LUCAIN
LA PHARSALE
LIVRE VIII
introduction livre II livre III livre IV livre V livre VI livre VII livre IX livre X
LIVRE
VIII
Fuite
de Pompée ; il franchit les vallons de Tempé : il s'épouvante du bruit qui se
fait sur ses pas. - Sa pensée se reporte vers l'époque de ses triomphes : sa félicité
passée s'est changée en opprobre. - Il arrive aux bords de la mer ; il se
jette dans une barque et fait voile vers Lesbos. - Cornélie ; ses mortelles
inquiétudes. - Le navire aborde, Cornélie s'élance aussitôt et tombe en défaillance.
- Enfin, elle reprend ses sens. - Discours du héros. - Cornélie laisse tomber
quelques plaintes entrecoupées de sanglots. - Pompée est attendri : tous les
assistants fondent en pleurs. - Bon accueil du peuple de Mytilène. - Offres de
service ; Pompée refuse et remet à la voile. - On voit s'éloigner avec
douleur Cornélie : son éloge. - Navigation de Pompée ; ses entretiens avec le
pilote. - Il est rejoint par son fils, par la foule des grands qui lui est restée
fidèle. - Discours qu'il adresse à Déjotarus, en lui prescrivant d'aller au
fond de l'Asie chercher de nouveaux secours. - Déjotarus part. - Pompée
poursuit sa course ; il arrive à Syhédra ; il y délibère sur le parti qu'il
doit prendre : son discours aux grands assemblés. - On improuve son dessein. -
Lentulus ouvre un second avis : son discours. - Il entraîne tous les esprits. -
On décide d'aller en Égypte. - Enfin, on touche au rivage de Péluse. - Effroi
de Ptolémée à la nouvelle de l'arrivée de Pompée. - Son conseil délibère.
- Achorée rappelle les bienfaits de Pompée ; mais Pothin ose proposer le
meurtre du héros : son discours. - On applaudit au crime. - Apostrophe véhémente
du poète à Ptolémée. -Le héros s'apprête à descendre ; une barque
s'avance au-devant de lui, chargée de ses assassins : on l'invite à y
descendre. - Pompée cède à ses funestes destins : il préfère la mort à la
crainte. - Reproches de Cornélie. Sa prière n'est point écoutée. -
Septimius, Achillas. - Le héros tombe frappé. - Cornélie est témoin de
l'affreux spectacle : ses douleurs. - Le vaisseau s'éloigne emportant Cornélie.
- La tête de son époux est mise au bout d'une lance et présentée à Ptolémée.
- Funérailles de Pompée. - Cordus. - Discours du généreux romain. -
Apostrophe du poète à Cordus : il le rassure contre le châtiment qu'il
redoute. - L'exiguïté du tombeau de Pompée ne nuira point à sa mémoire. -
L'Égypte redira, au sujet de sa sépulture, les merveilles que la Crète
raconte du tombeau de Jupiter. Fuite de Pompée ; il franchit les vallons de Tempé : il s'épouvante du bruit qui se fait sur ses pas.
À
travers les bois de Tempé, au-delà de l'étroit passage ouvert par Alcide,
gagnant les gorges désertes de la forêt d'Hémonie, Pompée excite son
coursier (01)
déjà excédé de fatigue, et s'efforce par de longs détours de dérober les
traces de sa fuite au vainqueur. Le bruit des vents dans les forêts, le pas de
ses compagnons l'épouvante (02),
le met hors de lui. Quoique déchu de sa grandeur, il sait de quel prix est
encore sa vie, et ne doute pas que César ne payât sa tête aussi cher qu'il
payerait celle de César. Mais il a beau chercher des routes solitaires, c'est
un nom trop célèbre que celui de Pompée. Les peuples d'alentour, qui
accourent à son camp, et à qui la renommée n'a pas encore annoncé sa défaite,
le rencontrent, s'étonnent, ne peuvent concevoir un renversement si rapide dans
la fortune de ce grand homme, et ont peine à le croire lui-même, quand il leur
dit ses désastres. Dans l'état où il est réduit, les témoins l'importunent
; il aimerait mieux être inconnu partout, et pouvoir traverser le monde en sûreté
à la faveur d'un nom obscur. Sa pensée se reporte vers l'époque de ses triomphes : sa félicité passée s'est changée en opprobre.
Mais
la Fortune punit de ses propres bienfaits les malheureux qu'elle abandonne ;
elle surcharge l'adversité du poids d'une renommée éclatante, et insulte au
bonheur passé. À présent, Pompée reconnaît que ses prospérités ont été
trop rapides, il se plaint de l'éclat de ses premiers triomphes sous les
drapeaux de Sylla ; aujourd'hui, les flottes battues à Coryce et les trophées
du Pont pèsent à sa grandeur déchue. C'est ainsi que le malheur d'avoir trop
vécu a obscurci la gloire de tant de grands hommes. Si le dernier jour du
bonheur n'est pas aussi le dernier de la vie, et si la mort ne prévient les
revers, la félicité passée se change en opprobre. Et qui jamais, après cet
exemple, osera se livrer à la prospérité sans avoir préparé sa mort ? Il arrive aux bords de la mer ; il se jette dans une barque et fait voile vers Lesbos.
Arrivé
au bord où le Pénée, rougi du sang versé dans les champs de Pharsale, se précipite
dans la mer, Pompée se jette dans une barque à peine assez solide pour aller
sur un fleuve, et trop fragile pour résister au choc des vents et des flots.
C'est sur ce faible esquif que s'échappe, passager tremblant, celui dont les
flottes couvrent encore les mers de Corcyre et de Leucade, celui que la Liburnie
et la Cilicie reconnaissent pour leur vainqueur. II ordonne qu'on fasse voile
vers le rivage de Lesbos, vers cette île dépositaire de ce qu'il a de plus
cher au monde. Cornélie ; ses mortelles inquiétudes.
C'est
là, Cornélie, que tu vivais cachée, et dans une inquiétude aussi cruelle que
si tu avais été au milieu des champs de Pharsale. De noirs présages t'agitent
sans cesse ; ton sommeil est troublé par de violentes frayeurs ; tes nuits se
passent en Thessalie, et dès que le jour chasse les ténèbres, errante sur la
cime des rochers qui bordent la mer, les yeux attachés sur les flots, tu es la
première à découvrir dans le lointain les voiles flottantes d'un vaisseau qui
s'avance ; mais tu n'oses demander des nouvelles de ton époux. Tu vois une
barque voguer vers toi, voiles déployées ; tu ne sais pas ce qu'elle
t'apporte, mais dans un moment toutes tes craintes vont se réaliser. Ô Cornélie
! Celui qui vient t'annoncer le malheur de nos armes, la défaite et la fuite de
ton époux ; c'est ton époux lui-même. Pourquoi dérober ces instants au deuil
? Il n'est plus temps de craindre, il est temps de pleurer. Le navire aborde. Cornélie s'élance aussitôt et tombe en défaillance. Enfin, elle reprend ses sens
Le
navire aborde. Cornélie s'élance, et reconnaît Pompée. Elle voit le crime
des dieux marqué sur le front pâle du héros, sur cette face vénérable qu'il
couvre de ses cheveux blancs, et sur ses vêtements tout souillés de poussière.
À cette vue, elle chancelle, l'infortunée ; un nuage répandu sur ses yeux lui
dérobe la lumière du ciel, l'excès de la douleur lui ôte le sentiment, tout
son corps tombe en défaillance, son cœur reste longtemps immobile et glacé,
et la mort qu'elle a invoquée semble avoir exaucé ses vœux. Discours du héros.
"Femme
de Pompée, oubliez-vous de quels aïeux vous êtes née ? Est-ce à une âme si
courageuse de succomber sous les premiers revers ? Voici le moment d'éterniser
la mémoire de vos vertus. La magnanimité de votre sexe n'est point attachée
au maintien des lois ni aux travaux des armes ; le malheur d'un époux en est
l'unique épreuve. Élevez, affermissez votre âme ; que votre piété envers
moi combatte et surmonte le sort ! Aimez votre époux d'autant plus qu'il est
vaincu. C'est à présent surtout que je fais votre gloire. Les faisceaux, le sénat,
une foule de rois, tout s'éloigne. Commencez à vous regarder comme mon unique
compagne, et à me tenir lieu de tout. Il serait honteux, votre mari vivant, de
montrer une douleur extrême. Réservez vos larmes pour mon trépas, ce sera le
dernier gage de votre foi. Jusque-là, vous n'avez rien perdu ; je respire ; ma
Fortune seule a péri, et si c'est elle que vous pleurez, c'est elle que vous
avez aimée." Cornélie laisse tomber quelques plaintes entrecoupées de sanglots.
À
ce reproche de son époux, Cornélie soulève à peine sa tête languissante, et
son cœur laisse échapper ces plaintes entrecoupées de sanglots. "Ô née
pour le malheur de ceux à qui mon sort se lie ! Que ne suis-je entrée dans le
lit de César ! J'ai coûté deux fois des larmes au monde. Celles qui présidèrent
à mon hyménée furent Érinys et les ombres des Crassus. Vouée à ces mânes,
j'ai porté dans le camp de la guerre civile les destins de l'Assyrie. J'ai
entraîné tous les peuples dans ta ruine, j'ai éloigné tous les dieux du plus
juste parti. Ô mon illustre époux ! Héros dont je n'étais pas digne ! Quoi,
le sort a eu le droit de t'opprimer ! Pourquoi formai-je les nœuds impies qui
t'allaient rendre malheureux ? Reçois ma mort, que je demande en expiation de
mon crime, et pour te rendre la mer plus facile, les rois plus fidèles,
l'univers plus soumis, jette dans les flots ta compagne ; plus heureuse si elle
s'était dévouée avant les malheurs de tes armes, pour en obtenir le succès,
qu'elle te serve au moins à expier tous les maux qu'elle cause au monde ! Ô
Julie ! Ombre que j'irritais, où que tu sois, te voilà vengée de mon hymen
par les malheurs de la guerre civile. Viens jouir encore de mon supplice, et,
apaisée par le trépas de ton odieuse rivale, pardonne à ton époux." Pompée est attendri : tous les assistants fondent en pleurs.
À
ces mots, elle tomba une seconde fois dans les bras de Pompée, et sa douleur
arracha des larmes à tous les yeux. La grande âme de Pompée en fut elle-même
attendrie, et ce héros qui d'un œil sec avait vu les champs de Pharsale, versa
des larmes à Lesbos. Bon accueil du peuple de Mitylène. Offres de service ; Pompée refuse et remet à la voile.
Alors
le peuple de Mytilène (03)
accourant en foule au rivage, lui dit : "Si notre île fait à jamais sa
gloire d'avoir eu en dépôt la digne moitié d'un si grand homme, daignez
aussi, Pompée, nous vous en conjurons, daignez vous-même, ne fût-ce qu'une
nuit, prendre pour asile nos murs, et vous reposer au sein de nos dieux
domestiques, sur la foi sainte et inviolable d'un peuple qui vous est dévoué.
Faites de Lesbos un lieu mémorable qu'on vienne voir dans tous les siècles, et
qui excite la vénération de tous les voyageurs romains. Vous n'avez pas de
refuge plus assuré dans votre fuite ; toute autre ville peut espérer de
trouver grâce auprès du vainqueur ; Lesbos ne peut plus s'attendre qu'à sa
haine. D'ailleurs César n'a point de flottes, et nous sommes entourés de mers.
Les sénateurs, sachant où vous êtes, viendront vous retrouver ; il faut un
lieu connu pour rallier vos forces. Nos richesses, les trésors mêmes de nos
temples vous sont offerts ; et que ce soit sur mer ou sur terre que vous veuillez
employer notre brave jeunesse, elle est prête à vous suivre ; disposez de
Lesbos et de tout ce qui est en son pouvoir. Enfin, épargnez à un peuple qui
croit avoir bien mérité de vous, l'humiliation de laisser croire que vous
n'avez compté sur lui que lorsque vous étiez heureux, et que vous avez douté
de sa foi dès que le sort vous a été contraire." Pompée ne fut point
insensible à la joie de trouver dans les Lesbiens un zèle si pur et si noble ;
il s'applaudit pour l'humanité de voir que l'honneur et la foi n'étaient pas
encore exilés du monde. On voit s'éloigner avec douleur Cornélie : son éloge.
Il
dit, et il fit porter la triste Cornélie sur le vaisseau qui l'attendait. À la
désolation de ce peuple, on eût dit qu'on le forçait lui-même à quitter ses
pénates et sa patrie. On n'entendait sur le rivage que des gémissements et des
plaintes ; on ne voyait que des mains élevées vers le ciel, et quoique le
malheur de Pompée eût affligé tous les cœurs, c'était moins ce héros qu'on
plaignait que celle avec qui ce peuple était accoutumé à vivre comme avec une
de ses citoyennes, et qu'il voyait avec douleur s'éloigner. Quand même elle
irait joindre un époux triomphant, les femmes de Lesbos en lui disant adieu
auraient peine à retenir leurs larmes, tant sa pudeur, sa dignité, la modestie
répandue sur son chaste visage lui ont attiré leur amour. Ce qui les a le plus
touchées, c'est que loin de se rendre incommode à ses hôtes, et loin
d'humilier même les plus petits, elle a vécu à Mytilène dans le temps des
prospérités et de la gloire de Pompée comme s'il eût été vaincu. Navigation de Pompée ; ses entretiens avec le pilote.
Le
soleil était à demi plongé sous l'horizon, et s'il est vrai qu'il y ait des
peuples pour lesquels il se lève en se couchant pour nous, chacun des deux
mondes ne voyait alors que la moitié de son globe de flamme. La nuit vient, et
les soucis cruels et vigilants dont l'âme de Pompée est remplie, lui font
parcourir de la pensée les villes et les peuples alliés des Romains, les cours
de l'Orient, leurs mœurs, leur différent génie, et ces régions du Midi
qu'une chaleur intolérable défend seule contre César. Souvent l'âme accablée
de ces pénibles soins, et rebutée de l'affligeante image que lui présente
l'avenir, il écarte pour respirer, ces idées tumultueuses, et l'abattement de
ses esprits, qu'un trouble si violent épuise, lui laisse un moment de relâche.
Il questionne alors le pilote sur tous les astres, comment on reconnaît les
rivages, quel moyen le ciel lui donne de mesurer l'espace parcouru de la mer,
quel astre lui montre la Syrie, quels feux du Chariot le font se diriger vers la
Libye. L'observateur habile du taciturne Olympe lui répond : "Nous ne
suivons pas ces astres qui lentement déclinent dans le ciel étoilé et abusent
le pauvre matelot. Non. L'axe sans couchant qui ne se plonge jamais dans les
ondes et qu'éclaire le double Arctos, voilà notre guide. Ce point se
dresse-t-il au sommet de l'horizon, la petite Ourse domine-t-elle l'extrémité
des antennes, nous marchons vers le Bosphore et la mer de Scythie. Mais que
l'Arctophylax descende de la cime du mât et
que Cynosure se penche vers la surface de la mer, c’est aux portes de
la Syrie que se rendra le navire. Puis vous parvenez au Canope, content d'errer
sous le ciel austral ; poussez à gauche, au-delà de Pharos le navire touchera
les Syrtes. Mais ordonnez où je dois tourner ma voile, incliner mes
vergues." Pompée encore irrésolu répond : " N'importe où, sur la
mer sans fin, le plus loin, le plus loin possible des bords thessaliens, loin
des mers et du ciel d'Italie. Le reste au gré des vents. Naguère confiée à
Lesbos, maintenant Cornélie est avec moi ; tout à l'heure je savais quel
rivage désirer. Maintenant, que la Fortune me choisisse un port." Il est rejoint par son fils, par la foule des grands qui lui est restée fidèle.
Le
soleil revient éclairer la terre, et sa lumière efface les astres de la nuit.
Bientôt tout ce qui est échappé au naufrage de Thessalie se rassemble auprès
de Pompée. Son fils fut le premier qui, du rivage de Lesbos, suivit ses traces
sur les mers. Discours qu'il adresse à Déjotarus, en lui prescrivant d'aller au fond de l'Asie chercher de nouveaux secours. Déjotarus part.
Déjotarus,
ayant découvert çà et là les signes épars de sa fuite, venait enfin de le
joindre. Pompée l'envoie au fond de l'Asie lui chercher de nouveaux secours.
"Ô le plus fidèle de tous les rois, lui dit-il, j'ai perdu tout ce qui
sur la terre était au pouvoir des Romains, mais il me reste à éprouver le zèle
des peuples du Tigre et de l'Euphrate, où ne s'étend point encore la
domination de César. Allez en mon nom soulever l'Orient et le Nord, pénétrez
jusque dans le fond des États du Mède et du Scythe, allez dans un monde qu'un
autre soleil éclaire, rendez au superbe Arsacide ces paroles que je lui adresse
: Si l'ancienne alliance que nous avons jurée, moi par Jupiter Latin, vous par
le culte de vos mages, subsiste encore entre Rome et vous, Parthes, remplissez
vos carquois, tendez vos arcs, souvenez-vous qu'en chassant devant moi les
peuples du Caucase, je vous laissai la liberté d'errer en paix dans vos
campagnes, sans vous réduire à chercher dans les murs de Babylone un asile
contre moi. J'avais déjà franchi les bornes du vaste empire de Cyrus, et vers
le fond de la Chaldée, je touchais aux bords où l'Hydaspe et le Gange vont se
jeter au sein des mers. Cependant lorsque la victoire me soumettait tout
l'Orient, je voulus bien excepter le Parthe du nombre des peuples que je
rangeais sous les lois de Rome, et leur roi fut le seul que je traitai d'égal.
Ce n'est pas une fois seulement que les Arsacides m'ont dû la conservation de
leur empire, et, après la sanglante défaite de Crassus en Assyrie, quel autre
que moi eût apaisé le ressentiment des Romains ? Engagés par tant de
bienfaits, ô Parthes ! Voici le moment de passer l'Euphrate qui devait à
jamais vous servir de barrière. Courez sur cette rive que vous interdit le
fondateur de Zeugma. Venez vaincre en faveur de Pompée ; et Rome elle-même
consent à être vaincue à ce prix." Pompée poursuit sa course ; il arrive à Syhédra ; il y délibère sur le parti qu'il doit prendre : son discours aux grands assemblés.
Pompée
ayant jeté Déjotarus sur le rivage de l'Asie, poursuit sa route, entre les écueils
d'Icare. Il laisse derrière lui Éphèse et Colophon à la rade paisible ; et
à la faveur d'un vent léger, que l'île de Cos lui envoie, il passe devant
Cnide, rase l'île de Rhodes, dorée par le soleil, coupe le golfe de Telmesse,
et la côte de Pamphilie se présente devant lui, mais n'y voyant pas encore
d'asile assuré, il gagne l'humble ville de Phaselis, où il n'a point à
craindre le peu d'habitants que la guerre y a laissés, et qui, tous ensemble,
n'égalent pas le nombre des Romains qu'il a sur son vaisseau. Il s'avance et
passe à la vue du mont Taurus, d'où tombent les eaux du Dipsante. Pompée eût-il
jamais pu croire, dans le temps qu'il chassait de ces mers les pirates de
Cilicie, qu'un jour, exposé sur un faible navire, il aurait besoin d'y trouver
lui-même un passage tranquille ? Une grande partie du sénat se rallie auprès
de son chef fugitif ; enfin il arrive au port de Syhédra, où le Sélinus
accueille et renvoie les navires. Là, sa voix, qu'une douleur profonde avait
tenue longtemps muette, rompt enfin le silence, et il parle en ces mots On improuve son dessein. Lentulus ouvre un second avis : son discours.
Au
murmure qui s'éleva dans l'assemblée, il fut facile à Pompée de juger qu'on
désapprouvait son dessein. Lentulus se distingua dans ce conseil par la chaleur
de son zèle et la majesté de sa douleur. Il se lève et il fait entendre ces
paroles dignes d'un homme, naguère consul : Il entraîne tous les esprits. On décide d'aller en Égypte.
Ces
paroles de Lentulus entraînèrent tous les esprits. Son avis l'emporta sur
celui de Pompée, tant l'extrémité du péril rétablit d'égalité entre les
hommes. Ils quittent la côte de Cilicie et vont aborder à l'île de Chypre, séjour
favori de la déesse à qui la mer de Paphos a donné le jour, si l'on peut
croire que les dieux soient nés, et s'il est possible que jamais aucun d'eux
ait commencer d'être. Son conseil délibère. Achorée rappelle les bienfaits de Pompée, mais Pothin ose proposer le meurtre du héros : son discours. On applaudit au crime.
C'était
le temps où la Balance ne tient qu'un moment en équilibre les heures du jour
et celles de la nuit, et va rendre aux nuits de l'automne l'avantage que le Bélier
a donné aux jours du printemps. Le jeune roi était sur le mont Casius. Pompée
s'y dirige. Ni le soleil ni les voiles ne languissent. Déjà le cavalier en
sentinelle sur le rivage, accouru à la hâte, avait jeté l'alarme en apprenant
la venue de Pompée. À peine avait-on le temps de tenir conseil ; cependant
tous les infâmes courtisans de Ptolémée s'assemblent dans le palais
d'Alexandre. Il se trouve parmi eux un homme juste, un vieillard dont les ans
ont mûri la sagesse, éteint les passions. Achorée est son nom, Memphis l'a vu
naître, Memphis qui du haut de ses murs observe les progrès du Nil lorsqu'il
inonde les campagnes, Memphis si fier de ses dieux ! Ce sage avait vu plusieurs
fois, dans le cours d'un long sacerdoce, s'accomplir le nombre des révolutions
lunaires que doit vivre le bœuf Apis. Il fut le premier qui donna sa voix dans
le conseil ; il rappela les bienfaits de Pompée, son amitié pour le père du
roi et la sainteté de leur alliance, mais Pothin, plus habile à démêler le
caractère d'un mauvais prince, et plus instruit dans l'art de le persuader, osa
proposer le meurtre de Pompée. "Ptolémée, dit-il, la justice et le droit
tiennent souvent lieu de crime, et si la foi qu'on garde à ceux que trahit la
fortune obtient des éloges, elle attire des châtiments. Rangez-vous du parti
des dieux et du sort ; honorez les heureux, et repoussez les misérables. Il y a
moins de distance entre les astres et la terre, entre le feu et l'eau de la mer
qu'entre l'utile et le juste. Toute la force des sceptres s'anéantit dès qu'on
pèse leurs droits au poids de l'équité. La pudeur et l'honnêteté renversent
les empires. L'autorité ne se soutient que par la liberté du crime et par
l'usage illimité du glaive. Le droit d'user de violence ne se conserve qu'en
s'exerçant. Que celui qui veut être juste descende du trône ! L'absolu
pouvoir ne peut jamais s'accorder avec la vertu, et qui rougit de tout violer
aura sans cesse tout à craindre. Punissez Pompée d'avoir méprisé la
faiblesse de votre âge, et d'avoir pensé que tout vaincu qu'il est, nous
n'oserions lui fermer nos ports. Si vous êtes las de régner, ce n'est pas à
lui qu'il faut livrer l'héritage de vos pères ; vous avez une sœur à qui
vous le devez ; rappelez-la au trône d'où vous l'avez bannie. Mettons l'Égypte
à couvert des armes romaines ; tout ce qui n'aura point été au vaincu sera épargné
par le vainqueur. Chassé du monde entier, perdu sans ressource, Pompée cherche
avec qui tomber. Les mânes des Romains qu'il a fait périr le poursuivent. Ce
n'est pas seulement son beau-père qu'il fuit, il fuit les regards du sénat,
dont le plus grand nombre est la proie des vautours de la Thessalie ; il craint
les nations qu'il a laissées nageant ensemble dans les flots de leur sang ; il
craint cette foule de rois qu'il a entraînés dans son naufrage. Chargé du
crime de la Thessalie, rebuté partout, il se jette dans le seul pays qu'il
n'ait pas encore ruiné, et c'est ce qui le rend plus coupable envers vous.
Pourquoi, Pompée, venir souiller et rendre suspecte à César cette Égypte qui
s'est tenue en paix ? Pourquoi la choisir pour le lieu de ta chute, et y
transporter les destins de Pharsale et ton propre malheur ? Nous avons déjà un
crime à expier par ta mort : c'est de te devoir le sceptre, et d'avoir fait des
vœux pour toi. Ce glaive que le sort nous force de tirer était destin, non pas
à toi, mais au vaincu. C'est toi, Pompée, qu'il va percer ; nous aurions voulu
que ce fût ton beau-père ; nous sommes emportés par le torrent qui entraîne
l'univers. Tu offres ta tête au glaive, pouvons-nous ne pas frapper ?
Malheureux ! Quelle confiance te livre à nous ? Ne vois-tu pas un peuple sans
armes occupé à cultiver ses campagnes encore humides, aussitôt que le Nil a
retiré ses eaux ? II faut savoir mesurer ses forces, et avouer son impuissance.
Êtes-vous, Ptolémée, un assez ferme appui pour un homme dont la ruine écrase
Rome elle-même ? Irons-nous remuer les cendres de Pharsale, et attirer la
guerre sur nos bords ? Avant le combat de Thessalie, nous n'avons embrassé
aucun parti, et à présent nous suivrions des drapeaux que le monde entier
abandonne ! Nous oserions défier un vainqueur dont la puissance et la destinée
se déclarent impérieusement ! Il est honteux d'abandonner celui qui tombe dans
l'infortune, mais ce n'est qu'autant qu'on l'a suivi dans la prospérité, et
personne n'attend, pour choisir ses amis, l'instant où ils sont
malheureux." Le héros s'apprête à descendre ; une barque s'avance au devant de lui, chargée de ses assassins : on l'invite à y descendre.
Le
héros avait refusé les voiles au vent, et la rame poussait son vaisseau vers
ce détestable rivage. Alors s'avance au-devant de lui la barque qui porte ses
assassins. Ils l'assurent en l'abordant que l'Égypte lui est ouverte, mais
accusant les bancs de sable qui rendent l'abord difficile aux vaisseaux étrangers,
ils l'invitent à descendre de son navire dans leur barque. Si les lois de la
destinée et l'irrévocable décret de sa mort ne l'eussent pas entraîné vers
les bords où il devait périr, il lui eût été facile de prévoir le complot
tramé contre lui, car s'il y avait eu de la bonne foi dans l'accueil qu'on lui
faisait, si un zèle sincère eût ouvert le palais de Ptolémée à son
bienfaiteur, ce roi lui-même avec toute sa flotte, ne fût-il pas venu le
recevoir ? Mais Pompée cède à son mauvais destin ; il descend dans la barque,
il laisse ses vaisseaux, il préfère la mort à la crainte. Reproches de Cornélie. Sa prière n'est point écoutée.
Il
dit, mais sourde à sa prière, Cornélie éperdue lui tendait les bras. "Où
vas-tu sans moi, cruel ? lui dit-elle. Veux-tu m'abandonner une seconde fois
comme aux jours funestes de Thessalie ? Jamais, tu le sais, nous ne nous séparons
que sous de malheureux auspices. Ah ! si tu voulais m'écarter de tous les bords
où tu descends, pourquoi venir me chercher à Lesbos ? Que ne m'y laissais-tu
cachée ? Quoi ! N'est-ce donc que sur les mers que tu me permets de
t'accompagner ?" Septimius, Achillas.
Comme
le héros se prépare à descendre, Septime vient le saluer ; Septime, soldat
romain, qui avait servi sous ses enseignes, et qui depuis, rougissez, dieux du
ciel ! avait quitté les aigles pour les drapeaux d'un roi dont il était le
satellite : homme cruel, violent, atroce, et plus affamé de carnage que les bêtes
féroces. Ô Fortune, qui n'eût pas cru que tu avais voulu épargner le sang
des peuples en dérobant cette main meurtrière à la guerre civile, et en l'éloignant
de Pharsale ? Mais, non, tu as disposé les glaives, de sorte qu'aucun
pays du monde ne manque d'être souillé de sang, et que Rome t'offre partout
des meurtriers et des victimes. Ô honte éternelle pour les vainqueurs ! Ô
souvenir dont à jamais rouissent les dieux ! Ce fut de l'épée d'un Romain
qu'un roi se servit pour ce meurtre ! Ce fut, Pompée, sous l'un de tes glaives
que Ptolémée fit tomber ta tête ! Le héros tombe frappé.
Pompée
touchait à sa dernière heure ; emporté dans la barque, il était tombé au
pouvoir de ses ennemis. Les assassins tirent l'épée, et le héros voyant
le fer levé sur lui, s'enveloppe le visage de sa robe ; il s'indigne d'offrir
au sort sa tête nue ; il ferme les yeux, et retient son haleine, de peur qu'il
ne lui échappe en mourant quelques plaintes ou quelques larmes qui ternissent
l'éclat immortel de son nom. Mais sitôt que le perfide Achillas lui a enfoncé
l'épée dans le sein, il se laisse tomber sous le coup sans pousser un gémissement.
Plein de mépris pour le crime, immobile, il veut que sa mort témoigne de sa
grandeur et il roule ces pensées dans son cœur : "Tout l'univers a les Cornélie est témoin de l'affreux spectacle : ses douleurs.
Mais
Cornélie qui a moins de courage pour voir mourir son époux qu'elle n'en aurait
pour mourir elle-même, remplit l'air de ses cris douloureux. Le vaisseau s'éloigne emportant Cornélie.
À
peine a-t-elle achevé ces mots, qu'elle tombe dans les bras des siens, et le
vaisseau plein d'épouvante gagne la haute mer. La tête de son époux est mise au bout d'une lance et présentée à Ptolémée.
Pompée
en expirant avait conservé sur son visage vénérable l'empreinte de la majesté.
On n'y voyait que de l'indignation contre les dieux, l'effort même de l'agonie
n'avait point altéré ses traits. C'est le témoignage de ceux qui virent sa tête
séparée du tronc. Septime ajoutant le sacrilège au parricide, avait arraché
le voile qui couvrait la face auguste du héros expirant. Il saisit cette tête
palpitante, la tranche et la place toute livide sur les bancs des rameurs. Les
nerfs, les veines, les vertèbres noueuses se brisent sous ses coups ; il
n'avait pas l'art de faire voler une tête d'un seul coup. Dès que la tête
tombe séparée du tronc, les soldats égyptiens s'en disputent la possession.
Romain dégénéré, ministre subalterne du crime, cette tête sacrée que
tranche ton glaive impie, un autre que toi la portera. Ô honte ! Ô destinée !
pour te reconnaître, Pompée, le sacrilège enfant presse cette chevelure
auguste, objet du respect des rois, ornement d'un front généreux. Tandis que
la face vit encore, que des sanglots crispent convulsivement sa bouche, que son
regard devient fixe, on porte sur une lance égyptienne cette tête qui
commandait la guerre, agitait les lois, le champ de Mars, le forum. Ô fortune
romaine ! C'est sous ses traits que tu aimais à te voir toi-même. C'est peu de
chose pour le tyran : il veut perpétuer la mémoire du crime. À l'aide d'un
art impie, on enlève le sang desséché autour de la tête, on vide la
cervelle, on sèche la peau, et quand toute l'humeur souillée est épuisée, on
verse le suc qui conserve et raffermit la face. Funérailles de Pompée.
Dernier
rejeton de la race de Lagus, prince indigne du jour que tu vas perdre et du
sceptre qui va passer aux mains de ton impudique sœur, quoi ! tandis
qu'Alexandre a sur le Nil un vaste et superbe tombeau, que des pyramides
immenses couvrent les cendres des Ptolémées, et d'une foule de rois qui ont été
la honte du trône, le corps de Pompée est le jouet des flots, et poussé d'écueil
en écueil, se brise contre le rivage ! T'en eût-il coûté tant de soins de le
conserver tout entier, ne fût-ce que pour l'offrir aux yeux de son beau-père ?
Cordus.
De
sa retraite, Cordus accourt tremblant vers la mer. Questeur, il avait quitté le
rivage de Chypre, misérable compagnon de la fuite de Pompée. Il ose s'avancer
à travers les ombres ; la pitié refoule la crainte dans son cœur, il va
chercher le cadavre au milieu des flots, et attire à la rive les restes de Pompée.
Discours
du généreux romain.
Il
dit, remplit sa robe de cendre ardente, et revient auprès du cadavre, qui
presque emporté par les flots, pendait sur le bord. Il écarte la surface du
sable, ramasse les débris épars d'une barque brisée, et les dépose sur cet
étroit espace. La noble dépouille n'est pas couverte de branches de chêne,
ses membres ne s'élèvent pas sur un amas de bois ; le feu est allumé autour
de son corps, et non pas dessous. Cordus se prosterne : "Ô grand homme,
dit-il, ô toi qui fis la gloire du nom Romain, s'il est plus triste pour toi d'être
réduit à ces indignes funérailles que d'être le jouet des flots, puisse ton
ombre détourner les yeux des devoirs que je te vais rendre. L'iniquité du sort
autorise les soins que je prends pour empêcher que tu ne sois en proie aux
animaux dévorants du ciel, de l'onde et de la terre ou exposé aux outrages de
la haine de César. Contente-toi, s'il est possible, de cet indigne bûcher ;
une main romaine te l'élève. Si le ciel me permet jamais de retourner dans
l'Italie, tes cendres sacrées ne resteront point dans ce profane lieu. Cornélie
les recevra de ma main, et les déposera dans une urne. En attendant, laissons
sur ce rivage quelque marque qui enseigne le lieu de ta sépulture, et si
quelqu'un veut apaiser tes mânes et les honorer dignement, qu'il sache où
retrouver tes cendres, de ce tronc mutilé qu'il sache où rapporter la tête."
Ainsi parlait le vieillard ; et de son souffle, il excitait la flamme et le
corps du héros se consumait lentement dans le feu qu'alimente sa substance. Apostrophe du poète à Cordus : il le rassure contre le châtiment qu'il redoute.
Dès
que le jour commence à luire, dès que les astres pâlissent, Cordus, tremblant
d'être surpris, s'éloigne et va se cacher. Malheureux, quel châtiment
crains-tu ? Ce crime fera éternellement répéter ton nom par l'infatigable
renommée ! César, l'impie César, te rendra grâce pour la sépulture rendue
à son gendre. Va donc sans peur, avoue ces funérailles et réclame la tête ;
mais sa piété ne lui permet pas de laisser les funérailles imparfaites. Il
revient, retire des flammes le corps à demi consumé, et l'ensevelit sous le
sable. De peur que le vent n'en disperse les cendres, il les couvre d'une pierre
; et pour qu'un matelot ne l'ébranle pas en y attachant son câble, sur un pieu
à demi brûlé, il grave ces mots : Ici repose le grand Pompée. L'exiguïté du tombeau de Pompée ne nuira point à sa mémoire.
Ô
Fortune ! Voilà ce que tu veux qu'on appelle le tombeau de Pompée, asile misérable
où César aime mieux le voir que privé de sépulture. Main téméraire,
pourquoi ce tombeau, pourquoi cette prison aux mânes errants de Pompée ? La
terre entière est leur asile, jusqu'aux lieux où les rives du monde pendent
sur l'Océan. Le nom romain, l'empire entier, telle est la mesure du tombeau de
Pompée. Enfouis cette pierre, témoignage accusateur du crime des dieux. L'Oeta
tout entier est le tombeau d'Hercule, Bacchus a toutes les hauteurs de Nysa, et
Pompée n'a dans l'Égypte qu'une pierre ? Il peut occuper tous les domaines de
Ptolémée. Ah ! Que du moins aucune marque n'indique sa sépulture ! Alors
toute l'Égypte lui sera consacrée ; et incertains du lieu où il repose, les
peuples ne fouleront qu'avec respect la terre qui peut le couvrir. Si tu veux,
Cordus, graver un nom si sacré sur la pierre, ajoutes-y tous ses hauts faits.
Joins-y la récolte du cruel Lépide, les guerres alpestres, Sertorius vaincu
après le rappel du consul, le char de triomphe où il monta simple chevalier,
le commerce du monde assuré, les Ciliciens chassés de la mer ; joins-y les
barbares vaincus, ainsi que tant de nations nomades et tous les royaumes de
l'Orient et du Nord. Dis que toujours au retour de la guerre il reprit la toge
du citoyen, que satisfait de trois triomphes, il fit hommage à la patrie de ses
mille trophées. Quel tombeau contiendra tant de hauts faits ? Un misérable bûcher,
c'est tout ce qu'obtient Pompée, sans titres, sans la liste de ses aïeux. Ce
nom que Rome lisait au fronton de tous ses temples et sur les arcs décorés des
dépouilles des nations, ce nom est à peine gravé plus haut que le sable, sur
une pierre que l'étranger ne peut lire sans se baisser, et que le Romain
passerait inaperçue s'il n'était prévenu. Égypte ! Terre souillée par nos
guerres civiles, que la prêtresse de Cumes était bien inspirée quand elle défendait
au soldat romain de toucher à la rive du Nil, à ses bords gonflés par l'été.
Terre cruelle, quel malheur te voue pour un pareil crime ? Que le Nil fasse
retourner ses eaux aux lieux qui le voient naître, que tes campagnes stériles
appellent en vain les pluies d'hiver, qu'elles se changent en poussière plus
impalpable que celle de l'Éthiopie ! Tandis que Rome reçoit dans ses temples
ton Isis et les chiens demi-dieux, et ton sistre lui commande le deuil, et cet
Osiris dont les pleurs trahissent la nature mortelle, tu laisses les mânes de
Pompée dans la poussière. Mais toi, Rome, qui as consacré des temples à ton
tyran, tu n'as pas encore daigné faire apporter dans tes murs les restes de ton
défenseur ! Son ombre est encore exilée ? Tu as pu craindre autrefois
d'irriter son vainqueur, mais aujourd'hui qui peut t'empêcher de remplir un
devoir si juste ? Et si la mer n'a point submergé le tombeau de Pompée, qui
craindra de profaner ses cendres, qui ne prendra soin de les recueillir dans une
urne digne de lui ? Que Rome commande ce crime et m'ordonne de les recueillir
dans mon sein ! Heureux, s'il m'était donné d'aller les arracher à la terre
pour les rendre à l'Italie et profaner la sépulture du héros ! Un jour peut-être,
Rome demandant aux dieux la fin d'une disette, d'un vent meurtrier, d'un
incendie sans mesure, d'un tremblement de terre, par le conseil des dieux, Pompée,
tu reviendras dans Rome, ta conquête, et le grand prêtre portera ta cendre. L'Égypte redira, au sujet de sa sépulture, les merveilles que la Crète raconte du tombeau de Jupiter.
Ce
sera même dans l'avenir un avantage pour toi, Pompée, de n'avoir pas eu pour
tombeau un marbre superbe et durable. Dans peu, cet amas de poussière sera
dissipé ; dans peu, la pierre où ton nom est gravé, sera ensevelie, il
ne restera plus aucun vestige de ta mort, et ce que l'Égypte racontera de ta sépulture
paraîtra peut-être aussi fabuleux que ce que la Crète raconte de celle de
Jupiter.
LIVRE
VIII
(01)
Pompée excite son coursier. -
Florus, liv. IV, "Heureux encore Pompée dans son malheur, s'il eût subi
le sort de son armée ! Mais il survécut à sa puissance, et ce fut pour fuir
honteusement à travers les vallées de la Thessalie, pour aborder à Lesbos sur
une simple barque, pour être jeté à Syhèdre, rocher désert de la Cilicie, délibérer
s'il chercherait un asile chez les Parthes, en Afrique ou en Égypte, et aller périr
enfin, aux yeux mêmes de sa femme et de ses enfants, sur le rivage de Péluse,
par l'ordre du plus misérable des rois, par le conseil de vils eunuques, et,
pour comble d'infortune, par le fer de Septimius, déserteur de son armée."
(Tract. de Ragon.)
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