LIVRE XI
CHAPITRE PREMIER
De la nature de la philosophie : forme-t-elle une science unique, ou
se compose-t-elle de plusieurs sciences? De la science qui s'occupe
de la démonstration des choses; la philosophie s'occupe-t-elle de
toutes les substances, ou de certaines d'entre elles?
S'occupe-t-elle des accidents? citation de la Physique;
critique de la théorie des Idées; de la nature des êtres
mathématiques; la philosophie peut être définie la science des
universaux, c'est-à-dire des genres les plus généraux, l'Un et
l'Être. |
§ 1. Que la philosophie soit précisément la science
des principes, c'est une vérité qui ressort de ce que nous avons
dit, en discutant les théories relatives aux principes que d'autres
philosophes ont exposées. Mais on peut se demander si la philosophie
est une science unique, ou si plutôt elle ne se forme pas de
plusieurs sciences. Si elle ne forme qu'une seule science, on doit
se rappeler qu'il n'y a jamais qu'une seule et unique science pour
les contraires. Or, Ies principes ne sont pas contraires entre eux.
D'un autre côté, si la philosophie ne forme pas une seule et unique
science, quelles sont les sciences dont elle se compose?
§ 2. Une autre question, c'est de savoir si c'est à une seule
science, ou à plusieurs sciences, qu'il appartient d'étudier les
principes de la démonstration. Si c'est l'affaire d'une seule et
même science, pourquoi celle-ci plutôt que toute autre? Si c'est le
fait de plusieurs, quelles sont ces sciences diverses?
§ 3. Autre question encore : Cette unique science s'adresse-t-elle à
toutes les substances, ou ne s'y adresse-t-elle pas? Si ce n'est pas
à toutes qu'elle s'adresse, il est bien difficile de déterminer
celles auxquelles elle s'adresse particulièrement. D'autre part, si,
étant unique, elle s'applique à toutes les substances, on a peine à
comprendre comment une seule et même science pourrait s'appliquer à
des substances si multiples.
§ 4. En outre, on peut se demander si cette
science se borne aux substances mêmes, ou si elle s'étend jusqu'à
leurs accidents; car, s'il y a démonstration pour Ies accidents, il
n'y en a pas pour les substances. S'il y a là deux sciences
différentes, qu'est-ce que chacune d'elles? Et laquelle des deux est
la philosophie? La philosophie démonstrative est celle qui s'occupe
des accidents, tandis que la philosophie des principes s'occupe des
substances. Mais ce n'est pas non plus, sur les causes énumérées par
nous dans la Physique, que devra porter la science que nous
cherchons ici. Ainsi, elle ne considère pas le pourquoi des choses.
Ce pourquoi, c'est le bien; et on ne trouve manifestement le bien
que dans les choses pratiques, et dans les êtres doués de mouvement.
C'est le bien qui est le premier moteur. C'est ainsi précisément
qu'agit la fin; et le premier moteur ne peut pas se rencontrer dans
les immobiles.
§ 5. En un mot, il s'agit de voir si la science que nous cherchons
s'applique, ou ne s'applique pas, aux substances sensibles, et à
quelles autres elle pourrait s'appliquer. [1059b] Si c'est à d'autres
substances qu'elle s'applique, ce ne peut être qu'à des Idées, ou à
des êtres mathématiques. Mais il est de toute évidence que les Idées
n'existent point ; et si, par hasard, on veut en admettre
l'existence, on n'en a pas moins à rechercher comment il n'en est
pas des autres choses, pour lesquelles il y a des Idées, comme il en
est pour les entités mathématiques. Je veux dire que l'on place les
êtres mathématiques entre les Idées et Ies choses sensibles, et
qu'on en fait une sorte de troisième ordre d'êtres, entre les Idées
et les choses qui frappent ici-bas nos sens. Mais le troisième homme
n'existe pas ; le troisième cheval n'existe pas, outre l'Idée du
cheval en soi et outre les individus chevaux que nous voyons.
§ 6. Mais s'il n'en est pas à cet égard ainsi qu'on le prétend, à
quel objet s'adressent alors les études du mathématicien? Certes ce
n'est pas aux choses sensibles ; car aucune des choses perceptibles
à nos sens n'est comme celles dont s'occupent les sciences
mathématiques. On ne peut pas dire davantage que la science cherchée
par nous s'occupe des êtres mathématiques, puisque pas un de ces
êtres n'est isolé de la matière. Mais elle ne s'occupe pas non plus
des substances sensibles, puisqu'elles sont périssables.
§ 7. D'une
manière générale, on peut se demander à quelle science il appartient
de rechercher quelle est la matière des choses mathématiques. Ce
n'est pas à la Physique, puisque toutes les recherches du Physicien
se bornent à étudier les êtres qui ont en eux le principe de leur
mouvement, ou de leur inertie. Ce n'est pas davantage l'objet de la
science qui étudie la démonstration et la théorie de la science,
puisque ce sont là exclusivement les matières dont elle s'occupe.
Reste donc que ce soit la philosophie telle que nous l'entendons,
qui étudie la matière des Mathématiques.
§ 8. Une question qu'on peut également soulever, c'est de savoir si
la science ici cherchée, en s'occupant des principes, s'occupe aussi
de ce que quelques philosophes appellent les éléments; et tous les
philosophes admettent que les éléments se trouvent dans les composés
qu'ils forment.
§ 9. Ce qui paraît le plus probable, c'est que notre science est la
science des universaux; car toute définition, toute science, repose
sur des termes universaux, et ne descend pas jusqu'aux termes
derniers. A ce point de vue, notre science s'appliquerait donc aux
genres primordiaux. Or, ces genres ce sont l'Être et l'Un. C'est
que, en effet, ce sont ces deux genres primordiaux qu'on peut
surtout regarder comme embrassant tous les êtres, et comme
représentant surtout des principes, puisque, par leur nature, ils
sont les primitifs. Eux une fois détruits, tout le reste disparaît
en même temps qu'eux, puisque tout, sans exception, est Être et est
Un.
§ 10. Mais si l'on en fait des genres, il y a nécessité que les
différences doivent en participer aussi ; or, il n'est pas de
différence qui puisse participer du genre; et, considérés de cette
façon, l'Être et l'Un ne peuvent plus du tout passer pour des
genres, ni pour des principes.
§ 11. Ajoutez que ce qui est plus simple est plus principe que
ce qui est moins simple ; et les derniers termes, dans chaque genre,
sont plus simples que les genres mêmes, attendu que ces termes
derniers sont des individus, et que les genres se divisent toujours
en espèces multiples et différentes. Il semblerait donc que Ies
espèces sont des principes plutôt que les genres, Mais, en tant que
les espèces disparaissent à la suite des genres, ce sont les genres
qui devraient plutôt être considérés comme des principes; car on
doit regarder comme principe ce qui entraîne avec soi la perte de
tout le reste.
§ 12. [1060a] Voilà les questions qu'on peut se poser, sans en compter
encore bien d'autres, qui sont analogues à celles-là. |
Liv. XI. Que la
philosophie. MM. Bonitz et Schwegler divisent avec raison le XIe
livre en deux parties distinctes, dont la première s'étend du
chapitre Ier au chapitre VIII, § 12, inclusivement; et dont la
dernière comprend le reste du livre. La première partie n'est guère
qu'une esquisse des matières contenues dans les livres III, IV et VI;
la seconde se compose de répétitions plus ou moins développées de
quelques discussions de la Physique. Les références à ces
divers ouvrages seront exactement indiquées dans tout ce XIe livre.
Du reste, on doit, avec M. Bonitz, reconnaître ici la main
d'Aristote, et l'on peut supposer que nous avons affaire à une
première et imparfaite expression de sa pensée, C'est sans doute une
ébauche, qu'il aura pris soin de compléter ensuite, et qui plus tard
aura été insérée dans la Métaphysique, par des éditeurs trop
peu attentifs.
§ 1. Que d'autres
philosophes ont exposées. Voir plus haut, liv. I, ch. III et ch.
suivants. - Est une science unique. Plus haut, liv. III, ch.
II. - Les principes ne sont pas contraires entre eux.
Voir liv. III, ch. II, § I.
§ 2. De la démonstration.
Liv. III, ch. II, § 12 et 18. - Pourquoi celle-ci. Par
Celle-ci, il faut entendre la philosophie.
§ 3. Autre question.
Toutes ces questions un peu confuses, et exposées ici avec trop de
concision, se retrouvent dans le liv. III, ch, IV et V. - A
toutes les substances.
L'expression est bien vague. En d'autres termes, on pourrait dire:
« à toute la nature, à
tout ce qui est.
»
§ 4. Se borne aux
substances internes. Voir liv. III, ch. I, § 8. - Dans la
Physique. Voir la Physique, liv. Il, ch. III § 2, p. 20
de ma traduction. - Elle ne considère pas le pourquoi des choses.
Il semble au contraire que la philosophie doit s'appliquer surtout,
si ce n'est exclusivement, rechercher la cause des choses et leur
but final. - Le premier moteur ne peut pas. La théorie
ordinaire d'Aristote est que le premier moteur est immobile; et elle
se répète tout entière, et toujours aussi positive, dans le VIIIe
livre de la Physique, et dans le XIIe de la Métaphysique.
§ 5. Ce ne peut être qu'à
des idées. Voir plus haut, liv. I, ch. VII, §§ 31 et suivants,
la réfutation de la théorie des Idées et des êtres mathématiques. -
Le troisième homme. Voir plus haut, liv. I, eh. VII, § 32.
§ 6. Les études du
mathématicien. Cette question, fort curieuse par elle-même, ne
tient guère à celles qui précèdent; et elle n'est point résolue par
ce qui en est dit ici; voir plus haut, liv. VI, ch. I, § 10 et suiv.
- La science cherchée par nous. C'est-à-dire, la philosophie
première. - Des substances sensibles. Qui sont plus
particulièrement l'objet de la Physique.
§ 7. La science qui étudie
la démonstration. C'est la Logique; voir le traité des
Derniers Analytiques, qui est consacré tout entier à celte
grande théorie. - Qui étudie la matière des Mathématiques. Il
semble que cette étude est un peu en dehors du domaine de la
philosophie; ou du moins, elle ne doit donner aux Mathématiques que
l'attention qu'elle donne à tout le reste des choses ; elle n'a pas
à en faire une étude spéciale.
§ 8. Les éléments.
Voir plus haut, liv. I, ch. IV, §§ 11 et suivants, et ch. IV, toute
la discussion sur les éléments.
§ 9. L'Être et l'un.
Plus haut. liv. III, ch. III, § 9. Aristote a établi que l'Être et
l'Un ne peuvent pas être des principes ni des genres primordiaux,
parce qu'ils s'appliquent à tout indistinctement. C'est donc une
simple objection qu'il suppose ici; et il la réfute au § suivant,
plus ou moins complètement.
§ 10. Si l'on en fait des
genres. C'est-à-dire, si l'on regarde l'Être et l'Un comme des
genres universels s'appliquant à toutes choses, les différences en
participeront comme tout le reste, en étant elles aussi Unes et
réelles; voir plus haut, liv. III, ch. III, § 12, cette théorie plus
développée.
§ 11. Les derniers termes.
Ce sont les individus, au-dessous desquels on ne peut descendre,
puisque la division ne peut pas aller plus loin, comme l'indique le
nom même qu'ils portent.
§ 12. Voilà les questions.
Ces questions sont en partie analogues à celles qui ont été posées
dans les premiers chapitres du Ille livre ; mais on voit qu'elles
ont ici beaucoup moins de précision et de régularité. |
CHAPITRE Il
Questions diverses sur la possibilité d'une substance en dehors des substances
sensibles et individuelles; difficultés des deux solutions en sens contraire;
l'Être et l'Un ne peuvent pas servir de principes universels; les lignes ne
peuvent pas davantage être prises pour principes; de la nature de la science et
des objets sur lesquels elle peut porter ; du rôle de l'espèce et de la forme;
il y a des cas où l'espèce et la forme ne peuvent point subsister en dehors des
objets; identité et diversité des principes. |
§ 1. Une question qu'on doit agiter aussi, c'est de savoir s'il y a, ou s'il n'y a
pas, d'autres êtres que les individus, et si c'est des individus que s'occupe
la science que nous cherchons ici. Mais les individus sont en nombre infini. En
dehors d'eux, il n'y a plus que les genres et les espèces. Or, les espèces et
les genres ne constituent, ni les uns, ni les autres, la science que nous
demandons; et nous avons déjà dit pourquoi il
est impossible qu'ils soient l'objet de cette science. C'est que, en effet, nous
avons à nous demander si, à côté et en dehors des substances que nous révèlent
nos sens, il existe une substance isolée de toutes celles que nous voyons ; ou
bien, si ce ne sont pas plutôt les substances sensibles qui sont seules des
réalités, et les objets de la philosophie.
§ 2. Nous semblons bien, en effet,
chercher une autre substance que les choses sensibles; et le but que nous nous
proposons, c'est de voir s'il n'existe pas quelque chose qui soit essentiellement
séparé des choses sensibles, et n'appartienne à aucune d'elles. Mais si, à côté
des substances perceptibles à nos sens, il existe quelque substance différente
de celles-là, il reste à savoir en dehors de quelles substances sensibles il
faut la placer. Pourquoi, par exemple, faudrait-il la supposer en dehors des
hommes plutôt qu'en dehors des chevaux, ou de tels autres animaux, ou même en
dehors de telles choses sans vie ?
§ 3. Certes, admettre qu'à côté des substances sensibles et périssables, il y ait
d'autres substances, qui sont en nombre égal et qui sont éternelles, c'est
tomber dans une erreur qui brave
toute raison. Mais si, d'autre part, le principe que nous cherchons à cette
heure n'est pas isolé des corps, quel autre principe mériterait d'être adopté
mieux que la matière? La matière, en effet, n'existe pas en acte; elle n'existe
qu'en puissance. Il est bien vrai aussi que l'espèce et la forme sembleraient
être un principe plus particulièrement encore que la matière; mais l'espèce et
la forme peuvent périr. Donc, il semblerait qu'il ne se peut pas absolument
qu'il y ait une substance éternelle qui soit isolée, et qui existe en soi.
§ 4. Mais c'est une impossibilité
qu'il n'y en ait pas; car tout le monde, y compris même les philosophes les plus distingués, admet qu'il y a un principe et une
substance de ce genre. Et comment y aurait-il un ordre quelconque dans les
choses, s'il n'y avait pas quelque chose d'éternel, de séparé et de permanent?
D'un autre côté, s'il existe une substance et un principe qui ait la nature que
nous signalons ici, et que ce principe unique s'applique à tout, aux choses
périssables aussi bien qu'aux choses éternelles, il s'agit de comprendre
comment, ce principe universel,
étant identique pour tout, il se peut que, parmi les choses placées sous le même
principe, les unes soient éternelles et les autres ne le soient pas. C'est là
quelque chose d'incompréhensible.
§ 5. Mais s'il y a un principe différent pour les
choses périssables, et un principe différent pour les choses éternelles, nous
pouvons nous demander, avec un égal embarras, si le principe des êtres
périssables est éternel comme l'autre. Comment, en effet, le principe même
n'étant pas éternel, les êtres qui relèvent de ce principe pourraient-ils être
éternels? Si le principe est périssable, il y a dès lors un autre principe, puis
un troisième après ce second, et ainsi de suite à l'infini.
§ 6. D'un autre côté, si l'on admet pour principes ceux qui semblent être plus
particulièrement des principes immobiles, je veux dire l'Un et l'Être, on peut
se demander d'abord [1060b] comment, si chacun d'eux n'est pas un être déterminé et une
substance, ces principes pourront être séparés et exister en soi. Or, ce sont
précisément
des principes de ce genre, éternels et premiers, que nous cherchons. Mais si
l'Un et l'Être expriment tous les deux quelque individualité et une substance,
alors tous les êtres sans exception sont des substances, puisque l'Être est un
attribut de tous, et que l'Un est l'attribut d'un certain nombre. Mais prétendre
que tous les êtres sont des substances, c'est une erreur.
§ 7. D'autre part, quand on prend l'unité pour le premier principe, qui est alors
une substance, et quand, de l'unité et de la matière, on fait d'abord
sortir le nombre, auquel on accorde d'être la substance des choses, comment
peut-on s'imaginer
que cette théorie soit vraie? Comment concevoir que l'unité soit dans la Dyade,
et dans chacun des nombres composés? Sur ce point difficile, on se tait; et il
faut convenir qu'il n'est pas aisé d'en dire quelque chose.
§ 8. Que si l'on prend pour principes les lignes et ce qui dérive des lignes, je
veux dire les surfaces les plus simples qu'elles forment, on s'expose à cette
objection, que les lignes ne sont pas des substances isolées, que ce sont des
sections et des divisions, les
lignes étant des divisions de surfaces, les surfaces des divisions de corps,
comme les points sont des divisions de lignes; ce sont en outre des limites de
toutes ces mêmes choses, corps, surfaces, etc. Mais tout cela est dans d'autres
êtres, et il n'y a jamais là de substances séparées.
§ 9. Et puis, comment concevoir l'unité et le point à l'état de substances? Pour
toute substance, il y a génération et devenir; pour le point, il n'y en a pas,
puisque le point n'est qu'une division.
§ 10. Une autre cause de doute, c'est que toujours la science s'appuie sur des
universaux et sur telle qualité précise, tandis que la substance n'est pas un
universel, et qu'elle est bien plutôt quelque chose d'individuel et de séparé.
Par conséquent, s'il est vrai que la science s'applique aux principes, comment
le principe peut-il être substance? On peut demander encore : Existe-t-il, ou
n'existe-t-il pas, quelque chose en dehors
de l'ensemble du composé matériel? Par Ensemble, j'entends la matière et ce qui
l'accompagne. S'il n'y arien en dehors de l'ensemble, alors tous les êtres qui
sont matériels sont destinés à périr; et s'il y a quelque chose qui subsiste, ce
ne peut être que l'espèce et la forme. Pour quels êtres cette séparation
est-elle possible, pour quels êtres ne l'est-elle pas, c'est ce qu'il est bien difficile de déterminer; car il y a des choses où manifestement la forme ne
peut pas être séparée: par exemple, s'il s'agit de la forme d'une maison.
§ 11.
Autre question encore : Les principes sont-ils les mêmes en espèce et en nombre?
S'ils se réduisent à un seul en nombre, alors tous les les êtres sont identiques
entre eux. |
§ 1. D'autres êtres que les individus. Voir le liv.
III, ch. IV, § 1. - Nous
avons déjà dit. Voir plus haut, ch. I, § 11.
§
2. Une autre substance. Voir liv. III, ch. IV. - Essentiellement séparé des
choses sensibles. Ce ne peut être que Dieu, conçu comme le premier et l'éternel
moteur. - En dehors de quelles substances sensibles. C'est restreindre beaucoup
la question.
§ 3. Qui sont en nombre égal. Voir plus haut, liv. I, ch.
VI,
§ 3 et suiv., la réfutation de cette partie de la théorie des Idées. Il ne faut
pas multiplier les êtres inutilement.
§ 4. Les philosophes les plus distingués. Voir une expression
analogue plus loin, liv. XII,
ch, X, § 4. - Un ordre quelconque, Voir encore liv. XII, ch. X.
- D'éternel, de séparé et de permanent. C'est Dieu, seul, qui remplit ces conditions. Peut-être,
au
lieu de Permanent, vaudrait-il mieux dire Immobile.
§ 5. S'il y a un principe différent. Voir
liv. III, ch. X. - Il y a dès lors un autre
principe. Qui doit être éternel, puisque le principe des choses périssables ne
l'est pas.
§ 6. L'Un et l'Être. Voir liv. III, ch.
IV et V. - Attribut de toutes choses...
l'attribut d'un certain nombre. Ceci ne semble pas tout a fait d'accord avec les
théories ordinaires d'Aristote, qui met toujours l'Être et l'Un sur le même
rang, les regardant tous
les deux comme des universaux. - C'est une erreur. Comme le traité des
Catégories suffirait à le prouver. A côté de la substance, il
y a neuf autres catégories d'Être, tout au moins.
§ 7. L'unité pour le premier principe. Voir liv.
III, ch. IV, §§ 29
et suivants. - Des nombres composés. C'est la série indéfinie des
nombres, composés tous de l'unité, ou de nombres qui leur sont inférieurs.
§ 8. Les plus simples. Le texte dit précisément :
Premières. - On s'expose à
cette objection,
L'expression du texte est plus concise. - Corps, surfaces, etc. J'ai ajouté ces
mots pour plus de clarté.
§
9. Génération et devenir. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte.
§ 10. Une autre cause de doute. L'expression est bien vague, et l'on ne voit pas
assez nettement à quoi la doute s'applique. Il semble que c'est à la question de savoir si la
substance peut être prise pour principe, et si elle peut servir de base à la
science. - De l'ensemble. Il n'y a que ce mot dans le texte; j'ai ajouté:
« du
composé matériel
», pour éclaircir l'expression par cette paraphrase.
- Et la
forme.
Ou peut-être:
« La figure
»; la forme représente d'ordinaire la même idée que
l'espèce. - Cette séparation. L'expression du texte est moins précise, et il
n'emploie qu'un pronom neutre tout à fait indéterminé.
§ 11. Autre question encore. M. Bonitz trouve avec raison que cette indication est
bien brève et bien insuffisante. - Identiques entre eux. C'est le sens qui est
donné par Alexandre d'Aphrodise, et qu'il convient d'adopter. |
CHAPITRE III
La philosophie est la science de l'Être en tant qu'Être; acceptions diverses du
mot Être, ainsi que d'autres mots: Médical, Hygiénique; l'Être et l'Un
peuvent se confondre ; relations des contraires, opposés et dénommés par
privation ; le procédé d'abstraction qu'emploient les Mathématiques peut s'appliquer à l'étude
de l'Être en tant qu'Être; on considère l'Être en soi, sans regarder
à ses
attributs et à ses conditions; c'est le rôle propre de la philosophie. |
§ 1. La science qu'étudie le philosophe est donc la science de l'Être en tant
qu'Être, de l'Être entendu dans toute sa généralité, et non pas partiellement.
Or, le mot d'Être a bien des sens divers, et il ne se prend pas en une seule acception.
Si c'est une simple homonymie, et s'il n'y a point quelque qualité commune,
alors l'Être ne peut se ranger sous une seule et même notion scientifique; car
il n'y a point, dans ce cas, de genre unique pour des êtres ainsi rapprochés;
mais ils sont l'objet d'une seule et même science, si l'appellation d'Être
s'applique à quelque chose de commun.
§ 2. Il en est, ce semble, des
acceptions diverses du mot Être comme de celles des mots Médical et Hygiénique.
Chacun de ces termes a des nuances très diverses. [1061a]
Tous deux on les emploie, tantôt pour exprimer quelque chose qui est relatif à
la médecine ou à l'hygiène, tantôt pour un autre point de vue, Mais chacun d'eux
se rapporte toujours à la même chose. Ainsi, l'on dit d'un argument qu'il est
médical, comme on le dit d'un bistouri, parce que l'un est tiré de la science de
la médecine, et que l'autre lui est utile. Même remarque sur le mot
d'Hygiénique, qui signifie, tantôt ce qui manifeste la santé, tantôt ce qui la
procure.
§ 3. Il en est aussi de même pour
tous les autres mots; et le mot d'Être s'applique également à tout, avec les
nuances qu'on vient d'indiquer. Ainsi, il suffit qu'une chose quelconque soit
une affection, une qualité, une disposition, un mouvement, ou tout autre
attribut analogue, de l'Être en tant qu'Être, pour qu'on dise do cette chose
qu'elle Est, et pour qu'on l'appelle Être. De même que, pour toutes ces espèces
d'Être, les dénominations diverses peuvent se ramener à une seule acception
commune, de même toutes les contrariétés se ramèneront aux différences
primordiales et aux oppositions de l'Être, soit qu'on prenne le nombre et
l'unité, soit qu'on prenne la ressemblance et la dissemblance, pour les
différences fondamentales de l'Être, soit qu'on en choisisse encore d'autres.
§ 4. Admettons que ce soient les
différences qui ont été indiquées par nous. Il importe peu, d'ailleurs, que l'on
ramène toutes ces nuances de ce qui est, à l'Être ou à l'Un, puisque l'Être et
l'Un, s'ils ne sont pas identiques et s'ils sont autres, peuvent du moins se
prendre réciproquement l'un pour l'autre. L'Être en effet est Un à certains
égards, et l'Un est aussi l'Être.
§ 5. Comme il n'y a toujours
qu'une seule et même science pour comprendre les contraires, il s'ensuit que
l'appellation de chacun d'eux se fait par privation.
Cela n'empêche pas, d'ailleurs, que l'on se demande avec raison comment la
privation est possible, pour certains contraires qui ont des intermédiaires :
par exemple, pour l'injuste et le juste. C'est que, pour tous les contraires de
ce genre, il ne faut pas appliquer la privation à la notion tout entière, mais
seulement à la dernière espèce. Par exemple, si l'homme juste est celui qui est
disposé à obéir docilement aux lois, l'injuste ne sera pas absolument privé de
la notion totale de justice; mais, comme il ne manquera aux lois qu'à certains
égards, c'est aussi dans cette mesure que la privation lui sera applicable.
§ 6. Le raisonnement serait le
même pour tout autre cas. C'est comme le mathématicien, qui ne considère, dans
ses théories, que des abstractions, puisque c'est en retranchant toutes les
conditions sensibles qu'il étudie les choses. Ainsi, il ne tient compte, ni de
la légèreté, ni de la dureté des corps, ni des qualités contraires à celles-là;
il néglige également la chaleur, le froid, et les autres oppositions que nos
sens perçoivent. Il ne conserve que la quantité et le continu, ici en une seule
dimension, là en deux, ailleurs en trois, et les affections propres de ces
entités, en tant qu'elles sont quantitatives et continues; il ne regarde
absolument rien d'autre. Tantôt, il compare les natures et les positions
respectives de ces choses, les unes à l'égard des autres, et leurs attributs
spéciaux; [1061b] tantôt, il
en étudie la commensurabilité et l'incommensurabilité; tantôt, il considère
leurs rapports proportionnels.
§ 7. Nous n'en disons pas moins
que la géométrie est la seule et unique science qui s'occupe de toutes ces
diverses questions. Nous en faisons tout autant pour l'Être. En étudier les
accidents en tant qu'Être, étudier les oppositions qu'il peut présenter en tant
qu'Être, c'est le fait d'une seule science, qui n'est pas autre que la
philosophie. Ainsi, l'on peut affirmer que les études de la Physique ne
s'appliquent pas aux choses en tant qu'elles existent, mais bien plutôt en tant
qu'elles sont soumises au mouvement. De même encore, la Dialectique et la
Sophistique s'occupent bien de certains accidents des choses et des êtres, mais
non pas en tant qu'êtres, et elles n'étudient pas l'Être lui-même en tant
qu'Être, II n'y a donc en résumé que le philosophe qui considère les choses, que
nous venons de dire, en tant qu'elles sont.
§ 8. Par conséquent, l'Être,
quelque multiples que soient ses acceptions, s'applique toujours à quelque chose
d'Un et de commun, comme s'y appliquent également les contraires, puisqu'ils se
réduisent toujours aux premières oppositions et aux premières différences de
l'Être. Ainsi, il est possible de comprendre toutes ces notions sous une seule
science; et de cette façon, se trouve résolue la question que nous avions
soulevée dès le principe, c'est-à-dire, la question de savoir comment une seule
et unique science pouvait comprendre tant de choses si nombreuses et de genres
si différents. |
§ 1. La science qu'étudie le philosophe. Voir plus haut, liv. IV. ch,
I, § 1. Les idées qui sont présentées ici d'une manière concise et parfois insuffisante,
sont beaucoup plus développées dams le livre IV. C'est la seule différence entre
ces deux discussions, comme le remarque M. Bonitz.
Le livre XI est donc un premier croquis, qu'aura complété plus tard une
rédaction plus soignée et moins rapide. On pourrait supposer aussi que nous
avons dans le liv. XI un extrait plus ou moins exact du liv, IV; mais alors, il
serait à peu près impossible d'admettre que cet extrait soit de la main même
d'Aristote.
§ 2. Des mots Médical et
Hygiénique. Voir plus haut, liv. IV, ch. II, § 1. Les mêmes
exemples et presque les mêmes mots, pour exprimer les mêmes idées.
§ 3. Une affection, une
qualité. Voir plus haut liv. IV, ch. II, § 2.
§ 4. Qui ont été indiquées.
M. Bonitz pense, ainsi quo M. Schwegler, que ceci se rapporte au
traité du Choix des Contraires, cité plus haut, liv. IV, ch.
II, §§ 8 et 23. Alexandre d'Aphrodise croit qu'il s'agit du
Traité du Bien, où Aristote avait exposé cette théorie. Ce
traité si important n'est pas parvenu jusqu'à nous. - Se
prendre réciproquement l'un pour l'autre. Voir plus haut, sur ce
rapport de l'Un et de l'Être, liv. IV, ch. II, § 7.
§ 5. Pour comprendre les
contraires. C'est-à-dire que, quand on sait un des contraires,
on suit aussi l'autre. - Par privation. Ainsi le noir est la
privation du blanc; et réciproquement. - A la dernière espèce.
Il faut entendre ici une des nuances intermédiaires entre les
contraires. Cette expression est obscure, et la commentaire
d'Alexandre ne fournit pas un éclaircissement suffisant. L'exemple
que donne Aristote n'apporte pas non plus beaucoup de lumière. La
«
dernière espèce
»,
semblerait, d'après cet exemple, signifier simplement l'acte
particulier d'injustice où la loi est violée. Alexandre d'Aphrodise
paraît comprendre qu'il s'agit de l'un des deux contraires,
considéré comme un extrême, et que, par exemple, il s'agit du Noir,
si l'intermédiaire est le gris.
§ 6. Le mathématicien.
Le philosophe abstrait, de tout ce qui existe, la notion d'être
dans, ce qu'elle a d'universel, de même que le mathématicien
abstrait, des choses possibles, les propriétés générales, qui sont
seules l'objet de ses études.
§ 7. La Physique.... la
Dialectique et la Sophistique. Voir plus haut, liv. IV, ch. II,
§ 19.
§ 8. La question que nous
avions soulevée. Voir plus haut, ch. I, § 4. - Dès le
principe. Peut-être pourrait-on comprendre aussi le texte en ce
sens qu'il s'agirait de la question soulevée « à propos des
principes
».
Le sens que je donne dune ma traduction est plus conforme à la
grammaire, et s'accorde mieux avec tout le contexte. |
CHAPITRE IV
Différents points de vue des Mathématiques, de la Physique et de ta Philosophie;
la science mathématique et la Physique ne s'occupent que de certains accidents
de l'Être; la Philosophie première est la seule qui s'occupe de l'Être en tant
qu'Être, dans toute sa généralité. |
§ 1. Comme on le voit, le
mathématicien se sert des notions communes, pour son point de vue particulier;
mais le rôle de la Philosophie première, c'est de remonter jusqu'aux principes
de ces notions. En effet, quand on dit que, si de quantités égales on retranche
une quantité égale, les restes sont encore égaux, c'est là un axiome qui
s'applique à toutes les quantités sans exception. Mais les Mathématiques
admettent, cet axiome sans examen; et elles y appuient leurs théories,
concernant une partie quelconque de la matière qui leur est propre : et, par
exemple, les lignes, les angles, les nombres, ou telles autres quantités de ce
genre. Ce n'est pas en tant qu'êtres que la science mathématique les étudie,
mais c'est en tant que chacune d'elles est continue, dans une, deux ou trois
dimensions.
§ 2. Quant à la Philosophie, elle
ne considère pas les nuances particulières de l'Être, ni les accidents qui s'y
rapportent; elle ne considère, dans chacune de ces entités, que l'Être en tant
qu'Être. La Physique en est absolument au même point que la science mathématique
; si elle étudie les affections et les principes des êtres, c'est en tant qu'ils
se meuvent, et non pas en tant qu'ils sont des êtres. Mais nous avons dit que la
science première des êtres est celle qui les étudie en tant qu'êtres et
substances, et non pas en tant qu'ils sont encore autre chose. Par conséquent,
la Physique et les Mathématiques ne sont que des parties de la Philosophie. |
§ 1. Des notions communes.
«
Ou axiomes».
- Jusqu'aux principes de ces notions. Voir plus haut, liv.
IV, ch. III, § 2. - Admettent cet axiome sans examen. Il me
semble que c'est la le sens le plus naturel et le plus conforme au
contexte. M. Bonitz comprend que les Mathématiques restreignent
l'axiome à leur domaine propre.
§ 2. Dans chacune de ces
entités. L'expression du texte est plus vague; et il n'emploie
qu'un pronom neutre indéterminé. - La Physique. Voir plus
haut, ch. I, § 7. - Nous avons dit. Voir plus haut, liv. IV,
ch, I, § 1. Il est possible que cette référence ne soit qu'une
intercalation faite par quelque scholiaste. - Que des parties de
la Philosophie. Aristote pouvait de son temps soutenir ces
opinions; mais il y a bien longtemps que les Mathématiques et la
Physique n'appartiennent plus a la philosophie. Au début, la
philosophie comprenait toutes les sciences; c'est bien encore à elle
que revient l'étude des principes sur lesquels les sciences se
fondent; mais chaque science a son domaine propre, où la philosophie
n'a pas juridiction. Voir sur ces questions les discussions de la
Préface. |
CHAPITRE V
Importance du principe de contradiction énoncé sous cette forme: « Une même
chose ne peut en un même temps être et n'être pas
»
il n'y a pas de démonstration possible pour ce principe, parce qu'il n'y en a
pas de plus certain; réfutation du principe contraire ; méthode à suivre pour
cette réfutation ; argument personnel; nécessité de définir clairement les mots
dont on se sert ; Héraclite combattu par sa propre doctrine; on arrive, avec un
tel système, à confondre toutes choses, et à rendre toute discussion absolument
impossible. |
§ 1. Il y a, dans les choses, un
principe sur lequel on ne peut se tromper jamais, et qui nécessairement fait
toujours le contraire, c'est-à-dire, qui est toujours essentiellement vrai. Ce
principe, c'est qu'une seule et même chose ne peut jamais, en un seul et même
moment donné, être et n'être pas; et cette vérité s'applique à tout ce qui
présente des oppositions de cette forme.
§ 2. Pour les axiomes de cet
ordre, il n'y a pas absolument de démonstration possible, si ce n'est pour
réfuter celui qui les nie; car il ne serait pas possible de faire remonter le
raisonnement à un principe plus certain que celui-là. Il le faudrait, cependant,
pour que l'on fît une démonstration véritable et absolue. Mais, pour réfuter
celui qui soutient que les deux membres de la contradiction sont également
vrais, et pour lui démontrer qu'il se trompe, il faudra prendre une proposition
qui, au fond, sera identique à celle-ci, que la même chose ne peut pas dans le
même temps être et n'être point, et choisir cette seconde proposition, de
manière qu'elle ne paraisse pas tout d'abord être identique. C'est seulement
ainsi qu'on pourra réfuter celui qui soutiendrait que les deux termes de la
contradiction sont également vrais d'un seul et même objet.
§ 3. Or, quand on cherche à tomber
d'accord sur quelque raisonnement commun, il faut bien qu'on se comprenne
mutuellement en un certain point; car, sans cette condition, comment serait-il
possible de se communiquer réciproquement ce qu'on pense? Ainsi, il faut d'abord
que chacun des mots dont on se sert ait un sens connu, que ce mot exprime une
seule et unique chose, et non plusieurs à la fois, au lieu d'une seule, et que,
s'il a par hasard plusieurs sens, on sache précisément celui dont on entend se
servir. Or, celui qui soutient que telle chose est et n'est pas tout à. la fois,
celui-là nie précisément ce qu'il affirme; et, par conséquent, il nie que le mot
qu'il emploie signifie ce qu'il signifie; ce qui est complètement impossible et
absurde.
§ 4. Ainsi, puisque dire que telle
chose est Cela signifie quelque chose, il est de toute impossibilité que la
contradiction puisse être vraie de cette même chose. Bien plus, si le mot a un
sens et que l'assertion soit vraie, il faut nécessairement que la chose existe
aussi. Or, quand une chose est nécessaire, elle ne peut plus n'être point. Donc,
les affirmations et les négations opposées ne peuvent pas être vraies de la même
chose. Ajoutez que, si l'affirmation n'est pas plus vraie que la négation, on
n'est pas plus dans le vrai quand on dit que tel être est un homme, que quand on
dit qu'il n'est pas un homme. On ne paraît pas même être, ni plus, ni moins dans
la vérité, quand on dit que l'homme n'est pas un cheval, que quand on dit qu'il
n'est pas un homme. Par conséquent, on dira également la vérité en soutenant que
le cheval est identique à l'homme, du moment que l'on a admis que les
propositions opposées sont également vraies. Il en résulte que le même être est
homme et cheval à la fois, ou tel autre animal quelconque.
§ 5. On peut donc affirmer qu'il
n'y a pas de démonstration absolue contre de telles propositions, bien qu'on
puisse faire une démonstration contre celui qui soutient de telles doctrines.
En interrogeant Héraclite lui-même par cette méthode, on l'aurait bien vite
réduit à avouer que jamais les propositions opposées ne peuvent être vraies à la
fois des mêmes choses ; et c'est parce qu'il ne comprenait pas très bien ses
propres assertions qu'il avait adopté cette opinion étrange. Mais si la maxime
qu'il soutenait est vraie, l'opinion même qu'il défendait ne peut plus l'être :
[1062b] à savoir que la même
chose peut, dans un seul et même moment, être et n'être pas. En effet, de même
que, en divisant les propositions, l'affirmation n'est pas plus vraie que la
négation, de même, pour les deux propositions réunies et assemblées, de manière
à ce que le composé ne fasse en quelque sorte qu'une seule affirmation, la
négation n'est pas plus vraie que l'ensemble mis sous forme affirmative.
§ 6. Enfin, si l'on ne peut rien
affirmer avec vérité, c'est une erreur manifeste d'affirmer qu'il n'est pas
possible de faire une seule affirmation vraie. Si cela est exact, c'est une
manière de résoudre la difficulté que soulèvent ceux qui font de telles
objections, et qui rendraient toute discussion absolument impossible. |
§ 1. Un principe sur
lequel en ne peut se tromper jamais. C'est le principe de
contradiction. Plus haut, liv. IV, ch. IV, Aristote a consacré à ce
principe une discussion très étendue et très profonde, qui l'emporte
de beaucoup sur celle-ci. Laquelle des deux a été écrite la
première, c'est ce dont il est bien difficile de juger; mais tout
porte à croire que la discussion pressente n'est qu'une esquisse,
qui aura été complétée plus tard. - Des oppositions de cette
forme. C'est-à-dire, des oppositions de possession et de
privation, d'affirmation et de négation contraires, comme celle
qu'on vient de rappeler. La pensée, d'ailleurs, ne fait pas de
doute.
§ 2. Un principe plus
certain que celui-là. La chose est évidente par elle-même; et
dans la démonstration, il n'est pas possible de trouver un principe
supérieur à celui-là, ni plus incontestable. - Qui, au fond, sera
identique. Le texte n'est pas aussi précis ; mais le sens n'est
pas douteux. Pour réfuter l'adversaire, qui nie le principe de
contradiction, il ne faut pas essayer de démontrer directement la
vérité de ce principe sous sa forme ordinaire; il faut prendre telle
autre chose quelconque, et démontrer que cette chose spéciale ne
peut pas tout à la fois être et n'être point. - Qu'elle ne
paraisse pas... L'adversaire, en concédant que cette chose ne
peut tout a la fois être et n'être point, concède aussi sans s'en
apercevoir le principe de contradiction, qu'il niait d'abord. Voir
plus haut, liv. IV, ch. IV, §§ 3, 4 et 5; toutes ces idées y sont
exposées beaucoup plus complètement qu'ici, où elles ne sont
qu'imparfaitement reproduites.
§ 3. Quand on cherche à
tomber d'accord. Ce § eut peut-être plus clair que la partie
correspondante du chap. IV, liv. IV. - Nie précisément ce qu'il
affirme. C'est la réfutation qu'on peut toujours opposer à ceux
qui nient le principe de contradiction; on reconnaît ici la
réfutation par l'absurde. - Impossible et absurde. Il n'y a
qu'un seul mot dans le texte.
§ 4. Les affirmations et
les négations opposées... Cette discussion sur le principe de
contradiction est bien loin de valoir celle du IVe livre pour la
solidité des arguments; mais, quelle que soit l'infériorité de la
forme, la pensée est bien toujours la même.
§ 5. De démonstration
absolue. Le texte est assez obscur; et le gens que je donne est
celui qu'adopte Alexandre d'Aphrodise. Mais, même dans son
commentaire, on ne sait pas nettement s'il s'agit de démonstration
contre ces sophismes, ou de la démonstration do ces sophismes,
essayée par ceux qui les soutiennent. - Héraclite lui-même.
Voir plus haut, liv. I, ch. VI, § 1, sur l'opinion d'Héraclite,
soutenant que tout, dans le monde, est dans un flux et un écoulement
perpétuel. - Cette opinion étrange. J'ai ajouté l'épithète,
que tout le contexte me semble justifier, dans ce quelle a
d'ironique.
§ 6. Toute discussion
absolument impossible. C'est là, en effet, le résultat dernier
de tous ces sophismes,
|
CHAPITRE VI
Réfutation du système de Protagore, faisant de l'homme la mesure des choses ;
origine de cette doctrine ; citation de la Physique; causes de la différence des
sensations d'un homme à un autre homme; expérience de l'oeil qui voit les objets
doubles sous certaine pression: il ne faut chercher la vérité que dans les
choses immuables: les corps célestes; contradictions dans la doctrine de
Protagore, prouvées par la théorie du mouvement; ces philosophes se contredisent
eux-mêmes; et, dans la pratique, ils se conduisent comme s'ils ne croyaient pas
à leur propre système ; exemples de l'alimentation ; effets des maladies sur nos
sensations; vice de méthode dans ces systèmes philosophiques; Héraclite et
Anaxagore également condamnés ; tout n'est pas dans tout; deux propositions
contraires ne peuvent être également vraies. |
§ 1. Le système de Protagore
ne s'éloigne pas beaucoup de celui qu'on vient de réfuter, quand il soutient que
l'homme est la mesure de toutes choses; car ceci revient à dire que les choses
sont réellement ce qu'elles paraissent à chacun de nous. S'il en est ainsi,
c'est dire, sous une autre forme, que les mêmes choses sont et ne sont pas,
qu'elles sont à la fois bonnes et mauvaises, et que, à tous égards, les
affirmations les plus opposées sont identiques, puisque bien souvent ce qui
parait bon à ceux-ci parait mauvais à ceux-là, et que la mesure des choses est,
dit-on, le jugement individuel de chacun de nous.
§ 2. Il serait facile de résoudre
cette difficulté en remontant à l'origine même d'une pareille doctrine. Tantôt,
on a cru qu'elle venait de celle des philosophes Naturalistes; tantôt, on en a
trouvé la source dans cette observation, à savoir, que tout le monde ne sent pas
les choses de la même manière, et que, par exemple, telle chose est douce au
goût des uns, et est tout le contraire au goût des autres. Il est certain, en
effet, qu'une opinion commune à presque tous les philosophes Naturalistes, c'est
que rien ne vient de rien, et que tout vient de quelque chose qui existe déjà.
Ainsi donc, une chose ne devient pas blanche si elle est déjà complètement
blanche, et si elle n'a rien du tout qui ne soit blanc. Mais quand nous voyons
qu'un objet est devenu blanc, il doit, selon eux, venir de ce qui n'est pas
blanc, pour pouvoir devenir blanc. Par conséquent, selon ces philosophes, il
viendrait quelque chose du Non Être, si l'on n'admettait pas que le Blanc et le
Non-blanc sont une seule et même chose.
§ 3. Il n'est pas très difficile
de répondre à cette objection. En se reportant à ce qui a été dit dans la
Physique, on peut voir comment toutes les choses qui se produisent viennent du
Non-Être, et comment elles viennent de l'Être. Ce serait une naïveté de prêter
une égale attention aux deux opinions, et aux arguments qu'enfante l'imagination
des uns et des autres, dans ces discussions. Il est d'abord de toute évidence
que les uns, ou les autres, doivent être dans l'erreur nécessairement. Et il
suffit pour s'en convaincre d'observer les faits qui frappent nos sens. Jamais,
en effet, la même chose ne saurait paraître, telle à ceux-ci, et le contraire à
ceux-là, [1063a] que quand,
chez les uns ou chez les autres, l'organe qui perçoit les saveurs qu'on vient
d'indiquer, a subi quelque altération, ou est atteint de quelque infirmité. S'il
en est ainsi, il faut bien admettre que les uns sont alors la mesure des choses,
et que les autres ne sauraient l'être.
§ 4. J'en dis tout autant du bien
et du mal, du beau et du laid, et de toutes les notions de même ordre. Il en est
de ceci comme il en est lorsqu'on se met le doigt sous le globe de l'oeil, et
que, au lieu d'un seul objet, on en voit deux, Il y a donc deux objets,
puisqu'il en paraît deux en effet; mais, l'instant d'après, il n'y en a plus
qu'un, puisqu'en réalité, si l'on ne presse pas l'organe, l'objet paraît unique,
comme il l'est effectivement.
§ 5. D'ailleurs, il est
souverainement absurde de prétendre fonder le jugement de la vérité sur des
objets qui sont soumis à un changement perpétuel, sous nos regards, et qui ne
demeurent jamais un seul instant dans le même état. On ne doit chercher à
trouver la vérité que dans les choses qui sont éternellement les mêmes, et qui
ne subissent jamais le moindre changement. Tels sont, par exemple, les corps
célestes. Ils ne sont pas, tantôt d'une façon, et tantôt d'un aspect différent
et variable ; ils sont éternellement les mêmes, et ils ne subissent jamais la
loi du changement.
§ 6. D'autre part, si le mouvement
existe, et si le mobile qui est mû doit passer toujours d'un point, d'où il
part, à un point où il arrive, il faudrait, d'après ces doctrines, que le mobile
fût encore dans le point d'où il se meut, et qu'en même temps il n'y fût plus;
il faudrait qu'il se mût vers un point, et qu'en même temps il y fût déjà
arrivé.
§ 7. Mais ces philosophes
eux-mêmes doivent reconnaître que les deux parties de la contradiction ne
peuvent pas être vraies à la fois; et si les choses de ce monde sont dans un
flux perpétuel, et dans un mouvement incessant, sous le rapport de la quantité,
et qu'on admette ce système tout faux qu'il est, pourquoi les choses ne
seraient-elles pas immobiles sous le rapport de la qualité? En effet, leur
argument principal pour affirmer que les deux parties de la contradiction
peuvent s'appliquer également à la même chose, est tiré de cette supposition que
la quantité n'est pas permanente dans les corps, et qu'un même corps peut avoir
quatre coudées, et, ensuite, ne les avoir plus. Mais la substance des choses se
rapporte à leur qualité, qui est d'une nature définie, tandis que la quantité
est indéterminée de sa nature,
§ 8. Autre objection. Pourquoi,
quand le médecin leur prescrit tel aliment, le prennent-ils volontiers? Car,
selon eux, où serait la raison de croire que ce soit du pain, plutôt que de
croire le contraire? Par suite, il leur devrait être indifférent de manger, ou
de ne pas manger. Et cependant, ils prennent bien la nourriture que le médecin
leur prescrit, parce qu'ils croient qu'ils sont dans le vrai, quoiqu'ils dussent
se garder de le faire, si, comme ils le prétendent, il n'y a pas dans les choses
sensibles une nature qui persiste absolument, et si elles sont toutes livrées à
un mouvement et à un flux perpétuels.
§ 9. D'ailleurs, si nous-mêmes
nous changeons sans cesse, et si nous ne restons jamais les mêmes un seul
instant, pourquoi s'étonner que les choses ne nous semblent jamais les mêmes,
ainsi qu'elles ne le semblent pas non plus aux malades? [1063b]
Quand on est malade, comme la disposition, où l'on est varie sans cesse, avec
l'état de la santé, les objets que perçoit la sensibilité n'apparaissent plus de
la même manière. Pourtant, ce n'est pas un motif pour que les objets eux-mêmes
éprouvent le plus léger changement; seulement, ils causent aux malades des
sensations différentes, et qui ne sont plus du tout les mêmes.
§ 10. Il en est peut-être
nécessairement encore ainsi, pour le mouvement dont nous parlons ici, quand nous
le ressentons. Mais si nous ne changions pas personnellement et si nous restions
les mêmes, il y aurait dès lors quelque chose de permanent pour nous.
§ 11. Quant aux philosophes qui
soulèvent, d'une façon toute gratuite, ces difficiles questions, on ne peut
guère les réfuter du moment qu'ils ne posent pas un principe, dont ils ne
demandent plus la raison ; car c'est à cette seule condition qu'il peut y avoir
raisonnement et démonstration. En ne posant aucun principe, comme ils le font,
on empêche toute discussion et tout raisonnement quelconque. Il n'y a donc point
à raisonner avec de tels adversaires. Mais quant à ceux qui élèvent des doutes
sérieux, il est assez aisé de répondre aux difficultés qui causent l'incertitude
dans leur esprit.
§ 12. On peut tirer la réponse à
leur faire de ce que nous avons déjà dit; car ce qui résulte clairement de nos
explications antérieures, c'est que jamais les affirmations opposées ne peuvent
être vraies d'une même chose, dans un seul et même moment, non plus que les
contraires, puisqu'ils s'expriment sous forme privative. C'est ce qui est de
toute évidence, quand on prend la peine d'analyser à fond la théorie des
contraires. Par la même raison, il ne se peut pas que jamais les intermédiaires
puissent n'être appliqués qu'à un seul et même terme. Par exemple, si l'objet
est blanc, et que nous disions qu'il n'est, ni blanc, ni noir, nous sommes dans
le faux; car il en résulterait que le même objet serait blanc, et qu'il ne le
serait pas. Il n'y a qu'une seule des deux assertions accouplées qui soit vraie
de l'objet; et c'est la contradiction du blanc.
§ 13. Ainsi, il est également
impossible d'être dans le vrai, soit qu'on suive Héraclite, soit qu'on suive
Anaxagore. Si l'on s'en tient à leur doctrine, on est amené à attribuer les
contraires à un seul et même objet. Quand on dit, en effet, que tout est dans
tout, en partie du moins, on n'affirme pas plus d'une chose qu'elle est douce
que l'on n'affirme qu'elle est amère, ou qu'on ne lui prête telle autre qualité
contraire, de quelque ordre que ce soit. La conséquence est inévitable, du
moment que tout est dans tout, non pas seulement en puissance, mais en réalité
actuelle et parfaitement distincte.
§ 14. Par la même raison, il
n'est pas possible que toutes les assertions soient fausses, ni qu'elles soient
toutes vraies. D'abord, on vient de voir toutes les difficultés qu'entraîne
cette doctrine, et que nous avons énumérées. Ensuite, si toutes les assertions
sont fausses sans exception, cette assertion elle-même qu'on énonce n'est pas
plus vraie que les autres; et enfin, si toutes les assertions sont vraies, celui
qui dit qu'elles sont toutes fausses ne peut pas non plus être dans le faux. |
§ 1. Le système de
Protagore, Voir plus haut, liv. IV, ch. IV, § 22, et surtout ch.
V, toute la discussion contre Protagore.
§ 2. Des philosophes
Naturalistes. Ce sont les philosophes Ioniens surtout ; voir
plus haut, liv. I, ch. IV. - Ainsi donc... une seule et même
chose. Tout ce passage est évidemment altéré, et il est
profondément obscur, comme le dit Alexandre d'Aphrodise lui-même qui
essaie vainement de l'expliquer. M. Bonitz propose une rédaction
nouvelle, qui ne s'appuie. comme il le reconnaît, sur l'autorité
d'aucun manuscrit. Voici le sens le plus probable qu'on peut tirer
de toutes ces obscurités :
«
Une chose ne devient pas blanche si déjà elle est absolument blanche
; il faut donc, pour que le blanc soit possible et se réalise qu'il
vient du Non-blanc, en d'autres tenues du Non-Être. Or, comme, selon
les naturalistes, rien ne peut venir du Non-Être, il faut donc que
le blanc et le Non-blanc soient une seule et même chose ; et par
conséquent, les propositions les plus opposées sont identiques. » Je
donne cette interprétation pour ce qu'elle vaut mais il me semble
que c'est la seule qu'on puisse faire sortir du texte vulgaire, en
l'altérant le moins possible. - Est devenu blanc. Avec M.
Bonitz. je supprime la négation qui est dans le texte reçu, et qui
rendrait la pensé tout à fait inintelligible.
§ 3. Dans la Physique.
Voir la Physique, liv. I, ch, VI, § 4, et ch. IX, § 2, p. 463
et 485 de nia traduction; voir aussi le traité de la Production
et de la Destruction des choses, liv. I, ch. III, § 3, p. 28 de
ma traduction. - Aux deux opinions. Rappelées un peu plus
haut, au début du § 2. - Les uns sont alors la mesure des choses.
C'est peut-être faire une concession exagérée au système de
Protagore, que pourtant on combat.
§ 4. J'en dis tout autant
du bien et du mal. La concession est encore plus forte, et le
bien et le mal existent en soi indépendamment des jugements que nous
en portons. - Le doigt sous le globe de l'oeil. Le texte
n'est pas tout à fait aussi formel. Voir plus haut, IV, ch. VI, § 4.
Cette observation est d'ailleurs bien connue, et elle est très
vraie.
§ 5. Soumis à un
changement perpétuel. Aristote semble ici donner raison, sans le
vouloir, à la théorie des Idées, qu'il a toujours attaquée. Voir
plus haut, liv. I, ch. VI, § 4. - Les corps célestes. Les
corps célestes sont soumis à la loi du changement, quoi qu'en dise
ici Aristote ; la terre que nous habitons suffit à le prouver; il
n'y a que Dieu qui soit immuable.
§ 6. Si le mouvement
existe. Ce passage n'est pas très net et l'expression de la
pensée pouvait être plus claire. La doctrine qui admet la
coexistence des contradictoires supprime le mouvement, puisque alors
le point de départ en celui d'arrivée se trouvent confondus. Voir
plus haut, liv. IV, ch, V, § 18.
§ 7. Cet philosophes
eux-mêmes. Le texte n'est pas aussi formel. Je crois que ce
membre de phrase doit être lié au suivant; et alors la pensée est
plus nette.
«
Si l'on croit que les choses sont constamment muables dans leur
quantité, on peut cependant avouer qu'elles sont immuables dans la
qualité essentielle qui les constitue.
»
- Immobiles sous le rapport de la qualité. Les philosophes
qui croient au flux perpétuel de la quantité, n'accorderaient pas
davantage la permanence de la qualité. Voir plus haut, liv. IV, ch,
V, § 14.
§ 8. Autre objection.
Voir des objections également pratiques contre le scepticisme, liv.
IV, ch, V, § 20, et ses contradictions radicales.
§ 9. D'ailleurs. La
pensée de ce § se lie à celle du suivant, quoique le lien n'en soit
peut-être pas montré assez nettement. Aristote examine deux
hypothèses :
«
Si l'individu change sans case, pourquoi s''étonner que les choses
se modifient pour lui comme elles se modifient pour les malades, on
plutôt comme se modifient les impressions que les malades en
éprouvent? Si nous ne changeons pas, il y a donc quelque chose de
permanent, contre la doctrine de ces philosophes, qui prétendent que
tout est dans un flux perpétuel.
»
§ 10. Pour le mouvement
dont nous parlons ici. C'est le mouvement et les variations
auxquelles notre sensibilité est perpétuellement soumise.
§ 11. D'une façon toute
gratuite. Aristote se sert d'une expression presque semblable,
liv. IV, ch. V, § 3; et il y reproche à ces philosophes de parler
uniquement pour parler, sans avoir rien de sérieux à dire. C'est ce
que j'ai voulu rendre ici par ma traduction. - Des doutes sérieux.
J'ai ajouté l'épithète qui me semble ressortir nécessairement du
contexte.
§ 12. De ce que nous avons
déjà dit. Voir plus haut, § 2, et ch. V, § 1. - De nos
explications antérieure. Voir plus haut ch. V, § 1. - Sous
forme privative. C'est-à-dire que l'un des contraires est la
privation de l'autre. - C'est la contradiction du blanc. Il
faut affirmer que l'objet est blanc, ou qu'il n'est pas blanc; et
par conséquent, une seule des contradictoires doit être vraie, et
l'autre fausse.
§ 13. Héraclite. Qui
soutenait que toutes les choses sont dans un flux perpétuel. -
Anaxagore. Qui soutenait que tout était confondu à l'origine. -
Tout est dans tout. Il ne paraît pas que la doctrine
d'Anaxagore ait eu une aussi grande portée. - La conséquence est
inévitable. J'ai ajouté ce membre de phrase qui m'a semblé
indispensable pour la clarté. - Non pas seulement en puissance.
Aristote admettrait cette réserve.
§ 14. D'abord, on vient de
voir... Ensuite... Enfin. Le texte n'est pas tout à fait aussi
formel. |
CHAPITRE VII.
Définition du but de la science; procédés de toutes les sciences ; divisions et
différences des sciences; objet propre de la Physique ; sa méthode et sa nature
; objets et méthode des sciences productrices, pratiques et théoriques ; science
de la substance séparée et immobile ; trois principales sciences d'observation
théorique: la Physique, les Mathématiques, et la Théologie; cette dernière est
la plus haute des sciences théoriques; c'est la science du divin; et elle est
universelle, puisqu'elle étudie l'Être en tant qu'Être. |
§ 1. Toute science s'applique à
rechercher des principes et des causes, en ce qui concerne les objets qui
rentrent dans son domaine. [1064a]
C'est ce que font la médecine, la gymnastique, et toutes les autres sciences,
soit les sciences productrices, soit les sciences mathématiques. Chacune d'elles
sans exception, après s'être tracé un cadre relatif à un certain genre d'objets,
s'occupe de son objet propre, en admettant que cet objet existe, et qu'il est
réel. Mais elle ne l'étudie pas en tant qu'Être, attendu qu'il y a une science
spéciale qui, en dehors des autres sciences, s'occupe de cette question. Chacune
des sciences qu'on vient d'indiquer, acceptant à un certain point de vue
l'existence de son objet, dans chaque genre particulier, essaie ensuite de
montrer, avec plus ou moins d'exactitude, toutes les autres conditions de cet
objet.
§ 2. Les unes acceptent
l'existence de l'objet, en s'en rapportant au témoignage des sens; les autres
supposent cette existence d'après certaines hypothèses; et cette simple
induction suffit pour faire voir qu'elles ne donnent point de véritable
démonstration, ni de la substance, ni de l'existence réelle.
§ 3. Quant à la science de la
nature, on reconnaît évidemment qu'elle n'est, ni une science pratique, ni une
science qui arrive à produire telles ou telles choses. Pour la science qui
produit quelque chose, le principe du mouvement est dans l'agent producteur, et
non dans le résultat produit; et alors, c'est un art d'une certaine espèce, ou
telle autre faculté de produire. De même non plus pour la science pratique, le
mouvement n'est pas dans l'objet pratiqué; il est plutôt dans les êtres qui
pratiquent. Mais la science du physicien s'applique à des êtres qui ont en
eux-mêmes le principe de leur mouvement ; et cela seul suffit à montrer que la
Physique, la science de la nature, n'est point une science pratique, ni une
science productrice, mais qu'elle est simplement théorique et observatrice; car
il faut nécessairement qu'elle soit dans une de ces trois classes.
§ 4. Mais comme il n'y a pas de
science qui ne connaisse, dans une certaine mesure, l'existence de son objet, et
qui ne s'en serve comme de son principe, il faut se bien fixer sur la manière
dont le physicien doit envisager cette existence, et se demander s'il doit la
considérer, ou comme on considère la notion de Camus, ou comme on considère la
notion de Creux. La notion de Camus implique toujours, quand on la définit, la
matière de la chose, tandis que la notion de Creux est indépendante de la
matière. La qualité de Camus ne peut, en effet, s'appliquer jamais qu'à un nez ;
et la définition de cette qualité comprend. toujours la notion de nez, puisque
le Camus n'est qu'un nez creusé d'une certaine façon. Il est donc évident que,
quand on parle de la chair, de l'oeil, ou de telles autres parties du corps, on
fait toujours entrer l'idée de la matière dans la définition qu'on en donne.
§ 5. Mais comme il y a une science
qui étudie l'Être en tant qu'Être, et séparé de la matière, il nous faut voir si
cette science est identique à la science de la nature, ou si plutôt elle n'en
est pas différente. Comme on vient de le dire, la Physique s'occupe des êtres
qui ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement. La science mathématique est
bien aussi une science d'observation théorique; mais les êtres qu'elle étudie,
s'ils sont immobiles, ne sont pas cependant séparés de la matière. Il faut donc
qu'il y ait une autre science, distincte de ces deux-là, qui étudie l'Être
immobile et indépendant, si toutefois il existe une substance de ce genre.
J'entends par là une substance isolée et immobile, telle que nous essaierons de
la prouver; et s'il existe au inonde une nature de ce genre, c'est en elle aussi
que sera le divin; en d'autres termes, c'est le premier principe, le principe
souverain.
§ 6. [1064b]
On le voit donc, il y a trois genres principaux de sciences d'observation
théorique : la Physique, les Mathématiques et la Théologie. Ainsi, les sciences
théoriques sont les plus hautes de toutes les sciences; et parmi celles qui
viennent d'être indiquées, la plus haute encore, c'est la dernière nommée,
attendu qu'elle s'applique à ce qu'il y a de plus grand parmi les êtres. Une
science est supérieure, ou inférieure, selon l'objet propre de ses études.
§ 7. C'est une question de savoir
si la science de l'Être en tant qu'Être est, ou n'est pas, une science
universelle. Parmi les sciences mathématiques, chacune s'attache à un genre
d'êtres déterminé; la science universelle doit s'appliquer à tous les êtres sans
exception. Si donc les substances physiques étaient les premières parmi les
êtres, il s'ensuivrait que la Physique serait aussi la première des sciences.
Mais s'il y a une autre substance, une autre nature, séparée et immobile, il
faut nécessairement que la science qui étudie cette substance, soit antérieure à
la Physique, et antérieure en tant qu'universelle. |
§ 1. Toute science. Ce
chapitre tout entier est, ou un extrait, ou une première esquisse du
chap. I du livre VI; ce sont les mêmes pensées dans le même ordre,
et souvent avec les mêmes expressions. Ces rapports entre les deux
morceaux ont été signalés par M. Bonitz. - Les sciences
productrices. Ce sont les sciences qui ont surtout pour but un
produit extérieur, comme le font tous les arts et toutes les
industries; voir liv, I, ch. 1. - En admettant que cet objet
existe. Voir liv. VI, ch. I, § 3.
§ 2. Cette simple
induction. Voir liv. VI, ch. I, § 4. - Qu'elles ne donnent.
Le grec dit simplement
«
Il n'y a point de démonstration
»;
mais ceci se rapporte
évidemment aux sciences dont il vient d'être question. - De
véritables démonstrations. Le texte est moins formel.
§ 3. Une science pratique,
Le mot de
«
pratique
»
n'a pas dans la langue d'Aristote tout à fait le même sens qu'il
peut présenter dans la nôtre. Une science pratique est pour lui
celle dont le résultat ne sort pas de l'être qui sait, tandis que la
science productive est celle qui donne un résultat extérieur, la
sculpture, par exemple. - Un art d'une certaine espèce. Voir
liv. VI, ch. I, § 6. - Le principe de leur mouvement. Id„
ibid. - La Physique, la science de la nature. Il n'y a qu'un
seul mot dans le texte. - Théorique et observatrice. J'ai cru
devoir mettre ici deux mois pour rendre toute la force de
l'expression grecque, qui a ces deux sens.
§ 4. La notion de
Camus,... la notion de Creux. Ces exemples assez bizarres se
trouvent déjà mot pour mot, dans le livre VI, ch, I, § 8. - De la
chair, de l'oeil. Voir liv. VI, ch. I, § 9, les mêmes exemples.
§ 5. S'ils sont immobiles.
Voir liv. VI, ch, 1, § 11. - Nous essaierons. Voir plus loin,
liv, XII, ch. VI. - Que sera le divin. Voir liv. VI ch. I,
§ 12.
§ 6. La Physique, les
Mathématiques, et la Théologie. Voir liv. VI, ch. I, § 13. Il faut
remarquer ici encore l'emploi du mot de Théologie. L'idée qu'il
exprime aurait pu être très féconde; mais Aristote, et en général la
philosophie ancienne, se sont peu occupés de Dieu, de son existence
et de son rapport avec l'homme et l'univers. Socrate avait donné un
autre exemple.
§ 7. Une science
universelle. Voir liv. VI, ch. 4 § 14. - Étaient les
premières. Id.,
ibid. § 15. |
CHAPITRE VIII
Théorie de l'Être pris au sens accidentel; la science ne peut jamais s'appliquer
à l'accident ; exemple de diverses sciences : rôle particulier de la
Sophistique, justement définie et blâmée par Platon; définition de l'accident;
causes et principes particuliers de l'accident; autrement, tout serait
nécessaire dans le monde : notion exacte de l'Être en soi et non accidentel,
combiné avec la pensée ou en dehors d'elle; limites du hasard ; il n'y a pas de
hasard dans la nature, ni dans l'intelligence; les causes du hasard sont
indéfinies comme lui: elles restent toujours obscures pour l'homme;
l'intelligence et la nature sont antérieures et supérieures au hasard. |
§ 1. Comme le mot d'Être, exprimé
d'une manière absolue, peut recevoir plusieurs acceptions, dont l'une s'applique
à l'Être pris en un sens accidentel, il nous faut tout d'abord étudier l'Être
qui n'est Être que de cette dernière façon.
§ 2. Un premier point qui est
évident, c'est qu'il n'est pas une seule des sciences, reconnues pour telles,
qui s'occupe de l'accident. Ainsi, par exemple, l'architecture, dont l'objet est
de construire nos maisons, ne se préoccupe pas de savoir si les habitants de la
maison qu'elle a construite y éprouveront de la douleur ou du plaisir. L'art du
tisserand, l'art du corroyeur, l'art du cuisinier même, n'ont pas davantage de
ces préoccupations, qui ne les regardent pas.
§ 3. Chacune de ces sciences ne
doit exclusivement songer qu'à son objet propre. C'est là leur fin spéciale.
Elles n'ont pas à considérer, par exemple, comment l'individu est à la fois
musicien et grammairien ; pas plus qu'elles n'ont à considérer si, étant
musicien d'abord, il est devenu grammairien ensuite, pour posséder à la fois ces
deux qualités, qu'il n'avait pas antérieurement; car lorsqu'une chose existe
sans, exister toujours, c'est qu'elle est devenue telle qu'elle est; et voilà
comment l'individu a pu devenir tout ensemble musicien et grammairien.
§ 4. Ce sont là des recherches
auxquelles ne se livre aucune des sciences véritables; et ces questions
n'occupent guère que la Sophistique, qui est la seule en effet à appliquer son
attention à l'accident. Aussi, Platon n'a–t-il pas tort, quand il dit que la
Sophistique perd son temps à s'occuper du Non-Être, en d'autres termes, de ce
qui n'est pas.
§ 5. Pour se convaincre qu'il n'y
a pas de science possible de l'accident, on n'a qu'à prendre la peine de voir ce
que c'est réellement que l'accident.
§ 6. Nous avons reconnu que, parmi
les choses, il y en a qui sont toujours et de toute nécessité; et je n'entends
pas ici cette nécessité qui n'est que le résultat d'une violence, mais celle que
nous faisons intervenir dans les choses de démonstration. Il y a aussi des
choses qui ne sont que dans la plupart des cas, ou qui même, sans être dans la
pluralité des cas, ne sont, ni toujours, ni nécessairement, mais comme le veut
le hasard.
§ 7. Par exemple, il peut faire
froid dans le temps de la Canicule; mais le froid dans cette, saison n'est pas
d'une nécessité constante ; il n'est pas même ordinaire à cette époque de
l'année; seulement, il peut parfois s'y produire.
§ 8. [1065a]
Donc l'accident est ce qui n'est, ni toujours, ni nécessairement, ni même dans
les cas les plus fréquents.
§ 9. Du moment que l'accident est
bien ce qu'on vient de dire, on voit nettement pourquoi il n'y a pas de science
possible de l'accident. Toute science s'applique à quelque chose qui est, ou
toujours, ou le plus ordinairement ; et l'accident n'est, ni d'une façon, ni de
l'autre.
§ 10. Par suite; il n'est pas
moins clair qu'il n'y a, pour l'Être par accident, ni les mêmes principes, ni
les mêmes causes que pour l'Être en soi; car alors tout sans exception serait
nécessaire. Il est facile de le voir. En effet, si, telle chose étant, telle
autre chose est, et que, cette seconde étant, une troisième soit aussi, non pas
arbitrairement, mais de toute nécessité, la chose dont la première était cause
sera également de toute nécessité; et ainsi de suite, jusqu'à la chose qui sera
regardée comme étant causée la dernière. Or on supposait qu'elle n'était qu'un
accident.
§ 11. Ainsi, tout ne serait que
nécessité; et, par conséquent, tout ce qui peut être d'une façon, ou d'une
autre, tout ce qui peut indifféremment se produire, ou ne pas se produire du
tout, serait retranché du nombre des choses possibles. Cette conclusion est
inévitable, en supposant même que la cause ne soit pas encore réellement, mais
qu'elle soit simplement en voie de se produire; car tout alors deviendra encore
absolument nécessaire.
§ 12. Supposons, par exemple,
qu'une éclipse doive avoir lieu demain, si tel phénomène se produit après un
autre qui le précède, et si cet autre encore se produit après un troisième. Ceci
admis, si, d'un temps déterminé, on retranche le temps qui doit s'écouler,
depuis l'instant où l'on est jusqu'au lendemain, on arrive à un fait présent et
actuel; et comme celui-là existe bien réellement, tout ce qui doit venir après
lui devient nécessaire aussi; tout alors est soumis à une absolue nécessité.
§ 13. L'Être pris comme étant
vrai, et comme étant accidentel, a deux aspects : ou il vient d'une combinaison
de la pensée, dans laquelle il n'est qu'une modification; et par cela même, il
n'y a pas à chercher ses principes, puisqu'on ne recherche des principes que
pour l'Être qui est en dehors de la pensée et séparé d'elle; ou bien, l'Être
n'est pas nécessaire, mais il est indéterminé; et j'entends ici parler de l'Être
qui n'est accidentel que dans la minorité des cas.
§ 14. Pour l'Être ainsi compris,
les causes sont sans ordre et sans nombre. Mais pour les choses de la nature, ou
pour celles qui viennent de l'intelligence, il y a toujours un pourquoi; et il
n'y a de hasard que quand une de ces choses vient à se produire
accidentellement. De même, en effet, que l'Être est, ou en soi, ou accidentel,
de même la cause a aussi ces deux caractères. Le hasard est cause accidentelle
dans les choses où peut agir notre préférence, en vue d'une certaine fin. Et
voilà comment l'intelligence et le hasard s'appliquent au même objet, puisque,
sans intelligence, il n'y a pas de préférence possible.
§ 15. Aussi, les causes d'où
peuvent sortir les choses de hasard sont-elles indéfinies. Le hasard échappe, et
reste obscur, au calcul de l'homme; et il n'est cause qu'accidentellement;
absolument parlant, il n'est cause de rien. Le hasard est bon ou mauvais, selon
que ce qui en résulte est bon ou mauvais. C'est un malheur, c'est une infortune,
selon l'importance des cas.
§ 16. [1065b]
Mais comme jamais ce qui est accidentel ne peut être antérieur à ce qui est en
soi, les causes ne le sont pas davantage. Si donc l'on admet que c'est le
hasard, et même le spontané, qui sont les causes du ciel, on peut affirmer que
la cause antérieure, c'est l'intelligence et la nature. |
§ 1. Ce chapitre est en
partie une répétition du chapitre II du liv. VI. Ce sont les mêmes
idées, les mêmes exemples, et souvent les mêmes expressions. On peut
aussi trouver, avec M. Bonitz, que ce chapitre VIII du XIe livre a
plus de netteté que le chapitre II du livre VI. Quel est celui des
deux morceaux qui a précédé l'autre, c'est ce qu'il serait difficile
de discerner. - Un sens accidentel. Voir liv. VI, ch. II, §
1.
§ 2. Pas une seule du
sciences. Voir liv. VI, ch. II, § 3. - L'architecture.
Id., ibid.
§ 3. Musicien et
grammairien. Voir liv. VI, ch. II, § 3, le même exemple,
présenté un peu différemment.
§ 4. Aucune des sciences
véritables. Voir liv. VI, ch. II, § 3. - Aussi, Platon.
Voir liv. VI, ch. II, § 4, où la critique de Platon et la vanité des
recherches sophistiques, sont exposées plus complètement.
§ 6. Nous avons reconnu.
Voir liv. VI, ch. II, § 8. - Dans les choses de démonstration,
Liv. VI. ch. II, § 8. Cette idée est présentie sous une forme un peu
différente
«
Cette nécessité qui n'est que l'impossibilité d'être d'une autre
façon.
»
§ 7. Dans le temps de la
Canicule, Voir liv. VI, ch. II, § 8, le même exemple, où
d'ailleurs il est suivi de plusieurs autres.
§ 8. Donc l'accident...
Livre VI, ch. II, § 8.
§ 9. Il n'y a pas de
science possible de l'accident. Voir liv. VI, ch. II, § 12.
§ 10. Tout sans exception
serait nécessaire. Voir liv. VI, ch. III, § 1. -Telle chose
étant... Voir le même exemple, liv. VI, ch. III, § 2; ce livre
ajoute aussi d'autres exemples pour éclaircir cette théorie.
§ 11. Se produire ou ne
pas se produire. C'est précisément le hasard et le fortuit
aussi.
§ 12. Présent et actuel.
Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - Et comme celui-là existe
bien réellement. On ne peut douter du phénomène qu'on a sous les
yeux; et s'il est lu condition nécessaire des phénomènes suivants,
ils sont aussi vrais que celui-là ; et par conséquent, ils sont
nécessaires aussi.
§ 13. Et comme étant
accidentel. La plupart des manuscrits donnent une négation :
«
Comme n'étant pas accidentel.
»
J'ai préféré l'affirmative avec MM. Bonitz et Schwegler. - A deux
aspects. Le texte n'est pas aussi formel. - D'une combinaison
de la pensée. On pourrait croire que le texte veut exprimer ici
l'acte de conscience, où la pensée se prend pour sujet de sa propre
observation. L'être revient sur lui-même, et il affirme ainsi sa
propre existence; ce serait quelque chose comme l'axiome cartésien:
«Je
pense, donc je suis
».
Mais Alexandre d'Aphrodise donne le sens que j'ai adopté, et il
comprend qu'il s'agit seulement de la combinaison que fait la pensée
pour affirmer un attribut d'un sujet, ou pour nier cet attribut.
§ 14. Pour l'Être ainsi
compris. Pour l'Être accidentel, pour les attributs qui ne sont
réels que dans le plus petit nombre des cas. - Les causes sont
sans ordre et sans nombre. Et dés lors, il devient impossible de
les classer et de les compter; il n'y a qu'a recevoir les faits tels
qu'ils sont, sans essayer de les comprendre. - De la nature.
Dont Aristote n'a cessé do vanter l'ordre admirable. - De
l'intelligence. Qui se propose toujours un but, et la
réalisation du bien quand elle agit.
Et il n'y a de hasard. A partir de cette phrase jusqu'à la
fin du livre, le texte reproduit divers passages de la Physique
presque mot pour mot ce sont de simples extraits. Aussi Alexandre d'Aphrodise
déclare-t-il qu'il ne commentera pas ces répétitions; et il s'en
réfère à ce qu'il a dit dans son commentaire spécial sur la
Physique. Voir la Physique, liv, II, ch. V, § 2, p. 35 de
ma traduction. - L'Être est ou en soi ou accidentel. Voir la
Physique, liv. II. ch. V, § 3. - Notre préférence.
Voir la Physique, liv. II, ch. V, §§ 8 et 9.
§ 15. Aussi les causes...
Physique, liv. II, ch. V, § 10. - Il n'est cause de rien.
Id., ibid., § 11. - Le hasard est bon ou mauvais, Id., ibid.,
§§. 15 et 16.
§ 16. Mais comme jamais..,
Voir la Physique, liv. II, ch. VI, §12, p. 46 de ma
traduction. - C'est l'intelligente et la nature. Il faut
remarquer ces doctrines qui seront confirmées dans le livre XII, et
qui ne sont qu'indiquées ici, comme dans la Physique.
|
CHAPITRE IX
Distinction de l'acte et de la puissance, applicable à toutes les catégories;
théorie du mouvement; il est nécessairement dans les choses, et ses espèces sont
aussi nombreuses que celles même de l'Être; définition du mouvement ; il est
l'acte du possible en tant quo possible; justification de cette théorie;
exemples divers; réfutation des théories contraires; on ne saurait définir le
mouvement autrement qu'on ne le fait ici; cause de la difficulté qu'on trouve à
bien définir le mouvement ; c'est qu'il est indéterminé; il n'est précisément,
ni en puissance, ni en acte; il n'est qu'un acte incomplet, acte obscur, mais
réel; le mouvement est dans le mobile ; le mouvement est tout à la fois l'acte
du mobile et l'acte du moteur; il n'y a qu'un seul et même acte pour les deux;
exemples divers de cette unité, dans les nombres et dans l'espace. |
§ 1. On peut distinguer ce qui est
exclusivement en acte, ce qui est en puissance, et, en troisième lieu, ce qui
est tout ensemble en puissance et en acte. On peut appliquer ces distinctions à
l'Être, à la quantité, et à tout le reste.
§ 2. Mais il n'y a pas de mouvement possible en dehors des choses; car le
changement ne peut avoir lieu que dans les catégories de l'Être; et il n'y a
rien de commun entre elles, pas plus que le changement n'a lieu dans une seule
et même catégorie. Chacune d'elles peut s'appliquer à toutes les choses de deux
façons : par exemple, dans l'Être, on peut distinguer sa forme et sa privation ;
dans la qualité, on peut distinguer, par exemple, le blanc et le noir; dans la
quantité, le complet et l'incomplet; dans la translation, le haut et le bas; ou,
sous un autre point de vue, le léger et le lourd. Par conséquent, il y a, pour
le mouvement et le changement, autant d'espèces qu'il y en a pour l'Être
lui-même.
§ 3. L'Être se divisant dans chacun de ses genres, ici en puissance, et là en
acte parfait, en Entéléchie, j'appelle mouvement l'acte du possible en tant que
possible. Que ce soit là une définition exacte, voici ce qui le prouve. Qu'il
s'agisse, par exemple, d'une chose à construire, en tant qu'elle peut se
construire, nous disons que cette chose est en acte du moment qu'elle est
construite; c'est précisément la construction. Même observation pour l'étude des
choses qu'on apprend; pour la guérison d'une maladie, pour la rotation des
corps, pour la marche, pour le saut, pour la vieillesse, et pour la maturité de
vigueur que l'âge viril peut donner.
§ 4. Il y a donc mouvement quand l'Entéléchie est la même que la puissance, et
le mouvement n'existe, ni auparavant, ni après. L'Entéléchie de l'Être en
puissance, de l'être possible, qui devient par cette Entéléchie un être actuel,
soit qu'il se meuve lui-même, soit qu'il devienne autre en tant que mobile,
c'est ce qu'on nomme le mouvement.
§ 5. Par cette expression
«
En tant que
»,
voici ce que j'entends. L'airain, par exemple, est en puissance la statue; et
cependant, ce n'est pas parce qu'il y a Entéléchie de l'airain en tant
qu'airain, qu'il y a mouvement. Ce n'est pas la même chose d'être de l'airain,
ou d'avoir une certaine puissance, puisque, si c'était la même chose absolument,
d'après notre définition, l'Entéléchie de l'airain serait un mouvement. Pour se
bien convaincre que ce n'est pas la même chose, on n'a qu'à regarder aux
contraires. On accorde bien que pouvoir être en santé et pouvoir être malade, ce
n'est pas du tout la même chose; autrement, être en santé ou être malade, ce
serait tout un. Ce qui est vrai, c'est que le sujet qui est bien portant, ou qui
est malade, que ce soit par la lymphe ou par le sang, reste identique et qu'il
est Un; mais, comme ce n'est pas la même chose, pas plus que la couleur n'est
identique à l'objet qu'elle rend visible, la réalisation du possible en tant que
possible, c'est le mouvement.
§ 6. On voit donc clairement que cette réalisation est bien le mouvement, et
qu'il y a mouvement quand cette réalisation se produit, en tant qu'elle est ce
qu'elle est, et qu'il n'y a de mouvement, ni avant, ni après. Toute chose, en
effet, peut, tantôt être en acte, et tantôt n'y être pas.
[1066a]
Considérons, par exemple, une chose à construire, en tant qu'elle est à
construire. L'acte de la chose qui peut être construite, en tant qu'elle peut
être construite, c'est la construction. Or, la construction, c'est, ou l'acte
lui-même, ou la maison. Mais, du moment que la maison est faite, la chose à
construire n'est plus, puisque ce qui était à construire est construit. Donc
nécessairement, la construction, c'est l'acte; et la construction est bien un
mouvement.
§ 7. On appliquerait la même définition à toutes les autres espèces de
mouvements. Ce qui montre bien que cette définition du mouvement est exacte, ce
sont les théories que d'autres en ont essayées, et c'est aussi la difficulté de
le définir autrement que nous ne le faisons. D'abord, ou ne saurait placer le
mouvement dans un autre genre que celui où nous le mettons nous-mêmes; et, sur
ce point, nous en appelons aux systèmes qu'on a tentés.
§ 8. Les uns font du mouvement une hétérogénéité, une inégalité, ou le Non-Être
Mais, dans tout cela, le mouvement n'est pas nécessaire; et le changement ne
tend pas plus vers ces termes, ou n'en vient pas plus que des contraires. Ce qui
a pu donner à. croire que le mouvement se trouve dans ces notions, c'est que le
mouvement fait l'effet de quelque chose d'indéterminé. Les principes de la série
correspondante sont indéterminés également, parce qu'ils sont privatifs; car
aucun de ces principes n'est, ni substance, ni qualité, non plus qu'il n'est
aucune des autres catégories.
§ 9. Ce qui fait que le mouvement doit nous paraître indéterminé, c'est qu'on ne
saurait le placer, ni dans la puissance, ni dans la réalité actuelle des choses;
la quantité en simple puissance ne paraît pas avoir le mouvement, pas plus que
la qualité en acte.
Le mouvement cependant doit bien être un acte; mais c'est un acte incomplet.
Cela tient à ce que le possible est l'incomplet lui-même, relativement à la
chose en acte. Voilà comment il est si difficile de se rendre un compte précis
du mouvement.
§ 10. Il faut donc classer le mouvement, ou dans la privation, ou dans la
puissance, ou dans l'acte pur et simple. Mais aucune de ces solutions ne paraît
acceptable; et il ne reste qu'à répéter ce qu'on vient de dire, que le mouvement
est bien un acte, mais non pas l'acte tel qu'on le définit d'ordinaire,
difficile sans doute à discerner, mais néanmoins pouvant être réel.
§ 11. Il est évident, de plus, que le mouvement a lieu dans le mobile qui est
mû, puisqu'il est l'acte de la chose à mouvoir, par la chose capable de donner
le mouvement; et que l'acte de cette chose motrice n'est pas différent,
puisqu'il faut nécessairement que le mouvement soit l'Entéléchie, ou l'acte, des
deux à la fois. Être capable de mouvoir, c'est une simple puissance; mouvoir
effectivement, c'est un acte. Le moteur agit sur la chose à mouvoir. Par
conséquent, il n'y a également pour les deux qu'un acte unique, de même qu'il
n'y a qu'un même intervalle d'Un à Deux, et de Deux à Un, comme entre la montée
et la descente, et de la descente à la montée. Seulement, la manière d'être
n'est pas unique, ni la même. C'est là tout à fait le rapport qui existe entre
le moteur, et le mobile qui est mû. |
§ 1. Ce chapitre n'est encore
qu'une nuite d'extraits empruntés textuellement au IIle livre de la
Physique, comme on le verre par les références qui sont
suivre. - En acte, ce qui est en puissance. Voir la
Physique, liv, III, ch. II, § 2, p. 68 de ma traduction. - Et
à tout le reste. Sous-entendu
«
Des catégories.
»
Dans la Physique, Aristote énumère la qualité après la
quantité, et il indique plus positivement la suite des catégories de
l'Être, sans d'ailleurs compléter l'énumération.
§ 2. Pas de mouvement
possible. Voir la Physique, liv. III, ch. I, § 4. -
Rien de commun entre elles. Voir la Physique, loc cit, où
cette pensée est présentée moins obscurément. - Pas plus que que
le changement n'a lieu. Le texte est moins formel. - De deux
façons. Voir la Physique, liv. III, ch. I, § 5, d'où le
passage est tiré textuellement jusqu'à la fin du §.
§ 3. L'Être se divisant... Voir la Physique, liv. III,
ch. 1, § 7. - Que ce soit là une définition exacte. Voir la
Physique, liv. III, ch. I, § 9.
§ 4. Ni auparavant, ni après. Voir la Physique, liv.
III, ch, I, § 13, p. 74. - Soit qu'il se meuve lui-même. Voir
la Physique, liv. III, ch. I, § 12. Ici quelques manuscrits
et les vieilles traductions latines, que recommande M. Schwegler,
offrent une variante qui modifie le sens de ce passage...
«Un
être actuel, non pas en tant
qu'il est ce qu'il est, mais en tant qu'il peut être mû.
»
§ 5. En tant que...
Id., ibid. - Une certaine puissance. Ici c'est la mobilité,
en d'autres termes la possibilité d'être mue.
§ 8. Ni avant, ni après.
Répétition du § 4 ci-dessus. - Tantôt, être en acte et tantôt n'y
être pas. Répétition du § 4, ci-dessus. - Une chose à
construire. Répétition du § 3, ci-dessus. - Ou l'acte
lui-même, ou la maison, Voir la Physique, liv. III, ch.
I, § 14.
§ 7. On appliquerait la
même définition. Voir la Physique, liv. III, ch. I, § 14. -
Que d'autres en ont essayées, Voir la Physique, liv. III,
ch. I, § 15.
§ 8. Les uns font du
mouvement. Voir la Physique, liv. III, ch. I, § 18. - Ne tend
pas plus vers ces termes. Id., ibid., § 17. - Quelque chose
d'indéterminé. Id. ibid., § 18. - De la série correspondante.
C'est-à-dire, la négation opposée à l'affirmation.
§ 9. Doit nous paraître
indéterminé. Voir la physique, liv. III, ch. I, § 19. - Voilà
comment il est si difficile, Id., ibid., § 20.
§ 10. Il faut donc
classer le mouvement. Voir la Physique, liv. III, ch. I, § 20.
§ 11. Il est évident...
Voir la Physique, liv. III, ch. II, § 3. - Être capable de
mouvoir. Id., ibid., § 4, p. 80 de ma traduction. Voir plus
haut, ch. VIII, § 14, la note.
|
CHAPITRE X
De l'infini; définitions diverses qu'on en peut donner; l'infini n'est pas
perceptible à la sensation; il est indivisible au sens où l'on dit de la voix
qu'elle est invisible; l'infini est en soi et non par accident; il n'est jamais
actuel; il ne peut avoir, ni parties, ni divisions; il ne peut pas y avoir de
corps sensible qui soit infini; l'infini ne peut être, ni composé, ni
simple; il n'est pas composé, parce que les éléments sont en nombre fini; il ne
peut pas davantage être simple, parce qu'alors il serait un seul des éléments et
remplirait le monde ; citation d'Héraclite ; l'infini ne peut être un corps,
parce qu'alors il aurait un lieu; il ne peut être, ni homogène, ni composé da
parties hétérogènes ; le lieu des corps ne peut pas être infini, non plus que le
corps lui-même ; l'infini ne peut être affecté dans aucune de ses parties: Une
peut avoir non plus de position; aucune des six espèces du lieu ne peut lui
convenir ; toutes les directions sont finies; et celles de l'infini ne le sont
pas; l'infini n'a, ni antérieur, ni postérieur. |
§ 1. L'infini est d'abord ce qui
ne peut pas du tout être parcouru, attendu que c'est, par sa nature, qu'il ne peut pas l'être, de même que, par nature, la
voix est invisible. Ou bien, l'infini est ce dont le cours est sans terme, ou ce
dont on ne trouve le terme qu'à grande peine, ou ce qui, devant avoir un terme
naturel, n'a cependant en fait, ni terme, ni limite; enfin, l'infini peut être
infini, soit par addition, soit par retranchement, ou par les deux à la fois.
§ 2. [1066b] L'infini peut bien être quelque chose de séparé; et pourtant, il échappe
absolument à la perception sensible. Si, en effet, il n'est, ni grandeur, ni
nombre, et que son essence soit d'être l'infini, sans que ce soit là pour lui un
simple accident, dés lors il sera indivisible, puisque le divisible est toujours
nécessairement un nombre, ou une grandeur. S'il est indivisible, il n'est pas
infini, à moins que ce ne soit à la façon dont on dit de la voix qu'elle est
invisible. Mais ce n'est pas ordinairement ainsi qu'on l'entend; nous-mêmes
nous ne le considérons pas ainsi; et nous ne le concevons que comme ne pouvant
jamais être parcouru tout entier.
§ 3. Mais comment l'infini peut-il exister en soi, sans qu'il y ait une grandeur ni
un nombre, dont l'infini soit une affection et un mode? D'autre part, si
l'infini n'existe que comme accident, il ne saurait être un élément des êtres
en tant qu'infini, pas plus que l'invisible n'est un élément de la voix, bien
que cependant la
voix soit réellement invisible.
§ 4. Ce qui n'est pas moins évident, c'est que
l'infini ne saurait jamais être actuel; car la partie qu'on en détacherait,
quelle qu'elle fût, serait infinie, puisque faire partie de l'infini ou être
infini, c'est la même chose, du moment que l'infini est une substance, et n'est
jamais attribuable à un sujet.
§ 5.
Ainsi, l'infini est indivisible; ou s'il est divisible et partageable, il l'est
à l'infini. Mais il est impossible que plusieurs infinis soient un même et seul
infini. De même que l'air est une partie de l'air, de même l'infini est une
partie de l'infini, si l'infini est une substance et un principe. Donc, l'infini
est impartageable et indivisible. Mais il est impossible que rien de ce qui est
actuel et en Entéléchie soit infini; car alors, l'infini serait nécessairement
une quantité. Donc, l'infini n'existe qu'accidentellement. Or, nous avons vu
qu'un principe ne peut jamais être un accident; mais ce qui est principe alors,
c'est l'être même dont il est une qualité accidentelle : l'air, par exemple, ou
le nombre pair.
§ 6. Jusqu'à présent, notre étude sur l'infini est
restée toute générale; maintenant, il faut montrer que l'infini ne peut faire
partie des choses que nos sens perçoivent.
§ 7.
Si la définition du corps est exacte, quand on dit que le corps est ce qui est
limité par des surfaces, il s'ensuit qu'il ne peut pas y avoir de corps, ni
sensible, ni intelligible, qui soit infini, pas plus qu'il ne peut y avoir de
nombre séparé et infini; car un nombre, ou ce qui a un nombre, peut toujours se
compter.
§ 8. Au point de vue physique, la démonstration est la même. L'infini
ne peut être, ni composé, ni simple. Il n'est pas composé, puisque les éléments
sont en nombre limité; les éléments contraires doivent se faire équilibre, et
l'un des deux ne saurait être infini, sans que celui des deux éléments dont
la
puissance serait moindre en quoi que ce fût, ne fût à l'instant détruit par
l'autre, qui serait infini et absorberait le fini. Mais il n'est pas moins
impossible que les deux éléments du composé soient infinis, puisque le corps est
précisément ce qui a des dimensions en tous sens, et que l'infini est sans
dimensions finies; de
telle sorte que, si l'infini était un corps, il devrait être infini en tous
sens.
§ 9. D'un autre côté, l'infini ne saurait être davantage un corps Un et
simple, ni être, comme on le prétend quelque fois, en dehors des éléments, qu'on
en fait cependant sortir. Évidemment, il ne peut pas y avoir de corps de ce
genre en dehors des éléments, puisque les corps se résolvent dans l'élément,
ou dans les éléments, d'où ils sortent. Or, il ne semble pas qu'en dehors des
éléments simples, il puisse exister un pareil corps, qui serait, [1067a] ou le feu, ou
tel autre élément ; car, à moins que l'un d'eux ne soit infini, il ne se peut
pas que le tout, fût-il fini, soit, ou devienne, un de ces éléments, comme
Héraclite prétend que l'univers entier devient feu.
§ 10. Mêmes objections contre l'Unité, que les Physiciens admettent en dehors des
éléments; car tout changement vient du contraire; et par exemple, le froid vient
du chaud.
§ 11. De plus, le corps sensible doit être en un lieu quelconque; et le
lieu est le même pour la partie, et pour le tout auquel elle appartient, pour la
terre entière, ou pour une motte de terre. Par conséquent, si la partie est
homogène au Tout, ou elle sera immobile, ou elle sera toujours poussée et en
mouvement. Mais c'est là une chose impossible; car pourquoi irait-elle en haut
plutôt qu'en bas? En tel lieu, plutôt qu'en tel autre? Une motte de terre, par
exemple, où ira-t-elle? Dans quel lieu restera-t-elle en repos? Car le lieu du
corps qui lui est homogène est partout. Donc elle occupera aussi le lieu tout
entier. Mais comment? Qu'est-ce que son inertie et son mouvement? Ou bien,
sera-t-elle partout en repos? Et alors elle ne pourra jamais se mouvoir. Ou
bien, sera-t-elle partout en mouvement? Alors, elle ne sera jamais en repos.
§ 12. Si la partie est
hétérogène, les lieux le sont aussi. D'abord, en ce cas, le corps du Tout n'est
plus Un, si ce n'est par la contiguïté des parties. De plus, les parties seront
finies ou infinies en espèces. Mais elles ne peuvent être finies. Les unes
seront donc infinies; les autres ne le seront pas, puisque le Tout est infini,
que d'ailleurs ce soit du feu, ou que ce soit de l'eau. Mais c'est alors la
destruction des contraires. Si les parties sont infinies et simples, les lieux
seront infinis également; et alors, les éléments seront infinis comme eux. Mais
si c'est impossible et que les lieux soient finis, le Tout le sera
nécessairement aussi.
§ 13. En un mot, il ne se peut
pas que le corps soit infini, non plus que le lieu des corps, si tout corps
sensible doit avoir pesanteur, ou légèreté. En effet, le corps sera porté au
centre ou en haut; mais il est impossible que l'infini soit affecté, soit en
entier, soit dans une moitié, soit dans une de ses parties quelconque. En effet,
comment le diviser? Où seront dans l'infini le haut, le bas, l'extrémité, le
milieu? Ajoutez que tout corps perceptible a un lieu, et que le lieu n'a que six
espèces. Or, il est impossible qu'elles se trouvent dans un corps infini ; et
d'une manière générale, si le lieu ne peut être infini, il ne se peut pas
davantage que le corps le soit non plus, puisque le corps est nécessairement
quelque part. Mais, « Quelque part » signifie, ou en haut, ou en bas, ou telle
autre des positions connues; et elles ont toutes une limite finie. D'ailleurs,
l'infini n'est pas identique, ni en grandeur, ni en mouvement, ni en temps,
comme si c'était une seule nature. Le postérieur ne se comprend que par sa
relation avec l'antérieur; et par exemple, le mouvement ne se comprend que par
rapport à une grandeur, dans laquelle l'être change de lieu, s'altère, ou
s'accroît et le temps ne se mesure que par le mouvement. |
§
1. L'infini est d'abord. Voir la Physique, liv. III, ch.
VI, §§ 2 et 3. Voir plus haut, ch. VIII, § 14, la note sur ces extraits.
§ 2. L'infini peut bien être quelque chose de séparé. Dans la
Physique, liv. III,
ch. VI, § 4, il est dit au contraire que l'infini ne peut être séparé des choses, et que,
par conséquent, il ne peut
être perceptible à nos sens; voir pp. 97 et 98 de ma traduction.
§
3. Comment l'infini peut-il exister. Voir la Physique, liv. III, ch.
VI, § 6. - Un élément des êtres. Id.. ibid., § 5.
§ 4. Ce qui n'est pas moins évident. Voir la Physique, liv. III, ch.
VI, § 7.
§ 5. L'infini est Indivisible. Voir la Physique, liv. III,
ch. VI, §§ 7 et 8. - L'air, par exemple, et le nombre pair. Id., ibid., § 8.
§ 6. Est restée toute générale. Dans tout ce passage,
le résumé suit moins
exactement qu'il ne le
faisait plus haut le texte de la Physique. Voir la Physique, liv. Ill,
ch. VII, §
1, p. 100 de ma traduction.
§ 7. Si la définition du corps. V. la
Physique, liv. III, ch. VII, § 3.
§ 8. Au point de vue physique. Voir la
Physique, liv. III, ch. VII, § 5. - Ni
composé ni simple. Id., ibid., § 6. - Il n'est pas composé. Id., ibid., § 7.
- Il n'est pas moins impossible. Id., ibid., § 8.
§ 9. Un corps Un et simple. Voir la
Physique, liv. III, ch, VII, § 9. - Y avoir
de corps de ce genre. Id., ibid., § 11. - Comme Héraclite. Id., ibid.,
§ 12.
§ 10. Mêmes objections. Voir la
Physique, liv. Ill, ch. VII, § 13.
§ 11. Le corps sensible doit être en un lieu. Voir la
Physique, liv. III, ch. VII,
§ 15. - Pour une motte de terre. Ici le texte n'est pas aussi développé; je
l'ai complété par celui de la Physique. - Si la partie est homogène au
Tout. Voir la Physique, liv. III, ch. VII, § 15.
§ 12. Si la partie est
hétérogène. Voir la Physique, liv. III, ch. VII, § 17. - La
contiguïté des parties. Id. ibid., § 18. - Seront finies ou
infinies. Id. ibid., § 19. - La destruction des contraires.
Id. ibid., § 20. - Infinies et simples. Id, ibid., § 22.
§ 13. Il ne se peut pas.
Voir la Physique, liv. III, ch. VI, § 27, p. 112. - Tout corps
perceptible a un lieu, Id., ibid., § 28. - Six espèces.
La Physique, loc. cit., énumère ces six espèces, le haut et
le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche. - Mais
«
quelque part signifie ». Voir Id. ibid., § 29. - D'ailleurs
l'infini.... Le postérieur ne se comprend.... Cotte
phrase ne tient à rien de ce qui précède; et elle ne se retrouve pas
dans cette partie de la Physique, mais plus loin, liv. III,
ch. II, § 6, p. 132 de ma traduction. Ce chapitre paraît en grand
désordre. |
CHAPITRE XI
Définition du changement ; le changement peut être absolu ou partiel; rapports
du changement au mouvement; différences du mobile ; différences du moteur ; le
mobile et le moteur peuvent être absolus, ou partiels, ou primitifs; le
changement n'a lieu réellement que dans les contraires, dans les termes moyens
et dans la contradiction; il n'y a que trois changements possibles d'un sujet à
un sujet, de ce qui n'est pas sujet à un sujet, et enfin d'un sujet à ce qui
n'est pas sujet ; il n'y a pas de changement possible de ce qui n'est pas sujet
à ce qui n'est pas sujet; le changement de sujet à sujet, par contradiction, est
une génération absolue; le changement de sujet en ce qui n'est pas sujet est une
destruction absolue; le Non-Être et le possible ne peuvent avoir de mouvement;
la destruction n'est pas non plus un mouvement; la destruction et la génération
sont des termes de la contradiction; rôle de la privation. |
§ 1. [1067b] Tout ce qui vient à changer change,
tantôt d'une façon accidentelle et indirecte, comme lorsqu'on dit d'un musicien
qu'il marche; tantôt, c'est en un sens absolu qu'on dit d'une chose qu'elle
change, quand une de ses parties seulement vient à changer en elle. Cette
dernière nuance s'applique, par exemple, à tout ce qui se divise en parties
différentes. Et c'est ainsi que l'on dit de tout notre corps, qu'il va bien, par
cela seul que notre oeil est guéri.
§ 2. Mais il existe un mobile qui se meut primitivement et par lui-même; c'est
ce qu'on peut appeler le mobile en soi. Les mêmes nuances peuvent s'appliquer au
moteur. Ainsi, tel moteur ne meut que par accident; tel autre meut
partiellement; tel autre enfin meut en soi. Il y a aussi un moteur premier; et
il y a également un premier mobile, qui est met dans un certain temps, partant
d'un certain point et se dirigeant vers tel autre point. Quant aux espèces, aux
modes, et au lieu vers lesquels se dirige tout ce qui est mû, ce sont là des
termes immobiles, tout comme sont immobiles aussi la science et la chaleur. Ce
n'est pas la chaleur même qui est un mouvement; c'est l'échauffement.
§ 3. Le changement, qui n'est pas accidentel, ne se trouve pas en toutes choses;
il n'est précisément que dans les contraires, dans les intermédiaires, et dans
la contradiction. On peut s'en convaincre par l'induction et l'analyse. Ainsi,
l'objet qui est soumis au changement change en passant d'un sujet à un sujet, de
ce qui n'est pas sujet à ce qui n'est pas sujet non plus, de ce qui n'est pas
sujet à ce qui est sujet, et enfin de ce qui est sujet à ce qui n'est pas sujet.
Le sujet que je veux indiquer ici, c'est ce qui est exprimé par l'affirmation.
§ 4. Il en résulte qu'il n'y a nécessairement que trois changements possibles,
parce qu'il ne peut pas y avoir changement de ce qui n'est pas sujet à ce qui
n'est pas sujet; car alors il n'y a là, ni contraire, ni contradiction,
puisqu'il n'y a pas lieu à une opposition quelconque. Le changement de ce qui
n'est pas sujet en un sujet contradictoire est une génération absolue, si le
changement est absolu; partielle, si le changement est partiel. Le changement
d'un sujet en ce qui n'est pas sujet, est une destruction absolue, si le
changement est absolu; partielle, si le changement est partiel.
§ 5. Si le Non-Être peut s'entendre en plusieurs sens, et si ce qui est composé
ou divisé par la pensée ne peut se mouvoir, ce qui n'est qu'en puissance ne le
peut pas davantage. En effet, ce qui est en puissance est l'opposé de ce qui est
d'une manière absolue; car le Non-blanc, le Non-bon peuvent bien encore avoir un
mouvement accidentel, puisque l'être qui n'est pas blanc pourrait être un homme;
mais ce qui, absolument parlant, n'est pas telle ou telle chose réelle, ne peut
pas non plus se mouvoir de quelque façon que ce soit. C'est qu'il est impossible
que le Non-Être se meuve. Par suite, et si cela est vrai, il devient impossible
aussi de dire que la génération soit un mouvement, puisque c'est le Non-Être qui
s'engendre et devient. Mais si le plus souvent le Non-Être ne devient
qu'accidentellement, il n'en est pas moins exact de dire que le Non-Être
s'applique à ce qui devient d'une manière absolue. On peut faire les mêmes
observations concernant le repos du Non-Être.
§ 6. Ce sont là les difficultés qui se présentent ici ; et il faut y ajouter
cette autre difficulté que tout ce qui est mû est dans un lieu, tandis que le
Non-Être n'a pas de lieu possible, puisque alors il existerait quelque part.
§ 7. La destruction n'est pas davantage un mouvement; car le contraire d'un
mouvement, c'est un autre mouvement ou le repos, tandis que la destruction est
le contraire de la génération. [1068a] Mais, comme tout mouvement est un changement de
certaine espèce, et que les changements sont au nombre de trois, ainsi qu'on l'a
vu, et comme les changements relatifs à la destruction et à la génération ne
sont pas des mouvements, et qu'ils ne sont que les termes de la contradiction,
il résulte de tout ceci qu'il n'y a de changement possible que d'un sujet à un
sujet; et les sujets ne sont que des contraires, ou des intermédiaires. Ajoutez
qu'on peut prendre la privation pour un contraire, quoiqu'elle puisse s'exprimer
aussi sous forme affirmative, comme dans ces mots, par exemple : Nu, Édenté,
Noir. |
§ 1. Tout ce qui vient à
changer. Voir la Physique liv. V, ch. 1, § 1, p. 273 de
ma traduction. Ce sont les mêmes théories, mal ordonnées.
§ 2. Un mobile qui se meut
primitivement. Ceci est beaucoup mieux expliqué dans la
Physique, loc. cit. - Au moteur. Id. ibid., § 3. - Un
moteur premier, Ceci encore est beaucoup plus clairement exposé
dans la Physique, liv. V, ch. I, § 4. - La science et la
chaleur. Voir la Physique, liv. V, ch. I, § 8. - La
chaleur même..., réchauffement. La même pensée se retrouve dans
la Physique; mais l'exemple n'y est pas le même; id, ibid., §
8.
§ 3. Le changement qui
n'est pas accidentel. Voir la Physique, liv. V, ch. I, §
11. - D'un sujet à un sujet. J'ai rétabli le texte de ce
passage d'après celui de la Physique, liv. V, ch. II, § 4.
§ 4. Trois changements
possibles. Voir la Physique, liv. V, ch. II, § 2. -
Une génération absolue. Id. ibid., § 3. - Une
destruction absolue. Id, Ibid., § 4.
§ 5. Si le Non-Être.
Voir la Physique, liv. V, ch. II, § 3. - Composé ou divisé
par la pensée. c'est-à-dire affirmé ou nié; voir la Physique,
id. ibid., et la note p. 284 da ma traduction. - Mais si le plus
souvent. Id. ibid., § 6. - Les mêmes observations. Id.
bid., § 7.
§ 6. Les difficultés.
Voir la Physique, liv. V, ch. II, §§ 7 et 8.
§ 7. La destruction.
Voir dans la Physique, liv. V, ch. II, § 9, les mêmes
théories.
§ 8. Tout mouvement.
Voir la Physique, liv. V, ch. II, § 10. - Ainsi qu'on l'a
vu. Plus haut, § 4. - Des contraires, ou des intermédiaires.
Voir la Physique, liv. V, ch. II, § 11. - La privation.
Id. Ibid. - Édenté. Dans la Physique, loc. cit.. il y
a Blanc au lieu d'Édenté. Ces changements n'ont pas d'importance.
|
CHAPITRE XII
Le mouvement ne peut être que dans les trois catégories, de la qualité, de la
quantité, et du Lieu; il n'y a pas mouvement de mouvement, changement de
changement, production de production; un mouvement ultérieur suppose
l'antérieur; nécessité d'une matière où se produit le changement ; il n'y a de
mouvement que dans les catégories où il peut y avoir opposition de contraires ;
définitions de plusieurs termes indispensables dans ces théories : immobile,
repos, simultanéité de lieu, contact, conséquence, continuité, contiguïté,
combinaison, succession sans contact ni contiguïté ; différence des points et
des unités; les points se touchent; les unités ne se touchent pas ; les uns ont
des intermédiaires ; les autres ne peuvent en avoir. |
§ 1. Si les catégories se divisent en
substance, qualité, lieu, action, souffrance, relation, quantité, il n'y a
nécessairement de mouvement que dans trois d'entre elles: qualité, quantité,
lieu. Il n'y en a pas pour la substance, parce qu'il n'y a rien de contraire à
la substance. Il n'y en a pas non plus pour la relation ; car, l'un des deux
relatifs ne changeant point, il peut n'être pas vrai que l'autre ne change pas
non plus. Donc, dans les relatifs, le mouvement n'est qu'accidentel.
§ 2. Il n'y a pas davantage de mouvement dans les catégories de l'action et de
la souffrance, ni dans le moteur et le mobile, parce qu'il n'y a pas de
mouvement de mouvement, ni génération de génération; en un mot, il n'y a pas
changement de changement.
§ 3. Cette expression
«
Mouvement de mouvement » peut s'entendre de deux manières. Et d'abord, le
mouvement pourrait alors s'appliquer à un sujet, comme on dit d'un homme qu'il
est mû lorsqu'il change du blanc au noir. Ce serait en ce même sens qu'on
pourrait dire du mouvement qu'il change, qu'il s'échauffe, qu'il se refroidit,
qu'il se déplace, qu'il s'accroît. Mais cela est impossible; car le changement
ne peut pas être pris pour un sujet. En second lieu, le changement de changement
pourrait s'entendre dans ce sens que le sujet serait changé par le changement en
une autre espèce ; de même que l'homme peut changer de la maladie à la santé.
Mais cela même n'est alors possible qu'accidentellement.
§ 4. En effet, tout mouvement n'est qu'un changement d'un état en un autre état,
comme cela est pour la production et pour la destruction; seulement, les
changements entre les opposés ne sont pas des mouvements. C'est donc en même
temps que l'on change de la santé à la maladie; et de ce changement même en un
autre. Il est, par suite, évident, que si l'on a été malade, c'est qu'auparavant
on aura éprouvé un changement quelconque; car on peut être aussi en repos.
§ 5. Et ce
n'est pas toujours un changement quelconque qu'on subit; ce changement aussi
tend à aller d'un certain état vers un autre état. Ce serait donc la guérison
qui serait opposée à la maladie, mais uniquement parce qu'elle est accidentelle.
C'est ainsi qu'on change en passant du souvenir à l'oubli, parce que le sujet,
en qui sont l'oubli et la maladie, change pour arriver, ici à la science; et là,
à la santé.
§ 6. Mais ce serait se perdre dans l'infini s'il y avait changement de
changement, production de production. Quand un mouvement ultérieur a lieu, il
faut nécessairement que le mouvement antérieur ait eu lieu aussi. Par exemple,
si une production absolue a eu lieu de quelque façon que ce soit, l'être qui
devient d'une manière absolue s'est produit; et [1068b] par conséquent, si l'être qui
devient d'une manière absolue n'était pas encore, il était du moins quelque
chose qui se produisait, ou qui était antérieurement produit. Or, si ce dernier
être venait à se produire, c'est que ce qui se produisait alors existait déjà
auparavant.
§ 7. Mais comme dans les choses infinies, il n'y a pas de terme premier, il n'y
en aura pas ici; et il n'y aura pas davantage de ternie subséquent. Il est donc
impossible que rien se produise, que rien se meuve, que rien puisse changer.
Ajoutez que, pour un même objet, il y aurait alors un mouvement contraire, et
aussi le repos, la génération et la destruction. Et par conséquent, au moment
même où ce qui naît vient de naître, il est détruit ; car il ne se produit, ni à
ce moment, ni plus tard, puisqu'il faut être d'abord pour être détruit.
§ 8. Il faut,
de plus, qu'il y ait une matière pour ce qui se produit et pour ce qui change.
Quelle sera donc cette matière? Et de même que ce qui s'altère est, ou un corps,
ou une âme, de même la chose qui se produit ici sera-t-elle un mouvement ou une
production? Quel est le point où tend le mouvement? Car il faut que le mouvement
de telle chose, partant de tel point pour se diriger vers tel autre point, soit
quelque chose et ne soit pas le mouvement.
§ 9. Mais comment tout cela est-il possible? Il n'y aura point, par
exemple, étude d'étude, pas plus qu'il n'y a génération de génération, Puis donc
que le mouvement n'appartient, ni à la substance, ni à la relation, ni à
l'action, ni à la souffrance, il ne reste plus qu'à le placer dans la qualité,
dans la quantité, et dans le lieu; car dans chacune de ces catégories, il y a
opposition par contraires. Quand je parle de qualité, je n'entends pas la
qualité qui se trouve dans la substance, ni la qualité dans la différence, mais
je veux parler de la qualité affective, celle qui fait qu'on dit d'un être qu'il
est affecté de telle façon, ou qu'il ne l'est pas.
§ 10. On entend par immobile, ou ce qui ne peut pas absolument être mis en
mouvement, ou ce qui n'y est mis qu'à grand-peine, en beaucoup de temps, ou ce
qui ne s'y met que très lentement, ou enfin ce qui, étant fait de sa nature pour
se mouvoir, ne peut se mouvoir cependant, ni comme la nature le veut, ni dans le
lieu qu'elle veut, ni de la façon qu'elle veut. La seule chose vraiment immobile
est ce que j'appelle le repos. En effet, le repos est le contraire du mouvement;
et il est la privation du mouvement pour la chose qui peut le recevoir.
§ 11. On dit que les choses ont ensemble un seul et même lieu, quand elles sont
dans un même lieu primitif; et l'on dit qu'elles ont un lieu séparé, quand elles
sont dans un lieu différent. Les choses sont dites se toucher, quand leurs
extrémités sont assemblées. L'intermédiaire est le point où naturellement doit
passer d'abord ce qui change, avant d'arriver au terme dernier, où change ce qui
naturellement change d'une manière Continue. Par contraire, en fait de lieu, on
entend ce qui est le plus éloigné en ligne droite.
§ 12. Une chose est dite consécutive à une autre, quand, venant après le point
de départ et le principe, soit par sa position, soit par son espèce, ou par
telle autre détermination, elle n'a aucun intermédiaire entre elle et les choses
comprises dans le même genre. La chose est dite encore consécutive, quand elle
vient à la suite sans interruption : par exemple, les lignes suivent la ligne,
les unités suivent l'unité, la maison suit la maison. Rien n'empêche d'ailleurs
qu'il n'y ait un autre intermédiaire; car ce qui vient ensuite vient à la suite
de quelque chose, et est un terme postérieur à quelque chose. Ainsi, Un ne vient
pas après Deux, et la nouvelle lune ne vient pas après le second quartier du
mois. [1069a] On dit d'une chose qu'elle est contiguë, quand elle vient à la suite des
choses qu'elle touche sans intermédiaire.
§ 13. Mais comme tout changement se passe dans les opposés, comme Ies opposés
sont les, contraires et la contradiction, et comme il n'y a pas de terme moyen
dans la contradiction, il est évident que l'intermédiaire doit être compris
parmi les contraires. Le continu est quelque chose de contigu, et qui touche à
la chose. On dit d'une chose qu'elle est continue, lorsque les extrémités de
chacune des deux choses qui se touchent, et se suivent, deviennent une seule et
même chose. Par conséquent, on voit que le continu n'est possible que pour Ies
choses qui peuvent naturellement former, par le contact, un tout unique. On voit
aussi que le premier de ces termes est le conséquent; car ce qui ne fait que
venir ensuite ne touche pas, tandis qu'au contraire ce qui est conséquent et
continu touche la chose. Mais il ne suffit pas de toucher pour être continu.
§ 14. Pour les choses où il n'y a pas de contact possible, il n'y a pas non plus
de combinaison; et c'est là ce qui fait que le point n'est pas identique à
l'unité. Pour les points, il y a contact; il n'y en a pas pour les unités; pour
elles, il y a seulement succession. Aussi, il y a des intermédiaires pour les
points; il n'y en a pas de possible pour les unités. |
§ 1. Si les catégories.
Voir la Physique, liv. V, ch. III, § 1. Aristote n'énumère
ici que sept catégories au lieu de dix; il sous-entend les trois
autres, dans lesquelles il n'y a pas non plus de mouvement. -
Pour la substance. Id. ibid. § 3. - Ne changeant pas.
Dans la Physique, il y a une affirmation :
«
venant à changer
»,
au lieu d'une négation, livre Ill, ch. V, § 3. - Il peut n'être
pas vrai, C'est la leçon que donne un manuscrit, et
qu'approuvent MM. Schwegler et Bonitz; les autres manuscrits ont au
contraire l'affirmation :
«
Il peut être vrai que....»
- Le mouvement n'est qu'accidentel. Voir la note de la
Physique, liv. V, ch. III, § 3, p. 288.
§ 2. Il n'y a pas
davantage. Voir la Physique, liv. V, ch. III, § 4.
§ 3. Mouvement de mouvement.
Voir la Physique, liv. V, ch. III, § 5. La question peut
sembler bien subtile; et les développements qu'on y donne ne la
rendent pas plus claire, ni plus grave. - S'appliquer à un sujet.
C'est-à-dire que Ie mouvement, pris comme attribut, s'appliquerait à
un sujet, qui serait encore le mouvement. - Qu'il se déplace,
qu'il s'accroît. Il semble qu'on peut très bien employer ces
expressions en parlant du mouvement, mais du mouvement de mouvement
ou du changement de changement. - De la maladie à la
santé. Voir la Physique, liv. V, ch. III, § 5.
§ 4. Un changement d'un
état en un autre. Voir la Physique, liv. V, ch. III, § 5,
p. 290 de ma traduction.
§ 5. Un changement
quelconque qu'on subit. Voir la Physique, liv. V, ch. Ill,
§ 5, où ces idées sont un peu plus clairement exposées , bien que là
même encore la lumière soit loin d'être complète.
§ 6. Se perdre dans
l'infini. Voir la Physique, liv, V, ch. III, § 6. Il faut
un temps d'arrêt, comme le dit si souvent Aristote.
§ 7. Dans les choses
infinies. Voir la Physique, liv. V, ch. III, § 6, p 292.
- Pour un même
objet Id. ibid.,§ 7.
§ 8. Une matière. Voir
la Physique, liv. V, ch. III, § 8. - Soit quelque chose.
Id. ibid. - Et ne soit pas le mouvement. Id., ibid. Dans ma
traduction de la Physique, p. 293, j'ai adopté l'affirmation
au lieu de la négation avec Alexandre d'Aphrodise; mais un nouvel
examen me force adopter la forme négative, que donnaient aussi les
manuscrits qu'Alexandre d'Aphrodise avait sous les yeux.
§ 9. Mais comment est-il possible. Voir la Physique.
Id., ibid. Puis donc que le mouvement. Voir la Physique.
Id. ibid. § 10. - Quand je parle de qualité. Id., ibid., §
11.
§ 10. On entend par
immobile. Voir la Physique, liv. IV, ch, IV, § 4.
§ 11. On dit que les
choses. Voir la Physique, liv. V, ch. V, § 2. - Séparé.
Id. ibid., § 3. - Se toucher. Id. ibid., § 4. -
L'intermédiaire. Id. ibid., § 5.
§ 12. Une chute est dite
consécutive. Voir la Physique, liv. V, ch. V, § 8. -
Qu'elle est contiguë. Id. ibid , § 9.
§ 13. Comme tout
changement.... Voir la Physique, liv. V, ch. V, § 10. -
Le continu. Id. ibid., § 11. - Par conséquent. Id.
ibid., § 12.
§ 14. Où il n'y a pas de
contact possible. Voir la Physique, liv. V, ch. V, § 14.
- Le point n'est pas identique à l'unité. Id, ibid., § 15.
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FIN DU LIVRE XI DE LA MÉTAPHYSIQUE. |