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table des matières de l'œuvre d'Aristote

ARISTOTE

 

 

MÉTAPHYSIQUE

 



LIVRE XII

 

livre XI        livre XIII

 

texte grec

 

table des matières de la métaphysique

 

 

 

 

 

LIVRE XII
CHAPITRE PREMIER
De la substance ; son importance dans le monde; la qualité et la quantité ne viennent qu'en sous-ordre, et elles n'ont qu'une réalité secondaire; recherches des anciens philosophes supérieures à celles des philosophes plus récents, en ce qu'elles étaient plus particulières; trois substances: l'une sensible et éternelle; l'autre sensible et périssable; la troisième immobile, comprenant les espèces et les entités mathématiques; division des écoles; les deux premières substances sont étudiées par la Physique ; la troisième est l'objet d'une science spéciale.

§ 1. [1069a] [18] La substance est l'objet de nos études, puisque ce sont les principes et les causes des substances que nous recherchons. Si, en effet, l'on considère une chose quelconque formant un tout, la première partie dans ce tout est la substance ; et si l'on considère l'ordre de succession, c'est la substance encore qui est la première, quand on se place à cet autre point de vue. La qualité et la quantité ne viennent qu'après elle; et même, à parler d'une manière absolue, la qualité et la quantité ne sont pas même des êtres; ce ne sont que des qualifications et des mouvements, qui n'ont pas plus de réalité que n'en peuvent avoir le Non-blanc ou le Non-droit. Nous disons néanmoins de la qualité et de la quantité qu'elles Sont, comme nous le disons aussi du Non-blanc.
§ 2.  Il faut ajouter que, à part la substance, rien de tout le reste n'est séparé; et les théories des anciens philosophes nous le font bien voir, puisqu'ils recherchaient les principes de la substance, ses éléments et ses causes. De nos jours, les philosophes prennent plus particulièrement les universaux pour des substances; car ce sont des termes universels que les genres, qu'ils regardent surtout comme des principes et des substances, parce que leurs doctrines sont purement logiques. Les anciens, au contraire, adoptaient de préférence pour principes les substances particulières, le feu, la terre, par exemple, sans s'occuper de trouver un corps commun.
§ 3. Or, il y a trois substances : l'une sensible; et, dans celle-ci, on distingue la substance éternelle et la substance périssable. Tout le monde est d'accord sur cette dernière, qui comprend, par exemple, les plantes et les animaux. L'autre est la substance éternelle, pour laquelle il faut savoir si elle n'a qu'un élément unique, ou si ses éléments sont multiples. Enfin, il existe une autre substance immobile ; et quelques philosophes soutiennent qu'elle est séparée. Les uns la partagent en deux ; d'autres n'y voient qu'une nature unique, comprenant les espèces et les entités mathématiques ; tandis que d'autres encore n'admettent absolument, comme substances, que les seuls êtres mathématiques.
§ 4. Les deux premières substances relèvent de la Physique, attendu qu'elles sont sujettes au mouvement. [1069b] Mais la dernière appartient à une autre science, puisque elIe n'a aucun principe commun avec le reste.





 

§ 1. La substance est l'objet de nos études. Cette question, et toutes celles qui s'y rattachent, ont été traitées surabondamment dans les livres précédents. On ne comprend pas bien pourquoi l'auteur y revient ici, et pourquoi il s'y étend si longuement encore, sens rien ajouter à des théories qui semblent épuisées. Cette critique s'applique surtout aux cinq premiers chapitres du Xlle livre; et MM. Bonitz et Schwegler ont eu grande raison de les distinguer du reste du livre. Ces chapitres sont très insuffisamment rédigés; et il se pourrait qu'ils ne fussent pas de la main du maître, quoique au fond ce soient toujours ses doctrines. - Une chose quelconque formant un tout. Le sens que je donne ici me parait tout à fait d'accord avec le reste du contexte, et aussi avec le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise. M. Bonitz a compris qu'il s'agissait de l'ordre universel des choses, « universitatem rerum » L'expression grecque ne repousse pas absolument cette interprétation; mais l'autre, qui est grammaticalement aussi régulière, me paraît mériter la préférence. Le Tout, dont il cet parlé, est le composé de la matière et de la forme. - L'ordre de succession. Des diverses catégories, comme le prouve l'énumération qui suit. - Que n'en peuvent avoir, Le texte n'est pas aussi formel. - De la quantité et de la qualité. C'est traiter la quantité et la qualité comme des négations et du Non-Être. Cette doctrine peut sembler n'être pas toute à fait aristotélique.

§ 2. Rien n'est séparé. C'est-à-dire que toutes les catégories autres que la substance no sont que des attributs, qui ne peuvent exister par eux-mêmes, et qui n'existent que grâce au sujet dans lequel ils sont. - De nos jours, les philosophes. Ce sont évidemment les Platoniciens que l'auteur veut désigner. - Les universaux... des termes universels. Ces deux expressions sont équivalentes, quoique la première soit plus spécialement scholastique. - Sont purement logiques. Ou bien : « Ne s'occupent que des définitions ». - De trouver un corps commun. C'est l'expression même du texte; elle est assez obscure; mais le sens est évidemment celui-ci : « Que les anciens philosophes, au lieu de s'occuper de définitions générales et communes, s'appliquaient surtout à l'étude des phénomènes particuliers; ils ne recherchaient point ce que c'est que le corps en général; mais ils étudiaient tel corps spécial, comme le feu, la terre, etc. »
§ 3. Il y a trois substances... Tout ce paragraphe offre de grandes difficultés, a cause de la division confuse et obscure des substances, M. Boniz, que M. Sehwegler approuve, du moins en partie, propose, en s'appuyant sur le Commentaire d'Alexandre d'Aphrodise et sur Thémistius, la rédaction suivante ;
« Il y a trois substances : la substance sensible, sur laquelle tout le monde est d'accord pour la diviser en deux autres : l'une périssable comme les plantes et les animaux; l'autre éternelle, pour laquelle il faut savoir...» La différence n'est pas très grande; mais la rédaction de M Bonitz serait plus régulière. - Une autre substance immobile. Composée des Idées, au sens platonicien, et des êtres mathématiques, tandis que les choses sensibles, soit périssables, soit éternelles, sont soumises au mouvement. - Les entités mathématiques. Ou « les êtres mathématiques ». Peut-être le mot d'Entité serait-il préférable, pour distinguer les êtres mathématiques de tous les autres. Je l'ai employé assez souvent.

§ 4. Relèvent de la Physique.. sujettes au mouvement. On peut voir en effet que la Physique d'Aristote n'est au fond qu'un traité général du mouvement. Voir ma Préface à la Physique, pp. II et III. - Mais la dernière. C'est-à-dire, la substance immobile. - Autre science. Celte science supérieure est la, Philosophie première. Voir plus haut, liv. I, ch. II,

CHAPITRE II
Condition essentielle du changement; il faut qu'il y ait un sujet qui soit permanent pour que le changement puisse s'y opérer d'un contraire à l'autre; c'est la matière ; quatre espèces de changement dans quatre des catégories seulement; le changement est le passage de la puissance à la réalité; citations d'Anaxagore, d'Empédocle, d'Anaximandre, de Démocrite; des diverses espèces de Non-Être; trois causes: la forme, la privation et la matière.

§ 1. La substance sensible est soumise au changement; or, le changement vient toujours, soit d'opposés, soit de termes intermédiaires. Il ne vient pas, cependant, de tous les opposés sans exception ; car on ne peut pas dire du son qu'il soit blanc; mais le changement vient du contraire. Il faut donc nécessairement qu'il existe quelque chose qui change, pour passer d'un contraire à l'autre, puisque ce ne sont pas les contraires eux-mêmes qui peuvent changer.
§ 2. Remarquons, en outre, que ce quelque chose demeure et subsiste, tandis que le contraire ne subsiste pas. Ainsi, il doit y avoir, outre les contraires, un troisième terme, qui n'est autre que la matière. Mais nous avons vu que les changements sont au nombre de quatre, selon qu'ils se passent dans la substance, dans la qualité, dans la quantité, ou dans le lieu.
§ 3. La production absolue, ou la destruction, est le changement relatif à la substance; l'accroissement et le décroissement se rapportent à la quantité ; la modification se rapporte à la qualité; et enfin, le changement relatif au lieu est le déplacement. Donc, les changements se font toujours entre les contraires, dans chaque genre.
§ 4. Ainsi, ce qui change, c'est nécessairement la matière, qui est susceptible d'être l'un ou l'autre des contraires indifféremment. Mais, l'Être se présentant sous deux aspects, tout changement est le passage de l'Être en puissance à l'Être actuel; et, par exemple, c'est le passage de ce qui est blanc en puissance à ce qui est blanc effectivement. Même remarque pour l'accroissement et le dépérissement. Par conséquent, non seulement toutes choses peuvent venir accidentellement du Non-Être; niais en outre, on peut dire que toutes viennent de l'Être, avec cette nuance toutefois que c'est de l'Être qui est en puissance, et qui n'est pas actuel.
§ 5. Voilà ce que signifie l'Unité d'Anaxagore; et c'est là la meilleure interprétation de son axiome, à savoir que
« Tout était confondu ». Voilà ce que signifie le Mélange d'Empédocle et d'Anaximandre; ou, comme le dit Démocrite, « Tout était confondu en puissance, mais non pas effectivement ». Ainsi, tous ces philosophes touchaient de bien près. à la théorie de la matière. Donc, tout ce qui change a une matière ; mais c'est une matière autre que celle des choses éternelles, qui ne sont point engendrées, et qui ont un mouvement de simple translation. Cette matière, non sujette à la génération, va d'un lieu à un autre.
§ 6. On peut d'ailleurs se demander de quelle sorte de Non-Être peut venir la génération, puisque le Non-Être peut s'entendre de trois manières. Il y a d'abord le Non-Être en puissance, qui, du reste, ne peut pas indifféremment produire la première chose venue, mais seulement l'un venant de l'autre. Il ne suffit pas de dire que toutes choses étaient ensemble et confondues; car elles diffèrent par leur matière, et l'on peut se demander : Comment sont-elles devenues infinies, au lieu de se réduire à l'unité? Et c'eût été facile, puisque l'Intelligence aussi était Une. Par conséquent, si la matière est Une, il n'a pu se produire en acte que l'Être dont la matière était d'abord en puissance.
§ 7. Ainsi, il y a trois causes, de même qu'il y a trois principes; deux d'entre eux forment l'opposition des contraires : d'une part, la définition avec l'espèce ; d'autre part , la privation ; le troisième principe est la matière.
 

§ 1. Du son qu'il soit blanc. Le son n'est pas dans le genre de la couleur; et l'on ne peut pas dire qu'il soit un des contraires, soit blanc, soit noir. - Le changement vient du contraire. Et comme le dit Alexandre d'Aphrodite « Dans les limites de sa négation propre ». - Il faut donc nécessairement... Voir sur cotte théorie spéciale la Physique, liv. I, ch. VI et suivants; et liv. V, ch. 7. - Quelque chose qui change. C'est le sujet ou la substance, soumise aux attributs, et, par conséquent, au changement. C'est un des principes les plus constants d'Aristote.

§ 2. Un troisième terme. Voir la Physique, locc. citt. - Nous avons vu. Voir plus haut, liv. XI, ch. IX, § 2. Dans la Physique, liv, V, ch, III, § 1, p. 287 de ma traduction, Aristote ne reconnaît que trois mouvements; et il exclut la catégorie de la substance; mais, en général, il admet quatre mouvements, comme il le fait ici pour les catégories de la substance, de la quantité, de la qualité et du lieu. Voir le traité spécial des Catégories, où Aristote compte six espèces de mouvement, ch. XIV, § 1, p. 128 de ma traduction. Ces six espèces se réduisent à trois, qui chacune ont leur contraire.

§ 3. La production absolue. Voir les Catégories, ch. XIV. — La modification, Ou si l'on veut encore : « l'Altération ». - Entre les contraires dans chaque genre, Ou « dans chaque catégorie ».

§ 4. La matière. Comme la matière n'est qu'en puissance, elle peut être tour à tour l'un ou l'autre contraire. - Du Non-Être. C'est-à-dire « De ce qui n'est pas ». - Toutes viennent de l'Être. Ces remarques sont vraies; mais on peut trouver quelles sont bien subtiles.

§ 5. L'Unité d'Anaxagore. Voir plus haut, liv. 1, ch. VII, § 13. - Le Mélange d'Empédocle. Id., ibid., § 11. - Démocrite, Voir liv. I, ch. IV, §§ 11, 12, 13. - Des choses éternelles. Il semble que ceci sa rapporte aux astres dont le ciel est rempli. - Va d'un lieu à un autre. Et n'a qu'un mouvement de translation.

§ 6. On peut d'ailleurs se demander. Ceci se rapporte plus particulièrement au § 3, et ne tient pas directement à ce qui précède. - S'entendre de trois manières. L'auteur n'en énonce ici qu'une seule. - L'un venant de l'autre. La pensée n'est pas exprimée complètement; et elle reste obscure; on peut comprendre qu'il s'agit des contraires dont l'un vient de l'autre. - Il ne suffit pas de dire... Ceci est une critique d'Anaxagore. - L'Intelligence. Qui est le grand principe d'Anaxagore, bien qu'il n'ait pas su en tirer toutes les conséquences; voir plus haut, liv. I, ch. III, § 28, et ch. IV, § 7.

§ 7. Ainsi, il y a trois causes. Ces idées semblent avoir peu de suite entre elles; et, bien que ceci soit la conclusion du chapitre, cette conclusion ne ressort pas très  régulièrement de ce qui précède; voir le Physique, liv. I, ch. VIII, § 20, p. 484 de ma traduction.

CHAPITRE III
La matière et la forme sont constantes; trois conditions du changement ; nécessité d'un point d'arrêt pour ne pas se perdre dans l'infini; toute substance dans la nature vient d'une autre substance de même nom; trois substances distinctes, matière, forme naturelle, individualité; citation et louange de Platon; probabilité d'une substance permanente; rôle de l'Âme, et surtout de l'entendement; réfutation du système des Idées, en ce qui concerne les individus dans In nature; simultanéité de la définition et du défini.

§ 1. Après ce qui précède, il nous faut dire que, ni la matière, ni la forme, ne peuvent être produites; je veux dire, la matière et la forme dernière. En effet, tout changement change quelque chose, par quelque chose, et en quelque chose : [1070a] Par quelque chose, c'est le premier moteur; Quelque chose, c'est la matière ; et En quelque chose, c'est la forme. Le devenir se perdrait dans l'infini, si ce n'est pas seulement l'airain qui devient sphérique, et qu'il faille encore que la forme sphérique devienne aussi, et que l'airain lui-même ait à devenir. Il faut donc nécessairement un point d'arrêt.
§ 2. Puis, il est certain que toute substance vient d'une substance qui porte le même nom qu'elle, soit dans les choses que produit la nature et qui sont des substances, soit dans une foule d'autres choses; car les choses sont le produit, ou de l'art, ou de la nature, ou du hasard, ou de leur propre spontanéité. L'art est un principe qui agit dans un objet autre que lui ; la nature, au contraire, est un principe dans l'objet même; et c'est ainsi qu'un homme produit un homme. Quant aux autres causes, ce sont les privations de celles-là.
§ 3. On peut distinguer trois substances: d'abord la matière, qui est quelque chose de distinct, apparaissant à nos sens; car tout ce qui est Un au contact, sans que ce soit une simple connexion, est matière ou sujet; ensuite, la nature à laquelle aboutit le changement, qui est la forme spéciale de l'Être et sa manière d'être quelconque; enfin, la troisième substance formée des deux premières, et qui est la substance individuelle, comme, par exemple, Socrate, Callias.
§ 4. Dans certains cas, la forme n'existe pas en dehors de la substance composée, qui la revêt. Ainsi, la forme de la maison n'existe pas en dehors de la maison, si ce n'est dans l'art qui la construit. Pour les choses de cet ordre, il n'y a, ni production, ni destruction possible; et c'est d'une autre manière que les choses sont, ou ne sont pas, comme la maison sans la matière qui la forme, la santé, et tout autre produit de l'art.
§ 5.  Mais si la production et la destruction ont lieu quelque part, c'est dans les choses de la nature. Aussi, Platon ne se trompe-t-il pas quand il dit qu'il y a autant d'Idées qu'il y a de choses dans la nature, si, toutefois, il y a des Idées différentes pour des choses telles que le feu, la chair, la tête, etc. Tout est matière dans le monde; et la matière dernière est la matière de la substance par excellence.
§ 6. Les causes motrices doivent donc être considérées comme antérieures à ce qu'elles meuvent. Mais les causes qui ne sont que des définitions sont simultanées à l'objet défini. Par exemple, du moment que l'homme est sain et bien portant, la santé existe aussi; et la figure de la boule d'airain est simultanée à la boule elle-même.
§ 7. Y a-t-il, sous tout cela, quelque chose de permanent, c'est ce qu'il faut voir; car c'est une chose très possible dans certains cas; et, par exemple, on peut croire que l'âme est quelque chose de ce genre, si ce n'est l'âme tout entière, du moins cette partie de l'âme qui est l'entendement; car peut-être l'âme tout entière ne peut-elle avoir cette propriété.
§ 8. Il est donc bien clair que, pour ces choses-là, l'existence des Idées n'a rien de nécessaire, puisque l'homme produit l'homme, et que l'individu produit l'individu. On peut faire une remarque pareille pour les choses que les arts produisent, puisque l'art de la médecine est la définition même et la notion de la santé.



 

§ 1. Ne peuvent être produites. Voir plus haut, livre VII, ch.VIII, §§ 2 et 3; et la Physique, liv. I, ch. X, § 8, p. 494 de ma traduction. - La matière et la forme dernière. C'est-à-dire : « prises au sens le plus général. » - Tout changement change quelque chose. Voir plus haut, liv. VII, ch. VII, § 1, les mêmes théories beaucoup plus développées. - C'est la forme. Dans la Physique, liv. I. ch. X, § 9. Aristote renvoie spécialement la question de la forme à la Philosophie première, c'est-à-dire à la Métaphysique. Voir plus haut, liv. Vll, ch. VIII, § 2.

§ 2. Qui porte le même nom qu'elle. L'exemple qu'en donne Aristote un peu plus bas, c'est qu'un homme produit un homme. Voir plus haut, liv. VII. ch. VIII, § 9,  - Du hasard, ou de leur popre spontanéité. Sur ces différences, voir la Physique, liv. Il, ch. IV, et surtout ch. VI, p. 41 de ma traduction. - Un homme produit un homme. Il semble que, ceci serait mieux placé un peu plus haut après ces mots : « Le même nom qu'elle a. » M. Schwegler proposait cette transposition; mais M. Bonitz ne l'accepte pas, tout en reconnaissant qu'elle est assez logique. Il attribue cette incorrection à la négligence extrême avec laquelle toute cette partir de la Métaphysique est rédigée.

§ 3. Trois substances. Plus haut, ch. I, § 3, on a distingué aussi trois substances; mais ce ne sont pus les mêmes. Ici, ce ne sont pus des substances à proprement parler; ce sont plutôt trois éléments intrinsèques de la substance, la matière, la forme et le composé des deux. L'auteur se sert de l'expression « De trois substances », qui n'est pas justifiée par ce qui suit. - Tout ce qui est Un au contact. Je tire ce sens du commentaire d'Alexandre d'Aphrodise. La leçon ordinaire ne donne pas un sens satisfaisant. - Une simple connexion. Voir plus haut, liv. VIl, ch. XVI, § 2. - La nature. Ce serait plutôt « La forme » ; mais le mot de Nature n'a pas ici un autre sens. - La substance individuelle. Le texte n'est pas aussi précis.

§ 4. De la substance composée. C'est ce que l'auteur vient d'appeler la troisième substance; c'est la chose concrète et sensible. - Si ce n'est dans l'art. Ceci veut dire sans doute que l'art peut être considéré comme séparé et distinct des objets qu'il produit. - D'une autre manière. Il eût été bon d'indiquer précisément quelle est cette autre manière d'être. La forme de la maison est conçue par l'architecte qui la bâtit; et elle n'a qu'une existence intelligible et non réelle, tant que la maison n'existe pas effectivement.

§ 5. La production et la destruction. Prises au sens absolu du mot, et non plus comme pour la maison, prises en un sens indirect et relatif. Aussi, Platon ne se trompe-t-il pas. Cet éloge de la théorie des idées est fait pour nous surprendre, après toutes les critiques dont cette théorie est constamment l'objet de la part d'Aristote; il est vrai que cet éloge est accompagné d'une restriction : « Si toutefois, etc. »  - De la substance par excellence. C'est-à-dire, de la substance individuelle, qui est la dernière en ce sens qu'elle renferme toutes les autres.

§ 6. Les causes motrices. Ces idées ne font pas suite à ce qui précède d'une manière assez évidente; et, bien que ln forme de l'expression grecque soit celle d'une conclusion, on ne voit pas comment les causes motrices interviennent ici, à moins que ceci ne se rapporte à l'architecte qui construit la maison, et qui devient ainsi la cause du mouvement; et à la forme de la maison, qui ne se réalise qu'avec la maison même et en même temps qu'elle. - Qui ne sont que des définitions. Comme la forme de la maison. - Simultanées à l'objet défini. Voir plus haut, § 4.

§ 7. C'est ce qu'il faut voir. Ceci ne semble pas indiquer une étude ultérieure; et l'explication qui suit, sur les diverses parties de l'âme, peut paraître suffisante. - Que l'âme est quelque chose de ce genre. En y reconnaissant deux parties distinctes, comme le fait le Traité de l'âme. liv. III, ch. V, p. 302 de ma traduction. - Cette propriété. D'être permanente et même immortelle.

§ 8. Il est donc bien clair. Cette conclusion ne parait pars ressortir directement de ce qui précède. - L'existence des Idées n'a rien de nécessaire. Ceci semble contredire le § 5, un peu plus haut, où l'auteur admettait la nécessité des Idées pour les choses de la nature. - La définition même et la notion. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte grec.

CHAPITRE IV
Les principes et les causes ne peuvent être identiques pour toutes choses; exemple des substances et des relatifs, dont les principes ne peuvent être les mêmes; sens où l'on peut dire que les principes sont communs; différence du principe et de l'élément; principes généraux au nombre de trois: forme, privation et matière; on peut compter aussi trois causes; mais on peut aussi eu compter quatre, principes ou causes, en y ajoutant le moteur premier, qui meut tout l'univers.

§ 1. Les causes et les principes sont, en un sens, différents pour les différents objets; et en un sens, ils ne le sont pas, si l'on se borne à parler des causes d'une manière générale, et qu'on admette que c'est, par simple analogie, que les principes sont identiques pour tous les êtres. Ainsi, l'on pourrait se demander si, en effet, les principes sont autres, ou s'ils sont les mêmes pour les substances et pour les relatifs, et appliquer à chacune des autres catégories des considérations semblables. Mais, en ceci, il serait insensé de croire à l'identité des principes pour toutes les choses, puisqu'on arriverait à dire que les relatifs et la substance viennent de principes tout pareils.
§ 2. [1070b] En ce cas, comment l'identité serait-elle possible? En dehors de la substance et des autres catégories, il n'y a rien qui puisse être commun; or, l'élément est antérieur aux objets dont il est l'élément. Mais la substance ne saurait être l'élément des relatifs, pas plus qu'aucun des relatifs ne peut être l'élément de la substance. Encore une fois, comment pourrait-il se faire que les éléments de toutes choses fussent les mêmes, puisqu'il est de tout point impossible que jamais aucun des éléments puisse s'identifier avec le composé, que forment les éléments mêmes? Ainsi, les lettres B et A ne sont pas identiques à la syllabe BA, qu'elles forment.
§ 3. Parmi les choses purement intelligibles, il n'y en a pas davantage qui puissent être des éléments, comme seraient, par exemple, l'Un ou l'Être, puisque l'Être et l'Un se retrouvent dans tous les composés. Aucune des choses intelligibles ne peut être, ni substance, ni relation; et cependant, il faudrait nécessairement qu'elles le fussent.
§ 4. Donc, les éléments ne sont pas les mêmes pour toutes choses; ou plutôt, ainsi que nous venons de le dire, ils sont en partie les mêmes, et en partie ils ne le sont pas. lis peuvent bien, par exemple, être les mêmes pour les corps sensibles, où la forme est, tantôt le chaud, et, en un autre sens, le froid, c'est-à-dire la privation du chaud. La matière est ce qui, en puissance, est primitivement en soi le froid et le chaud; mais le chaud et le froid sont des substances, ainsi que les composés qui en viennent, et dont ils sont les principes. Et si du froid et du chaud, il sort quelque chose qui soit Un, comme la chair et l'os, qui en viennent, il faut nécessairement que le produit que forment le chaud et le froid, soit différent d'eux.
§ 5. Ainsi, pour ces corps, les éléments et les principes sont les mêmes; mais pour d'autres corps, ils sont différents. Il est donc impossible de dire en ce sens que les principes sont identiques pour tous les corps. Mais il y a entre eux une analogie pareille à celle qui fait dire que les principes sont au nombre de trois : la forme, la privation et la matière, bien que chacun de ces trois termes varie dans chaque genre particulier : par exemple, dans la couleur, c'est le blanc:, le noir et la surface; c'est la lumière, l'obscurité et l'air, dont les composés sont la nuit et le jour.
§ 6. Mais comme les causes ne sont pas seulement internes, et que, en outre, elles peuvent être extérieures aux objets, ainsi que l'est le moteur, il est évident qu'il y a une différence entre le principe et l'élément. Tous les deux sont également des causes; et le mot de Principe peut avoir les diverses acceptions que nous venons d'indiquer. Mais ce qui produit le mouvement ou le repos, est bien aussi un principe et une substance. Ainsi, par analogie, on peut compter trois éléments, et quatre causes, ou principes différents, dans les différents êtres; et la cause première, telle que le moteur, peut varier d'un objet à un autre. Santé, maladie, corps; dans cet ordre d'idées, le moteur, c'est la médecine; arrangement, désordre d'un certain genre, pierres de taille, le moteur, c'est l'art de l'architecte.
§ 7. Telles sont les nuances d'acception qu'on peut distinguer dans le mot de Principe. Mais comme le moteur, pour les hommes qui existent dans la nature, c'est l'homme, et que, pour les hommes purement intelligibles, le moteur, c'est la forme ou le contraire de la forme, il y a trois causes, si l'on veut, quoiqu'on puisse aussi en compter quatre. En effet, la santé, à certains égards, se confond avec la médecine; la forme de la maison se confond avec l'architecture, qui la construit; l'homme produit l'homme. Puis, en dehors de ces objets, et comme étant le premier de tous ces moteurs, il y a le moteur qui met tout en mouvement dans l'objet entier.
 

§ 1. Les causes et les principes. Le discussion qui remplit ce chapitre ne tient que de très loin à toutes celles qui précèdent. Il est bien difficile de croire que celle-ci soit de le main d'Aristote, bien qu'elle reproduise assez exactement ses théories. - Si l'on se borne. Le texte n'est pas aussi formel. - Par simple analogie. Ou « proportionnellement »; par exemple, ce que l'airain est à la statue, le bois l'est à la table qui en est faite; et, en ce sens, on pourrait dire que le principe de le statue est le même que celui de la table. - Pour les substances et pour les relatifs. Les relatifs sont pris pour exemple, par-ce que ce sont eux qui, parmi toutes les catégories, s'éloignent le plus de la substance. - Des considérations semblables. C'est-à-dire se demander si les causes et les principes de la quantité, de la qualité, etc., sont les mêmes que ceux de la substance.

§ 2. Comment l'identité serait-elle possible? Le texte n'est pas aussi formel; mais le sens ne peut être douteux. - Rien qui puisse être commun. L'expression est bien vague; mais je n'ai pas cru pouvoir la préciser davantage. Le principe qui serait à la fois celui des substances et des relatifs, devrait être, par conséquent, plus général qu'aucune des catégories. Or, il n'y a rien qui soit plus général qu'elles. Ainsi, le principe commun ne saurait être en dehors des catégories. - La substance ne saurait être l'élément des relatifs. C'est-à-dire que le principe commun ne peut pas être non plus une des catégories. Toutes ces théories sont fort obscures.

§ 3. Purement intelligibles. Qui n'ont aucune réalité extérieure, et qui ne sont quelque chose que pour l'esprit qui les conçoit. - Aucune des choses. Les choses intelligibles ne sont ici que l'Un et l'Être, pris au sens purement logique.

§ 4. Donc. Cette conclusion ne ressort pas assez clairement de ce qui précède. - Nous venons de le dire. § 1. - Les mêmes pour les corps sensibles. Il est certain que la matière du corps sensible reste la même, que ce corps soit chaud ou qu'il soit froid ; mais le principe du froid n'est pas le même que celui de la chaleur; et, en ce sens, on ne peut pas dire que le principe reste le même. - La Matière... Elle est en puissance l'un et l'autre des contraires; mais, en réalité, en acte, elle est nécessairement l'un des deux. - Sont des substances. En d'autres termes, des réalités actuelles qui ne peuvent pas être, comme la matière, l'un ou l'autre contraire, mais qui sont précisément et effectivement l'un des deux. - La chair et l'os qui en viennent. Il ne faut pas attacher plus d'importance qu'il ne convient à cette physiologie.

§ 5. Pour ces corps. Les corps sensibles, dont il a été question au § précédent. - Une analogie. Voir plus haut, § 1. - Au nombre de trois. Cette théorie appartient tout entière à Aristote; et c'est surtout dans la Physique qu'il l'a exposée. - La surface. Il est difficile de comprendre que la surface soit la matière de la couleur; le blanc, si l'on veut, en est la forme; le noir est la privation du blanc; mais la matière de la couleur, c'est le corps qui est coloré; et le mot de Surface ne veut pas sans doute dire autre chose. - C'est la lumière, l'obscurité et l'air. Correspondant au blanc, au noir et à la surface. - La nuit et le jour. Cette phrase pourrait bien être une addition faite par quelque scholiaste, et passée ensuite dans le texte.

§ 6. Les causes. Au début du chapitre, l'auteur s'est proposé d'étudier les causes des choses, pour savoir si les causes peuvent être identiques pour tous les êtres, ou si elles varient avec les êtres différents. Il ajoute ici que les causes peuvent être, ou intérieures, ou extérieures. La cause motrice est en général extérieure à l'objet sur lequel elle agit, bien qu'il y ait aussi des êtres qui ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement et de leur inertie. - Les diverses acceptions que nous venons d'indiquer. Le texte est beaucoup moins explicite; et il se sert simplement d'un pronom indéfini. Je crois avec M. Bonitz que ce pronom se rapporte à ce qui a été dit plus haut sur la forme, la privation et la matière. - Trois éléments. Qui sont intrinsèques à la chose : matière, forme et privation. - Quatre causes. Qui rentrent en partie dans les trois éléments : essentielle, matérielle, motrice, et finale. - Santé, maladie, corps. La rédaction grecque n'est pas plus régulière ni plus précise que ne l'est ma traduction.

§ 7. Telles sont les nuances... de Principe. M. Bonitz propose d'omettre cette phrase. qu'Alexandre d'Aphrodise n'a pas commentée et qu'il paraît n'avoir pas connue; quelques manuscrits l'omettent aussi. Elle interrompt, en effet, la suite des pensées, qui se continue dans la phrase suivante. - Pour les hommes qui existent dans la nature. J'ai suivi la leçon que donnent quelques manuscrits, et qu'adoptent MM. Bonitz et Schwegler dans leur texte. - Et que pour les hommes purement intelligibles. L'expression grecque est très vague ; j'ai cru devoir la préciser; mais le sens peut paraître douteux. - Trois causes... en compter quatre. Voir le paragraphe précédent, où c'est le nombre des éléments qui est porté à trois, et celui des causes, à quatre. Il y a évidemment du désordre dans la fin de ce § 7. - En effet. On ne voit pas bien comment cette conclusion se rattache à ce qui précède. - Se confond avec la médecine. Voir plus haut, ch. III, § 8. - L'homme produit l'homme. Voir id., ibid. - Le moteur qui met tout en mouvement. L'expression du texte est aussi vague que ma traduction; il est peu probable qu'il s'agisse du premier moteur dans l'univers; et il semble qu'il s'agit plutôt du moteur qui est le premier dans une suite de moteurs qui sa succèdent pour arriver à un résultat dernier.

CHAPITRE V
Rôle des substances; elles sont les premières entre toutes les choses; identité et diversité des principes; rapports de l'acte et de la puissance; la matière n'est jamais qu'en puissance, afin de recevoir tour à tour les contraires; exemple des causes et des éléments de l'homme; des universaux; c'est l'individu qui produit l'individu; l'universel n'a pas d'existence réelle; principes généraux; diversités d'applications qu'ils peuvent recevoir; les primitifs sont nécessairement en acte.

§ 1. Comme, parmi les choses, les unes peuvent avoir une existence séparée, et que les autres ne le peuvent pas, ce sont les premières qui sont les substances; [1071a] et ce qui fait que les substances sont les causes de tout le reste, c'est que, sans les substances, les modes des choses et leurs mouvements ne sauraient exister. Il se peut ensuite que les substances soient l'âme avec le corps, ou l'intelligence et le désir, ou le corps tout seul.
§ 2. Sous un autre point de vue, les principes sont les mêmes par analogie : tels sont l'acte et la puissance; ce qui n'empêche pas que l'acte et la puissance ne soient différents, selon les différents objets, et qu'ils ne s'y comportent différemment. Ainsi, dans certains cas, c'est la même chose qui est, tantôt en acte, et tantôt en puissance ; et ces diversités peuvent se retrouver, par exemple, pour le vin, pour la chair, pour l'homme. Ceci rentre alors dans les causes énumérées par nous. Ainsi, la forme est en acte, quand il existe un être qui peut être séparé, ou quand existe le composé qui résulte des deux. La privation, c'est l'obscurité, ou c'est la maladie. La matière n'est qu'en puissance, puisqu'elle n'est que ce qui peut devenir indifféremment l'un ou l'autre des contraires.
§ 3. L'acte et la puissance diffèrent encore d'une autre manière, dans les choses dont la matière n'est pas la même, et quand leur forme, au lieu d'être la même, est différente aussi. Par exemple, la cause qui produit l'homme, ce sont les éléments, c'est-à-dire le feu et la terre, en tant qu'ils sont la matière; c'est, en outre, sa forme propre ; et aussi, tel autre être extérieur, notamment le père qui l'a engendré. Mais, outre ces causes, on peut dire encore que la cause de l'homme, c'est le soleil et le cercle oblique que le soleil décrit. Ce ne sont là, ni la matière, ni la forme de l'homme, ni la privation, ni rien qui lui soit homogène; mais ce sont ses principes moteurs.
§ 4. Il faut remarquer encore qu'il y a des causes qui peuvent recevoir une appellation universelle, et d'autres auxquelles une telle appellation ne s'applique pas. Ainsi, Ies premiers principes de toutes choses, ce sont le primitif actuel et la forme; à un autre égard, c'est ce qui est en puissance, ou le possible. Mais les universaux ne sont pas des principes, attendu que l'individuel seul peut être le principe des individus. Homme est bien l'universel de l'homme, mais ce n'est jamais tel ou tel homme; tandis que c'est Pélée qui est réellement le principe d'Achille; c'est votre père qui est votre principe ; et c'est tel B qui est le principe de telle syllabe BA ; si B est universel et absolu, BA l'est également.
§ 5. De plus, les espèces sont les principes des substances. C'est que les causes et les éléments diffèrent, ainsi qu'on l'a dit, pour les choses qui ne sont pas dans le même genre: les couleurs et les sons, par exemple, ou bien aussi la substance et la quantité. Les principes ne se confondent que par analogie. Ils sont encore différents même pour des choses qui sont de la même espèce; non pas qu'alors ils diffèrent spécifiquement, mais ils diffèrent en ce sens qu'il y a un principe distinct pour chaque individu. Et, par exemple, la matière dont vous êtes fait, votre forme et votre moteur, ne sont, ni ma matière, ni ma figure, ni mon moteur. On ne pourrait les identifier que par leur définition générale.
§ 6. Quant à savoir quels sont les principes et les éléments des substances, des relatifs, des qualités, et s'ils sont différents ou s'ils sont identiques, il est évident que, si l'on ne consulte que leurs acceptions multiples, ils peuvent être les mêmes pour chaque chose; mais que, si l'on y fait les distinctions nécessaires, ils ne sont plus les mêmes, et qu'ils sont autres. Ils ne sont identiques qu'en ce sens qu'ils sont les principes de tout, ou le sont au moins par analogie, en tant qu'ils sont la matière, la forme, la privation, et le moteur en toutes choses.
§ 7. En un autre sens encore, on peut regarder les causes des substances comme les causes de tout, puisque tout est détruit dès que les substances sont détruites. La cause aussi est le primitif en acte, en Entéléchie. C'est encore de cette façon que se présentent les autres primitifs, tels, que Ies contraires, qui ne peuvent être pris, ni comme des genres, ni en plusieurs acceptions. Enfin, les matières, dans toutes les choses, peuvent être considérées également comme des causes.
§ 8. [1071b] Nous avons donc expliqué ce que sont les principes des choses sensibles. et quel en est le nombre; et nous avons dit aussi comment ils sont les mêmes, et comment ils sont différents.

§ 1. Les substances sont les causes de tout le reste. Ce qui revient à dire que les substances sont les causes de leurs accidents. Cette expression de Causes peut paraître ici peu exacte. Les substances sont le support des attributs; elles n'en sont pas les causes. - Il se peut ensuite... le corps tout seul. M. Bonitz déclare ne pas comprendre le sens de toute cette phrase, et il trouve que les explications d'Alexandre d'Aphrodise n'éclaircissent pas du tout la pensés fort obscure du texte. Alexandre, en effet, prétend que « l'âme avec le corps » se rapporte aux plantes, que « l'intelligence, le corps et le désir » se rapportent aux hommes; et enfin, que « le corps et ne désir » se rapportent aux animaux privés de raison. Cette explication ne me paraît pas acceptable; et il faut avouer, avec M. Bonitz, que le texte grec, dans l'état où il nous est parvenu et où l'avait déjà Alexandre d'Aphrodise ne nous offre pas de sons satisfaisant.

§ 2. Sont les mêmes par analogie. L'auteur semble revenir ici à la question déjà traitée plus haut, ch. IV, § 1. - Tels sont l'acte et la puissance. L'expression est peut-être trop vague; et il ne faudrait pas comprendre que l'auteur veuille ici identifier l'acte et la puissance; seulement, l'acte et la puissance ont cette analogie que la puissance peut venir de l'acte, comme l'acte peut venir de la puissance. - Pour le vin. C'est-à-dire que le vin actuel est en puissance du vinaigre. - Pour la chair. C'est-à-dire que la chair actuelle représente en puissance les aliments qui l'ont formée. - Pour l'homme. Qui est actuellement malade, et qui, en puissance, jouit de la santé. - Énumérées par nous. Voir plus haut, ch. IV, § 5. - Un être qui peut être séparé. Il faut entendre par là l'individu, distinct et séparé de tous les autres par son existence propre et indépendante. - Le composé qui résulte des deux. C'est-à-dire, l'être composé de la matière et de la forme, qui se sont réunies pour le constituer. - La privation, c'est l'obscurité. Ces pensées se suivent peu, et l'on ne voit pas le lien qui les rattache l'une à l'autre.

§ 3. L'acte et la puissance. Tout ce § est fort embarrassé; et les efforts des commentateurs n'en ont pas dissipé les obscurités : les explications d'Alexandre d'Aphrodise sont plus qu'insuffisantes, et il en arrive à conclure que l'acte et la puissance sont pour le soleil et le cercle oblique autres que pour l'homme, par exemple pour Socrate et Sophronisque, son père. - D'une autre manière. Ceci est en partie une répétition du § précédent. - La cause qui produit l'homme. L'expression n'est pas très juste; et l'on ne peut pas dire que les éléments soient la cause de l'homme, même en supposant qu'ils entrent dans sa composition, ainsi qu'on le prétend ici ; ils en sont la matière plutôt que la cause, comme l'auteur le dit lui-même dans la phrase suivante. - Outre en causes. Voir une théorie toute pareille dans le Traité de la Production, liv. II, ch. X, § 3, p. 172 de ma traduction. - Le cercle oblique. C'est l'écliptique, c'est-à-dire, la course apparente du soleil, réglant les saisons diverses de nos climats, favorisant ou arrêtant la production générale des choses. - Qui lui soit homogène. Comme le père l'est au fils qu'il engendre. - Ce sont ses principes moteurs. C'est remonter bien haut que de remonter jusqu'au soleil, pour expliquer la génération de l'homme.

§ 4. Il y a des causes. Le texte est moins formel ; mais je tire ce sens du commentaire d'Alexandre d'Aphrodise; ce sens ressort d'ailleurs de tout le contexte. - Le primitif actuel. En d'autres termes, l'Individu, comme il est dit dans la phrase suivante. - Ou le possible. C'est la paraphrase du mot précédent. - Les universaux. Ou aussi: « Les causes exprimées d'une manière universelle. »  - L'individu seul... En vertu de cet exemple souvent cité : « L'homme engendre l'homme  »; mais l'homme individuel, et non pas l'homme en général. - Retiennent. J'ai ajouté ce mot. - Universel et absolu. Il n'y a qu'un seul mot dans le grec.

§ 5. De plus, les espèces sont les principes des substances. C'est le sens que donne Alexandre d'Aphrodise, et qu'adopte aussi M. Schwegler. M. Bonitz pense qu'il vaut mieux sous-entendre ici, et répéter, le début du § précèdent. On traduirait alors  : « Ensuite, il faut regarder aux espèces des substances. etc, » il est certain que cette explication est plus d'accord avec tout le contexte. - Ainsi qu'on l'a dit. Voir plus haut, ch. IV, §§ 1 et 5. - Leur définition générale, En d'autres termes : « Par leur espèce. »

§ 6. Des substances, des relatifs. Voir plus haut, ch. IV, § 1, une question à peu près pareille, dont celle-ci n'est qu'un développement peu nécessaire. - En toutes choses. J'ai ajouté ceci, pour compléter la pensée.

§ 7. Tout est détruit... Voir plus haut, § 1. Ceci est encore une répétition peu utile. - La cause aussi est le primitif. Le texte est moins formel. - De cette façon, C'est-à-dire : « Comme des causes et des principes. ». - Comme des causes. C'est le sens que j'emprunte au commentaire d'Alexandre d'Aphrodise.

§ 8. Nous avons donc expliqué. Conclusion d'une discussion qui est assez confuse et bien peu régulière. - Avec ces cinq chapitres, se termine la première partie du livre XII; et, avec le Vie chapitre, commence la théorie qui donne à ce livre une si haute importance. Voir la Dissertation sur la composition de la Métaphysique.

CHAPITRE VI
Nécessité d'une substance éternelle et immobile ; le mouvement est éternel, ainsi que la durée ; le temps et le mouvement se mesurent mutuellement et se confondent; l'acte est indispensable au mouvement; la puissance n'y suffit pas ; critique de la théorie des idées; il faut une substance éternelle, et immatérielle; question de l'antériorité entre l'acte et la puissance ; opinions des Théologues et des Naturalistes; Leucippe et Platon soutiennent l'éternité de l'acte; question du premier principe ; lacune dans la théorie de Platon; l'antériorité de l'acte sur la puissance est soutenue par Anaxagore, Empédocle et Leucippe; uniformité et régularité périodique de l'univers ; conditions de la production et do la destruction éternelles des choses; nécessité d'un premier principe actuel et agissant sur un autre principe; les deux principes réunis sont causes de la diversité éternelle des phénomènes.

§ 1. Nous avons reconnu qu'il y a trois substances, dont deux sont physiques, et dont la troisième est immobile. Maintenant nous allons démontrer, pour cette dernière, que, de toute nécessité, il n'y a qu'une substance éternelle qui puisse être immobile. Les substances, en effet, sont les premiers des êtres; et si toutes les substances étaient périssables, tout absolument serait périssable comme elles. Mais il est impossible que le mouvement naisse, ou qu'il périsse, puisqu'il est éternel, ainsi que nous l'avons établi. Le temps ne peut pas davantage commencer ni finir, puisqu'il ne serait pas possible qu'il y eût, ni d'Avant, ni d'Après, si le temps n'existait pas.
§ 2. Ajoutons que le mouvement est continu de la même manière que le temps peut l'être aussi ; car, ou le temps se confond identiquement avec le mouvement, ou il est un de ses modes. Or, le mouvement ne peut être continu que dans l'espace; et le seul mouvement qui, dans l'espace, puisse être continu, c'est le mouvement circulaire.
§ 3. Mais l'être capable de mouvoir, ou capable de faire quelque chose, a beau exister, s'il n'agit pas actuellement dans une certaine mesure, il ne peut pas y avoir de mouvement, puisqu'il se peut fort bien que ce qui a la puissance d'agir n'agisse pas . Il serait donc bien inutile de supposer des substances éternelles, et nous nous abstiendrions de le faire, comme d'autres supposent, les Idées, s'il ne devait pas y avoir un principe qui fût en état de produire le changement. Mais ce principe lui-même, non plus que toute autre substance, qu'on supposerait en dehors des Idées, ne suffit pas ; car, si cette substance n'agit point, le mouvement sera impossible. Et même elle agirait, que ce n'est encore rien, si sa substance n'est qu'en puissance; car alors, le mouvement ne sera pas éternel, puisque ce qui n'est qu'en puissance peut aussi n'être pas.
§ 4. Il doit donc exister un principe dont l'essence soit d'être en acte. De plus, il faut que de telles substances soient sans matière; car ce sont les substances sans matière qui doivent être éternelles, s'il y a quelque chose d'éternel au monde. Donc, elles sont en acte.
§ 5. Mais ici on soulève un doute, et l'on dit :
« Il semble que tout ce qui est en acte doit être aussi en puissance, tandis que tout ce qui est possible n'est pas toujours actuel. Par conséquent, la puissance est antérieure à l'acte. » Que si l'on admet cela, pas un seul être ne pourra plus exister ; car il est très concevable que quelque chose ait la puissance d'être, sans être cependant encore. Mais, si comme le disent les Théologues, c'est de la Nuit que tout vient, ou si, avec les Naturalistes, nous supposons qu'au début toutes choses étaient confondues ensemble, l'impossibilité est la même; car, d'où pourra venir le mouvement, s'il n'y a pas actuellement de cause qui le produise? Certes, ce n'est pas la matière qui se donne à elle-même le mouvement; c'est, par exemple, l'art de l'architecte, qui le lui communique. Ce ne sont pas davantage les menstrues, ce n'est pas la terre qui donneront non plus le mouvement; mais c'est la liqueur séminale et le germe.
§ 6. De là vient que quelques philosophes ont affirmé que l'acte est éternel, comme Leucippe et Platon, attendu, disent-ils, qu'il faut que le mouvement subsiste toujours. Mais ces philosophes ne nous apprennent pas pourquoi le mouvement a lieu, ni quel il est; ils ne nous apprennent pas non plus comment il est ce qu'il est, et ils ne remontent pas davantage jusqu'à sa cause. Rien, en effet, ne se meut au hasard ; mais il faut qu'il y ait quelque chose qui subsiste éternellement; de même qu'il y a, sous nos yeux, des choses qui sont mises en mouvement par leur nature, ou qui sont mues toujours par force de telle ou telle manière, ou qui le sont par l'intelligence de l'homme, ou par tel autre principe que nous pouvons observer.
§ 7. On peut se demander aussi : Quel est le premier de tous les mouvements ? C'est là un point d'une importance incalculable. Et. pourtant, Platon lui-même ne peut dire que ce soit le principe qui, comme il l'affirme quelquefois, [1072a] se donne le mouvement à lui-même. Car, à l'entendre, l'âme est postérieure au Ciel, ou contemporaine du Ciel.
§ 8. Mais supposer que la puissance est antérieure à l'acte, c'est une opinion qui est juste à certains égards, et qui, à certains égards, ne l'est pas. Nous en avons expliqué la raison. Que l'acte soit antérieur à la puissance, c'est ce que croit Anaxagore, puisque l'Intelligence, telle qu'il la conçoit, est en acte. C'est ce que croit aussi Empédocle, avec sa doctrine de l'Amour et de la Discorde ; c'est ce que pensent, enfin, ceux qui, comme Leucippe, affirment l'éternité du mouvement. Par conséquent, le Chaos ou la Nuit n'ont pas subsisté durant un temps infini. Or, les choses sont éternellement les mêmes qu'elles sont, soit qu'elles aient des périodes régulières, soit qu'elles aient toute autre organisation, du moment qu'on admet que l'acte est antérieur à la puissance. Mais si l'univers, dans sa périodicité, reste toujours le même, il faut qu'il y ait quelque chose de permanent et d'éternel, qui agisse toujours de la même manière. Enfin, pour qu'il y ait production et destruction des choses, il faut qu'il existe un autre principe qui puisse agir éternellement, soit dans un sens, soit dans l'autre.
§ 9. Donc, il y a nécessité que ce principe agisse en soi directement, et qu'il agisse aussi sur un autre que lui. Il faut, par conséquent, qu'il agisse, ou sur l'autre principe, ou sur le primitif. Or, nécessairement, c'est sur ce dernier; car, à son tour, le primitif est à la fois cause pour lui-même et pour l'autre. Le primitif est donc supérieur; car c'est lui, comme nous l'avons vu, qui est cause de l'uniformité éternelle des choses, tandis que l'autre principe est cause de leur diversité. Mais, évidemment, ce sont les deux ensemble qui sont causes de leur diversité éternelle.
§ 10. Voilà ce que sont les mouvements ; et à quoi bon, dès lors, chercher d'autres principes ?

§ 1. Nous avons reconnu. Voir plus haut, ch. 1, § 3. - Sont physiques... L'expression est assez vague ; mais Physiques veut dire sans doute Perceptibles à nos sens. La troisième substance est purement intelligible. Les deux premières sont soumises au mouvement; la troisième est essentiellement immobile. - Les premiers des êtres. Voir plus haut, ch. IV, § 1, et aussi ch. 1, § 1.  - Que le mouvement naisse ou qu'il périsse. Le mouvement et le temps sont éternels; et, par conséquent. voilà tout au moins deux choses qui ne peuvent pas être périssables. - Ainsi que nous l'avons établi. Voir la Physique, liv. VIII, ch. 1, §1. et suiv, p. 453 de me traduction, où cette grande discussion reçoit tous les développements nécessaires. - Le temps ne peut pas davantage commencer ni finir. Parce qu'il est éternel, comme le mouvement.

§ 2. Le mouvement est continu. Voir la Physique, liv. VIII, ch. X, pp. 518 et suiv. -  Le mouvement circulaire. Ce mouvement est celui de tous les grands corps qui peuplent le ciel; seulement, le mouvement n'est pas absolument circulaire, mais elliptique. Ces grands corps ont en outre un mouvement de rotation sur eux-mêmes, qu'on peut considérer aussi comme circulaire. Ainsi, le principe général que pose Aristote est assez exact.

§ 3. Capable de mouvoir ou capable de faire. C'est une puissance, qui ne suffit pas, si elle ne devient pas actuelle. - Ce qui a la puissante d'agir. Rester à l'état de puissance, c'est être comme si l'on n'était pas. - Supposent les Idées. Dans le système platonicien, les Idées semblent rester à l'état de puissance inféconde, sans jamais passer â la réalité actuelle et effective. - Que toute autre substance. M. Bonitz pense avec raison qu'il s'agit ici des nombres. tels que les Pythagoriciens les entendent. - Et même elle agirait... n'être pas... Il semble que ceci n'est qu'une répétition inutile de ce qui précède; le commencement du § exprime suffisamment la même pensée.

§ 4. Un principe... de telles substances... Dans la théorie d'Aristote, le principe est unique; et s'il parle de substances multiples, qui sont immatérielles et éternelles, le fond de la pensée n'en reste pas moins le même. - Sans matière. Car, c'est la matière qui est la cause du changement et qui le rend possible, puisque c'est elle qui passe de l'un des contraires à l'autre contraire.

§ 5. Et l'on dit. Le texte est moins précis. - La puissance est antérieure à l'acte. C'est la conclusion de l'objection contre laquelle Aristote s'élève. Pour lui, l'acte est nécessairement antérieur à la puissance. - Les Théologues. Voir plus haut, liv. I, ch. III, § 14. C'est sans doute Orphée et Hésiode qu'Aristote veut désigner ici. - Avec les Naturalistes. Ce sont Ica philosophes de l'école Ionienne, et aussi Anaxagore, dont le principe sur la confusion primitive de toutes choses est rappelé de nouveau. - L'impossibilité est la même. En d'autres termes, on n'explique pas la cause initiale et universelle du mouvement. - Les menstrues. Elles servent à nourrir et à développer l'être qui sort du germe séminal ; mais ce n'est pas elles qui donnent d'abord le mouvement d'où il vient. - La liqueur séminale. Pour les animaux. - Le germe. Pour les plantes que la terre nourrit et développe ensuite.

§ 6. Leucippe et Platon. Voir la Traité du Ciel, liv. Ill, ch. II, §§ 3 et 4, p. 236 de ma traduction. Voir aussi le Timée de Platon, p. 119, traduction de M. Victor Cousin. - Ils ne remontent pas davantage jusqu'à sa cause. On peut trouver que cette critique n'est pas très juste, du moins contre Platon; et son Timée atteste qu'Il s'était occupé, au contraire, beaucoup des questions qu'Aristote lui reproche ici d'avoir omises. - De l'homme. J'ai ajouté ces mots, pour compléter le sens que je tire du commentaire d'Alexandre d'Aphrodise.

§ 7. Pourtant, Platon lui-même. M. Bonitz, avec Édouard Zeller, trouve que ce reproche n'est pas fondé ; et il défend Platon contre Aristote. - Qui se donne le mouvement à lui-même. C'est l'âme; voir le Phèdre, p. 46 de la traduction de M. V. Cousin, et le Timée, p. 140 et suiv.

§ 8. La puissance est antérieure à l'acte. Voir plus haut, § 5. - Nous en avons expliqué la raison. Voir plus haut, § 3. - Le Chaos ou la Nuit. Cette objection contre le Chaos et la Nuit, considérés comme l'origine des choses, est très remarquable ; et sans qu'Aristote se prononce très nettement sur le problème de la création, il paraît bien supposer que l'intelligence divine est le principe de l'univers, Voir plus haut, liv. I, ch. IV. - Des Périodes régulières. Comme le veut Empédocle; voir liv. I, ch. IV, § 8. - Qu'on admet que l'acte est antérieur. C'est la théorie même d'Aristote. - Pour qu'il y ait production et destruction des choses. M. Bonitz rappelle, à l'occasion de cette théorie, un passage explicite et décisif du Traité de la production et de la destruction, liv. II, ch. X, § 2, p. 171 de ma traduction. - Un autre principe. Alexandre d'Aphrodise pense qu'il s'agit ici des deux principes supérieurs qui régissent le monde, dans le système d'Aristote : la sphère des étoiles fixes, et la sphère qui comprend le soleil et les autres planètes. Le principe qui préside à la sphère des étoiles fixes, est immuable; le second produit, au contraire, deux mouvements, l'un de production et l'autre de destruction. C'est ce qu'Aristote appelle le cercle oblique. Il ne fait d'ailleurs ici que résumer des théories qui sont beaucoup plus développées dans le Traité de la production et de la destruction, loc. cit., et aussi dans le Traité du Ciel, liv. III, ch. I et suiv.

§ 9. Ce principe. Le principe dont il est question ici, est le principe même du mouvement universel. - Un autre que lui. C'est le mouvement oblique, c'est-à-dire celui qui se fait sur l'écliptique, et qu'indiqua le cours du Soleil, deus les apparences de chaque jour. - Ou sur le primitif. Par primitif, il faut entendre le principe universel du mouvement, qui est antérieur au mouvement oblique. - Comme nous l'avons vu. Le texte est moins précis; et il n'indique cette référence que par un verbe, mis au passé indéfini. Ceci peut se rapporter à ce qui est dit plus haut, § 8, et aussi à divers passages du Traité du ciel et du Traité de la production et de la destruction des choses.

§ 10. D'autres principes. Alexandre d'Aphrodise croit qu'il s'agit ici des Idées platoniciennes. Peut-être, la critique ne concerne-t-elle pas précisément la théorie des Idées et ne s'adresse-t-elle qu'aux théories du Phèdre et du Timée sur le mouvement. Voir plus haut, § 7 et la note.

CHAPITRE VII
Conséquences de l'éternité du mouvement; nécessité d'un être éternel qui le produise et le maintienne; opinion qu'on peut se faire de ce mouvement produit par un être immobile ; action qu'exerce l'objet désiré sur les êtres qui le désirent ; nécessité de diverses nuances; nécessité de l'absolu, principe auquel sont suspendus l'univers et la nature; la vie de Dieu, autant que l'homme peut la concevoir d'après la sienne propre ; comment l'intelligence et l'intelligible peuvent se confondre; définition de Dieu; son éternelle félicité de contemplation; erreur des Pythagoriciens et de Speusippe, qui font le germe antérieur à l'être d'où le germe est sorti. Le principe éternel ne peut avoir aucune grandeur, ni finie, ni infinie.

§ 1. Comme il peut en être ainsi qu'on vient de le dire, et comme, s'il n'en était pas ainsi, tout viendrait de la Nuit, ou de la confusion primitive de toutes choses, ou même du Néant, du Non-Être; nous pouvons affirmer que ces difficultés sont résolues pour nous. Oui, il existe quelque chose qui est éternellement mû, d'un mouvement qui ne s'arrête jamais; et ce mouvement est circulaire. Cette vérité n'est pas évidente seulement pour la raison ; elle est, en outre, évidemment prouvée par les faits eux-mêmes.
§ 2. Donc, le premier ciel est éternel; donc, il existe aussi quelque chose, qui lui donne le mouvement. Mais, comme le mobile intermédiaire est mû et meut à son tour, il faut concevoir quelque chose qui meut sans être mû, quelque chose d'éternel, qui est substance et qui est acte. Or, voici comment il meut : c'est comme le désirable et l'intelligible, qui meut sans être mû. De part et d'autre, pour l'intelligible et le désirable, les primitifs sont les mêmes. L'objet désiré est ce qui nous parait être bien; et le primitif de la volonté, c'est le bien même. Nous le souhaitons, parce qu'il nous paraît souhaitable, bien plutôt qu'il ne nous paraît souhaitable parce que nous le souhaitons; car, en ceci, c'est l'intelligence qui est le principe. Or, l'intelligence n'est mue que par l'intelligible.
§ 3. L'intelligible est l'autre série, qui existe par elle-même; c'est en elle qu'est la substance première, et c'est en celle-ci qu'existent la substance absolue et la substance en acte. Mais l'Un et l'Absolu ne se confondent pas; l'Un exprime la mesure; l'Absolu exprime la manière d'être de la chose. Toutefois, le bien et le préférable en soi, sont dans la même série ; et c'est le primitif qui est toujours, ou le meilleur, ou ce qui est analogue au meilleur. [1072b] Pour se convaincre que le pourquoi des choses est dans les immobiles, il suffit de faire la division suivante : Le pourquoi s'applique à un objet; et de ces deux termes, le pourquoi est dans les immobiles; l'objet n'y est pas. Le pourquoi détermine le mouvement, en tant qu'il est animé; et, une fois mû, il meut tout le reste.
§ 4. Si donc une chose est mue, c'est qu'elle peut aussi être autrement qu'elle n'est. Par conséquent, si la translation est le premier des mouvements, et si elle est un acte en tant qu'elle est mue, il faut aussi qu'elle puisse être autrement qu'elle n'est, au moins relativement au lieu, si ce n'est dans sa substance. Mais, du moment qu'il existe une chose qui donne le mouvement, en étant elle-même immobile et en étant actuelle, cette chose-là ne peut absolument point être autrement qu'elle n'est; car la translation est le premier des changements ; la première des translations est la translation circulaire; et c'est elle que produit le premier moteur.
§ 5. Donc, de toute nécessité, ce principe existe; en tant que nécessaire, il est parfait tel qu'il existe; et c'est à ce titre qu'il est le principe. D'ailleurs, le nécessaire peut s'entendre avec diverses nuances : nécessité de violence qui contraint notre penchant; nécessité de ce qui est indispensable à la réalisation du bien; enfin, nécessité de ce qui ne peut pas être autrement qu'il n'est, et est absolu. C'est à ce principe, sachons-le, qu'est suspendu le monde, et qu'est suspendue la nature. Cette vie, dans toute la perfection qu'elle comporte, ne dure qu'un instant pour nous. Mais lui, il en jouit éternellement, ce qui pour nous est impossible; sa félicité suprême, c'est l'acte de cette vie supérieure.
Et voilà comment aussi pour l'homme, veiller, sentir, penser, c'est le comble du bonheur, avec Ies espérances et les souvenirs qui se rattachent à tous ces actes.
§ 6. L'intelligence en soi s'adresse à ce qui est en soi le meilleur; et l'intelligence la plus parfaite s'adresse à ce qu'il y a de plus parfait. Or, l'intelligence arrive à se penser elle-même, en se saisissant intimement de l'intelligible; elle devient intelligible, en se touchant elle-même, et en se pensant, de telle sorte que l'intelligence et l'intelligible se confondent. En effet, ce qui peut être à la fois l'intelligible et la substance, c'est l'intelligence; et elle est en acte, quand elle les possède en elle-même. Par conséquent, ce que l'intelligence semble avoir de divin appartient plus particulièrement encore à ce principe ; et la contemplation est ce qu'il y a, dans l'intelligence, de plus délicieux et de plus relevé.
§ 7. Si donc Dieu jouit éternellement de ce suprême bonheur, que nous, nous ne goûtons qu'un moment, c'est une chose déjà bien admirable; mais, s'il y a plus que cela, c'est encore bien plus merveilleux. Or, il en est bien ainsi ; et la vie appartient certainement à Dieu, puisque l'acte de l'intelligence, c'est la vie même, et que l'intelligence n'est pas autre chose que l'acte. Ainsi, l'acte en soi est la vie de Dieu ; c'est la vie la plus haute qu'on puisse lui attribuer; c'est sa vie éternelle; et voilà comment nous pouvons affirmer que Dieu est l'être éternel et l'être parfait. Donc, la vie, avec une durée continue et éternelle, est son apanage; car Dieu est précisément ce que nous venons de dire.
§ 8. On méconnaît la vérité, quand on suppose, comme le font les Pythagoriciens et Speusippe, que le bien et le beau parfaits ne sont pas dans le principe des choses, par cette raison que, si, dans les plantes et Ies animaux, leurs principes aussi sont des causes, le beau et le parfait ne se trouvent, cependant, que dans les êtres qui proviennent de ces principes. C'est là une erreur, puisque le germe provient lui-même d'êtres parfaits qui lui sont antérieurs; car le primitif, ce n'est pas le germe ; c'est l'être complet qui l'a produit. [1073a] Sans doute, on peut bien dire que l'homme est antérieur au germe ; mais l'homme antérieur n'est pas l'homme qui est venu du germe, c'est, au contraire, cet autre homme d'où le germe est venu.
§ 9. Ce qui précède suffit pour démontrer l'existence d'une substance éternelle, immobile, séparée de tous les autres êtres que nos sens peuvent percevoir. Il a été démontré aussi qu'une substance de cet ordre ne peut pas avoir une grandeur quelconque, mais qu'elle est sans parties et sans divisions possibles. Car elle produit le mouvement pendant le temps infini; or, aucun être fini ne peut avoir une puissance infinie; et comme toute grandeur est, ou infinie, ou finie, ce principe ne peut être, ni une grandeur finie, d'après ce qu'on vient de dire, ni une grandeur infinie, parce que nulle grandeur ne peut être infinie, quelle qu'elle soit. Enfin, ce principe doit également être, et impassible, et inaltérable, puisque tous les autres mouvements ne viennent qu'après le mouvement de locomotion.
§ 10. Ces considérations doivent faire voir clairement que les choses sont bien ainsi que nous venons de les exposer.

 

§ 1. Du Néant, du Non-Être. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - Nous pouvons affirmer. Le grec n'est pas aussi positif.

§ 2. Le premier ciel. C'est la sphère des étoiles fixes, en opposition avec le mouvement dit soleil et des planètes. Le premier ciel a un mouvement éternel, qui ne peut venir que du moteur immobile et éternel. C'est en ce sens que doit être compris tout ce passage, que confirment des théories analogues de la Physique, liv. VIII, ch. V, et du Traité de l'âme, liv. III, ch. X. - Qui lui donne le monument. Alexandre d'Aphrodise, suivi par M. Schwegler, comprend, au contraire, que le premier ciel donne le mouvement à quelque chose, qui ne peut être que la sphère des planètes. Avec M. Bonitz, je préfère le sens que j'ai donné dans ma traduction, et qui me paraît plus d'accord avec tout le contexte. - Qui meut sans être mû. C'est le premier moteur de l'univers entier. - Comme le désirable et l'intelligible. En d'autres termes, l'objet de la passion est l'objet de l'entendement, de la raison. - Pour l'intelligible et le désirable. J'ai ajouté ces mots, qui ne sont que le développement des précédents, afin que la pensée soit plus claire. - Les primitifs sont les mêmes. Peut-être, l'expression n'est-elle pas tout à fait juste, puisque la suite prouve que, d'une part, il y a une apparence, et que, d'autre part, il y a une réalité; ici, l'apparence du bois; et le, le bois lui-même. - Le primitif de la volonté. Guidée et éclairée par l'intelligence.

§ 3. L'intelligible est l'autre série. L'intelligence semblerait ici former une première série; l'intelligible en formerait une seconde. Mais peut-être eut-il plus exact de comprendre ce passage au sens qui a été indiqué déjà plus haut, liv. IV, ch, II, §§ 8 et 23, où les deux séries sont celles de l'affirmation, d'une part; et de la négation, d'autre part. - Mais l'Un et l'Absolu. Il est difficile de voir comment ces idées s'enchaînent les unes aux autres. Le commentaire d'Alexandre d'Aphrodite n'aide pas à découvrir quel en est le lien, On pourrait regarder cette phrase comme une interpolation; et M. Victor Cousin n'y voit qu'une remarque épisodique. En la retranchant, les pensées se suivent davantage, sans être encore aussi claires l'on pourrait le désirer. - Le primitif. Ou, « le premier terme » de la série.  - La division suivante. Alexandre d'Aphrodise donne un sens différent, et il croit qu'Aristote veut rappeler ici la Division des Contraires, indiquée plus haut, liv. IV, ch. II, § 8. Je crois que, malgré une si grave autorité, le sens que j'adopte, avec plusieurs autres traducteurs, est plus satisfaisant. Aristote divise souvent le Pourquoi des choses, comme il le fait dans deux passages de la Physique, liv. II, ch. II, § 13, p. 16 de ma traduction, et du Traité de l'âme, liv. II, ch. II, § 5, p. 190 de ma traduction, ainsi que le remarque M. Bonitz. - Est dans les immobiles. Le texte n'est pas aussi précis; mais le sens que je donne parait encore le plus probable. - En tant qu'il est animé. Comme le bien, qui meut sans être mû, et qui est la cause finale de toutes choses. Il faut remarquer la vérité de cette doctrine.

§ 4. Si donc une chose est mue. Ce principe est de toute évidente; et comme le mouvement est toujours un changement, et au moins un changement de lieu, il s'ensuit que le premier moteur doit être immobile, puisqu'il est nécessairement immuable.
§ 4. Est le premier des mouvements.... Alexandre d'Aphrodise paraît avoir ici un texte un peu diffèrent,
« Si la première translation est en acte en tant quelle est mue, elle peut être aussi autrement qu'elle n'est... » - Une chose qui donne le mouvement. L'expression est peut-être un peu vague; mais on voit clairement qu'il s'agit ici du premier moteur, c'est-à-dire de Dieu, qui est immobile et immuable, de même qu'il est éternel. - Car, la translation... Ici encore, on peut trouver que ces idées ne se suivent pas très logiquement.

§ 5. Donc de toute nécessité. Cette conclusion ne ressort pas de ce qui la précède immédiatement; et elle se rapporte plutôt aux phrases antérieures; peut-être y a-t-il eu ici quelque interversion dans le texte.  - Avec diverses nuances. Ces distinctions dans le sens du mot Nécessaire ont été données plus haut, liv. V, ch. V.  M. V. Cousin croit que cette phrase est une parenthèse, comme plus haut, § 3 ; voir sa traduction du XIIe livre de la Métaphysique. - Sachons-le. La particule qu'emploie le grec a cette force. - Mais lui. Le texte n'a qu'un pronom neutre indéterminé. -  L'acte de cette vie supérieure. Ici encore le texte est moins précis. - Est le comble du bonheur. Il en difficile de se faire une idée plus haute de La grandeur de l'esprit de l'homme; et c'est surtout à Aristote que de telle théories devaient appartenir. Platon l'appelait l'Intelligence, l'Entendement de l'École. C'en un éloge aussi magnifique que justifié.

§ 6. L'Intelligence. Ou  « la pensée »  - En se touchant elle-même. C'est l'expression même du texte; et bien qu'elle ait quelque chose de matériel, elle rend parfaitement ce que l'auteur veut dire. - En elle-même. J'ai encore ajouté ces mots. - Encore à ce principe. C'est le sens donné par Alexandre d'Aphrodise. - Dans l'intelligence. J'ai ajouté ces mots.
§ 7. Si donc Dieu.... Je n'insiste pas sur l'importance de ces théories; elles sont la partie la plus grave de toute la philosophie d'Aristote. J'ai tâché de rendre le texte avec toute la fidélité possible, et j'ai redoublé d'attention pour ne fausser aucune nuance de pensée. Tout commentaire est inutile; la méditation de cet grandes idées se recommande suffisamment d'elle-même. On ne peut pas dire que la notion de Dieu ainsi comprise soit complète; mais elle est vraie dans la mesure où Aristote nous la donne. Dieu ainsi conçu est tout esprit; et le Christianisme lui-même n'a pu aller plus loin. Ce qui manque à la doctrine d'Aristote, c'est l'explication du rapport de Dieu au monde. Il n'a fait que l'indiquer, en suspendant par l'amour l'univers a Dieu; Dieu est le désirable en soi; et il attire ainsi à lui tous les êtres. Sans doute, ce rapport général est bien vague; et c'est une lacune dans le système du philosophe. Mais, sur ces hauteurs, qui n'a point fait de faux pas ? Il faut rapprocher de ce passage ce qui est dit plus haut de la philosophie, liv. I, ch. II, § 20; et ce qui est dit de la vie contemplative, Morale à Nicomaque, liv. X. ch. VII, § 1, pp. 452 et suiv. de ma traduction.

§ 8. Les Pythagoriciens et Speusippe. Pour les Pythagoriciens, voir plus haut, liv. I, ch. V, § 8; peut-être la critique d'Aristote s'adresse-t-elle à la double série des contraires, qu'il attribue aux disciples de Pythagore. Dans cette série, le bien et le mal ne se trouvent qu'au neuvième rang, au lieu d'être au premier. Dans ce que nous connaissons du système pythagoricien, il n'y a guère que cette théorie qui puisse répondre ce passage de la Métaphysique. Pour Speusippe, voir plus haut, liv. VII. ch. II, § 4; et plus loin, liv. XIV, ch. XIV, § 4. Dans le premier de ces deux passages, Speusippe est nommé, mais pour une théorie différente. Dans le second, il n'est pas désigné nommément; mais la critique qui est formulée ici est répétée de nouveau et attribuée à des « théologues », contemporains d'Aristote. Speusippe mourut douze ou treize ans avant Aristote; voir M. Ed. Zeller, Philosophie des Grecs, tome II, p. 840, 3e édition. - C'est là une erreur. Aristote a parfaitement raison contre les Pythagoriciens et Speusippe, si toutefois ils ont eu les opinions qu'il leur prête; mais cet argument peut être tout puissant aussi pour expliquer la création des êtres et l'origine des choses, Les êtres parfaits sont les premiers; et les êtres imparfaits qu'ils produisent n'ont pu venir qu'après eux. La raison qu'en donne Aristote est péremptoire.

§ 9. Il a été démontré aussi. Voir la Physique, liv. VIII, ch. XV et dernier, pp. 558 et suiv. de ma traduction, où cette théorie sur l'immatérialité du premier moteur est exposée tout au long. Il semble qu'elle est résumée ici, puisque les traits principaux sont essentiellement les mêmes.  - Après le mouvement de locomotion. La pensée est incomplètement rendue, comme le remarque M. Victor Cousin. Le moteur immobile donne le mouvement; mais il ne le ressent pas. Le premier mouvement qu'il donne est celui de la locomotion; mais, n'éprouvant pas même celui-là, il n'en éprouve pas d'autre, à plus forte raison. J'ai cru devoir laisser ma traduction indécise comme l'est le texte lui-même; j'aurais craint de la préciser trop.

CHAPITRE VIII
Théorie de la substance éternelle; insuffisance du système des Idées sur cette question; unité de la substance éternelle; rôle des astres et des planètes; il y a autant de substances éternelles que de planètes diverses; caractère spécial de l'astronomie, entre toutes les sciences ; recherches particulières de l'auteur; système d'Eudoxe sur le soleil et la lune, sur les planètes et les étoiles fixes; système analogue de Callippe; nombre des sphères élevé à quarante-sept; multiplicité des substances éternelles; unité du ciel, et unité du moteur; traditions vénérables de l'antiquité; les astres sont des Dieux, et la divinité enveloppe la nature entière; utilité de ces grandes croyances, dégagées des fables dont elles sont obscurcies.

§ 1. Quant à savoir si cette substance éternelle est unique, ou s'il y en a plusieurs, et combien il y en a, c'est une question qu'il faut étudier; et l'on ne doit point négliger même les opinions des autres philosophes, quoique, sur le nombre de ces substances, ils n'aient rien dit qui offre quelque clarté.
§ 2. Le système des Idées n'a pas essayé, relativement à ce point, de discussion spéciale. Les partisans de cette doctrine nous disent bien que les Idées sont des nombres; mais, en ce qui touche les nombres mêmes, parfois ils en parlent comme s'il y en avait une infinité; et, d'autres fois, ils les supposent strictement limités à la Décade. D'où vient cette quantité précise de nombres, on ne nous en apprend pas la cause, avec le soin qu'exige une démonstration. Nous allons donc, pour notre part, traiter cette question, en partant des faits, et des considérations que nous avons développées.
§ 3. Le principe des choses, l'être premier est immobile ; il l'est en soi, et il l'est aussi par accident. Le mouvement qu'il produit, c'est le mouvement premier, c'est le mouvement éternel; et ce mouvement est unique. Or, nécessairement, le mobile est mû par quelque chose, et le moteur premier doit nécessairement être immobile en soi. De plus, le mouvement éternel ne peut être produit que par un éternel moteur; et le mouvement unique, par un moteur qui est unique aussi.
§ 4. Mais, à coté de la simple et absolue translation de l'univers, que détermine selon nous la substance première et immobile, nous pouvons observer d'autres translations, celles des planètes, qui sont également éternelles; car le corps qui se meut circulairement est éternel, et il est sans repos, ainsi que nous l'avons démontré dans la Physique.
§ 5. Il en résulte qu'il y a nécessité que chacune de ces translations diverses soient aussi produites isolément, par quelque substance immobile éternelle. C'est que, en effet, la nature des astres est également une sorte de substance éternelle; le moteur doit en être éternel, et il doit être antérieur au mobile mû par lui, de même que ce qui est antérieur à la substance ne peut être non plus qu'une substance.
§ 6. Donc, il est évident qu'il faut nécessairement qu'il y ait autant de substances que de planètes, et que ces substances soient, par leur nature, éternelles, immobiles, en soi, sans étendue ni grandeur, d'après les raisons que nous en avons précédemment données. [1073b] Il est clair, par suite, que les Planètes sont des substances; et l'on comprend quelle est la première, quelle est la seconde d'entre elles, d'après l'ordre même que présentent les translations des astres.
§ 7. Quant au nombre de ces translations, il n'y a qu'à le demander à cette partie des sciences mathématiques qui se rapproche le plus de la philosophie, c'est-à-dire, à l'astronomie. En effet, l'astronomie observe et étudie une substance sensible, mais éternelle, tandis que les autres sciences mathématiques n'étudient point de substance, témoin l'arithmétique et la géométrie.
§ 8. Que le nombre des mouvements dont ces corps sont animés soit plus considérable que le nombre de ces corps mêmes, c'est ce dont on peut s'assurer avec la moindre attention, puisque chacun des astres qui errent clans I'espace a plus d'un mouvement. Quel est précisément le nombre de ces mouvements divers? C'est ce que nous allons, à notre tour, essayer d'éclaircir, afin de faire mieux comprendre les assertions de quelques mathématiciens, et de fournir à l'esprit un nombre déterminé, auquel il puisse se fixer avec quelque précision.
§ 9. Du reste, tantôt nous donnerons nos propres recherches, tantôt nous ferons des emprunts à ceux qui se livrent à des recherches analogues; et, si, parfois, leurs observations sont en opposition avec celles que nous allons exposer ici, l'on devra nous en savoir bon gré aux uns et aux autres, tout en ne s'en rapportant qu'aux plus exacts.
§ 10. Eudoxe a cru que le soleil et la lune faisaient chacun leur révolution dans trois sphères distinctes. La première de ces sphères, selon lui, est celle des étoiles fixes; la seconde est celle qui passe par le milieu du zodiaque; et la troisième, celle qui se dirige obliquement dans la largeur du zodiaque. Seulement, d'après Eudoxe, le cercle que décrit la lune est plus oblique que le cercle décrit par le soleil.
§ 11. Quant aux planètes, Eudoxe leur assignait à chacune quatre sphères. De ces quatre sphères, la première et la seconde étaient les mêmes que pour la lune et le soleil ; car, l'une est la sphère des étoiles fixes, qui emporte, selon Eudoxe, toutes les sphères sans exception ; et l'autre est la sphère placée au-dessous de celle-là, et qui, avant son mouvement par le milieu du zodiaque, est commune à toutes. Quant à la troisième sphère, elle a ses pôles sur la ligne qui passe par le milieu du zodiaque. La quatrième, enfin, a son mouvement et ses cercles obliques sur le milieu de la troisième. Eudoxe ajoute que les pôles de la troisième sphère sont aussi les pôles des autres; mais ceux de Vénus et de Mercure se confondent.
§ 12. Callippe donnait aux sphères la même position que leur donnait Eudoxe, c'est-à-dire qu'il les classait de même pour l'ordre des distances. Quant au nombre de ces sphères, il en accordait le même nombre qu'Eudoxe à Jupiter et à Saturne; mais il prétendait qu'il fallait ajouter deux sphères à celles de la lune et du soleil, pour bien représenter les phénomènes. Il n'en ajoutait qu'une seule pour chacune des autres planètes.
§ 13. En outre, pour que toutes les sphères réunies rendissent bien compte des phénomènes observés, il croyait qu'il était nécessaire [1074a] qu'à chaque planète il y eût d'autres sphères en nombre égal, moins une, allant en sens inverse, et rétablissant la première sphère dans sa même position, relativement à l'astre toujours placé au-dessous. C'était à cette seule condition, suivant lui, que le mouvement des planètes pouvait s'expliquer complètement.
§ 14. Si donc les sphères, dans lesquelles tous ces astres se meuvent, sont, d'une part, au nombre de huit, et d'autre part, au nombre de vingt-cinq, les seules d'entre elles qui ne doivent point se mouvoir en sens inverse, sont celles où se meut l'astre placé au plus bas. Il y en aura donc six qui iront en sens contraire des deux premières; et il y en aura seize qui iront en sens contraire des quatre autres. Le nombre de toutes ces sphères, tant de celles qui ont le mouvement régulier que de celles qui vont en sens opposé, sera en tout de cinquante-cinq. Mais, si l'on n'ajoute pas à la lune et au soleil les mouvements dont nous avons parlé, toutes les sphères réunies ne seront plus qu'au nombre de quarante-sept.
§ 15. Voilà donc quel est le nombre des sphères; et il parait tout à fait rationnel de supposer que les substances, et les principes immobiles et sensibles, sont en nombre égal. Quant à démontrer que ce soit là ce qui est nécessairement vrai, nous laissons ce soin à de plus forts que nous. Mais, s'il est impossible qu'un mouvement puisse avoir lieu sans contribuer au mouvement d'un astre, et si l'on est forcé de croire que toute nature et toute substance immuable et en soi, atteint toujours la meilleure fin possible, il faut affirmer que, en dehors des substances dont il s'agit, il n'y a pas d'autre nature possible, et que le nombre des substances qui vient d'être indiqué est absolument nécessaire.
§ 16. Si, en effet, il en existait d'autres, elles produiraient des mouvements, en tant qu'elles seraient la fin et le but d'un mouvement produit. Or, il est impossible qu'il y ait d'autres mouvements, en dehors de ceux que nous avons énumérés. C'est là ce qu'on peut conjecturer d'après les corps mêmes qui sont en mouvement; car, si tout ce qui meut est naturellement fait pour ce qui est mû, et si tout mouvement a lieu en vue d'un mobile quelconque, il s'ensuit que jamais un mouvement n'a lieu pour lui-même, ni pour un autre mouvement, mais uniquement pour les astres.
§ 17. Que si, en effet, un mouvement avait lieu en vue d'un mouvement, celui-ci devrait aussi avoir lieu en vue de quelques autres mouvements; mais, comme il ne se peut pas qu'on aille ainsi à l'infini, il faut que la fin et le but de tout mouvement soit un de ces corps divins qui se meuvent dans le ciel. Or, il est de toute évidence qu'il n'y a qu'un seul ciel de possible ; car s'il y avait plusieurs cieux, tout comme il y a plusieurs hommes, il pourrait bien y avoir un seul principe spécifiquement applicable à chacun d'eux, mais, numériquement, les principes seraient multiples. Or, tout ce qui est multiple en nombre a nécessairement une matière. La définition est unique et la même pour des êtres multiples, comme est la définition de l'homme; et, par exemple, Socrate est bien Un ; mais le primitif, l'essence, qui fait qu'une chose est ce qu'elle est, ne comporte pas de matière, puisque c'est l'acte même, l'Entéléchie, ce qui a en soi sa propre fin,
§ 18. Ainsi donc, rationnellement et numériquement, le premier moteur est unique et immobile; et ce qu'il meut éternellement et continuellement est unique aussi. Donc, il n'y a qu'un seul et unique ciel. [1074b] Une tradition qui nous est venue de l'antiquité la plus haute, et qui a été transmise à la postérité sous le voile de la fable, nous apprend que les astres sont des Dieux, et que le divin enveloppe la nature tout entière. Tout ce qu'on a pu ajouter de fabuleux à cette tradition n'a eu pour but que de persuader la multitude, afin de rendre plus facile l'application des lois et de servir l'intérêt commun. C'est ainsi qu'on a prêté aux Dieux des formes humaines, et même parfois aussi des figures d'animaux, et qu'on a imaginé tant d'autres inventions, qui étaient la suite et la reproduction de celles-là. Mais si l'on dégage de tout cela ce seul principe, que les hommes ont cru que les substances premières sont des Dieux, on peut trouver que ce sont là réellement des croyances vraiment divines, et qu'au milieu des alternatives où, tour à tour, et selon qu'il a été possible, les arts et les sciences philosophiques ont été, suivant toute apparence, découverts et perdus plus d'une fois, ces doctrines de nos ancêtres ont été conservées jusqu'à nos jours, comme de vénérables débris.
§ 19. C'est là du moins dans quelle mesure restreinte nous apparaissent, avec quelque clarté, la croyance de nos pères et les traditions des premiers humains.

§ 1. Est unique. Il semble que ce doute est en contradiction avec ce qui a été dit dans le chapitre précédent, sur l'unité du premier moteur et de Dieu; et avec ce qui sera dit plus bas, ch. X, § 14 sur la nécessité d'un chef unique dans l'organisme universel. - Combien il y en a. On verra par ce qui va suivre qu'Aristote reconnaît autant de substances éternelles qu'il y a de planètes, tout au moins, et qu'il les élève toutes au rang de Dieux. - Le nombre de ces substances. Aristote lui-même ne détermine pas précisément ce nombre, à moins qu'on ne compte avec lui autant de substances que de sphères, c'est-à-dire 47; voir plus bas, § 14. Il est, d'ailleurs, possible, comme le croit Alexandre d'Aphrodise, qu'Aristote concilie l'unité do Dieu avec la multiplicité des substances éternelles des astres, qui lui sont subordonnées. Pour nous, cette confusion est inadmissible.

§ 2. Strictement limités à la Décade. C'est-à-dire : « à dix ». Pour savoir jusqu'à quel point cette critique d'Aristote est exacte, il faudrait avoir les ouvrages des Platoniciens, à côté des ouvrages de Platon, qui nous sont seuls connus, et qui ne présentent pas cette théorie. Du reste, lu même critique se retrouve dans la Physique, liv, III, ch. VIII, § 14, p. 123 de ma traduction. - Des faits. Ce n'est pas le sens qu'on donne ordinairement à l'expression qu'emploie ici le texte; mais celui-ci me semble tout à fait justifié par ce qui suit, § 4. Cette différence d'interprétation n'a, d'ailleurs, presque aucune importance.

§ 3. Il l'est aussi par accident. Je ne vois, dans le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise, aucune explication sur cette théorie. On comprend bien que le moteur premier soit immobile en soi, comme Aristote s'est efforcé de l'établir; mais on ne comprend pas aussi bien comment il peut être immobile par accident. Il semble que cette immobilité est en lui une propriété essentielle.

§ 4. Simple et absolue. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - De l'univers. Le texte dit simplement : « du Tout ». Ce Tout n'est peut-être que le ciel, c'est-à-dire la sphère des étoiles fixes. - Celles des planètes. Qui dans le système d'Aristote, et d'après les connaissances de son temps, ne sont qu'au nombre de cinq, si l'on y comprend la terre. - Le corps qui se meut circulairement. C'est le ciel avec tous les corps qui le peuplent. - Dans la Physique. Liv. VIII, ch. VIII, § 7, et ch, IX, p, 514 et suiv. de ma traduction, et ch. XIII, § 41, p. 547; voir aussi le Traité du ciel, liv. I, ch. IV, § 9 ; et liv. II, ch. IV, § 8, p.10 et 140 de ma traduction.

§ 5. Isolément. Le texte n'est pas aussi formel; mis le sens n'est pas douteux; dans la pensée d'Aristote, chacun des astres est mû par une substance immobile et éternelle. C'est ce qu'il dit en propres ternies au § suivant.

§ 6. Autant de substances que de planètes. Les substances des planètes, immobiles et éternelles comme le premier moteur de l'univers, peuvent lui être subordonnés, afin que l'harmonie et l'unité du monde puissent subsister. - L'ordre même que présentent les translations des astres. Au temps d'Aristote, ces grands phénomènes ne pouvaient être que peu étudiés et bien mal connus. On en savait assez, cependant, pour constater une certaine disposition régulière entre les planètes qu'on pouvait observer; et l'admiration des philosophes n'en était pas moindre.

§ 7. Qui se rapproche le plus de la philosophie. J'ai admis la variante très heureuse que M. Bonitz a empruntée, avec raison, au commentaire d'Alexandre d'Aphrodise, qui revient sur cette explication à plusieurs reprises, et qui en donne d'excellents motifs puisés dans le contexte. M. Schwegler, qui paraît approuver cette variante, ne l'a pas cependant admise dans son texte, ni dans sa traduction. - Une substance sensible. Ce sont les astres, dont le nombre se multiplie avec les observations de la science. Les astres sont la matière de l'astronomie, tandis que les mathématiques ne se composent que d'abstractions, qui n'ont point de substance.

§ 8. A plus d'un mouvement. Il semblerait résulter de ce passage qu'Aristote aurait reconnu les deux mouvements de rotation et de translation; mais cette supposition est peu vraisemblable; et ces deux mouvements n'ont pu être reconnus, et compris, que quand la science a pu constater le vrai système du monde avec Copernic et ses successeurs. Il s'agit donc ici des mouvements multiples que représentaient les sphères imaginées par les astronomes, nommés un peu plus bas, Voir le Traité du ciel, liv. Il, ch. XII, p.117 et suiv, de ma traduction.

§ 9. Nos propret recherches. Diogène de Laërte, dans son catalogue des œuvres d'Aristote, mentionne un Traité d'Astronomie, en un livre; voir l'édition de Firmin-Didot, liv. V, ch. I, § 26, p. 116. Dans la Météorologie, dans le Traité du ciel, il y a une foule de passages qui prouvent que le philosophe n'était occupé d'astronomie de la manière la plus sérieuse. - Des emprunts. Aristote a toujours assez aimé la vérité pour l'emprunter à ceux qui l'avaient découverte avant lui, et à qui il n'a jamais manque d'en faire honneur. - En savoir bon gré. Il faut rapprocher ces pensées d'autres déclarations tout à fait pareilles, soit à la fin de l'Organon et des Réfutations des Sophistes, soit dans la Morale à Nicomaque, liv. I, ch. III, § 1, p. 16 de ma traduction.

§ 10. Eudoxe. C'est sans doute le même que le disciple de Platon, dont Aristote a parlé plusieurs fois avec grande estime. tout en combattant son système ; voir plus haut, liv. I, ch. VIII, § 28; et plus loin, liv. XIII, ch. V, § 2, oµ Aristote répète sa critique. Dans la Morale à Nicomaque, liv. 1, ch. X, § 5, liv. V, ch. II, §§ 1 et suiv., liv. X, ch. II, § 13, il combat la théorie du plaisir telle qu'Eudoxe l'exposait. Mais, à côté de travaux philosophiques plus ou moins profonds, Eudoxe s'était surtout signalé comme astronome. Originaire de Cnide, il avait. voyagé en Égypte, où il avait résidé longtemps; et c'est sans doute à l'école des prêtres qu'il avait acquis ses vastes connaissances en astronomie. Il était plus âgé qu'Aristote de vingt ans à peu près, et il mourut longtemps avant lui, à peine âgé de cinquante ans. - Dans trois sphères distinctes. Il est clair que l'invention des différentes sphères par Eudoxe et Callippe avait uniquement pour but d'expliquer la course du soleil et celle de la lune, se levant et se couchant selon les saison et selon les mois, à différents points de l'horizon. La course était beaucoup plus grande en été, et beaucoup plus restreinte en hiver; entre ces deux extrêmes, se plaçait une course moyenne, qui répondait au milieu du zodiaque, et qui le coupait plus ou moins obliquement. - Le cercle que décrit la lune. Il est difficile de comprendre comment on avait pu assimiler la course de la lune à celle du soleil, qui en est si différente.

§ 11. Quant aux planètes. Les planètes alors connues étaient au nombre de cinq : Saturne, Jupiter, Mars, Vénus et Mercure, la première étant la plus éloignée du soleil et de la lune. - Quatre sphères. En tout, c'était vingt sphères pour ces cinq planètes, et vingt-six avec les sphères du soleil et de la lune. - Selon Eudoxe. J'ai ajouté ces mots. - Toutes les sphères. Je ne crois pas devoir essayer, après tant d'autres, d'expliquer toutes ces théories astronomiques, qui sont fort ingénieuses, et qui doivent être d'une très grande importance pour l'histoire de l'astronomie. Mais je n'espérerais pus être plus heureux que les autres commentateurs, à commencer par Alexandre d'Aphrodise. J'ai fait tout ce qu'il a dépendu de moi pour que ma traduction fût le plus fidèle possible. C'est encore au texte même d'Aristote, ainsi interprété, que devront avoir recours les astronomes que ces questions intéressent plus spécialement. Des explications de ma part, qui ne seraient pas décisives, ne feraient qu'obscurcir la question, loin de l'élucider.

§ 12. Callippe. De Cyzique, sur la Propontide (mer de Marmara). Il n'est pas probable que ce Callippe, astronome, soit le même que celui dont Aristote parle dans la Rhétorique, liv. II, ch. XXIII, §§ 22 et 30, p. 342 de ma traduction. Ce dernier, auteur d'ouvrages de rhétorique, était lié avec Platon et Dion.

§§ 13 et 14. Même remarque sur les théories de Callippe que sur celles d'Eudoxe; je craindrais d'épaissir les obscurités par mon commentaire, et je préfère m'en tenir à la traduction, que j'ai tâché de faire aussi fidèle et aussi claire que possible. - Au nombre de quarante-sept. C'est le nombre qu'adopte Aristote lui-même, et avec lequel il compte qu'on peut expliquer tous les phénomènes astronomiques.

§ 15. Sont en nombre égal. Les substances immobiles et sensibles peuvent être très multipliées, sans que le premier moteur, immobile et éternel, cesse d'être unique. Mais Aristote n'insiste pas sur cette considération, qui serait essentielle cependant, pour que le philosophe ne semblât point se contredire lui-même. - A de plus forts que nous. C'est l'expression grecque elle même. - Qui vient d'être indiqué. J'ai ajouté ces mots, pour préciser la pensée. Le nombre des substances immobiles et sensibles est toujours de quarante-sept, dans la pensée d'Aristote. Mais que dirait-il, aujourd'hui, quand il saurait que le nombre des substances, telles qu'il les comprend, est infini, puisque ce serait le nombre des étoiles, et non plus seulement des planètes, qui, d'ailleurs, sont déjà près de deux cents et qui seront dans peu bien davantage ?

§ 16. Il est impossible. Il semble que c'est résoudre la question par la question; et, en voyant ce qu'est devenue cette théorie des quarante-sept sphères, par suite des progrès de la science, on peut juger ce que vaut la conclusion qu'Aristote croit pouvoir en tirer. - Pour les astres. L'expression qu'Aristote donne ici à sa pensée est trop générale; il y a d'autres mouvements que ceux des astres dans le monde.

§ 17. Si, en effet... Même remarque qu'au § précédent. La conclusion ne paraît pas très rigoureuse.  - Il n'y a qu'un seul ciel de possible. Ceci est une vérité incontestable; mais c'est par d'autres raisons que celles qu'en présente Aristote. - Socrate est bien Un. Il semble que ceci est une interpolation; et cette pensée ne s'accorde pu très bien avec ce qui précède. Du reste, elle n'est pas obscure; et l'auteur veut dire que, si la définition peut s'adresser à un grand nombre d'êtres, chacun de ces êtres n'en conserve pas moins son individualité. - L'essence qui fait... Le texte est plus concis; je l'ai paraphrasé. - Ce qui a en soi sa propre fin. Même remarque.

§ 18. Ainsi donc. Cette conclusion très importante, et que je crois très vraie, n'est pas plus rigoureuse que les précédentes. - Ce qu'il meut. C'est le ciel que meut le premier moteur, immobile et éternel. - Les astres sont des Dieux. Il eût été digne d'Aristote de ne pas accepter si aisément cette tradition, qui contredit manifestement sa théorie de l'intelligence divine. - Que de persuader la multitude. On voit que, dès le temps d'Aristote, on supposait que la religion n'est au fond qu'un calcul politique. Je crois, pour ma part, que cette idée n'est pas très juste. - Des figures d'animaux. Ceci pourrait s'appliquer surtout aux cultes et aux superstitions de l'Égypte. - Des croyances vraiment divines. C'est peut-être exagérer. - Découvertes et perdues plus d'une fois. Cette pensée, qui mérite la plus sérieuse attention, a été répétée plusieurs fois par Aristote, qui paraît y tenir beaucoup; voir la Politique, liv. IV, ch. IX, § 4. page 228 de ma traduction, 3e édition; la Météorologie, liv. I, ch. III, § 4, page 10, et ch. XIV, page 80 et suiv.; le Traité du Ciel, liv. I, ch. III, § 6, page 20 de ma traduction.

§ 19. Dans quelle mesure restreinte. Le texte est un peu moins formel. Mais le sens n'en est pas moins certain.

CHAPITRE IX
Théorie de l'intelligence divine ; Dieu doit penser sans cesse, et c'est là sa dignité propre ; il doit penser à eu qu'il y a de plus grand, et il ne doit jamais changer ; l'intelligence ne peut que se penser elle-même, puisqu'elle est ce qu'il y a de plus grand dans l'univers; la pensée et l'objet pensé, tous deux immatériels, se confondent dans l'intelligence de Dieu; comparaison de l'intelligence humaine avec l'intelligence divine.

§ 1. En ce qui regarde l'intelligence éternelle, on peut soulever plus d'une question. Elle est bien certainement le plus divin de tous les phénomènes; mais quelles conditions doit-elle remplir pour avoir cette supériorité? C'est là un point qu'il est bien difficile d'éclaircir. Si elle ne pense actuellement à rien, et qu'elle soit comme serait un homme plongé dans un profond sommeil, où est la dignité qui lui appartient? Si elle pense, mais que sa pensée dépende d'un autre principe supérieur, le principe, qui fait la substance de l'Intelligence divine, n'étant plus alors la pensée en acte, mais une simple puissance de penser, il s'ensuit que l'Intelligence divine n'est plus la substance la plus relevée; car sa dignité tout entière ne consiste qu'à penser.
§ 2. D'ailleurs, que sa substance soit l'intelligence seule, ou que cette substance soit l'acte même de l'intelligence, à quel objet l'Intelligence éternelle peut-elle s'appliquer? Ou l'Intelligence se pense elle-même, ou elle pense une autre chose qu'elle. Si c'est une autre chose, ou cette autre chose qu'elle pense est toujours la même, ou bien c'est une variété de choses qui se succèdent. Mais importe-t-il, ou n'importe-t-il en rien, de penser au bien tout seul, ou de penser à un objet quelconque? Et n'y a-t-il pas même des objets auxquels il serait absurde de croire que l'Intelligence divine pût penser? Donc, évidemment, le principe le plus divin pense à ce qu'il y a de plus haut dans le monde, et il ne change pas; car le changement ne pourrait qu'être une infériorité ; et un mouvement, quel qu'il fût, serait déjà quelque chose d'inférieur.
§ 3. En premier lieu donc, si l'Intelligence divine n'est pas l'acte de la pensée même, et si elle est simplement la faculté de penser, il est rationnel de supposer que la continuité de la pensée sera pour elle une fatigue. En second lieu, il n'est pas moins clair qu'il y aurait alors quelque chose de plus noble que l'Intelligence divine; et ce serait l'intelligible conçu par elle; car la faculté de penser et l'acte de penser subsistent toujours dans l'intelligence, même quand on pense à ce qu'il y a de pis. Mais c'est là une dégradation à fuir, et il est des choses qu'il vaut mieux ne voir pas plutôt que de les voir.
§ 4. Dans ces conditions, l'Intelligence divine cesserait d'être ce qu'il y a de plus parfait au monde. Donc, cette Intelligence se pense elle-même, puisqu'elle est ce qu'il y a de plus parfait; et l'Intelligence divine est l'intelligence de l'intelligence. La science, la sensation, l'opinion, la réflexion semblent toujours s'adresser à quelque objet extérieur, et elles ne s'adressent à elles-mêmes qu'indirectement.
§ 5. Mais, si penser et être pensé sont choses différentes, sous lequel de ces deux rapports la perfection appartient-elle à l'Intelligence divine? Sans doute, la pensée et l'objet qu'elle pense n'ont pas une existence identique. Mais, dans quelques cas, la science et son objet ne peuvent-ils pas se confondre? [1075a] Dans les sciences qui ont pour but de produire quelque chose, c'est la substance et l'essence immatérielle qui se con fondent avec l'objet. Dans Ies sciences spéculatives, la définition et la pensée de la chose sont la chose même. Donc, la chose pensée et l'intelligence qui la pense n'étant point différentes, toutes les fois qu'il n'y a pas de matière, il y a alors identité ; c'est-à-dire que l'intelligence ne fait qu'un avec l'objet qu'elle pense.
§ 6. Reste, cependant, la question de savoir ce qu'il en est quand l'objet pensé est complexe; car, la Pensée divine aurait alors à éprouver un changement, en s'appliquant aux diverses parties de l'ensemble de cet objet. Ou bien tout ce qui est immatériel, n'est-il pas indivisible? Et. n'en est-il pas ici de même que pour l'intelligence de l'homme? Elle aussi s'applique à des composés; et cependant, elle peut être durant quelques instants dans cette heureuse disposition ; le bien n'est pas toujours pour elle dans telle ou telle partie de l'objet; mais le mieux qu'elle poursuit, et qui est tout autre, se réalise dans un certain ensemble. C'est ainsi que l'Intelligence divine, se contemplant elle-même, se possède, et subsiste, durant l'éternité tout entière.

§ 1. L'Intelligence éternelle. Le texte dit simplement : « l'Intelligence »; mais toute la suite prouve bien qu'il s'agit de l'intelligence divine et éternelle; et le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise donne aussi cette interprétation. Le sens ne peut en rien être douteux. - Actuellement. J'ai ajouté ce mot, qui me paraît indispensable. - D'un autre principe supérieur. Alexandre d'Aphrodise donne un sens différent ce passage. Il suppose qu'il y a dans l'intelligence divine deux parts, comme dans l'âme humaine : une portion qui sent et ne pense pas, et une portion intelligente qui pense; et alors, selon lui, l'intelligente divine, ainsi partagée, ne serait plus ce qu'elle doit être. Donc, ce n'est pas une partie de la substance divine qui pense, c'est la substance entière, qui n'est que pensée actuelle. - En acte. J'ai ajouté ces mots. - Une simple puissance de penser. Il semble que l'on retombe alors dans l'hypothèse précédente, où l'intelligence, comme ensevelie dans le sommeil, ne pense à rien. A en juger par les explications d'Alexandre d'Aphrodise, il est possible qu'il ait eu sous les yeux un texte un peu différent du nôtre. Du moins, il est bien difficile de tirer le sens qu'il donne du texte que nous possédons.

§ 2. L'intelligence seule. J'ai ajouté ce dernier mot. Le texte dit simplement « l'intelligence » mais, en grec, la désinence d'un mot suffit pour établir une différence entre cette expression et celle qui suit : « l'acte même de l'intelligence ». Notre langue ne m'offrait pas la même ressource ; et c'est ce qui m'a obligé de faire une paraphrase. - De penser au bien tout seul. Évidemment la pensée de Dieu ne peut jamais s'appliquer an mal ; et la théodicée d'Aristote est en ceci d'une vérité profonde. Il est à peine besoin de faire remarquer la grandeur et la précision de toute cette théorie, qui, sur bien des points, est identique à celle de la théologie chrétienne, telle que l'ont faite les Pères de l'Église, à l'aide de labeurs séculaires.

§ 3. L'acte de la pensée même. Même remarque que plus haut, sur la nuance du mot qu'emploie le texte. - Sera pour elle une fatigue. Puisque l'intelligence aurait à faire un perpétuel effort pour passer de la puissance à l'acte, et pour se maintenir dans un acte, qui serait, pour elle, le résultat nécessaire d'un changement. - La faculté de penser et l'acte de penser... Ces idées ne semblent pas tenir assez étroitement, ni à ce qui les précède ni à ce qui les suit, bien qu'en elles-mêmes elles soient fort justes.

§ 4. L'Intelligence divine... L'Intelligence divine... Dans ces deux phrases, le texte dit simplement; « l'intelligence ». Mais il n'est pas douteux qu'il s'agisse uniquement de la pensée divine. - Est l'intelligence de l'intelligence. Pour être parfaitement exact, il faudrait peut-être traduire  « L'acte de l'intelligence est l'acte de l'intelligence de l'acte de l'intelligence ». La nuance des mots grecs a cette force, que je n'ai pu rendre dans ma traduction. En général, les traducteurs ont adopté cette formule  : « la pensée est la pensée de la pensée. »

§ 5. Sous lequel de ces deux rapports... Il ne semble pas que cette question soit ici résolue ; elle reste plutôt sans réponse. La pensée divine, étant immatérielle, ne peut se confondre avec son objet que si cet objet est la pensée divine elle-même. A cette condition, la pensée et l'objet pensé se confondent en elle, puisque alors il n'y a qu'un seul et même objet qui, d'une part, est pensé, et qui pense, d'autre part. - Qui ont pour but de produire quelque chose. Voir plus haut, des explications spéciales, liv. 1, ch. I, § 18. - Dans les sciences spéculatives. Id., ibid.

§ 6. Ou bien tout ce qui est immatériel, n'est-il pas indivisible? Cette petite phrase, qui ne se rattache pas très bien au reste de la pensée, pourrait sembler une interpolation. - N'en est-il pas ici de même que pour l'intelligence de l'homme? Dans tout ce passage, j'ai dû préciser la pensée plus que ne le fait le texte grec, afin de la rendre plus claire. J'ai, d'ailleurs, adopté la ponctuation et la légère modification qu'a proposées M. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique, t. I, p. 199, et qu'ont suivies MM. Bonitz et Schwegler. Le sens devient ainsi très satisfaisant. - Se contemplant elle-même. Le texte n'est pas aussi précis. J'ai dû l'éclaircir d'après le contexte.

CHAPITRE X
Du bien et de ln perfection dans l'univers; nécessité de l'ordre dans le monde; organisations diverses des différents êtres; comparaison de l'univers et d'une famille bien réglée; harmonie de l'ensemble des choses; opinions des philosophes sur ce sujet; erreurs insoutenables d'Empédocle, d'Anaxagore et de quelques autres; la théorie de deux principes contraires dans l'univers est fausse ; insuffisance de la théorie des Idées ; supériorité de la théorie nouvelle; opinions des Théologues et des Physiciens; nécessité absolue d'un principe premier, supérieur à tous les autres; sans lui, l'ensemble des choses n'est qu'une succession d'épisodes qui n'ont aucun lien entre eux; l'univers est régi par un seul principe souverain; citation d'un vers d'Homère.

§ 1. Une autre recherche que nous avons à faire aussi, c'est de savoir comment la nature de l'univers jouit du bien et de la perfection. Est-ce quelque chose qui serait séparé de lui, et qui existerait en soi et pour soi uniquement? Est-ce simplement l'ordre qui éclate dans les choses? Est-ce l'un et l'autre à la fois, ainsi qu'on l'observe dans l'organisation d'une armée ? Pour une armée, en effet, le bien consiste dans le bon ordre. Mais le bien pour elle, c'est aussi son général ; et même son général est son bien plus que tout le reste, attendu que ce n'est pas l'ordre qui fait le général ,et que c'est, au contraire, le général qui constitue l'ordre.
§ 2. Tout dans l'univers est soumis à un ordre certain, bien que cet ordre ne soit pas semblable pour tous les êtres, poissons, volatiles, plantes. Les choses n'y sont pas arrangées de telle façon que l'une n'ait aucun rapport avec l'autre. Loin de là, elles sont toutes en relations entre elles; et toutes, elles concourent, avec une parfaite régularité, à un résultat unique. C'est qu'il en est de l'univers ainsi que d'une maison bien conduite. Les personnes libres n'y ont pas du tout la permission de faire les choses comme bon leur semblé ; toutes les choses qui les regardent, ou le plus grand nombre du moins, y sont coordonnées suivant une règle précise, tandis que, pour les esclaves et, les animaux, qui ne coopèrent que faiblement à la fin commune, on les laisse agir le plus souvent selon l'occasion et le besoin.
§ 3. Pour chacun des êtres, le principe de leur action constitue leur nature propre; je veux dire que tous les êtres tendent nécessairement à se distinguer par leurs fonctions diverses ; et, en général, toutes les choses qui contribuent, chacune pour leur part, à un ensemble quelconque, sont soumises à cette même loi.
§ 4. Tout autre système mène à des erreurs et à des impossibilités, dont il est bon de se rendre compte, afin de voir quelles sont, dans tout ceci, les théories les plus acceptables, et celles qui prêtent le moins à la critique. Ainsi, tous les philosophes s'accordent à faire naître toutes les choses de leurs contraires. « Toutes les choses», ce n'est pas exact; « Des contraires», ce ne l'est pas davantage; et pour les cas même où il y a réellement des contraires, on ne nous explique pas comment c'est des contraires que les choses peuvent venir, puisque les contraires ne sauraient agir les uns sur les autres.
§ 5. Pour nous, la solution est toute simple, parce que nous admet, tons un troisième terme. Certains philosophes prétendent que la matière est l'un des contraires, ainsi que d'autres soutiennent que l'inégal est le contraire de l'égal, et que la pluralité est le contraire de l'unité. Cette difficulté se résout, selon nous, de la même manière. La matière, qui est unique, n'est contraire à quoi que ce soit; et de plus, tout à sa part du mal, à l'exception de l'unité, puisque le mal lui-même est un des deux éléments.
§ 6. Il est d'autres philosophes qui n'admettent pas que le bien et le mal soient des principes, quoique en toutes choses, cependant, le bien soit un principe éminent. D'autres reconnaissent, avec toute raison, que le bien est un principe; mais ils ne nous apprennent pas de quelle façon il peut l'être, soit comme fin, soit comme moteur, soit comme forme.
§ 7. [1075b] Empédocle commet aussi cette erreur, quand il place le bien dans l'Amour. L'Amour est, dès lors, un principe et un moteur, puisque, selon Empédocle, il rassemble et il réunit les choses. Il est, en outre, un principe matériel, puisqu'il fait partie du Mélange. Mais si, en effet, le même être peut tout à la fois être principe matériel, et principe moteur, sa manière d'être n'est pas du moins la même dans les deux cas. Or, quelle est-elle pour l'Amour
Il est également faux d'avoir fait la Discorde impérissable, puisque la nature de la Discorde est précisément d'être le mal.
§ 8. Quant à Anaxagore, il voit dans le bien le principe moteur des choses; car l'Intelligence produit le mouvement. Mais, comme elle le produit en vue de quelque chose, il s'ensuit que ce quelque chose est autre que l'Intelligence, à moins qu'Anaxagore ne confonde les deux, et ne dise, comme nous, qu'a certains égards la médecine, qui guérit le malade, se confond avec la santé, qu'elle lui rend. Anaxagore se trompe également, quand il ne donne de contraire, ni au bien, ni à l'Intelligence.
§ 9. Mais pas un des philosophes qui admettent les contraires ne sait s'en servir, à moins qu'on ne les mette d'accord; et pas un d'eux ne nous apprend pourquoi telles choses sont périssables, et pourquoi telles autres sont impérissables, puisqu'ils font venir tout des mêmes principes. D'autres font naître les choses du néant; d'autres encore, pour n'en être pas réduits à cette nécessité, confondent tout dans une unité obscure. Un autre oubli non moins général dans tous les systèmes, c'est qu'on ne nous dit jamais comment la production des choses peut être éternelle, et quelle est la cause de la production.
§ 10. Pour les philosophes qui reconnaissent deux principes, il leur en faut nécessairement un troisième, qui soit plus puissant que les deux autres. Les partisans mêmes des Idées doivent supposer un autre principe qui leur soit supérieur; car d'où vient que les choses ont participé aux Idées, ou qu'elles y participent?
§ 11. Les autres philosophes sont nécessairement amenés à croire que la sagesse et la science la plus haute doivent avoir des contraires. Mais quant à nous, nous ne sommes pas obligés à cette conclusion ; car rien ne peut être contraire au premier de tous les principes. Tous les contraires, en effet, ont une matière; et en puissance, ils sont identiques : par exemple, l'ignorance contraire passe à son contraire; mais il n'y a pas de contraire possible pour le principe premier.
§ 12. Ajoutons que, s'il n'y a pas au monde d'autres choses que les choses sensibles, dès lors il n'y a plus ni principe, ni ordre, ni production des choses, ni harmonie céleste. Dès lors, il faut toujours qu'un principe vienne d'un autre principe antérieur, comme le soutiennent tous les Théologues et tous les Physiciens. Si les Idées et les Nombres existent encore, ce ne sont plus du moins les causes de rien; ou si ce sont encore les causes de quelque chose, ce ne sont certainement pas les causes du mouvement.
§ 13. D'autre part, comment est-il possible que, de choses sans grandeur, puissent sortir une grandeur et un continu? Car le Nombre ne peut jamais produire la continuité, ni comme moteur, ni comme forme. Il n'y a pas non plus un contraire qui puisse jamais servir, ni à faire, ni à mouvoir quoi que ce soit, puisque ce contraire pourrait ne pas être; et que faire quelque chose ne vient qu'après la puissance de le faire. Donc, les êtres ne seraient pas éternels; et cependant, il y en a qui le sont. Par conséquent, il y a quelque chose à retrancher à ces systèmes, et nous avons dit comment.
§ 14. Autre oubli. Aucun de ces philosophes ne nous explique comment les nombres peuvent former une certaine unité, ni comment l'âme ne fait qu'un avec le corps, en un mot comment la forme et la chose peuvent composer un tout unique. Il est certain que la réponse à cette question est impossible pour tous ces philosophes, à moins qu'ils ne disent, avec nous, que c'est le principe moteur qui fait l'unité des choses. Quant à ceux qui prennent le nombre mathématique pour principe premier, et qui composent toujours de cette manière toute autre substance, venant à la suite de ce premier principe, en donnant à chacune des principes différents, [1076a] ils ne font de la substance de l'univers entier qu'une succession d'épisodes, puisque aucune substance, qu'elle soit ou qu'elle ne soit pas, ne peut avoir la moindre influence sur une autre, et ils reconnaissent par là plusieurs principes divers. Mais les choses ne veulent pas être mal gouvernées :

Tant de chefs sont un mal; il ne faut qu'un seul chef.

§ 1. Quelque chose qui serait sépare de lui. Il semble bien qua c'est la solution à laquelle Aristote incline; voir la fin de ce livre, et plus haut, ch. VII.  - Est-ce simplement l'ordre qui éclate dans les choses? Le texte est plus concis; mais j'ai dû le développer un peu, pour plus de clarté. - Dans l'organisation d'une armée. Cette comparaison, qu'Aristote a peut-être employée le premier, a été, depuis lui, répétée bien des fois. Elle est fort juste, et elle mène directement à la croyance d'un Dieu séparé du monde, comme un général l'est de l'armée qu'il commande.

§ 2. Est soumis à un ordre certain. C'est une théorie absolument indiscutable, et que confirme la plus simple observation. - Pour tous les êtres. Ces affirmations d'Aristote méritent d'autant plus d'attention que ses travaux d'histoire naturelle sont plus profonds et plus exacts. - D'une maison bien conduite. Alexandre d'Aphrodise commente ce passage comme s'il avait lu dans son texte « d'un État », au lieu d'une maison. A entendre encore le commentateur grec, « les personnes libres » seraient représentées dans l'univers par les grands corps qui peuplent l'espace, et dont les mouvements sont réglés avec la plus absolue précision.

§ 3. Se distinguer par leurs fonctions diverses. L'expression du texte n'a pas un sens bien déterminé; celui que je donne est encore le plus plausible. - Sont soumises à cette même loi. Ici encore, le texte est moins précis que ne l'est ma traduction.

§ 4. Les plus acceptables. Le texte emploie une expression qui est assez peu usitée, et que j'ai eu l'occasion de signaler plus haut, liv. XI, ch. II, § 4. - Tous les philosophes. La critique est bien vague ; il aurait mieux valu désigner spécialement les philosophes quelle atteint.


§ 5. Un troisième terme. C'est la matière, qui peut indifféremment recevoir l'un ou l'autre contraire. - D'autres soutiennent. Ce sont les Platoniciens. - Qui est unique. Tandis qu'il y a deux contraires. - A l'exception de l'unité. Ceci aurait demande peut-être plus de développements, pour qu'on sût précisément à qui s'adresse cette critique.

§ 6. D'autres philosophes. C'est Speusippe et les Pythagoriciens; voir plus haut, ch. VII, § 8. - D'autres reconnaissent. Il s'agit ici, comme la suite le prouve, d'Empédocle et d'Anaxagore.

§ 7. Empédocle. Voir ce qui a été dit plus haut sur Empédocle, liv. I, ch. IV, § 4. - Partie du mélange. Qu'Empédocle appelle aussi le Sphaerus, composé de l'Amour et de la Discorde, qui se sont réunis. - Dans les deux cas. J'ai ajouté ces mots.

§ 8. Anaxagore. Sur Anaxagore, voir aussi plus haut, liv. I, ch. IV, § 7. - De contraire, ni au bien, ni à l'intelligence. M. Bonitz remarque, avec raison, que cette objection, qui paraît assez sérieuse, serait également valable contre le premier moteur d'Aristote, qui ne peut pas non plus avoir de contraire.

§ 9. Qu'on ne les mette d'accord. C'est la leçon qui semble la plus probable, et que donnent quelques manuscrits. M. Bonitz et M. Schwegler l'adoptent, ainsi que la plupart des commentateurs. Mais l'expression est bien concise et bien vague. Aristote sans doute veut dire que, pour que la théorie des contraires ait un sens, il faut un troisième terme où les deux contraires peuvent se trouver tour à tour. Ce troisième terme est la matière, où les contraires sont en puissance, puisqu'elle peut les recevoir indifféremment l'un après l'autre. - D'autres font naître les choses du néant. Voir plus haut, ch. VII, § 1. - Dans une unité obscure. Ce sont les Éléates, qui réduisaient l'univers à une unité immobile. - Comment la production des choses... M. Bonitz trouve que tout ce passage est en désordre; et il ne voit pas comment les pensées se suivent et s'enchaînent entre elles, quoique le but général de l'auteur soit évidemment une critique des philosophies antérieures. Cette remarque n'est que trop fondée.

§ 10. Pour les philosophes... Comme Empédocle, qui admet les deux principes contraires, l'Amour et la Discorde.

§ 11. Les autres philosophes. C'est une critique générale ; elle s'adresse aux systèmes qui admettent que toutes les choses ont des contraires. Aristote soutient que le premier moteur, tel qu'il le comprend, ne peut avoir de contraire; mais on ne voit pas bien comment cette impossibilité peut s'étendre jusqu'à la sagesse et à la science la plus haute, à moine qu'on ne confonde le premier moteur avec l'intelligence et la sagesse divines. - Au premier de tous les principes. C'est sans doute le moteur premier. - En puissance, ils sont identiques. C'est-à-dire que, par exemple, un objet qui est actuellement blanc, est noir en puissance; et réciproquement. Mais on peut trouver que c'est la une subtilité purement logique. - L'ignorance contraire passe à son contraire. M. Bonite trouve, avec raison, que cette phrase ne peut pas être expliquée d'une manière satisfaisante ; et le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise ne l'éclaircit pas. M. Victor Cousin traduit ce passage de la manière sui vante: « L'ignorance, le contraire de la science, impliquerait un objet contraire de l'objet de la science, qui est ce premier être. Or, le premier être n'a pas de contraire. »

§ 12. Ajoutons... Tout ce § mérite la plus grande attention; et jamais peut-être Aristote ne s'est montré moins partisan du sensualisme, et ne s'est rapproché davantage du spiritualisme platonicien. - Ni harmonie céleste. Le texte n'est pas aussi formel. - Tous les Théologues et les Physiclens. Voir plus haut, liv. I, ch. III, § 14. - Si les Idées et les Nombres. Cette critique des Idées platoniciennes et des Nombres pythagoriciens ne paraît pas suffisamment amenée. Rien n'est plue éloigné des théories des Physiciens que celles de Platon. - Les causes du mouvement. Cette critique est juste, si d'ailleurs elle ne paraît pas être ici très bien à sa place. Voir plus haut, ch. VI, § 3.

§ 13. De choses sans grandeur. Les choses sans grandeur sont ici les Idées et les Nombres. - Quelque chose à retrancher. L'expression du texte est aussi vague que ma traduction,

§ 14. Comment les nombres peuvent former une certaine unité. Voir la mérite objection, exprimée plus haut, liv. VIII, ch. III, § 11. - Le principe moteur qui fait l'unité des choses. Le texte n'est pas aussi formel. - Quant à ceux... Ce sont sans doute les Pythagoriciens qu'Aristote vent désigner ici. - Qu'une succession d'épisodes. Voir plus loin la même critique formulée dans les mêmes termes, à peu prés, et d'une manière encore plus vive; liv. XIV, ch. III, § 7; voir aussi dans la Poétique, ch. IX, § 9, p. 52 de ma traduction. - Tant de chefs sont un mal. Voir l'Iliade, chant II, vers 204. Il faut rapprocher cette fin du livre et le chapitre VIII sur l'unité de l'Intelligence divine, C'est un grand et juste honneur pour Homère d'être cité, comme autorité, dans ces graves discussions. Malgré quelques hésitations à propos de la substance des astres, il est clair qu'Aristote se prononce définitivement pour l'unité du premier moteur dans l'univers entier, c'est-à-dire, pour le monothéisme; il ne faut jamais l'oublier. Voir la Préface sur la théodicée aristotélique, ses défauts et ses mérites,.
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FIN DU LIVRE XII DE LA MÉTAPHYSIQUE.