon., VII, 741. Il y avait à Mégare un temple de Bacchus, Nyctélius (Dionusos Nuktelios). Cf. Pausanias, I, 40. Les fêtes triennales en l'honneur de l'Epiphanie de Dionysos se nommaient en grec Nyctélies.

397. La fille de Cadmus, Agavé... La fille de Cadmus et d'Harmonie, Agavé, soeur de Sémélé, avait prétendu que le père de Bacchus, fils de Jupiter et de Sémélé, n'était qu'un simple mortel. Bacchus, quand il fut grand, vengea sa mère sur sa tante. Dans ses courses à travers le monde, il arriva à Thèbes et célébra des fêtes dionysiaques sur le Cithéron ; les Thébaines y assistèrent et, parmi elles, Agavé. Penthée, fils d'Agavé, ayant tenté de s'y opposer, sa mère, égarée par la fureur bachique, ne le reconnut pas, le prit pour un faon et le mit en lambeaux. Fuyant devant Bacchus (Nyctelium fugiens), qui la poursuivait toujours de sa vengeance, elle se sauva jusqu'en Chaonie, où elle se réfugia dans le bois sacré de Diane. - Eschyle avait fait de la légende de Penthée et d'Agavé le thème d'une de ses tragédies perdues, et Euripide celui de ses Bacchantes. La légende est encore rapportée par Apollodore, III, 4, 2 et III, 5, 2, et par Ovide, Mét., III, 725 sq. Elle fut aussi le sujet d'un grand nombre de peintures de vases appartenant soit à l'époque archaïque, soit à la période hellénistique.

398. Sur les versants glacés... Du Cithéron.

399. Plus tard... L'auteur du Culex semble ajourner l'expiation d'Agavé. D'après Nonnos, Dionys., 44-46, l'expiation commença sur-le-champ, dés qu'Agavé, reconnaissant la tête de ce fils dont elle avait mis le corps en lambeaux, conçut le plus violent désespoir de son crime et se roula sur le sol, en baisant les misérables restes de son enfant.

400. Les Pans... Alors que Virgile emploie toujours le nom de Pan au singulier, l'auteur du Culex, pour la seconde fois (cf. supra), en use au pluriel, - Pan, comme Silvain et Faune, ayant vu sa personnalité se dissoudre, à Rome, en une multiplicité de petits génies ruraux ou silvestres.

401. Les Satyres... Les Satyres sont, comme les Pans, des génies silvestres mi-caprins, aux oreilles, à la queue et aux pieds de chèvre, qu'il ne faut pas confondre avec les Silènes, génies mi-chevalins. Ils sont, plus encore que les Pans, enclins aux brutalités érotiques. 

402. Les jeunes Dryades formèrent des choeurs... Cf. Horace, Od., 1, 1, 31 :
Nympharumque leves cum Satyris chori.

403. L'Hèbre... Fleuve de l'ancienne Thrace, qui prenait sa source aux monts Rhodope et affluait dans la mer Egée, après avoir traversé le pays des Odryses et la Thrace maritime. C'est aujourd'hui la Maritza.

404. Les forêts attentives... Ovide, Mét., X, 86 sq, a décrit la nature attentive aux chants d'Orphée et dénombré toutes les espèces d'arbres attirés par son « charme ». Orphée charmant la nature est d'ailleurs un des thèmes favoris de la peinture et de la mosaïque des anciens.

405. Le spectacle de leurs rondes... On songe ici à l'ode célèbre d'Horace, I, 4, 5 :
Jam Cytherea choros ducit Venus, imminente luna 
Junctaeque Nymphis Gratiae decentes...

406. S'élevaient de vastes platanes aériens... L'énumération des arbres du bosquet est un lieu commun de la poésie pastorale et érotique. On en trouvera des exemples notoires dans Catulle, Poé., LXIV, 289 sq.
Non vacuus : namque ille tulit radicitus altas 
Fagos, ac recto proceras stipite laurus, 
Non sine nutanti platano lentaque sorore 
Flammati Phaethontis et aeria cupressu.

"[Tempé] ne se présente pas les mains vides : il a apporté de hauts hêtres avec leurs racines, des lauriers élancés à la tige droite, sans oublier l'ondoyant platane, la sueur flexible de Phaéthon en flammes (c.-à-d. le peuplier) et l'aérien cyprès;"
dans Ovide, Mét., X, 86 sq.
"Soudain parurent et l'arbre de Chaonie, et un bocage d'Héliades, et le chêne aux hautes frondaisons, et les souples tilleuls, et le hêtre, et le virginal laurier, et les frêles coudriers, et le frêne dont on fait des lances, et le sapin sans noeuds, et l'yeuse courbée sous ses glands, et le platane des fêtes du bon Génie, et l'érable aux couleurs variées, ainsi que les saules qui peuplent les cours d'eau, et l'aquatique lotus, et le buis perpétuellement vert, et les bruyères ténues, et le myrte bicolore, et le laurier-tin aux baies céruléennes. Vous vîntes vous aussi, lierres aux pieds tortueux, vignes pamprées, ormeaux mêlés aux vignes, ornes, résineux, arbouse lourde de fruits rouges, flexibles palmiers, récompense du vainqueur, pin à la chevelure retroussée et à la tête hirsute... "
Pétrone, décrivant le bosquet où Circé attend Encolpe (Satir., CXXXI), a fait la parodie du procédé qu'ont employé avec plus 
d'insistance encore des poètes didactiques, tels que Nicandre en ses Géorgiques et Macer en son De herbis.

407. L'impie lotus... "L'impie lotus" dont parle le poète est le jujubier (chamnus lotus ou zizyphus lotus), ou lotus de Cyrénaîque, qui n'a rien de commun avec le lotus de Béotie (trifolium melilotus), espèce de trèfle qui pousse dans les endroits humides.

408. Impie, puisqu'il détourna de leur devoir les compagnons du triste roi d'Ithaque, captivés par l'excessive douceur de leur hôtesse ...Allusion à la légende homérique des Lotophages (Od., IX, 28-104), où l'on voit que les fruits savoureux du jujubier auraient détourné de leur devoir les compagnons d'Ulysse sil ne les avait ramenés de force sur leurs bateaux.

409. Celles dont la chute de Phaéthon, tombé en flammes de son attelage resplendissant, avait de douleur métamorphosé les membres, les Héliades... Allusion à la légende de Phaéthon, fils du Soleil et de Clymène, qui, monté à l'insu de son père sur le char du Soleil, et incapable d'en guider les coursiers, incendiait la terre de ses flammes, quand Jupiter, pour prévenir un embrasement général, le foudroya et le précipita dans l'Eridan (le Pô). Ses soeurs, les Héliades ou Phaéthontiades, se lamentèrent sur sa tombe, jusqu'au jour où elles furent changées en peupliers ou en aunes ; leurs larmes, séchées et figées sur le sol, étaient devenues une résine ambrée. Cf. Catulle, Poé., LXIV, 290 ; Virgile, Buc., VI, 62 ; En., X, 190 ; Ovide, Mét., II, 340 sq.

410. Les bras pris dans de tendres troncs, versaient les blanches tentures de leurs rameaux dressés... Il semble que l'auteur du Culex fasse des héliades des peupliers blancs ; Virgile en fait tantôt des peupliers (En., X, 190), tantôt des aunes (Buc., VI, 63). Les peupliers abondent d'ailleurs, comme on sait, sur les rives du Pô, Padus populifer, comme le nomme Ovide, Am., II, 17, 32.
Une coupe en terre cuite du Museum of fine Arts de Boston semble représenter la métamorphose des Héliades : on y voit deux jeunes filles à moitié engagées dans l'écorce ; pour la troisième la métamorphose est accomplie.
La métamorphose des Héliades a été délicieusement décrite par Ovide (Mét., II, 351 sq.)
... Haec stipite crura teneri, 
Illa dolet fieri longos sua bracchia ramos, 
Dumque ea minantur, complectitur inguina cortex.

"L'une se plaint de ses jambes immobilisées en une souche, l'autre de ses bras allongés en rameaux, et, tandis qu'elles s'étonnent de ces prodiges, l'écorce enveloppe leurs flancs."
Leur mère, Clymène, essaye en vain d'empêcher la métamorphose :
....Truncis avellere corpora tentat
Et teneros manibus ramos abrumpere.

 " Elle tente d'arracher leurs corps aux troncs qui les enserrent et de rompre avec ses mains leurs rameaux encore tendres... "

410 bis. Celle... L'amandier.

411. A qui, pleurant sa perfidie, Démophoon laissa une éternelle douleur... D'après une légende attique, Démophoon, fils de Thésée et de Phèdre ou d'Antiope, après avoir combattu au siège de Troie, s'arrêta sur les côtes de Thrace, non loin d'Amphipolis, où régnait alors Phyllis, fille de Sithon, et s'éprit d'elle ; contraint de partir pour Athènes où l'appelait la mort de Mnesthée qui laissait vacant le trône de Thésée, il lui promit d'être de retour dans les quatre mois et de l'épouser ; des circonstances imprévues ayant retardé son retour, Phyllis, le croyant perfide et infidèle, s'étrangla et fut changée en amandier. - Ovide a conté la métamorphose de Phyllis dans sa IIe Héroïde, et Virgile, Buc., V, 10, a fait allusion à ses amours (Phyllidis ignes).
Le poète dit que Démophoon laissa "une éternelle douleur" à Phyllis parce que, quand l'amandier se dépouille de ses feuilles, il semble porter le deuil de Phyllis. Cette croyance populaire assez absurde, car on en pourrait dire autant de tous les arbres dépouillés par l'automne, est confirmée par Hygin, f. 59 : quae certo tempore Phyllidis mortem lugent, quo folio arescunt et defluunt, et par Ovide, Rem. Am., 605-606 :
Sithoni, tune cerce vellem non solo fuisses; 
Non fleres positis Phyllida, silva, comis.

412. Perfide Démophoon, qui encore aujourd'hui es cause que tant de jeunes filles versent des pleurs!... Le poète veut dire que bien des jeunes filles ont encore à pleurer l'abandon d'un infidèle amant.
Ovide, lui aussi, Rem. Am., 597, use de la même apostrophe :
Perfide Demophoon, surdas clamabat ad undas,
et, Rem. Am., 607-608, tire de l'infortune de Phyllis un enseignement applicable aux jeunes filles de toujours :
Phyllidis exempla nimium secreta timete.
Laese vir a domina, laesa puella viro.

"Craignez l'exemple trop peu connu de Phyllis, amant que votre maîtresse a meurtri, jeune fille qu'a meurtrie votre amant."
Avant l'auteur du Culex et avant Ovide, Callimaque, Fragm. 505, avait déjà lancé à Démophoon l'apostrophe d' "étranger déloyal" :
vumphis Demophôn, adike xene.
Cf. aussi Properce, El., IV, 7, 13 :
Perfide, nec cuiquam melior sperande puellae.

413. L'arbre aux chants fatidiques, le chêne... Allusion aux chênes sacrés de la forêt de Dodone, qui rendaient des oracles soit par le bruissement de leurs feuillages, soit par le roucoulement des colombes qui se posaient sur leurs branches, soit encore par des sons que rendaient des bassins de bronze suspendus aux arbres et frappés par des chaînettes de métal. Ces oracles, à peu prés délaissés au temps de Virgile, étaient chez les poètes latins un souvenir littéraire. Cf. Homère, Od., XIV, 327 ; Eschyle, Prom., 828 ; Virgile, Géorg., II, 16 :
...... habitae Graiis oracula quercus
et En., III, 466 :
...Dodonaeos[que] lebetas.

414. Donné en nourriture aux hommes avant les semences de Cérès... Démocrite et Epicure content qu'avant l'invention du blé par Cérès les hommes se nourrissaient des glands du chêne. Cf. Virgile, Georg., I, 7-8 :
Liber et alma Ceres, vestro si munere tellus 
Chaoniam pingui glandem mutavit arista
.
"O Liber, et toi, alme Cérès, s'il est vrai que par votre don le gland de Chaonie fit place sur terre à l'épi lourd..."
et Tibulle, El., II, 1, 37.

415. Triptolème... Triptolème, fils de l'Océan et de la Terre et favori de Cérès, passait pour avoir le premier labouré la terre avec une charrue attelée de boeufs (d'où l'allusion du poète au "sillon" de Triptolème) et semé, dans les champs d'Eleusis, des grains de blé et d'orge. Le nom même du dieu évoque l'idée du triple labour (tripolos), ce triple labour qu'Hésiode dans ses Travaux et Jours préconisait aux paysans de Béotie... A Eleusis, une procession en l'honneur du dieu commémorait l'invention de l'agriculture par Triptolème, cf. Pausanias, I, 38, 6, et il était représenté d'ordinaire avec des épis de blé formant couronne ou tenus en faisceau.

416. Grande parure du navire Argo, le pin... Le vaisseau des Argonautes avait été construit, comme on sait, avec les pins du Pélion, et le pin avait été ensuite l'un des arbres les plus employés pour la construction des navires. De là l'épithète de "nautique" 
que lui décerne 'Virgile, Buc., IV, 38, et celle de "pontique", c- -à-d. maritime, qui lui est donnée par Horace, Od., I, 14, 11.
On songe ici à la pièce de Catulle (IV), où le poète conte les aventures d'une barque qui se souvient "de s'être jadis dressée, arbre chevelu, sur le sommet du Cytore"

417. Sa tête, se balançant dans les airs, cherche à atteindre les astres... Il s'agit ici du pin parasol (pinus, Pitus), cher à Cybèle, et non pas du pin commun (picea, peukê).

418. La noire figure de l'yeuse... L'yeuse noire (ilex nigra, prinos), qui abondait précisément en Macédoine et en Epire.

419. Pour l'empêcher de se frapper lui-même au souvenir de son frère... Cf. note 409.

420. Reflètent leur grisâtre verdure sur leurs grappes tachetées d'or... Qu'il s'agisse en ce vers soit du lierre noir (nigra ou atra hedera), soit du lierre blanc (candida ou alba hedera), le poète veut dire que le feuillage du lierre forme contraste avec l'or brillant de ses corymbes. La couleur grisâtre du feuillage doit s'entendre de l'effet d'ensemble où les fleurs de l'arbuste, qui sont d'un blanc verdâtre, atténuent singulièrement le luisant du feuillage. - Au reste l'auteur du Culex ne semble pas très fixé sur la couleur exacte de la grappe qu'il qualifie de « dorée » ici, et plus loin v. 405 de grisâtre (pollens) : la grappe du lierre, qui arrivée â maturité, est d'un brun foncé, est d'une couleur grisâtre lorsqu'elle n'est pas encore mûre.

421. Le myrte, qui n'a pas oublié son ancien sort... Allusion â la légende de Myrsiné, jeune Athénienne favorite de Minerve, et qui, l'emportant sur tous les jeunes gens dans les exercices de la palestre et du stade, fut par eux attirée dans un guet-apens et mise à mort, puis changée en myrte par Minerve. C'est sans doute parce qu'il se souvenait de cette légende que Virgile, En., III, 23, a décrit le myrte 
...densis hastilibus horrida myrtus.
Cf. Géorg., XI, 6.

422. Les voix plaintives y répondent des bêtes dont l'onde fangeuse réchauffe !es corps nageants... Périphrase qui désigne les grenouilles, dont la voix plaintive et le séjour fangeux apparaissent aussi dans un vers de Virgile, Géorg., I, 378 :
Et veterem in limo ranae cecinere querelae
et dont Ovide, Mét., VI, 376 sq., a donné une description détaillée.

423. Echo... La nymphe oréade, dont Ovide a conté l'histoire ayant détourné l'attention de Junon, pendant que Jupiter courtisait ses soeurs oréades, elle fut punie par la reine du ciel, qui en fit une personne "qui ne sait point parler la première, qui ne peut se taire quand on lui parle, qui répète seulement les derniers sons de la voix qu'elle entend ". Cf. Ovide, Mét., III, 359-370.
Même morte, quand elle eut été mise en lambeaux par des bergers qu'avait excités Pan rebuté, elle conserve le pouvoir, dispersée à tous les vents, de "nourrir les sons qui emplissent l'air .."

424. Tout frémit du cri aigu des ardentes cigales... On songe aux vers de Virgile, Buc., II, 13 :
Sole sub ardenti resonant arbusta cicadis,
et Géorg., III, 328 :
Et cantu querulae rumpent arbusta cicadae.

425. Un énorme serpent... Un serpent d'eau.

426. A la peau tachetée... Comme le serpent (anguis maculosus) des Géorgiques, III, 427.

427. Se déroulant... Cf. Virgile, Géorg., III, 426 ; En., II, 474.

428. De sa langue vibrante... Cf. Virgile, En., II, 211.

429. Chargé de pestilence... Cf. Nicandre, description du chersydre dans les Thériaques, 370-371 : "soufflant une haleine mauvaise, il [le chersydre] parcourt les guérets brûlants." L'haleine du serpent, surtout du basilic, passait pour pestilentielle chez les anciens.

430. Ses orbes... Cf. Virgile, Géorg., II, 153 ; En., II, 206.

431. Il lève de plus en plus haut son poitrail... Cf. Virgile Géorg., III, 426 ; En., II, 206, 474.

432. Sa nuque altière... Cf. Virgile, En., II, 219.

433. Une crête... Cf. Virgile, En., II, 206.

434. Se tache d'un revêtement de pourpre... Cf. Virgile, En., II, 206.

435. Ses yeux flamboyants... Cf. Virgile, Géorg., III, 433.

436. II renâcle comme un tonnerre... Expression virgilienne, appliquée avec plus d'à-propos dans l'Enéide, VI, 607, à l'une des Furies.

437. Des gouttes de sang... Sans doute une écume sanglante.

438. Le minuscule nourrisson des vapeurs... Périphrase qui désigne le moucheron. Les anciens croyaient que les moustiques et moucherons naissent, par génération spontanée, de la corruption des eaux dormantes. C'est en ce sens que La Fontaine, nourri des anciens, fait dire par le lion au moucheron :
Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre !

439. Alerte, exsangue, presque hors de lui-même, il fit un bond en arrière... Cf. Virgile, En., II, 378-380 :
Obstupuit retroque pedem cum voce repressit. 
Improvisum aspris veluti qui sentibus anguem 
Pressit humi nitens trepidusque repente refugit.

"Stupéfait, il retint sa voix et ses pas. De même qu'un voyageur qui a amrché sans le voir sur un serpent caché dans les ronces épineuses, tremble tout à coup et fait in bond en arrière."

440. Le dragon écailleux déroulant ses anneaux horribles... Cf. note 427.

441. Il l'acheva de sa massue... Mettant en pratique les conseils donnés par Virgile aux bergers qui veulent se défendre des serpents, Géorg., III, 420 :
Cape saxa manu, cape robora, pastor, 
Tollentemque minas et sibila colla tumentem 
Dejice.

442. La Nuit érébéenne... Dans la Théogonie d'Hésiode (748), la Nuit est soeur et femme de l'Erèbe.

443. Secoue les deux chenaux de son attelage... Virgile, En., V, 721, parle aussi du char à deux chevaux de la Nuit :
Et Nox atra polum bigis subvecla tenebat.
Cf. Théocrite, Id., II, 166 ; Tibulle, El., II, I, 87 et III, IV. 17.

444. Le paresseux Vesper s'avance depuis l'OEta doré... Vesper ou Hespérus, l'étoile du soir (qui, sous le nom de Lucifer, est aussi l'étoile du matin), se lève, d'après une tradition fort ancienne, depuis l'OEta, montagne qui ferme à l'est l'horizon de la Thessalie ; mais il ne faut chercher dans ces détails alexandrins aucune indication géographique ; c'est une simple périphrase pour dire, à la mode hellénique, l'approche de la nuit. Cf. Catulle, Epithal., LXII, 7 :
Oetaeos ostendit noctifer ignes;
Virgile, Buc., VIII, 31 :
...tibi deserit Hesperus Oetam.

445. A L'heure où les ombres redoublent... Image virgilienne, cf. Buc., I, 83 :
Majoresque cadunt altae de montibus umbrae,
et II, 67 :
Et sol crescentes decedens duplicat umbras.
"Et le soleil s'abaissant double les ombres croissantes."

446. Les Mânes... La troupe pâle des divinités infernales, que Tibulle, El., I, 10, a représentées "les joues creuses, les cheveux brûlés, errant le long des sombres fleuves". Elles empêchaient pendant cent ans les morts non ensevelis d'être admis aux Enfers.

447. Mes restes... Le "double" (corps et âme), la Psyché du moustique.

448. Les ondes du Léthé... Le Léthé n'est pas à l'entrée, mais à la sortie des Enfers : c'est sur le Styx que vogue la barque de Charon; mais il est probable que le poète étend le mot Léthé à toutes les ondes infernales. D'ailleurs Lygdamus parle deux fois de la barque léthéenne (lethaea ratis).

449. Proie de Charon... Charon, qui n'est dans Virgile, En., V I, 298-304, qu'un hideux vieillard, apparaissait dans la religion étrusque comme le dieu terrible de la mort.

450. Les terribles temples... Les Enfers.

451. Tisiphone... L'une des trois Furies (avec Mégère et Allectô).

452. Dardant de tous côtés sa chevelure de serpents... Dans Tibulle, El., I, 3, 69, Tisiphone ayant en guise de cheveux une
coiffure de serpents farouches exerce ses fureurs ; dans Virgile, En., V I, 572, elle brandit de la main gauche des serpents farouches.

453. Le fouet redoutable... Comme dans Virgile, En., VI, 570-571 : accincta flagello... quatit insultans.

454. Cerbère dresse ses gueules enflammées... Cerbère, le chien monstrueux, fils de Typhon et de la Vipère, chargé de défendre l'entrée des Enfers, était représenté avec plusieurs gueules ; mais sur le nombre de ces gueules les auteurs diffèrent : Hésiode, Théog., 312, attribue à Cerbère cinquante têtes ; Virgile, trois. Cf. Géorg., IV, 483 ; En., V I, 417.
L'auteur du Culex est le premier qui attribue à Cerbère des gueules pleines de flammes, - trait qu'il a en commun avec d'autres monstres légendaires, tels que les taureaux de Colchide, les chevaux de Diomède, le sanglier de Calydon et la Chimère. 

455. Avec d'affreux aboiements... Cf. Virgile, En., VI, 417.

456. Au supérieur séjour... Au séjour des vivants, opposé aux Enfers.

457. Des champs aussi s'est retiré l'antique respect de la Justice... On songe aux vers de Virgile, Géorg., II, 474-475 :
....Extrema per illos
Justifia excedens terris vestigia fecit.
Le poète fait ici allusion, comme Virgile, à la vierge Astrée (la Justice) remontée au ciel, où elle est devenue une constellation,
et ayant trouvé, avant d'y remonter, son dernier refuge dans les campagnes.

458. Les bois Cimmériens... L'auteur du Culex transporte les "bois Cimmériens" de la région hyperboréenne ou des bords du 
Pont-Euxin, où on les situe d'habitude (cf. Homère, Od., XI, 13 sq.) dans les profondeurs même du Tartare, 0ù ils font pendant 
aux bois fortunés (fortunata nemora) des Champs-Elysées. Lygdamus, Corpus Tib., III, V, 24, a fait aussi cette transposition :
Elysios olim liceat cognoscere campos
Lethaeamque ratem Cimmeriosque locus
.
"Puisse-t-il m'être permis un jour de connaître les Champs-Elysées et la barque du Léthé et les lacs cimmériens."

459. Est assis... Posture traditionnelle de certains condamnés, notamment de Thésée. Cf. Virgile, En., VI, 617-618 :
...sedet aeternumque sedebit
Injelix Theseus.

460. L'énorme Otos... Le géant Otos et son frère Éphialtès fils de Neptune et d'Iphimédie, épouse d'Aloée (d'où le nom d'Aloïdes que leur donne Virgile, En., VI, 582), avaient essayé d'escalader le ciel en entassant l'Ossa sur l'Olympe et le Pélion et furent tués par Apollon, selon Homère, Od., XI, 305 sq., ou foudroyés par Jupiter selon Virgile, Géorg., I, 283.
C'est la version de Virgile que suit l'auteur du Culex, qui qualifie justement d'énorme le géant Otos, dont la taille, si l'on en croit la légende, augmentait chaque année d'une coudée en grosseur et d'une toise en hauteur.

461. Ephialte... Cf. note 460. - Ni le nom d'Ephialte ni celui d'Otos ne se trouvent dans Virgile, qui désigne les deux frères par une périphrase (Géorg., I, 283) ou par leur nom générique d'Aloïdes (En., VI, 582).

462. Tityos, ô Latone... Tityos, fils de la Terre, était un géant qui avait tenté d'outrager Latone, "un jour qu'elle se rendait à Pytho, à travers la riante plaine de Panopée". Cf. Homère, Od., XI, 576-581 ; Pindare, Pyth., IV, 90 ; Lucrèce, III, 992 sq. ; Horace, Od. II 14, 8 ; Tibulle, El., I, 3, 73 ; Properce, El., II, 20, 31 ; Ovide, Mét., IV, 456.

463. Pâture d'un oiseau de proie... Supplice traditionnel des concupiscents qui sont punis par où ils ont péché, le foie que dévore un oiseau étant considéré par les anciens comme le siège des ardeurs d'Eros.
L'auteur du Culex ne parle ici que d'un seul oiseau de proie, comme fait Virgile, En., VI, 597 : rostroque immanis vultur obunco. Homère, Lucrèce, Properce (l. c.) parle de plusieurs oiseaux.

464. Les eaux du Styx... Les eaux infernales.

465. Celui qui déroba le nectar... Périphrase qui désigne Tantale, prince riche et puissant de la ville de Tantalis du Sipyle, qui, admis à la table des dieux, déroba à leur table l'ambroisie et le nectar et révéla aux mortels les secrets de Jupiter. Il est surtout connu par le supplice qu'il subit aux enfers dans le Tartare, où, d'après Homère (Od., XI, 582), il était plongé dans un lac sur les rives duquel s'élevaient de beaux arbres fruitiers, mais il ne pouvait ni boire ni manger, car l'eau s'écartait de ses lèvres quand il voulait s'y plonger et les fruits s'écartaient de ses mains quand il voulait les saisir. Polygnote, dans sa peinture des Enfers, avait joint à ces tourments celui d'une pierre menaçante suspendue au-dessus de la tête du misérable.
Salomon Reinach a proposé à cette étrange légende une explication très subtile. Nous savons que la ville de Tantalis fut détruite par un tremblement de terre et qu'à sa place s'étendit un lac. "L'image funéraire de Tantale, éponyme de la ville, pouvait le représenter dans un lac, ayant de l'eau jusqu'au menton ou bien elle pouvait le figurer sous des rochers du Sipyle, prêts à l'écraser sous leur masse." (Cultes, Mythes et Religions, II, p. 178-182).
Quelque interprétation qu'on propose du supplice de Tantale, reste que l'auteur du Culex suit ici la tradition homérique, Virgile (En., V I, 602 sq.) ayant transporté sur Phlégyas, héros plus obscur, les principaux traits de la légende tantalienne.

466. Celui là-bas qui roule sans cesse un rocher au haut d'un mont... Périphrase qui désigne Sisyphe, fils d'Eole et d'Ellen, fondateur d'Ephyre (Corinthe), qui, ayant fermé l'isthme par un mur, rançonna les voyageurs ; dénonça au fleuve Asopos, père d'Egine, l'enlèvement de sa fille par Jupiter; "brava" les divinités infernales, Pluton et Proserpine, en obtenant d'elles de remonter sur la terre pour pourvoir à sa sépulture et en refusant de descendre aux Enfers, malgré l'engagement pris, ce à quoi dut le contraindre Mercure.
Virgile ne prononce pas non plus le nom de Sisyphe dans ses oeuvres, mais il fait allusion à son supplice dans les Géorgiques
III, 39 : non exsuperabile saxum, et dans l'Enéide, VI, 616 :
Saxum ingens volvunt alii...

467. Jeunes filles qui demandez en vain un moment de répit... II s'agit des cinquante filles de Danaüs, mariées aux cinquante fils d'Egyptus, qui toutes, à l'exception de la seule Hypermnestre, avaient égorgé leurs maris la nuit même de leurs noces, et qui furent condamnées aux Enfers à verser éternellement de l'eau dans un tonneau sans fond.
Virgile fait allusion à la légende des Danaïdes en décrivant le baudrier de Turnus, descendant d'Hypermnestre (En., X, -497-502), où un artiste imaginaire, Clonus, fils Euryte, avait ciselé dans l'or l'histoire des quarante-neuf épouses meurtrières :
Impressumque nefas : una sub nocte jugali
Cessa manus juvenum foede thalamique cruenti;
Quae Clonus Eurytides multo caelaverat auro
Quo nunc Turnus ovat spolio gaudetque potitus.
Nescia mens hominum fati sortisque futurae,
Et servare modum, rebus sublata secundis !

"Et criminelle image, une troupe de jeunes gens immolée dans une seule nuit d'hyménée et de leurs couches nuptiales sanglantes qu'avait ciselée dans une épaisse couche d'or Clonus, fils d'Euryte. Maintenant Turnus triomphe avec ces dépouilles et se réjouit de les avoir prises. Esprit humain ignorant de l'avenir et du sort futur ignorant de la mesure, quand le succès l'exalte !" Cf. aussi Tibulle, I, 3, 79 ; Ovide, Mét., IV, 461 sq.

468. Vous dont la triste Erinye a allumé les torches... Les torches nuptiales des Danaïdes ayant été allumées par les funestes Erinyes, leur ni devait tourner tragiquement. Il n'est pas rare, en effet de voir figurer comme pronuba dans un mariage, l'une ou l'autre des Erinyes, qui représentent le mauvais destin. Cf, Ovide, Hér., 11, 117 :
Pronuba Tisiphone thalamis ululavit in illis
Mét., VI, 428-430 :
.....Non pronubo Juno, 
Non Hymenaeus adest, illi non Gratia lecto. 
Eumenides tenuere faces de funere raptas.

469. En prononçant les paroles sacramentelles de l'hymen, elle a déterminé nos mariages meurtriers... Car ces paroles, prononcées par une Erinye, ne pouvaient avoir qu'une conséquence tragique.

470. Escadrons... Ce terme appliqué ici aux héroïnes pressées les unes contre les autres est appliqué par Ovide aux prêtres
Cybèle : gallica forma (Am.,IIII, 13, 18).

471. La Colchidienne... Médée la magicienne, fille d'Eétès, roi de Colchide, qui, après avoir épousé Jason mit à mort les enfants qu'elle avait eus de ce héros, quand il la trompa avec Créuse (voir la tragédie de Médée d'Euripide).

472. Tiens suspendus sur ses fils tremblants les coups de poignard que sa fièvre médite... Le meurtre de ses enfants par Médée est une des scènes de sa légende que l'art romain a le plus développée. On la trouve reproduite dans les peintures de vases apuliens et sur les sarcophages. C'est le sujet de plusieurs fresques de Pompéi, où l'on voit des répliques d'une oeuvre du peintre Timomaque, qui, au témoignage de Pline l'Ancien (XXXV, 40, 11), fut apportée à Rome par Jules César entre 46 et 44 av- J.-C.; la plus connue, provient de la maison des Dioscures. Médée, farouche, tient dans sa main crispée un poignard, tandis que ses deux enfants, demi-nus, jouent tranquillement aux osselets. Plusieurs épigrammes de l'Anthologie (IV, 135 à 143) décrivent des oeuvres d'art traitant ce sujet ; dans quelques-unes de ces épigrammes (n° 137 138, 141) Médée est désignée, comme dans le Culex, par l'épithète de Colchidienne.
Lucien, peri domou, XXXI, prête à Médée la même attitude que lui donne l'auteur du Culex : "Elle regarde ses enfants d'un oeil farouche et médite des pensées terribles." L'auteur de l'Etna nous montre aussi les petits de Médée "qui jouent sous le regard farouche de leur mère ": sub truce nunc parvi ludentes Colchide.

473. Les déplorables filles de Pandion... Philomèle et Procné, cf. note 176.

474. De qui la voix appelle Itys, Itys... Itys ou Itylos est l'onomatopée des notes les plus fréquentes du rossignol (Procné). Cette recherche d'harmonie imitative est empruntée à Eschyle, Agam., 1144.
Itun, Itun stenous'....aêdôn 
ou à Sophocle, El., 148 
Ha Itun, aien Itun olophuretai. 
On en peut rapprocher l'effet de Virgile, Buc., VI, 44 :
...ut litus "Hyla, Hyla" omne sonaret,
reproduit par Ovide, Mét., III, 380 sq.

475. Le roi Bistonien... Térée, l'époux de Procné, roi de la Bistonie ou Thrace maritime. Cf. note 158.

476. Epops... Epops (epops) est l'onomatopée de la huppe (Térée).

477. Les irréconciliables frères issus de la sève de Cadmus...  Périphrase désignant Etéocle et Polynice, descendants de Cadmus 
à la cinquième génération par Polydore, Labdacus, Laïus et OEdipe. 

CADMUS, époux d'Harmonie.
|
POLYDORE
|
LABDACUS, époux de Nyctis.
|
LAIUS, époux de Jocaste.
|
OEDIPE, époux de Jocaste.
|
----------------------------------------------
|           |                |           |
ETÉOCLE POLYNICE ANTIGONE ISMENE

478. A une certaine distance... Sans doute non loin du palais de Pluton, qui se trouve, au dire de Virgile, En., VI, 630 sq., à l'entrée des Champs-Elysées.

479. L'onde élyséenne... Les eaux de l'Éridan, cf. Virgile, En., V I. 569. 

480. Les Héroïnes, ses compagnes... Les héroïnes de l'amour conjugal, jugées dignes de lui faire cortège.

481. Alceste... Alceste, l'aînée et la plus belle des filles de Pélias, roi d'Iolcos, et l'épouse d'Admète, roi de Phères, qui, comme son mari était sur le point de mourir prématurément, obtint des Parques de pouvoir se dévouer et mourut à sa place. Mais, selon la légende elle fut arrachée aux mains de la Mort qui l'emportait par Hercule qui la rendit à son époux Admète. Cet acte d'héroïsme avait fait d'Alceste le symbole du dévouement conjugal. Elle fut célébrée souvent dans la littérature, particulièrement dans l'Alceste d'Euripide, et son nom revient souvent dans les épitaphes de femmes tandis que le sujet de sa mort fournit le motif de nombreuses décorations funéraires.

482. Au pays du Chalcodon... Le Chalcodon est une montagne de Thessalie patrie commune d'Admète et d'Alceste. Cf. Apollonius de Rhodes, Argon., I, 49.

483. L'épouse du roi d'Ithaque, l'Icariotide... Périphrase qui désigne Pénélope, femme d'Ulysse, roi d'Ithaque, et fille d'Icare.

484. Resta pure et sans tache... Allusion à la résistance invincible qu'apporta Pénélope aux « prétendants » qui la désiraient pendant labsence d'Ulysse.

485. A distance se tient la troupe farouche de ses prétendants, percés de flèches... L'Odyssée (XXIV, 13) avait déjà montré les âmes des prétendants introduits par Hermès (Mercure) "dans les prés d'asphodèles". Ici les prétendants complètent le tableau du "retour" tel qu'il se déroula sur la terre, lorsque Ulysse les perça de ses flèches.

486. Dis... Comme Virgile, Géorg., IV, 467 519 ; En., IV, 702 ; V, 731 ; VI, 127 269 397, 541 ; VII, 568 ; VIII, 667 ; XII, 199, - l'auteur du Culex fait intervenir à la place de Pluton son prédécesseur Dis, le vénérable Dis (Dis Pater), qui était dans la religion romaine primitive l'équivalent du Hadès grec, auquel il a d'ailleurs cédé de bonne heure la place. Son nom, qui est une autre forme de Dives, « le dieu riche », évoque la même idée que Pluton-Plutus, « la divinité riche » des nombreux morts (Hoi polloi) « les nombreux » sur lesquels elle règne.

487. Le Phlégéthon furieux avec ses ondes ardentes... Le fleuve de feu qui borne le Tartare, et que Virgile nomme le Phlégéthon (En. VI, 265, 551), et Homère le Périphlégéthon (Od., X, 513). Cf. Virgile, l. c., 551 :
Quae rapidus flammis ambit torrentibus amnis 
Tartareus Phlegethon...

488. Dis... Cf. note 486.

489. Le Tartare sanglant... Ensanglanté par les supplices.

490. Recouvert par la nuit... Expression d'Ennius : obsita tenebris loca (Cicéron, Tusc., I, 21).

491. Dis... Cf. note 486.

492. Le permis du juge... Le permis de Minos. Cf. Virgile, En., V I, 431 sq., qui emploie la même expression : 
...sine judice sedes.

493. Les deux coursiers de la Lune... Cf. Ciris, v. 38 et la note 81.

494. Vierge qui présides aux mois... Périphrase qui désigne la Lune (Phébé). Cf. Catulle, Poé., XXXIV, 17-18 :
Tu cursu, dea, menstruo
Metiens iter annuum...

"Toi, déesse, dont le cours mensuel mesure le cercle annuel."
Virgile, Géorg., I, 353 : menstrua Luna ; et Properce, El., III, 28 : menstrua Luna.

495. Tu arrêtas leur course pour entendre sa lyre... Dans Sénèque, Hipp., 312 sq., on voit aussi la Lune abandonner ses coursiers à la direction de son frère, Phébus, pour un caprice d'amour.

496. Dis... Cf. note 486. - L'épouse en question est Perséphone.

497. Qui ne connaissait que trop la sévérité des Mânes... Pour avoir séjourné dans les Enfers.

498. Sans reporter les yeux au fond du gouffre... "La défense de se retourner est fréquente, dit Plésent, dans les pactes conclus avec les puissances infernales ; elle symbolise le respect du mystère qu'il n'est pas permis de violer." Dans Sophocle (OEdipe Roi
490) les vieillards de Colone recommandent à OEdipe qui doit offrir un sacrifice expiatoire aux Euménides « de se retirer sans tourner la tête ». Dans Apollonius de Rhodes, à propos de sacrifices à Hécate, la défense de se retourner est mentionnée à deux reprises : Argon., III, 1030 sq. ; IV, 248 sq. Et c'est pour avoir retourné la tête vers Eurydice qui le suivait qu'Orphée perd sa compagne.

499. Sans corrompre par sa langue... Le favete linguis des Latins était aussi une prescription religieuse. Cf. Sophocle et Apollonius, l. c. (note 498).

500. C'est toi, c'est toi plutôt qui fus cruel, Orphée... Le mouvement de ce vers semble avoir été emprunté à Virgile, Buc., VIII,
48 sq.

501. T'élançant vers des baisers chéris... Dans Virgile, Géorg., IV, 490, c'est non pour la baiser, mais pour la voir seulement 
qu'Orphée se retourne vers Eurydice : victus animi respexit.
De même dans Ovide, Mét., X, 56 : ... avidusque videndi flexit amans oculos

502. Amour digne de pardon, si le Tartare savait pardonner...  Cf. Virgile, Géorg., IV, 489 :
Ignoscenda quidem, scirent si ignoscere Manes 
"[Démence] pardonnable à vrai dire, si les Mânes savaient pardonner ! "

503. Les deux Eacides : Pélée et le vaillant Télamon... Pélée et Télamon, tous les deux fils d'Eaque et d'Endéis, selon une tradition que suit l'auteur du Culex et qui est rapportée aussi par Ovide, Mét., VII, 476, qui précise qu'Eaque avait eu deux fils d'Endéis : l'aîné, Télamon; le cadet, Pélée, et un troisième fils d'un second lit nommé Phocus. Selon une tradition différente, rapportée par Apollodore, III, 12-13, Télamon aurait été non point le frère aîné, mais l'ami de Pélée, et serait né d'Actée et de Glaucé.

504. Tous deux participant de l'inaltérable béatitude de leur père... Eaque, fils de Jupiter, père de Télamon et de Pélée, était l'une des trois divinités qui rendaient la justice aux enfers, et, à ce titre, sa protection s'étendait sur ses fils que "béatifiait" sa présence divine.

505. La Vaillance... La Vaillance ou la Vertu (Aretê), divinité allégorique qui préside ici aux noces de Télamon, est représentés ailleurs pleurant sur la tombe de son fils Ajax. Cf. Asclépiade, Ap., VII, 145. Elle était particulièrement honorée en Asie Mineure, ayant un temple à Kilyre et â Aphrodisias, et à Smyrne un bois sacré, le Jardin d'Arété.

506. Celui-ci se laissa ravir par une esclave... Télamon se laissa conquérir par une belle et séduisante esclave de guerre, Hésione, fille de Laomédon, qui lui avait été cédée par Hercule pour le récompenser de sa vaillance. Cf. Apollodore, II, 6 4. Son mariage avec Hésione fut donc bien "l'exemple de ces hymens que forment Vénus (l'Amour) et Virtus (la Vaillance)". Cf. Ovide, Mét., XI, 216-217.

507. Celui-là se fit aimer d'une Néréide... Télée épousa Thétis l'une des cinquante filles de Nérée, dont il eut un fils, Achille.

508. Un second guerrier... Le fils de Télamon et d'Hésione, Ajax.

509. Des navires d'Argos... Des navires grecs.

510. Les torches des Phrygiens... Allusion à la victoire d'Ajax transformant en déroute pour l'ennemi l'attaque des Phrygiens (Troyens) contre la flotte des Grecs. Cf. Iliade, chant XIII.

511. La terre de Teucer... Le royaume de Troade, constitué par Teucer, fils du fleuve Scamandre et de l'oréade Idée, nymphe du mont Ida, qui donna son nom aux Troyens, Teucri. Cf. Virgile, En., I, 235.

512. Le Simoïs... Le Simoïs, auj. le Doumbrek, affluent du Scamandre ou Xanthe, auj. le Mendéré.

513. Le cours du Xanthe... Le Xanthe est, d'après Homère (Il., XX, 74), le nom que les dieux donnent au cours d'eau appelé Scamandre par les hommes. - Virgile n'emploie jamais Scamander, mais cite neuf fois le Xanthe, cf. En., I, 473 ; III, 350, 497; IV, 143 ; V, 634, 803, 808 ; VI, 88 ; X, 60.
Le Xanthe naissait dans le massif de l'Ida et recevait le Simoïs dans la plaine de Troie ; aujourd'hui le Mendéré coule plus à l'ouest que l'ancien Scamandre, et le Simoïs se perd à l'est dans des marécages.

514. Le long des rivages de Sigée... Dans les parages du cap Sigée, promontoire de Troade. Cf. Virgile, En., II, 312 ; VII, 294.

515. La flotte pélasgique... La flotte grecque ainsi nommée du nom des anciens habitants de la Grèce, les Pélasges. Cf. Antipater de Sidon, Anthol. grecque, VII, 146 ; Ennius  :
Cum veter occubuit Priamus sub Marte Pelasgo;
Virgile, En., I, 624 ; II, 106, 152 ; IX, 154.

516. Ida elle-même, la puissante déesse... Ida ou Cybèle, la Mère des Dieux, qui avait son temple sur le Palatin, Aedes Matris Deum Magnae Idaeae. Elle est dans l'Enéide, presque autant que Vénus, la protectrice résolue des Troyens. Cf. II, 788 et IX, 80-122.

517. Du rivage rhétéen... Du rivage troyen, dont le cap Rhétée est l'un des promontoires. Cf. Virgile, En., III, 108 : Rhaeteas... oras.

518. Le héros fils de Télamon... Ajax.

519. L'autre... Cf. note 518.

520. Les blessures de Vulcain... Les atteintes du feu.

521. L'Eacide... Ajax, fils de Télamon et petit-fils d'Eaque.

522. L'autre... L'autre Eacide, Achille, fils de Pélée et petit-fils d'Eaque.

EAQUE
(qui épouse Endéis)
|
--------------------------------------------
|                                        | 
TELAMON                             PÉLÉE
(qui épouse Hésione)          (qui-épouse Thétis)

-------------------------        --------------------
|           |                          |
AJAX      TEUCER                ACHILLE

523. Les plaines de la Dardanie... Les plaines de la Troade, sur laquelle régna le héros Dardanus, fils de Jupiter, et ancêtre
d'Enée par Erichthon, Tros, Assaracus, Capys et Anchise. Cf. Virgile, En., I, 494, etc... 

524. Traîné, vainqueur, le cadavre d'Hector... Cf. Iliade, chant XXII, 364-404, et chant XXIV, 1-54.

525. L'un... Achille.

526. D'étre tué par Pâris... Qui l'abattit devant les Portes Scées d'une flèche guidée par Apollon.

527. L'autre... Ajax.

528. L'homme d'Ithaque... Périphrase méprisante qui, comme dans l'Enéide (II 104, 122; 111 629), désigne le fourbe Ulysse le poète fait ici allusion à la lutte que se livrèrent Ajax et Ulysse pour la possession des armes d'Achille.
A noter que l'auteur du Culex emploie la forme Ithacus, comme Virgile, tandis qu'Horace, Epist., I, 6, 33, emploie Ithacensis, et Stace et Sidoine Apollinaire Ithacessius.

529. Le fils de Laerte... Ulysse, fils de Laerte et d'Anticlée. 

530. Détourne sa face d'Ajax... Ayant honte de sa fourberie. Dans l'Odyssée (XI, 543-564), c'est au contraire Ajax qui, parressentiment, détourne la tête.

531. Du Strymonien... Du Thrace - La Thrace était arrosée par le Strymon, auj. Strouma, fleune qui sortait du mont Hémus, Virgile, Géorg., I, 120;  En., X, 265, dit "les grues strymoniennes" pour les grues de Thrace.

532. Rhésus... Rhésus, roi de Thrace, venu au secours de Troie à la fin du siège, se vit enlever par Ulysse ses chevaux merveilleux, parce qu'un oracle avait prédit que la ville de Troie ne serait pas prise si les chevaux de Rhésus buvaient l'eau du Xanthe et paissaient l'herbe de la plaine troyenne. Cf. Iliade, X, 434 sq. ; Enéide, I, 469-474.

533. Dolon... Dolon, qui avait trahi Rhésus (cf. note précédente) pour avoir la vie sauve, fut tué ensuite par le perfide Ulysse. Cf. En., I, 470.

534. Son triomphe sur Pallas... Allusion à l'enlèvement par Ulysse (et Diomède) de la statue de Pallas, le Palladium qui ornait la citadelle de Pergame et protégeait la ville de Troie. Cf. Enéide, II, 164-170.

535. Les Cicones... Les Cicones sont un peuple du sud de la Thrace (cf. Hérodote, VII 59), qui firent à Ulysse et à ses compagnons un rude accueil, cf. Homère Od. IX, 39 sq,
'Virgile (Géorg,, IV, 520 sq.) et Ovide (Mét., XI, 3 sq.) indiquent que ce sont les femmes des Cicones, qui, bacchantes déchaînées, mirent en pièces le poète Orphée.

536. Lestrygons... Les Lestrygons, antropophages (Odyssée, X, 80 sol.) que les exégètes du périple d'Ulysse localisent les uns dans les aprages du détroit de Bonifacio, les autres vers l'île d'Eubée et la Béotie orientale, avaient une réputation de perfidie et de cruauté bien établie.
Plu crudo e piu fellone
D'ogni Ciclope e d'ogni Lestriyone,

dit l'Arioste dans son Roland furieux ; et Molière écrit de son côté :
Crocodile trompeur de qui le coeur félon
Est pire qu un satrape ou bien qu'un Lestryyon.

537. Lui, l'homme féroce... Si "féroce" qu'il fût - et il était encore plus perfide et astucieux que vraiment féroce - Ulysse trouva les Lestrygons plus terribles que lui-même.

538. La rapace Scylla... Sur Scylla, voir la Ciris, et les notes 90, 92, 103, 105.

539. Avec sa ceinture de chiens molosses... Virgile, Buc., VI, 75, parle, sans précision, d'une ceinture de chiens marins :
Candida succinctam latrantibus inguina monstris.
Cf. aussi En., III, 432 et la note 92.

540. Le Cyclope de l'Etna... Cf. Virgile, En., XI, 263 :
Aetnaeos vidit Cyclopas Ulixes.
L'aventure d'Ulysse chez les Cyclopes est contée par Homère, Od., IX, 166 sq. ; l'auteur du Culex fait allusion ici au Cyclope Polyphème, qui dévora six compagnons d'Ulysse. II localise la terre des Cyclopes en Sicile, près de l'Etna, tandis que les autres auteurs leur assignent comme séjour les Champs Phlégréens, entre Naples et Cumes, près du Vésuve.

541. La Charybde de Zancle... Expression ovidienne, Fast., IV, 433 ; Trist., V, 2, 73 : Zanclaea Charybdis. - Zancle est l'ancien nom de Messine, nommée d'abord ainsi à cause de la forme de son port qui s'arrondit comme une faucille, en grec "zanclé". 

542. Les lacs ténébreux... Les eaux infernales. Cf. Properce, El., IV, 3, 15 :
Stygio sum sparsa lacu,
et plus loin, Culex, v. 373 : opacos... lacus.

543. Le Tartare infect... Le Tartare qui exhale des vapeurs pestilentielles. Cf. Virgile, En., VII, 570 : pestiferas fauces.

544. Est assis... Cf. note 459.

545. Le descendant de la race de Tantale... Périphrase qui désigne Agamemnon, fils d'Atrée, fils de Pélops, fils de Tantale.

546. La lumière d'Argos... Le glorieux chef des Grecs. 

547. La flamme dorique... L'incendie porté par les Grecs, qui mirent Troie à feu et à sang. Cf. Virgile, En., II, 27 ; VI, 88 ; Properce, El., II, 8, 34 ; IV, 6, 34.

548. La citadelle d'Erichthon... L'auteur du Culex qui, au vers 30, par "citadelle d'Erichthon" désignait Athènes, désigne ici Troie par le même vocable. Il y a, comme nous l'avons indiqué plus haut, deux Erichthon : l'un, fils de Vulcain et roi légendaire de l'Attique (cf. note 363) ; l'autre dont il s'agit ici, fils de Dardanus et père de Tros, roi primitif de Troie. Cf. Homère, Il., XX, 219; Apollodore, III, 12, 2 ; Ovide, Fastes, IV, 33 ; Properce, El., II, 6, 4.

549. Expièrent en allant périr dans les ondes hellespontiaques...  Allusion au naufrage de la flotte grecque sur les côtes de l'Eubée. Cf. Homère, Od., IV, 499 sq. ; Virgile, En., XI, 259-263 ; Ovide, Mét., XI, 470 sq.
L'expression "ondes hellespontiaques" désigne généralement, par synecdoque, les mers qui baignent la Grèce. Cf. Ciris, 411 sq., et note 271.

550. Les forces argiennes... La flotte grecque.

551. La citadelle d'Erichthon... Cf. note 548.

552. Des Néréides leur faisaient des signaux à la surface de l'onde, d'autres les pilotaient du haut de leurs carènes incurvées... Déjà Apollonius de Rhodes, par une fiction semblable (Argon., IV, 935), avait montré les Néréides et Thétis à leur tête guidant la marche du navire Argo pour l'aider à franchir les Roches Errantes.

553. Une constellation... Celle des Hyades qui passaient pour déchaîner la tempête en se levant. Cf. Virgile, En., I, 744 : pluvias Hyadas ; Horace, Od., I, 3, 14 : tristes Hyades ; Cicéron, De N. D., II, 43, 411 : suculae Hyades.
Un rapprochement plus ou moins fondé avec huein "pleuvoir" confirmait leur réputation.

554. Les rochers de Capharée... Le promontoire de Capharée ou Caphérée (Kaphêreus), à l'est de l'Eubée, auj. Capo d'Oro ou Xylofago, sur les écueils duquel vint se briser la flotte grecque. Selon une tradition, une partie seulement de cette flotte avec Ajax et Agamemnon périt là ; l'autre, avec Ménélas, fut jetée sur les côtes de Crète.
Virgile, En., XI, 260, cite le cap Capharée et lui attribue l'épithète de "vengeur" :
...ultorque Caphereus.

555. Le long des brisants euboïques... Cf. note précédente, et Virgile, En., XI, 260 : Euboicae cautes ; Properce, El., II, 26, 37-38:
Quicumque et venti miserum vexastis Ulixem 
Et Danaum Euboïco littore mille rates.

556. Au large des côtes d'Egée... Par Egée il faut entendre non point la mer Egée mais la ville d'Egée ou Aigues (Aigai), sur la côte orientale de l'île d'Eubée, près du cap Capharée ; Cf. d'ailleurs Euripide, Hél., 1128 sq. Kapharêsin embalôn, Aigaiais t'evalois aktais. Cf. note 300.

557. Tous ceux, honneur du vaste monde, que Rome produit... Tout le passage évoque le souvenir des morceaux célèbres de Virgile, Géorg., II, 168-171 ; En., V I, 756-892, qui inspirèrent sans doute à Auguste l'idée de décorer le Forum d'Auguste de statues représentant les grands Romains, depuis Enée et les premiers rois (2 av. J.-C.).

558. Les Fabius... Les 306 Fabius qui se firent tuer à Crémère, sans compter Fabius Maximus Rullianus, Fabius Pictor, et le plus illustre de tous, Fabius Maximus Verrucosus Cunctator, l'adversaire d'Hannibal, spécialement distingué par Ennius, Ann., XII, et par Virgile, En., V I, 846.

559. Les Décius... Les trois Décius, le grand-père, le père et le fils, qui tous les trois se dévouèrent aux dieux infernaux, dans une bataille contre les Latins, pour assurer le salut de leur patrie (341, 295 et 279 av. J.-C.). Cf. Virgile, Géorg., II, 169 ; En., VI, 824.

560. La race vaillante des Gracques... Les Gracques, chefs du parti populaire, qui précédèrent César et Auguste dans leur politique et leur lutte contre le parti aristocratique. Cf. Virgile, En. VI, 842 : Gracchi genus.

561. Camille... Camille, qui reprit aux Gaulois les enseignes perdues à la bataille de l'Apia, cf. Virgile, En., VI, 825 : referentem signa Camillum ; Géorg., II, 169 : magnosque Camillos.

562. Curtius... Curtius, le consul qui se "dévoua", en se jetant avec son cheval dans un gouffre creusé sur le Forum par la foudre, pour satisfaire à l'oracle et assurer le salut de la Ville. C'est du moins la version de Procilius, cité par Varron, De lingua lat., V, 148-150, et qui est suivie par Tite-Live, VII, 6 ; Properce, III, 11, 61 ; et l'auteur du Culex. Mais Varron cite deux autres versions, fort différentes, l'une, attribuée à Pison, et selon laquelle un chef sabin, Curtius, se sauva, lors de la bataille entre Romulus et Tatius, en traversant un bas-fond marécageux ; l'autre, attribuée à Cornelius Stilon, d'après laquelle la foudre étant tombée sur le Forum, le consul Curtius fut chargé d'enclore et de consacrer ce lieu. On conçoit que, parmi ces trois versions, l'auteur du Culex ait préféré la plus dramatique et la plus glorieuse pour Curtius.
Curtius n'est pas nommé dans l'Enéide.

563. Mucius... C. Mucius Scévola, le patricien romain qui, pendant le siège de Rome par Porsenna (507), pénétra sous un déguisement dans le camp étrusque, tua, au lieu du chef ennemi, son secrétaire, et, arrêté et conduit devant Porsenna, plaça sa main sur un brasier ardent et la regarda se consumer, affirmant que trois cents patriciens avaient, comme lui, juré de tuer le lars étrusque.

564. Du roi lydien... De Porsenna, roi étrusque, nommé ici roi lydien, parce que les Etrusques passaient, au dire d'Hérodote (I, 94),pour venir de Lydie. Cf. Virgile, En., II, 781 : Lydius = Etruscus ; et VIII, 479 ; X, 155.

565. Curius... Curies Dentales, vainqueur de Pyrrhus et des Samnites, célèbre par son intégrité et sa vaillance. Trois fois consul deux fois honoré du triomphe, il refusa, après Bénévent, les vastes concessions de terres que lui offrait le Sénat et se contenta de sept arpents ; ayant soumis les Lucaniens, il employa sa part de butin à des travaux d'adduction à Rome des eaux de l'Anio. "J'aime mieux, disait-il, commander à ceux qui ont de l'or que d'en posséder moi-même." Cf. Horace. Od., I, 12, 41 ; Florus, I, 15, etc.

566. Le fameux Flaminius... Flaminius, l'un des précurseurs des Gracques, célébrés plus haut, et l'un des chefs les plus hardis du parti démocratique, le constructeur du Cirque Flaminien, le vainqueur des Insubriens, et qui, vaincu par Hannibal à Trasimène, "sauva l'honneur en dévouant sa vie ", mourant, dit Tite-Live lui-même (XXII, 5, 1) "impavide dans une telle déroute".
consul, perculsis omnibus, ipse satis, ut in re trepida, impavidus, turbatos ordines instruit.

567. A bon droit... Pour sa bravoure, et malgré sa défaite, le poète assure à Flaminius la récompense du courage malheureux.

568. Les Scipions... Les deux Scipions, le premier Africain qui termina la première guerre punique par la brillante victoire
de Zama (204), et le second Africain, son petit-fils adoptif, qui détruisit Carthage (146). Cf. Lucrèce, De N. R., III, 1034 ; Virgile, En., VI, 842 ; Cicéron, Balb., 34 ; Valère-Maxime, III, 5, 1.

569. Aux sombres lacs... Aux lacs infernaux.

570. Dis... Cf. note 486.

571. Privés de la lumière de Phébus... C'est la traduction du grec hêliostereis (Sophocle, OEdipe à Colone, 314).

572. Le vaste Phlégéthon... Cf. note 487.

573. Minos... Cf. note 127.

574. Un ennemi acharné... Le serpent d'eau.

575. L'acanthe... L'acanthe molle (acanthes mollis), sorte de chardon que nomme Virgile dans la 3e Buc., 45, et dans les Géorg., IV, 123, était particulièrement plantée sur les tombes, et autour des stèles funéraires. On tonnait la légende que rapporte à son sujet Vitruve : sur la tombe d'une jeune fille, à Corinthe, divers objets qu'elle avait aimés pendant sa vie avaient été déposés dans une corbeille ; les feuilles d'une acanthe qui avait poussé là entourèrent complètement la corbeille et donnèrent par leur motif charmant au sculpteur Callimaque l'idée du chapiteau corinthien, où la feuille d'acanthe stylisée est employée comme thème décoratif. Si l'on en croit Pline le Jeune (Ep., V, 6, 16), c'est aussi avec cette plante que les Romains ornaient les allées couvertes de leurs jardins.

576. La rose rouge de nuance purpurine... C'était, au dire de Pline (H. N., XXI, 10, 2), la plus estimée des anciens. On distinguait parmi les variétés les plus célèbres celle de Milet, "qui est d'un rouge très vif et qui n'a pas plus de douze pétales", et celle de Trachinie, un peu moins rouge.
Selon certains auteurs, "la nuance purpurine" venait du sang de Cypris, qui s'était piquée aux épines d'une rose blanche (cf. Florus, Anth. lat., Riese, I, p. 100) ; selon d'autres, du sang de Vénus, dont une épine avait déchiré le pied, tandis qu'elle volait au secours d'Adonis (cf. Géoponiqnes, XI, 17) ; selon Ausone, du sang de Cupidon, fouetté d'un bouquet de roses épineuses par Vénus (Id., VI).

577. Des violettes de toute sorte... Virgile nomme seulement deux violettes : la violette pâle (pallentes violas, Buc., II, 47) et la violette noire (nigrae violae, Buc., X, 39), mais il y en avait de toute nuance, depuis la violette blanche (viola alba de Pline, leukoion) jusqu'à la violette pourpre (purpurea viola).

578. Le myrte de Sparte... Le myrte (murrinê), consacré à Vénus, était aussi consacré à Déméter. On en couronnait le front des initiés dans les mystères d'Eleusis et la chevelure du mort reposant sur son lit de parade. On en plantait sur les tombes, cf. Euripide, EL, 324, 512 ; Théophraste, Hist. plant., V, 8, 3 ; Virgile, En., III, 23. Catulle (LXIV, 89) nous dit qu'il poussait en abondance sur les pentes du Taygète (montagne qui domine Sparte) et au bord de l'Eurotas (fleuve de Sparte).

579. L'hyacinthe... L'hyacinthe était aussi une fleur funéraire : on voit dans Properce (El., IV, 33) l'ombre de Cynthie reprocher à son amant de ne pas avoir fait à sa tombe l'offrande de fleurs d'hyacinthe (nulla mercede hyacinthos injicere). Il est probable que cette destination lui venait de son aspect même, car sur les pétales de l'hyacinthe les anciens prétendaient lire la diphtongue AI, où les uns voyaient l'interjection grecque qui signifie "hélas !" gémissement d'Apollon pleurant la mort de son favori le jeune 
Hyacinthe qu'il avait tué accidentellement au jeu du disque (cf. Ovide, Mét., XIII, 391 sq. et Lucien, XIVe Dial. des Dieux), tandis que les autres y voyaient les premières lettres du nom d'Ajax (AIAS) dans le sang duquel cette fleur aurait germé : de là le nom de "fleur gravée" (inscriptus flos, grapta huakinthos) donné à l'hyacinthe, et l'énigme que propose Ménalque à Polémon dans la troisième Bucolique (106-107) :
Die quibus in terris inscripti nomina regum Na
scuntur flores...

"Dis en quels pays naissent les fleurs où l'on voit inscrits des noms de rois ..."

580. Le safran que produisent les champs de Cilicie... Le safran, dont le nom français dérive de l'arabe safrâ est, en effet, une plante d'Asie, et qui abondait particulièrement en Cilicie, si l'on en croit Lucrèce, De N. R., II, 416 : croco Cilici, et Stace, Silv., II, 1, 160 ; 6, 87 ; III, 3, 34, qui semble indiquer que c'était la fleur même du pays, où les gens en faisaient une véritable moisson : Cilicum flores, Cilicum messes.
Les fleurs d'Asie étaient particulièrement recherchées pour les jardins funéraires ; témoin l'épitaphe charmante d'un jeune homme de vingt ans, Aquilinus, de son vivant statuaire ou praticien, CIIS, n° 1362 : "O terre, puisses-tu être bonne et légère aux restes d'Aquilinus et faire naître de ses flancs les fleurs suaves que produisent l'Arabie et l'Inde, en sorte que la rosée semble monter de son corps avec un doux parfum, et qu'on puisse dire : là repose un enfant chéri des dieux, qui mérite des libations et des sacrifices, mais non des pleurs."

581. Le laurier, honneur croissant de Phébus... Le laurier est aussi une plante funéraire : c'est parmi des massifs de laurier que se promènent les héros des Champs-Elysées dans l'Enéide (VI, 858); c'est un laurier que Properce (El., II, 13, 33) recommande à Cynthia de planter sur sa tombe ; mais, à vrai dire, c'est la plante funéraire réservée aux poètes et aux héros, et l'on pourrait s'étonner que l'auteur du Culex le mette sur la tombe de son moustique, si celui-ci peut-être ne l'avait mérité par son héroïque dévouement.
En l'appelant "honneur de Phébus", le poète souligne que le laurier est l'arbuste consacré à Phébus, en souvenir de la nymphe Daphné (Daphnê = laurier) que le dieu aima et poursuivit aux bords du fleuve Pénée et qui lui échappa par la métamorphose. Cf. Ovide, Mét., I, 452 sq.

582. Le laurier-rose... Le laurier-rose (rhododaphnê) est aussi une plante d'Asie (cf. note 580), qui semble avoir été importée en Grèce, et peut-être en Italie, au Ier siècle av. J.-C.

583. Les lis... Fleurs d'Asie, importées aussi en Grèce et en Italie, les lis ont toujours été mis en bonne place par Virgile, qui en parsème la tombe de Marcellus, En., VI, 883 :
...Manibus date lilia plenis,
et qui montre, dans la Xe Buc., 25, le dieu Silvain "secouant des férules en fleurs et de grands lis"
Florentes ferulas et grandia lilia quassans.

584, Le romarin qui a sa place marquée dans nos jardins... Le romarin est nommé dans Ovide, Ars Am., III, 690, en compagnie du laurier et du myrte. Cf. Pline, H. N., XXIV, 11, 59.

585. L'herbe sabine que nos ancêtres employaient à la place des précieux encens ... "L'herbe sabine" est une sorte de genévrier, odoriférant et balsamique, qu'on desséchait, nous dit Pline (H. N., XXIV, 11, 61), pour la brûler, au lieu de l'encens, qui était le parfum des riches. Ovide, Fastes, I, 343, corrobore Pline en nous disant que, dans les temps anciens, le parfum de "l'herbe sabine" suffisait pour les sacrifices :
Ara dabat fumos herbis contenta Sabinis.
Cf. encore Caton, Agric., LXX, 1 ; Properce, El., III, 4, 58.

586. Le chrysanthème... Le chrysanthème était déjà une plante funéraire.

587. Le lierre luisant aux grappes grisâtres... Cf. note 420.
Le lierre, plante consacrée à Bacchus, était aussi fort employé, comme l'acanthe, pour décorer les stèles funéraires.

588. Le bocque qui rappelle le nom du roi de Libye... Le bocque est une plante qui n'a pas été identifiée. Selon Heyne, ce nom de plante, emprunté à un roi numide, doit provenir d'un cousin de Bocchus II, Juba II, auteur d'une Histoire Naturelle à laquelle Pline fait allusion (H. N., XXV, 7, 38) et mort sous Tibère en 23 ou 24 après J.-C. Ce Bocchus II, qui aurait donné son nom à la plante vulgarisée par Juba II, est le roi numide qui reçut, en récompense des services qu'il rendit à César dans sa lutte contre Pompée, une partie de l'ancien royaume de Libye, et qui mourut en 33 av. J.-C.

589. Des amarantes... L'amarante, la fleur a qui ne se flétrit pas (a- marantos), était aussi une plante d'Asie Mineure, mais qui fut connue de bonne heure en Italie, où l'on en faisait des couronnes en la mêlant au lis. Cf. Lygdamus, IV, 33 ; Ovide, Fast., IV, 439 ; Pline, H. N., XXI, 8, 23.

590. Le verdoyant bumaste... Le bumaste était, au dire d'Hésychius, un arbuste, - un arbuste différent sans doute du raisin de ce nom, à gros grains, qui n'a guère sa place sur une tombe ; peut-être une sorte de vigne sauvage et grimpante, appartenant à la même famille.

591. Le laurier-tin toujours fleuri... Le laurier-tin ou viornetia (tinus) n'est point "toujours fleuri", mais l'expression semper florida ne doit pas être prise au pied de la lettre : c'est une hyperbole poétique.

592. Le narcisse, orgueilleux de sa beauté, qui s'enflamme pour ses propres charmes... Il s'agit ici du "narcisse des poètes" (narcisus poeticus) ou oeillet de Pâques, qui pousse généralement au bord de l'eau où il se mire et où il laisse tomber quand il se fane sa corolle blanche bordée de pourpre. Son aspect même a donné naissance â la jolie légende de Narcisse, le bel adolescent qui, épris de ses propres charmes qu'il admire dans le cristal des eaux, se noie dans la fontaine en voulant les atteindre. Cf. Ovide, Mét., III, 6. Cette légende qui n'est pas sans rapport avec le culte de Proserpine, a contribué sans doute à faire du "narcisse des poètes" une fleur qu'on mettait sur les tombes.
Virgile nomme deux fois le narcisse, Buc., V, 38 ; Géorg., IV, 123, mais la seconde fois il s'agit d'un autre narcisse, le narcisse tardif (narcissus serotinus de Linné).

593. Du feu de Cupidon... D'amour.

594. Toutes les fleurs... La nomenclature des fleurs du Culex reproduit presque textuellement l'énumération des fleurs qui, dans l'hymne homérique A Déméter (6-8), parsèment la prairie où Perséphone joue avec ses compagnes, au moment où elle est ravie par Pluton :
..rhoda kai krokon nd'ia kala
Leimôn'am malachon kai agallidas nd'huakinthon
Narkisson th'...

"roses, crocus, violettes, iris, hyacinthe et narcisse ".
Dans le texte du Culex, les iris (agallidas) sont devenus des lis.

595. Petit moustique, etc... Le distique qui sert d'épitaphe au moustique a été cité par Donat et par Phocas dans leurs Vies de Virgile. Les épitaphes d'animaux sont fréquentes dans l'Anthologie, cf. Epigr. fun., nos 189-216 : épitaphes de cheval de guerre, d'un lièvre familier, de mésanges, de perdrix, de sauterelles et de cigales.

596. Te rend cet hommage de mort en retour du bienfait de la vie... Le trait littéraire est fréquent dans l'épitaphe. Cf. l'épitaphe de Daphnis dans Virgile, Buc., V, 44 :
FORMOSI PECORIS CUSTOS FORMOSIOR IPSE