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Poèmes attribués à Virgile : traduction nouvelle de Maurice RAT, GARNIER, 1935

La fille d'auberge le cachat l'aigrette le moustique l'Etna Epigrammes Priapées imprécations élégies pour Mécène

ÉPIGRAMMES (EPIGRAMMATA)

NOTICE SUR LES ÉPIGRAMMES

Sous le titre traditionnel d'Epigrammes, qui, comme l'on sait, au sens antique du mot, ne désigne pas forcément des pièces satiriques, le lecteur trouvera ici seize poèmes, dont les quatorze premiers ont été attribués avec plus ou moins de certitude à Virgile, et dont les deux derniers ne sont sûrement pas de lui.
Ces poèmes, qui sont ici publiés par nous dans l'ordre des manuscrits, se répartissent au point de vue métrique de la façon suivante : huit poèmes en distiques élégiaques (1, 3, 4, 7, 8, 9, 11, 14), trois en ïambes purs (6, 10, 12), un en distiques ïambiques (13), deux en vers scarzons (2, 5) (a). Comme on voit, l'éditeur des Epigrammes, qui ne semble pas par ailleurs s'être beaucoup soucié, en publiant le recueil, d'un ordre logique ni chronologique (b), ne paraît pas s'être préoccupé davantage d'un classement métrique; à moins qu'il ne faille admettre, comme on l'a dit (c), qu'il y ait dans ce désordre apparent "une disposition voulue et un contraste cherché", le centre du recueil, à l'imitation de celui de Catulle, étant occupé par une longue pièce, l'Éloge de Messalla, à laquelle font pendants une première partie composée surtout de petites pièces élégiaques, et une partie finale d'inspiration surtout satirique.
Quoi qu'il en soit, et sans nous attarder davantage à savoir si ce beau désordre est un effet de l'art, bornons-nous à le souligner, et examinons, dans le détail la question d'authenticité. Elle est des plus complexes. A en croire M. Frédéric Plessis, qui est l'un des meilleurs juges en la matière, on pourrait classer ainsi les quatorze premières épigrammes :
1° Quatre "qu'on s'accorde généralement à croire écrites par Virgile" (2, 5, 10, 14);
2° Trois incertaines (1, 3, 7);
3° Trois "très douteuses" (6, 8, 12);
4° Quatre "qui ne peuvent être de Virgile" (4, 9, 11, 13) (d).
L'épigramme 2 est une petite pièce dirigée contre le rhéteur Cimber, coupable d'avoir fait périr son frère, et qui a en outre un goût ridicule pour l'éloquence archaïque. Son attribution à Virgile a pour elle l'autorité de Quintilien (e), qui la cite comme étant de Virgile, et celle d'Ausone (f), qui, en lui donnant pour référence le Calalepton de Virgile, lui donna place dans son "Casse-tête des grammairiens". Sans doute ni l'une ni l'autre de ces autorités ne semble irrévocable, mais par ailleurs l'art de cette épigramme, la discrétion avec laquelle le criminel est flétri, le dégoût qu'exprime son auteur pour une éloquence apprêtée et vieillotte, tout porte à croire qu'elle est bien de Virgile. En tout cas elle n'est pas 
indigne d'être de lui.
L'épigramme 5, qui est un adieu à la rhétorique et aux Muses quittées par le poète pour la philosophie, est aussi des plus dignes du talent virgilien. On a objecté qu'une telle préférence pour la philosophie ne saurait s'être produite quand Virgile était jeune, et que c'était l'état d'âme d'un poète désabusé et déjà sur l'âge. Mais c'est là fragile argument, et l'on a fort joliment répondu "qu'il n'y a guère de poète qui, vers la vingtième année, n'ait fait un jour des adieux solennels à la Muse et proclamé, dans des vers parfois très sincères, que sa vie était finie".
L'épigramme 10, excellente parodie du Phaselus de Catulle, est décochée à Sabinus, le muletier parvenu.
Elle est d'un art achevé et d'une malice très fine, qui ne dément pas l'origine virgilienne.
L'épigramme 14, sur l'Enéide, est moins "généralement attribuée à Virgile" que M. Plessis ne semble le croire. Heyne, le premier, suivi par Bücheler, Schanz, Teuffel et Leo, tout en reconnaissant le charme de ses vers, préférait les attribuer à un ami de Virgile plutôt qu'à Virgile même. A Sommer et à M. Galletier il paraît même "à peu près impossible de la croire virgilienne". Mais les différentes raisons qu'ils donnent de leur scepticisme sont, à vrai dire, spécieuses. C'est ainsi que le poète ayant l'air, au début de la pièce, de pressentir sa mort, M. Galletier déclare "qu'il faut se méfier des textes auxquels les événements ont donné une si parfaite confirmation", il trouve par ailleurs les vers de la pièce "trop virgiliens", etc. Dirons-nous que cette méfiance nous paraît excessive, et que nous ne voyons pas de raison suffisante d'attribuer à je ne sais quel ami de Virgile la plus jolie épigramme du recueil, dans le fait que ce petit poème est tout fleuri de réminiscences virgiliennes. En tout cas, si c'est un pastiche, il faut convenir qu'il est digne du maître, et l'on comprend que, comme le dit M. Galletier, "l'éditeur n'ait pas eu le moindre doute sur l'origine de ces vers et les ait publiés comme une oeuvre authentique (g)".
L'épigramme 1, où l'auteur se plaint à son ami Tucca de ne pouvoir rejoindre celle qu'il aime et que surveille un mari jaloux, est d'une attribution incertaine; certains (h) pensent qu'elle a pour auteur Furius Bibaculus, d'autres (i) un poète cisalpin inconnu. Nous nous rallierions volontiers à l'opinion de Ribbeck, qui voit dans la dédicace de cette pièce à un ami de Virgile une forte présomption de la croire authentique.
L'épigramme 3, qui semble destinée à un portrait ou à un tombeau, retrace la carrière d'un conquérant que la Fortune a interrompu dans sa course, et dans lequel on a voulu voir tour à tour Pompée (j), Mithridate (k), Antoine (l), et, avec beaucoup plus de probabilités, Alexandre (m). L'attribution de cette épigramme est des plus incertaines : alors que M. Galletier y voit l'oeuvre assez médiocre d'un déclamateur du temps de Sénèque et de Lucain, Ribbeck, avec plus de raison, semble-t-il, ne la trouve pas indigne d'un grand poète (n). Il n'est pas impossible que Virgile l'ait écrite.
L'épigramme 7, adressée à Varius, est un badinage sur le mot qu'il convient d'employer, potus ou puer, à l'égard d'un petit esclave dont le charme a plu au poète. Son attribution à Virgile est très discutée. Les goûts de Virgile et ceux de beaucoup de poètes de son temps, qui permettent de ne pas voir dans cette épigramme un simple jeu d'esprit, nous laissent incertains sur son auteur, sans que rien n'empêche, bien au contraire, d'en laisser la paternité à Virgile, à qui Pollion, pour lui faire plaisir, offrait en présent un joli esclave, et qui a très bien pu, comme le suppose M. Galletier, improviser cette épigramme "pour cette circonstance ou une analogue (o)".
Les épigrammes 6 et 12, ou plutôt 12 et 6, évoquent un petit roman, dont les héros demeurent enveloppés de mystère. Dans l'épigramme 12, l'auteur raille les prétentions d'un certain Noctuin, qui veut épouser la fille d'Atilius ; dans l'épigramme 6, postérieure à ce mariage, il s'en prend à la fois à Noctuin et à son beau-père, dont la stupidité contraint à vivre à la campagne, et non plus à la ville, une jeune femme que le poète désire. On a fait bien des suppositions sur l'identité de ce gendre et de ce beau-père : les uns (p) voient en Noctuin le pseudonyme du sénateur Luciénus, ami de Varron ; les 
autres (q) y découvrent Antoine, et dans la jeune femme cette Antonia qu'il épousa vers 48-47, dans le beau-père Antonius Hybrida, oncle paternel d'Antoine. Mais ces suppositions sont fragiles, et, au surplus, invérifiables. La seule découverte intéressante à l'égard des personnages est celle de Birt (r), qui, trouvant au Corpus la mention fréquente des Atilii dans la région de Côme et de Brescia, en conclut que le beau-père et le gendre doivent être des Cisalpins. M. Galletier tire parti de cette découverte pour supposer que l'auteur de l'épigramme est Tucca (s) ; on peut penser aussi que ces deux petites pièces, très catulliennes de tour, ont pour auteur Virgile.
L'épigramme 8, qui est une brève élégie adressée à la maison du philosophe Siron accueillante des pauvres réfugiés, n'avait pas été suspectée jusqu'à ces dernières années, où Cartault (t) en a contesté l'origine et a été suivi par Curcio et par M. Frédéric Plessis (u). Selon Cartault, le père et les frères de Virgile (du moins deux d'entre eux, Silon et Flaccus) étaient morts lorsque, après le partage des terres, le poète vint habiter à Rome la maison de Siron ; or, au vers 3 hos paraît bien désigner ses frères, et au vers 5 son père est nommé ; ces distiques seraient donc l'oeuvre d'un faussaire postérieur à Virgile et qui connaissait mal l'histoire de sa jeunesse. Mais les objections de Cartault semblent avoir été réfutées victorieusement par M. Galletier (v), dont l'argumentation, qui est un modèle de finesse critique, vaut d'être citée ici : d'abord, dit M. Galletier, "il n'est pas sûr du tout que Virgile ait perdu son père, quand il composa les églogues I et IX. Parentes jam grandis amisit se contente de dire Donat, et le terme de grandis ne nous permet pas de détermination précise. Peut-on vraiment tirer argument du fait que Virgile semble, dans les églogues I et IX, le maître du domaine pour affirmer que son père est mort à cette date? Puisque celui-ci perdit la vue vers la fin de sa vie, n'est-il pas naturel que, au moment difficile des partages de terre, le fils s'acquitte du rôle de chef de famille ? N'est-ce pas d'ailleurs son bien, en même temps que celui de son père, qu'il défend contre l'usurpation ? et le poète qui a su, en Cisalpine, se faire des protecteurs, n'est-il pas plus qualifié que son père pour solliciter Auguste ? Il n'est pas surprenant dès lors qu'il nous apparaisse comme le vrai possesseur du domaine en danger : rien ne nous permet de conclure que le vieillard ait disparu avant l'an 39. En ce qui concerne hos, nous trouvons que M. Cartault a trop restreint son sens : il n'y veut voir que les frères du poète. Pourquoi n'y trouverions-nous pas une allusion à sa mère, à des serviteurs, à des parents ? En admettant même que hos désigne seulement les frères de Virgile, nous ne pouvons affirmer avec M. Cartault que tous deux sont morts à cette date. Pour l'un, Silon, la chose n'est pas douteuse ; elle l'est beaucoup plus en ce qui touche Flaccus. Rien n'est moins sûr que l'interprétation allégorique des anciens commentateurs qui font de l'églogue 5 un chant de deuil où Virgile pleure son frère sous le nom de Daphnis. Nous ne pouvons pas discerner s'ils ont imaginé cette allégorie parce qu'ils savaient que Flaccus était mort à peu près à l'époque où fut composée cette pièce ou s'ils ont, après coup, imaginé cette interprétation sans avoir aucune donnée exacte sur la date de sa mort. La question est insoluble, et nous ne pouvons pas nous fonder sur une tradition si incertaine pour nier que Flaccus pût vivre encore en 40 ou 39 et figurer parmi les nouveaux habitants de la villa de Siron. Nous admettons donc que Virgile, chassé, avec sa famille, de sa propriété d'Andes, vint chercher un refuge momentané dans la maison que son ancien maître lui offrait aux environs de Rome et qu'il la salua de ces quelques vers."
L'épigramme 4 est une protestation d'amitié, d'amitié adulatrice, pour un certain Musa, familier du poète, qu'on loue d'avoir un caractère amène, de vigoureuses qualités d'esprit et de grands talents poétiques. Ce Musa semble bien avoir été Octavius Musa, "citoyen de Mantoue" au dire de Servius, qui joua un rôle assez obscur lors des partages de terres, le même sans doute qu'Horace (w) nomme à côté de Mécène, de Virgile, de Varius et de Tucca, dont il fait les juges de ses satires. Cette petite pièce est-elle de Virgile? Il n'est pas impossible, encore que de bons juges hésitent à l'admettre, alléguant l'emphase et la platitude qui caractérisent cet éloge.
L'épigramme 9, qui est une élégie de 68 vers consacrée à Messalla, le protecteur de Tibulle, a été et demeure l'objet d'érudites controverses. Scaliger, Vollmer, Jahn, de Witt, Gubernatis, Ellis, tiennent pour l'authenticité ; Burmann, Wagner, Forbiger, Ribbeck, Bäehrens, Kroll, Birt, M. Plessis et M. Galletier contestent qu'elle soit de Virgile. Il faut reconnaître que, si la pièce est de l'auteur des Géorgiques, ce n'est point du meilleur Virgile : il y a certes de brillants passages, de jolis vers, mais beaucoup de procédé aussi, et de procédé un peu monotone.
L'épigramme 11 est l'épitaphe familière et badine, dans le goût d'un grand nombre d'épitaphes de l'antiquité, d'un certain Octavius, en qui Vettori, que suivent Haupt, Bäehrens, Sabbadini et Birt, voit le même personnage que l'Octavius Musa de l'épigramme 9. Dans sa facture traditionnellement plaisante, elle n'est pas, semble-t-il, indigne de Virgile.
L'épigramme 13, qui est une invective violente et souvent obscène contre un certain Luccius, et qui s'apparente à certaines épodes d'Horace, est attribuée à Catulle par Heyne, Naeke, Bäehrens, Ribbeck, Curcio, Sabbadini; Némethy la croit d'Horace ; Scaliger (x), tout en reconnaissant l'élégance de sa forme, n'osait pas l'attribuer à Virgile, ce qu'ont osé depuis lui Vollmer, Birt, de Witt et Gubernatis, mais non M. Galletier.
Il résulte de ce bref exposé que loin de classer, comme l'a fait M. Plessis, ces quatorze épigrammes en quatre classes, il nous semble plus prudent d'admettre que toutes peuvent être de Virgile, et d'en accepter, jusqu'à preuve du contraire, comme l'ont fait Vollmer et Gubernatis, l'authenticité intégrale.
Quant aux épigrammes 15 et 16, si nous n'en avons rien dit jusqu'ici, c'est qu'elles ne sauraient être de Virgile. L'épigramme 15, que Birt attribue à Varius (y), est manifestement dans le goût et le style des grammairiens des IIIe et IVe siècles (z). L'épigramme 16, qui ne figure que dans les manuscrits du XVe siècle au milieu de l'épigramme 13, est une interpolation d'un copiste négligent : c'est l'oeuvre d'un humaniste moderne, qui connaissait les Carmina XII Sapientium et les formules d'épitaphes ; il n'est même point possible d'affirmer que ces quatre vers aient jamais désigné Virgile.

a Il n'est pas tenu compte dans cette répartition des épigrammes 15 et 16, ajoutées postérieurement.

b L'éditeur a séparé les deux pièces en l'honneur d'Octavius Musa ; Il a séparé les pièces 6 et 12, où la même victime est appelée par son nom, la première devant d'ailleurs suivre, et non pas précéder, la seconde.

c Edouard. Galletier, [P. Vergili Maronis] Epigrammata et Priapea, Paris, 1920, p. 61. 

d Cf. F. Plessis, t. c., pp. 278-280. 

e Instit. Orat., VIII, 3, 27-29. 

f Grammatirnmastix, p. 267, éd. Peiper.

g E. Galletier, 1. c., p. 218.

h Heidel, Classic. Rev., 1901, pp. 215 sq.

i E. Galletier, l. c., p. 38.

j Cf. Burmann, Anth., t. 1, p. 302.

k Cf. Scaliger, Append. Virgil., p. 510.

l Cf. de Witt, Amer. Journ. of Philol., 1912, p. 321.

m Cf. Bücheler, Rh. Mus., 1883, p. 512 ; Christiensen, Neue Jahrb., 1909, pp. 107 sq. ; Galletier, l. c., pp. 157-159.

n Cf. App. Verg., Prolegomen. : Epigramma per se vel optimo poeta dignum.

o Cf. Galletier, loc., p. 38. 

p Cf. Bücheler, Rhein. Mus., 1883, p. 519. 

q Cf. de Witt, Amer. Journ. of Philol., 1911, pp. 448 sq. 

r Erkl. des Cat., p. 134. 

s Cf. Galletier, l. c., p. 171, note 1. 

t Etudes sur les Bucoliques, pp. 6 et 15. 

u L. c., p. 279. 

v L. c., pp. 33-35. 

w Sat., I, 10, 82.

x App. Virg., p. 490 : " Poematium maledicentiae et probrorum plenissimum. Quod non ausim Vergilio attribuere licet elegans et eruditum. Videtur enim secundum aetatem Augusti scriptum fuisse." 

y Erkf. des Catal., p. 7.

z Cf. Galletier, l. c., pp. 46-48.


EPIGRAMMATA

I.  Ad Tuccam

De qua saepe tibi venit, sed, Tucca, videre  
non licet: occulitur limine clausa viri.  
De qua saepe tibi, non venit adhuc mihi ; namque
si occulitur, longe est, tangere quod nequeas.  
Venerit, audivi ; sed iam mihi nuntius iste  

quid prodest ? Illi dicite cui rediit.

ÉPIGRAMMES 

I. A Tucca (774).

Celle dont je t'ai souvent parlé (775) est de retour, mais, Tucca, il ne t'est pas permis de la voir : son mari la cache et verrouille sa porte. Celle dont je t'ai souvent parlé n'est pas encore de retour pour moi, car on la cache et ce qu'on ne peut toucher est bien loin (776). J'admets qu'elle soit de retour, je l'ai entendu dire ; mais que me fait une pareille nouvelle ? Annoncez-la à l'homme pour qui elle est de retour (777).

II. In Annium Cimbrum rhetorem

Corinthiorum amator iste verborum,  
iste, iste (rhetor namque) hactenus totus  
Thucydides, tyrannus Atticae febris,  
thau Gallicum, min et sphin ut male illi sit,  

ita omnia ista verba miscuit fratri.

II. Contre le rhéteur Annius Cimber (778).

Le voilà, cet amateur de mots corinthiens (779) ; le voilà, cet individu (un rhéteur en effet !) qui jusqu'ici parfait Thucydide (780), tyran de la fièvre attique (781), a préparé pour son frère cette mixture de toutes choses, cette mixture de mots (782), le thau gaulois (783), le min et le psin (784) et le "Malheur à lui (785) !"

III. In Alexandrum Magnum

Aspice quem valido subnixum gloria regno  
altius et caeli sedibus extulerat.

Terrarum hic bello magnum concusserat orbem,  
hic reges Asiae fregerat, hic populos ;  
hic grave servitium tibi, iam tibi, Roma, ferebat  
(cetera namque viri cuspide conciderant),  
cum subito in medio rerum certamine praeceps  
corruit e patria pulsus in exsilium.  
Tale Deae numen, tali mortalia nutu  

fallax momento temporis hora tulit.

III.  Contre Alexandre le Grand.

Regarde cet homme que la gloire avait établi sur un trône puissant (786) et porté plus haut que les séjours du ciel (787) ! Il avait secoué par la guerre le vaste monde ; il avait brisé les rois et les peuples de l'Asie. Déjà il t'apportait, il t'apportait, à Rome, une lourde servitude (788), - car tout le reste du monde était tombé (789) sous sa lance de héros - quand soudain précipité au milieu de sa lutte pour la conquête du monde, il croule, et se voit chassé de sa patrie pour l'exil (790). Tel est le pouvoir de la déesse (791) : un signe de sa tête, et une heure perfide renverse en un moment les mortelles puissances.

IV. Ad Musam

Quocumque ire ferunt variae nos tempora vitae,   
tangere quas terras, quosque videre homines,   
dispeream, si te fuerit mihi carior alter.

Alter enim qui te dulcior esse potest? ?

cui iuveni ante alios divi divumque sorores   
cuncta, neque indigno, Musa, dedere bona, 
cuncta quibus gaudet Phoebi chorus ipseque Phoebus ?
doctior o quis te, Musa, fuisse potest ?   
O quis te in terris loquitur iucundior uno ?   
Clio nam certe candida non loquitur ?

Quare illud satis est, si te permittis amari :   
nam contra, ut sit amor mutuus unde mihi?  

IV A Musa. (792)

En quelque lieu que nous forcent d'aller les circonstances de la vie changeante, quelques terres qu'elles nous fassent toucher et quelques gens qu'elles nous fassent voir, que je meure (793) s'il est un homme au monde qui me fut plus cher que toi ! Et quel autre peut être plus que toi doux à mon coeur, toi à qui jeune encore et avant tous les autres, les dieux et les soeurs des dieux (794), à toi, Musa, qui en es si digne, ont donné tous les biens, tous ceux du moins qui plaisent et au choeur de Phébus (795) et à Phébus lui-même ! Qui peut, Musa, avoir été plus docte que toi ? Qui au monde parle plus suavement que toi ? N'est-ce la blanche Clio (796) qui parle par ta  bouche ? Aussi ce m'est assez que tu me permettes de t'aimer (797) ; car où saurai-je trouver des raisons de mériter de toi un amour réciproque?

V. Relictis omnibus prioribus studiis philsosophiam Epicuream amplectitur.

Ite hinc, inanes, ite, rhetorum ampullae,   
inflata rhoncho non Achaico verba ;  
et vos, Selique Tarquitique Varroque,   
scholasticorum natio madens pingui,   
ite hinc, inane cymbalon iuventutis ;   
tuque, o mearum cura, Sexte, curarum,   
vale, Sabine ; iam valete, formosi :

nos ad beatos vela mittimus portus,

magni petentes docta dicta Sironis,  
vitamque ab omni vindicabimus cura.   
Ite hinc, Camenae, vos quoque ite iam sane,   
dulces Camenae (nam fatebimur verum,   
dulces fuistis), et tamen meas chartas   
revisitote, sed pudenter et raro.  

V. Le poète dit adieu à tous ses travaux antérieurs pour embrasser la Philosophie d'Epicure.

Loin d'ici, ampoules vaines des rhéteurs, expressions boursouflées (798) dont le style ronflant n'a rien d'archaïque (799), et vous, Sélius (800), Tarquitius (801), Varron (802), race de déclamateurs (803) humide d'empâtement, loin d'ici, vaine cymbale (804) de la jeunesse (805), et toi, ô Sextus, Sinus (806), souci de mes soucis (807), adieu ! A jamais adieu, beaux amis ! Nous mettons les voiles pour un port fortuné (808), nous allons entendre les doctes préceptes du grand Siron (809), et nous libérons notre vie de tout souci (810), Loin d'ici, Camènes (811), vous aussi à jamais adieu, douces Camènes (car nous avouerons la vérité, douces vous me fûtes) et pourtant rendez encore visite à mes écrits, mais avec discrétion et rarement.

VI. In Atilium et Noctuinum

Socer, beate nec tibi nec alteri,  
generque Noctuine, putidum caput,  
tuoque nunc puella talis et tuo  
stupore pressa rus abibit ? ei mihi !

Ut ille versus usquequaque pertinet :  
"gener socerque, perdidistis omnia". 

VI.  Contre Atilius et Notuin (812).

Beau-père qui ne fais le bonheur ni de toi-même ni d'autrui (813), et toi, Noctuin (814) son gendre, tête puante (815), victime de votre stupidité double, une belle pareille (816) va donc partir pour la campagne (817) ! Hélas ! quel malheur pour moi ! En quelque sens qu'on entende le vers fameux : "Gendre et beau-père, vous avez tout perdu (818) !"

VII. Ad Varium

Si licet, hoc sine fraude, Vari dulcissime, dicam : dispeream, nisi me perdidit iste potus.
Sin autem praecepta vetant me dicere, sane  
non dicam, sed me perdidit iste puer.

VII.  A Varius (819). 

S'il m'est permis de le dire sans pécher contre les règles (820), mon très cher Varius : que je meure (821), si ce gosse (822) ne m'a pas fait perdre la tête (823) ! Mais si les règles m'empêchent de parler ainsi, c'est bon, je ne le dirai pas. Mais tout de même cet enfant m'a fait perdre la tête.

VIII. Ad Sironis villam

Villula, quae Sironis eras, et pauper agelle,
verum illi domino tu quoque divitiae,

me tibi, et hos una mecum, quos semper amavi,
si quid de patria tristius audiero,  
commendo, in primisque patrem ; tu nunc eris illi 

Mantua quod fuerat quodque Cremona prius. 

VIII.  A la villa de Siron (824).

Maisonnette qui appartenais (825) à Siron, et toi, petit champ bien pauvre en vérité, mais qui fus pour ton maître illustre un trésor, je me recommande à toi, moi et avec moi ceux que j'ai toujours aimés (826), si je viens à entendre de tristes récits sur ma patrie (827), - et surtout je te recommande mon père (828). C'est toi maintenant qui seras pour lui ce qu'avaient été jadis et Mantoue et Crémone (829).

IX. Ad M. Velerium Messalam Corvinum.

Pauca mihi, niveo sed non incognita Phoebo,  
pauca mihi, doctae, dicite, Pegasides.  
Victor adest, magni magnum decus ecce triumphi,  
victor qua terrae, quaque patent maria,  
horrida barbaricae portans insignia pugnae,           5

magnus ut Oenides, utque superbus Eryx,  
nec minus idcirco vestros expromere cantus  
maximus, et sanctos dignus inire choros.  
Hoc itaque insuetis iactor magis, optime, curis,  
quid de te possim scribere quidve tibi ;                 10

namque (fatebor enim) quae maxima deterrendi  
debuit, hortandi maxima causa fuit.  
Pauca tua in nostras venerunt carmina chartas,  
carmina cum lingua tum sale Cecropio,  
carmina quae Phrygium, saeclis accepta futuris,     15

carmina quae Pylium vincere digna senem.  
Molliter hic viridi patulae sub tegmine quercus  
Moeris pastores et Meliboeus erant,  
dulcia iactantes alterno carmina versu,

qualia Trinacriae doctus amat iuvenis.                   20

certatim ornabant omnes heroida divi,
certatim divae munere quoque suo.  
Felicem ante alias o te scriptore puellam !  
Altera non fama dixerit esse prior :

non illa, Hesperidum ni munere capta fuisset,        25

quae volucrem cursu vicerat Hippomenen,

candida cycneo non edita Tyndaris ovo,

non supero fulgens Cassiopea polo,

non defensa diu et multum certamine equorum, 
optabant gravidae quam sibi quaeque manus,        30

saepe animam generi pro qua pater inpius hausit,  
saepe rubro pro qua sanguine fluxit humus ;  
regia non Semele, non Inachis Acrisione,
inmitti expertae fulmine et imbre Iovem ;
non cuius ob raptum pulsi liquere penates              35

Tarquinii patrios, filius atque pater,  
illo quo primum dominatus Roma superbos  
mutavit placidis tempore consulibus.  
Multa, neque inmeritis, donavit praemia alumnis,  
praemia Messallis maxima Poplicolis.                    40

Nam quid ego inmensi memorem studia ista laboris ?
Horrida quid durae tempora militiae ?  
Castra foro solitos, urbi praeponere castra, 
tam procul hoc gnato, tam procul hac patria ?
Immoderata pati iam frigora iamque calores ?        45
Sternere vel dura posse super silice ?  
Saepe trucem adverso perlabi sidere pontum ? 
Saepe mare audendo vincere, saepe hiemem ?  
Saepe etiam densos inmittere corpus in hostes,

communem belli non meminisse deum ?                 50

Nunc celeris Afros, periurae milia gentis,  
aurea nunc rapidi flumina adire Tagi ?  
Nunc aliam ex alia bellando quaerere gentem,  
vincere et Oceani finibus ulterius ?                        54
Non nostrum est tantas, non, inquam, attingere laudes;  quin ausim hoc etiam dicere: vix hominum est.  
Ipsa haec, ipsa ferent rerum monumenta per orbem,  
ipsa sibi egregium facta decus parient.

Nos ea, quae tecum finxerunt carmina divi,  
Cynthius et Musae, Bacchus et Aglaie.                   60

si laudi adspirare humili, si adire Cyrenas,  
si patrio Graios carmine adire sales  
possumus, optatis plus iam procedimus ipsis :  

hoc satis est ; pingui nil mihi cum populo.

 

A M. Valérius Messalla Corvinus (830).

Chantez-moi quelques vers (831), doctes Pégasides (832), quelques vers seulement, mais des vers qui ne soient pas désavoués par Phébus neigeux (833). Voici qu'arrive le vainqueur, magnifique ornement d'un magnifique triomphe (834), le vainqueur qui a vu s'ouvrir devant lui et les terres et les mers (835) ; portant les horribles dépouilles (836) de la lutte contre les Barbares (837), il rappelle le grand OEnide (838), il rappelle le superbe Eryx (839), et il n'est pas moins habile à exhaler vos chants (840) ni moins digne d'entrer dans vos choeurs sacrés (841). Et c'est précisément, ô sublime Messalla, pourquoi je passe par des transes inouïes : car que pourrais-je écrire de toi (842) et que pourrais-je t'écrire (843) ? Il est vrai, je vais t'en faire l'aveu (844), que c'est surtout ce qui devrait effrayer ma Muse qui l'enhardit surtout. Quelques vers de toi sont passés dans nos écrits (845), vers délicieux par l'idiome et par le sel de Cécrops (846), vers qui, accueillis pas les siècles futurs, sont dignes de vaincre en durée le Phrygien (847), vers qui sont dignes de vaincre le vieillard de Pylos (848). Ici, mollement, sous le verdoyant couvert d'un large chêne (849), reposaient les bergers Méris (850) et Mélibée (851), se renvoyant les doux chants au vers alterné (852) qu'aime le docte jeune homme de Trinacrie (853). Tous les dieux à l'envi ornaient ton héroïne de leurs présents, et chaque déesse à l'envi y joignait le sien. Heureuse entre toutes la jeune fille (854) célébrée par un écrivain tel que toit ! Aucune autre n'aura (855) pu se vanter de la surpasser en renommée : ni celle qui, si elle n'avait été trompée par le présent des Hespérides, allait vaincre à la course 
le volant Hippomène (856) ; ni la blanche Tyndaride éclose de l'oeuf du cygne (857) ; ni Cassiopée, qui brille au haut de l'Empyrée (858) ; ni, longtemps défendue par la valeur des chevaux invincibles, que souhaitaient d'affronter des prétendants aux mains pleines, celle (859) pour qui un père impie fit perdre si souvent le souffle à un gendre, et pour qui si souvent le sol d'Elide baigna dans les flots d'un sang rouge (860) ; ni la royale Sémélé (861), ni l'Inachide fille d'Acrisios (862), qui connurent Jupiter sous la forme impitoyable de la foudre et de la pluie ; ni celle dont le rapt fut cause (863) que les Tarquins expulsés, le père comme le fils, abandonnèrent les Pénates paternels au temps où Rome échangea leur superbe (864) domination pour les calmes consuls. Elle donna, et non sans qu'ils l'eussent mérité, de nombreuses récompenses à ses enfants (865) ; elle donna de très hautes récompenses aux Messalla Poplicola (866). Car est-ce à moi qu'il appartient de rappeler cette passion que tu eus pour un immense labeur ? les temps horribles (867) d'un service guerrier ? De rappeler les camps, les clairons préférés au forum (868), les camps préférés à la Ville, si loin de ce fils (869), si loin de cette patrie ? De rappeler soit les tempêtes énormes, soit les chaleurs énormes que tu as supportées, ou encore que tu as pu te coucher sur de durs cailloux ? les flots farouches souvent traversés malgré les astres hostiles (870)? la mer, à force d'audace, souvent vaincue, la tempête souvent vaincue ? l'élan qui te jeta souvent même au plus épais des phalanges ennemies, sans craindre le dieu commun so de la guerre (871)? cette façon d'affronter tantôt les agiles Africains (872) et des milliers d'hommes de cette nation parjure (873), tantôt les flots d'or du Tage rapide (874) ? de passer en guerroyant d'un pays dans un autre, et de vaincre au delà des confins de l'Océan (875) ? Ce n'est point à nous, dis-je, de toucher à de si grandes louanges ; et j'oserais même le dire, c'est à peine la tâche d'un mortel. Ce sont tes exploits eux-mêmes, oui, tes exploits eux-mêmes qui porteront à travers le monde le souvenir de tes mérites ; ce sont tes exploits eux-mêmes qui se créeront un titre insigne de gloire.
Pour nous, si nous pouvons, dans notre humilité, donner quelques louanges aux poèmes que t'ont inspirés les dieux, le Cynthien (876) et les Muses, Bacchus et Aglaé (877) ; si nous pouvons dans un Poème national (878) aborder Cyrènes (879) et les saillies grecques (880), nous faisons déjà un plus grand pas que nous-mêmes nous ne l'espérions. C'en est assez : je n'ai rien de commun avec le peuple épais (881).

X. De Sabino (parodia Catulliana)

Sabinus ille, quem videtis, hospites,  
ait fuisse mulio celerrimus,  
neque ullius volantis inpetum cisi  
nequisse praeterire, sive Mantuam  
opus foret volare, sive Brixiam.                 5
Et hoc negat Tryphonis aemuli domum  
negare nobilem insulamve Caeruli,  
ubi iste, post Sabinus, ante Quinctio,  
bidente dicit attodisse forcipe  
comata colla, ne Cytorio iugo                   10

premente dura vulnus ederet iuba.  
Cremona frigida, et lutosa Gallia,  
tibi haec fuisse et esse cognitissima,  
ait Sabinus : ultima ex origine  
tua stetisse dicit in voragine,                  15

tua in palude deposisse sarcinas,  
et inde tot per orbitosa milia  
iugum tulisse, laeva sive dextera  
strigare mula sive utrumque ceperat.  
.......
neque ulla vota semitalibus deis               20

sibi esse facta praeter hoc novissimum,

paterna lora proximumque pectinem.   
sed haec prius fuere : nunc eburnea   
sedetque sede seque dedicat tibi,   
gemelle Castor, et gemelle Castoris.  

X.  Sur Sabinus (882) (parodie de Catulle (883).

Le Sabinus que vous voyez, passants (884), était, dit-il, le muletier le plus rapide, et jamais char au vol impétueux ne pouvait le dépasser, qu'il fût besoin de voler à Mantoue ou à Brixia (885). Et il affirme n'être démenti par la fameuse maison Tryphon (886) ni par l'hôtel Cérule (887), où le Sabinus d'aujourd'hui, qui autrefois s'appelait Quinction (888), commença, armé du fer à deux dents, par tondre des encolures chevelues, pour empêcher que, froissée par le joug du Cytore (889), la dure crinière des chevaux ne reçût des atteintes. O froide Crémone, ô boueuse Gaule (890), vous avez su, vous savez tout cela parfaitement : Sabinus l'affirme ! Il dit que de père en fils il a barboté dans ton gouffre, déchargé des bagages (891) dans tes marais, conduit son attelage le long de ta route milliaire tout encombrée d'ornières, gouvernant ses mules de la main gauche ou de la droite, ou parfois même des deux mains... Et jamais il ne s'avisa de faire des voeux aux dieux des sentiers (892), hormis le jour où il leur dédia son patrimoine (893) : ses rênes et l'étrille qui les accompagne. Mais cela, c'est pour le passé : pour le présent, il siège sur un siège d'ivoire (894), et il se dédie en personne à toi, jumeau Castor et jumeau de Castor (895)

XI. De Octavii morte

Quis deus, Octavi, te nobis abstulit ? an quae  
dicunt, an nimio pocula dura mero ?  
«Vobiscum, si est culpa, bibi ! sua quemque sequuntur  
fata : quid inmeriti crimen habent cyathi ?»  
Scripta quidem tua nos multum mirabimur, et te  
raptum et Romanam flebimus historiam.  
Sed tu nullus eris ! Perversi, dicite, Manes,  

hunc superesse patri, quae fuit invidia ?

XI.  Sur la mort d'Octavius  (896)

Quel dieu (897), Octavius, t'a enlevé à nous ? Ou plutôt, si ce qu'on dit est vrai, quelles coupes cruelles de trop de vin remplies (898) - Mais c'est avec vous, si c'est là une faute, que j'ai bu ! chacun suit son destin (899) : en quoi des bouches (900) innocentes sont-elles coupables ? - Va, Octavius, nous admirerons beaucoup tes écrits, et nous pleurerons ta perte (901) et celle de ton histoire romaine (902). Mais toi, tu ne seras plus 1 Pervers Mânes, dites-nous quelle jalousie (903) vous eûtes de le voir survivre à son père (904)

XII. In Noctuinum

Superbe Noctuine, putidum caput,  
datur tibi puella quam petis, datur ;  
datur, superbe Noctuine, quam petis.  
Sed, o superbe Noctuine, non vides  
duas habere filias Atilium ?  
Duas, et hanc et alteram, tibi dari ?  
Adeste nunc, adeste : ducit, ut decet,  
superbus ecce Noctuinus hirneam.  

Thalassio ! Thalassio ! Thalassio !

XII.  Contre Noctuin (905).

Superbe Noctuin, tête puante (906), on te donne la belle que tu demandes, on te la donne : on te donne, superbe Noctuin, celle que tu demandes. Mais, ô superbe Noctuin, ne vois-tu pas qu'Atilius (907) a deux filles (908), oui, deux, et que l'une et l'autre te sont données. Arrivez, maintenant, arrivez (909) : voici que, comme il sied, le superbe Noctuin épouse... une bouteille. Thalassio ! Thalassio ! Thalassio (910) !

XIII.  In Luccium

Iacere me, quod alta non possim, putas,  
ut ante, vectari freta,  
nec ferre durum frigus aut aestum pati,  
neque arma victoris sequi.
Valent, valent mihi ira et antiquus furor         5
et lingua qua adsim tibi :
et prostitutae turpe contubernium  
sororis (o quid me incitas,  
quid, inpudice et inprobande Caesari ?)
seu furta dicantur tua                                  10
et helluato sera patrimonio  
in fratre parsimonia,  
vel acta puero cum viris convivia
udaeque per somnum nates
et inscio repente clamatum insuper  :            15
"Thalassio ! Thalassio ! "
Quid palluisti, femina ? an ioci dolent ?  
An facta cognoscis tua ?  
Non me vocabis, pulchra, per Cotyttia  
ad feriatos fascinos,                                     20
nec deinde te movere lumbos in catula
prensis videbo altaribus,  
flavumque propter Thybrim olentis nauticum  
vocare, ubi adpulsae rates  
stant in vadis caeno retentae sordido             25  
macraque luctantes aqua ;  
neque in culinam et uncta compitalia  
dapesque duces sordidas,  
quibus repletus et salivosis aquis  
obesam ad uxorem redis                               30
et aestuantes dote solvis pantices
hos usque lambis saviis.  
Nunc laede, nunc lacesse, si quidquam vales !
Et nomen adscribo tuum.
Cinaede Lucci, iamne liquerunt opes              35
fameque genuini crepant ?  
Videbo habentem praeter ignavos nihil  
fratres et iratum Iovem  
scissumque ventrem et hirneosi patrui  
pedes inedia turgidos.                                   40

XIII.  Contre Luccius (911).

Je suis à bas, penses-tu, parce que je ne puis pas, comme autrefois, courir les mers, ni braver les durs frimas ou endurer les feux du jour, ni suivre les armes du vainqueur (912). J'ai, crois-le bien, j'ai encore toute ma colère, toute mon ancienne fureur, et ma langue tout entière pour te servir, - sans compter la liaison infâme de la prostituée qu'est ta soeur (913) ! Oh ! pourquoi me provoques-tu, pourquoi, impudique et digne de la réprobation de César (914) comme tu l'es ? Tu veux donc qu'on parle de tes vols, de la tardive économie où tu en fus réduit à l'égard de ton frère quand tu eus englouti ton patrimoine, des festins où tu allais t'asseoir enfant avec des hommes faits (915), de tes cuisses mouillées pendant ton sommeil et de ces cris en outre qui te réveillaient soudain en sursaut : "Thalassio ! Thalassio (916) ! " Pourquoi as-tu pâli, femme (917)? Ces plaisanteries te blessent-elles ? Reconnaistu là tes hauts faits ? Va, ce n'est pas moi que tu attireras : parmi tes belles Cotyties (918), à des fênes (919) en fête (920) ! Je ne te verrai pas ensuite mouvoir tes flancs (921) dans une robe de femme, en étreignant l'autel (922), ni appeler au bord du Tibre jaune (923) des gens qui sentent la marine (924), là où ont accosté les barques, retenues par une boue sale sur les bas-fonds (925) et luttant contre de maigres eaux (926). Tu ne m'emmèneras pas non plus à ta gargote, aux graisseuses Compitalies (927), aux sales banquets, d'où tu t'en retournes, repu, auprès de ton épouse obèse et hydropique, pour besogner savamment ses tripes fumantes, et la lécher partout de tes baisers. Attaque-moi maintenant, harcèle-moi, si tu en as la force (928), - et je te nomme en toutes lettres (929). Cinède (930) Luccius, déjà tes richesses ont fondu (931) et tes mâchelières claquent de faim. Oui, je te verrai n'ayant plus rien que des frères (932) paresseux, Jupiter en colère contre toi (933), le ventre fendu (934), et les pieds turgides d'inanition (935) de ton oncle le herniaire (936) !

XIV. Ad Venerem

Si mihi susceptum fuerit decurrere munus,  
o Paphon, o sedes quae colis Idalias,  
Troius Aeneas Romana per oppida digno  
iam tandem ut tecum carmine vectus eat,  
non ego ture modo aut picta tua templa tabella      5
ornabo, et puris serta feram manibus :  
corniger hos aries humilis et maxima taurus  
victima sacratos sparget honore focos,  
marmoreusque tibi cum mille coloribus ales  
in morem picta stabit Amor pharetra.                  10
Adsis o Cytherea ! tuus te Caesar Olympo  

et Surrentini litoris ara vocat.

XVI.  A Vénus (937)

Si j'ai le bonheur de fournir la carrière que je cours, ô déesse qui habites Paphos (938) et le séjour d'Idalie (939), si mon Troyen Enée (940) vogue enfin avec toi par les cités romaines (941) porté par un chant digne de vous (942), je ne me contenterai pas d'orner ton temple d'encens et de tableaux (943), ni de t'apporter des guirlandes dans mes mains pures : un bélier cornu, humble victime, et un taureau, la plus grande de toutes (944), teindront de leur offrande tes foyers consacrés, et pour toi un Amour ailé (945), marmoréen ou multicolore (946), se dressera selon la coutume, avec un carquois bariolé (947). Puisses-tu m'assister, ô Cythérée (948) ! De l'Olympe où tu es, t'appellent ton César (949) et l'autel du rivage Sorrentin (950).

XV. Ad lectorem

Vate Syracosio qui dulcior, Hesiodoque  
maior, Homereo non minor ore fuit,  
illius haec quoque sunt divini elementa poetae,  

et rudis in vario carmine Calliope.

 XV.  Au lecteur.

Voici encore (951) les premiers poèmes (952) du divin poète (953) qui fut plus doux (954) que le chantre de Syracuse (955) et plus grand (956) qu'Hésiode, et dont la voix ne fut pas inégale à celle d'Homère (957) ; voici, en des mètres variés (958), sa Calliope (959) qui s'ébauche (960).

XVI.  Epitaphium

Callida imago sub hac sede est iniuria caeli !
Antiquis, hospes, non minor ingeniis,  
et quo Roma viro doctis certaret Athenis :

Ferrea sed nulli vincere fata datur !

XVI.  Épitaphe (961).

Ci-gît, passant, une ombre experte (962), preuve de l'injustice du ciel (963), l'égale en génie des anciens (964), - l'ombre d'un homme par qui Rome pouvait rivaliser avec la docte Athènes (965) : mais les destins sont de fer (966), et il n'est donné à personne de les vaincre (967).

774. Tucca... Plotius Tucca compte avec L. Varius Rufus parmi les plus chers compagnons de la jeunesse de Virgile. Le poète l'inscrira avec Varius parmi ses héritiers, et c'est lui et Varius que l'empereur Auguste chargera d'assurer la publication posthume de l'Enéide.

775. Celle dont je t'ai souvent parlé... Le poète tait par discrétion le nom de son amie.

776. Ce qu'on ne peut toucher est bien loin... Locution proverbiale. C'est notre :
"Tout bonheur que la main n'atteint pas n'est qu'un rêve."  Ovide, Am., I, 4, 3-4, oppose aussi la vue et le toucher :
Ergo ego dilectam tantam conviva puellarn 
Adspiciam, tangi quem jouet alter erit.

777. A l'homme pour qui elle est de retour... A son mari.

778. T. Annius Cimber... T. Annius CimbeT, fils de l'affranchi Lysidicus, exerçait à Rome la profession de rhéteur. Cicéron le nomme deux fois dans ses Philippiques (XI, 14 ; XIII, 12) et Suétone le mentionne parmi les maîtres préférés d'Antoine, un maître qui affectait volontiers l'archaïsme, cf. Vie d'Auguste, LXXXVI.

779. Amateur de mots corinthiens... Comme on dit "amateur de vases corinthiens" ; par "mots corinthiens", il faut entendre sans doute des mots hybrides, empruntés à divers dialectes, de même que les vases de Corinthe passaient pour être faits d'un amalgame de métaux divers.

780. Parfait Thucydide... Thucydide était un des modèles favoris des atticistes.

781. Tyran de la fièvre attique... C.-à-d. chef de la folle coterie des atticistes.

782. A préparé pour son frère cette mixture de mots... Allusion cinglante au crime commis par Cimber qui empoisonna son frère, d'où le jeu de mots de Cicéron (l. c., note 778) sur le Cimbre qui a tué le Germain (Germanum Cimber occidit) [ou Cimber qui a tué son frère] et l'ironique épithète de "philadelphe" qu'il applique à Cimber.

783. Le thau gaulois... Allusion probable à la lettre ajoutée par les Gaulois à l'alphabet latin et qui figurait "une sorte de dentale aspirée analogue au thêta grec et au th anglais". Cf. Jullian, Hist. de la Gaule, II, p. 375. Fils d'un affranchi grec, T. Annius Cimber, comme l'indique son surnom, avait dans les veines du sang timbre ou gaulois, et sans doute la prononciation barbare due à son origine.

784. Le min et le psin... Le min, c.-à-d. la forme ionienne min pour autên, et le psin, c.-à-d. la forme dorienne pour sphin.

785. Le "Malheur à lui !"... Formule d'exécration qui entrait dans les recettes des magiciens et des empoisonneurs : c'est une imprécation lancée par Cimber contre son frère.

786. Un trône puissant... Le trône de Macédoine.

787. Porté plus haut que les séjours du ciel... Hyperbole pour dire : mis au-dessus des dieux mêmes.

788. Il t'apportait, ô Rome, une lourde servitude... Allusion aux projets occidentaux d'Alexandre. Cf. Lucain, Phars., X, 39-40  :
Isset in occasus, mundi devexa secutus
Ambissetque polos Nilumque a fonte bibisset...
"II fût allé jusqu'à l'occident en suivant le versant du monde (c.-à-d. en passant par les antipodes) ; il eût fait le tour des pôles et eût bu à la source du Nil."

789. Tout le reste du monde était tombé... Expression virgilienne, cf. En., XI, 245 : concidit Ilia tellus.

790. Pour l'exil... Pour la terre d'Egypte, où, à Memphis, loin de son royaume natal, fut enseveli Alexandre.

791. La déesse... Ce mot désigne sans doute la Fortune ou la Parque.

792. Musa... Ce Musa est-il l'Antonius Musa, médecin d'Auguste, comme l'ont cru Scaliger, Burmann et Benoist ? ou ne serait-ce plutôt l'Octavius Musa, citoyen de Mantoue, qui, au moment du partage des terres entre les vétérans, fut chargé à Mantoue du travail d'arpentage sous la direction du gouverneur Varus (41 av. J.-C.) ? Voir notre Notice.

793. Que je meure... Expression de Catulle, XCII, 2.

794. Les soeurs des dieux... Les déesses.

795. Au choeur de Phébus... Aux Muses. Cf. Virgile, Buc., V I, 66.

796. La blanche Clio... La Muse de l'Histoire, qualifiée de blanche (candida), comme les déesses, les nymphes, les héroïnes le sont dans Virgile : candida dea (En., VIII, 608) ; candida Naïs (Buc., II, 46) ; candida Dido (En., V, 571).

797. Ce m'est assez que tu me permettes de t'aimer... Catulle (LXV III, 147-148) dit de même :
...illud satis est, si nobis is datur unus,
Quem lapide illa diem candidiore notat.

"Il nous suffit d'obtenir d'elle un jour, un seul jour, qu'elle marque d'une pierre blanche."

798. Boursouflées... C'est le terme même dont se sert Quintilien (Inst. Orat., XII, 10, 16) pour désigner l'éloquence asiatique : inflati illi [Asiatici] et inanes

799. Rien d'achaïque... Rien de grec, rien d'attique.

800. Sélius... On ne sait rien de ce Sélius. Certains lisent Stilo et croient qu'il s'agit du grammairien L. Aelius Stilo Praeconinus, de la génération antérieure à celle de Virgile.

801. Tarquitius... Sans doute l'historiographe Tarquitius Priscus, auteur d'ouvrages religieux et notamment d'un livre sur la science étrusque.

802. Varron... Peut-être le fameux érudit M. Terentius Varron, le plus savant des hommes de son temps.

803. De déclamateurs... De rhéteurs.

804. Vaine cymbale... Allusion au style creux des rhéteurs. C'est ainsi que Pline (H. N., Préf., 25) appelle le grammairien Apion "cymbale du monde" cymbalum mundi.

805. De la jeunesse... De la jeunesse qui suit leur enseignement creux et vide.

806. Sextus Sabinus... Sans doute Sextus Clodius Sabinus, qui enseigna aussi la rhétorique à Antoine et auquel Cicéron accorde beaucoup d'esprit et un grand charme (Ad Attic., IV, 15, 2 ; Philipp., II, 42).

807. Souci de mes soucis... C.-à-d. mon maître de prédilection, dans le même sens que Malherbe écrit :
Beauté, mon beau souci ....

808. Pour un port fortuné... La philosophie est souvent comparée par les écrivains à un havre sûr. Cf. Cicéron, Ad Fam.. VII, 31 : se in philosophiae portum conferre.

809. Sinon... Le philosophe épicurien Sinon, qui passe pour avoir été le maure de Virgile et de qui celui-ci tiendrait la théorie atomistique sur la formation du monde qu'il a exposée dans la VIe de ses Bucoliques.

810. De tout souci... C'est la formule de l'ataraxie épicurienne.

811. Camènes... Naïades romaines souvent identifiées avec les Muses grecques ; et auxquelles, en souvenir de l'une d'elles, Egérie, le roi Numa avait dédié un temple de bronze.
Les anciens poètes latins, Livius Andronicus, Naevius, puis les poètes de l'époque impériale se sont servis du nom de Camenae pour remplacer le nom des Muses. Livius Andronicus commence son poème par :
Virum mihi, Camena, insece versutum.
Macrobe, Somn. Scip., II, 3, 4, donne le mot pour étrusque :
Etrusci Musas Camenas quasi Canenas a canendo dixerunt  "Les Etrusques nommèrent les Muses Camènes, déformation de Canènes, de canere (chanter)".

812. Atilius et Noctuin... On ne sait rien des personnages de ce petit roman. Certains critiques ont supposé que Noctuin serait Antoine et Atilius son oncle paternel C. Antonius Hybrida, dont il épousa en secondes noces la fille, Antonia, qu'il répudia pour épouser en troisièmes noces Fulvie. D'autres, trouvant au Corpus la mention fréquente des Atilii dans la région de Côme, pensent que les personnages ici raillés sont des Cisalpins. Ces suppositions sont extrêmement fragiles et presque gratuites.

813. Beau-père qui ne fais le bonheur ni de toi-même ni d'autrui... Atilius fait son propre malheur par son ivrognerie qui le ruine, et il fait celui d'autrui parce qu'il a marié sa fille ridiculement.

814. Noctuin... Si le nom de Noctuin est un nom d'emprunt, il est sans doute formé sur Noctua, "oiseau de nuit", et désigne un homme qui se plaît aux orgies nocturnes. Cf. note 812.

815. Tête puante... L'épithète "puante" (putidus) s'emploie pour désigner soit des moeurs ignobles, soit la sotte vanité. Cf. Catulle, P., XLII, 11v ; XCVIII, 1 ; Cicéron, De Orat., XXVII. - Calvus applique l'expression "tête puante" à Tigellius : Sardi Tigelli putidum caput venit.

816. Une belle pareille... La fille d'Atilius.

817. Partit pour la campagne... Soit pour y cacher son déshonneur, ayant été en butte (pressa) aux assiduités de son beau-père et de son mari, soit pour y pouvoir vivre moins difficilement, se trouvant ruinée par leurs excès. 

818. Le vers fameux : "Gendre et beau-père, nous avez tout perdu !"... C'est le vers de Catulle, P., XXIX, 24, appliqué à César et à Pompée, son gendre, qui ont laissé l'infâme Marmurra dilapider les revenus des provinces, et ici à Atilius et à Noctuin, son gendre, qui ont ruiné (moralement ou matériellement, voir note précédente) la vie de leur fille et de leur femme, et, en l'obligeant à partir pour la campagne, ruiné aussi les amours du poète.
Il faut remarquer toutefois qu'en citant le vers de Catulle : Socer generque perdidistis omnia ! l'auteur de l'épigramme intervertit les facteurs ; gener socerque perdidistis omnia, soit parce qu'il en veut surtout au gendre, Noctuin, soit parce qu'il cite le vers de mémoire et inexactement.

819. Varius... Varius, sans aucun doute l'ami de Virgile dont il est question dans la IXe Bucolique (v. 35), et qui introduisit Horace auprès de Mécène, cf. Sat., I, 6, 54-55.

820. Les règles... Les règles de la métrique ou de la grammaire Cf. note 822.

821. Que je meure... Cf. note 793.

822. Ce gosse... Le mot potus ne se trouve qu'ici. Est-ce un doublet de putus "gosse", de même qu'on a poppus et pupus, poppa et pupa, popillus et pupillus ? ou une forme latinisée du grec pothos "désir, objet du désir" ? Dans le premier cas, le poète emploierait le mot contre les règles de la métrique, car l'o de polos est long ; dans le second cas, il emploierait un mot étranger, contre les lois du purisme grammatical.
Il convient d'observer que le poète dit potus iste, "ce gosse que tu connais bien", peut-être parce que l'esclave ainsi désigné appartenait à Varius, ou que Varius aussi en faisait ses délices, ou peut-être encore parce que Varius en avait fait présent au poète.

823. Fait perdre la tête... Rendu follement amoureux. Cf. Catulle, Poé., CIV, 3 :
Nec potui nec, si possem, tam perdite amarem.
"Je n'ai pu (médire d'elle) et, si je le pouvais, je ne l'aimerais pas à en perdre la tête. "et Virgile, En., IV, 541 :
... Nescis, heu ! perdita
"Tu ne le sais pas, hélas ! ayant perdu la tête ..."

824. Siron... Cf. note 809.

825. Qui appartenais... Siron était-il mort à la date où le poète écrit cette épigramme ? Ou bien avait-il vendu, ou loué, ou prêté sa petite maison au poète ? On ne peut que faire ces suppositions sans prendre parti.

826. Ceux que j'ai toujours aimés... Sans doute les parents, le frère, les serviteurs du poète. Voir notre Notice.

827. Si je viens à entendre de tristes récits sur ma patrie... Vers obscur, où le poète semble dire qu'il ne s'établira à demeure dans la maison de Siron que si les nouvelles de son pays sont mauvaises : on y voit généralement une allusion au partage des terres menaçant.

828. Mon père... Parce que ce père est âgé sans doute. Si Virgile est l'auteur de l'épigramme, on peut voir dans cette recommandation particulière un égard pour son vieux père aveugle. Cf. Donat, Comm., 14.

829. Ce qu'avaient été jadis et Mantoue et Crémone... Certains éditeurs, comme Birt et nous-même, font porter prius sur toute la proposition ; d'autres sur Cremona seulement : "ce qu'avait été pour lui Mantoue, et, auparavant, Crémone". Si l'on en croit Donat, Virgile, né à Andes, habita bien Crémone (de 70 à 55) avant Mantoue (de 55 à 40), mais il est peu probable que le poète tienne à marquer ici l'antériorité du premier séjour.

830. M. Valérius Messalla Corvinus... Voir notre Notice.

831. Peu de vers... On songe, pour le mouvement du vers et pour l'idée, au vers célèbre de la Xe Bucolique :
Pauca meo Gallo, sed quae legat ipsa Lycoris.

832. Pégasides... Les Muses, à qui est consacrée la fontaine d'Hippocrène, que fit jaillir Pégase. Cf. Ovide, Hér., XV, 27 :
At mihi Pegasides blandissima carmina dictant.
"Mais les Pégasides me dictent mes plus doux chants."

833. Phébus neigeux... Ainsi voyons-nous Properce qualifier Adonis de "neigeux" niveus (El., II, 13, 53) et Virgile (En., XI, 39) appliquer la même épithète à Pallas. Cf. note 796.

834. Le vainqueur, magnifique ornement d'un magnifique triomphe... Allusion à la victoire de Messalla sur les Aquitains et au triomphe qui lui fut décerné (27 av. J.-C.).

835. Et les terres et les mers... Messalla commandait une partie de la flotte d'Octave à Actium et prit une part importante à la victoire. Cf. Tibulle, El., I, 1, 53 :
Te bellare decet terra, Messalla, marique.

836. Les horribles dépouilles... Ce mot désigne le butin et les ornements du triomphe.

837. Les Barbares... Les Aquitains.

838. Le grand Oenide... Diomède, descendant d'Oenus, qu'Enée appelle "le plus brave des Danaens" (En., I, 96). 

839. Le superbe Eryx... Eryx, fils de Butès et de Vénus, fut roi d'un canton de Sicile appelé Erycie. Fier de sa force prodigieuse et de sa réputation au pugilat, il défiait au combat ceux qui se présentaient chez lui, et tuait le vaincu. Il osa même s'attaquer à Hercule qui venait d'arriver en Sicile. Le prix du combat fut d'un côté les boeufs de Géryon, et de l'autre le royaume d'Eryx, qui fut d'abord choqué de la comparaison, mais qui accepta l'offre lorsqu'il sut qu'Hercule perdrait, avec ses boeufs, l'espérance de l'immortalité. Il fut vaincu et enterré dans le temple dédié à Vénus, sa mère.

840. Vos chants... Les chants des Muses Pégasides. - Allusion aux oeuvres poétiques de Messalla, dont il ne reste rien.

841. Vos choeurs sacrés... Les choeurs des Muses. Cf. note précédente.

842. Que pourrais-je écrire de toi ?... Le poète est embarrassé par le choix, entre tous les talents de Messalla.

843. Que pourrais-je t'écrire ?... Le poète est embarrassé pour écrire un poème digne de Messalla, qui est un connaisseur.

844. Je vais t'en faire l'aveu... Parenthèse virgillenne, cf. Buc., I, 32 ; En., IV, 20.

845. Quelques vers de toi sont passés dans nos écrits... Le poète a fait passer dans ses vers latins quelques-uns des vers grecs de Messalla.

846. Par l'idiome et par le sel de Cécrops... Par la qualité de leur langue - la langue grecque - et par leur sel attique.

847. Le Phrygien... Priam ou son frère Tithon, célèbres l'un et l'autre par leur longévité. Cf. Priapées, LVII, 2-3 :
Potuisset esse nutrix Tithoni Priamique Nestorisque.
"Elle aurait pu être la nourrice de Tithon, de Priam et de Nestor."

848. Le vieillard de Pylos... Nestor, cf. note 847.

849. Mollement, sous le verdoyant couvert d'un large chêne... On pense aux premiers vers de la 1ère Bucolique :
Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi, etc.

850. Méris... Nom de berger qu'on trouve dans les VIIIe et IXe Bucoliques.

851. Mélibée... Nom de berger qu'on trouve dans les Ire, IIIe, VII' Bucoliques.

852. Les deux chants au vers alterné... Cf. Virgile, Buc., VII, 18  :
Alternis igitur contendere versibus ambo 
Coepere...

853. Le docte jeune homme de Trinacrie... Le docte Théocrite qui met en scène dans ses Idylles des bergers de Sicile ou Trinacrie, cf. note 647.

854. Heureuse entre foutes la jeune fille... Expression virgilienne. Cf. En., II, 321 :
O felix una ante alias Priameia virgo !

855. Celle... Atalante.

856. Qui, si elle n'eût été trompée par le présent des Hespérides, allait vaincre à la course le volant Hippomène... Allusion à la victoire d'Hippomène, qui, en jetant un à un les fruits d'or que lui avaient donnés les trois soeurs Hespérides (Eglé, Aréthuse et Hyperéthuse) vainquit à la course l'invincible Atalante qui s'arrêtait pour les ramasser, et dont il eut la main en récompense de sa victoire. Cf. Properce, El., I, 1, 10 ; Pétrone, Poé., LXIV, 1.

857. La blanche Tyndaride éclose de l'oeuf du Cygne... Hélène, fille de Léda, femme de Tyndare, naquit avec son frère Pollux de l'oeuf divin fécondé par Jupiter changé en cygne, tandis qu'un autre veuf produit en même temps donnait le jour à Castor et à Clytemnestre, considérés comme issus de Tyndare. Sur l'épithète "blanche", cf. note 796.

858. Cassiopée, qui brille au haut de l'Empyrée... Cassiopée, femme du roi éthiopien Céphée, mère d'Andromède, belle-mère de Persée, fut placée au ciel parmi les constellations septentrionales (d'où l'expression "qui brille au haut de l'Empyrée") en même temps que Persée, Andromède et Céphée.

859. Celle... Hippodamie, fille d'OEnomaüs, roi de Pise, avait été promise en mariage par son père à celui qui le vaincrait à la course des chars, le vaincu devant payer de sa mort sa défaite. Possédant un char et des chevaux rapides conduits par Myrtile, le plus habile des écuyers OEnomaüs ne doutait pas d'être toujours vainqueur. S'il mettait une condition si dure au mariage de sa fille, c'est qu'au oracle lui avait annoncé que son gendre serait cause de sa mort, et il voulait se défaire de tous les prétendants. Mais grâce à la complicité de Myrtile, qui scia en partie l'essieu du char d'OEnomaüs Pélops vainquit celui-ci, dont le char se fracassa en le tuant dans sa chute.

860. Pour qui si souvent le sol d'Elide baigna dans les flots d'un sang rouge... Treize prétendants à la main d'Hippodamie avaient péri et rougi de leur sang le sol de l'Elide, quand Pélops triompha.

861. La royale Sémélé... Sémélé, fille du roi thébain Cadmus, que Jupiter séduisit en prenant l'apparence de la foudre.

862. L'Inachine fille d'Acrisios... Danaé, telle d'Acrisios, arrière-petite-fille d'Inachos, que Jupiter séduisit en prenant la forme d'une pluie d'or. Cf. note 663.

863. Celle dont le rapt fut cause, etc... Lucrèce, fille du préfet de Rome Lucretius et femme de Collatin, qui contrainte par Sextus Tarquin son hôte et l'ami de son mari, de subir les derniers outrages, le dénonça le lendemain à son mari, en présence de Junius Brutus, puis se poignarda pour ne pas survivre à sa honte. Junius Brutus s'emparant du poignard sanglant courut au Forum, souleva le peuple et prononça la déchéance de la dynastie royale des Tarquins.

864. Superbe... Allusion au surnom de Lucius Tarquin, le septième et dernier roi de Rome.

865. De nombreuses récompenses à ses enfants...  Parmi ces récompenses (praemia), il faut citer au premier rang le consulat  où parvint en 509 P. Valérius.

866. Aux Messalla Poplicola... Le surnom de Poplicola (Publicola) fut donné aussi au consul P. Valérius ; celui de Messalla, deux siècles et demi plus tard, à un autre consul M. Valérius, qui avait sauvé Messine d'une attaque des Carthaginois.

867. Les temps horribles... L'auteur emploie ici le mot "horribles" horrida dans le même sens où Virgile parle de "l'horrible grêle", de "l'horrible hiver", cf. Géorg., I, 449 ; III, 442.

868. Les camps, les clairons préférés au forum... Allusion au talent d'orateur de Messalla, sacrifié par lui à la gloire militaire. Cf. Horace, A. P., 370-371 :
....virtute diserti 
Messallae ...

"La puissance oratoire de l'éloquent Messalla."

869. Ce fils... Messallinus, qui fut l'ami d'Ovide

870. Les flots farouches souvent traversés malgré les astres hostiles ?... On songe au vers du Panégyrique (Tibulle, IV, 1, 194) :
Adversis hiberna licet tumeant frela ventis.
"J'oserais affronter pour toi, dit le poète à Messalia, les ondes rapides de la mer, quand bien même leurs flots tempétueux seraient gonflés par les vents contraires !"

871. Le dieu commun de la guerre... Mars, qui ne se prononce pas tout de suite entre les camps adverses et qui leur est d'abord "commun". Cf. Cicéron, Fam., VI, 4, 1 : cum omnis belli Mars communis et cum semper incerti exitus proeliorum sunt.

872. Les agiles Africains... Les Numides avaient la réputation d'être des cavaliers adroits et rapides.

873. Cette nation parjure... Allusion à la nation égyptienne, qui trahit la cause romaine en soutenant Antoine contre Octave, et qui avait, si l'on en croit César (B. C., CIV), une réputation de fourberie bien assise.

874. Les flots d'or du Tage rapide... Catulle, Poé., XXIX, 19, parle du "cours aurifère du Tage" : 
amnis aurifer Tagus.
Messalla, après son triomphe d'Aquitaine,était sans doute désigné pour prendre part à l'expédition d'Auguste de fin 27, contre les Astures et les Cantabres. 

875. Au delà des confins de l'Océan... Allusion au projet d'expédition d'Auguste dans les ales Britanniques. Cf. Dion Cassius,
LIII, 23.

876. Le Cynthien... Apollon. Cf. note 601.

877. Aglaé... L'une des trois Grâces, la plus jeune de celles-ci, dont le nom signifie "la Brillante" et qu'on représentait d'ordinaire tenant à la main un bouton de rose à peine éclos.

878. National... Latin.

879. Aborder Cyrènes,.. Aborder la poésie élégiaque, illustrée par le poète de Cyrènes, Callimaque.

880. Les saillies grecques... L'auteur a déjà parlé au vers 14 du "sel de Cécrops".

881. Je n'ai rien de commun avec le peuple épais... Lieu commun poétique, qu'on trouve exprimé par Catulle, XCV, 10 :
"J'ai un faible, dit-il pour les petits ouvrages de mon ami (il s'agit de Cinna), et je laisse le peuple faire son plaisir des vers boursouflés d'Antimaque" :
At populus tumido gaudeat Antimacho;
Par Properce, El., II, 13, 11-14 :
Me juvet in gremio doctae legisse puellae, 
Auribus et paris scripta probasse mea.
Haec ubi contingerint, populi confusa valeto 
Fabula...

"Ce qui me plaît, c'est le giron d'une docte jeune femme à qui je puisse lire mes écrits, que son goût pur approuve. Que ce bonheur m'arrive, et je me moque de la foule et de ses propos confus..."
et surtout par Horace, Od., III, 1, 1 :
Odi profanum valgus et arceo
"Je hais la foule profane et je l'écarte" ; et Sat., I, 10, 72-76 :
Saepe stilum vertas, iterum quae digna legi sint 
Scripturus ; neque te ut miretur turba labores, 
Contentas paucis Iectoribus...
 
"Retourne souvent ton style pour effacer, si tu veux écrire une oeuvre qui mérite d'être relue; ne recherche pas l'admiration de la foule et contente-toi de quelques lecteurs."

882. Sabinus... Personnage inconnu, sans doute un riche muletier de Crémone ou de Mantoue qu'a pu connaître l'auteur.

883. Parodie de Catulle... Cette petite pièce est en effet une parodie ou plutôt un pastiche de la charmante pièce du Phaselus (Catulle, Poé., IV), dont il convient de donner ici, pour que le lecteur apprécie l'adresse extrême du calque, le joli texte :

Phaselus ille, quem videtis, hospites, 
Ait fuisse navium celerrimus, 
Neque ullius natantis impetum trabis 
Nequisse praeterire, sive palmulis 
Opus foret volare, sive linteo. 
Et hoc negat minacis Adriatici 
Negare litus insulasve Cycladas 
Rhodumve nobilem horridamve Thraciam 
Propontida trucemve Ponticum sinum, 
Ubi iste post phaselus antea fuit 
Comata silva : nam Cytorio in jugo 
Loquente saepe sibilum edidit coma. 
Amastri Pantica et Cytore buxifer, 
Tibi haec fuisse et esse cognitissima 
Ait phaselus : ultima ex origine 
Tuo stetisse dicit in cacumine, 
Tuo imbuisse palmulas in aequore, 
Et inde tot per impotentia freta 
Erum tulisse, laeva sive dextera 
Vocaret aura, sine utrumque Juppiter 
Simul secundus incidisset in pedem ; 
Neque ulla vota littoralibus deis 
Sibi esse jacta, cum veniret a mare 
Novissime hunc ad usque limpidurn lacum. 
Sed haec prius fuere : nunc recondita 
Senet quiete seque dedicat tibi, 
Gemelle Castor et gemelle Castoris.

Ce canot que vous voyez, passants, fut, à l'entendre, le plus rapide des navires. Jamais aucun vaisseau ne put le devancer de son étrave, soit que les voiles, soit que les rames le fissent voler sur l'onde. II vous défie de le nier, rivages de l'Adriatique menaçant, îles Cyclades, horrible Propontide de Thrace, et vous, golfe sauvage du Pont : oui, les sommets du Cytore ont souvent retenti du sifflement de sa sonore chevelure ! Amastris du Pont, Cytore couronné de buis, vous avez connu, dit le canot, vous connaissez encore cette histoire. Dès l'origine du monde, il se dressait, dit-il, sur vos rives, il plongeait ses rames dans vos flots. C'est de là qu'à travers tant de mers en furie, il a porté son maître, soit que le vent l'appelât à gauche ou à droite, soit que Jupiter propice vint frapper d'un coup ses deux flancs. Jamais on ne fit de vaux pour lui aux dieux des rivages, quand il quitta la mer pour finir sur les bords de ce lac limpide. Mais cela, c'est le passé ; maintenant il vieillit dans une calme retraite et se consacre à toi, Castor jumeau, à toi, jumeau de Castor.

884. Passants... L'épigramme de Virgile a, comme celle de Catulle, l'apparence d'une inscription.

885. Brixia... Brixia était une petite ville, à trente milles environ de Crémone.

886. La fameuse maison Tryphon... La maison de muleterie dirigée par Tryphon, concurrent de Sabinus, et sans doute, à en juger par son nom, un ancien esclave grec. Mais il y a un jeu de mots sur maison, pris ironiquement dans le sens de famille, race.

887. L'hôtel Cérule... La maison de muleterie de Cérule, autre concurrent de Sabinus, désignée pompeusement ici par le nom d'hôtel (insula), pour indiquer sans doute que Cérule avait d'importantes écuries-remises.

888. Le Sabinus d'aujourd'hui qui autrefois s'appelait Quinction... Le parvenu Sabinus, ci-devant Quinction, a changé de nom. de même que nous voyons, dans l'Anthologie Palatine (XI, 17), le jardinier enrichi Stéphanos se faire appeler Hippocrattipiade.

889. Le joug du Cytore... Le Cytore était une montagne entre la Galacie et la Paphlagonie, près du Pont-Euxin, célèbre par son buis, bois dont surtout l'on façonne les jougs. Cf. Virgile, Géorg., lI, 437 :
Et juvat undantem buxum spectare Cytorum
et Pline, H. N., XVI, 28 : buxus Cytoriis montibus plurima
L'auteur, avec une adresse exquise, garde le nom propre cité par Catulle (v. 13) et en tire le meilleur parti.

890. Boueuse Gaule... Allusion aux marécages de la Cisalpine. "Les bords marécageux du Mincio, a écrit Dunlop (Hist. de la littérature romaine), sont couverts de roseaux ; le paysage... était d'une douceur un peu pâle et stagnante..."

891. Déchargé des bagages... Sans doute pour alléger le char embourbé.

892. Aux dieux des sentiers... Aux Lares des sentiers (Lares semitales), qui avec les Lares des routes (Lares viales) protégeaient les voyageurs. Pour aller de Crémone à Mantoue, Sabinus empruntait une route "milliaire" parallèle au Pô ; pour aller de Crémone à Brixia, il suivait un "sentier", le long de la Mella.

893. Le jour où il leur dédia son patrimoine... Lorsque, ayant fait fortune, il abandonna aux Lares protecteurs du voyage les insignes de son métier, selon l'usage courant. 

894. II siège sur un siège d'ivoire... Etant parvenu aux honneurs curules de sa ville natale.

895. Jumeau Castor et jumeau de Castor... L'auteur termine son pastiche par le même vers que son modèle.

896. Octavius... II est probable que l'Octavius dont il est question dans cette épitaphe plaisante est l'Octavius Musa de l'épigramme IV, l'ami d'Horace.

897. Quel dieu... De même Virgile, En., VI, 341, se demande quel dieu a ravi Palmure :
Quis te, Palinure, deorum erupuit?

898. Quelles coupes cruelles de trop de vin remplies ?... L'épitaphe du buveur Octavius peut se joindre à celles qui, dans l'Anthologie grecque, sont consacrées à des ivrognes comme l'épigramme de Callimaque sur Ménécrate (VII, 725) :
"Et toi aussi, Ménécrate d'Aenos, te voilà dans la tombe ! tu n'as plus été le plus fort. Quel vin t'a ainsi privé de la vie ? C'est le même sans doute qui a tué le Centaure. - Mon heure fatale était arrivée, et c'est injustement qu'on accuse de ma mort ce malheureux vin."
- ou celles d'Antipater sur une vieille femme (VII, 353) :
"Ce tombeau est celui de la vieille Maronis. Vois-tu une coupe sculptée en marbre qui la surmonte ? Passionnée pour le vin et bavarde sempiternelle elle ne pleure ni ses enfants ni leur père qu'elle a laissés dans l'indigence; elle ne s'afflige, même dans ce sépulcre, que d'une chose, c'est que la coupe de Bacchus qui est sur sa tombe ne soit pas pleine de la liqueur du dieu."
et (VII, 455) :
"Maronis, la vieille buveuse qui vidait les jarres jusqu'à la lie, gît ici, et sur sa tombe on a posé, comme chacun peut le voir, une coupe athénienne. Or elle gémit, même chez les morts, non à cause de ses enfants, de son époux, qu'elle a laissés dans la misère ; non, au lieu de tout cela, une seule chose l'afflige : c'est que sa coupe est vide."

899. Chacun suit son destin... Sénèque, Ad Lucil., CVII, 11, dit que "le destin nous conduit où nous voulons et nous entraîne où nous ne voulons pas" ducunt volentem fata, nolentem trahunt. Littéralement l'auteur écrit que "son destin suit chacun", c.-à-d. que chacun porte avec lui son destin sans pouvoir y échapper.

900. Des louches... Les louches (cyathi) avec lesquelles on versait le vin du cratère dans la coupe du convive, et qui emplissaient la coupe d'un seul coup. Il appartenait au "roi du festin" de dire combien de louches, c.-à-d. combien de coupes le convive devait boire, et l'on sait qu'il était d'usage de vider autant de coupes que le convive en l'honneur de qui on buvait comptait de lettres dans son nom.
Cf. Martial, Epigr., I, 72, 1-2 :
Laevia sex cyathis, septem Justina bibatur,
Quinque Lycas, Lyde quattuor, Ida tribus.
"qu'on boire six coupes à Lévie, sept à Justine, cinq à Lycas. quatre à Lydé, trois à Ida !"
Comme le dit le poète Tristan Derème, qui commente spirituellement cette ancienne coutume (Le Poisson rouge, p. 275) :
Il convient de choisir un assez vaste nom 
Et cous boirez neuf fois si c'est Agamemnon 
Philoctète dix fois sait abreuver la trappe; 
Sennachérib emplit onze fois notre coupe, 
Que nous aidons dix fois et quatre fois encor 
Lorsque nous célébrons Nabuchodonosor.

Car ces santés n'étaient pas portées seulement aux maîtresses des buveurs, mais à des amis et au prince lui-mène. Cf. encore Martial, Epigr., VIII, 51, 21-26 :
Det nurnerurn cyathis Instanti littera Ruli 
Auctor enim tanti muneris ille mihi.
Si Telethusa venit promissaque gaudia portat, 
Servabor domine, Rule, triente tuo.
Si dubia est, septunce trahar. Si fallit amantem, 
Ut jugulem curas, nomen utrumque bibam.

"Que les lettres formant le nom d'Instantius fixent le nombre des rasades, car c'est de lui que j'ai reçu ce cadeau de pris. Si Téléthuse vient m'apporter les plaisirs qu'elle m'a promis, je saluerai ma maîtresse, Rufus, des trois quarts de ton nom. Si elle tarde, j'irai jusqu'à sept. Si elle trompe mon attente, pour tordre le cou à mon chagrin, je boirai les deux noms."
Ailleurs (Epigr., IX, 94) le même Martial invite un esclave à remplir six fois sa coupe en l'honneur des six lettres du nom de César (Caesar), et (Epigr., XI, 36) propose de vider cinq, six et huit coupes à la santé de Gaius, de Julius et de Proculus.

901. Nous pleurerons ta perte... On ne saurait dire si cette épitaphe d'Octacius est véritable ou si c'est une épitaphe anticipée, un badinage. Le ton plaisant de la pièce n'exclut pas la première hypothèse, car la familiarité et l'enjouement abondent dans les épitaphes des anciens.

902. Celle de ton histoire romaine... Cf. l'Epigr. IV, et la note 792.

903. Quelle jalousie... L'idée du dieu jaloux est un lieu commun de la poésie funéraire.

904. De le voir survivre à son père... Cette idée peut nous paraître brutale, mais il était coutumier aux anciens d'admettre et même d'écrire sur les tombes que chaque génération devait mourir à son tour, et que celui qui succombait avant les auteurs de ses jours était ravi prématurément.

905. Noctuin... Cf. note 812.

906. Tête puante... Même expression que dans l'Epigr. VI, vers 2. Cf. note 815.

907. Atilius... Cf. note 812.

908. Deux filles... L'ingéniosité des commentateurs s'est exercée sur ces "deux filles" ; nous ne retiendrons ici que les deux interprétations qui nous paraissent admissibles.
Selon Sabbadini Noctuin épousait deux filles d'un coup ; la fille d'Atilius, et la seconde fille que, souillée des oeuvres de son père, Atilia portait dans son sein, et qui la faisait ronde et enflée comme une bouteille (hirneam).
Selon d'autres les "deux filles" désignent Atilia, fille d'Atilius, et la dive bouteille (hirneam), seconde fille de l'ivrogne ; en se mariant Noctuin épousait donc la fille et la bouteille, comme dans les atellanes le grotesque Pappus épousait lui aussi une bouteille (hirneam).

909. Arrivez maintenant, arrivez... L'auteur s'adresse ici aux gens du cortège nuptial.

910. Thalassio ! thalassio ! thalassio !... C'est le cri, de tradition antique et obscure, que poussaient les assistants quand la mariée passait le seuil de son époux.

911. Luccius... Personnage inconnu, en qui certains critiques, sans raison probante, ont tour à tour voulu voir Antoine lui-même ou quelque officier de l'armée de César.

912. Du vainqueur... Le vainqueur en question pourrait être Messalla. Cf. Epigr., IX.

913. Sans compter la liaison infâme de la prostituée qui est ta soeur...  Violente injure, analogue à certaines attaques de Catulle, celles contre Gallus (LXXVIII) : "Gallus a deux frères : l'un a une femme délicieuse, l'autre un fils séduisant. L'aimable homme que Gallus ! grâce à lui se nouent d'agréables amours : un même lit reçoit la jolie femme et le joli garçon. Mais Gallus est un sot ; il ne voit donc pas qu'il est marié et qu'il enseigne, lui, un oncle la façon de tromper un oncle ! "
et contre Gellius (LXXXVIII)
" Quel crime, ô Gellius, commet celui qui passe son désir sur sa mère et sa soeur, et qui, tunique bas, demeure la nuit près d'elles ? celui qui rend son oncle incapable d'être un mari ?"
L'auteur de l'épigramme semble insinuer ici que Lucius monnayait les charmes de sa soeur.

914. De César... De Jules César ou plutôt d'Auguste.

915. Des festins où tu allais l'asseoir enfant avec des hommes faits... On songe ici à tel passage du Satiricon (XXIII) où Trimalcion conte qu'un jeune esclave faisait les délices de son maître, ou aux nombreuses épigrammes où il est question dans Martial des complaisances qu'avaient "des hommes faits" pour de jeunes garçons aux cheveux bouclés. On songe surtout aux épigrammes où Catulle (XXI) reproche à Aurélius de faire faire bien maigre festin au jeune garçon qui est l'objet de ses amours, et à Juventius (XXIV) de se laisser aimer par un individu qui n'a ni esclave ni cassette, ou (LXXXII) de lui préférer un moribond à la face plus jaune qu'une statue dorée, hospes inaurata pallidior statua.

916. Thalassio ! Thalassio !... Cf. note 910.
Ainsi voit-on décrites dans Juvénal (Sat., II, 117 sq.) des noces étranges que les convives accompagnaient du chant nuptial rituel : "Gracchus a donné quatre cent mille sesterces de dot à un joueur de cor ; ou bien l'artiste ne jouait-il pas plutôt d'un instrument droit ? L'acte signé, le Tous nos voeux prononcé, la noce (c'est une belle noce !) se met à table, l'époux tient la nouvelle mariée sur ses genoux... Des garnitures en or, de longues robes, le voile rouge du mariage, voilà ce dont s'affuble un homme qui a sué sous le poids des boucliers sacrés à la courroie mystérieuse. O protecteur de la ville, comment les pâtres du Latium sont-ils devenus de tels sacrilèges? " (trad. Henri Clouard).
Ainsi voit-on décrites dans Suétone (Néron, XXVIII) les noces de Néron avec le jeune Spores : "Il s'efforça, dit l'historien, lui ayant fait couper les testicules, de transformer en femme un jeune garçon, Spores : on le lui amena en grande pompe avec la dot et le voile couleur de flamme, en observant tous les rites du mariage, et il le traita en épouse... Il para ce Spores des ornements des impératrices...
et (Id., XXIX) les noces de Néron et de Doryphore : "Il s'abandonnait à son affranchi Doryphore, dont il devint la femme, comme Spores avait été la sienne ; il contrefit même avec lui les cris et les gémissements des vierges auxquelles on fait violence."

917. Femme... Injure lancée à l'homme qui, en amour, joue le rôle de la femme. Ainsi disait-on de César, par allusion à ses amours mixtes, qu'il était "le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris". Ainsi voit-on dans Horace (Sat., I, 8. 39.) l'infâme Pediatius être appelé Pediatia.

918. Cotyties... Les Cotyties ou fêtes en l'honneur de la déesse Cotys, déesse de l'impudicité et de la débauche, célébrée en Thrace et identifiée plus tard avec celle de la fécondité avaient gagné Athènes, Corinthe, la Grande Grèce et Rome même, par l'intermédiaire des marins.
Horace (Epod., XVII, 56) fait mention de ce culte obscène.

919. Des Pênes... L'adoration des Pênes ou phallus était l'acte fondamental des Cotyties. 

920. En fête... Oints et parés, comme dans les mystères de Priape.

921. Mouvoir tes flancs... En une danse lascive.

922. En étreignant l'autel... Orné d'un fêne énorme.

923. Au bord du Tibre jaune... Dans les bas quartiers de l'Aventin, où traînaient les mariniers.

924. Des gens qui sentent la marine... Et dont l'odeur sans doute excitait Luccius ou Luccia.

925. Là où ont accosté les barques retenues par une boue sale sur les bas-fonds... Et dans lesquelles sans doute avaient lieu des accouplements scandaleux.

926. Contre de maigres eaux... Le Tibre laisse, l'été, apparaître de vastes bancs de sable.

927. Aux graisseuses Compitales... Voici ce que rapporte au sujet des Compitales Denys d'Halicarnasse : "Tullius ordonna que, dans tous les carrefours, on bâtirait des chapelles aux Dieux Lares ; que chaque voisinage fournirait l'argent nécessaire pour en faire les frais ; que tous les ans on leur offrirait des sacrifices, et que chaque maison y porterait des gâteaux pour offrande. Il voulut aussi que ce fussent des esclaves et non des personnes libres, qui aidassent aux prêtres à offrir des sacrifices pour le voisinage dans chaque carrefour, parce que le ministère des esclaves est plus agréable à ces dieux. De mon temps, les Romains célébraient encore ces sortes de fêtes avec beaucoup de solennité et de magnificence quelques jours après les Saturnales ; il les appelait Compitales du mot compitum (carrefour). L'ancienne coutume d'offrir à ces génies des sacrifices expiatoires par le ministère des esclaves s'observe encore aujourd'hui. Ces jours-là, on exempte les esclaves de toute fonction servile... "

928. Si tu en as la force... Exténué par de telles débauches.

929. Je te nomme en toutes lettres... Ovide, Ibis, 645, adresse la même menace à son ennemi :
Postmodo plura leges et nomen habentia verum.

930. Cinède... Les Latins appelaient du nom grec cinèdes les professionnels qui dans l'amour faisaient tantôt la femme tantôt l'homme. Nonnius fait venir le mot cinaedi (grec kinaidoi) de kinein to sôma "remuer le corps" ; d'autres, de kinein haidô "remuer les parties honteuses". Une variété de cinèdes, les spatalocinèdes ou a cinèdes mous » (spataloi kinaidoi) étaient des vétérans (exoleti) encore plus lascifs que les cinèdes et qui servaient surtout d'agents. Clodius, au dire de Cicéron (Pro Milone), était toujours escorté de spatalocinèdes ; Néron servit de femme au spatalocinède Doryphore son affranchi ; Héliogabale épousa tour à tour l'esclave carien Hiéroclès et l'athlète Zoticus, chargeant le paranymphe de crier tandis qu'il consommait l'accouplement avec ce dernier : "Enfonce, Zoticus, enfonce ! "
On connaît d'autre part les virulentes épigrammes de Catulle contre le cinède Furius (XVI), contre le cinède Thallus (XXV), contre le cinède "Romulus" (XX1X), contre les cinèdes Mamurra et César (XCII), etc...
et les vers célèbres de Pétrone (Satin., XXIII) :
Huc, huc convenite nunc, spatalocinaedi, 
Pede tendite cursum addite, convolate planta,
Femore facili, clune agili et manu procaces, 
Molles veteres, Deliaci manu recisi.

"Ici, venez ici maintenant, spatalocinèdes, allongez le pas, hâtez votre course, volez ensemble d'un seul pied et d'une jambe 
souple, provocateurs à la fesse et à la main agiles, vieux tendrons, eunuques de Délos !"

931. Déjà tes richesses ont fondu... Ovide, Ibis, 425, fait la même constatation :
Sic tua nescio quo semper fortuna liquescat.

932. Des frères... Plus haut, vers 12 le poète n'a parlé que d'un seul frère. Le mot au pluriel s'applique sans doute au frère et aux soeurs de Luccius.

933. Jupiter en colère contre toi... Et dont l'adversité sera redoutable à Luccius. La formule Sit tibi Juppiter iratus (ou adversus) était chez les Latins l'imprécation usuelle.

934. Le centre fendu... A force d'avoir subi les assauts de tant d'amants. Cf. Priapées, LXXVII, 12-13 :
Ergo qui prius usque et usque et usque 
Furum scindere podices solebam...

"Moi (c'est Priape qui parle) qui jadis encore et encore et encore avais coutume de fendre les derrières des voleurs..."
Pétrone (Satir., XI) emploie une expression voisine : dividere « rompre » ; Sic dividere cum fratre nolito, fait-il dire par Ascylte à Encolpe qui abusait de Giton.

935. Les pieds turgides d'inanition... La maigreur fait ressortir les articulations des membres et les talons des pieds. Cf. Ovide, Mét., 807-808, Portrait de la Faim  : 
Auxerat articulos macies genuumque tumebat 
Orbis et immodico prodibant tubere tali.

"Sa maigreur avait fait saillir ses articulations ; le rond de ses genoux était roide, et ses talons ressortaient en une énorme protubérance." 

936. Le herniaire... Une infirmité comme la hernie était pour les Romains un thème de plaisanteries. Cf. Anth. Pal., Epigr. CXXXII : "Puissant César, je hais ces personnes auxquelles n'a jamais plu un poète jeune, eût-il même chanté la colère d'Achille. Mais qu'on ait la tète à moitié chauve, les années de Priam, le dos voûté par l'âge, on leur plaira, ne sût-on pas écrire une panse d'A. Que s'il en est ainsi, ô grand Jupiter, la poésie va passer aux vieillards qu'affligent les hernies."
et CDIV : "Diophante, pour passer une rivière, n'a jamais besoin d'un bateau. Sa hernie lui en fait l'office. Il met sur sa hernie tous ses bagages, même son âne, et flotte la voile au vent. Que devient le privilège des Tritons de nager sur les ondes, si même un hernieux peut en faire autant."

937. Vénus... Vénus est invoquée ici comme mère d'Iule, comme la déesse à laquelle se rattachait la famille Julia, la famille de César et d'Auguste.

938. Paphos... Paphos est le nom de deux villes situées au sud-ouest de l'île de Chypre : l'une, Palé-Paphos, aujourd'hui Kouklia ; l'autre, Néa-Paphos, aujourd'hui Baffa. Vénus avait deux temples dans la première de ces villes : l'un, bâti près de la mer, l'autre dans l'intérieur des terres, au milieu d'un bois de myrtes et de lauriers-roses. Cf. Virgile, Géorg., II, 64 ; En., I, 415 ; X, 51, 86 ; Horace, Od., I, 30, 1 ; III, 28, 14, etc...

939. Idalie... Idalie est le nom d'une ville située dans l'intérieur de l'île de Chypre, au nord de Citium, consacrée à Vénus et célèbre par ses bosquets et ses verdures. Vénus avait son temple sur la montagne voisine de la ville, temple qui, au dire de Théocrite (XV, 100), était l'un des séjours préférés de la déesse, qui était aussi honorée dans la même île à Paphos (cf. note précédente) et à Amathonte. Pline (H. N., V, 35) nous apprend que de son temps la ville d'Idalie n'existait déjà plus. Cf. Virgile, En., I, 681, 693 ; X, 86.

940. Mon Troyen Enée... Troius Eneas est le commencement d'un hexamètre virgilien, En., I, 596.

941. Par les cités romaines... Romana per oppida est un fragment d'hexamètre virgilien, Géorg., II, 176.

942. De vous... De Vénus et d'Enée.

943. De tableaux... Sans doute des tableaux représentant les scènes principales de l'Enéide.

944. Un taureau, la plus grande de toutes... Maxima, taurus, victima est un fragment d'hexamètre virgilien, Géorg., II, 147.

945. Un amour ailé... Les ailes - des ailes d'or - sont, avec l'arc et les flèches l'un des attributs constants de l'Amour. Virgile (En., I, 663) appelle Cupidon "l'Amour ailé", aligerum Amorem, et il le montre (id., 689-690) "se dépouillant de ses ailes" pour prendre l'apparence d'Iule.

946. Marmoréen ou multicolore... Les statues polychromes étaient très appréciées des anciens.

947. Avec un carquois bariolé... Comme eu portent les Cupidons d'Ovide, Mét., II, 421 ; IV, 306.

948. Puisses-tu m'assister, ô Cythérée... Mouvement virgilien, cf. Géorg., I, 18 : "Puisses-tu m'assister, ô Tégéen !"

949. Ton César... Auguste, qui descend de toi. Cf. note 937.

950. L'autel du rivage Sorrentin... Le sanctuaire de Vénus à Sorrente (cf. Corpus, X, 688), non loin duquel, près de Nol Virgile possédait une maison de campagne.

951. Encore... Faisant suite aux Bucoliques, aux Géorgiques et à l'Enéide.

952. Les premiers poèmes... Ce mot désigne sans doute l'ensemble des poèmes de jeunesse.

953. Du divin poète... C'est l'épithète que Stace (Théb., XII, 816) donne à l'Enéide ; c'est celle dont Virgile lui-même gratifie Gallus (Buc., X, 17), Daphnis (Buc., V, 45) ou le poète légendaire Linus (Buc., V I, 67).

954. Plus doux... Virgile est, en effet, plus "doux", plus élégant plus convenu aussi et parfois plus mièvre en ses Bucoliques que Théocrite dont le "réalisme" est direct, souvent brutal, et qui représente les moeurs des paysans siciliens dans leur vérité grossière, avec les jurons, les gros mots et les coups de poing. "Là où les bergers de Théocrite se tuent, a dit un bon juge, ceux de Virgile se contentent de soupirer."

955. Le poète de Syracuse... Théocrite, né à Syracuse. Cf. Virgile, Buc., VI, 1 : Syracosio... versu, "la poésie bucolique", et Buc., IV, 1 où l'expression Sicelides Musae désigne les Muses de Théocrite et de la poésie pastorale.

956. Plus grand... Virgile est certes beaucoup "plus grand " en ses Géorgiques que l'auteur des Travaux et des Jours, cet Hésiode souvent lourd et rude, auquel, bien qu'il ait dit lui-même qu' "il chantait un poème semblable au sien parmi les villes romaines" (Géorg., II, 176),
Ascraeumque cano Romana per oppida carmen, il n'a guère emprunté que l'idée générale et quelques détails insignifiants.

957. Et dont la voix ne fut pas inégale à celle d'Homère... On songe ici au vers de Properce, comparant l'Enéide naissante a l'Iliade et employant la même épithète :
Nescio quid malus nascitur Iliade
"Je ne sais quoi va naître de plus grand que l'Iliade."

958. En des mètres variés... L'auteur oppose la variété des mètres dans les essais de jeunesse (hexamètres, distiques élégiaques, vers ïambiques, priapéens, scazons) au mètre unique des Bucoliques, des Géorgiques et de l'Enéide, l'hexamètre.

959. Sa Calliope... Sa Muse héroïque, la première des Muses dans la Théogonie d'Hésiode, celle qui inspire les rois, celle aussi que Virgile invoque nommément au IXe chant de l'Enéide (v. 526) :
Vos, o Calliope, precor, adspirate canenti.
"Vous, [Muses], et toi surtout, Calliope, je vous en prie, donnez le ton au poète qui chante..."

960. Qui s'ébauche... On songe ici au vers de Martial, employant à propos du Culex le même mot rudis (Epigr., VI 1I, 56, 19) :
Protinus Italiam concepit et Arma virumque, 
Qui modo vix Culicem fleverat ore rudi.

"Soudain il conçut l'Italie et l'Arma virumque, lui dont la voix, naguère maladroite, avait pleuré un Moustique" (trad. P. Richard).

961. Epitaphe... Sur cette épitaphe, voir notre Introduction.
On a cru voir, dans cette épitaphe où le nom du mort n'est pas exprimé, tantôt celle de Virgile lui-même, tantôt celle de Pollion, ou de Gallus, ou de Candidus. D'autres inclinent à croire que le mort dont il est question est contemporain d'un humaniste de la Renaissance, auteur des quatre vers.

962. Une ombre experte... La même épithète (callidus) "expert, habile, docte" est appliquée par Lucrèce (De N. R., VI, 92) à la Muse Calliope : callida Musa Calliope. Cf. note 959.

963. Preuve de l'injustice du ciel... Qui l'a ravie à la lumière du jour. Vomanius, en ses distiques célèbres, exprime aussi l'idée que les destins jaloux ont ravi prématurément l'auteur de la parfaite Enéide.

964. Des anciens... De Théocrite, d'Hésiode et d'Homère (voir l'épigramme XV) pour ceux qui croient que l'épitaphe est celle de Virgile ; des grands poètes classiques de l'antiquité pour ceux qui attribuent l'épitaphe à un poète érudit de la Renaissance.

965. La docte Athènes... La même expression se retrouve dans Properce, El., I, 6, 13 :
An mihi sit tanti doctas cognoscere Athenas...
"Je paierais trop cher la connaissance de la docte Athènes... "- et dans Ovide, Hér., II, 83 :
Atque aliquis : . Doctas jam nunc eat, inquit, Athenas
"Et l'on dit : -Qu'elle aille maintenant vers la docte Athènes..."
Ceux qui croient que l'épitaphe est celle de Virgile voient là une comparaison entre Virgile et Homère, qu'Aristarque faisait naître à Athènes. La comparaison est d'ailleurs traditionnelle, comme le prouve l'épigramme précédente (vers 3) et le début du célèbre quatrain de Basilius sur Virgile :
Hoc jacet in tumulo vates imitator Homeri...
"Sous ce tombeau gît un poète inspiré, imitateur d'Homère..."

966. Les destins sont de fer... Ovide (Mét., XV, 781) écrit de même que les décisions des Parques sont de fer.

967. Il n'est donné à personne de les vaincre... L'expression "vaincre les destins" se trouve dans Virgile, En., XI, 160, qui la place dans la bouche d'Evandre s'accusant, à la mort de son fils, d'avoir trop vécu :
Contra ego vivendo vici mea fata...
"Moi, par contre, en vivant, j'ai vaincu mes destins... "
La pensée qu'il faut céder aux destins est d'ailleurs un lieu commun de la poésie funéraire. Concessit fatis "il a cédé aux destins", dit Julianus dans l'épigramme qu'on lui attribue sur Virgile.