LUCAIN
LA PHARSALE
LIVRE III
introduction livre I livre II livre IV livre V livre VI livre VII livre VIII livre IX livre X
LIVRE 3 Navigation de Pompée en Épire. Le fantôme de Julie vient s'offrir a lui pendant son sommeil, et lui présage ses malheurs. - Pompée aborde à Dyrrachium. - César, après avoir envoyé Curion en Sicile et en Sardaigne pour chercher des vivres, se dirige sur Rome et y entre au milieu de la terreur et de l'abattement. - Il convoque le sénat sans droit. - Il veut s'emparer du trésor public ; le tribun Métellus veut l'en empêcher. - Le tribun cède après un discours de Cotta. - Le temple de Saturne est dépouillé. - Énumération des peuples qui entrent dans la querelle de Pompée. - César sort de Rome et passe les Alpes. - Résistance de Marseille et discours de ses députés à César. - Réponse de César. - Il marche vers Marseille pour en faire le siège; premiers travaux. - Description de la forêt sacrée de Marseille que César fait abattre. - César, impatient de tout retard, se rend en Espagne, et laisse à ses lieutenants la continuation du siége : travaux et combats. - Les Marseillais font une sortie nocturne, et brûlent les machines de l'ennemi. - Les Romains veulent tenter la fortune sur mer ; description des deux flottes. - Combat naval, dans lequel les Marseillais sont vaincus; longue et poétique description de la mêlée, de ses accidents terribles et bizarres. Navigation de Pompée en Épire. Tandis que l'Auster enflait la voile et poussait la flotte vers la pleine mer, tous les yeux étaient tournés du côté de la mer d'Ionie ; Pompée seul ne put détacher ses regards du rivage de l'Italie. Il voit s'évanouir les ports de la patrie, les côtes qu'il salue pour la dernière fois et les montagnes qui s'effacent au sein des nuages. Épuisé de fatigues, le héros enfin succombe, et se livre au sommeil. Le fantôme de Julie vient s'offrir a lui pendant son sommeil, et lui présage ses malheurs.
Alors une image pleine d'horreur se présente à ses
yeux. La pâle Julie (01) sort du sein béant de ta terre, et telle qu'une furie, lui apparaît debout sur son bûcher :
"Chassée de l'Élysée dans le Tartare, la guerre civile m'a bannie de l'asile
des âmes justes au noir séjour des mânes criminels. J'ai vu les Euménides s'armer de torches pour les secouer sur vos armes.
Le nocher du brûlant Achéron prépare des barques sans nombre. On agrandit les cachots des enfers. Les Furies suffisent à
peine à châtier tant de criminels : les mains des Parques se lassent à trancher les jours de tant de victimes.
Il t'en souvient, Pompée ; le temps de notre hymen a été celui de tes triomphes. Tu as changé de fortune en changeant d'épouse.
Elle est née pour le malheur de tous ses maris, cette Cornélie, femme sans
pudeur (02) ; qui n'a pas rougi d'entrer dans
mon lit, quand mon bûcher fumait encore. Qu'elle soit donc sans cesse attachée à tes pas, et sur les mers et dans les camps,
pourvu que je trouble ton sommeil auprès d'elle et que je dérobe à ton amour tous les moments que tu lui destines. Que
César occupe tes jours et Julie tes nuits. Le Léthé qui donne l'oubli ne t'a point effacé de
ma mémoire. Les dieux des enfers m'ont permis de te poursuivre. Tu me verras, au signal du combat, m'élancer entre les deux armées.
Mon ombre ne souffrira jamais que tu cesses d'être le gendre de César. Tu crois en vain trancher avec l'épée des
nœuds sacrés
; la guerre civile va te rendre à moi. " A ces mots l'ombre se dérobe aux
embrassements de son époux tremblant. Pompée aborde à Dyrrachium.
Déjà le soleil à son déclin se plongeait au sein de l'onde et nous cachait de son
globe enflammé ce que la lune nous dérobe du sien, lorsqu'elle approche de sa plénitude ou qu'elle
commence à s'en éloigner. Ce fut alors que la côte d'Illyrie offrit un asile sûr, un accès facile aux vaisseaux de Pompée. On ploie les voiles, on baisse les mâts, et l'on aborde à l'aide des rames. César, après avoir envoyé Curion en Sicile et en Sardaigne pour chercher des vivres, se dirige sur Rome et y entre au milieu de la terreur et de l'abattement
Mais oubliant pour un temps la guerre, et tout occupé des soins de la paix, il cherche à se concilier la légère faveur du peuple : il sait que la disette ou l'abondance décide le plus souvent de sa haine ou de son
amour ; que celui qui nourrit son oisiveté en est le maître, et qu'il n'est point de crainte qui retienne un peuple affamé. Il charge Curion d'aller dans les villes de la Sicile, dans ces lieux où la mer engloutit ou bien déchira la terre, et s'en fit un rivage. Là, déployant sa fureur, l'Océan lutte sans cesse pour empêcher que les monts, jadis séparés, se rejoignent aujourd'hui. César répand aussi la guerre sur les rives de la Sardaigne. Ces deux îles sont renommées par la richesse de leurs
moissons ; nulle autre contrée de la terre n'a tant de fois répandu l'abondance dans l'Italie et rempli les greniers de Rome. A peine la
Libye est-elle plus fertile dans les années mêmes où les vents du Midi permettent à Borée d'assembler les nuages vers le milieu de l'axe du monde et d'y verser des pluies abondantes. Il convoque le sénat sans droit Les sénateurs, du fond de leur retraite, se rendent au temple d'Apollon. C'est la première fois qu'un citoyen ose convoquer le sénat. On n'y voit point briller les insignes des consuls, point de préteurs, point de chaises curules ; César est tout, et c'est pour entendre la volonté d'un homme que le sénat est assemblé. Les pères conscrits prennent place, résolus de consentir à tout, soit qu'il demande un trône ou des autels, l'exil ou la mort du sénat lui-même. Grâces aux dieux, César eut honte d'exiger ce que Rome n'eût pas eu honte de permettre. Il veut s'emparer du trésor public ; le tribun Métellus veut l'en empêcher. Cependant, la liberté indignée osa se révolter encore et tenter par l'organe d'un citoyen si les lois pourraient résister à la force. Le fougueux Métellus (07) voyant qu'on allait enlever le trésor du temple de Saturne, accourut, se fit un passage à travers le cortège de César, et se présenta sur le seuil du temple qu'on allait ouvrir. L'avarice est donc la seule passion qui brave le fer et la mort ! On foule aux pieds les lois sans que personne s'arme pour elles ; et le plus vil de tous les biens, l'or, excite un soulèvement. Métellus s'oppose au pillage du temple, et, d'une voix haute, s'adressant à César : "Tu n'ouvriras ces portes, lui dit-il, qu'après m'avoir percé le sein, et tu n'emporteras les dépouilles du temple que souillé du sang inviolable d'un tribun. Non, les dieux ne laisseront pas impunément souiller cette dignité sainte ; les Euménides l'ont vengée de l'impiété de Crassus. Tire ce glaive ! et frappe sans rougir ! Tu n'as point à craindre les yeux du peuple ; nous sommes seuls, Rome est déserte. Que veux-tu ? Livrer la patrie en proie à tes soldats ? Il te reste encore tant de province, tant de villes à ruiner ! Qu'as-tu besoin trésors de la paix ? n'as-tu pas tous ceux de la guerre ?" Le tribun cède après un discours de Cotta
Ce discours alluma la colère du vainqueur.
"Tu te flattes en vain, lui dit-il, d'obtenir de moi une mort honorable
; non, Métellus, ma main ne sera point souillée d'un sang aussi vil que le tien. Il n'est point d'honneur qui te rende digne de mon
ressentiment. C'est donc à toi qu'est confiée la défense de la liberté ? Certes, le temps a bien changé les choses, si les lois
aiment mieux s'appuyer sur Métellus que de fléchir devant César !" Alors impatient de voir que le tribun ne quittait point
la porte du temple, il regardait les glaives de ses soldats rangés autour de lui et allait oublier le caractère pacifique dont il s'était revêtu, si Cotta n'eût dissuadé Métellus d'une résistance Le temple de Saturne est dépouillé. Métellus s'éloigne à ces mots, et la roche Tarpéienne retentissant du bruit des portes annonce à Rome que le temple est ouvert. Du fond de ce temple fut alors tiré ce dépôt si longtemps inviolable des revenus du peuple romain : le tribut des Carthaginois (07), celui de Persée et de Philippe, tout l'or que Pyrrhus fugitif laissa dans tes mains, ô Rome ! cet or, au prix duquel Fabricius avait refusé de te trahir ; ce qu'avait épargné la frugalité de nos pères ; ce que l'opulente Asie avait payé de tributs aux Romains ; ce que Métellus avait rapporté de l'île de Crète (08) et Caton des bords lointains de Chypre (09), enfin les dépouilles de l'Orient captif et les richesses de tarit de rois étalées tout récemment encore dans les triomphes de Pompée, tout fut envahi ; le temple fut livré à la plus affreuse rapine, et dès lors, exemple inouï ! César fut plus riche que Rome (10). Énumération des peuples qui entrent dans la querelle de Pompée.
Cependant la fortune de Pompée soulevait les nations
destinées à la même chute que lui ; la Grèce qui voyait de plus près la guerre s'empressa
d'y contribuer. Des campa;gnes de la Phocide, de Cyrrha, et des deux sommets du Parnasse, des champs de Béotie que borde le Céphise
prophétique (11), des environs de Thèbes où coule Dircé, de l'Élide qu'arrose l'Alphée, avant de traverser la mer, on voit les peuples accourir. L'Arcadien quitte le
Ménale ; le Thessalien, l'Oeta, tombeau d'Hercule. Le Thesprote et le Dryope
accourent ; les Selles, descendus des montagnes de l'Épire, fuient leurs
chênes désormais silencieux ; quoique épuisée de soldats, Athènes (12)
arme encore quelques vaisseaux dans le port de Phoebus, et trois navires semblent partir
(13) pour une nouvelle Salamine (14). La Crète antique et aimée de Jupiter
(15) vient au combat avec ses cent
peuples ; Gnosse savante à vider le carquois, Gortyne dont la flèche le dispute à celle des Parthes. On voit venir l'habitant de la dardanienne
Oricon (16), et l'Athamas errant (17)
et dispersé dans les profondeurs des forêts, Enchélée (18), au nom antique, témoin de la mort de Cadmus et de sa métamorphose, l'habitant de
Colchis et d'Absyrte (19), battue de l'écume des flots adriatiques, et ceux qui cultivent les campagnes du
Pénée (20), et dont les mains laborieuses poussent la charrue thessalienne dans les champs de l'hémonienne
Iolcos (21), Iolcos d'où partit le premier navire qui fendit la mer, quand le grossier Argo mêla des nations inconnues, viola leur rivage, et pour la première fois mit les mortels aux prises avec les vents, les ondes furieuses, et leur apporta un nouveau genre de mort. On déserte l'Hémus de
Thrace (22), et Pholoé, berceau fantastique des
Centaures (23), et le Strymon (24), qui envoie jusqu'aux tièdes rives du Nil l'oiseau de ses bords, et la barbare Coné, où l'Inter aux cent bouches perd dans la mer ses ondes glacées dont il arrose l'île de Peucé
; et la Mysie (25), et Idalis que féconde l'eau fraîche du Caïque, et Arisbé, aux maigres sillons, et
l'habitant de Pitané (26), et Célène (27)
qui maudit tes présents, ô Panas ! et la victoire
d'Apollon ; et les bords où le rapide Marsyas, courant en ligne droite, rencontre le Méandre vagabond, se mêle à lui et remonte vers sa
source ; et la terre qui laisse le Pactole sortir de ses mines d'or, et les guérets qu'arrosa l'Hermus
(28) aussi riche que le Pactole. Les Troyens eux-mêmes, avec leurs tristes présages, accourent sous ces drapeaux, dans ce camp condamné à périr, rien ne les retient, ni la fable de Troie, ni César qui se prétend issu du Phrygien Iule. Voici venir les peuples de
Syrie ; on déserte l'Oronte et Ninive l'Heureuse (tel est son nom), et Damas battue des
vents (29),
et Gaza (30), et l'Idumée, riche en
palmiers (31), et la capricieuse Tyr, et Sidon, riche en
pourpre ; sans faire de détour sur la mer, les vaisseaux de ces ports voguent vers le théâtre de la guerre,
conduits sûrement par Cynosure (32). Les premiers, s'il en faut croire la Renommée, les Phéniciens
(33) osèrent figurer par des signes
grossiers la parole désormais fixée; Memphis ne savait pas encore tisser l'écorce née sur les rites du
fleuve (34) ; des oiseaux, des bêtes gravés sur la pierre conservaient seuls son mystérieux
langage: On abandonne les bois du Taures, Tarse, fille de Persée (35), l'antre de Corycie
(36) aux roches rongées par
l'eau ; Mallos (37) et la lointaine Aega (38)
résonnent du bruit des navires, et le Cilicien, renonçant au métier de pirate, accourt sur un vaisseau
régulier. Le bruit de la guerre remue les peuples les plus reculés de l'Orient, et sur les rives du Gange qui, seul de tous les
fleuves, ose déboucher dans l'Océan. en face du berceau du Soleil et lance ses flots contre l'Eurus qui les
repousse (39) ; c'est là que le héros de Pella, s'arrêtant, s'avoua vaincu par l'immense
univers. César sort de Rome et passe les Alpes Dès que César est sorti des murs de Rome consternée, il semble donner à ses légions des ailes pour franchir les Alpes nuageuses. Résistance de Marseille et discours de ses députés à César.
Mais tandis que les autres nations frémissent au nom de César, Marseille, colonie de Phocée ose rester fidèle à son
alliance (55), garde la foi jurée
; et toute grecque qu'elle est, préfère le parti le plus juste au plus heureux. Cependant elle veut
essayer par un langage pacifique de fléchir la fureur indomptable de César et la dureté de cette âme superbe. Ses députés s'avancent, l'olive de Minerve dans les mains, au-devant de César et de ses légions. Réponse de César. Ainsi parlèrent les guerriers grecs ; et César dont la colère enflammait les regards, la laisse éclater en ces mots : "Ces Grecs comptent vainement sur la rapidité de ma course. Tout impatient que je suis de me rendre aux extrémités de la terre, j'aurai le temps de raser ces murs. Réjouissez-vous, soldats, le sort met sur votre passage de quoi exercer votre valeur. Comme les vents ont besoin d'obstacles pour ramasser leurs forces dissipées et comme la flamme a besoin d'aliment, ainsi nous avons besoin d'ennemis. Tout ce qui cède nous dérobe la gloire de vaincre que la révolte nous offrirait. Marseille consent à m'ouvrir ses portes, si j'ai la bassesse de m'y présenter seul et sans armes. C'est peu de m'exclure, elle veut m'enfermer ! Croit-elle se dérober à la guerre qui embrase le monde ? Vous serez punis d'avoir osé prétendre à la paix ! et vous apprendrez que du temps de César, il n'y a point d'asile plus sûr au monde que la guerre sous mes drapeaux. " Il marche vers Marseille pour en faire le siège; premiers travaux.
Il dit, et marche vers les murs de Marseille, où nul ne tremble. Il trouve les portes
fermées et les remparts couverts d'une armée nombreuse et résolue. Description de la forêt sacrée de Marseille que César fait abattre.
Non loin de la ville était un bois sacré, dès longtemps inviolé, dont les branches entrelacées écartant les rayons du jour, enfermaient sous leur épaisse voûte un
air ténébreux et de froides ombres. Ce lieu n'était point habité par les
Pans rustiques ni par les Sylvains et les nymphes des bois. Mais il cachait un culte barbare et d'affreux sacrifices. Les autels, les arbres y dégouttaient de sang
humain ; et, s'il faut ajouter foi à la superstitieuse antiquité, les oiseaux n'osaient s'arrêter sur ces branches ni les bêtes féroces y chercher un
repaire ; la foudre qui jaillit des nuages évitait d'y tomber, les vents craignaient de l'effleurer. Aucun souffle n'agite leurs
feuilles ; les arbres frémissent d'eux-mêmes. Des sources sombres versent une onde
impure ; les mornes statues des dieux, ébauches grossières, sont faites de troncs informes ; la pâleur d'un bois vermoulu inspire l'épouvante. L'homme ne tremble pas ainsi devant les dieux qui lui sont familiers. Plus l'objet de son culte lui est
inconnu, plus il est formidable. Les antres de la forêt rendaient, disait-on, de longs mugissements ; les arbres déracinés et couchés par terre se relevaient d'eux-mêmes
; la forêt offrait, sans se consumer, l'image d'un vaste incendie ; et des dragons de leurs longs replis embrassaient les chênes. Les peuples n'en
approchaient jamais. Ils ont fui devant les dieux. Quand Phébus est au milieu de sa course, ou que la nuit sombre enveloppe le ciel, le prêtre lui-même redoute ces approches et craint de
surprendre le maître du lieu. Les Marseillais font une sortie nocturne, et brûlent les machines de l'ennemi
Les assiégés n'avaient d'abord espéré que de défendre leurs murailles, ils osent risquer une attaque au dehors. Une jeunesse intrépide sort à la faveur de la nuit : elle n'a pour armes ni la lance, ni l'arc terrible, ses mains ne portent que la flamme cachée à l'ombre des boucliers. Les Romains veulent tenter la fortune sur mer ; description des deux flottes
Les Romains, sans ressource du côté de la terre, tentent la fortune sur mer. Déjà Brutus sur le vaisseau Prétorien, semblable à une
forteresse, avait abordé aux îles Stéchades, accompagné d'une flotte que le Rhône avait vu construire et qu'il avait portée à son embouchure. On y joint des navires faits à la hâte, non de bois peints et décorés, mais de chênes grossièrement taillés, et tels qu'ils tombaient des
montagnes ; du reste, fortement unis et formant un plancher solide et commode pour le combat. Combat naval, dans lequel les Marseillais sont vaincus ; longue et poétique description de la mêlée, de ses accidents terribles et bizarres.
Dès que les flottes ne sont plus séparées que par l'espace qu'un vaisseau peut parcourir d'un seul coup d'aviron, mille voix remplissent les airs, et l'on n'entend plus à travers ces clameurs ni le bruit des rames, ni le son des trompettes. On voit les rameurs balayer les flots et renversés sur les bancs se frapper la poitrine de leurs rames. Les proues se heurtent à grand bruit, les vaisseaux virent de bord, mille traits lancés se croisent dans l'air, bientôt la mer en est couverte. Déjà les deux flottes se déploient et les vaisseaux divisés se donnent un champ libre pour le combat. Alors, comme dans l'Océan, si le flux et le vent sont opposés, la mer avance et le flot recule; de même les vaisseaux
ennemis sillonnent l'onde en sens contraire, la masse d'eau que l'un chasse est à l'instant repoussée par l'autre. Mais les
vaisseaux de Marseille étaient plus propres à l'attaque, plus légers à la fuite, plus faciles à ramener par de rapides
évolutions,
enfin plus dociles à l'action du gouvernail. Ceux des Romains, au contraire, avaient pour eux l'avantage d'une assiette solide, et
l'on y pouvait combattre comme sur la terre ferme. LIVRE III (01) La pâle Julie. - Cette Julie était fille de César et femme de Pompée. Sa mort fut une des causes de la guerre civile entre le beau-père et le gendre. (02) Pellex Cornelia. - Pompée épousa Cornélie avant que celle-ci eût achevé les dix mois de son deuil après la mort de son premier mari, Publius Crassus, qui venait de périr chez les Parthes avec son père. (03) Déjà il a passé la haute citadelle d'Anxur. - Anxur, aujourd'hui Terracine, ville bâtie sur une roche escarpée. (04) La forêt consacrée à la Diane de Scythie. - C'est la forêt d'Aricie, à vent cinquante stades de Rome, où se gardait la statue de la Diane de Tauride apportée par Oreste, après le meurtre de Thoas. Le prêtre de cette déesse était appelé rex, roi. (05) La route des faisceaux latins vers Albe-la-Haute. - Chaque année, les consuls allaient offrir un sacrifice à Jupiter, dans Albe-la-Longue, au temps des Féries latines. (06) César entre dans Rome où règne, l'épouvante. - Rome ne pouvait certainement pas être exempte de douleur et d'inquiétude ; cependant Plutarque dit qu'il trouva la ville plus calme qu'il ne l'avait espéré. Il parla avec beaucoup de douceur et de popularité à un grand nombre de sénateurs que la confiance y avait ramenés, etc. (Voyez Plutarque, Vie de César, ch. XLI). Mais Lucain ne perd aucune occasion de rendre César odieux. (07) Le tribut des Carthaginois. - On a dit avec raison que le poète s'était laissé emporter trop loin par sa haine contre César, dans cette énumération des trésors qui tombèrent au pouvoir de ce dernier. Il n'est guère croyable qu'il y eut dans l'aerarium de l'argent conservé depuis les guerres puniques et l'expédition de Pyrrhus. (08) Metellus - L'île de Crète, ravagée par Quintus Metellus, depuis surnommé le Crétique. (09) Et Caton des bords lointains de Chypre. - Caton l'Ancien et le Censeur, envoyé en Chypre pour y recueillir l'héritage que le roi Ptolémée avait laissé au peuple romain, en rapporta sept mille talents. (10) César fut plus riche que Rome. - Les prodigieuses dépenses et les profusions de César sont assez connues : au moment de partir pour l'Espagne, il était endetté de trente-cinq millions de francs, et ses créanciers ne l'auraient pas laissé partir, si le riche Crassus ne leur eût avancé six millions à valoir sur ce qui leur était dû. Cependant il ne paraît pas que César ait été le plus endetté des Romains. A. Milon, l'assassin de Clodius et le client de Cicéron, alla plus loin que lui, sous ce rapport ; ses dettes, selon Pline, s'élevaient à quarante-cinq millions, qu'il ne paya pas comme César. (11) Le Céphise prophétique. - Notre auteur l'appelle ainsi parce qu'il descendait des montagnes de la Phocide, où était l'oracle d'Apollon. (12) Athènes. - On venait d'y faire des levées d'hommes qui ne devaient pas être considérables depuis la prise de cette ville et le massacre de ses habitants par Sylla. (13) Et trois navires semblent partir. - La ville d'Athènes avait trois galères destinées ans usages publics : la Théoris, qui allait à Délos chaque année, pou accomplir le vœu de Thésée ; la Paralus, sur laquelle s'embarquaient les citoyens qui devaient offrir un sacrifice à Delphes ; la Salaminienne, qui servait à amener à Athènes les accusés qu'on devait juger. Mais ce n'est pas de ces trois galères qu' il s'agit en cet endroit, dit un commentateur ; il s'agit alors de trois vaisseaux consacrés à Apollon à la suite des guerres médiques. (14) Veram credi Salamina (v. 183). Veram credi parait une allusion et une opposition à l'ambiguam Salamina d'Horace (liv. I, Od. VII, v. 29 ; Sénèque le Tragique, Troyennes, v. 844 et Manillus (liv. V, v. 50) ont dit égaiement Salamina veram. (15) La Crète aimée de Jupiter. - La Crète était l'île aux cent villes, Jupiter y avait été nourri. (16) La Dardanienne Oricon. - Oricon, ville d'Épire, où régnèrent Helenus et Andromaque, et qui reçut d'eux le surnom de Dardanienne et Troyenne. Voyez Virgile, Énéide, liv. III, v. 295 et suiv. (17) L'Athamas. - C'était un peuple qui habitait les sommets boisés des montagnes d'Épire. (18) Enchélée, en grec, veuf dire anguille. Cadmus et Harmonie furent changés en serpents, et donnèrent la nom d'Enchélie à la ville Illyrienne dont il est ici question. (19) Colchis, Absyrte. - Cette Colchis n'est point celle du Pont, mais une contrée de l'Istrie, à laquelle des Colchidiens, envoyés par Eéta à la poursuite de Médée, donnèrent leur nom en s'y établissant. Absyrte est une île de l'Adriatique. (20) Le Pénée. - Fleuve de Thessalie dans la vallée de Tempé. (21) Iolcos. - Iolcos. Fille de Thessalie. (22) L'Hémus. - Aujourd'hui les monts Balkans. (23) Pholoé, berceau fantastique des centaures - Pholoé, montagne d'Arcadie, habitée par Pholus et les autres centaures, qui combattirent les premiers à cheval, et qui, vus de loin, semblaient des hommmes-chevaux. (24) Le Strymon. - Fleuve de Thrace, d'où les grues (Bistonias aves) partent à l'approche de l'hiver pour aller chercher sur le Nil un climat plus doux. (25) La Mysie. - Contrée de l'Asie Mineure, sur la mer de Pont. On dit indiféremment Mysie et Moesie ; cependant ce dernier nom s'applique mieux à la partie des rivages de l'Euxin qui est en Europe. (26) Pitané. - Ville de la province de Laodicée ; elle doit son nom à la multitude de pins qui croît dans ses environs. (27) Célène. - C'est là que le satyre Marsyas, qui avait trouvé la flûte de Minerve, fut écorché par Apollon. (28) L'Hermus. - Le texte dit : Non vilior Hermus : ce qui veut dire que l'Hermus roule de l'or parmi ses sables, aussi bien que le Pactole qu'il a nommé précédemment. (29) Damas, battue des vents. - à cause de sa situation au milieu d'une vaste plaine. (30) Et Gaza. - Ville de Syrie que l'Écriture appelle déserte.
La déserte Gaza, la sainte Arimathie, etc. (31) L'Idumée, riche en palmiers. - L'Idumée était pour les anciens le pays des palmes :
Primas Idumaeas referam tibi, Mantua, palmas. (32) Conduits par Cynosure. - C'est-à-dire que sous l'influence de cette constellation les peuples de ces parages arrivèrent directement et sûrement à Dyrrachium.
Neque in Tyrias Cynosura cannas (33) Les Phéniciens. - Le poète rappelle ici l'invention de l'écriture. Voici la paraphrase célèbre de Brébeuf :
C'est de lui que nous vient cet art ingénieux (34) Memphis ne savait pas encore. Le papyrus ou bibles est un roseau du Nil, qui, employé pour l'écriture, a donné l'un de ses noms au papier et l'autre aux livres qu'on fait avec le papier. Avant l'invention de l'écriture ordinaire et du papyrus, les Égyptiens ne connaissaient que l'écriture hiéroglyphique, ou sculptée sur la pierre. (35) Tarse, fille de Persée. - Tarse, en Cilicie, patrie de saint Paul, sur le Cydnus. On n'est pas d'accord sur son origine et sur l'épithète Persea que lui donne ici notre auteur. (36) L'antre de Corycie. - Voyez Pomponius Méla, liv. I, ch. XIII. (37) Mallos. - Ville de Cilicie, qui fut tard fut appelée Antioche. (38) Aega. - Ville maritime de Cilicie, sur le golfe Issique. (39) Sur les rives du Gange qui seul... - En général le cours des fleuves est de l'est a l'ouest, et du nord au midi. Cependant les exemples du contraire ne sont pas rares : le Danube, par exemple, montre la même audace que le Gange. (40) La douce liqueur qu'un roseau distille. - C'est la canne à sucre, que les anciens ne cuisaient pas au feu comme nous, mais dont ils exprimaient le suc pour le boire étendu dans de l'eau.
(41)
Et ceux qui teignent leurs chevelures dans le jaune safran. - Les
Cathéens, peuples de l'Inde. Ils teignaient le menton, les habits et les cheveux de leurs enfants. Voyez Strabon, livre XV. (43) Étonnés que l'ombre des bois ne se dessine plus à votre gauche. - L'auteur parle ici de l'Arabie Heureuse ou Australe. Dans ce pays, le soleil porte l'ombre au midi, ce qui la met a gauche pour ceux qui regardent l'occident. Transportés en deçà du tropique, les Arabes sont naturellement surpris de voir l'ombre se projeter à droite. (44) Et les chefs carmanes. - Peuple entre l'Inde et la Perse, sous le tropique du Cancer. (45) Le Bactre glacé. - Les peuples de la Bactriane, ainsi nommée du fleuve qui l'arrose. (46) L'Hénioque. - Peuples du Caucase, et bons cavaliers. On les dit descendus d'Amphytus et de Telechius, Lacédémoniens, écuyers de Castor et de Pollux. (47) L'Halys fatal à Crésus. - Ce fut sur ses bords qu'il fut vaincu. On connaît l'oracle équivoque sur la foi duquel il passa le fleuve Halys, qui séparait la Libye du pays des Mèdes : Croesus Halym penetrans magnam pervertet opum vim. (48) L'Euxin, mer torrentueuse. - Suivant la Fable, Hercule aurait séparé l'Espagne et l'Afrique, et ouvert le détroit de Gibraltar pour faire entrer la mer dans l'intérieur des terres. Le Pont-Euxin paraissant l'embouchure de toutes les mers intérieures, détruirait ainsi la gloire des colonnes d'Hercule. Des commentateurs ont cru qu'il s'agissait ici des autels dressés par Alexandre sur les bords du Tanaïs, et qui auraient surpassé la gloire du trophée d'Hercule. (49) Le vaillant habitant d'Aria. - Peuple voisin de la Colchide, qui habite l'île d'Aria, ou Area. "Non longe a Colchis Aria, quae sacrata." (Pomponius Mela, lib. II, ch. VII.) (50) Le Massagète. - Peuple de la Scythie, qui se nourrit et se désaltère du sang des chevaux.
Et qui cornipedes in pocula vulnerat audax Massagetes. (51) Ni lorsque Xerxès comptait ses soldats par les traits qu'ils lançaient. - Voyez Hérodote, liv. VII.
(52)
De son frère outragé. - Il s'agit ici d'Agamemnon et de la guerre de Troie. (54) Jusqu'aux Syrtes Parétoniennes. - Cette épithète de Parétoniennes donnée aux Syrtes est un peu forcée, dit avec raison un commentateur ; car Parétonium est séparée des Syrtes par toute la Cyrénaïque. (55) Marseille ose rester fidèle. - Au retour de la guerre d'Espagne, César réduisit Marseille, qui s'obstinait dans le parti de Pompée. Ces Grecs qui avaient toujours eu le monopole du commerce de la Gaule, étaient jaloux, sans doute, de la faveur avec laquelle César traitait les barbares Gaulois, quoiqu'il eût précédemment accordé des privilèges commerciaux aux Marseillais. Marseille était une colonie grecque, non de la Phocide, comme on l'a cru a tort, mais de Phocée, en Asie Mineure. Elle se déclara contre César, à l'instigation de Domitius qui s'y était rendu après avoir reçu la vie de César, à Corfinium. "Malheureuse ville que Marseille ! s'écrie Florus ; elle veut la paix, et la crainte de la guerre attire la guerre sur elle." (56) Les murs de Phocée livrés aux flammes. - Le traducteur a dû corriger ici son auteur, qui dit la Phocide au lieu de Phocée. Nous avons déjà fait cette observation plus haut. Quant à l'incendie de Phocée que ses habitants auraient livrée aux flammes en la quittant, c'est un point d'histoire assez obscur. Hérodote, qui a raconté leur migration, n'a rien dit de cette circonstance. (57) A couvert sous la tortue. - Il y avait deux sortes de tortues : l'une faite de planches unies ensemble par des peaux et par des cordes, c'est celle qui servait à établir les travaux de siège ; l'autre était formée par l'exhaussement des boucliers tenus serrés les uns contre les autres au-dessus des têtes des soldats, in morem squammarum. C'est de cette dernière qu'il s'agit ici. Voyez Tite-Live, liv. XLIV, ch. IX, et Folard, de la Colonne, tome. I, p. 56. (58) Alors on fait avancer le mantelet. - Le texte dit vinea, vigne. La vigne est une machine composée de planches et de claies, et recouverte de peaux fraîches et d'étoffes mouillées : elle servait à mettre les soldats à l'abri des traits pendant qu'ils travaillaient à faire des brèches aux murailles. Ce nom de vigne lui a été donné à cause de sa conformation. On l'établissait en carré, comme on plante la vigne. Plus loin pluteis signifie dos planches, des madriers qui garnissent le front de la vigne ou du gabion : autrement le mantelet, considéré comme une machine particulière de siège, ne différait pas beaucoup de la vigne. Voyez Végèce, liv. IV, ch. XV, et Juste Lipse, Poliorcet., I, dial. VII. (59) La cruelle mort distingua ces frères. - Ceci est une imitation de Virgile, Énéide, liv. X, v. 391 :
Daucia Laride, Thymberque, simillima proles. Stace présente aussi la même imitation. Voyez Thébaïde, liv. IX, v. 95. (60) Osa porter la main sur le bord ennemi. - Ce trait d'héroïsme, dont notre poète fait ici honneur à un Marseillais, Suétone, Vie de César, ch. LXVIII ; Valère-Maxime, liv, III, ch. II ; Plutarque vie de César, ch. XVII, l'attribuent à un soldat de César, dans ce même combat naval devant Marseille. "Acilius (miles Caesaris) navali ad Massiliam proelio, injecta in puppem hostium dextra, et abscissa, memorabile illud apud Graecos Cynaegyri exemplum imitatus, transiluit, in navem, umbone obvios agens." Suéton., loco dicto. (61) Brutus, triomphant sur les mers. - Tous les détails de ce siège et du combat naval qui le termina, sauf sa partie poétique, se trouvent dans les Commentaires de César. Voyez Guerre civile, liv. II, ch. I - XVI.
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