ARISTOTE
MÉTAPHYSIQUE
LIVRE IV
SAINT-HILAIRE
CHAPITRE PREMIER
Définition du mot Principe ; sept acceptions diverses : le point de
départ, le moyen pour faire le mieux possible, le début, l'origine,
la volonté, l'art, la source de la connaissance. Les causes sont en
même nombre que les principes ; conditions communes à tous les
principes; principes intrinsèques ; principes extérieurs; exemples
divers ; le bien et le mal, principes de connaissance et d'action. |
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Principe. § 1. [1012.34] Ce mot s'entend d'abord du point d'où quelqu'un peut commencer le mouvement de la chose qu'il fait. Par exemple, pour une longueur qu'on parcourt ou pour un voyage qu'on entreprend, le principe c'est précisément le point d'où l'on part; et il y a, par contre, l'autre point analogue en sens opposé. § 2. [1013a] Principe s'entend encore du moyen qui fait que la chose est du mieux qu'elle peut être. Ainsi, quand on apprend une chose, le principe par où l'on doit commencer n'est pas toujours le primitif et le principe véritable de cette chose ; c'est bien plutôt la notion par laquelle il faut débuter, pour apprendre la chose avec la facilité la plus grande. § 3. Principe signifie aussi l'élément intrinsèque et premier de la chose. Par exemple, le principe d'un navire, [5] c'est la quille ; le principe d'une maison, c'est le fondement sur lequel elle repose; le principe des animaux, c'est le coeur selon les uns, c'est le cerveau selon les autres, ou tel autre organe chargé arbitrairement de ce rôle selon d'autres hypothèses. § 4. Principe veut dire encore la cause initiale qui fait naître une chose, sans en être un élément intrinsèque, et ce dont sort primitivement et naturellement le mouvement de la chose, ou son changement. C'est ainsi que l'enfant vient du père et de la mère, et qu'une rixe [10] a pour principe une insulte. § 5. Le Principe est encore l'être dont la volonté fait mouvoir ce qui est mû et fait changer ce qui change ; tels sont, par exemple, dans les États, les principes qui les régissent, gouvernements, dynasties, royautés, tyrannies. § 6. Les arts, chacun en leur genre, sont appelés des Principes ; et ceux-là surtout sont considérés comme principes qui commandent à d'autres arts subordonnés. § 7. Enfin, on entend par Principe ce qui donne la connaissance initiale [15] de la chose ; et c'est là précisément ce qui s'appelle le principe de cette chose. C'est en ce sens que les prémisses sont les principes des conclusions qu'on en tire par démonstration. § 8. Le mot de Cause a autant d'acceptions que le mot de Principe, attendu que toutes les causes sont des principes aussi. § 9. Un caractère commun de tous les principes, c'est d'être le primitif qui fait qu'une chose est, ou qu'elle se produit, ou qu'elle est connue.
§ 10.
Entre les principes, les uns sont intrinsèques et dans la chose même
; les autres [20] sont en dehors d'elle ; et c'est en ce sens qu'on
dit que la nature est un principe, comme on le dit de l'élément
d'une chose, de la pensée, de la volonté, de la substance des
choses, et du but final, pour lequel elles sont faites ; car, dans
une foule de cas, le bien et le beau sont les principes qui nous
font savoir et qui nous font agir. |
Principe. Pour bien suivre toute cette analyse et cette série de définitions, il faut se rappeler que dans la langue grecque le mot de Principe a plusieurs sens particuliers ; il signifie tout à la fois Principe, Commencement, Autorité, et même Cause. Il est bon de ne pas perdre de vue cette observation, pour n'être pas trop choqué dans la traduction de quelques nuances d'expressions qui ne sont pas toujours d'une justesse irréprochable. C'est la différence seule des deux langues qui s'oppose à une fidélité de reproduction plus complète. § 1. Du point d'où quelqu'un. C'est précisément le point de départ; mais il est difficile en français d'appeler le point de départ « un principe », à moins que ce ne soit un point de départ moral. Les exemples cités par Aristote sont purement matériels. — En sens opposé. Ainsi, pour le retour dans un voyage, le terme du premier voyage devient le principe du second voyage, pour revenir au point d'où l'on est parti. Cette remarque est peut-être par trop évidente. § 2. Principe s'entend encore. Cette seconde acception est toute rationnelle ; et l'on est étonné qu'elle succède à la précédente ; sa place serait plus tôt un peu plus loin, après le § 7, ou avant ce §-ci. — Le principe véritable. J'ai ajouté l'épithète. § 3. Intrinsèque et premier. Le mot d'Intrinsèque est le seul en notre langue qui m'ait paru rendre toute la force de l'expression grecque. La suite justifie cette interprétation. — Le principe des animaux. Voir plus loin, liv. VII, ch. X, § 15 ; voir aussi le Traité de la Génération des animaux, liv. I, ch. XVIII, p. 333, 29, et liv. II, ch. I, p. 344, 45, édition de Firmin-Didot. — Arbitrairement. Cette nuance est dans le texte grec, si je ne me trompe. § 4. Sans en être un élément intrinsèque. Ou bien : « Sans en faire substantiellement partie » . — Le mouvement de la chose. Sa production ou sa destruction, en même temps que son changement. — Ou son changement. Aristote ne donne pas d'exemple spécial pour cette idée. § 5. Par exemple , dans les États. C'est ainsi que Montesquieu a assigné des principes à chaque espèce principale de gouvernements : l'honneur à la monarchie , la crainte au despotisme, la vertu à la démocratie. Voir ma préface à la Politique. § 6. Qui commandent à d'autres arts subordonnés. C'est une paraphrase du mot du texte ; voir plus haut, liv. I;,ch. I, §§ 13 et 20. § 8. Le mot de Cause. La définition du mot de Cause est donnée tout au long dans le chapitre suivant. — Toutes les causes sont des principes aussi. Cependant Aristote réduit le nombre des causes ou des principes à quatre, comme on l'a déjà vu et comme on le verra plus loin. § 9. Un caractère commun. Le texte est moins formel. — Est... se produit... est connue. On peut voir que ceci est une sorte de résumé de tout ce qui précède. § 10. Intrinsèques et dans la chose même. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Le bien et le beau. La plupart des éditions disent : « Le bien et le mal ». La leçon que j'adopte est celle qu'a conservée Alexandre d'Aphrodise, qui connaissait déjà l'autre. On pourrait cependant adopter aussi l'autre leçon, puisque le mal, par l'aversion qu'il inspire, peut être considéré aussi comme une cause d'action. — M. Bonitz, en terminant ses observations sur ce chapitre, signale le pseu d'ordre qui y règne, et l'insuffisance générale qu'il présente. Les différentes significations du mot Principe n'y sont pas rangées selon leurs relations réciproques et leurs affinités. Cette critique est fondée. Une autre critique plus générale peut être élevée contre ce cinquième livre tout entier, qui ne tient ni au précédent ni au suivant. C'est sans doute un traité spécial sur les définitions des termes métaphysiques, qui aura été inséré ici tout entier, sans qu'on ait tenu aucun compte de la composition du reste de l'ouvrage. On peut voir, sur la composition de la Métaphysique, la Dissertation spéciale, qui suit la Préface. J'ai tâché d'y éclaircir cette question importante. |
Définition du mot Cause. Quatre espèces de causes : la matière, la forme, le mouvement et le but final ; exemples divers de ces quatre sortes de causes. Une seule et même chose peut avoir plusieurs causes, le mot de cause ayant des acceptions diverses ; réciprocité des causes s'engendrant l'une l'autre; une même cause peut produire des effets contraires, selon qu'elle est présente ou absente ; nouveaux exemples pour faire mieux comprendre les différences des quatre espèces de causes. Nuances diverses de toutes les causes, moins nombreuses qu'on ne croirait ; causes supérieures ; causes secondaires ; causes directes ; causes indirectes ; Polyclète et la statue ; causes en acte, causes en puissance, agissant effectivement ou pouvant agir; combinaison ou isolement des diverses causes ; six causes accouplées deux à deux ; différences de l'acte et de la puissance. |
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Cause. § 1. En un premier sens, Cause signifie l'élément intrinsèque dont une chose est faite ; [25] c'est en ce sens qu'on peut dire de l'airain qu'il est cause de la statue dont il est la matière; de l'argent, qu'il est cause de la coupe qui en est faite; et de même pour tous les cas de ce genre. § 2. En un autre sens, la cause est la forme et le modèle des choses, c'est-à-dire leur raison d'être, qui fait qu'elles sont ce qu'elles sont, avec toutes les variétés de genres que les choses présentent. Par exemple, la raison d'être de l'octave c'est le rapport de deux à un; et d'une manière générale, c'est le nombre, avec les parties différentes qui composent le rapport. § 3. La cause est encore le principe initial [30] d'où vient le changement des choses, ou leur repos. C'est en ce sens que celui qui a conçu une résolution est la cause des suites qu'elle a eues ; que le père est la cause de l'enfant ; en un mot, que ce qui agit est la cause de l'acte, et que ce qui change une chose est cause du changement qu'elle subit. § 4. Une autre acception du mot Cause, c'est le but des choses et leur pourquoi. Ainsi, la santé est le but de la promenade. Pourquoi un tel se promène-t-il ? C'est, répondons-nous, afin de se bien porter. Et, dans cette réponse, nous croyons avoir indiqué la cause. En ce sens, on nomme également causes tous les intermédiaires qui, après l'impulsion d'un autre moteur, mènent au but poursuivi. [1013b] Par exemple, on appelle cause de la santé le jeûne, les purgations, les remèdes qu'ordonne le médecin, et les instruments dont il se sert; car tout cela n'est fait qu'en vue du but qu'on poursuit; et l'on ne peut faire d'autres distinctions entre toutes ces choses, sinon que les unes sont des instruments, et que les autres sont des actes du médecin. § 5. Telles sont donc à peu près toutes les acceptions du mot de Cause. § 6. Mais ce mot de Cause ayant tous ces sens divers, [5] il en résulte que, pour une seule et même chose, il peut y avoir plusieurs causes, qui ne soient pas des causes purement accidentelles. Ainsi, la statue a tout à la fois pour cause et l'art du sculpteur et l'airain dont elle est faite, sans que ces causes aient d'autre rapport avec elle si ce n'est qu'elle est statue. Il est vrai que le mode de causalité n'est pas identique ; car ici c'est la cause matérielle ; et là, c'est la cause d'où vient le mouvement, qui a produit la statue. § 7. Parfois, les causes sont réciproquement causes les unes des autres. Ainsi l'exercice est cause de la bonne disposition du corps; et la bonne disposition du corps [10] est cause de l'exercice, qu'elle permet. Seulement, ici encore, le mode de la cause n'est pas identique ; d'un côté, elle agit comme but; et de l'autre, elle agit comme principe du mouvement. § 8. Parfois aussi, une seule et même chose est cause des contraires. Ainsi, telle chose qui, par sa présence, est cause de tel effet nous paraît, par son absence, mériter que nous l'accusions d'être la cause d'un effet tout contraire. Par exemple, l'absence du pilote est la cause de naufrage, tandis que sa présence eût été une cause [15] de salut. Du reste, présence et absence du pilote sont toutes les deux des causes de mouvement. § 9. Toutes les causes énumérées jusqu'ici tombent sous ces quatre classes, qui sont les plus évidentes. Ainsi, les lettres dans les syllabes dont se composent les mots, la matière pour les objets que façonne la main de l'homme, le feu, la terre, et tous les corps analogues, les [20] parties qui forment un tout, les prémisses d'où sort la conclusion, ce sont là autant de causes d'où les choses peuvent provenir. § 10. Et parmi ces causes, les unes sont causes comme sujet matériel, ainsi que sont les parties d'un tout ; les autres le sont comme notion essentielle de la chose. C'est ainsi que sont le tout, la combinaison des parties, et leur forme. § 11. Les causes telles que la semence d'une plante, le médecin qui guérit, le conseiller qui a suggéré un projet, en un mot, tout agent quelconque, sont autant de causes d'où part l'initiative du mouvement [25] ou du repos. § 12. D'autres causes sont des causes en tant que but des choses, et en tant que bien de tout le reste. Le pourquoi dans toutes les choses est pour elles le bien par excellence, et vise à être pour tout le reste la véritable fin, que d'ailleurs ce bien soit un bien réel, ou qu'il ne soit qu'apparent; différence qui est ici sans intérêt. § 13. Telles sont les diverses espèces de causes, et tel est leur nombre. Leurs nuances doivent [30] sembler très multipliées ; mais, en les résumant, on peut encore les réduire. Ainsi, même pour des causes d'espèce analogue, le mot de Cause a des acceptions diverses selon que telle cause est antérieure, ou postérieure, à telle autre cause. Par exemple, la cause de la guérison, c'est bien le médecin ; mais c'est aussi l'ouvrier qui a fait l'instrument dont le médecin s'est servi ; la cause de l'octave, c'est bien le rapport du double; mais c'est aussi le nombre; et toujours les causes qui en enveloppent d'autres sont postérieures aux causes particulières. § 14. Parfois encore, la cause n'est qu'indirecte, avec toutes les espèces que l'accident peut avoir. Par exemple, la cause de la statue, c'est bien, en un sens, Polyclète; mais c'est aussi, d'une manière différente, le statuaire, parce qu'indirectement Polyclète se trouve être statuaire. [1014a] On peut encore aller plus loin, et considérer comme cause tout ce qui enveloppe et contient l'accident. Ainsi, l'homme se rait la cause de la statue ; et plus généralement encore ce serait l'être animé, puisque Polyclète est un homme et que l'homme est un être animé. Parmi les causes accidentelles ainsi considérées, les unes sont plus éloignées, et [5] les autres plus proches ; et l'on pourrait aller jusqu'à prétendre que c'est le Blanc et le Musicien qui est cause de la statue, et que ce n'est pas seulement Polyclète ou l'homme. § 15. Toutes les causes qui sont des causes proprement dites, ou qui ne sont que des causes accidentelles et indirectes, se distinguent encore selon qu'elles peuvent agir, ou qu'elles agissent effectivement. Ainsi, la cause de la construction, c'est le maçon qui est en état de construire ; mais c'est aussi le maçon qui est effectivement occupé à construire. § 16. [10] Des nuances pareilles à celles que nous venons d'indiquer, pourront également s'appliquer aux objets dont les causes sont directement causes : à cette statue, par exemple, en tant que statue, ou d'une manière générale en tant que portrait ; à cet airain en tant qu'airain, ou d'une manière générale en tant que l'airain est la matière de quelque chose. Et enfin, elles pourront s'appliquer d'une manière identique aux causes accidentelles elles-mêmes. § 17. Parfois aussi, on réunit, les unes aux autres, les causes directes et les causes indirectes; et par exemple, on peut ne pas isoler Polyclète et l'on peut dire que la cause de ,la statue, c'est Polyclète le statuaire. § 18. Quoi qu'il en puisse être, toutes ces nuances sont au nombre de six, qui peuvent chacune être prises en un double sens. Ce sont la chose individuelle ou son genre ; ce sont l'accident ou [20] le genre de l'accident; ce sont la combinaison des termes ou leur isolement. Enfin ces six espèces peuvent être considérées comme agissant réellement, ou simplement comme pouvant agir. § 19. Quant à ces deux dernières nuances, il y a cette différence entre elles que les causes actuelles, et les causes particulières, sont, ou cessent d'être, en même temps que les choses dont elles sont les causes. - Ainsi, par exemple, le médecin qui soigne actuellement un malade est, et cesse d'être, en même temps que ce malade qu'il soigne ; le maçon qui construit une maison, est, et cesse d'être, en même temps que cette construction qu'il fait. Mais les causes qui ne sont qu'en simple puissance ne soutiennent pas toujours ce rapport, puisque la maison et le maçon qui peut la. construire ne disparaissent pas en même temps. |
Cause. Tout ce chapitre, sur le mot de Cause, se trouve déjà presque mot pour mot dans la Physique, liv. II, ch. ΙΙΙ, p. 19 et suiv. de ma traduction. Asclépias affirme qu'il a été extrait de là pour être intercalé dans la Métaphysique, où d'ailleurs il a nécessairement sa place. On peut donc croire que cette intercalation a été le fait même de l'auteur. L'analyse de l'idée de Cause ne pouvait manquer ici ; et Aristote, l'ayant déjà exposée ailleurs, a repris son travail antérieur ; rien ne parait plus simple. M. Bonitz, s'appuyant sur Asclépias, tient cette opinion, qu'adopte aussi M. Schwegler. Mais, à regarder les choses en elles-mêmes, je crois que cette analyse est mieux placée dans la Métaphysique que dans la Physique; dans la première, elle fait partie d'un vaste ensemble de définitions indispensables ; dans la seconde, au contraire, sans être tout à fait un hors-d'oeuvre, elle peut paraître un peu longue ; et, par rapport au reste le l'ouvrage, elle semble trop étendue. Ici elle est dans une juste proportion. Je serais donc porté à ne pas partager l'opinion d'Asclépias et des deux savants éditeurs. Ce dissentiment n'a d'ailleurs qu'une importance très secondaire. § 1. L'élément intrinsèque dont est faite une chose. Le texte dit précisément « d'où une chose devient «. La suite autorise la traduction que j'ai adoptée. La statue est faite d'airain; la coupe est faite d'argent. Ainsi, la première cause est la cause matérielle. § 2. Le modèle. On pourrait trouver ici qu'Aristote se rapproche beaucoup du langage platonicien, qu'il a si vivement critiqué ; voir plus haut, liv. 1, ch. VII, § 39. — Qui fait qu'elles sont ce qu'elles sont. C'est la paraphrase de la formule péripatéticienne. — Que les choses présentent. Ou bien : « que présentent la forme et la raison d'être » . Le texte peut recevoir également ces deux interprétations, qui diffèrent d'ailleurs assez peu. — La raison d'être de l'octave. C'étaient les Pythagoriciens qui avaient découvert les rapports de l'harmonie et des nombres ; voir plus haut, liv. I, ch. V. § 3. § 3. Le principe initial d'où vient le changement. C'est la cause motrice. — Des suites qu'elle a eues. J'ai dû développer ici le texte, qui a trop de concision. — Le père est la cause de l'enfant. Cette expression a quelque chose d'étrange ; mais je crois que l'expression grecque a aussi ce défaut, que j'aurais voulu pouvoir éviter. § 4. Et leur pourquoi. C'est la traduction exacte de la formule grecque. — La santé est le but de la promenade. Le même exemple est donné dans les Derniers Analytiques, liv. II, ch. XI, § 5, page 237 de ma traduction; et aussi dans la Morale à Eudème, liv. I, ch. VIII, § 21, page 236. § 5. A peu près. C'est une restriction qu'il ne faut pas prendre trop à la rigueur ; car Aristote n'a jamais reconnu que les quatre causes qu'il vient d'énumérer : la cause matérielle, la cause formelle , la cause motrice, et la cause finale. Voir tous ses ouvrages. § 6. L'art du sculpteur. Cause motrice. — Et l'airain. Cause matérielle. — Si ce n'est qu'elle est statue. C'est uniquement en tant que la statue est statue, que le sculpteur en est la cause motrice ; et l'airain, la cause matérielle. § 7. Qu'elle permet. J'ai ajouté ces mots. - Elle agit comme but. C'est la cause finale. — Comme principe de mouvement. C'est la cause motrice. § 8. Est cause des contraires. L'exemple donné plus bas n'est peut-être pas très exactement conforme à cette assertion. Une chose n'est pas absolument la même quand elle est présente, ou quand elle est absente. Son absence fait en quelque sorte qu'elle n'est plus. Le pilote absent du navire n'est plus un pilote il proprement dire, puisque le pilote est toujours relatif au navire qu'il dirige, et que hors du navire, il n'est plus qu'un homme ordinaire, malgré sa capacité. § 9. Ces quatre classes. Voir plus haut. § 5. — Les lettres dans les syllabes. J'ai déjà fait remarquer que, dans la langue grecque, le mot qui signifie Lettres signifie également Éléments. Voir plus haut, liv. III, ch. IV, § 11. - Que façonne la main de l'homme. J'ai cru cette paraphrase nécessaire. — D'où les choses peuvent provenir. Dans le sens matériel. § 10. Comme sujet matériel. Aristote donne des exemples des quatre espèces de causes. — Comme notion essentielle. C'est la cause formelle, après la cause matérielle. § 11. La semence d'une plante. J'ai ajouté ces deux derniers mots. — L'initiative du mouvement. C'est la cause motrice. § 12. En tant que but des choses. C'est la cause finale. - En tant que bien de tout le reste. Parce que la fin où tendent les choses est toujours leur bien complet, quand elles l'atteignent. — Un bien réel ou... apparent. Voir les Topiques, liv. VI, ch. VIII. § 13. Telles sont les diverses espèces de causes. C'est ce qui a déjà été dit plus haut, § 5; et les §§ 10, 11 et 12 ne sont guère qu'une répétition. — A telle autre cause. Il faut sous-entendre : « Subordonnée », puisque les causes sont supposées être d'espèce semblable. — C'est aussi l'ouvrier. En ce sens, l'ouvrier, qui est plus éloigné que le médecin et antérieur dans le temps, est cependant comme cause motrice postérieur au médecin. qui seul a guéri le malade. - Sont postérieures. Le texte n'est pas aussi formel. Les causes particulières sont celles qui agissent directement. § 14. — N'est qu'indirecte. Ou : « Accidentelle ». — D'une manière différente, le statuaire. La cause est alors purement logique, tandis qu'en prenant Polyclète, elle est réelle et directe ; car c'est bien réellement Polyclète qui a fait la statue. — Encore aller plus loin. Dans la voie des abstractions logiques; le texte d'ailleurs est moins précis. — L'homme serit la cause. Parce que la notion d'Homme est plus générale que l'accident de Statuaire, qu'elle contient et enveloppe, tout statuaire étant homme. — Les unes sont plus éloignées, et les autres plus proches. Comme le prouvent les exemples qui viennent d'être donnés. L'ouvrier est plus éloigné du malade que le médecin. - Le Blanc et le Musicien: Accidents, qui peuvent être attribués à l'homme, lequel est attribué au statuaire, lequel à son tour est attribué à Polyclète. § 15. Qu'elles peuvent agir. Et ne sont causes qu'en puissance. — Qui est en état de construire: Mais qui en réalité ne construit pas actuellement. § 16. Aux objets dont les causes sont directement causes. Les exemples qui suivent éclaircissent un peu la pensée, qui est assez obscurément rendue. Le sculpteur est cause de la statue ; mais il est cause aussi que la statue est un portrait. J'ai ajouté le mot : « Directement ». § 17. Les causes directes et les causes indirectes. Le texte est moins précis, et il n'emploie que des pronoms pour distinguer ces divers genres de causes. § 18. Sont au nombre de six. Quelques traducteurs ont cru qu'il s'agissait ici de causes ; ce serait une contradiction formelle avec ce qui a été dit plus haut, § 5 et au § 9. Aristote n'a jamais reconnu que quatre causes. Il s'agit de nuances d'expressions que l'auteur énumère, et qui sont bien en effet au nombre de six, en trois séries de deux, applicables toutes â chacune des quatre causes. Mais le nombre des causes ne change pas. § 19. Il y a cette différence. C'est la différence générale de l'acte à la puissance. — Les causes actuelles. Ou : « Les causes en acte » n'ont plus de raison d'être quand l'acte est accompli. — Qui soigne actuellement. J'ai ajouté ce dernier mot, pour rendre toute la force de l'expression grecque. — Ne disparaissent pas. On pourrait ajouter ici aussi : « Ne sont pas et ne disparaissent pas ». |
Définition du mot Élément ; il désigne la partie indivisible des choses, ou la partie spécifiquement identique ; éléments des corps ; éléments des figures géométriques ; éléments des démonstrations ; sens dérivés du mot Élément ; le petit, le simple sont des éléments ; les universaux le sont plus que la différence. |
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Élément. § 1. On nomme Élément d'une chose ce qui, composant primitivement et intrinsèquement cette chose, ne peut plus être divisé spécifiquement en une espèce autre que la sienne. Par exemple, les éléments d'un mot, ce sont les parties dont ce mot est formé, et dans lesquelles il est divisé définitivement, de telle façon que ces parties dernières ne puissent plus se diviser en sons d'une espèce [30] différente de la leur. § 2. En supposant même que la division soit possible dans certains cas, les parties sont alors d'espèce identique ; et par exemple, une particule d'eau est de l'eau, tandis que la partie d'une syllabe n'est plus une syllabe. § 3. C'est de la même manière que les philosophes qui se sont livrés à ces études, définissent les éléments des corps, en disant que ce sont les particules dernières dans lesquelles les corps se décomposent, sans que ces particules elles-mêmes puissent se diviser en d'autres corps d'espèce différente. [35] C'est là ce qu'ils entendent par Éléments, que d'ailleurs ils reconnaissent, ou un seul élément, ou des éléments multiples. § 4. C'est dans le même sens à peu près qu'on parle aussi des Éléments des figures géométriques, et, d'une manière plus générale, des éléments des démonstrations ; car les démonstrations premières, qui se retrouvent ensuite dans plusieurs démonstrations subséquentes, [1014b] sont ce qu'on appelle les éléments des démonstrations. Tels sont, par exemple, les syllogismes premiers tirés des trois propositions, à l'aide d'un seul terme moyen. § 5. En partant de ces considérations, et par une déviation de sens, on appelle encore Élément tout ce qui, étant individuel et petit, se trouve employé pour une foule de choses. [5] Ainsi, tout ce qui est petit, simple, indivisible, est qualifié d'Élément. § 6. Voilà encore ce qui fait que les termes généraux les plus universels passent pour des éléments, attendu que chacun de ces termes, étant par lui-même un et simple, se retrouve dans beaucoup d'autres termes, et si ce n'est dans tous, au moins dans le plus grand nombre. C'est ainsi qu'on a pris quelquefois pour éléments l'unité et le point. § 7. Les genres, comme on les appelle, étant donc universels et indivisibles, car ils n'ont pas de définition possible, ont été quelquefois considérés comme [10] des Éléments, plutôt que la différence. C'est que le genre est plus universel que ne l'est la différence, attendu que ce qui a la différence a aussi le genre à la suite, et que ce qui a le genre n'a pas toujours la différence. § 8. Un caractère commun de toutes ces acceptions du mot Élément, c'est que, pour chaque chose, l'élément est [15] la partie première et intrinsèque de cette chose. |
Élément. Aristote est revenu à plusieurs reprises sur la définition de l'Élément. Déjà plus haut liv. III, ch. III, § 1 et suivants, il a exposé, à propos des principes, ce qu'il convient d'entendre par Éléments; et il a exprimé quelques-unes des idées qui reparaissent ici plus complètes et plus développées. Plus loin, il a plusieurs fois l'occasion d'expliquer ce que c'est qu'un Élément ou un principe, liv. VII, ch. ΧΩΙ, § 3 ; liv. XI, ch. Ι, § 8 ; liv. XII, ch. ΙV, § 4 ; et liv. XIV, ch. Ι, § 4. En dehors de la Métaphysique, on peut trouver des passages tout à fait analogues, dans le Traité du Ciel, liv. III, ch. III, § 2, p. 244 de ma traduction, et dans le Traité de la Production, liv. II, ch. I, § 1, p. 117 de ma traduction. Voir la note de M. Schwegler sur toutes ces références. § 1. Les parties dont ce mot est formé. En d'autres termes, ce sont les lettres ; et j'ai déjà fait remarquer que le même mot en grec signifie Lettre ou Élément. Cette confusion jette un peu d'obscurité dans la traduction française. Mais je n'ai pu éviter cet inconvénient. — En sons. Le texte emploie ici le même mot qui, un peu plus haut, a été rendu par Mot. Mais la pensée ne peut être douteuse ; le mot peut bien se diviser en lettres dont l'espèce est différente, mais les lettres ne sont plus divisibles en une espèce autre que la leur. Plus haut, liv. III, ch. III, § 1, Aristote cite aussi l'exemple des lettres. § 2. La partie d'une syllabe. C'est une lettre, puisque les lettres composent les syllabes. § 3. Qui se sont livrés à ces études. Aristote veut sans doute désigner les philosophes de l'école d'Ionie, les Naturalistes, et Empédocle, à qui il fait également allusion plus haut, liv. III, ch. III, § 2, soit qu'ils reconnaissent un seul élément, soit qu'ils en reconnaissent plusieurs. § 4. Des figures géométriques. Voir le même exemple, plus haut, liv. III, ch. III, § 1 . — Et d'une manière générale des éléments des démonstrations. Dans le IIIe livre, loc. cit., Aristote ne semble vouloir parler que des démonstrations géométriques ; je crois qu'ici il entend parler de toutes les démonstrations en général ; et il est certain qu'on peut dire des prémisses et de la conclusion que ce sont les éléments de la démonstration. Voir les Derniers Analytiques, passim, et spécialement livre I, ch. VI, § i, p. 35 de ma traduction. § 5. Individuel. Le texte dit précisément : « Un ». — Employé pour une roule de choses. L'expression grecque est aussi vague ; elle peut être précisée et éclaircie par le paragraphe suivant. § 6. Les termes généraux. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. Il est probable qu'ici Aristote entend parler des deux universaux les plus étendus, l'Être et l'Un. — Beaucoup d'autres termes. Qui leur sont subordonnés. — L'unité et le point. L'unité dans les êtres en général ; et le point, dans les lignes et les longueurs. § 7. Ils n'ont pas de définition possible. J'adopte ici la leçon donnée par Alexandre d'Aphrodise, et par deux manuscrits de Florence et de Paris ; toute la la différence consiste dans une négation; elle est considérable. Les genres les plus universels ne peuvent pas être définis, parce qu'ils n'ont pas eu de définitions au-dessus d'eux, servant eux-mêmes à définir le reste. MM. Schwegler et Bonitz, qui approuvent cette leçon, ne l'ont pas cependant insérée dans leur texte.— Le genre est plus universel. Voir les Topiques, liv. IV, ch. I, § 1, p. 119 et suiv. de ma traduction. § 8. Première et intrinsèque. Voir plus haut, § 1. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. |
Définition du mot Nature. Ce mot signifie la production et le développement des êtres, leur principe intrinsèque, leur mouvement propre, qu'ils tirent d'eux seuls, leur matière primordiale, leurs éléments, leur organisation initiale, malgré ce qu'en a dit Empédocle, qui nie cette organisation et ne reconnaît que mélange et séparation d'éléments; Nature signifie encore la matière première des êtres, leur espèce et leur forme, fin dernière de tout développement; enfin la Nature est la substance essentielle de tous les êtres doués d'un mouvement spontané. |
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Nature. § 1. En un premier sens, on entend par Nature la production de tout ce qui naît et se développe naturellement; mais dans ce cas l'U du mot grec qui signifie Nature est long. § 2. En un autre sens, la Nature est le principe intrinsèque par lequel se développe [20] tout ce qui se développe. § 3. Nature signifie encore le mouvement initial qui se retrouve dans tous les êtres naturels, et qui réside dans chacun d'eux, en tant que chacun est essentiellement ce qu'il est; car on dit des êtres qu'ils se développent naturellement, quand ils reçoivent leur croissance de quelque autre être, soit qu'ils tiennent par contact à cet être, soit qu'ils empruntent leur développement à leur connexion intime avec lui, soit qu'ils y adhèrent à la manière des embryons. Il y a d'ailleurs cette différence entre la connexion et le contact, que, dans le contact, il n'y a, entre les deux êtres, rien absolument que le contact seul, tandis que, entre les êtres connexes, il existe une certaine unité qui est identique pour les deux, et qui fait que, au lieu de [25] se toucher simplement, ils se pénètrent, et ne sont qu'un seul et même être comme étendue et quantité, bien que leur qualité puisse être différente. § 4. La Nature est encore cette matière primordiale qui fait que tous les êtres de la nature sont ou deviennent ce qu'ils sont, matière inorganisée, et qui, par sa seule force, est incapable de se modifier, elle-même. C'est en ce sens que l'airain [30] est appelé la Nature de la statue et de tous les ustensiles faits de ce métal ; que le bois est appelé la Nature de tout ce qui est fait en bois. Et de même pour tout le reste des choses; car on dit de chacune des choses qu'elle est faite de ses éléments, tant que subsiste cette matière initiale. § 5. C'est encore en ce même sens que l'on dit que les éléments sont la Nature de tous les êtres physiques. Selon quelques philosophes, cette Nature, c'est le feu ; pour d'autres, c'est la terre; pour ceux-ci, c'est l'air ; pour ceux-là, c'est l'eau; pour d'autres encore, c'est tel autre élément; les uns [35] ne combinant que quelques-unes de ces substances, tandis que les autres les combinent toutes ensemble. § 6. A un autre point de vue, la Nature est la substance des êtres physiques , au sens où l'on dit que la Nature est l'organisation primordiale des êtres, [1015a] quoiqu'Empédocle soutienne qu'il n'y a pas à proprement parler de Nature pour un être quelconque :
Mais ce n'est que mélange ou séparation
Aussi, même pour les êtres qui existent naturellement, ou qui se développent, en ayant préalablement la matière d'où doit venir pour eux le développement ou l'existence, nous ne disons pas [5] qu'ils aient leur nature propre, tant qu'ils n'ont pas revêtu leur espèce et leur forme. Tout être est naturel, en effet, quand il est composé de l'une et de l'autre, la forme et l'espèce ; et tels sont par exemple les animaux, et les parties diverses qui les composent. § 7. Nature peut signifier aussi la matière première des choses. Ces mots mêmes de Matière première peuvent recevoir un double sens. D'abord, Première peut s'entendre, ou relativement à l'objet même, ou d'une manière absolue et générale. Par exemple, pour des objets en airain, l'airain est Premier en ce qui regarde directement ces objets; mais, d'une manière absolue et générale, il est possible [10] que ce soit le liquide qui, en ceci, soit le terme premier, si l'on admet que tous les corps fusibles soient du liquide. En second lieu, la matière première est encore la forme et l'essence des choses, puisque c'est là aussi l'objet final de tout ce qui se produit et se développe . § 8. Par extension métaphorique et d'une manière générale, toute substance est appelée Nature, par analogie avec cette acception du mot Nature que nous définissons ici, et qui, elle également, est une sorte de substance. § 9. D'après tout ce qui précède, la Nature, comprise en son sens premier, et en son sens propre, est la substance essentielle des êtres qui ont en eux-mêmes [15] le principe du mouvement, en tant qu'ils sont ce qu'ils sont ; car, si la matière est appelée Nature, c'est uniquement parce qu'elle est susceptible de recevoir ce principe de mouvement, de même que toute production et tout développement naturel sont appelés Nature, parce que ce sont des mouvements qui dérivent de ce principe intérieur. Mais le principe du mouvement, pour tous les êtres de la nature, est précisément celui qui leur est intrinsèque en quelque façon, soit qu'il reste à l'état de simple puissance, soit qu'il se montre en une complète réalité. |
Nature. Aristote a expliqué plusieurs fois le mot de Nature, dans la Métaphysique, liv. VI, ch. Ι, § 15 ; liv. VII, ch. VΙΙ, § 3 ; liv. IX, ch. VΙΙΙ, § 12 ; et liv. XI, ch. I, § 4. Mais, dans tous ces passages, il n'a donné cette définition que d'une manière indirecte. Au contraire, il l'a développée et approfondie tout au long dans la Physique, liv. II, ch. I, p. 2 et suiv. de ma traduction. M. Bonitz a toute raison de mettre cette dernière rédaction fort au-dessus de celle-ci ; et il en conclut que l'ébauche qui se trouve dans la Métaphysique a dû précéder la discussion si régulière et si élaborée que présente la Physique. Voir un peu plus haut, ch. I, une remarque analogue sur le mot de « Cause ». § 1. Par nature... naturellement. On a critiqué justement cette explication, où le défini se trouve employé dans la définition. Cette tautologie est dans le texte, et les mots dont se sert Aristote ont une forme presque semblable, comme ceux de la traduction française. — L' U du mot grec. Ici, j'ai dû paraphraser plutôt que traduire ; la différence des deux langues m'y obligeait. § 2. Le principe intrinsèque. C'est-à-dire, le principe qui est dans l'objet même, et non pas un principe qui vienne du dehors. — Tout ce qui se développe. Ici encore, j'aurais pu ajouter le mot : « Naturellement », qui se trouverait justifié comme au paragraphe précédent. § 3. Le mouvement initial, et spontané. — Car on dit. Toute cette fin du paragraphe peut sembler une sorte de digression, qui n'est pas très utile en cette place, bien qu'au fond ces distinctions soient vraies et réelles. § 4. Sont ou deviennent ce qu'ils sont. Pour tout ce passage spécialement, il faut avoir sous les yeux la rédaction de la Physique, citée plus haut, et qui est beaucoup plus complète. — L'airain est appelé la Nature de la statue. Je crois qu'en grec l'expression a aussi quelque chose d'étrange comme ma traduction ; l'airain est la matière de la statue, et non pas sa Nature. § 5. Les éléments. Au sens vulgaire de ce mot, comme le prouvent les exemples qui suivent. — Selon quelques philosophes. Sur ces doctrines diverses, voir le let livre, ch. nt et IV et passim. § 6. L'organisation primordiale. C'est le sens le plus général que nous donnons au mot Nature. — Empédocle. Ces mêmes vers d'Empédocle sont cités encore par Aristote dans le Traité de la Production, liv. I, ch. I, § 5, p. 6 de ma traduction, et liv. II, ch. VI; Traité sur Mélissus, ch. II, § 20, p. 234 de ma traduction. M. Schwegler et surtout M. Bonitz croient qu'Aristote n'a pas bien saisi la pensée d'Empédocle ; et M. Bonitz cite à l'appui de cette opinion deux autres vers d'Empédocle, qui semblent expliquer l'idée de nature tout autrement qu'Aristote ne l'explique ici. Il est bien difficile de savoir si cette critique est fondée ; et je me borne à remarquer qu'Aristote avait les ouvrages entiers d'Empédocle, tandis que nous n'en avons que des fragments. Voir l'édition de Firmin-Didot, p. 3, fragment 100. — La forme et l'espèce. Voir la même idée exprimée en d'autres termes, Politique, liv. I, ch. II, § 11, p. 8 de ma traduction, 3e édition. § 7. Un double sens. En d'autres termes, la Nature première d'un être est d'abord sa matière ; puis, en second lieu, sa forme.—D'abord. J'ai ajouté ce mot pour préciser davantage les idées. — En second lieu. Même remarque. — L'objet final. Ou si l'on veut : « La cause finale ». § 8. Avec cette acception du mot Nature que nous définissons ici. Le texte n'est pas aussi formel. Je l'ai développé, afin de le rendre plus clair.
§ 9. Des êtres qui ont en
eux-mêmes le principe du mouvement... qui leur est intrinsèque.
Voir et comparer encore la discussion correspondante dans la
Physique, liv. II, ch. I, § 1, p. 2 et suiv. de ma
traduction. Voir aussi le début de ce chapitre. |
Définition du mot Nécessaire. Il signifie coopération indispensable pour la vie ou l'existence de la chose ; condition inévitable ; contrainte ou violence ; citations d'Événus et de Sophocle ; l'idée de la nécessité s'applique surtout à un état de choses qui ne peut pas être autrement ; nécessités secondaires ; nécessité dans les démonstrations et dans le syllogisme ; propositions nécessaires par elles-mêmes ou par intermédiaires ; il n'y a pas de nécessité pour l'éternel et l'immobile. |
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Nécessité. § 1. [20] Nécessaire signifie d'abord ce dont la coopération est absolument indispensable pour qu'un être puisse vivre. Par exemple, la respiration et la nutrition sont nécessaires à l'animal, puisque, sans ces fonctions diverses, il ne saurait exister. § 2. Nécessaire signifie encore ce sans quoi le bien qu'on poursuit ne saurait avoir lieu et se produire, ou ce sans quoi le mal ne pourrait être évité ou rejeté. Ainsi, il est nécessaire de boire une médecine [25] pour prévenir la maladie, et de faire le voyage d'Égine pour recouvrer l'argent qu'on y doit toucher. § 3. Nécessaire signifie de plus ce qui est forcé, la force qui nous contraint, c'est-à-dire ce qui nous empêche et ce qui nous retient malgré notre désir et notre volonté: Ce qui est forcé s'appelle Nécessaire, et de là vient qu'aussi la nécessité est très pénible; car, ainsi que le dit Événus : Tout acte nécessaire est un acte pénible. Et la force est bien encore une sorte de nécessité, comme le dit Sophocle [31] : La Force me contraint à, faire tout cela. Aussi, la nécessité a-t-elle le caractère de quelque chose d'inflexible; et c'est avec raison qu'on s'en fait cette idée, puisqu'elle est contraire a notre mouvement, soit spontané, soit réfléchi. § 4. Quand une chose ne peut pas être autrement qu'elle n'est, [35] nous déclarons qu'il est nécessaire qu'elle soit ce qu'elle est; et, à dire vrai, c'est d'après le Nécessaire pris en ce sens qu'on qualifie tout le reste de nécessaire. Ainsi, l'idée de la force et de la contrainte, soit qu'on les emploie, soit qu'on les subisse, s'applique en effet [1015b] dans tous les cas où l'on ne peut pas agir selon sa volonté, parce qu'on est sous le coup de la contrainte , la contrainte étant alors regardée comme une nécessité qui fait qu'il n'en peut pas être autrement. § 5. Cette nuance du Nécessaire s'applique également à tout ce qui coopère à faire vivre et à assurer le bien de la chose; car, s'il n'est pas possible, ici, [5] que le bien soit accompli, et là, que la vie et l'existence continuent sans certaines conditions, ces conditions sont dites nécessaires; et la cause entendue en ce sens est bien aussi une sorte de nécessité. § 6. A un autre point de vue, la démonstration doit être rangée parmi les choses nécessaires, parce qu'il n'est pas possible, quand une chose a été absolument démontrée, qu'elle soit autrement qu'on ne l'a démontrée ; et la raison en est que les propositions initiales d'où sort le syllogisme ne peuvent pas être elles-mêmes autrement qu'elles ne sont. § 7. Il y a des choses qui ne sont nécessaires que grâce à d'autres, tandis qu'au contraire certaines choses n'ont besoin d'aucun intermédiaire, et que c'est elles qui donnent au reste le caractère de nécessité. § 8. Par conséquent, le Nécessaire premier et proprement dit, c'est le Nécessaire pris en un sens absolu ; car l'absolu ne peut avoir plusieurs manières d'être. Par suite, il ne peut pas non plus être de diverses façons, les unes opposées aux autres, puisque dès lors il faudrait qu'il y eût des manières d'être multiples. § 9. Si donc il est des choses éternelles et immobiles, il n'y a jamais pour elles de force qui puisse les contraindre ni violenter leur nature. |
Nécessaire. Sur la définition du Nécessaire, on peut voir plus loin, liv. VI, ch. II, § 8; liv. XI, ch. VIII, § 11 ; et liv. XII, ch. VII, § 5. Voir aussi les Derniers Analytiques , liv. II, ch. XI, § 9, p. 240 de ma traduction. § 1. La coopération. L'expression grecque répond assez bien à notre expression de « cause concomitante ». — Puisse vivre. C'est l'acception la plus vulgaire du mot Nécessaire. § 2. Prévenir la maladie. C'est un mal qu'on cherche alors à éviter. — Pour recouvrer l'argent. C'est un avantage qu'on cherche à s'assurer. § 3. Ce qui est forcé. Voir les Derniers Analytiques, liv. II, ch. xi, § 10, p. 240 de ma traduction. — Événus. Poète et sophiste de Paros. Platon le cite plus d'une foie : Apologie de Socrate, p. 69, traduction de M. V. Cousin ; Phèdre, p. 100, ibid., où il est appelé Philosophe. Événus vivait de 500 à 440 avant J.-C. Aristote cite encore ce vers d'Événus, dans la Morale à Eudème, liv. II, ch .VII, § 3, p. 271 de ma traduction ; et dans la Rhétorique, liv. I, ch. XI, § 3, p. 119 de ma traduction. — Sophocle. Voir l'Électre, vers 256 , p. 38, édit. Firmin-Didot. § 4. A dire vrai. C'est en effet le sens le plus général et le plus simple du mot Nécessaire ; et toutes les autres nuances de Nécessaire dérivent de celle-là. § 5. A faire vivre. Il y a là une sorte de répétition de ce qui a été dit plus haut, § 1. § 6. La démonstration. Cette force de démonstration qui s'impose nécessairement, quand elle est scientifique, résulte de la définition même du syllogisme, telle qu'Aristote la donne, Premiers Analytiques, liv. I, ch. I, § 81 p. 4 de ma traduction. — Absolument démontrée. C'est Aristote qui a dit aussi cette grande parole : « Une vérité démontrée est une vérité éternelle. » Derniers Analytiques, liv. I, ch. VIII, § 1, p. 48 de ma traduction. Voir aussi ibid., liv. I, oh. IV, § 2, p.13. § 7. Il y a des choses. Alexandre d'Aphrodise semble vouloir rapporter plus spécialement ceci à ce qui précède sur la démonstration. Il m'a paru que le sens général était préférable, surtout à cause de ce qui suit. § 8. Le nécessaire premier. On comprend bien cette formule, qui peut paraître un peu bizarre, mais qui a l'avantage d'être concise et claire. § 9. Des choses éternelles et immobiles. Voir le Traité de la Production, liv. II, ch. XI § p. 179 de ma traductions |
Définition du mot Unité. Unité accidentelle et essentielle, de simple attribution ou d'essence; exemples divers pour expliquer l'unité ainsi comprise ; unité de continuité ; ensemble de choses réunies ; définition de la continuité, et de l'unité particulière qu'elle peut former; continuité plus grande dans la ligne droite que dans la ligne courbe ; unité d'espèce ; unité de genre ; termes plus ou moins compréhensifs pour représenter cette unité ; unité de définition ; unité par indivisibilité des choses ; unité par identité de substance ; unité d'ensemble et de composition des parties régulièrement ordonnées pour former un tout ; unité prise pour mesure dans chaque genre ; l'unité est toujours nécessairement indivisible ; le nombre, le point, la ligne, la surface, le solide ; subordination des termes entre eux, les inférieurs étant compris dans les supérieurs; rapports des unités entre elles. La pluralité est opposée à l'unité ; aspects divers de la pluralité. |
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Un. § 1. Un se dit d'abord dans un sens accidentel, puis dans un sens essentiel et en soi. Par exemple, c'est une unité accidentelle que celle qui se forme des deux mots séparés, Coriscus et Instruction, quand on dit en les réunissant : Coriscus instruit. Car c'est une seule et même chose de dire Coriscus et Instruction, et de dire Coriscus instruit; ou de réunir encore Instruction et Justice, et de dire Coriscus instruit et juste. Toutes ces locutions n'expriment qu'une unité purement accidentelle. D'une part, l'instruction et la [20] justice forment une unité, parce qu'elles appartiennent accidentellement à une seule individualité substantielle ; et, d'autre part, l'instruction et Coriscus forment aussi quelque chose d'Un, parce que ce sont accidentellement les attributs l'un de l'autre. § 2. De même encore, on peut aller jusqu'à dire que Coriscus instruit ne fait qu'un avec Coriscus, parce que l'une des deux parties [25] de l'expression se rapporte à l'autre comme attribut, c'est-à-dire que le terme d'instruit est l'attribut de Coriscus; de même que Coriscus instruit ne fait qu'un avec Coriscus juste, parce qu'une partie des deux expressions est l'attribut accidentel d'un seul et même sujet, qui est Un. Et en effet, il n'y a pas de différence à dire que l'instruction est l'attribut de Coriscus, ou que le second terme est, à l'inverse, l'attribut du premier. § 3. Il en est de même aussi quand l'accident est l'attribut du genre, ou d'un des termes généraux. Par exemple, l'homme est la même chose et le même être que l'homme instruit ; soit parce que l'homme qui est une substance Une, a pour attribut l'instruction, soit parce que ces deux termes, homme et [30] instruction, sont attribués à un seul individu, qui est, si l'on veut, Coriscus. Toutefois, on peut remarquer que les deux termes ne sont pas alors attribués de la même manière l'un et l'autre; car l'un est attribué, si l'on veut, en tant que genre et comme inhérent à la substance, tandis que l'autre n'est qu'un état, ou une simple qualité, de la substance individuelle. Voilà donc en quel sens il faut entendre le mot de Un, toutes les fois qu'il s'agit d'unité accidentelle. § 4. Quant à tout ce qui est Un essentiellement et en soi, on dit d'une chose qu'elle est Une, uniquement à cause de sa continuité matérielle. Ainsi, grâce au lien qui attache le fagot, on dit que le fagot est Un ; la colle forte qui rassemble les morceaux de bois fait qu'ils sont Uns. [1016a] C'est encore ainsi que la ligne, même quand elle est courbe, est dite Une, parce qu'elle est continue, comme dans le corps humain un membre est Un à la même condition, la jambe, par exemple, ou le bras. Mais, sous ce rapport, il y a plus d'unité dans les objets continus de la nature que dans les objets qui sont le produit de l'art. § 5. D'ailleurs, on entend par continu tout ce qui, essentiellement et en soi, n'a qu'un seul et unique mouvement, sans pouvoir en avoir d'autre. Le mouvement Un est celui qui est indivisible; et je veux dire, indivisible selon le temps. Les choses qui sont essentiellement continues sont celles dont l'unité ne tient pas simplement au contact. Vous auriez beau placer des bouts de bois de manière à ce qu'ils se touchassent entre eux, vous ne pourriez pas dire pour cela qu'ils forment une unité, ni comme bois ni comme corps, ni qu'ils aient non plus telle autre espèce de continuité. § 6. Les choses absolument continues [10] sont Unes, même quand elles ont une courbure, mais, à plus forte raison, quand elles n'en ont pas. Ainsi, la jambe, ou la cuisse, est plus Une que le membre tout entier, parce que le mouvement de la jambe entière, cuisse et jambe, peut n'être pas Un. Par la même raison, une ligne droite est plus Une que ne l'est une ligne courbe. Une ligne qui est courbe, et qui a des angles, peut être considérée tout à la fois comme étant Une, ou n'étant pas Une, parce que le mouvement peut tout aussi bien, [15] ou en être simultané, ou ne pas l'être. Mais, pour la ligne droite, le mouvement est toujours simultané, attendu que, parmi ses parties, ayant quelque étendue, aucune ne peut, celle-ci être en repos et celle-là se mouvoir, comme cela se peut pour la ligne courbe. § 7. En un autre sens, une chose peut être considérée comme Une, par cela seul que le sujet en question ne présente pas de différence spécifique. Les sujets sont sans différence spécifique, quand l'observation sensible n'y découvre pas de division d'espèce. Par sujet, on entend ici, [20] soit le terme primitif, soit le terme dernier, le plus rapproché de la fin de l'espèce même. Par exemple, on dit du vin qu'il est Un, et de l'eau qu'elle est Une, parce que spécifiquement ils sont indivisibles l'un et l'autre. Tous les liquides aussi peuvent être considérés comme formant une unité, l'huile, le vin et tous les corps liquéfiables, parce que pour tous les liquides le sujet dernier est le même, je veux dire, l'eau et l'air, dont tous sont formés. § 8. On dit encore de certaines choses qu'elles sont Unes, [25] toutes les fois que, le genre de ces choses restant Un, elles n'offrent néanmoins que des différences opposées. Alors, tous les objets que le genre renferme forment une unité, parce que le genre soumis à ces différences est Un et le même. Par exemple, le cheval, l'homme, le chien forment cette sorte d'unité, en tant qu'ils sont tous des animaux. Et en effet, tout cela se rapproche et se confond, de même que leur matière est Une. § 9. Parfois, ce sont les espèces comme celles-là qui forment une unité ; d'autres fois, c'est le genre supérieur qui est considéré comme identique ; [30] c'est-à-dire que quand les espèces sont les dernières du genre, c'est le genre qui est au-dessus d'elles. Ainsi, par exemple, le triangle isocèle et le triangle équilatéral sont une seule et même figure, en tant que ce sont des triangles ; mais ce ne sont pas les mêmes triangles. § 10. On attribue encore l'idée d'unité à toutes les choses dont la définition essentielle, c'est-à-dire la définition expliquant que la chose est ce qu'elle est, ne peut être séparée d'une autre définition, qui exprime aussi la véritable essence de la chose et la fait ce qu'elle est ; car toute définition [35] prise en elle-même est divisible et séparable. § 11. C'est ainsi que l'être qui se développe et l'être qui dépérit sont cependant un seul et même être, parce que la définition reste Une, de même que la définition spécifique reste Une aussi pour toutes les surfaces, puisqu'elles ont toujours longueur et largeur. § 12. [1016b] En général, on appelle éminemment Unes toutes les choses dont la pensée, s'appliquant à leur essence, est indivisible, et ne peut jamais en séparer quoi que ce soit, ni dans le temps, ni dans l'espace, ni en notion. Cette idée d'unité ainsi comprise s'adresse surtout aux substances. Ainsi, les termes généraux sont appelés Uns en tant qu'ils n'ont pas de division possible. [5] Par exemple, l'homme est Un, parce qu'il est indivisible en tant qu'homme; l'animal est Un, parce qu'il est indivisible en tant qu'animal ; la grandeur est Une, parce qu'elle est également indivisible en tant que grandeur. § 13. Le plus souvent, les choses sont appelées Unes, parce qu'elles produisent quelque autre chose en commun, ou qu'elles la souffrent, ou qu'elle la possèdent, ou parce qu'elles ont une unité relative et indirecte. Mais au sens primordial du mot, les choses sont Unes quand leur substance est identique et Une. Or, la substance est Une, soit par la continuité, soit par la forme, soit par la définition ; car [10] nous attribuons la pluralité numérique aux choses qui ne sont pas continues, ou dont la forme n'est pas la même, ou la définition n'est pas identique et Une. § 14. Parfois encore, nous disons d'une chose quelconque qu'elle est Une, par cela seul que cette chose a une certaine quantité, et qu'elle est continue. Mais parfois cela même ne suffit pas, et il faut en outre que cette chose compose un tout ; en d'autres termes, il faut qu'elle ait une forme qui soit Une. Par exemple, nous ne dirions pas également d'une chaussure qu'elle est Une, par cela seul que nous en verrions les diverses parties posées dans un ordre quelconque, [15] ces parties fussent-elles même continues ; mais la chaussure n'est Une à nos yeux que si les diverses parties représentent en effet une chaussure, et qu'elles aient une forme Une et convenable. C'est là ce qui fait que, parmi les lignes de divers genres, c'est celle du cercle qui est la plus Une, parce que cette ligne est entière et complète. § 15. C'est la notion de l'unité qui est le principe du nombre, parce que c'est la mesure primordiale qui est le principe. Dans chaque genre de choses, c'est ce qui fait primitivement [20] connaître la chose qui est la mesure première de ce genre. Or, le principe qui nous fait tout d'abord connaître les choses, c'est l'unité dans chacune d'elles. Seulement, l'unité n'est pas la même dans tous les genres sans distinction. En musique, l'unité est le quart de ton ; en grammaire, c'est la voyelle ou la consonne. Pour le poids, l'unité est autre, comme elle est différente aussi pour le mouvement. § 16. Mais, dans tous les cas, l'unité est indivisible soit en espèce, soit en quantité. Ce qui est indivisible en quantité et en tant que quantité, et est indivisible en tous sens, [25] mais sans avoir de position, c'est l'unité numérique, la monade. Ce qui est indivisible en tous sens, mais qui a une position, c'est le point. La ligne n'est divisible qu'en un sens ; la surface l'est en deux sens ; et le corps est divisible [30] dans tous les sens, c'est-à-dire dans les trois dimensions. Et en descendant selon l'ordre inverse, ce qui est divisible en deux sens, c'est la surface ; ce qui l'est en un seul, c'est la ligne ; ce qui est absolument indivisible sous le rapport de la quantité, c'est le point, et l'unité ou monade, la monade n'ayant pas de position, et le point en ayant une dans l'espace. § 17. On peut dire encore que l'unité dans les choses tient, soit à leur nombre, soit à leur espèce, soit à leur genre, soit à leur proportion relativement à d'autres. L'unité numérique résulte de ce que la matière est Une ; l'unité d'espèce, de ce que la définition est Une et la même; l'unité de genre, de ce que les choses sont comprises sous la même forme d'attribution ou de catégorie ; l'unité de proportion résulte de ce que les choses sont avec d'autres [35] dans une relation pareille. § 18. D'ailleurs, les termes postérieurs sont toujours contenus dans les. termes précédents et à leur suite. Ainsi, tout ce qui est Un en nombre est Un aussi en espèce, bien que réciproquement tout ce qui est Un en espèce ne le soit pas toujours numériquement. Tout ce qui est Un en espèce est Un aussi en genre ; [1017a] mais tout ce qui est Un en genre n'est pas Un en espèce, si ce n'est proportionnellement et par analogie ; et tout ce qui est Un par proportion relative n'est pas toujours Un en genre. § 19. Enfin, il est bien clair que la pluralité est l'opposé de l'unité. Ainsi, la pluralité pour les choses résulte, tantôt de ce qu'elles ne sont pas continues, tantôt de ce que leur matière spécifique, soit primordiale, soit dernière, est divisible, et tantôt de ce qu'il y a pour elles des définitions différentes, pour exprimer leur essence et ce qu'elles sont en elles-mêmes. |
§ 1. Essentiel et en soi. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Séparés... en les réunissant. J'ai ajouté ces différents mots, qui m'ont semblé indispensables pour compléter la pensée. — Instruction... instruit. Ces nuances sont dans le texte grec. — Instruction et justice. Ce sont deux attributs, au lieu d'un seul, appliqués au même individu, et qui se réunissent pour former une unité verbale, parce qu'ils sont relatifs à la même personne. — L'instruction et Coriscus. Répétition de ce qui précède. — Les attributs l'un de l'autre. Ceci n'est pas tout à fait exact. L'attribution véritable est d'Instruit à Coriscus; mais elle n'est pas réciproque identiquement ; et l'on ne peut pas claire à titre égal que Coriscus soit l'attribut d'Instruit. Aristote fait lui-même cette remarque, à la fin du § 3. § 2. Se rapporte à l'autre. Même observation sur la différence des deux attributions. — Coriscus instruit... Coriscus juste. Il y a deux attributs au lieu d'un seul ; mais l'unité résulte entre eux de ce qu'ils s'appliquent tous deux à un seul et même individu, qui est Coriscus. § 3. L'attribut du genre. Au lieu d'être un attribut individuel. Homme est le genre de Coriscus, puisque Coriscus est homme. — On peut remarquer. Voir la note sur le § 1. — D'unité accidentelle. Le texte est ici encore un peu moins précis. § 4. A cause de sa continuité matérielle. Voir dans la Physique, liv. V, ch. V, § 11. p. 303 de ma traduction, une analyse de l'idée de Continu.— La jambe, par exemple, et le bras. Pris l'un et l'autre avec les deux parties qui les composent : la jambe et la cuisse; le bras et l'avant-bras. Voir un peu plus bas, § 6. § 5. N'a qu'un seul et unique mouvement. Voir la Physique, liv. V, ch. VI, § 14, p. 315. § 6. Peut n'entre pas Un. La jambe peut avoir un mouvement qui soit indépendant du mouvement de la cuisse — Pour la ligne courbe. Ou plutôt « brisée », dont une partie, peut se mouvoir, tandis que l'autre partie ne se meut pas. § 7. Soit le terme primitif. C'est-à-dire, le plus général, et par conséquent, le plus éloigné de l'individu. — Le plus rapproché de la fin de l'espèce. C'est le terme qui précède immédiatement l'individu, qui lui-même est la fin de l'espèce, puisqu'il est la dernière division possible. — Le sujet dernier est le même. Il ne faut pas attacher trop d'importance à ces théories chimiques des Anciens , qui considèrent l'eau comme le genre de tous les corps liquéfiables. § 8. Se rapproche et se confond. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte, — Leur matière est Une. C'est prendre les choses d'une manière bien générale que de dire que la matière du cheval, de l'homme et du chien, est la même; il y a des différences considérables qu'une analyse plus savante a reconnues et constatées ; mais il ne faut pas demander à la science antique une analyse plus profonde ni plus rigoureuse. § 9. C'est le genre. J'ai ajouté ces mots qui me semblent indispensables. J'ai admis avec M. Bonite la légère variante qu'il propose, d'après Alexandre d'Aphrodise,et qui est en effet satisfaisante. — Une seule et mense figure. Il serait mieux de dire : « Une seule espèce de figure ». Le même exemple est employé par Aristote dans la Physique, liv. IV, ch. XX, § II, p. 271 de ma traduction. § 10. Ne peut être séparée d'une autre définition. Il aurait été bon d'éclaircir ceci par une explication plus simple. Des traducteurs ont compris ce passage en ce sens que deux choses sont dites Unes, quand leurs définitions essentielles ne peuvent être séparées l'une de l'autre. L'exemple donné dans le § suivant appuie cette interprétation. La définition d'un être ne change pas, parce que ses états de développement ou de dépérissement viennent à changer. § 11. Pour toutes les surfaces. Les surfaces peuvent avoir une variété infinie de figures ; mais elles restent toujours des surfaces; et la définition générale de surface leur est toujours applicable. § 12. Éminemment, voilà le sens le plus important du mot Un ; c'est là l'Unité par excellence. — Ne peut jamais en séparer quoi que ce soit. J'ai conservé la leçon vulgaire ; et je ne crois pas nécessaire d'adopter la variante, d'ailleurs ingénieuse, de Casaubon. C'est la raison qui ne peut pas concevoir la chose comme jamais divisible; et par suite, la chose devient indivisible sous le rapport de la définition que la pensée en a conçue. — Surtout aux substances. En d'autres termes : Aux individus, qui sont nécessairement des substances. — Les termes généraux. On pourrait traduire aussi : « D'une manière générale, les choses sont appelées Unes, etc. ». J'ai préféré mon interprétation, parce qu'elle me semble plus d'accord avec les exemples qui suivent. Homme, Animal, Grandeur sont des universaux. § 13. Le plus souvent. L'unité n'est que relative et indirecte dans la plupart des cas ; mais la véritable unité est celle de la substance. — En commun. J'ai ajouté ces mots qui me semblent indispensables ; et je puis les justifier par l'autorité d'Alexandre d'Aphrodise, qui donne cette interprétation dans son commentaire. — Soit par la forme... ou dont la forme. On pourrait traduire aussi « Espèce » au lieu de « Forme ». J'ai préféré le mot de Forme à cause de l'exemple donné au § suivant. L'Espèce, d'ailleurs, se confondrait presque avec la Définition; ce qu'il faut éviter. § 14. Encore. J'ai adopté ici, avec M. Bonitz, la variante proposée par Alexandre d'Aphro¬dise ; voir son commentaire, page 328, ligne 11, édition de M. Bonitz. En effet, il vaut mieux séparer ce § de ce qui précède, plutôt que de l'y joindre par une conjonction, qui établirait entre les deux idées un lien trop étroit. M. Schwegler n'accepte pas cette variante, et il la combat. La nuance, d'ailleurs, est très peu importante. — Une et convenable. J'ai ajouté la dernière épithète. — C'est celle du cercle qui est la plus Une. Observation très fine et très juste. § 15. Qui est le principe du nombre. Aristote a toujours soutenu que l'unité n'est pas un nombre; voir plus loin, livre XIV, ch. I, § 8. — C'est ce qui fait primitivement connaître la chose. La pensée elle-même ne serait, par conséquent, qu'une mesure ; et c'est là ce qui fait que, dans bien des langues, le même mot exprime la pensée et la mesure. — Le quart de ton. Chez nous, le dièse ne compte que pour un demi-ton.— Pour le poids, l'unité est autre. Chez les Anciens, les mesures de poids n'ont jamais été bien fixées, non plus que toutes les autres. § 16. Sans avoir de position. J'ai conservé cette formule ; mais on pourrait traduire aussi : « Sans avoir de lieu ». Tout ce qui suit jusqu'à la fin du § sur la divisibilité des choses, est fort exact et n'est pas absolument hors de la question ; mais je trouve, avec M. Bonitz, que c'est une digression qui n'est. pas ici très bien placée. — Et en descendant selon l'ordre inverse. Tous ces détails sont bien peu utiles pour la question qu'on traite. § 17. On peut dire encore. Malgré cette forme de langage, ceci semble un résumé de ce qui précède plutôt qu'une addition. — Relativement à d'autres. J'ai ajouté ces mots, que justifient les explications données un peu plus bas. — Sont avec d'autres dans une relation pareille. Alexandre d'Aphrodise propose plusieurs exemples pour faire mieux comprendre ce passage, celui-ci entre autres : «La source est au fleuve ce que le coeur est à l'animal. » Le coeur et la source ont une unité d'analogie ou de proportion ; mais le genre de l'un et de l'autre n'est pas du tout le même. § 18. Proportionnellement et par analogie. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte.
§ 19. La pluralité est l'opposé de l'unité.
Toutes les considérations
applicables à l'unité, le sont négativement à la pluralité, dont les nuances
sont précisément contraires à celles de l'unité. - De ce qu'elles ne sont pas continues. Tandis que quand les choses sont
continues, elles forment une unité. — Soit primordiale, soit dernière. Selon que
le genre qui les contient est plus ou moins élevé, plus ou moins étendu. — Est
divisible. C'est la traduction exacte ; peut-être vaudrait-il mieux dire : «
Est distincte et séparée ». — Des définitions différentes. Il semble que
sous une autre forme, c'est la répétition de ce qui précède. - Pour exprimer.
Sous le rapport de la grammaire, il me semble nécessaire d'adopter
la variante, d'ailleurs fort légère, que donnent quelques manuscrits, et que M. Bonitz a
fait passer dans son texte. — Aristote a traité cette même question de l'unité et de la pluralité dans plusieurs de ses ouvrages, et
notamment dans les trois premiers chapitres du livre X. Cette seconde analyse
est plus complète à certains égards et%plus claire que celle-ci, comme le fait
remarquer M. Schwegler. Une comparaison de deux morceaux peut être fort utile à
l'interprétation de l'un et de l'autre. Cette première discussion du Ve livre
est rappelée au début du Xe; mais il est bien probable que cette référence,
comme tant d'autres, est l'oeuvre d'un des premiers éditeurs de la
Métaphysique,
Andronicus de Rhodes peut-être. Voir la Dissertation sur la composition de la
Métaphysique, au Ier volume. |
Définition du mot d'Être : double sens de l'idée d'Être, indirect ou essentiel; les attributs de l'Être n'ont qu'un sens indirect et accidentel ; les attributs d'attributs n'ont encore l'Être que plus indirectement ; sens essentiel de l'idée d'Être ; ce sens s'applique à toutes les catégories ; énumération incomplète des catégories ; l'idée d'Être confondue parfois avec l'idée de la vérité ; double sens de l'Être pris sous tous les aspects ; Être en simple puissance ; Être en réalité effective et actuelle ; exemples divers. Indication d'études ultérieures sur la puissance et sur l'acte. |
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Être. § 1. Le mot d'Être peut être pris en un sens indirect et relatif, ou en un sens essentiel et en soi. Un sens indirect d'Être, c'est quand on dit, par exemple, que le juste est instruit et que l'homme [10] est instruit, ou quand on dit l'être instruit est homme, s'exprimant en ceci à peu près comme on le fait quand on dit que l'homme instruit bâtit une maison, parce que l'architecte de la maison a la qualité indirecte d'être instruit, ou parce que l'homme instruit a la qualité indirecte d'être architecte; car dire qu'une chose est telle chose, cela revient à dire que cette seconde chose est l'attribut de la première. § 2. On voit qu'il en est ainsi pour les exemples que nous venons de citer; car, lorsque nous disons que l'homme est instruit, ou quand nous disons que l'être instruit est homme, et encore quand nous disons [15] que l'homme blanc est instruit, ou que l'homme instruit est blanc, c'est que, dans ce second cas, les deux termes sont les attributs ou accidents d'un seul et même être, et que, dans le premier cas, l'attribut s'applique à l'être directement. Quand on dit que l'homme est instruit, c'est que Instruit est son attribut. C'est encore ainsi que l'on dit que le Non-blanc est quelque chose, parce que la chose à laquelle on joint cet attribut a, en effet, l'existence actuelle qu'on lui prête. § 3. Ainsi, les choses qui ne sont qu'indirectement [20] et auxquelles on n'accorde qu'un rôle d'attributs, sont exprimées sous cette forme, soit parce que les deux attributs appartiennent au même être, soit parce qu'ils sont attribués séparément à cet être, soit parce que l'être dans lequel ils existent est précisément celui qui leur est attribué. § 4. L'Être est en soi et est essentiellement [25] dans toutes les nuances où l'expriment les diverses formes de catégories ; car autant il y a de classes de catégories, autant de fois elles expriment l'Être. Ainsi, parmi les catégories, les unes expriment l'existence de la chose ; les autres expriment sa qualité ; d'autres encore, sa quantité; celles-ci, sa relation ; celles-là, son action et sa passion ; d'autres, le lieu où elle est ; d'autres enfin, le temps. L'Être a la même acception dans chacune d'elles ; car il n'y a pas la moindre différence à dire que l'homme Est bien portant, ou que l'homme se porte bien ; pas plus qu'il n'y en a à dire que l'homme [30] Est en marche, qu'il Est occupé à couper quelque chose, ou bien à dire qu'il marche ou qu'il coupe. Même observation pour les autres catégories. § 5. A un autre point de vue, l'idée d'Être, l'idée qu'une chose Est, signifie que cette chose est vraie. Dire qu'une chose n'Est pas, c'est dire aussi qu'elle n'est pas vraie et qu'elle est fausse. L'affirmation et la négation sont ici sur le même pied. Par exemple, on dit que Socrate est instruit, parce que cela est vrai ; ou que Socrate est Non blanc, ce qui est également vrai. Mais quand on dit que la diagonale est commensurable, cela n'Est pas, parce que c'est faux. § 6. [1017b] Enfin, quand on dit d'une chose qu'elle Est, qu'on la dit être, cette expression peut signifier tout à la fois que les objets dont il est question sont en puissance, qu'ils peuvent être, ou bien qu'ils sont en pleine et entière réalité. Ainsi, quand nous disons d'un être qu'il voit, cela peut vouloir dire tout aussi bien que cet être a la puissance de voir, ou qu'il voit effectivement. De même Savoir peut signifier tout ensemble pouvoir se servir de la science, [5] ou s'en servir actuellement et en réalité. De même encore, on dit d'une chose qu'elle est en repos, soit que cette chose soit déjà en repos réel, soit qu'elle puisse y être. La même distinction pourrait s'appliquer également à toutes les réalités. Ainsi, l'on dit que la statue de Mercure Est dans le marbre, où elle sera taillée, que la moitié Est dans la ligne, où elle sera prise; et l'on parle du froment, même quand il n'est pas encore mûr. § 7. Du reste, nous dirons plus tard les différents cas où la chose est en puissance, et ceux où elle n'y est pas. |
§ 1. Indirect et relatif. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Essentiel et en soi. Même remarque. Les distinctions faites ici pour le mot d'Être sont tout à fait pareilles à celles qui ont été faites dans le chapitre précédent pour le mot de Un. — Le juste est instruit. Attribution d'un attribut à un autre attribut. L'Être ainsi compris est indirect et accidentel. — Que l'homme est instruit. Attribution directe et en soi. — L'être instruit est homme. Attribution renversée , puisque c'est l'homme qui est instruit, bien plutôt que l'instruit n'est homme, — Est l'attribut de la première. Le texte dit précisément : « L'accident ». Dans tous ces emplois du mot et de l'idée d'Être, c'est indirectement qu'on dit de la chose qu'elle Est. A proprement parler, le juste n'est pas, l'instruit n'est pas, l'homme n'est pas ; il n'y a que l'individu qui soit réellement. § 2. Pour les exemples que nous venons de citer. Et dans lesquels la notion d'Être est indirecte et accidentelle, puisqu'elles s'appliquent à des choses qui n'ont pu une existence réelle. On peut d'ailleurs trouver que ces explications n'ajoutent que très peu de chose à ce qui précède. — Que le non-blanc est quelque chose. C'est ici le Non-étre, auquel on attribue une existence qui ne peut être qu'indirecte et détournée, comme on l'a déjà expliqué bien des fois § 3. Ainsi, les choses qui ne sont qu'indirectement. C'est la première nuance du mot Être, indiquée au § 1. — Précisément celui qui leur est attribué. C'est ainsi que l'on dit que l'être instruit est homme, tandis qu'en réalité, c'est l'homme qui est instruit. Dans ce cas, l'homme sert d'attribut, tandis qu'il est le véritable sujet. Alexandre d'Aphrodise a bien raison, comme le remarque M. Bonitz, d'appeler ces propositions des propositions contre nature, parce que, en effet, elles n'ont rien de naturel, et que c'est une abstraction purement logique d'attribuer le sujet à l'attribut. Voir le Commentaire d'Alexandre d'Aphrodise, p. 331, ligne 19 , édition Bonitz ; voir aussi les Derniers Analytiques, liv. I, ch. XXII, § 3, p. 126 de ma traduction. § 4. L'Être est en soi. C'est la seconde des distinctions faites dans le sens du mot Être, plus haut, § 1. Les diverses formes de catégories. Elles sont, comme on le sait, au nombre de Dix. Voir le traité des Catégories, ch. IV, § 1, p. 59 de ma traduction. Ici Aristote n'énumère que huit Catégories au lieu de dix. — L'Être a la même acception. Ceci n'est peut-être pas tout à fait exact ; et l'exemple cité plus bas ne prouve pas que l'Être soit le même dans toutes les catégories. Ce qui est vrai, c'est que, dans toutes les catégories secondaires, la catégorie de Substance, qui est la première, est toujours sous-entendue ; cette catégorie est réellement celle qui répond directement à la notion de l'Être. — L'homme Est bien portant... l'homme se porte bien. Cette remarque est très juste; elle a été faite ici pour la première fois peut-être; les grammairiens l'ont recueillie et se la sont appropriée. Ceci revient à dire qu'il n'y a au fond qu'un seul verbe, le verbe substantif, le verbe Être. Dans tous les autres verbes, la notion d'Être est mêlée à quelque autre notion; dans le seul verbe substantif, elle est pure et absolue. § 5. Signifie que cette chose est vraie. Nous avons conservé cette nuance de langage, et pour nous aussi, ces expressions : « Cela est ; cela n'est pas », signifient : « Cela est vrai » ; ou « cela n'est pas vrai ». — Que la diagonale (ou le diamètre) est commensurable. J'ai adopté avec M. Bonitz la variante que parait avoir suivie Alexandre d'Aphrodise. Il faut évidemment ici Commensurable, et non Incommensurable. Voir le Commentaire d'Alexandre d'Aphrodise, p. 332, lig. 18, édit. Bonitz. § 6. En puissance... entière réalité. C'est la dernière nuance de l'Être. Elle n'a pas été annoncée dans le § 1 ; elle est aussi exacte que les deux autres. — En pleine et entière réalité. J'ai paraphrasé le mot d'Entéléchie, qui a toujours pour nous quelque chose d'obscur et d'étrange. — D'un dire qu'il voit. J'ai dû conserver ce terme un peu général, pour que les deux parties de la pensée fussent en correspondance complète. — Actuellement et en réalité. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - Qu'elle est en repos. Dans notre langue, cette expression n'est peut-être pas aussi exacte que dans la langue grecque. — Toutes les réalités. Le texte dit positivement : « Les substances ».
§ 7. Plus tard. Le
livre IX est consacré tout entier à la discussion sur la puissance
et sur l'acte, sur la simple possibilité et sur la réalité actuelle.
Cette question a été d'ailleurs traitée cent fois par Aristote. |
Définition du mot de Substance ; ce mot signifie d'abord les corps simples, les éléments ; il signifie aussi les corps en général, les êtres individuels, sujets des attributs ; la substance se confond avec l'essence intrinsèque des êtres, avec ce qui les constitue nécessairement ; rôle du nombre, pris pour la substance ; l'idée de substance est le fond de la définition ; deux acceptions principales du mot de Substance : le sujet, et la forme. |
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Substance. § 1. [10] Substance se dit des corps simples, tels que la terre, le feu, l'eau et tous les éléments analogues à ceux-là ; ce mot se dit des corps en général, et des animaux qui en viennent, ou des corps célestes, et des parties dont ils sont formés. Tous ces êtres sont appelés des substances, parce qu'ils ne peuvent jamais être pris pour attributs d'un sujet, et qu'au contraire ils sont les sujets auxquels tout le reste est attribué. § 2. Dans une autre [15] acception, on entend par Substance ou essence, tout ce qui est la cause intrinsèque de l'existence, dans les êtres qui ne sont pas faits pour être jamais les attributs d'un sujet quelconque. C'est ainsi qu'on dit de l'âme qu'elle est la substance, ou l'essence, de l'être animé. § 3. Substance signifie encore toutes les parties qui, dans les êtres comme ceux dont:nous venons de parler, définissent et expriment ce que ces êtres sont en eux-mêmes, et dont la suppression entraîne la suppression de l'être total. Par exempte, la surface étant anéantie, le corps est anéanti en même temps, comme le disent quelques philosophes ; et la surface disparaît, si la ligne vient [20] à disparaître. Aussi, et d'une manière plus générale encore, a-t-on dit qu'il en est de même du nombre; car, le nombre étant anéanti, il ne reste plus rien, c'est à dire que le nombre est considéré comme tenant cette place et déterminant toutes choses. § 4. Enfin, on appelle substance, dans chaque chose, ce qui la fait ce qu'elle est, et ce dont l'explication constitue la définition essentielle de cette chose. § 5. En résumé, il y a deux acceptions de ce mot de Substance : d'abord, c'est le sujet dernier, qui n'est plus l'attribut de quoi que ce soit, et qui est un être spécial, séparé de tout autre ; en d'autres termes, c'est précisément, dans chaque être individuel, sa forme et son espèce. |
§ 1. Des corps simples. Les mêmes explications sont données, et presque dans les mêmes termes, plus loin liv. VII, ch. II, § 1, et liv. VIII, ch. le!, 2 ; et aussi dans le Traité du ciel, liv. III, ch. ler, § 1, p. 222 de ma traduction. Il faut lire également, dans le traité des Catégories, le ch. v, consacré tout entier â l'analyse de la notion de substance. Cette analyse est beaucoup plus développée que celle-ci, et en même temps elle est bien plus délicate et bien plus profonde. -- Des corps célestes. Le mot dont se sert le texte pourrait soulever quelque doute ; mais d'après les différents passages qui viennent d'être cités, soit dans le Traité du ciel, soit dans la Métaphysique, il ne peut rester la moindre obscurité. Il faut ajouter d'ailleurs ici qu'Alexandre d'Aphrodise confirme tout à fait cette explication. — Jamais dire pris pour attributs. Voir les Catégories, ch. V, § 1, p. 60 de ma traduction. § 2. Ou essence. J'ai cru devoir ajouter ces moto, la notion d'Essence concordant mieux que celle de Substance avec ce qui suit. - De l'âme. Voir plus loin, liv. VII, ch. X, § 15, une définition analogue de l'âme. § 3. Toutes les parties. Ce sont les parties essentielles des choses, c'est-à-dire les parties constitutives, sans lesquelles les choses ne seraient pas ce qu'elles sont. — Quelques philosophes. D'après le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise , on peut conjecturer que les philosophes auxquels Aristote fait ici allusion sont surtout les Pythagoriciens. Alexandre cite aussi le Timée de Platon, dont, selon lui, un passage semble prêter à cette critique. Je ne saurais dire précisément quel est ce passage. — Comme déterminant toutes choses. C'est cette importance attribuée au nombre qui avait suscité les théories Pythagoriciennes. § 4. Ce qui la fait ce qu'elle est. C'est la paraphrase de la formule grecque. § 5. C'est le sujet dernier. C'est celui qui reçoit tous les attributs, et n'est jamais lui-même attribué à quoi que ce soit; en d'autres termes, c'est l'individu. — De tout autre. Ces mots que j'ai ajoutés me paraissent indispensables. Aristote ne peut vouloir dire que la substance est séparable au sens où le sont, selon lui, les Idées platoniciennes. Je ne crois pas non plus qu'il veuille dire que la substance soit séparable au point de vue de la raison et de la notion, comme l'ont cru quelques commentateurs. Il est beaucoup plus probable qu'il a entendu dire simplement que l'individu, en tant qu'individu, formait un être particulier isolé de tout autre ; c'est l'essence même de l'individu ; voir plus loin liv. VII, ch. III, § 9. |
Définition du mot Identité ; premier sens du mot d'Identique, pris indirectement par rapport aux attributs d'un même être ; second sens du mot d'Identique appliqué à des êtres substantiels ; signification du mot Autre ; signification du mot Différent ; signification du mot Semblable, et du mot Dissemblable ; opposition de ces deux mots. |
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Identité. § 1. Les choses sont dites Identiques en tre elles en un premier sens, qui est indirect. Par exemple, on peut dire que le Blanc et l'Instruit sont choses identiques, parce que ce sont les attributs d'un même être identique. On peut dire aussi que Homme et Instruit sont identiques, parce que l'un de ces termes est réciproquement l'attribut de l'autre. De même, on dit que l'être instruit est homme, parce que l'instruction est l'attribut de l'homme. [30] Instruit peut être à l'un et à l'autre séparément, de même que chacun de ces termes peut-être l'attribut d'Instruit. En effet, l'homme et l'être instruit sont dits identiques à l'homme instruit; et l'homme instruit est identique aux deux autres termes séparés. § 2. Aussi, aucune de ces expressions ne peuvent-elles jamais être employées d'une manière générale ; car il ne serait pas exact de dire que tout Homme sans exception et Instruit [35] soient identiques. C'est que les termes généraux existent en soi et d'une existence propre, tandis que les attributs accidentels n'existent pas en eux-mêmes, [1018b] et qu'ils ne peuvent être attribués absolument qu'à des êtres particuliers et individuels. Si Socrate peut bien être pris pour identique à Socrate instruit, c'est que le terme de Socrate n'est pas applicable à plusieurs êtres, et que l'on ne dit pas : Tout Socrate comme on dit : Tout homme. Il y a donc des choses qu'on appelle identiques dans le sens qu'on vient d'exposer. § 3. Mais il y a aussi des choses identiques en soi et essentiellement, ainsi qu'il y a des choses qui sont Unes en soi ; car pour tous les êtres dont la matière est une en espèce ou en nombre, on dit qu'ils sont identiquement les mêmes, comme on le dit des choses dont la substance est une et identique. § 4. Il s'ensuit qu'évidemment l'identité est une sorte d'unité d'existence, soit qu'il s'agisse de plusieurs êtres distincts, soit qu'il s'agisse d'un être unique, qu'on regarde comme plusieurs. C'est ainsi qu'on dit, par exemple, qu'un seul et même être est identique à lui- même ; et alors, on considère cet être unique comme s'il était deux êtres au lieu d'un. § 5. On dit des choses [10] qu'elles sont Autres quand leurs espèces sont multiples, ou quand c'est leur matière ou leur définition essentielle qui le sont. D'une manière générale, Autre est une expression opposée à celle d'Identique. § 6. On dit des choses qu'elles sont Différentes, lorsqu'elles sont Autres, tout en étant d'ailleurs identiques sous un certain point de vue, pourvu seulement que ce ne soit pas en nombre, mais que ce soit en espèce, ou en genre, ou par une analogie proportionnelle. § 7. On appelle encore Différentes les choses dont le genre est autre, et les choses qui sont contraires entre elles ; en un mot, toutes celles qui, dans leur substance, renferment [15] la diversité qui les fait Autres, § 8. On appelle Semblables les choses qui éprouvent complètement la même modification , et celles qui éprouvent plus de modifications identiques que de modifications différentes. Les choses sont Semblables encore quand elles ont une seule et même qualité ; et dans les cas où les choses peuvent changer de contraires en contraires, la chose qui peut en subir aussi le plus, ou du moins en subir les principaux, est semblable à la chose qu'on lui compare. § 9. Les choses Dissemblables sont dites par opposition aux choses Semblables. |
§ 1. Le Blanc et l'Instruit sont choses identiques. Cet exemple a quelque chose de forcé et de peu naturel; ces distinctions ne sont pas fausses ; mais on peut les trouver bien subtiles et peu nécessaires. — D'un même être identique. Qui est l'homme. — Réciproquement l'attribut de l'autre. Voir plus haut, ch. VII, § 3, la note, et ch. VI, § 1, aussi la note. — A l'un et à l'autre. A Homme et à Blanc. — Séparément. J'ai ajouté ce mot. — Chacun de ces termes. Homme et Blanc. — L'homme et l'être instruit. Pris isolément. — Et d'homme instruit. C'est-à-dire, les deux termes réunis. § 2. Sans exception. J'ai ajouté ces mots, pour que la pensée fût plus précise. — Les termes généraux. On pourrait traduire aussi : « Les universaux ». — Particuliers et individuels. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. § 3. Des choses identiques en soi. C'est la seconde espèce d'identité, après l'identité accidentelle ; voir plus haut § 1 . § 4. L'identité est une sorte d'unité. L'expression est juste et très délicate. § 5. Qu'elles sont autres. Après la notion d'Identique vient la notion d'Autre, qui en est l'opposé; ce qui en est dit ici est bien court et bien incomplet, bien que ce soit clair et exact. § 4. Qu'elles sont Différentes. Entre la notion d'Autre et la notion de Différent, la nuance est légère ; mais la distinction que fait ici Aristote est très acceptable ; et dans notre langue, elle n'est pas moine exacte que dans la langue grecques Autre et Différent sont des synonymes, qui se rapprochent beaucoup l'un de l'autre, sans cependant se confondre. -- Pourvu seulement que ce ne soit pas en nombre. J'ai emprunté cette interprétation à Alexandre d'Aphrodise, p. 340, ligne 4 et 338, ligne 27, édit. Bonitz. Elle repose sur le déplacement d'un seul mot; mais elle me semble nécessaire, bien que les éditeurs n'aient pas cru devoir l'adopter. — Par une analogie proportionnelle. Voir plus haut, ch. vr, § 17 et 18, le sens de cette expression. § 7. On appelle encore Différentes. C'est le sens le plus ordinaire du mot Différent. § 8. On appelle Semblables. Voir plus loin, liv. X, ch. III, § 5. — La même modification. Les choses sont alors absolument semblables. — Plus de modifications identiques. Les choses sont alors partiellement semblables. — Les choses peuvent changer de contraires en contraires. Le texte est un peu moins formel. — Dans le livre X, ch. III et IV, Aristote a traité les mêmes questions que celles de ce chapitre IX et. du chapitre VI sur l'unité, l'identité, la différence, l'opposition, etc. L'analyse du livre X est à la fois plus complète et beaucoup plus claire que celle-ci. M. Bonitz trouve même que, dans cette dernière, le style est absolument négligé. Je suis d'accord avec lui pour trouver que la discussion du livre V est fort au-dessous de celle du livre X; mais je ne crois pas qu'il y ait ici de la négligence proprement dite. Je serais porté à penser que la rédaction du livre X est de la main même d'Aristote, tandis que celle du livre V serait l'oeuvre d'un élève, recueillant les pensées du maître et les reproduisant d'une manière imparfaite. Mais l'empreinte magistrale y est toujours sensible ; le style n'est peut-être pas d'Aristote; mais les pensées sont bien de lui. Voir la Dissertation sur la composition de la Métaphysique, au Ier volume. |
Définition du mot Opposé ; contradiction, contraires, relatifs, privation et possession ; définition spéciale du mot Contraire ; quatre espèces diverses de contraires ; contraires dérivés ; nuances diverses de ces mots selon les nuances de l'Un et de l'Être ; définition du mot Autre ; acceptions diverses de ce mot ; l'identité est le contraire de l'opposition. |
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Opposé. § 1. On appelle Opposés les deux termes de la contradiction, les Contraires, les Relatifs, la Privation et la Possession, et les états, soit primordiaux d'où sortent les êtres, soit derniers dans lesquels ils se dissolvent, c'est-à-dire, leurs productions et leurs destructions. Pour les attributs qui ne peuvent appartenir simultanément au même sujet, incapable d'ailleurs de les recevoir tous les deux l'un après l'autre, on dit qu'ils sont Opposés, soit qu'on les considère eux-mêmes, soit qu'on regarde aux principes d'où ils sont sortis. Ainsi, par exemple, le brun et le blanc n'appartiennent jamais à la fois au [25] même objet; et voilà pourquoi les principes d'où ils sortent sont également opposés entre eux. § 2. On entend par Contraires les termes qui, étant de genres différents, ne peuvent se rencontrer simultanément dans un seul et même sujet; les termes qui dans un même genre diffèrent le plus possible entre eux ; les termes qui diffèrent le plus possible dans un seul et même sujet, capable de les recevoir tour à tour; les termes qui diffèrent le plus possible, tout en ayant la même [30] puissance ; enfin, les termes dont la différence est la plus grande possible, soit absolument, soit en genre, soit en espèce. § 3. Les Contraires autres que ceux-là sont appelés aussi de ce nom, tantôt parce qu'ils ont les mêmes contraires que ceux qu'on vient de dire, tantôt parce qu'ils sont susceptibles de les recevoir, tantôt parce qu'ils peuvent les faire ou les souffrir, tantôt parce qu'ils les font ou les souffrent effectivement, tantôt parce qu'ils les perdent ou les acquièrent, les possèdent [35] ou en sont privés. § 4. L'Un et l'Être étant pris en plusieurs acceptions, c'est une conséquence nécessaire que tout ce qui leur est attribué ait tout autant d'acceptions diverses. Ainsi, le Même ou l'Identique, l'Autre, le Contraire sont pris dans des sens aussi nombreux; et par suite, le sens d'Autre est différent, selon chacune des catégories. § 5. On appelle Autres, sous le rapport de l'espèce, toutes les choses qui, faisant partie du même genre, ne sont pas cependant subordonnées les unes aux autres; [1018b] toutes celles qui, étant du même genre, offrent une différence entre elles; enfin, toutes celles qui sont contraires en substance. § 6. Les Contraires sont spécifiquement Autres aussi les uns à l'égard des autres, soit tous sans exception, soit du moins les contraires primitifs, soit lorsque, étant dans la dernière [5] espèce du genre, les choses comportent des définitions Autres. Tels sont, par exemple, l'homme et le cheval, dont le genre est indivisible, mais dont cependant les définitions sont différentes. § 7. Enfin, on appelle Contraires toutes les choses qui, étant dans la même substance, ont néanmoins une différence. § 8. Les choses sont spécifiquement les Mêmes, quand elles sont exprimées d'une manière opposée à celles qu'on vient d'analyser. |
§ 1. C'est-à-dire. M. Bonitz veut supprimer ce petit membre de phrase, qui dans le texte est représenté par un seul mot. M. Bonitz pense qu'il a pour cette suppression l'autorité d'Alexandre d'Aphrodise, et il repousse le témoignage d'Asclépius, qui comprend ce passage comme le fait M. Schwegler, et comme le fait aussi ma traduction. Dans les Catégories, ch, X, p. 4 09 de ma traduction, Aristote ne reconnaît que quatre espèces d'Opposés, laissant de côté celle qu'il place ici la cinquième et dernière. Il en est de même dans la discussion qu'on trouvera plus loin, liv. X, ch. IV. — L'un après l'autre. J'ai cru devoir ajouter ces mots. — Aux principes d'où ils sortent. L'expression est bien vague, et l'exemple qui suit ne la précise pas davantage. J'ai craint d'aller plus loin. § 2. On entend par Contraires. Voir sur la théorie des Contraires plus loin, liv. X, ch. IV; et aussi les Catégories, ch. XI, p. 124 de ma traduction. — Tour à tour. J'ai ajouté ces mots, comme j'ai ajouté déjà des mots analogues dans le §1. § 3. Ils ont les mêmes contraires... ils sont susceptibles de les recevoir. C'est la distinction de l'ale et de la puissance. — Ils peuvent les faire... ils les font. Même remarque. § 4. L'Un et l'Être. Voir plus haut, ch. VI et VII. — Leur est attribué. Ou bien : « leur est relatif ». — Autre est différent selon chacune des catégories. C'est-à-dire que la quantité, la qualité, etc., peuvent être Autres. Voir plus loin, liv. X, ch. II, § 7, des explications nouvelles. § 5. Ne sont pas cependant subordonnées les unes... Telles sont les espèces d'un même genre. - Offrent une différence entre elles. Cette distinction semble rentrer dans la précédente. § 6. — L'homme et le cheval. Ne sont pas des Contraires à proprement parler. Ce sont seulement des espèces diverses d'un seul et même genre, qui est ici l'Animal. § 7. Dans la même substance. M. Bonitz s'étonne avec raison de cette formule ; il aurait fallu dire : « De la même substance ». § 8. Les Mêmes. Voir plus haut, le chapitre IX, sur l'identité. — Il faut comparer encore tout ce chapitre à l'analyse des mêmes formules donnée par le livre X, ch. III et IV. Cette dernière analyse est très supérieure. |
Définition des mots Antérieur et Postérieur ; antériorité et postériorité de lieu ; antériorité et postériorité de temps ; antériorité et postériorité de mouvement, de puissance, d'ordre et de position ; antériorité et postériorité relatives à la connaissance selon la raison ou selon le témoignage des sens ; les modifications suivent sous ce rapport les sujets auxquels elles s'appliquent ; antériorité résultant de l'indépendance ; citation de Platon, ; le sujet est antérieur aux attributs ; la puissance est antérieure à l'acte. |
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Antériorité, Postériorité. § 1. Antérieur et Postérieur ne s'appliquent aux diverses choses que parce qu'on suppose, dans chaque genre, un certain [10] primitif, et un certain principe, qui sert de point de départ ; et alors, l'Antérieur est ce qui se rapproche le plus du principe, qui est déterminé ou absolument et par la nature, ou qui est relatif, ou qui est dans certains lieux, ou qui est sous certaines conditions. Ainsi, pour ce qui regarde le lieu, les choses sont antérieures, parce qu'elles sont plus rapprochées d'un certain lieu déterminé, soit par la nature, comme le milieu par exemple, ou l'extrémité, soit d'un lieu pris arbitrairement. Ce qui en est plus éloigné est Postérieur. § 2. A la place du lieu, ce peut être [15] le temps, qui détermine l'Antériorité et la Postériorité. L'Antérieur, en ce cas, est ce qui est plus éloigné de l'instant présent, quand il est question du passé. Ainsi, la guerre de Troie est antérieure à la guerre Médique, parce qu'elle est beaucoup plus loin du moment où l'on parle. Parfois, les choses sont dites Antérieures dans le temps, parce qu'elles sont au contraire plus rapprochées du moment où l'on est, comme c'est le cas pour les choses de l'avenir. Ainsi, les Jeux Néméens sont Antérieurs aux Jeux Pythiques, parce qu'ils sont plus près de l'instant actuel, cet instant étant pris comme principe et point de départ primitif. § 3. D'autres fois, l'Antérieur se rapporte au mouvement; et alors, Antérieur signifie ce qui se rapproche davantage du premier moteur. C'est ainsi que l'enfant est Antérieur à l'homme; et, dans ce cas, le principe qu'on adopte est considéré comme une sorte de principe absolu. § 4. D'autres fois encore, l'Antérieur s'entend de la puissance ; et alors, l'Antérieur est ce qui a une puissance prépondérante, ce qui est plus puissant. Par là, on entend une chose qu'une autre chose doit suivre, de toute nécessité, dans ses tendances diverses, cette seconde chose ne venant qu'après l'autre, de telle sorte que, si la première ne donne [25] pas le mouvement, la seconde ne l'a pas ; et que, si la première au contraire le donne, la seconde est mue à son tour. Or, c'est la tendance de la première chose qui est ici le principe. § 5. L'Antérieur se rapporte encore à l'ordre et à la position; et ce sens d'Antérieur s'applique partout où les choses ont une distance proportionnelle par rapport à un objet donné. Par exemple, le suivant du Coryphée est Antérieur à l'homme du troisième rang, de même que l'avant-dernière corde est Antérieure à la dernière. Ici c'est le Coryphée qui sert de principe; et là, c'est la corde moyenne. § 6. Voilà donc une première [30] nuance du mot Antérieur, pour les choses dont on vient de parler. § 7. Dans une autre nuance, l'Antérieur se rapporte à la connaissance; et c'est aussi un Antérieur absolu. Pour ce genre d'Antériorité, les choses diffèrent selon que la connaissance s'adresse à la raison ou à la sensibilité. Dans l'ordre de la raison, c'est l'universel qui est Antérieur; pour la sensibilité, c'est l'individuel. En raison, l'attribut est [35] Antérieur au tout que forment l'attribut et le sujet, réunis. Par exemple, Instruit est Antérieur à Homme instruit; car la notion totale n'est pas possible sans la partie, quoique Instruit ne puisse pas exister seul, s'il n'y a pas quelqu'un qui soit instruit. § 8. Antérieur s'applique encore aux qualités des choses qui sont antérieures ; et c'est ainsi que la rectitude d'une ligne peut être dite Antérieure au poli d'une surface; car l'une est une qualité essentielle de la ligne, tandis que l'autre ne concerne que la surface simplement. § 9. [1019e] C'est bien là ce qu'on entend par Antérieur et Postérieur. Mais, en nature et en essence, les Antérieurs sont les choses qui peuvent exister indépendamment d'autres choses, tandis que ces autres choses ne peuvent pas exister sans elles, distinction établie déjà par Platon. § 10. Mais, comme le mot d'Être [5] peut s'entendre en plusieurs sens, c'est le sujet d'abord qui est Antérieur à tout; et voilà comment aussi la substance est Antérieure au reste. Puis, à un autre point de vue, il faut distinguer ici les simples possibilités et les réalités. Il y a des choses qui sont Antérieures en puissance; d'autres qui le sont en réalité. Par exemple, en puissance la moitié de la ligne est Antérieure à la ligne entière; la partie est Antérieure au tout, et la matière l'est à la substance. Mais [10] en réalité, elle est postérieure ; car il faut que d'abord l'actualité ait disparu pour que la puissance existe à son tour.
§ 11. A certain égard, toutes les choses qu'on appelle Antérieures et Postérieures rentrent dans
ces dernières nuances; car, en fait de production, les unes peuvent être sans les autres, le
tout, par exemple, pouvant être sans les parties, tandis qu'en fait de
destruction, la partie peut être détruite sans que le tout soit détruit. Et
ainsi du reste. |
§ 1. L'Antérieur est ce qui se rapproche le plus. En admettant une variante que semble avoir eue Alexandre d'Aphrodise, on pourrait traduire encore : « La chose est Antérieure parce qu'elle se rapproche le plus ». La différence est fort légère; et je ne crois pas qu'il soit nécessaire de changer le texte reçu. — Ainsi, pour ce qui regarde le lieu. Première espèce de l'Antérieur et du Postérieur. § 2. A la place du lieu. Le texte est plus concis ; j'ai dû le développer pour être plus clair. - Ce peut être le temps. Seconde espèce de l'Antérieur et du Postérieur. — Les Jeux Néméens... aux Jeux Pythiques. Les Jeux Pythiques se célébraient dans la troisième année de chaque olympiade. Les Jeux Néméens pouvaient être Antérieurs ou Postérieurs selon le moment de l'olympiade d'où l'on commençait à compter, et qui pouvait être plus ou moins rapproché du moment où l'on parlait. § 3. L'Antérieur se rapporte au mouvement. Troisième espèce d'Antérieur et de Postérieur. - Du premier moteur. J'ai conservé cette formule, qui reproduit fidèlement le texte. Peut-être vaudrait-il mieux dire : « Du point initial du mouvement ». —L'enfant est Antérieur à l'homme. C'est-à-dire qu'avant de devenir homme il faut passer par l'enfance. — Qu'on adopte. Ici comme pour le lieu, plus haut, § 1, le principe peut être arbitrairement choisi. — Une sorte de principe absolu. Quoique le terme d'Enfant soit un point de départ bien vague. § 4. L'Antérieur s'entend de la puissance. Quatrième espèce d'Antérieur et de Postérieur. Ici le mot de Puissance semble être pris dans son sens ordinaire, plutôt que dans son sens métaphysique, bien que les deux sens paissent également convenir dans ce passage. — Dans ses tendances diverses. Le mot grec exprime mie nuance de Volonté et de libre arbitre qui ne peut appartenir aux choses. J'ai préféré le mot de Tendances, qui peut davantage s'appliquer à tout objet matériel ou rationnel. § 5. A l'ordre et à la position. Cinquième espèce d'Antérieur et de Postérieur. — Le suivant du Coryphée. Le Coryphée étant le premier, son suivant, ou le parastate, était le second ; et l'homme du troisième rang, ou le tritostate, ne venait que le troisième.— L'avant-dernière corde... la dernière corde. Nous pourrions dire dans notre système musical : « La tonique est antérieure à la dominante. » § 6. Une première nuance. Cette première nuance est celle où l'Antérieur et le Postérieur se mesurent par la distance de l'objet au primitif, qui est pris pour point de départ, ou de comparaison. Voir plus haut, § 1. La seconde nuance peut bien passer pour une espèce nouvelle d'Antérieur et de Postérieur; ce serait la sixième. § 7. Un Antérieur absolu. C'est-à-dire, qui ne peut avoir rien d'arbitraire. - Que forment l'attribut et le sujet réunis. J'ai cru devoir ajouter ces mots, qui sont indispensables pour la clarté de l'expression, et que la suite du contexte justifie. § 8. S'applique encore aux qualités des choses. Tout comme aux choses elles-mêmes. Ce serait une nouvelle espèce d'Antérieur et de Postérieur. — La rectitude d'une ligne. Le mot de Rectitude n'est jamais employé dans notre langue qu'au sens moral; mais j'ai dû l'employer ici au sens matériel, afin d'éviter une trop longue périphrase. Notre langue manque d'un mot spécial. — L'une. C'est la Rectitude ; l'autre, c'est le poli. Cette espèce d'Antérieur et de Postérieur serait la septième. § 9. Distinction établie déjà par Platon. On chercherait vainement cette pensée dans les Dialogues de Platon. Il n'est pas probable, comme l'ont cru quelques commentateurs, que ce soit ici une allusion à ce qu'Aristote a dit de la théorie des nombres idéaux de Platon , plus haut, liv. III, ch. III, § 14. Je crois bien plutôt que ce membre de phrase aura été introduit dans le texte par quelque scholiaste. Aristote aurait pris une autre forme pour parler ici de Platon. § 10. C'est le sujet d'abord qui est antérieur à tout. Ceci est de toute évidence, puisqu'il faut être d'abord avant d'être quelque autre chose. - Les simples possibilités. Ou « les simples Puissances ». — L'actualité ait disparu. L'actualité signifie ici le Tout, qui doit être détruit pour que la partie devienne à son tour une individualité substantielle. C'est l'interprétation que donne Alexandre d'Aphrodise, en précisant dans son commentaire ce que le texte laisse un peu trop dans l'obscurité. § 11. Ces dernières nuances. D'après Alexandre d'Aphrodise, il faut entendre par là la distinction de l'acte et de la puissance, dont il a été question au § précédent. C'est pour le faire bien comprendre que j'ai ajouté le mot Dernières. — Les unes. C'est-à-dire, les Actualités peuvent être sans les puissances; et le tout, en se produisant, peut n'avoir pas encore ses parties. Voir la Politique, liv. I, ch. 1er, § 11, p. 8 de ma traduction, 3e édit. — L'idée d'antériorité a été analysée dans les Catégories, ch. III, p. 123 et 125 de ma traduction ; Aristote n'y distingue d'abord que quatre espèces de priorité ; puis, il en ajoute aussi une cinquième. Ici l'on pourrait en compter jusqu'à sept. C'est d'ailleurs un sujet auquel Aristote est revenu souvent, parce que sans doute il y attachait grande importance. Voir plus loin, liv. VII, ch. X, §§ 3 et suiv.; liv. XIII, ch. VIII, § 16 et passim. |
Définition du mot Puissance ou Possibilité ; premier sens du mot de Puissance ; c'est le principe du changement produit sur un autre être ; puissance signifie aussi la faculté de souffrir, ou la faculté d'achever une chose selon une volonté réfléchie ; puissance confondue avec l'immuabilité ; puissance d'action et de repos ; puissance venant des qualités qu'on possède et de celles dont on manque ; puissance du bien ; impuissance opposée à la puissance ; conditions de temps et de lieu. Puissance prise dans le sens de possibilité et d'impossibilité ; définition de l'impossible ; le contraire de l'impossible est nécessairement vrai ; sens divers du mot Possible ; la puissance en géométrie n'est qu'une expression métaphorique ; résumé sur les mots de Puissance et de Possibilité ; l'idée première de la puissance est la faculté de produire un changement quelconque. |
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Puissance. § 1. [15] Puissance désigne d'abord le principe du mouvement, ou du changement quelconque, dans un autre être, en tant qu'il est autre. Par exemple, la puissance de construire ne se trouve pas dans le bâtiment qui est construit ; et si la puissance de guérir peut se trouver dans l'être qui est guéri, ce n'est pas du moins en tant qu'il est guéri. § 2. Si donc, généralement parlant, la puissance est le principe du mouvement, ou du changement, dans un autre en tant qu'il est autre, elle peut être aussi pour l'être lui-même la puissance [20] d'être mû par un autre en tant qu'autre. C'est la Puissance qui fait qu'un être qui souffre, souffre une certaine action. Tantôt nous employons cette expression générale, parce que la chose peut souffrir une affection quelconque; et tantôt, cette expression ne s'applique pas à toute affection indistinctement, mais aux seules affections qui améliorent. § 3. Parfois encore, la puissance exprime la faculté d'achever une chose comme il convient, ou selon la libre volonté qu'on en a. C'est ainsi en effet que, de gens qui n'ont fait que venir ou que parler, mais qui ne l'ont [25] pas bien fait, ou qui même seulement ne l'ont pas fait selon leur gré, nous disons qu'ils n'ont pas pu venir ou parler. Même remarque s'il s'agissait de la. passion au lieu de l'action. § 4. On appelle encore Puissances tous les états dans lesquels les choses sont, ou absolument impossibles, ou immuables, ou tout au moins très peu susceptibles d'un mouvement qui puisse les détériorer ; car lorsqu'une chose est brisée, broyée, tordue, en un mot lorsqu'elle est détruite, ce n'est pas apparemment parce [30] qu'elle peut, c'est au contraire parce qu'elle ne peut pas, et qu'il lui manque quelque chose. Sous ce rapport, on appelle impassibles les choses qui souffrent à peine, ou qui ne souffrent qu'à la longue, à cause de la puissance qu'elles possèdent, ou de la puissance qu'elles exercent, ou de l'état dans lequel elles se trouvent. § 5. Comme le mot de Puissance a tous les sens différents qu'on vient de voir, on dira aussi d'une chose qu'elle est Possible dans des acceptions diverses : l'une d'abord, quand la chose a son principe de mouvement, ou de changement quelconque, dans un autre en tant qu'autre ; car ce qui produit le repos est bien aussi une puissance d'un certain genre. § 6. En second lieu, quand c'est une autre partie d'elle-même qui a cette puissance. § 7. [1019a] Enfin, dans une troisième acception, quand la chose a cette puissance de changer, d'une manière quelconque, soit en bien, soit en mal ; car ce qui est détruit semble bien avoir la puissance d'être détruit, ou du moins il n'aurait pas été détruit s'il avait été dans l'impossibilité de l'être. Mais cet être qui peut être détruit doit bien avoir maintenant un certain état, [5] un principe, une cause, qui fait qu'il souffre ce qu'il souffre. § 8. Parfois, la chose semble être possible comme elle l'est, parce qu'elle a et possède certaines conditions ; d'autres fois, parce qu'elle en est privée. Mais si la privation, de son côté, est aussi une sorte de possession, alors tout ce qui est possible l'est sans exception par les propriétés qu'il possède. Dans ce cas , l'Être est homonyme ; et par suite, on dit d'une chose qu'elle est possible tout à la fois, parce qu'elle a telle disposition et tel principe, et aussi parce qu'elle en est privée, si toutefois on peut dire qu'on a une chose [10] quand on en est privé. § 9. En un autre sens, on dit d'une chose qu'elle est possible, quand elle n'a pas la puissance de détruire une chose, ou qu'elle n'a pas dans un autre, ou en tant qu'autre , le principe de destruction. § 10. On dit encore de toutes les choses qu'elles sont possibles par cela seul qu'il leur arrive, ou de se produire, ou de ne pas se produire absolument, ou de se produire bien. Même dans les choses inanimées, on retrouve une puissance de ce genre : et par exemple, pour des instruments dont l'homme se sert; car, en parlant d'une lyre, on dit de celle-ci qu'elle peut [15] donner des sons, et de celle-là qu'elle ne le peut pas, par cela seul que les sons qu'elle rend ne sont pas tout ce qu'ils devraient être. § 11. L'Impuissance est la privation de la Puissance ; et la disparition, quelle qu'elle soit, du principe en question, disparition qui a lieu, ou d'une manière absolue, ou dans l'être qui devrait naturellement avoir la puissance, ou bien à l'époque où il devrait naturellement déjà la posséder. Par exemple, en partant de l'impuissance à engendrer, on ne peut pas mettre sur la même ligne, et l'enfant, et l'homme, et l'eunuque. § 12. Chacune des deux espèces [20] de puissance a une impuissance qui lui est opposée soit que cette puissance soit cause d'un simple mouvement, soit qu'elle produise un mouvement qui mène la chose au bien. § 13. On dit des choses qu'elles sont Impuissantes dans le sens qu'on vient d'indiquer. Mais l'Impuissance se prend encore en un autre sens, je veux dire, le sens de Possible et d'Impossible. On entend par Impossible tout ce dont le contraire est nécessairement vrai ; et c'est ainsi qu'il est Impossible que la diagonale soit commensurable au côté, parce que cette proposition [25] est essentiellement fausse. Et ce n'est pas seulement, parce que le contraire est vrai, mais c'est encore parce qu'il est nécessaire. Ici, par exemple, la diagonale est nécessairement incommensurable. Donc, supposer qu'elle est commensurable, ce n'est pas simplement faux ; mais c'est nécessairement faux. § 14. Le contraire de cet Impossible, c'est le Possible dans le cas où le contraire n'est pas nécessairement faux. Ainsi, l'on dit qu'il est Possible que telle personne soit assise; car il n'est pas [30] nécessairement faux qu'elle ne soit pas assise. § 15. Le mot de Possible signifie donc, d'une façon, et comme on vient de le dire, ce qui n'est pas nécessairement faux ; d'une autre façon, ce qui est vrai; et enfin, ce qui peut être vrai. § 16. Ce n'est que par métaphore qu'on parle de Puissance en géométrie. § 17. En résumé, tous ces Possibles ne se rapportent pas à l'idée vraie de Puissance. Mais tous les Possibles qui s'y rapportent réellement, sont relatifs à la notion première et unique de puissance indiquée plus haut, [1020a] et celle-là c'est le principe qui cause le changement dans un autre en tant qu'autre. Tous les autres Possibles sont ainsi dénommés, les uns, parce que quelque autre partie d'eux-mêmes a une puissance de ce genre ; d'autres, au contraire, parce qu'ils ne l'ont pas ; d'autres enfin, parce qu'ils la possèdent dans telle ou telle mesure. § 18. Mêmes remarques pour les Impossibles ; et par conséquent, on peut conclure que la définition principale de la Puissance première est celle-ci : « Le principe qui produit le changement en un autre en tant qu'autre. » |
Puissance. La discussion sur la Puissance et le Possible, qui est ici écourtée et obscure, est spécialement développée et tout au long dans le IXe livre; ce livre y est consacré tout entier; ce qui en est dit dans ce chap. XII, n'est peut-être qu'un extrait du livre X. Il sera bon de comparer les deux morceaux. M. Bonitz, dans ses notes, fait deux parts distinctes de ce chapitre : l'une, où il est question de la Puissance; l'autre, où il est question de la simple Possibilité. Il est vrai que parfois ces distinctions de nuances sont applicables aux théories d'Aristote ; mais le plus souvent le mot de Puissance est employé dans un sens exclusivement métaphysique, c'est-à-dire dans le sens de Possibilité — § 1. Puissance. On pourrait traduire aussi « Faculté » ; j'ai préféré conserver le mot de Puissance, pour que ce mot puisse rester constamment le même dans tout le chapitre. Il s'agit ici de la Puissance active, comme le prouve l'exemple donné plus bas. La Puissance est dans l'architecte, en ce sens qu'il peut bâtir la maison, dont il est absolument distinct, étant autre qu'elle, et c'est en tant qu'il est autre qu'il a la faculté ou la Puissance de bâtir. — Dans un autre être, en tant qu'il est autre. M. Bonitz propose d'ajouter une conjonction : « Ou » en tant qu'il est autre. Je ne crois pas cette correction indispensable, bien qu'elle semble correspondre à ce qui suit sur le malade qui se guérit lui-même. — Dans l'être qui est guéri. C'est-à-dire que le médecin peut être malade ; et quand il se guérit lui-même, c'est en tant qu'il est autre, puisqu'il se guérit en tant que médecin, différent de lui-même en tant que malade. Voir la Physique, liv. II, ch. Ier, § 5, p. 3 de ma traduction. § 2. Pour l'être lui-même. J'ai ajouté ces mots qui ressortent du contexte, et qui expliquent plus clairement la pensée, en opposant la puissance passive à la puissance active, dont il vient d'être question au § précédent. — Qui souffre, souffre une certaine action. Puissance passive. Dans le premier §, Puissance veut dire que l'être Peut faire ; dans ce second §, Puissance veut dire que l'être Peut supporter une certaine modification. § 3. Nous disons qu'ils n'ont pas pu. Cette nuance aussi se retrouverait aisément dans notre langue. — La passion. Dans le sens du § précédent. § 4. Les choses sont, ou absolument impossibles. C'est en quelque sorte une Puissance de résistance, une sorte de Puissance négative. — Parce qu'elle peut... parce qu'elle ne peut pas. J'ai conservé ces formules qui représentent exactement celles du texte, et qui n'ont rien d'obscur après ce qui précède. — On appelle impassibles. Ceci semble une répétition peu nécessaire. — A cause de la puissance qu'elles possèdent. Le mot de Puissance paraîtrait être pris ici dans le sens de Force. — Qu'elles possèdent... qu'elles exercent. La nuance du texte grec n'est pas plus marquée ; toute la différence est d'un substantif à un verbe, ayant l'un et l'autre la même étymologie. § 5. A tous les sens différents qu'on vient de voir. Le texte n'est pas aussi précis.— Dans des acceptions diverses. Même remarque. — Dans un autre en tant qu'autre. J'ai conservé ici la leçon vulgaire, comme au § 1. On pourrait, en adoptant la correction de M. Bonitz, traduire aussi : « Dans a un autre, ou en tant qu'autre. » Ce qui m'a empêché d'accepter cette variante, c'est qu'Aristote a précisément indiqué cette nuance dans le § suivant, et alors ce serait faire double emploi. Il faut ajouter que la leçon vulgaire , bien entendue, peut comprendre la seconde nuance aussi bien que la première. — Une puissance d'un certain genre. Le texte dit exactement : « un possible ». J'ai d'ailleurs suivi l'interprétation d'Alexandre. § 6. Une autre partie d'elle-même. Voir plus haut, § 1, l'exemple du médecin qui se guérit lui-même. Le médecin est alors composé en quelque sorte de deux parties : l'une, qui guérit ; l'autre, qui est guérie. Le médecin et le malade forment cependant un seul et même être. § 7. Dans une troisième acception. Le texte n'est pas aussi formel. Cette troisième acception semble se rapprocher beaucoup de la première. — La puissance d'être détruit. On pourrait traduire aussi : « la possibilité », au lieu de : « la puissance ». — Qui fait qu'il souffre ce qu'il souffre. Le texte est moins précis, ici comme ailleurs. § 8. Une sorte de possession. On pourrait traduire aussi ou « manière d'être » ou « propriété ». J'ai conservé au mot de Possession la signification qu'Aristote lui donne dans les Catégories, ch. XV, p. 1 30 de ma traduction. — Dans ce cas. J'ai ajouté ces mots. — L'Être est homonyme. L'Être des deux espèces de Possible : l'un, par affirmation directe ; l'autre, par négation ou privation. C'est le sens qu'indique Alexandre d'Aphrodise ; le texte, dans la leçon vulgaire, ne s'y oppose pas, bien que cette leçon ait quelque chose d'embarrassé. M. Bonitz et M. Schwegler ont proposé de la modifier ; mais le changement n'est pas indispensable. Pour le sens d'Homonyme, voir le début des Catégories, ch. or, § 1, p. 53 de ma traduction. Ce sens est du reste bien connu dans la langue aristotélique. § 9. Ou en tant qu'autre. J'ai adopté ici la leçon que donnent quelques manuscrits, et que M. Bonitz introduit dans son texte, et M. Schwegler, dans sa traduction allemande. Du reste, ce passage aurait eu grand besoin que l'auteur le développai, par un exemple. § 10. Ou de se produire ou de ne pas se produire. Cette généralité, qui est vague et obscure, s'éclaircit et se précise par l'exemple donné dans la suite du §. § 11. L'Impuissance. Je suis obligé de me servir de ce mot pour correspondre au mot de Puissance ; d'après tout ce qui précède, on voit quel sens y est attaché. Celui qu'il a dans notre langue est assez restreint ; et il est d'ailleurs employé de la même manière dans la langue grecque, comme le prouve l'exemple cité à la fin du §. § 12. Chacune des deux espèces. Le texte n'est pas aussi formel ; mais il fallait cette périphrase pour rendre toute la force de l'expression grecque. § 13. Impuissantes... impuissance. C'est plutôt Impossibles qu'il faudrait dire; mais j'ai dû garder le mot d'Impuissantes pour conserver la corrélation. Du reste, c'est ici que commence la seconde partie de ce chapitre que M. Bonitz, dans ses notes, intitule avec raison : « de la possibilité ». — La diagonale. Dans un carré; ou, si l'on veut aussi, le diamètre, dans un cercle. § 14. Il est Possible que telle personne soit assise. Notre langue a également toutes ces nuances à peu près de Possible et d'Impossible. § 15. Ce qui est vrai. M. Bonitz s'étonne qu'Aristote puisse comprendre la réalité vraie dans les Possibles, et il reconnaît là une de ces négligences qui sont trop nombreuses dans ce cinquième livre de la Métaphysique. L'observation est juste; mais on pourrait croire que le résumé du Possible présenté dans ce § est l'oeuvre d'un scholiaste. Cependant Alexandre d'Aphrodise a déjà, dans son Commentaire, le texte tel que nous l'avons aujourd'hui ; et il essaie d'expliquer ce passage, qui paraît l'avoir également choqué. M. Bonitz donne le conseil de ne pas attacher trop d'importance à ces difficultés de détail ; et c'est, en effet, un conseil bon à suivre. § 16. Par métaphore. Ailleurs, liv. IX, ch. I, § 4, Aristote dit qu'en géométrie le mot de Puissance n'est qu'une simple homonymie. Ce sens mathématique du mot de Puissance est déjà employé du temps de Platon, qui s'en sert assez fréquemment ; entre autres passages, voir le Théétète, pp. 50 et suiv. de la traduction de M. V. Cousin. Il est assez probable que cette expression avait été inventée par les pythagoriciens. § 17. Tous ces Possibles. C'est-à-dire, les divers sens du mot Possible énumérés dans les §§ 13 et suiv. — Vraie... réellement. J'ai ajouté ces mots pour rendre la pensée plus claire. — Indiquée plus haut. J'ai ajouté encore ces mots qui ressortent du contexte. — Dans un autre en tant qu'autre. Voir plus haut, § 1, la note où cette formule est expliquée. Ici encore, M. Bonitz adopte dans son édition la variante qu'il a adoptée plus haut; je l'ai pour ma part repoussée également, par les motifs que j'ai indiqués plus haut. — Quelque autre partie d'eux-mêmes. Ce passage semblerait donner raison à :a leçon admise par M. Bonitz ; mais d'un aune côté, si Aristote avait déjà exprimé cette pensée, il n'aurait pu besoin de la répéter ici.
§ 18. Est celle-ci.
Qui n'est autre que la définition établie au début de ce chapitre. |
Définition du mot, Quantité : quantité entendue d'une manière générale ; le nombre, la grandeur ; longueur, largeur, profondeur ; quantités substantielles, quantités indirectes ; nuances et modifications de la quantité ; les quantités indirectes ne le sont que par les objets auxquels elles s'appliquent ; comment le mouvement et le temps sont des quantités. |
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Quantité. § 1. Quantité s'entend de tout ce qui est divisible dans les parties qui le composent, et dont les deux parties, ou chacune des parties forment naturellement une certaine unité et quelque chose d'individuel. § 2. La quantité est un nombre, quand elle se compte ; c'est une grandeur, quand elle [10] se mesure. On entend par nombre ce qui peut se diviser en parties non continues ; et par grandeur, ce qui est divisible en parties qui tiennent les unes aux autres. Quand la grandeur n'est continue qu'en un seul sens, on l'appelle longueur. Quand c'est en deux, on l'appelle largeur; et en trois, c'est profondeur. § 3. Entre ces différents termes, la pluralité qui est délimitée et finie, c'est le nombre ; la longueur, c'est la ligne ; la largeur, c'est la surface ; la profondeur, c'est le corps. § 4. De plus, [5] il y a des quantités qui sont ainsi dénommées en soi et par elles-mêmes ; d'autres, qui ne le sont qu'indirectement. Ainsi, la ligne est en soi une quantité ; l'instruction ne peut être une quantité qu'indirectement. § 5. Parmi les quantités en soi, les unes sont des quantités par leur substance propre. Ainsi, la ligne est par sa propre substance une quantité ; car dans la définition [19] qui explique ce qu'est la ligne, on fait entrer l'idée de quantité. Les autres espèces de quantités en soi ne sont que les modifications et les qualités de la substance de ce genre : par exemple, le beaucoup et le peu, le long et le court, le large et l'étroit, le haut et le bas, le lourd et le léger, et toutes les nuances de cette sorte. § 6. Le grand et le petit, le majeur et le moindre, qu'on les prenne, soit en eux-mêmes soit dans leurs rapports réciproques, [25] sont des modifications essentielles de la quantité, bien que d'ailleurs ces mots puissent, par métaphore, s'appliquer aussi à d'autres choses que la quantité. Quant aux quantités qui ne sont appelées ainsi qu'indirectement , les unes reçoivent ce nom comme l'instruction, dont on parlait plus haut, et qui n'est une quantité, ainsi que la blancheur peut l'être, que parce que l'objet où elles sont est lui-même une quantité. § 8. D'autres, au contraire, sont des quantités comme le mouvement et le temps. En effet, le temps et le mouvement sont des quantités d'un certain genre et sont des continus, par cela même que ce dont ils sont les affections est divisible. Et l'idée de division s'applique, non pas au corps qui est mis en mouvement, mais à l'espace parcouru ; car c'est parce que cet espace est une quantité que le mouvement en est une; et le temps est une quantité, parce que le mouvement en est une aussi. |
Quantité. La notion de Quantité a été étudiée, de nouveau plus loin, liv. X, ch. I, §§ 9 et suiv. ; mais c'est surtout dans les Catégories, ch. VI, p. 72 de ma traduction, que l'analyse a été approfondie. M. Bonitz ne se trompe pas en mettant ces autres études fort au-dessus de celle du présent chapitre. § 1. Les deux parties. Les commentateurs, à commencer par Alexandre d'Aphrodise, n'expliquent pas ces mots, sans doute parce qu'ils les trouvent fort clairs ; je crois cependant qu'une explication précise aurait été fort utile. Ceci revient à dire sans doute : « Dans les parties qui le composent, soit que ces parties ne soient que deux, soit qu'elles soient davantage ».
§ 2. En parties non
continues. C'est ce que nous appelons : « la quantité discrète ». —
En parties qui tiennent les unes aux autres.
§ 3. Délimitée et finie.
En d'autres termes : « Discrète ». — La largeur, c'est la
surface. Le § 4. L'instruction ne peut dire une quantité qu'indirectement. En ce sens qu'on peut être plus ou moins instruit. § 5. Par leur substance propre, ou « par leur essence ». — Le haut et le bas. Ce sont plutôt encore des positions que des quantités ; mais il faut entendre le Haut dans le sens d'Élevé, et le Bas dans le sens d'Abaissé. § 6. Le majeur. Et plus clairement : « le plus grand ». — Le moindre. Le plus petit. La correspondance des mots n'est pas aussi complète en notre langue que dans la langue grecque. § 7. Qui ne sont appelées ainsi qu'indirectement. Voir plus haut, § 4. — Est lui-même une quantité. Ceci ne semble pas s'appliquer très bien à. l'idée d'Instruction. Pour la blancheur, la théorie est juste ; mais, pour l'être qui est instruit, il n'est pas instruit en proportion de ses dimensions. Voir les Catégories, ch. VI, § 17, page 76. § 8. Comme le mouvement et le temps. C'est surtout dans les Catégories, ch. VI, §§ 8 et 9, page 74; et dans la Physique, liv. IV, ch. XIV, p. 224, et le liv. V, p. 273, qu'il faut lire l'analyse du temps et du mouvement, considérés l'un et l'autre comme des quantités. |
Définition du mot Qualité : la qualité est d'abord la différence qui caractérise substantiellement un être ; idée de la qualité dans les êtres immobiles, et spécialement dans les nombres ; nombres simples, nombres multiples ; second sens du mot Qualité appli¬qué aux êtres qui changent et se modifient ; rôle du bien et du mal, déterminant surtout les qualités dans les êtres animés, et doués de libre arbitre. |
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§ 2. [1020b] En un autre sens, le mot de Qualité s'applique aux êtres immobiles, aux êtres mathématiques ; et c'est de cette façon que les nombres peuvent avoir certaine Qualité. Tels sont, par exemple, les nombres multiples, ceux qui ne sont pas pris une seule et unique fois, mais qui ont [5] quelque chose de la surface et du solide, comme sont les nombres multipliés une fois, ou deux fois, par eux-mêmes. La Qualité représente, en ce sens, ce qui subsiste dans l'essence du nombre après la quantité; car l'essence de chaque nombre, c'est de n'être pris qu'une seule fois en lui-même. Soit, si l'on veut, le nombre six ; son essence n'est pas d'être pris deux fois , trois fois ; mais c'est d'être pris une seule fois; six est une seule et unique fois six. § 4. On entend, en un second sens, par Qualités les modifications des substances mises en mouvement : je veux dire, la chaleur, le froid, [10] la blancheur, la noirceur, la légèreté et la pesanteur, et toutes ces variations qui font qu'on peut dire des corps, qui changent, qu'ils deviennent autres qu'ils n'étaient. La Qualité s'entend encore de la vertu et du vice, et, d'une manière plus générale, du bien et du mal. § 5. Voilà donc, on peut dire, deux sens du mot Qualité ; et l'un de ces sens est le principal : la Qualité, dans son acception primordiale, est la différence de la substance. La Qualité, dans les nombres, fait partie aussi de la qualité ainsi entendue; car là encore, c'est une sorte de différence des substances; seulement, ce sont des substances qui ne se meuvent pas, ou qui du moins sont considérées en tant qu'elles ne sont pas mues. § 6. Dans le second sens, le mot de Qualité exprime les modifications des choses qui se meuvent, en tant qu'elles se meuvent, et aussi, les différences des mouvements. § 7. La vertu et le vice peuvent également être rangés parmi les modifications de ce genre; car le vice et la vertu expriment des différences de [25] mouvement et d'action, qui indiquent que les êtres en mouvement font, ou souffrent, le bien ou le mal. En effet, ce qui peut être mû ou agir de telle manière est bon ; ce qui agit de telle autre façon, et d'une façon contraire, est mauvais. § 8. D'ailleurs, ce sont surtout le bien ou le mal qui déterminent la Qualité dans les êtres animés, et, parmi ces êtres, dans ceux-là principalement qui sont doués [25] de libre arbitre. |
Qualité. L'analyse de la no¬tion
de Qualité est beaucoup plus développée dans les Catégo¬ries qu'elle
ne l'est ici. La théo¬rie offre des deux parts des divergences assez
marquées , qu'Alexandre d'Aphrodise essaie de concilier. Voir les
Catégories, ch. viii, p. 92, et le commen § 3. En un second sens. Le texte n'est pas aussi formel; mais il me semble que c'est là le second sens principal du mot de Qualité ; après la qualité qui fait partie de la substance, vient la. qualité proprement dite, qui n'est qu'un mode de la substance individuelle. Voir un peu plus loin la fin du § 4. — Mises en mouvement. Ceci ne suppose pas un changement de lieu; mais c'est un mouvement qui se passe dans l'être lui-même, parce qu'il subit un certain changement intrinsèque. § 4. De la vertu et du vice. Ce sont les qualités morales opposées aux qualités matérielles. Cette étude spéciale est bien plus approfondie dans les Catégories, loc. cit. 5. De la qualité ainsi entendue. Le texte est moins précis ; voir plus haut, § 2. - Des substances qui ne se meuvent pas. C'est sous ce point de vue qu'Aristote a toujours considéré les nombres. § 6. Dans le second sens. Ce § est en partie une répétition du § 3. Ce sont des négligences de copistes, ou de l'auteur. § 7. Des modifications de ce genre. C'est-à-dire « des modifications de choses en mouvement ». La vertu et le vice sont des changements moraux qui forment bien aussi une sorte de mouvement. § 8. De libre arbitre. Le texte dit précisément : la « Préférence » ; voir la Morale à Nicomaque, liv. III, ch. III, p. 13 de ma traduction. Notre langue n'a pas de mot qui corresponde directement à celui dont se sert Aristote, et qui exprime une préférence réfléchie. |
Définition du mot Relatif : relatifs sous le rapport de la quantité, comme les multiples et les sous-multiples ; relatifs sous le rapport de l'action et de la souffrance ; relatifs numériques, déterminés ou indéterminés ; relatifs de puissance ; relatifs de réalité et d'action ; relatifs de temps ; relatifs de privation ; il n'y a pas de réciprocité entre les relatifs ; un terme est relatif à un autre, sans que cet autre lui soit relatif à son tour ; relatifs en soi ; relatifs par dérivation du genre ; relatifs indirects. |
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Relation. § 1. Par Relatifs, on entend, par exemple, le double et la moitié, le triple et le tiers, et, d'une manière générale, le multiple et le multiplié, le surpassant et le surpassé. § 2. Ce sont encoré des Relatifs que le corps qui échauffe et le corps échauffé, le corps qui coupe et le corps qui [30] est coupé, en un mot, ce qui agit et ce qui souffre l'action. § 3. Ce sont enfin des Relatifs que l'objet mesuré et la mesure, l'objet qui est su et la science qui le sait, l'objet qui est senti et la sensation qui le perçoit. § 4. Les premiers Relatifs, énoncés plus haut, sont des Relatifs numériques, entendus soit d'une façon absolue , soit d'une façon déterminée dans les rapports des nombres entre eux, ou par rapport à une certaine unité. Ainsi, le nombre Deux rapporté à Un est un nombre défini; mais le multiple, [35] s'il se rapporte encore numériquement à une unité, ne se rapporte plus à un nombre défini, comme serait tel ou tel nombre spécifié. [1021a] La relation de la moitié en sus à la moitié en moins, numériquement exprimée, s'applique à un nombre défini ; mais, quand on parle d'une partie en sus relativement à une partie en moins, c'est tout aussi indéterminé que le double relativement à l'unité , ou que le surpassant l'est relativement au surpassé ; car le nombre est commensurable, [5] tandis que ces rapports ne se fondent pas sur un nombre commensurable. Le surpassant est d'abord le surpassé ; puis, il est quelque chose de plus; et ce quelque chose d'excédant est absolument indéterminé, puisque, selon le hasard des cas, ce quelque chose peut être égal, ou peut n'être pas égal, au nombre surpassé. § 5. Ainsi donc, tous ces Relatifs, dans leur expression verbale, se rapportent au nombre et à ses modifications possibles. L'Égal, le Pareil, [10] l'Identique, sont bien encore des Relatifs, quoique la nuance en soit autre, puisque tous ces termes se rapportent aussi à une unité. Ainsi, on appelle Identiques les êtres dont la substance est une et même substance ; on appelle Pareils, ceux qui ont une même qualité ; de même qu'on appelle Égaux ceux qui ont une même quantité. Or, c'est l'unité qui est le principe et la mesure du nombre, de telle sorte que tous ces termes sont aussi des Relatifs numériques, sans que ce soit d'ailleurs au même point de vue. § 6. Quant à tout ce qui produit [15] une action et à tout ce qui en souffre une, ce sont encore là des Relatifs, qui se rapportent à la puissance de faire et de souffrir, et à toutes les manifestations de ces puissances. Telle est, par exemple, la relation de ce qui peut échauffer à ce qui peut être échauffé, parce qu'il y a là une certaine puissance. Telle est aussi la relation de ce qui échauffe actuellement à ce qui est actuellement échauffé ; de ce qui coupe à ce qui est actuellement coupé, parce qu'il y a là une réalité effective et actuelle. § 7. Pour les Relatifs numériques, il n'y a rien d'actuel, [20] si ce n'est au sens que nous avons dit ailleurs ; mais il n'y a point pour eux d'actes, ni de réalités de mouvement. § 8. Les Relatifs de puissance sont aussi des Relatifs de temps. Par exemple, ce qui a fait est relatif à ce qui a été fait, ce qui fera est relatif à ce qui sera fait. C'est encore à ce point de vue du temps que le père est appelé père relativement à son fils; car, d'un côté, il y a ce qui a fait, et, de l'autre, ce qui a été fait et [25] a souffert l'action. § 9. D'autres Relatifs, au contraire, le sont par la privation de la. puissance; Par exemple, l'Impossibilité est un Relatif de ce genre, ainsi que toutes les choses exprimées sous la même forme ; et, par exemple, l'invisible est ce qui n'a pas la puissance d'être vu. § 10. Tous les Relatifs de nombre et de puissance sont constamment Relatifs en ce sens que ce qu'ils sont essentiellement est dit d'une autre chose, et non pas, parce que réciproquement cette autre chose peut leur être appliquée. Par exemple, ce qui est mesuré, ce qui est su, ce qui est [30] intelligible, sont appelés des Relatifs, parce que c'est une autre chose qui est mise en rapport avec eux. Ainsi, le mot d'Intelligible signifie qu'il y a intelligence de la chose à laquelle ce mot s'applique. Mais l'intelligence n'est pas un Relatif de la chose dont elle est l'intelligence ; car ce serait répéter deux fois la même chose. De même encore, la vue est la vue de quelque chose ; mais ce n'est pas de ce dont elle est la vue. Il est exact cependant de dire que la vue est un Relatif ; mais c'est par rapport à la couleur, ou à telle autre chose de ce genre. Autrement et de l'autre façon, on ne ferait que se répéter, en disant que la vue est la vue de l'objet dont elle est la vue. § 11. [1021b] Les Relatifs qui sont des relatifs par eux-mêmes, le sont donc de la manière qu'on vient de dire, et aussi, [5] quand les genres auxquels ils appartiennent sont également des relatifs. Par exemple, on dit de la médecine qu'elle est un Relatif, parce que le genre auquel elle appartient, à savoir la science, est aussi un relatif. § 12. On appelle encore Relatifs tous les objets qui font que les choses qui les ont sont aussi nommées des Relatifs. Ainsi, l'égalité est un Relatif, parce que l'Égal en est un ; la ressemblance en est un, parce que le semblable est un Relatif, au même titre. § 13. Il y a enfin des Relatifs purement indirects ; et c'est ainsi que l'homme peut être appelé un Relatif, parce qu'accidentellement il peut être considéré comme double, et que le double est un Relatif; [10] ou bien encore, le blanc peut être pris comme Relatif, quand le même objet est, accidentellement et tout à la fois, double et blanc. |
Relation. Voir, sur la notion de Relation, les Catégories, ch. VII, p. 81 et suivantes de ma traduction. La théorie de la Relation est une des plus étendues et des plus approfondies des Catégories. Plus loin, dans le livre X de la Métaphysique, ch. VI, Aristote revient à diverses reprises sur la notion de Relation, et aussi liv. XII, ch. 1. § 1. Par exemple, le double et la moitié. Ce sont des Relatifs numériques, première espèce de Relatifs. — Le multiple et le multiplié. Les termes ne sont pas aussi bien choisis que je l'aurais voulu ; mais notre langue ne m'a pas offert d'équivalents plus exacts. § 2. Le corps qui échauffe et le corps échauffé. Ce sont des Relatifs d'action et de passion, seconde espèce de Relatifs. Ces exemples pourraient être mieux choisis. § 3. L'objet mesuré et la mesure. Troisième espèce de Relatifs. Plus loin, liv. X, ch. VI, § 7, Aristote ne reconnaît que deux espèces. § 4. Énoncés plus haut. Le texte n'est pas aussi précis. — D'une raton absolue. Il serait plus exact de dire : « d'une façon indéterminée » ; mais j'ai dû reproduire l'expression dont l'auteur se sert, et qui peut d'ailleurs être comprise dans le même sens. — Dans les rapports des nombres entre eux. C'est-à-dire que ce sont des nombres discrets, et, non pas des expressions numériques et générales, qui sont nécessairement vagues. — Le multiple. En s'en tenant simplement à la locution verbale et toute indéterminée; car le multiple d'un nombre défini serait défini lui-même. — Spécifié. J'ai ajouté ce mot pour plus de clarté. — De la moitié en sus. C'est-à-dire, par exemple, le rapport de trois à deux. — Car le nombre. Celui qui est le rapport de trois à deux, et qui vient d'être indiqué. — Ces rapports. C'est-à-dire : « une partie relativement à une partie» et « le double relativement à l'unité » ou le surpassant relativement au surpassé , dont il vient d'être parlé. — Au nombre surpposé. J'ai ajouté ces mots qui éclaircissent la pensée, et qui me semblent ressortir du texte. Ils sont indispensables. § 5. L'Égal, le Pareil, l'Identique. L'Égal est l'égal de quelque chose: le Pareil est pareil à quelque chose ; l'Identique est identique à quelque chose ; et comme, dans ces trois cas, il y a réciprocité, tous ces termes sont des Relatifs. § 6. Ce qui produit une action... ce qui en souffre une. Ce sont les Relatifs d'action et de passion, c'est-à-dire que, quand une première chose agit sur une autre, il faut nécessairement qu'il y ait une passion correspondante à cette action. La passion et l'action peuvent être d'ailleurs à l'état de simple puissance, ou à l'état de réalités actuelles. § 7. Que nous avons dit ailleurs. Il serait difficile de savoir à quel ouvrage d'Aristote ce passage fait allusion. M. Schwegler croit qu'il s'agit de ses ouvrages perdus sur les Pythagoriciens ; et il appuie cette conjecture sur une remarque d'Asclépius, page 719, a, 28, édition de Berlin. Alexandre d'Aphrodise ne se prononce pas sur ce point ; mais il pense que la seule actualité que puissent avoir les nombres, c'est la conception actuelle que s'en forme l'esprit, au moment où il les conçoit, Mais, entre la pensée et l'objet pensé, il n'y a aucune réalité de mouvement, comme il est dit un peu plus bas. § 8. A ce point de vue du temps. Le texte n'est pas aussi précis. — Le père est appelé père. Ceci revient. à dire que la relation de père à fils tient essentiellement au passé; pour qu'il existe une relation de ce genre, il faut que le père ait fait le fils, et que le fils ait été fait par le père. Cet exemple, d'ailleurs, paraît ici assez bizarre. § 9. Par la privation de la puissance. Ces idées ne semblent pas se suivre très régulièrement. - Sur l'Impossible, voir plus haut, ch. XII, § 13. § 10. Les Relatifs de nombre et de puissance. Voir plus haut, §§ 3, 4 et 6. — Cette autre chose peut leur être appliquée. L'exemple qui suit fait comprendre assez clairement ce passage. — Ce qui est mesuré, ce qui est su. Ce sont des Relatifs de puissance, c'est-à-dire que l'objet peut titre relatif sans l'être essentiellement. L'objet qui peut être su n'est un relatif que quand il est su; l'objet mesuré, que quand il est mesuré, etc. - Une autre chose qui est mise en rapport avec eux. L'objet qui peut être su ne devient relatif que quand l'intelligence, qui peut le savoir, est mise en rapport avec lui. — A laquelle ce mot s'applique. J'ai ajouté ces mots. — Un Relatif de la chose dont elle est l'intelligence. Il est clair qu'il n'y a pas réciprocité de relation entre l'intelligence qui conçoit et l'objet conçu par elle. Tout au plus pourrait-on dire qu'il y a relation de l'intelligence â l'intelligible. Au contraire, il y a réciprocité de relation entre le père et le fils, entre le triple et le tiers, etc. — Ce serait répéter deux fois la même chose. Il faudrait par conséquent : « L'intelligence est l'intelligence de telle chose » ; mais l'intelligence appartient exclusivement à l'être intelligent, et non pas à l'objet intelligible, tandis que le père appartient au fils, aussi bien que le fils appartient au père réciproquement. § 11. On dit de la médecine qu'elle est un Relatif. On aurait pu choisir un exemple plus frappant que celui-là. § 12. Parce que l'Égal en est un. Voir plus haut, § 5.
§ 13. L'homme peut être
appelé un Relatif. Cet exemple a encore quelque chose d'étrange.
— Le blanc peut être pris comme Relatif. L'homme étant à la
fois blanc et double, on peut dire que le blanc est un relatif comme
le double, parce que l'homme blanc peut être double en même temps. —
On doit trouver que, dans tous ces détails, la subtilité est poussée
bien loin. |
Définition du mot Parfait : parfait représente toujours quelque chose de complet, à quoi rien ne manque ; perfection de temps ; perfection de mérite ; emploi métaphorique de ce mot appliqué au mal, quand le mal est complet ; perfection relative à la fin des choses et à leur pourquoi ; la mort et la fin des choses ; perfection essentielle ; perfection dérivée. |
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Parfait. § 1. Parfait se dit d'une chose en dehors de laquelle il n'est plus possible de rien trouver qui lui appartienne, fût-ce même la moindre parcelle. Ainsi, pour une chose, quelle qu'elle soit, le temps qu'elle doit durer est Parfait, quand, en dehors de ce temps régulier, il n'est pas possible de saisir un temps quelconque qui soit une partie de celui qu'elle doit avoir. § 2. Parfait se rapporte encore au [15] mérite et au bien, qui ne peut plus être surpassé dans un genre donné. C'est ainsi qu'on dit d'un médecin qu'il est Parfait, ou d'un joueur de flûte qu'il est Parfait, quand rien ne leur manque du mérite qui leur est spécialement propre. § 3. Par métaphore inverse, on applique le mot de Parfait même à ce qui est mal, et l'on dit : « Voilà un Parfait sycophante ; Voilà un Parfait voleur, » tout aussi bien que parfois on dit de pareilles gens qu'on les trouve excellemment bons : « C'est un excellent sycophante; [20] c'est un excellent voleur. » § 4. La vertu est aussi une sorte de perfectionnement; car pour toute chose, pour toute substance, on la dit Parfaite, lorsque, dans le genre de vertu qui lui convient, il ne lui manque rien de ce qui doit en constituer l'étendue naturelle. § 5. On appelle encore [25] Parfaites les choses qui parfont et atteignent une bonne fin ; car elles sont Parfaites, par cela seul qu'elles parfont cette fin. Une conséquence de ceci, c'est que, la fin des choses étant une extrême et dernière limite, on transporte métaphoriquement le mot de Parfait aux choses les plus mauvaises, et que l'on dit d'une chose qu'elle est Parfaitement perdue, qu'elle est Parfaitement détruite, quand il ne manque plus rien à la ruine et au mal, et qu'on est absolument au bout. C'est ainsi qu'en parlant de la mort, on dit, la fin dernière, parce que la fin des choses et la mort sont l'une et l'autre des extrêmes, de même que la fin et le pourquoi des choses sont [30] des extrêmes également. § 6. En résumé, les choses dites Parfaites essentiellement et en soi, sont ainsi dénommées selon les différents sens qu'on vient de voir : les unes, parce que, en fait de bien, rien ne leur manque, et qu'elles n'ont en bien, ni aucun excès, ni aucun défaut ; les autres, [33] parce que, d'une manière générale, elles ne peuvent être surpassées en leur genre, et qu'il n'y a plus rien à demander en dehors de ce qu'elles sont. § 7. [1022a] Quant aux autres choses qu'on appelle Parfaites, c'est par rapport à celles-là qu'on les nomme ainsi, soit parce qu'elles sont, ou qu'elles présentent, quelque chose d'analogue au Parfait, soit parce qu'elles s'accordent avec elles, soit parce qu'elles soutiennent tel ou tel autre rapport avec les choses qui sont primitivement appelées Parfaites. |
§ 1. En dehors de laquelle. Alexandre d'Aphrodise donne une définition plus simple en disant : « Parfait signifie d'abord qu'aucune des parties de la chose ne lui manque ». C'est une première espèce de Parfait. § 2. Au mérite et au bien. Cette analyse est très exacte ; c'est une nuance morale, et une seconde espèce de parfait. La distinction est juste et délicate. § 3. Par métaphore inverse. Le texte n'est pas tout à fait aussi formel. — Même à ce qui est mal. Notre langue a ces nuances aussi bien que la langue grecque. § 4. Perfectionnement. J'ai voulu rendre par ce mot la nuance spéciale du mot grec. — L'étendue naturelle. Le texte dit précisément : « la grandeur »; et cette expression semble avoir choqué aussi M. Schwegler, qui fait remarquer que le mot de « Grandeur » ne peut être pris ici dans son acception ordinaire. § 5. Qui parfont. J'ai voulu, en prenant ce mot peu usité, me rapprocher le plus possible du mot Parfait. En grec, c'est le mot de « fin » qui est en rapport étymologique avec le mot Parfait. — Aux choses les plus mauvaises. Ceci est, en partie du moins, une répétition de ce qui vient d'être dit au § 3. — En parlant de la mort. Le mot grec qui correspond à celui de Mort peut aussi avoir simplement le sens de Fin; mais je crois qu'il s'agit ici spécialement de la fin de la vie. Il semble que ce soit également l'avis de M. Bonitz. — La fin et le pourquoi. C'est la traduction exacte du texte. § 6. D'une manière générale. Sans considérer si la notion de Parfait s'applique à quelque chose de bien, ou à quelque chose de mal. — En dehors de ce qu'elles sont. C'est la répétition de ce qui a été dit plus haut, § 1. § 7. Quant aux autres choses. Qui ne sont parfaites qu'indirectement. et qui ne le sont pas par elles seules. Aristote aurait pu citer quelques-unes de ces choses. - Primitivement. Dans l'acception essentielle et première du mot. -Terme. J'ai préféré ce mot à ceux de Limite ou de Borne, qui auraient pu rendre aussi le sens du mot grec. |
Définition du mot Terme ; double sens du mot Terme ; il peut être aussi bien le point de départ que le point d'arrivée ; le Terme se confond avec le pourquoi et le but final ; rapports et différences du Terme et du Principe. |
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Terme. § 1. Le Terme d'une chose quelconque, c'est son point extrême, en dehors duquel il n'y a plus [5] rien à prendre du primitif, et en deçà duquel se trouve tout l'essentiel. § 2. Le Terme est aussi la forme limitée d'une grandeur, ou de ce qui a une grandeur quelconque. C'est enfin le but de chaque chose; et par là, j'entends le point où aboutit le mouvement et l'action, par opposition au point d'où il part. § 3. Parfois cependant, le mot de Terme a les deux significations, et il exprime tout ensemble, et le point de départ et le point d'arrivée, le pourquoi ou le but final de la chose, sa substance, et ce qui la fait être essentiellement ce qu'elle est. C'est là, en effet, le Terme et le but [10] de la connaissance ; et si c'est le Terme de la connaissance, ce doit être aussi le Terme de la chose. Ainsi évidemment, toutes les significations que peut avoir le mot de Principe, le mot de Terme les a en nombre égal. § 4. On peut même dire qu'il en a davantage; car le principe est une sorte de Terme, tandis qu'un Terme n'est pas toujours un Principe. |
§ 1. Εn deçà. Le texte dit précisément : « En dehors ». On peut trouver que cette définition est un peu générale et un peu vague. § 2. La forme limitée. J'ai ajouté ce dernier mot. — De ce qui a une grandeur quelconque. La forme, en effet, est la limitation de l'objet, ou de l'être, quel qu'il soit ; elle le circonscrit, et elle le fait distinguer de tout le reste. — Le but. Dans la langue grecque, le même mot exprime le But et le Terme. Dans notre langue, les deux mots sont séparés par une assez forte nuance. § 3. Parfois cependant. On pourrait croire que tout ce § est une glose ajoutée par quelque scholiaste. — De la connaissance. Le mot est un peu vague; je n'ai pas cru devoir préciser davantage ma traduction, parce qu'il aurait fallu une longue périphrase. § 4. Qu'il en a davantage. M. Bonitz remarque avec raison que ceci n'est pas très exact ; et que c'est en contradiction avec le chapitre Ier de ce livre, où les acceptions du mot Principe sont plus nombreuses que ne le sont ici celles du mot Terme. C'est encore une négligence. |
Définition de l'expression de En soi; elle signifie d'abord la forme et l'essence des choses ; puis, leur matière et leur sujet; rapports de l'idée de En soi et de l'idée de Cause; application de cette expression à la position et au lieu ; application aux éléments essentiels de la définition ; application au primitif du genre, et à ce qui n'a pas d'autre cause que soi. |
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En soi. § 1. L'expression de En soi peut avoir plusieurs acceptions diverses. Un premier sens, [15] 'est la forme et la substance essentielle de chaque chose : Bon En soi, par exemple le bien En soi. § 2. En un autre sens, En soi désigne le primitif ou une chose se trouve naturellement : la couleur, par exemple, est dans un primitif, qui est la surface des corps. § 3. Ainsi, la chose à laquelle s'applique primordialement l'expression de En soi, c'est la forme ou l'espèce; puis, en second lieu, En soi, signifie la matière et le sujet primordial de chaque chose. § 4. L'expression de En soi a d'ailleurs autant de nuances que celle [20] de Cause pourrait en avoir. Ainsi, quand on parle de l'objet En soi pour lequel telle personne est venue, cela signifie la cause qui l'a fait venir. Le sujet En soi sur lequel telle personne a eu tort ou a eu raison, dans une discussion, est la cause qui a rendu son raisonnement faux ou victorieux. § 5. En soi peut s'appliquer encore à la position qu'on a prise, et l'on dit : En tant qu'il se tient debout, En tant qu'il marche, pour indiquer, dans toutes ces expressions, la situation et le lieu qu'on occupe essentiellement. § 6. Par conséquent, [25] l'expression de En soi se prend nécessairement en des acceptions diverses. En soi exprime d'abord pour chaque chose ce qu'elle est essentiellement : par exemple, Callias est Callias En soi, c'est-à-dire il est ce qu'est essentiellement Callias. § 7. En second lieu, En soi exprime tout ce qui entre dans l'essence d'un être. Ainsi, Callias est En soi un être animé; car la notion d'animal entre dans la définition de Callias, puisqu'il est un animal d'une certaine espèce, un être animé. § 8. [30] En soi s'entend encore de ce qui se trouve primitivement dans l'objet, ou dans une de ses parties. Par exemple, la surface est blanche En soi; l'homme est En soi un animal, un être vivant, puisque l'âme est une partie de l'homme, et que c'est en elle que se trouve primitivement la vie dont il est animé. § 9. On entend encore par l'expression En soi ce dont une autre chose n'est pas cause. L'homme peut avoir, si l'on veut, bien des causes, l'animal, le bipède, etc. ; mais néanmoins l'homme En soi [35] est homme. § 10. Enfin, on appelle En soi tout ce qui appartient à l'être seul, et en tant que lui seul possède la qualité en question. C'est en ce sens que tout ce qui est séparé est dit être En soi. |
§ 1. En soi. L'expression grecque que je traduis ici ne correspond pas, du moins dans la forme, à celle que je suis obligé de prendre dans notre langue. Cette difficulté n'est pas spéciale à la langue française, et les autres l'éprouvent tout comme elle. Aussi, bien des traducteurs se sont bornés à reproduire simplement la formule sous sa forme grecque, sans même essayer de l'interpréter. Je crois que les mots « En soi », que j'ai adoptés, sont encore les plus convenables, comme reproduisant le mieux la pensée de l'auteur. On pourrait peut-être aussi traduire par : « En tant que ». — Bon En soi. Ou « Bon En tant que bons. § 2. Le primitif. L'exemple qui suit explique clairement ce qu'on doit entendre par là. La couleur est dans la surface premièrement; et ce n'est qu'en second lieu qu'elle est dans le corps. La surface est donc le lieu primitif de la couleur. Il ne faut pas, d'ailleurs, attacher à ces analyses logiques et physiques grande importance. § 3. La forme ou l'espèce. J'ai dû mettre cette alternative dans ma traduction, parce que le mot grec a ces deux sens, qui sont ici l'un et l'autre également acceptables. Notre langue n'a pas pour ceci de mot spécial. § 4. Autant de nuances que celle de Cause. Voir plus haut, ch. II. — De l'objet En soi. J'ai dû prendre cette formule un peu bizarre pour continuer celles qui ont figuré dans les §§ précédents. — Le sujet En soi. Même remarque. Cette formule pourrait être rendue clairement par cette traduction : « De l'objet « essentiel pour lequel, etc. »; « le sujet essentiel sur lequel, « etc., etc. » L'autre traduction est plus concise. § 5. Peut s'appliquer encore à la position. Cette application de la formule de En soi peut sembler assez étrange. § 6 Ce qu'elle est essentiellement. C'est, sous une autre forme, une répétition du § 1. § 7. Tout ce qui entre dans l'essence. C'est-à-dire, tous les attributs Oui font partie de la définition essentielle de l'être. — Un être animé. Paraphrase du mot qui précède. § 8. De ce qui se trouve primitivement. L'exemple de la couleur éclaircit ce qu'il faut entendre par là. « La surface est blanche en soi », parce que la surface est le primitif de la couleur, comme on l'a vu au § 2. — L'âme est une partie de l'homme. C'est à peine si ce langage est correct dans le système du Péripatétisme lui-même. L'âme étant l'Entéléchie du corps, l'achèvement du corps, elle est essentiellement l'homme, et il semble bien qu'elle en serait le tout plutôt que la partie. Aristote veut dire que l'homme étant composé d'un corps et d'une âme, on peut considérer l'âme comme une simple partie de cette totalité qui s'appelle Homme. § 9. Bien des causes, l'animal, le bipède. J'ai dû reproduire fidèlement l'expression grecque; mais il n'est peut-être pas fort exact de dire que l'animal, le bipède, sont des causes de l'homme. Ce sont des genres auxquels il appartient, et qui sont plus ou moins étendus, les uns par rapport aux autres. - L'homme En soi est homme. C'est presque une tautologie.
§ 10. Seul possède la qualité en question. Le texte n'est pas aussi formel. —
Séparé est dit dire En soi. Séparé et En soi sont presque des expressions identiques
dans la langue d'Aristote. |
Définition du mot Disposition. |
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Disposition. § 1. [1022b] On appelle Disposition, dans une chose qui a des parties, l'ordre qu'elles présentent, soit relativement au lieu, soit relativement à la puissance, soit relativement à l'espèce.
§ 2. C'est
qu'il y a là une sorte de position, comme le mot
même de Disposition le fait assez entendre. |
§ 1. Disposition. Notre langue n'offre pas d'équivalent meilleur, et j'ai dû me contenter de celui-là. — Relativement à la puissance. Je crois que le mot de puissance a ici sa signification métaphysique; en puissance, un être peut être disposé à agir de telle ou telle façon. — Soit relativement à l'espèce. C'est-à-dire simplement que la chose ou l'être a telle ou telle forme ; il faut se rappeler qu'en grec la forme et l'espèce sont rendues par le même mot. Voir dans le chapitre précédent, § 3. § 2. Position... Disposition. Ce rapprochement de mots a lieu dans notre langue aussi bien que dans la langue grecque. — On peut trouver que cette analyse de la Disposition est bien écourtée. Elle n'était peut-être pas très nécessaire ; mais, du moment qu'on la donnait, il fallait la développer davantage. |
Définition du mot Possession ou État : premier sens dans lequel ce mot peut être pris; second sens de ce mot, qui se confond presque entièrement avec celui de Disposition ; une simple partie de la chose suffit pour la caractériser de cette façon. |
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§ 2. Il est évident, d'ailleurs, qu'on ne peut pas posséder cette Possession; car alors la série irait à l'infini, si l'on pouvait dire qu'on possède la Possession de ce qui est possédé. § 3. En un autre sens, Possession peut signifier la disposition d'après laquelle on dit d'un être, qu'il est en bon ou mauvais état, soit en lui-même, soit par rapport à une autre chose. C'est en ce sens que la santé est une Possession d'un certain genre ; car elle est une disposition toute spéciale. § 4. Pour employer ce mot de Possession, il suffit même qu'il y ait une partie seulement de la chose qui ait cette disposition; et voilà comment le mérite de simples parties constitue. une certaine Possession pour la chose entière. |
§ i. Possession. Le mot de Possession est encore moins satisfaisant que celui de Disposition, au chapitre précédent. Voir les Catégories, ch. VIII, §§ 3 et suiv., p. 95, et ch. X, § pp. 113 et suiv. de ma traduction. — D'acte réciproque. J'ai ajouté l'épithète, que justifie ce qui suit. Le mot d'Acte est pris ici au sens métaphysique de Réalité. — Un phénomène intérieur. C'est le sens exact, je crois, du mot grec par opposition au mouvement, qui est plutôt extérieur. — L'action qui fait la chose. Ceci peut sembler bien subtil. — Porte ou possède. Il n'y a que le dernier mot dans le texte. — Possédé ou porté.... du port et de la Possession. Même remarque. § 2. Il est évident d'ailleurs. La réflexion est juste ; mais on ne voit pas trop pourquoi elle est placée ici. Ce § entier est peut-être la glose d'un scholiaste. § 3. La disposition. C'est le sens où le mot de Possession est plus particulièrement pris dans les Catégories, ch. XV, p. 130 de ma traduction. — Une Possession. Ou « un état, » ou « une manière d'être ». § 4. Le mérite de simples parties. Il eût été bon de donner des exemples. |
Définition du mot Passion ; en un premier sens, c'est la qualité ; en un autre sens, c'est la réalisation des qualités, surtout des mauvaises ; passion peut avoir aussi le sens de malheurs et de grandes peines. |
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Passion. § 1. [15] En un premier sens, Passion signifie la qualité qui fait dire d'un être qu'il peut devenir autre qu'il n'était. Ainsi, le blanc et le noir, le doux et l'amer, la pesanteur et la légèreté, et toutes les qualités analogues, sont des affections ou Passions des corps. § 2. En un autre sens, Passion signifie encore les actes mêmes de ces qualités, et les changements effectifs des unes aux autres. Parmi ces changements et mouvements divers, c'est surtout aux changements et aux mouvements mauvais que le mot de Passion s'applique, et [20] très particulièrement à tous ceux qui sont pénibles ou dangereux. § 3. Enfin, on applique ce mot de Passion , d'affection, de souffrance, aux plus grandes infortunes et aux plus grands chagrins. |
§ 1. Passion. Ce mot est pris aussi au sens métaphysique dans ce premier §; plus loin, il sera pris dans le sens vulgaire. Le mot grec a toujours la signification d'une souffrance plus ou moins douloureuse, plus ou moins dommageable; notre mot de Passif, si ce n'est celui de Passion, est pris dans une acception assez analogue. § 2. Les actes mêmes de ces qualités... les changements effectifs. C'est-à-dire, la réalité actuelle de ce qui n'était d'abord qu'une disposition et une tendance. — Pénibles ou dangereux. Le mot du texte comprend dans son étymologie propre la notion de Souffrance, nuance que le mot de Passion ne représente pas toujours en français, si ce n'est quand il s'agit de la Passion du Christ. § 3. D'affection, de souffrance. J'ai ajouté ces deux mots. Privation. Sur la Privation, voir les Catégories, ch. X, § 11, pp. 112 et suiv. de ma traduction. |
Définition du mot Privation ; premier sens, absence d'une qualité qui n'est pas naturelle ; second sens, absence d'une qualité de nature, relativement au temps, à la partie, à la condition, à la manière ; privation signifie aussi l'ablation des choses ; privations exprimées par des particules négatives ; privation confondue avec la petitesse de la chose, sa difficulté, ou sa mauvaise disposition ; sens vrai du mot Privation. |
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Privation. § 1. Le mot de Privation s'emploie, en un premier sens, pour dire d'une chose qu'elle n'a point les qualités qui lui seraient naturelles. Il y a aussi Privation, même quand la nature n'a pas voulu que l'être eût cette qualité; et c'est ainsi qu'on peut dire d'une plante qu'elle est privée de la vue. § 2. En un autre sens, Privation signifie que la chose n'a pas la qualité qu'elle devrait [25] avoir, soit qu'elle-même, ou au moins son genre, dût posséder cette qualité. Par exemple, on dit d'un homme aveugle qu'il est privé de la vue, tout autrement qu'on ne le dit de la taupe ; car, pour la taupe, c'est le genre qui est frappé de cette Privation ; pour l'homme, c'est l'individu pris en lui seul. § 3. On emploie le mot de Privation quand la chose n'a pas ce qui lui est naturel, au moment où elle devrait l'avoir. Ainsi, la cécité est bien une Privation de certain genre; mais on ne dit pas d'un être, quel que soit son âge, qu'il est aveugle ; on le dit seulement quand il n'a pas la vue à l'âge où il devrait l'avoir naturellement. § 4. [30] De même, on dit qu'il y a Privation quand l'être n'a pas la qualité que la nature lui attribue, soit dans le lieu, soit dans la relation, soit dans la condition, soit de la manière où la nature voudrait qu'il possédât cette qualité. § 5. L'ablation violente d'une chose quelconque s'appelle aussi Privation. § 6. Toutes les expressions de négation qui se forment par des particules privatives, composent autant de Privations correspondantes. Ainsi, on appelle inégal ce qui n'a pas l'égalité que naturellement il devrait avoir ; on appelle invisible [35] ce qui n'a pas du tout de couleur, ou ce qui n'a qu'une couleur insuffisante ; de même qu'on appelle apode, ou ce qui n'a pas du tout de pieds, ou ce qui n'en a que de mauvais. § 7. Parfois, la Privation, c'est de n'avoir la chose qu'en petite quantité; et c'est ainsi qu'on dit d'un fruit qu'il n'a pas de noyau, parce que son noyau est très petit; [1203a] ce qui revient à dire qu'à un égard quelconque la chose est défectueuse. § 8. Parfois encore, la Privation consiste en ce que la chose ne se fait pas aisément, ou en ce qu'elle se fait mal. Ainsi, l'on dit d'une chose qu'elle est indivisible, non pas seulement parce qu'elle n'est pas divisée, mais encore parce qu'elle ne peut pas l'être aisément, ou qu'elle l'est de travers. § 9. Parfois, la Privation veut dire que la chose n'a rien absolument de la qualité en question. Ainsi, on ne dit pas [5] d'un borgne qu'il est aveugle; mais on le dit de celui dont les deux yeux ont perdu la vue. Voilà encore comment tout le monde n'est pas bon ou méchant, juste ou injuste, mais que l'on a aussi des qualités moyennes. se fait mal. |
§ 1. D'une plante qu'elle est Privée de la vue. C'est une expression certainement fort singulière, si ce n'est absolument inusitée, en grec comme en français. § 2. Ou au moins son genre. Il est possible en effet que l'individu soit Privé quand son genre ne l'est pas ; mais la réciproque ne serait pas également vraie; et quand le genre est Privé, il est impossible, sauf une monstruosité, que l'individu ne le soit pas. — En lui seul. Le texte n'est pas tout à fait aussi précis. § 3. Au moment où elle devrait l'avoir. C'est alors une privation purement temporaire. — Quel que soit son âge. C'est ainsi que la plupart des jeunes animaux sont privés de la vue au moment où ils viennent au monde; ils ne sont pas aveugles pote cela ; seulement ils sont privés de la vue un certain temps. Ce ne serait que dans le cas où la vision n'aurait pas lieu pour eux au temps voulu par la nature, qu'on devrait dire qu'ils sont aveugles. § 4. Soit dans le lieu. On pourrait comprendre encore que le Lieu signifie ici la Partie. § 5. L'ablation violente. Il est facile d'imaginer une foule de cas de ce genre, ne serait-ce que le cas d'une blessure qui prive l'un membre. Seulement la privation est la conséquence de l'ablation; ce n'est pas l'ablation elle-même. § 6. Par des particules privatives. J'ai dû prendre une expression plus générale ; mais le texte, ne regardant que la langue grecque, dit précisément : « les négations qui se forment par l'A privatif. » Ceci n'aurait pas convenu à notre langue qui compose surtout ses privatifs par la préposition latine In. — Apode. Ce mot grec, composé comme Aristote vient de le dire, est passé dans notre langue scientifique. § 7. En petite quantité. Cette nuance de la privation rentre dans celle qui est indiquée au § précédent, en parlant « d'une couleur insuffisante » pour que l'acte de la vision puisse avoir lieu. § 8. Ne se fait pas aisément... Notre langue a, comme la langue grecque, ces nuances d'expression.
§ 9. La chose n'a rien
absolument. C'est le sens le plus ordinaire de la Privation. Sur la |
Définition du mot Avoir : d'abord l'idée d'Avoir peut se confondre avec l'idée d'action ; dans un second sens, Avoir signifie Servir de réceptacle ; Avoir signifie aussi la contenance ; Avoir dans le sens de soutenir, ou dans le sens de tenir en cohésion ; significations titi mot Être correspondantes à celles du mot Avoir. |
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Avoir. § 1. Avoir peut se prendre en plusieurs sens. Premièrement, cette expression peut signifier que la chose agit selon sa nature propre, ou selon son penchant. Ainsi, [10] l'on dit que la fièvre A son empreinte sur le visage de telle personne, que les tyrans ont la domination des cités, que les gens enveloppés d'un habit ont cet habit. § 2. Avoir s'applique aussi à la chose dans laquelle se trouve une autre chose, comme en son réceptacle. Ainsi, l'on dit que l'airain A la forme de la statue, et que le corps A la fièvre. § 3. En un autre sens, Avoir se dit du contenant où se trouvent les choses contenues; car, en parlant d'un objet contenu, on dit que le contenant [15] l'A dans sa contenance. Par exemple, nous disons que le vase A telle capacité de liquide, que la ville A tant d'habitants, et que le navire A tant de matelots; et c'est encore ainsi que le tout A telles et telles parties. § 4. On dit encore d'une chose, qui en empêche une autre de se mouvoir, ou d'agir selon sa tendance, qu'elle A telle influence sur cette seconde chose. Ainsi, l'on dit des colonnes qu'elles Ont la force de soutenir les masses énormes qu'elles supportent. C'est de même encore que les poètes imaginent [20] qu'Atlas A le poids du ciel sur les épaules, de peur sans doute que le ciel ne tombe sur la terre, comme se le figurent certains philosophes parmi ceux qui étudient la nature. § 5. C'est aussi de cette manière qu'on dit, de ce qui retient les choses, qu'il A la force de les retenir, comme si, sans cette force de cohésion, toutes les parties allaient se séparer les unes des autres, chacune selon son impulsion propre.
§
6. Il est d'ailleurs évident que l'expression
« Être dans quelque chose, », a des acceptions analogues et consécutives à celle du mot |
§ 1. Avoir. Sur le sens d'Avoir, il faut consulter les Catégories, ch. XV, p. 130 de ma traduction. Ce qui jette une certaine obscurité sur toutes ces théories, c'est que, dans la langue grecque, le mot qui signifie Avoir peut également signifier Être. Dans notre langue, il n'a pas ce double sens. — A son empreinte. J'ai dû prendre cette tournure pour rendre la nuance du texte qui dit simplement : « La fièvre A cet homme. » Nous dirions plutôt : « Cet homme A la fièvre », comme l'auteur lui-même le dit quelques lignes plus bas. § 2. L'airain A la forme de la statue. Parce que la statue est en effet dans l'airain, ou en airain. — Que le corps A la fièvre. Ce qui, dans notre langue du moins, est une expression plus naturelle que de dire que c'est « la fièvre qui A le corps ». § 3. Le vase A telle capacité... la ville A tant d'habitants. Toutes locutions qui sont également usitées et régulières en français, aussi bien qu'en grec. § 4. Qu'elle A telle influence. Ce sont là des nuances presque uniquement verbales. — Atlas A le poids du ciel. Voir la même pensée, Traité du Ciel, liv. II, ch. I, §4, p. 117 de ma traduction. — De peule sans doute. Il y a aussi dans le grec cette nuance d'ironie. — Qui étudient la nature. Ce sont les philosophes de l'École d'Ionie, dont Aristote a surtout exposé les théories matérialistes dans le Ier livre. § 5. Sans cette force de cohésion. Le texte n'est pas tout-à-fait aussi formel. § 6. Être dans quelque chose. Il eût été utile de donner quelques exemples à l'appui de cette assertion. Le sens du mot Avoir se confond souvent en grec avec celui du mot Être; mais notre langue ne nous offre pas cette commode analogie. |
CHAPITRE XXIV |
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Provenir. § 1. Provenir de quelque chose se dit, en un sens, d'une chose qui sort d'une autre, comme de sa matière ; et en ceci, il peut y avoir encore deux nuances du mot de Matière: l'une, où la matière est le genre primordial ; l'autre, où elle est l'espèce dernière. Mais exemple, on peut dire que tous les liquides ou fusibles Proviennent de l'eau, c'est la première nuance ; ou que la statue Provient de l'airain, c'est la seconde. § 2. En une autre signification, Provenir s'applique au [30] principe d'où est venu le mouvement initial. Par exemple: D'où est Provenue cette rixe ? D'une insulte ; car c'est l'insulte qui a été le point de départ de la rixe qui a eu lieu. § 3. Parfois, Provenir se rapporte au composé, à l'assemblage de la matière et de la forme. C'est ainsi qu'on dit des parties qu'elles Proviennent d'un tout, qu'on dit d'un vers qu'il Provient de l'Iliade, et que telles pierres Proviennent de telle maison. C'est que la forme des choses est leur fin ; et tout ce qui a atteint sa fin spéciale est fini et parfait. § 4. [35] Quelquefois, on entend le mot de Provenir en ce sens où l'on dit que l'espèce Provient de la partie. Ainsi, l'on pourrait dire que l'homme Provient du bipède, et que la syllabe Provient de la lettre, bien que d'ailleurs ce soit en un autre sens. C'est encore ainsi que l'on dit que la statue Provient de l'airain; [1023b] car la substance composée Provient d'une matière sensible ; mais l'espèce Provient de la matière de l'espèce. § 5. Voilà déjà divers sens du mot Provenir; mais il suffit qu'une de ces nuances existe seulement dans une partie de l'être, pour qu'on emploie ce mot. Ainsi, l'on dit que l'enfant Provient du père et de la mère, que les plantes Proviennent de la terre, parce que l'enfant et les plantes Proviennent de quelque partie spéciale de la terre et des parents. § 6. En un autre sens, Provenir n'indique que la succession dans le temps. Par exemple, on dit que la nuit Provient du jour, que l'orage Provient du beau temps, parce que l'un Vient après l'autre. Parfois, l'on emploie cette expression pour des choses qui peuvent se changer. l'une dans l'autre, comme celles qu'on vient de citer. D'autres fois, on l'emploie quand il n'y a qu'une des choses qui puisse succéder chronologiquement à l'autre. Ainsi, on dit d'un voyage sur mer qu'il Part de l'équinoxe, [10] parce que c'est après l'équinoxe qu'il a eu lieu ; de même qu'on dit des Thargélies qu'elles comptent à partir des Dionysiaques, parce qu'elles Viennent après. |
Provenir. La formule grecque est un peu différente et elle signifie : « Être de quelque chose », comme on dit d'une statue qu'elle Est d'airain. Mais je n'ai pas dû conserver cette formule, parce qu'elle n'aurait pu convenir également dans tous les cas. — § 1. Le genre primordial. C'est le genre le plus élevé et le plus étendu. — L'espèce dernière. Celle qui touche à l'individu. — Proviennent de l'eau. En d'autres termes, aussi on pourrait dire : « Sont de l'eau », comme on pourrait dire également que « la statue Est de l'airain ». Mais la force de l'expression grecque ne serait lias de cette manière rendue suffisamment. J'ai dû prendre une autre tournure. § 2. Au principe d'où est venu le mouvement initial. C'est la cause motrice. § 3. A l'assemblage de la matière et de la forme. Le texte n'est pas tout-à-fait aussi développé. — Qu'elles Proviennent d'un tout. Il serait plus naturel de dire simplement : « qu'elles Viennent d'un tout » ; mais l'autre expression n'est pas incorrecte, et j'ai dû la préférer. — C'est que la forme des choses. Ceci est vrai sans doute; mais on ne voit pas bien comment cette pensée tient, ni à ce qui précède, ni à ce qui suit. § 4. L'espèce Provient de la partie. Cette nuance peut paraître bien subtile, même après les précédentes. On entend ici, par le mot Partie, une partie de la définition, comme le prouve l'exemple cité. — L'homme Provient du bipède. En ce sens que la notion de Bipède fait partie de la définition spécifique de l'homme. — Ce soit en un autre sens. La lettre est une partie matérielle de la syllabe , tandis que Bipède n'est qu'une partie toute logique de l'homme. — La substance composée. C'est-à-dire ici la Syllabe, dont la lettre est une partie sensible, soit pour notre ouïe, soit pour notre vue. — La matière de l'espèce. C'est le genre supérieur; et ici, c'est le genre Bipède pour l'espèce homme. § 5. Il suffit qu'une de ces nuances. Autre distinction encore bien subtile.
§ 6. Que la succession dans le temps. Ici, le mot de Provenir répond moins bien
à la formule
grecque ; mais j'ai dû le garder.
— La nuit Provient du jour. Nous disons : « La nuit vient après le jour ». —
L'orage Provient du beau temps. Nous disons : « L'orage vient après le beau
temps ».
— On dit d'un voyage sur mer. Ici, je n'ai pas pu employer le mot de Provenir,
parce que notre langue ne le permet pas; la formule grecque est plus flexible.
— Il Part de l'équinoxe. Nous ne pourrions pas dire : « Il provient de
l'équinoxe ». — On dit des Thargélies. Les Thargélies étaient des
fêtes en
l'honneur
d'Apollon et de Diane; elles se célébraient dans
le mois de Thargélion, auquel elles avaient donné leur nom, et qui
correspondait, à ce qu'on suppose, au mois d'avril, C'était le onzième mois de l'an athénienne. Les Dionysiaques ou Fêtes de Bacchus ne se célébraient
ordinairement que tous |
Définition du mot Partie : partie signifie, en général, une division d'une quantité quelconque ; en particulier, la division qui mesure exactement le tout ; le mot de Partie peut être pris sans aucun rapport à la quantité ; parties du genre, parties de l'espèce, parties de la définition. |
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Partie. § 1. Dans un premier sens, le mot de Partie veut dire ce en quoi une quantité peut être divisée, de quelque manière que ce soit ; car toujours ce qu'on enlève à une quantité en tant que quantité est une Partie ; et c'est ainsi qu'on dit que Deux est une certaine partie [5] de Trois. § 2. D'autres fois, on n'applique le mot de Partie qu'à ce qui peut mesurer exactement la quantité. C'est ainsi qu'on peut dire que si, en un sens, Deux est une Partie de Trois, il ne l'est pas en un autre sens. § 3. Dans une acception différente, on entend par Parties ce en quoi le genre pourrait se diviser sans aucune intervention de quantité ; ce sont là ce qu'on appelle les Parties du genre; et c'est en ce sens que les espèces sont les Parties du genre qui les comprend. § 4. Partie signifie encore ce en quoi un tout se divise, ou ce dont le tout est composé, [20] que ce soit d'ailleurs, ou l'espèce elle-même, ou la chose qui a l'espèce. Par exemple, l'airain peut être appelé Partie de la sphère d'airain, du cube d'airain, parce que l'airain est la matière où réside la forme. C'est encore ainsi qu'un angle est une Partie de la figure. § 5. Enfin, on peut appeler Parties d'un tout les éléments qui entrent dans la définition essentielle expliquant de chaque chose ce qu'elle est. C'est ainsi que le genre même peut être considéré comme faisant Partie de l'espèce, bien que, à un autre point de vue, [25] l'espèce fasse aussi Partie du genre. |
§ 1. De quelque manière que ce soit. La division peut varier à l'infini ; mais toujours ce qu'elle produit, ce sont des parties du tout, qui est divisé. — Deux est une certaine partie de Trois. C'est-à-dire qu'il en est les deux tiers. - Mesurer exactement. C'est un sous-multiple, par exemple. Le mot de Partie a, dans ce cas, une signification restreinte. Mais Deux, ne pouvant pas diviser Trois exactement, n'est plus en ce sens une partie de Trois. § 3. Le genre pourrait se diviser. Le texte dit précisément : L'Espèce. J'ai préféré le mot Genre à cause de ce qui suit. — Sans aucune intervention de quantité. En effet, la Partie est prise alors en un sens purement logique, où la quantité n'a plus rien à faire. § 4. Partie signifie encore. Ce sens du mot Partie est le moins ordinaire, d'après les exemples cités. — L'airain peut être appelé Partie de la sphère d'airain. C'est là certainement une locution peu naturelle. — L'angle est une Partie de la figure. Celle-ci au contraire l'est tout à fait. L'angle fait bien partie de la figure, tandis que l'airain est la matière de la sphère, bien plutôt qu'il n'en est une partie. § 5. Parties d'un tout. Le tout est ici une définition, qui se compose en effet de parties diverses, dont la réunion fait comprendre ce qu'est le défini. — Le genre même... Partie de l'espèce. En effet, pour définir l'homme, qui est une espèce, on dit qu'il est un animal bipède, c'est-à-dire qu'on exprime le genre auquel il appartient, plus la différence. — L'espèce fasse aussi Partie du genre. Puisqu'en effet le genre se compose de ses espèces, qui en sont comme les parties. |
Définition du mot Tout ; double sens de ce mot, pris au sens numérique, ou au sens de totalité ; le contenant et l'universel ; le continu et le fini ; emploi simultané des deux sens du mot Tout dans certains cas ; exemples divers pour éclaircir ces expressions et leurs nuances. |
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Tout. § 1. Le mot Tout se dit d'une chose à laquelle il ne manque aucune des parties qui la constituent dans sa totalité naturelle; et aussi du contenant, qui enveloppe les choses contenues, de telle sorte que ces choses forment une certaine unité. § 2. Ceci encore peut s'entendre de deux manières : ou bien chacune des choses contenues est une unité individuelle ; ou bien l'unité ne résulte que de l'ensemble de ces choses. Ainsi, l'universel, et en général ce qui est exprimé [30] comme formant un tout, est universel, en ce sens qu'il renferme plusieurs termes à chacun desquels il peut être attribué, et que tous ces termes n'en sont pas moins chacun une unité individuelle: par exemple, un homme, un cheval, un dieu, parce qu'on peut dire de tous qu'ils sont des êtres animés. § 3. Dans le second sens, le mot de Tout s'applique au continu et au fini, quand l'unité résulte de plusieurs parties intégrantes qui existent tout au moins en puissance dans le continu, lorsqu'elles n'y sont pas absolument réelles. Et ici, cette nuance du mot Tout [35] se trouve bien plutôt dans les choses que crée la nature que dans les produits de l'art. Déjà, nous l'avons fait remarquer plus haut à propos de l'Un, quand nous avons dit que la totalité d'une chose est une sorte d'unité. § 4. [1024a] En un autre sens, comme la quantité a un commencement, un milieu et une fin , on emploie le mot de Tout au sens numérique là où la position des parties, que les choses peuvent avoir, ne fait aucune différence ; mais on le prend au sens de Totalité là où la position fait une différence. § 5. Dans les cas où ces deux conditions à la fois sont possibles, on applique aux choses le mot Tout pris, soit numériquement, soit dans le sens de totalité. Les deux nuances du mot Tout sont possibles toutes les fois que le déplacement ne change rien à la nature de la chose qui reste la même, et qui ne change que de [5] forme, comme il arrive pour de la cire, ou pour un vêtement. On peut dire également de ces choses Tout, soit au sens numérique, soit au sens de Totalité ; car elles ont ces deux caractères. § 6. Mais en parlant de l'eau, des liquides ou du nombre, on emploie le mot de Tout au sens numérique; mais on ne dit pas Tout le nombre, Toute l'eau, dans le sens de totalité, si ce n'est par métaphore. § 7. On dit Tous au pluriel numériquement, quand il s'agit d'objets auxquels le mot de Tout peut s'appliquer au singulier, pour qu'ils forment une unité ; [10] et le mot Tout s'y applique, parce qu'on les considère comme des objets séparés. Par exemple, Tout ce nombre, Toutes ces unités. |
§ 1. A laquelle il ne manque aucune des parties. C'est à peu près dans les mêmes termes que plus haut, ch. XVI, a été défini le Parfait. — Du contenant qui enveloppe les choses contenues. Ceci peut s'appliquer au genre, et aux espèces qui le composent dans sa totalité. — Une certaine unité. Les espèces qui forment un genre composent entre elles une unité, qui est celle du genre. Ainsi, dans ce §, il y a deux nuances : la totalité qu'on pourrait appeler intégrante, et la totalité numérique. La totalité intégrante est celle de la chose prise avec toutes les parties qui la composent; la totalité numérique est celle de plusieurs choses réunies sous une unité, quelle que soit' d'ailleurs cette unité. § 2. Peut s'entendre de deux manières. Par les exemples donnés, il paraît bien qu'il s'agit ici de la totalité numérique. — On peut dire de tous. Chacun de ces êtres forme une unité individuelle, pourvue de toutes ses parties; et tous réunis, ils forment un nombre : « Tous sont des êtres animés ». § 3. S'applique au continu. C'est alors la totalité intégrante. — Dans les choses que crée la nature. Voir la même pensée plus haut, ch. VI, § 4. — Déjà... quand nous avons dit. Voir plus haut, ch. VI, §§ 4 et 14 des idées analogues, qui sont répétées ici, § 4. La position... que les choses peuvent avoir. Le texte n'est pas tout-à-fait aussi précis. Les unités qui forment le nombre n'ont pas de position ; car, quelle que soit leur position, leur nombre ne change pas. Le nombre est précisément ce dont les parties n'ont pas de position; au contraire les parties de la ligne, de la surface en ont une ; voir plus haut, ch. VI, § 16. Ceci est le sens qui s'offre tout d'abord ; mais ce n'est pas celui qu'Alexandre d'Aphrodise donne à ce passage. Selon lui, les choses où la position ne fait pas de différence sont les choses homogènes, comme l'eau, l'air, etc., tandis qu'il y a des choses où la position des parties fait une grande différence, comme le visage, la main, ou le corps d'un animal quelconque. — Au sens de Totalité. C'est, par exemple, la ligne qui, étant un continu, se mesure, mais ne se compte pas. Mais c'est plutôt le visage ou le corps, comme le dit Alexandre. — Numériquement. Ma traduction a dû être un peu plus précise que ne l'est le texte grec. § 5. Pour la cire ou pour un vêtement. La cire change de forme sans changer de nature, suivant qu'on la configure de telle ou telle manière; il en est de même du vêtement. — Soit au sens numérique. Ici comme plus haut, le grec n'est pas aussi précis que ma traduction. — Elles ont ces deux caractères. Il eût été bon de donner une explication moins concise. § 6. On ne dit pas Tout le nombre, Toute l'eau. Il est présumable que, dans la langue grecque, il était impossible d'employer ces locutions ; elles sont tout-à-fait régulières dans la nôtre.
§ 7. Tous au pluriel numériquement. J'ai été obligé de paraphraser le texte,
afin de le rendre intelligible dans une traduction ; en grec, les cas des mots
et les désinences suffisent pour que la pensée soit claire. Ce qui dans tout ce
chapitre peut l'obscurcir, c'est que notre langue n'a qu'un seul mot pour
rendre l'idée numérique de Tout,
et l'idée de totalité, que ce mot représente aussi. On emploie également le mot
Tout, soit pour exprimer un nombre, soit pour exprimer l'intégralité d'une chose
; on dit également Tout homme, et Tout l'homme. Le grec a deux mots différents
pour rendre cette différence logique : Pas et Holos. l'allemand en a deux,
comme le grec : Aller et Ganzer. Nous sommes moins riches; et dans ce cas, notre
pénurie est regrettable, parce que la distinction des deux idées est très réelle. |
Définition du mot Mutilé ou incomplet ; ce mot ne s'applique pas indifféremment à une quantité quelconque ; conditions de l'application régulière de ce mot ; position essentielle des parties ; continuité et choix spécial des parties ; exemples d'une coupe, 'de l'ablation d'un membre, et de la calvitie. |
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Mutilé. § 1. Le mot de Mutilé, ou Incomplet, ne s'applique pas à toutes les quantités au hasard et indistinctement ; il s'applique seulement à celles qui peuvent être divisées, et qui forment un tout. Ainsi, le nombre Deux n'est jamais appelé un nombre Mutilé, quand on lui retranche une quelconque de ses deux unités, puisque jamais la mutilation, dans son sens vrai, ne peut être égale à ce qui reste. § 2. D'ailleurs, on ne peut pas appliquer absolument à un nombre, quelqu'il soit, l'idée de Mutilation ; car [15] il faut, pour qu'il y ait Mutilation, que l'essence de la chose demeure. Par exemple, pour dire d'une coupe qu'elle est Mutilée, il faut encore qu'il subsiste une coupe ; mais, pour le nombre, il cesse d'être le même. § 3. Il faut de plus, pour qu'on puisse appeler les choses Mutilées, qu'elles aient des parties diverses. Et encore ne peut-on pas le dire de toutes choses ; car on ne peut pas le dire du nombre, par exemple, bien qu'il puisse avoir des parties dissemblables; et c'est ainsi que Cinq se compose de Deux et de Trois. § 4. D'une manière générale, on n'applique jamais l'idée de Mutilé aux choses où la position des parties est tout à fait indifférente, comme l'eau et le feu ; [20] mais, pour que cette idée s'applique, il faut que la position des parties importe à l'essence même de la chose. § 5. Il faut en outre que les choses soient continues, pour qu'on puisse voire qu'elles sont Mutilées. Ainsi, par exemple, l'harmonie se forme de parties dissemblables, qui ont une certaine position ; et cependant on ne dit jamais d'une harmonie qu'elle est Mutilée. § 6. Même pour les choses qui forment une totalité, on ne dit pas qu'elles sont Mutilées, parce qu'une de leurs parties quelconques en a été retranchée ; car il ne faut pas que ce soient des parties essentielles, ni des parties placées d'une façon quelconque. Ainsi, une [25] coupe n'est pas Mutilée, parce qu'on y fait un trou ; mais elle l'est, si on lui a brisé une anse ou un bord. L'homme n'est pas Mutilé, parce qu'on lui â ôté un peu de chair, ou la rate ; mais il l'est, s'il a perdu une de ses extrémités, et non pas même une extrémité quelconque, mais une extrémité qui ne peut plus revenir une fois qu'elle a été enlevée tout entière. Et voilà pourquoi l'on ne dit pas des gens chauves qu'ils sont Mutilés. |
Mutilé. La définition de ce mot semble assez singulièrement placée dans un traité de Métaphysique ; mais elle correspond à celle du mot Tout, donnée dans le chapitre précédent. J'ai ajouté : « ou incomplet » pour éclaircir l'expression et lui donner un sens plus étendu ; mais le mot grec a spécialement le sens de Mutilé. et ce n'est que par extension qu'il peut recevoir le sens d'Incomplet , d'Imparfait. — § 1. Dans son sens vrai. J'ai ajouté ces mots, pour plus de clarté. — Égale à ce qui reste. Et c'est le cas quand de Deux on retranche Un; de part et d'autre, la quantité est égale, puisque, de part et d'autre, il y a l'unité. § 2. Qu'il subsiste une coupe. Voir plus bas, § 6. — Il cesse d'être le même. La nuance est fort délicate ; mais elle est juste. Le nombre, auquel on retranche quelque chose, n'est plus le même nombre; il est diminué; il n'est pas mutilé. § 3. C'est ainsi que Cinq. Le texte n'est pas aussi précis; mais j'emprunte, au commentaire d'Alexandre d'Aphrodise, le développement que j'ajoute. § 4. A l'essence même de la chose. Ou « à l'existence ». Voir les exemples cités plus bas, § 6. § 5. L'harmonie se forme de parties dissemblables. Il semble au contraire que l'on peut dire d'une harmonie qu'elle est Mutilée ou Incomplète; mais il est possible que, dans la langue grecque, cette nuance d'expression fût différente. Alexandre d'Aphrodise prétend qu'une harmonie ne peut jamais être appelée Mutilée ou Incomplète, parce qu'elle n'est pas continue ni entière, mais que les parties qui la composent sont définies et isolées. L'explication peut ne pas paraître très satisfaisante. § 6. Il ne faut pas que ce soient des parties essentielles. Car alors l'être n'existerait plu. ; et pour qu'il y ait Mutilation au sens propre du mot, il faut que l'essence de la chose demeure; voir plus haut, § 2. Alexandre d'Aphrodise cite l'exemple d'une tète coupée. On ne peut pas dire en ce cas que l'animal est mutilé; car l'animal n'existe plus; mais on dira très bien d'un homme qu'il est Mutilé, s'il a une oreille ou un doigt de moins. — Ou la rate. Il semblerait d'après ceci que, dès le temps d'Aristote, les chirurgiens étaient en mesure de pratiquer l'ablation de la rate. Il n'y a rien dans Hippocrate concernant cette opération. |
Définition du mot Genre : le genre est d'abord la succession continue d'êtres de même espèce, l'auteur de la race étant un homme ou une femme ; idée commune appliquée à plusieurs espèces ; le genre dans les définitions est la notion essentielle ; en résumé, le mot de Genre a trois sens principaux ; conditions qui constituent la différence de genre ; chaque catégorie forme un genre particulier de l'Être. |
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Genre. § 1. Genre s'entend de la génération successive et continue d'êtres [30] qui sont de la même espèce. Ainsi l'on dit : Tant que le Genre humain existera, pour dire : Tant que continuera la génération successive des hommes. § 2. On entend aussi par Genre, ou Race, l'origine d'où certains êtres ont reçu le mouvement initial qui les a amenés à la vie. C'est ainsi que l'on dit, de ceux-ci qu'ils sont de race Hellénique, de ceux-là, qu'ils sont de race Ionienne, parce que les uns viennent d'Hellen, et les autres, d'Ion, considéré comme leur premier auteur. L'idée de Genre se tire plutôt du générateur qu'elle ne se tire de la matière ; ce qui n'empêche pas qu'elle puisse se rapporter aussi à un auteur féminin ; et c'est ainsi qu'on parle de la race de Pyrrha. § 3. [1024b] Genre a encore le sens qu'on lui donne quand on dit que la surface, parmi les figures de géométrie, est le Genre de toutes les surfaces, que le solide est le Genre de tous les solides, attendu que chacune des figures est telle ou telle surface, et que tout solide est également tel ou tel solide particulier ; et c'est toujours le genre qui est le sujet où se manifestent les différences. § 4. Dans les définitions, on entend encore par Genre le primitif intégrant, qui [5] exprime essentiellement ce qu'est la chose, et dont les qualités sont ce qu'on appelle les différences. § 5. Telles sont donc les diverses acceptions du mot Genre. En un sens, il exprime la génération continue et successive de la même espèce ; en un autre sens, il exprime le moteur initial qui produit le semblable en espèce ; et enfin, il exprime la matière ; car ce qui reçoit la différence et la qualité est précisément le sujet que nous appelons la matière. § 6. On dit des choses qu'elles sont autres [10] en Genre, quand leur sujet primitif est autre, que l'une des deux choses ne se réduit pas à l'autre, ou que toutes deux ne se réduisent pas à une troisième. C'est ainsi que la forme et la matière sont d'un Genre différent. § 7. Les choses diffèrent encore de Genre quand elles appartiennent à une autre forme de catégorie de l'Être. On sait que, parmi les catégories, les unes se rapportent à l'essence de la chose, les autres à la qualité, ou à telle autre des divisions que nous avons [15] antérieurement indiquées; car alors elles ne se résolvent, ni les unes dans les autres, ni dans une unité quelconque, où elles se confondraient. |
§. 1. La génération successive et continue. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte; le Genre ainsi compris dans cette première acception représente surtout la Race. — De la même espèce. On pourrait presque dire, la Famille. Dans notre langue, le mot Genre n'offre pas les mêmes nuances, et je n'ai pu l'employer toujours. § 2. On entend aussi. Le texte est un peu moins précis. — Genre ou Race. Il n'y a qu'un seul mot dans le grec ; j'ai dei en mettre deux à cause de ce qui suit. — De race Hellénique. On ne pourrait pas dire : « de Genre Hellénique ». — De la matière. La matière est prise ici pour la femme ou la femelle, le père étant le générateur, ou le moteur initial de toute la race. § 3. Genre a encore le sens. Il semble que cette acception du mot Genre rentre en grande partie dans la définition déjà donnée au § 1. Seulement, il s'agit ici d'êtres inanimés au lieu d'êtres vivants. Toutes les surfaces, cercle, triangle, carré, pentagone, octogone, etc., sont génériquement des surfaces, outre leurs différences spécifiques. § 4. Dans les définitions. C'est en effet une nécessité pour les définitions de poser d'abord le genre essentiel de la chose, et d'y joindre ensuite les différences, qui distinguent les espèces ou même les individus. § 5. Telles sont donc. Ce résumé, qui est peu nécessaire, après les développements très courts qui viennent d'être donnés, n'est peut-être qu'une interpolation ; il ne fait guère que répéter ce qui vient d'être dit quelques lignes plus haut. — Le moteur initial. Voir plus haut, § 2. — La matière. Ibid. § 6. Autres en genre. Ou : « De genre différent ». Voir plus haut, ch. IX, §§ 5 et suivants, la définition du mot Autre. — Leur sujet primitif. — Dans ce sens où l'on vient de dire que le Genre est le primitif intégrant des choses, qui doit tout d'abord figurer dans leur définition. - C'est ainsi que la forme et la matière. Cet exemple, qui aurait pu n'être pas seul, fait mieux comprendre la pensée. § 7. Une autre forme de catégorie. J'ai conservé l'expression grecque, qui peut sembler assez singulière ; il aurait suffi de dire : « Une autre catégorie ». — A l'essence de la chose. C'est la catégorie de la substance, la première de toutes. — A la qualité. La catégorie de la Qualité est placée ici la seconde ; d'ordinaire, c'est la catégorie de la quantité qui a ce rang. — Antérieurement indiquées. Passim, et peut-être le traité spécial des Catégories. |
Définition du mot Faux : deux sens, où le mot Faux indique ce qui ne peut pas être et ce qui n'est pas ; fausseté d'un tableau; fausseté d'un rêve ; définition fausse ; citation d'Antisthène ; fausseté appliquée au mensonge ; citation et réfutation de l'Hippias ; théorie insoutenable qui y est exposée sur la volonté dans l'homme faux. |
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Faux. § 1. Faux se prend d'abord en ce sens où l'on dit d'une chose qu'elle est fausse; et une chose peut être fausse de deux manières, soit parce que la combinaison des mots qui l'expriment n'est pas d'accord avec la réalité, soit parce qu'elle est impossible. Ainsi, il est faux que le diamètre soit [20] commensurable, ou que vous soyez actuellement assis ; car de ces deux assertions, l'une est toujours fausse ; l'autre ne l'est qu'à un certain moment ; mais, dans ces conditions , ni l'une ni l'autre ne sont vraies. § 2. D'autres choses, bien qu'elles soient réelles, sont appelées fausses, parce qu'elles paraissent, à cause de leur nature propre, ou autrement qu'elles ne sont, ou ce qu'elles ne sont pas : telle est, par exemple, une peinture; tel est un rêve. La peinture et le rêve sont certainement quelque chose ; mais ce ne sont pas les objets mêmes dont ils donnent une idée tout imaginaire. § 3. Ainsi donc, on dit des choses [25] qu'elles sont fausses, soit qu'elles-mêmes n'existent pas, soit qu'elles donnent l'image de quelque chose qui n'est point. § 4. Une définition est fausse, en tant qu'elle s'applique, dans sa fausseté, à des choses qui ne sont pas. C'est ainsi que toute définition est fausse du moment qu'elle s'applique à une chose autre que celle dont elle est vraie : et, par exemple, la définition du cercle serait fausse pour le triangle. § 5. D'ailleurs, pour chaque chose, il n'y a qu'une définition, qui tantôt est unique, et alors c'est celle qui s'adresse à l'essence de l'être ; ou tantôt, multiple. Mais c'est toujours un être identique qui est considéré, d'abord en lui-même, [30] et ensuite, considéré dans les modifications qu'il présente. Tel est, par exemple, d'abord Socrate ; et ensuite, Socrate instruit et savant. § 6. A vrai dire, la définition fausse n'est la définition de rien ; aussi Antisthène était-il assez naïf, quand il soutenait qu'on ne peut jamais appliquer à une chose que sa définition propre, une pour une, sans pouvoir en dire autre chose. D'où la conséquence nécessaire qu'on ne peut contredire quoi que ce soit, et qu'il y a presque impossibilité à rien dire de faux. Le fait est qu'il est possible, [35] pour chaque chose, de lui appliquer sa définition propre, ou la définition d'une autre chose, cette seconde définition étant, ou absolument Fausse, ou pouvant être vraie aussi à certains égards, comme Huit peut être appelé le double de quelque chose, au point de vue de la définition du double. § 7. [1025a] Voilà donc diverses acceptions du mot Faux, pour les choses. § 8. En l'appliquant aux personnes, on dit que tel homme est Faux, ou menteur, quand il accepte aisément, ou qu'il invente de son plein gré, des propos de ce genre, [5] sans autre motif que leur Fausseté même, et qu'il essaie de les faire croire à autrui. Il en est de lui comme des choses dont nous disons qu'elles sont fausses, quand elles provoquent dans l'esprit une fausse idée.
§ 9. Aussi, est-ce une grande erreur dans l'Hippias
de soutenir que le même homme est tout à la
fois menteur et véridique; car on y appelle Faux
et menteur l'homme qui peut débiter des faussetés et des mensonges. Or, le vrai menteur est
celui qui sait les choses et qui se rend compte de
son mensonge. C'est par une erreur pareille
qu'on soutient encore que l'homme qui est méchant parce qu'il le veut, est supérieur à celui
qui est bon sans le vouloir. Mais c'est là une
idée complètement fausse, [10] à laquelle conduit
une induction qui ne l'est pas moins. Car, dit-on,
boiter parce qu'on le veut bien, vaut mieux que
de boiter sans le vouloir. Mais ici l'on prend le
mot de Boiter dans le sens de faire semblant de
boiter, puisque celui qui se rendrait réellement
boiteux par un effet de sa libre volonté, pourrait
être pire en effet ; comme, par exemple, sous le
rapport de la moralité, on est plus méchant
quand on l'est volontairement ; et c'est là le cas
du menteur. |
Faux. Sur la notion de Fausseté, voir plus loin, liv. VI, ch. III, § 7 ; et plus spécialement, le livre IX, chapitre IX, ou l'analyse est beaucoup plus étendue et plus profonde. — § 1. D'une chose qu'elle est fausse. Après avoir traité des choses, Aristote s'occupera des personnes, un peu plus loin, § 8; mais alors c'est la notion de mensonge qui remplace celle de fausseté. — La combinaison des mots qui l'expriment. J'ai dû développer le texte, et même le paraphraser, pour le rendre plus clair. Le grec est trop concis; la pensée d'ailleurs ne peut pas faire le moindre doute; voir les Catégories, ch. IV, § 3, p. 59 de ma traduction. § 2. Par exemple, une peinture. La pensée ne paraît pas très juste ; une peinture ne serait fausse que si on prétendait la donner pour une réalité. Il en est de même d'un rêve. — Ce ne sont pas les objets mêmes. Sans doute ; mais on ne donne pas un tableau, ni le rêve, pour les objets mêmes que l'un et l'autre représentent plus ou moins fidèlement. Il n'y a pas de fausseté ou de mensonge, parce qu'on sait ce qu'il en est dans les deux cas. § 3. Ainsi donc. Simple résumé de ce qui précède. § 4. Dans sa fausseté. La répé¬tition est dans le texte. § 5. Qui s'adresse à l'essence de l'être. A l'être lui-même, considéré en lui seul et sans aucun attribut. — Tantôt multiple. Au fond, c'est toujours la définition initiale, à laquelle on ajoute des compléments successifs, selon les attributs qu'on prête au sujet. Mais ces attributs peuvent être fort nombreux. Peut-être serait- il mieux de traduire : Appellation, au lieu de Définition, à cause de ce qui suit. — Socrate. D'abord considéré en lui-même. — Socrate instruit et savant. Considéré ensuite avec ses attributs. § 6. Antisthène. Aristote rappelle encore cette théorie dans les Topiques, liv. I, ch. II, § 5, p. 33 de ma traduction ; voir aussi plus loin, dans la Métaphysique, liv. VIII, ch. III, § 7. Antisthène, disciple de Socrate et fondateur de l'École Cynique, était à peu près du male âge que Platon. Aristote avait dû le connaître personnellement. — Assez naïf. L'expression grecque a cette nuance d'ironie. — Sa définition propre. Peut-être ici encore vaudrait-il mieux dire : Appellation. Ainsi Socrate est Socrate; et, selon Antisthène, on ne peut dire rien de plus de lui. De là, les deux conséquences qu'Aristote impute si lestement à cette théorie ; il n'y a plus d'erreur possible, ni de contradiction, c'est vrai; mais on peut dire aussi qu'il n'y a plus, ni pensée, ni. langage. — Huit peut être appelé le double. Il est bien clair que, relativement à Quatre, Huit est le double ; mais en soi Huit ne se confond pas avec le double. § 7. Pour les choses. J'ai ajouté ces mots. § 8. Est Faux. J'ai dû ajouter « ou menteur », parce que cette expression : « Tel homme est Faux », n'aurait pas rendu le texte dans toute sa force. § 9. Dans l'Hippias. Ceci se rapporte évidemment au Second Hippias de Platon. Voir la traduction de M. V. Cousin, pp. 321 et 327. M. Cousin, examinant ce dialogue en lui- même , trouve qu'il est absolument indigne de Platon; je crois qu'en ceci personne ne peut être d'un autre avis ; mais M. Cousin s'arrête devant l'autorité décisive d'Aristote; et entre ces deux témoignages contraires, celui du disciple de Platon et celui de la raison qui repousse l'authenticité d'une oeuvre aussi imparfaite , M. Cousin laisse la question indécise et la renvoie à d'autres juges. Il me semble que la solution pourrait être présentée de deux manières. D'abord, Aristote ne dit pas que l'Hippias soit de Platon; c'est Alexandre d'Aphrodise qui le dit. En second lieu, tout ce § 9, venant à la fin de ce chapitre, peut être une glose ajoutée par un scholiaste. L'une de ces deux hypothèses, que je hasarde, suffirait pour lever tous les scrupules et concilier d'apparentes contradictions : ou l'Hippias n'est pas de Platon, ou cette citation n'est pas d'Aristote. Dans l'un et l'autre cas, l'authenticité de l'Hippias reste douteuse et l'ion ne récuse ni Aristote, comme le fait Ast, que blâme bien justement M. Cousin, ni Platon, qui ne serait plus l'auteur d'une oeuvre peu digne de lui. Voir l'Argument de M. V. Cousin, p. 291. — Boiter sans le vouloir. C'est aussi l'exemple dont se sert le Second Hippias , p. 327 , III. Schwegler croit que ceci est une simple glose d'un scholiaste ; je vais plus loin que lui en proposant la suppression de tout ce § 9. |
Définition du mot Accident : l'accident est toujours dans un autre ; il n'est ni nécessaire ni habituel ; le trésor trouvé en faisant un trou ; l'accident n'a pas de cause déterminée ; c'est un effet du hasard ; la tempête poussant à Égine, ou la violence des pirates y conduisant, sans qu'on veuille y aller ; autre sens du mot accident ; l'attribut d'une chose peut-être même éternel, sans faire partie de l'essence ; exemple du triangle. |
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Accident. § 1. Accident s'entend d'une chose qui est attribuée à une autre, dont elle est dite [15] avec vérité, sans que ce soit cependant, ni une nécessité, ni même le cas le plus ordinaire. Par exemple, si quelqu'un vient à trouver un trésor en creusant un trou pour y planter un arbre, c'est un pur accident de rencontrer un trésor en creusant une fosse; car il n'y a pas la moindre nécessité que cette découverte soit produite par cet acte, ni qu'elle en soit la conséquence ; et ce n'est pas davantage un fait ordinaire que de trouver un trésor en faisant un trou pour planter un arbre. § 2. C'est également un simple accident qu'un homme instruit [20] soit en même temps de couleur blanche ; et nous disons que c'est une qualité accidentelle, puisqu'il n'y a pas là non plus la moindre nécessité, et que ce n'est pas davantage un cas ordinaire. § 3. Ainsi donc, quand une chose est réelle et qu'elle est attribuée à une autre, et que, selon les cas, elle existe dans tel lieu, ou dans tel instant, c'est un accident qui est bien réel sans doute, mais qui ne se produit pas néanmoins, parce que telle autre chose a été préalablement, soit dans tel temps, soit dans tel lieu. L'Accident n'a jamais une cause déterminée ; [25] c'est une cause fortuite qui l'amène, et une telle cause est absolument indéterminée. § 4. C'est un pur Accident, par exemple, d'aborder à Égine, lorsqu'on y est arrivé sans avoir du tout l'intention de s'y rendre, mais qu'on y a été jeté par la tourmente, ou qu'on y a été conduit par des pirates qui vous ont pris. Sans doute, l'Accident, en ce cas, s'est produit, et il n'est que trop réel ; mais il n'existe pas en soi, et il n'existe que par une autre chose. C'est la tempête, en effet, qui est la seule cause qu'on ne soit pas allé où l'on voulait, [30] et que le terme du voyage ait été l'île d'Égine. § 5. Le mot d'Accident a encore un autre sens, et il s'applique à tout attribut d'une chose quelconque qui ne fait pas partie de son essence, mais qui ne lui en appartient pas moins. Par exemple, c'est un attribut Accidentel pour le triangle d'avoir ses trois angles égaux à deux droits. Les Accidents de ce dernier genre peuvent être éternels, tandis que les autres ne le sont jamais. Mais c'est ailleurs que nous étudierons cette question. |
Accident. Ou « Attribut ». Le sens étymologique du mot grec, c'est : « marchant avec », sans que cette association ne soit, ni nécessaire, ni la plus habituelle; voir plus loin, liv. VI, ch. II et III; et liv. Xl, ch. VIII. Aristote est revenu à bien des reprises sur cette notion, qui n'a rien d'ailleurs que de fort clair. — § 1. Trouver un trésor en creusant un trou. l'exemple est simple et frappant; c'est le mot d'Accident pris dans son acception la plus vulgaire. § 2. De couleur blanche. Les deux idées n'ont pas de connexion nécessaire, ni habituelle ; si les deux choses coexistent, c'est un cas purement fortuit. § 3. Dans tel lieu, ou dans tel instant. Ce sont des limitations indispensables ; car autrement, ce ne serait plus un accident ; ce serait un attribut essentiel, nécessaire, et perpétuel. § 4. C'est un pur Accident. Le mot d'Accident est pris ici dans son acception métaphysique, bien que, d'après l'exemple cité, on pût le prendre aussi dans son sens assez ordinaire de malheur, de cas fâcheux, etc. § 5. Un autre sens. C'est le sens vraiment métaphysique, tout différent du sens précédent; mais c'est le seul qui doive figurer ici. — Attribut Accidentel. J'ai mis les deux mots pour que l'idée fût parfaitement claire. La définition essentielle du triangle, c'est d'être une figure formée de trois lignes, droites ou courbes, mais continues ; et d'avoir trois angles de diverse nature ou de même nature. L'égalité de ces trois angles à deux droits est une propriété du triangle ; ce n'est pas sa définition. — Peuvent titre éternels. Comme l'égalité des trois angles à deux droits. — Ailleurs. Il serait difficile d'indiquer le passage précis où Aristote a tenu la promesse qu'il fait ici. Il est revenu bien des fois sur l'analyse de la notion d'accidents, mais jamais d'une manière un peu étendue. Les analyses que renferment ce cinquième livre sont en général ingénieuses et délicates ; on y reconnaît certainement les doctrines et môme le style d'Aristote ; mais elles sont disposées sans ordre, et elles se suivent sans qu'on puisse discerner, dans leur succession, une pensée systématique, ni saisir le fil qui les relie entre elles. Elles sont en outre tout à fait insuffisantes, si l'auteur a prétendu épuiser la nomenclature métaphysique. Voir la Dissertation préliminaire sur la composition de la Métaphysique , où cette question est traitée. |
FIN DU LIVRE V DE LA MÉTAPHYSIQUE. |