Paris

MATTHIEU PARIS

 

GRANDE CHRONIQUE : PARTIE V

INTRODUCTION (partie I - partie II - partie III - partie V - partie VI - partie VII)

Œuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

GRANDE CHRONIQUE

MATTHIEU PARIS

 

 

TRADUITE EN FRANÇAIS

PAR A. HUILLARD-BRÉHOLLES,

ACCOMPAGNEE DE NOTES,

ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION

PAR M. LE DUC DE LUYNES,

Membre de l'Institut.

TOME PREMIER.

 

 

précédent

 

Bataille de Breuneville. — Cette même année eut lieu une bataille en plaine,[196] entre Louis, roi de France, et Henri, roi d'Angleterre, de cette façon : le roi de France avait séparé ses troupes en deux corps. A la tête du premier il avait mis Guillaume, fils du duc Robert, frère du roi Henri. Il commandait en personne le second corps d'armée qui composait la plus grande partie de ses forces. Le roi d'Angleterre, Henri, avait formé trois corps de bataille : au premier il avait placé les seigneurs de Normandie ; au second se trouvait le roi avec ses vassaux ; ses fils conduisaient le troisième avec une nombreuse infanterie. Dès que le combat se fut engagé, le premier corps de bataille des Français pénétra parmi les chevaliers normands, les fit tomber de leurs coursiers, et porta le désordre dans leurs rangs. Puis s'élançant, sur la troupe que le roi Henri commandait en personne, les Français allaient la disperser, lorsque le roi d'Angleterre, ralliant courageusement ses soldats, commença à entrevoir un meilleur succès. Alors s'engage une furieuse mêlée. Les troupes des deux rois s'attaquent vivement, les lances sont brisées, el c'est à l'épée qu'on a recours pour combattre. Guillaume Crispin, comte d'Évreux, que peu auparavant le roi Henri avait proscrit pour ses méfaits, frappa deux fois de son épée la tête dudit roi. L'armure et le casque étant de bonne trempe, ne furent pas entamés ; mais la violence des coups fit céder le heaume qui entra dans la tête du roi, en sorte que le sang jaillit en abondance. Henri, se sentant blessé, fut transporté de colère, et attaqua si vigoureusement celui qui l'avait frappé, que d'un seul coup il abattit cheval et cavalier, et qu'aussitôt le comte fut saisi et garrotté aux pieds du roi. Aussitôt le corps d'infanterie que commandaient les fils du roi, et qui n'avait pas pris part au combat vint, lances baissées, attaquer de front les ennemis, et avec tant d'impétuosité, que les Français furent obligés de fuir. Hors d'état de se rallier, ils tournèrent bride et abandonnèrent la victoire au roi Henri. Celui-ci resta sur le champ de bataille, jusqu'à ce qu'on lui eût présenté les principaux seigneurs français prisonniers, le roi Louis s'étant échappé. Le comte de Flandre, mortellement blessé, fut placé sur une litière, et regagna ses états. Le roi Henri retourna à Rouen, où il rentra au son des trompettes et au milieu des chants du clergé. Là il rendit humblement grâces au Dieu des armées.

Faits divers. — Cette même année, Richard d'Aubigny,[197] abbé de l'église de Saint-Albans, rendit le dernier soupir. Il eut pour successeur Geoffroi, prieur de Gorbam, qui fut le seizième abbé de cette église.[198] Cette même année mourut Herbert, évêque de Norwich, et le comte de Flandre, Baudouin, succomba à la blessure qu'il avait reçue au siège d'Eu,[199] en Normandie. Il eut pour successeur Charles, fils de Knut, roi des Danois. Vers le même temps, le pape Calixte vint en Normandie trouver le roi Henri, et l'entrevue entre ce roi illustre et le souverain pontife eut lieu à Gisors

Défaite et mort de Roger d'Antioche. —Victoire de Baudouin II. —A la même époque, Roger, prince d'Antioche, accompagné de trois cents chevaux et de trois mille fantassins, marcha à la rencontre d'une armée de soixante mille hommes, composée de Turcs, de Sarrasins du pays de Damas, d'Arabes, et commandée par trois princes. Mais, dans le combat trop inégal qu'il engagea, il fut tué avec tous les siens ; et il n'en resta pas un seul pour aller annoncer ce désastre aux fidèles. Après leur victoire, les Turcs s'avancèrent jusqu'à deux châteaux, Cerep et Sardonias[200] qu'ils prirent d'assaut. En recevant cette nouvelle, Baudouin, roi de Jérusalem, marcha audacieusement au-devant des ennemis, les attaqua près de Mont-David, quoiqu'il eût peu de troupes contre une si grande multitude, tua quatre mille ennemis, mit les trois chefs sarrasins en fuite, et fit rentrer sous sa domination Cerep et Sardonias. Il poursuivit les ennemis dans leur fuite, et ne cessa d'en faire un grand carnage qu'à l'entrée de la nuit.

Naufrage des enfants d’Henri Ier. — L'an du Seigneur 1120, le roi Henri, après avoir dompté ses ennemis en France et tout pacifié en Normandie, regagna joyeux l'Angleterre; mais ses deux fils, Guillaume et Richard, sa fille, sa nièce, Richard, comte de Chester, les officiers de bouche, les chambriers, les échansons et une foule de seigneurs firent naufrage en pleine mer, le septième jour avant les calendes de décembre. Tous ou presque tous les passagers étaient entachés, assure-t-on, du vice de sodomie : aussi ils périrent tous misérablement et furent privés d'une sépulture chrétienne. Une mort imprévue vint les saisir, et la mer, quoique tranquille et calme, engloutit leurs turpitudes.[201]

Second mariage d’Henri Ier. — Soumission des Gallois. — Faits divers. —L'an 1121, le roi Henri épousa Adélaïde ou Adelise, fille du duc de Louvain, séduit par ses grâces et par sa beauté remarquable. Elle fut sacrée résine par Raoul, archevêque de Cantorbéry, et le jour de la Pentecôte, à Londres, elle s'assit dans un banquet à côté du roi, la tête couverte d'une magnifique couronne. Le roi ayant ensuite mené une armée nombreuse dans le pays de Galles, les Gallois vinrent le trouver en suppliants, et firent la paix en s'en remettant à sa munificence royale. Cette même année le pape Calixte s'empara d'un certain Maurice, dont l'empereur Henri avait fait un antipape, et l'enferma dans un monastère. Cette année, la lune fut obscurcie. A Reading, les moines commencèrent à observer une règle monastique, et une église y fut bâtie. — L'an du Seigneur 1122, Raoul, archevêque de Cantorbéry, et Jean, évêque de Bath, payèrent tribut à la nature. — Vers le même temps, l'émir Balac fit prisonnier Jocelin, comte d'Edesse, et son cousin Galeran.

Mort du chancelier Ranulf. — Mutations dans les évêchés. — Châteaux fortifiés en Normandie. — L'an du Seigneur 1123, le roi des Anglais Henri célébra, à Berkhamsted, les fêtes de la Nativité du Seigneur, et se dirigea ensuite vers Dunstable. Il avait alors avec lui son chancelier nommé Ranulf qui, depuis vingt ans, était tourmenté d'une cruelle infirmité. Mais il n'en était pas moins actif pour commettre tous les crimes, se plaisant à tourmenter les innocents et à dépouiller de leurs possessions les propriétaires légitimes. C'était un bonheur pour lui pendant qu'il languissait de corps, d'exercer au crime la force de son esprit. Comme il avait pris les devants pour préparer les logements, il arriva sur une éminence d'où l'on découvrait le château du roi ; mais là cet homme à l'esprit orgueilleux tomba de cheval, et un moine de Saint-Albans, dont il avait injustement confisqué les terres, fit passer, sans le vouloir, sa monture sur le corps de Ranulf ; quelques jours après, le misérable termina sa détestable vie. Cette même année mourut Robert, évêque de Lincoln, et Alexandre lui succéda. Cette même année, le roi Henri donna l'archevêché de Cantorbéry à Guillaume de Corbeil de Chiche, et l’évêché de Bath à Godefroi, chapelain de la reine. A cette époque, Robert de Meulan quitta le parti du roi, et le roi assiégea et prit son château qui s'appelait Pont-Audemer. Vers le même temps, Henri ceignit la tour de Rouen d'un mur épais et élevé flanqué de bastions ; il fortifia aussi la tour du château de Caen, et rendit inexpugnables les châteaux d'Arqués, de Gisors, de Falaise, d'Argentan, de Domfront, de Hiesmes, d'Avranches(?), de Vauville, de Vire, ainsi que la tour de Vernon.

Captivité de Baudouin II. — Régence d'Eustache Dagrain. — Consécration de Guillaume, archevêque de Cantorbéry. — Cette même année le roi de Jérusalem Baudouin, se dirigea avec une armée sur les terres du comte d'Édesse. Mais pendant la nuit tandis qu'il marchait sans précaution et sans ordre, Balac, prince turc, qui s'était mis en embuscade, fondit sur lui, le fit prisonnier et le garda enchaîné dans un château qu'on appelait Quartapi.[202] Dans cette même forteresse étaient détenus Jocelin, comte d'Edesse et son cousin Galeran, pour la délivrance desquels le roi avait tenté cette expédition. Les seigneurs du royaume de Jérusalem apprenant le revers et la captivité de leur roi, établirent pour administrateur du royaume un certain Eustache Grenet,[203] homme discret et prudent, qui devait régler les affairés de l'état en l'absence du roi. Cependant ledit prince Balac était venu mettre le siège devant Joppé avec seize mille hommes. A cette nouvelle, le patriarche de Jérusalem et le gouverneur du royaume Eustache accoururent avec sept mille soldats, et, conduits par le Dieu de miséricorde, ils mirent tous les ennemis en fuite, leur tuèrent sept mille hommes et s'emparèrent de richesses inestimables qu'ils se partagèrent par portions égales. Cette même année, Guillaume, élu archevêque de Cantorbéry, partit pour Rome, y reçut le pallium, et revint en Angleterre où il fut consacré à Cantorbéry par Guillaume, évêque de Winchester ; Richard, évêque de Londres, à qui cet office revenait de droit, étant mort peu de temps auparavant.

Révolte de Robert de Meulan. — Prise de Tyr. — Faits divers. — L'an du Seigneur 1124, Robert de Meulan se ligua avec Hugues de Montfort, son beau-frère, et Hugues, fils de Gervais, et entra à main, armée sur le territoire de Normandie. Mais Guillaume de Tancarville, camérier du roi, conduisit des troupes contre les rebelles et leur livra bataille. Il s'en empara et les livra au roi Henri qui les mit en prison. Cette même année moururent Théophile, évêque de Worcester, et Ernulf, évêque de Rochester. Cette même année la ville de Tyr ; métropole de la Syrie, fut assiégée, du côté de la mer, par Michel, duc de Venise, et du côté de la terre par les seigneurs du royaume de Jérusalem, le quinzième jour avant les calendes de mars. Le troisième jour avant les calendes de juillet elle fut prise, et la foi chrétienne eut une conquête de plus. Cette même année, le roi de Jérusalem Baudouin sortit de la captivité où le tenaient les Turcs, en donnant des otages, et il revint sain et sauf dans ses états. Le pape Calixte eut pour successeur Honorius. A Winchester eut lieu une exécution de faux monnayeurs.

Scandale causé par le légat Jean de Crème. — Nominations d'évêques — Mort du roi d'Ecosse Alexandre. — Faux monnayeurs. — L'an du Seigneur 1125, Jean de Crème, cardinal du Saint-Siège apostolique, vint en Angleterre avec la permission du roi, et alla d'évêchés en évêchés, d'abbayes en abbayes, non sans recueillir partout de grands présents. Il tint un concile solennel à Londres le jour de la Nativité de la bienheureuse Marie. Là il s'éleva avec force contre le concubinage des prêtres, disant que c'était un crime abominable de coucher côte à côte avec une courtisane, puis de se lever et de prendre le corps de Jésus-Christ ; mais lui-même, après avoir communié ce jour-là, fut surpris le soir avec une courtisane. Ce scandale avéré et irrécusable ternit tout à fait la réputation du prélat. Cette même année, le roi Henri donna à Simon, clerc de la reine, l'évêché de Worcester, à Jean, archidiacre de Cantorbéry, celui de Rochester, à Sifred, abbé de Glaston, celui de Chicester. Cette année aussi Guillaume, archevêque de Cantorbéry, et Turstan, archevêque d'York, disputèrent sur le plus ou le moins de droits que leurs sièges respectifs avaient au rang de primatial. Cette même année, mourut le roi d'Ecosse Alexandre ; il eut pour successeur son frère David, homme d'une sainteté exemplaire et d'une admirable générosité. A cette époque aussi le roi Henri fit saisir tous ceux qui en Angleterre avaient altéré furtivement la monnaie, et ordonna qu'on leur coupât la main droite et les parties de la génération.

Succès de Baudouin II en Syrie. — Dans ce même temps Borsequin, prince d'Orient très puissant, se ligua avec Doldequin, roi de Damas, et après avoir passé l'Euphrate, et avoir ravagé le territoire d'Antioche, il assiégea et prit le château de Caphardan.[204] De là il marcha sur le bourg fortifié d'Harsad qu'il assiégea. A cette nouvelle le roi Baudouin, qui gouvernait en même temps le royaume de Jérusalem et la principauté d’Antioche, se dirigea de ce côté en toute hâte avec des troupes; il rencontra les ennemis occupés au siège d'Harsad, rangea ses soldats en bataille, se jeta sur les Sarrasins avec fureur, et, favorisé par la grâce divine, il les mit tous en fuite et remporta une victoire complète. Deux mille d'entre les ennemis restèrent sur la place et furent enterrés dans l'enfer. Le roi, avec l'argent que son épée lui procura, racheta des fers des Turcs sa fille âgée de cinq ans, qu'il avait donnée en otage pour obtenir sa propre délivrance. De là il revint en Palestine, fit quelques dégâts autour d'Ascalon, tua une troupe de Turcs qu'il rencontra, et rentra vainqueur à Jérusalem.

Serment prêté à Mathilde, veuve de l'empereur Henri V. —L'an du Seigneur 1126, Henri, empereur des Romains, mourut et eut pour successeur Lothaire, qui régna douze ans. Alors l'impératrice Mathilde vint retrouver son père Henri et habita dans son palais avec la reine. Le roi chérissait vivement Mathilde, car c'était son unique héritière. Vers l'époque de la fête de saint Michel il emmena avec lui en Angleterre sa dite fille, veuve (comme nous l’avons dit) d'un si grand monarque ; et bientôt tous les seigneurs d'Angleterre et de Normandie, rassemblés par ordre du roi, jurèrent fidélité à Mathilde tant pour le duché de Normandie que pour le royaume d'Angleterre. Le premier qui prêta ce serment fut Etienne, comte de Blois, fils du comte de Blois et d'Adèle, sœur du roi Henri.

Les prétentions de l'archevêque d'York sont écartées. — Guillaume Cliton en Flandre. — L'an du Seigneur 1127, aux fêtes de Noël le roi Henri tint sa cour à Windsor. Là, comme Turstan, archevêque d'York, prétendait avoir le droit de couronner le roi au préjudice de Guillaume, archevêque de Cantorbéry, sa demande fut écartée tout d'une voix, et son porte-croix, dont il s'était fait précéder dans la chapelle du roi, fut chassé de cette chapelle lui et la croix dont il était chargé. Dans ce même lieu des députés vinrent trouver le roi et lui dirent : Charles, comte de Flandre, que tu aimais, vient d'être tué dans une église à Bruges,[205] par l'horrible trahison des seigneurs de ses états. Le roi de France a donné le comté à Guillaume, fils de ton frère, ton neveu et ton ennemi ; il y est déjà bien affermi, et il a fait périr dans divers supplices les meurtriers du comte Charles. À ces paroles le roi Henri ressentit une vive inquiétude, car il connaissait Guillaume pour un jeune homme vaillant et intrépide, et qui avait juré de lui enlever à lui, Henri, l'Angleterre et la Normandie qui lui revenaient, disait-il, de droit héréditaire. Vers ce même temps, après la mort de Richard, évêque de Londres, Gilbert Universel lui succéda et fut consacré par Guillaume, archevêque de Cantorbéry.

Départ de Foulques d'Anjou pour la Terre-Sainte. — Son fils Geoffroi épouse Mathilde. — Succès du jeune Bohémond — Fondation de l’abbaye des Fontaines. — Cette même année, Foulques, comte d'Anjou, partit pour Jérusalem sans intention de retour, et remit son comté à son fils Geoffroi, surnommé Plantagenest, jeune homme gracieux et de bonne mine. Il arriva heureusement à Jérusalem, terme de son pèlerinage, et fut reçu avec grande joie par le roi Baudouin qui lui donna sa fille aînée en mariage, et avec elle l'espérance de lui succéder après sa mort. Le roi d'Angleterre Henri, apprenant cette nouvelle, passa en Normandie et fit épouser sa fille l'impératrice audit Geoffroi, comte d'Anjou. — A cette époque mourut Richard, évêque de Hereford. — Vers le même temps Bohémond, fils du grand Bohémond, passa en Syrie, reçut des mains de Baudouin, roi de Jérusalem, la principauté d'Antioche son patrimoine, et épousa la seconde fille de Baudouin. Puis ce même Bohémond alla assiéger le château de Caphardan, dont il s'empara et où il tua tous les Turcs qu'il y trouva. Vers la même époque, le jour de saint Jean évangéliste, pendant les fêtes de Noël, le prieur, le sous-prieur et plusieurs obédienciers de l'abbaye de Sainte-Marie d'York la quittèrent avec la permission de l'abbé. Ils étaient treize, décidés à chercher une demeure convenable pour y vivre dans une retraite absolue et changer leur régie, à l'exemple de ces moines noirs fondateurs de l'ordre de Cîteaux, à qui une voix venue du ciel avait crié : Ciestanus,[206] ce qui veut dire: Arrêtez-vous ici. Les treize émigrants, arrivés dans un lieu affreux et complètement désert (c'est une vallée profonde et cachée éloignée de Ripon d'environ trois milles), s'y fixèrent, y vécurent dans la plus grande pauvreté et y bâtirent une église qui fut appelée des Fontaines, à cause de quelques sources d'eau qu'ils y trouvèrent. Ce monastère s'accrut Bientôt en nombre et en richesses.

Diversion d’Henri Ier en France. — Valeur et mort de Guillaume Cliton.[207] — Faits divers. — L'an du Seigneur 1128, le roi des Anglais entra en France à main armée, parce que le roi de France Louis favorisait le comte de Flandre, neveu et ennemi de roi. Il campa huit jours devant Epernon[208] aussi paisiblement que s'il eût été dans son propre royaume, et empêcha le roi de France de porter secours au comte de Flandre. Pendant ce temps il s'amusa à questionner un savant clerc, Français de nation, et à lui demander de quelle famille descendait le roi Louis. Le clerc répondit : Très-puissant roi, les Français, comme la plupart des nations de l'Europe, tirent leur origine des Troyens. Puis il se mit à lui dérouler, depuis les deux œufs [de Léda], toute la généalogie des rois de France, et il termina en disant : Philippe, roi de France, a engendré Louis, aujourd'hui régnant ; et s'il suivait les traces de ses vaillants ancêtres, tu ne serais pas maintenant si tranquille dans son royaume. Le roi sourit et revint en Normandie. A cette époque un duc allemand, nommé Thierry, vint en Flandre avec une armée à l'instigation du roi Henri, et attira dans son parti plusieurs seigneurs flamands. Le comte Guillaume marcha à sa rencontre avec peu de troupes réglées. On se battit bravement des deux côtés ; mais le comte de Flandre suppléait au petit nombre des siens par son invincible valeur. Tout couvert de sang sur son armure, il séparait les bataillons serrés avec son épée foudroyante ; aussi les ennemis ne pouvant supporter le poids de son bras terrible, prirent ta fuite et se dispersèrent de côtés et d'autres. Cependant le comte Guillaume, après sa victoire, vint assiéger le château d'Eu, qui tenait pour le roi Henri : la veille du jour où ce château devait se rendre, au moment où ses ennemis allaient être soumis, cet intrépide jeune homme reçut un coup de flèche à la main et mourut de cette légère blessure. Mais la mort n'a pas éteint sa renommée qui est éternelle. Cette même année moururent Ranulf, évêque de Durham, et Guillaume, évêque de Winchester. C'est jusqu'à cette époque que maître Hugues de Saint-Victor a conduit sa chronique.

Concubinage des prêtres. — Mort de Philippe, fils aîné de Louis VI. — Combat d’oiseaux dans les airs. — L'an du Seigneur 1129, Honorius occupait la chaire romaine depuis cinq ans et deux mois. Cette même année, le roi Henri tint un grand concile à Londres aux calendes d'août, pour interdire le concubinage aux prêtres. Guillaume, archevêque de Cantorbéry, Turstan, archevêque d'York et leurs suffragants, étaient présents à ce concile. Henri trompa tous les prélats, grâce à l'imprévoyance malhabile de l'archevêque de Cantorbéry. En effet, le roi obtint haute justice sur les concubines des prêtres ; mais cette affaire devait se terminer par un grand scandale, car le roi gagna beaucoup d'argent en vendant aux prêtres le droit de garder leurs concubines. Alors, mais trop tard, les évêques se repentirent de la permission qu'ils avaient accordée, quand il devint évident aux yeux de tous que les prélats étaient joués et que la dignité de l'église était compromise. Cette même année Henri, abbé de Glaston et neveu du roi Henri, fut créé évêque de Winchester, Robert fut nommé à Hereford et un autre Robert à Lincoln. Cette même année, Philippe, fils du roi de France, qui tout récemment, après la mort de son père,[209] avait ceint le diadème, mourut par accident. Tandis qu'il exerçait son cheval en se jouant, il rencontra un porc qui se jeta entre les jambes de coursier qui était lancé. Le jeune roi tomba par terre et se brisa la tête. Cette même année parut en Normandie une innombrable quantité d'oiseaux qui, volant par bandes et occupant dans les airs un vaste espace, se mirent à se battre et à se déplumer horriblement; c'était là probablement le présage du schisme futur qui allait partager l'église entre deux prétendants au Saint-Siège.

Schisme à Rome. —Arrivée d'Innocent II en France. — Faits divers. — L'an du Seigneur 1130, après la mort du pape Honorius, les Romains se divisèrent; les uns élurent Innocent, les autres Anaclet. Anaclet, aidé par ses deux frères qui étaient fort puissants, et qui avaient sous leurs ordres le château de Crescence,[210] resta maître de Rome. Innocent, chassé par les Romains, passa dans la Cisalpine et de là en France, où il fut reçu avec honneur, à Chartres, par le roi Henri. Après les fêtes de Pâques, Henri le reçut de nouveau à Rouen, et sous son patronage,[211] Innocent fut reconnu dans toute la France et proclamé pape unanimement. Aidé par l'influence du roi d'Angleterre, il couronna roi à Reims Louis, frère de Philippe, roi de France qui venait de mourir. Dédicace de l'église du Christ, à Cantorbéry. Nomination d’Hugues, abbé de Reading, à l'archevêché de Rouen. Vers le temps de la Nativité de la très sainte Vierge, le roi remit sa fille l'impératrice aux mains de son époux, le comte d'Anjou, Geoffroi.

Baudouin II règle la succession à Antioche. — Cette même année, Redouan prince d'Alep, entra à main armée sur le territoire d'Antioche, et tua par l'épée Bohémond, prince de la ville, qui avait marché contre lui pour arrêter ses progrès. Le roi de Jérusalem, appelé par les habitants d'Antioche qui imploraient ses secours dans un pareil désastre, se mit en marche à grandes journées, et réduisit Redouan à la fuite ; puis il donna à sa fille en dot Laodicée et Gabula, exigea des habitants le serment qu'après sa mort la principauté d'Antioche serait remise à la fille de Bohémond encore au berceau, et regagna Jérusalem.

Mort de Baudouin II. —L'an du Seigneur un synode général fut tenu à Reims. Le pape Innocent mourut,[212] et eut pour successeur le pape Innocent II, qui fit la dédicace de l'église de Cluny. Le roi de Jérusalem, Baudouin, brave chevalier, tomba gravement malade, et sentant que la mort s’approchait, il appela auprès de lui son gendre, sa fille et leur enfant appelé Baudouin, alors âgé de deux ans. Il leur donna plein pouvoir et leur remit l'administration du royaume. Puis après avoir rempli tous les devoirs qui sont d'un bon chrétien, il rendit l'âme et alla recevoir, ainsi que ses pieux prédécesseurs, les récompenses éternelles. Foulques, son gendre, illustre chevalier, fut couronné roi après lui, et reçut le diadème le jour de l'exaltation de la sainte croix.

Création de l'évêché de Carlisle. — Naissance d’Henri Plantagenêt. — Évêché de Chester. — L'an du Seigneur 1132, le roi Henri créa un nouvel évêché à Carliste sur la limite de l'Angleterre et du Galloway ; il y établit pour premier évêque un certain Athelulf, prieur de Saint-Oswald, qui était son confesseur ordinaire. Le nouveau prélat institua des chanoines réguliers dans l'église de son siège, et s'occupa d'en agrandir les domaines. Cette même année, de Geoffroi surnommé Plantagenet, comte d'Anjou, et de la fille du roi Henri, naquit un fils qu'on appela Henri. A cette nouvelle, le roi convoqua ses barons, et leur fit reconnaître pour ses successeurs sa fille et les héritiers à naître d'elle. Cette même année, mourut Robert, surnommé Péché, évêque de Chester, qui, avec la permission du roi Henri, avait transporté son siège épiscopal à Coventry, et en avait fait la capitale de la Mercie. Il eut pour successeur Roger, archidiacre de Lincoln ; cet évêché a trois sièges encore aujourd'hui : c'est indifféremment Chester, Lichfield ou Coventry.

Victoire de Foulques, roi de Jérusalem. — Affaires de Palestine. — Cette même année, une multitude de Turcs traversa le fleuve Euphrate et vint camper sur le territoire d'Antioche. Foulques, roi de Jérusalem fut appelé contre eux par les habitants d'Antioche. Il arriva avec une armée, attaqua les ennemis avec impétuosité et en tua trois mille. Ceux qui survécurent n'échappèrent que par la fuite. Les nôtres, après leur victoire, rentrèrent à Antioche avec un si riche butin, que l'abondance engendrait le dégoût. Pendant ce temps, le patriarche de Jérusalem conduisit les milices de la ville à Nobe, appelée aussi vulgairement Bétonoble[213] et y fit construire le château Bernard. A la même époque, Raymond, comte de Poitiers, épousa Constance, fille de Bohémond-le-Jeune, et devint prince d'Antioche. Vers le même temps, Foulques, roi de Jérusalem, rebâtit l'ancienne ville de Bersabée qui est éloignée d'Ascalon d'environ douze milles.

Tremblement de terre. — Guérison miraculeuse. — Faits divers. — L'an du Seigneur 1133, l'Angleterre fut couverte de ténèbres, et il y eut un tremblement de terre. Le soleil devint semblable à la lune dans son troisième quartier. Le roi Henri passa la mer à la fin de l'année,[214] et envoya à Reading une main de saint Jacques. Cette même année, un écolier était jour et nuit tourmenté d'une maladie aiguë qui le faisait pleurer et crier comme une femme en mal d'enfant. Plusieurs fois il invoqua avec dévotion la bienheureuse mère de Dieu. Une nuit, au plus fort de ses douleurs, il aperçut devant lui la bienheureuse Vierge, mère de Dieu, qui exauçait sa prière et qui lui apparaissait vêtue d'habits blancs. Elle tendit la main au malade, et dès qu'elle eut touché le corps du jeune homme tremblant, il fut guéri et aussi bien portant qu'auparavant. Cette même année, tous les chevaliers du Temple de Dieu furent tués. Cette même année, après là mort de Harvey, évêque d'Ely, le roi donna cet évêché à Nigel,[215] et celui de Durham à son chancelier Geoffroi.

Second fils de Mathilde. — Mort de Robert Courteheuse. — Maladie de Mathilde. — L'an du Seigneur 1134, l'impératrice Mathilde accoucha d'un fils qu'elle appela Geoffroi. Aussi le roi Henri Ier passa en Normandie, où il séjourna, tant il était joyeux d'avoir un petit-fils. Vers le même temps moururent, pendant leur voyage à Rome, l'évêque de Landaf, et Gilbert, évêque de la ville de Londres. Voici ce qui se passa aussi cette année : Notre Seigneur Jésus-Christ, qui désire que tout le monde fasse son salut, avait laissé au duc Robert bien assez de temps pour se repentir et s'humilier, car celui-ci avait passé près de trente ans captif et séquestré des choses de ce monde ; mais il abusa de ce bienfait de Dieu : l'orgueil et le fiel remplissaient son âme; il se consumait en plaintes et en imprécations, tandis qu'il aurait dû se soumettre à Dieu et implorer continuellement sa miséricorde. Éprouvé par tant de malheurs et déjà vieux, il eût bien mieux fait de répéter sans cesse et en pleurant : Je souffre avec justice, j'ai même mérité de plus grands maux : car dans le pays sanctifié par Dieu j’ai eu l’audace de rejeter son joug qui est doux, et de ne pas courber mes épaules sous son fardeau qui est léger : j'ai refusé l'honneur que le ciel m'accordait. Mais rien de tout cela ne sortait de cette bouche arrogante. Un jour de fête le roi Henri revêtit une robe neuve d'écarlate. Or il avait coutume d'envoyer gracieusement à son frère une pièce de l'étoffe dont il se couvrait lui-même. En essayant la cape[216] il trouva trop étroite l'entrée du capuce, qu'on appelle ordinairement en France chaperon[217] ; il voulut forcer, mais fit partir un point de couture ; aussitôt il la défit, en disant : Qu'on porte à mon frère cette cape dont je lui fais don : il a la tête plus petite que moi. Quand on l'eut apportée à Robert, et qu'il la revêtit à son tour, il s'aperçut que la couture avait craqué, car le tailleur n'avait pas pris la peine de recoudre l'étoffe, tant c'était peu de chose. Le duc se prit à dire : Quelle est donc cette déchirure que je sens là ? Celui qui lui avait apporté la robe lui raconta tout au long ce qui était arrivé. Robert alors, comme si on lui avait enfoncé un poignard dans le cœur, entra dans une colère frénétique, et s'écria : Hélas ! hélas! j'ai trop vécu : que trainé-je encore ma malheureuse vie? Voyez, voyez : mon frère, ce traître félon qui m'a supplanté, moi son aîné, ce lâche, ce beau clerc, qui détient mon héritage injustement, qui m'a mis en prison, et qui de plus m'a crevé les yeux, à moi que tant d'exploits avaient illustré, voici qu'il me méprise et me traite en vilain ; voici qu'il me donne en aumône, comme à son prébendier, de vieux vêtements et des haillons décousus. Puis il se mit à gémir et à pleurer, et désormais il ne voulut plus ni manger ni boire. Sa douleur lui rongea, le cœur, et il expira. Cette nouvelle ne causa pas grande peine au roi : cependant il le fit enterrer avec honneur dans l'église du couvent de Gloucester. —Vers le même temps, l'impératrice, fille du roi, tomba dangereusement malade des suites de l’enfantement laborieux de son dernier fils. Mais cette princesse prévoyante distribua largement ses trésors aux veuves, aux orphelins, aux églises, aux monastères, et échappa au péril de mort.

Mort et funérailles d’Henri Ier. — L'an du Seigneur 1135, le roi, pendant son séjour en Normandie, en revenant de chasser dans la forêt de Lions, s'arrêta à Saint-Denis [le Gast]. Là il mangea de la chair de lamproies, mets qui lui faisait toujours mal et qu'il aimait au-dessus de toute chose. En vain les médecins lui avaient-ils défendu d'en manger : le roi ne voulut pas écouter leur conseil salutaire. Cette nourriture, qui engendre des humeurs vicieuses, et qui donne plus d'action aux humeurs de même nature, refroidit mortellement ce corps épuisé par l'âge, et porta tout à coup perturbation dans les organes. Mais la nature luttant contre le mal, il en résulta une fièvre aiguë. Le roi ne pouvant digérer cet aliment trop lourd pour son estomac, ni résister à la violence du mal, expira le premier jour de décembre, après avoir régné trente-cinq ans et trois mois. Sa mort fut annoncée par un vent violent qui s'éleva la veille de la fête des apôtres Simon et Jude, qui renversa les tours et les édifices, déracina les arbres, et semblait prêt à bouleverser le monde. Il y eut cette année une éclipse de lune, le quatrième jour avant les calendes d'août. Le roi Henri fonda les monastères de Reading, de Circester, du Pré, un peu en avant de Rouen, et de Mortemer. Il éleva à grands frais vingt-cinq bourgs fortifiés, sans compter les tours et les châteaux. Le corps du roi resta plusieurs jours exposé à Rouen, sans être enseveli. Cette ville garda ses entrailles, sa cervelle et ses yeux. Le reste du corps fut entaillé profondément, et salé, à cause de l'odeur fétide qui s'en exhalait, et qui était insupportable pour les assistants; puis on l'enveloppa dans des peaux de bœufs. On dit que le médecin qui, sous promesse d'une grande récompense, lui avait ouvert la tête avec une hache pour en extraire la cervelle, la trouva si corrompue, que malgré les linges dont la tête était enveloppée, l'odeur le fit tomber mort et le priva de ce salaire sur lequel il comptait à tort. Ce fut là le dernier homme tué par le roi Henri. De Rouen, le corps du roi fut porté à Caen, où reposait Guillaume son père. Tandis que le cadavre du roi était exposé dans l'église devant le tombeau de son père, l'humeur noire et fétide qui en sortait traversa les cuirs de bœufs, et dégoutta dans des vases que les serviteurs avaient placés sous la bière. Ce spectacle glaça d'horreur ceux qui en furent témoins. Enfin le cadavre du roi fut transporté en Angleterre, et enseveli pompeusement, en présence des archevêques, des évêques et des seigneurs, au temps de Noël, dans l'église de Reading, que lui-même avait fondée.

ETIENNE DE BLOIS.

Etienne est reconnu roi et couronné malgré le serment prêté à Mathilde. — Le roi Henri Ier venait de mourir, comme nous l'avons dit, et ses restes n'étaient pas encore ensevelis, lorsque Etienne, son neveu, fils de sa sœur Adèle, épouse de Thibaud, comte de Boulogne, et frère de Thibaud-le-Jeune, comte de Blois, seigneur célèbre par sa bravoure et son intrépidité, tenta Dieu et s'empara du diadème, quoiqu'il eût fait à l'impératrice serment de fidélité pour le royaume d'Angleterre. En effet, après avoir réuni à Londres les grands du royaume, il promit d'améliorer les lois selon la volonté et le désir de chacun. Guillaume lui-même, archevêque de Cantorbéry, qui, l'un des premiers, avait fait à l'impératrice serinent de fidélité pour le royaume d'Angleterre, consacra Etienne comme roi, vingt-deux jours après la mort de son oncle. Bien plus, pour Je dire en un mot, tous les seigneurs, tant comtes que barons, qui avaient juré fidélité à la fille du roi et aux héritiers nés d'elle, donnèrent leur consentement à l'élection d'Etienne, disant qu'il était honteux pour tant de nobles chevaliers d'être sous les ordres d'une femme. Enfin Hugues Bigod, sénéchal du roi Henri, assura, sous la foi du serment et en présence de l'archevêque de Cantorbéry, que le roi, se trouvant à l'extrémité, avait déshérité Mathilde et nommé Etienne pour son successeur. Aussi le jour de Saint-Etienne, du consentement de tous, ledit Etienne reçut le diadème à Westminster des mains de Guillaume, archevêque de Cantorbéry. Il fut proclamé roi au milieu des acclamations, et célébra son avènement par des fêtes magnifiques. Après la cérémonie de son couronnement, et après qu'on lui eut prêté hommage, le roi Etienne se rendit à Oxford où il confirma les promesses qu'il avait faîtes à Dieu, au peuple et à la sainte église, le jour de son couronnement. Voici quelles étaient ces réformes : il jura, en premier lieu, de ne pas garder dans sa main les églises après la mort des évêques, mais de consentir aussitôt à l'élection canonique de leurs successeurs, et de les investir sans délai dès qu'ils seraient élus. Il jura, en second lieu, de ne garder dans sa main les forêts de personne, soit clerc, soit laïque, comme le roi Henri l'avait fait, lui qui, chaque année, avait traduit en justice ceux qui chassaient dans leurs propres forêts, et ceux qui, pour leurs besoins particuliers, arrachaient leur bois ou le coupaient. Cet odieux moyen de vexer tes propriétaires en était venu au point que, si les voyeurs[218] royaux apercevaient de loin une forêt à quelque homme riche, ils interdisaient aussitôt le droit de gast,[219] soit que le propriétaire l'exerçât ou non, afin de pouvoir lui imposer une amende non méritée. Etienne jura enfin de remettre chaque année,[220] à l'avenir, les différents droits pécuniaires que ses prédécesseurs s'étaient arrogés. Voilà ce qu'il spécifia. Il fit encore d'autres promesses générales; mais il ne tint aucun de ces engagements, contractés devant Dieu. Cette même année, l'église de Saint-Paul fut consumée par un incendie qui se déclara près du pont, et qui s'étendit jusqu'à l'église des Danois.[221] Le jour où ce même Etienne, aborda en Angleterre ; on entendit, dans tout le pays (ce qui n'arrive pas ordinairement en hiver), d'horribles éclats de tonnerre accompagnés d'éclairs effrayants, en sorte que le monde semblait près de retomber dans le chaos.[222]

Le roi Etienne, en présence de l'archevêque et de deux évêques, ceux de Winchester et de Salisbury, recueillit tous les trésors que son oncle avait amassés, et qui consistaient en cent mille livres sans compter les vases d'or et d'argent et les pierres précieuses.

Faits divers. — Arrivée du comte de Gloucester. — L'an du Seigneur 1136, le corps du roi Henri fut déposé dans un magnifique mausolée en présence du roi Etienne, par Guillaume, archevêque de Cantorbéry. Henri, évêque de Winchester, enleva à l'abbaye de Reading la main de saint Jacques. Cette même année après Pâques, le comte de Gloucester, nommé Robert, arriva en Angleterre. Le roi Etienne redoutait fort son habileté et son influence. Dès qu'il apprit son arrivée, il se fît jurer fidélité par les évêques, et jura de son côté qu'il maintiendrait les libertés ecclésiastiques et les bonnes lois, et il en dressa une charte. Le comte Robert ne lui fit hommage qu'à condition qu'il conserverait ses privilèges intacts, à peu près comme dans cette ancienne formule : Tant que je serai pour vous un sénateur, vous serez pour moi un empereur.

Invasion du roi d'Ecosse. — Premières révoltes. —Vers le même temps, David, roi d'Ecosse, qui avait promis fidélité à l’impératrice, entra avec une armée sur le territoire anglais, s'empara de Carliste et de Newcastle sur la Tyne, et mit garnison dans ces deux places. Le roi Etienne leva contre lui des troupes nombreuses, et rencontra le roi d'Ecosse près de Durham ; mais ils s'accordèrent : le roi David lui rendit Newcastle et garda Carlisle de l'aveu d'Etienne. Mais le roi d'Ecosse ne fit pas hommage au roi Etienne, parce qu'il avait juré fidélité à la fille d’Henri qui était aussi sa nièce. Seulement le fils de David devint l'homme d'Etienne, qui lui donna en possession perpétuelle la ville de Hundington. Le roi, de retour dans ses états, tint sa cour à Londres pendant les solennités de Pâques. Jamais on n'avait vu en Angleterre réunion plus magnifique, tant par l'or et par l'argent, que par les pierreries et les vêtements précieux. — Vers l'époque de l'ascension de Notre-Seigneur, le bruit se répandit que le roi était mort, et alors le trouble commença à se mettre dans le royaume. Hugues Bigod se saisit du fort de Norwich, ne voulut le rendre qu'au roi en personne et encore à contrecœur. Dès lors l'esprit de révolte se glissa parmi les Normands; mais le roi sut résister avec vigueur, et pour commencer il s'empara du château de Badington, qu'un traître, nommé Robert, avait surpris. De là il alla assiéger Oxford que Baudouin de Reviers occupait ; mais le château et la ville ne furent rendus qu'après un long et pénible siège. Le roi, par une démenée hors de saison, ne chercha pas à se venger de ceux qui l'avaient trahi. Aussi plus tard se soulevèrent-ils contre lui et machinèrent-ils de perfides révoltes. Etienne passa ensuite dans l'île de Wight, qu'il enleva à ce même Baudouin de Reviers, et il le bannit d'Angleterre. Après ces heureux succès le roi vint chasser à Branton, non loin de Hundington. Là il inquiéta ses barons sur leurs droits de chasse et la coupe de leurs forêts. Ainsi il violait le serment qu'il avait fait à Dieu et aux hommes.

Succès du comte d'Anjou en Normandie. — Vers le même temps, Geoffroi, comte d'Anjou, et sa femme Mathilde, s'emparèrent sans aucune difficulté des châteaux de la Normandie et des possessions de Guillaume Tolevaz, que le roi avait confisqués, après avoir banni le propriétaire. Puis étant entrés dans Rouen au mois d'août, Mathilde y donna au comte son mari un troisième fils, qu'elle appela Guillaume. Les grands de Normandie, indignés de leurs progrès, envoyèrent prier Thibaud, comte de Blois, frère aîné du roi Etienne, de venir vers eux pour recevoir la Normandie de leurs mains. Arrivé à Lisieux (?) pendant le jeûne du dixième mois, il y apprit que son frère était déjà couronné roi d'Angleterre. Alors Robert, comte de Gloucester, rendit la ville de Falaise à Thibaut, mais il eut le soin d'emporter avec lui une bonne partie du trésor du roi Henri. Cette même année moururent Guillaume, archevêque de Cantorbéry, Guillaume, évêque d'Exeter, et Jean, évêque de Rochester.

Etienne passe en Normandie et traite avec ses ennemis. — Mort du roi Louis VI. — L'an du Seigneur 1137, le roi des Anglais passa en Normandie. Le comte d'Anjou s'enfuit dès qu'il parut : là, se livrant aux travaux de Mars, Etienne réussit dans toutes ses entreprises ; il enfonça les bataillons ennemis, détruisit les châteaux de ses adversaires, se couvrit d'un nouvel éclat parmi les braves, et conclut un traité d'alliance avec le roi de France, à qui son fils Eustache fit hommage pour la Normandie. Le comte d'Anjou ne cessait de réclamer l'Angleterre, alléguant le serment prêté à sa femme par le roi. Mats voyant qu'il n'était pas en état pour le moment de lutter contre les troupes d'Etienne, il accepta une trêve, et le roi s'engagea à lui payer pour le bien de la paix cinq initie marcs par an. Son frère Thibaut, comte de Blois, se plaignit aussi de ce qu'il s'était emparé de l'Angleterre, au mépris de ses droits, à lui son aîné. Etienne lui promit deux mille marcs, et les deux frères, en bon accord, se retirèrent chacun de leur côté. Tout ayant réussi au gré de ses désirs, il repassa en Angleterre. Cette même année, mourut le roi de France Louis, et son fils Louis lui succéda. Ce dernier avait épousé Aliénor, fille du duc d'Aquitaine ; il en eut deux filles, qui furent mariées aux deux fils de Thibaut, comte de Flandre, Henri et Thibaut : Pâmé épousa l'aînée, et le puîné, la plus jeune.

Nouvelle invasion des Écossais. — Soulèvement des seigneurs. — L'an du Seigneur 1138, Conrad fut nommé empereur des Romains : il régna quinze ans. Cette même année, le roi Etienne, pendant les fêtes de Noël, assiégea le château de Bedford, jurant que les habitants n'avaient à espérer ni paix ni trêve. Mais avant que ce château eût été forcé, le roi David descendit dans le Northumberland, avec une armée d'Ecossais. Lui et les siens y commirent d’atroces cruautés. Ils prétendaient venger l'impératrice à qui le roi avait juré fidélité. Ils fendaient le ventre aux femmes enceintes et tiraient de leurs flancs les enfants avant le terme. Ils jetaient d'autres enfants en l'air et les recevaient sur la pointe des lances. Ils massacraient les prêtres au pied des autels, cassaient les têtes des crucifix, rassemblaient les membres dispersés des cadavres, en changeant les têtes des morts, et les étendaient sur les crucifix. Partout où les Écossais paraissaient, ce n'étaient que meurtres et dévastations. On n'entendait de tous côtés que les clameurs des femmes, les gémissements des vieillards, les cris de désespoir de ceux qui survivaient. Aussitôt le roi Etienne se dirigea vers l'Ecosse avec une nombreuse armée. Mais avant qu'il y fût arrivé, le roi d'Ecosse s’était retiré dans ses états, et s'était posté dans des lieux inexpugnables. Le roi des Anglais ne put que porter l'incendie dans le midi de l'Ecosse et regagner ses états. Les grands d'Angleterre étaient alors saisis d'une rage de révolte ; tous semblaient chercher à terrasser le roi Etienne. En effet, Guillaume Talbot tenait contre lui le château d'Hereford ; Robert, comte de Gloucester, fils bâtard du roi Henri, occupait les places de Leeds et de Bristol, Guillaume Luvell, le château de Cari, Pagavell, celui de Ludhlow, Guillaume de Moion, celui de Dunster,[223] Robert de Lincoln, les châteaux de Warham, Eustache, fils de Jean, le château de Melton, Guillaume, fils d'Alain, celui de Shrewsbury, dont le roi s'empara, et où il fît pendre quelques-uns des prisonniers. A cette nouvelle, Walkelin rendit à la reine Douvres, dont il était maître.

Bataille d’Allerton. — Discours de l'évêque de Durham. — Détails. — Tandis que le roi Etienne était occupé au midi de l'Angleterre, le roi d'Ecosse revint au Northumberland avec une armée innombrable. Par l’ordre et les exhortations de Turstan, archevêque d'York, les seigneurs du nord organisèrent une vigoureuse résistance, et se réunirent autour de la bannière royale plantée à Allerton.[224] Ceux qui devaient commander la bataille étaient Guillaume, comte d’Albemarle, Guillaume de Nottingham, Gaultier Espec et Gilbert de Lacy. L'archevêque ne put s'y rendre pour cause de maladie, et il envoya à sa place Raoul, évêque de Durham, pour haranguer l'armée. Ce prélat, ayant monté sur une éminence au milieu des troupes, prononça ces paroles d'encouragement : Nobles seigneurs anglais de race normande, vous qui faites trembler la France audacieuse et qui avez conquis la belliqueuse Angleterre, vous qui avez soumis et fait refleurir les riches contrées de l’Apulie, vous qui avez vu la fameuse Jérusalem et la grande Antioche reconnaître vos lois, voici que les Écossais, après vous avoir fait hommage, entreprennent de vous chasser de vos terres ; mais ce sont gens présomptueux et mal armés, plus propres à une rixe qu'à une bataille. Vous n'avez pas ici lieu de craindre, mais plutôt de rougir, en voyant ces hommes que vous avez été chercher, et que vous avez toujours vaincus dans leur pays, venir aujourd'hui dans le nôtre au mépris de leur serment. Le vin leur a tourné la tête. En vérité, je vous le dis, moi, prêtre de Dieu, la divine Providence voudra que ceux qui dans ce pays ont violé les temples saints, souillé les autels du sang des prêtres, égorgé les enfants et les femmes enceintes, en portent la juste peine sur le théâtre même de leurs crimes. Chevaliers d'élite, ayez bon courage. Avec la valeur que vous tenez de vos pères, avec la faveur de Dieu, écrasez ces méchantes gens qui ne savent pas même s'armer pour la guerre; n'ayez aucune inquiétude: toutes les chances sont pour vous. Vous avez la poitrine couverte par la cuirasse, la tête par le heaume, les jambes par les cuissarts, tout le corps par le bouclier : l'ennemi ne trouve pas une place où frapper quand il rencontre partout une armure impénétrable ; eux ils sont mous et mal armés. Que craignez-vous? Mais je suis forcé d'abréger mon discours. Je vois les ennemis qui s'avancent sans ordre et qui accourent tout dispersés, ce qui me fait grand plaisir. Enfin, si quelqu'un de vous meurt en combattant pour Dieu et pour le pays, je l’absous de tout péché et de tout châtiment, au nom du Père, dont ces gens-là ont tué les créatures par d'horribles et Atroces supplices; au nom du Fils, dont ils ont souillé les autels ; au nom du Saint-Esprit, dont ils ont méprisé la grâce par les crimes affreux qu'ils ont commis. A ces paroles toute l'armée anglaise répondit : Amen! Les montagnes et les collines en retentirent.

En entendant cette clameur, les Écossais se mirent à vociférer comme des femmes, et à répéter le vieux nom de leur patrie : Albanie! Albanie! Les cris cessèrent lorsque les deux armées se furent chargées à grands coups et avec fureur. Les hommes du Lothian, qui avaient obtenu du roi la faveur de donner les premiers, s'élancèrent avec leurs longs javelots et leurs grandes lances sur le corps des chevaliers anglais armés de toutes pièces. Mais ils vinrent se heurter contre un mur de fer, et ne purent pénétrer dans tes rangs. Du côté des Anglais, les archers, mêlés à la cavalerie, assaillirent les Écossais d'une grêle de flèches qui perçaient tous ceux qui étaient sans armes défensives. Le gros de l'armée anglaise et l'élite des chevaliers normands qui se tenaient immobiles autour de l'étendard, formaient un centre de bataille inébranlable. Le chef des hommes du Lothian (?) tomba lui-même percé d'une flèche, et alors toute sa troupe se débanda, car le Dieu des armées, irrité contre leurs crimes, avait rompu et brisé toute leur valeur comme une toile d'araignée. A cette vue, un corps plus nombreux d'Écossais qui combattait sur un autre point avec vigueur perdit courage, et eut aussitôt recours à la fuite. Les gens de divers pays[225] qui composaient la bataille du roi, s'apercevant de la déroute, se mirent à fuir, d'abord l'un après l'autre, et ensuite par bandes, laissant le roi presque seul. Alors les amis du roi le forcèrent de monter à cheval et de pourvoir à son salut. Mais son fils, jeune homme intrépide, sans s'inquiéter de la fuite des autres, s'élança contre les Normands avec une impétuosité aveugle. La seule gloire l'animait, quoique ses troupes fussent impuissantes contre les chevaliers armés de toutes pièces. Ces derniers ennemis vinrent se briser sur les armures, furent obligés de s'enfuir à leur tour et de recourir à une dispersion funeste et honteuse pour eux. Il y eut, dit-on, onze mille Écossais de tués, sans compter ceux qu'on trouva mortellement blessés dans les champs de blé et dans les forêts. De notre côté le sang fut à peine répandu, et dans cette heureuse journée il n'y eut qu'un seul chevalier, le frère de Gilbert de Lacy, qui fut trouvé parmi les morts. Cette bataille fut gagnée, au mois d'août, sur les habitants de l'autre rive de l’Humber. Cette même année, au mois d'octobre, Geoffroi, comte d'Anjou, s'empara d'Hiesmes et de Bayeux, et mit le siège devant Falaise.

Arrivée du légat Albéric. — Consécration de Thibaut, archevêque de Cantorbéry. — Cette même année, Albéric, évêque d'Ostie et légat de l'église romaine, vint en Angleterre. Le jour de la venue du Seigneur, il tint un concile à Londres, dans l'église de Saint-Paul. Par son ordre, Henri, évêque de Winchester, ordonna diacre Richard de Beaumeis. Ce même jour, tandis que les ordres étaient conférés, Thibaut, abbé du Bec, fut élu par les évêques archevêque de Cantorbéry, en présence de Jérémie, prieur de l'église de Cantorbéry. Après sa consécration faite par l'évêque [de Winchester?], Thibaut partit pour Rome avec le légat, et là il reçut le pallium des mains du pape Innocent.

Paix avec l'Ecosse. — Etienne se rend maître de plusieurs châteaux en Angleterre. — L’an du Seigneur 1139, le roi des Anglais, Etienne, après les fêtes de Noël, s'empara du château de Leeds, et se dirigea vers l'Ecosse. Comme ses troupes employaient tour à tour le fer de Mars et le feu de Vulcain, le roi des Écossais se vit obligé de faire la paix avec lui. Etienne emmena avec lui, en Angleterre, Henri, fils du roi, livré comme otage, et vint assiéger le château de Ludlow. Là, ce même Henri, tiré à bas de son cheval par les crocs de fer des assiégés, allait être entraîné dans l'intérieur de la place, lorsque le roi, en brave chevalier, vint noblement le dégager. De là, après avoir reçu la soumission du château, il partit pour Oxford, où il fit arrêter perfidement, au milieu de sa cour, Roger, évêque de Salisbury, ainsi qu'Alexandre, neveu de ce dernier, et évêque de Lincoln. Cette violence ne semblait motivée par aucune trahison de leur part. Après, avoir mis en prison l’évêque Alexandre, Etienne conduisit celui de Salisbury à un château appartenant à ce même prélat. On l'appelait le château de Devises, et il n'avait pas son pareil en Europe. Le roi priva l’évêque de nourriture, et fît mettre la corde au cou de son fils, qui avait été chancelier, comme s'il voulait le faire pendre. Par ce moyen il obtint le château, et par une semblable ruse il se fit remettre celui de Sherburn. Après s'être emparé des trésors du prélat, il négocia pour son fils Eustache un mariage avec Constance, sœur de Louis, roi de France. Le roi, revenu sur ses pas, en agit de même à l'égard d'Alexandre, évêque de Lincoln, jusqu'à ce que ce dernier lui eût remis ses châteaux de Neowerc et de Latford.[226]

Débarquement de Mathilde. — Défection de frère d'Etienne. — Concile de Winchester. — Proscription et mort de plusieurs prélats — Dévastations. Vers le même temps, Mathilde, fille du roi Henri, qui avait été impératrice, et à qui revenait l'Angleterre, se mit en route pour ce pays, accompagnée de son frère, le comte Robert, et vint débarquer au port d'Arondel. Elle y fut reçue avec joie et enthousiasme par Guillaume d'Albinet.[227] Il avait épousé la reine Adelise, à qui le roi Henri avait donné en dot le château et le comté d'Arondel. De son côté le comte de Gloucester, avec dix hommes d'armes et autant d'archers à cheval, traversa les domaines du roi Etienne, arriva à Walingford, et de là à Gloucester, annonçant à Brien-Fitz-Comte, et à Milon de Gloucester, que l'impératrice était arrivée, et qu'il l'avait laissée à Aron-del avec sa propre femme, et tout ce qui aurait pu retarder sa marche. Ils accueillirent cette nouvelle avec joie, et firent activement leurs préparatifs de guerre. Cette même année, l’évêque de Winchester, indigné de la conduite d'Etienne, invita plusieurs seigneurs à un repas, et les détermina à rendre à Mathilde quelques-uns de leurs châteaux. Bientôt, de concert avec l'archevêque Thibaut et les autres évêques et prélats d'Angleterre, il tint un concile à Winchester, le troisième jour avant les calendes de septembre, et y fit citer le roi son frère ; celui-ci envoya au concile le comte Albéric de Ver, versé dans l'art de plaider les causes, pour donner les explications qu'on lui demandait relativement au traitement que les deux évêques avaient éprouvé. Albéric présenta la cause du roi, et allégua que ce dernier avait été dans son droit en agissant ainsi. Le concile ne lui donna pas gain de cause sur les plaintes qu'il articulait contre les évêques, et après bien des paroles de part et d'autre, l'assemblée se sépara aux calendes de septembre. Cette même année, mourut Roger, évêque de Salisbury, accablé de vieillesse et de chagrin. Après sa mort, le roi Etienne proscrivit Nigel, évêque d'Ely, parce qu'il était le neveu de Roger, évêque de Salisbury, et qu'il tenait de lui un esprit de rébellion. A cette époque, cessèrent en Angleterre les fêles solennelles de la cour du roi. La paix n'était nulle part. Tout était dévasté par le carnage et l'incendie ; on n'entendait de tous côtés que des clameurs, des lamentations et des cris d'horreur.[228] Turstan, archevêque d'York, mourut alors, et eut pour successeur Guillaume, trésorier de cette même église.

Siège et bataille de Lincoln. —Captivité d'Etienne — L'an du Seigneur 1140, pendant les jours de Noël, Etienne vint assiéger la ville de Lincoln, place forte, dont Ranulf, comte de Chester, s'était saisi peu auparavant. Mais ledit comte s'y maintint et sut empêcher le roi Etienne d'y entrer jusqu'à la Purification de la sainte Vierge. Alors il opéra sa jonction avec son beau-père Robert, fils du roi Henri et comte de Gloucester. Accompagné d'une nombreuse armée, il résolut de faire lever le siège de Lincoln, traversa intrépidement un marais presque impraticable, et le jour même rangea ses troupes pour engager le combat. Lui-même, d'après sa valeur éprouvée, commandait le premier corps de bataille avec ses chevaliers; à la tête du second étaient placés ceux que le roi Etienne avait proscrits Le comte de Gloucester Robert conduisait avec les siens le troisième corps. Cependant le roi Etienne, dans ce jour solennel, entendit la messe avec recueillement. Mais, au moment où il remettait entre les mains de l'évêque Alexandre un cierge d'une magnificence vraiment royale, dont il faisait offrande à Dieu, le cierge se cassa tout à coup et s'éteignit ; ce qui sembla un mauvais présage. Le fil qui retenait l'eucharistie s'étant rompu, le corps du Seigneur tomba sur l'autel en présence de l'évêque : ce qui était pour le roi un pronostic de sa défaite. Inquiet, mais toujours brave, Etienne disposa ses troupes. Lui-même, à pied, rangea avec soin autour de lui ses hommes armés de pied en cap, et fit emmener les chevaux. Il divisa ses barons en deux corps, qui devaient combattre à cheval. Mais ils étaient en petit nombre, et encore il y en avait parmi eux qui étaient disposés à l'infidélité et à la révolte. Cependant le corps de bataille où se trouvait le roi était fort. On n'y remarquait qu'un seul étendard. Au commencement du combat, les bannis, qui marchaient en tête, attaquèrent la troupe royale, où se trouvaient le comte Alain, le comte Robert de Meulant, Hugues Bigod, comte d'Estanglie, le comte Simon et le comte de Warenne, avec tant d'impétuosité, que les uns furent tués, les autres furent pris ; le reste eut recours à la fuite. L'autre corps de l'armée du roi, commandé par le comte d'Albemarle et par Guillaume d'Ypres, s'élança sur les Gallois, qui voulaient le prendre en flanc, et les força à la retraite. Mais le comte de Chester, avec les siens, fondit à son tour sur les vainqueurs, dont la troupe se dispersa en un moment comme la première. Ainsi donc, toute la cavalerie du roi avait lâché pied, et avec elle le comte Guillaume d'Ypres ; ceux qui n'avaient pu échapper furent tous pris et jetés dans les fers. Atyrs ce fut un spectacle étonnant et admirable. Le roi Etienne restait seul comme un lion rugissant sur le champ de bataille : nul n'osait l'approcher. Debout, les dents serrées, semblable à un sanglier écumant, il tenait en respect avec sa hache à deux, tranchants ceux qui voulaient s'élancer sur lui et abattait de ses coups vigoureux les principaux des ennemis. En ce jour, il se couvrit d'une gloire éternelle. Ah ! s'il y eût eu parmi les siens une centaine d'hommes seulement semblables à lui, jamais il n'eût été pris, puisque, quoiqu'il fût seul, les ennemis eurent tant de peine à s'en emparer. Le roi des Anglais, Etienne, fut fait prisonnier le jour de la Purification de la Vierge Marie et conduit à l'impératrice, qui le fit enfermer dans la tour de Bristol. — Une éclipse de soleil jeta dans toute l'Angleterre l'horreur et les ténèbres.

Mathilde chassée de Londres. — Délivrance d'Etienne. — Faits divers. — Après la victoire de son parti, l'impératrice fut reconnue reine par presque tous les habitants de l'Angleterre, excepté ceux du pays de Kent, occupés par la femme du roi Etienne et par Guillaume d'Ypres, qui lui résistaient de toutes leurs forces. Mathilde fut reçue d'abord par Albéric, légat de Rome, puis par Guillaume,[229] évêque de Winchester, et fit son entrée dans la cité de Londres. Mais bientôt, soit par les machinations des traîtres, soit par la volonté de Dieu, elle fut chassée par les habitants de Londres[230] et fit resserrer la captivité du roi Etienne. Peu de jours après, aidée par son oncle, le roi d'Ecosse, ainsi que par son frère, le comte Robert, et suivie d'une nombreuse armée, elle vint assiéger le château de l’évêque de Winchester. Mais l’évêque appela à son secours la reine, Guillaume d'Ypres et les autres seigneurs anglais du parti d'Etienne. Ils arrivèrent, chargèrent vivement l'armée de l'impératrice, forcèrent à la fuite tous les assiégeants, poursuivirent ardemment les fuyards, et s'emparèrent, entre autres, du comte Robert, frère de l'impératrice, qui gardait le roi Etienne dans ses prisons. Cette seule capture suffisait pour faire mettre le roi en liberté, Robert fut pris le jour de l'exaltation de la sainte Croix ; mais aussitôt le roi et le comte furent rendus l’un pour l'autre et tous deux mis en liberté. Vers le même temps, Waleran, comte de Meulan,[231] l'un des plus grands seigneurs normands, fit un traité d'alliance avec Geoffroi, comte d'Anjou, lui remit le château de Monfort et le château de Falaise, et alors tous les seigneurs dont les châteaux bordaient la Seine jusqu'à la Hille se soumirent à Geoffroi et lui jurèrent fidélité. Cette même année, Gilbert surnommé Universel, évêque de Londres, mourut et eut pour successeur Robert du Sceau. Cette même année, Geoffroi de Mandeville fortifia la tour de Londres. Aux ides de mai, Albéric de Ver fut tué à Londres,[232] et Audouin, fondateur de Malverney, mourut.[233]

Affaires de Normandie. — Défaite des troupes royales près de Winchester. — L'an du Seigneur 1141, Robert, comte de Gloucester, passa en Normandie, emmenant avec lui les otages qui appartenaient aux principaux seigneurs du parti de l'impératrice, afin que le comte d'Anjou les gardât, et de plus traversât lui-même le détroit pour soumettre le royaume d'Angleterre; mais le comte refusa pour le moment, retenu qu'il était par la rébellion des Angevins et d'un grand nombre de ses hommes qui cherchaient à lui nuire. Seulement il permit à Robert d'emmener en Angleterre son fils aîné Henri. Lui-même, en présence dudit comte Robert, s'empara d'Aunay, de Mortain, de Tinchebray, de Cérences. Les châteaux du comte de Mortain, du comte d'Avranches, du comte de Cou lances se soumirent à lui. Cette même année, tandis que le roi Etienne était occupé à fortifier un château près de Winchester, une innombrable multitude d'ennemis survinrent tout à coup, et se précipitant sur lui, le forcèrent à la fuite. Dans ce combat fut pris Guillaume-Martel, maître d'hôtel du roi Etienne. Il fut conduit à Wallingford et mis sous la garde de Brien-Fitz-Comte, qui s'était fait construire spécialement pour lui une prison qui fut nommée Cloere-Brien. Avant de sortir de captivité, Guillaume livra à l'impératrice, pour sa rançon, le château de Sherburn.

Mathilde s'enfuit d'Oxford. — Vers le même temps, le roi Etienne, apprenant que l'impératrice était à Oxford, dans le château, avec peu de monde, réunit une nombreuse armée, marcha sur la ville après la fête de saint Michel et y assiégea sans relâche ladite impératrice jusqu'à l'époque de Noël. Dans cette extrémité, l'impératrice se voyant abandonnée de ses amis et privée de tout espoir d'être secourue, trompa par une ruse de femme les sentinelles des assiégeants. Pendant la nuit, elle s'évada du château, avec quelques compagnons, et revêtue d'habits blancs, elle passa sur la Tamise, alors entièrement gelée et blanchie elle-même par la neige. La réverbération de cette neige et la ressemblance des couleurs trompèrent les yeux des surveillants. Elle se rendit donc de nuit au château de Wallingford, où elle se mit sous la protection de Brien-Fitz-Comte ; après sa fuite, le château d'Oxford se rendit au roi.

Concile de Londres. — Punition de Geoffroi de Mandeville. — L'an du Seigneur 1142, Guillaume,[234] évêque de Winchester, et le légat du saint siège apostolique, tinrent[235] un concile à Londres, au milieu du carême, en présence du roi et des évêques. Il n'y avait à cette époque ni honneur ni respect pour l'église de Dieu et pour ses ministres : des scélérats et des brigands se saisissaient indifféremment des clercs ou des laïques, leur imposaient de fortes rançons, et les tenaient dans les fers. Il fut décidé dans le concile, et établi en principe général, que celui qui violerait une église ou un cimetière, qui s'emparerait par violence d'un clerc ou d'un religieux, ne pourrait être absous que par le pape. On convint aussi de faire respecter les instruments de labour, et de procurer aux laboureurs autant de tranquillité dans leurs champs que s'ils étaient dans le cimetière.[236] On excommunia, à la lueur des cierges,[237] tous ceux qui iraient à l'encontre de ce décret ; et ainsi l’on mit pour quelque temps un frein à la rapacité des milans. — Vers le même temps, le roi Etienne fit prisonnier Geoffroi de Mandeville, près de Saint-Albans, et il lui fallut remettre au roi la tour de Londres, ainsi que les châteaux de Walthen et de Plessis, avant de recouvrer la liberté. Dépouillé de son patrimoine, Mandeville fit invasion dans l'abbaye de Ramsey, en chassa les moines et y établit des loups ravisseurs; car c'était un homme d'une grande valeur, mais d'une impiété endurcie.

Mort de Foulques, roi de Jérusalem. — Prise d'Édesse par les Turcs. — Notions sur Abgar. — Vers le même temps, tandis que Foulques, roi de Jérusalem, traversait les campagnes d'Acre, il fit lever un lièvre qui était tapi dans la plaine. Tous se mirent à sa poursuite avec de grands cris Le roi aussi saisit sa lance, et dans son ardeur enfonça vivement ses éperons dans les flancs de son cheval. L'animal se cabra, s'abattit et jeta le roi à terre avec tant de raideur, que la cervelle, fracassée, lui sortait d'une manière affreuse par les narines et par les oreilles. Tous les témoins de cette scène accoururent lui porter secours ; mais ils trouvèrent le roi mort. Cet événement eut lieu aux ides de novembre : le corps de Foulques fut rapporté à Jérusalem, et enseveli par le ministère du patriarche Guillaume, dans l'église du Saint-Sépulcre, au milieu des larmes des assistants. Dès que le bruit de la mort du roi se fut répandu chez les peuples infidèles, Zengui, prince turc fort puissant, vint assiéger Édesse avec une innombrable armée : son obstination la réduisit ; et là, sans pitié, sans distinction de sexe ou d'âge, il massacra tous les chrétiens qui s'y trouvaient. Ainsi cette antique cité qui se glorifiait du nom chrétien, qui avait été convertie par les prédications de l’apôtre Thaddée, est tombée maintenant (ô douleur!) sous le pouvoir des infidèles. C'est là que sont ensevelis, dit-on, les restes du bienheureux apôtre Thomas, dudit apôtre Thaddée, et du bienheureux roi Abgar. Cet Abgar est l'illustre Toparque dont la lettre écrite à Jésus-Christ est rapportée par Eusèbe de Césarée, dans son histoire ecclésiastique.[238] Ce dernier raconte aussi que le Seigneur le jugea digne de recevoir une réponse. Il transcrit la lettre d'Abgar et la lettre de Jésus-Christ, et ajoute en terminant : Nous avons trouvé ces renseignements tels que nous les donnons ici, dans les archives publiques de la ville d'Édesse, où régna ce dit Abgar, et dans des livres anciens où se trouvait consignée la vie de ce roi. On voit dans l'histoire que cette cité fut mainte fois soumise par les chrétiens, et reprise par les Sarrasins.

Avènement du Pape Lucius II, puis d'Eugène III. — Cette même année le pape Innocent mourut, et Célestin lui succéda, et mourut lui-même, après avoir occupé la chaire romaine pendant cinq mois. Lucius qui le remplaça gouverna l'église pendant onze mois et treize jours. Cette même année mourut Guillaume, évêque de Winchester, et Henri lui succéda.[239] Le pape Lucius envoya à cet Henri le pallium, parce qu'il voulait établir un nouvel archevêché à Winchester, dont dépendraient sept évêques. C'est à cette année que maître Guillaume, moine de Malmesbury, termina son histoire d'Angleterre,

Siège inutile de Lincoln. — Mort de Robert Marmion. — Châtiment de Geoffroi de Mandeville, de son fils, de ses vassaux. — L'an du Seigneur 1143, après la mort du pape Lucius, Eugène occupa le Saint-Siège apostolique huit ans, quatre mois et vingt et un jours. Cette même année, le roi des Anglais, Etienne, assiégea Lincoln, et tandis qu'il élevait un fort pour pousser les attaques contre cette place qu'occupait Ranulf, comte de Chester, les travailleurs du roi, au nombre de quatre-vingts, furent tués par ledit comte, et le roi fut forcé de se retirer sans avoir achevé les ouvrages commencés. Cette même année, Robert Marmion, chevalier batailleur, qui avait chassé de leur couvent les moines de Coventry, et qui de leur église avait fait une forteresse, un jour qu'il guerroyait à la porte du monastère, fut tué au milieu de ses brigands, et seul d'eux tous. L'excommunication qui le frappait le priva pour toujours de la vie céleste. Vers le même temps, Geoffroi, comte de Mandeville, qui avait commis les mêmes violences dans le monastère de Ramsey fut frappé, devant cette même église, d'une flèche lancée par un fantassin obscur et qui n'atteignit que lui au milieu de tous ses compagnons de pillage. Pendant que cette église de Ramsey était occupée militairement comme une citadelle, les murailles suèrent du sang : ce qui était un signe de l'indignation divine. Arnould,[240] fils de ce même comte, qui après la mort de son père avait gardé le monastère comme une place forte, lui pris et banni par le roi. Le chef de ses hommes d'armes tomba de cheval et se brisa la tête. Le chef de ses fantassins, Reinier, qui se plaisait à dévaster et à incendier les monastères, fut proscrit et s'embarqua ; mais le navire resta immobile au milieu des ondes. On tira au sort. A la troisième fois, le sort tomba sur lui. On le déposa sur une barque avec sa femme, ses enfants et toutes ses richesses. La barque fut aussitôt engloutie dans les flots, et ils y périrent misérablement. Quant au vaisseau il continua alors sa route sans obstacle et sur une mer tranquille. Cette même année, Geoffroi, comte d'Anjou, fit son entrée solennelle dans la ville de Rouen, et dès lors fut appelé duc de Normandie.

Succès d'Etienne. — L'an du Seigneur 1144, le roi des Anglais, Etienne, mit en fuite le comte de Gloucester, et un grand nombre de ses autres ennemis, tandis qu'ils étaient occupés à construire le château de Farendon,[241] et il réduisit la place à se soumettre à ses lois.

L'an du Seigneur 1145, le roi des Anglais, Etienne, s'empara de Hanulf, comte de Chester, qui était venu le trouver à Northampton avec des intentions pacifiques, et il le tint en prison jusqu'à ce qu'il lui eût rendu le château de Lincoln, et toutes les autres places que le comte occupait. Alors le roi entra solennellement à Lincoln, la couronne sur la tête.

Faits divers. — Raoul abbé de Saint-Albans. — Mutations dans les évêchés. — Comète. — L'an du Seigneur 1146, Henri, fils du duc d'Anjou et de l'impératrice Mathilde, passa en Normandie, et le jour de l'ascension de notre Seigneur, il fut reçu avec honneur par la communauté du Bec. Dans cette année aussi, Guillaume de Sainte-Barbe, doyen de l'église d'York, fut nommé évêque de Durham. Cette même année mourut Geoffroi, de glorieuse mémoire, abbé de l'église de Saint-Albans, premier martyr d'Angleterre, après avoir gouverné d'une manière louable ce dit monastère pendant vingt-six ans. L'église resta sans pasteur depuis le cinquième jour après les calendes de mars, jusqu'aux rogations suivantes, époque où les moines élurent Raoul Gubion, moine de leur propre congrégation, homme lettré et de mœurs respectables. Cette élection étant faite, le roi Etienne se rendit à Saint-Albans, le jour de l'ascension de notre Seigneur, accorda son consentement et s'empressa de donner audit Raoul l'investiture de l'abbaye. Cette même année moururent plusieurs évêques, Ascelin de Rochester, Roger de Chester, Robert de Hereford. Ascelin eut pour successeur Gaultier, archidiacre de Cantorbéry ; Roger, Gaultier, prieur de Cantorbéry ; Robert, Gilbert, abbé de Gloucester. Cette même année, Henri, moine.de Cîteaux, remplaça Turstan dans l'archevêché d'York. Vers le même temps, une comète parut du côté de l'occident, et pendant plusieurs jours elle illumina de ses brillants rayons toute la partie du ciel où elle se trouvait.

Démêlés entre le Pape et le roi de France Louis le Jeune. — Cette même année, le pape Eugène vint à Paris; et là, contre la volonté de Louis, roi de France, il consacra archevêque de la dignité, fut violemment courroucé, et, en présence d'une foule de témoins, il jura sur les saintes reliques que jamais, tant qu'il vivrait du moins, l'archevêque Pierre ne mettrait le pied à Bourges. Alors le pape mit pendant trois ans la personne du roi en interdit. Partout où le roi allait, cité, bourgade ou château, on suspendait la célébration des offices divins. Enfin le roi fut fléchi par Bernard, abbé de Clairvaux. Il consentit à admettre l'archevêque, et pour pénitence de son parjure, il promit de se rendre à Jérusalem.[242] Alors eut lieu dans la France une levée générale. Sexe, état, rang, rien ne dispensa de contribuer à l'expédition du roi. Aussi il ne partit que chargé d'imprécations, comme la suite du récit le montrera.

Eugène III à Sainte-Geneviève. — Concile de Reims. —Deuxième croisade. — Vers le même temps, pendant la grande litanie, lorsque le pape Eugène venait d'être reçu à Sainte-Geneviève en procession solennelle, les desservants maltraitèrent les clercs et les officiers qui accompagnaient le seigneur pape et versèrent leur sang dans l'enceinte même de l'église.[243] Pour venger cet attentat, les édifices de l'église des desservants furent détruits, les chanoines séculiers furent chassés, et on y établit à leur place des chanoines réguliers. Le pape partit ensuite pour Reims, et y tint un concile où il condamna Eudes,[244] hérétique et faux prophète, dont il vaut mieux passer sous silence que raconter les enchantements et les rêveries. Dans ce concile, on nomma des prédicateurs de la croisade ; car la Terre-Sainte, à cette époque, était en proie à la tyrannie des Sarrasins, qui, librement et sans aucun obstacle, la parcouraient en tout sens. Excité par les exhortations de Bernard, abbé de Clairvaux, Conrad, empereur des Romains, prit la croix, et avec lui une foule innombrable. Au mois de mai suivant, l'empereur se mit en marche, emmenant avec lui soixante-dix mille chevaliers complètement équipés, sans compter les fantassins, les enfants, les femmes et la cavalerie légère. Louis le suivit avec des troupes aussi nombreuses, mais qui s'étaient séparées en différents corps, afin de se procurer plus facilement sur la route les choses nécessaires à leur propre subsistance et à l'entretien des bêtes de somme et des chevaux. Après avoir traversé la Bavière, le fleuve du Danube, l'Autriche, la Hongrie, les deux Pannonies, les provinces des Bulgares, la Mésie et la Dacie, les croisés descendirent enfin dans la Thrace. De là, ils se rendirent à Constantinople, où ils eurent une entrevue avec l'empereur Manuel. Puis ils passèrent l'Hellespont, où se termine l'Europe, arrivèrent en Bithynie, celle des provinces d'Asie qui se présente la première, et campèrent dans les environs de Chalcédoine. L'empereur Conrad, après avoir fait traverser le Bosphore a des légions, laissa à gauche la Galatie, la Paphlagonie et les deux Ponts; à droite, la Phrygie, la Lydie et l'Asie-Mineure. Il s'engagea directement par le milieu de la Bithynie, et abandonnant Nicée sur sa droite, il arriva en Lycaonie.

suite

[196] C'est sans doute la journée de Brenneville, près de Noyon, qui fut plutôt un tournoi qu'une bataille. Il n'y eut, dit le chroniqueur Orderic Vital, que trois hommes de tués. Le récit de notre auteur semble cependant donner plus d'importance à ce combat.

[197] Richardus de Albeneto. Mais plus beat, en parlant de son installation, il l'appelle de Exaquio.

[198] C'est ce Geoffroi, né dans le Maine, qui eut le premier l'idée de faire représenter à ses élèves des drames pieux bien antérieurs à des mystères. Ce fut le Jeu de sainte Catherine, dit Matt. Paris, ce que nous appelons miracles. Il avait été appelé de France, par l'abbé Richard, pour tenir l'école de Saint-Albans. Étant venu trop tard, il eut celle de Dunstable en dédommagement. Mais un incendie ayant consumé sa mai son et les belles chapes qu'il avait empruntées au sacristain de Saint-Albans pour la représentation, il se Simone à Saint-Albans, el en devint abbé. (Voy. les Vies des vingt trois Abbés.)

[199] C'est ce que dit aussi Lingard ; ce qui confirme le sens adopté plus haut pour Aueum ; mais ce n'est donc pas immédiatement de la blessure reçue au combat précédent.

[200] Sardonias ou Zarebna. Au lieu de Cerep, l'auteur du chapitre des Croisades, dans l’Introduct. à l’Hist. de l’univers, donne Athareb. Près de Danitz (Michaud), ce qui concorde avec la variante Dani.

[201] M. Aug. Thierry raconte dramatiquement cette catastrophe. La Blanche Nef qui portait les enfants du roi Henri, fit naufrage sur les rochers à fleur d'eau du Ras de Catteville. Il faut se défier des accusations exagérées des historiens saxons, qui accueillaient avec complaisance tous les bruits défavorables aux vainqueurs.

[202] Guillaume de Tyr nomme cette forteresse Quartapiert ; Sanut l'appelle Quartapétra ; l'auteur du chapitre des Croisades, Khortobret. M. Michaud dit que Baudouin fut enfermé à Charan. Baudouin, en effet, ayant tenté de s'échapper, fut assiégé et pris de nouveau par Balak, qui cette fois l'envoya à Charan ou Haran. La mort de Balak lui rendit la liberté moyennant cent mille michaelis.

[203] Eustache d'Agrain, dit Michaud.

[204] L'auteur du chapitre des Croisades appelle cette ville Kafertab et Waesad Sardan.

[205] Dans l’église Saint-Donatien par Bertholf et Bouchard van Straten.

[206] Probablement : Sistamus.

[207] C'est au siège d'Alost que mourut Guillaume Cliton. Ce fils du prétendant à la couronne de Guillaume-le-Conquérant avait pris le surnom de Cliton, terme honorifique chez les Saxons, peut-être pour se concilier les sympathies de la population vaincue. Nous savons, en effet, qu'Edgar Etheling et les Saxons mécontents avaient maintes fois trouvé asile et protection auprès de Robert de Normandie.

[208] Le texte donne Hespardum. Or, nous ne retrouvons sur les cartes ou dans les chroniques aucun renseignement positif.

[209] Dutillet, dans sa chronique, place cet événement au 13 octobre 1131, et le couronnement de Philippe au jour de Pâques, 14 avril 1129. Mais Matt. Paris est dans l'erreur en disant ici que le roi Louis VI était mort. Il régna et vécut jusqu'en 1138, et associa à la royauté son second fils Louis-le-Jeune, conformément à l'usage des premiers rois capétiens.

[210] Le môle d'Adrien, qu'on appela ensuite la tour de Crescence, et qu'on nomme aujourd'hui le château Saint-Ange. (Gibbon.)

[211] Matt. Paris ne parle pas du concile d'Étampes, de la décision des évêques français en faveur d'Innocent, et de l'influence de saint Bernard. Il attribue également à Henri 1er un mérite qui revient entièrement à Louis-le-Gros.

[212] Il est évident qu'il faut lire Honorius, c'est une de ces redites fréquentes dans le texte.

[213] Saint Jérôme l'appelle Beth-Anoba, et Guillaume de Tyr, Bettemuble.

[214] Extremo transfretavit, est vague. Peut-être faut-il entendre : Passa la mer pour la dernière fois. 

[215] Richard-le-Noir, dit M. Aug. Thierry.

[216] La cape fut dans l'origine un vêtement de dessus, assez semblable au surplis, avec un trou pour passer la tête, ouverture que l'ou appelait en France goulière ou mieux goule (gula). Il y avait des capes de voyage analogues à celles dont les moines se servaient pour se défendre de la pluie, et qu'on appelait ryding-hoods, d'où s'est formé par corruption notre mot redingote. Plus tard, le mot cape fut restreint au capuce du manteau. Il y avait aussi les chapes à l'usage des gens d'é-

[217] Le latin dit galerus, voyez Du Cange à ce mot.

[218] Velours, veioyers, voyers (visores), officiers chargés d’inspecter les forêts.

[219] Vastum. Gast, gaster, dégât. Ce mot était employé non seule ment pour désigner les dommages faits à la propriété d'autrui, mais en- tore les coupes de bois et d'herbes, etc., que le propriétaire jugeait à propos d'entreprendre dans ses propres biens.

[220] J'adopterais volontiers la variante : de remettre le danegeld, c'est- à-dire 2 sols par chaque hyde de terre, que ses prédécesseurs, etc.

[221] Saint-Clément-Danes.

[222] La mort d’Henri Ier étant du 2 décembre, l'arrivée d'Etienne en Angleterre doit être placée au plus tard dans la première semaine du même mois, ainsi que l'orage dont Matt. Paris parlé ici. On pourra voir dans le cours de l'ouvrage avec quel soin notre auteur enregistre les observations météorologiques de toute espèce. Cette remarque peut être étendue à la plupart des chroniqueurs du moyen âge qui, privés d'instruments, y suppléent par l'exactitude de leurs relations ; et ces relations peuvent servir à constater la périodicité de certains phénomènes qui paraissent se reproduire à des époques déterminées. Grégoire de Tours, entre autres, a observé au mois de novembre de nombreuses étoiles filantes, et la science moderne a maintenu cette observation. Elle a reconnu également que c'était à la même époque de l'année (novembre et décembre) qu'avaient éclaté les plus épouvantables orages dont l'histoire ait gardé le souvenir. Voyez M. Libri, Hist. des math., t. II, p. 235.

[223] Probablement Dunster en Sommersetshire.

[224] A trente-deux milles au nord d'York.

[225] Le roi David conduisait les clans des montagnes et des îles.

[226] Mieux Newark et Sleaford.

[227] Le père d'Orléans l'appelle d’Aubigny. Voir la note II après le texte.

[228] Les soldats mercenaires et les seigneurs normands qui combattaient pour l'un ou l'autre parti, se livraient è des cruautés inouïes. Ils enlevaient les Anglais soupçonnés d'être riches, les enfermaient dans des offres garnis de cailloux pointus, faisaient périr par la faim plusieurs milliers de personnes, et prenaient partout ce qu'il y avait à prendre. On disait hautement que le Christ et ses saints étaient endormis. Les Angevins de Mathilde amenaient sans cesse au camp de Bristol des hommes liés et bâillonnés, etc. M. Aug. Thierry a tracé un tableau animé de ces dévastations, Hist. de la Conquête, livre xiii.

[229] C'était Henri de Blois, frère d'Etienne, et non Guillaume. Il avait abandonné, ainsi qu'une foule de seigneurs normands, la cause de son frère vaincu. Mais bientôt il se déclara de nouveau pour lui, dès qu'il vit le parti d'Etienne reprendre quelque force. Cette remarque est nécessaire à l'intelligence du texte.

[230] L'emperesse Mathilde, comme l'appelaient les Normands, exigea des bourgeois un énorme taillage aussitôt après son entrée à Londres, un soulèvement populaire l'obligea de s'éloigner au plus vite avec ses partisans.

[231] Il était frère jumeau de Robert de Meulan dont il est parlé plus haut. Leur mère Elisabeth était fille d'Hugues de Vermandois.

[232] Il y a dans le texte Londoniensis ; mais on doit adopter la variante Londoniis, car le nom de Ver n'est ni d'orthographe ni d'origine saxonne. On trouve un Aubry de Ver dans la liste des compagnons de Guillaume- le-Conquérant.

[233] Nous ne retrouvons pas la position de ce lieu.

[234] Henri de Blois.

[235] Quoiqu'il y ait dans le texte celebravit au singulier, le sens ne nous paraît pas douteux.

[236] On comprenait, sous le nom de cimetière, le lieu des sépultures et le vaste enclos qui en dépendait. Ce terrain privilégié avait, comme l'église, droit d'asile et de refuge, tant pour les artisans et les laboureurs qui y étaient établis que pour les gens du dehors. Cet espace plus ou moins vaste qui précédait ordinairement l'église, jouissait ainsi du droit de sanctuarium. C'était là que le peuple était réuni les dimanches pour entendre les sermons et les prières. On sait aussi que les mariages et les relevailles se faisaient à la porte de l'église. (Chronique de Dunstable, 54.)

[237] Les prélats tenaient à la main des cierges allumés, en prononçant l’excommunication, et les éteignaient ensuite sous leurs pieds avec des paroles sacramentelles.

[238] La correspondance d'Abgar avec Jésus-Christ et la conversion de ce roi d'Édesse ont donné lieu, parmi les écrivains ecclésiastiques, à de longues controverses que résume Moréri (art. Abgare). Il dit que ce ne fut pas l'apôtre Thaddée, connu sous le nom de Jude, qui fut envoyé vers Abgar, mais un des soixante-dix disciples, et l’évêque fortement en doute l'authenticité des deux lettres rapportées par Eusèbe. Malt. Paris, dans la dernière phrase de ce passage, fait sans doute allusion à une tradition généralement répandue, au sujet d'une image tracée de la main de Jésus-Christ et qui devait servir de palladium à Édesse. La ville n'en fut pas moins prise par les Romains, par les Sarrasins, par les Chrétiens, par les Turcs.

[239] L'évêque Guillaume Giffard était mort en 1128, et Henri de Blois lui avait succédé l'année suivante. L'envoi fait par Lucius II, et dont Matt. Paris parle ici, doit être placé à l'année 1144, et l'avènement d'Eugène III à l'année 1143.

[240] On plutôt Ranulf ou Renouf, d'après la liste des surnoms.

[241] Mifux Fariogdon, à six lieues est d'Oxford.

[242] Les différends au sujet de l'archevêché de Bourges, entre Louis le Jeune et Innocent II, sont des années 1142, 1143, 1144. Eugène, qui n'était pas encore pape, y resta étranger. Ils amenèrent l'invasion de la Champagne dont le comte Thibaut II soutenait l'intrus, et l'incendie de Vitry, cause de la seconde croisade. Il y a confusion dans le récit de Matt. Paris.