ARISTOTE
MÉTAPHYSIQUE
LIVRE XIII
SAINT-HILAIRE
LIVRE XIII Citation de la Physique; utilité de l'examen des opinions antérieures sur la substance immobile et éternelle, en dehors des choses sensibles; deux doctrines différentes sur cette question; théorie des êtres mathématiques et théorie des Idées, tantôt distinctes l'une de l'autre et tantôt confondues; étudier d'abord les êtres mathématiques, et ensuite les Idées; citation des Traités Exotériques; opinions diverses sur les êtres mathématiques. |
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§ 1. [1076a] [8] Nous avons expliqué ce qu'est la substance des choses sensibles, d'abord dans notre discussion de la Physique sur la matière, et ensuite [10] quand nous avons traité de la substance en acte. Mais, comme maintenant nous voulons rechercher s'il existe, ou s'il n'existe pas, une substance immobile et éternelle, en dehors des substances sensibles, et comme aussi nous voulons, s'il existe une telle substance, connaître quelle est sa nature, nous ferons bien de voir d'abord les opinions que d'autres ont émises avant nous. [15] Grâce à cette méthode, si les autres se sont trompés à quelques égards, nous ne serons pas exposés à commettre les mêmes erreurs ; et si nous avons quelque doctrine qui nous soit commune avec eux, nous ne serons pas seuls à être atteints par la critique. Il est toujours, assez agréable de parler des choses mieux que les autres, ou, tout au moins, de pouvoir se dire qu'on n'en a pas parlé plus mal. § 2. Sur ce point donc, il y a deux doctrines. [20] D'abord, on reconnaît comme substances les êtres mathématiques, c'est-à-dire, les nombres, les lignes, ou les entités analogues à celles-là; et d'autre part, on admet que les Idées sont aussi des substances. Mais, comme les uns font deux genres distincts, des Idées et des Nombres mathématiques, et comme les autres ne reconnaissent qu'une seule nature pour les deux, tandis que même d'autres encore n'admettent comme substances que des substances mathématiques, ce sont les êtres mathématiques que nous devrons tout d'abord étudier. Nous éviterons de nous occuper d'aucune autre nature que de la leur: et, par exemple, nous nous abstiendrons de rechercher s'il y a, ou s'il n'y a pas, des Idées, et si elles sont les principes [25] et les essences des choses, ou bien, si elles ne le sont pas, de quelque manière que ce soit. Nous nous bornerons à étudier exclusivement les êtres mathématiques, pour savoir s'il y en a, ou s'il n'y en a pas ; et si nous trouvons qu'il y en ait, nous nous demanderons alors ce qu'ils sont précisément. § 3. Ce n'est qu'après cette recherche que nous nous occuperons séparément des Idées elles-mêmes, soit d'une manière absolue, soit dans la mesure où nous en avons besoin ici; car déjà nous en avons dit à peu près tout ce qu'on en peut dire dans nos Traités Exotériques. D'ailleurs, nous entrerons, pour la présente discussion, dans des développements [30] plus étendus, en recherchant si les Nombres et les Idées sont en effet les substances et les principes des êtres ; car, après la théorie des Idées, c'est là une troisième et dernière question qui se présente à nous.
§ 4. Si les êtres
mathématiques existent réellement, ils sont nécessairement, ou dans
les choses sensibles, comme on l'affirme quelquefois ; ou bien, ils
sont séparés des choses que nos sens nous font connaître, comme
d'autres philosophes le prétendent aussi. Enfin, dans le cas où il
serait prouvé que les êtres mathématiques ne sont, ni dans les
choses sensibles, ni hors de ces choses, alors, ou ils n'existent
pas du tout, ou bien, ils existent d'une autre façon; et, par
conséquent, notre investigation portera, non plus sur leur existence
en général, mais sur le mode de cette existence particulière. |
§ 1. Dans notre discussion de la Physique. Voir la Physique, liv. I, ch. VIII, § 5, p, 476 de ma traduction, et ch. X, § 8, p. 494. - De la substance en acte. Avec Alexandre d'Aphrodise et avec M. Bonitz, il faut admettre que ceci se rapporte encore à la Physique, liv. Vlll, ch. XV, § 26, p, 568. M, Schwegler croit que ce passage peut se rapporter aussi aux livres VII et VIII de la Métaphysique elle-même. - Une substance immobile et éternelle. C'est le sujet même du XIIe livre; et dès lors, il semble que le XIIIe et le XIVe qui réfutent la théorie des Idées et des Nombres, devraient venir avant le XIIe. Dans cette hypothèse, Aristote exposerait sa propre doctrine, après avoir exposé celle des autres; ce qui semble plus régulier. Voir la Dissertation sur la composition de la Métaphysique. - Les opinions que d'autres ont émises avant nous. C'est la méthode habituelle d'Aristote; elle est à. la foie très prudente et très modeste. Pour savoir jusqu'à quel point on a soi-même atteint la vérité, il importe beaucoup de connaître les recherches antérieures de la science. - Les seuls à être atteints par la critique. C'est le sens que je tire du commentaire d'Alexandre d'Aphrodise. Je reconnais d'ailleurs que la pensée et l'expression ne paraissent pas s'accorder complètement avec l'austérité habituelle d'Aristote. J'en dis autant de la phrase suivante. § 2. Il y a deux doctrines. Il faudrait sans doute ajouter : « que nous voulons examiner ». - Les êtres mathématiques. C'est la doctrine des Pythagoriciens. - Les Idées... C'est la doctrine de Platon. Il a été déjà bien souvent question de ces deux doctrines dans les livres précédents; et il semble que la réfutation a été complète. On ne comprend pas bien comment l'auteur sent le besoin d'y revenir, dans ces deux derniers livres. - Les uns... Les autres... Même d'autres. Il serait difficile d'indiquer précisément les philosophes auxquels peut s'adresser cette énumération. Alexandre d'Aphrodise se contente de désigner d'une manière vague les Pythagoriciens, ou quelques-uns d'entre eux, et les diverses nuances de l'école platonicienne. - D'aucune autre nature que la leur. C'est-à-dire que l'auteur veut étudier d'abord la théorie seule des Nombres, sans la mêler à la théorie des Idées, qui ne viendra que plus tard. On verra, cependant, qu'il les confond. § 3. Soit d'une manière absolue. Probablement, l'auteur veut dire qu'il traitera d'abord la théorie des Idées, comme il vient de traiter celle des Nombres, et qu'il la considérera à part et en elle-même, indépendamment des rapports qu'elle peut avoir avec la théorie des Nombres. - Dans nos Traites Exotériques. On sait que les Traités Exotériques sont ceux où Aristote exposait les questions philosophiques sous des formes plus faciles et plus vulgaires. Aristote a cité lui-même ces ouvrages plus d'une fois. Voir la Politique, liv. III, ch. IV, § 4, p. 143 de ma traduction, 3e édition; Morale à Nicomaque, liv. I, ch. II, §9, p. 59, et liv. VI, ch. III, § 1, p. 201. Voir aussi, dans le commentaire de M. Schwegler, sa note sur tous les travaux dont cette question spéciale a été l'objet; le plus étendu et le plus important est peut-être encore celui de M. Stahr, Aristotelia, t. II, pp. 237 à 279. - Une troisième et dernière question. Le texte n'est pas tout à fait aussi formel. D'ailleurs, les trois questions indiquées ici sont usitées dans les chapitres qui suivent, bien qu'elles ne le soient pas d'une façon très régulière. § 4. Comme on l'affirme quelquefois. Ici encore, il serait hasardeux de nommer les philosophes qu'Aristote semble avoir en vue; il aurait dû les désigner plus précisément. - D'autres philosophes le prétendent. Même remarque. - Dans le cas où il serait prouvé. Le texte est un peu moins précis. - Sur le mode de cette existence particulière. Cette question de la nature des êtres mathématiques est une des plus curieuses et des plus graves que la philosophie puisse se proposer. Je ne dis pas qu'Aristote l'ait résolue; mais il est à remarquer qu'après lui aucun des grands philosophes ne s'en est occupé aussi sérieusement. C'est un désidératum qui vaudrait bien la peine d'être satisfait; mais il serait bien difficile à combler. |
Citation des Questions antérieurement énoncées; de la nature des êtres mathématiques; ils sont indivisibles; ils ne peuvent être isolés des choses sensibles; démonstration de cette proposition par l'étude des surfaces, des lignes et des points, et par l'étude des nombres; exemples des diverses sciences, astronomie, géométrie, optique, harmonie ; impossibilité de comprendre l'unité dans les êtres mathématiques; formation des êtres mathématiques; succession des dimensions qui les forment; antériorité et postériorité logiques et substantielles ; différence de la Logique et de la réalité les êtres mathématiques ne sont pas des substances ; ils ne sont pas séparés des choses sensibles ; et ils n'en font point partie ; ils n'existent que dans un sens indirect et tout relatif. |
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§ 1. En posant certaines Questions énoncées plus haut, nous avons établi que les êtres mathématiques ne peuvent pas se trouver dans les choses sensibles; et nous avons prouvé que c'est là une pure fiction, parce qu'il est impossible que deux solides occupent simultanément le même lieu. [1076b] Nous pourrions dire encore que, en vertu du même raisonnement, on en arriverait à affirmer que toutes les autres puissances, toutes les autres natures, n'existent que dans les êtres sensibles, et qu'aucune n'en est séparée. Voilà ce que nous avons démontré plus haut. § 2. Mais, outre ces démonstrations indiscutables, il n'est pas moins évident [5] qu'un corps quelconque ne pourrait plus alors être divisible. En effet, le corps se divisera par la surface; la surface se divisera par la ligne; et la ligne, parle point. Mais, s'il est impossible de diviser le point, il le sera également de diviser la ligne ; et, s'il est impossible de diviser la ligne, il y aura la même impossibilité pour tout le reste. Où est donc la différence à soutenir que le point, la ligne, la surface, sont des natures indivisibles de ce genre, [10] ou à soutenir que, ne l'étant point directement elles-mêmes, il y a cependant en elles des natures douées de ces qualités? § 3. Au fond, le résultat est le même, puisque, si les choses sensibles sont divisibles, les êtres mathématiques le sont aussi ; ou bien, les choses sensibles ne sont pas divisibles non plus. § 4. Mais une impossibilité tout aussi certaine, c'est que les natures de ce genre, les natures mathématiques, ne peuvent être isolées des choses. Supposons, par exemple, qu'en dehors des solides sensibles, il y ait d'autres solides qui en soient séparés et différents, et qui leur soient antérieurs, il est bien clair qu'il y aura, [15] nécessairement aussi, dans ces solides, des surfaces, des points, des lignes, qui seront également séparés des choses réelles; c'est la conséquence forcée de ce même raisonnement. Puis, s'il en est ainsi, il y aura encore des surfaces, des lignes, des points, séparés et différents du solide mathématique lui-même, puisque les choses indécomposables sont antérieures aux choses composées. § 5. Mais, si les corps non-perceptibles à nos sens sont antérieurs [20] aux corps sensibles, par la même raison, les surfaces qui existent en soi doivent être antérieures aussi aux surfaces qui se trouvent dans les solides immobiles. Par conséquent, ce seraient d'autres surfaces, et d'autres lignes, que celles qui se trouvent en même temps dans les solides séparés. Les unes seraient donc simultanées aux solides mathématiques ; les autres seraient antérieures à ces solides. § 6. Mais, ces solides mathématiques, à leur tour, [25] auront des lignes, lesquelles lignes par le même motif auront nécessairement d'autres lignes, d'autres points, qui leur seront antérieurs. Puis, dans ces lignes antérieures elles-mêmes, il y aura d'autres points antérieurs encore, qui ne devraient plus en avoir d'antérieurs à eux. Or, c'est là une accumulation insensée; car, s'il n'y a qu'un seul solide [30] en dehors du solide sensible, on compté trois surfaces en dehors des surfaces que nos sens perçoivent: d'abord, les surfaces en dehors des surfaces sensibles; puis, les surfaces dans les solides mathématiques; et, en troisième lieu, les surfaces en dehors même de ces dernières. Les lignes sont de quatre espèces, et les points sont de cinq. Auxquels de tous ces termes s'appliqueront les sciences mathématiques? Ce n'est pas certainement [35] aux surfaces, aux lignes et aux points, qui se trouvent dans le solide immobile, puisque la science ne peut jamais s'occuper que des termes premiers. § 7. Le même raisonnement s'applique tout aussi bien aux nombres; car, outre chacun des points, il y aurait encore des unités différentes. Il y en aurait pour chacun des êtres réels; il y en aurait pour les êtres intelligibles, de telle sorte que les genres des nombres mathématiques pourraient être infinis. § 8. Puis, comment répondre aux doutes que nous avons soulevés dans nos Questions? [1077a] Car les faits dont s'occupe l'Astronomie sont alors en dehors des choses sensibles, aussi bien que ceux dont s'occupe la Géométrie. Comment, alors, concevoir l'existence du ciel, de ses différentes parties, ou de tout autre objet qui a du mouvement? Même remarque pour la [5] science de l'Optique, et pour celle de l'Harmonie musicale. Alors, la voix et la vue sont également en dehors des choses sensibles et individuelles. § 9. Il est donc évident qu'il en serait de même pour toutes nos sensations, et pour toutes les choses sensibles; car pourquoi les unes plutôt que les autres? S'il en est ainsi, il y aura des animaux séparés des animaux sensibles, puisque les sensations que nous éprouvons le sont aussi.
§ 10. Mais, outre ces
substances, les mathématiciens [10] reconnaissent et décrètent encore quelques
universaux. Ainsi, il y aurait, suivant eux, quelque autre substance
intermédiaire, qui, séparée des Idées et des termes moyens, ne serait, ni
nombre, ni point, ni grandeur, ni temps. Mais, si cette substance est
impossible, il est évident qu'il ne se peut pas non plus que les êtres
mathématiques soient isolés des choses sensibles. En un mot, quand on pose [15] les
êtres mathématiques comme des natures indépendantes, on arrive à contredire les
opinions les plus habituellement reçues ; car nécessairement, quand on leur
donne cette existence séparée, on les suppose antérieurs aux grandeurs
sensibles, tandis que, en réalité, ils leur sont postérieurs. § 11. Et puis, par quelle cause et à quel moment les grandeurs mathématiques en arriveront-elles à former une unité et un tout? Les corps que nous voyons autour de nous sont amenés à l'unité, soit par l'action de l'âme, ou d'une partie de l'âme, soit par tout autre agent propre à ce rôle, tandis que, en l'absence de cette action, Ies grandeurs ne peuvent que se décomposer en se multipliant. Mais pour les êtres mathématiques, divisés comme ils le sont et représentant des quantités, quelle cause pourra leur conférer l'unité et l'y maintenir? § 12. D'autre part, les générations des choses ne prouvent pas moins ce que nous disons. [25] Ainsi, Ies choses se forment, d'abord, en longueur, puis en largeur, enfin en profondeur; et alors, elles sont complètes. Si donc ce qui est ultérieur en génération est antérieur en substance, le corps solide serait antérieur à la. surface et à la longueur; et il serait même d'autant plus complet, et d'autant plus entier, qu'il deviendrait un corps animé. Mais comment [30] concevoir une ligne animée, une surface animée? Du moins, une supposition de ce genre dépasse nos sens, qui ne peuvent la vérifier. § 13. Ajoutez que, si le corps est une espèce de certaine substance, c'est qu'il a déjà toute la perfection qu'il comporte. Or comment des lignes seraient-elles des substances? Elles ne sont, ni la forme, ni la figure des choses, dans le sens où l'on peut croire que l'âme remplit cette fonction. Elles n'en sont pas non plus la matière, comme le corps solide doit l'être, puisqu'on ne voit pas qu'un être quelconque puisse se composer uniquement de lignes, de surfaces, [35] ni de points. Si, cependant, les êtres mathématiques étaient des substances matérielles, il semble qu'ils devraient alors pouvoir présenter ce phénomène. § 14. Ils seront donc, si l'on veut, antérieurs logiquement; [1077b] mais tout ce qui est antérieur logiquement n'est pas, pour cela, substantiellement antérieur. Les choses sont antérieures substantiellement toutes les fois que, en étant séparées, elles n'en continuent pas moins à exister; elles sont logiquement antérieures, toutes les fois que leur notion logique se compose d'autres notions purement logiques. Mais ces deux conditions d'antériorité logique et d'antériorité substantielle, ne se rencontrent jamais ensemble. Si [5] les modes ne sont pas indépendants des substances, par exemple, le mouvement et la blancheur, la blancheur peut bien logiquement être antérieure à l'homme; niais, substantiellement, elle ne peut pas lui être antérieure; car la blancheur ne peut pas exister séparément. Elle existe toujours en même temps que le composé; et, par le composé, je veux désigner ici l'homme qui est blanc. § 15. Par conséquent, on voit que, [10] ni le terme abstrait n'est antérieur, ni le terme concret n'est postérieur ; car c'est une expression concrète quand on dit, par addition de l'idée de blancheur, que l'homme est blanc. Donc, les êtres mathématiques ne sont pas des substances plus que les corps, et ils ne sont pas par leur existence antérieurs aux choses sensibles; ils ne le sont que logiquement, et il est impossible qu'ils en soient jamais séparés. Ce que nous avons dit suffit à le prouver. Mais [15] comme il n'est pas possible, non plus, que les êtres mathématiques soient dans les choses sensibles, il est manifeste, ou qu'ils n'existent pas du tout, ou qu'ils existent d'une manière spéciale, et qu'ainsi ils n'existent pas absolument; car on se rappelle que le mot d'Être présente toutes ces acceptions et ces nuances diverses. |
§ 1. Certaines Questions énoncées plus haut. Le texte n'est pas aussi formel ; mais cette citation se rapporte sans nul doute aux questions posées liv. III, ch. II, §§ 29 et 30. - Deux solides occupent simultanément le même lieu. C'est en effet ce qui a été établi dans ce passage du livre III. - Toutes les autres puissances, toutes les autres natures. Alexandre d'Aphrodise croit qu'il faut entendre par là les surfaces, les lignes et les points, qui viennent à la suite du solide, et qui en sont les éléments. - N'existent que dans les êtres sensibles. Il ne semble pas que ce soit là une conséquence rigoureuse de ce qui précède; mais je ne trouve rien, dans le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise, qui puisse éclaircir cette contradiction apparente, M, Bonitz croit que, par « les puissances et les natures », l'auteur ne veut indiquer que les idées. Dans ce cas, les Idées ne seraient que dans les choses sensibles et ne pourraient exister en dehors d'elles; mais c'est précisément tout le contraire que, d'après Aristote, soutiennent les partisans des Idées. § 2. Indiscutables. J'ai ajouté ce mot. - Ne pourrait plus alors être divisible. Si l'on admet que les êtres mathématiques sont dans les choses sensibles, et qu'ils y sont indivisibles. - S'il est impossible de diviser le point. D'après la théorie des Nombres dans le système pythagoricien. On peut trouver qu'ici comme dans bien d'autres occasions, Aristote n'expose pas assez clairement les opinions qu'il prétend réfuter; il est possible que, de son temps, les choses fussent entendues à demi-mot; mais la postérité ne se met pas aussi facilement au courant des controverses qu'agitait le monde grec, voilà plus de deux mille ans. - Il y a cependant en elles des natures douées de ces qualités. Ces natures sont les êtres mathématiques, qui, d'après les hypothèses pythagoriciennes, sont indivisibles. § 3. Les êtres mathématiques le sont aussi. Ce qui est absolument contraire à la doctrine des Nombres. § 4. Les natures mathématiques. J'ai ajouté ces mots, qui ne sont que la paraphrase des précédents, afin de rendre la pensée plus claire. Le sens est d'ailleurs précisé par ce qui suit. - Dans ces solides. J'ai ajouté ces mots, qui me paraissent indispensables et qui ressortent du contexte. - Puis, s'il en est ainsi. Il semble qu'il y a ici quelque redondance; et cette phrase n'est guère qu'une répétition. § 5. Les corps non-perceptibles à nos sens. Ce sont les corps, ou solides mathématiques, qui sont conçus par notre intelligence, mais qui n'ont rien de matériel que nos sens puissent saisir. - Qui existent en soi. En dehors des solides mathématiques. - Dans les solides immobiles. Ou « mathématiques ». § 6. Mais ces solides mathématiques, à leur tour. M. Bonitz conteste la rigueur de celte conclusion; et il ne croit pas que les théories pythagoriciennes prêtent à cette sévère critique. Les corps mathématiques, tels que les Pythagoriciens les comprennent, n'ont plus des surfaces, des lignes, des points comme les solides naturels. - Une accumulation insensée. Cet argument est à peu près celui qu'Aristote a opposé déjà à là théorie des Idées, qui multiplie les êtres sans nécessité; voir plus haut, liv. I, ch. VI, § 13. - On compte trois surfaces. Ce ne sont pas les trois surfaces, longueur, largeur, profondeur des solides mathématiques; mais ce sont plutôt trois espèces de surfaces différentes. - Les lignes sont de quatre espèces. Alexandre d'Aphrodise a essayé d'expliquer cette accumulation des lignes, qui sont de quatre espèces, et celle des points qui sont de cinq espèces; mais ces explications ne sont rien moins que claires, bien quelles semblent être adoptées sans difficulté par MM. Schwegler et Bonitz, La pensée générale de l'auteur est d'ailleurs évidente; et ce qu'il veut prouver, c'est qu'en donnant aux êtres mathématiques une existence en dehors des choses sensibles, on multiplie inutilement les choses, loin de les simplifier. - Dans le solide immobile. C'est-à-dire, dans le solide mathématique, parce qu'antérieurement à ce solide lui-même, il y a d'autres surfaces abstraites, d'autres lignes, d'autres points, auxquels la science doit s'adresser, puisqu'elle doit toujours remonter aux termes primitifs. Mais ici l'objet propre de la science lui échapperait sans cesse; et toute cette théorie ne peut qu'être fausse. § 7. Tout aussi bien aux nombres. Les nombres sont bien aussi des êtres mathématiques ; mais ils diffèrent des êtres plus spécialement géométriques dont il vient d'être question. S'il y a des nombres mathématiques en dehors des choses réelles, il y aura autant de nombres différents que de choses et alors, ces nombres seront infinie comme les choses elles-mêmes. - Chacun des points. Il semble qu'Aristote confond ici les points et les unités, bien qu'il ait souvent établi, entre les unités et les points, cette différence que le point est une unité qui a une position, tandis que l'unité numérique n'a pas de position. - Pour chacun des êtres réels. C'est là le fond de l'objection qu'Aristote dirige contre la théorie des Nombres. § 8. Soulevés dans nos Questions. Voir plus haut, liv. III, ch. II, § 30. - Sont alors en dehors des choses sensibles. C'est la traduction exacte du texte grec; mais peut-être vaudrait-il mieux dire : « Ne sont plus alors dans les choses sensibles », pas plus que n'y sont, d'après les théories que combat Aristote, les surfaces, les lignes, les points et les nombres. - L'existence du ciel. Voir plus haut, liv. III, ch. II, § 30, la même exemple et la même objection. § 9. Pour toutes nos sensations. Cette critique s'adresse plus particulièrement à cette théorie des Idées, qui attache une Idée a chaque objet, et qui place les Idées en dehors des objets réels. - Il y aura des animaux. Ou « des êtres ». - Séparés des animaux sensibles. Le texte n'est pas aussi formel. § 10. Reconnaissent et décrètent. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte; et ce mot a une nuance assez singulière: il est celui qu'on employait, dans la langue juridique du temps, pour exprimer la proposition et la promulgation des lois. C'est là ce qui peut justifier ma traduction. - Mais si cette substance est impossible. Les mathématiciens pourraient répondre par une, affirmation contraire; l'auteur aurait dû donner quelques arguments à l'appui de la sienne. Il est vrai qu'un peu plus bas il en appelle à l'opinion commune, qui refuse aux êtres mathématiques une existence séparée et antérieure. - L'être inanimé. C'est une négation, qui suppose une affirmation antérieure Il faut que l'être ait été d'abord animé pour devenir ensuite inanimé; et s'il s'agit d'êtres différents, il est évident que l'être animé est supérieur et antérieur à l'être inanimé. § 11. Les grandeurs mathématiques.... La pensée, sous forme plus claire, est celle-ci: « Comment les surfaces les lignes, les points mathématiques, pourront-ils se réunir pour former un Tout et un corps solide? Quelle cause les ramènera-t-elle à l'unité? Dans les corps animés, c'est l'âme. ou une partie de l'âme, qui leur donne ce complément et cette Entéléchie essentielle. Mais, dans les êtres mathématiques, il n'y a pas d'âme, ni rien qui ressemble à l'âme. Dans les corps inanimés, c'est un autre agent qui leur donne l'unité qui les constitue; et cet agent exerce une action analogue à celle de l'âme. » - En l'absence de cette action. La texte n'est pas aussi formel. - Divisés comme ils le sont. En surfaces, lignes, points, et nombres. § 12. Les générations des choses.... On peut trouver que les choses ne se produisent et ne deviennent pas ce qu'elles sont, dans l'ordre où Aristote le dit ici. Ce n'est pas la longueur seule, ni la largeur, ni la profondeur, qui se produisent successivement. Le corps, du moment même qu'il se produit, a simultanément les trois dimensions, sans lesquelles il ne serait pas un corps. - Le corps solide serait antérieur. C'est vrai; mais cette assertion semble contredire celle qui précède. - Qu'il deviendrait un corps animé. Il n'y a rien, en effet, dans la nature de plus élevé que le corps doué de vie et de toutes les facultés dont la vie se compose. - Qui ne peuvent la vérifier. J'ai ajouté ces mots. § 13. Elles ne sont, ni la forme, ni la figure. Il semble au contraire que les surfaces, les lignes, les peints, déterminent la figure matérielle des choses; mais elles n'en sont ni l'essence ni l'Entéléchie, comme l'âme peut l'être pour le corps animé. § 14. Si l'on veut. J'ai ajouté ces mots, qui me semblant répondre à toute la pensée du contexte, Aristote accorde aux êtres mathématiques une antériorité purement logique; mais il ne leur accorde pas l'antériorité substantielle. - Se compose d'autres notions. J'ai suivi la leçon vulgaire, quoi qu'elle soit peu satisfaisante. Alexandre d'Aphrodise n'explique point ce passage. M. Bonitz trouve que la rédaction de cette phrase est bien négligée ; M. Schwegler propose diverses variantes, d'où il résulterait une légère différence de sens : « Toutes les fois que leurs définitions sont antérieures à d'autres définitions. » § 15. Ni le terme abstrait. Cette expression peut, selon Alexandre d'Aphrodise être interprétée de deux manières : elle peut désigner ou le corps mathématique sans aucune de ses qualités; ou bien, la qualité de la blancheur dont il est question un peu plus bas. De même encore, selon Alexandre, « le terme concret », signifierait, ou le corps mathématique avec toutes ses qualités, ou bien « l'homme blanc », l'homme sujet de la blancheur, dont la notion se confond avec elle. Je crois que cette dernière interprétation est beaucoup plus acceptable. Ici les « terme abstrait » est la blancheur; le « terme concret » est l'homme blanc. - Donc les êtres mathématiques. C'est la conclusion de tout ce chapitre. - Soient dans les choses sensibles. Il semble au contraire que les êtres mathématiques devraient être dons les choses sensibles; mais c'est. sans doute, la théorie des Pythagoriciens qu'Aristote veut indiquer, et non la sienne. Dans la doctrine Pythagoricienne, les êtres mathématiques sont en dehors des choses sensibles et ils ont une existence à part. - D'une manière spéciale. Le chapitre suivant sera consacré à déterminer la nature propre des êtres mathématiques, qu'il est si difficile de bien comprendre. - Le mot d'Être. Voir liv. V, ch. VII. |
De la nature propre des Mathématiques; point de vue exclusif d'où elles considèrent les choses; procédés des autres sciences; procédés de la Géométrie; exactitude et simplicité des Mathématiques, à cause de la simplicité même des objets abstraits qu'elles étudient; méthode générale des Mathématiques ; méthodes spéciales de l'Harmonie, de l'Optique et de la Mécanique; hypothèses permises à l'arithméticien et au géomètre; critiques injustes élevées contre les Mathématiques; elles s'occupent aussi à leur manière du bien et du beau; indication de nouvelles recherches sur la nature des Mathématiques ; certitude des êtres dont les Mathématiques s'occupent. |
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§ 1. De même que, dans les Mathématiques, les axiomes universels ne s'appliquent pas à des choses qui soient séparées, et en dehors des grandeurs et des nombres réels, mais qu'ils s'appliquent aux nombres et aux grandeurs, sans que [20] ce soit en tant qu'ils peuvent être des grandeurs sensibles, ou qu'ils peuvent être divisibles; de même, il est évident qu'on peut établir aussi des discussions, et des démonstrations, relatives aux grandeurs sensibles, non pas en tant que sensibles, mais en tant que grandeurs. § 2. En effet, de même qu'on peut discuter de bien des manières sur les corps susceptibles de mouvement, en les considérant uniquement sous ce rapport, sans s'occuper de la nature spéciale de chacun d'eux et de leurs modifications diverses, [25] et qu'il n'est pas, pour cela, nécessaire de supposer que le mobile soit séparé des objets sensibles, ou qu'il constitue dans ces objets une nature particulière et déterminée; de même, on peut faire aussi l'étude et la science des corps susceptibles de mouvement, non pas en tant qu'ils sont mus, mais uniquement en tant que ce sont des corps, ou en tant qu'ils sont de simples surfaces, ou de simples longueurs, ou bien en tant qu'ils sont divisibles [30] ou indivisibles, et avec une certaine position, ou enfin en tant qu'ils sont exclusivement indivisibles. § 3. Par conséquent, puisqu'on peut dire avec vérité non seulement des choses séparées qu'elles existent absolument, mais qu'on le dit aussi des choses qui ne sont pas séparées, comme, par exemple, celles qui sont susceptibles de mouvement, on peut affirmer, [35] avec autant de vérité, l'existence des êtres mathématiques, et admettre que cette existence est bien ce qu'en disent les mathématiciens; et, de même que les autres sciences expriment la vérité sur le sujet particulier qui les occupe, et non sur les accidents de ce sujet, ne parlant pas de la blancheur d'un objet, par exemple, quand l'objet sain est blanc, si elles ne l'étudient qu'en tant qu'il est sain, mais ne parlant chacune, dans leur espèce, que de leur objet propre, [1078a] de la santé si c'est la santé, de l'homme, si c'est l'homme; de même, la géométrie ne s'occupe pas des choses qu'elle étudie, si ce sont des choses accidentellement sensibles, en tant qu'elles sont sensibles; et les sciences mathématiques en général n'auront pas davantage à s'occuper des objets en tant qu'ils tombent sous nos sens. § 4. Mais on ne peut pas dire non plus qu'elles s'occupent d'un objet qui serait séparé [5] de tout le reste. Il y a une foule d'accidents essentiels qui sont dans les choses, en tant que chacun d'eux remplit cette condition. C'est ainsi, par exemple, que, quoique l'animal soit mâle ou femelle, et que ce soient là des modifications qui lui sont propres, cependant il n'existe pas quelque chose qui soit femelle, ou mâle, indépendamment des animaux, et qui en serait séparé. § 5. Par conséquent, les Mathématiques peuvent considérer uniquement les choses en tant que longueurs, [10] en tant que surfaces; et plus les objets étudiés sont essentiellement primitifs et simples, plus la science est exacte et précise. C'est là effectivement ce qu'est le simple; ce qui est sans grandeur peut être plus précis que ce qui a de la grandeur, et ce qui est sans mouvement est plus précis encore que tout le reste. S'il s'agit de mouvement, c'est le mouvement premier qui est le plus précis, parce qu'il est le plus simple; et dans le mouvement premier, c'est le mouvement uniforme qui est le plus précis de tous les mouvements possibles. § 6. Même observation pour l'Harmonie et pour l'Optique; [15] ni l'une ni l'autre n'étudient la vue en tant que vue, la voix en tant que voix, mais seulement en tant que la voix et la vue peuvent être réduites à des lignes et à des nombres, bien que ces nombres et ces lignes soient des modifications propres de la voix et de la vue. Même remarque encore pour la Mécanique. § 7. Lors donc que l'on sépare certains accidents, et qu'on les considère en tant que séparés de cette façon, l'on n'est pas plus dans le faux, que, quand traçant une ligne sur le sol, on dit [20] qu'elle a un pied de long, quoique, de fait, elle n'ait pas cette dimension. L'erreur n'est jamais dans les propositions de ce genre; et la manière la plus parfaite de considérer les choses avec exactitude, c'est d'isoler ce qui n'est pas isolé, ainsi que le pratiquent l'arithméticien et le géomètre. Par exemple, l'homme, en tant qu'homme, est un et indivisible. Si donc on admet, d'abord, que l'homme est un et indivisible, on peut voir ensuite si, en tant qu'indivisible, [25] l'homme ne présente pas quelque condition particulière. Mais le géomètre ne considère pas l'homme en tant qu'il est homme, pas plus qu'il ne le considère en tant qu'indivisible ; il considère uniquement l'homme en tant qu'il est un solide. § 8. Car, pour les attributs que l'homme pourrait avoir sans être même indivisible, évidemment l'homme n'en a aucun besoin pour devenir tout ce qu'il peut être. Ainsi, les géomètres ont pleine raison quand ils soutiennent qu'ils étudient des êtres, et que ces êtres existent [30] positivement; car l'Être a deux aspects: il est actuel, et il est matériel. § 9. Quant au bien et au beau, qui diffèrent l'un de l'autre, en ce que le bien suppose toujours l'action, tandis que le beau peut se trouver même dans les immobiles, c'est se tromper que de reprocher aux sciences mathématiques de négliger absolument le beau et le bien. Loin de là, elles s'en occupent beaucoup ; et ce sont elles qui les démontrent le mieux. [35] Si elles ne les nomment pas expressément, elles en constatent les effets et les rapports; et l'on ne peut pas dire qu'elles n'en parlent point. Les formes les plus frappantes du beau sont l'ordre, la symétrie, la précision; [1078b] et ce sont les sciences mathématiques qui s'en occupent éminemment. § 10. Et comme ces qualités, je veux dire l'ordre et la précision, sont causes d'une foule d'autres choses, il est évident que les sciences mathématiques doivent traiter aussi d'une cause qui, [5] comme le beau, peut avoir tant de conséquences. Mais nous aurons ailleurs l'occasion d'approfondir ces questions. En attendant, nous avons prouvé ici que les objets traités par les Mathématiques sont des êtres; nous avons expliqué quelle sorte d'êtres ils sont, et montré dans quel sens on peut dire qu'ils ne sont pas antérieurs, ou qu'ils sont antérieurs. |
§ 1. Les axiomes universels. L'expression du texte est moins précise; mais d'après le contexte et le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise, le sens ne peut faire de doute. Les axiomes universels sont du genre de celui-ci « Si de deux quantités égales, on retranche des quantités égales, les deux premières quantités n'en restent pas moins égales. » Ces axiomes sont purement rationnels; c'est la raison qui les conçoit; et ils n'ont pas une existence séparée des objets réels auxquels ils s'appliquent. - Aux nombres et aux grandeurs. Dans l'Arithmétique et dans la Géométrie. - En tant que grandeurs. C'est-à-dire, surfaces, lignes, nombres, etc. § 2. Uniquement sous ce rapport. C'est de là que vient la théorie générale du mouvement qu'Aristote a essayée dans sa Physique, et que tant d'autres ont essayée après lui. - Avec une certaine position. Ceci s'applique surtout au point, qui est une sorte d'unité ayant position, tandis que l'unité numérique, la monade, n'a pas de position possible; comme Aristote l'a dit à plusieurs reprises. - Exclusivement indivisibles. C'est la monade, ou unité numérique. § 3. L'existence des êtres mathématiques. Il aurait fallu préciser davantage la nature de cette existence, et dire quelle est purement rationnelle. - Et de même que les autres sciences.... Cette phrase est bien longue; mais j'ai cru devoir la conserver telle qu'elle est dans le texte. - En tant qu'ils tombent sous nos sens. Les Mathématiques, en effet, sont surtout rationnelles, sans l'être exclusivement. C'est une nature de science toute spéciale. § 4. Qui serait séparé de tout le reste. L'objet des Mathématiques n'a pas une existence propre et indépendante puisque les surfaces, les lignes, les points, les nombres, se trouvent dans les objets réels qui sont perçus par nos sens, et que les Mathématiques ne font que les abstraire pour les considérer isolément. - En tant que chacun d'eux remplit cette condition. C'est-à-dire que ces accidents sont dans les choses, sans en dire séparés et indépendants. L'exemple que cite Aristote est frappant, et il suffit à éclaircir la pensée, bien que l'expression en soit trop peu précise. § 5. Uniquement les choses en tant que longueurs. Voilà le caractère propre des Mathématiques; et c'est là l'abstraction qui les constitue. Elles ne considèrent dans les choses que certains caractères particuliers; et elles isolent rationnellement ces caractères, pour les étudier à part de tout le reste, sans que d'ailleurs ils puissent être isolés réellement, et avoir une réalité propre. Voir plus loin, liv. XIV, ch. II, §§ 6 et 7; voir aussi la Physique, liv. II, ch. II, §§ 4 et 5; et les Derniers Analytiques, liv. l, ch. X, § 10, p. 62 de ma traduction . - S'il s'agit de mouvement. Cette phrase, qui interrompt quelque peu la suite des pensées, pourrait bien n'être qu'une interpolation; elle est, d'ailleurs, conforme à toute la doctrine d'Aristote sur le mouvement. § 6. Harmonie.... Optique.... Mécanique. On sait que toutes ces sciences avaient été cultivées dans l'École d'Aristote, si ce n'est par Aristote lui-même. Le petit traité de Mécanique, qui nous reste sous son nom, est probablement de lui; mais, en tout cas, il atteste que ces délicates études avaient été poussées assez loin par ses disciples. § 7. Qu'elle a un pied de long. Aristote a employé cet exemple plusieurs fois, comme on peut le voir par les passages de la Physique et des Derniers Analytiques, citée dans la note précédente. - D'isoler ce qui n'est pas isolé. C'est d'abstraire par la pensée une qualité qui n'est jamais isolée dans la réalité. Les lignes, les nombres, etc., ne sont jamais séparés des objets; et cependant l'Arithmétique et la Géométrie étudient les nombres et les lignes, dans un isolement absolu de tout le reste. - Un et indivisible. En d'autres termes, c'est un individu ; et, dans l'espèce humaine, c'est une personne distincte et indépendante de toute autre. § 8. Tout ce qu'il peut être. L'expression en bien vague. Alexandre d'Aphrodise l'explique en supposant qu'il s'agit ici de la qualité de « Solide » que le géomètre considère toute seule dans l'individu, indépendamment de tous ses autres attributs. - Et il est matériel. Il semble qu'Alexandre d'Aphrodise a eu une leçon toute contraire sous les yeux, et qu'il ait lu « immatériel » au lieu de « matériel ». En conservant la leçon ordinaire, pour laquelle aucun manuscrit ne donne de variante, on pourrait bien l'expliquer dans le même sont, en se rappelant que la matière, dans la doctrine d'Aristote, n'est qu'une simple puissance, Les deux aspects de l'être sont alors, ou d'être actuel, ou d'être en puissance; et la puissance est toujours immatérielle. § 9. Quant au bien et au beau. Cette défense des Mathématiques est plus ingénieuse peut-être que solide. Ce qui est vrai, c'est qu'à certains égards les Mathématiques nous font mieux comprendre le bien et le beau, sans, d'ailleurs, s'en occuper directement. - C'est se tromper. Ce reproche adressé aux Mathématiques venait d'Aristippe; voir plus haut, liv. III, ch. II, § 4. Aristote l'a déjà réfuté. - Qui les démontrent le mieux. C'est là une exagération. § 10. Sont causes d'une foule d'autres choses. Le texte n'est pas plus précis. - Peut avoir tant de conséquences. Même remarque. - Nous auront ailleurs l'occasion. Il ne paraît pas qu'Aristote soit revenu sur ce sujet, dans aucun de ouvragea qui nous restent de lui. - Ou qu'ils sont antérieurs. Le texte n'est pas plus précis; il faut probablement sous-entendre: «Antérieurs aux objets d'où on les tire par abstraction. » |
Critique de la théorie des Idées ; cette théorie est venue de celle d'Héraclite sur le flux perpétuel de toutes choses; le rôle de Socrate a été surtout moral ; Démocrite et les Pythagoriciens; deux grands mérites de Socrate; il emploie l'induction et la définition; il n'a jamais admis que les universaux fussent séparés des choses; erreurs des fondateurs de la théorie des Idées; ils multiplient les êtres inutilement; insuffisance de leurs démonstrations; contradictions où ils tombent ; objections diverses; de la participation des Idées. |
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§ 1. Pour ce qui concerne les Idées, nous aurons, d'abord, à considérer cette théorie relativement [10] à son idée même, sans la confondre en rien avec la nature particulière des nombres, et telle que la prenaient ceux qui ont été les premiers à en soutenir l'existence. La doctrine des Idées a été inspirée à ceux qui les défendent, par la persuasion où ils étaient de la vérité des opinions d'Héraclite, sur le flux perpétuel de toutes choses. [15] Ils en concluaient que, si la science de quoi que ce soit et la compréhension des choses sont possibles, il faut de toute nécessité que, à côté des natures que nos sens nous attestent, il y en ait d'autres qui soient permanentes et stables, puisqu'il ne peut pas y avoir de science de ce qui s'écoule et fuit sans cesse. § 2. Socrate s'était occupé surtout de l'analyse des vertus morales; et il avait été le premier à en chercher des définitions générales. Avant lui, [20] Démocrite n'avait guère touché, et encore d'assez loin, qu'à des questions de Physique; et ses définitions ne s'étendaient tout au plus qu'au chaud et au froid. Les Pythagoriciens, antérieurement à Démocrite, s'étaient appliqués à définir un petit nombre de notions, qu'ils essayaient de rattacher à leur théorie des Nombres: par exemple, ils avaient, de cette façon, défini l'Occasion, la Justice, le Mariage. Mais Socrate recherchait [25] ce que les choses sont en elles-mêmes essentiellement; et il faisait bien en cela, puisqu'il voulait se rendre un compte rationnel des réalités, et que tout raisonnement doit s'appuyer sur la nature de la chose en soi. De son temps, la Dialectique n'était pas encore assez avancée pour qu'on pût étudier les contraires, indépendamment même de l'essence, et se demander si les contraires sont connus d'un seul et même coup. § 3. Du reste, il y a deux mérites qu'on doit hautement reconnaître à Socrate, si l'on veut être juste envers lui : il a su faire des raisonnements inductifs, et donner des définitions générales. Ce sont là les deux fondements véritables de la science. [30] Mais Socrate n'admettait pas que les universaux, non plus que les définitions, pussent être séparés des choses, tandis qu'au contraire d'autres philosophes les en ont séparés, et que ce sont les entités de cette espèce qu'ils ont nommées des Idées. § 4. En suivant le fil de ce même raisonnement, ces philosophes furent amenés à reconnaître presque autant d'Idées qu'il y a de termes universels; et en cela, ils faisaient à peu près la même faute que si, voulant [35] compter un certain nombre de choses, et n'y pouvant parvenir, même sur un nombre moindre, on s'imaginait de multiplier la quantité de ces choses, afin de les compter plus aisément. C'est que, en effet, on peut dire qu'on suppose plus d'Idées qu'il n'y a d'êtres sensibles ; [1079a] et pourtant, c'était en cherchant à comprendre les causes de ces êtres que nos philosophes en étaient arrivés à cette doctrine extrême. D'abord, pour chaque objet, on reconnaît une Idée de même nom, et indépendante des substances réelles; puis, il y a l'idée qui reste Une, quelque grande que soit la foule de ces objets, tout aussi bien pour Ies choses ordinaires d'ici-bas que pour les choses éternelles. § 5. Ajoutez qu'aucune des méthodes [5] employées pour démontrer l'existence des Idées n'est vraiment démonstrative. Tantôt, le syllogisme qu'on emploie n'a aucun caractère de nécessité; tantôt, on voit surgir des Idées de choses auxquelles nos philosophes eux-mêmes ne songent pas à en accorder. Ainsi, d'après les raisonnements qu'on emprunte aux sciences, on croit qu'il doit y avoir des Idées pour toutes les choses dont la science est possible. En vertu de l'argument de l'unité de l'Idée dans la pluralité des objets, on aurait des Idées même [10] pour des négations; et, comme on peut avoir l'Idée d'une chose qui a péri, il y aurait des Idées pour les choses périssables, puisqu'on peut se faire aussi de ces choses–là une certaine représentation. § 6. Les discussions les plus approfondies de ce système font, tantôt, des Idées pour les Relatifs, qui cependant, d'après ces philosophes, n'ont pas d'existence en soi; et, tantôt, elles en arrivent à affirmer le Troisième homme. En un mot, ces théories sur les Idées détruisent précisément le principe, auquel leurs partisans [15] tiennent plus encore qu'à l'existence des Idées elles-mêmes; c'est-à-dire qu'ils en viennent à prendre pour principe non plus la Dyade, mais le nombre; et à considérer le relatif comme antérieur au nombre même, et aussi comme antérieur à ce qui existe en soi ; tombant, par cette confusion, dans toutes les contradictions de leurs propres principes, où se sont embarrassés quelques-uns des philosophes qui ont suivi le système des Idées. § 7. Que si l'on adopte l'hypothèse [20] qui leur a fait croire aux Idées et à leur existence, il y aura des Idées non seulement pour les substances, mais aussi pour une foule d'autres choses; car la pensée peut unifier non pas seulement des substances, mais aussi des choses qui ne sont pas des substances réelles; et la science alors ne reposera plus sur la substance exclusivement. On pourrait encore signaler des milliers de conséquences analogues à celles-là. Ainsi, de toute nécessité et en s'en tenant à leurs opinions [25] sur les Idées, on peut affirmer que, si les Idées sont susceptibles de participation, il ne doit y avoir d'Idées que pour les substances. Or, ce n'est pas l'accident qui peut y participer; mais ce sont les seuls objets qui ne peuvent être les attributs d'un sujet, qui participent aux Idées. § 8. Je dis, par exemple, que, si un objet quelconque participe à l'Idée du Double, il participe aussi à l'idée de l'éternel; mais ce n'est que par accident, parce que le double n'est éternel qu'accidentellement. [30] Donc, les Idées sont la substance; et elles désignent la substance dans notre monde, tout comme dans le monde des Idées. Ou autrement, que voudrait-on dire quand on soutient que, outre les choses réelles, il existe de plus l'unité dans la pluralité? § 9. Si les Idées sont de même espèce que les choses qui y participent, il y aura quelque chose de commun aussi entre les choses qui participent et les Idées. Car, pourquoi la Dyade [35] serait-elle une et identique pour les Dyades périssables que nous voyons, et pour les Dyades multiples, mais éternelles, plutôt que pour la Dyade même et une Dyade réelle et particulière? Si l'espèce n'est pas la même, [1079b] alors les Idées et les choses ne sont qu'homonymes; et c'est tout aussi peu sérieux que si l'on allait donner le nom d'homme, tout ensemble, à Callias et à un morceau de bois, sans d'ailleurs pouvoir rien découvrir de commun entre les deux. § 10. Si nous admettons que, sous tous les rapports, les définitions des choses sensibles sont communes aux Idées auxquelles elles s'appliquent également bien, et que, [5] par exemple, dans le cercle idéal, on retrouve la forme, la surface et toutes Ies autres parties de la définition du cercle sensible, et qu'on doit ajouter seulement à l'Idée le nom de l'objet auquel elle se rapporte, prenons bien garde que tout cela ne soit absolument vain. En effet, à quelle partie de la définition devra-t-on ajouter ce nom? Est-ce au point central du cercle? Est-ce à la surface, ou à l'ensemble des éléments de la définition? Car tous les éléments qui entrent dans la substance sont déjà des Idées, comme le sont les attributs d'Animal et de Bipède, dans la définition de l'homme. § 11. Enfin, il est clair que, nécessairement, [10] l'Idée doit être elle-même, comme la surface, une nature particulière, qui se retrouvera, à titre de genre, dans toutes les espèces. |
§ 1. Les Idées.... à son idée même. Ce rapprochement, qui est une sorte de jeu de mots, est dans le texte; et j'ai dû le conserver. - De la vérité des opinions d'Héraclite. Plus haut, dans le livre Ier, ch. VI, § 1, la même origine est assignée à la théorie des Idées; mais Aristote ajoute que c'est par l'intermédiaire de Cratyle que Platon se laissa convertir aux doctrines d'Héraclite, qui devaient le conduire à la théorie des Idées. § 2. Socrate.... des vertus morales. Voir plus haut, liv.I, ch. VI, § 2, où Aristote attribue le même genre de mérite à Socrate, en remarquant en outre qu'il laissa presque entièrement de côté l'élude de la nature. - Avant lui Démocrite.... Voir une remarque semblable sur les travaux de Démocrite et ceux de Socrate dans le traité des Parties des animaux, liv. I, ch. I, p. 223, lignes 2 et 4, édition de Firmin-Didot. § 3. Deux mérites... à Socrate. Il faut remarquer cette haute impartialité d'Aristote à l'égard de Socrate. Cet éloge a été depuis lors répété bien des fois; et les dialogues de Platon suffiraient à eux seuls pour attester combien cet éloge est justifié. - D'autres philosophes. Ce sont les disciples de Platon, après Platon lui-même. § 4. On s'imaginait... Tout ce § et les suivants jusqu'au § 9 inclusivement reproduisent, mot pour mot, la critique de la théorie des Idées déjà faite dans le liv. I, ch. VII, §§ 29 à 36. C'est à peine s'il y a quelques légers changements, qui ne viennent sans doute que de l'inattention du copiste. Avec le § 10, cesse cette reproduction littérale du chapitre VII, du livre I; mais elle recommence avec le chapitre V, comme on le verra un peu plus loin. §§ 5, 6, 7, 8 et 9. Ces cinq paragraphes reproduisent mot à mot, sauf quelques variantes très légères, les §§ 31, 32, 33, 34, 35 et 36 du chapitre VII, liv. I. Je m'abstiens de les commenter; et je prie le lecteur de vouloir bien se reporter aux explications que j'ai données plus haut. Je ne pourrais que les répéter ici, sans aucune utilité. §10. Ce § ne se trouve pas dans le livre I, ch. VII; et M. Bonitz, après M, Trendelenburg, pense qu'il y a été omis par la faute des copistes, ainsi que le § 11. - Des choses sensibles. J'ai ajoute ces mots, qui m'ont paru indispensables, et qu'autorise aussi le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise. Dans tout ce §, le texte est plus concis encore que d'habitude; et la rédaction en est excessivement obscure. J'ai suivi, autant que je l'ai pu, le sens adopté par le commentateur grec. - Du cercle sensible. J'ai ajouté ces mots. - A quelle partie de la définition. Le texte n'est pas aussi formel. - Au point central du cercle. C'est le sens que donne Alexandre d'Aphrodise. - Qui entrent dans la substance. Et qui composent l'ensemble de la définition. - Dans la définition de l'homme. Je tire ces mots, que j'ajoute, du commentaire d'Alexandre d'Aphrodise.
§ 11. Comme la surface.
Le mot de surface est un terme universel, qui s'applique, comme
genre, à toutes les surfaces particulières, quel que soit l'objet
dont il est question. Malgré ce qu'en dit M. Bonitz, on peut trouver
que ces deux §§ 10 et 11 ne se lient pas très heureusement à ce qui
précède, ni à ce qui suit. Voir la Dissertation sur la composition
de la Métaphysique. |
Suite de la critique de la théorie des Idées; les Idées ne peuvent servir en rien faire comprendre les choses sensibles, éternelles ou périssables ; elles n'en sont pas la substance; réfutation d'Anaxagore et d'Eudoxe; les Idées ne peuvent pas être les exemplaires des choses, et ce sont là de vains mots et de simples métaphores; les choses auraient ainsi plusieurs modèles; la substance d'une chose ne peut être séparée de celle chose, comme on le tait pour les Idées; citation du Phédon: condamnation générale de la théorie des Idées. |
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§ 1. Le doute le plus grave qu'on puisse soulever ici, c'est de savoir en quoi les Idées peuvent servir aux choses sensibles, soit à celles qui sont éternelles; soit à celles qui se produisent et qui périssent. C'est qu'en effet les Idées ne peuvent être, pour les choses sensibles, ni des causes de mouvement, [15] ni des causes d'un changement quelconque. § 2. Mais les Idées ne peuvent pas aider davantage à la connaissance des autres choses. Elles ne sont pas la substance des choses sensibles; car, alors, elles devraient être en elles. Elles ne contribuent pas non plus à leur être, puisqu'elles ne sont pas dans Ies choses qui en participent. Tout au plus, pourrait-on croire qu'elles sont les causes des choses, comme le blanc qui vient se mêler à une chose déjà blanche. [20] Mais il est trop facile de répondre à cet argument qu'Anaxagore a exposé le premier, qu'Eudoxe a répété plus tard avec le même embarras, et que d'autres ont adopté après lui ; car, on pourrait sans peine accumuler bien d'autres impossibilités contre cette doctrine. § 3. Les choses sensibles ne peuvent venir des Idées, d'aucune des manières où l'on entend d'ordinaire cette expression. [25] Prétendre que les Idées sont des exemplaires, et que tout le reste des choses en participent, ce ne sont là que des mots vides de sens et des métaphores poétiques. Que veut-on dire en affirmant que l'artiste ne peut rien faire qu'en ayant les yeux fixés sur les Idées? Tout peut exister, tout peut se produire, sans qu'on ait besoin de copier un modèle. Que Socrate existe ou n'existe pas, on peut toujours former un dessin qui lui ressemble. [30] Et ce n'est pas moins évident, Socrate fût–il éternel. § 4. Puis, il y aura plusieurs modèles pour une même chose; et, par suite, plusieurs Idées. Pour l'homme, par exemple, les modèles seraient l'animal, le bipède, l'homme en soi, etc. Ajoutez que les Idées seraient des modèles, non pas seulement pour les choses sensibles, mais pour les [35] Idées mêmes. Ainsi, le genre serait le modèle des espèces qui sont rangées sous le genre; et par conséquent, une même chose serait tout ensemble modèle et copie. § 5. On peut encore trouver impossible que la substance soit isolée de ce dont elle est la substance. [1080a] Et, alors comment concevoir que les Idées, qui sont les substances des choses, peuvent néanmoins en être isolées? Dans le Phédon, il est dit en propres termes que les Idées sont les causes de l'existence et de la production des choses. Mais les Idées ont beau exister, les choses ne se produisent pas, s'il n'y a point de moteur qui puisse les produire. D'autre part, il se produit une foule de choses pour lesquelles on n'a pas l'air cependant d'admettre [5] qu'il y ait d'Idées, telles qu'une maison, un anneau, etc.; et ceci montre bien que les choses dont on dit qu'il y a des Idées, existent et se produisent par les mêmes causes qui, sous nos yeux, produisent bien les choses dont nous venons de parler, sans que, cependant, il y ait des Idées pour les produire. § 6. Ainsi, en poursuivant cette discussion sur les Idées, on pourrait, par des arguments encore [10] plus réguliers et plus pressants, accumuler contre ce système une multitude d'objections, du genre de celles que nous venons de présenter. |
§§ 1, 2, 3, 4 et 5. Tous ces §§ sont empruntés encore au livre I, ch. VII, §§ 37 et suivants. Je prie encore le lecteur de vouloir bien sa reporter aux explications que j'ai antérieurement données, et qui ont été suffisamment développées. § 6. Ce §, qui termine cette partie de la discussion contre la théorie des Idées, ne se trouve pas dans le livre I, loc. cit. Après la critique de la théorie des Nombres, Aristote revient à la critique de la théorie des Idées, et il la poursuit pus loin. liv. XIII, ch. IX, § 13, et liv. XIV, ch. II et suivants. |
Critique de la théorie des Nombres; diverses manières de comprendre la nature du nombre; explication du nombre mathématique ; trois espèces de nombres ; opinions des philosophes sur cette question; doctrine particulière des Pythagoriciens ; ils font des nombres la substance des choses sensibles ; théorie contraire du nombre idéal; théories du nombre appliquées également aux longueurs, aux surfaces et aux solides; réfutation générale de toutes ces doctrines sur les Nombres. |
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§ 1. Après avoir discuté ces matières, nous ferons bien de revenir à la théorie des nombres, pour faire voir les conséquences où l'on aboutit, quand on considère les nombres comme des substances séparées, et qu'on les prend pour les causes premières des choses. § 2. [15] Si le nombre est une nature particulière, et que la substance du nombre ne soit pas autre chose que cette nature même, ainsi qu'on l'avance quelquefois, il y a nécessité qu'il y ait un nombre qui soit le premier, puis un second, qui vient à la suite du premier, chacun d'eux étant d'une espèce différente. Ceci s'applique, ou directement aux unités, et alors, une unité, quelle qu'elle soit, ne peut pas se combiner avec une autre unité [20] quelconque; ou bien, toutes les unités, quelles qu'elles puissent être, se combinent successivement avec des unités quelconques, ainsi qu'on le suppose pour Ie nombre mathématique, puisqu'en effet, dans le nombre mathématique, une unité ne présente point de différence avec une autre unité, en quoi que ce soit. § 3. Ou bien encore, certaines unités se combinent entre elles, tandis que d'autres ne se combinent pas. Par exemple, Deux est le premier nombre après Un, Trois après Deux, et ainsi de suite [25] pour toute la série des nombres. Mais, dans chaque nombre, les unités pourraient se combiner entre elles : et, par exemple, dans la première Dyade, les deux unités qui la forment se combinent entre elles, de même que, dans la première Triade, les unités qui la forment se combinent également; et ainsi de suite, pour le reste des nombres. Mais les unités qui sont dans le nombre Deux lui-même, peuvent ne pas se combiner avec les unités du nombre Trois. Et de même, pour tous les nombres [30] subséquents. § 4. Aussi, le nombre mathématique se compte Deux après Un, en ajoutant une unité nouvelle à celle qu'on a déjà; Trois se forme en ajoutant une autre unité aux deux précédentes ; et ainsi de suite, par le même procédé. Au contraire, dans le nombre idéal, après Un, Deux est un autre nombre, qui n'emprunte rien à la première unité; Trois est également séparé de Deux, auquel il n'emprunte rien non plus; et ainsi de suite, pour [35] tout autre nombre. § 5. Ou bien enfin, il faut dire que, parmi les nombres, l'un est comme la première espèce de nombre dont nous avons parlé; l'autre est le nombre comme le comprennent les mathématiciens; et le troisième est celui dont il vient d'être question en dernier lieu. § 6. Autre considération. Ou, il faut que les nombres soient séparés des choses ; [1080b] ou bien, ils n'en sont pas séparés, et ils sont dans les objets sensibles; non pas tout à fait au sens où nous l'avons expliqué d'abord, mais comme si les choses sensibles étaient formées des nombres qui sont en elles. On peut dire encore que, parmi les nombres, l'un est séparé des choses, et que l'autre ne l'est pas, ou bien que tous le sont. § 7. Telles sont nécessairement les seules manières [5] de comprendre l'existence des nombres. Aussi, les philosophes même qui font de l'unité le principe, la substance et l'élément de toutes choses, et qui tirent le nombre de l'unité et de quelque autre élément, ont-ils adopté presque tous une de ces solutions, excepté celle où l'on affirme que les unités ne peuvent se combiner entre elles. [10] Et cela est tout simple, puisqu'il n'y a pas d'autre point de vue possible, en dehors de ceux que nous avons indiqués. § 8. Ainsi donc, les uns disent que ces deux sortes de nombres existent simultanément, à savoir le nombre qui a antériorité et postériorité, en d'autres termes, les Idées, et le nombre mathématique, qui est à la fois en dehors des Idées et des choses sensibles ; ces deux espèces de nombres étant, d'ailleurs, séparées également des choses que peuvent percevoir nos sens. D'autres philosophes soutiennent que le nombre mathématique [15] tout seul est la première de toutes les entités, et qu'il est séparé des choses sensibles. § 9. Quant aux Pythagoriciens, ils ne reconnaissent qu'un seul nombre, le nombre mathématique. Ils ne le séparent pas des choses, il est vrai ; mais ils prétendent en composer toutes les substances sensibles. Et en effet, ils constituent le ciel tout entier avec des nombres, lesquels, nous le reconnaissons, ne sont pas composés d'unités; mais [20] ils supposent que les unités peuvent avoir de la grandeur. Toutefois, ils ne semblent pas en état de nous apprendre comment la première unité a pu se former, en ayant une grandeur quelconque. Enfin, il y a tel autre philosophe qui n'admet, pour premier nombre, que le seul nombre idéal; et quelques-uns prétendent que ce même nombre est précisément le nombre mathématique. § 10. Des dissentiments pareils se produisent, en ce qui regarde la théorie des longueurs, des surfaces et des solides. [25] Tantôt, on distingue les grandeurs mathématiques des grandeurs idéales. Mais parmi ceux qui ne font pas cette distinction, les uns admettent les grandeurs mathématiques et n'en parlent que mathématiquement, et ce sont tous ceux qui ne veulent pas que les Idées soient des nombres et qui nient même l'existence des Idées ; les autres admettent bien les grandeurs mathématiques; mais ils n'en parlent pas comme de vrais mathématiciens, puisqu'ils affirment que toute grandeur ne peut pas se diviser en grandeurs, et que [30] toutes les unités quelconques ne peuvent pas indifféremment composer une Dyade. § 11. Tous les philosophes qui reconnaissent l'unité pour l'élément, et le principe, de toutes choses, conviennent que les nombres sont composés d'unités. Il faut cependant faire exception pour les Pythagoriciens, qui veulent que les éléments des choses aient une grandeur, ainsi qu'on l'a dit plus haut. § 12. D'après ce qui précède, on doit voir quels sont tous les points de vue auxquels on peut étudier les nombres, et l'on peut se convaincre qu'ils se réduisent à [35] ceux que nous avons énumérés. Toutes ces théories sont insoutenables, bien que quelques-unes le soient peut-être encore plus que les autres. |
§ 1. Comme des substances séparées. Voir pus haut, liv. I, ch. V, § 2, la théorie pythagoricienne des Nombres, critiquée il peu près comme elle l'est ici, quoique avec moins de développement. Mais cette indépendance absolue des Nombres et leur séparation ont été soutenues par quelques disciples de Platon, plus encore que par Platon lui-même. - Les causes premières des choses. C'est surtout cette partie de la théorie qui peut être attribuée aux Pythagoriciens. § 2. Si le nombre... Ici, comme dans une foule d'autres passages, l'exposition d'Aristote manque d'ordre et de clarté, et il est bien difficile de s'en rendre compte. M. Schwegler, suivi en partie par M. Bonitz, voit dans ces §§, y compris le § trois hypothèses : 1° Les unités dont se compose le nombre ne peuvent se combiner; et chaque nombre est séparé de celui qui le suit ou le précède; 2° certaines unités peuvent se combiner entre elles (§ 3) et d'autres. ne le peuvent pas; 3° enfin (§ 5) certains nombres se composent d'unités semblables entre elles, et d'autres nombres se composent d'unités différentes. Je ne crois pas que celte division puisse être admise; et le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise ne l'autorise pas plus que le texte. J'ai quelque peine à avancer une hypothèse de plus au milieu de toutes ces obscurités; mais, si l'on peut tirer du texte une division précise, ce serait celle-ci d'abord, chaque nombre peut être regardé comme formant un tout séparé et distinct de tout mitre nombre. Dans le nombre ainsi considéré les unités, qui le forment, peuvent ne passe combiner entre elles, ou lies peuvent se combiner; ce qui fait alors le nombre qu'on appelle mathématique, Ou bien, dans un même nombre, il y a des unités qui se combinent et d'autres qui ne se combinent pas. Voilà, ce me semble, les divisions principales qu'on peut tirer du texte. En d'autres termes, Aristote ne distingue au fond que le nombre mathématique, qui se forme d'unités semblables ajoutées successivement les unes aux autres, et le nombre idéal, qui forme un tout absolument indépendant: le nombre Deux, par exemple, n'ayant aucun rapport avec le nombre Trois, ni avec les nombres suivants, qui sont indépendants au même titre que lui. Le texte étant ainsi entendu, il n'y aurait que deux divisions, au lieu des trois que reconnais M. Schwegler. - Une nature particulière. C'est le nombre idéal, tandis que le nombre mathématique ordinaire se forme d'unités qui s'ajoutent successivement les unes aux autres. - Étant d'une espèce différente. C'est là le caractère propre du nombre idéal. - Aux unités, dont se compose chaque nombre idéal. Ces unités ne se combinent pas plus entre elles que les nombres ne se combinent entre eux. Chaque nombre forme une entité à part. § 3. Ou bien encore. Ceci peut sembler une explication, et comme une répétition, de ce qui précède, plutôt qu'une division nouvelle. - Mais, dans chaque nombre. Il est difficile de comprendre comment Ie nombre se formerait si les unités qui le composent ne pouvaient pas se combiner, de manière à former un tout. § 4. Aussi le nombre mathématique. C'est le nombre tel qu'on le comprend ordinairement. Le nombre idéal est une création de l'esprit, une conception purement rationnelle. Dans le sens vulgaire du mot, Nombre ne signifie qu'une accumulation d'unités, à la suite les unes des autres, et toutes pareilles entre elles. - Dans le nombre idéal. Le texte n'est pas aussi formel; mais il me semble que le sens ne peut pas faire de doute; voir plus haut, § 2. § 5. Ou bien enfin. Ceci me semble encore un résumé, bien plutôt qu'une division nouvelle. - La première espèce de nombre... C'est le nombre idéal. - Et le troisième. C'est là ce qui a peut-être autorisé M. Schwegler à reconnaître les trois divisions signalées pus haut. § 6. Expliqué d'abord. Voir plus haut, ch. II, §§ 1 et suiv. - Formées des nombres qui sont en elles. C'est la pure théorie Pythagoricienne. - L'un est séparé des choses. Ce serait le nombre idéal. - L'autre ne l'est pas. C'est le nombre mathématique. § 7. Une de ces solutions, Voir plus haut, § 5. - Les unités ne peuvent se combiner entre elles. Cette hypothèse rend, en effet, la formation des nombres absolument impossible. § 8. Ces deux sortes de nombres. Le nombre arithmétique et le nombre idéal. Cette théorie a peut-être été soutenue par Speusippe ou par Xénocrate ; il est difficile, d'après les trop tares témoignages de l'Antiquité, de savoir précisément à qui elle appartient. - D'autres philosophes. Ce sont encore des Platoniciens. La suite semble prouver qu'il ne s'agit pas ici des Pythagoriciens. § 9. Quant aux Pythagoriciens. Aristote, quand il parle des Pythagoriciens, ne peut faire allusion qu'a ceux qui étaient fort antérieurs à son siècle. De son temps, le Pythagorisme était déjà à peu près disparu, et les traditions principales qui en restaient avaient été recueillies par quelques membres de l'école Platonicienne. - En composer toutes les substances sensibles. Voir pus haut, liv. I, ch. V § 7; et au Traité du Ciel, liv. III, ch. I, § 16, p. 322 de ma traduction. - Ne sont pas composés d'unités. Ces théories des Pythagoriciens ne sont connues que par le témoignage d'Aristote ; et ce qu'il en dit ici est trop peu développé peut qu'on puisse bien juger leur système. Des nombres qui ne sont pas formés d'unités, ne peuvent être que des nombres purement idéaux. - Tel autre philosophe. Il semble que le philosophe ainsi désigné est Xénocrate, parce que les théories de Speusippe, citées plus haut, liv. VII, ch. II, § 4, sont différentes. - Quelques-uns. Soit des Platoniciens, soit des Pythagoriciens. § 10. Des dissentiments pareils. Le texte n'est pas aussi formel. - Tantôt, on distingue. Ceci ne peut se rapporter qu'à l'école de Platon. - Et n'en parlent que mathématiquement. Alexandre d'Aphrodise explique ceci en disant que parler « mathématiquement » des grandeurs, c'est les supposer divisibles à l'infini, tandis que les supposer indivisibles est une erreur mathématique. Le contexte prouve que c'est bien là le sens de ce passage. § 11. Ainsi qu'on l'a dit plus haut. Voir plus haut, § 9. Tout ce § semble n'être qu'une glose, intercalée dans le texte par quelque commentateur. § 12. Toutes ces théories sont insoutenables. Ce jugement peut sembler bien sévère; et les théories que combat Aristote ne sont pas complètement fausses. bien que sur quelques points elles le soient réellement. C'est une critique un peu exagérée. |
Suite de la critique de la théorie des Nombres; question de savoir si les unités peuvent ou ne peuvent pas se combiner ; les Idées ne peuvent pas être des nombres; de la formation des nombres; réfutation de quelques erreurs; insuffisance de la théorie qui fait sortir tous les nombres de l'unité et de la Dyade indéterminée ; conséquences insoutenables qui en résultent; difficultés réelles de la théorie des Nombres ; on peut soutenir que les unités sont différentes les unes des autres, ou qu'elles ne présentent aucune différence ; nature particulière des unités dont le nombre se compose; elles sont sans aucune différence; réponse aux systèmes contraires. |
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§ 1. La première question que nous ayons à examiner, c'est de savoir si les unités peuvent se combiner entre elles, ou si elles ne le peuvent pas. Au cas où leur combinaison serait reconnue impossible, nous aurions à démontrer, dans lequel des sens divers indiqués par nous, elles ne peuvent pas se combiner. Il est possible, d'abord, qu'aucune unité ne puisse se combiner avec aucune autre unité quelconque. [1081a] Ainsi, il est possible que les unités qui sont dans le nombre Deux, pris en soi, ne se combinent pas avec les unités qui composent le nombre Trois, pris en soi également. Mais il se peut encore que, de la même façon, les unités qui sont dans chaque premier nombre ne puissent pas non plus se combiner [5] entre elles. § 2. Si l'on admet, au contraire, que toutes les unités peuvent se combiner ensemble, et qu'elles ne présentent aucune différence, on a alors le nombre mathématique; il n'y a plus que ce nombre tout seul ; et il est impossible que les idées soient des nombres. En effet, quelle sorte de nombre pourrait bien être l'homme en soi, ou l'animal en soi, ou toute autre Idée? L'Idée est unique pour chaque objet: et, par exemple, il n'y a qu'une seule Idée pour l'homme en soi, de même qu'il n'y a qu'une seule Idée, mais différente, [10] pour l'animal en soi. Tout au contraire, quand des nombres sont pareils et qu'ils n'offrent entre eux aucune différence, ils sont infinis, de telle façon qu'une Triade quelconque ne représente pas plus l'homme que telle autre Triade indifféremment. § 3. Mais, si les Idées ne sont pas des nombres, il s'ensuit que les Idées ne peuvent pas absolument exister. De quel principe, en effet, pourront-elles venir? Le nombre se forme, dit-on, de l'unité et de la Dyade [15] indéfinie. Ce sont là ce qu'on appelle les principes et les éléments du nombre ; mais, sous le rapport de l'ordre, les Idées ne peuvent être, ni antérieures, ni postérieures, aux nombres. § 4. D'autre part, si les unités sont incompatibles entre elles, et incompatibles en ce sens qu'aucune ne peut se combiner avec aucune autre, dès lors, il n'est plus possible que ce nombre soit le nombre mathématique. Car le nombre mathématique se compose d'unités qui n'offrent aucune différence entre elles; [20] et toutes les démonstrations qu'on fait sur Ies nombres supposent une condition de ce genre, Mais ce nombre n'est pas plus le nombre idéal que le nombre mathématique. Car la première Dyade ne pourrait plus se composer de l'unité et de la Dyade indéfinie, non plus que les nombres venant à la suite les uns des autres, et qui sont, comme on le dit, la Dyade, la Triade, la Tétrade, etc. § 5. Les unités qui forment la première Dyade sont produites en même temps I'une et l'autre, soit qu'à la manière indiquée par le premier auteur de cette théorie, elles viennent d'éléments inégaux [25] rendus égaux, soit qu'elles se produisent autrement. D'autre part, si l'une des deux unités de la Dyade était antérieure à l'autre, elle devrait être antérieure aussi à la dualité totale composée de ces deux unités; car, lorsque, dans un tout, telle partie est antérieure et telle autre postérieure, il faut, aussi, que le tout formé de ces parties soit antérieur à l'une et postérieur à l'autre. § 6. Comme d'un autre côté, l'unité en soi est la première, il faut qu'il y ait aussi, pour tout le reste, une première unité; [30] une seconde vient après la première, et une troisième après la seconde; la seconde après la seconde est la troisième après la première. Par conséquent, les unités deviendraient antérieures aux nombres dans lesquels elles se mêlent. Ainsi, dans la Dyade, il y aurait déjà une troisième unité avant même que le nombre Trois ne fût formé; dans la Triade, il y aurait une quatrième unité, et une cinquième dans la Tétrade, avant même la formation de tous ces nombres. § 7. Personne, je le reconnais, parmi ces philosophes n'a pu entendre que les unités étaient incompatibles entre elles à la façon qu'on vient de dire. Mais ce serait là une conséquence très logique des principes admis par eux, quoiqu'en réalité rien ne soit plus faux. [1081b] Il est tout simple, en effet, qu'il y ait des unités antérieures et des unités postérieures, du moment qu'il y a une unité première et un premier Un. Il en doit être de même pour les Dyades, du moment qu'on admet une Dyade première; car, après un premier, il est rationnel, bien plus,[5] il est nécessaire qu'il y ait un second; puis un troisième, s'il y a un second, et ainsi de suite pour tout le reste, Mais ce qui est bien impossible, c'est de soutenir ces deux assertions à la fois, à savoir qu'il y a une première unité en soi, puis une seconde après l'Un en soi, et qu'il y a aussi une première Dyade. Or, ces philosophes disent bien que l'unité et l'Un sont les termes premiers; mais ils ne parlent, ni de second, ni de troisième. Ils parlent bien aussi d'une première Dyade; mais ils ne disent rien, ni d'une seconde, [10] ni d'une troisième. § 8. Évidemment encore, si les unités ne peuvent jamais se combiner, il ne peut non plus jamais y avoir, ni de Dyade en soi, ni de Triade en soi, non plus qu'aucun des autres nombres. En effet, soit que les unités ne présentent aucune différence entre elles, soit qu'elles diffèrent chacune à chacune, il n'en est pas moins nécessaire que le nombre se forme, et se compte toujours, par addition. Par exemple, [15] Deux se compose, après Un, par l'addition d'une unité nouvelle; Trois se forme par l'addition d'Un à Deux, et Quatre de même, etc. § 9. Ceci étant de toute évidence, il est bien impossible que les nombres s'engendrent, comme ces philosophes prétendent les engendrer, avec la Dyade et l'Unité; car la Dyade est une partie de la Triade, comme Trois est une partie de Quatre; [20] la même remarque s'appliquant à toute la série des nombres. Mais c'est de la première Dyade et de la Dyade indéfinie qu'on voulait faire venir le nombre Quatre, la Tétrade; c'est-à-dire qu'il y a deux Dyades indépendamment de la Dyade en soi. § 10. Mais si cela n'est pas, la Dyade en soi est alors une partie de la Tétrade ; et il faudra qu'une autre Dyade, isolée aussi, s'ajoute à la première. Or, cette Dyade se composera toujours de l'unité en soi et d'une autre unité. [25] Si cela est vrai, il est impossible, par cela même que la Dyade indéfinie soit l'autre élément de Quatre; car en fait, cette Dyade ne forme qu'une seule unité, et non pas une Dyade déterminée et réelle. § 11. De plus, comment, outre la Triade en soi, outre la Dyade en soi, d'autres Triades, ou d'autres Dyades, pourront-elles exister? Comment se composeront-elles avec des unités dont les unes seraient antérieures, et les autres postérieures? Tout ce système [30] n'est qu'une pure illusion; et il ne peut y avoir, ni Dyade en soi, ni Triade en soi. Il faudrait bien, cependant, qu'il y en eût, si les éléments des nombres sont vraiment l'Unité et la Dyade indéterminée. Ces conséquences étant insoutenables, il est impossible aussi de soutenir que ce soient là les principes véritables des nombres. § 12. On le voit donc, si l'on prétend que les unités sont toujours différentes les unes des autres, quelles qu'elles soient, voilà les difficultés qu'on soulève nécessairement, outre bien d'autres difficultés analogues à celles-là. Que si l'on dit seulement que les unités sont différentes d'un nombre à un autre, et que celles-là seules ne présentent point de différence entre elles qui sont dans le même nombre, on retrouve, dans cette théorie restreinte, à peu près toutes les difficultés que nous venons de signaler. § 13. [1082a] Ainsi, dans la Décade en soi, il y a dix unités. Et en effet, la Décade se compose tout aussi bien de ces dix unités, que de deux Pentades, ou deux fois Cinq. Mais, comme cette Décade en soi n'est pas un nombre quelconque ordinaire, et qu'elle n'est pas composée de Pentades prises au hasard, pas plus qu'elle ne l'est d'unités arbitraires, il faut nécessairement [5] que Ies unités, comprises dans cette Décade, présentent des différences entre elles. § 14. Si, en effet, elles ne diffèrent pas les unes des autres, les deux Pentades ne différeront pas non plus dans la Décade qu'elles forment. Mais comme les deux Pentades diffèrent entre elles, les unités de la Décade différeront également. Si les unités diffèrent, n'y aura-t-il pas d'autres Pentades, d'autres nombres Cinq, dans la Décade? Ou bien n'y aura-t-il que ces deux nombres Cinq exclusivement ? S'il n'y en a pas, c'est inconcevable; [10] et s'il y en a, quelle sera la nouvelle Décade qu'ils formeront? Il n'y a pas, dans la Décade, une autre Décade possible en dehors d'elle. Il faut tout aussi nécessairement que la Tétrade ne se compose pas de Dyades quelconques; car, à entendre nos philosophes, c'est la Dyade indéterminée qui, en prenant la Dyade déterminée, a composé deux Dyades; et c'est par cette adjonction qu'elle a pu faire [15] Deux. § 15. D'autre part, comment concevoir que la Dyade puisse être une nature distincte, indépendamment des deux unités qui la composent? que la Triade soit aussi quelque chose, en dehors des trois unités qui la forment? Ou bien, l'un participera de l'autre, en ce même sens où l'Homme-blanc est quelque chose en dehors du blanc et en dehors de l'homme, tout en participant de chacun d'eux; ou bien, l'un ne sera qu'une différence de l'autre, comme l'homme [20] est quelque chose en dehors de l'animal et du bipède. § 16. Il y a, de plus, des choses dont l'unité résulte d'un contact; pour d'autres, l'unité vient d'un mélange; pour d'autres encore, elle vient de la position. Or rien de tout cela ne pourrait s'appliquer aux unités dont se composent la Dyade et la Triade. Mais, de même que deux hommes ne forment pas une unité en dehors de tous deux, de même la séparation est également nécessaire pour ces unités. Ce n'est pas, d'ailleurs, parce qu'elles sont indivisibles que les unités présentent une différence avec les deux hommes. Les points [25] également sont indivisibles; et cependant, la Dyade que deux points peuvent former, n'est rien en dehors et indépendamment de ces deux points. § 17. Il ne faut pas non plus oublier de remarquer que les Dyades peuvent être antérieures et postérieures, de même que le peuvent être également tous les autres nombres ordinaires. Car, si l'on suppose que les deux Dyades qui forment le nombre Quatre sont simultanées l'une à l'autre, il n'en est pas moins vrai qu'elles sont antérieures aux Dyades qui entrent dans la composition du nombre [30] Huit, et que, de même que la Dyade en soi les a produites, de même elles produisent à leur tour Ies deux Tétrades, les deux fois Quatre, qui sont dans ce nombre Huit en soi. Par conséquent, si la première Dyade est une Idée, il faut aussi que ces nouvelles Dyades soient des Idées de certaine espèce. § 18. Le même raisonnement s'appliquerait aux unités simples, puisque les unités qui sont dans la première Dyade, engendrent les quatre autres, qui composent le nombre Quatre. [35] De cette façon, toutes les unités deviennent des Idées, et alors l'Idée se compose d'Idées. Ce qui n'est pas moins évident, c'est que les objets dont ce seront là les Idées, seront alors des composés, et qu'on arrivera, par exemple, à dire que les animaux se composent d'animaux, et s'il y a des Idées d'animaux, ces Idées seront formées d'animaux aussi. § 19. [1082b] D'une manière générale, admettre que les unités diffèrent d'une façon quelconque, c'est tout ensemble une erreur et une fiction; et par ce mot de fiction, j'entends qu'on fait violence à l'hypothèse même qu'on soutient. En effet, [5] il est évident qu'une unité ne peut différer d'une autre unité, ni en quantité, ni en qualité, et que nécessairement tout nombre ne peut être qu'égal ou inégal. Or, cela est vrai surtout pour le nombre formé d'unités. Donc, le nombre qui n'est, ni plus grand, ni plus petit, est égal. Par suite, les choses égales, et; d'une manière absolue, les choses qui ne présentent pas de différence entre elles, sont pour nous identiques, quand il s'agit de nombre. S'il n'en était pas ainsi, les Dyades mêmes qui entrent dans la composition de la Décade en soi, [10] tout égales qu'elles sont, ne seront plus sans différence entre elles; car, quelle cause pourrait-on alléguer pour affirmer qu'elles ne présentent aucune différence? § 20. De plus, si toute unité et une autre unité quelconque, jointes ensemble, font deux unités, l'unité empruntée de la Dyade en soi et l'unité empruntée de la Triade en soi, formeront une Dyade composée d'unités différentes ; et alors, cette Dyade nouvelle sera-t-elle antérieure, ou postérieure, à la Triade? Ce qui semble le plus admissible, [15] c'est qu'elle doit nécessairement lui être antérieure; car, des deux unités, l'une est en même temps dans la Triade, et l'autre est en même temps dans la Dyade. § 21. Pour nous, nous affirmons d'une manière générale qu'Un et Un font toujours Deux, que d'ailleurs Ies deux objets soient égaux ou inégaux : par exemple, le bien et le mal, l'homme et le cheval. Mais les philosophes qui adoptent le système contraire, n'admettent même pas que les unités forment une Dyade. Soutenir que le nombre Trois [20] n'est pas plus fort que le nombre Deux, ce serait déjà bien étonnant; mais si le nombre Trois est plus fort, il est clair aussi qu'il y a dans la Triade un nombre égal à Deux; et ce nombre Deux dans la Triade ne présente aucune différence avec le nombre Deux qui forme la Dyade. Or, cette égalité n'est plus possible, si un nombre est le premier, et qu'un autre nombre soit le second; et par suite, les Idées ne peuvent pas non plus être des nombres. § 22. Du reste, c'est là ce que peuvent dire avec raison [25] ceux qui admettent la différence des unités entre elles, afin qu'elles puissent être des Idées, comme on l'a expliqué plus haut; car l'Idée est toujours Une. Si, d'ailleurs, les unités sont sans différence entre elles, les Dyades et les Triades n'en présenteront pas non plus. Voilà comment nos philosophes sont nécessairement amenés à prétendre [30] que, quand on compte Un, Deux, etc., on n'ajoute pas une unité au nombre qu'on a déjà. C'est qu'en effet la génération des nombres ne viendrait plus alors de la Dyade indéterminée, et l'Idée n'est plus possible; puisque, de cette façon, il y aurait une Idée dans une autre Idée, et toutes les Idées ne seraient que des parties d'une seule Idée. § 23. En partant de leur hypothèse, ils ont raison de parler comme ils le font; mais, d'une manière absolue, ils sont dans l'erreur; car ils renversent ici bien des choses, et ils doivent au moins convenir qu'il y a quelque difficulté à savoir si, [35] lorsque nous comptons Un, Deux, Trois, nous ajoutons successivement quelque chose, ou si au contraire nous ne faisons que des divisions. En fait, nous faisons les deux choses à la fois; et aussi, est-il assez ridicule de faire de cette différence une si grande différence de substance. |
§ 1. Si les unités peuvent se combiner entre elles. Cette question peut paraître subtile, et plus curieuse quo nécessaire Si les unités ne se combinaient pas entre elles, le nombre lui-même deviendrait impossible. Mais en supposant que chaque nombre forme isolément un Tout indépendant, on peut se demander si les unités d'un nombre peuvent se combiner avec celles d'un autre nombre. Cette seconde partie da la question est encore très subtile, mais du moins elle est discutable. - Qu'aucune unité... Non pas dans l'intérieur même d'un nombre qu'elle contribue à former, mais d'un nombre à un autre nombre. - Deux, pris en soi. C'est le nombre idéal, ayant une existence à part des choses sensibles, et des autres nombres, qui le précèdent ou qui le suivent. - Dans chaque premier nombre. On voit quel est ici le sens du mot « Premier »; ce mot ne signifie que le nombre pris en soi, le nombre idéal, isolé et indépendant. § 2. On a alors le nombre mathématique. C'est le nombre ordinaire, qui se forme, comme tout le monde le sait et le croit, de l'addition d'unités qui s'accumulent les unes après les autres. - Soient des nombres. M. Bonitz propose une variante, et il ajouterait : « De ce genre », c'est-à-dire que les Idées ne pourraient être des nombres mathématiques, Aucun manuscrit n'autorise ce changement. - De telle façon... Il faudrait ajouter, pour que la pensée fût complète, qu'on suppose l'homme en soi représenté par la Triade; et alors on se demande comment telle Triade représenterait l'homme on soi plutôt que telle autre, Mais l'expression du texte est trop concise ; et il est difficile de se rendre compte de cette pensée, ai brusquement introduite. § 3. Dit-on. J'ai ajouté ces mots, parce qu'il est certain que la théorie, critiquée ici par Aristote, est toute Platonicienne. Le contexte est d'accord avec cette interprétation. - Ni antérieures, ni postérieures, aux nombres. Ici encore, la concision est une cause d'obscurité; et l'on ne comprend pas très bien ce que l'auteur a voulu dire. Alexandre d'Aphrodise ne fait guère que répéter le texte, sans l'éclaircir par quelque développement. § 4. Dès lors, il n'est plus possible.... La chose semble évidente de soi, puisque le nombre mathématique n'est qu'une combinaison d'unités, ajoutées successivement les unes aux autres. - La première Dyade. C'est-à-dire le nombre Deux, qui précède tous les autres nombres. Mais le nombre ne peut se composer, d'après la définition Platonicienne, de l'unité et de la Dyade indéfinie, puisque la Dyade n'est pas encore. Le raisonnement est le même pour la série des nombres suivants, attendu que la première Dyade leur manque comme elle se manque à elle-même. § 5. Par le premier auteur de cette théorie. C'est Platon; mais il serait peut-être difficile d'indiquer très précisément celui de ses ouvrages où il expose cette théorie. Voir plus loin, liv. XIV, ch. IV, § 1. - A la dualité totale. Le texte est moins formel. § 6. L'unité en soi. C'est l'unité idéale, qui, avec la Dyade indéfinie, forme tous les nombres, d'après les théories Platoniciennes; elle précède nécessairement toutes les unités réelles que les choses peuvent présenter; et ce n'est pas elle qui peut former la Dyade. - Une première unité. Ce n'est plus l'unité idéale, qui n'entre pas dans la Dyade, puisque c'est avec la Dyade qu'elle doit former tous les nombres. - Dans lesquels elles se mêlent. L'expression grecque a quelque chose de contradictoire; et elle pourrait signifier que les unités se composent de nombres, tout aussi bien que le contraire. biais en fait ce sont tee unités qui composent les nombres; et elles n'en sont pas composées. - Une troisième unité. L'unité idéale, l'unité en soi, jointe aux deux unités de la Dyade, fait trois unités. L'objection est vraie; mais on peut trouver que toute cette discussion est bien subtile. Aristote semble le reconnaître lui-même, en disant qu'on ne peut pas attribuer cette théorie aux philosophes qu'il réfute, et en se bornant à la signaler, comme une conséquence nécessaire de leur système. § 7. A la façon qu'on vient de dire. C'est donc une erreur qu'ont commise ces philosophes, sans d'ailleurs s'en apercevoir. Les unités sont considérées comme formant chacune une substance en soi, indépendante de toute autre, ici d'abord l'unité en soi, puis la Dyade en soi, puis la Triade, etc., etc. - Des unités antérieures.... postérieures. Dans les nombres ordinaires, Un vient avant Deux, Deux avant Trois, et ainsi de suite, tandis que, pour les nombres idéaux, ils sont absolument isolés, de telle façon qu'on ne peut pas dire que l'un précède l'autre, ou qu'il le suive. - Une unité première. C'est l'unité prise d'une manière abstraite et générale. - Un premier Un. C'est un objet quelconque considéré comme le premier terme d'une série, qui se poursuit plus ou moins loin : un premier homme par exemple, puis un second homme; puis un troisième, etc. - Une première unité. C'est l'unité en soi des Platoniciens; puis, après l'unité on soi, viendrait la Dyade en soi, qui, à son tour, serait première, en tant que première Dyade, etc. - Une première Dyade. Il ne peut pas y avoir de première Dyade, puisque avant elle il y a déjà l'unité en soi, qui est seule absolument à être première. - Ils ne parlent, ni de second.... Ce serait, en effet, chose impossible, si les unités ne peuvent se combiner entre elles, et si chacune doit rester à part de toutes les autres. § 8. Si les unités ne peuvent jamais se combiner. Comme on le suppose dans le système Platonicien, au dire d'Aristote. Il semble que cette objection rentre dans la précédente, et ne s'en distingue pas assez. - Soit qu'elles diffèrent chacune à chacune. Comme le veulent les Platonicien, dans les théories qu'Aristote leur impute. § 9. Comme ces philosophes. Ce sont encore les Platoniciens. - Avec la Dyade.. Indéfinie; voir plus haut, liv. I, ch. VII, §§ 46 et suivants. - La Tétrade. J'ai hasardé ce mot, qui se comprend avec la paraphrase dont je l'ai accompagné, et qui a l'avantage de la concision, Ce mot a déjà été employé quelquefois. - Deux Dyades. Le nombre Quatre ne se composerait pas alors de quatre unités ; il se composerait de deux Dyades; mais on ne voit pas pourquoi, si l'on crée une unité de Dyades, on ne créerait pas aussi une unité de Tétrades, c'est-à-dire une entité séparée et indépendante pour chaque nombre. § 10. Si cela n'est pas. C'est le sens qu'adoptent MM. Bonitz et Schwegler, d'après le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise; mais quelques éditeurs out modifié ce sens, par un simple changement de ponctuation : « Si la Dyade en soi n'est pas une partie de la Tétrade, etc. » - Cette Dyade ne forme qu'une seule unité. La Dyade, indépendante et de l'unité et des nombres qui la suivent, forme elle seule une unité, et non pas une dualité réelle. - Déterminée et réelle. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. § 11. Pourront-elles exister? La Dyade en soi, la Triade en soi sont uniques comme le sont toutes les Idées; il n'y en a donc qu'une seule; et, dans la réalité, il n'y a plue de dualité, ou de trinité possible. A cette critique, le Platonisme répondrait peut-être par la théorie de la Participation; mais Aristote a réfuté déjà cette autre théorie, liv. I, ch. VI, § 6. - Dont les unes seraient antérieures. Le texte n'est pas aussi explicite. - L'Unité et la Dyade indéterminée. C'est la théorie Platonicienne. § 12. Dans cette théorie restreinte. Le texte n'est pas aussi formel; mais cette addition ressort de tout ce qui précède et de ce qui suit. - Que nous tenons de signaler. Même remarque. § 13. Dans la Décade en soi.... Aristote veut prouver que, dans un même nombre, les unités diffèrent entre elles aussi bien que dans des nombres différents. Il compare donc la Décade et les deux Pentades en soi, dont les unités diffèrent nécessairement. Si les unités de la Décade et des deux Pentades diffèrent, il en conclut que les unités mêmes de la Décade doivent différer également entre elles, et qu'elles ne forment pas l'unité idéale de la Décade en soi, que leur attribuent les Platoniciens. C'est là, je crois, le sens général de ce passage; mais, comme M. Bonitz, je puis douter que j'aie bien compris la pensée d'Aristote, qui ici, comme dans bien d'autres passages, a le tort de ne pas s'expliquer assez clairement. - Deux. Pentades. J'ai cru pouvoir adopter ce mot de Pentade, formé tout à fait comme celui de Décade sanctionné par l'usage. - Ou deux fois Cinq. Ceci n'est pas deus le texte; et c'est une simple paraphrase, que j'ajoute pour plus de clarté. - N'est pas un nombre quelconque ordinaire. J'ai ajouté le dernier mot. La Décade en soi se compose de dix unités, idéales comme elle. - Présentent des différences entre elles. C'est-à-dire que ces unités sont distinctes les unes des autres, et ne forment pas toutes ensemble la Décade en soi, qui, dans le système Platonicien, n'est elle-même qu'une unité idéale. - Comme les deux Pentades diffèrent entre elles... En divisant la Décade en deux fois Cinq, la Pentade forme une unité différente de celle de la Décade entière, et différente de chacune des dix unités qui forment la Décade elle-même. Donc les unités de la Décade ne se confondent pas davantage, dans l'unité factice que crée la théorie des Idées. § 14. Si les unités différent. Ce sont les unités de la Décade en soi, Du moment qu'elles sont différentes et distinctes, elles peuvent composer, par disertes combinaisons, d'autres Pentades, que les deux dont la Décade est termes. - C'est inconcevable, M. Bonitz remarque qu'Aristote ne dit pas pourquoi cette supposition est absurde. - Le Tétrade. Ce nouvel exemple n'était peut-être pas nécessaire; car il est évident que ce qui rient d'être démontré du nombre Dix et du nombre Cinq, s'applique également à tous les autres nombres, Trois, Quatre, Six, Sept, etc. - Nos philosophes. Les partisans de la théorie des Idées. § 15. L'un participera de l'autre. L'expression est bien vague, et l'auteur aurait dû la préciser davantage. « L'un », c'est l'unité factice de la Triade ou de la Dyade en soi; « l 'autre », ce sont les unités qui forment, ou la Triade, ou la Dyade. Le mot de « Participation » appartient à la langue de la théorie des Idées, et non à celle d'Aristote. « Participer » ne semble indiquer ici que la notion d'une relation quelconque entre les deux termes. - L'Homme-blanc. L'auteur distingue entre cette énonciation multiple, l'Homme-blanc, et ces énonciations simples, d'un côté l'Homme, et, de l'autre côté, Blanc. Ces énonciations participent les unes des autres, puisque la première reproduit les deux termes réunis, et que les secondes en reproduisent chacune un. - Qu'une différence de l'autre. L'Homme est une différence de Bipède; et le Bipède est une différence de l'Animal. Tout cela doit paraître bien subtil. § 16. Il y a, de plus, des choses... Aristote continue ses objections contre la théorie qui suppose que les nombres ont une existence séparée de celle des choses; et il essaie de démontrer que les unités, dont le nombre est formé, ne peuvent, en aucune manière, posséder une individualité indépendante; il n'y a pour elles ni contact, ni mélange, ni position, toutes conditions qui seraient indispensables, et qu'elles n'offrent pas. - De même que deux hommes.... L'exemple est frappant, parce qu'il est familier et ordinaire; chacun peut en juger sans peine. - La séparation. Le texte n'est pas aussi formel. - Avec les deux hommes. J'ai cru devoir faire cette addition, qui me parait indispensable. « Les Hommes, pourrait-on dire, sont divisibles, et les unités ne le sont pas; et ainsi l'exemple cité n'est pas applicable. » Aristote va au-devant de cette objection, en disant que les points aussi sont indivisibles, comme les unités, et que, cependant, la Dyade des deux points n'a pas pour cela une existence indépendante et séparée. On peut trouver encore ici que toute cette discussion est bien subtile, comme les précédentes. § 17. Que les Dyades... Dans le système Platonicien, et au point de vue de la théorie des Idées, Platon prétend, selon Aristote, que les nombres sont séparée les une des autres, comme ils le sont des choses, et qu'ils forment chacun une entité distincte. Aristote répond qu'entre les Dyade, qui sont censées composer les nombres, il y a, tout au moins, un rapport d'antériorité et de postériorité. - Ordinaires. J'ai ajouté ce mot. - La Dyade en soi. J'ai ajouté : « En soi ». - Ce nombre Huit en soi. Même remarque. § 18. Aux unités simples. Le texte dit seulement : « Aux unités ». J'ai ajouté Simples, pour distinguer les deux premières unités qui forment la Dyade, des unités factices que forment, à ce que prétendent les Platoniciens, le Dyade, la Triade, la Tétrade, etc. - L'Idée se compose d'Idées. Ce que n'admet pas l'École Platonicienne, puisque chaque Idée a une existence indépendante et séparée. - Les animaux se composent d'animaux. Ce qui est, pour Aristote, une hypothèse absurde et insoutenable. § 19. Admettre.... Comme le font les Platoniciens. - Les unités. Qui entrent dans la composition d'un nombre quelconque. - De la Décade en soi. J'ai adopté la leçon qui est proposée par M. Bonitz et par M. Schwegler, et qu'il est possible de tirer aussi du commentaire d'Alexandre d'Apbrodise. § 20. L'unité empruntée de la Dyade en soi. Ceci est une hypothèse, et l'on suppose que deux entités quelconques formant toujours une Dyade, on pourra emprunter une unité à la Dyade et une autre unité à la Triade, afin de former une Dyade, où les unités seront nécessairement différentes les unes des autres. - Cette Dyade nouvelle. J'ai ajouté l'épithète, pour que la pensée fût exprimée plus clairement- D'ailleurs, j'emprunte encore ce sens au commentaire d'Alexandre d'Aphrodise. § 21. Les deux objets. Le texte dit simplement « Les objets » et il ne les désigne que par un adjectif neutre au pluriel, Il n'y a jamais ici qua deux objets; mais ces deux objets peuvent varier à l'infini. Alexandre d'Aphrodise eût préféré que, dans les exemples cités, l'auteur eût comparé deux objets de même espèce, par exemple des morceaux de bois, plutôt que des objets d'espèces différente, comme l'homme et le cheval. - Le système contraire. Le texte n'est pas aussi formel. — Forment une Dyade. Je tire ce sens du commentaire d'Alexandre d'Aphrodise. Dans le système Platonicien, une Dyade ne se forme pas de deux unités; mais elle se forme de l'unité et de la Dyade indéfinie. - N'est plus possible. Il faudrait ajouter, comme le fait Alexandre d'Aphrodise « En admettant l'hypothèse Platonicienne ». - Si un nombre est le premier. Il semble que ce serait l'Unité qu'il faudrait dire, plutôt que le nombre. § 22. Plus haut. Voir liv. I, ch. VII, § 46. - L'Idée est toujours Une. Dans le système Platonicien, toute idée est unique; et elle ne perd rien de cette unité, en se communiquant aux objets sans nombre qui y participent. - Nos philosophes. C'est-à-dire, les Platoniciens; le texte est, d'ailleurs, moins précis; et il se sert seulement d'an pronom démonstratif. - De la Dyade indéterminée. C'est la théorie de Platon, qui fait naître la série indéfinie des nombres de l'unité à laquelle se joint la Dyade indéterminée; voir le Parménide de Platon, traduction de M. Victor Cousin, p. 41 et suiv. - Une Idée dans une autre Idée. Ce que ne peut admettre le système Platonicien, qui soutient l'unité et l'indépendance absolue de chaque Idée. Ce serait ici l'Idée de la Dyade qui serait dans l'Idée de la Triade; et ainsi de suite. § 23. Ils renversent ici bien des choses. Ceci veut dire, selon Alexandre d'Aphrodise, que les Platoniciens méconnaissent les vérités mathématiques les plus évidentes. - Nous ne faisons que des divisions. Comme les Platoniciens le prétendent, et peut-être aussi les Pythagoriciens, qui voudraient faire sortir tous les nombres de la Décade. - Aussi est-il assez ridicule. Alexandre d'Aphrodise commente ainsi ce passage : « Aussi est-il assez ridicule de faire sortir, d'une question superficielle comme celle-là, cette conséquence que chaque nombre est une Idée et une substance en soi. » M. Bonitz trouve avec raison que le texte, tel que nous l'avons, se prête mal à cette interprétation, qui cependant est encore la meilleure. |
De la différence du nombre et de l'unité; rapporta des unités entre elles ; erreur de la théorie des Idées et de la théorie des êtres mathématiques ; citation de Platon ; on ne peut identifier le nombre idéal et le nombre mathématique; réfutation des théories des Pythagoriciens; le nombre ne peut pas être séparé des choses comme on le prétend; objections diverses ; de la nature de l'unité, prise pour principe des nombres; les Pythagoriciens ont eu tort de vouloir étudier à la fois les êtres mathématiques et les universaux; ils en arrivent à faire le nombre Deux antérieur au nombre Un. |
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§ 1. [1083a] Entre toutes les questions qu'il serait bon d'éclaircir, la première, c'est d'expliquer ce que peut être la différence dans le nombre et dans l'unité, si toutefois une différence de ce genre est réelle. Nécessairement, elle ne peut porter que sur la quantité, ou sur la qualité. Or, ni l'une ni l'autre de ces alternatives ne semble possible; ou du moins, la différence n'est possible en quantité que s'il s'agit d'un nombre. Évidemment, si [5] les unités aussi différaient, de l'une à l'autre, en quantité, alors un nombre pourrait différer d'un autre nombre, tout en lui étant égal, cependant, par le total de ses unités. Et puis encore, est-ce que les premières unités sont plus grandes, ou plus petites, que les autres? Ou bien est-ce que ce sont les unités qui viennent ensuite qui s'accroissent, ou qui, au contraire, diminuent? § 2. Toutes ces conséquences sont insensées. Mais il ne se peut pas non plus que les unités diffèrent, de l'une à l'autre, en qualité; car elles ne peuvent subir [10] aucune modification; et nos philosophes reconnaissent que, pour le nombre, la qualité ne peut venir qu'après la quantité. Encore une fois, cette différence de qualité ne pourrait venir pour les unités, ni de l'unité première, ni de la Dyade. L'unité première n'a pas de qualité; et la Dyade n'a que la qualité de produire la quantité, puis que c'est elle qui, par sa nature même, est cause de la multiplicité des êtres. § 3. Si, en ceci, il en peut être autrement [15] de quelque façon que ce soit, c'est dès le début qu'il faudrait surtout le dire; et, en traitant de la différence des unités entre elles, ce qu'il faut expliquer avant tout, c'est la nécessité même de cette différence. Si ce n'est pas comme nous qu'on la comprend, alors comment la comprend-on? Ainsi donc, dès que l'on admet que les Idées sont des nombres, il en résulte évidemment que les unités ne peuvent jamais se combiner entre elles, et qu'il est impossible qu'elles ne se combinent pas, les unes avec les autres, [20] d'aucune des deux manières indiquées. § 4. D'ailleurs, ce que d'autres philosophes disent des nombres n'est pas plus admissible; je veux parler de ceux qui, tout en niant l'existence des Idées, soit leur existence absolue, soit leur existence comme nombres, n'en soutiennent pas moins l'existence des êtres mathématiques, et qui, croyant que les nombres sont les principes des êtres, trouvent l'origine de tous les nombres dans l'unité en soi. D'abord, il est absurde de supposer qu'il y a un [25] Un premier antérieurement à tous les Uns, comme le disent ces philosophes, et qu'il n'y a pas une Dyade première antérieure à toutes les Dyades, une Triade première antérieure à toutes les Triades; car, de part et d'autre, les raisons sont absolument les mêmes. § 5. Si c'est bien là ce qu'est le nombre, et si l'on admet le nombre mathématique tout seul, l'unité en soi ne peut plus être, dès lors, le principe des nombres; car il faudrait nécessairement que ce Un là, tel qu'on le fait, fût bien différent des [30] autres unités, Si cet Un existe en effet, il faut qu'il y ait aussi une Dyade première entre les Dyades; et qu'il en soit de même pour toute la suite des autres nombres. § 6. Mais; si l'unité est le principe des nombres, il faut d'autant plus nécessairement qu'il en soit des nombres ainsi que le disait Platon, et qu'il y ait une première Dyade, une première Triade, et qu'alors les nombres ne puissent jamais se combiner [35] les uns avec les autres. Pourtant, si l'on persiste à admettre ces dernières assertions, les conséquences absurdes qui en sortent ne sont pas moins nombreuses, ainsi que nous l'avons fait voir. Il faut bien, de toute nécessité néanmoins, qu'il en soit de l'une ou de l'autre façon; mais s'il n'en est, ni d'une façon ni de l'autre, il s'ensuit que le nombre ne peut pas être quelque chose de séparé. § 7. [1083b] De tout cela, il doit ressortir évidemment que la troisième explication est la plus mauvaise de toutes, à savoir celle qui identifie le nombre idéal avec le nombre mathématique. Ce dernier système contient alors à lui seul nécessairement deux erreurs : d'abord, de cette manière, il n'y a plus de [5] nombre mathématique ; et ensuite, outre les hypothèses propres qu'on admet, on est forcé encore de répéter, en les exagérant, les théories de ceux qui prétendent que le nombre se confond avec les Idées. § 8. Quant au système des Pythagoriciens, il offre moins de difficultés que ceux dont nous venons de parler ; mais il en présente aussi quelques autres, qui ne sont qu'à lui. [10] Ainsi, en ne supposant pas le nombre séparé des choses, on évite sans doute bien des impossibilités; mais il est toujours impossible d'admettre que les corps soient composés de nombres, et que le nombre qui compose les corps soit le nombre mathématique. D'abord, il n'est pas vrai qu'il y ait des grandeurs indivisibles; et en supposant, à toute force, qu'il y en ait, [15] on ne peut pas dire que, du moins, les unités aient une grandeur quelconque. Mais, comment une grandeur pourrait-elle se composer d'indivisibles? Néanmoins, le nombre mathématique est composé d'unités. Or, ces philosophes prétendent que les nombres sont les choses elles-mêmes; et ils adaptent leurs spéculations aux corps réels, comme si les corps étaient composés de nombres. § 9. De plus, puisque le nombre [20] qui constitue les êtres est, à ce qu'on assure, quelque chose qui existe en soi, il doit nécessairement se présenter sous une des formes que nous avons étudiées plus haut. Or, il ne peut être d'aucune de ces manières; et par conséquent, il est bien évident que la nature du nombre n'est pas du tout celle que lui prêtent certains philosophes, quand on fait le nombre séparé des choses. § 10. On peut se demander encore si chaque unité vient du Grand et du Petit, qui ont été rendus égaux, ou si telle unité vient du Petit, tandis que telle autre unité [25] vient du Grand. Si ce dernier cas est le vrai, chaque unité ne se compose plus de tous les mêmes éléments; et les unités ne sont plus sans différence entre elles, puisque, pour l'une, c'est le Grand qui est l'élément, et que, pour l'autre, c'est le Petit, lequel par sa nature est cependant le contraire du Grand. Et puis encore, de quelle espèce sont les unités qui entrent dans la Triade en soi? Car il y a une de ces unités tout au moins qui doit être impaire ; et c'est peut-être pour cela que nos philosophes prétendent que l'unité en soi est [30] un terme moyen dans tout nombre impair. § 11. En second lieu, si chacune des deux unités de la Dyade se compose à la fois du Grand et du Petit, rendus égaux, comment la Dyade elle-même pourra-t-elle être une seule et unique nature, provenant du Grand et du Petit? En quoi différera-t-elle alors de l'unité? Ajoutez que l'unité est antérieure à la Dyade, puisque, si l'unité est détruite, la Dyade le sera également. L'unité en soi serait donc nécessairement une Idée d'Idée, et antérieure [35] à une Idée. Mais, en tant qu'antérieure, de quelle origine pourrait-elle provenir? puisqu'en effet c'était la Dyade indéterminée, comme le prétendent nos philosophes, qui devait doubler les choses. § 12. Il y a, de plus, une nécessité absolue que le nombre idéal soit infini ou fini; et quoique nos philosophes supposent que le nombre est séparé des choses, il n'en est pas moins impossible que le nombre ne soit, ni l'un, ni l'autre. [1084a] En premier lieu, il évident qu'il ne saurait être infini; car le nombre infini n'est ni pair ni impair, tandis que la formation des nombres ne peut jamais porter que sur un nombre impair ou sur un nombre pair. Quand Un [5] est ajouté à un nombre pair, ce nombre devient impair; et si c'est la Dyade qui vient s'y ajouter, le nombre ainsi formé se trouve doublé une fois. Deux nombres impairs s'ajoutant l'un à l'autre, le nombre qui résulte de leur total est pair. On peut dire encore que, si toute Idée est l'Idée de quelque chose, et si les nombres sont des Idées, le nombre idéal infini sera l'Idée de quelque chose aussi, soit d'une des choses sensibles, soit de quelque autre chose. Mais ceci n'est possible, ni d'après leur [10] système, ni d'après la notion essentielle de l'Idée; et c'est ainsi qu'ils classent les Idées. Que si le nombre idéal est fini, jusqu'où l'est-il? Car il ne faut pas affirmer seulement qu'il est fini, il faut expliquer en outre pourquoi il l'est. Or, si le nombre idéal ne. va que jusqu'à la Décade, comme quelques philosophes le prétendent, d'abord les Idées manqueront bien vite; et, par exemple, si le nombre Trois est l'Homme en soi, quel nombre sera le Cheval en soi ? [15] Car chaque nombre ne représente la chose en soi que jusqu'à Dix. Il faudra bien nécessairement que le cheval en soi se trouve dans quelqu'un des nombres compris entre ces limites, puisque ces nombres sont les substances et Ies Idées. Mais cependant il y aura des lacunes ; et, par exemple, les Idées et les espèces de l'animal seront laissées en dehors. § 13. Il n'est pas moins clair que, si la Triade représente l'homme en soi, les autres Triades le représenteront également, puisque les Triades sont semblables en tant qu'elles sont formées des mêmes nombres; [20] et par conséquent, les hommes seront infinis. Si chaque Triade est une Idée, chaque homme individuel sera une Idée aussi ; et si ce n'est pas l'homme individuel, ce seront tout au moins les hommes. Si un plus petit nombre n'est qu'une partie d'un plus grand, et j'entends un nombre plus petit qui serait formé d'unités combinées entre elles dans le même nombre, il en résulte que, la Tétrade en soi étant l'Idée de quelque chose, par exemple, l'Idée du cheval ou de la blancheur, l'homme sera une partie [25] du cheval, puisqu'on suppose que l'homme est une Dyade. § 14. Et puis, il est absurde qu'il y ait une Idée pour le nombre Dix, et qu'il n'y en ait pas pour le nombre Onze, ni pour les nombres suivants. De plus, il existe, et il se produit sans cesse, des choses pour lesquelles il n'y a pas d'Idée. Pourquoi n'y a-t-il pas d'Idée de ces choses? Les Idées ne sont donc pas des causes. Il est absurde, en outre, que le nombre jusqu'à Dix [30] soit plus Être et plus Idée que la Décade en soi, bien que, pour l'unité, il n'y ait pas de génération possible et qu'il y en ait une pour la Décade. § 15. Nos philosophes s'efforcent de restreindre le nombre, comme si, dans les limites de la Décade, le nombre était parfait. Du moins, ils font naître les conséquences des nombres, c'est-à-dire le vide, la proportion, l'impair, et toutes choses semblables à celles-là, dans l'intérieur de la Décade. De ces entités, [35] ils donnent les unes pour des principes tels que le mouvement, l'inertie, le bien, le mal; ils donnent les autres pour des nombres. Voilà pourquoi, à leur sens, l'unité est l'impair; car si l'impair n'était que dans la Triade, comment le nombre Cinq serait-il aussi un nombre impair? Mais les grandeurs, et toutes les choses de cet ordre, ne vont aussi, dans leur système, que jusqu'à une certaine quantité. [1084b] Par exemple, la ligne indivisible est la première; puis, vient la Dyade, et le reste suit jusqu'à Dix. § 16. On peut demander encore, puisque le nombre est séparé, si c'est l'unité qui est antérieure, ou bien si c'est la Triade et la Dyade. Quand on considère que le nombre [5] est un composé, c'est l'unité qui parait antérieure. Mais, en tant que l'universel et la forme sont antérieurs à toute autre chose, c'est le nombre qui est antérieur à l'unité. En effet, chacune des unités forme une partie du nombre à titre de matière; et le nombre représente la forme. En un certain sens, c'est comme l'angle droit est antérieur à l'angle aigu, parce que l'angle aigu se définit par la définition même de l'angle droit ; mais, en un sens aussi, c'est l'angle aigu qui est antérieur, parce qu'il n'est qu'une partie de l'angle droit, et que l'angle droit se divise en angles aigus. Ainsi, l'angle aigu est antérieur comme matière et élément, et l'unité l'est de la même façon. Mais quant à la forme et à la substance exprimée par la définition, c'est [10] l'angle droit qui est antérieur, comme l'est le composé total qui vient de la réunion de la matière et de la forme; car ce composé, résultant de la réunion des deux, se rapproche davantage de la forme et de la définition substantielle, bien qu'on réalité il ne vienne que postérieurement. § 17. Comment donc l'unité peut-elle être un principe? C'est, à ce que disent nos philosophes, parce qu'elle n'est pas divisible. Mais l'universel, le particulier et [15] l'élément sont indivisibles aussi, tout en l'étant d'une façon différente, l'un sous le rapport de la notion, l'autre sous le rapport du temps. Dans lequel de ces deux sens l'unité est-elle donc un principe? Ainsi qu'on vient de le voir, l'angle droit est, à ce qu'il semble, antérieur à l'angle aigu; et réciproquement, celui-ci l'est à celui-là, sans que, ni l'un, ni l'autre, cesse d'être un seul et même angle. C'est de ces deux manières que nos philosophes comprennent que l'unité est principe, Mais c'est là encore une chose impossible; car alors l'unité est, [20] d'une part, forme et substance ; et d'autre part, elle est partie et matière. En quelque sorte, l'une et l'autre unité sont bien chacune dans le nombre ; mais, à dire vrai, c'est en simple puissance, puisque le nombre forme une unité de certaine espèce, et n'est pas seulement un amas confus, et puisqu'un nombre différent est composé d'unités différentes, ainsi que nos philosophes eux-mêmes le reconnaissent. Mais chacune des deux unités n'existe pas dans le nombre d'une manière réelle et complète. § 18. La cause de l'erreur que nos philosophes commettent, c'est qu'ils ont voulu tirer leurs recherches tout à la fois des Mathématiques [25] et des universaux, que les Mathématiques emploient, de telle sorte que c'est en partant de ces données, qu'ils ont considéré l'unité comme un point et un principe; et en effet, l'unité est un point qui n'a pas de position. Ainsi donc, à l'exemple de quelques autres philosophes, eux aussi ils ont composé Ies êtres avec l'élément le plus petit possible. L'unité devient ainsi, pour eux, la matière des nombres, et elle est antérieure à la Dyade, et tout ensemble elle lui est postérieure [30] , la Dyade étant une sorte de Tout, composé de l'unité et de la forme. Mais en cherchant à considérer comme universelle l'unité attribuée à tous les nombres, ils la traitèrent comme une simple partie de ces nombres. Or, il est bien impossible que ces deux qualités puissent simultanément appartenir à une seule et même chose. § 19. Si, au contraire, il n'y a que l'Un en soi qui seul puisse être sans position, car l'Un en soi n'offre aucune autre différence avec le point que celle-là, ou encore celle d'être un principe, et si la Dyade est divisible, tandis que l'unité ne I'est pas, on doit en conclure que l'unité [35] ressemblerait plus que la Dyade à l'Un en soi. Mais, si c'est l'unité qui a cette ressemblance, l'Un en soi serait plus ressemblant aussi à I'unité qu'à la Dyade. Par suite, l'une et l'autre des deux unités de la Dyade seraient antérieures à la Dyade même. Or, nos philosophes le nient absolument; et aussi est-ce la Dyade en soi qu'ils font naître en premier lieu. [1085a] Autre objection : si la Dyade en soi est une sorte d'unité, la Triade en soi en est une aussi; et les deux ensemble font une Dyade. Alors, d'où vient cette Dyade nouvelle? |
§ 1. Dans le nombre et dans l'unité. L'expression du texte est assez obscure; et l'on pourrait comprendre, tout d'abord, qu'il s'agit d'une différence entre le nombre et l'unité. M. Schwegler, d'après Alexandre d'Aphrodise, fait remarquer que ce serait là une erreur, et que la différence dont il est question dans repassage, est seulement la différence qui peut exister entre les nombres les uns par rapport aux autres, et la différence qui peut exister entre les unités, Tout le contexte, d'ailleurs, est d'accord avec cette explication. - Ni l'une ni l'autre de cet alternatives. Le texte n'est pas aussi formel. - De l'une à l'autre. J'ai ajouté ces mots pour éclaircir la pensée. § 2. Sont insensées. L'expression grecque n'est pas moins for-te; et elle s'adresse plutôt aux hypothèses attribuées gratuitement par Aristote à ses adversaires, qu'aux théories mômes que ces adversaires soutiennent. Les conséquences sont absurdes sans doute; mais ce ne sont pas les Platoniciens eux-mêmes qui les tirent de leurs principes. - Elles ne peuvent subir aucune modification. Parce qu'elles sont indivisibles, dit Alexandre d'Aphrodise. - La qualité de produire la quantité. J'ai suivi la leçon donnée par quelques manuscrits, et qu'adoptent MM. Bonitz et Schwegler. - Puisque c'est elle... Sous-entendu : « D'après les Platonicien », qu'Aristote veut critiquer. § 3. Il en peut être autrement. C'est-à-dire, si les unités peuvent présenter quelque différence entre elles. - C'est dès le début. Cette pensée n'est pas très claire. - Comme nous. Le texte n'est pas aussi formel. - Des deux manières indiquées. Sans doute, en quantité et en qualité; voir le § 1. § 4. D'autres philosophes. Alexandre d'Aphrodise ne nous apprend pas quels sont précisément ces philosophes mais, dans d'autres passages, il semble attribuer cette théorie à Xénocrate et à Speusippe; voir plus loin, ch. IX, § 10, et le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise, p. 761, lig. 31. M. Ravaisson, Essai sur la métaphysique d'Aristote, t. 1, p. 178 et 338, n'attribue ces théories qu'au seul Speusippe. - Antérieurement à tous les Uns. Cette formule assez singulière est la traduction littérale du texte. Alexandre d'Aphrodise semble en avoir été étonné également, et il donne une explication grammaticale de ces mots, qui sans doute n'étaient pas ordinaires. D'ailleurs « Une » ne veut dire ici autre chose que « Unités ». § 5. L'unité en soi ne peut plue être le principe des nombres. Alexandre d'Aphrodise en donne pour raison que tout principe doit différer de ce qui le suit, et qu'à ce titre l'unité ne peut composer les nombres mathématiques, puisque, dans ces nombres, il n'y a pas de différence entre les unités. On peut trouver que la suite du contexte semble dire tout le contraire. - Une Dyade première entre les Dyades. Ceci ne paraît être qu'une répétition du § précédent. § 6. Ainsi que le disait Platon. Il serait difficile d'indiquer précisément le passage des dialogues Platoniciens auquel ceci se rapporte; voir le Parménide, traduction de Victor Cousin, p. 41 et suiv. - Qu'il y ait une première Dyade. C'est-à-dire une Dyade en soi, séparée de toutes les dualités réelles, et également séparée de la Triade. - Jamais se combiner entre eux. D'après cette théorie, que combat toujours Aristote, et avec pleine raison, chaque nombre forme une unité il part, et son type premier est une Idée éternelle. - Ainsi que nous l'avons fait voir. Plus haut ch. VII, § 7; et aussi liv. I, ch. VII, § 44. - De l'une ou l'autre façon. Soit d'après la pure théorie Platonicienne, soit d'après la théorie de Platon, altérée par quelques-uns de ses disciples, qui, niant l'existence des Idées, ont admis celle des êtres mathématiques. - Il s'ensuit. Il ne paraît pas que cette conclusion sorte bien rigoureusement de ce qui précède. - Le nombre ne petit pas être quelque chose de séparé. C'est la théorie d'Aristote, et la théorie vraie, que cette discussion prolongée contre les doctrines contraires a contribué à faire triompher. § 7. La troisième explication. Celle qui est attribuée à Xénocrate et à Speusippe. - D'abord... ensuite. Le texte n'est pas aussi formel, mais il me semble que les deux erreurs sont, à la fois, de détruite le nombre mathématique, et d'exagérer encore la théorie des Idées, qu'Aristote juge complètement fausse. § 8. Quant au système des Pythagoriciens. On peut voir ce qu'Aristote a déjà dit du système des Pythagoriciens sur les nombras, ch. VI, § et liv. I ch. V, § 7. - Que les corps soient composés de nombres. C'est la doctrine exposée déjà plus haut, liv. I, ch, VII, § 25. - D'abord, il n'est pas vrai. L'objection n'est pas très claire, parce qu'elle est présentée d'une manière trop concise. Les unités, dont le nombre mathématique se compose, sont nécessairement indivisibles, d'après le système Pythagoricien; or comment, avec des indivisibles, serait-il possible de composer des corps qui sont toujours des grandeurs divisibles. - Comment une grandeur. La grandeur ici, c'est le corps, que les Pythagoriciens prétendent constituer avec des nombres. - Ils adoptent leurs spéculations. Voir la même critique, plus haut, liv. I, ch. V, § 4. § 9. Sous une des formes que nous avons étudiées plus haut. Dans tout le cours de ce chapitre, où Aristote a critiqué successivement la théorie de Platon, celle de Xénocrate et de Speusippe, et celle des Pythagoriciens. - Qui existe en soi. Cette critique peut bien encore n'adresser à la théorie Pythagoricienne, puisqu'en faisant des nombres l'élément constitutif des corps, elle suppose nécessairement que l'élément est distinct des corps qu'il forme; mais il semble que la fin du § ne peut plus s'appliquer aux Pythagoriciens, puisque, de l'aveu même d'Aristote, ils n'ont jamais admis que le nombre fût séparé des choses. - Certains philosophes. Ce ne sont pas les Pythagoriciens, d'après ce qui précède; et il ne peut être question que des Platoniciens. § 10. On peut se demander...... A partir de ce § jusqu'à la fin de ce livre, les pensées se suivent sans avoir presque aucun lien entre elles. MM. Bonitz. et Schwegler ont déjà remarqué ce désordre, auquel il est impossible de porter remède. Ce sont les premiers éditeurs grecs, soit à Athènes, soit à Rome, qui auraient peut-être pu l'éviter. Alexandre d'Aphrodise continue son commentaire sans faire la moindre observation sur ce désordre, qui cependant est frappant. - Si chaque unité vient du Grand et du Petit. Voir plus haut, ch. VII, § 5. C'est la théorie Platonicienne, qu'on peut trouver dans le Phédon, traduction de M. Victor Cousin, pp, 281 et suiv. - Qui ont été rendue égaux. Le grand et le petit, réduits aux mêmes proportions, forment l'unité en soi. Toutes les unités viennent-elles de ce mélange à doses égales? Ou bien telle unité vient-elle du Grand, et telle autre vient-elle du Petit? - De tous les mêmes éléments. Puisque les unes viendront du Petit, et que les autres viendront du Grand. - Qui doit être impaire. Les deux premières unités viennent du Grand et du Petit; mais la troisième d'où vient-elle? Est-ce du Grand, est-ce du Petit? Puisqu'il a été supposé que ce ne peut être de l'assemblage du Grand et du Petit combinés. - Un terme moyen dans tout nombre impair. Ceci n'est pas très clair; mais en effet tout nombre impair peut toujours se diviser en deux. parties égales, plus une unité qui n'appartient, ni a l'une, ni à l'autre des deux moitiés, et qui est eu quelque sorte entre les deux. Alexandre d'Aphrodise ne donne ici aucun éclaircissement. § 11. En second lieu. J'ai dû ajouter ces mots, pour bien marquer qu'il n'agit de la seconde partie de l'alternative, posée au début du § précédent. La première consistait à savoir si les unités peuvent être composées séparément, les unes du Grand, et les autres du Petit. La seconde hypothèse, c'est que toutes les unités sont composées également du Grand et du Petit, rassemblés en certaines proportions. - En quoi différera-t-elle alors de l'unité? Puisqu'elle sera composée absolument comme elle, pour formera son tour une unité indépendante et distincte. - L'unité en soi. Le texte n'est pas aussi précis; mais le sens ne peut être douteux, d'après les explications que donne le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise. - Nos philosophes. Ce sont les Platoniciens. § 12. Le nombre idéal. J'ai ajouté le dernier mot, d'après Alexandre d'Aphrodise; ce mot est d'ailleurs indispensable, comme le prouve le contexte; et c'est là sans doute ce qui aura porte l'auteur à le sous-entendre. M. Bonitz pense qu'il s'agit du nombre ordinaire, et non pas seulement du nombre idéal. - En premier lieu. Ceci est également une addition, pour mieux distinguer les deux cas que suppose Aristote; voir plus loin l'hypothèse où le nombre idéal est considéré comme fini. - La Dyade qui vient s'y ajouter. L'expression grecque n'est pas très claire, et l'on peut comprendre, tout a la fois, qu'il s'agit d'une simple multiplication par Deux, ou dune élévation à la seconde puissance. D'ailleurs, ces observations arithmétiques, dont quelques commentateurs semblent faire peu de cas, me paraissent au contraire fort remarquables, comme début de la. véritable théorie des nombres, telle que nous le comprenons. - Le nombre idéal infini. J'ai fait ici la même addition que plus haut. - D'après la notion essentielle de l'Idée. Le texte n'est pas aussi formel. - C'est ainsi qu'ils classent les Idées. Cette phrase ne semble pas être tout à fait sa place; et il semble qu'elle devrait venir immédiatement après : « Soit de quelque autre chose. » - Que si le nombre idéal est fini. Seconde partie de l'alternative, posée au commencement du §. - Si le nombre idéal. Même observation que plus haut sur l'addition du mot « Idéal ». - Quelques philosophes. Sans doute, quelques Pythagoriciens, mais surtout les Platoniciens, qui sentaient vaguement que Dix est la base de tout notre système numérique, bien que la notation de ce système fût très embarrassée chez les Anciens. - Les Idées et les espèces. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. L'homme en soi n'est qu'une espèce de l'animal en soi, et l'animal en soi n'a pas de nombre dans la Décade, comme l'homme en soi en a un. § 13. Les autres Triades. Qui sont, comme le dit Alexandre d'Aphrodise, soit dans le nombre Six, soit dans le nombre Neuf, composés de deux Triades, de trois Triades, etc., etc. - Et par conséquent, les hommes seront infinis. En supposant que les Triades elles-mêmes soient en nombre infini; ce qu'il aurait fallu dire. - Ce seront tout au moins les hommes. L'expression du texte est bien vague et bien peu précise. Ceci veut dire, sans doute, que l'Idée doit surtout se trouver dans l'universel, plutôt encore que dans l'individuel. Ainsi, il peut y avoir une Idée pour représenter le genre humain; il n'y en n pas pour représenter Socrate ou Callias. - J'entends un nombre plus petit... Alexandre d'Aphrodise n'a pas commenté très nettement ce passage; et il avait peut-être un texte différent du nôtre. - L'homme sera une partie du cheval. Parce que la Dyade en soi, qui représente l'homme, est une partie de la Tétrade qui représente le cheval, sous ce rapport sans doute que l'homme n'a que deux pieds, pendant que le cheval en a quatre, Toute celte discussion est d'une subtilité bien bizarre. § 14. De plus, il existe... des causes. M. Bonitz trouve avec raison que cette phrase interrompt la suite des pensées; et quoique Alexandre d'Aphrodise et Syrien la commentent sans exprimer la moindre hésitation, il est assez probable que cette phrase est interpolée. - Il est absurde, en outre. La série des pensées interrompues un instant reprend régulièrement ici. - Qu'il y en ait une pour la Décade. Parce que la Décade se forme de tous les nombres qui sont plus petits qu'elle, tandis que l'unité est intérieure à tous les autres nombres, qui sont tous plus grands qu'elle. § 15. S'efforcent de restreindre le nombre. Le texte n'est pas aussi précis. - Le nombre était parfait. Sans doute, la série des nombres n'est pas complète avec la Décade; mais c'est la Décade qui est le fondement de toute la numération. - Les conséquences des nombres. Le texte explique lui-même ce qu'il entend par là : « C'est le vide, la proportion, l'impair. » Mais il faut entendre ici le « vide » dans le sens particulier qu'Alexandre d'Aphrodise donne à ce mot, et qu'il avait sans doute dans la langue mathématique des Anciens, Le vide numérique est l'intervalle entre deux nombres de même genre ; ainsi entre 2 et 4 il y a un vide; entre 4 et 6, etc., etc., de même qu'il y a un vide entre 1 et 3, entre 3 et 5, entre 5 et 7, etc., etc. - Dans l'intérieur de la Décade. Sans sortir de la décade et sans dépasser ses bornes. - La ligne indivisible. C'est le point, représenté par l'unité. La ligne proprement dite est représentée par la Dyade, la surface par la Triade, le solide par la Tétrade, etc., etc. - Le reste suit jusqu'à Dix. L'auteur aurait mieux fait de donner le détail de ce qu'il désigne para « Le reste ». § 16. Puisque le nombre est séparé. D'après la théorie Platonicienne, contraire à celle des Pythagoriciens, comme à celle d'Aristote. - La Triade et la Dyade. Prises comme exemples de nombres quelconques. - L'universel et la forme. La suite du contexte explique ce qu'on doit entendre par là. Le nombre est la forme définitive et complète; limité n'est que la matière indéterminée du nombre, en tant qu'elle en est une partie. - De la réunion... de la réunion. Dans ces deux passages, le texte n'est pas aussi formel. J'ai dû le préciser un peu davantage. § 17. Et l'élément. Alexandre d'Aphrodise ne semble pas avoir ces mots dans le texte qu'il commente; et de fait, ils ne paraissent pas indispensables. Aristote oppose ici l'universel et le particulier, comme il vient de comparer l'angle droit et l'angle aigu. - L'un sous le rapport de la notion. C'est l'universel. - L'autre sous le rapport du temps. C'est le particulier; mais la pensée reste ici assez obscure, et l'explication d'Alexandre d'Aphrodise ne l'éclaircit point. - De ces deux sens. Comme notion, ou comme temps. - Ainsi qu'on vient de le voir. Au § précèdent. - Un seul et même angle. L'angle droit reste droit, l'angle aigu reste aigu, quoique tour à tour l'un soit antérieur ou postérieur à l'autre, selon les points de vue d'où on les considère. - Car alors l'unité.... Le texte est moins précis, et il emploie un simple pronom neutre. - Dans le nombre.... dans le nombre. J'ai ajouté ces mots. § 18. Que les Mathématiques emploient. J'ai ajouté ce membre de phrase, en m'appuyant sur le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise. - De quelques autres philosophes. Les philosophes atomistiques, Démocrite, Leucippe et les autres. - Antérieure à la Dyade. Voir plus haut, § 10. - Attribuée à tous les nombres. C'est le sens que je tire des explications d'Alexandre d'Aphrodise. qui comprend que l'unité peut être considérée d'une manière universelle comme renfermant tous les nombres, puisque à elle seule elle les forme tous; et qu'en même temps, on petit la regarder comme une simple partie du nombre qu'elle compose.
§ 19. L'Un en soi. Aristote semble distinguer l'Un en soi de l'unité, et cette
distinction peut se concevoir en ce sens que l'Un en soi est l'unité prise dans
tonte sa généralité, tandis que l'unité simple est la premiers partie d'un
nombre quelconque. Dans la Dyade, il y a deux unités qui sont distinctes, l'une
et l'autre, de l'Un en soi. - Qui seul puisse être sans
position. Le point a eu une position; et l'unité, qui fait partie du nombre, à
tout au moins une position d'antériorité et de postériorité. L'Un en soi est
seul à être sans position. - L'unité ressemblerait plus que la Dyade.... Il
faut se rappeler que là Dyade en soi, considérée comme isolée et indépendante,
forme une sorte d'unité dans l'ensemble des deux unités qui la composent.
- Plus
ressemblant à l'unité qu'à la Dyade. Pour que ceci ne paraisse pas une vérité
trop évidente, on doit se dire, comme je viens de le faire remarquer, que la
Dyade
en moi forme une sorte d'unité, d'après les théorie! qu'Aristote
attribue, plus ou moins justement, aux Pythagoriciens. - L'une et l'autre des
deux unités de la Dyade. Le texte n'est pas aussi formel. - Qu'ils font naître
en premier lieu. D'après le système prêté à l'École de Platon, c'est la Dyade
indéfinie qui est l'origine de tous les nombres. - Cette Dyade nouvelle.
J'ai ajouté l'épithète. On peut trouver que cette dernière objection
est présentée
d'une manière bien concise, et que le chapitre finit un peu brusquement. Toutes ces réfutations
restent pour nous très obscures, parce que nous ne connaissons pas les théories
auxquelles elles s'adressent. Nous n'avons pals toutes les pièces de ce procès,
et il est alors bien difficile de comprendre et de juger. Voir dans la Préface
ce qui est dit des objections d'Aristote contre le Pythagorisme, et même contre
le Platonisme. |
De la formation des nombres ; fausse explication de quelques philosophes; notion de la grandeur; difficultés que présentent toutes ces théories; rapports vrais de l'unité et de la pluralité ; de la notion du point géométrique ; le nombre et la grandeur ne peuvent être séparés des choses; différence du nombre idéal et du nombre mathématique ; confusion des Idées et des êtres mathématiques ; critique spéciale de la théorie des Idées ; citation d'Épicharme; origine réelle de ln théorie des Idées; rôle de Socrate, qui n'adopta pas cette théorie en ce qu'elle sépare les Idées et les choses sensibles; notion fausse de la réalité des choses. |
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§ 1. Un contact quelconque n'étant pas possible entre les nombres, et comme il n'y a de possible pour eux que la succession des uns aux autres, on peut se demander, pour toutes les unités entre lesquelles il n'y a rien d'intermédiaire, [5] par exemple, pour les unités de la Dyade et de la Triade, si ce sont elles qui succèdent à l'Un en soi immédiatement, ou ne lui succèdent pas; et si c'est la Dyade qui succède la première à l'Un en soi, ou si c'est une des deux unités qui la forment. Les mêmes difficultés se présentent pour les autres entités, qui viennent à la suite des diverses espèces du nombre, à savoir la ligne, la surface, le corps ou le solide. § 2. Parmi nos philosophes, les uns tirent ces entités des Idées du Grand et [10] du Petit; et par exemple, les longueurs viennent, selon eux, du long et du court; les surfaces viennent du large et de l'étroit ; les solides, de l'épais et du mince; et de fait, toutes ces différences ne viennent, au fond, que de celles du Grand et du Petit. Quant au principe qu'on prétend trouver, pour toutes ces choses, dans l'unité seule, d'autres philosophes ont des théories fort dissemblables. Mais on y peut signaler aussi une foule d'impossibilités [15] et d'illusions, absolument contraires à tout ce qu'on peut dire de raisonnable sur ce sujet. § 3. Toutes ces entités sont isolées et indépendantes les unes des autres, si leurs principes ne se suivent pas et ne s'enchaînent pas entre eux, de telle sorte que le large puisse devenir, ou étroit, ou long, ou court. Mais si les principes s'enchaînent, la surface peut se réduire à une ligne, et le solide devenir une simple surface. Et puis, comment ces doctrines pourraient-elles se rendre compte de ce que c'est que les angles, les figures géométriques, [20] et tout ce qui s'en rapproche? On commet ici la même erreur que les philosophes à l'égard du nombre. Angles, figures, etc., ce ne sont là en effet que des modifications de la grandeur; ce n'est pas de cela que se compose précisément la grandeur elle-même, pas plus que la longueur n'est composée du droit et du courbe, pas plus que les solides ne se composent du poli et du rude. § 4. Dans toutes ces questions, se retrouve la difficulté commune qu'on rencontre aussi pour expliquer les rapports des espèces et du genre, [25] quand on admet la réalité des universaux, et que l'on a à se demander si l'Animal en soi est dans l'animal qu'on a sous les yeux, ou si l'animal réel est différent de l'Animal en soi. Si, en effet, l'universel n'est pas séparé des choses, il n'y a plus la moindre difficulté. Mais du moment que, comme le prétendent les partisans de ce système, l'Un en soi et les nombres sont séparés des objets, la solution n'est pas facile; si l'on peut dire toutefois, d'une chose qui est impossible, qu'elle ne soit pas facile. [30] Ici, en effet, lorsque l'on pense à l'unité dans la Dyade, ou plus généralement dans le nombre, pense-t-on à l'Un en soi, ou à quelque autre chose ? § 5. Ainsi, les uns font sortir les grandeurs d'une matière analogue à celle qu'on vient d'indiquer; d'autres les font sortir du point, qui, à leurs yeux, ne se confond pas avec l'unité, et qui est seulement quelque chose qui ressemble à l'unité; du point, dis-je, et d'une autre matière qui ressemble à la quantité, sans être la quantité précisément. Mais ces théories présentent tout autant de difficultés [35] que les précédentes. Si cette matière est unique, la ligne, la surface, le solide se confondent ; car, des mêmes choses, il ne peut sortir qu'une seule et même chose. [1085b] S'il y a plusieurs matières, et qu'elles soient différentes pour la ligne, pour la surface, pour le solide, ou ces matières dépendront les unes des autres, ou elles n'en dépendront pas; et de cette façon, on retombe encore dans les mêmes embarras que tout à l'heure. Ou la surface n'aura pas de lignes, ou elle sera réduite à n'être qu'une ligne. § 6. Et puis, comment [5] se peut-il que le nombre se forme de l'unité et de la pluralité, c'est ce qu'on n'essaie même pas de nous expliquer. De quelque façon qu'ils s'y prennent, ils se heurtent aux mêmes objections que nous avons opposées au système qui prétend tirer le nombre de l'unité et de la Dyade indéterminée. Ici, en effet, tel philosophe crée le nombre en le formant de la pluralité prise comme un attribut universel, et non d'une pluralité particulière ; et tel autre philosophe fait bien sortir le nombre d'une pluralité déterminée, mais c'est de la pluralité première, [10] qu'on croit trouver dans la Dyade, prise comme la première pluralité qui soit déterminée. Par conséquent, il n'y a pas, on peut dire, la plus légère différence de part et d'autre; et les mêmes difficultés se représenteront : mélange, position, combinaison, production, des nombres et toutes autres explications analogues. § 7. Ce qu'il faudrait rechercher par-dessus tout, c'est de quoi se compose chaque unité du nombre, si l'on admet que chacune des unités soit Une et indépendante. Certainement, chaque unité ne peut pas être l'Un en soi ; [15] donc il y a nécessité, dans le système de nos philosophes, qu'elle soit composée de l'Un en soi et de la pluralité, ou d'une partie de la pluralité. Dire que l'unité soit une pluralité, c'est tout à fait impossible, puisque l'unité est indivisible. Soutenir qu'elle est composée d'une partie de la pluralité, n'offre pas moins de difficultés également embarrassantes; car il faudrait, alors, de toute nécessité que chacune de ces parties fût indivisible, ou que chacune fût une pluralité, que l'unité devînt divisible, et que, par suite, l'Un en soi et la pluralité [20] cessassent d'être l'élément de l'unité, puisque chaque unité ne se formerait plus de la pluralité et de l'Un en soi. § 8. En soutenant cette opinion, on ne fait absolument que créer un autre nombre d'une nouvelle espèce, puisqu'une pluralité d'indivisibles est un nombre, Mais l'on peut demander encore, aux partisans de cette théorie, si leur nouveau nombre est infini ou fini; car on admettait aussi, à ce qu'il semble, une pluralité [25] finie, d'où venaient les unités finies, ainsi que l'Un en soi. Mais la pluralité en soi et la pluralité infinie sont des choses différentes. Alors, quelle est la pluralité qui est l'élément du nombre avec l'Un en soi? § 9. On peut soulever les mêmes objections, en ce qui concerne le point, et l'élément spécial d'où nos philosophes font naître les grandeurs; car ce n'est pas un seul et unique point absolument qui peut les engendrer. Alors, d'où viendraient chacun [30] des autres points? On ne peut pas, certainement, nous répondre que le point vient d'une étendue quelconque et du Point en soi, puisque les parties de l'étendue ne peuvent pas être des parties indivisibles, comme peuvent l'être les parties de cette pluralité d'où l'on fait venir les unités ; car, si le nombre peut se composer d'indivisibles, les grandeurs n'en sont jamais composées. § 10. Toutes ces considérations, et une foule d'autres [35] qu'on pourrait y joindre, montrent clairement qu'il est bien impossible que le nombre et les grandeurs aient une existence séparée des choses. [1086a] Mais, en outre, les dissentiments même qui éclatent, entre les plus habiles de ces philosophes, sur la nature des nombres, sont la preuve frappante que c'est la fausseté de toutes ces théories qui les jette dans un trouble aussi profond. Les uns, ne reconnaissant que les êtres mathématiques, en dehors des choses sensibles, et remarquant tout ce que la théorie des Idées a d'obscur et de factice, se sont éloignés du nombre [5] idéal, et ont imaginé le nombre mathématique. Les autres, voulant concilier, tout à la fois, les Idées et les Nombres, et ne voyant pas comment, si l'on admet ces principes, le nombre mathématique pourra subsister en dehors du nombre idéal, ont confondu et identifié, mais rien que dans les mots, le nombre idéal et le nombre mathématique. De fait, c'était supprimer le nombre mathématique, que de recourir à des hypothèses qui n'ont plus rien de mathématique [10] réellement, et qui sont uniquement propres à la théorie des Idées. § 11. D'ailleurs, le philosophe qui avait admis le premier l'existence des Idées et celle des nombres, avait eu toute raison de séparer les Idées et les êtres mathématiques; et, par suite, nos philosophes sont tous dans le vrai, à quelques égards, mais ils n'y sont pas d'une manière absolue. Eux-mêmes, du reste, conviennent qu'ils n'ont pas les mêmes théories et que leurs systèmes [15] se combattent. La cause de leurs divisions, c'est que leurs hypothèses et leurs principes sont faux. Or, comme le dit Épicharme : « Il est difficile de parler bien quand on part a de données mauvaises; car, alors, pour peu qu'on parle, l'erreur éclate sur-le-champ à tous les yeux. » § 12. Mais ce que nous avons dit sur la nature des nombres, et sur les questions qu'elle soulève, doit suffire, avec les solutions que nous en avons essayées. Car, s'il est très possible que quelqu'un qui serait déjà [20$ convaincu, le fût encore davantage par une discussion plus développée, la discussion ne pourrait rien absolument sur un esprit qui ne serait pas tout d'abord de ce même avis, § 13. Quant aux principes premiers, aux causes premières et aux éléments, et quant aux opinions de ceux qui se sont occupés de la substance sensible exclusivement, nous avons traité quelques-unes de ces questions dans nos Ouvrages sur la nature; et le reste n'appartient pas à la présente étude. Mais une suite toute simple de nos recherches, c'est d'examiner les théories [25] de ceux qui reconnaissent d'autres substances en dehors des substances sensibles; et puisqu'on a prétendu qu'il existe des Idées et des Nombres dans cette condition, et que leurs éléments sont, dit-on, les éléments mêmes et les principes des êtres, il faut voir ce que pensent précisément ces philosophes, et la manière dont ils soutiennent leurs systèmes. [30] Plus tard, nous étudierons les théories qui n'admettent que des nombres tout seuls, et des nombres mathématiques. Quant à ceux qui défendent les Idées, nous allons, tout à la fois, exposer leurs opinions, et présenter les objections qu'elles provoquent. § 14. Ces philosophes considèrent aussi, tout ensemble, les Idées comme des substances universelles, comme des substances séparées, et comme les substances des choses individuelles. Déjà, [35] nous avons montré combien tout cela est impossible. Ce qui a pu porter les partisans des Idées universelles à réunir confusément ces théories contradictoires, c'est qu'ils n'attribuaient pas les mêmes substances aux choses sensibles. Ainsi, ils supposaient que, pour les choses sensibles, tout est dans un flux perpétuel, et qu'il n'y a rien de permanent en elles; [1086b] et ils soutenaient que l'universel est indépendant des choses, et qu'il en est tout différent. § 15. Comme nous l'avons dit précédemment, c'est Socrate qui suscita cette théorie par ses définitions; mais il se garda bien de séparer l'universel des choses particulières. Certes, il avait toute raison [5] de ne pas le séparer; et ce qui le prouve, c'est l'observation même des faits. Sans les universaux, il est impossible, certainement, d'arriver à la science; mais c'est la séparation de l'universel quia fait naître toutes les difficultés que présente la théorie des Idées. Quant à nos philosophes, ils ont soutenu que, dès le moment qu'outre les substances sensibles exposées à un perpétuel écoulement, il y a d'autres substances, il faut de toute nécessité que ces substances soient séparées. Gomme ils n'avaient pas d'autres substances que les substances prises universellement, ce furent celles-là [10] qu'ils altérèrent en les déplaçant, de telle sorte que, pour eux, les natures universelles et les natures particulières en vinrent à se confondre presque entièrement. C'est là, qu'on le sache bien, la difficulté essentielle et capitale de la doctrine dont nous nous occupons. |
§ 1. On peut se demander... Alexandre d'Aphrodise lui-même trouve ce passage obscur à force de concision; et il s'efforce de l'expliquer le plus clairement qu'il peut. La pensée est celle-ci: « Dans la série infinie des nombres, qui se succèdent les uns aux autres, sont-ce les nombres eux-mêmes, comme Deux, Trois, etc., qui succèdent à l'unité primitive? Ou bien ne sont-ce pas les unités qui composent ces nombres qui succèdent directement à l'Un primitif! Ainsi, dans le nombre Deux, est-ce le nombre Deux lui-même qui succède tout entier à Un? Ou est-ce la première unité de la Dyade qui se lie immédiatement au premier Un en soi? Il en résulte alors que l'Un en soi avec la première unité de la Dyade forme déjà une Dyade, qui est ainsi antérieure à la Dyade elle-même, etc. » - Il n'y a rien d'intermédiaire. Entre les unités qui composent la Dyade, il n'y a pas d'intermédiaire possible; seulement l'une succède à l'autre. - Immédiatement. J'ai ajouté ce mot. - Si c'est la Dyade. Il faut entendre la Dyade dans sa totalité formée des deux unités. l'Un en soi ne signifie pas autre chose que l'Un qui vient avant Deux, et avant chacune des deux unités qui composent ce nombre. - Une des deux unités. J'ai adopté ici la leçon proposée par MM. Schwegler et Bonitz, et qui est tirée du commentaire d'Alexandre d'Aphrodise. - Entités. J'ai dû adopter ce mot faute d'un meilleur. Le grec dit simplement « Les genres qui viennent après le nombre. » § 2. Les uns tirent ces entités... du Grand et du Petit. Voir plus haut, liv. l, ch. VII, § 51; et plus loin, liv. XIV, ch. II, § 10, et aussi ch. III, §§ 9 et 10. - Du Grand et du Petit. Ce qui correspond, selon Alexandre d'Aphrodise, à la Dyade indéterminée quand il s'agit des grandeurs et non plus des nombres. - Les longueurs. Il semble qu'Alexandre d'Aphrodise ait eu un autre texte sous les yeux. Du moins, il parle de la Ligne au lieu des Grandeurs. - Du large et de l'étroit. Autre nuance de la Dyade indéterminée, en ce qui regarde les grandeurs. - Les solides. Même remarque. Il paraît, d'après le témoignage d'Alexandre d'Aphrodise, qu'Aristote, dans son Traité de la Philosophie, attribuait formellement ces doctrines à Platon lui-même. - Dans l'unité. D'autres philosophes de l'École platonicienne tiraient les grandeurs, comme les nombres, de l'unité seule, au lieu de les tirer de la combinaison de l'unité et de la Dyade indéfinie. Aristote condamne également ces deux doctrines. - D'autres philosophes. Alexandre d'Aphrodise ne nous apprend pas quels sont précisément ces antres philosophes; mais on peut présumer que ce sont Xénocrate et Speusippe. - Absolument contraires. Ce jugement est bien sévère. § 3. Isolées et indépendantes. Il n'y a qu'un seul mot dans la texte. - Ne se suivent pas et ne s'enchaînent pas entre eux. Même remarque. Dans le système d'Aristote, les entités géométriques se tiennent toutes entre elles; le point engendre la ligne; la ligne engendre la surface; la surface engendre le solide. Dans le système qu'il réfute, ces entités sont considérées comme indépendantes les unes des autres, ainsi que les unités dans les nombres. - Le large puisse devenir. C'est-à-dire qu'une même chose puisse être, tantôt large ou étroite, tantôt courte ou longue, de telle façon que ces modes de la grandeur se lient les uns aux autres et se succèdent, au lien d'être isolés comme on le prétend. - Mais si les principes s'enchaînent. J'ai tiré ce sens et cette paraphrase du commentaire d'Alexandre d'Aphrodise; le texte n'a qu'un pronom neutre tout indéterminé. - Que les philosophes... du nombre. C'est le sens adopté par M. Schwegler et alors, ce sont évidemment les Pythagoriciens qu'Aristote vent désigner, comme le conjecture M. Schwegler. Mais M. Bonitz repousse ce sens; et il croit qu'il s'agit simplement « des théories sur le nombre ». D'ailleurs, l'expression grecque est peu précise; et le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise ne nous offre aucun secours poux dissiper cette obscurité. - Du droit et du courbe... du poli et du rude. Ceci fait, sans doute, allusion a des théories Pythagoriciennes, qui prenaient les modifications des choses pour les choses elles-mêmes. § 4. Dans toutes ces questions... M. Bonitz trouve que cette phrase interrompt la suite des pensées; et il semble croire que tout ce § n'est qu'une interpolation. L'hypothèse n'est pas invraisemblable; mais Alexandre d'Aphrodise a déjà le texte tel que nous l'avons, et il commente tout ce puisage sans aucune observation, qui puisse en faire suspecter l'authenticité. - Pour expliquer les rapports. Le texte est moins formel. - Quand on admet la réalité des universaux. Ceci est une critique indirecte de la théorie des Idées. - Les partisans de ce système. Ce sont les Platoniciens. - L'en en soi et les nombres. Ceci rentre tout à fait dans la suite des pensées; et si l'auteur s'est écarte un instant de son sujet, il se hâte d'y revenir. - Pense-t-on à l'Un en soi. La pensée reste obscure force de concision ; mais Aristote veut dire que la pensée ne sépare jamais l'unité, des objets auxquels elle l'applique. L'unité n'est que dans la pensée qui la conçoit. § 5. Analogue à celle qu'on vient d'indiquer. Le texte est moins explicite; voir, plus haut. le § 2. La matière des grandeurs est, selon quelques philosophes Platoniciens, le Grand et le Petit, le Large et l'Étroit, le Mince et l'Épais. - D'autres. Ce sont sans doute les disciples de Platon, Xénocrate et Speusippe. Alexandre d'Aphrodise n'est pas plus précis que le texte, et il ne désigne pas nommément les philosophes qui déduisent du point toutes les grandeurs géométriques. - Sans être la quantité précisément. J'ai suivi le sens donné par Alexandre d'Aphrodise, qui trouve ici le texte peu clair, et qui va jusqu'à y proposer une modification. - Tout à l'heure. Voir plus haut § 3. § 6. De l'unité et de la pluralité. C'est toute l'École de Platon qui soutenait cette doctrine; mais elle se divisait en deux nuances; les uns prenant la pluralité d'une manière générale; les autres s'arrêtant à cette pluralité spéciale qu'ils appelaient la Dyade indéfinie, ou indéterminée. - Que nous avons opposées. Voir plus haut, ch. VII, § 5 et 6. - Tel philosophe. C'est sans doute, on un Pythagoricien, ou Xénocrate. - Tel autre philosophe. C'est certainement Platon, qui a soutenu que les nombres viennent de l'unité et de la dyade indéterminée. Voir le Phédon de Platon, traduction de M. Victor Cousin, p. 28 et suiv. - Mélange, position, combinaison... C'est la reproduction fidèle du texte, qui n'est pas plus correct en grec que dans ma traduction. La pensée d'ailleurs n'est pas obscure; et c'est là ce qui m'a engagé à lui laisser cette forme irrégulière et incohérente. § 7. Du nombre. J'ai ajouté ces mots. - Dans le système. Même remarque. J'ai tiré d'ailleurs ces deux additions du commentaire d'Alexandre d'Aphrodise. - De l'Un en soi et de la pluralité. Dans l'une et l'autre doctrine, exposées dans le § précédent. § 8. D'une nouvelle espèce. J'ai ajoute ces mots afin de préciser davantage la pensée, L'objection est ici la même qu'Aristote oppose à la théorie des Idées. « Vous ne faites que multiplier les êtres inutilement, et vous ne les expliquez pas. » Ici, vous créez un nouveau nombre; mais vous n'expliquez pas ce qu'est le nombre, tel que nous le connaissons. - Une pluralité finie. Qui était celle de la Dyade indéterminée. - Qui est l'élément du nombre arec l'Un en soi. Le texte n'est pas aussi développé. § 9. Le point et l'élément spécial. Peut-être ne faut-il pas distinguer, puisque souvent le point et cet élément spécial se confondent; mais, comme le point ne peut pas réellement engendrer la grandeur, que lui-même il n'a pas, il faut, avec le point, admettre un autre élément d'où les grandeurs puissent sortir. - Un seul et unique point. De même que l'on a voulu faire naître, de l'Un en soi, la série tout entière des nombres. - On ne peut pas, certainement, nous répondre. Le texte n'est pas aussi explicite. - D'une étendue quelconque et du Point en soi. Comme on dit que le nombre se forme de l'Un en soi et de la Dyade indéfinie. - Le nombre peut se composer d'indivisibles. Les unités dont le nombre se compose, sont chacune indivisibles, en tant qu'unités, si d'ailleurs le nombre total est lui-même divisible. § 10. Le nombre et les grandeurs. Peut-être eut-il mieux valu dire : « Le principe du nombre et des grandeurs. » - Une existence séparée des choses. Comme l'a cru l'École platonicienne. - Les plus habiles de ces philosophes. Alexandre d'Aphrodite donne ce sens; mais il indiqua aussi une variante qui fournirait un sens un peu différent : « Les divergences entre ces théories diverses. » Le premier sens me parait le plus acceptable. - Ne reconnaissant que les êtres mathématiques. C'est Xénocrate et Speusippe, d'après Alexandre d'Aphrodise. Les autres. Alexandre d'Aphrodise croit que ce sont encore des disciples de Platon; mais il ne les nomme pas. - Mais rien que dans les mots. L'expression grecque pourrait signifier aussi : « Mais rien que rationnellement. » Le sens que j'ai adopté ressort des explications que donne Alexandre d'Aphrodise. § 11. Le philosophe qui avait admis le premier.... C'est Platon. - Sont tous dans le vrai. Le jugement d'Aristote est ici plus doux que d'habitude; en général, il traite l'École de son maître avec une sévérité qui a paru excessive à la plupart des historien. de la philosophie. - Épicharme. Voir plus haut, liv. IV, ch, V,1 § 12, où Épicharme a été déjà cité pour un de ses vers contre Xénophane. La sentence d'Épicharme est d'ailleurs fort juste, et elle s'applique fort bien à toute cette discussion. § 12. Doit suffire. Cependant l'auteur reviendra encore assez longuement sur ce sujet, dans la plus grande partie du livre suivant. Le désordre où est la Métaphysique, telle qu'elle nous est parvenue, explique assez ces contradictions. § 13. Quant aux principes premiers. L'auteur aborde ici une question entièrement différente de celles qui précèdent; il l'a déjà traitée souvent. dans le cours de son ouvrage; et il doit y revenir encore à plus d'une reprise; mais, encore une fois, ce désordre n'a rien qui doive nous étonner. Voir la Dissertation sur la composition de la Métaphysique. M. Bonitz croit qu'il faut commencer ici le livre XIV, comme on le faisait quelquefois dans l'Antiquité, d'après le témoignage de Syrien. Je pense, avec M. Schwegler, qu'il faut laisser les choses telles qu'elles sont, bien qu'évidemment elles soient fort irrégulières. - Dans nos Ouvrages sur !a nature. Il s'agit évidemment de la Physique, où ces questions ont en effet été traitées avec quelque étendue; voir la Physique, liv. 1, ch. VIII, p.476 de ma traduction. Alexandre d'Aphrodise indique par erreur le IIe livre, où ce sujet n'est pas traité. - En dehors des substances sensibles. C'est un examen auquel Aristote s'est déjà livré fort longuement; et la répétition semble peu nécessaire, après tout ce qui n été dit dans une question qui semble épuisée. - Il faut voir.... On pourrait penser qu'il n'y a plus rien à dire dans une discussion qui a déjà tenu une aussi grande place. - Qui n'admettent que des nombres tout seuls. C'est ce que l'auteur a déjà fait., soit en discutant les théories Pythagoriciennes, soit en discutant celles de Xénocrate et de Speusippe. - Nous allons exposer leurs opinions. L'auteur ne parlerait point autrement, s'il abordait ce sujet pour la première fois. Il parle ici de la théorie des Idées d'une manière générale, et il ne restreint même pas sa critique aux rapports que les Idées peuvent avoir avec les nombres. § 14. Déjà nous avons montré. L'auteur, ou plutôt le scholiaste qui a si mal disposé les matériaux de la Métaphysique, sent lui-même que ce ne sont là que des répétitions, qui sont certainement fort inutiles. - Tout est dans un flux perpétuel. Voir l'exposition de cette théorie, liv. 1. ch. VI, §§ 1 et suiv.
§ 15. Comme nous l'avons
dit précédemment. Voir plus haut, liv. I, ch. VI, § 3, et aussi
dans ce livre XIII, ch. IV, §§ 3 et suiv. - Socrate qui suscita
cette théorie. Il semblerait, d'après cotte tournure de phrase,
que Socrate est responsable, du moins en particulier, du système de
Platon; mais il est possible aussi que le mot grec, au lieu du sens
strict de Susciter, ait plutôt le gens de Remuer, de Soulever. Ce
serait alors Socrate qui aurait
«
soulevé ces questions
»
par le soin qu'il donnait à
l'étude des définitions et de l'universel, et qui aurait ainsi
préparé des doctrines fort contraires aux siennes. - Quant à nos
philosophes. C'est Platon et son École. - Qu'ils altérèrent
en les déplaçant. Le texte n'est pas aussi formel. - En
vinrent à se confondre. Les natures universelles étant dans les
choses particulières, et les choses particulières ne subsistant que
par l'universel, ou peut dira que les unes et les autres étaient à
peu près confondues et réunies, contre le gré même des partisans de
la théorie des Idées. - Qu'on le sache bien. J'ai voulu, par
cette addition, rendre toute la force de l'expression grecque. -
Essentielle et capitale. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte.
Cette observation d'Aristote sur la théorie des Idées est de la plus
haute importance ; elle est ici indiquée très brièvement, et il est
à regretter qu'Aristote ne l'ait pas développée davantage ailleurs,
dans quelqu'un de ses ouvrages. |
Suite de la critique de la théorie des Idées; égale difficulté de les admettre et de les repousser; objections dans les deux sens; démonstration sur les lettres prises comme éléments des mots ; par les Idées, on multiplie les éléments des choses à l'infini, et l'on rend dès lors la science impossible; nécessité absolue des universaux pour constituer la science; double sens des mots Science et Savoir, en simple puissance et en acte ; la puissance est la matière de l'universel, et elle est indéterminée: l'acte est toujours déterminé dans un objet individuel; exemples de la vue et de la couleur; les principes sont nécessairement universels ; les deux aspects de la science. |
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§ 1. Il est un point qui embarrasse, à peu près également, ceux qui admettent la théorie des Idées, [15] et ceux qui la repoussent. Nous l'avons indiqué déjà, quand, au début de cet ouvrage, nous avons posé les questions à discuter; mais maintenant, nous croyons devoir y revenir. § 2. Ce point, le voici : nier que les substances soient séparées des choses et qu'elles existent à la façon dont existent les êtres individuels, n'est absolument détruire la substance, ainsi que nous voulons le montrer; et, d'autre part, si l'on admet que les substances sont séparées, [20] alors comment concevoir ce que sont leurs éléments et leurs principes? Si les principes ne sont que particuliers, et s'ils ne sont point universels, les êtres seront, alors, aussi nombreux que les éléments; et, par cela même, les éléments ne seront plus susceptibles de science. Par exemple, supposons que les syllabes dont se forment les mots, soient des substances; et que les éléments des syllabes soient les éléments de ces substances, il faudra nécessairement que la syllabe BA, ou, si l'on veut, [25] toute autre syllabe, soit absolument unique, puisqu'elle n'est pas universelle; et que les syllabes étant de la même espèce, chacune d'elles soit numériquement seule et unique, c'est-à-dire quelque chose de distinct, qui ne soit pas simplement homonyme, puisque aussi bien l'on prétend que chaque chose est seule et unique, en étant, ce qu'elle est par sa condition essentielle. § 3. S'il en est ainsi des syllabes, il en est de même des éléments, ou lettres, dont les syllabes se composent. Il n'y aurait donc pas plus d'un seul et unique A ; et chacune des autres lettres ne serait pas davantage plus d'une, par cette même raison [30] qui fait que, parmi Ies autres syllabes, une même syllabe ne peut pas être successivement différente d'elle-même. Mais s'il en est ainsi, il n'y aura pas d'autres éléments, ou lettres, que celles que nous connaissons ; et il n'y aura que ces lettres toutes seules. § 4. Ajoutez que, dès lors, Ies éléments échapperont à la science, quand on prétend qu'ils ne sont pas universels; car c'est sur les universaux exclusivement que la science se fonde. C'est ce qu'on peut bien voir par les syllogismes, et par les définitions. Le syllogisme, par exemple, ne pourrait pas conclure [35] que les trois angles de tel ou tel triangle spécial, sont égaux à deux droits, si, d'abord, on n'avait point reconnu que tout triangle a toujours ses angles égaux à deux droits. On ne saurait point que tel ou tel homme est un être animé, si d'abord on n'avait pas admis que tout homme est un être animé. [1087a] D'un autre côté, si les principes sont regardés comme universels, ou, même, si c'est d'eux que viennent les substances universelles, il en résulte que ce qui n'est pas substance est antérieur à la substance, puisque l'universel n'est pas une substance, et que l'élément et le principe sont universels. Or, l'élément et le principe sont nécessairement antérieurs aux objets, dont ils sont le principe et l'élément. § 5. Toutes ces conséquences ne sont que parfaitement rationnelles, [5] lorsqu'on admet que les Idées se composent d'éléments, et qu'a côté des substances qui renferment l'espèce en soi et les Idées, on se figure qu'il y a encore quelque unité séparée des choses. Mais rien n'empêche que, comme pour les lettres dont les mots sont formés, il n'y ait plusieurs A et plusieurs B, sans qu'il y ait, cependant, ni d'A en soi outre les A multiples, ni de B en soi outre les B. [10] Et cela suffira pour que les syllabes pareilles soient en nombre infini. § 6. Dans tout ce que nous venons de dire, le point qui peut être le plus contestable, c'est cette assertion que toute science est universelle, et que, par suite, il est nécessaire que les principes des choses soient universels aussi, sans être, cependant, des substances séparées. Cette assertion est vraie sans doute, à un certain point de vue; mais, à un autre point de vue, elle ne l'est pas. § 7. [15] C'est que Science et Savoir sont des expressions à double sens : tantôt, elles signifient l'état de simple puissance, et tantôt, l'état de réalité actuelle. La puissance, en tant que matière universelle et indéterminée, s'applique à l'universel et à l'indéterminé. Mais l'acte, au contraire, est déterminé, en s'appliquant à un objet déterminé; il est telle chose spéciale, dans telle chose aussi spéciale que lui. La vue ne voit la couleur universelle qu'indirectement, parce que cette couleur actuelle qu'elle voit [20] est de la couleur, comme cet A spécial qu'étudie le maître d'écriture est bien un A réel. § 8. Si les principes sont nécessairement universels, il faut nécessairement aussi que les conséquences des principes soient universelles, comme elles le sont dans les démonstrations. Or, s'il en est ainsi, il n'y aura rien de séparé ; et il n'y aura plus de substance. Mais il est clair que, sous un certain point de vue, la science est universelle, et qu'à un autre, elle [25] ne l'est pas. |
§ 1. Il est un point qui embarrasse.... également. Le texte est moins précis; et il ne se sert que d'un pronom neutre indéterminé. - Au début de cet ouvrage. Voir plus haut. liv. III, ch. VI, § 2, et ch. VI, § 2. - Les questions à discuter. Celle-ci n'a pas été proposée positivement; mais elle est implicitement comprise dans plusieurs autres. § 2. Ce point, le voici. L'expression grecque est, encore ici, moins formelle. - Ainsi que nous voulons le montrer. Alexandre d'Aphrodise semble avoir eu sous les yeux un texte différent, qui aurait une négation « Ce que nous ne voulons pas accorder », dit-il, ce qu'Aristote « n'accorderait » point ici, c'est que la substance puisse être séparée. M. Bonitz préfère la leçon vulgaire, et je partage son avis. - Les êtres seront, alors, aussi nombreux que les éléments. Alexandre d'Aphrodise renverse la phrase et il dit : « Les éléments seront alors aussi nombreux que les êtres ». M, Schwegler approuve cette leçon; avec M. Bonitz, je garde la leçon ordinaire. Alexandre d'Aphrodise a pu s'en écarter dans son commentaire, sans que peut-être son texte fût différent. - Supposons que les syllabes... Aristote s'est déjà sert de cet exemple, plus haut, liv. III, ch. IV, § 10; mais cet exemple n'est pas très heureusement choisi, et il n'est pas assez clair. - Soient des substances. L'hypothèse est au moins bizarre. - Soit absolument unique. C'est là le point principal de cette discussion; il n'y n plus qu'une seule et unique syllabe BA, et cette syllabe ne peut plu se répéter dans des note divers, comme elle s'y répète en effet. - Simplement homonyme. C'est-à-dire, qui n'ait de commun que le nom avec les autres choses de ln même espèce. - En étant ce qu'elle est. Le teste n'est pas aussi formel. § 3. Des éléments ou lettres. J'ai ajouté les deux derniers mots, parce que en grec le mot Élément signifie aussi Lettre. En parlant des syllabes, le mot de Lettre est plus clair que celui d'Élément. - D'autres lettres que celles que nous connaissons. Alexandre d'Aphrodise dit positivement: « Les vingt-quatre lettres de l'alphabet grec. » - Il n'y aura que ces lettres toutes seules. J'ai précisé le sens un peu plue que ne le fait le texte; mais je m'appuie sur l'autorité d'Alexandre d'Aphrodise. § 4. Échapperont à la science. C'est la seconde objection qui a été posée au début du § précédent. - Par les syllogismes et par les définitions. Il faut toujours, dans les syllogismes une majeure qui est universelle, affirmative ou négative ; et les définitions sont toujours fondées sur le genre et la différence. De part et d'autre, il y a donc de l'universel. - Ce qui n'est pas substance. C'est le principe qui n'est pus substance, puisque l'universel n'est pas substance à la manière des individus. § 5. Des substances qui renferment l'espèce en soi et les Idées. J'ai suivi ici, en modifiant très légèrement le texte, l'interprétation d'Alexandre d'Aphrodise, qui est très claire. « Les substances réelles représentent l'espèce en soi, qui les fait être essentiellement ce qu'elles sont ; elles représentent, en outre, les Idées, puisqu'elles en participent. A quoi bon, dès lors, supposer quelque chose qui soit séparé des substances? » Je préfère cette explication à celle que propose M. Bonitz, et qui retrancherait deux mots du texte. - Et cela suffira. Il semble qu'il n'y a ici qu'une répétition d'idées, si ce n'est de mots. § 6. Toute science est universelle. Il semble, au contraire, que cette assertion, si souvent répétée, n'a rien de contestable; mais Aristote explique cette difficulté, en faisant la distinction qu'il expose dans le § suivant. - Sans être, cependant, des substances séparées. Selon Aristote, l'universel est dans le particulier ; c'est l'intelligence qui l'y reconnaît, et qui l'y crée en quelque sorte. § 7. En tant que matière universelle et indéterminée. J'ai suivi la leçon proposée par M. Bonitz, bien qu'elle semble avoir contre elle la grave autorité d'Alexandre d'Aphrodise. M, Schwegler adopte la correction de M. Bonitz dans sa traduction; mais il ne l'adopte pas dans son texte.
§ 8. Comme elles le sont
dans les démonstrations. Selon Alexandre d'Aphrodise, ceci
signifie seulement que, si, dans un syllogisme, les deux prémisses
sont universels, la conclusion doit l'être comme elles. - Il n'y
aura plus de substance. Cette phrase, que n'a point commentée
Alexandre d'Aphrodise, est obscure, et elle peut offrir ce double
sens .
«
On qu'il n'y a plus de substance séparée
»
ou
«
que toute idée de substance
est détruite
».
J'incline à cette seconde interprétation :
«
la substance, en devenant universelle, cesse réellement d'être
substance
».
On peut trouver que cette fin du XIIIe livre est bien brusque, et
que, malgré la première phrase du livre suivant, il n'y a aucune
connexion entre les deux derniers livres de la Métaphysique.
On n'a point à s'étonner de ces incohérences, qui se rencontrent
dans toutes les parties de l'ouvrage. On a essayé de les expliquer
dans la Dissertation spéciale, qu'on trouvera au premier volume, à
la suite de la Préface. Je me permets de prier le lecteur de s'y
reporter. Le récit de Strabon montre, de la manière la plus
vraisemblable, d'où a pu venir tout ce désordre, que les Scholiastes
grecs n'ont pas su corriger. |
FIN DU LIVRE XIII DE LA MÉTAPHYSIQUE. |