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Poèmes attribués à Virgile : traduction nouvelle de Maurice RAT, GARNIER, 1935

La fille d'auberge le cachat l'aigrette le moustique l'Etna Epigrammes Priapées imprécations élégies pour Mécène

L'ETNA (AETNA)

NOTICE SUR L'ETNA

L'Etna est un poème descriptif et scientifique de 644 hexamètres, qui a été attribué tour à tour à Virgile, à Ovide, à Sénèque, à Pline l'Ancien, à Quintilius Varus, à Cornélius Sévérus, à Manilius, à Lucilius le Jeune, à Pétrone, à Octavien, à Claudien (a).
L'attribution à Virgile avait pour elle dans l'antiquité l'autorité de Donat et de Servius. Le premier a rapporté que Virgile avait écrit un Etna, ajoutant, il est vrai, qu'il y avait un doute à ce sujet (
scripsit etiam de qua ambigitur Aetnam), mais la réserve de qua ambigitur ne se trouve pas dans l'un des meilleurs manuscrits, le codex Sangallensis, et se trouve placée dans un autre manuscrit, le codex Bernensis, après et non avant le mot Aetnam, ce qui porte beaucoup de critiques à voir dans cette réserve une interpolation. Quant à Servius, non seulement il a attribué l'Etna à Virgile dans l'énumération des sept ou huit oeuvres complémentaires du poème, mais encore il a confirmé cette attribution dans une note au vers 571 du IIIe chant de l'Enéide, où il s'appuie « sur l'Etna de Virgile ». - Cette attribution est d'ailleurs confirmée par tous les manuscrits qui nous ont conservé le poème sous le nom de Virgile, et par la plupart des premières éditions qui donnent également le poème sous le nom de Virgile, sauf quelques-uns où on lit : a quibusdam Cornelio Severo tribuitur, « attribué par certains à Cornélius Sévérus », mention qui a tout l'air d'être, elle aussi, la conjecture de quelque humaniste.
Discutée au XVIe siècle, abandonnée à partir de 1573 sous la grande influence de Jos. Scaliger qui tient pour Sévérus, l'attribution virgilienne a été reprise trois siècles plus tard par Kruckziewicz (1884) (b), par Walter (1899) (c), par Abzinger (1900) (d) et par Vessereau (1905) (e), qui affirme que c'est l'attribution la plus vraisemblable et la mieux fondée, et elle ne répugne pas à Pichon (f), qui insère des morceaux de l'
Etna dans son édition classique de Virgile et qui écrit que la distance entre l'Etna et les Bucoliques "n'est pas plus grande que celle qui sépare les Odes et Ballades des Orientales" ou que celle qui sépare "Clitandre du Cid". Si l'argumentation "littéraire" de Pichon est des plus contestables, il faut convenir que Vessereau a démontré avec pertinence non point certes que l'Etna soit de Virgile, mais qu'il n'est pas impossible de le lui attribuer. "L'hypothèse d'une oeuvre de jeunesse de Virgile, écrit-il, se concilie très bien avec le caractère d'un poème où l'on sent la double influence de l'école de Lucrèce et de celle de Catulle. Virgile, qui prit la toge virile l'année même de la mort de Lucrèce, ne pouvait pas ne pas s'intéresser à l'oeuvre de ce dernier. Pourquoi, tout jeune encore, ne s'en serait-il pas inspiré dans une oeuvre de caractère philosophique et scientifique ? L'imitation de l'auteur de Natura rerum y paraît évidente, ne serait-ce que dans le ton général du poème, dans l'enthousiasme qui s'y montre pour les recherches scientifiques et dans un grand nombre de traits descriptifs. La diction poétique montre également une grande connaissance et une longue étude de Lucrèce... Les ressemblances de pensée et de forme, très nombreuses et fort curieuses, de l'Etna avec les Géorgiques et l'Enéide... font admettre que Virgile, dans un âge plus avancé, ait repris ses propres pensées, ses propres expressions en les corrigeant, les améliorant, leur donnant ce fini qui manque dans l'Etna."
Mais entre les
Bucoliques si « finies », comme dit Vessereau, et l'Etna si souvent gauche, contourné, lourd, obscur et à peine correct, la différence, que Pichon vraiment sous-estime, est si grande, si profonde qu'on répugne à attribuer à Virgile, l'eût-il même composé huit ans avant ses premières églogues, un ouvrage aussi fruste. Et l'on y répugnerait bien davantage encore si, passant en revue les autres attributions, on ne s'apercevait qu'elles sont bien moins encore fondées et vraisemblables.
L'attribution à Cornelius Sévérus, poète épique de second rang au dire de Quintilien, et dont Sénèque le Rhéteur nous a conservé une trentaine d'hexamètres déplorant la mort de Cicéron, remonte à l'édition romaine des
Catalecta (1471), que corroborent plusieurs éditions suivantes, et a été accréditée, comme nous l'avons dit par Jos. Scaliger (édition de 1573), qui s'appuie sur le passage d'une lettre (g) où Sénèque invite Lucilius, qui est en Sicile, à en profiter pour décrire l'Etna, ajoutant ce qui suit : "Ovide a traité ce sujet sans voir un obstacle dans le fait que Virgile l'avait épuisé, et ni l'un ni l'autre n'ont empêché Sévérus Cornélius de le reprendre." A quoi, malheureusement pour Scaliger et ceux qui l'ont suivi, on peut faire trois objections dont chacune est suffisante seule : la première, c'est que le texte d'Ovide auquel Sénèque fait allusion est un morceau de 16 vers dans les Métamorphoses (XV, 783-798) et qu'il est donc très probable qu'il fait aussi allusion à un court passage d'une des épopées de Sévérus, et non pas à un poème de plus de 600 vers comme l'Etna ; la seconde, c'est que dans le même passage où il parle de ce sujet, Sénèque ajoute que c'est un lieu commun poétique (sollemnem omnibus locis locum) et qu'il n'y a aucune raison pour choisir parmi les poètes qui ont traité ce lieu commun Sévérus plutôt que tel ou tel ; la troisième, c'est que les trente vers qui nous restent de Sévérus rappellent beaucoup plus la mamère de Lucain, par leur allure éclatante et fière, que les vers contournés de l'Etna.
L'attribution à Lucilius, l'ami de Sénèque, remonte à Vincent de Beauvais, qui dès le XIIIe siècle, après avoir donné l'
Etna à Pétrone, se demandait si plutôt il ne serait pas de Lucilius, et elle a été accréditée par Wernsdorf (h), qui s'appuie sur un passage de Sénèque précédant immédiatement celui que nous venons de citer, et où l'on peut lire : "...en attendant que tu décrives l'Etna dans ton poème..." et sur un passage qui le suit : "Déjà tu rêves d'écrire sur ce thème quelque chose de grand et d'égal à ce qui a été fait..." Mais les mêmes objections qui valent pour Sévérus se retournent contre Lucilius, dont il n'est d'ailleurs pas prouvé qu'il ait jamais écrit le poème en question.
L'attribution à Sénèque lui-même, soutenue, puis abandonnée bientôt par Dal Zotto (i), reposait sur un texte des
Questions naturelles (VI, 4), où le philosophe dit avoir composé étant jeune "un volume sur le mouvement des terres", et encore sur la lettre LXXIX à Lucilius, où il demandait à son ami de faire "en son honneur" l'ascension de l'Etna. Outre que ces deux arguments sont bien ténus, la manière de Sénèque brillante et acérée, est trop différente de celle de l'Etna pour que le poème puisse être de lui.
Les attributions à Ovide ou à Pétrone, qui tirent leur origine de la publication du poème dans des manuscrits de ces auteurs, ne méritent pas plus qu'on s'y arrête que l'hypothèse de Birt (j), qui insinue que l'
Etna pourrait être une oeuvre de Pline l'Ancien sous prétexte de ressemblances, d'ailleurs bien peu probantes de style et de procédés, mais qui oublie qu'il n'est point d'Etna dans la liste des oeuvres complètes de Pline que son neveu envoie à Macer ; et l'on saurait encore moins retenir les vagues suppositions de certains érudits en faveur de Quintilius Varus, de Manilius, et même d'Octavien et de Claudien.
Après ces exclusions nécessaires, on en vient forcément à ce dilemme : ou l
'Etna est de Virgile, comme l'affirmait Servius et comme l'admet encore son dernier éditeur critique français (mais c'est un parti qu'on n'accepte qu'avec répugnance et à la condition d'en faire le tout premier essai du poète débutant, tant il est vrai que nulle part, dans cette longue série d'hexamètres "on ne découvre quoi que ce soit des dons virgiliens : ni émotion tendre, ni richesse d'imagination, ni charme et fleurs de style et de poésie") (k); ou bien alors l'Etna est d'un poète inconnu, imitateur sans génie de Lucrèce, qui comme Virgile lui-même l'aurait pu faire, a écrit ce poème philosophico-scientifique à une date qu'il est permis de situer presque à coup sûr entre les années 50 et 44 avant J.-C. Car il est tout à fait vraisemblable que l'auteur, quel qu'il soit, du poème a eu sous les yeux une éruption de l'Etna, qui l'a incité à étudier le volcan et les causes du fléau, puis à en faire le sujet d'un ouvrage versifié. Or l'Etna ne fut jamais en éruption de 122 à 50 av. J.-C. et de 32 av. J.-C. à 40 après J.-C., mais de 50 à 32 il fut dans une période d'activité, très intense de 50 à 44, moins forte ensuite ; sur quatre éruptions qu'il eut en ces temps-là (50, 44, 38, 32) deux furent très violentes, celle de 50, qui, succédant à une période d'assoupissement de 72 ans, a dû surtout frapper les esprits, et celle de 44, dont a parlé Virgile. D'autre part, le poème fait allusion (l) à la statue de Médée du sculpteur Timomaque, qu'il blâme ses compatriotes d'aller admirer hors de leur pays. Or, au témoignage de Pline (m), la Médée de Timomaque fut amenée à Rome par Jules César entre 46 et 44 avant J.-C. On en peut conclure que l'Etna a été écrit presque certainement après l'éruption de 50 et avant le transfert à Rome de la Médée, c.-à-d. avant 46-44 (n).

a Le plan de l'ouvrage est le suivant : 1-8 : le poète entreprend de chanter l'Etna et la cause de ses éruptions et il adresse une invocation à Apollon ; 9-93 : il méprise les poètes qui redisent à ce propos des mensonges mythologiques ou célèbrent les exploits de personnages fabuleux ; 94-177 : il donne au phénomène une explication scientifique, due à l'existence au sein de la terre de canaux aériens, où passent des vents ; 178-222 : ces vents sont facteurs d'éruptions ; 223-280 : digression du poète sur la noblesse de la science et sur l'importance des études géologiques ; 281-327 : origine et effets des vents éruptifs ; 328-383 :
périodes de calme absolu succédant aux périodes d'activité volcanique ; 384-455 : matières éruptives, rôle important de la pierre meulière ; 456-508 : tableau d'une éruption ; 509-530 : roches semblables à la pierre meulière ; 537-566 : puissance invincible du feu de l'Etna ; 567-601 : digression du poète sur les spectacles qu'on va chercher bien loin, quand l'Etna offre la magnificence de ses éruptions ; 602?-641 : le poète termine son oeuvre par l'anecdote des frères pieux qui se rattache au sujet parce qu'elle est un épisode de l'éruption dans Catane. 

b Rozprawy i Sprawozdania zposiedzen wydzialu filologicznego Akademii umiejetnosci, X, pp. 157 sq. Cracovie, 1884.

c Blätter für das Gymnas., XXXV, pp. 585 sq., 1899.

d Blätter für das Gymnas., XXXVI pp. 649-658, 1900.

e Aetna, Paris, 1905 et l'Etna, Introduction, notamment pp. XVI-XXII, Paris, 1923.

f Préface aux Oeuvres de Virgile, Hatier, 1916, pp. 9-22, et aussi Journal des savants, mars 1911 : les Travaux récents sur l'Appendix Vergiliana

g Lettres d Lucilius, LXXIX. 

h Poet. lat, min., édit. allemande, t. IV, pp, 3 sq. ; éd. française Lemaire, t. III, pp. 20-21.

i De Aetna quaestiones, pp. 10-11 et 22-25.

j Zum Aetna, dans Philologus, LVII, 4 (année 1898), pp. 607 sq.

k F. Plessis, l, c., p. 263.

l  Vers 596.

m Hist. Nat., XXXV, 40, 11.

n Il semble bien difficile de soutenir en effet que le poème ait pu être écrit après 72 ap. J.-C., date de la première éruption formidable qui suivit celles de 50 et de 44 av. J.-C., et qui causa la mort de Pline l'Ancien ; l'auteur eût fait sans doute allusion à cette mort, et écrit un poème peut-être moins lucrétien.

 AETNA

Aetna mihi ruptique cavis fornacibus ignes
et quae tam fortes volvant incendia causae,
quid fremat imperium, quid raucos torqueat aestus,
carmen erit. Dexter venias mihi carminis auctor,
seu te Cynthos habet seu Delo est gratior Hyla,        5
seu tibi Dodona potior, tecumque faventes
in nova Pierio properent a fonte sorores
vota : per insolitum Phoebo duce tutius itur.

L'ETNA

L'Etna (597) et les feux qui s'élancent de ses creuses fournaises (598), les causes - si fortes - de ses tourbillons de matières enflammées, la raison de son frémissement de révolte, celle de ses déroulements de laves, - tel sera le sujet de mon poème. Puisses-tu m'assister, initiateur de mon poème (599), soit que (600) te possède le Cynthe (601), soit qu'à Délos tu préfères Hyla (602), soit que Dodone (603) t'agrée davantage ; et, puissent avec toi, accourant de la fontaine de Piérie (604), les Soeurs (605) se montrer favorables à mon dessein nouveau : à travers d'insolites parages (606) on chemine plus sûrement avec Phébus pour guide (607).

 Aurea securi quis nescit saecula regis ?
Cum domitis nemo Cererem iactaret in arvis         10
venturisque malas prohiberet fructibus herbas,
annua sed saturae complerent horrea messes,
ipse suo flueret Bacchus pede mellaque lentis
penderent foliis et pingui Pallas olivae,
secretos amnis ageret cum gratia ruris?                15
Non cessit cuiquam melius sua tempora nosse.
Qui ne connaît les siècles d'or d'un roi sans souci (608), quand personne ne jetait Cérès (609) dans les guérets domptés (610) ni n'écartait des récoltes futures les mauvaises herbes, mais que, à profusion, chaque année, les moissons remplissaient les granges (611), que Bacchus coulait sous son propre pied (612), que le miel pendait aux feuilles souples (613) et Pallas (614) à la grasse olive, que des cours d'eau incomparables (615) s'élançaient à travers une campagne délicieuse (616) ? Non, personne n'a pu se vanter de connaître mieux son propre temps.
 Ultima quis tacuit iuvenum certamina Colchos ?
Quis non Argolico deflevit Pergamon igni
impositam et tristi natorum funere matrem ?
Aversumque diem sparsumve in semina dentem ?  20
Quis non periurae doluit mendacia puppis
desertam vacuo Minoida litore questus ?
Quidquid et antiquum iactata est fabula carmen ?
Qui a tu les combats qu'au bout du monde des héros se livrèrent en Colchide (617) ? Qui n'a pleuré Pergame (618) livrée à l'incendie argolique (619) et cette mère dont les fils eurent de tristes funérailles (620) ? Ou encore la lumière détournée du jour (621), ou les dents éparpillées comme semence (622) ? Qui n'a lamenté les mensonges de la poupe parjure (623), qui n'a plaint la Minoïde (624) laissée sur un rivage désert (625), bref traité tous ces vieux sujets rebattus par la fable?
 Fortius ignotas molimur pectore curas.
Qui tanto motus operi, quae causa perenni            25
explicet in densum flammas et trudat ab imo
ingenti sonitu moles et proxima quaeque
ignibus irriguis urat, mens carminis haec est.
 
Avec plus de courage nous nous attaquons à un sujet inexploré. Quels sont les moteurs d'un si grand oeuvre, quelle est la cause perpétuelle qui développe des flammes dans un corps compact, chasse de ses profondeurs de telles masses avec un si puissant fracas, et brûle de coulées de feu tout ce qui est à proximité, - voilà l'objet de mon poème. 
Principio ne quem capiat fallacia vatum
sedes esse dei tumidisque e faucibus ignem          30
Volcani ruere et clausis resonare cavernis
festinantis opus : non est tam sordida divis
cura neque extremas ius est dimittere in artes
sidera ; subducto regnant sublimia caelo
illa neque artificum curant tractare laborem.          35
D'abord que personne ne se laisse prendre aux mensonges des poètes, qui disent que l'Etna est le séjour d'un dieu (626), que de ses gorges gonflées s'élance le feu de Vulcain (627) et que dans ses cavernes closes retentit son travail zélé (628), un soin aussi sordide n'incombe pas aux divinités (629), et nous n'avons pas le droit de ravaler les puissances astrales aux derniers des métiers ; elles règnent tout là-haut dans les retraites célestes et n'ont cure de faire une besogne d'ouvriers. 
Discrepat a prima facies haec altera vatum:
illis Cyclopas memorant fornacibus usos,
cum super incudem numerosa in verbera fortes
horrendum magno quaterent sub pondere fulmen
armarentque Iovem : turpe et sine pignore carmen. 40
Différente de la première, voici une autre invention des poètes : ces fournaises, à les en croire, servaient aux Cyclopes, quand, frappant à coups cadencés sur l'enclume, ils pilaient avec force sous leur vaste marteau la formidable foudre et armaient ainsi Jupiter : pauvre thème sans aucun fondement ! 
Proxima vivaces Aetnaei verticis ignes
impia sollicitat Phlegraeis fabula castris.
Temptavere, nefas ! olim detrudere mundo
sidera captivique Iovis transferre gigantes
imperium et victo leges imponere caelo.                 45
His natura sua est alvo tenus ; ima per orbes
squameus intortos sinuat vestigia serpens.
Construitur magnis ad proelia montibus agger :
Pelion Ossa creat, summus premit Ossan Olympus.
Iam coacervatas nituntur scandere moles,               50
impius et miles metuentia comminus astra
provocat, infestus cunctos ad proelia divos
provocat admotisque ad tertia sidera signis,
Iuppiter e caelo metuit dextramque coruscam
armatus flamma removet caligine mundum.            55
Incursant vasto primum clamore gigantes :
hic magno tonat ore Pater geminantque faventes
undique discordes comitum simul agmine venti.
Densa per attonitas rumpuntur flumina nubes
atque in bellandum quae cuique potentia divum       60
in commune venit. Iam Patri dextera Pallas
et Mars laevus erat, iam cetera turba deorum,
stant utrimque  :deus validos tum Iuppiter ignes
increpat et iacto proturbat fulmine montes.
Illinc devictae verterunt terga ruinae                       65
infertae divis acies atque impius hostis
praeceps cum castris agitur materque iacentes
impellens victos. Tum pax est reddita mundo,
tum liber cessata ; venit per sidera, caelum
defensique decus mundi nunc redditur astris.           70
Gurgite Trinacrio morientem iuppiter Aetna
obruit Enceladon, vasto qui pondere montis
aestuat et petulans exspirat faucibus ignem.
Une autre légende impie veut que les feux perpétuels du sommet de l'Etna soient l'oeuvre du camp phlégréen (630). Les Géants tentèrent autrefois, abominable crime ! de déloger du ciel les puissances astrales (631), de détrôner Jupiter en le faisant prisonnier (632), et d'imposer leurs lois au ciel vaincu (633). Ces monstres conservent leur aspect normal jusqu'au ventre (634) ; au-dessous ce sont des serpents écailleux dont la marche se déroule en replis tortueux. On construit un rempart pour la lutte avec des monts énormes (635), : l'Ossa s'ajoute au Pélion et l'Olympe recouvre l'Ossa de son poids (636). Déjà ils s'efforcent d'escalader ces masses amoncelées ; une impie soldatesque (637), arrivée à portée des astres tremblants (638), les provoque ; prête à l'attaque, elle provoque tous les dieux au combat et porte ses étendards jusqu'à leur troisième ligne ; Jupiter, du haut du ciel, a eu peur; brandissant sa droite armée de flamme (639), il enrobe le monde de ténèbres ; les géants lui courent sus, en poussant une vaste clameur (640) ; alors le Père (641) tonne d'une voix puissante, et de toutes parts les vents, dans un tohu-bohu favorable, lui répondent avec toute leur troupe d'auxiliaires (642) ; à coups précipités, à travers les nuées que frappe le tonnerre, la foudre éclate, et les dieux mettent en commun pour la lutte toute la puissance qui est à chacun dévolue. Déjà à la droite du Père (643) était Pallas, et Mars à sa gauche ; déjà le reste de la troupe des dieux se dresse à ses côtés ; alors, vraiment dieu, Jupiter fait crépiter ses feux vigoureux, et, vainqueur, fait crouler par sa foudre les montagnes (644). Cet écroulement entraîne la défaite totale de 65 l'armée des géants, qui, vaincue par les dieux, tourne le dos et, soldatesque impie (645), est mise en déroute avec son camp : leur mère (646) les suit poussant ses fils vaincus qui jonchent le sol. Alors la paix fut rendue au monde ; alors il respire librement ; le ciel est réoccupé par les puissances astrales, et l'honneur d'avoir défendu le monde rejaillit maintenant sur les astres. Au gouffre de Trinacrie (647) Jupiter écrase sous l'Etna Encelade mourant (648), qui se convulse sous le vaste poids de la montagne et qui dans ses sursauts souffle du feu par sa gorge (649).
Haec est mendosae volgata licentia famae.
Vatibus ingenium est: hinc audit nobile carmen.      75
Plurima pars scaenae rerum est fallacia : vates
sub terris nigros viderunt carmine Manes
atque inter cineres Ditis pallentia regna,
mentiti vates Stygias undasque canesque.
Hi Tityon poena stravere in iugera foedum ;            80
sollicitant illi te circum, Tantale, poena
sollicitanque siti ; Minos, tuaque, Aeace, in umbris
iura canunt idemque rotant Ixionis orbem, -
quicquid et interius, falsi sibi conscia terra est.
Nec tu, terra, satis : speculantur numina divom       85
nec metuunt oculos alieno admittere caelo.
Norunt bella deum, norunt abscondita nobis
coniugia et falsa quotiens sub imagine peccent,
taurus in Europen, in Ledam candidus ales
Iuppiter, ut Danaae pretiosus fluxerit imber.           90
Debita carminibus libertas ista, sed omnis
in vero mihi cura : canam, quo fervida motu
aestuet Aetna novosque rapax sibi congerat ignes.
Tels sont les bruits répandus par une menteuse légende. Les poètes ont du talent : de là, le crédit de leur chant illustre. La scène, dans la plupart des cas, n'offre que des tromperies : les poètes (650), dans leurs vers, ont vu sous terre les noirs Mânes, et, parmi les cendres, les sombres royaumes de Dis (651), inventant les vallées du Styx et ses ondes (652) et son chien (653). Les uns, pour le punir, ont so allongé hideusement Tityos sur plusieurs arpents (654) ; les autres, pour te punir, te tourmentent, Tantale, en t'environnant d'une eau qui te donne soif (655) ; ils chantent tes jugements, Minos (656), et les tiens, Eaque (657), parmi les ombres ; ils font aussi tourner la roue d'Ixion (658) ; bref, ils placent à l'intérieur de la Terre toutes ces fictions 65 dont elle a conscience. Et même, ô Terre, tu ne leur suffis pas : ils épient les puissances divines et ne craignent pas de porter les yeux dans le domaine du ciel qui ne leur appartient pas (659). Ils connaissent les guerres des dieux (660) ; ils connaissent des unions qui nous sont cachées, et savent combien de fois sous une image trompeuse Jupiter a commis de peccadilles, - taureau pour Europe (661), oiseau blanc pour Léda (662), - comment pour Danaé il coula en une précieuse pluie (663). Telle est la licence qu'on accorde aux poètes (664) ; mais je n'ai cure, moi, que de la vérité je vais chanter par quelle cause l'Etna brûlant bouillonne et comment cette montagne rapace entasse pour elle des feux toujours nouveaux. 
Quacumque immensus se terrae porrigit orbis
extremique maris curvis incingitur undis,                95
non totum ex solido est ; desit namque omnis hiatu,
secta est omnis humus penitusque cavata latebris
exiles suspensa vias agit ; utque animanti
per tota errantes percurrunt corpora venae,
ad vitam sanguis omnis qua commeat, isdem        100
terra voraginibus conceptas derigit auras.
Partout où s'étend l'immense orbe (665) de la terre et où il est ceint des ondes courbes de la mer finissante (666), il n'offre pas un bloc tout d'une pièce ; il est de tous les côtés crevassé de fissures, de tous les côtés entr'ouvert, et creusé dans ses parties souterraines de canaux étroits qui le sillonnent; et de même que dans un être vivant (667) des veines errantes circulent à travers tout le corps, par lesquelles va et vient tout le sang nécessaire à la vie, de même la terre distribue dans ses ab?mes les souffles d'air qu'elle a accueillis (668).
Scilicet aut olim diviso corpore mundi
in maria ac terras et sidera, sors data caelo
prima, secuta maris deseditque infima tellus,
sed tortis rimosa cavis et, qualis acervos              105
exsilit imparibus iactis ex tempore saxis
(ut crebro introrsus spatio vacat acta charybdis
pendens in sese, simili quoque terra futura
in tenues laxata vias, non omnis in artum
nec stipata coit) sive illi causa vetusta est            110
nec nata est facies, sed liber spiritus intrat
et fugiens molitur iter ; seu nympha perenni
edit humum limo furtimque obstantia mollit ;
aut etiam inclusi solidum vicere vapores

atque igni quaesita via est ; sive omnia certis      115
pugnavere locis, non est hic causa dolendi,
dum stet opus causae. Quis enim non credit inanes
esse sinus penitus, tantos emergere fontes
cum videt aut uno rursus se mergere hiatu ?
Non ille ex tenui vacuusque : agat apta necesse est  120
confluvia, errantes arcessant undique venas
et trahat ex pleno quo fortem contrahat amnem.
Flumina quin etiam latis currentia rivis
occasus habuere suos : aut illa vorago
derepta in praeceps fatali condidit ore,                125
aut occulta fluunt tectis adoperta cavernis
atque inopinatos referunt procul edita cursus.
Quod nisi diversos emittat terra canales
hospitium fluvium, iam et semita nulla profecto
fontibus et rivis constet via, pigraque tellus         130
conferta in solidum segni sub pondere cesset.
Quod si praecipiti conduntur flumina terra,
condita si redeunt, si qua et iam incondita surgunt,
haud mirum clausis etiam si libera ventis
spiramenta latent. Certis tibi pignera rebus         135
atque oculis haesura tuis dabit ordine tellus.
Peut-être autrefois, quand le corps du monde était divisé en mers, terres et astres, le premier rang fut-il accordé au ciel, le second à la mer, et la terre descenditelle au rang le plus bas, mais elle se trouva fendue de cavités sinueuses et telle que ces amoncellements (669) formés des pierres inégales qu'on jette en même temps ; de même qu'un gouffre suspendu sur lui-même est formé des nombreux espaces qui composent son vide intérieur, de même aussi la terre, sur le point d'être, s'étant relâchée en d'étroits canaux n'est pas toute d'un seul bloc compact, ni agglomérée en une masse. Peut-être aussi cet état de choses a-t-il une cause ancienne, peut-être que la terre n'a pas eu cette configuration native, mais que l'air libre qui y entre s'en échappe en se frayant une route ou que l'eau pousse au dehors le sol qu'elle transforme perpétuellement en limon, ou encore que les vapeurs enfermées ont triomphé de ce bloc tout d'une pièce et que la voie a été frayée par le feu ; peut-être enfin que toutes ces causes ont concouru en des points déterminés. Point n'est lieu de nous lamenter, puisque l'effet de la cause existe. Qui peut, en effet, ne pas croire qu'il y ait dans les profondeurs de la terre des sinuosités vides, alors qu'on voit de si grandes sources en jaillir ou encore disparaître dans une seule crevasse ? Cette crevasse n'est point étroite et vide : il est forcé qu'elle forme un réservoir d'eau capable de recueillir de tous côtés les ruisselets errants et de pouvoir, une fois plein, laisser jaillir de quoi former un puissant fleuve. Bien plus des cours d'eau aux larges affluents se sont parfois enfoncés dans la terre (670) ; tantôt le gouffre où ils sont tombés la tête la première les a ensevelis dans sa gueule funeste, tantôt ils coulent sans qu'on les voie dans les cavernes qui les recouvrent, puis, réapparaissant au loin, reprennent leur cours sans qu'on s'y attende (671). Si la terre n'émettait pas en tous sens des canaux, asile des cours d'eau, il n'y aurait sûrement aucun sentier pour les sources, aucune voie pour les rivières, et la terre paresseuse ramassée en un bloc formerait une masse inerte. Mais si des cours d'eaux s'engloutissent dans les abîmes de la terre, si, une fois engloutis, certains réapparaissent, si d'autres encore surgissent sans avoir été engloutis, il ne faut point s'étonner s'il y a aussi pour les vents enfermés de libres issues qui demeurent cachées. La terre t'en fournira des preuves détaillées, tant matérielles que visuelles.
Immensos plerumque sinus et iugera pessum
intercepta licet densaque abscondita nocti
prospectare : procul chaos ac sine fine ruinae.
Cernis et in silvis spatiosa cubilia retro               140
antraque demersas penitus fodisse latebras :
incomperta via est, aer tantum effugit ultra.
Argumenta dabunt ignoti vera profundi,
tu modo subtiles animo duce percipe curas
occultamque fidem manifestis abstrahe rebus.    145
Très souvent on peut voir d'immenses plis du sol, des arpents qui s'enfoncent et disparaissent dans une nuit profonde : au loin, c'est le chaos, ce sont des ruines sans fin. Tu vois aussi dans les forêts de spacieux repaires et des antres où se sont creusées profondément des retraites encaissées ; la voie qui y mène est inconnue : il s'en dégage seulement de l'air (672). Ces faits réels permettront d'induire ce qui se passe dans ce profond inconnu. Tâche seulement de prendre la raison pour guide dans ces délicates questions, et tire de ces faits manifestes la réalité cachée.
Nam quo liberior quoque est animosior ignis
semper in inclusis, nec ventis segnior ira est
sub terra penitusque movent hoc plura : necesse est
vincla magis solvant, magis hoc obstantia pellant.
Nec tamen in rigidos exit contenta canales          150
vis animae flammaeve : ruit qua proxima cedunt
obliquumque secat quae visa tenerrima claustra.
Hinc terrae tremor, hinc motus, ubi densus hiantu
spiritus exagitat venas cessantiaque urget.
Quod si spissa foret, solido si staret in omni,      155
nulla daret miranda sui spectacula tellus
pigraque et in pondus conferta immobilis esset.
Car plus le feu est libre et violent dans des espaces toujours clos, plus la colère des vents est active sous la terre, et plus ils en bouleversent profondément les profondeurs ; plus, forcément, ils brisent leurs liens et plus ils chassent les obstacles qu'ils rencontrent. Cependant la force du vent ou de la flamme ne s'échappe pas dans des canaux rectilignes : elle se rue au point le plus proche où cède l'obstacle, et coupe de biais les barrières qui paraissent les plus frêles. De là les tremblements de terre et les séismes, quand l'air pressé dans son passage force les canaux et bouscule les résistances. Si la terre était compacte, si elle formait un bloc d'une seule pièce, elle ne nous donnerait aucun de ses merveilleux spectacles, elle serait paresseuse et immobile, ramassée en une masse pesante.
Sed summis si forte putas concedere causis
tantum opus et summis alimentum viribus, ora,
quod valida in promptu cernis, validosque recessus, 160
falleris et nondum certo tibi lumine res est.
Namque illis quodcumque vacans hiat impetus omnis
et sese introitu solvunt adituque patenti
conversae languent vires animosque remittunt.
Quippe ubi quod teneat ventos acuatque morantes  165
in vacuo defit, cessant tantumque profundi
explicat errantes et in ipso limine tardant :
angustis opus est turbent in faucibus, illic
fervet opus densique premit premiturque ruina
nunc Euri Boreaeque Notus, nunc huius uterque.      170
Hinc venti rabies, hinc saevo quassat hiatu
fundamenta soli, trepidant urbesque caducae
inde, neque est aliud, si fas est credere, mundo
venturam antiqui faciem, veracius omen.
Haec imo cum sit species naturaque terrae,            175
introrsus cessante solo trahit undique venas
Aetna sui manifesta fides et proxima vero est.
Non illic, duce me, occultas scrutabere causas :
occurrent oculis ipsae cogentque fateri.
Plurima namque patent illi miracula monti.             180
Hinc vasti terrent aditus merguntque profundo,
porrigit hinc artos penitus quos exugit ultra.
Hinc spissae rupes obstant discordiaque ingens
inter opus : nectunt varie mediumque coercent,
pars igni domitae, pars ignem ferre coactae,          185
ut maior species Aetnae succurrat inanis.

Haec operis visenda sacri faciesque domusque,
haec illi sedes tantarumque area rerum est.
Mais si tu crois que c'est seulement à la surface qu'agissent les causes d'un si grand phénomène et qu'elles y trouvent leur aliment, parce que tu as sous les yeux des ouvertures formidables et de formidables enfoncements, tu es dans l'erreur et les choses ne se présentent pas encore à tes yeux sous leur vrai jour. Car partout où se trouve quelque ouverture béante, les vents donnent à fond, puis, à l'entrée même, leurs forces se brisent, et, quand l'accès est libre, elles se retournent, languissent et se relâchent. C'est qu'en effet quand disparaît à l'espace libre la cause qui tient les vents et qui aiguise leur retard, ils s'apaisent, et une si grande profondeur les éparpille çà et là et les arrête à l'orifice même. Ils ont besoin pour se bousculer d'un étroit passage : alors ils s'évertuent à la tâche (673), ils se serrent et se compriment; tantôt Notus (674), est comprimé par la poussée d'Eurus (675) et de Borée (676), tantôt les deux derniers le sont par le premier. De là cette rage du vent, de là vient qu'il ébranle les fondements du sol en se faisant jour farouchement, et que les villes tremblent et s'écroulent. C'est pourquoi, s'il est permis de le croire (677) il n'est point de présage plus véridique que celui qui annonce que le monde recouvrera sa figure d'antan (678). Tels étant d'abord l'aspect et la nature de la terre, de son sol creusé intérieurement elle draine de partout des canaux. L'Etna en témoigne pour sa aprt d'une façon manifeste et tout à fait vraisemblable. Tu n'auras pas ici à examiner, sous ma conduite, des causes cachées : elles accourront elles-mêmes à tes yeux et te contraindront à le reconnaître, car cette montagne déploie un grand nombre de merveilles. Là de vastes accès épouvantent, et plongent dans les profondeurs ; là il offre, au contraire, d'étroits accès qui mènent profondément plus outre ; là des roches compactes se dressent devant toi et c'est un chaos énorme par toute la montagne : ces roches s'enchevêtrent en tous sens et occupent le milieu de la montagne, les unes déjà domptées par le feu, les autres contraintes de le subir, - si bien que l'Etna caverneux en revêt un aspect plus imposant. Voilà quelle figure, digne de notre visite, prend ce théâtre d'une oeuvre divine. Voilà quel est le siège et quelle est l'aire de si grands phénomènes.
Nunc opus artificem incendi causamque reposcit.
Non illam parvo aut tenui discrimine : ignes,          190
mille sub exiguo ponent tibi tempora vera.
Res oculos ducunt, res ipsae credere cogunt.
Quin etiam tactus moneat, contingere tuto
si liceat : prohibent flammae custodiaque ignis
illi operi est ; arcent aditus divinaque rerum          195
cura sine arbitrio est : eadem procul omnia cernes.
Nec tamen est dubium, penitus quis torqueat Aetnam
aut quis mirandus tantae faber imperet arti.
Pellitur exustae glomeratim nimbus harenae,
flagrantes properant moles, volvuntur ab imo         200
fundamenta fragor tota nunc rumpitur Aetna,
nunc fusca pallent incendia mixta ruina.
Ipse procul tantos miratur Iuppiter ignes,
neve sepulta novi surgant in bella Gigantes
neu Ditem regni pudeat neu Tartara caelo              205
vertat in occulto tantum premit ! omnia at extra
congeries operit saxorum et putris harenae.
Quae nec sponte sua veniunt nec corporis ullis
sustentata cadunt robustis viribus : omnes
exagitant venti turbas ac vertice saevo                  210
in densum coniecta rotant volvuntque profundo.
Haec causae exspectata ruunt incendia montis ;
spiritus inflatis nomen, languentibus aer.
Nam prope, nequiquam per se est violentia ; semper
ingenium velox illi motusque perennis,                   215
verum opus auxilium est ut pellat corpora : nullus
impetus est ipsi : qua spiritus imperat, audit.
Hic princeps magnoque sub hoc duce militat ignis.
Maintenant mon sujet réclame que je dise l'artisan et la cause de l'incendie, cause qui n'est ni insignifiante ni facile à discriminer : des milliers de feux, en peu de temps, mettront la réalité sous tes yeux. Les faits guident les yeux ; les faits imposent d'eux-mêmes ce qu'il faut croire. Bien plus, le toucher t'avertirait, s'il était permis d'y toucher sans danger : mais les flammes en empêchent et le feu sert de gardien à la montagne ; les flammes en défendent l'accès et la divinité protectrice de l'Etna ne souffre pas de contrôle (679) : tu verras tout de loin. Et pourtant nul doute n'est possible sur ce qui tourmente l'Etna profondément ou sur l'artisan merveilleux qui régit une telle oeuvre d'art. Il en jaillit une nuée condensée de sable calciné ; des masses brûlantes se précipitent, les bases de la montagne tournoient depuis ses profondeurs : tantôt un fracas éclate par tout l'Etna ; tantôt des incendies, mêlés d'écroulements sombres, l'obscurcissent. Jupiter lui-même s'étonne au loin de ce vaste foyer ; il se demande si ce ne sont pas de nouveaux géants qui se dressent pour reprendre une lutte ensevelie, ou si ce n'est pas Dis (680), honteux de son royaume, qui veut échanger le Tartare contre le ciel (681), tant il fait d'efforts dans son domaine caché ! Cependant au dehors un amas de rochers et du sable poudreux recouvrent tout, mais ils ne le font pas par leurs propres forces, et comme la vigueur puissante d'un autre corps les maintient soulevés, ils ne retombent pas. Les vents provoquent tous ces troubles et par leur tourbillon terrible ils font tournoyer ces matières qu'ils projettent en une masse compacte, et les déroulent hors de leurs profondeurs. Telle est la cause de l'incendie attendu qui se déchaîne sur la montagne. Quand les vents s'enflent, ils prennent le nom de souffles ; quand ils languissent, le nom d'air (682). Car la flamme par elle-même a une violence presque nulle ; elle a bien une nature vive et un mouvement perpétuel ; mais un auxiliaire lui est nécessaire pour chasser les corps : elle n'a, elle-même, aucune force d'impulsion ; là où le souffle commande, elle obéit. C'est lui le guide, et sous les ordres de ce chef puissant, le feu se borne au rôle de soldat.
Nunc quoniam in promptu est operis natura solique,
unde ipsi venti ? quae res incendia pascit ?              220
cur subito cohibentur, inest quae causa silenti ?
subsequar : immensus labor est, sed fertilis idem
digna laboratis respondent praemia curis.
Non oculis solum pecudum miranda tueri
more nec effusos in humum grave pascere corpus,   225
nosse fidem rerum dubiasque exquirere causas,
ingenium sacrare caputque attollere caelo,
scire quot et quae sint magno fatalia mundo
principia (occasus metuunt ? ad saecula pergunt,
et firma aeterno religata est machina vinclo ?),       230
solis scire modum et, quanto minor orbita lunae est,
haec brevior cur sis bis senos pervolet orbes,
annuos ille meet ; quae certo sidera currant
ordine quaeve suos servent incondita cursus,
scire vices etiam signorum tradita iura                   235
(sex cum nocte rapi, totidem cum luce referri),

nubila cur caelo, terris denuntiet imbres,
quo rubeat Phoebe, quo frater palleat igni,
tempora cur varient anni (ver, prima iuventa
cur aestate perit, cur aestas ipsa senescit              240
autumnoque obrepit hiemps et in orbe recurrit ?) ;
axem scire Helices et tristem nosse cometem,
Lucifer unde micet quave Hesperus, unde Bootes,
Saturni quae stella tenax, quae Martia pugnax,
quo rapiant nautae, quo sidere lintea tendant ;       245
scire vias maris et caeli praediscere cursus,
quo vocet Orion, quo Sirius excubet index,
et quaecumque iacent tanto miracula mundo
non disiecta pati nec acervo condita rerum,
sed manifesta notis certa disponere sede               250
singula, divina est animi ac iucunda voluptas.
Sed prior haec homini cura est, cognoscere terram
et quae hunc miranda tulit natura notare:
haec nobis magna, affinis caelestibus astris.
Nam quae mortali spes quaeve amentia maior,       255
in Iovis errantes regno perquirere velle,
tantum opus ante pedes transire ac perdere sese est !
Torquemur miseri in parvis premimurque labore.
Scrutamur rimas et vertimus omne profundum,
quaeritur argenti semen, nunc aurea vena,             260
torquentur flamma terrae ferroque domantur,
dum sese pretio redimant, verumque professae
tum demum viles taceant inopesque relictae.
Noctes atque dies festinant arva coloni ;
callent rure manus, glebarum expendimus usum :    265

fertilis haec segetique feracior, altera viti,
haec platanis humus, haec herbis dignissima tellus,
haec diviti melior pecori silvisque fidelis,
aridiora tenent oleae, sucosior ulmis
grata.  Leves cruciant animos et corpora causae,     270
horreaque uti saturent, tumeant et dolea musto
plenaque desecto surgant fenilia campo :
sic avidi semper qua visum est carius istis.
Maintenant que tu touches du doigt la nature du phénomène et du sol, d'où viennent les vents eux-mêmes ? quelle matière alimente l'incendie ? quelle est, quand ils s'arrêtent subitement, la cause de son silence ? la suite le dira : c'est là une tâche immense, mais féconde en même temps. De dignes récompenses répondent au mal que l'on se donne. Ne pas se contenter, comme les animaux, de porter les yeux sur ces merveilles, ni de repaître son corps lourd en se penchant vers le sol ; connaître la réalité des choses (683), et en rechercher les causes (684) incertaines;  sanctifier son intelligence et lever la tête vers le ciel (685) ; savoir le nombre et la nature des principes constitutifs du monde immense : - ont-ils une fin à redouter ? continuent-ils pour la durée des siècles ? ((686) et la machine est-elle fermement liée par un lien éternel ? (687) - ; connaître la révolution du soleil et pourquoi la lune, avec sa marche d'autant plus courte que son orbite est plus petit, accomplit deux fois six (688) évolutions annuelles, tandis que le soleil n'en accomplit qu'une ; savoir quels astres courent dans une ligne déterminée, ou quels astres errent sans règle dans leur course ; connaître aussi la succession des signes du zodiaque et les lois qui leur sont attribuées ; pourquoi sont annoncés des nuages dans le ciel et des pluies sur la terre par le feu qui fait rougir Phébé (689) et pâlir son frère (690), pourquoi changent les saisons de l'année : - pourquoi le printemps, sa prime jeunesse, périt avec l'été ? pourquoi l'été lui-même vieillit ? pourquoi à l'automne succède l'hiver, qui reprend sa place dans la ronde ? - ; connaître l'axe de l'Ourse et la  comète funeste ; d'où vient que Lucifer (691) brille, ou Hespérus (692), ou le Bouvier (693) ; quelle est l'étoile inhibitive (694) de Saturne, quelle est l'étoile combative de Mars ; quelle constellation fait que les marins ramènent ou tendent les voiles ; connaître les routes de la mer, et apprendre à l'avance les courses accomplies dans le ciel ; où vole Orion (695), où se couche l'indicateur Sirius (696) ; ne pas souffrir que toutes les merveilles qui s'étendent devant nous dans le monde immense demeurent éparpillées et enfouies dans le monceau des phénomènes, mais au contraire démêler les caractéristiques de chacune et les disposer à leur place déterminée, voilà une divine volupté de l'esprit et fort agréable. Mais le premier souci de ceux qui en sont les maîtres est de connaître la terre, et de noter les merveilles que la nature a étalées maintenant : c'est là pour nous une grande tâche, qui nous rapproche des astres célestes. Car quelle espérance ou quelle démence plus grande pour un mortel que de vouloir perquisitionner à l'aventure dans le royaume de Jupiter, en laissant passer devant nos pieds et se perdre un tel chef-d'oeuvre (697) ! Nous nous tourmentons, malheureux que nous sommes, pour peu de chose, et nous sommes accablés de travail ; nous scrutons les fissures du sol et nous en retournons toutes les profondeurs : c'est un filon d'argent qu'on cherche, ou parfois une veine d'or (698) ; les terres sont tourmentées par la flamme et domptées par le fer, jusqu'à ce qu'elles se rachètent par une rançon et avouent la vérité, puis se taisent finalement réduites au dénuement et à l'abandon. Nuit et jour les cultivateurs pressent leurs guérets ; le travail des champs rend leurs mains calleuses ; nous payons cher le profit que nous tirons de la glèbe. Mais ici le sol est fertile et particulièrement fructueux en moissons; là, en vignes (699); voici une terre qui convient merveilleusement aux platanes, une autre aux herbages ; en voici une qui est meilleure pour un riche troupeau, et qui sied aux forêts ; les oliviers préfèrent les terrains un peu secs (700), le terrain un peu gras plaît aux ormes. De futiles mobiles nous torturent l'âme et le corps : nous voulons que nos greniers soient combles, que nos tonneaux bouillonnent de moût, que nos fenils soient pleins jusqu'au faite du produit de nos plaines fauchées. C'est ainsi que les mortels avides (701), ont toujours marché dans la voie qui leur a paru la plus riche en profits.
Implendus sibi quisque bonis est artibus : illis
sunt animi fruges, haec rerum maxima merces :      275
scire quid occulto terrae natura coercet,
nullum fallere opus, non mutos cernere sacros
Aetnaei montis fremitus animosque furentis,
non subito pallere sono, non credere subter
caelestes migrasse minas aut Tartara mundi :         280
nosse quid impediat ventos, quid nutriat illos,
unde repente quies et nullo foedere pax sit.
Chacun doit remplir son esprit de nobles connaissances elles sont tout profit ; ce sera la plus haute récompense que de savoir ce que la nature enferme dans les cachettes de la terre ; de n'être abusé par aucun phénomène ; de ne pas regarder bouche bée les frémissements sacrés du mont Etna et ses mouvements de fureur ; de ne pas pâlir à un bruit soudain ; de ne pas croire que les menaces célestes ont émigré sous terre jusqu'au Tartare du monde (702) ; de savoir ce qui retient les vents, ce qui les alimente, d'où vient qu'ils se calment tout à coup et qu'ils font la paix sans signer un traité dans les règles.
Concrescunt animi penitus, seu forte cavernae
introitusque ipsi servent, seu terra minutis
rara foraminibus tenuis in se abstrahat auras           285
plenius hoc etiam, rigido quia vertice surgit
illinc infestis atque hinc obnoxia ventis
undique diversas admittere cogitur auras,
et coniuratis addit concordia vires,
sive introrsus agunt nubes et nubilus auster             290
seu forte flexere caput tergoque feruntur,
praecipiti delata sono premit una fugatque
torrentes auras pulsataque corpora denset.
Nam veluti sonat ora diu Tritone canoro,
pellit opus collectus aquae vinctusque moveri          295
spiritus et longas emugit bucina voces ;
carmineque irriguo magnis cortina theatris
imparibus numerosa modis canit arte regentis,
quae tenuem impellens animam subremigat unda ;
haud aliter summota furens torrentibus aura           300
pugnat in angusto et magnum commurmurat Aetna.
Les vents croissent dans les profondeurs de la terre, soit que ses cavernes et ses couloirs se trouvent les garder pour eux-mêmes, soit que la terre percée çà et là de menus trous laisse pénétrer en son sein de légers courants d'air ; et ce, d'autant plus que l'Etna se dresse avec un sommet droit, exposé de côté et d'autre aux vents hostiles, et 'qu'il est contraint de laisser leurs souffles pénétrer en lui de tous les côtés à la fois ; les vents conjurés se fortifient encore de cet accord, soit que des nuages et l'Auster (703) nuageux les poussent à l'intérieur, ou qu'ils se soient infléchis avec force autour de son sommet et se déchaînent sur ses flancs. L'onde, projetée avec un bruit précipité, comprime et met en fuite les souffles tourbillonnants et condense les particules ainsi refoulées. Car, de même qu'un rivage résonne longtemps sous un Triton sonore (704), que l'amas d'eau comprime l'instrument, que l'air refoulé est mis en mouvement et que le buccin fait entendre de longs mugissements ; de même que l'orgue hydraulique dans les grands théâtres chante avec des tons différents sous l'art cadencé de celui qui le gouverne, en poussant l'air léger qui remue l'eau comme avec une rame ; ainsi le souffle furieux que des tourbillons refoulent se déchaîne à l'étroit et l'Etna fait entendre un puissant murmure. 
Credendum est etiam ventorum exsistere causas
sub terra similis harum quas cernimus extra,
ut, cum densa premant inter se corpora, turbant,
elisa in vacuom fugiant et proxima secum               305
momine tota trahunt tutaque in sede resistunt.
Il faut croire aussi qu'il existe sous la terre des causes de vents semblables à celles que nous voyons au dehors, car les corps entassés se communiquent le feu les uns aux autres, pêle-mêle, leurs débris s'écroulent dans le vide, entraînent avec eux dans leur tourbillon les corps voisins, et ne s'arrêtent que quand ils ont trouvé un siège sûr.
Quod si forte mihi quaedam discordia tecum est,
principiis aliis credas consurgere ventos :
non dubium rupis aliquas penitusque cavernas
proruere ingenti sonitu casuque propinquas             310
diffugere impellique animas, hinc crescere ventos;
aut humore etiam nebulas effundere largo,
ut campis agrisque solent, quos alluit amnis:
vallibus exoriens caligat nubilus aer,
flumina parva ferunt auras, vis proxima vento est,  315
eminus adspirat fortis et verberat humor.
Atque haec in vacuo si tanta potentia rerum est,
hoc plura efficiant infra clusique necesse est.
Si d'aventure quelque désaccord subsiste entre toi et moi, si tu peux croire que d'autres principes font surgir les vents, il est en tout cas hors de doute que certaines roches et certaines cavernes s'éboulent profondément avec un bruit énorme, et que leur chute fait fuir et refoule les couches d'air voisines, ce qui donne naissance à des vents ; ou encore des nuées chargées d'eau se répandent, comme il arrive dans les plaines et les champs que baigne un cours d'eau : s'élevant des vallées, l'air s'assombrit de nuages, de petites rivières déportent ainsi des souffles qui ont sensiblement la force d'un vent ; leur eau, de loin, rafraîchit l'air fortement et le fouette. Or si dans le vide les choses ont tant de pouvoir, à plus forte raison sous la terre où les vents sont enfermés.
His agitur causis extra penitusque: coactus
exagitant ventos ; pugnant in faucibus ; arte           320
pugnantes suffocat iter. Velut unda profundo
terque quaterque exhausta graves ubi perbibit euros,
ingeminant fluctus et primos ultimus urget :
haud secus adstrictus certamine tangitur ictu
spiritus involvensque suo sibi pondera vires             325
densa per ardentes exercet corpora venas

et quacumque iter est, properat transitque morantem,
donec confluvio veluti siphonibus actus
exilit atque furens tota vomit igneus Aetna.
Telles sont les causes qui agissent au dehors et au dedans du sol : leur compression pousse les vents; ils luttent dans des gorges; luttant à l'étroit, ils sont étouffés dans leur marche. De même que, quand l'onde a été soulevée trois et quatre fois dans ses profondeurs par de violents eurus (705), ses flots se doublent et le dernier pourchasse les premiers, de même le souffle du vent, comprimé dans sa lutte, est heurté par un choc, et, enroulant ses forces dans sa masse pesante, meut les corps entassés à travers les veines brûlantes de la terre, se hâte partout où s'offre un passage, passe devant un vent qui l'attarde jusqu'au moment où, chassé comme par des siphons (706) de son conglomérat, il s'élance et vomit sa fureur ignée par tout l'Etna.
Quod si forte putas isdem decurrere ventos             330
faucibus atque isdem pulsos remeare, notandas
res oculis locus ipse dabit cogetque negare.
Quamvis caeruleo siccus Iove fulgeat aether
purpureoque rubens surgat iubar aureus ostro,
illinc obscura semper caligine nubes                       335
pigraque defuso circumstupet humida vultu
prospectans sublimis opus vastosque receptus.
Non illam videt Aetna nec ullo intercipit aestu ;
obsequitur quacumque iubet levis aura, reditque.
Si d'aventure tu crois que les vents sortent et sont refoulés par les mêmes gorges, l'Etna lui-même offrira à tes yeux des faits caractéristiques et te forcera à penser le contraire. Même quand le sec éther flamboie sous l'azur de Jupiter (707), et qu'un soleil d'or se lève, rutilant dans son disque de pourpre, il y a toujours de ce côté-là un nuage à l'aspect ténébreux et sombre, dont la masse inerte étend de tous côtés sa face chargée d'humidité, et qui contemple du haut des airs la montagne et ses vastes retraits. L'Etna ne le voit pas et ne le cache par aucun de ses feux : il va et vient dans tous les sens où l'entraîne une brise légère.
Placantes etiam caelestia numina ture                   340
summo cerne iugo vel qua liberrimus Aetnae
introspectus hiat, tantarum semina rerum,
si nihil irritet flammas stupeatque profundum.
Huic igitur credis, torrens ut spiritus ille,
qui rupes terramque notat, qui fulminant ignie,      345
cum rexit vires et praeceps flexit habenas,
praesertim ipsa suo declivia pondere numquam
corpora deripiat validoque absolverit arcu ?
Quod si fallor, adest species tantusque ruinis
impetus attentos oculorum transfugit ictus.            350
Nec levis adstantes igitur ferit aura movetque.
Sparsa liquore manus sacros ubi ventilat ignes,
verberat ora tamen, pulsatque corpora nostris
incursant, adeo in tenui vim causa repellit !
Non cinerem stipulamve levem, non arida sorbet     355
gramina, non tenues plantas humus excita praedas.
Surgit odoratis sublimis fumus ab aris :
tanta quies illi est et pax innoxia rapti !
Sive peregrinis igitur propriisve potentes
coniurant animae causis, ille impetus ignes             360
et montis partes atra subvectat arena
vastaque concursu trepidantia saxa fragoris
ardentesque simul flammas ac fulmina rumpunt :
haud aliter quam, cum prono iacuere sub Austro
aut Aquilone fremunt silvae, dant bracchia nodo     365
implicitae et serpunt iunctis incendia ramis.
Vois encore ceux qui apaisent les divinités célestes en leur offrant de l'encens au sommet de la montagne, ou encore aux endroits où l'Etna entr'ouvre librement ses gouffres insondés, causes de si grands phénomènes, si rien n'excite les flammes et si l'abîme demeure engourdi. T'expliques-tu alors comment ce souffle tourbillonnant qui marque les roches et la terre, qui lance des feux foudroyants, ne peut pas, quand il a réglé ses forces et plié ses rênes, enlever des corps qu'incline d'ailleurs leur propre poids et les détacher de la voûte puissante ? Si je me trompe, j'ai pour moi l'apparence, et il y a dans les éboulements une telle rapidité qu'elle échappe aux coups d'oeil attentifs. Aussi bien n'est-il point de souffle léger qui frappe les assistants ni d'eau lustrale qui les touche, répandue par la main du prêtre quand il balance les feux sacrés (708) : pourtant il en frappe les visages; des corpuscules refoulés nous heurtent, tant il est vrai que dans des phénomènes sans importance la cause évite la violence ! Le sol n'absorbe comme proie ni la cendre, ni le fétu léger (709), ni les herbes sèches, ni les plantes ténues. La fumée monte des autels odorants au haut des airs, tant le sol est tranquille et paisible, incapable de rien engloutir ! Que ce soient donc des causes étrangères ou spécifiques qui fassent se conjurer des vents puissants, leur impétuosité soulève des feux et des parcelles de la montagne au milieu d'une sombre poussière : de vastes rocs s'entre-choquent avec un fracas trépidant et il en jaillit à la fois des flammes brûlantes et des coups de foudre, de même que quand des forêts sont battues sous l'auster (710) qui les courbe ou qu'elles frémissent au souffle de l'aquilon (711), elles entrecroisent et nouent leurs branches, et l'incendie se propage alors dans leurs rameaux entrelacés.
Nec te decipiant stolidi mendacia vulgi,
exhaustos cessare sinus, dare tempora, rursus
ut rapiant vires repetantque in proelia victi.
Pelle nefas animo mendacemque exue famam:        370
non est divinis tam sordida rebus egestas
nec parvas mendicat opes nec corrogat aures.
Praesto sunt operae ventorum examina semper ;
causa latet, quae rumpat iter cogatque morari.
Saepe premit fauces magnis exstructa ruinis          375
congeries clauditque vias luctamine ab imo
et, spisso veluti tecto, sub pondere praestat
haud similes teneros cursu, cum frigida monti
desidia est tutoque licet discedere ventos.
Post, ubi conticuere, mora velocius urgent ;           380
pellunt oppositi moles ac vincula rumpunt ;
quicquid in obliquom est, frangunt iter, acrior ictu
impetus exoritur ; magnis operata rapinis
flamma micat latosque ruens exundat in agros :
sic cessata diu referunt spectacula venti.               385
Ne te laisse pas prendre aux mensonges de la foule stupide, qui dit que le sein de la montagne se calme quand il est épuisé et qu'elle se donne le temps de reprendre des forces et de les lancer après la défaite à de nouveaux combats. Chasse cette pensée impie et débarrasse-toi de cette rumeur mensongère. Il n'est point aux choses divines une telle indigence qu'elle mendie un peu de secours et sollicite les oreilles. II est clair que les essaims des vents sont toujours à l'ouvrage ; ce qui nous demeure caché, c'est la raison qui barre leur route et les force d'attendre. Souvent un éboulis formé de grandes masses écroulées resserre les gorges et ferme la route à la pesée profonde des vents :
sous son poids massif comme sous un toit, les vents qui ne se ressemblent plus viennent se heurter sans force, au moment où la montagne est froide et calmée, et qu'on peut s'en éloigner sans crainte. Puis, quand ils se sont tus, leur répit les rend d'autant plus rapides et pressants : ils se heurtent à ces masses qu'ils repoussent et rompent leurs liens. Ils brisent tout ce qui se trouve en travers de leur route; le choc rend plus vif leur élan ; la flamme, procédant par bonds immenses, jaillit et se rue débordante dans les vastes campagnes : tel est le spectacle qu'offrent les vents après une longue inaction.
Nunc superant quaecumque regant incendia silvae,
quae flammas alimenta vocent, quid nutriat Aetnam.
Incendi poterunt illis vernacula causis
materia appositumque igni genus utile terrae.
Uritur assidue calidus nunc sulpuris humor,              390
nunc spissus crebro praebetur alumine sucus;
pingue bitumen adest et quicquid comminus acris
irritat flammas, illius corporis Aetna est.
Atque hanc materiem penitus discurrere fontes
infectae eripiantur aquae radice sub ipsa ;              395
pars oculis manifesta iacet, quae robore dura est
ac lapis: in pingui fervent incendia suco.
Quin etiam varie quaedam sine nomine saxa
toto monte liquent : illis custodia flammae
vera tenaxque data est. Sed maxima causa molaris   400
illius incendi lapis est, sibi vindicat Aetnam.
Quem si forte manu teneas ac robore cernas,
nec fervere putes ignem nec spargere posse ;
sed simul ac ferro quaeras, respondet et ictu
scintillat dolor ; hunc multis circum iniice flammis     405
et patere extorquere animos atque exue robur :
fundetur ferro citius, nam mobilis illi
et metuens natura mali est, ubi coritur igni ;
sed simul atque hausit flammas, non tutior haustis
ulla domus servans aciem duransque tenaci               410
saepta fide, tanta est illi patientia victo !
Vix umquam redit in vires atque evomit ignem.
Totus enim denso stipatur robore, tarde
per tenues admissa vias incendia nutrit
cunctanterque eadem et pigre concepta remittit.       415
Nec tamem hoc uno, quod montis plurima pars est,
vincit et incendi causam tenet ille ; profecto
miranda est lapidis vivax animosaque virtus :
cetera materies, quaecumque est fertilis igni,
ut semel accensa est, moritur nec restat in illa         420
quod repetas, tantum cinis et sine semine terra est :

hic semel atque iterum patiens ac mille perhaustis
ignibus instaurat vires nec desinit ante
quam levis excocto defectit robore pumex
in cinerem putresque iacet dilapsus arenas.             425
Reste maintenant ce qui entretient l'incendie, ce qui alimente et attire les flammes, ce qui nourrit l'Etna. Les causes susdites pourront mettre le feu aux matières fournies par la montagne même et, au contact du feu, les éléments du sol l'entretiennent. On y voit tantôt brûler sans cesse une eau de soufre chaude, tantôt l'alun fournir en abondance un suc épais, tantôt s'offrir un gras bitume et tout ce qui, approché de la flamme, l'avive et l'irrite tel est le corps de l'Etna. Au reste, les sources d'eaux qui en sont infectées et qui jaillissent aux pieds même du mont attestent que ces matières sont répandues de toutes parts en ses profondeurs. Une partie d'entre elles est exposée visiblement à nos yeux : ce sont des masses dures, de la pierre; c'est dans leur suc gras que l'incendie bouillonne. De plus, il y a çà et là par toute la montagne des roches sans nom connu, qui se liquéfient : ce sont elles qui ont reçu la véritable et opiniâtre mission de garder la flamme. Mais la principale cause de cet incendie est la pierre meulière : c'est elle qui s'adjuge l'Etna. Si d'aventure on la tient à la main et si on en juge par sa dureté, on ne pense pas qu'elle puisse s'enflammer ni transmettre le feu. Mais dès qu'on l'interroge avec le fer, elle répond et sa douleur étincelle sous le choc : lance-la du milieu d'un amas de flammes, laisse ces flammes lui arracher son âme et la dépouiller de sa dureté : elle fondra plus vite que le fer, car elle a une nature mobile et sensible, dès qu'elle est aux prises avec le feu. Mais aussitôt qu'elle s'est imprégnée de flammes, celles-ci n'ont pas de plus sûre demeure : elle garde ses positions et fortifie ses clôtures avec une fidélité opiniâtre, tant elle a d'endurance (712) une fois vaincue ! Elle ne recouvre presque jamais sa force première ni ne vomit le feu. Elle forme un tout, un bloc dur et compact ; elle nourrit l'incendie qu'elle a laissé pénétrer lentement en elle à travers ses voies subtiles, et ne le laisse partir qu'avec la même hésitation et la même lenteur qu'elle l'a accueilli. Et ce n'est point pourtant parce qu'elle forme la plus grande partie de la montagne que cette pierre l'emporte sur les autres et qu'elle est la cause réelle de l'incendie ; de toute évidence, il nous faut admirer sa vertu de pierre vivante et tenace : car les autres matières, qui entretiennent le feu, meurent, une fois brûlées, et il n'en reste plus rien à recueillir : ce n'est que cendre et terre sans semence. Elle, au contraire, résistant à plus d'une épreuve, mille fois imprégnée de feu, reprend de nouvelles forces et n'a de fin qu'au moment où, ayant vu sa dureté littéralement cuite, elle n'est plus qu'une pierre ponce légère qui tombe effritée en cendres et en poussières pourries.
Cerne Locris etiam : similes assiste cavernas :
illic materiae nascentis copia maior,
sed genus hoc lapidis (certissima signa coloris)
quod nullas adiunxit opes, elanguit ignis.
Dicitur insidiis flagrasse Aenaria quondam               430
nunc exstincta super, testisque Neapolin inter
et Cumas locus est multis iam frigidus annis,
quamvis aeterno pingui scatet ubere sulpur :
in mercem legitur, tanto est fecundius Aetna
insula, cui nomen facies dedit ipsa Rotunda,            435
sulphure non solum nec obesa bitumine terra est,
et lapis adiutat generandis ignibus aptus,
sed raro fumat, qui vix si accenditur ardet,
in breve mortalis flammas quod copia nutrit.
Insula durat adhuc Volcani nomine sacra,                  440
pars tamen incendi maior refrixit et alto
iactatas recipit classes portuque tuetur ;
quae restat minor, et dives satis ubere terra est,
sed non Aetnaei vires quae conferat igni.
Atque haec ipsa tamen iam quondam exstincta fuisset, 445
ni furtim adgereret Siculi vicinia montis
materiam silvamque suam pressove canali
huc illuc ageret ventos et pasceret ignes.
Regarde aussi à Locres (713) : visite des cavernes semblables. Il y a là une plus grande quantité de matière en formation ; mais la pierre meulière (si sûrement reconnaissable à sa couleur) ne lui ayant pas apporté son concours, le feu y languit beaucoup. On dit qu'autrefois Enarie (714) s'enflammait traîtreusement (715); aujourd'hui elle est éteinte à la surface. Témoin encore un endroit sis entre Naples et Cumes (716), déjà froid depuis bien des années ; le sol y fournit sans cesse du soufre en abondance on le recueille pour le commerce (717) tellement il en est plus productif que l'Etna. L'île à qui sa forme même a fait donner le nom de Ronde (718) n'est pas seulement une terre couverte de soufre et de bitume, il s'y ajoute une pierre apte à engendrer le feu, mais qui fume rarement et qui brûle difficilement si on l'enflamme, car il y en a juste assez pour nourrir des flammes destinées à bientôt mourir. Aujourd'hui encore continue de brûler une île sacrée du nom de Vulcain (719) ; cependant la majeure partie de l'incendie s'est refroidie ; elle reçoit et abrite dans son port les flottes ballottées sur la haute mer ; la partie qui reste est plus petite et assez riche en matières combustibles, mais incapable de confronter ses forces avec celles de l'Etna. D'ailleurs elle aussi serait éteinte depuis déjà longtemps, si le mont sicilien du voisinage ne lui apportait furtivement sa matière et, par un canal souterrain (720), n'entretenait le va-et-vient des vents et ne nourrissait ses foyers. 
Sed melius res ipsa notis spectataque veris
occurrit signis nec temptat fallere testem.               450
Nam circa latera atque imis radicibus Aetnae
candentes efflant lapides disiectaque saxa
intereunt venis, manifesto ut credere possis,
pabula et ardendi causam lapidem esse molarem,
cuius defectus ieiunos colligit ignes.                        455
Ille ubi collegit, flammas iacit et simul ictu
materiam accendit cogitque liquescere secum.
Mais le phénomène lui-même se présente à nous par des indices et des signes réels, et n'essaie pas de tromper le témoin. Car autour des flancs de l'Etna et à ses pieds même des pierres incandescentes exhalent leur souffle, et des rocs dispersés voient leurs veines mourir, en sorte qu'on peut manifestement croire que l'aliment et la cause de l'embrasement est la pierre meulière, dont l'absence entraîne des feux languissants. Dès qu'elle a pris feu, elle lance des flammes, et du même coup incendie la matière qu'elle oblige à se liquéfier avec elle.
Haud equidem mirum,  Facie quae cernimus extra,
si lenitur opus, restat ; magis uritur illic
sollicitatque magis vicina incendia saxum                460
certaque venturae praemittit pignora flammae.
Nam simul atque movet viris turbamque minatur,
diffugit extemploque solum trahit undique rimis
et grave sub terra murmur demonstrat et ignes.
Tum pavidum fugere et sacris concedere rebus        465
par erit : e tuto speculaberis omnia colli.
Nam subito effervent onerosa incendia raptis,
accensae subeunt moles truncaeque ruinae
provolvunt atque atra sonant examina arenae.
Illinc incertae facies hominumque figurae :              470
pars lapidum domita, stanti pars robora pugnae
nec recipit flammas ; hinc indefessus anhelat
atque aperit se hosti, decrescit spiritus illinc,
haud aliter quam cum laeto devicta tropaeo
prona iacet campis acies et castra sub ipsa.             475
Tum si quis lapidum summo pertabuit igni,
asperior sopito et quaedam sordida faex est,
qualem purgato cernes desidere ferro.
Verum ubi paulatim exsiluit sublata caducis
congeries saxis, angusto vertice surgunt :                480
sic veluti in fornace lapis torretur et omnis
exustus penitus venis subit altius humor,
amissis opibus levis et sine pondere pumex
excutitur, liquor ille magis fervere magisque
fluminis in speciem mitis procedere tandem             485
incipit ac primis demittit collibus undas.
Illae paulatim bis sena in milia pergunt,
quippe nihil revocat, curvis nihil ignibus obstat,
nulla tenet frustra moles, simul omnia pugnant :
nunc silvas rupesque notant haec tela, solumque      490
ipsum adiutat opus facilesque sibi induit amnes.
Quod si forte cavis cunctatus vallibus haesit
(utpote inaequalis volvens perpascitur agros),
ingeminant fluctus et stantibus increpat undis ;
sicut cum rapidum curvo mare cernimus aestu           495
ac primum tenuissimas agit, ulteriores
progrediens late diffunditur et succernens.
Flumina consistunt ripis ac frigore durant
paulatimque ignes coeunt ac flammea messis
exuitur facies : tum prima ut quaeque rigescit          500
effumat moles atque ipso pondere tracta
volvitur ingenti strepitu praecepsque sonanti
cum solido inflicta est, pulsatos dissipat ictus
et qua disclusa est candenti robore fulget.
Emicat examen plagis ; ardentia saxa                       505
scintillas procul ecce vides, procul esse : ruentes
incolumi fervore cadunt ; verum impetus igni est
Symaethi quondam ut ripas traiecerit amnis ;
vix iunctas quisquam fixo dimoverit illas ;
vicenos persaepe pedes iacet obruta moles.              510
Rien d'étonnant d'ailleurs. L'aspect du volcan, vu du dehors, reste le même, si son travail se relâche ; c'est plutôt ailleurs que brûle la pierre, qu'elle propage l'incendie de proche en proche, et qu'elle lance des signes prémonitoires certains de la flamme qui va venir. Car dès qu'elle met ses forces en mouvement et menace de tout bouleverser, elle s'échappe de toute part, entraîne brusquement le sol fendillé. de partout, et en justifie le sourd murmure souterrain et les feux. C'est alors qu'il sera bon de s'enfuir en tremblant et de céder la place aux sacrés mystères : tu te mettras en sûreté sur une colline pour observer tout le phénomène. Soudain, en effet, des incendies bouillonnent chargés de leurs rapts, des masses enflammées s'avancent, des éboulis informes roulent, de sombres nuages de sables crépitent. On dirait des formes ébauchées, des figures d'hommes ; ce sont en partie des pierres domptées, en partie des pierres dures qui luttent encore debout et où les flammes n'ont point de prise  ; d'un côté l'ennemi inlassable halète et se découvre ; de l'autre, il sent son souffle diminuer, de même qu'à la suite d'un riche trophée l'armée vaincue gît pantelante dans la plaine et aux portes même du camp. Si alors une pierre s'est consumée sous l'action superficielle du feu, elle revêt, quand le feu est assoupi, un aspect plus rugueux, elle rappelle une de ces scories sordides que le fer purifié dépose. Mais à mesure que s'élève peu à peu cet amoncellement de pierres qui tombent les unes sur les autres, le tas qu'elles forment se termine par un faîte étroit. La pierre alors se consume comme dans une fournaise et tout son liquide desséché profondément lui sort par les veines. Ayant ainsi perdu sa substance, elle est ramenée à une pierre ponce légère et impondérable ; mais son liquide commence à bouillonner de plus en plus et à la fin s'avance sous l'aspect d'un doux fleuve, dont les ondes descendent les pentes des collines. Ces ondes peu à peu arrivent à une distance de deux fois six milles, rien ne les fait reculer ; rien ne s'oppose à leurs feux qui se déroulent ; nulle digue ne les arrête : ce serait en vain; c'est partout à la fois la lutte. Cette offensive marque les forêts et les roches; le sol la favorise et le fleuve se procure un facile secours. Si d'aventure il s'est attardé et arrêté au fond d'une vallée (car en roulant il ravage des terrains d'altitude inégale) ses flots redoublent et l'on entend crépiter sa houle qui déferle : le spectacle ressemble à celui de la mer vorace (721) aux vagues recourbées ; le courant pousse d'abord les flots les plus faibles, puis, en avançant, ceux qui viennent par derrière, il s'étale en les agitant. Le fleuve s'arrête entre ses rives, le froid le durcit, peu à peu les feux se figent, la moisson enflammée change d'aspect. Au fur et à mesure que chacune de ces masses se roidit, elle laisse échapper un conglomérat de fumées, puis, entraînée par son propre poids, roule avec un énorme fracas, et quand, dans sa course précipitée, elle s'est heurtée à un corps solide qui résonne, la partie qui a reçu le choc vole en éclats, et à l'endroit où une ouverture s'est produite on voit briller le noyau incandescent. Un essaim jaillit sous ces heurts : on croirait voir au loin, tout au loin, des rocs ardents et des étincelles : elles se ruent, puis retombent en conservant leur chaleur bouillante. Mais tel est l'élan de ce feu qu'il franchit jadis les rives du fleuve Symèthe (722): on aurait grand'peine à les débarrasser de ces masses qui s'y sont jointes et fixées, et dont très souvent le tas accumulé s'élève à une hauteur de vingt pieds.
Sed frustra certis disponere singula causis
temptamus, si firma manet tibi fabula mendax,
materiam ut credas aliam fluere igne, favillae
flumina proprietate simul concrescere, sive
commixtum lento flagrare bitumine sulphur.             515
Nam posse exusto cretam quoque robore fundi
(et figulos huic esse fidem) dein frigoris usu
duritiem revocare suam et constringere venas.
Sed signum commune leve est atque irrita causa
quae trepidat : certo verum tibi pignore constat.      520
Nam velut arguti natura est aeris et igni
cum domitum est, constans eademque et robore salvo
ultraque ut possis aeris cognoscere partem,
haud aliter lapis ille tenet, seu forte madentes
effluit in flammas, sive est securus ab illis,              525
conservatque notas nec voltum perdidit ignis.
Quin etiam alternans multis color ipse fefellit
aut odor aut levitas : putris magis ille magisque,
una operis facies eadem perque omnia terra est.
Mais c'est en vain que nous tentons de fixer en détail des causes certaines, si tu persistes à croire en toi-même à la mensongère légende qui veut qu'une autre matière se liquéfie sous l'action du feu, que les courants de lave se figent par une vertu particulière, ou encore que c'est du soufre mélangé à du bitume fondu qui brûle en eux. C'est ainsi par exemple que la terre glaise, quand son noyau est consumé, peut se fondre (ainsi que les potiers eux-mêmes en témoignent (723), puis, sous l'effet du froid, revenir à sa dureté native et resserrer ses veines. Mais un indice général est sans valeur, une cause qui vacille est sans effet : la vérité a, pour s'imposer à toi, un sûr garant. Car de même que la nature du cuivre sonore est constante, quand il a été dompté par le feu et quand son noyau est intact, si bien que dans les deux cas on peut reconnaître ce qui est du cuivre, de même notre pierre possède, qu'elle s'écoule d'aventure en d'humides flammes
ou qu'elle en soit à l'abri, des caractéristiques qu'elle conserve : le feu n'a point anéanti son aspect. Bien plus, aux yeux de beaucoup d'observateurs, sa couleur même récuse tout apport étranger ; point n'est besoin d'attester son odeur ou sa légèreté : elle a beau se réduire en poussière de plus en plus, son aspect est toujours identique c'est toujours la même terre.
Nec tamen infitior lapides ardescere certos,             530
interius furere accensos : haec propria virtus.
Quin ipsis quaedam Siculi cognomina saxis
imposuere firdicas et iam ipso nomine signant
fusilis esse notae ; numquam tamen illa liquescunt,
quamvis materies foveat sucosior intus,                  535
ni penitus venae fuerint commissa molari.
Je ne nie pas pourtant qu'il y ait certaines pierres qui prennent feu, et qui, une fois allumées, brûlent intérieurement avec fureur : c'est là leur vertu propre. Les Siciliens ont même donné à ces pierres un surnom, celui de fridiques (724) ; ils veulent dire par ce mot expressif qu'elles sont d'une nature fusible : jamais pourtant elles ne se liquéfient, en dépit de la matière spongieuse qui conserve bas leur chaleur intérieurement, si elles n'ont pas subi profondément le contact des veines de la meulière.
Quod si quis lapidis miratur fusile robur,
cogitet obscuri verissima dicta libelli,
Heraclite, tui : nihil insuperabile ab igni
omnia quo rerum naturae semina iacta.                   540
Si l'on s'étonne que soit fusible le noyau d'une pierre, que l'on songe aux vérités incontestables de ton obscur petit livre, ô Héraclite (725) : rien n'est insurmontable au feu, en qui sont déposés tous les germes de la nature.
Sed nimium hoc mirum ? Densissima corpora saepe
et solido vicina tamen compescimus igni.
Non animos aeris flammis succumbere cernis ?
Lentitiem plumbi non exuit ? ipsaque ferri
materies praedura tamen subvertitur igni                545
spissaque suspensis fornacibus aurea saxa
exsudant pretium et quaedam fortasse profundo
incomperta iacent similique obnoxia sorti.
Nec locus ingenio est : oculi te iudice vincent.
Nam lapis ille riget praeclususque ignibus obstat,    550
si parvis torrere velis caeloque patenti ;
candenti pressoque agedum fornace coerce :
nec sufferre potest nec saevum durat in hostem,
vincitur et solvit vires captusque liquescit.
Mais est-ce là un fait si étrange ? Que de fois les corps les plus denses et presque massifs sont cependant réduits par nous à l'aide du feu ! Ne vois-tu pas la résistance du cuivre succomber sous les flammes ? Le plomb ne s'y dépouille-t-il pas de sa souplesse ? La matière même du fer qui est si dure change pourtant sous l'action du feu. Et des blocs d'or massifs, sous des fournaises, suent le précieux métal. Peut-être y a-t-il encore des substances inconnues qui gisent dans les profondeurs du sol, et qui sont exposées au même sort. Et ce n'est point le lieu
d'inventer ; mais il faut s'en remettre pour juger au
témoignage des yeux. En effet, la pierre meulière est dure ; fermée au feu, elle lui résiste, si l'on veut la brûler
dans un petit foyer et à ciel ouvert. Eh bien ! enferme
et comprime des feux dans une fournaise incandescente : elle ne peut les supporter, elle ne tient pas contre cet ennemi terrible, elle est vaincue et perd ses forces ; prisonnière, elle se liquéfie. 
Quae maiora putas autem tormenta movere           555
posse manu ? quae tanta putas incendia nostris
sustentare opibus, quantis fornacibus Aetna
uritur ac sacro numquam non fertilis igni ?
Sed non qui nostro fervet moderatior usu,
sed caelo propior vel quali Iuppiter ipse                 560
armatus flamma est.  His viribus additur ingens
spiritus adstrictis elisus faucibus, ut cum
fabriles operae rudibus contendere massis
festinant, ignes quatiunt follesque trementes
exanimant pressoque instigant agmine ventum.    565
Haec operis fama est ; sic nobilis uritur Aetna :
terra foraminibus vires trahit, urget in artum
spiritus incendi, vis it per maxima saxa.
Quels plus grands instruments de torture penses-tu que puisse mettre en action l'art des hommes? quels incendies penses-tu que nos ressources puissent alimenter, qui soient aussi grands que ceux des fournaises de l'Etna embrasé, où brûle un feu sacré qui jamais ne manque de substance ? Mais ce n'est pas un foyer modéré, accommodé à notre usage; non, c'est un feu quasi céleste, et semblable à la flamme dont Jupiter lui-même est armé. A sa force s'ajoute l'énorme souffle que refoulent des
gorges resserrées : comme quand des forgerons, aux prises avec des masses informes, se hâtent à l'ouvrage, agitent le feu, font expirer les soufflets tremblants et en chassent le vent par bataillons pressés. Telle est, dit-on, leur tâche : ainsi s'embrase le fameux Etna. La terre attire par ses pores les éléments constitutifs de sa force, le souffle du vent les comprime dans ses profondeurs, la violence de l'incendie se fraye une route en passant par les plus grands rochers.
Magnificas laudes operosaque visere templa,
divitiis hominum aut arcas memorare vetustas    570
traducti maria et terras per proxima fatis
currimus atque avidi veteris mendacia famae
eruimus cunctasque libet percurrere gentes.
Nunc iuvat Ogygiis circumdata moenia Thebis
cernere, quae fratres (ille impiger, ille canorus),  575
condere, felicesque alieno intersumus aevo ;
invitata piis nunc carmine saxa lyraque,
nunc gemina ex uno fumantia saxa vapore
miramur septemque duces raptumque profundo.
Detinet Eurotas illic et Sparta Lycurgi                  580
et sacer in bellum numerus, sua turba, trecenti ;
nunc hic Cecropiae variis spectantur Athenae
carminibus gaudentque soli victrice Minerva :
excidit hic reduci quondam tibi, perfide Theseu,
candida sollicito praemittere vela parenti ;           585
tu quoque Athenarum carmen, tam nobile sidus,
Erigone ; sedes vestras Philomela canoris
evocat in silvis ; at tu, soror, hospita tectis
acciperis, solis Tereus ferus exsulat agris.
Miramur Troiae cineres et flebile victis                 590
Pergamon exstinctosque suo Phrygas Hectore : parvum
conspicimus magni tumulum ducis : hic et Achilles
impiger et victus magni iacet Hectoris ultor.
Quin etiam Graiae fixos tenuere tabellae
signave : nunc Paphiae rorantes matre capilli        595
sub truce nunc parvi ludentes Colchide nati,
nunc tristes circa subiecta altaria cervae
velatusque pater, nunc gloria viva Myronis
et iam mille manus operum turbaeque morantur.
Haec visenda putas terrae dubiusque marisque :    600
artificis naturae ingens opus adspice ; nulla
tum tanta humanae plebis spectacula cernes,
praecipueque vigil, fervens ubi Sirius ardet.
Pour aller voir des magnificences glorieuses et des
temples construits à grands frais par les hommes, pour
pouvoir parler de coffres anciens, nous traversons les mers (726) et les terres, nous courons affronter les destins, nous déterrons avidement les mensonges d'une vieille légende, et il nous plaît de parcourir toutes les nations du monde (727). Tantôt il nous prend fantaisie d'aller voir les remparts entourant la Thèbes d'Ogygès (728), que des frères (729), l'un, un homme d'action (730), l'autre, un musicien (731), construisirent, et nous nous transportons avec bonheur dans un siècle différent du nôtre ; tantôt nous admirons ces pieux héros (732) qui invitent les pierres par leur chant et leur lyre, tantôt la double colonne de fumée qui monte, formée de la vapeur d'un unique sacrifice (733) ; tantôt encore les sept chefs (734) et le héros ravi par les profondeurs de la terre (735). Là nous retient l'Eurotas(736), et
la Sparte de Lycurgue, et, nombre sacré pour la guerre, les Trois-Cents (737) dont la troupe se suffit à elle-même.  Ici c'est l'Athènes de Cécrops (738), célébrée par des poèmes de toute sorte, et contente de Minerve victorieuse (739) sur son sol. Voici l'endroit où jadis à ton retour, perfide Thésée (740), tu oublias de tendre les voiles blanches (741) que ton père anxieux attendait. Toi aussi, tu es un poème d'Athènes, toi, si fameuse constellation, ô Erigone (742) ; Philomèle (743) évoque dans les forêts harmonieuses votre séjour (744) ; tandis que toi, sa soeur (745), tu reçois l'hospitalité sous les toits (746), et que le farouche Tésée vit en exil  dans les champs solitaires (747). Nous admirons les cendres de Troie, Pergame (748) pleurée des vaincus (749), les Phrygiens (750) exterminés avec leur Hector (751) ; nous jetons les yeux sur le petit tombeau d'un grand capitaine (752) ; ici repose l'infatigable Achille et le vengeur vaincu du grand Hector (753). Bien plus des peintures ou des statues grecques nous ont tenus en contemplation (754) : tantôt la chevelure de la Paphienne toute moite de la mer maternelle (755) ; tantôt les petits enfants qui jouent aux pieds de la Colchidienne farouche  (756) ; tantôt des gens éplorés autour d'une biche posée sur un autel et d'un père revêtu d'un voile (757) ; tantôt la gloire vivante de Myron (758) ; bref, mille chefs-d'ceuvre avec les foules qui les visitent retiennent nos regards. Voilà ce que tu crois qu'il faut aller voir sur terre, et, avec plus de risques encore, sur la mer. Regarde donc plutôt le grandiose chef-d'oeuvre de la nature : jamais tu ne verras un si magnifique spectacle, au milieu de la plèbe des hommes, surtout si tu restes attentif, quand Sirius (759) brûle et bouillonne.
Insequitur miranda tamen sua fabula montem,
nec minus ille pio, quamquam sons, nobilis ignist. 605

Nam quondam ruptis excanduit Aetna cavernis
et velut eversis penitus fervoribus ignes
evecta in longum rapidis fervoribus unda,
haud aliter quam cum saevo Iove fulgurat aether
et nitidum obscura caelum caligine torquet.           610
Ardebant agris segetes et mollia cultu
iugera, cum dominis silvae collesque urebant.
Vixdum castra putant hostem movisse ; tremebant,
et iam finitimae portas evaserat urbis.
Une légende merveilleuse se rattache pourtant (760) à la montagne, qui, si coupable (761) soit-elle, n'en est pas moins fameuse par la piété de ses feux (762). Jadis en effet, rompant ses cavernes, l'Etna s'embrasa et, comme si ses fournaises se déversaient de fond en comble, un énorme flot de laves dévorantes s'en échappa sur une longue étendue : de même que quand l'éther fulgure sous l'action terrible de Jupiter et fait tourbillonner dans le ciel brillant une sombre nuée. On voyait brûler dans la campagne les récoltes, les champs couverts d'ondulantes moissons, les maîtres des champs aussi ; les forêts, les collines flambaient. L'ennemi (763) semblait à peine avoir quitté son camp ; on tremblait, et déjà il avait franchi les portes de la ville voisine.
Tum vero ut cuique est animus viresque rapinae,   615
tutari conantur opes : gemit ille sub auro,
colligit ille arma et stulta cervice reponit,
defectum raptis illum sua carmina tardant,
hic velox nimio properat sub pondere pauper,
et quod cuique fuit cari, fugit ipse sub illo.            620
Sed non incolumis dominum sua praeda secuta est :
cunctantes vorat ignis et undique torret avaros ;
consequitur fugisse ratis et praemia ; captis
concrepat : haec nullis parsura incendia pascunt
vel solis parsura piis. Namque optima proles          625
Amphiomus fraterque pari sub munere fortes,
cum iam vicinis streperent incendia tectis,
adspiciunt pigrumque patrem matremque senecta
eheu ! defessos posuisse in limine membra.
Parcite, avara manus, dites attollere praedas !      630
illis divitiae solae materque paterque :
hanc rapient praedam mediumque exire per ignem
ipso dante fidem properant. O maxima rerum
et merito pietas homini tutissima virtus !
Erubuere pios iuvenes attingere flammae              635
et quacumque ferunt illi vestigia, cedunt.
Felix illa dies, illa est innoxia terra !
Dextra saeva tenet laevaque incendia ; ferunt
ille per obliquos ignes fraterque triumphans,
tutus uterque pio sub pondere sufficit  ; illa          640
et circa geminos avidus sibi temperat ignis.
Incolumes abeunt tandem et sua numina secum
salva ferunt. Illos mirantur carmina vatum ;
illos seposuit claro sub nomine Ditis
nec sanctos iuvenes attingunt sordida fata,           645
securae cessere domus et iura piorum.
Alors chacun, selon son courage et ses forces, court au sauvetage, essaie de mettre ses biens en sûreté : l'un gémit sous l'or, l'autre ramasse ses armes et les place sur sa nuque stupide (764) ; celui-là défaille sous la charge de ses poèmes qui le retardent ; celui-ci file rapidement sous un tout petit fardeau : il est pauvre ; bref, chacun s'enfuit emportant ce qu'il a de plus cher. Mais en vain :  le butin ne suit pas son maître ; le feu dévore ceux qui s'attardent, brûle de toute part ces avares, les atteint quand ils croient qu'ils lui ont échappé, eux et leurs biens précieux, les entoure en crépitant ; ils alimentent un incendie qui n'épargnera personne ou qui n'épargnera que ceux qui connaissent la piété. En effet deux excellents fils, Amphinome et son frère (765), affrontant bravement le même devoir, au moment où dans les maisons voisines crépitait l'incendie, aperçoivent leur père et leur mère impotents que la vieillesse, hélas ! arrêtait épuisés sur le seuil de leur porte. - Cessez, troupe avare, cessez d'enlever vos riches butins ! - Leurs seules richesses, à eux, sont leur père et leur mère; voilà le butin qu'ils enlèveront ; ils se hâtent de le dégager de l'incendie, qui lui-même leur assure le salut (766). O piété, la plus grande des vertus et la plus sûre à bon droit pour l'homme (767) ! Les flammes ont rougi (768) d'atteindre ces pieux jeunes gens, et, partout où ils portent leurs pas, elles reculent. L'heureux jour (769) l'heureuse terre innocente ! Le terrible incendie tient leur droite et leur gauche ; les deux frères triomphants emportent leurs parents à travers les feux obliques ; chacun d'eux est à l'abri sous son pieux fardeau ; le feu avide tempère autour d'eux sa fureur ; ils en sortent enfin, sains et saufs, emportant avec eux leurs dieux (770) qu'ils ont sauvés. Saints jeunes gens que célèbrent les chants des poètes (771), à qui Dis (772) a réservé une place à part sous un nom illustre, et que les destins sordides n'atteignent pas ; ils ont eu en partage une demeure paisible et les droits conférés aux hommes pieux (773).

597. l'Etna... L'Etna, que les Italiens nomment Mongibello, est une montagne volcanique, près de Catane, sur la côte orientale de la Sicile. Pindare, dans sa première Pythique, l'appelle "la colonne du ciel" kiôn ouranou et explique ses éruptions par les accès de fureur de Typhon enseveli ; Lucrèce, en son sixième livre De la Nature, recherche les causes de ces éruptions ; Virgile, au premier chant des Géorgiques, y place les ateliers de Cyclope,

598. Les feux qui s'élancent de ses creuses fournaises... Expression analogue dans Lucrèce, De N. R., II, 214 :
abrupti nubibus ignes ;
VI, 202 :
Rotant... cavis flammam fornacibus intus;
et dans Virgile, Géorg., I, 472 :
Vidimus undantem ruptis fornacibus Aetnam.

599. Initiateur de mon poème... L'expression carminis auctor se trouve dans le Culex, 12 ; dans Horace, Sat., I, 10, 66, et Ep., II, 3, 45 ; dans Tibulle, El., II, 4, 13.

600. Soit que, etc.... soit que, etc.... soit que, etc... Le même tour énumératif se trouve employé à propos d'Apollon dans Apollonius de Rhodes, Argon., I, 307-309 :
Hoios d'ek nêoio thuôdeos eisin Apollôn
Dêlon an'êgatheên êe Klaron ê oge Puthô
ê Lukiën eureian epi Xanthoio rhoêisin.

et dans Stace, Silv., I, 696 sq. :
Phoebe parens, seu te Lyciae Pataraea nivosis 
Exercent dumeta jugis, seu... seu... seu...

601. Le Cynthe... Le Cynthe est la montagne sacrée de Délos, où Apollon et Diane virent le jour ; le sanctuaire du dieu était situé sur le versant occidental de la montagne, dans une crevasse naturelle aux parois verticales.

602. Hyla... Hyla ou Hylé était un sanctuaire d'Apollon situé à côté d'un promontoire de l'île de Chypre.

603. Dodone... Apollon avait à Dodone, en Epire, un temple voisin de celui de Jupiter. Cf. Stace, Théb., III, 104 sq., 195 sq.

604. La fontaine de Piérie... Sur la fontaine de Piérie, cf. note 352, et Culex, 18.

605. Les Soeurs... Les neuf Muses, filles de Jupiter et de Mémoire, cf. Culex, 18 et la note 353.

606. D'insolites parages... On songe aux vers de Lucrèce, De N. R., I, 926-927 :
Avia Pieridum peragro Ioca nullius ante 
Trita solo...

et de Virgile, Géorg., III, 291-292 :
Sed me Parnasi deserta per ardua dulcis 
Raptat amor
...

607. Avec Phébus pour guide... Même expression dans le Culex, 36 :
...versus Phoebo dote Iudere gaudet.

608. Les siècles d'or d'un roi sans souci... L'âge de Saturne, cf. Virgile, Buc., IV, 6 ; En., VI, 792-794 ; VIII, 324 ; et Calpurnius, Egl., I, 42 :
Aurea secura cum pace renascitur aetas.
"L'âge d'or renaît avec sa paix exempte de souci."

609. Cérès... Le blé.

610. Les guérets domptés... Sous le règne de Saturne, disent les poètes, les paysans ne "domptaient" pas "les guérets" ; la terre produisait tout d'elle-même sans que le râteau ou le soc de la charrue la blessent. Cf. Virgile, Géorg., I, 125 ; II, 10; Ovide, Mét., I, 101 sq.

611. Les moissons remplissaient les granges... Cf. Virgile, Géorg., I, 49 :
...immensae ruperunt horrea messes
"...d'immenses moissons firent fléchir les granges."

612. Bacchus coulait sous son propre pied... C.-à-d. le vin coulait sous le pied du dieu lui-même (Bacchus Lénéen) qui pressait les raisins. Calpurnius, Egl, X, 63, nous montre aussi Bacchus pressant sous ses pieds les grappes de raisin :
Quin etiam deus ille... et plantis uvas premit.
L'expression "Bacchus coulait " se trouve dans Manilius, III, 153.

613. Le miel pendait aux feuilles souples... C'était une opinion répandue dans l'antiquité que le miel pouvait venir du ciel et se former sur les feuilles des arbres. Virgile, lorsqu'il parle de l'âge d'or, où se reposent les abeilles elles-mêmes, ne manque pas de faire allusion à cette croyance, cf. Buc., IV, 30, et Horace, Od., II, 19, 11 ; Epod., XVI, 47 ; Ovide, Mét., I, 112 ; Tibulle, El, I, 3, 45.

614. Pallas... L'huile, comme plus haut Bacchus pour le vin et Cérès pour le blé.

615. Des cours d'eau incomparables... Des fleuves de lait, de nectar, de vin. Cf. Ovide, Mét., I, 111 :
Flumina jam lactis, jam flumina nectaris ibant
et Horace, Od., II, 19, 10-11.

616. Une campagne délicieuse... Virgile, Géorg., I, 168, parle de "la gloire d'une campagne divine" (divini gloria ruris).

617. Qui a tu les combats qu'au bout du monde des héros se livrèrent en Colchide?... Allusion à l'expédition des Argonautes, célébrée par tant de poètes, au premier rang desquels se place Apollonius de Rhodes.

618. Pergame... La citadelle de Troie. Allusion à la guerre de Troie.

619. Livrée à l'incendie argolique... Virgile dit de même, En., X, 56 :
Argolicos... per ignes.

620. Cette mère dont les fils eurent de tristes funérailles... Allusion possible à Hécube, femme de Priam, qui vit périr presque tous ses enfants et immoler devant elle son petit-fils Astyanax et sa fille Polyxène, - ou à Médée, qui tua les enfants qu'elle avait eus de Jason, quand elle apprit qu'il épousait Glaucé, fille du roi de Corinthe, - ou à Niobé, dont Latone fit tuer par Apollon et Diane les sept fils et les sept filles, cf. Némésius, Cyn., 15-16 :
Nam quis non Nioben numeroso funere maestam 
Jam cecinit ?...

621. La lumière détournée du four... Allusion à Atrée, fils aîné de Pélops et d'Hippodamie, mari d'Europe, qui pour se venger 
de son frère Thyeste, corrupteur de sa femme, fit égorger les enfants de Thyeste et, coupés en morceaux, les servit à leur père à la fin d'un festin : on dit que le Soleil détourna sa lumière pour ne point éclairer un si cruel spectacle. Cf. Ovide, Am., III, 12, 39 :
aversumque diem mensis furialibus Atrei.

622. Les dents éparpillées comme semence... Allusion à Cadmus, fils d'Agénor, qui, avant de fonder la citadelle de Thèbes, voulut offrir un sacrifice à Pallas et envoya ses compagnons puiser de l'eau, dans un bois consacré à Mars ; un dragon, fils de Mars et de Vénus, les ayant dévorés, Cadmus tua le dragon et sur le conseil de Pallas, sema les dents du monstre, d'où sortirent des hommes armés qui s'entretuèrent à l'exception de cinq, lesquels aidèrent Cadmus à bâtir la Cadmée.
Cf. Ovide, Mét., III, 105 ; IV, 572 ; Hér., VI, 33 :
Vipereos dentes in humum pro semine jactos.

623. Les mensonges de ta poupe parjure... Allusion à la fuite de Thésée, abandonnant dans l'île de Naxos sa maîtresse Ariane, 
à qui il avait promis le mariage, et aux beaux vers de Catulle sur ce sujet (LXIV). Cf. aussi Tibulle, EL, III, 6, 40 sq. ; Properce, EL, I, 3, 2 ; Ovide, Mét., VIII, 174 sq. ; Art d'aimer, I, 527 sq. ; Héroïdes, X, 19, sq. 

624. La Minoïde... Ariane, fille de Minos, cf. note 823.

625. Laissée sur un rivage désert... Cf. note 623 et auteurs cités.

626. l'Etna est le séjour d'un dieu... Dans la région de l'Etna, Héphaistos, le Vulcain grec, passait pour avoir son atelier dans le volcan. L'auteur de l'Etna ne suit pas ici la leçon virgilienne, qui place le séjour et les ateliers de Vulcain dans l'île Lipari, cf. En., VIII, 416-422.

627. De ses forges gonflées s'élance le feu de Vulcain... Cf. Virgile, En., VII, 786 :
Aetnaeos efflantem faucibus ignes,
et Claudien, De raptu Proserp., I, 171 :
...quo fonte ruit Vulcanius ignis.

628. Dans ses cavernes closes retentit son travail zélé... Expressions analogues dans Virgile, En., VIII, 419-420.

629. Un soin aussi sordide n'incombe pas aux divinités... Idée Lucrécienne. Cf. De N. R., II, 645-847 : "Les dieux doivent à leur nature même la jouissance de l'immortalité dans une paix absolue ; ils ignorent nos affaires, ils en sont complètement détachés."

630. Du camp phlégréen... Du camp ou de l'armée des Géants, qui luttèrent contre les dieux dans la péninsule Pallène ou de Phlégra (de phlegô, brûler), en Macédoine.

631. Les Géants tentèrent autrefois abominable crime! de déloger du ciel les puissances astrales... Allusion à la guerre entreprise par les Géants, fils de la Terre, contre les Dieux de l'Olympe aidés d'Hercule : cette gigantomachie ou guerre des Géants a été chantée par Pindare et Apollodore chez les Grecs, par Manilius chez les Latins.
Lucain, Phars., III, 316, fait aussi allusion "à la tentative des Géants, fils de la Terre, contre les astres" :
si terrigenae tentarent astra Gigantes.

632. De détrôner Jupiter en le faisant prisonnier... Cf. Virgile, En., VI, 585 :
...superisque Jovem detrudere regnis.

633. D'imposer leurs lois au ciel vaincu... La même fin de vers imponere caelo se trouve dans Ovide, Mét., XIV, 811.

634. Ces monstres conservent leur aspect normal jusqu'au ventre, etc... L'auteur de l'Etna suit ici la tradition en honneur à l'époque hellénistique et romaine, selon laquelle les Géants avaient la tête, les bras et le torse d'un homme, mais les extrémités 
du corps, à partir des deux cuisses, faites des replis antérieurs d'un serpent jusqu'à la tête du reptile. L'exemple le plus célèbre de ce type de géants serpentipèdes est la grande frise de l'autel de Pergame, dont l'influence se reconnaît dans plusieurs monuments romains, notamment dans deux reliefs du musée du Capitole.

635. On construit un rempart pour la lutte avec des monts énormes... On songe au vers d'Ovide, Fastes, V, 39 :
Exstruere hi montes ad sidera summa parabant
"Ils se préparaient à dresser vers les astres élevés un rempart de montagnes."

636. L'Ossa s'ajoute au Pélion, et l'Olympe recouvre l'Ossa de son poids... D'après la légende, les Géants pour escalader le ciel entassèrent l'Ossa sur le Pélion et l'Olympe sur l'Ossa. L'Ossa, le Pélion, l'Olympe sont trois montagnes de Thessalie. Cf. Homère, Od., XI, 315 ; Virgile, Géorg., I, 281-282 ; Horace, Od., III, 4, 51-52 ; Ovide, Fast., I, 307-308; III, 441 ; Amours, II, 1, 13-14 ; Properce, El., II, 1, 19-20 ; Stace, Silv., III, 2, 65-66 ; Sénèque Agam., 337-339.

637. Une impie soldatesque... Expression virgilienne, Buc., I, 70 : impius... miles. Cf. Horace, Od.,II, 19, 22 : cohors gigantum... impia.

638. A portée des astres tremblants... "La demeure du vieux Saturne trembla", dit d'autre part Horace, Od., II, 12, 8-7.

639. Brandissant sa droite armée de flamme... Comme dans les Géorgiques, I, 328 :
...corusca 
Fulmina moIitur dextra...

Cf. Sénèque, Hippol., 156 :
...vibrans corusca fulmen Aetnaeum manu.

640. Les Géants lui courent sus en poussant une vaste clameur... Ovide, Mét., XII, 494, a un vers analogue : "Voici que se ruent en poussant une vaste clameur les rapides monstres bimembrés." :
Ecce ruant vasto rapidi clamore bimembres.

641. Le Père... Jupiter.

642. Leur troupe d'auxiliaires... La pluie, la grêle, la neige, la foudre, l'ouragan, les ténèbres, etc.

643. Du Père... De Jupiter.

644. Fait crouler par sa foudre les montagnes... Fin de vers virgilienne, Géorg., I, 283 :
Ter Pater exstructos disjecit fulmine montes.

645. Soldatesque impie... Cf. note 637.

646. Leur mère... La Terre (Gaia).

647. Trinacrie... La Sicile, "nommée Trinacrie, l'île "aux trois pointes" treis arkai, à cause des trois promontoires qui la terminent : Pachinum, Pélore, Lilybée.

648. Jupiter écrase sous l'Etna Encelade mourant... La tradition varie et, au lieu du géant Encelade, place aussi sous l'Etna tantôt Typhon, tantôt Briarée. La première de ces traditions (Encelade) se trouve dans Virgile, En. 111, 578 sq. ; dans Stace,
Théb., XI, 8 ; XII, 274-275 ; dans Claudien, De piis fratribus, 32. La seconde (Typhon) dans Ovide, Fast., IV, 491-492 ; Mét., V, 346-349 ; dans Valérius Flaccus, II, 23-29. La troisième (Briarée) dans Antimaque de Colophon, Théb., III. 

649. Souffle du feu par sa gorge... Le même détail est appliqué à Typhon par Ovide, l. c., et par Valérius Flaccus, l. c.

650. Les poètes... Tels que Lucrèce, De N. R., III, 1011-1013 ; Virgile, En., VI. 

651. Dis... Cf. note 436. - L'auteur du Culex, 273, parle des "tristes royaumes de Dis" et Lucain, Phars., 455-456, "des pâles royaumes du profond Dis".

652. Ses ondes... Cf. Virg., En., VII, 773.

653. Son chien... Cerbère.

654. Les uns, pour le punir, ont allongé hideusement Tityos sur plusieurs arpents... Le supplice de Tityos a été décrit par Lucrèce, III, 984-992 ; par Virgile, En., VI, 595-596 ; par Ovide, Mét., IV, 456-457 ; par Tibulle, El., I, 3, 75.On sait que Tityos, Géant fils de la Terre ou fils d'Elare, ayant voulu enlever Latone qu'il désirait, fut vaincu et tué à coups de flèches par Apollon, et condamné aux Enfers, cloué à terre, à avoir le foie sans cesse renaissant dévoré par deux vautours. Cf. Culex, 237, et note 462.

655. Les autres, pour te punir, te tourmenter, Tantale, en t'environnant d'une eau qui te donne soif... Le supplice de Tantale a 
été décrit par Homère, Od., XI, 582 sq ; par Tibulle, El., I, 3, 77-78 :
Tantalus est illic et circum stagna, sed acrem 
Jamjam poturi deserit unda sitim...

et par Pétrone, Poésies, XCI :
Non bibit inter aquas, poma aut pendentia carpi 
Tantalus infelix, quem sua vota premunt
.
"L'infortuné Tantale ne boit pas aux eaux qui l'entourent et ne cueille pas les fruits qui pendent des branches, en dépit des désirs qui le pressent."
On sait que Tantale, prince de la ville de Tantalis du mont Sipyle, commit le double crime de dérober à la table des dieux, où il avait été admis, l'ambroisie et le nectar, et de révéler aux mortels les secrets de Jupiter. On l'accusa aussi d'avoir servi aux dieux dans un festin son fils Pélops coupé en morceaux.

656. Minos... Minos, fils de Jupiter et d'Europe, roi de Crète, donna, dit la légende, des lois si équitables à ses sujets, qu'il mérita de siéger comme juge aux Enfers avec son frère Rhadamante et avec Eaque.

657. Eaque... Eaque, fils de Jupiter et de la naïade Egine, roi des Myrmidons, mérita par sa justice et sa piété de siéger comme juge aux Enfers après sa mort.

658. La roue d'Ixion... On trouve des allusions au supplice d'Ixion dans Virgile, Géorg., III, 38-39 :
...tortos... Ixionis angues
Immanemque rotam ;

dans Ovide, Mét., X, 42 ; dans Properce, El., I, 11, 23.
On sait qu'Ixion, personnage fabuleux, fils de Phlégyas et roi des Lapithes, trompa l'amitié confiante de Jupiter et voulut séduire Junon. Jupiter, pour le surprendre, donna à une nuée la forme de Junon, et de l'accouplement d' Ixion avec la nuée naquit Centaure, le père des Centaures. Ixion fut attaché par des serpents à une roue ailée qui l'emporta d'abord à travers les airs, puis le fixa aux Enfers. Le supplice d'Ixion se trouve représenté sur un vase grec de Cumes.

659. Le domaine du ciel qui ne leur appartient pas... Idée lucrécienne. Cf. De N. R., 1119 :
caelum... nobis... alienum.

660. Les guerres des dieux... Les guerres des dieux entre eux (lutte de Jupiter et de Saturne), et contre les Titans et les Géants.

661. Taureau pour Europe... On sait comment Jupiter, ayant aperçu dans un pré la belle Europe, fille de Phénix, qui jouait avec ses compagnes, prit la forme d'un taureau, s'approcha d'elle, l'invitant à monter sur sa croupe, puis l'emporta à travers les airs jusqu'au rivage méridional de l'île de Crète, où il la déposa sous un palmier, qui, depuis ce jour, ne perdit plus ses feuilles. Les représentations de l'enlèvement d'Europe sont assez fréquentes dans l'art et on y trouve beaucoup d'allusions chez les poètes, notamment chez Ovide, Am., III, 12, 34, et dans l'Octavie, 206 et 766-767.

662. Oiseau blanc pour Léda... Pour séduire Léda, Jupiter prit l'apparence d'un jars ou d'un cygne. Cf. notes 312, 313 et 314., et Ovide, Am., III, 12, 33 ; Manilius, I, 337 sq.; Octavie, 205 et 763-764. 

663. Comment pour Danaé il coula en une précieuse pluie... La ruse de Jupiter se changeant en pluie d'or pour pénétrer dans l'appartement où Acrisius, roi d'Argos, tenait enfermée sa fille Danaé, a été chantée par beaucoup de poètes. "Jupiter, dit élégamment Ovide (Am., III, 8, 29 sq.), connaissant la toute puissance de l'or, fut lui-même le paiement de la vierge séduite."
Juppiter admonitus nihil esse potentius auro 
Corruptae pretium virginis ipse fuit;

et Sulpicius Lupus (De Cupid., 7) précise en ces termes :
Sic quondam Acrisiae in gremium per claustra puellae 
Corruptore auro fluxit adulterium...

"Ainsi jadis à travers une clôture l'adultère en or corrupteur se coula au giron de la fille d'Acrisius..."
Il est encore parlé de cette « pluie d'or » dans l'Octavie, 207, aureus fluxit in imbri, et 770 : fulvo fluxit in auro.

664. La licence qu'on accorde aux poètes... C'est un lieu commun, cher notamment à Horace, que les poètes ont le droit d'oser ce qu'ils veulent. Cf. Art poétique, 9-20 :
..pictoribus atque poetis
Quidlibet audendi semper fuit aequa potestas.

665. L'immense orbe... L'expression se retrouve chez Manilius, Astron., I, 330 :
immensum mundi revolubilis orbem.

666. Ceint des ondes courbes de la mer finissante... Les anciens se représentaient la terre comme une île entourée par les eaux de l'Océan. Cf. Cicéron, N. D., II, 66, 105 : insulam quam nos orbem terri vocamus ; Ovide, Hér., X, 61 :
Omne latus terrae cingit mare;
Manilius, Astron., IV, 595 :
Ipsa natat tellus pelagi lustrata corona;
Aviénus, Descript. orbis terrae, 81 :
Oceani nam terra salo praecingitur omnis ;
et Priscien, Périég., 8 : Oceanum, tellus quo cingitur aequore tota.

667. De même que dans un être vivant... La comparaison de la tour avec un être vivant se retrouve dans Ovide, Mét., XV. 342 :
Nam sive est animal tellus et vivit,
et dans Sénèque, N. Qu., VI, 14, 1.

668. La terre distribue dans ses abîmes les souffles d'air qu'elle a accueillis... Cf. Sénèque, N. Quaest., VI, 14, 1 : Sic hoc totum terrarum omnium corpus et acquis quae vicem sangulnis tenent et ventis quos nihil aliud quis quam animam vocaverit pervium est.

669. Ces amoncellements... Peut-être les tas de pierres qui servaient de bornes agraires.

670. Des cours d'eau se sont parfois enfoncés dans la terre... Ovide, Mét., XV, 273 sq. cite parmi les fleuves qui disparaissent ainsi sous la terre le Lycus de Phrygie et l'Erasinus d'Argolide ; Sénèque, N. Quaest., III, 26, qui cite Ovide, ajoute à sa liste le Tigre, l'Alphée d'Elide, qui passait pour reparaître à Syracuse dans la célèbre fontaine d'Aréthuse. Les anciens y joignaient encore le Tibre, le Rhône, l'Oronte, l'Arias de Perse, le Polytimète de Sogdiane.
Avant l'auteur de l'Etna, Lucrèce, De N. R., V I, 540-541 , avait signalé le même fait :
Multa... sub tergo terrai flumina tecta 
Volvere vi fluctus.

671. Réapparaissant au loin, reprennent leur cours sans qu'on s'y attende... Ce phénomène, particulier à certains pays au sol caverneux, a été signalé par Sénèque, N. Quaest., III, 19, 4, et par Strabon, 275.

672. De l''air... C'est l'échappement d'air causé dans les pays chauds par la différence brutale de température entre l'air du dedans et l'air du dehors.

673. Ils s'évertuent à la tâche... La même expression (fervet opus) se trouve deux fois dans Virgile, Géorg., IV, 169 ; En., I, 436.

674. Notus... Notus ou Notos, nom grec du vent du sud, que les Latins appellent l'Auster.

675. Eurus... Eurus ou Euros, nom grec du vent du sud-est, que les Latins appellent le Volturnus.

676. Borée... Borée, nom grec du vent du nord, que les Latins appellent Septentrion.

677. S'il est permis de le croire... La même expression (si fas est credere) se retrouve chez l'auteur de la Ciris, 21, et chez Stace, Théb., II, 595.

678. Le monde recouvrera sa figure d'antan... Croyance exprimée par Lucrèce, De Nat. Rer., VI, 565-567 ; par Sénèque, N. Quaest., VI, 1, et par l'auteur de l'Octavie, 391-394.

679. La divinité protectrice de l'Etna ne souffre pas de contrôle...  Les anciens croyaient que les dieux ne souffraient pas l'accès des mortels dans les lieux par eux habités. On voit dans Callimaque (Hymne à Apollon, 2) que les étrangers sont écartés du sanctuaire d'Apollon ; dans Virgile (En., VI, 254), la Sibylle écarte les profanes de l'approche d'Hécate ; dans Lucain (Phars. III, 422 sq.), le prêtre lui-même de la forêt de Marseille redoute l'approche du dieu et craint de le surprendre ; Claudien (De rapt. Proserp., I, 159) dit qu'il est permis de voir les forgerons de l'Etna, mais non d'essayer de les aborder :
Aetnaeos opices solo cognoscere visu, 
Non aditu tentare licet.

Comme l'observe justement Sénèque (Nat. Quaest., VII, 30) le mystère est un moyen pour les dieux d'accroître leur majesté sacrée.

680. Dis... Cf. note 486.

681. Echanger le Tartare contre le ciel... Dans Claudien (Rapt. Pros., I, 33 et 113-116) on voit aussi le roi des Enfers prêt à combattre les dieux de l'Olympe ou les menacer de délier Saturne de ses chaines.

682. Quand les vents s'enflent, ils prennent le nom de souffles; quand ils languissent, le nom d'air... Distinction lucrécienne. Cf. De Nat. Rer., V I, 685.

683. Connaître la réalité des choses... Même expression dans Stace, Silv., III, 5, 50.

684. En rechercher les causes... On songe au vers célèbre des Géorgiques, II, 490 :
Felix qui potuit rerum cognoscere causas.

685. Lever la tête vers le ciel... Expression virgilienne, En., IX, 681-682 :
Attollunt capita.

686. Ont-ils une fin à redouter? continuent-ils pour la durée des siècles?... Les mêmes questions sont posées par Lucrèce, De Nat. Rer., V, 1212-1215.

687. La machine est-elle fermement liée par un lien éternel ?... Expression analogue dans Manilius, Astron., III, 55 :
...alterno religatus foedere mundus.

688. Deux fois six... Tour virgilien, cf. Buc., I, 43 ; En., V, 561 ; IX, 272 ; XI, 133.

689. Le feu qui fait rougir Phébé... Virgile, Géorg., I, 431, observe que le vent fait rougir Phébé (la lune) :
venta semper rubet aurea Phoebe.

690. Pâlir son frère... Quand le soleil (Phébus) est sombre, dit Virgile (Géorg., I, 453), c'est signe de pluie :
(sol) caeruleus pluviam denuntiat.

691. Lucifer... L'étoile du matin, Vénus.

692. Hespérus... L'étoile du soir, qui est aussi Vénus. Cf. Cicéron, De Nat. Deor., II, 20, 3 : Lucifer latine dicitur cum antegreditur solem, cum subsequitur autem Hesperus.

693. Le Bouvier... Le Bouvier, ainsi nommé parce qu'il semblait diriger le Chariot de l'Ourse (Plaustrum, Arctus) comme un bouvier ses boeufs Cf. Cicéron, Arat., fr. 16 :
Arctophylax vulgo qui dicitur esse Bootes, 
Quod quasi temoni adjunctam prae se quatit Arctum.

694. Inhibitive... Parce qu'elle retient les navires au port.

695. Orion... Chasseur infatigable, originaire de Béotie, le géant Orlon périt piqué par un scorpion pour avoir offensé Diane, et fut placé au ciel parmi les constellations, où il chasse devant lui les Pléiades dont la disparition provoque les tempêtes.

696. L'indicateur Sirius... Sirius, qui, d'après certaines traditions, était le chien fidèle d'Orlon (cf. note précédente), est qualifié d' "indicateur" par le poète, parce que c'est la plus grande et la plus brillante étoile du ciel : il fait partie de la constellation du Chien ou Canicule.

697. En laissant passer devant nos pieds et se perdre un tel chef-d'oeuvre... Cf. Ennius, cité par Cicéron (De Re Publ., I, 18 et De divin., II, 30).
Ante pedes quod est nemo spectat ; caeli scrutantur plagas.
"Personne ne regarde ce qui est devant ses pieds ; on scrute les régions du ciel."

698. Nous scrutons les fissures du sol : c'est un filon d'argent qu'on cherche ou parfois une veine d'or... Idée lucrécienne, De N. R., VI, 808-809 :
Ubi argenti venus aurique sequuntur 
Terrai penitus scrutantes abdita ferro.

699. Ici le sol est fertile et particulièrement fructueux en moissons, là en vignes... Cf . Virgile, Géorg., I, 54 :
Hic segetes, illic veniunt felicius uvae.

700. Les oliviers préfèrent les terrains un peu secs... Au dire de Virgile (Géorg., II, 179-181), l'olivier se plaît aux terrains difficiles, aux collines malignes :
Difficiles primum terri collesque maligni 
Tenuis ubi argilla et dumosis calculus arvis 
Palladia gaudent silva vivacis olivae.

701. Les mortels avides... L'avidité des mortels est un lieu commun qu'on trouve notamment dans Sénèque (Nat. Quaest., V, 18, 14 sq. ; et dans Pline, N. H., II, 118.

702. Au Tartare du monde... Hésiode, Théog., 841, parle du « Tartare de la Terre » Tartara Gaiês.

703. L'Auster... Cf. note 674.

704. Un Triton sonore... Il est probable qu'il s'agit ici d'une horloge hydraulique où l'heure serait annoncée par un Triton, machine inventée par Ctésibius d'Alexandrie et apportée à Rome en 159 av. J.-C. par Scipion Nasica Corculum (cf. Censorinus, XXIII, 7 ; Pline, N. H., VII, 215); la description la plus ancienne que nous possédions de l'horloge hydraulique est celle de Vitruve :
c'était un récipient où l'eau qu'on versait marquait par ses niveaux successifs les heures de la journée ; en mesurant la hauteur atteinte par l'eau versée pendant la durée d'une heure solaire, et en la marquant par un repère, on pouvait ensuite diviser le récipient en autant d'heures qu'on désirait ; les lignes horaires étaient tracées sur la paroi extérieure et reliées par un système de flotteur et de contre-poids avec le niveau du liquide à l'intérieur.

705. Eurus... Cf. note 675.

706. Des siphons... Selon le principe appliqué par Ctésibius, cf. note 704.

707. Sous l'azur de Jupiter... Sous le ciel bleu.

708. Quand il balance les feux sacrés... Pour purifier les assistants. Cf. Claudien, Cons. VI. Honor., 325-327 :
Lustralem sic rite facem ........ 
Circum membra rotat doctus purganda sacerdos 
Rore pio spargens.

709. Le fétu léger... Expression virgilienne. Cf. Géorg., I, 85 :
levem stipulam.

710. L'Auster... Cf. note 674.

711. L'Aquilon... L'Aquilon est le vent du N.-E. que les Grecs nomment Kaikias.

712. Tant elle a d'endurance... Properce (El., I, 16, 19) parle aussi de « l'endurance » (patientia) de la pierre de Sicile :
Sit licet et saxo patientior illa Sicano.

713. Locres... Il s'agit de Locres Epizéphyrienne, auj. Gérace, fondée dans le Bruttium par une colonie de Locriens venus de Naryx ou Narycie, ville de la Locride Epicnémidienne, patrie d'Ajax, fils d'Oïlée. Cf. Virg., En., III, 399.

714. Enarie... Enarie (Aenaria), que les Grecs nommaient Pithécuse et les poètes Inarimé (ein Arimois, "aux Arimes"), est aujourd'hui l'île d'Ischia. C'est sous cette île volcanique que le géant Typhée passait pour être enseveli, cf. Virgile, En., IX, 716 :
Inarime Jovis imperiis imposta Typhaeo,
et Ovide, Mét., XIV, 89.

715. Traîtreusement... Les éruptions volcaniques d'Enarie (auj. Ischia) sont rares, et par suite surprennent par leur traîtrise. Les plus récentes sont celles de 1303 et de 1883.

716. Un endroit sis entre Naples et Cumes... Il s'agit des Champs Phlégréens (campi Phlaegraei), ainsi qu'on appelait autrefois le solfatare qui s'étend au nord de Pouzzoles, et dont Pétrone, en son poème de la Guerre civile (Sat., CXX), a donné une description détaillée :
"Il est un lieu profondément enfoui au fond d'une ouverture béante, entre Parthénope et les campagnes de la grande Dicarchis, arrosé par l'eau du Cocyte : car le souille qui s'en exhale avec fureur répand aux alentours une funeste vapeur. Cette terre ne verdit pas à l'automne et ne nourrit pas d'herbes ; on n'y voit pas de champs où rit le gazon ; on n'y entend pas la chanson vernale que murmurent en un bruissement confus les branches souples, mais c'est un chaos et ce sont des rochers où la noire pierre ponce se hérisse, et qui n'aiment sur leurs tertres que la couronne du cyprès funèbre."

717. On te recueille pour le commerce... Aujourd'hui encore.

718. L'île... Ronde... L'île Ronde (Stroggulê) est aujourd'hui Stromboli.

719. Une île sacrée du nom de Vulcain... L'île Sacrée, "ainsi nommée parce qu'elle était consacrée à Vulcain, dit Pline (N. H., III, 93), et où une colline vomissait des flammes" : c'est l'ancienne Thérasia, que les Grecs nommaient Hiéra (sacrée) aujourd'hui l'île de Volcano, la plus méridionale des îles Lipari, entre l'île de Lipara et la Sicile.

720. Par un canal souterrain... Le fait est relaté par Diodore de Sicile, V, 7.

721. La mer vorace... Expression de Lucrèce, De N. R., I, 720.

722. Symèthe... Le Symèthe, auj. Simeto, et, à son embouchure Giarretta, est un fleuve de la côte orientale de la Sicile, qui contourne l'Etna et se jette dans la mer au sud de Catane. Virgile le cite au IXe chant de l'Enéide, v. 584. 

723. Les potiers eux-mêmes en témoignent... Comme l'une des versions les plus accréditées qui avaient cours sur les parents de Virgile était, au dire de Phocas, celle qui en faisait le fils d'un potier, les critiques qui croient à l'authenticité virgilienne de l'Etna voient là un trait d'observation que l'auteur aurait puisé dans l'atelier de son père.

724. Fridiques... Mot inconnu par ailleurs.

725. Ton obscur petit livre, ô Héraclite... Héraclite le Physicien, surnommé le Ténébreux pour l'obscurité de son style, né vers 550 et mort vers 480 av. J.-C., a exposé les principes de sa philosophie dans un petit livre intitulé De la Nature, dont il subsiste seulement des fragments. Affectant de ne pas écrire pour le vulgaire, il était nébuleux par goût et par calcul. Cf. Diogène Laerce, IX, 5. Sa doctrine qui faisait du feu le principe de toutes choses : ek puros ta panta sunistatai kai eis touto analuetai, a été violemment combattue par Lucrèce (De N. R., 636 sq.) : « Ceux qui ont pensé, dit celui-ci, que la matière initiale du monde était le feu et que du feu seul l'ensemble des choses s'était constitué, ceux-là paraissent bien être tombés dans une grave erreur. Leur chef est Héraclite que son langage obscur a rendu illustre chez les Grecs auprès des têtes légères plutôt qu'auprès des sérieux chercheurs du vrai. Car les sots admirent et aiment les idées qui se cachent en de mystérieuses formules, ils tiennent pour vrai ce qui peut flatter délicatement l'oreille et qui se pare d'une sonorité agréable. »
Comme l'auteur de l'Etna et comme Lucrèce, Cicéron (De Fin., II, 15) fait allusion à l'obscurité d'Héraclite, et Sénèque EP., XII, 7) enregistre lui aussi que l'obscurité de son style lui valut le surnom de Ténébreux, skoteinos.

726. Nous traversons les mers, etc... Ce développement sur la folie des touristes qui dédaignent l'Etna et vont par le monde
chercher des spectacles moins magnifiques est un lieu commun particulièrement cher à Sénèque. Cf. N. Quaest., V, 18, 6-7 ; De
Tranq. an
., II, 13, sq. ;  Ad Helv., XVII, 2, 13.

727. Il nous plaît de parcourir toutes les nations du monde...  "Il nous plaît, dit aussi Manilius (Astron., IV, 512 sq.), de tra-
verser sans cesse des villes inconnues, d'aller voir des mers nouvelles, de recevoir l'hospitalité de toute la terre..."
Sed juvat ignotas semper transire per urbes 
Scrutarique novum pelagus totius et esse 
Orbis in hospitio...

728. Les remparts entourant la Thèbes d'Ogygès... Une des portes des remparts de Thèbes reçut le nom d'Ogygès parce qu'elle fut construite par Amphion et Zéthus à côté du tombeau de ce roi fabuleux. Cf. Scholies d'Euripide, Phén., 1113, et Sidoine Apollinaire, XVIII, 3-4 :
Ogygiamque chelyn quae saxa sequacia flectens
Cantibus auritos erexit carmina muros...

Cf. note 188.

729. Des frères... Amphion et Zéthus, fils de Jupiter et d'Antiope, nés à Eleuthères et abandonnés par leur mère dans une grotte où ils furent recueillis par un berger.

730. L'un, un homme d'action... Zéthus, passionné pour la chasse et les exercices du corps, qui manipulait les pierres énormes que son frère soulevait par les accents de sa lyre.

731. L'autre, un musicien... Amphion, qui passait pour l'inventeur de la lyre, mais qui, en réalité, selon Pausanias, avait seulement ajouté une quatrième corde à la lyre lydienne. Comme Orphée, il domptait les bêtes féroces par l'harmonie, et souleva, pour bâtir la ville basse de Thèbes, les pierres au son de sa lyre. Cf. Horace, A. P., 394-396 :
Dictus et Amphion, Thebanae conditor urbis, 
Saxa movere sono testudinis et prece blanda
Ducere quo vellet...

et Properce, El., IV 1, 42-43 ; Silius Italicus, Punica, XI, 440-441 ; Sidoine Apollinaire, Poe., XVIII, 3-4.

732. Ces pieux héros... Amphion et Zéthus, "pieux" vengeurs de leur mère Antiope, qui répudiée par son mari Lycus pour s'être laissée séduire par Jupiter, fut en butte aux persécutions de Lycus et de sa nouvelle femme Dircé ; Amphion et Zéthus tuèrent Lycus et attachèrent vivante encore Dircé aux cornes d'un taureau furieux, qui la déchiqueta. Cf. Ovide, Art d'aimer, III, 323 : vindex justissime matris.

733. La double colonne de fumée qui monte, formée de la vapeur d'un unique sacrifice... La tradition rapporte que, quand les Thébains faisaient un sacrifice commun à Etéocle et à Polynice, les frères jumeaux meurtriers l'un de l'autre, la fumée qui s'élevait de l'autel se séparait toujours en deux colonnes. Cf. Pausanias, IX, 18, 3 ; Ovide, Trist., V, 5, 33 ; Hygin, Fab., 71 b. ; Lucain, Phars., I, 550 ; Stace, Théb., XII, 429 sq.

734. Les sept chefs... Polynice, Adraste, Amphiaraüs, Capanée, Hippomédon, Parthénopée et Tydée, qui à la tête d'une formidable armée argienne, périrent tous devant Thèbes (sauf Adraste) pour essayer d'y mettre sur le trône Polynice, frustré par son frère Etéocle. Dix ans plus tard les fils des chefs argiens tués devant Thèbes entreprirent une nouvelle guerre pour les venger : ce fut la guerre dite des Épigones, au cours de laquelle Thèbes fut mise à sac.

735. Le héros ravi par les profondeurs de la terre... Allusion à a mort du devin Amphiaraüs, englouti devant Thèbes avec son char et ses chevaux dans un gouffre que Jupiter ouvrit d'un coup de foudre sous ses pas. Le devin avait à Oropos, près de Thèbes, un sanctuaire illustre et un oracle que l'on venait consulter de tous les points de la Méditerranée orientale. L'épisode de sa mort est le sujet de nombreux bas-reliefs et peintures. Une urne funéraire étrusque montre le gouffre ouvert devant ses chevaux qu'une Furie a saisis par les rênes et va entraîner.

736. L'Eurotas... L'Eurotas est sans doute cité ici par association avec "la Sparte de Lycurgue"  ; peut-être aussi parce que c'est sur ses bords qu'Apollon improvisait des chants en l'honneur du joli Hyacynthe, fils d'Oebalos, roi de Sparte, cf. Buc., VI, 81-86. - L'Eurotas est d'ailleurs célèbre à plus d'un titre et éveille des idées héroïques.

737. Les Trois-Cents... Les trois cents Spartiates de Léonidas, qui se firent tuer avec lui aux Thermopyles, « pour obéir aux lois sacrées de la patrie ».

738. L'Athènes de Cécrops... L'Athènes fondée par Cécrops, au XVIe siècle av. J.-C.., et qui, nommée d'abord Cecropia, prit seulement le nom d'Athenai quand elle fut conquise par le clan ionien de Marathon. Virgile, Géorg., IV, 177, 270, parle des "abeilles de Cécrops" et du "thym de Cécrops".

739. Victorieuse... Victorieuse de Neptune, qui lui disputait la contrée.

740. Perfide Thésée... L'auteur de l'Etna applique à Thésée, perfide séducteur d'Ariane, la même épithète que Catulle, LXIV, 33.

741. Tu oublias de tendre les voiles blanches... Allusion à la mort d'Egée, père de Thésée, qui se précipita dans la mer en apercevant au loin la flotte de son fils, qui avait oublié de tendre des voiles blanches en signe de victoire à ses vaisseaux retournant de Crète.
Cf. Catulle, LXIV, 210 :
Dulcia nec maesto sustollens signa parenti.

742. Erigone... Le poète semble suivre la tradition selon laquelle Erigone est fille d'un roi d'Athènes, Icare, et non d'un roi de Sparte : il dit, en effet, qu'elle est « un poème d'Athènes », c.-à-d. un sujet de poème pour les Athéniens. On sait qu'Erigone, s'étant tuée de douleur à la mort de son père, fut placée dans le ciel et devint le signe du Zodiaque, connu encore sous le nom de la Vierge.

743. Philomèle... Térée, roi de Thrace, ayant épousé une des filles de Pandion, roi de l'Attique, et eu d'elle un fils, Itys, s'éprit de sa belle-soeur ; sa femme, par vengeance, tua Itys et fit manger sa chair à son père. Quand Térée connut la vérité, il se mit à la poursuite des deux soeurs qui s'étaient enfuies : les dieux alors le changèrent en huppe, Itys en chardonneret et les filles de Pandion en rossignol et en hirondelle (cf. Ovide, Mét., V I, 424 sq.).
Mais il règne dans cette fable une confusion sur le rôle respectif des deux soeurs ; chez les Grecs, c'est Procné qui devient rossignol, Philomèle hirondelle. L'auteur de l'Etna suit la tradition latine qui fait de Procné une hirondelle et un rossignol de Philomèle. Cf. Virgile, Buc., VI, 78 sq.

744. Votre séjour... L'ancien séjour des héros de la légende athénienne : Térée, Itys, Philomèle, Procné.

745. Toi, sa soeur... Procné, cf. note 743.

746. Tu reçois l'hospitalité sous les toits... Ovide, Mét., V I, 668, dit de même que l'une des soeurs gagne les forêts, tandis que l'autre va s'abriter sous les toits : 
Quarum petit altera silvas, altera tecta subit.

747. Dans les champs solitaires... Cf. Virgile, Géorg., III, 249 :
...solis erratus in agris.

748. Pergame... La citadelle de Troie : on donne souvent ce nom à la ville tout entière. Selon Suidas et Servius, le mot pergamos ou pergamon  signifie proprement  : bastion, citadelle, et le pluriel Pergama est employé pour désigner les deux tours de la citadelle.

749. Pleurée des vaincus... Horace (Od., I, 8, 14) parle de la ruine de Troie qui fit couler tant de larmes : lacrimosa Trojae 
funera.

750. Les Phrygiens... Les Troyens. Cf. En., passim.

751. Avec leur Hector... Ausone (Epit. Her., XIV) dit de même : 
Hectoris hic tumulus cum quo sua Troja sepulta est.
"Voici le tombeau d'Hector, avec qui sa Troie fut enterrée."

752. Le petit tombeau d'un grand capitaine... Le tombeau d'Hector.

753. Le vengeur vaincu du grand Hector... Pâris, qui tua Achille et fut tué lui-même par Philoctète.

754. Des peintures ou des statues grecques nous ont tenus en contemplation... Horace, Ep., II, 1, 97 ; Sat., II, 7, 95, parle de tableaux qui "tiennent les yeux et l'attention en suspens" ou qui vous laissent "abasourdis" d'admiration :
Suspendit picta vultum mentemque tabella
et
Vel cum Pausiaca torpes, insane, tabella.

755. La chevelure de la Paphienne toute moite de la mer maternelle... La Paphienne désigne Vénus, qui avait à Paphos, dans l'île de Chypre, un temple célèbre bâti par Cinyras, et le poète fait ici allusion à une peinture ou à une statue célèbre de Vénus Anadyomène (c.-à-d. "surgie des flots", - Vénus étant née de l'écume de l'onde marine formée autour des débris d'Ouranos mutilé par Kronos). Ce vers de l'Etna semble avoir été littéralement traduit par Ronsard :
les cheveux...
Encore tout moiteux de la mer maternelle.

L'Anadyomène avait été représentée à Cos par Apelle, dans un tableau célèbre, où l'on voyait la déesse sortie de l'onde et tordant sa chevelure mouillée. C'est ce tableau, auquel font allusion tant d'auteurs, notamment Pline, N. H., XXXV, 79, 87, 91 ; Ovide, Pont., IV I, 29 ; Arsam., III, 401 ; Trist., II, 527-528 ; Ausone, Epigr., 106, qui inspira par la suite les sculpteurs, notamment Praxitèle, dont la Vénus Anadyomène décorait un temple de Cnide et attirait de nombreux touristes. "Aucun vêtement ne l'enveloppe, dit Lucien. Elle est nue et découvre ses charmes. D'une main seulement elle cache furtivement sa pudeur."
Il est impossible de dire si le chef-d'oeuvre que désigne ici l'auteur de l'Etna est la toile d'Apelle, qu'Auguste acheta aux habitants de Cos et fit transporter à Rome dans le temple de Vénus Génitrix, ou la statue de Praxitèle, qui se trouvait encore à Cnide au temps de Pline (cf. H. N., XXXV 36, 24 et 28 ; XXXVI, 4 9), et qui, transportée à Constantinople, fut détruite dans un incendie.

756. Les petits enfants qui jouent aux pieds de la Colchidienne farouche... Allusion à la Médée de Timomaque, achetée 80 talents par César aux habitants de Cyzique, et transportée à Rome dans le temple de Vénus Génitrix, entre 46 et 44 av. J.-C., - ce qui oblige à situer le poème à une date antérieure. Cf. notre Introduction.
Dans ce tableau de Timomaque on voyait Médée "farouche" crispant la main sur son poignard, tandis que ses deux enfants, souriants et demi-nus, jouaient tranquillement aux osselets à ses pieds. Cf. Pline, N. H., XXXV, 136 ; Ausone, Epigr. 129 et 130. Plusieurs répliques de cette oeuvre fameuse se voient dans les fresques de Pompéi ; la plus connue provient de la maison des Dioscures.

757. Des gens éplorés à cause d'une biche posée sur un autel et d'un père revêtu d'un voile... Allusion au tableau célèbre de Timanthe représentant le sacrifice d'Iphigénie ; on vantait l'ingéniosité avec laquelle l'artiste avait esquivé la représentation de la douleur d'Agamemnon, en lui couvrant la tête d'un voile. Une fresque de Pompéi use du même procédé. Cf. Pline, N. H., XXXV, 73 ; Cicéron, Orat., 22 ; Quintilien, II, 14.

758. La gloire vivante de Myron... Allusion à la génisse de Myron, dont les auteurs anciens ont loué l'extraordinaire réalisme (viva). Cf. Pline, N. H., XXXIV, 57 ; Ovide, Pont., IV, I, 34 ; Properce, II, 31, 7 :
Atque aram circum steterunt armenta Myronis 
Quattuor artifices, vivida signa, boves.

"Et l'autel est entouré d'un troupeau par Myron : quatre vaches, auxquelles l'art a prêté la vie" ;
Ausone, dans onze Épigrammes, notamment LX, 4 : 
Viva tibi species vacca Myronis erit.
"La vache de Myron t'offrira un vivant modèle."

759. Sirius... Sirius ou le Chien (Canis), qui apparaissait au matin vers le 26 juillet et d'où partaient les jours caniculaires. Cf. Virgile, Géorg., II, 353 : Canis aestifer, IV, 425 :
Jam rapidus torrens sitientes Sirius Indos ;
En., 111, 141 :
... tum steriles exurere Sirius agros.

760. Pourtant... Le poète veut dire que l'Etna n'aurait pas besoin, pour s'imposer à l'attention, de légendes comme celles de Thèbes ou d'Athènes, et que pourtant il en a une.

761. Coupable... Parce qu'elle a causé des ravages. - L'expression est hardie et le texte peu sûr.

762. La piété de ses feux... Qui ont épargné deux jeunes gens vertueux.

763. L'ennemi... Le fléau, le feu.

764. Stupide... Parce que ces armes ne serviront de rien.

765. Deux excellents fils, Amphinome et son frère... L'épisode fameux des pieux frères de Catane, auxquels Claudien a consacré toute une pièce de vers (Carm. min., XXXIX), a été rapporté par beaucoup d'auteurs, notamment par Strabon, Pausanias, Sénèque, Valère-Maxime, Solin, Elien, Martial et-Ausone. Les noms des frères varient suivant les auteurs; Amphinome est appelé aussi Amphion et Philonome ; l'autre frère est appelé Anaphias ou Anapias, et Callias.

766. Leur assure le salut... Car ses flammes s'écartent devant les deux frères.

767. Piété, la plus grande des vertus et la plus sûre à bon droit pour l'homme... Stace, Silv., III, 3, 1, dit de même : summa deum pietas cujus gratissima caelo... numina. 

768. Les flammes ont rougi... Trait précieux, qui fait songer aux vers de Théophile en sa tragédie de Pyrame et Tisbé :
Ah l voici le poignard qui du sang de son maure 
Fut souillé lâchement : il en rougit, le traître !

769. L'heureux jour !... Même début de vers dans la Ciris, 27 :
Felix illa dies, felix et dicitur annus.

770. Leurs dieux... Leurs parents, qu'ils vénèrent comme des dieux.

771. Les chants des poètes... Cf. note 765.

772. Dis... Cf. note 486.

773. Les droits conférés aux hommes pieux... Comme à Philémon et Baucis. Cf. Ovide, Mét., VIII, 725 :
Cura pii dis sunt, et qui coluere coluntur.
Les hommes pieux sont protégés par les dieux, et ceux qui les ont honorés sont eux-mêmes honorés.