LUCAIN
LA PHARSALE
LIVRE I
introduction livre II livre III livre IV livre V livre VI livre VII livre VIII livre IX livre X
LIVRE PREMIER
Exposition du sujet, la guerre civile entre César et Pompée. - Reproches que le
poète adresse aux Romains, à propos de cette fureur qui les arme les uns contre
les autres, quand ils ont tant de raisons d'entreprendre d'autres guerres. - Il
faut se consoler pourtant de ces malheurs, et s'en réjouir si les destins n'ont
pas trouvé d'autre voie pour amener le règne de Néron. - Apothéose anticipée de
Néron ; basse flatterie. - Énumération des causes particulières ou générales de
la guerre civile. - Portraits de Pompée, de César. - César arrive sur les bords
du Rubicon, qui marque la limite de son gouvernement. L'image de la patrie
désolée se dresse devant lui et le conjure de ne pas avancer plus loin avec son
armée. César, après un moment d'hésitation, passe le fleuve. Prise d'Ariminum
pendant la nuit. Les habitants, réveillés par le bruit des trompettes, voient
leur ville envahie par une armée, et déplorent en silence leur malheureux sort.
Au point du jour, les tribuns, forcés de s'enfuir de Rome, arrivent au camp de
César ; l'un deux, Curion, excite César à presser la guerre. - César, enflammé
par ce discours, harangue ses soldats et leur parle de marcher sur Rome. Il
accable Pompée et le sénat d'invectives, et se promet la faveur des dieux, qui
doivent protéger la justice de sa cause. - L'armée se rend à ce discours, et un
chef de cohorte, Lélius, proteste qu'il suivra partout César ; que s'il faut
égorger pour lui frère, père, épouse, s'il faut détruire Rome, il est tout prêt
: toute l'armée fait le même serment. - César rappelle ses légions dispersées
dans diverses parties de la Gaule ; énumération de ses forces. - César, à la
tête de toutes ses légions rassemblées, envahit l'Italie, et répand de tous
côtés une si grande terreur, que le sénat et Pompée lui-même s'enfuient de Rome.
- Signes et présages des calamités prochaines. - Tableau de la désolation de
Rome et de l'Italie. Autres prodiges sinistres. - On consulte les devins toscans
; Arruns et Figulus sont interrogés. Ils ordonnent de purifier les murs de Rome
par des lustrations solennelles ; description de cette cérémonie expiatoire.
Arruns égorge une victime, considère ses entrailles, et n'y découvre que des
malheurs ; Figulus les annonce. - Fureur prophétique d'une dame romaine qui,
inspirée par Apollon prédit les principaux événements de la guerre civile.
Exposition du sujet, la guerre civile entre César et Pompée.
Je chante les guerres plus que civiles dont la Thessalie
fut le théâtre ; le crime prenant force de loi, un peuple puissant tournant ses
mains victorieuses contre ses entrailles, deux camps unis par les liens du sang,
l'Empire déchiré, toutes les forces du monde ébranlé servant à un crime commun,
aigle contre aigle, Romain contre Romain (01).
Reproches que le poète adresse aux Romains, à propos de cette
fureur qui les arme les uns contre les autres, quand ils ont tant de raisons
d'entreprendre d'autres guerres.
O citoyens, quelle fureur ! quel amour insensé des combats
! Est-ce à vous d'assouvir la haine des nations dans le sang de votre patrie ?
La superbe Babylone s’enorgueillit de nos trophées (02)
; l'ombre errante de Crassus demande vengeance ; et vous cherchez des combats
qui n'auront jamais de triomphes (03)
! Hélas ! quelles conquêtes n'auraient pu payer le sang versé par des mains
romaines ? Des régions où naît le jour jusqu'aux bords où la nuit s'ensevelit
avec les étoiles, des lieux brûlants que le midi embrase, aux contrées brumeuses
où ne règne jamais le doux printemps, où la mer de Scythie est emprisonnée sous
les glaces, le Sère, l'Arménien barbare, les peuples, s'il en est, qui voient
naître le Nil, tout serait dompté. Alors si telle est ton ardeur pour une guerre
détestable, maîtresse du monde entier, ô Rome ! tourne tes mains contre
toi-même. Mais as-tu manqué d'ennemis ? Les villes d'Italie s'écroulent sous
leurs toits brisés ; leurs murailles ruinées ne sont plus que des débris épars ;
les maisons n'ont plus de gardien qui les protège, l'habitant solitaire est
errant dans leurs vastes enceintes ; l'Hespérie dès longtemps inculte est
couverte de ronces ; les mains du laboureur manquent aux champs qui les
demandent.
Il faut se consoler pourtant de ces malheurs, et s'en réjouir si
les Destins n'ont pas trouvé d'autre voie pour amener le règne de Néron.
Si les Destins n'ont pu frayer à l'arrivée de Néron
d'autres chemins, s'il faut payer cher les royautés éternelles des dieux, si
l’Olympe n'obéit à Jupiter qu'après la guerre des Géants terribles, cessons de
nous plaindre, ô dieux ! J’aime le crime et le sacrilège payés d'un tel prix.
Que Pharsale emplisse de carnage ses plaines odieuses, que les mânes des
Carthaginois s'abreuvent de notre sang, que les dernières batailles se heurtent
sous les murs funestes de Munda (05)
; à ces destins ajoute, César, Pérouse affamée (06),
Mutine aux abois (07),
nos flottes détruites à Leucade (08),
et la guerre des esclaves au pied brûlant de l'Etna (09).
Rome doit cependant beaucoup aux guerres civiles (10),
puisque tout fut fait pour toi. Quand s'achèvera ton séjour ici-bas, tu monteras
plein de joie vers les astres, le palais de l'Olympe, ta demeure préférée, te
recevra avec allégresse. Soit que tu veuilles tenir le sceptre, soit que, monté
sur le char étincelant de Phébus, tu préfères éclairer la terre de tes feux
errants, qui charment le monde, toute divinité te cédera sa place, et la nature
te laissera choisir ta royauté. Mais tu ne prendras pour demeure ni les régions
du nord ni les régions brûlées des feux de Sirius et d'où ton astre jetterait
sur Rome d'obliques rayons (11).
Si tu pèses sur un point extrême du vaste Éther, l'axe du ciel gémira sous le
faix. Garde au centre l'équilibre du monde. Que ce point du ciel soit serein,
qu'aucune nuée ne cache César. Qu'alors le genre humain pose les armes, que
toutes les nations s'aiment d'un commun amour, et que la paix, descendue sur la
terre, ferme les portes de fer du belliqueux Janus. Mais tu es déjà un dieu pour
moi. Puisse le poète te recevoir dans son sein, il n'invoquera pas le dieu de
Cyrrha, il n'appellera pas Bacchus loin de Nysa. C'est assez de toi pour
inspirer les chants d'un Romain.
Énumération des causes particulières ou générales de la guerre
civile.
Je veux remonter à la source de nos malheurs ; c'est
m'ouvrir une carrière immense.
Portraits
de Pompée, de César.
Toi, Pompée, tu crains que l'éclat de tes anciens travaux
ne soit obscurci par de nouveaux exploits, et que la conquête des Gaules
n'efface tes triomphes sur les pirates : cette longue suite de prospérités et
d'honneurs te remplit l'âme d'orgueil, et ta fortune ne peut se résoudre à
partager le premier rang. César ne veut rien qui le domine ; Pompée ne veut rien
qui l'égale. Lequel des deux partis fut le plus juste ? On ne peut le dire sans
crime. Chacun a pour lui un puissant suffrage. Les dieux se déclarent pour le
vainqueur, mais Caton s'attache au vaincu.
César arrive sur les bords du Rubicon, qui marque la limite de
son gouvernement. L'image de la patrie désolée se dresse devant lui et le
conjure de ne pas avancer plus loin avec son armée. César, après un moment
d'hésitation, passe le fleuve.
Déjà César avait franchi le sommet glacé des Alpes,
l'esprit violemment agité, le cœur plein de la guerre future. À peine fut-il
arrivé aux bords étroits du Rubicon (16),
une grande ombre lui apparut : c'était l'image de la patrie ! Elle brillait dans
l'ombre de la nuit. Elle était tremblante et consternée. De son front couronné
de tours, ses cheveux blancs tombaient épars. Debout devant lui, les bras nus,
elle prononce ces paroles entrecoupées de gémissements : "Où allez-vous,
soldats, où portez-vous mes enseignes ? Si vous respectez les lois, si vous êtes
citoyens, arrêtez ! Un pas de plus serait un crime." À ces mots, le cœur de
César est saisi d'horreur ; ses cheveux se dressent sur sa tête, et la langueur
dont il est abattu enchaîne ses pas au rivage. Mais bientôt : "O Jupiter !
s'écria-t-il, ô toi ! que mes aïeux ont adoré dans Albe naissante, et qui, du
haut du Capitole, veilles aujourd'hui sur la reine du monde ; et vous, dieux
tutélaires des Troyens, qu'Énée apporta dans l'Ausonie ; et toi, Romulus, qui,
enlevé au ciel, devins l'objet de notre culte ; et toi, Vesta, qui vois sur tes
autels brûler sans cesse le feu sacré ; et toi, Rome, qui fus toujours une
divinité pour moi, favorisez mon entreprise. Non, Rome, ne crois pas voir César
te poursuivre, armé du flambeau des Furies. Vainqueur sur la terre et sur les
mers, il est encore à toi, si tu le veux ; il est ton soldat, il le sera
partout. Celui-là seul sera criminel qui fera de César l'ennemi de Rome." À ces
mots, sans plus différer, il fit passer le fleuve à ses troupes.
Prise d'Ariminum pendant la nuit. Les habitants, réveillés par le bruit des
trompettes, voient leur ville envahie par une armée, et déplorent en silence
leur malheureux sort.
Le jour se lève, ce triste jour qui doit éclairer les
premiers troubles de la guerre, mais soit que les dieux ou l'Auster orageux
eussent assemblé les nuages, leur voile funèbre obscurcit les airs.
Au point du jour, les tribuns, forcés de s'enfuir de Rome,
arrivent au camp de César ; l'un deux, Curion, excite César à presser la guerre.
Rome, incertaine entre l'obéissance et la révolte, a vu le
Sénat, toujours menaçant au seul nom des Gracques, chasser les tribuns au mépris
des lois (21).
Les tribuns se réfugient sous les drapeaux déjà déployés de César, et Curion,
audacieux et vendu (22),
les accompagne ; Curion qui fut jadis la voix du peuple, Curion qui osa soulever
le peuple contre l'autorité menaçante des grands ; il trouve César agité de
pensées diverses et lui parle en ces mots :
César, enflammé par ce discours, harangue ses soldats et leur parle de marcher
sur Rome. Il accable Pompée et le Sénat d'invectives, et se promet la faveur des
dieux, qui doivent protéger la justice de sa cause.
Tel on voit le coursier d'Élide, impatient de quitter la
barrière, où, tête baissée il agite son frein, devenir plus fougueux encore aux
cris de la foule, tel, à la voix de Curion, César qui déjà respirait la guerre,
s'enflamme d'une nouvelle ardeur. Il commande, et ses soldats armés accourent en
foule aux drapeaux. Il apaise d'un regard leurs mouvements tumultueux, et de la
main leur imposant silence : "Compagnons de mes travaux (24),
leur dit-il, vous qui depuis dix ans n'avez cessé de vaincre avec moi, exposés à
des périls sans nombre, voilà donc le prix de notre sang versé dans les plaines
glacées du Nord, de nos blessures, de nos trépas et des hivers passés sous les
Alpes. Si le Carthaginois les traversait, causerait-il plus de trouble dans Rome
? On grossit les cohortes de nouveaux soldats ; partout les forêts tombent et se
changent en vaisseaux ; l'ordre est donné de poursuivre César sur la terre et
sur les mers. Que serait-ce, si vaincu moi-même, j'avais laissé le champ de
bataille couvert de mes drapeaux ; si je fuyais devant les féroces Gaulois ?
Lors même que la Fortune me seconde, que les dieux m'appellent au comble de la
gloire, on ose me défier ! Qu'il vienne ce chef amolli par les délices de la
paix, Qu'il vienne avec ses soldats faits à la hâte, ses milices revêtues de la
toge, ce Marcellus qui harangue sans cesse, et ces Catons, noms imposants et
vains. De quel droit des clients à gage le rassasient-ils depuis tant d'années
d'une autorité sans bornes ? De quel droit a-t-il triomphé avant l'âge fixé par
les lois (25)
? De quel droit prétend-il ne déposer jamais les dignités une fois usurpées ?
Parlerai-je des lois supprimées dans tout l'univers, de la famine appelée à Rome
pour servir son ambition (26)
? N'avons-nous pas vu ses cohortes répandre l'effroi dans le Forum ? Une
enceinte de glaives menaçants, appareil inconnu jusqu'alors, investir le
tribunal épouvanté ? Les soldats s'ouvrir un passage à travers l'assemblée des
juges, et les satellites de Pompée environner Milon avant qu'il fût jugé (27)
? À présent, pour ne pas languir dans une obscure vieillesse, il nous suscite
une guerre coupable, accoutumé qu'il est à porter les armes contre son pays.
Sylla, son maître, l'instruisit au crime ; il ira plus loin que Sylla. Comme les
tigres, lorsque sur les pas de leurs mères ils ont bu dans les forêts d'Hyrcanie
le sang des troupeaux égorgés, ne dépouillent jamais leur férocité, ainsi,
Pompée, accoutumé à lécher le sang dont dégouttait le glaive de Sylla, la même
soif te tourmente encore, et depuis que tes lèvres ont goûté ce breuvage
affreux, ton cœur est insatiable. Cependant quel sera le terme de ta puissance
et de tes forfaits ? Que du moins l’exemple de Sylla t'apprenne à descendre du
trône. Après avoir défait les pirates vagabonds de Cilicie, après avoir réduit
Mithridate à joindre le fer au poison, pour se délivrer du fardeau d'une guerre
qui l'accablait, veux-tu couronner tes exploits par la ruine de César ? Pour
quel crime ? Pour n'avoir pas obéi quand tu lui ordonnais de déposer ses aigles
victorieuses. Mais si l'on m'arrache le prix de mes travaux, qu'on récompense du
moins ces guerriers. Ils ont longtemps combattu sans moi ; qu'ils triomphent
sans moi, j'y consens, et qu'un autre paraisse à leur tête le jour du triomphe.
Où traîneront-ils après la guerre leur vieillesse languissante ? Quelle retraite
auront-ils en quittant les drapeaux ? Quels champs donnerez-vous aux vétérans,
quel asile aux vieillards ?Ô Pompée ! Leur préfères-tu tes colonies de pirates (28)
? C'en est trop, levez ces étendards dès longtemps victorieux, marchons, et
servons-nous des forces que nous ne devons qu'à nous-mêmes. À qui se présente
les armes à la main, refuser ce qui lui est dû, c'est accorder tout ; et ne
craignez pas que les dieux nous manquent ; ce n'est point au pillage, ce n'est
pas à l'empire que je cours ; nous allons chasser de Rome les maîtres superbes
qu'elle est prête à servir."
L'armée se rend à ce discours, et un chef de cohorte, Lélius, proteste qu'il
suivra partout César ; que s'il faut égorger pour lui frère, père, épouse, s'il
faut détruire Rome, il est tout prêt : toute l'armée fait le même serment.
Alors Lélius, premier centurion, couronné du chêne qui
atteste qu'on a sauvé un citoyen dans les combats (29),
s'écrie :
César rappelle ses légions dispersées dans diverses parties de la Gaule ;
énumération de ses forces.
Dès que César voit ses soldats embrasser avec joie le
parti de la guerre et les destins l'entraîner, pour ne pas laisser ralentir sa
fortune, il se hâte de rassembler les légions répandues dans les campagnes de la
Gaule et d'investir Rome de toutes parts.
César, à la tête de toutes ses légions rassemblées, envahit
l'Italie, et répand de tous côtés une si grande terreur, que le Sénat et Pompée
lui-même s'enfuient de Rome.
Les forces immenses de César, rassemblées autour de lui,
l'ayant mis en état de tout entreprendre, il se répand dans l'Italie et s'empare
des villes voisines de Rome. Au juste effroi que son approche inspire, la
Renommée ajoute ses rumeurs. Elle annonce au peuple sa ruine infaillible, et
devançant la guerre qui s'approche à grands pas, ses voix innombrables sont
occupées à semer l'épouvante. On dit que des corps détachés ravagent les
fertiles campagnes de l'Ombrie, qu'une aile de l'armée s'étend jusqu'aux bords
où le Nar coule dans le Tibre, que César lui-même à la tête de ses bataillons
s'avance sur plusieurs colonnes, environné de tous ses aigles. On croit le voir,
non tel qu'autrefois, mais pareil à un géant terrible ; plus sauvage et plus
féroce que les barbares qu'il a domptés; on croit le voir traînant après lui
tous ces peuples répandus entre les Alpes et le Rhin, qui, arrachés du sein de
leur patrie, viennent, aux yeux des Romains immobiles, saccager Rome et venger
César.
Signes et présages des calamités prochaines. Tableau de la
désolation de Rome et de l'Italie. Autres prodiges sinistres.
Pour ne laisser même aux esprits consternés aucun espoir
dans l'avenir, le sort manifesta sa colère par les plus terribles présages. Les
dieux firent éclater au ciel, sur la terre et sur les mers mille prodiges
effrayants.
On consulte les devins toscans ; Arruns et Figulus sont
interrogés. Ils ordonnent de purifier les murs de Rome par des lustrations
solennelles ; description de cette cérémonie expiatoire. Arruns égorge une
victime, considère ses entrailles, et n'y découvre que des malheurs ; Figulus
les annonce.
On crut devoir, selon l'antique usage, recourir aux devins
d'Étrurie (45).
Arruns, le plus âgé d'entre eux, retiré dans les murs solitaires de Luca, lisait
l'avenir dans les directions de la foudre, dans le vol des oiseaux, dans les
entrailles des victimes. D'abord, il demande qu'on jette dans les flammes le
fruit monstrueux que la nature égarée forme dans un sein qu'elle condamne à la
stérilité. Il ordonne aux citoyens tremblants d'environner les murs de Rome, et
de les purifier par des lustrations. Tandis que les sacrificateurs en parcourent
les dehors, accompagnés de la troupe inférieure des prêtres vêtus de la robe
gabienne. Après eux, marche à la tête des vestales, le front ceint des
bandelettes sacrées, la prêtresse qui seule a droit de voir Minerve troyenne.
Sur leurs pas s'avancent les dépositaires des oracles (46)
et des livres des Sibylles qui, tous les ans, vont laver la statue de Cybèle
dans les faibles eaux de l'Almon (47).
Ensuite venaient les augures, gardiens des oiseaux sacrés, et les chefs qui
président dans les fêtes aux sacrifices des festins, et les prêtres d’Apollon et
ceux de Mars, qui portaient à leur cou les boucliers mystérieux, et le grand
prêtre de Jupiter qu'on distinguait au voile attaché sur sa tête majestueuse.
Fureur prophétique d'une dame romaine qui, inspirée par Apollon prédit les
principaux événements de la guerre civile.
Ces présages avaient jeté l'épouvante dans le peuple. De
plus terribles l'accablent encore. Telle des sommets du Pinde descend la
bacchante pleine des fureurs du dieu d'Ogygie, telle à travers la ville
consternée s'élance une matrone révélant par ces mots le Dieu qui l'oppresse.
"Où vais-je, ô Péan ! Sur quelle terre au-delà des cieux suis-je entraînée ? Je
vois le Pangée et ses cimes blanches de neiges, et les vastes plaines de
Philippes au pied de l'Hémus. Phébus, dis-moi, quelle est cette vision insensée
? Quels sont ces traits, quelles cohortes romaines en viennent aux mains ? Quoi
! une guerre et nul ennemi ? Où suis-je ailleurs emportée ? Me voici aux portes
de l'Orient où la mer change de couleur dans le Nil des Lagides. Ce cadavre
mutilé qui gît sur la rive du fleuve, je le reconnais. Je suis transportée aux
Syrtes trompeuses, dans la brûlante Libye, où la cruelle Erinys a jeté les
débris de Pharsale. Maintenant je suis emportée par-dessus les cimes nuageuses
des Alpes, plus haut que les Pyrénées dont le sommet se perd dans les airs.
Maintenant je reviens dans ma patrie. La guerre impie s'achève au sein du Sénat.
Les partis se relèvent ; je parcours de nouveau l'univers. Montre-moi de
nouvelles terres, de nouvelles mers, Phébus, j'ai déjà vu Philippes (50)."
Elle dit, et tombe épuisée sous le dernier effort de sa fureur.
NOTES
(01)
Romains contre Romains. Corneille a
imité ce début.
Je leur fais des tableaux de ces tristes batailles,
et
Brébeuf :
Guerre plus que civile, où la fureur d'un homme
(02)
La superbe Babylone. On sait que César, quelque temps ayant sa mort, se
proposait d'aller faire la guerre aux Parthes. Voyez Plutarque,
Vie de César. Voltaire lui fait déclarer ce projet à Antoine :
Je pars, je vais venger sur le Parthe inhumain
(03)
Des combats qui n'auront jamais de
triomphe. Parce qu'ils n'ont versé que le sang de citoyens. Plusieurs
généraux n'ont pas triomphé, dit Valère-Maxime, parce que leurs victoires,
grandes et merveilleuses sans doute, avaient été remportées dans les guerres
civiles.
(04)
Ce n'est pas toi, farouche Pyrrhus,
etc. Voyez Horace, Épode XVI.
Altera jam teritur bellis civilibus aetas,
(05)
Ultima funesta concurrant proelia Munda.
Ce fut la dernière bataille livrée par César contre les restes du parti de
Pompée. Cneius Pompée y mourut. Voyez Florus, liv. IV, ch. II, et Plutarque,
Vie de César. Munda était une ville d'Espagne, qu'on suppose avoir été
située à environ six lieues de Malaga.
(06)
Pérouse affamée. Pérouse, en latin
Perusia,
et en italien Perugia, ville toscane,
et l'une des douze villes bâties par les Étrusques à leur arrivée en Italie.
Octave, qui fut depuis Auguste, y assiégea Lucius Antonius, frère du triumvir,
et le réduisit par la famine. Voyez Appien,
Guerres civiles, liv. III et V.
(08)
Leucade. Promontoire d'Épire, auprès
duquel Octave César défit Antoine et Cléopâtre, à la bataille d'Actium. Voyez
Florus, liv. II, ch. II, et Virgile,
Énéide, liv. VIII, v. 676 :
Totumque instructo Marte videres
(09)
Au pied de l'Etna. - Il ne s'agit
point ici, comme on l'a cru, de la guerre des esclaves, commandés par Eunus le
Syrien, dont Plutarque parle dans ses
Vies,
mais de celle que Sextus Pompée fit ensuite au parti de César, à la tête d'une
armée d'esclaves qu'il avait enrôlés.
(10)
Rome doit cependant beaucoup aux guerres
civiles. M. Villemain s'est demandé, dans l'article LUCAIN de la
Biographie universelle, si Néron était encore un bon prince quand le poète
écrivait ces vers ou s'il était déjà lancé dans la voie du crime. "À quel temps,
dit-il, faut-il rapporter ces adulations trop célèbres qui déshonorent le
commencement de la Pharsale, et qui ne
sont pas moins choquantes par le mauvais goût que par la bassesse ? On ne peut
en assigner l'époque, et l'on ignore si elles se rapportent à ces commencements
de Néron affectant quelque vertu ou à Néron déjà coupable. À leur dégoûtante
servilité, on croirait assez qu'elles ont été faites pour un tyran déjà connu et
redouté. Jamais bon prince ne fut ainsi loué."
(11)
D'obliques rayons. Ce vers fut,
dit-on, mal accueilli de Néron, qui crut y voir sa caricature.
(12)
Rome, que sa grandeur accable. Tous
les auteurs, qui ont écrit sur la chute de la puissance romaine, lui ont assigné
la même cause : c'est la plénitude qui l'a tuée. Voyez surtout Pétrone,
poème de la Guerre civile :
Rerum humanarum divinarumque potestas,
et
Horace Épode XVI, v. 2 :
Suis et
ipsa Roma viribus ruit.
Montesquieu a dit : "Ce fut uniquement la grandeur de la République qui fit le
mal. " Ch. IX.
(13)
Concorde impie. Il s'agit ici du
premier triumvirat, dans lequel César, Pompée et Crassus se partagèrent la
République.
(14)
Pompée sur le déclin des ans.
Rapprocher de ce portrait de Pompée celui que fait Caton au liv. IX. Voir aussi
Montesquieu, ch. XI.
(15)
Ce n'était plus ce peuple... "Pour lors, Rome ne fut plus cette ville dont
le peuple n'avait eu qu'un même esprit, un même amour pour la liberté, une même
haine pour la tyrannie... La ville, déchirée, ne forma plus un tout ensemble...
On appelle comices une troupe de quelques séditieux." Montesquieu, ch. IX.
(16)
Aux bords du Rubicon. Le Rubicon,
ainsi nommé à cause des pierres rouges qui se trouvent dans son lit et sur ses
bords (Voyez plus bas, vers 213), séparait l'Italie de la Gaule Cisalpine ou
Gallia Togata. "La politique n'avait point permis qu'il y eût des armées auprès
de Rome, mais elle n'avait pas souffert non plus que l'Italie fût entièrement
dégarnie de troupes ; cela fit qu'on tint des troupes considérables dans la
Gaule Cisalpine, c'est-à-dire dans le pays qui est depuis le Rubicon, petit
fleuve de la Romagne, jusqu'aux Alpes. Mais pour assurer la ville de Rome contre
ces troupes, on fit le célèbre sénatus-consulte que l'on voit encore gravé sur
le chemin de Rimini à Césène, par lequel on dévouait aux dieux infernaux, et
l'on déclarait sacrilège et parricide quiconque avec une légion, avec une armée
ou avec une cohorte passerait le Rubicon." Montesquieu, ch. VI.
(17)
Ariminum. Aujourd'hui Rimini, ville
d'Ombrie, sur la voie Flaminienne.
(18)
Les Gaulois y pénétrer. Il s'agit ici des Gaulois Sénonais qui, conduits par
Brennus, vinrent assiéger Clusium, ville d'Etrurie, alliée des Romains. Fabius
Ambustus, envoyé de Rome en qualité de légat pour intervenir en faveur des
Clusiens, eut l'imprudence de prendre part à une escarmouche dans laquelle il
tua le chef des Gaulois. Ce fut pour venger cet outrage que les Gaulois
marchèrent contre Rome, la prirent, et tinrent le Capitole assiégé pendant sept
mois, l'an de Rome 365.
(19)
Les Cimbres. Il s'agit de l'invasion
des Cimbres, qui, après avoir détruit trois armées romaines, furent exterminés
par C. Marius, ainsi que les Teutons dont il est parlé à la fin du vers suivant.
(20)
Les Carthaginois. - C'est la seconde
guerre punique portée par Annibal au cœur de l'Italie.
(21)
Chasser les tribuns. Voyez, au liv.
Ier des Commentaires de César,
l'explication de ses négociations avec le parti de Pompée.
(22)
Curion. Curion avait été d'abord
partisan de Pompée, mais César l'avait gagné à prix d'argent.
Vendidit urbem, dit notre auteur, au dernier vers de son livre IV. C'est de
lui, peut-être aussi, que Virgile a dit (Énéide,
liv. VI, v. 621) :
Vendidit
hic auro patriam, dominumque potentem
Lucain
(liv. IV, 811 et suiv.,) le représente comme un des plus grands hommes que Rome
ait portés dans son sein. Velleius Paterculus (liv. II, ch. XLVIII) en porte le
même jugement : "Non alius majorem
fIagrantioremque, quam C. Curio, tribunus plebis, subjecit facem ; vir nobilis,
eloquens, audax, etc.) " Il mourut
misérablement en Afrique. Voyez Phars.,
liv. IV.
(23)
Dix ans de guerre. Le poète se trompe
ici, mais en poète sans doute, sur le nombre d'années que dura la guerre des
Gaules : César ne fit que neuf ans la guerre contre les Gaulois, et la dixième
année il commença la guerre civile.
(24)
Compagnons de mes travaux. Suivant Dion, ce fut Curion lui-même que César
chargea de haranguer son armée, et de l'exciter à la révolte par le récit de
tout ce qui s'était passé dans Rome.
(25)
De quel droit a-t-il triomphé.
"Pompée, de retour à Rome, demanda le triomphe, qui lui fut refusé par Sylla,
sous prétexte que la loi ne l'accordait qu'à des consuls ou à des préteurs. Si
donc Pompée, qui était encore sans barbe, et à qui sa jeunesse ne permettait pas
d'être sénateur, entrait triomphant dans Rome, cette distinction rendrait
odieuse la puissance dictatoriale, et deviendrait pour Pompée lui-même une
source d'envie, etc." (Plutarque, Vie de
Pompée, ch. XIII.) Pompée n'avait alors que vingt-quatre ans.
(26)
La famine appelée à Rome. "Les
Romains, manquant de vivres, envoyèrent Pompée contre les pirates pour leur ôter
l'empire de la mer. Gabinius, un de ses amis, en proposa le décret, qui, non
seulement conférait à Pompée le commandement de toutes les forces maritimes,
mais qui lui donnait. encore une autorité monarchique, et une puissance absolue
sur toutes les personnes, sans avoir à en rendre compte." (Plutarque,
Vie de Pompée, ch. XXV.) Voyez aussi Appien,
Guerres civiles, liv. II.
(27)
Environner Milon. Voyez l'admirable
exorde du discours pour Milon. Ce fut,
dit-on, cet appareil militaire qui intimida le défenseur et nuisit au succès de
la défense. Cicéron ne s'en cache même pas dans ses lettres particulières.
(28)
Les colonies de pirates.
"Réfléchissant que l'homme n'est pas de sa nature un animal farouche et
indomptable ; qu'il ne le devient qu'en se livrant au vice contre son naturel ;
qu'il s'apprivoise en changeant d'habitation et de genre de vie, il résolut
d'éloigner ces pirates de la mer, de les transporter dans les terres, et de leur
inspirer le goût d'une vie paisible en les occupant à travailler dans les villes
ou à cultiver les champs." (Plutarque, Vie de Pompée, ch. XXIX.)
(29)
Couronné du chêne qui atteste. On sait
que les récompenses militaires étaient très simples à Rome ; elles étaient
honorifiques et non riches : c'était une monnaie de nul prix, mais qui payait
les plus nobles vertus. Sur les armes de la ville de Chartres on voit une
couronne de chêne avec cette légende :
Servanti civem querna corona datur.
(30)
On quitte les tentes plantées eux bords du
Léman. C'est-à-dire le pays de Genève et les environs.
(31)
Le belliqueux Lingon. Les Lingons
habitaient le pays de Langres dominé par les hauteurs des Vosges.
(32)
L'Isère. Fleuve de la Gaule
narbonnaise, qui perd son nom en se jetant dans le Rhône, et va se perdre avec
lui dans la Méditerranée.
(33)
Les blonds Ruthènes. Ce sont les
habitants du Rouergue, dont la capitale est aujourd'hui Rodez. "Praesidia
in Rutenis provincialibus constituit." (Caesar,
de Bello Gallico, lib. II, c. VII.)
(34)
Le paisible Atax. C'est l'Aude, qui
donne son nom a un département du midi. L'Aude est assez paisible
(initis)
quand il n'est pas gonflé par les pluies d'hiver.
(35)
Le Var. - Le texte dit :
promoto litore, c'est-à-dire frontière plus avancée. Le Var était devenu la
limite de l'Italie, autrefois bornée, du côté de la Gaule, par le Rubicon :
Varus nunc Galliam dividit, ante Rubicon, dit Vibius Sequester.
(36)
Sous le nom sacré d'Hercule. C'est ce qu'on nomme aujourd'hui le port de
Monaco. Ce dernier mot vient de Monaecus,
solitaire. Voyez Virgile, Énéide, lis,
VI, v. 831 :
Aggeribus socer Alpinis atque arce Monaeci
(37)
Circius. Aulu-Gelle dit de ce vent Circius : "Galli ventum ex sua terra flantem quem saevissimum patiuntur
Circium appellant."C'est peut-être le Sers du Haut- et Bas-Languedoc.
(38)
Le Biturge. Le poète vient de parler
de la Saintonge ; c'est peut-être une raison de croire que les Biturges ou
Bituriges dont il s'agit en cet endroit sont les Bituriges vivisques, habitants
de Burdigala, aujourd'hui Bordeaux. Les Bituriges proprement dits étaient les
anciens habitants de Bourges et du Berry.
(39)
L'Arverne. - Cette prétention des
auvergnats n'est pas très claire. "Inventi
sunt qui etiam fratres populi Romani nominarentur."
(Cicéron, plaidoyer pour Scaurus). Ce
passage a embarrassé les commentateurs : quelques-uns ont voulu, mais à tort,
confondre les Auvergnats avec les Éduens, qui donnèrent aux Romains le nom de
frères, et le reçurent d'eux. Du reste, s'il est vrai qu'Anténor ait été le
fondateur de Clermont-Ferrand (Clarus mons),
comme on le dit, la parenté des Auvergnats avec les Romains est très réelle.
(40)
Cinga. Ou, comme le veut Strabon,
Sulga, aujourd'hui la Sorgue, qui se jette dans le Rhône au-dessus d'Avignon.
(41)
Teutatès, Hésus, et Taranis. Teutatès
était le Mercure des Gaulois, et le Theuth des Égyptiens. Voyez Platon, dans le
Phèdre et dans le Philèbe
; Cicéron, de la nature des dieux, liv. III, ch. XXII, et Tite-Live, liv.
XXXVI.
(42)
L'alarme publique.- "La prise d’Ariminium ouvrit, pour ainsi dire, toutes
les portes de la guerre, et sur terre et sur mer ; et César, en franchissant les
limites de son gouvernement, parut avoir transgressé toutes les lois de Rome. Ce
n'était pas seulement comme dans les autres guerres, des hommes et des femmes
qu'on voyait courir éperdus dans toute l'Italie ; les villes elles-mêmes
semblaient s'être arrachées de leurs fondements pour prendre la fuite et se
transporter d'un lieu dans un autre. Rome elle-même se trouva comme inondée d'un
déluge de peuples qui s'y réfugiaient de tous les environs ; et, dans une
agitation, dans une tempête si violente, il n'était plus possible à aucun
magistrat de la contenir par la raison ni par l'autorité, elle fut sur le point
de se détruire par ses propres mains." (Plutarque,
Vie de César, ch. XXXVIII.)
(43)
Pompée fuyait. "La même frayeur
qu'Annibal porta dans Rome après la bataille de Cannes, César l'y répandît
lorsqu'il passa le Rubicon. Pompée, éperdu, ne vit, dans les premiers moments de
la guerre, de parti à prendre que celui qui reste dans les affaires désespérées
: il ne sut que céder et que fuir ; il sortit de Rome, y laissa le trésor public
; il ne put nulle part retarder le vainqueur ; il abandonna une partie de ses
troupes, toute l'Italie, et passa la mer. " (Montesquieu,
Grandeur et Décadence des Romains, ch. XI.) Voyez aussi Plutarque,
Vie de Pompée, ch. LXIV et suivants.
(44)
On vit dans la nuit obscure. Tout le
monde sait que ce vers et les suivants sont la paraphrase plus que médiocre des
beaux vers de Virgile.
(45)
Recourir aux devins d'Étrurie. Les
Romains tenaient des Étrusques leurs cérémonies et leurs sacrifices. Dans les
grandes calamités ils consultaient les devins toscans, et remontaient pour ainsi
dire à la source de la science et de la religion.
(46)
Les dépositaires des oracles. -
C'étaient quinze prêtres qui avaient la charge de livres et le pouvoir d'y
chercher l'avenir.
(47)
La statue de Cybèle dans les faibles eaux de l'Almon.
"Ante d. VI Kal. (apriles) quo Romae matri Deorum Pompae celebrantur
Annales, et carpentum, quo vehitur simulacrum, Almonis undis ablui perhibetur."
(Amm. Marcellin, lib. XXIII, ch. III.)
Illic purpurea canus cum veste sacerdos
L'Almon
était un petit ruisseau de Rome, près la porte Capène.
(48)
Arruns ramasse les feux de la foudre.
En général, nous renvoyons le lecteur à la
Symbolique
de Kreutzer, pour toutes ces cérémonies qu'il serait trop long d'expliquer dans
ces notes. Le lieu où le devin avait rassemblé les feux de la foudre s'appelait
Bidental. Voyez Juvénal, sat. VI,
v. 557, et Perse, Sat. II, v. 26.
(49)
Figulus. - Cicéron, Aulu-Gelle et
Eusèbe parlent d'un certain Nigidius Figulus, pythagoricien, qui reçut ce nom de
Figulus pour avoir dit, a son retour de Grèce, qu'il y avait appris que le monde
tournait avec autant de vitesse que la roue d'un potier.
(50)
J'ai déjà vu Philippes. - Elle veut
dire que le sang romain a déjà trop coulé dans les plaines de Philippes, où l'on
combattit trois fois pour l'empire du monde. C'est le même sentiment qui a dicté
ces vers de Virgile :
Ergo inter sese paribus concurrere telis
|