Œuvre numérisée par Marc Szwajcer
TRADUITE EN FRANÇAIS
PAR A. HUILLARD-BRÉHOLLES,
ACCOMPAGNEE DE NOTES,
ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION
PAR M. LE DUC DE LUYNES,
Membre de l'Institut.
TOME PREMIER.
précédentHENRI IerAvènement d’Henri au détriment de Robert. — A la mort du roi Guillaume, les grands d'Angleterre, ignorant ce qu'était devenu Robert, duc de Normandie, frère aîné, du roi défunt, qui depuis cinq ans était parti pour le pèlerinage de Jérusalem, craignaient fortement que le royaume ne restât longtemps sans maître. Henri, le plus jeune des frères, et fort savant pour son âge,[152] connaissant cette disposition des esprits, en profita habilement : il réunit à Londres le clergé et le peuple d'Angleterre ; il promit de corriger les lois tyranniques dont le royaume avait gémi sous son père et sous son frère, afin de se concilier la bienveillance de tous, et de les décider à le prendre pour roi et pour défenseur. A cela le clergé et tous les seigneurs répondirent que s'il consentait volontiers à leur accorder et à leur confirmer par une charte les vieilles libertés et coutumes dont ils jouissaient au temps du saint roi Edouard, ils le reconnaîtraient et le nommeraient unanimement leur roi. Henri accéda de bon cœur à cette demande, promit par serment qu'il en agirait ainsi, fut consacré roi à Westminster le jour de l'Assomption de la sainte Vierge, au milieu des acclamations du clergé et du peuple, et couronné, séance tenante, par Maurice, évêque de Londres, et par Thomas, archevêque d'York. Dès qu'il eut ceint le diadème, Henri fit rédiger cette charte de libertés dont je vais parler, pour glorifier la sainte église, et pour assurer dans le royaume la paix publique. — Vers ce temps, dans un canton du Berkshire, près du village de Humested, jaillit de terre une source de sang qui coula pendant quinze jours avec tant d'abondance, que Les eaux d'un vaste étang en furent teintes et souillées. Charte d’Henri Ier. — Henri, par la grâce de Dieu roi d'Angleterre, au vicomte Hugues de Bocland et à tous ses féaux tant Français qu'Anglais, dans l'Herefordshire,[153] salut. Sachez que j'ai été couronné roi par la miséricorde de Dieu, et sur l'avis commun des barons du royaume d'Angleterre. Ayant trouvé ce royaume grevé d'injustes exactions, je déclare libre, par respect pour le Seigneur et par l'amour que je vous porte à tous, la sainte église de Dieu : je m'engage à ne la pas Tendre, à ne pas la donner en ferme, et s'il meurt un archevêque, un évêque ou un abbé, à ne rien prendre sur les domaines ou sur les hommes de l'église, jusqu'à ce qu'un successeur soit nommé. J'abroge dès aujourd'hui toutes les mauvaises coutumes dont le royaume d'Angleterre souffrait injustement, et que je mentionne ici en partie : Si quelqu'un des barons, comtes ou autres, qui sont sous ma tenure, vient à mourir, son héritier ne sera pas obligé de racheter sa terre, comme au temps du roi Guillaume mon père, mats seulement de relever son fief par juste et légitime relief.[154] Semblablement les hommes de mes barons relèveront les terres qu'ils tiennent de leurs seigneurs par juste et légitime relief. Si quelqu'un de mes barons ou autres de mes hommes veut marier sa fille, sa sœur, sa nièce ou sa cousine, il devra me demander avis ; mais je n'aurai droit ni de rien exiger de lui pour mon consentement, ni de l'empêcher de la donner à qui il voudra, sauf le cas où il voudrait lui faire épouser mon ennemi. Si quelqu'un de mes barons ou autres de mes hommes meurt et que l'héritage vienne à sa fille, je prendrai l'avis de mes barons pour la donner, elle et sa terre. Si la femme reste veuve et sans enfants, elle aura sa dot et son douaire; et je ne pourrai la marier, si ce n'est de son libre vouloir. Si elle reste veuve et avec des enfants, elle aura sa dot et son douaire tant qu'elle gardera légitimement son corps ; et je ne la marierai pas si ce n'est de son libre vouloir; et le gardien de la terre des enfants sera soit la mère, soit un proche parent, protecteur naturel. J'ordonne à mes hommes de se conduire de même à l'égard des fils, des filles et dès femmes de leurs vassaux. Le droit commun sur les monnaies qui était pris dans les villes ou dans les comtés, droit qui n'existait pas du temps du roi Edouard, est formellement aboli à tout jamais.[155] Si quelqu'un est pris, soit le faux monnayeur, soit celui qui émet la fausse monnaie, que bonne justice en soit faite. Je remets toutes les dettes, soit juridiques, soit autres, qui étaient dues au roi mon frère, à l'exception de mes fermages et de ce qui avait été convenu pour héritage d'autrui, ou pour ces choses qui appartenaient à d'autres selon le droit. Si quelqu'un avait promis quelque chose pour son héritage, je le lui remets ainsi que tous les reliefs qui étaient stipulés pour héritages directs. Si quelqu'un de mes barons ou de mes hommes tombe malade, je consens à ce que son argent soit donné, ainsi que lui-même l’a donné ou a projeté de le donner. S'il est emporté par mort violente ou par maladie sans avoir donné ou projeté de donner son argent, que sa femme, ou ses enfants, ou ses parents, ou ses hommes légitimes partagent son argent, pour le salut de son âme, selon qu'il leur semblera le plus convenable. Si quelqu'un de mes barons eu de mes hommes a forfait, il ne donnera point gage en merci de son argent, connue la chose avait lieu au temps de mon père ou de mon frère, mais selon le mode de forfaiture ; et il ne: paiera point amende, comme il l'aurait payée précédemment au temps de mon père ou de mon frère. S'il est convaincu de perfidie ou de crime, qu'il paie amende selon la faute. Je remets tous les meurtres qui ont été commis avant le jour où j'ai été couronné roi : que ceux qui auront été commis depuis, soient mis à l'amende selon le droit, d'après la loi du roi Edouard. Sur l'avis commun de mes barons, je retiens les forêts en ma main dans l'état ou mon père les a eues. Quant aux chevaliers qui défendent leurs terres par cuirasses, je leur octroie en pur don, pour Leurs terres soumises au charruage seigneurial, l'exemption de tout tribut et de tout ouvrage[156] propre; afin que, se trouvant allégés d'une si lourde charge, ils se pourvoient assez bien en montures et en chevaux, pour être prêts et aptes à me servir et à défendre mon royaume. J'établis dans tout mon royaume une paix stable, et j'ordonne qu'elle soit observée désormais. Je vous rends la loi du roi Edouard avec les corrections que mon père y a faites sur l'avis de ses barons. Si quelqu'un, après la mort du roi Guillaume, mon frère, a pris quelque chose qui soit à moi ou à tout autre, que cette chose soit rendue en totalité et sans délai, mais sans amende. Si quelqu'un désormais retient quelque chose, celui en la possession de qui cette chose sera trouvée paiera une grosse amende. Fait en présence de Maurice, évêque de Londres ; de Guillaume [Giffard], élu à Winchester ; de Girard, évêque de Bereford, du comte Henri, du comte Simon, du comte Gaultier Giffard, de Robert de Montfort, de Roger Bigod et de beaucoup d'autres.[157] Il fut fait autant de chartes qu'il y a de comtés en Angleterre, et par l’ordre du roi elles furent déposées dans les abbayes de chaque comté pour faire foi et acte.[158] Premiers actes d’Henri. —Retour et premières réclamations de Robert. — Faits divers. — Le roi Henri, après son couronnement comme roi, ainsi que nous l'avons dit, donna l’évêché de Winchester à Guillaume Giffard, et l'investit de toutes les possessions qui en dépendaient, contrairement aux statuts du dernier concile,[159] dont nous avons parlé plus haut. Ensuite, d'après l'avis de tout le clergé anglais, il envoya sur le continent une ambassade solennelle, vers Anselme, archevêque de Cantorbéry, pour le supplier instamment de revenir en toute hâte de son exil, et de ne pas tarder à reprendre sa dignité. Sur ces entrefaites, le duc Robert, frère du roi, après avoir accompli avec gloire son vœu de pèlerinage à Jérusalem, revint en Normandie, d'où il était absent depuis cinq ans, et fut reçu avec beaucoup de joie et de pompe par tout le peuple du pays, surtout par les Normands. A cette époque le roi mit en prison Ranulf, évêque de Durham, homme pervers et prêt à tous les crimes que le roi Guillaume, frère d’Henri, avait établi évêque de Durham, ou plutôt fléau du royaume d'Angleterre. Par la grande amitié qui les liait, ce roi en avait fait son intendant, Lui donnant mission de voler, de piller, de détruire, de dilapider, enfin d'enrichir le fisc aux dépens des fortunes privées ; mais dès que ce méchant roi fut mort et Henri couronné, à la demande de toute la nation anglaise, Ranulf fut jeté dans les fers. Il corrompit ses gardes à force d'urgent, s'évada, passa secrètement en Normandie, et par ses exhortations anima le duc Robert contre le roi son frère, alors le duc Robert fit passer mystérieusement des lettres adressées aux seigneurs d'Angleterre, où il alléguait qu'il était le premier né des fils de Guillaume, 1er conquérant de l'Angleterre, et qu'à ce titre il avait droit de revendiquer le royaume. Au reçu de ces lettres, beaucoup de nobles du royaume penchèrent en sa faveur, et lui promirent fidèle conseil et fidèle assistance. Robert, de son côté, s'occupa des moyens de faire valoir son droit. Mais comme il était revenu fort pauvre de son pèlerinage à la Terre-Sainte, il différa l'exécution du projet qui l'occupait, et le remit à un temps plus propice. —Vers le même temps, Thomas, archevêque d'York, mourut, et Girard lui succéda. — Sigisbert, moine de Gemblach, a conduit jusqu'à cette année[160] son élégante chronique. Mort du pape Urbain. —Anecdote relative a Godefroi de Bouillon. — Mort de ce prince. — Cette même année le pape Urbain quitta la vie, et Pascal, qui lui succéda, occupa le Saint-Siège de Rome pendant dix-huit ans. Cette même année, Godefroi, roi de Jérusalem, cédant aux instances de quelques-uns de ses barons, traversa le Jourdain, et passa dans le pays des Ammonites, habité alors par les Arabes. Il en revint ramenant avec lui de riches dépouilles et de nombreux troupeaux en gros et en menu bétail. A cette nouvelle, un prince de la nation arabe, fameux et puissant, fort curieux de tout ce qui concernait l’art de la guerre, demanda et obtint la paix par ambassadeurs, puis vint trouver le roi Godefroi avec les nobles de sa tribu. Ce qu'il avait entendu raconter à beaucoup de gens sur les forces et la grandeur du roi et des chevaliers d'Occident, qui dans un si grand espace de terres avaient soumis tout l'Orient, lui avait donné le plus ardent désir de voir Godefroi. Admis en sa présence, il le salua avec respect. Après l'avoir longtemps considéré, et avoir admiré les belles proportions de son corps, il le pria instamment de vouloir bien en sa présence frapper d'uo coup d'épée un chameau de grande taille qu'il avait amené tout exprès. Le roi, non par jactance, mais pour jeter la terreur chez les nations barbares, tira son épée, en frappa le chameau, et d'un seul coup fit voler la tête de l'animal, aussi facilement qu'un corps mou.[161] A cette vue l'Arabe resta stupéfait; mais dans son âme il attribuait ce prodige à la trempe de l'épée. Alors ayant demandé la permission de lui parler à cœur ouvert, il lui demanda avec respect s'il pourrait en faire autant avec le sabre d'un autre. Le roi sourit, et dit à l'Arabe de lui prêter son propre sabre. Avec cette arme il frappa un autre chameau qu'on lui présenta, et lui abattit la tête aussi facilement. L'Arabe, voyant que ce qu'on lui avait raconté de la vigueur du roi était conforme à la vérité, lui offrit des présents en or et en argent, en chevaux et en objets précieux, et revint dans son pays, vantant à tout le monde la force prodigieuse de Godefroi. Cependant ce roi illustre fut attaqué dans le mois de juillet d'une maladie incurable; il ne se releva plus de son lit, et après avoir reçu le saint viatique, gage du salut des hommes, ce confesseur du Christ quitta la terre pour aller prendre possession de la vie éternelle avec les esprits bienheureux. Il mourut le quinzième jour avant les calendes d'août, et fut enterré dans l'église du Saint-Sépulcre, sur le mont Calvaire, où l'on vénère encore aujourd'hui son tombeau et celui de ses successeurs. Le royaume de Jérusalem resta vacant pendant trois mois : enfin les seigneurs et le clergé appelèrent au trône le noble Baudouin, frère de père et de mère du roi défunt, le priant de venir en toute hâte occuper le rang auquel sa naissance lui donnait droit. Baudouin lui succède. —Son expédition en Arabie. — Son humanité. — L'an du Seigneur 1101, Baudouin, comte d'Édesse et frère utérin[162] du roi Godefroi, vint à Jérusalem, où il fut sacré roi et couronné du diadème royal, le saint jour de Noël, par les mains du patriarche Daimbert. Mais Tancrède, ce brave chevalier digne de tous les éloges, se souvenait encore de la vieille injure (nous en avons parlé) qu'il avait reçue de Baudouin, qui n'était pas roi alors ; il lui demanda la permission de se retirer, lui rendit les villes de Tibériade et de Caiphas, dont le roi Godefroi lui avait fait don, et se dirigea vers Antioche, où il fut reçu avec faveur par le peuple de la ville. En effet, Bohémond, qui en était prince, avait été pris quelque temps auparavant par un Turc appelé Damsive, près de Mélitène, ville de Mésopotamie, et n'était pas encore sorti de captivité. Aussi Tancrède, sollicité souvent par les premiers d'Antioche de les gouverner jusqu'à la délivrance de Bohémond, accueillit leur demande, et prit l'administration de la ville et de son territoire. Il arriva vers ce temps que le roi Baudouin passa le Jourdain, et voulant reconnaître le côté faible de ses voisins, il pénétra en Arabie et parcourut la province en tous sens et à main armée. Une nuit il tomba tout à coup sur une troupe de Turcs qui ne s'attendaient à rien, entra dans leurs tentes, fit quelques prisonniers, s'empara surtout des femmes, des enfants et de tous les biens qu'il trouva, et emmena avec lui des dépouilles immenses avec une multitude innombrable d'ânes et de chameaux : car les hommes, Débarquement de Robert. —Accord conclu entre les deux frères. —Faits divers. — Les noces furent donc célébrées, et magnifiquement, comme il convenait; et le roi était d'autant plus passionné pour Mathilde, que son amour était plus criminel. C'est le mot du poète : Nous désirons sans cesse les choses défendues. Aussi, en punition de ce péché, le royaume fut-il tout à coup agité par une commotion violente, causée par le duc de Normandie, Robert. Chaque jour le bruit, se répandait qu'il amenait une armée nombreuse pour conquérir l'Angleterre. A cette nouvelle, le roi Henri qui avait la conscience fréquemment bourrelée,[163] envoya une expédition navale s'opposer au débarquement de son frère ; mais la plus grande partie de l'armée, que les tyrannies du roi avaient déjà mécontentée, passa du côté de Robert. Celui-ci avait abordé à Portsmouth avant les calendes d'août, et Henri marchait à sa rencontre avec des troupes, lorsque les seigneurs des deux partis se réunirent en assemblée générale pour terminer pieusement cette guerre ; ils s'entremirent et firent un traité de concorde entre les deux frères. Il fut convenu que le roi paierait à Robert chaque année trois mille marcs d'argent, levés sur l'Angleterre, et que celui des deux qui vivrait le plus longtemps serait l'héritier de celui qui mourrait le premier et sans enfants. Ce traité fut juré par douze seigneurs des deux côtés. Robert demeura avec son frère jusqu'à la Saint-Michel, puis retourna dans ses états. — Cette même année Henri obtint l'empire des Romains, et régna pendant trente-cinq ans. — Vers le même temps, le roi Henri donna l’évêché de Hereford à un certain Reinelm, sans élection préalable, et lui en conféra publiquement l'investiture, contrairement aux décrets du dernier concile. Bannissement de Robert de Belesme. — Concile de Londres. — Prélats déposés. — L'an du Seigneur 1102, le roi des Anglais, Henri, assiégea le château d'Arundel, dont était maître Robert de Belesme, qui l'avait fortifié contre le roi. Mais trouvant que la place était fort difficile à prendre, Henri construisit vis-à-vis un château de bois, et pendant ce temps, en attendant la reddition du château d'Arundel, il assiégea et prit la citadelle de Bruges.[164] Arundel, à son tour, tomba bientôt entre les mains du roi qui bannit d'Angleterre Robert de Belesme. Cette même année, Anselme, archevêque de Cantorbéry, tint un concile à Londres, dans l'église de Saint-Paul, vers la fête de saint Michel, en présence du roi et des évêques suffragants. Dans ce concile il excommunia les prêtres qui vivaient avec des concubines, s'ils ne s'en séparaient au plus tôt. Cette mesure sembla bonne à quelques-uns, dangereuse à quelques autres. On craignait qu'en les obligeant à une chasteté au-dessus de leurs forces, ils ne tombassent dans des impudicités plus criminelles encore. Ensuite il expliqua en détail, au roi, les décrets qui avaient été rendus à Rome, en concile général, lorsqu'il y était, touchant tes investitures ecclésiastiques, et qui défendaient à tout prélat, à tout évêque, à tout abbé, à tout clerc enfin de recevoir des mains d'un laïque l'investiture d’une dignité ecclésiastique, quelle qu'elle fût.[165] Alors ce même archevêque dégrada quelques abbés qui avaient acquis leurs abbayes de la main des laïques et à prix d'argent : entre autres Hicbard, abbé d'Ely, Alduin, abbé de Ramsey, et les abbés du Bourg, de Tavistok,[166] de Ceroey.[167] De Middleton, dont nous ignorons les noms. Anselme se refusa, malgré les ordres du roi, à consacrer certains évêques qui avaient été institués par le roi, et même à communiquer avec eux. Henri, violemment irrité, commanda à Girard, archevêque d'York, de les consacrer ; mais Guillaume Giffard, élu à Winchester, et qui devait être consacré, ne voulut pas l'être par Girard, et pour cela fut condamné par le roi à sortir du royaume. Quant à Reinelm, évêque de Hereford, qui avait été investi par le roi, il se démit de sa dignité et de son titre. Voyage de l’archevêque Anselme à Rome. — L'an du Seigneur 1103, Anselme, archevêque de Cantorbéry, après avoir éprouvé, de la part du roi, une foule de tribulations et d'injustices, passa à Rome comme il en était convenu avec le roi, et emmena les abbés à qui il avait retiré leurs offices, ainsi que Guillaume, élu à Winchester. A son arrivée à Rome, il fut reçu avec honneur par le pape Pascal. Au jour fixé pour délibérer sur les prétentions du roi, Guillaume de Warenast, clerc et agissant au nom d’Henri, fit valoir la cause de son maître, et, entre autres choses, déclara expressément que le roi, au prix de son royaume, ne renoncerait pas aux investitures ecclésiastiques. Il ajouta même des paroles menaçantes. Le pape répondit : S'il est vrai, comme vous l'affirmez, que votre roi, même au prix de son royaume, ne voudrait pas se dessaisir de la collation des dignités ecclésiastiques, je déclare moi, et devant Dieu, que je ne lui permettrais pas de conserver ce pouvoir, même pour racheter ma tête. La négociation à ce sujet en resta là; mais l'archevêque Anselme se mit à supplier instamment le seigneur pape en faveur des évêques et des abbés déposés, le priant de leur accorder dispense, et de les laisser rentrer dans les dignités qu'ils avaient perdues. La clémence du Saint-Siège, qui ne manque jamais à personne, surtout quand le métal jaune[168] intervient, daigna rendre à ces pontifes et à ces abbés leurs anciennes dignités, et les renvoyer joyeux à leurs offices. Cette même année, Robert, duc de Normandie, par amitié pour son frère, et par les intrigues de ce dernier, consentit à lui remettre les trois mille marcs d'argent qui devaient lui être payés par an. A cette époque, le fléau de la peste fit périr en Angleterre une foule d'hommes et d'animaux. Massacre d'une troupe de croisés dans l'Asie Mineure. — Prise de Tortose. — Vers le même temps, dans les pays de l'Occident, une foule d'hommes[169] prirent la croix et se mirent en route, sous la conduite de chefs illustres et puissants, Guillaume, duc d'Aquitaine, Hugues-le-Grand, comte de Vermandois, qui naguère avait abandonné la cause des pèlerins; Etienne, comte de Chartres et de Blois, et Etienne, comte de Bourgogne. Tous, animés d'un seul et même désir, arrivèrent à Constantinople bien accompagnés. Ils y furent reçus avec honneur en apparence, mais réellement avec des intentions perfides par l'empereur Alexis. Ils trouvèrent là le comte de Toulouse qui, depuis son vœu de pèlerinage, s'était résolu à ne pas retourner dans ses états ; ils le prirent pour chef, et, après avoir traversé l'Hellespont avec la permission de l'empereur, ils atteignirent Nicée, ville de Bithynie. Alors l'empereur Alexis, ce traître méchant qui enviait nos succès, donna avis sur avis aux Turcs infidèles du prochain passage des croisés par leur territoire, les invitant à ne pas souffrir que cette multitude, qui avait conjuré leur perte, Continuât sa route impunément. Aussi, tandis que les nôtres, ne soupçonnant rien de fâcheux, s'étaient engagés imprudemment dans le pays, et marchaient par troupes séparées sans force et sans union, ils tombèrent dans une embuscade de Turcs. En un jour plus de cinq cent mille[170] d’entre eux furent passés au fil de l’épée. Ceux qui eurent le bonheur d'échapper à l'ennemi, après avoir tout perdu, se réunirent à Tarse de Cilicie, où mourut Hugues-le-Grand et où il fut enterré dans l'église du docteur des gentils.[171] De là ils partirent pour Antioche, et d’Antioche pour Jérusalem. Chemin faisant, ils s'arrêtèrent devant Tortose, dont ils formèrent le siège, s'en emparèrent en peu de jours, en tuèrent les habitants, ou les réduisirent à une perpétuelle servitude. Conquêtes de Baudouin. — Défaite des Égyptiens, — Pendant ce temps, une grande flotte de Génois avait abordé au port de Joppé, et les troupes qu'elle amenait montèrent à Jérusalem vers le temps des fêtes de Pâques. Avec ce renfort, le roi de Jérusalem, Baudouin, assiégea Arsuth,[172] ville maritime, s'en empara à la pointe de l'épée, et, après y avoir laissé une garnison, marcha sur Césarée. Il en brisa les portes à grand-peine, y entra, massacra les habitants, et se trouva maître de richesses inestimables, dont il fit une large part à ses auxiliaires. Il y avait, dans une partie de la ville, un temple païen où la population s’était réfugiée, espérant y trouver son salut ; mais les croisés y ayant pénétré, firent un si grand carnage, que les monceaux de cadavres formaient un spectacle affreux à voir. On trouva dans cet édifice un vase de couleur verte, fait en forme de plat, et les Génois pensant que c'était de l’émeraude, l’achetèrent fort cher et le destinèrent à leur église comme un ornement précieux. On amena aussi devant le roi le chef de la ville qui, dans la langue des infidèles s'appelle émir, et l'officier de justice qui s'appelle cadi. Comme on en espérait une grosse rançon, ils furent gardés les fers aux pieds. Le roi y établit pour archevêque un certain Baudouin qui avait accompagné le duc Godefroi en Palestine ; il laissa une garnison pour veiller sur sa conquête, et se dirigea sur Ramla. En même temps le calife d'Egypte envoyait contre le roi Baudouin le chef de sa milice avec onze mille cavaliers et vingt mille fantassins, pour chasser de ses états, disait-il, ce ramas de vagabonds et de mendiants. À la nouvelle de leur venue, le roi marcha intrépidement à leur rencontre avec deux cent soixante cavaliers et neuf cents fantassins. Ils invoquèrent le secours du Très-Haut, se jetèrent vigoureusement sur leurs ennemis, les mirent en fuite, les poursuivirent jusqu'à Ascalon, tuant et massacrant pendant l'espace de huit milles. La nuit venue, les vainqueurs campèrent sur le champ de bataille. Du côté des ennemis, cinq mille hommes périrent; du côté des nôtres, soixante cavaliers : pour le nombre des fantassins, il fut plus considérable ; mais on ne le connaît pas au juste. Quant aux princes d'Occident, dont nous avons parlé plus haut, qui s'étaient dirigés vers Jérusalem, le roi Baudouin vint les recevoir, et les introduisit avec de grandes démonstrations de joie dans la sainte cité. Henri attaque la Normandie. — L'an du Seigneur 1104, la discorde se réveilla pour plusieurs motifs entre les deux frères, le roi Henri et Robert, duc de Normandie. Le roi envoya une armée en Normandie. Elle fut reçue par quelques sujets du duc, traîtres à leur maître, et qui, sans qu'on pût s'y attendre, dévastèrent le duché par les rapines et les incendies. Mais Guillaume, comte de Mortain, banni récemment d'Angleterre par le roi sous prétexte de trahison, s'opposa aux troupes royales comme il convenait à un brave chevalier dont le courage était à l'épreuve. Cependant Robert, redoutant les richesses de son frère, se borna à fortifier le mieux qu'il put les châteaux et les endroits faibles de ses états. — Cette même année apparurent, à l’heure de midi, quatre cercles blancs autour du soleil. Invasion des Sarrasins en Palestine. — Imprudence et danger de Baudouin. — Sa victoire. — Conquêtes de Tancrède. —Vers cette époque, les Arabes, unis aux Egyptiens, entrèrent au nombre de vingt mille sur le territoire des chrétiens, près de Lydda, de Saurona,[173] de Ramla, et se livrèrent aux dévastations et aux rapines. A cette nouvelle, le roi de Jérusalem, Baudouin, agit imprudemment contre sa coutume. Sans convoquer les milices des villes voisines et se fiant à ses propres forces, il prit avec lui deux cents chevaliers tout au plus, et livra bataille aux ennemis ; niais le petit nombre, des nôtres ne put lutter contre une si grande multitude d'infidèles. Quelques-uns périrent, le reste eut recours à la fuite. Ceux qui purent échapper se réfugièrent à Ramla. Les deux comtes Etienne, qui étaient arrivés récemment, furent tués, ainsi que beaucoup d'autres seigneurs dont les noms ne sont pas inscrits dans le livre de vie. Le roi lui-même, quoiqu'il ne fit pas grand fonds sur les moyens de résistance de la ville, s'y renferma pour éviter la mort, et comme dans le seul asile qui lui était offert. Tandis qu'il craignait pour lui-même et redoutait un assaut pour le lendemain, voici qu'au milieu du silence d'une nuit profonde, ce chef arabe à l'épouse duquel (comme nous l'avons raconté) le roi avait témoigné tant d'humanité lorsqu'elle était en mal d'enfant, se présente au pied des murs, et à voix basse s'adresse aux gardes : J'ai une communication secrète à faire au roi : introduisez-moi près de lui. Amené devant le roi, il lui conseille de sortir de la place, lui promet et lui jure de le conduire en lieu sûr, s'il s'échappe sans bruit et accompagné de peu de monde. Car il affirmait que les Arabes avaient résolu de venir assiéger le château au point du jour. Aussitôt le roi sortit de Ramla avec quelques compagnons et gagna les montagnes, guidé par son ami. Là le chef arabe, en se séparant de lui, promit à Baudouin son secours en temps utile. Alors Baudouin, avec deux hommes seulement, passa au milieu des postes ennemis et arriva à Amith. Il y fut reçu avec grande joie par les, siens et réconforté par un bon repas. Les ennemis, après leur victoire, vinrent le lendemain mettre le siège devant Ramla, s'en emparèrent par force, et tuèrent ou réduisirent-à un éternel esclavage les fidèles qui en formaient la garnison. Cependant Hugues de Saint-Omer, à qui le roi avait donné la ville de Tibériade, vint trouver le roi à Arsuth avec quatre-vingts cavaliers. Ce renfort et neuf cents cavaliers qu'il joignit aux troupes de Joppé lui rendirent bon espoir, et il se décida à marcher contre les ennemis, pour leur rendre avec usure les dommages qu'il en avait reçus. Les ennemis n'étaient éloignés que de trois milles. Baudouin, avec la force que Dieu inspire, et conduit par la grâce divine, tomba sur eux, enfonça leurs rangs, en tua un grand nombre et mit le reste en fuite. Les chrétiens, en revenant de les poursuivre, trouvèrent dans leur camp de riches dépouilles, des ânes, des chameaux, des tentes, des pavillons et des vivres en abondance; de sorte qu'ils vécurent tranquilles et presque sans tirer l’épée pendant sept mois. Vers le même temps le seigneur Tancrède assiégea et prit Apamée, métropole de la Coelésyrie; il se présenta ensuite devant Laodicée qui se rendit. A chacune de ces deux villes se rattachaient un vaste territoire, des faubourgs et des châteaux. Vers le même temps aussi Bohémond, prince d'Antioche, après quatre ans de captivité, se racheta par une forte rançon et revint à Antioche. Prise de Ptolémaïs. — Défaite des croisés devant Charan. — Cette même année, le roi de Jérusalem Baudouin initie siège devant Ptolémaïde, ville maritime, dans la province de Phénicie.[174] Cette ville a un port situé hors des murs et un peu plus bas, et qui offre aux navigateurs un lieu de relâche sûr et commode. On assure que les deux frères jumeaux Ptolémée et Achon la fondèrent, qu'ils l'entourèrent de murailles solides, se la partagèrent et lui donnèrent, Ptolémée le nom de Ptolémaïde, et Achon celui d'Achon ou Acharon. Du côté de la terre la ville fut assiégée par le roi et ses chevaliers, du côté de la mer par la flotte des Génois et par ces vaisseaux à éperons qu'on, appelle galées. Par ce moyen l'entrée et la sortie étaient interdites aux habitants. Les machines furent approchées des murailles ; de fréquents assauts furent livrés tant par le roi sur terre, que par la flotte, sur la côte maritime, et beaucoup d'habitants périrent par divers événements. Après vingt jours pendant lesquels les nôtres s'étaient fatigués à attaquer, les assiégés à se défendre, la ville se rendit au roi à condition que ceux qui voudraient sortir avec leurs femmes, leurs enfants et leurs biens, pourraient le faire sans être inquiétés ; et que ceux qui préféreraient rester dans leurs maisons, vivraient tranquillement sous sa protection, en lui payant seulement un impôt modéré. Pour la première fois les pèlerins qui se dirigeaient par mer vers la Terre-Sainte purent aborder en un lieu commode, et sur un rivage délivré pour quelque, temps d'ennemis. Cette même année, Bohémond et le comte Baudouin, Tancrède, Jocelin et leurs troupes passèrent l’Euphrate et vinrent assiéger la ville de Carres,[175] dont il est parlé dans l'histoire d'Abraham. Les habitants, désespérant d'être secourus, offrirent aux croisés de leur livrer la ville ; mais la jalousie fit naître un différend entre Bohémond et Baudouin, qui se disputèrent la souveraineté de la ville. Ils arrivèrent au matin, sans avoir pris possession de la ville qui s'offrait à eux, et sans avoir décidé cette question frivole ; mais avant que le jour parût, une armée ennemie se présenta, et si nombreuse, que les croisés durent désespérer de leur salut. En vain les patriarches qui étaient présents s'efforcèrent de ranimer leur valeur par des exhortations: paroles, encouragements, rien n'eut d'effet sur les croisés abandonnés de la faveur divine. Dès le premier choc, les nôtres tournèrent dos honteusement, abandonnèrent camp et bagage, et cherchèrent dans la fuite un salut qu'ils n'y pouvaient trouver. Le comte d'Édesse Baudouin et son cousin Jocelin furent pris : Bohémond, Tancrède et les deux patriarches s'enfuirent et arrivèrent sains et saufs à Édesse. Alors cette ville, ainsi que toute la province, fut remise à la garde du seigneur Tancrède, jusqu'à ce que Baudouin fût sorti de captivité. Progrès d’Henri Ier en Normandie. — Humilité de la reine Mathilde. — L'an du Seigneur 1105, le roi des Anglais Henri passa en Normandie pour combattre contre son frère Robert. Avec le secours du comte d'Anjou, il s'empara de Caen et de Bayeux, ainsi que de beaucoup d'autres châteaux ; et presque tous les seigneurs de Normandie se soumirent au roi. Vers le même temps David, frère de la reine d'Angleterre Mathilde, vint en Angleterre visiter sa sœur. Une nuit que la reine l'avait invité à venir la voir dans son appartement, il trouva la maison pleine de lépreux. La reine était au milieu d'eux ; elle avait déposé son manteau et tenait un linge de chaque main, puis elle prit de l'eau, et se mit à laver leurs pieds et à les essuyer avec les linges, et à les baiser pieusement, en les serrant dans ses bras : Que faites-vous, ma dame et sœur? s'écria David ; certes, si le roi le savait, il ne voudrait plus jamais baiser de ses lèvres votre bouche souillée par le contact de, ces pieds lépreux. Alors la reine souriant : Ignorez-vous que les pieds du roi éternel sont bien préférables aux lèvres d'un roi périssable? Aussi je vous ai fait appeler auprès de moi, mon frère chéri, pour que mon exemple vous apprenne à en faire autant : agissez, je vous en prie, comme vous me voyez agir. » Et son frère lui ayant répondu que jamais il ne pourrait s'y résoudre. elle se mit à insister et à le supplier; mais lui se retira en souriant. Cette même année le roi Henri, après avoir tout disposé en Normandie pour ses intérêts, repassa en Angleterre , afin de doubler ses forces et de revenir plus redoutable. Promesses Faites Par Henri Aux Anglais De Race. — Bataille De Tinchebray. —Météores. — Retour sur la mort de Guillaume-le-Conquérant. — L'an du Seigneur 1106 , le duc de Normandie, Robert, vint trouver son frère a Northampton , le priant avec douceur de lui rendre son amitié fraternelle. Mais Dieu ne consenti! pas à leur rapprochement. Cependant le roi Henri se sentait troublé par des remords de conscience ; dès sa jeunesse, et par le conseil de son père, il avait étudié avec soin les belles-lettres, il était aussi fort habile dans le droit qui lui avait été enseigné secrètement[176] ; il craignait donc en lui-même ceux que son action révoltait, et redoutait déjà le jugement du Dieu, vengeur ; car il ne pouvait se dissimuler qu'il avait enlevé injustement, et qu'il retenait méchamment un royaume sur lequel son frère aîné avait des droits manifestes. Mais comme il craignait les hommes plus que Dieu, il fit pencher en sa faveur, par des promesses menteuses, les nobles du royaume : comptant par la suite apaiser la colère que Dieu ressentirait d'une si grande injustice, par la fondation d'une abbaye qu'il se proposait de construire. A ce propos, un édit du roi convoqua les principaux Anglais dans la ville de Londres; et là Henri leur adressa ces paroles plus mielleuses que le miel même et plus coulantes que l'huile:[177] Mes amis et féaux natifs de ce pays où je suis né moi-même, la véridique renommée a dû vous apprendre que mon frère Robert avait été nommé et appelé par Dieu au glorieux royaume de Jérusalem ; qu'il a refusé par aveuglement et par orgueil ; que pour cela il a été justement réprouvé par le Seigneur. Vous avez pu juger aussi maintes fois que c'est un homme fier et intraitable, qui aime à batailler et qui ne peut vivre en repos : il vous méprise manifestement, vous traite de lâches et de gloutons, et ne désire que vous fouler aux pieds ; mais moi qui suis un roi doux et pacifique, je me propose de vous maintenir dans vos anciennes libertés, comme je n'ai jamais hésité à le jurer, et de vous gouverner d'après vos propres conseils avec modération et sagesse, ainsi que le doit faire un bon prince. En outre, si vous le demandez, j'en ferai un écrit signé de ma main, et je le confirmerai par de nouveaux et solennels serments : je m'engage à observer inviolablement tout ce que le saint roi Edouard, par l'inspiration de Dieu, a établi sagement. Tenez donc ferme pour moi, mes frères ; par votre puissance, votre vigueur et votre bon vouloir, confondez les desseins de ce cruel ennemi qui me menace, moi et tout le royaume d'Angleterre ; car si la bravoure des Anglais me seconde, je ne crains plus les folles menaces des Normands. Ces promesses brillantes qu'il devait finir par fausser impudemment lui concilièrent tous les cœurs, et décidèrent les Anglais à le défendre au péril de leur vie contre tout adversaire. Le duc revint en Normandie violemment irrité ; le roi l’y suivit jusqu'au château de Herchebray.[178] Il entraînait à sa suite et animait contre son frère presque tous les seigneurs de Normandie et d'Anjou, ainsi que les auxiliaires anglais et bretons. Robert s'avança avec Robert de Belesme et le comte de Mortain pour faire lever le siège commencé. Or, plusieurs de ses chevaliers s'étaient jetés dans ce château bien fortifié, et pendant l'éloignement du duc ils attendaient intrépidement les attaques du roi et se défendaient avec vigueur. Robert arriva enfin, et au son des trompettes il assaillit audacieusement avec peu de monde la nombreuse armée de son frère. Habitué aux combats terribles de la croisade, il charge impétueusement les troupes du roi et y met un affreux désordre. De son côté Guillaume, comte de Mortain, débusquant les Anglais de poste en poste, les fait reculer et va les obliger la fuite, lorsqu’Henri, avec sa cavalerie et une foule de fantassins, arrête leur déroute et les exhorte à ne pas se décourager. Enfin le corps de cavalerie bretonne attaque de front la troupe du duc, l’enfonce et la sépare ; le choc de cette masse rompt les rangs , et la victoire est gagnée. Celui qui mérita le plus d'éloges et qui décida la journée, ce fut un Breton nommé Guillaume d'Aubigny, qui, l'épée à la main, s'élança entre les rangs désunis. Le courageux duc de Normandie fut pris ainsi que Guillaume, comte de Mortain ; Robert de Belesme, voyant ses amis prisonniers, eut recours à la fuite et s'échappa. Ce combat eut lieu le huitième jour avant les calendes de mai. Ainsi Dieu châtia Robert, à qui il avait fait jouer un rôle si glorieux pendant le pèlerinage de Jérusalem ; parce qu'il avait repoussé le royaume qu'on lui offrait, et qu'il avait préféré l'indolence et le repos en Normandie au service du roi des rois dans la cité sainte. En signe de cet événement, une comète était apparue cette même année à la distance d'une coudée du soleil. Elle avait été visible depuis la troisième jusqu'à la neuvième heure, et laissait après elle une traînée lumineuse. On aperçut aussi le jour de la cène du Seigneur deux pleines lunes, là première à l'orient et l'autre à l'occident. Alors fut accompli ce que le roi Guillaume avait prédit au lit de mort à son fils Henri. En effet, au moment où il venait de léguer la Normandie à Robert et l'Angleterre à Guillaume, Henri, s'approchant de son père, lui dit en pleurant : Et moi, mon père, que me donnes-tu donc? — Je te donne, répondit le roi, cinq mille livres d'argent de mon trésor. —Mais que ferai-je de cet argent, si je n'ai ni terre ni demeure? — Sois tranquille mon fils, dit le mourant, et aie confiance en Dieu : souffre patiemment, que tes aînés te précèdent : ton temps viendra, alors tu auras toute la puissance que j'ai acquise, et tu surpasseras tes frères en autorité et en richesses. — Cette même année, fondation de l'ordre des chanoines de Salisbury. Retour d'Anselme. — Captivité du duc Robert. — Concile de Londres. — Faits divers. — L'an du Seigneur 1107, le roi Henri, après avoir détruit et subjugué ses ennemis, régla à son gré les affaires de Normandie, et vint au Bec retrouver Anselme, archevêque de Cantorbéry : là, par l'intervention d'amis communs, la paix et la concorde furent rétablies entre le roi et le prélat. Anselme céda aux prières du roi, revint en Angleterre et rentra dans son ancienne dignité. Le roi suivit de près l’archevêque en Angleterre, et enferma dans une prison perpétuelle son frère Robert et Guillaume, comte de Mortain. Mais Robert, oubliant ce sage conseil de l’Ecriture : Humiliez-vous sous la main du Tout-Puissant, se répandit en menaces et en paroles extravagantes ; il était animé surtout par les fausses promesses du comte de Chester. Il trompa donc ses gardiens, et chercha à s'évader ; mais il fut pris, étant tombé de sa haquenée dans un trou profond d'où l’on extrayait du bitume. Jusque-là il avait joui d'une sorte de liberté, et avait été traité avec égards; mais lorsque le roi apprit cette tentative, il le fit resserrer dans une prison plus étroite, et ordonna qu'on le privât de la vue avec un fer rouge,[179] mais il lui laissa les maisons de plaisance qui étaient devenues en quelque sorte sa propriété. Le duc Robert, depuis ce jour jusqu'à l'heure de sa mort, ressentit la plus vive douleur de corps et d'âme, et s'éteignit lentement. Le roi, délivré de toute crainte, commença à éluder les promesses qu'il avait faites aux grands d'Angleterre, et à proférer contre eux menaces sur menaces. Tous se plaignaient au Seigneur, tous appelaient sur sa tête la vengeance de Dieu. Dieu, le roi tout-puissant, avait accordé au roi Henri trois dons ; la science, la victoire et la richesse ; tout lui réussissait ; il surpassait tous ses prédécesseurs ; et pour tant de bienfaits, il répondait à Dieu par l'ingratitude. Cette même année eut lieu à Londres, dans le palais du roi, une assemblée d'évêques, d'abbés et de seigneurs, présidée par l'archevêque Anselme. Le roi Henri accorda enfin et posa en principe, qu'à l'avenir, en Angleterre, soit qu'il s'agît d'un évêché ou d'une abbaye, personne ne tiendrait, de la main du roi ou de tout autre laïque, l'investiture par l'anneau et le bâton. L'archevêque, de son côté, consentit à ce que celui qui serait élu à une dignité ecclésiastique, eût droit d'être consacré, même après l'hommage et le serment qu'il aurait faits au roi. Cette même année furent consacrés comme évêques, Guillaume à Winchester, Roger à Salisbury, Reinelm à Hereford, Guillaume à Oxford, et Urbain à Glammorgan.[180] La cérémonie fut faite par Anselme, archevêque de Cantorbéry, à Cantorbéry, un jour de dimanche, le trois des ides d'août. Vers le même temps moururent Maurice, évêque de Londres, fondateur de l'église de Saint-Paul, et le roi d'Ecosse Edgar, qui eut pour successeur son frère Alexandre. Le prieur Norman fonda l'église du Christ à Londres, et y établit des chanoines sous la règle de saint Augustin. Anselme maintient suprématie sur l'Eglise d'York. — L'an du Seigneur 1108, après la mort de Girard, archevêque d'York, Thomas, chapelain du roi, fut élevé au gouvernement de cette église; mais aussitôt après son élection, Anselme, archevêque de Cantorbéry, lui défendit d'exercer en aucune façon le ministère pastoral, avant qu'il eût fait soumission à l'église de Cantorbéry, et qu'il lui eût juré obéissance canonique, ainsi que l'avaient fait ses prédécesseurs Thomas et Girard, d'après un droit acquis et ancien ; Si vous refusez, ajoutait Anselme, je défendrai, sous peine d’anathème, à tous les évêques de Bretagne, de vous imposer les mains pour vous consacrer, ou de vous regarder comme évêque et de communiquer avec vous en cette qualité, si vous vous faites consacrer par un prélat étranger. Cette même année, Richard de Beaumeis fut nommé évêque de Londres et consacré par Anselme, archevêque de Cantorbéry, à Pageham, en présence d'un grand nombre de suffragants. Vers ce même temps, Philippe, roi de France, mourut, et Louis lui succéda. Mort d'Anselme. — Lettre mystérieuse. — Mariage de Mathilde avec Henri V. — Consécration de Thomas, archevêque d'York. — Création de l'évêque d'Ély. — L'an du Seigneur 1109, Anselme, archevêque de Cantorbéry, et philosophe du Christ, vit arriver sa dernière heure pendant le carême, le huitième jour avant les calendes de mai, le jour de saint Marc.[181] Les miracles fréquents arrivés sous son invocation confirment sa vie exemplaire, ses bonnes œuvres et sa mort qui le fit passer de ce monde à la patrie céleste. Dans cette année on s'entretenait beaucoup d'une lettre fameuse tombée, disait-on, du ciel entre les mains d'un prélat, tandis qu'il célébrait la messe, et qui avait pour but de modérer les iniquités des Romains, iniquités qui croissaient de jour en jour.[182] Rome se soulèvera contre le Romain, le Romain sera substitué au Romain, et Rome diminuera le Romain. La verge des pasteurs [de Rome] sera moins lourde, et la consolation sera dans le repos. Les zélés seront troublés et prieront, et la tranquillité de plusieurs sera dans les larmes. L'humble se jouera du fa ri eux, et la fureur s'éteignant se laissera toucher. Un nouveau troupeau arrivera au faîte, et ceux qui sont fiers de leurs titres se nourriront d'aliments grossiers. L'espérance de ceux qui espéraient a été frustrée ; ainsi que le repos de ceux qui consolaient, repos dans lequel ils mettaient leur confiance. Ceux qui marchent dans les ténèbres reviendront à la lumière; ce qui était divisé et dispersé sera consolidé. Un gros nuage fera tomber de la pluie, parce qu'est né celui qui doit changer le siècle. L'agneau sera substitué au lion, et les agneaux feront du butin sur les lions. La fureur s'élèvera contre la simplicité, et la simplicité affaiblie expirera. L'honneur se changera en déshonneur, et la joie de plusieurs en deuil. Cette Oléine année, l'empereur des Romains, Henri, envoya en Angleterre une ambassade solennelle pour demander en mariage Mathilde, fille du roi. Henri, le jour de la Pentecôte, à Westminster, tint sa cour qui n'avait jamais été si splendide, et là il exigea et reçut le serment des ambassadeurs, relativement au mariage de sa fille. La fille du roi fut donc donnée à l'empereur avec les cérémonies convenables. Pour le dire en peu de mots, le roi imposa trois sols sur chaque hyde de terre dans tout le royaume. Par ordre du roi se réunirent cette année à Londres, dans l'église du bienheureux Paul, Richard, évêque de Londres, Guillaume, évêque de Winchester, Raoul, évêque de Rochester, Herebert, évêque de Norwich, Raoul, évêque de Chichester, Ranulf, évêque de Durham, Hervey, évêque de Bangor, le cinquième jour avant les calendes de juin, un dimanche, à l'effet de consacrer Thomas, élu archevêque d'York. Thomas promit obéissance canonique à l'église de Cantorbéry et à ses prélats catholiquement institués ; il fut consacré par Richard, évêque de Londres. Cette même année, le roi Henri transféra dans l'abbaye d'Ely un siège épiscopal, et y fit ordonner Hervey comme évêque ; car après la mort de Richard, qui fut le dernier abbé dans File, le comté de Cambridge ayant été détaché de l’évêché de Lincoln, ce comté fut soumis, sous le rapport diocésain, à ce nouveau pontife. (Vers le même temps, dans une paroisse du pays de Liège, une laie mit bas un porc qui avait un visage humain ; et d'une poule naquit un poulet qui avait quatre pattes.[183]) Guerre de Bohémond contre les Grecs. —Sa mort. — Avènement de Louis VI en france. — Faits divers en Palestine. — Vers cette époque, Bohémond, prince d’Antioche,[184] se souvenant des vexations que l'empereur Alexis, homme plein de malice et de fourberie, ne cessait de faire supporter aux pèlerins qui voulaient se rendre à Jérusalem, résolut de venger l'injure commune des croisés. Il rassembla cinq mille chevaux et quarante mille hommes de bonnes troupes, et entra à main armée sur les terres dudit empereur ; pilla presque toutes les villes maritimes ; puis ravagea la première et la seconde Epire. Enfin il vint mettre le siège devant Dyrrachium, métropole de la première Épire, et dévasta tout le pays d'alentour par la rapine et l’incendie. A cette nouvelle l'empereur accourut au secours avec une nombreuse milice; mais des médiateurs intervinrent, et l'empereur fit un traité confirmé par serment, s’engageant à prêter désormais bonne et sincère assistance pour leur voyage, aux fidèles chrétiens qui voudraient passer en Orient. Le traité ayant été ratifié, Bohémond descendit dans l’Apulie pour y régler des affaires particulières. L'été suivant, au moment où il se disposait à revenir à Antioche, après avoir rassemblé de tous côtés un corps de troupes, il fut pris d'une violente maladie et mourut, laissant un fils nommé aussi Bohémond, qu'il avait eu de Constance, fille du roi de France Philippe. Ce même Philippe, homme illustre, venait de mourir vers cette époque. Son fils Louis lui succéda, et régna pendant vingt-huit ans. Vers le même temps,[185] Baudouin, comte d'Édesse, et son cousin Jocelin, ayant donné des otages pour leur rançon, furent délivrés des fers des Turcs ; et peu de jours après, ces otages réussirent à tuer ceux qui les gardaient, et à revenir dans leur pays. Cette même année, Bertrand, comte de Toulouse, fils du comte Raymond, aborda près de Tripoli sur des vaisseaux génois, assiégea, prit et rendit à l'unité catholique Biblos, ville maritime de la Phénicie. Enfin, peu de temps après, le roi de Jérusalem, Baudouin, avec le secours de la flotte que le comte avait amenée, s'empara de Tripoli, dont il fit don audit comte Bertrand. du Maine a l'Anjou. — Translation de saint Oswin. — Comète. — Faits divers. — L'an du Seigneur 1110, le roi des Anglais, Henri, priva de leurs héritages Philippe de Brause, Guillaume et Guillaume Binard, ainsi que d'autres félons, il fit périr aussi Hélie, comte du Maine, qui tenait cette province sous le vasselage du roi. A cette nouvelle, Geoffroy, comte d'Anjou, épousa la fille de ce même Hélie, et s'empara-du comté, où il se maintint contre le roi Henri. — A cette époque, la lune parut s'éteindre. —Cette même année, Richard, abbé de Saint-Albans, au milieu de l'enthousiasme du clergé et du peuple, transporta dans la nouvelle basilique de la Vierge Marie, à Tynemouth, les précieuses reliques du bienheureux roi et martyr Oswin,[186] dont le corps se trouvait auparavant dans une ancienne chapelle consacrée aussi à la mère de Dieu, où il avait été d'abord découvert et placé dans un nouveau cercueil. Cette translation eut lieu le jour de la passion de ce même martyr, le dix avant les calendes de septembre, en vertu d'un rôle émané du chancelier. Cette même année, Henri donna sa fille Mathilde à l'empereur d'Allemagne. Cette année aussi, le saint ermite Godrik naquit à Finchale. Sa vie exemplaire dura soixante ans, et quand enfin il fut délivré du fardeau de ce corps, il monta aux demeures célestes, pour partager avec les saints les délices éternelles. Cette année aussi une comète apparut, en présentant un phénomène étrange ; car s'étant montrée à l'Orient et ayant monté sur l'horizon, elle semblait non pas s'avancer, mais reculer. Vers le même temps le roi de Jérusalem, Baudouin, subjugua victorieusement Béryte, ville maritime de Phénicie, et la rendit à l'unité catholique. Elle est située entre Biblos et Sidon. Dévastation de l'Anjou. — Faits divers. — L'an du Seigneur 1111, le roi des Anglais, Henri passa en Normandie pour attaquer le comte d'Anjou qui occupait malgré lui le pays du Maine. Il usa par le fer et par le feu du terrible droit de la guerre, et commit d'affreux ravages sur les domaines du comte et sur tout le territoire. A cette époque une horrible mortalité se jeta sur les animaux, et une cruelle famine désola la Normandie. Henri, roi d'Allemagne, mit en prison le pape Pascal. Histoire de Sainte-Frédeswithe. — Mort du comte de Flandre. —Prise de Sidon. — Dans ce même temps Roger, évêque de Salisbury, donna à un chanoine nommé Wimund un terrain à Oxford, où reposait le corps de la bienheureuse vierge Frédeswithe. Wimund y établit pieusement des chanoines réguliers, bons serviteurs de Dieu, et y exerça les fonctions de prieur. Ce lieu avait été depuis longtemps consacré à des religieuses, en mémoire de cette bienheureuse vierge qui, par amour pour l'époux céleste, avait méprisé un époux selon le monde. Le fils d'un roi du pays désirait ardemment épouser la jeune fille ; mais ne pouvant réussir ni par prières ni par caresses, il résolut de la posséder de force. Frédeswithe en fut avertie, et se réfugia dans une forêt épaisse ; cependant sa retraite ne put échapper à son amant, qui ne prit pas de repos avant de s'être mis ardemment à sa recherche. La vierge, apprenant de nouveau les desseins coupables du jeune homme, prit des chemins détournés, marcha pendant la nuit, à la garde de Dieu, et arriva à Oxford. Mais le matin, cet amant forcené accourut à son tour, et la vierge, désespérant de pouvoir fuir, à demi morte de lassitude et ne pouvant plus faire un pas, implora avec ardeur la protection de Dieu, et appela son courroux contre celui qui la persécutait. Déjà le jeune homme, accompagné de sa suite, touchait aux portes de la ville, lorsque la main de Dieu le frappa de cécité. Comprenant alors qu'il était puni de son opiniâtreté, le jeune homme, privé de la vue, envoya prier Frédeswithe d'avoir pitié de lui, et recouvra la lumière aussi aisément qu'il l'avait perdue par la malédiction de la jeune fille. Depuis ce temps, les rois d'Angleterre redoutèrent d'entrer dans la ville, et se gardèrent d'y demeurer, parce qu'elle passait pour leur être funeste, et qu'ils ne voulaient pas éprouver à leurs risques et périls la vérité du fait. La vierge bienheureuse construisit dans ce lieu même un monastère de filles qu'elle gouverna avec le titre d'abbesse, et servit Dieu jusqu'à la fin de sa vie. Au temps du roi des Anglais Ethelred, des Danois destinés à la mort se réfugièrent dans ce monastère pour y trouver asile ; mais on y mit le feu, et il fut brûlé, ainsi que ceux qu'il renfermait. Cependant, peu après, ce même roi Ethelred le reconstruisit et y ajouta des possessions convenables. —Cette année-là mourut Robert, comte de Flandre, qui s'était distingué dans le glorieux voyage de Jérusalem. Aussi son nom ne périra pas. Après lui fut nommé comte son fils Baudouin. — Cette même année, la ville de Sidon, sur le bord de la mer, fut assiégée et prise par le roi de Jérusalem, le magnanime Baudouin. Accord entre l’empereur Henri V et le pape. —Mort de Tancrède. —-L'an du Seigneur 1112, une querelle s'éleva a Rome entre le pape Pascal et l'empereur Henri à ce sujet : l'empereur voulait conserver le privilège de ses prédécesseurs, privilège exercé par eux depuis trois cents ans, et sous soixante pontifes romains, et qui consistait à donner légitimement l'investiture aux évêques et aux abbés par l'anneau et le bâton pastoral. De leur côté les pontifes romains affirmaient que l'épiscopat ou toute autre dignité ecclésiastique, ne pouvait ni ne devait être conférée d'une main laïque, par bâton ou par anneau. La paix fut faite entre l'empereur Henri et le pape Pascal : désormais les évêques et les abbés purent recevoir de l'empereur et de ses successeurs l'investiture par crosse et par anneau ; mais ils durent faire préalablement serment d'obéissance canonique au prélat de qui ils dépendaient, et recevoir la consécration accoutumée. Cet accommodement fut conclu devant l'autel des apôtres Pierre et Paul, aux yeux de tout le peuple, et le pape fit communier l'empereur.[187] Cette même année mourut l'illustre Tancrède, si célèbre dans la croisade ; il était alors prince d'Antioche et comte d'Edesse. Le seigneur Roger, fils de Richard, lui succéda à condition que, dès que le jeune Bohémond réclamerait Antioche, il, lui rendrait la principauté sans résistance. Cette même année eut lieu une terrible mortalité. Discussion entre les deux nouveaux archevêques. — Tremblement de terre en Syrie. — Défaite de Baudouin. — L'an du Seigneur 1113, le roi Henri donna l'archevêché de Cantorbéry à Raoul, évêque de Londres,[188] et l'investit par l'anneau et la crosse. Cette, même année, mourut Thomas, archevêque d'York, et Turstan lui succéda. Une grande discussion s'éleva entre Raoul, archevêque de Cantorbéry, et Turstan, archevêque d'York, parce que l'archevêque d'York, contrairement à la coutume admise par ses prédécesseurs, refusait de se soumettre à l'archevêque de Cantorbéry. La querelle fut souvent portée devant le roi et le seigneur-pape ; mais elle ne fut pas encore terminée comme il convenait. Cette même année, le roi Henri conduisit une armée dans le pays de Galles, et soumit les Gallois à la domination royale. Cette même année, au mois de mai, une grande comète apparut; et, peu après, un tremblement de terre renversa une partie de la ville de Malmistra, non loin d'Antioche, ainsi que deux châteaux, Triphalege et Marésie. Cette année aussi, Menduc, prince de Perse, entra sur le territoire des chrétiens avec une si grande multitude de troupes, que l’on ne peut en exprimer le nombre. Après avoir traversé beaucoup de pays, il vint camper près d'un pont jeté sur le Jourdain. A dette nouvelle, le roi de Jérusalem, Baudouin, appela à son secours Roger, prince d’Antioche. Mais avant que ce renfort fût arrivé, le roi, par une ardeur téméraire, et par une confiance trop présomptueuse en ses propres forces, s'avança avec peu de monde au devant des ennemis. Il tomba, sans s'y attendre, dans une embuscade que les Sarrasins avaient préparée, et, accablé par la multitude des ennemis, il se vit forcé de recourir à la fuite, en abandonnant son étendard sur le lieu du combat. Le patriarche Arnulf et d'autres seigneurs avec lui s'échappèrent aussi, laissant honteusement au pouvoir des ennemis, leur camp et tout ce qu'il renfermait. Du côté des nôtres, trente cavaliers et quinze cents fantassins restèrent sur la place. Les Turcs alors, sachant que les autres parties du royaume étaient dégarnies de soldats, envoyèrent des troupes, et se mirent à parcourir le pays en tous sens, semant partout le carnage et l'incendie, détruisant les métairies, faisant prisonniers les habitants des campagnes, et ramenant force butin des villages et bourgades où ils entraient. Cependant le roi Baudouin, dans sa fuite, avait gagné un château de sa dépendance, où il fut longtemps assiégé par les ennemis, et qu'il ne leur rendit qu'à condition d'en sortir avec ses hommes, et de retourner en liberté dans ses états. Serment prêté au fils aîné d'Henri Ier. — Phénomènes et faits divers. — L'an du Seigneur 1114, le roi des Anglais, Henri, fit prêter à tous les seigneurs dont il était suzerain serment de fidélité envers son fils Guillaume, qu'il avait eu de sa femme Mathilde. Cette même année, au mois de décembre, le ciel parut rouge tout à coup comme s'il était en feu, et il y eut une éclipse de lune. Le quatrième jour avant les calendes d'avril, la Tamise fut desséchée, ainsi que la mer elle-même,[189] à une distance de douze milles, pendant deux jours. Raoul, évêque de Rochester, est élevé à l'archevêché de Cantorbéry, le septième jour avant les calendes de mai. Vers le même temps, eurent lieu plusieurs prodiges. Apparition d'une comète au mois de mai. Dédicace de l’église de Cantorbéry. Nouvelle discussion entre les deux archevêques de Cantorbéry et d'York. — L'an du Seigneur 1115, Raoul, archevêque de Cantorbéry, fut consacré à Cantorbéry par Anselme, légat de seigneur pape, et reçut de lui le pallium. Dans cette même journée, ledit archevêque consacra comme évêques, Théophile pour Worcester, et Bernard pour Saint-David. Peu de jours après, l'archevêque de Cantorbéry enjoignit à Turstan, élu archevêque d'York, de venir, selon la coutume, recevoir sa bénédiction et lui jurer obéissance à lui et à l'église de Cantorbéry. Turstan répondit que, quant à la bénédiction, il la recevrait volontiers; mais que, quant à la profession d'obéissance qu'on exigeait, il ne la ferait en aucune manière. A cette nouvelle, le roi Henri jura publiquement que si, à l'exemple de ses prédécesseurs et comme il le devait, il ne rendait pas ses devoirs à l'église de Cantorbéry, il eût à renoncer non pas seulement à la bénédictin, mais à l'archevêché lui-même. De son côté, l'archevêque de Cantorbéry interjeta appel pour empêcher Turstan de se faire consacrer par un autre que par lui, et ils se séparèrent. Dédicace de l'Eglise de Saint-Albans. — Guerre entre Henri Ier et Louis VI. —A la fin de cette année et au commencement de l’année suivante 1116, vers les fêtes de Noël, le jour des Innocents, le roi Henri et la reine Mathilde assistèrent à la dédicace de l'église de Saint-Albans. La cérémonie fut faite par Geoffroy, archevêque de Rouen, lequel s'étant trouvé fatigué à cause de la grandeur de l'église, fut remplacé par Robert, évêque de Lincoln, qui en fut prié par le vénérable Richard, abbé du lieu. Etaient présents à cette inauguration, outre le roi et la reine Mathilde, Geoffroy, archevêque de Rouen, Richard, évêque de Londres, Roger, évêque de Salisbury, Ranulf, évêque de Durham, ainsi qu'une foule de comtes d'Angleterre et de Normandie. L'abbé Richard reçut et traita splendidement le roi et tous les gens illustres qui l'accompagnaient. Le roi Henri fit donation perpétuelle de Bishopescote à ladite église de Saint-Albans, et confirma sa donation par une charte solennelle. Cette même année s'éleva une grande discorde entre les rois de France et d'Angleterre, parce que Thibaut, comte de Blois, neveu du roi Henri, avait pris les armes contre le roi de France. Le roi Henri avait envoyé un corps d'armée à son secours, et grandement nui aux intérêts du roi Louis. Le roi de France, fort inquiet, appela à son aide les comtes d'Anjou et de Flandre, qui lui jurèrent d'enlever la Normandie au roi Henri et de la rendre à Guillaume, fils du duc Robert, frère d’Henri, comme à son possesseur légitimé. Mais le roi d'Angleterre, prudent et adroit, se fortifia de son côté par l'alliance du comte de Bretagne et de Thibaut, et avec une armée de Normands, d'Anglais et de Bretons, il attendit l'arrivée des ennemi? Le roi de France, il est vrai, entra en Normandie avec les comtes, ses alliés, et une nombreuse armée; mais, après y avoir passé une nuit à peine, il craignit de se mesurer avec le roi d'Angleterre, et revint dans ses étais sans avoir rien fait. Cette même année, pour subvenir aux besoins du roi, l'Angleterre eut à subir une foule d'exactions. Faits divers. — L'an du Seigneur 1117 les orages, les grêles, les tremblements de terre, emportèrent en Lombardie églises, tours, arbres, édifices, avec leurs habitants. Le troisième jour des ides de décembre, la lune parut être d'un rouge sanglant. Robert, pour la première fois, établit quelques moines à Merton, et y fixa son séjour. Cette même année expira le vénérable Hyon,[190] évêque de Chartres, homme fort instruit dans les saintes écritures. Mort du pape Pascal et de la reine Mathilde. — L'an du Seigneur 1118, après la mort du pape Pascal, il y eut un antipape sous le nom de Gélase ; mais, comme il ne régna qu'un an, il eut pour successeur Calixte régulièrement élu. Cette même année mourut Mathilde, reine d'Angleterre. Son corps reposa paisiblement à Westminster, et à des signes et des miracles évidents, on reconnut que son âme était en possession des demeures célestes. Cette reine bienheureuse éleva dans la ville de Londres une maison de lépreux avec une chapelle et des dépendances convenables. Cette maison est appelée encore aujourd'hui l'hôpital de Mathilde. Etablissement et progrès de l'ordre des Templiers. — Mort de Baudouin Ier. — Vers cette époque, d'illustres chevaliers, dévots et craignant Dieu, se consacrèrent au service de Dieu, à la façon des chanoines réguliers, et firent vœu de pratiquer toujours la chasteté, l'obéissance et la renonciation à soi-même, entre les mains du patriarche de Jérusalem. Les premiers furent les vénérables Hugues de Payens et Godefroi de Saint-Omer.[191] Comme ils n'avaient pas d'habitation en propre, le roi Baudouin leur céda une partie de son palais, qui du côté du midi touchait presque au temple du Seigneur. D'autre part, les chanoines du temple leur donnèrent un terrain qu'ils possédaient auprès dudit palais, pour qu'ils y construisissent des bâtiments attenants. Le patriarche, le roi, une foule de grands et de prélats leur assignèrent sur leurs propres biens un revenu fixe pour la nourriture et l'habillement. Le premier but des chevaliers de cet ordre était de racheter leurs péchés en tenant les chemins libres d'embuscades et de brigandages, dans l'intérêt de ceux qui entreprenaient le voyage de la Terre-Sainte. Neuf ans après, au concile de Troyes, le pape Honorius leur donna une règle, et ordonna qu'ils porteraient l'habit blanc. Primitivement ils n'avaient été que neuf, mais dans cet espace d'environ neuf ans, leur nombre commença à augmenter et leurs possessions à s'accroître. Dans la suite, au temps du page Eugène, ils durent coudre à leurs manteaux des croix de drap rouge, comme signe qui les distinguât des autres. Bientôt leur nombre s'accrut, au point de s'élever dans leurs assemblées à plus de trois cents chevaliers, sans compter les frères d'un rang inférieur, dont la multitude est immense. On prétend que leurs domaines, au-delà et en deçà de la mer, sont si vastes, qu'il n'est dans le monde chrétien aucune province où ils ne possèdent quelques terres, et qu'aujourd'hui leurs richesses dépassent de beaucoup celles des rois. Comme ils avaient eu leur premier séjour près du temple du Seigneur, on les appela les frères de la Milice du Temple. Ils vécurent longtemps dans la pratique des vertus. Mais maintenant, après avoir abjuré l'humilité de leurs premiers vœux, ils se sont tout à fait soustraits à l'autorité du patriarche, qui dans le principe les avait institués et comblés de bienfaits ; ils se dispensent d'obéir aux églises et de leur payer les dîmes ; enfin ils sont à charge à tout le monde. — Cette même année mourut le roi de Jérusalem, Baudouin Ier, prince magnanime, qui ajouta victorieux sèment à son empire les villes d'Acre, de Césarée, de Béryte, de Sidon, de Tripoli, d'Arsuth, et le territoire des Arabes jusqu'à la mer Rouge. Il eut pour successeur un autre Baudouin, comte d'Édesse, qui fut couronné roi, le second jour du mois d'avril. Avènement de Calixte II. —Concile de Reims. — Erreurs et condamnation de Gilbert de La Porrée. — L'an du Seigneur 1119, après la mort du pape Gélase, Calixte lui succéda et régna pendant dix ans dix mois et treize jours.[192] Il avait été d'abord évêque de Vienne, sous le nom de Guy : depuis sa consécration comme pape, on l'appela Calixte. Ce pontife tint à Reims[193] un concile où le roi Henri envoya quelques évêques d'Angleterre et de Normandie. Turstan, élu archevêque d'York, obtint du roi la permission de s'y présenter après avoir promis avec serment de ne pas recevoir du pape la bénédiction. Arrivé au concile, il mit dans son parti, à force de largesses, les Romains qui n'ont pas l'habitude de refuser. Grâce à eux il obtint d'être consacré par le pape. Dès que le roi d'Angleterre en fut informé, il lui interdit toutes les terres de sa domination. Dans ce concile, ce même pape condamna les erreurs de maître Gilbert de La Porrée,[194] qui était tombé dans l'hérésie sur quatre points. 1° Gilbert disait que la nature divine qu'on appelle divinité, n'est point Dieu, mais la forme par laquelle Dieu est Dieu; de même que l'humanité n'est point l'homme, mais la forme par laquelle l'homme est homme. Le concile répondit : Nous croyons que la nature simple de Dieu est Dieu, et qu'on ne peut nier en aucun sens catholique que Dieu soit la divinité. De même quand on dit Dieu est sage par la sagesse, Dieu est grand par la grandeur, Dieu est éternel par l'éternité, Dieu est un par l'unité, Dieu est Dieu par la divinité, nous croyons qu'il n'est point sage autrement que par cette sagesse qui est Dieu lui-même, grand autrement que par cette grandeur qui est Dieu lui-même, éternel autrement que par cette éternité qui est lui-même, un autrement que par cette unité qui est lui-même, Dieu autrement que par cette divinité qui est [lui-même et] en lui-même ; c'est-à-dire qu'il est en lui-même sage, grand, éternel, un, Dieu. 2° Gilbert disait: Les personnes, c'est-à-dire le Père et le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas un seul Dieu, ou une seule substance, ou une unité quelconque; mais ces trois personnes sont trois choses différentes [en nature?] et en nombre, pas plus que trois hommes ne peuvent avoir en nombre une seule humanité (?). Le concile répondit : Quand nous parlons des trois personnes, Père, Fils et Saint-Esprit, nous disons qu'elles sont un Dieu et une substance divine, et réciproquement, quand nous parlons d'un Dieu et d'une substance divine, nous disons qu'un Dieu et une substance divine est trois personnes. 3° Gilbert disait : Quant à ce qui regarde les propriétés des personnes, ces propriétés sont des relations éternelles qui, loin de se confondre avec les personnes en sont distinctes en nombre et en substance et ont trois unités, de sorte qu'il y a plusieurs êtres éternels dont aucun n'est Dieu. Le concile répondit : Nous croyons qu'il n'y a d'éternel que Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ; et qu'aucune autre chose qu'on l'appelle relation, propriété ou unité, ne peut se trouver en Dieu, être éternelle, sans être Dieu. En quatrième lieu Gilbert disait que la nature divine n'a pas été incarnée.[195] Le concile répondit : Nous croyons que la divinité, soit qu'on parle de la substance divine, soit qu'on parle de la nature divine, a été incarnée, mais dans le Fils [seulement.]
[152] On le surnommait clerc ou beau clerc ; le clergé le favorisait parce qu'il aimait la littérature du temps : h peuple, parce qu'il était né et avait été élevé en Angleterre. [153] Lisez Hertfordshire. Toutes les fois que Matt. Paris relate un diplôme des rois anglais, il transcrit l'exemplaire adressé au vicomte de la province où se trouvait saint Albans. [154] Les droits de relief étaient ceux que payait l'héritier du fief en en recevant de nouveau l'investiture, comme si le fief avait besoin d'être relevé après la mort du possesseur. Ce droit était en proportion de l'importance du fief. [155] Henri Ier, dit Hume, renonça au droit qu'il pouvait prendre sur les monnaies. C'est ce qui nous détermine à traduire ainsi monetagium. [156] Opere (ouvrage-servage) est ajouté dans la charte reproduite par Etienne Langton, à l'année 1213. [157] Nous pouvons en conclure, dit Lingard, qu'à cette époque la couronne ne tirait aucun émolument de la garde des bénéfices vacants ; qu'elle ne mettait aucun empêchement aux mariages des parentes de ses tenanciers ; que le grand conseil des tenanciers prononçait sur le mariage des héritières ; que les veuves étaient libres de choisir leurs époux ; que la tutelle de l'héritier et la garde de ses biens étaient confiées à sa mère et à ses plus proches parents ; que le taux des reliefs était fixé par la loi, et qu'il y avait des biens appelés hœreditates, qui ne payaient rien; que la disposition des propriétés personnelles, par testament, était valide sans le consentement du roi ; que les propriétés personnelles de-ceux qui mouraient sans avoir fait de testament étaient partagées entre ses plus proches parents ; que les amerciaments (amendes) qui mettaient à la merci du roi les biens personnels d'un délinquant étaient inconnus. Tel était, sans doute, le droit avoué ; mais Henri Ier et ses successeurs ne craignirent pas de le violer toutes les fois qu'il était en opposition avec leurs intérêts. La grande charte elle-même, qui augmentait et confirmait les libertés de la charte d’Henri Ier, fut-elle jamais une, barrière suffisante ? [158] Lorsque plus tard Henri Ier se rétracta tous les exemplaires furent enlevés. Il n'en resta que trois copies qui par hasard échappèrent, une à Cantorbéry, une à York, et l'autre à Saint-Albans. C'est peut-être ce qui a fait révoquer en doute, par quelques historiens, l'authenticité de cette charte. Mais le témoignage unanime des contemporains prouve évidemment son existence. [159] Le concile de Clermont. [160] La chronique de Sigisbert va réellement jusqu'à l’année 1113. Il tait moine de l'abbaye de Gemblach ou Gemblours, dans le diocèse de Namur en Brabant. Partisan de l'empereur Henri IV, il se montre hostile aux papes. L'ouvrage qu'il avait composé en faveur des prêtres mariés est perdu : on n'en a plus que le titre. [161] C'est à peu près l'histoire de Richard et de Saladin exerçant la forcé de leur poignet, dans le roman de W. Scott, Richard en Palestine. [162] Ordinairement uterinus veut dire frère de mère, et germanus, frère de père et de mère. Or, Baudouin, comme Godefroi, était fils d'Eustache II, comte de Boulogne, et d'Ida, fille de Geoffroi d'Ardeone. D'ailleurs, Matt. Paris vient de dire frater ex utroque parente. [163] Cauteriatum, à qui la conscience cuisait. [164] Bridgenorth, dit M. Aug. Thierry. [165] Les rois d'Angleterre, à l'exemple des empereurs, s'étaient mis en possession de donner l'investiture des évêchés avec l'anneau et le bâton pastoral, et d'exiger des évêques investis le serment de fidélité. Henri Ier montra une grande modération dans cette querelle et dans les négociations qui suivirent. La discussion se termina par un traité en vertu duquel le roi renonça aux investitures, et garda le droit de recevoir le serment. Le P. d'Orléans (Hist. des Révol. d'Angleterre) diffère peu de Matt. Péris dans la narration des faits, mais se trempe dans les dates qu'il recule de cinq ans au moins 1110 pour 1104, etc. [166] Dans le Devonshire. Le texte donne Tanstokensis. [167] Ancienne abbaye d'Angleterre, en Dorsetshire, à cinq milles et demi M, de Dorchester. (Dict. de Lamartinière.) [168] Aliquid rubet. Aujourd'hui encore proverbialement et trivialement un rouget, pour dire une pièce d'or. En langage d'alchimie, on appelle rouge la teinture d'élixir arrivée au point de donner la couleur de l’or à l'amalgame. (Dict. de Trévoux.) [169] Les grands succès de la première croisade avaient inspiré à un grand nombre de personnes le désir de passer en Palestine, et plus de deux cent mille hommes, tant Lombards que Français et Allemands, s'étaient enrôlés pour une nouvelle expédition. Les premiers avaient pour chefs l'évêque de Milan, Albert, comte de Blaudras, son frère Guido, Hugues de Mont-Béel, Othon, neveu d'Albert, et Vigebert, comte de Parme. Ils arrivèrent à Nicomédie vers les fêtes de Pâques de l’an 1102. Conrad, connétable de l'empereur Henry IV, les joignit avec les Allemands, et ils furent suivis d'Etienne, comte de Blois, etc. (Introduct. à l'Hist. de l'univers. —Croisades.) [170] Il y a évidemment exagération ; à moins qu'on ne lise quinquaginta millia. [171] L'apôtre saint Paul qui était dans cette ville. [172] Assur, dit Matth. Paris, qui l'appelle plus bas Arsur et Assi. Cette ville, fondée par Hérode, à trois lieues de la mer, se nommait aussi Antipatride, mais différait d'une autre Antipatride, située plus près de la mer et de Joppé. [173] Lamartinière cite Saurona, et renvoie à Ramla; mais n'en parle pas dans cet article. [174] Cette ville était très ancienne. Strabon, Pline et Etienne de Byzance rappellent Acé, d'autres la nommaient Accon, conformément aux Hébreux qui lui donnaient pour nom Haco. Ortélius s'est trompé lorsqu'il a confondu cette ville avec celle d'Accaron. Josèphe l'appelle Arcé et Actipus. Elle fut nommée Ptolémaïde par Ptolémée, roi d'Egypte. (Moréry, Dict. Hist., art. Acre.) En effet, Ptolémée Philadelphe, qui l'agrandit, entreprit d'en faire un arsenal maritime, comme les rois syriens avaient fait pour Raphia. L'empereur romain Claude y envoya une colonie, et son port devint dès lors le rendez-vous des marchands. Ce port est un golfe dont la courbe embrasse cinq lieues jusqu'à Caïphas, à l'autre extrémité. En ligne droite par mer la distance n'est que de deux lieues. On voit l'inexactitude des assertions géographiques de Matt. Paris. [175] Charan ou Haran, lieu célèbre aussi par la défaite de Crassus, l'an 53 avant Jésus-Christ. [176] On sait quelles entraves les papes opposèrent primitivement à l'étude du droit civil ; c'est sans doute ce qui motive l'expression secreto. Honorius III, au commencement du treizième siècle, en défendait encore, mais en vain, l'enseignement dans l'université de Paris. Déjà sous Louis le Gros les Institutes avaient été traduites, et le droit était professé à Orléans et à Angers, en face de la théologie. Lanfranc est généralement regardé comme celui qui apporta le droit romain en France. Quelques-uns même veulent qu'il ait enseigné à Angers. Il fut très probablement le maître d’Henri Beauclerc. [177] M. Augustin Thierry place avec plus de vraisemblance ce discours à l'avènement d’Henri Ier, et assure au contraire que le roi normand usa de plus cruelles violences pour arracher de l'argent à ses sujets saxons dans l'expédition qu'il préparait. Il cite à ce sujet les paroles d'Edmer, écrivain contemporain. [178] Ou mieux Tinchebray, à trois lieues de Mortain. La mauvaise administration de Robert, la légèreté et la douceur de son caractère avaient causé et entretenu des révoltes dont Henri sut habilement profiter. [179] Lingard élève une discussion sur cet événement, parce qu'aucun contemporain n'en fait mention ; mais Beauclerc, qui se piquait d'être bon et rude justicier, livra ses propres petites-filles encore enfants à un baron qui leur arracha les yeux et le nez (Orderic Vital, p. 716, 717), et fit passer sa fille en hiver, demi-nue, dans un fossé glacé. Un pareil homme mérite-t-il ce doute? (M. Michelet, Hist. de France, tome ii. Note.) [180] C'est-à-dire à Landaf, évêché du pays de Glammorgan. Près de Landaf, était Cardiff, le lieu de la captivité de Robert de Normandie; le Glammorgan, récemment conquis sur les Gallois, s'étendait au-delà du cours de la Saverne. [181] Saint Anselme, né dans la ville d'Aost-en Piémont, mourut le 24 avril 1109, à soixante-seize ans. Matt. Paris l'appelle philosophe du Christ, probablement à cause de ses nombreux ouvrages de théologie et de scolastique. II s'éleva au-dessus de ses contemporains, et créa la métaphysique scolastique dans son livre intitulé : Monologium, où il essaya de développer systématiquement la science de Dieu et des choses divines d'après des principes rationnels. (M. Desmichels, Précis de l’Hist. du moyen âge.) Du reste, il est loin d'argumenter avec la hardiesse de Roscelin. Il lui reproche surtout de vouloir comprendre avant de croire : Le chrétien, dit-il, doit marcher à la compréhension par la foi, et ne doit pas s'avancer vers la foi par la compréhension, ou bien renoncer à la foi, s'il ne peut comprendre. [182] J'ai comparé cette lettre à celle qui se trouve reproduite à la date de l'année 1226, et qui est évidemment la même, en cherchant à lui donner le sens le plus admirable. [183] Intercalation fournie par le manuscrit de Wendover. [184] Bohémond, pressé par le manque d'argent et par les attaques continuelles des Grecs et des Turcs, prit la résolution courageuse d'armer les forces de l'Occident contre l'empire de Byzance, et d'exécuter le projet que lui avaient tracé les leçons et l'exemple de son père Guiscard. Il s'embarqua secrètement, et, s'il faut en croire un conte de la princesse Anne (Comnène), traversa la mer occupée par ses ennemis soigneuse ment caché dans un cercueil. Il fut reçu en France au bruit des applaudissements publics, et le roi lui donna sa fille en mariage (Constance, fille de Philippe Ier). Son retour fut glorieux, puisque les guerriers les plus renommés du siècle consentirent à marcher sous ses ordres. (Gibbon.) [185] De 1108 à 1137. — Si Matt. Paris entend par ces mots, successit viginti octo annis, lui succéda, âgé de vingt-huit ans, il est également exact. Louis VI n'avait pas encore treize ans à la mort de son père. [186] Ou Oswald, tué vers 647, en combattant Penra, roi de Mercie. [187] Cet accord doit être placé au mardi 11 avril 1111. (Voy. Petr. Diac. et les acta Pascal, dans la Collect. de Baronius). L'opposition des cardinaux et de Bruno, abbé du mont Cassin, força Pascal à convoquer le concile général de Latran (28 mars 1112); le concile annula le privilegium quod vere debet dici pravilegium. On sait les violences qui suivirent jusqu'au concordat de Worms (1122). [188] La variante remarque, avec raison, qu'il était évêque de Rochester. Matt. Paris le dit lui-même plus loin. [189] Texte douteux. Doit-on comprendre : Et la mer n'y afflua pas, etc. [190] Hyon ou Yves de Chartres est surtout connu par son te le à défendre les libertés gallicanes contre les envahissements du pouvoir papal. Il assurait que les évêques ne devaient point être reçus s'ils n'avaient fait serment de fidélité au roi. Dans une lettre à l'archevêque de Lyon, légat du pape, il disait que les rois en donnant les évêchés n'entendent rien donner du spirituel ; mais ce qui est du temporel, lequel ne peut c être possédé que par droit humain, non par droit divin, et que les papes ont quelquefois différé les consécrations des évêques élus jusqu'à ce que les rois eussent donné leur consentement, comme étant les chefs et les fondements du peuple. (M. Ruelle, Abrégé de l'Hist. de France, chap. xxiii.) [191] Le sceau des templiers représentait deux chevaliers chevauchant sur le même destrier, en mémoire de la pauvreté des deux fondateurs de l'ordre. On sait qu'ils avaient pour cri de guerre et pour devise le mot Vaucent (un seul vaut cent). Cette institution fameuse, sortie pour ainsi dire du sein de l'ordre des Hospitaliers (fondé dès l’an 1100 par Gérard de Martigues), acquit bientôt une telle importance, que la fille enrichie paraissait étouffer et surpasser sa mère. Chron. de Brompton. [192] Calixte II n'occupa le trône pontifical que cinq ans, de 1149 à -1424. Il succédait à Gélase II, pape légitime, et non pas antipape comme l'appelle plus haut Matt. Paris. C'est ce malheureux Gélase que Cincio Frangipani, partisan de l'empereur Henri V, traîna par les cheveux et à coups d'éperons jusque dans son palais. Henri V mit à la place de Gélase un Maurice Burdin, intrigant venu de Limoges et qui avait fait sa fortune en Espagne. Calixte II eut à lutter contre Burdin au commencement de son règne. [193] Il est vrai que Calixte II tint à Reims le concile dont il est ici question, et à la suite duquel eut lieu l'entrevue de Mouzon avec Henri V. Mais Matt. Paris, comme le remarque Duboulay dans son Hist de l'Université de Paris, se trompe grandement en plaçant au même concile la condamnation de Gilbert de la Porrée. C'est dans un autre concile de Reims, tenu sous le pape Eugène III en 1118. [194] Rappelons en quelques mots la vie de cet homme célèbre. Né à Poitiers vers 1070, Gilbert de la Portée fut successivement chancelier de l'église de Chartres, professeur à Paris et à Poitiers (1111), et siégea à l'assemblée de Sens comme un des juges d'Abailard. Devenu évêque de Poitiers, il n'en dut pas moins comparaître au concile de Paris en 1117. Outre les quatre points sur lesquels insiste Matt. Paris, on lui reprocha d'avoir prétendu qu'il n'y avait point d'autres mérites que ceux de Jésus-Christ, et que le baptême n'était réellement conféré qu'à ceux qui devaient être sauvés. Mais tous les auteurs n'attribuent pas ces deux opinions à Gilbert. Condamné l'année suivante à Reims, il se rétracta, paix ses dernières années à favoriser l'étude des lettres et ceux qui s'en occupaient, et mourut universellement regretté en 1154. [195] Ce quatrième point est rapporté inexactement dans le texte. On ne peut pas dire, soutenait Gilbert, que la nature divine a pris la nature humaine, mais que la nature du Fils a pris la nature humaine, ou plus clairement, que la nature divine ne s'est point incarnée, mais seulement la personne du Fils. A cela, les pères ré pondirent : Nous croyons que la divinité même et la nature divine s'est incarnée dans le Fils. Le sed du texte est inutile. On voit, en résumant que l'erreur fondamentale de Gilbert était celle-ci : il regardait les attributs de Dieu et la divinité comme des formes différentes, et Dieu ou l'être souverainement parfait comme la collection de ces for mes. De là, il était logiquement amené à conclure que les propriétés des personnes n'étaient point les personnes mêmes, et que la nature divine ne s'était point incarnée. (Voy. Duboulay, Hist. de l'univers. — Le père Cellier, Biblioth. ecclés., 21e vol. —Pluquet, Dict. des hérésies.) |