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Poèmes attribués à Virgile : traduction nouvelle de Maurice RAT, GARNIER, 1935

La fille d'auberge le cachat l'aigrette le moustique l'Etna Epigrammes Priapées imprécations élégies pour Mécène

L'AIGRETTE (CIRIS)

NOTICE SUR L'AIGRETTE

La petite épopée intitulée l'Aigrette (Ciris) est un poème de 541 hexamètres, qui raconte l'histoire de Scylla, fille du roi de Mégare Nisus et amoureuse du roi de Crète Minos : pendant que Minos assiège Mégare, Scylla, trahissant par amour son père et sa patrie, coupe sur la tête de Nisus endormi le cheveu de pourpre qui le rendait invincible ; elle en est punie par le mépris de Minos qui la traîne à travers les mers liée à la proue de son navire ; elle est métamorphosée finalement en aigrette et Nisus en un aigle marin qui la poursuit sans cesse dans les airs (a).

L'attribution de ce poème à Virgile n'a point fait de doute dans l'antiquité. Il se trouve dans la liste de Suétone-Donat. Il se trouve dans la liste de Servius, et il a même la première place dans cette liste. De plus, dans une note de son commentaire de Virgile, au vers 3 de la VIe Bucolique : 
Cum canerem reges et proelia...,
Servius marque que le poète " fait allusion ici soit à l'Enéide, soit à un poème épique sur les rois d'Albe, qu'il abandonna après l'avoir commencé, découragé par leurs noms barbares ; d'autres (ajoute Servius) disent qu'il avait commencé d'écrire une Scylla, où il décrivait la guerre de Nisus et de Minos, roi des Crétois ; d'autres encore pensent à un poème sur les guerres civiles ou à une tragédie de Thyeste (b)".
Cependant, à partir du XVIIe siècle, un examen attentif du texte de l'
Aigrette a fait croire à beaucoup de critiques que le poème n'était pas de Virgile. Selon eux, la langue et la versification diffèrent sensiblement de celles de Virgile, et se rapprochent plutôt de celles de Catulle : les gaucheries dans la construction de la période sont fréquentes ; le choix des termes, l'emploi de mots grécisés sont souvent catulliens ; l'usage des particules n'est pas celui de Virgile ; les élisions sont nombreuses (201 en 541 vers) et les spondées abondent. D'autre part si l'auteur de l'Aigrette reproduit Catulle en une quarantaine de passages, il reproduit plus de cent fois des vers des Bucoliques, des Géorgiques ou de l'Enéide. Il faut donc admettre qu'il est de beaucoup postérieur à Catulle et à Calvus, qui ont écrit des poèmes alexandrins du même genre que l'Aigrette. Forts de ces constatations, les tenants de la non-authenticité virgilienne ont formulé trois hypothèses : les uns ont pensé que l'Aigrette était un centon ; d'autres que le poème avait Gallus pour auteur ; d'autres que l'auteur en serait un poète inconnu, postérieur à la mort de Virgile.
Les deux premières hypothèses semblent devoir être écartées facilement. Sans doute, si l'on songe à tout ce qui nous manque de la poésie latine, est-on fondé à croire qu'outre la centaine de vers virgiliens et la quarantaine de vers catulliens que contient la Ciris, sans compter une dizaine de vers reproduits de Lucrèce, on trouverait vraisemblablement dans le poème des vers ou des fragments de vers empruntés à Calvus, à Gallus ou à d'autres. Mais la mode du centon date d'Ausone, et il serait extraordinaire que sous Auguste un poète se fût amusé à ce patient travail de marqueterie qu'est le centon. - Quant à l'attribution à Gallus, elle repose sur une fausse interprétation des vers 74 sq. de la VIe Bucolique (
Quid loquar aut Scyllam Nisi, etc...), où Gallus n'est nullement en jeu (c).
Reste que l'
Aigrette soit d'un poète inconnu, admirateur et imitateur de Virgile, ou que ce soit une oeuvre de Virgile.
La première opinion a été presque unanimement en faveur au XIXe siècle, et elle a toujours aujourd'hui des partisans nombreux. Elle a été adoptée par Benoist (d) et par M. Frédéric Plessis (e), selon qui l'auteur de l'Aigrette est "un homme d'un âge mûr, lassé des agitations de la politique, blessé par la vie, qui veut se réfugier dans la philosophie et conçoit son poème comme un adieu à la poésie ;... vrai poète d'ailleurs, et digne d'être appelé virgilien à cause de la nature de son émotion et de la qualité de ses vers, ... et parce que son admiration pour Virgile se traduit en une imitation modeste, et par moments heureuse, non seulement de la forme, mais du fond". Selon les tenants de cette thèse, la date de l'
Aigrette, "où il n'y a pas un seul livre parmi les douze de l'Enéide dont on ne relève des imitations", ne saurait être antérieure à l'an 20 av. J.-C. ; d'après M. Plessis, qui croit que le Messalla (qualifié de juvenum doctissime) à qui est dédié le poème est M. Valerius Messallinus, futur consul de l'an 3 av. J.-C., né vers 43 ou 42, et dont Tacite (f) parle en termes honorables, le poème a dû être écrit entre 18 et 16 avant J.-C.
Mais, pour être moins nombreux, les partisans de l'attribution du poème à Virgile lui-même n'ont sans doute pas de moins bonnes raisons. Réduisant au minimum d'importance les différences signalées plus haut entre la langue et la versification de l'
Aigrette et celle de Virgile, ils tiennent que l'Aigrette est une couvre de jeunesse de Virgile, écrite durant la période d'essai, où le poète, se cherchant lui-même, imitait surtout Catulle et Calvus ; si le poète, disent-ils, a reproduit une centaine de vers de l'Aigrette dans ses oeuvres avouées, c'était marquer par là l'intérêt qu'il portait à cette pauvre juvénile, qui a été publiée plus tard dans ses oeuvres collectives posthumes. Quant au Messalla de la dédicace, ce serait le personnage souvent chanté par Tibulle, le M. Valerius Messalla Corvinus, dont il est question dans la 9e épigramme du Catalecton : ce Messalla, né vers 64, compagnon d'études d'Horace à Athènes, puis tour à tour soldat de Brutus, d'Antoine et d'Octave, prit une grande part à la victoire d'Actium, fit ensuite une expédition en Orient, et, chargé par Auguste du proconsulat d'Aquitaine, remporta sur les Aquitains une victoire, en 27, qui lui valut le triomphe ; le poème de l'Aigrette a pu être écrit par Virgile vers 45-44, et dédié à Messalla (qualifié de juvenum doctissime) entre 34 et 31 av. J.-C. (g).
C'est vers l'attribution à Virgile - s'il m'est permis de donner ici mon opinion personnelle - que j'inclinerais volontiers pour ma part, puisqu'elle est aussi possible, aussi probable, sinon plus, que l'attribution anonyme adverse (h) : car il me semble difficile que certains morceaux du poème, qui sont de tout premier ordre, soient d'un autre auteur que Virgile. N'est-ce pas d'ailleurs M. Frédéric Plessis, savant historien de la poésie latine et lui-même délicat poète, qui reconnaît, mieux que personne, la valeur de ces beaux fragments, dont le reste n'est point si indigne : "Je ne crois pas, dit-il, que ni dans la poésie latine, ni dans aucune autre, l'on puisse citer beaucoup de vers aussi beaux que ceux où il [l'auteur de la
Ciris] nous montre les soins touchants dont la vieille nourrice Carmé entoure la jeune fille..." Et M. Plessis continue : "Le poète de la Ciris n'a manqué non plus ni de souffle ni d'art dans le mélancolique retour de Carmé sur sa fille Britomartis, victime, elle aussi jadis, de la séduction de Minos. Et les lamentations de Scylla méritent une place à côté des plaintes de Didon et d'Ariane."

a Le plan du poème est le suivant : 1-53 : dédicace à Messalla ; 54-91: les différentes légendes de Scylla ; 92-100 : le poète, décidé à chanter la métamorphose de Scylla en aigrette, invoque les Muses; 101-128 : guerre de Minos et de Nisus ; Minos assiège Mégare, mais vainement, car un cheveu de pourpre assure à Nisus son salut et celui de la cité ; 129-162 : la fille de Minos, Scylla, brûle d'amour pour l'ennemi de son père ; 163-190 : elle songe à couper le cheveu de pourpre ; 191-205 : appréhension du poète ; 206-219 : Scylla, armée d'un fer, quitte furtivement sa chambre pendant la nuit et arrive jusqu'au vestibule du roi ; 220-282 : sa nourrice, Carmé, la surprend, la questionne, et Scylla lui avoue son amour et son dessein ; 283-339 : chagrin de Carné ; 340-348 : Carné obtient de Scylla qu'elle rentre dans sa chambre et passe la nuit à son chevet ; 349-377 : sur les conseils de Carmé, le jour suivant, Scylla essaie d'obtenir de son père la fin de la guerre et le couronnement de son amour ; Carmé recourt à des pratiques magiques pour déterminer le consentement du roi Nisus ; 378-385 : devant leur insuccès commun, Carmé se fait la complice de Scylla ; 386-403 : Scylla coupe le cheveu de pourpre ; Minos prend Mégare, et, méprisant l'amour de Scylla, la traîne à travers les mers liée à la proue de son navire ; 404-477 : lamentation de Scylla ; 478-518 : métamorphose de Scylla en aigrette ; 519-532 : métamorphose de Nisus en haliéète (aigle marin) ; 533-541 : l'haliéète (Nisus) donne la chasse à l'aigrette (Scylla).  

b Comm. de Servius, Buc., VI, 3 : "Et significat aut Aeneidem aut gesta regum Albanorum quae coepta omisit nominum asperitate deterritus ; alii Scyllam eum scribere coepisse dicunt, in quo libro Nisi et Minois, regis Cretensium, bellum describebat ; alii de bellis civilibus dicunt, alii de tragoedia Thyestis.

c Il serait d'ailleurs étonnant que, si Gallus eût été l'auteur de l'Aigrette, Virgile, qui dans la Ière et la Xe Bucolique nous parle avec tant de détails de Gallus et de ses imitations d'Euphorion de Chalcis, ne fasse aucune allusion à l'Aigrette.

d Benoist, Oeuvres de Virgile, t. III, pp. XLIII-XLIV, 1880.

e F. Plessis, La poésie latine, pp. 267-272, 1909.  

f Tacite, Ann., 111, 34.

g Cf. Lenchantin de Gubernatis, Introduction à la Ciris, Turin, 1930.

h II me semble impossible de faire état, pour attribuer la Ciris à un poète d'âge mûr, des onze premiers vers du poème qui paraissent avoir été pris trop à la lettre par Benoist, Plessis et tant d'autres. L'auteur de la Ciris se dit âgé sans doute ; mais pourquoi ne pas voir là un de ces subterfuges fréquents chez les écrivains et les poètes ? et n'avons-nous pas vu, en France, au XIXe siècle, Anatole France encore jeune se peindre sous l'aspect du vieux Sylvestre Bonnard et, il n'y a guère, le jeune Tristan Derême prendre l'apparence de M. Théodore Decalandre, homme d'âge et de grande sagesse ?

CIRIS

Etsi me vario iactatum laudis amore
irritaque expertum fallacis praemia vulgi
Cecropius suaves exspirans hortulus auras
florentis viridi Sophiae complectitur umbra,
et mens quaerit eo dignum sibi quaerere carmen        5
longe aliud studium atque alios accincta labores,
(Altius ad magni suspendi sidera mundi
et placitum paucis ausa est ascendere collem),
non tamen absistam coeptum detexere munus,
in quo iure meas utinam requiescere Musas              10
et leviter blandum liceat deponere amorem.

 

L'AIGRETTE A Messalla (54)

Oui, quoique l'amour de la gloire m'ait ballotté en tous sens et que l'expérience m'ait appris la vanité des prix que décerne une foule trompeuse (55) ; quoique le jardinet de Cécrops (56) qui exhale de suaves haleines (57), m'enlace du vert ombrage (58) de la Philosophie en fleurs ; quoique mon esprit, préparé à des passions tout autres et à d'autres travaux, aspire à un chant digne de lui, s'élève et se suspende aux constellations du vaste monde et se soit enhardi à gravir une colline qui a plu à bien peu (59) je ne renoncerai pourtant point à achever la tâche commencée : pour que je tienne cet engagement, veuillent les dieux permettre à mes Muses (60) de se reposer et d'abandonner doucement leurs tendres goûts.

 

Quod si mirificum proferre valerem opus omni
mirificum saeclo, modo sit tibi velle libido,
si me iam summa Sapientia pangeret arce,
quattuor antiquis heredibus edita consors,                15
unde hominum errores longe lateque per orbem
despicere atque humiles possem contemnere curas ;
non ego te talem venerarer munere tali,
non equidem, quamvis interdum ludere nobis
et gracilem molli liceat pede claudere versum;         20
sed magno intexens, si fas est dicere, peplo,
qualis Erechtheis olim portatur Athenis,
debita cum castae solvuntur vota Minervae
tardaque confecto redeunt quinquennia lustro,
cum levis alterno Zephyrus concrebruit Euro              25
et prono gravidum provexit pondere currum
felix illa dies, felix et dicitur annus,
felices qui talem annum videre diemque
ergo Palladiae texuntur in ordine pugnae,
magna Giganteis ornantur pepla tropaeis,                30
horrida sanguinea pinguntur proelia cocco,
additur aurata deiectus cuspide Typhon,
qui prius Ossaeis consternens aethera saxis
Emathio celsum duplicabat vertice Olympum
tale deae velum sollemni tempore portant,              35
tali te vellem, iuvenum doctissime, ritu
purpureos inter soles et candida lunae
sidera, caeruleis orbem pulsantia bigis,
naturae rerum magnis intexere chartis,
aeternum ut Sophiae coniunctum carmine nomen      40
nostra tuum senibus loqueretur pagina saeclis.
Si je pouvais produire un merveilleux ouvrage, que chaque siècle trouverait merveilleux pourvu qu'il te plût de le vouloir ; si la Sagesse (61) marquait déjà ma place au sommet de cette citadelle, qui fut donnée en partage aux quatre héritiers antiques (62), et d'où je puisse à travers le monde abaisser de long en large mes regards sur les erreurs des hommes et mépriser leurs bas soucis (63), ce n'est point par un si faible hommage que je t'honorerais, toi, si grand; non, non ! bien qu'il nous soit permis de badiner (64) quelquefois et d'enfermer un vers gracieux (65) dans une douce mesure (66) mais je t'honorerais en t'enveloppant, si je puis ainsi parler sans impiété, dans un grand péplum (67) , semblable à celui qu'on portait jadis dans l'Athènes d'Erechthée (68), quand on payait la dette de ses voeux à la chaste Minerve, et qu'à la fin d'un lustre revenaient les lentes Quinquatries (69) lorsque alternant avec l'Eurus frémit le léger Zéphyr (70), et que penché sur son chariot lourd il en précipite la course par son poids. Heureux jour ! heureuse année ! et heureux ceux qui virent une telle année et un tel jour ! Le tissu déroule la suite des combats palladiens (71) ; les trophées des Géants (72) ornent le vaste péplum; les batailles horribles (73) y sont peintes en sanglante écarlate ; on y voit, renversé par la lance à la pointe dorée (74), Typhon (75), qui naguère escaladant l'éther avec les rois de l'Ossa (76), doublait le haut Olympe (77) par la cime Emathienne (78). Tel était le voile de la déesse qu'on portait aux jours solennels ; tel est le rite par lequel je voudrais, ô le plus docte des jeunes gens (79), mêler tes traits au grand dessin de la nature (80), entre le Soleil de pourpre et la blanche lumière de la Lune poussant son orbe sur un bige (81) d'azur (82), pour que ton nom éternel uni dans mon poème à celui de la Philosophie (83) parlât par nos pages aux siècles antiques  (84).
Sed quoniam ad tantas nunc primum nascimur artes
nunc primum teneros firmamus robore nervos,
haec tamen interea quae possumus, in quibus aevi
prima rudimenta et iuvenes exegimus annos,           45
accipe dona meo multum vigilata labore
promissa atque diu iam tandem reddita vota :
impia prodigiis ut quondam exterrita miris
Scylla novos avium sublimis in aere coetus
viderit et tenui conscendens aethera penna              50
caeruleis sua tecta super volitaverit alis,
hanc pro purpureo poenam scelerata capillo,
pro patris solvens excisa et funditus urbe.
Mais puisque nous ne faisons que naître pour de si hautes sciences, puisque nous ne faisons que fortifier nos muscles encore tendres, accepte, en attendant mieux, ce que nous pouvons t'offrir, cette première ébauche où nous avons consumé nos jeunes années, ce travail de mes veilles laborieuses (85), que je m'étais depuis longtemps promis et qu'enfin maintenant j'ai mis en vers. Tu vas voir comment l'impie Scylla épouvanta jadis le monde par d'amples prodiges, prit son essor dans l'air et se mêla à des troupes d'oiseaux inconnus ; puis, escaladant les astres d'un léger coup d'aile, survola son toit natal de ses ailes azurées, - châtiment qu'elle subit, fille criminelle, pour le cheveu de pourpre (86) et pour la destruction complète de la ville de son père !
Complures illam magni, Messalla, poetae
(nam verum fateamur: amat Polyhymnia verum)       55
longe aliam perhibent mutatam membra figuram
Scyllaeum monstro saxum infestare voraci ;
illam esse aerumnis quam saepe legamus Ulixi
candida succinctam latrantibus inguina monstris
Dulichias vexasse rates et gurgite in alto                  60
deprensos nautas canibus lacerasse marinis.
Sed neque Maeoniae patiuntur credere chartae
nec malus istorum dubiis erroribus auctor.
Namque alias alii volgo finxere puellas,
quae Colophoniaco Scyllae dicuntur Homero,             65
ipse Crataein ei matrem ; sed sive Crataeis
sive illam monstro genuit grave Echidna biformi
sive est necutra parens atque hoc in carmine toto
inguinis est vitium et veneris descripta libido ;
sive etiam iactis speciem mutata venenis                 70
infelix virgo (quid enim commiserat illa?
ipse pater timidam saeva complexus arena
coniugium castae violaverat Amphitrites :
at tamen exegit longo post tempore poenas,
ut cum cura suae veheretur coniugis alto                  75
ipsa trucem multo misceret sanguine Pontum);
seu vero, ut perhibent, forma cum vinceret omnis
et cupidos quaestu passim popularet amantes,
piscibus et canibusque malis vallata repente est
horribiles circum vidit se sistere formas.                  80
Heu ! quotiens mirata novos expalluit artus !
Ipsa suos quotiens heu pertimuit latratus !
ausa quod est mulier numen fraudare deorum
et dictam Veneri votorum avertere poenam,
quam, mala multiplici iuvenum quod saepta caterva  85
vixerat atque modo meretrix iactata ferarum,
infamen tali meritorum more fuisse
docta Palaepaphiae testatur voce papurus :
quidquid et ut quisque est tali de clade locutus,
omnia sint ; potius liceat notescere Cirin,                 90
atque unam ex multis Scyllam non esse puellis.
  Beaucoup de grands poètes (87), Messalla (88) (car il faut dire la vérité ; Polymnie (89) aime la vérité), prétendent qu'elle a subi une tout autre métamorphose : c'est, disent les uns, ce monstre changé en rocher que l'on nomme le rocher de Scylla (90), cette Scylla que nous voyons souvent (91) dans les traverses d'Ulysse, ses hanches blanches ceintes de monstres aboyants (92), harceler les vaisseaux de Dulichium (93), saisir les matelots au fond du gouffre et les déchirer avec ses gueules marines. Mais les récits méoniens (94) ne permettent pas de croire ces inventions et c'est en vain qu'ils invoquent à l'appui de leurs fables suspectes un assez bon auteur. D'autres ont imaginé cent jeunes filles diverses, qui toutes sont, ils l'assurent, la Scylla d'Homère de Colophon (95). Celui-ci lui attribue pour mère Cratéis (96) ; mais il est possible que ce soit Cratéis, ou Echidné (97) qui l'ait eu du monstre biforme (98), il est possible aussi que ce ne soit ni l'une ni l'autre des deux, et qu'il n'y ait dans tout ce récit qu'une description de hanches dépravées et d'une libidineuse Vénus. Selon d'autres encore, c'est, défigurée par un jet vénéneux (99), une vierge infortunée. (Quelle faute en effet avait-elle commise ? C'est le Père lui-même (100) qui, l'ayant étreinte toute tremblante sur une plage farouche, avait violé la foi conjugale promise à sa chère Amphitrite ; et pourtant ce fut elle qui longtemps après subit son châtiment, un jour qu'objet des feux de son époux, Amphitrite que portait la mer mêla à Pontus (101) farouche un sang (102) abondant). Ailleurs encore on rapporte que, belle entre toutes, et ruinant çà et là ses amants (103) trop épris, elle fut assaillie soudain par des poissons et des chiens méchants et se vit enveloppée de leurs formes horribles. Hélas ! que de fois elle pâlit, étonnée à la vue de ces monstres étranges (104) ! Que de fois, hélas ! elle frissonna au bruit de ses propres aboiements (105) ! C'est que, femme, elle avait osé frustrer la puissance des dieux (106) et s'approprier le prix des voeux dû à Vénus ! Entourée d'une nombreuse escorte de jeunes hommes, elle allait déblatérant, courtisane insolente, mais l'infamie de sa métamorphose éclata par de justes rumeurs, comme l'atteste la docte voix des papyrus de Paléphate (107). Quoi qu'il en soit de Scylla, et quoi qu'ait dit chacun d'un tel avatar (108), admettons tout : mais qu'il me soit permis d'accréditer sa métamorphose en aigrette (109) et de la distinguer de la foule des jeunes filles.
Quare quae cantus meditanti mittere certos
magna mihi cupido tribuistis praemia, divae
Pierides, quarum castos altaria postes
munere saepe meo inficiunt foribusque hyacinthi      95
deponunt flores aut suave rubens narcissus
aut crocus alterna coniungens lilia caltha
sparsaque liminibus floret rosa, nunc age, divae,
praecipue nostro nunc aspirate labori
atque novum aeterno praetexite honore volumen.   100
Vous donc qui, quand je méditais d'émettre un chant véridique, avez répondu à mes voeux par de grandes faveurs, déesses Piérides (110) ; vous qui voyez souvent mes offrandes décorer vos chastes lambris et vos autels, l'hyacinthe et le narcisse au rouge tendre (111) poser leurs fleurs à vos portes, le crocus s'enlacer pour vous en guirlandes où alternent les soucis et les lis, et la rose effeuillée fleurir le seuil de vos temples (112) ; maintenant plus que jamais, déesses, secondez notre effort d'un souffle propice (113) et couronnez d'une gloire éternelle ce nouveau volume (114).
Sunt Pandioniis vicinae sedibus urbes
Actaeos inter colles et candida Thesei
purpureis late ridentia littora conchis,
quarum non ulli fama concedere digna
stat Megara, Actaei quondam munita labore,          105
Alcathoi Phoebique: deus namque adfuit illi ;
unde etiam citharae voces imitatus acutas
sape lapis recrepat, Cyllenia munera, pulsus
et veterem sonitu Phoebi testatur honorem.
II y a des villes voisines de la demeure de Pandion (115) entre les collines d'Acté (116), et les blancs (117) rivages de Thésée (118) qui rient (119) au loin de leurs coquillages pourpres (120), et parmi elles, et digne de ne le céder en renommée à aucune, se dresse Mégare (121), jadis construite par les soins d'Alcathoüs (122) Actéen (123), à qui Phébus prêta sa divine assistance (124). Aussi la pierre, imitant les sons aigus de la cithare, y vibre-t-elle souvent (125), si on la frappe, comme le chef-d'oeuvre cyllénien (126), attestant par sa sonorité l'antique honneur qu'elle tient de Phébus.
Hanc urbem ante alios qui tunc fervebat in armis    110
fecerat infestam populator remige Minos,
hospitio quod se Nisi Polyidos avito
Carpathium fugiens et flumina Caeratea
texerat. Hunc bello repetens Gortynius heros
Attica Cretaea sternebat rura sagitta.                    115
Sed neque tunc cives neque tunc rex ipse veretur
infesto ad muros volitantes agmine turmas
reiicere et indomitas virtute retundere mentes,
responsum quoniam satis est meminisse deorum.
Nam capite a summo regis (mirabile dictu !)            120
candida caesaries (florebant tempora lauro)
et roseus medio surgebat vertice crinis,
cuius quam servata diu natura fuisset
tam patriam incolumem Nisi regnumque futurum
concordes stabili firmarant numine Parcae.              125
Ergo omnis caro residebat cura capillo,
aurea sollemni comptum quem fibula ritu
crobylus et tereti nectebant dente cicadae.
Cette ville, le plus puissant des rois qui florissaient alors par les armes, le dévastateur Minos (127), l'avait assiégée de ses rames : Polyide (128), fuyant la mer Carpathienne (129) et les flots du Cérate (130), s'était abrité sous l'antique toit hospitalier de Nisus (131); le héros de Gortyne (132), le réclamant les armes à la main, couvrait de ses flèches crétoises les campagnes de l'Attique (133). Mais ni les citoyens de Mégare ni le roi lui-même ne craignent de porter vers les remparts, en ordre de bataille, leurs escadrons volants, ni de rabattre son orgueil par leur indomptable valeur; c'est assez qu'ils se souviennent de la réponse des dieux (134). Au sommet de la tête du roi, ô merveille ! brillait sa blanche chevelure (le laurier (135) florissait ses tempes) et à mi-tête resplendissait un cheveu rose (136); tant que ce cheveu subsisterait, la patrie et le trône de Nisus seraient indemnes : tel était l'oracle que les Parques unanimes (137) avaient confirmé par leur volonté immuable (138). Dès lors tous les soins se concentraient sur ce cheveu chéri, que, selon un rite (139) solennel, une agrafe d'or formée de cigales entrelacées (140) retenait tout luisant sous sa dent arrondie.
Nec vero haec vobis custodia vana fuisset,
nec fuerat, ni Scylla novo correpta furore,                   130
Scylla, patris miseri patriaeque inventa sepulcrum,
o nimium cupidis Minoa inhiasset ocellis.
Sed malus ille puer, quem nec sua flectere mater
iratum potuit, quem nec pater atque avus idem
Iuppiter (ille etiam Poenos domitare leones,               135
et validas docuit vires mansuescere tigris,
ille etiam divos homines sed dicere magnum est) ;
idem tum tristes acuebat parvulus iras.
Iunonis magnae,cuius periuria divae
vellem te meminere diu ! periura puella                     140
non ulli licitam violaverat inscia sedem,
dum sacris operata deae lascivit et extra
procedit longe matrum comitumque catervam
suspensam gaudens in corpore ludere vestem
et tumidos agitante sinus aquilone relaxans.             145
Necdum etiam castos gustaverat ignis honores
necdum sollemni lympha perfusa sacerdos
pallentis foliis caput exornarat olivae,
cum lapsa e manibus fugit pila, cumque relapsa est,
procurrit virgo. Quod uti ne prodita ludo                   150
auratam gracili solvisses corpore pallam !
Omnia quae retinere gradum cursusque morari
possent, o tecum vellem tua semper haberes !
non umquam violata manu sacraria divae
furando, infelix, nequiquam iure piasses.                 155
Cette surveillance n'eût point été vaine, et elle ne l'avait pas été, si tout à coup (141), prise d'une fureur inconnue, Scylla creusant la tombe de son malheureux père et celle de sa patrie, n'eût dévoré Minos de ses beaux yeux, hélas ! trop avides. Mais le méchant enfant (142) dont les inflexibles colères résistent à sa mère (143) comme elles résistent à son père (144) et à son aïeul Jupiter (145), qui dompte jusqu'aux lions puniques (146), qui apprend aux tigres robustes (147) à adoucir leur violence, qui l'apprend aussi aux dieux et aux hommes, ce même enfant (mais il faut du courage pour le dire), ce tout petit garçon enfonçait alors de sombres ressentiments au coeur de la grande Junon, de la déesse envers qui l'impiété par toi commise, ô impie jeune fille, aurait bien dû rester longtemps dans ta mémoire ! Elle avait sans le savoir violé son sanctuaire, à tous interdit, un jour où vaquant aux cérémonies du culte de la déesse, elle devança de loin en folâtrant la file des matrones et de leurs suivantes, se plaisant à voir jouer sur son corps (148) sa robe flottante et à en abandonner les plis gonflés au souffle de l'Aquilon (149) Le feu n'avait pas encore entamé les chastes offrandes, la prêtresse n'avait pas encore répandu l'onde solennelle (150) ni adorné sa tête du feuillage de l'olivier pâle (151), quand soudain une balle lui glissa des mains et tomba, et quand la vierge s'élança vers la balle qui rebondit encore. Ah ! plût au ciel que, trahie par le jeu de la brise (152), tu n'eusses pas laissé tomber de tes épaules ta palla si légère ! Et que tous ces plis qui peuvent arrêter la marche ou retarder la course, oh ! comme je voudrais que tu les eusses toujours gardés collés à ton corps ! Ta main n'eût jamais violé le sanctuaire de la déesse, et tu n'eusses point, infortunée, expié ton sacrilège.  
Sed si quis nocuisse tibi periuria credat,
causa pia est: timuit fratri te ostendere Iuno.
At levis ille deus, cui semper ad ulciscendum
quaeritur ex omni verborum iniuria dictu,
aurea fulgenti depromens tela pharetra                   160
(heu nimium terret, nimium Tirynthia visu)
virginis in tenera defixerat omnia mente.
Qu'on n'aille pas croire cependant que ce sacrilège ait causé tes malheurs, non, la cause en fut équitable : Junon a craint de te laisser voir à son frère (153). Mais le dieu léger (154) qui cherche toujours pour se venger une offense dans d'innocents propos, tirant des flèches d'or de son carquois brillant (hélas ! il a trop peur, il a trop peur (155) du regard de la Tirynthienne (156) les avait toutes plongées dans le tendre coeur de la vierge.
Quae simul ac venis hausit sitientibus ignem
et validum penitus concepit in ossa furorem,
saeva velut gelidis Edonum Bistonis oris                   165
ictave barbarico Cybeles antistita buxo
infelix virgo tota bacchatur in urbe
non storace Idaeo fragrantis picta capillos,
coccina non teneris pedibus Sicyonia servans,
non niveo retinens bacata monilia collo.                   170
Multum illi incerto trepido vestigia cursu.
Dès que ses veines altérées en eurent bu la flamme, et que ses os eurent été pénétrés jusqu'au fond de leurs moelles par leur puissante fureur (157), semblable à une cruelle Bistonienne (158) sur le rivage glacé des Edons (159) ou à une prêtresse de Cybèle (160) frappée par les sons du buis barbare (161), la vierge infortunée bondit comme une bacchante à travers toute la ville (162). Le storax (163) de l'Ida (164) ne colore plus sa chevelure enflammée ; la rouge chaussure sicyonienne (165) n'enveloppe plus ses pieds délicats ; un collier de perles n'entoure plus son cou de neige; ses pas (166) vacillent beaucoup dans leur  course incertaine.

Saepe redit patrios ascendere perdita muros
aeriasque facit causam se visere turres,
saepe etiam tristes volvens in nocte querelas
sedibus ex altis caeli speculatur amorem                   175
castraque prospectat crebris lucentia flammis.
Nulla colum novit, carum non respicit aurum,
non arguta sonant tenui psalteria chorda,
non Libyco molles plauduntur pectine telae.
Nullus in ore rubor :ubi enim rubor, obstat amori.    180
Atque ubi nulla malis reperit solacia tantis
tabidulamque videt labi per viscera mortem,
quo vocat ire dolor, subigunt quo tendere fata,
fertur et horribili praeceps impellitur oestro,
ut patris, a ! demens, crinem de vertice serum       185
furtim atque arguto detonsum mitteret hosti.
Namque haec condicio miserae proponitur una
sive illa ignorans (quis non bonus omnia malit
credere quam tanti sceleris damnare puellam?),
heu! tamen infelix: quid enim imprudentia prodest?  190
Nise pater, cui direpta crudeliter urbe
vix erit una super sedes in turribus altis,
fessus ubi exstructo possis considere nido,
tu quoque avis moriere: dabit tibi filia poenas.
Gaudete, o celeres, subnixae nubibus altis,            195
quae mare, quae virides silvas lucosque sonantes
incolitis, gaudete, vagae landaeque volucres.
Vosque adeo, humanos mutatae corporis artus,
vos, o crudeli fatorum lege, puellae
Dauliades, gaudete: venit carissima vobis              200
cognatos augens reges numerumque suorum
ciris et ipse pater. Vos, o pulcherrima quondam
corpora, caeruleas praevertite in aethera nubes,
qua novus ad superum sedes haliaeetos et qua
candida concessos ascendat ciris honores.              205

 

Cent fois, désespérée, elle monte et elle remonte sur les murs de sa ville natale, et se forge un prétexte pour aller voir ces tours qui se perdent dans les airs. Cent fois aussi, déroulant dans la nuit des plaintes douloureuses, elle épie de la haute terrasse du palais, l'objet de ses amours (167) et regarde devant elle ce camp que mille flammes illuminent. Elle ne connaît plus sa quenouille, ne regarde plus l'or qui lui était si cher ; le psaltérion (168) sonore ne fait plus sonner sous ses doigts sa corde légère; les fils souples ne sont plus frappés par la navette libyenne (169). Plus de rougeur sur son front (170) : la rougeur, en effet, fait obstacle à l'amour. Et lorsqu'elle sent qu'il n'est plus de remède à de si grands maux, lorsqu'elle voit qu'une langueur mortelle se glisse dans ses entrailles (171), elle s'élance là où la douleur l'invite à aller, là où les destins la contraignent à venir, elle y est poussée, précipitée par un horrible aiguillon (172) ; elle va, ah ! l'insensée, enlever furtivement le cheveu de la tête de son père et envoyer cette dépouille à l'astucieux ennemi. Car c'est le seul parti qui s'offre à la malheureuse ! Ou peut-être ne sait-elle ce qu'elle fait. (Quel homme de bien ne croirait pas tout d'une jeune fille, plutôt que de la condamner pour un si grand crime ?) Mais qu'importe cette ignorance ?  Hélas ! que tu es malheureux, ô Nisus, toi son père, toi qui vas voir ta ville cruellement saccagée, et à qui il restera à peine au haut d'une de tes tours une pierre où, fatigué, tu puisses construire ton nid (173) pour y trouver le repos ! Toi aussi tu mourras oiseau, et le père châtiera sa fille ! Réjouissez-vous, rapides oiseaux appuyés sur les nues élevées, vous qui peuplez la mer, les vertes forêts et les bois sonores (174); réjouissez-vous, oiseaux errants (175) et caressants ; et vous surtout, ô vous qui fûtes dépouillées de vos formes humaines par la loi cruelle des destins, filles de la Daulide (176), réjouissez-vous : voici que vient vers vous qui la chérissez tant, augmentant le nombre de vos parents royaux et des siens (177), Ciris, ainsi que son père lui-même; ô vous (178), autrefois si belles sous la forme humaine, devancez dans l'éther les nuages d'azur, jusqu'aux demeures des dieux où monte l'haliéète (179), jusqu'aux splendeurs concédées où monte la blanche aigrette (180) !
Iamque adeo dulci devinctus lumina somno
Nisus erat vigilumque procul custodia primis
excubias foribus studio iactabat inani:
cum furtim tacito descendens Scylla cubili
auribus arrectis nocturna silentia temptat              210
et pressis tenuem singultibus aera captat.
Tum suspensa levans digitis vestigia primis
egreditur ferroque manus armata bidenti
evolat: at demptae subita in formidine vires
caeruleas sua furta prius testantur ad umbras.       215
Nam qua se ad patrium tendebat semita limen,
vestibulo in thalami paulum remoratur et alte
suspicit acllinis nictantia sidera mundi
non accepta piis promittens munera divis.
Déjà donc un doux sommeil enchaînait les yeux de Nisus (181), et la garde des sentinelles qui veillait au loin, aux premières portes (182), faisait parade d'un vain zèle (183), lorsqu'en cachette Scylla, descendant de sa couche muette (184), tendant l'oreille, questionne le silence de la nuit, et, retenant son souffle, aspire à peine l'air subtil (185).  Alors, suspendant son pas, sur la pointe des pieds, elle sort (186) ; puis, armant ses mains d'un fer à deux tranchants, elle s'élance ; mais un effroi subit lui ôte ses forces... D'abord elle prend à témoin de sa frauduleuse entreprise les ombres céruléennes, car, dans le passage qui aboutissait au seuil paternel, arrivée au vestibule de la chambre, elle s'arrête un moment, et lève les yeux vers le haut firmament jusqu'aux astres roulants du ciel, pour promettre aux pieuses divinités des offrandes qu'elles n'acceptent pas (187). 
Quam simul Ogygii Phoenicis filia Carme                   220
surgere sensit anus (sonitum nam fecerat illi
marmoreo aeratus stridens in limine cardo),
corripit extemplo fessam languore puellam
et simul : "O nobis sacrum caput" inquit "alumna,
non tibi nequiquam viridis per viscera pallor              225
aegrotas tenuis suffundit sanguine venas
nec levis hoc faceres, neque enim pote, cura subegit,
aut fallor, quod ut o potius, Rhamnusia, fallar!
Nam qua te causa nec dulcis pocula Bacchi
nec gravidos Cereris dicam contingere fetus?            230
Qua causa ad patrium solam vigilare cubile
tempore, quo fessas mortalia pectora curas,
quo rapidos etiam requiescunt flumina cursus?
Dic, age, nunc miserae saltem quod saepe petenti
iurabas nihil esse mihi, cur maesta parentis              235
formosos circum virgo morerere capillos.
Ei mihi ! ne furor ille tuos invaserit artus,
ille, Arabae Myrrhae quondam qui cepit ocellos,
ut scelere infando (quod nec sinat Adrastea)
laedere utrumque uno studeas errore parentem !      240
Quod si alio quovis animi iactaris amore
(nam te iactari, non est Amathusia nostri
tam rudis ut nullo possim cognoscere signo),
si concessus amor noto te macerat igne :
per tibi Dictynnae praesentia numina iuro,               245
prima deum mihi quae dulcem te donat alumnam,
omnia me potius, digna atque indigna, laborum
millia visuram, quam te tam tristibus istis
sordibus et scoria patiar tabescere tali."
Mais dès que la fille de l'ogygien Phénix (188), la vieille Carmé, l'a entendue se lever (car le bruit du gond d'airain criant sur le seuil de marbre était parvenu à ses oreilles), elle saisit immédiatement dans ses bras la jeune fille épuisée de langueur, et lui dit aussitôt : "O tête sacrée pour nous, toi que nous avons nourrie, ce n'est pas sans raison qu'une pâleur verdâtre (189), à travers tes entrailles, laisse à peine couler un sang débile dans tes veines malades (190) ; et ce ne saurait être l'effet d'une inquiétude légère, non, cela n'est point possible : c'est la Rhamnusienne (191), si je ne me trompe, qui t'égare, et il vaudrait mieux que je me trompasse ! D'où vient en effet, je me le demande, que tu ne touches plus aux coupes du doux Bacchus ni aux lourds épis de Cérès ? D'où vient que seule tu veilles près de la couche paternelle, à l'heure où les coeurs des mortels laissent dormir leurs soucis fatigués (192), où les fleuves même suspendent leur course rapide (193). Dis à présent, voyons, dis du moins à ta malheureuse nourrice ce que tu jurais n'être rien, quand souvent je te demandais pourquoi, vierge éplorée, tu te mourais (194) en pressant la belle chevelure de ton père. Hélas ! puisse ton être ne pas se laisser aller à cette fureur qui fascina jadis les beaux yeux (195) de l'Arabe Myrrha (196), puisse cette fureur, que réprouve Adrastée (197), ne pas te pousser - crime abominable - à outrager dans un seul geste d'égarement, les deux auteurs de tes jours (198) ! Si c'est un autre amour qui fait battre ton coeur (car il bat, et je n'ignore pas tellement la déesse d'Amathonte (199), que je ne puisse la reconnaître à aucun signe), si un amour permis te dessèche de ses feux bien connus, je te le jure par la présente divinité de Dictyne (200), à qui je dois entre toutes les déesses la douceur de t'avoir nourrie, j'affronterai toutes les épreuves, dignes ou indignes, plutôt que de te laisser abîmer dans ces tristes misères et cet accablement.
Haec loquitur mollique ut se velavit amictu               250
frigidulam iniecta circumdat veste puellam,
quae prius in tenui steterat succincta crocota.
Dulcia deinde genis rorantibus oscula figens
persequitur miserae causas exquirere tabis.
Nec tamen ante ullas patitur sibi reddere voces,       255
marmoreum tremebunda pedem quam rettulit intra.
Illa autem : "Quid me inquit, nutricula, torques?
Quid tantum properas nostros novisse furores?
Non ego consueto mortalibus uror amore
nec mihi notorum deflectunt lumina vultus               260
nec genitor cordi est : ultro namque odimus omnes.
Nil amat hic animus, nutrix, quod oportet amari,
in quo falsa, tamen lateat pietatis imago,
sed media ex acie, mediis ex hostibus. Heu ! heu !
quid dicam quove agam malum hoc exordiar ore?     265
Dicam equidem, quoniam tu me quid dicere, nutrix,
non sinis ? extremum hoc munus morientis habeto
ille, vides, nostris qui moenibus assidet hostis,
quem pater ipse deum sceptri donavit honore,
cui Parcae tribuere nec ullo volnere laedi,                 270
(dicendum est, frustra circumvehor omnia verbis),
ille mea, ille idem oppugnat praecordia Minos.
Quod per te divum crebros testamur amores,
perque tuum memori sanctum mihi pectus alumnae,
ut me si servare potes, nec perdere malis.               275
Sin autem optatae spes est incisa salutis,
nec mihi quam merui invideas, nutricula, mortem.
Nam nisi te nobis malus, o malus optima Carme,
ante hunc conspectum casusve deusve tulisset,
aut ferro hoc" (aperit ferrum quod veste latebat)      280
"purpureum patris dempsissem vertice crinem
aut mihi praesenti peperissem vulnere letum."
Elle dit, et, après s'être enveloppée dans un doux manteau, elle jette un autre tissu autour de la jeune fille frissonnante, qui n'avait d'abord mis, en se levant, qu'une mince mantille. Puis couvrant de doux baisers ses joues humides, elle continue de lui demander les causes d'un tel ravage, mais toutefois, avant d'entendre un seul mot de réponse, elle veut que la jeune fille tremblottante ait remis au lit ses pieds marmoréens. Alors Scylla « Pourquoi, dit-elle, me tourmentes-tu ainsi, ma bonne nourrice? pourquoi te hâtes-tu tant de connaître nos fureurs ? Je ne brûle pas de l'amour habituel aux mortels; ce n'est point l'un des nôtres qui attire mes regards ; ce n'est point de mon père que j'ai cure : je ne suis que trop portée à les haïr tous. Ce coeur, ô nourrice, n'aime rien qu'il faille aimer, rien que puisse couvrir un faux air de piété filiale : ce qu'il aime est au milieu de cette armée, au milieu de ces ennemis. Hélas ! hélas ! que dire ? par quels termes commencer cet aveu de mes malheurs ? Je te le dirai pourtant, puisque tu ne permets pas, ô nourrice, que je ne te dise pas tout. Reçois ce dernier gage (201) d'une mourante. Cet ennemi, tu vois, qui tient nos murailles assiégées, que le père des dieux lui-même a gratifié de l'honneur du sceptre (202), à qui les Parques ont accordé d'être invulnérable (203) (il faut le dire, et je m'emporte en de vaines circonlocutions), Minos enfin, le fameux Minos assiège aussi mon coeur. Par les mille amours des dieux (204), par ces mamelles qu'a sucées ton enfant reconnaissante, je te conjure de me sauver, si tu le peux, et de ne pas me perdre. Mais si tout espoir de salut m'est retranché, ne m'envie pas, ma bonne nourrice, une mort que je mérite. Car si un funeste, oh ! bien funeste hasard, ou un funeste dieu (205), ne t'avait pas jetée devant moi, ma bonne Carmé, ce fer (et elle découvre le fer caché sous sa robe (206) eût abattu le cheveu de pourpre de la tête de mon père, ou par une blessure immédiate fait entrer la mort dans mon sein."
Vix haec ediderat, cum clade exterrita tristi
intonsos multo deturpat pulvere crines
et graviter questu Carme complorat anili.                 285
"O mihi nunc iterum crudelis reddite, Minos,
o iterum nostrae Minos inimice senectae,
semper ut aut olim natae te propter eundem
aut Amor insanae luctum portavit alumnae !
Ten ego tam longe capta atque avecta nequivi,         290
tam grave servitium, tam duros passa labores,
effugere, o bis iam exitium crudele meorum ?
Iamiam nec nobis aequo senioribus ullum,
vivere uti cupiam, restat genus? ut quid ?ego amens
te erepta, o Britomarti, meae spes una sepulcri,       295
te, Britomarti, diem potui producere vitae ?
Atque utinam celeri nec tantum grata Dianae
venatus esses virgo sectata virorum
Gnosia nec Partho contendens spicula cornu.
Dictaeas ageres ad gramina nota capellas !              300
Nunquam tam obnixe fugiens Minois amores
praeceps aerii specula de montis iisses,
unde alii fugisse ferunt, et numen Aphaeae
virginis assignant, alii, quo notior esses,
Dictynnam dixere tuo de nomine Lunam.                 305
Sint haec vera velim : mihi certe, nata, peristi:
nunquam ego te summo volitantem vertice montis
Hyrcanos inter comites agmenque ferarum
conspiciam nec te redeuntem amplexa tenebo.
Verum haec tunc nobis gravia atque indigna fuere,  310
nunc, mea alumna, tui cum spes integra maneret
nam vox ista meas nondum violaverat aures.
Ten etiam Fortuna mihi crudelis ademit,
ten, o sola meae vivendi causa senectae ?
Saepe tuo dulci nequiquam capta sopore                 315
cum premeret natura, mori me velle negavi,
ut tibi Corycio glomerarem flammea luto.
Quo nunc me, infelix, aut quae me fata reservant?
An nescis, qua lege patris de vertice summo
edita candentes praetexat purpura canos,               320
Quae tenui patriae spes sit suspensa capillo ?
Si nescis, aliquam possum sperare salutem,
inscia quandoquidem scelus es conata nefandum ;
sin est quod metuo, per te, mea alumna, tuumque
expertum multis miserae mihi rebus amorem,        325
per te, et sacra precor per numina Ilithyiae
ne tantum in facinus tam nulla mente sequaris
non ego te incepto, fieri quod non pote, conor
flectere amore, neque est cum dis contendere nostrum),
sed patris incolumi potius denubere regno              330
atque aliquos tamen esse velis tibi, alumna, penates
hoc unum exsilio docta atque experta monebo.
Quod si non alia poteris ratione parentem
flectere (sed poteris : quid enim non unica possis? ),
tunc potius tandem ipsa pio cum iure licebit,          335
cum facti causam tempusque doloris habebis),
tunc potius conata tua atque incepta referto ;
meque deosque tibi comites, mea alumna, futuros
polliceor : nihil est, quod texitur ordine, longum."
A peine avait-elle prononcé ces mots, qu'épouvantée de l'affreuse catastrophe, la vieille nourrice souille d'une poussière abondante sa chevelure restée intondue (207), et répand sa profonde douleur en une plainte sénile : "O toi que je retrouve encore, cruel Minos, ô toi, Minos, qui vas être encore le fléau de ma vieillesse, c'est toujours toi : de même que ton amour jadis perdit ma fille (208), de même il perd maintenant ma démente nourrissonne. Ainsi, prisonnière et emmenée si loin de ma patrie (209), après avoir souffert un si rude esclavage et de si durs travaux, je n'ai pu t'éviter, ô toi qui par deux fois fus la ruine cruelle des miens (210) ! Voilà, voilà maintenant que je ne peux plus même vivre de la vie à peine supportable des vieilles gens ! Comment, quand tu me fus ravie, ô Britomartis, unique espoir de ma vie, comment. ai-je pu, insensée que j'étais, prolonger ma vie d'un seul jour ? Ah ! plût au ciel que jamais tu n'eusses, si chère à l'agile Diane (211), suivi, ô vierge (212), les chasses viriles (213), et que, ne tendant pas sur l'arc parthique (214) la flèche de Cnosse (215), tu menasses aux pâturages connus les petites chèvres du Dicté (216) ! Tu ne te serais jamais, fuyant de toutes tes forces l'amour de Minos, précipitée de la cime d'un mont aérien (217), d'où les uns (218) content que tu as fui t'attribuant la puissance de la vierge Aphée (219), tandis que les autres (220) ont dit que, pour être plus connue (221), tu as donné à la Lune ton nom de Dictyne (222). Je voudrais que ce fût vrai ! De toute façon, ma fille, tu es morte pour moi. Jamais je ne te verrai voler au sommet d'une montagne parmi tes compagnons Hyrcaniens (223) et une bande de bêtes sauvages, jamais au retour je ne te tiendrai dans mes bras. Mais ces épreuves pénibles et cruelles, je les ai subies, ma  nourrissonne, quand l'espérance que j'avais en toi me restait entière, et quand le mot fatal que tu viens de prononcer n'avait pas encore déchiré mes oreilles. Est-ce que toi aussi, la cruelle Fortune t'a enlevée à moi, toi, pour ma vieillesse la seule raison de vivre ? Souvent charmée par la trompeuse image de ton doux sommeil, lorsque le sort naturel m'accablait, j'ai dit que je ne voulais plus mourir, afin de teindre pour toi le flamméum (224) des sucs du safran corycien (225). A quoi maintenant me réservent les dieux, infortunée que je suis ? et ces dieux, qui sont-ils? Ignores-tu par quelle loi la pourpre, se dressant au sommet de la tête de ton père, borde ses cheveux chenus ? Ignores-tu que l'espoir de la patrie est suspendu à ce frêle cheveu ? Si tu l'ignores, je puis espérer de te sauver, puisque ce n'est pas en connaissance de cause que tu aurais médité un crime abominable. Mais si c'est ce que je crains, eh bien ! ma nourrissonne, par moi, par cet amour qui te ronge et dont j'ai fait tant de fois l'expérience malheureuse, par moi et par la sainte puissance d'llythyie (226), je t'en prie, ne te laisse pas entraîner d'une pente aussi facile à un si grand forfait ! Je n'essaie point de te détourner d'un amour naissant - c'est là chose impossible - et il ne nous appartiendrait pas de lutter contre les dieux. Mais je voudrais te voir te marier sans que le trône de ton père croulât, et je voudrais même qu'une fois mariée, ô ma nourrissonne, tu conservasses pourtant des pénates (227). Instruite et éprouvée comme je suis par l'infortune, je ne te donnerai que ce seul conseil : si tu ne peux par aucun autre moyen fléchir ton père (mais tu le fléchiras; que ne pourrais-tu sur lui, toi, sa fille unique (228) ?)  alors seulement, avec la permission du bon droit, tu auras une raison d'agir et le temps de t'affliger ; remets donc plutôt à ce moment-là ta tentative et ton entreprise. Et je te promets, ô ma nourrissonne, que moi et les dieux alors nous serons à tes côtés. Rien n'est long, si l'on suit l'ordre naturel des choses."
His ubi sollicitos animi relevaverat aestus              340
vocibus et blanda pectus spe luserat aegrum,
paulatim tremebunda genis obducere vestem
virginis et placidam tenebris captare quietem,
inverso bibulum restinguens lumen olivo
incipit, ad crebrosque insani pectoris ictus             345
ferre manum, assiduis mulcens praecordia palmis.
Noctem illam sic maesta super morientis alumnae
frigidulos cubito subnixa pependit ocellos.
Après avoir calmé par ces mots l'orage qui boule versait l'âme de Scylla, et vaincu par les caresses de l'espérance la maladie de son coeur, la tremblante Carmé ramène peu à peu le tissu sur les joues de la jeune fille, et, pour retrouver un tranquille repos en rappelant les ténèbres, elle retourne la lampe où s'éteint la lumière avide d'huile, puis, portant la main sur ce coeur fou qui bat à coups précipités (229), par les caresses continuelles de ses paumes elle apaise sa poitrine. C'est ainsi que pendant cette nuit, tristement appuyée sur son coude, la nourrice, penchée sur son enfant mourante, la veilla de ses yeux humectés par les larmes.  
Postera lux ubi laeta diem mortalibus almum
et gelida veniente ignem quatiebat ab Oeta,          350
quem pavidae alternis fugitant optantque puellae
(Hesperium vitant, optant ardescere Eoum),
praeceptis paret virgo nutricis et omnes
undique conquirit nubendi sedula causas.
Temptantur patriae submissis vocibus aures          355
laudanturque bonae pacis bona : multus inepto
virginis insolitae sermo novus errat in ore.
Nunc tremere instantis belli certamina dicit,
communemque timere deum ; nunc regis amicis
(namque ipsi verita est) orbum flet maesta parentem: 360
cum Iove communes qui non habuere nepotes.
Nunc etiam conficta dolo mendacia turpi
invenit et divum terret formidine cives ;
nunc alia ex aliis (nec desunt) omnia quaerit.
Quin etiam castos ausa est corrumpere vates,      365
ut, cum caesa pio cecidisset victima ferro,
esset qui generum Minoa auctoribus extis
iungere et ancipitis suaderent tollere pugnas.
Le lendemain comme la riante lumière venant de l'Oeta (230) glacé secouait ( 231) le feu du jour nourricier des mortels (232), du jour que tour à tour les jeunes filles effrayées fuient et désirent (car elles évitent Hespérius ( 233) et désirent les ardeurs d'Eôs (234)), la vierge se conforme aux leçons de sa nourrice, et se tourmente à chercher mille causes qui amènent pour elle le moment de l'hymen. Des mots insinués à l'oreille de Nisus sondent le coeur d'un père. Elle lui vante le bonheur d'une bonne paix ; une foule de propos inouïs errent sur les lèvres inhabiles de l'étrange jeune fille; tantôt elle lui dit qu'elle tremble devant les hasards de cette guerre pressante et qu'elle redoute le dieu incertain ( 235) ; tantôt en présence des amis du roi (car elle a peur du roi lui-même (236)) elle déplore que son père n'ait point de descendance (237) ; pourquoi n'essaierait-il pas d'avoir des petits-fils d'une alliance avec Jupiter (238)? Tantôt encore, habile à feindre, elle invente de honteux mensonges, et remplit les citoyens de la peur des dieux; tantôt elle enchaîne les présages les uns aux autres, et jamais les présages ne manquent. Elle ose même corrompre les intègres devins, si bien que quand la victime est tombée abattue par le fer sacré, des voix s'élèvent pour dire qu'au témoignage des entrailles il faut que Nisus prenne Minos pour gendre et qu'il cesse d'incertains combats.
At nutrix patula componens sulpura testa
narcissum casiamque herbas incendit olentes        370
terque novena ligans triplici diversa colore
fila : "Ter in gremium mecum" inquit "despue, virgo,
despue ter virgo : numero deus impare gaudet."
Inde Iovi geminat magno furiala sacra,
sacra nec Idaeis anubus nec cognita Grais,            375
pergit, Amyclaeo spargens altaria thallo,
regis Iolciacis animum defigere votis.
Verum ubi nulla movet stabilem fallacia Nisum
nec possunt homines nec possunt flectere divi,
(tanta est in parvo fiducia crine cavendi),              380
rursus ad inceptum sociam se adiungit alumnae,
purpureumque parat rursus tondere capillum
tam longo quod iam captat succurrere amori.
Non minus illa tamen Rhauci quod moenia crescant,
gaudeat, et cineri patria est iucunda sepulcro.       385
Cependant la nourrice étendant sur un plat d'argile le narcisse (239) et la cannelle (240) mêlés de soufre (241), brûle ces herbes odorantes et lie par un triple noeud trois fois neuf fils tricolores (242) : "Jeune fille, dit-elle, fais comme moi : crache trois fois dans ton giron (243) ; le nombre impair est agréable au dieu (244)." Ensuite, offrant deux fois au grand Jupiter les sacrifices stygiens (245), sacrifices que ne connaissent ni les vieilles femmes (246) de l'Ida (247), ni les Grecques, elle continue, aspergeant l'autel avec la branche amycléenne (248), de percer l'âme du roi de ses imprécations renouvelées d'Iolcos (249). Mais voyant que nul artifice n'émeut l'inébranlable Nisus, que les dieux ni les hommes ne peuvent le fléchir (tant il a de confiance dans un petit cheveu, s'il le sait bien garder), Carmé s'associe en complice à l'entreprise de sa nourrissonne et s'apprête elle aussi à trancher le cheveu de pourpre: elle se réjouit de venir en aide au long amour (250)de son enfant ; elle ne se réjouit pas moins que grandissent les murs de Rhaucos (251) ; et la patrie aussi est douce à la cendre qui s'y repose.
Ergo iterum capiti Scylla est inimica paterno :
tum coma Sidonio florens deciditur ostro,
tum capitur Megara et divum responsa probantur,
tum suspensa novo ritu de navibus altis
per mare caeruleum trahitur Niseia virgo.             390
Complures illam nymphae mirantur in undis,
miratur pater Oceanus et candida Tethys
et cupidas secum rapiens Galatea sorores,
illa etiam iunctis magnum quae piscibus aequor
et glauco bipedum curru metitur equorum             395
Leucothea parvosque dea cum matre Palaemon;
illi etiam alternas sortiti vivere luces,
cara Iovis suboles, magnum Iovis incrementum,
Tyndaridae niveos mirantur virginis artus.
Has adeo voces atque haec lamenta per auras       400
fluctibus in mediis questu volvebat inani,
ad caelum infelix ardentia lumina tendens,
lumina, nam teneras arcebant vincula palmas:
Scylla donc est de nouveau l'ennemie de la tête de son père ; alors le fer tranche cette chevelure étincelant de la pourpre de Sidon (252) ; alors Mégare est prise (253), et les oracles des dieux se confirment ; alors, suspendue (254), selon un rite nouveau, au haut d'un navire, la vierge niséenne (255) est entraînée parmi la mer d'azur. Les Nymphes en foule l'admirent au sein des ondes, l'Océan leur père l'admire, et la blanche Téthys (256), et Galatée (257) qui traîne à sa suite ses sueurs (258) curieuses ; et celle encore qui mesure la grande plaine liquide avec son attelage de poissons et son char glauque de chevaux bipèdes (259), Leucothoé (260) et le petit Palémon (261) accompagnant la déesse sa mère (262). Les deux héros (263) aussi, que le sort fait vivre tour à tour à la lumière (264), descendance chérie de Jupiter, grand accroissement de Jupiter (265), les Tyndarides (266) admirent les membres neigeux de la jeune fille (267). Quant à elle, voici les paroles, voici les lamentations qu'elle déroulait au milieu des flots en une plainte inutile, levant au ciel, l'infortunée, des yeux ardents, - des yeux, car des chaînes liaient ses tendres paumes (268)
"Supprimite o paulum turbati flamina venti,
dum queror et divos,quamquam nil testibus illis     405
profeci, extrema moriens tamen alloquor hora.
Vos ego, vos adeo, venti testabor et Aurae,
vos o matutina si qui de gente venitis,
cernitis ? illa ego sum cognato sanguine vobis
Scylla (quod o salva liceat te dicere, Procne),         410
illa ego sum Nisi pollentis filia quondam,
certatim ex omnis petiit quam Graecia regno,
qua curvus terras amplectitur Hellespontus:
illa ego sum, Minos, sacrato foedere coniunx
dicta tibi : tamen haec, etsi non accipis, audis.       415
Vinctane tam magni tranabo gurgitis undas ?
Vincta tot adsiduas pendebo ex ordine luces ?
« Retenez un peu, ô Vents déchaînés, vos souffles, pendant que je me plains et que les dieux, par moi adjurés sans profit, entendent Scylla mourante les invoquer pourtant à son heure dernières (269). Oui, Vents, oui, c'est vous, que je prendrai à témoin, et vous, Brises, qui venez du pays du matin, vous le voyez : c'est moi, cette Scylla unie à vous par les liens du sang (oh ! laisse-moi le dire, Procné, et ne t'en irrite pas), c'est moi la fille du roi Nisus qui florissait naguère, l'objet des voeux jaloux de tous les rois de la Grèce (270), aussi loin que l'Hellespont (271) incurvé (272) en embrasse les rives ; c'est moi que tu nommas, ô Minos, ton épouse par un pacte sacré (273) et tu as beau ne pas m'écouter, tu entends pourtant ce que je te dis. Faudra-t-il qu'ainsi enchaînée, je traverse les ondes d'un si grand gouffre ? Qu'ainsi enchaînée je reste pendue durant tant de jours de suite ?
Non equidem me alio possum contendere dignam
supplicio, quod sic patriam carosque penates
hostibus inmitique addixi ignara tyranno.                  420
Verum istaec, Minos, illos scelerata putavi,
si nostra ante aliquis nudasset foedera casus,
facturos, quorum direptis moenibus urbis
o ego crudelis flamma delubra petivi.
Te vero victore prius vel sidera cursus                       425
mutatura suos quam te mihi talia captae
facturum metui. Iam iam scelus omnia vincit.
Ten ego plus patrio dilexi perdita regno ?
Ten ego ? Nec mirum: vultu decepta puella
ut vidi, ut perii, ut me malus abstulit error.               430
Non equidem ex isto speravi corpore posse
tale malum nasci ; forma vel sidera fallor.
Me non deliciis commovit regia dives,
curalio fragili et lacrimoso movit electro,
me non florentes aequali corpore nymphae,               435
non metus incensam potuit retinere deorum:
omnia vincit amor : quid enim non vinceret ille ?
Non mihi iam pingui sudabunt tempora myrrha,
pronuba nec castos accendet pinus honores
nec Libys Assyrio sternetur lectulus ostro                  440
magna queror : me ne illa quidem communis alumnam
omnibus iniecta tellus tumulabit arena.
Mene inter matres ancillaresque maritas,
mene alias inter famularum munere fungi
coniugis atque tuae, quaecumque erit illa, beatae     445
non licuit gravidos penso devolvere fusos ?
At belli saltem captivam lege necasses !
Iam fessae tandem fugiunt de corpore vires,
et caput inflexa lentum cervice recumbit,
marmorea adductis livescunt bracchia nodis.            450
Aequoreae pristes, immania corpora ponti,                   
undique conveniunt et glauco in gurgite circum
verbere caudarum atque oris minitantur hiatu.
Iam tandem casus hominum, iam respice, Minos.
Sit satis hoc tantum solam vidisse malorum !           455
vel fato fuerit nobis haec debita pestis                       
vel casu incerto, merita vel denique culpa :
omnia nam potius quam te fecisse putabo."
Je ne puis sans doute me prétendre digne d'un autre supplice, moi qui, dans mon ignorance, ai livré ma patrie et mes Pénates chéris aux ennemis et à leur implacable tyran (274). C'est vrai : mais, Minos, la criminelle que je suis n'a cru avoir à l'attendre, ce supplice, que dans Mégare, si quelque hasard y eût révélé notre pacte, et de ceux-là seulement dont elle a ruiné les murs, livré, la cruelle ! les sanctuaires aux flammes ! Mais toi vainqueur, es astres, pensais-je, changeront leur cours, avant d'avoir à craindre que tu ne me traites en captive ! Dès maintenant, ton crime passe tout. Et c'est toi que, fille perdue, j'ai plus aimé que le royaume de mon père ! C'est toi, hélas ! Et rien d'étonnant : jeune fille trompée par un beau visage, je te vis, je péris, une funeste erreur m'emporta (275) ! Non je n'aurais pas cru que d'un corps si charmant un tel fléau pût naître : la beauté tromperait jusqu'aux astres (276) ! Je ne fus plus frappée des délices (277) du palais royal, riche en fragile corail (278) et en larmes d'ambre (279), ni par mes nymphes (280), fleurs dont la beauté égalait la mienne ; la peur des dieux ne put retenir mon être enflammé ; l'Amour a tout vaincu (281) et que ne vaincrait-il pas ? Jamais de myrrhe onctueuse ne ruisselleront mes tempes (282) ; jamais le pin nuptial (283) n'allumera pour moi ses chastes honneurs ; jamais la couche libyenne (284) ne se couvrira pour moi de la pourpre d'Assyrie (285) ; je pousse encore une grande plainte : jamais la terre elle-même, commune mère nourricière de tous les êtres, ne recevra mes os recouverts d'un peu de sable (286). Quoi ! ne pas même pouvoir vivre parmi tes matrones et tes épouses ancillaires (287), ne pas pouvoir parmi les autres servantes m'acquitter de serviles offices, et près de ton heureuse épouse, quelle qu'elle soit, ne pas pouvoir tourner les fuseaux chargés de laine ! Ah ! tu aurais bien dû, selon la loi de la guerre, mettre à mort ta captive ! Déjà mes forces enfin s'enfuient de mon corps las, et ma tête penchée tombe sur ma nuque infléchie ; mes bras de marbre pendent sous les noeuds qui les serrent. Les monstres des plaines liquides, les énormes bêtes de la mer se rassemblent de toutes parts, et m'entourant dans le gouffre glauque, me menacent de leurs coups de queue et de leurs gueules béantes. Considère enfin, Minos, considère les chutes des humains (288). Il devrait bien suffire qu'une seule mortelle ait vu tant de malheurs ! Que cette torture nous ait été assignée par le sort, ou que j'aie provoqué mon destin, ou que je l'aie mérité enfin par ma faute, je voudrais croire du moins que tout, excepté toi, fut cause de mon malheur."
Labitur interea revoluta ab littore classis,
magna repentino sinuantur lintea Coro,                460
flectitur in viridi remus sale, languida fessae            
virginis in cursu moritur querimonia longo.
Deserit angustis inclusum faucibus Isthmon
Cypselidae magni florentia regna Corinthi ;
praeterit abruptas Scironis protinus arces            465
infestumque suis dirae testudinis exit                          
spelaeum multoque cruentas hospite cautes.
Iamque adeo tutum longe Piraeea cernit
et notas, heu heu ! frustra, respectat Athenas,
iam procul e fluctu Salaminia respicit arva           470
florentesque videt iam Cycladas : hinc sinus illi    
Sunias, hinc statio contra patet Hermionea.
Linquitur ante alias longe gratissima Delos
Nereidum matri et Neptuno Aegaeo ;
prospicit incinctam spumanti litore Cythnun         475
marmoreamque Paron viridemque allapsa Donusam  
Aeginam Siphnumque salutiferamque Seriphum.
Cependant la flotte glisse, entraînée loin du rivage ; les grandes voiles s'incurvent sous un brusque Corus (289) ; la rame plie sous l'eau verte et salée ; la plainte languissante de la jeune fille lassée meurt dans cette longue course. Elle quitte l'Isthme (290) qu'emprisonnent deux goulets (291), le florissant royaume du grand Gypsélide (292) de Corinthe; elle longe aussitôt après les abrupts contreforts de Sciron (293) et dépasse le repaire de la farouche Tortue (294), terreur de ses compatriotes, ainsi que les récifs ensanglantés par de nombreux hôtes. Bientôt elle distingue dans le lointain le sûr Pirée (295) et jette, vainement hélas ! ses regards sur Athènes qu'elle connaît (296). Puis elle aperçoit au loin, sortant des flots, les campagnes de Salamine ; elle voit ensuite les florissantes Cyclades (297) : d'un côté s'ouvre à elle le golfe de Sunium (298), de l'autre l'abri d'Hermione (299). On laisse Délos, la terre de beaucoup la plus agréable à la mère des Néréides et à Neptune Egéen (300) ; elle aperçoit Cythnos (301)  ceinte d'une grève écumante, elle glisse à côté de la marmoréenne Paros (302) et de la verte Donyse (303), d'Égine (304) et de Siphnos (305) et de la salvatrice Sériphos (306).
Fertur et incertis iactatur ad omnia ventis,
cymba velut, magnas sequitur cum parvola classes,
Afer et hiberno bacchatur in aequore turbo.            480
Donec tale decus formae vexarier undis
non tulit ac miseros mutavit virginis artus
caeruleo pollens coniunx Neptunia regno.
Sed tamen alternum squamis vestire puellam
infidosque inter teneram committere piscis           485
non statuit (nimium est avidum pecus Amphitrites).
Aeriis potius sublimem sustulit alis,
esset ut in terris facti de nomine Ciris,
Ciris Amyclaeo formosior ansere Ledae.
Elle est emportée et ballottée en tous sens par les vents incertains : ainsi qu'une chaloupe quand elle suit, toute petite, une flotte immense et que l'ouragan d'Afrique (307) mène la danse (308) sur la plaine liquide démontée. Enfin l'épouse de Neptune (309), souveraine du royaume azuré, ne supporta pas davantage qu'une telle beauté fût malmenée par les ondes et elle transforma les malheureux membres de la vierge. Mais pourtant elle ne se résolut pas à revêtir pour toujours d'écailles la jeune fille, et à l'exposer, si tendre, aux poissons si peu sûrs : le troupeau d'Amphitrite (310) est trop vorace. Elle aima mieux l'enlever bien haut, sur des ailes aériennes ; et la terre, à cause de son forfait, lui donna le nom d'aigrette (311),-aigrette plus belle que le jars (312) amycléen (313) de Léda (314).
Hic velut in niveo tenera est cum primitus ovo       490
effigies animantis et internodia membris
imperfecta novo fluitant concreta calore
sic liquido Scyllae circumfusum aequore corpus
semiferi incertis etiam nunc partibus artus
undique mutabant atque undique mutabantur.       495
Oris honos primum et multis optata labella
et patulae frontis species concrescere in unum
coepere et gracili mentum producere rostro.
Tum qua se medium capitis discrimen agebat,
ecce repente velut patrios imitatus honores          500
puniceam concussit apex in vertice cristam,
at mollis varios intexens pluma colores
marmoreum volucri vestivit tegmine corpus
lentaque perpetuas fuderunt bracchia pennas.
Inde alias partes minioque infecta rubenti            505
crura nova macies obduxit squalida pelli,
et pedibus teneris unguis adfixit acutos.
Et tamen hoc demum miserae succurrere pacto
vix fuerat placida Neptuni coniuge dignum.
Alors, de même que dans l'oeuf neigeux on voit à ses débuts la tendre ébauche de l'animal et d'imparfaits ligaments de membres flotter, agglomérés par la chaleur nouvelle, de même le corps de Scylla répandu sur la plaine liquide (315), ses membres à demi bestiaux aux parties encore incertaines enfantaient mille changements et en subissaient mille. D'abord la beauté de son visage, ses lèvres que beaucoup désirèrent, la forme de son large front (316) commencèrent par se confondre en un seul bloc, et son menton s'allongea en un bec effilé. Puis sur la ligne qui partageait la tête par le milieu, voici soudain qu'à l'instar de l'insigne paternel une houppe agita tout en haut son panache pourpré. Cependant un moelleux plumage où mille couleurs s'entremêlent revêtit de son enveloppe volante ce corps marmoréen, et ses souples bras (317) se couvrirent de longues plumes serrées. Puis une maigreur rugueuse tendit une étrange peau sur les autres parties du corps, notamment sur les jambes teintes d'un roux minium (318), et fixa à ses pieds tendres des ongles acérés. Et pourtant prêter un tel secours, finalement, à cette malheureuse, était à peine digne de la douce compagne de Neptune (319).
Numquam illam post haec oculi videre suorum       510
purpureas flavo retinentem vertice vittas,
non thalamus Syrio fragrans accepit amomo,
nullae illam sedes : quid enim cum sedibus illi ?
Quae simul ut sese cano de gurgite velox
cum sonitu ad caelum stridentibus extulit alis        515
et multum late dispersit in aequora rorem,
infelix virgo nequiquam a morte recepta
incultum solis in rupibus exigit aevum,
rupibus et scopulis et litoribus desertis.
Nec tamen hoc iterum poena sine : namque deum rex, 520
omnia qui imperio terrarum milia versat,
commotus talem ad superos volitare puellam,
cum pater exstinctus caeca sub nocte lateret,
illi pro pietate sua (nam saepe nitentum
sanguine taurorum supplex resperserat aras,        525
saepe deum largo decorarat munere sedes)
reddidit optatam mutato corpore vitam,
fecitque in terris haliaeetos ales ut esset :
quippe aquilis semper gaudet deus ille coruscis.
Huic vero miserae, quoniam damnata deorum      530
iudicio patriaeque et coniugis ante fuisset,
infesti apposuit odium crudele parentis.
Jamais plus les yeux de ses compatriotes ne la virent attacher à sa tête blonde (320) des bandes de pourpre (321); sa chambre où l'amolne de Tyr ( 322) répandait ses flagrances ne l'accueillit plus jamais : aucune demeure ne l'accueillit plus. Qu'a-t-elle à faire avec des demeures ? A peine du gouffre chenu (323) s'est-elle, rapide et en poussant un cri, élancée sur ses ailes sifflantes jusqu'au ciel, à peine a-t-elle sur la plaine liquide dispersé au loin une rosée abondante (324), que l'infortunée vierge en vain ravie à la mort s'en va traîner une vie sauvage sur les rocs solitaires, sur les rocs, les écueils et les grèves désertes. Encore n'est-ce point sans subir un second châtiment : car le roi des dieux, qui meut sous son empire toutes les régions sans nombre de la terre, indigné de voir voler vers les dieux une telle jeune fille, quand son père mort se cachait sous la nuit aveugle, pour le récompenser de sa piété (car cent fois ses mains suppliantes avaient aspergé les autels du sang tiède des taureaux, et cent fois il avait de ses larges offrandes décoré (325) les demeures des dieux), Jupiter lui rendit la vie tant désirée en transformant son corps. Il le fit devenir sur terre l'haliéète(326). Car l'illustre dieu ne se plaît qu'aux aigles resplendissants. Et comme la malheu reuse Scylla avait été condamnée auparavant par la sentence d'un fils des dieux (327) et d'un époux (328), il attacha encore à cette fille la haine cruelle d'un père courroucé (329).
Namque ut in aetherio signorum munere praestans,
unum quem duplici stellatum sidere vidi,
Scorpios alternis clarum fugat Oriona :                 535
sic inter sese tristis Haliaeetos iras
et ciris memori servant ad saecula fato.
Quacumque illa levem fugiens secat aethera pennis,
ecce inimicus atrox magno stridore per auras
insequitur Nisus ; qua se fert Nisus ad auras,        540
illa levem fugiens raptim secat aethera pennis.
C'est ainsi que, de même qu'au seuil éthéré des astres, l'un, le Scorpion, qui l'emporte sur les autres et que les dieux étoilèrent d'un double rang d'étoiles (330), met en fuite le clair Orion qui le poursuit à son tour (331) - de même l'Haliéète et l'Aigrette, animés réciproquement d'une triste colère, l'entretiennent, par un implacable destin, au cours des siècles. Partout où l'Aigrette fugitive fend l'éther de ses ailes légères, voici son ennemi acharné qui avec un grand sifflement la poursuit à travers les airs : c'est Nisus; et partout où Nisus s'élance dans les airs, fugitive elle fend l'éther, en le dévorant de ses ailes légères (332).



54. Messalla... Ce Messalla semble être M. Valerius Messalla Corvinus (64 av. J.-C. - 9 environ après J.-C.), qui fut le protecteur d'Ovide et l'ami d'Horace et de Tibulle lui-même poète, grammairien, historien, orateur ; mais aucun de ses ouvrages n'est resté. Cf. Horace, Od., III, 21; Tibulle, Poésies, I, 3; I, 7 ; et le Panégyrique de Messalla (Tib., IV, 1.) Partisan de Brutus il sut, après Philippes, ménager avec les vainqueurs un accommodement honorable pour lui et pour les siens, et donna ensuite l'exemple d'un inaltérable attachement à Octave-Auguste. Consul en 31, l'un des vainqueurs d'Actium, il pacifia ensuite la Cilicie, la Syrie et l'Égypte, fut proconsul en Gaule et eut pour sa victoire sur les Aquitains les honneurs du triomphe. Cf. Velleius, II, 71; Cicéron, Ad Brut., CXXXIII; etc.

55. La vanité des prix que décerne la foule trompeuse... Lieu commun, cher notamment à Horace. Cf. Od., I, 1 :
Hunc [juvat], si mobilium turba Quiritium
Certat tergeminis tollere honoribus...

"Celui-ci est heureux, si la tourbe des mobiles Quirites le porte, empressée, aux trois hautes magistratures..."
et Ep., I, 19, 37
Non ego ventosae plebis suffragia venor ...
"Je ne quête pas, moi, les suffrages de cette plèbe qui tourne comme le vent..."

56. Le jardinet de Cécrops... Le petit jardin d'Athènes, ville de Cécrops, où Épicure avait coutume de converser avec ses disciples, et qu'il avait acheté, au centre de la ville, pour le prix de quatre-vingts mines.
Quant à l'épithète Cecropius, "cécropien" ou "de Cécrops", pour désigner Athènes, on la trouve employée par maints poètes, et notamment par Virgile, Géorg., IV, 177 : Cecropias apes, "les abeilles de Cécrops" ; id., 270 : Cecropium thymum, "le thym de Cécrops", etc.

57. Qui exhale de suaves haleines... Le poète semble se souvenir des vers de Catulle (LXIV, 87) :
suavis exspirans castus odores
Lectulus...

"le chaste petit lit qui exhale de suaves odeurs..."

58. M'enlace du vert ombrage... Expression virgilienne. Cf. En., I, 693 : dulci... complectitur umbra.

59. Une colline qui a plu a bien peu... Sans doute la colline de l'Hélicon, chère à Uranie.

60. Mes Muses... Les Muses de la poésie érotique et élégiaque.

61. La Sagesse... La Sagesse ou Philosophie. Cf. Afranius, 299 :
Sophiam vocant me Grai, vos Sapientiam.
"Les Grecs m'appellent la Philosophie, vous la Sagesse."

62. Aux quatre héritiers antiques... Sans doute les quatre principaux continuateurs d'Épicure : Basilide, Ermarque, Polistrate, et Denys.

63. D'où je puisse à travers le monde abaisser de long en large mes regards sur les erreurs des hommes et mépriser leurs bas soucis... Souvenir de Lucrèce, De Nat. rerum, II, 8-9 :
...templa serena 
Despicere unde queas alios passimque videre 
Errare atque viam palantis quaerere vitae...

64. De badiner... La poésie était considérée par les anciens comme un jeu (lusus), un badinage. Virgile (Buc., VI, 1) emploie le même terme que l'auteur de l'Aigrette : ludere versu. Catulle traite ses vers de "babioles" et d' "inepties" (nugae, ineptiae). Horace en dit autant de ses épîtres. Cf. Catulle, I, 4 ; XIV, 1 ; Horace, Epist., 19, 42.

65. Un vers gracieux... Par vers gracieux (graciles versus) les Romains entendaient des vers érotiques ou élégiaques. Cf. Culex, I, 1 : Lusimus gracili modulante Thalia.

66. Une douce mesure... Le pentamètre joint à l'hexamètre.

67. Un grand péplum... Le péplum de Minerve.

68. L'Athènes d'Erechthée... Homère appelle de même Athènes "le peuple d'Erechthée" dêmos Erechthêos (Il., II, 547).
Héros légendaire d'Athènes, Erechthée, fils et successeur de Pandion (1525 (?) - 1460 (?) av. J.-C.), est célèbre pour avoir réparti les habitants de l'Attique en quatre classes, amélioré la culture du blé et institué les mystères d'Eleusis. L'Erechthéion, bâti sur l'Acropole, à l'endroit où Erechthée avait édifié un premier temple, perpétuait son nom dans l'Athènes historique, et l'on sait que la première des dix tribus athéniennes fondée par Oristhènes se nommait la tribu érechthéide.

69. Les lentes Quinquatries... Il faut entendre : les Quinquatries qui, au gré des Athéniens, revenaient trop lentement, car c'étaient des fêtes impatiemment attendues. - Le poète donne ici le nom latin de Quinquatries, fêtes en l'honneur de la Minerve romaine, aux Panathénées athéniennes, fêtes en l'honneur de Pallas, et qui avaient l'importance que l'on sait.
Sur les Quinquatries latines, ainsi nommées parce qu'elles commençaient le cinquième jour après les ides de Mars (avant d'être la fête de Minerve, elles avaient été d'abord la fête de Mars), cf. Ovide, Fast., III, 809 ; Denys d'Halicarnasse, Antiqu. rom., II, 70, 2.

70. Lorsque alternant avec l'Eurus frémit le léger zéphyr... C.-à-d. au mois de mars. - L'auteur de l'Aigrette, comme on l'a dit dans la note précédente, confond les Quinquatries romaines, qui avaient lieu à partir du 10 mars, avec les Grandes Panathénées, qui avaient lieu à la fin de juillet et au début d'août.

71. La suite des combats palladiens... La suite des combats qu'aux côtés de Jupiter Pallas (Minerve) livra aux géants révoltés.
Minerve est souvent surnommée par les écrivains grecs "la destructrice des géants" gigantoletis, gigantophontis, „ gigantoleteira.

72. Les trophées des géants... Ces trophées étaient célèbres. Cf. Ovide, Fast., V, 555 : 
Digna giganteis haec sont delubra tropaeis.
"Voici des sanctuaires dignes des trophées des géants."

73. Les batailles horribles... Expression virgilienne (Géorg., II, 282).

74. La lance à la pointe dorée... La fameuse lance de Minerve, telle que l'avait sculptée Phidias sur l'Acropole, - lance dont la pointe dorée était, au dire de Pausanias (I, 28, 2), visible de loin aux navigateurs.

75. Typhon... Typhon ou Typhée, le dernier fils du Tartare et de la Terre (ou, selon une autre tradition, fils de la seule Héra, indignée que Zeus seul eût mis au monde Athéné), était un monstre à cent têtes, à triple corps et à queue de serpent, père des Vents malfaisants, des Harpies, du Sphinx et du sanglier de Krommyon qu'il avait eus d'Echidna (la Vipère). Il participa à la Gigantomachie et fut écrasé par Zeus sous l'Etna. Cf. Virgile, Géorg., I, 279 ; En., VIII, 298. Minerve (Athéné) eut seule le courage aux côtés de Jupiter (Zeus) d'affronter le géant redoutable, et elle fut assez heureuse pour l'abattre.

76. L'Ossa... L'Ossa, aujourd'hui Kissovo, montagne de la Grèce, séparée de l'Olympe par le Pénée et la vallée de Tempé, occupait la partie nord de la presqu'île de Magnésie et se rattachait au Pélion au S.-E. Cf. Virgile, Géorg., I, 281-282 :
Ter sunt conati imponere Pelio Ossam 
Scilicet, atque Ossae frondosum involvere Olympum.

77. Le haut Olympe... L'Olympe, aujourd'hui Lacha ou Elymbos, montagne de Grèce qui était considérée par les anciens comme étant le séjour des dieux, se trouvait à l'extrémité des monts Cambuniens, entre la Thessalie et la Macédoine. - L'auteur le qualifie de "haut", Virgile de "long" (Géorg., III, 222), Sénèque de "stelligère" ou porteur d'étoiles (Herc. Oet., 1907). Sa 
hauteur est de 2.985 mètres, et son principal sommet est toujours couvert de neige.

78. La cime Emathienne... La cime macédonienne. C'est le Pélion que le poète veut dire, mais il commet une erreur, car le 
Pélion, aujourd'hui Plessidhi, se trouve en Thessalie, dans la presqu'île de Magnésie, et non en Macédoine.

79. O le plus docte des jeunes gens... Il s'agit de Messala, que le poète nomme au vers 54.

80. Au grand dessin de la nature... Expression de Lucrèce, cf. De Nat. Rer., IV, 969-970.

81. Bige... Char à deux chevaux.

82. D'azur... Sénèque, dans son Hercule furieux, v. 132, parle des chevaux d'azur du soleil (Titan) :
caeruleis evectus equis Titan.

83. La Philosophie... Cf. vers 4 et note 61.

84. Aux siècles antiques... Catulle (XCV, 6) parle a des siècles "chenus", cana saecula.

85. Ce travail de mes veilles laborieuses... Même expression dans Cinna, Fragments, XI, 1 :
Haec tibi Arateis multum invigilitata lucerni 
Carmina...

86. Le cheveu de pourpre... L'auteur de l'Aigrette attribue au cheveu fatal la couleur que lui prêtent les traditions courantes Seul, le scholiaste d'Euripide (Hipp., 1200) en fait un cheveu d'or. Cf. Virgile, Géorg., 1, 405 :
Et pro purpureo poenas dat Scylla capillo.

87. Beaucoup de grands poètes... Parmi ces nombreux poètes qui ont rapporté la métamorphose de Scylla en rocher, il faut citer Virgile, Properce et Ovide. Cf. Buc., VI, 74-76 :
Quid loquar aut Scyllam Nisi, quam fama secuta est 
Candida succinctam latrantibus inguina monstris 
Dulichias vexasse rates?

et Properce, El., IV, 4, 39 ; Ovide, Fast., IV, 500 ; Héroïdes, XII, 123 ; Rem. Am., 737 ; Ars am., I, 331 ; Am., III, 12, 21.

88. Messalla... Cf. note 54.

89. Polymnie... Polymnie ou Polyhymnie, Muse de la poésie lyrique et de la mimique ; c'est elle qu'Horace (Od., I, 1, 33) invoque concurremment avec Euterpe, celle-ci représentant la douceur harmonieuse, celle-là l'abondante variété des rythmes.

90. Le rocher de Scylla... Le rocher de Scylla (Skullaion akron) auj. la Rema, est un promontoire rocheux situé à l'entrée du détroit de Sicile, et qui porte le nom de Scylla, fille de Cratéis, changée en monstre marin par la jalousie de Circé. L'auteur de la Ciris distingue nettement ici cette Scylla de la Scylla fille de Nisus, qui, ayant trahi son père, fut changée en aigrette ; et Ovide (Mét., VIII, 1 sq. ; XIV, 1 sq.) fait la même distinction. Mais le même Ovide (Fast., IV, 500), Properce (El., IV, 4, 39 sq.) et Virgile lui-même (Buc., VI, 74) confondent les deux fables, suivant sans doute des auteurs grecs qui nous sont inconnus.

91. Souvent... Non pas souvent, mais deux fois seulement : Od. XII, 223 sq. ; 430 sq.

92. Ses hanches blanches ceintes de monstres aboyants... Telle nous la représentent Homère et Apollonius de Rhodes, ainsi que la plupart des poètes ; Lycophron, Alex., 650 et 669, l'appelle moxothêr et mixoparthenos kuôn ; l'auteur de l'Aigrette, pour la dépeindre, reproduit textuellement un vers de Virgile (cf. note 87). Cf. aussi Lucrèce, De Nat. Rer., V, 892-893 :
...rabidis canibus succinctes semimarinis
Corporibus Scyllas...

et Catulle, Poésies, LX, 2 :
Scylla latrans infima inguinum parte.

93. Les vaisseaux de Dulichium... Au vers des Bucoliques, VI, 76, que nous avons cité plus haut (note 87), Servius, à propos des "vaisseaux de Dulichium", note : "Vaisseaux d'Ithaque, ainsi nommés d'un mont ou d'une ville du royaume d'Ulysse." Dulichium, aujourd'hui Néochori, était exactement l'une des Echinades voisines d'Ithaque, qu'Homère (Il., II, 625) place sous la domination de Mégès, et non d'Ulysse.

94. Les récits méoniens... Les récits d'Homère, poète de Méonie, ancien nom de la Lydie. Même expression dans Ovide, Pontiques, IV, 12, 27.

95. Homère de Colophon... A en croire certains auteurs, notamment Nicandre (Peri tôn ek Kolophônos pointôn) , Colophon, auj. Attobosco ou Belvedère, eut la gloire d'être la patrie d'Homère.

96. Celui-ci lui attribue pour mère Cratéis... Homère, Od., XII, 124, fait de Cratéis la mère de Scylla :
Krataiin mêtera tês Skullês.
Cette Cratéis semble avoir été une nymphe, fille de Triton et d'Hécate.

97. Echidna... Monstre fabuleux né de la terre, soeur des Grées et des Gorgones, unie à Typhon (cf. note 75) et ayant eu de lui les Vents malfaisants, les Harpyes, le sanglier de Krommyon, le Sphynx, la Chimère, le chien de Géryon, l'hydre de Lerne, le dragon des Hespérides, Cerbère, etc... Echidna (la Vipère) était, selon Hésiode (Théog., 297), une jeune et belle nymphe par la partie supérieure de son corps, et, quant au reste, énorme vipère aux couleurs changeantes.

98. Ou monstre biforme... Typhon, qui avait la queue d'un serpent. Cf. note 75.

99. Par un jet vénéneux... Par le poison lancé dans la mer par la jalouse Amphitrite.

100. Le père lui-même... Neptune.

101. Pontus... La mer.

102. Un sang... Un suc vénéneux.

103. Ruinant ses amants... Selon Anaxilas et Callimaque, Scylla était une courtisane rapace, qui pillait et ruinait ses amants. Les chiens dévorants qui aboient à sa ceinture symbolisent son avidité.

104. Etonnée à la vue de ces monstres étranges... Cf. Claudien XVIII, 294 :
Scylla novos mirata canes.

105. Elle frissonna au bruit de ses propres aboiements... Même image dans Ovide, Mét., XIV, 62, qui nous montre Scylla apeurée par les gueules farouches de ses chiens : timetque ora proterva canum.

106. Des dieux... D'Amphitrite.

107. La docte voix du papyrus de Paléphate... On ne sait si l'auteur fait ici allusion à l'écrivain grec Paléphate, de Paros ou de Priène, qui vécut au Ve siècle avant notre ère et à qui Suidas attribue le traité Des choses incroyables, ou à Paléphate d'Abydos, l'ami d'Aristote qui écrivit des ouvrages, aujourd'hui perdus, sur l'ile de Chypre, sur l'ile de Délos, sur l'Attique et sur l'Arabie, ou à Paléphate d'Alexandrie, qui composa une Théologie égyptienne et une Explication des mythes, ouvrages entièrement perdus. Le seul écrit qui nous reste de ces trois Paléphates est le premier livre (sur cinq) du traité des Choses incroyables, publié en 1649, et traduit en français en 1771 par Polier de Boltens : on n'y trouve rien qui ait trait au mythe de Scylla.

108. Un tel avatar... Sa métamorphose.

109. Aigrette... L'aigrette est une sorte de héron, petit de taille et généralement de couleur blanche.

110. Déesses Piérides... Les Muses, nommées parfois Piérides, soit à cause de leur séjour sur le mont Piérus (montagne de la Piérie, sur la rive occidentale du golfe Thermaïque), soit parce qu'une colonie de Piériens fonda sur l'Hélicon, en Béotie, une Piérie consacrée au culte des Muses, soit parce qu'elles vainquirent les neuf filles de Piérus, roi de Macédoine, qui les avaient défiées et qui furent changées en pies. Virgile, dans les Bucoliques, donne cinq fois aux Muses le nom de Piérides.

111. Le narcisse au rouge tendre... Virgile, Buc., III, 63, parle, lui, de "l'hyacinthe au rouge tendre" suave rubens hyacinthus. Cf. Copa, 20, et note 13.

112. La rose effeuillée fleurir le seuil de vos temples... Selon la coutume romaine. Cf. Ovide, Art d'aimer, III, 72 :
Sparsa nec invenies limina mane rosa.

113. Secondez notre effort d'un souffle propice... Expression virgilienne. Cf. En., II, 385 ; IX, 525.

114. Couronnez d'une gloire éternelle ce nouveau volume... Lieu commun poétique. Cf. Catulle, Poésies, I, 10 :
Plus uno maneat perenne saeculo...
etc...

115. La demeure de Pandion... Athènes, sur laquelle régna Pandion avant Egée et Thésée. Lucrèce (De Nat. Rer., V I, 1143) appelle le peuple athénien "le peuple de Pandion" et Martial évoque "la citadelle cécropienne de Pandion" (Epigr., I, 25, 3).

116. D'Acté... De l'Attique. - Acté est l'ancien nom de l'Attique. Cf. Strabon, IX, 397 ; Pline l'Ancien, Hist. Nat., IV, 23 ; Attice antiquitus Acte vocata.

117. Blancs... A cause de la couleur même des rochers et des sables.

118. Rivages de Thésée... Rivages de l'Attique, sur laquelle régna Thésée après Pandion et Egée.

119. Qui rient... C.-à-d. qui brillent : métaphore homérique. Cf. Il., XIX, 362:
Gelasse de pasa peri chthôn chalkou hupo steropês.

120. Pourpres... Vermeils.

121. Mégare... Mégare, à l'entrée N.-E. de l'isthme de Corinthe, entre l'acropole de Karia à l'est et celle d'Alcathoüs à l'ouest.

122. Alcathoüs... Alcathoüs, fils de Pélops, ayant délivré Mégare d'un lion terrible, reçut en récompense la main de la fille du roi et donna son nom à la première acropole, - l'acropole occidentale - de Mégare. Cf. Pausanias, I, 41, 3-6, Ovide (Art d'aimer, II, 421 ; Mét., VII, 443 ; VIII, 7 ; Trist. I, 10, v. 39) appelle Mégare Alcathoé ou la ville d'Alcathoüs ou les remparts d'Alcathoüs.

123. Actéen... Cf. note 116.

124. A qui Phébus prêta sa divine assistance... De même qu'il avait aidé Amphion à bâtir les murailles de Thèbes et Laomédon à dresser les murs de Troie, Phébus aida Alcathoüs à bâtir l'Acropole de Mégare. Cf. Théognis, v. 773 sq :
Phoibe anax, autos men epurfôsas polin achrên,
Alkathoöi Pelopos paidi charidzomenos.

125. La pierre imitant les sons aigres de la cithare, y vibre souvent... Même détail dans Ovide, Met., VIII, 14 sq.

126. Le chef-d'ceuvre cyllénien... La lyre invention de Mercure, dieu du mont Cyllène, appelé lui-même cyllénien par beaucoup de poètes. Cf. Virgile, En., VIII 139 ; Horace, Ep., XIII, 13 ; Lucain, Phars., I, 663 ; Ovide, Mét. XIII, 146.

127. Le dévastateur Minos... Selon une tradition recueillie par Hérodote (III, 122) et par Thucydide (I, 4, 1), Minos eut dans les temps les plus reculés l'hégémonie de la mer grecque. Ovide (Met., VIII, 6) le représente "dévastant les côtes" :
Interea Minos Lelegeia littora vastat.

128. Polyide... Devin célèbre qui, selon la légende, ressuscita Glaucus, en recouvrant son cadavre d'une certaine herbe.

129. La mer Carpathienne... La partie de la mer Méditerranée qui s'étend au sud-est des îles de Rhode, de Carpathos (qui lui a donné son nom) et de Crète.

130. Les flots du Cérate... Le Cérate est un cours d'eau de l'île de Crète, qui arrosait la ville de Cnosse, nommée d'abord elle-même Cérate. Cf. Strabon, X, 476 : ekaleito d'hê Knôssos Kairaitos proteron.

131. S'était abrité sous l'antique toit hospitalier de Nisus... Nisus, roi de Mégare, frère et allié d'Egée, roi d'Athènes, avait donné l'hospitalité au devin Polyide, poursuivi par le roi de Crète, Minos ; il refusa de livrer son hôte à Minos, et la guerre s'ensuivit.

132. Le héros de Gortyne... Minos, roi de Cnosse, dont le fils Rhadamanthe fonda Gortyne, autre ville de Crète, au sud, sur le fleuve Léthée, près de la mer. Cf. Pausanias, VIII, 53, 4.

133. Les campagnes de l'Attique... Minos faisait à la fois la guerre à Nisus, roi de Mégare, et à Egée, son frère, roi d'Athènes.

134. De la réponse des dieux... De l'oracle qui faisait dépendre la royauté et la vie de Nisus de la conservation de son cheveu de pourpre. Cf. Apollodore, 111, 210.

135. Le laurier... Le laurier de la victoire.

136. Un cheveu rose... Ce cheveu était pourpre au vers 52.

137. Les Parques unanimes... Clotho, qui tenait la quenouille, Lachésis qui tirait le fil et Atropos, qui le coupait ayant les ciseaux à la main, étaient les divinités latines du Destin, correspondant aux Moires des Grecs.

138. Par leur volonté immuable... Expression virgilienne ; cf. Buc., IV, 47, où se trouve à peu près le même vers : 
Concordes stabili fatorum numine Parcae.

139. Selon un rite solennel... Sur ce rite, cf. Thucydide, I, 6, 3.

140. Une agrafe d'or formée de cigales entrelacées... Sur ces agrafes en forme de cigales, cf. Isidore, Origines, XIX, 30, 3.

141. Tout à coup... Le désir qui s'allume soudain est toujours considéré par les poètes anciens comme le plus violent. Cf. Théocrite, II, 76 ; III, 42.

142. Le méchant enfant... L'Amour, que Virgile nomme (Buc., VIII, 50) "l'enfant perfide" improbus ille puer.

143. Dont les inflexibles colères résistent à sa mère... L'Amour était, selon la tradition, un enfant volontaire et rebelle. Lucien, Dial. des Dieux, XI, nous fait assister à une scène où Aphrodite irritée menace Eros de lui briser son arc et son carquois, de lui rogner les ailes et de lui appliquer sa sandale dans les fesses (eis tas pugas). Dans Ovide, Mét., V, 369-370, Vénus, embrassant l'Amour, lui dit qu'il est le maître des dieux : 
Tu superos ipsumque Jovem, tu numina ponti 
Victa domas ipsumque regit qui numina ponti.

"C'est toi qui domptes les dieux d'en haut et Jupiter lui-même c'est toi qui domptes les divinités vaincues de la mer et celui-là même qui régit les divinités de la mer.

144. A son père... Ce père varie suivant les auteurs. Selon Simonide de Céos, c'est Mars ; selon Alcée, c'est Zéphyre ; selon Euripide, qui contredit l'auteur de l'Aigrette, c'est Jupiter lui-même.

145. Son aïeul Jupiter... Cf. les vers d'Ovide cités à la note 143.

146. Jusqu'aux lions puniques... Cf. Virgile, Buc., V, 27 et Sénèque le Tragique, Phèdre, 348-349 :
Poeni quatiunt colla leones, 
Cum movit amor.

"Les lions puniques secouent leur cou, quand l'amour les a émus."

147. Aux tigres robustes... Même énumération dans Tibulle, III, 6, 13 sq.
Ille facit dites animos deus ; ille ferocem
Contudit et dominae misit in arbitrium;
Armenias tigres et fulvas ille leaenas
Vicit et indomitis mollia corda dedit.

"C'est ce dieu (l'Amour) qui rend les coeurs riches ; c'est lui qui écrase l'orgueilleux et le soumet au caprice d'une maîtresse ; c'est lui qui vainc les tigres de l'Arménie et les lionnes fauves, et qui attendrit les coeurs indomptables." 

148. Jouer sur son corps sa robe... Même expression dans Tibulle, III, 4, 35 :
Ima videbatur talis illudere palla.
"Le bas de son manteau semblait jouer sur ses talons."

149. L'Aquilon... Ce mot désigne ici le vent, en général.

150. L'onde solennelle... L'eau lustrale.

151. Adorné sa tête du feuillage de l'olivier pâle... Selon le rite. Cf. Virgile, Géorg., 111, 21 :
Ipse caput tonsae foliis ornatus olivae 
Dona feram...

"Moi-même, la tête ornée du feuillage de l'olivier tondu, j'apporterai des offrandes..."
L'épithète de pâle est souvent accolée par les auteurs à l'olivier. Cf. Virgile, Buc., V, 16 : pallenti... olivae.

152. La brise... Cf. note 149.

153. A son frère... A son frère qui était aussi son mari, le volage Jupiter.

154. Le dieu léger... Cupidon (Eros), l'Amour ailé. "Il est léger, dit Ovide (Art d'aimer, II, 19), et il a, pour s'envoler, des ailes."

155. Hélas ! il a trop peur, il a trop peur... On trouve le même mouvement oratoire dans Virgile, En., XI, 841 :
Heu nimium, virgo, nimium crudele luisti 
Supplicium...

156. Du regard de la Tirynthienne... Du fameux regard de Junon Boôpis, qui enlevait à Eros toute velléité de révolte.

157. Dès que ses veines altérées en eurent bu la flamme et que ses os eurent été pénétrés jusqu'au fond de leurs moelles par leur puissante fureur... Sur ces images cf. Callimaque, Epigr., XLIII, 5 ; Apollonius de Rhodes, Argon., III, 286-288 ; Musée, 90 ; Catulle: Poésies, LXIV, 92 :
...cuncto concepit corpore flammam 
Funditus atque imis exarsit tota medullis, 
Heu ! misere exagitans immiti corde furores.

Virgile, En., IV, 501 :
...nec tantos mente furores 
Concipit ;
id., IV, 101 :
Traxitque per ossa furorem.

158. A une cruelle Bistonienne... A une cruelle Bacchante de la Thrace. - Le nom de Bistoniens (Bistonides, Bistones ou Bistônes)
qui habitaient la côte marécageuse de la Thrace, désigne souvent chez les poètes romains, les Thraces. Cf. Calvus, Fr. 12; Horace, Odes II, 19. 20 ; Ovide, Héroïdes, XVI, 316 ; Sénèque, Hercule sur l'OEta 1042.

159. Le rivage glacé des Edons... Les Edons étaient un peuple thrace qui habitait à l'embouchure du Strymon ; leur nom désigne souvent chez les poètes grecs et romains, les Thraces eux-mêmes. Cf. Sophocle, Antig., 938 ; Lycophron, 419 ; Virgile, En., XII, 365 ; Horace, Odes, II, 7, 27, etc...
L'expression "le rivage glacé des Edons" évoque le vers de Calvus, Fr., 12 :
Frigida jam celeris peragratus Bistonis ora.

160. Une prêtresse de Cybèle... Une prêtresse appartenant à la secte des Galles ou des Corybantes.

161. Du buis barbare... La flûte de buis est dite barbare parce qu'originaire d'Asie Mineure. Cf. Catulle, LXIV, 264 : Barbara 
tibia
, et Valérius Flaccus, III, 231: Barbara buxus.

162. Bondit comme une bacchante à travers toute la ville... Expression virgilienne, En., IV, 300.

163. Le storax... Le storax ou styrax (sturax), arbre qu'on trouve en Pisidie, en Cilicie, en Syrie et dans les iles de Crète et de Chypre, fournissait un cosmétique employé pour la chevelure. Cf. Pline l'Ancien, Hist. Nat., XII, 17, 40 ; 25, 55.

164. L'Ida... L'Ida de Crète, auj. le Psiloriti qu'il ne faut pas confondre avec l'Ida de Phrygie. C'est sur l'Ida crétois, couvert de cyprès fameux (cf. Pline, XVI, 60), que Jupiter fut élevé par les Corybantes.

165. La rouge chaussure sicyonienne... Sorte de cothurne de couleur pourpre que portaient les jeunes filles, et qui était fabriquée à Sicyone, un peu à l'O. de l'Asopus, dans le Péloponnèse. Cf. Lucrèce, De Nat. Rer., IV, 1125 :
Pulchra in pedibus Sicyonia rident.
"A ses pieds brillent de belles chaussures sicyoniennes."

166. Un collier de perles... Virgile, En., I, 655, prête à Ilioné, fille aînée de Priam, un collier de perles (monile baccatum) et une double couronne formée de gemmes et d'or. Cf. aussi Horace, Epod., VIII, 14.

167. L'objet de ses amours... Minos.

168. Le psaltérion... Le psaltérion ou harpe hébraïque diffère, selon Isidore de Séville, de la cithare grecque, parce que, dans le premier, le bois creux formant le corps sonore était placé à la partie supérieure tandis que, dans la cithare, la caisse de résonance était en bas. C'est de cet instrument que David jouait devant Saül.

169. La navette libyenne... : la navette d'ivoire de Libye.

170. Plus de rougeur sur son front... Il s'agit du rouge de la honte. Cf. Ovide, Art d'aimer, III, 83 :
Latmius Endymion non est tibi, Luna, rubori.
"Endymion, ô Lune, ne te fait plus rougir."

171. Une langueur mortelle se glisse dans ses entrailles... On songe au poème virgilien de Lydie, v. 22-24 :
At mihi tabescunt morientia membra dolore 
Et calor infuso decedit frigore mortis, 
Quod mea non mecum domina est
.

172. Aiguillon... Image de la poésie érotique. Cf. Anacréon, XXXIII, 27 sq. ; Lycophron, 405, etc.

173. Construire ton nid... Allusion à la métamorphose de Nisus en haliéète ou aigle marin, cf. vers 520 sq.

174. Les bois sonores... Expression virgilienne. Cf. Buc, X, 58 ; Géorg., IV, 364.

175. Oiseaux errants... Expression d'Horace, Odes, IV, 4, 2 : aves... vagas.

176. Filles de Daulis... Il s'agit de Philomèle et de Procné, changées l'une en rossignol, l'autre en hirondelle, et dont la métamorphose s'accomplit à Daulis aujourd'hui Dalia, ville de l'ancienne Phocide à l'ouest de Chéronée et au sud-est de Delphes. Toutes deux avaient pour père le roi de l'Attique Pandion.

177. Des siens... Scylla et Nisus augmentent le nombre des descendants de Pandion changés en oiseaux.

178. Vous... Philomèle et Procné.

179. L'haliéète... "L'aigle de mer" ou haliéète est une variété de pygargue, au plumage d'un brun cendré, moins foncé à la tête et au cou et tirant sur le gris blanchâtre à la face, avec une queue blanche, un bec jaune et des yeux d'un jaune brillant. Cf. Aristote, H. A., 593 b : ho d'haliaietos kai peri tên thalattan diatribei kai ta limnaia koptei.

180. La blanche aigrette... Cf. note 109.

181. Un doux sommeil enchaînait les yeux de Nisus... Expression de Catulle, LXIV, 122 : devinctam lumina somno.

182. Au loin, aux premières portes... Le palais de Minos était fort vaste et construit sur le plan des palais assyriens et chaldéens.

183. Faisait parade d'un vain zèle... Fin de vers virgilienne : studio jactabat inani, Buc., II, 4.

184. Sa couche muette... Expression de Catulle : tacitum cubile, V I, 7.

185. L'air subtil... Epithète d'ornement. Cf. Géorg., IV, 311.

186. Suspendant son pas, sur la pointe des pieds, elle sort... Cf. Ovide, Fastes, I, 425-426 :
Surgit amans animamque tenens vestigia furtim 
Suspenso digitis fert taciturna gradu.

187. Des offrandes qu'elles n'acceptent pas... Parce que ces offrandes sont promises par une bouche criminelle.

188. La fille de l'ogygien Phénix... Ce Phénix, que l'auteur qualifie d ogygien, c.-à-d. de descendant d'Ogygès, roi fabuleux de la Béotie et de l'Attique ne saurait être confondu avec Phénix, fils d'Amyntor, roi d'Argos et gouverneur d'Achille, mentionné par Homère et par Virgile. II appartient, d'une façon obscure mais certaine, à la légende attico-béotienne.

189. Une pâleur verdâtre... "Je suis plus jaune que l'herbe" dit Sapho (II, 15) : chlôrotera de poias emmi, - quand elle veut peindre la pâleur amoureuse.

190. Laisse à peine couler un sang débile dans tes veines malades... Claudien XVII, 219, emploie une expression analogue et use d'une même fin de vers :
rabidas suffundit sanguine venas.

191. La Rhamnusienne... Némésis, que Catulle aussi (LXVI) appelle "la vierge Rhamnusienne" Rhamnusia virgo, parce qu'elle avait un temple dans le dème attique de Rhamnunte. Cf. Pausanias, I, 33, 2.

192. Leurs soucis fatigués... L'expression se trouve dans Lucain, Phars., V, 504 :
Solverat armorum fessas nox Ianguida curas.

193. Où les fleuves même suspendent leur course rapide... Le repos de la nature pendant la nuit est un lieu commun poétique.
Cf. Théocrite, II, , 38 : ênide sigêi men pontos, sigônti d'aêtai, ha d'ema ou sigêi sternôn entosthen ania. 
"La mer se tait, les vents se taisent, etc."
Ennius, Scipion, 9 sq :
Mundus caeli vastus constitit silentio
Et Neptunus saevos midis asperis pausant dedit; 
Sol equis iter repressit ungulis volantibus,
Constitere amnes perennes, arbores vento vacant.
"
Le vaste monde du ciel s'est figé dans le silence, et le farouche Neptune a mis fin au déchaînement des ondes ; le Soleil, dont le char était conduit par des coursiers aux sabots volants, a rebroussé chemin, les fleuves éternels se sont figés, les arbres sont sans brise."
Virgile, En., IV, 523 :
...silvaeque et saeva quierant
Aequora...

"Les forêts et les farouches plaines liquides s'étaient calmées."

194. Tu te mourais... De langueur et d'amour.

195. Cette fureur qui fascina jadis les beaux yeux, -etc... La fureur de l'amour qui pénètre dans le coeur par les yeux. Cf. Méléagre, Anthol. Pal., XII, 101 : hupo sternois, Muiskos ommasi toxeusas.

196. L'Arabe Myrrha... Myrrha, fille de Cinyre, roi de Chypre, consumée d'un incestueux amour pour son père, osa s'introduire dans sa couche, et étant devenue grosse, s'enfuit en Arabie, où elle devint mère d'Adonis, puis fut transformée en myrrhe. Ovide (Met., X 298 sq.) a écrit sur cette aventure mystique l'une de ses plus brillantes métamorphoses, et Alfiéri en a tiré une tragédie en cinq actes.

197. Adrastée... Adrastée d'abord oréade de Phrygie, plus tard assimilée à Némésis, la déesse de la vengeance et du remords, "celle qu'on ne peut pas fuir " (a privatif et dran, fuir). Cf. note 191.

198. Les deux auteurs de tes jours... Non point son père et sa mère (Nisus et Abrôtès), mais son père et sa nourrice, Carmé.

199. La déesse d'Amathonte... Vénus-Aphrodite, honorée à Amathonte, ville de l'île de Chypre, qui tirait son nom de son fondateur Amathus, fils d'Hercule ; et dont on voit encore les restes à quelques kilomètres du bourg de Limisso. Cf. Catulle, Poésies, XXXVI, 14 :
...o caeruleo creata ponto
Colis quae... Amathonta

"O déesse née de la mer céruléenne, toi qui fréquentes Amathonte ; et Virgile, En., X, 51, etc...

200. La présente divinité de Dictyne... Britomartis "la douce jeune fille", ainsi nommée de dictyon "filet", parce que, poursuivie d'amour par Minos, elle se jeta dans la mer et y fut recueillie presque aussitôt par le filet d'un pêcheur. Honorée d'un culte à Egine, elle fut plus tard confondue avec Diane chasseresse, "la déesse qui lance le filet". Plusieurs monnaies la représentent sous le nom de Dictyne, avec le croissant de Diane. Cf. Incert, vers., fr. XI, Morel :
Luna, deum quae sola vides perjuria volgi, 
Seu Cretaea magis, seu tu Dictyna vocaris.
"O Lune, toi qui vois seule les parjures du peuple des dieux soit qu'on te nomme plutôt la déesse de Crète ou de Dictyne..."

201. Reçois ce dernier gage... Expression virgilienne, Buc., VIII, 61

202. Que le père des dieux lui-même a gratifié de l'honneur du sceptre... Selon certains auteurs, Minos était le fils de Jupiter, qui lui donna le royaume de Cnosse. Cf. Homère, Od., XIX, 178-179 :
...Knôsos megalê polis entha te Minôs
enneôros basileus Dios megalou oaristês.

et Hésiode, fr. 103 :
...kai pleistôn ênasse periktionôn anthrôpôn
Dzênos echôn skêptron, tôi kai poleôn basileue
.

203. A qui les Parques ont accordé d'être invulnérable... Il était du pouvoir des Parques, divinités du destin, d'accorder à un 
mortel d'être invulnérable ; mais ce texte est le seul où l'on dit que cette faveur ait été accordée au fils de Jupiter et d'Europe.

204. Par les mille amours des dieux... Cf. Géorg., IV, 345-347 :
....curam Clymene narrabat inanem
Vulcani Martisque dolos et dulcia furta
Aque Chao densos divum numerabat aurores.

"Clymène contait le vain souci de Vulcain, les ruses de Mars et ses doux larcins, et elle énumérait depuis le Chaos primitif les nombreuses amours des dieux... "

205. Un funeste hasard ou un funeste dieu... L'expression casusve deusve se trouve deux fois dans Virgile, En., IX, 211 ; XII, 321.

206. Elle découvre le fer caché sous sa robe... Comme la Sibylle découvre, au VIe chant de l'Enéide, le rameau caché sous sa robe :
At ramum hunc (aperit ramum qui veste latebat) (VI, 406).

207. Sa chevelure restée intondue... Dans Homère, la chevelure des dieux et des déesses est toujours longue ;- les déesses y sont dites "aux belles tresses", euplokamoi, kalliplokamoi. Carmé, que Jupiter avait jugée digne d'amour, n'avait pas fait tondre
sa chevelure. 

208. Ton amour jadis perdit ma fille... La légende conte que la fille de Carmé, Britomartis, désirée par Minos, mais voulant rester pure et préférant la mort, se jeta du haut d'un rocher dans la mer, où elle fut recueillie presque aussitôt par le filet d'un pêcheur. Après l'avoir sauvée, le pêcheur lui permit de passer dans son bateau de Crète à Egine : comme lui aussi l'importunait de son amour, elle s'échappa de nouveau et se réfugia sur une hauteur boisée, où les dieux, par un prodige, la rendirent invisible. Les habitants d'Egine lui dédièrent à cette même place, un grand temple, sous le nom d'Aphaia. Cf. Pausanias, II, 30, 3 ; Anton. Lib., XL ; schol. ad Euripid. Hippolyte, v. 146 ; Callimaque, Hymnes à Diane, III, 190 sq.

209. Prisonnière et emmenée si loin de ma patrie... C'est le seul texte où l'on voit que Carmé ait été emmenée, prisonnière, de Crète à Mégare, où elle devint la nourrice de Scylla.

210. Des miens... La vieille Carmé ne fait point de différence entre sa fille, Britomartis, et sa nourrissonne, Scylla.

211. Si chère à l'agile Diane... Selon Callimaque Hymne à Diane, III, 189, et Pausanias, II, 30, 3, Britomartis était la favorite de Diane :
exocha d'allaôn Gortunida philao numphên
ellophonon Britomartin euskopon.

212. O vierge... Si l'on en croit Solin, XI, 8, le nom même de Britomartis signifie, en dialecte crétois, "Douce Vierge", "Britu" "ouce", "Marna" "vierge". Cretes Dianam religiosissime venerantur, Britomartem gentiliter nominantes, quod sermone nostro sonat virginem dulcem.

213. Les chasses viriles... Le scholiaste d'Euripide, cité à la note 208, qualifie Britomartis de "nymphe chasseresse" numphê kunêgos.

214. L'arc parthique... Epithète d'ornement. Cf. Virgile, Buc., X, 59 :
...libet Partho torquere Cydonia cornu 
Spicula.

On sait que les Parthes étaient des archers renommés.

215. La flèche de Cnosse... La flèche crétoise. Les Crétois étaient aussi des archers renommés.

216. Dicté... Montagne de la Crète orientale plusieurs fois mentionnée par Virgile, cf. Buc., VI, 56 ; Géorg., II, 536 ; IV, 152 ; En., IV, 73 ; IIl, 171. C'est d'une roche de cette montagne que, selon la légende, Britomartis se serait précipitée dans les flots la montagne en aurait reçu le nom de Dicté, "la montagne du Filet". Cf. note 200 et Callimaque, Hymne à Diane 197.

217. Précipitée de la cime d'un mont aérien... Cf. note 208. Le vers, à un mot près, se trouve dans Virgile, Buc., VIII, 59 :
Praeceps aerii specula de montis in undas...

218. Les uns... Comme Antonin Liberalis, XL, 3. Cf. note 208.

219. Aphée... C.-à-d. "invisible".

220. Les autres... Comme Callimaque, 1. c., cf. note 208.

221. Pour être plus connue... En tant que déesse Aphée, Britomartis n'était connue que des Crétois et des Eginètes ; en tant que déesse lunaire, elle était connue de l'univers.

222. Dictyne... Cf. notes 200 et 216. Callimaque (l. c., 204) avait dit avant notre poète :
...kai se [Artemin] de keinês
Kratees kaleousin epônumiên apo numphês.

223. Tes compagnons hyrcaniens... C.-à-d. la meute de chiens d'Hyrcanie qui t'accompagne. Cf. Ovide, Remèd. Am., 182 :
Nec desunt comites, sedula turba, canes.
"Tes compagnons, les chiens, sont là, troupe empressée."
L'Hyrcanie c.-à-d. le pays qui bordait au sud-est la mer Caspienne, passait pour produire des chiens de chasse remarquables. Cf. Lucrèce, De Nat. Rer., III, 750 ; Grattus, Cynég., 161 : "Les chiens d'Hyrcanie s'accouplent avec les bêtes fauves au fond des forêts... On voit errer autour des étables un tigre désarmé par l'amour, et une chienne hyrcanienne se prêter hardiment à ces caresses... Il en naît de sanguinaires combattants. "

224. Le flamméum... Le voile couleur de flamme ou flambant, dont les jeunes épouses se couvraient la tête le jour du mariage. L'Hymen lui-même était représenté avec un jaune flamméum sur la tête et un bouquet de marjolaine à la main.

225. Des sucs du safran corycien... Epithète d'ornement. Le safran de Corycos en Cilicie, était particulièrement estimé. Cf. Columelle, III, 8, 4 : Tmolon et Corycon flore croceo illustrem haberi.
Horace, Sat., II, 4, 68, cite lui aussi le safran corycien : corycioque croco.

226. Ilithyie... Ilithyie est la déesse des accouchements dans la mythologie grecque. Les plus anciennes traces de son culte se trouvent en Crète où il y avait près de Cnosse, à Amnisos, une grotte et un sanctuaire de la déesse. Cf. Strabon, X, 476. II passa à Délos, où une inscription mentionne une fête en son honneur, les Ilithyies au mois de Poséidon, dans laquelle on lui immolait des brebis. Son culte fut célébré ensuite à Athènes, Argos, Tégée, Sparte, Olympie, etc. et jusqu'en Etrurie et en Egypte. Ilithyie est confondue quelquefois avec Héra (Junon Lucine) ou avec Artémis (Diane).

227. Des pénates... Symbole de la sainteté du foyer.

228. Sa fille unique... D'après Pausanias, I, 39, 6, Minos avait une autre fille, Iphinoé.

229. Ce coeur fou qui bat à coups précipités... Cf. Sapho, II, 5 sq.:
...to moi man kardian en stêthesin eptoasen. 

230. L'Oeta... L'Oeta est une montagne boisée qui séparait la Grèce centrale de la Thessalie. Cf. Virgile, Buc., VIII, 31.

231. Secouait... Expression de Calvus, Fr., V :
Hesperium ante jubar quatiens.

232. Le jour nourricier des mortels... Fin de vers virgilienne, cf. En., V, 64 :
....si nona diem mortalibus almum 
Aurora extulerit.

233. Elles évitent Hespérius... Hespérus ou Hespérius, l'étoile du Berger le soir, la même qui, le matin, prend le nom de Lucifer.
Le détail est emprunté à Callimaque, Hécalé, 52, 3:
Hesperion stugeousiv...

234. Et désirent les ardeurs d'Eôs... Eôs, l'Aurore, n'est pas seulement chez les poètes la personnification de l'heure matinale, mais plutôt celle du jour tout entier, qu'enflamme son frère, le Soleil (Hélios).
Le détail est aussi emprunté à Callimaque, 1. c., note 233 :
..atar phileousin Eôiov.

235. Le dieu incertain... Mars.

236. Elle a peur du roi lui-même... Comme Nausicaa, qui n'ose point parler de mariage à son père chéri, Od., VI, 66.

237. De descendance... D'héritiers mâles.

238. D'une alliance avec Jupiter... Dont Minos est le fils.

239. Le narcisse... Au vers 48 de la 2e Bucolique, Virgile nous montre les Naïades mêlant au fenouil odorant les fleurs du narcisse :
Narcissum et florem jungit bene olentis anethi.

240. Le garou... Selon les uns casia désigne la cannelle, importée de l'Inde et de Ceylan par des intermédiaires arabes et syriens, qui entrait dans les préparations magiques ; selon les autres, il s'agit du garou, herbe poivrée des montagnes, et dont, au dire de Pline, on faisait des couronnes. Cf. Virgile, Buc., II, 49.

241. Mêlés de soufre... Le soufre entrait aussi dans les préparations magiques.

242. Lie par un triple noeud trois fois neuf fils tricolores... Ces neuf fils tricolores étaient, si l'on en croit Servius (Buc., VIII, 74), trois fils blancs, trois fils roses, trois fils noirs.
On sait l'importance chez les anciens du chiffre 3, et le favorable présage qu'il comporte. Et l'on connaît les vers célèbres de Virgile, l. c.
Terna tibi haec primant triplici diversa colore
Licia circumdo terque haec altaria circum
Effigiem duco ; numero deus impare gaudet.
Necte tribus nodis ternos, Amarylli, colores,
Necte, Amarylli, modo, et : "Veneris, dic, vincula necto.
"
"Tout d'abord je ceins ton image de ces triples fils de diverses couleurs et je la promène trois fois autour de cet autel : la divinité se plaît au nombre impair. Amenez de la ville, ô mes charmes, amenez chez moi Daphnis. Noue de trois noeuds ces trois fils de couleur ; noue-les tout de suite, Amaryllis, et dis : "Je noue les liens de Vénus."

243. Crache trois fois dans ton giron... Selon le rite des incantations. Cf. Théocrite, VI, 39 : tris eis emon eptusa kolpon ; et Tibulle, El., I, 2, 54.

244. Le nombre impair est agréable au dieu... Cf. Virgile, Buc., VIII, 76.
Servius, dans une note sur le vers de Virgile, observe que le nombre impair est considéré comme immortel parce qu'il ne peut se diviser en deux parties égales ; le nombre trois était sacré ; ainsi que ses multiples par lui-même. De là vient qu'il y a trois Parques, trois Furies, trois fois trois Muses; que la foudre de Jupiter est trifide ; que Neptune porte un trident, etc...

245. Les sacrifices stygiens... Les sacrifices qu'il était d'usage de faire aux divinités infernales, et qui comportaient des victimes de couleur sombre : cf. Virgile, En., V, 96-97 :
...caedit binas de more bidentes
Totque sues, totidem nigrantes terga juvencos
...
"[Enée] sacrifie deux brebis de deux dents selon l'usage, autant de cochons et autant de taureaux au dos noirâtre.

246. Les vieilles femmes... Les vieilles sorcières.

247. L'Ida... L'Ida de Crète, cf. note 164.

248. La branche amycléenne... Amyclées était une antique cité de Laconie, située sur l'Eurotas, où il y avait un temple célèbre d'Apollon. La branche amycléenne est une branche de laurier, arbre consacré à Apollon.

249. lolcos... Iolcos, auj. sans doute Volo, ville de l'ancienne Thessalie, au pied du mont Pélion, et à un kilomètre environ du petit golfe de Pégase, qui s'ouvrait dans la partie nord-ouest du golfe Pélasgique. La ville passait pour être, dans l'antiquité, le centre de la magie thessalienne, et c'est à ce titre qu'elle se trouve ici invoquée.

250. Au long amour.. Au profond amour.- L'expression est de Virgile, En., I, 749 :
...longumque bibebat amorem.

251. Rhaucos... Rhaucos était une ville de la Crète, située entre Gortyne et Cnosse, à proximité du mont Ida. C'est aujourd'hui Haghio Myro.

252. La pourpre de Sidon ... La pourpre de Sidon était justement célèbre. Cf. Horace, Épîtres, I, 10, 26.

253. Mégare est prise... D'après Pausanias, I, 39, 6, aucune tradition locale, à Mégare, ne confirme ce fait.

254. Suspendue au haut d'un navire... Cf. Properce, El., III,19, 26: 
Pendet Cretaea tracta puella rate.

255. La vierge niséenne...Scylla - Cf. Ovide, Mét., VIII,35 : virgo Niseia.

256. Téthys... Épouse de l'Océan.

257. Galatée... L'une des cinquante Néréides, fille de Nérée et de Doris, dont l'aventure avec Polyphème a été contée par les poètes alexandrins. cf. Ovide, Met., XIII, 750 seq.

258. Ses soeurs... Les Néréides, dont les plus célèbres, avec Galatée, sont Amphitrite, Thétis et Orithye.

259. Qui mesure la grande plaine liquide avec son attelage de poissons et son char glauque de chevaux bipèdes... Ces deux vers reproduisent presque textuellement ceux des Géorgiques (IV, 388-389) où Virgile décrit l'attelage de Protée, le vieillard marin.
"Les chevaux bipèdes" sont des chevaux-poissons. Cf. Servius, Commentaire des Géorgiques, IV, 388.

260. Leucothoé... Leucothoé ou Leucothée, qui fut d'abord Ino, fille de Cadmus et d'Harmonie, avait épousé le héros Athamas et eu de lui deux enfants, Léarchos et Mélicerte. Une famine sévissant dans le pays, elle osa conseiller à Athamas d'immoler un fils, Phrixos, qu'il avait eu d'un premier mariage ; Phrixos fut sauvé par miracle, et Athamas, comprenant la perfidie de sa femme, tua Léarchos et voulut la tuer elle-même. Ino se précipita dans la mer avec son second fils Mélicerte, et entra, sous le nom de Leucothée ou de Leucothoé, dans la famille des Néréides. Bienfaisante divinité de la mer, elle avait à Mégare un sanctuaire où on lui offrait un sacrifice annuel. Elle fut aussi honorée à Milet, en Crète, à Rhodes, à Samos, à Téos à Chios, à Délos, à Marseille. Son culte fut assimilé à Rome à celui de Mater Matuta.
Ino-Leucothoé était représentée, à côté de Bacchus et de Sémélé sur la base du trône d'Amyclées. Parfois son attelage est fait, comme ici, de chevaux-poissons ; parfois elle est représentée sur un griffon (mosaïque monochrome du Vatican) ou sur un bélier marin (bronze de Monaco).

261. Le petit Palémon... Le petit Mélicerte, devenu Palémon, comme sa mère Ino devint Leucothoé. Cf. note précédente.

262. La déesse sa mère... Leucothoé. Cf. note 260.

263. Les deux héros... Castor et Pollux, les Dioscures.

264. Que le sort fait vivre tour à tour à la lumière... Castor, fils de Tyndare et de Léda, était mortel ; Pollux, fils de Jupiter et de Léda, était immortel. Mais, au cours du combat qui accompagna le rapt de Phébé et d'Hilaïre, filles du roi messénien Leucippe, par les Dioscures, Castor fut blessé mortellement, et Pollux refusa de lui survivre. Jupiter, touché de l'amour de Pollux pour son demi-frère, consentit à lui laisser partager son immortalité avec Castor : chacun d'eux devait passer six mois dans le tombeau et six mois à la lumière divine de l'Olympe.

265. Descendance chérie de Jupiter, grand accroissement de Jupiter... Vers textuel (à un mot près) de Virgile, Buc., IV, 49 :
Cara deum suboles, magnum Jouis incrernentum.

266. Les Tyndarides... Léda, s'étant donnée dans la même nuit à Tyndare, son époux, et à Jupiter, qui lui était apparu 
sous la forme d'un cygne ou d'un jars, mit au monde un oeuf d'où sortirent, après neuf mois, deux jumeaux, Castor et Pollux.

267. Les membres neigeux de la jeune fille... Expression de Catulle, Poé., LXIV, 364 : niveos... virginis artus.

268. Levant au ciel, l'infortunée, des yeux ardents, - des yeux, car des chaînes liaient ses tendres paumes... Ces deux vers répètent, à un mot près, les vers 405-406 du second chant de l'Enéide :
Ad caelum tendens ardentia lumina frustra, 
Lumina, nam teneras arcebant vincula palmas.

269. Pendant que je me plains et que les dieux, par moi adjurés sans profit, entendent [Scylla] mourante les invoquer pourtant à son heure dernière... Ces deux vers répètent textuellement les vers 19-20 de la VIIIe Bucolique.

270. L'objet des voeux jaloux de tous les rois de la Grèce... Scylla, à cause de sa beauté, avait, comme Hélène, beaucoup de prétendants.

271. L'Hellespont... Par Hellespont, il faut entendre ici toute la partie orientale de la mer Egée, cf. Strabon, VII, fr. 57.

272. Incurvé... Pour épouser les côtes sinueuses.

273. Un pacte sacré... Allusion aux promesses de Minos, qui s'était engagé à épouser Scylla, si elle lui donnait les moyens de prendre la ville. Cf. Euripide, Hippol., 1200 ; Hygin, fable 138.

274. Implacable tyran... Expression de Virgile, Géorg., 1V, 492 : immitis... tyranni.

275. Je te vis, je péris, une funeste erreur m'emporta... Ce vers répète textuellement le vers 42 de la VIIIe Bucolique, imité de Théocrite, III, 42 :
hôs iden, hôs emanê, hos es bathun halat'erôta.
et II, 82 :
chôs odon, hôs emanên, hôs moi peri thumos iaphthê

276. Jusqu'aux astres... Les astres considérés comme des divinités.

277. Des délices... Du luxe délicieux.

278. En fragile corail... Le corail était un ornement fort en vogue dans les pays marins, et souvent, comme ici, associé à l'ambre.

279. En larmes d'ambre... L'ambre jaune (electrum), qu'on nomme encore succin, est une résine fossile, dure, demi opaque, dont les poètes anciens attribuaient l'origine aux larmes produites par les soeurs de Phaéthon, les Phaéthontiades ou Héliades, qui pleurèrent quatre mois la mort de leur frère avec tant d'abondance que les dieux les changèrent en peupliers et leurs larmes en grains d'ambre.

280. Mes nymphes... Mes suivantes.

281. L'Amour a tout vaincu... Cf. Buc., X, 69 : omnia vincit Amor.

282. Jamais de myrrhe onctueuse ne ruisselleront mes tempes...C. -à-d. jamais je ne me marierai. - La myrrhe, dont l'onctueuse résine est produite, au dire des anciens poètes, par les larmes de Myrrha fuyant le courroux de Cinyre (cf. note 196) et changée par les dieux en l'arbre qui porte son nom, était avec le nard et le cinname un parfum cher aux époux et dont, le jour des noces, on parfumait leurs chevelures luisantes.

283. Le pin nuptial... La torche résineuse (ou de bois d'aubépine), qui précédait le cortège de l'épousée, lorsqu'elle gagnait la maison de l'époux.

284. La couche libyenne... Le lit d'ivoire de Libye. Cf. Properce El., 11, 31, 12 :
Et valvae, Libyci nubile dentis opus.

285. La pourpre d'Assyrie... Les Grecs désignaient par le nom d'Assyrie tout le territoire qui s'étend de la Syrie à la mer Caspienne et de la Cappadoce au golfe Persique. Ici, comme dans Virgile, Géorg., II, 465 :
Alba neque Assyrio fucatur lana veneno
le mot est mis pour la Syrie, la Phénicie.

286. Ne recevra mes os recouverts d'un peu de sable... On songe au vers de Catulle, Poé., LXIV, 163 :
Neque injecta tumulabor mortua terra.

287. Tes épouses ancillaires... Les épouses ancillaires pouvaient être très nombreuses.

288. Les chutes des humains... C.-à-d. combien certains humains tombent d'un grand degré de fortune.

289. Cocus... Le cocus, que les Grecs nommaient le skiron, est le vent du nord-ouest.

290. L'Isthme... L'isthme de Corinthe.

291. Deux goulets... Le golfe Saronique et le golfe de Corinthe.

292. Du grand Cypsélide... Le grand Cypsélide est Périandre, fils de Cypsélos, roi de Corinthe, qui vit l'apogée de la puissance corinthienne.

293. Sciron... Sophocle, Egée, fr. 19, et Euripide, Hippolyte, 1200, ont parlé des contreforts de Sciron (Skirônos aktai), tirant leur nom d'un brigand célèbre qui précipitait de leurs rochers abrupts dans la mer les voyageurs allant de Mégare à Athènes ou d'Athènes à Mégare, pour en engraisser une tortue farouche, et qui fut mis à mort lui-même par Thésée.

294. Le repaire de la farouche Tortue... La Tortue qui dévorait les voyageurs précipités par Sciron. Cf. note précédente.

295. Le sûr Pirée... Même épithète dans Ovide, Fast., IV, 563 : Piraeque tuta recessu.

296. Athènes qu'elle connaît... Athènes est connue de Scylla par l'alliance conclue entre les Athéniens et les Mégariens contre Minos, et aussi par les liens de parenté qui reliaient Nisus à Egée.

297. Les florissantes Cyclades... Horace, Od., I, 14, 19 et  III, 28, 14 les appelle les "brillantes" (nitentes), les "étincelantes" (fulgentes) Cyclades.

298. Sunium... Promontoire célèbre, au sud-est de l'Attique, à la cime duquel s'élevait un temple d'Athéna. Les colonnes de ce temple qui existent encore ont fait donner à ce promontoire le nom moderne de cap Colonni.

299. L'abri d'Hermione...Hermione rst un abri au sud-est de l'Argolide, face à l'île Apéropie.

300. A la mère des Néréides et à Neptune Egéen... Ce vers répète textuellement les vers 74 du chant III de l'Enéide.
La mère des Néréides est Doris, épouse de Nérée ; Neptune est nommé Egéen parce que Délos est située dans la mer Egée et aussi parce que le Neptune primitif, Briarée, avait, d'après la légende, une merveilleuse cité d'or, Egée ou Aigues (Aigai) dans les profondeurs de la mer sur la côte d'Achaïe, disent les uns ; sur celle d'Eubée, disent les autres. Cf. Homère, Il., XIII 21, et Il., I, 404 ; Virgile, En., X, 565 ; Stace, Thébaïde, V, 49 ; VIII, 477.
Délos était particulièrement chère à Neptune : un mois de l'année y portait le nom du dieu ; un thiase de Syrie, les Posidoniastes de Bérytos, auj. Beyrouth, avait là un établissement considérable que les fouilles de l'École française d'Athènes ont récemment déblayé.

301. Cythnos... Entre Céos et Sériphos, à l'ouest de Délos, l'île de Cythnos allongeait ses terres montagneuses riches en orge et en vin, en miel et en cire, et où paissaient des troupeaux de moutons. C'est aujourd'hui l'île de Thermia, l'une des Cyclades septentrionales.

302. La marmoréenne Paros... C'est l'épithète que donne aussi à Paros Ovide, Mét., VII, 465 ; Virgile, En., III, 126, l'appelle la "neigeuse Paros" niveam Paron.
L'île de Paros, aujourd'hui Paro, située à 12 km. à l'ouest de Naxos et séparée par un faible bras de mer de l'île d'Oléaros, auj. Antiparo, produisait le marbre le plus fameux de l'antiquité. C'était un marbre d'une éclatante blancheur, qui se trouvait dans l'île en couches si épaisses, que les anciens s'imaginaient que le marbre se reformait au fur et à mesure dans les entrailles de la terre.

303. La verte Donyse... C'est l'épithète que donne aussi à Donyse Virgile, En., III, 125.
Donyse (Donousa) l'une des Cyclades, à l'ouest d'Amorgos, était qualifiée de verte, si l'on en croit Servius, Comm. En., à cause de la couleur de son marbre : a colore marmoris.

304. Egine... Egine dans l'ancien golfe Saronique, auj. golfe d'Egée, était une petite île triangulaire célèbre par son marbre et son cuivre ; elle est exactement située à 25 km. au sud-ouest d'Athènes, à 55 km. au sud-est de Corinthe.

305. Siphnos... L'une des Cyclades, au sud-est de Sériphos et à l'ouest d'Antiparo (cf. note 302), la même qu'on nomme aujourd'hui Siphanto, Siphnos était célèbre par son blé, son huile et son vin, ainsi que par ses mines d'or et d'argent.

306. La salvatrice Sériphos... Sériphos, auj. Serfanto, entre l'île de Cythnos (Thermia) au nord (cf. note 391) et celle de Siphnos (Siphanto) au sud (cf. note 305), est qualifiée de "salvatrice" (salutiferam) par le poète, parce qu'en pétrifiant avec la tête de la Méduse ses habitants, Persée, à en croire la légende, sauva sa mère Danaé des atteintes du roi de l'île, Polyeucte. C'est ainsi du moins que les anciens expliquaient l'existence des pierres qui couvraient le sol de cette île, dont la pauvreté était proverbiale. Selon certains, l'épithète de "salvatrice" signifierait que l'île de Sériphos marque pour les navigateurs la fin d'un dangereux passage. - Quel que soit le sens qu'on lui attribue, l'épithète nous semble devoir être maintenue, et il nous paraît inutile de corriger en sementiferam, comme l'a fait Curcio, la leçon des manuscrits.

307. L'ouragan d'Afrique... Le vent du sud-ouest, que les Grecs nommaient le Lips et les Romains Afer ou Africus. C'est l'antagoniste de l'Aquilon. Cf. Horace, Odes, I, 3, 12 : praecipifem Africum decertantem Aquilonibus.

308. Mène ta danse... Expression de Sextus Paconianus ,v. 2 : 
Arctous plaustro Boreas bacchatur aheno.
et d'Horace, Odes, I, 25, 11 :
Thracio bacchante magis sub interlunia vento.

309. L'épouse de Neptune... Amphitrite.

310. Le troupeau d'Amphitrite... Les poissons.

311. A cause de son forfait, lui donna le nom d'aigrette... Ciris, l'aigrette, de keirein, couper, parce que Scylla avait coupé le cheveu de pourpre de Nisus.

312. Le jars... C'est, semble-t-il, sous la forme d'un jars, non d'un cygne, que Jupiter a séduit Léda. L'auteur de l'Aigrette suit ici la tradition véritable, comme le fait également Pétrone (Sat., CXXXVII). Les écrivains ont fait du jars un cygne, parce que cet oiseau leur a paru plus beau et plus noble, mais ils ont oublié qu'un jars avait, pour plaire à une femme, un argument plus puissant que le cygne, un organe générateur de dimensions telles, dit Buffon, que les anciens l'avaient consacré pour cette raison au culte de Priape.
On sait le culte qu'avait pour les jars l'impératrice Théodora, dont Procope nous rapporte que, quand elle paraissait nue sur la scène, des esclaves spéciaux lui jetaient des grains d'orge entre les cuisses, que des oisons dressés à cet usage recueillaient un à un avec leur bec.

313. Amycléen... Le jars qui aima Léda, c.-à-d. Jupiter changé en jars, est ici qualifié d'amycléen parce que Amyclées, bourgade voisine de Sparte, est l'endroit où le dieu au beau plumage visita la femme de Tyndare, et où celle-ci mit au monde les Dioscures (Castor et Pollux), Hélène et Clytemnestre.

314. Léda... On sait comment la femme de Tyndare, la belle Léda, voyant un jars (ou un cygne) que poursuivait un aigle, donna asile en son sein au fuyant volatile, et comment, de cet accès de tendresse, naquirent neuf mois plus tard Pollux et Hélène.
Le cygne 
Fit signe;
Léda
L'aida,

a dit un poète contemporain ; et les anciens Romains donnaient le nom de léda à une danse lascive, qui mimait l'aventure de l'oiseau et de la reine, et dont parle Juvénal en sa sixième Satire.

315. La plaine liquide... Même expression dans Manilius, V, 564 : liquido... aequore.

316. Son large front... Large par rapport à celui de l'aigrette. Car Scylla était belle, et les anciens aimaient les fronts petits et bas : Horace a chanté Lycoris "que signalait son petit front", Od., I, 33, 5 :
Insignem tenui fronte Lycorida.
Pétrone, Sat., CXXVI, 15, loue une jeune femme d'avoir "un tout petit front" frons minima ; Martial (Epigr., IV, 42) voudrait avoir pour mignon un jeune esclave au front court (frons brevis... sit); et Arnobe nous apprend que les femmes étaient si curieuses de cet avantage qu'elles se mettaient des bandeaux sur la tête pour diminuer leur front. Les médailles de Sapho la représentent avec un petit front, et Ovide l'appelle fronte brevis. Et le poète Rulhière a pu dire en ses Disputes :
Croirons-nous qu'autrefois un petit front sacré, Un front aux cheveux d'or fut à Rome adoré?

317. Ses souples bras... Même épithète (lenta) dans Horace, Epod., XV, 6, et dans Ovide, Hér., XVIII, 48.

318. Minium... Couleur roussâtre, que les anciens tiraient du plomb calciné, et dont ils aimaient notamment à enduire les Priapes.

319. La douce compagne de Neptune... Amphitrite.

320. Sa tête blonde... Les anciens préféraient les blondes, qui étaient, sur les bords de la Méditerranée, beaucoup plus rares que les brunes. Vénus, Cérès, Proserpine étaient blondes ; les héroïnes des poètes : Bérénice, Didon, Délie étaient blondes. Blonds aussi les héros légendaires : Ménélas, Achille, Thésée. Les perruques blondes coûtaient, par suite, beaucoup plus cher que les brunes, et c'est coiffée d'une blonde perruque d'apparat que Messaline, au dire de Juvénal (Sat., VI), allait la nuit incognito provoquer les robustes caresses des soldats romains.

321. Des bandes de pourpre... Selon l'usage. Cf. Catulle, Poé., LX1V, 63 et 309.

322. L'amorce de Tyr... L'amorce est une plante aromatique orientale dont on faisait des pommades et des onguents pour les soins de la peau et de la chevelure. Cf. Ovide, Hér., XX, 166 ; Juvénal, Sat., IV, 408  ; VIII, 509. - Virgile la fait croître en Assyrie, cf. Buc., IV, 25, mais on a vu plus haut (note 285) que les anciens entendaient par Assyrie tout le pays qui s'étend de la Syrie à la Caspienne et de la Cappadoce au golfe Persique.
On distinguait d'ailleurs plusieurs sortes d'amorces, notamment la cardamome, le gingembre et la graine de Paradis.

323. Du gouffre chenu... C.-à-d. des profondeurs de la mer blanche d'écume. Même expression dans Catulle, Poé., LXIV, 18.

324. Disperse au loin une rosée abondante... En secouant ses ailes mouillées.

325. Décoré... Expression d'Accius, 472, reprise par Silius Italicus, II, 298.

326. L'haliéète... Cf. note 179.

327. D'un fils des dieux... Minos.

328. D'un époux... Minos, qui lui avait promis le mariage, cf. v. 414.

329. La haine cruelle d'un père courroucé... Sa propre haine, à lui, Jupiter.

330. Le Scorpion que les dieux étoilèrent d'un double rang d'étoiles... Le Scorpion, huitième signe du Zodiaque, était représenté avec des bras immenses et repliés, où brillaient vingtcinq ou vingt-neuf étoiles. Ici, dit Saint-Ange, traducteur d'Ovide (Mét., II, 185-187), 
Ici le Scorpion, aux deux bras repliés, 
Recourbant en longs arcs et sa queue et ses pieds, 
De deux signes lui seul couvre l'espace immense
.

331. Le clair Orion qui le poursuit à son tour... Le clair Orion, la plus belle des constellations, semble poursuivre au ciel le Scorpion, alors que, d'après la légende, le terrible Scorpion (formidolosus Scorpio) avait sur terre, de par l'ordre de Diane, poursuivi et piqué au talon le géant béotien, fils d'Hyriée, qui, après avoir aimé Diane, s'était laissé enlever par la déesse Aurore, ou qui, selon une autre tradition, avait voulu répondre à la flamme pure et céleste de la vierge déesse par des dispositions moins platoniques.

332. ... légères... Ces quatre derniers vers, à partir de partout où l'aigrette... répètent textuellement les vers 406-409 du premier chant des Géorgiques.