OPPIEN
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LA
PÊCHE
ou
LES
HALIEUTIQUES
TRADUIT
PAR J.-M. LIMES
CHANT
QUATRIÈME
Les amours des poissons en font tomber un grand
nombre dans les mains des pêcheurs ; leur mortel empressement pour leurs
femelles les entraîne à de funestes hymens, à de bien fatales jouissances. O
vous, le plus puissant de ceux qui commandent aux mortels, Antonin, et vous son
cher, son divin fils ! voyez avec complaisance, avec intérêt ces ravisants
tableaux des mers dont les Muses en me comblant de leurs faveurs ont tracé les
heureuses images dans mon esprit et dans mes chants : poète, elles ont ceint
mon front de leurs lauriers immortels, pour me rendre digne de faire passer à
vos oreilles et dans vos âmes le charme enivrant de la douce harmonie !
Amour ! trompeur Amour ! (a) le plus beau sans doute des dieux, mais le plus
terrible lorsque tu portes inopinément le trouble dans un cœur : tu y exerces
le ravage comme la tempête ; tu y souffles d'horribles tourbillons de feux ; tu
y développes le ferment des douleurs aiguës, des plus intraitables fureurs ;
tu te fais un jeu cruel de voir verser des larmes, d'entendre pousser des
soupirs, des sanglots, d'embraser, de rougir les entrailles d'un feu dévorant,
de ruiner cette fleur de la beauté du corps, de creuser les yeux, de livrer l'âme
enfin au plus affreux délire. Que de victimes de ta rage effrénée, en proie
au plus horrible désordre, ont été englouties dans la tombe ! Ce sont là les
sacrifices qui te plaisent. Qui que tu puisses être, ou la plus ancienne des
divinités, sortie rayonnante des gouffres de l'informe chaos, qui as établi le
premier les lois et les nœuds de l'hymen et fait connaître le véritable objet
du rapprochement des sexes, ou que tu aies pour mère la reine de Paphos, l'ingénieuse
Vénus, et que, dieu ailé, tu tiennes d'elle cette ressemblance avec les
oiseaux, daigne m'être propice ! Viens avec ton aimable et douce bienveillance,
dicte toi-même mes chants. Quel téméraire oserait blâmer l'ouvrage de
l'Amour ! Ton empire s'étend sur tout ce qui existe : partout on te désire et
partout on te redoute. Heureux celui dont un amour tranquille occupe et remplit
le cœur ! Les habitants de l'Olympe, la race des humains ne suffisent pas à ta
puissance : tu ne dédaignes ni les bêtes féroces ni les êtres qui peuplent
les vastes régions de l'air ; tu pénètres dans l'abîme des eaux, armé de
tes flèches acérées, afin que rien n'échappe à ton impérieuse et nécessaire
influence, pas même le poisson qui vit au sein des ondes.
Quel amour, quelle véhémence dans l'ardeur des scares aux couleurs variées !
Loin de se délaisser entre eux dans le danger, ils se prêtent un appui réciproque.
L'un d'eux gémit-il engagé au terrible hameçon, un autre s'élançant à sa défense,
rompt la corde de ses dents (b), lui sauve la vie et prive le pêcheur contristé
du prix de ses travaux : celui-ci, captif dans les nasses est délivré par un
autre scare, qui l'en retire et l'arrache au trépas. Lorsque ce beau poisson se
voit pris dans le filet, il cherche, il essaie tous les moyens de se soustraire
à son malheur. La tête et les yeux tournés en bas, il nage de sa queue en
arrière en la passant dans le cou de la nasse ; il redoute surtout les brins
aigus et allongés qui en hérissent l'entrée et qui, tels que des piquants
blessent sa face et ses yeux lorsqu'il se présente par sa partie antérieure.
Ceux de son espèce voyant son inquiétude, son embarras, s'élancent de dehors
à son secours et ne l'abandonnent point dans sa détresse : l'un d'eux lui tend
sa queue, comme si elle était une main dont il pût le prendre ; elle lui sert
à s'y accrocher de ses dents : il l'entraîne ainsi hors de sa prison, la
bouche comme enchaînée à cette queue conductrice. Souvent c'est celui qui est
dans la nasse qui avance sa queue ; un autre s'en saisit, le fait suivre et
l'enlève du précipice. C'est par cet industrieux manège qu'ils se dérobent
à la mort. Ainsi lorsque des hommes gravissent un mont escarpé durant une nuit
ténébreuse, quand la lune a cessé de paraître, voilée par les crêpes
rembrunis des noirs nuages, ils se tourmentent dans l'obscurité, et s'égarant
dans des sentiers qui ne sont point battus, se donnent la main les uns aux
autres et s'entraident en se tirant mutuellement ; ainsi l'amour des scares les
uns pour les autres les entraîne à se secourir entre eux ; il est même
souvent la cause de la ruine de ces infortunés : attachement aussi amer que
funeste, qui les précipite dans les mains ennemies des pêcheurs ! Quatre de
ces derniers montent un esquif rapide ; deux seulement se livrent au soin des
rames, un troisième dispose le piège : il attache la femelle d'un scare par le
bout de ses lèvres et la porte au sein des eaux sous le lien qui sert à fermer
le filet. Il la préfère vivante ; si elle ne l'est pas, il place sous sa
bouche le plomb-dauphin, il assujettit un autre plomb mobile au bout opposé et
postérieur du lien ; il agite et promène en tous sens dans les flots cette
femelle qui paraît douée de la vie. Le quatrième porte à sa rencontre et
tout près d'elle la frauduleuse nasse. Aussitôt les scares aux brillantes
couleurs se ruent, se rassemblent en grand nombre pour délivrer leur compagne
entraînée ; ils se jettent de toutes parts autour de l'esquif, emportés par
l'irrésistible attrait de leurs femelles. Les rameurs pressent alors la nacelle
de toutes leurs forces, les scares la suivent avec ardeur, mais c'est là leur
dernier effort. Lorsque les pêcheurs jugent que leur nombre est assez grand,
que leur fureur est assez exaltée, ils poussent dans la nasse et la corde et le
plomb, qui, rendant le scare plus lourd, le font tomber dans l'intérieur. A
cette vue ils se précipitent tous ensemble, à l'envi les uns des autres, dans
cette tortueuse enceinte de mort. La bouche, les gorges obstruées de la nasse
sont trop étroites pour la foule des scares qui s'y présente, tant leurs
transports sont impétueux. Des hommes prêts à entrer en lice pour le prix de
la course, s'élançant de la barrière, mettent en œuvre toute la force, toute
la rapidité de leurs jambes, ambitieux d'avoir bientôt parcouru la longue
carrière du stade ; ils s'appliquent tous à s'approcher de la borne, à ravir
la douce palme de la victoire, à se porter sur le terme, à s'assurer en le
touchant le titre glorieux de vainqueur. C'est avec le même empressement que
les scares se laissent entraîner sans retour dans l'abîme, dans les flancs ténébreux
de la nasse ; poussés pour la dernière fois par cette passion effrénée pour
leurs femelles, ils comblent eux-mêmes par une proie abondante les vœux des pêcheurs.
D'autres introduisent dans l'obscur filet une femelle vivante et la placent sur
les rochers que fréquentent ces poissons d'une blancheur éblouissante. Attirés,
embrasés par l'atmosphère d'amour qu'elle exhale, ils se rassemblent de tous côtés,
caressent de leurs bouches, lèchent tout autour les parois de la nasse,
cherchant partout avec ardeur quelque voie pour y pénétrer. Ils parviennent
enfin dans cette prison sans issue, où ils s'entassent tous les uns sur les
autres ; plus d'espoir d'en sortir, une fin déplorable est le fruit de leur
folle passion. Un oiseleur qui veut par la ruse faire tomber les oiseaux dans le
piège, cache sous d'épais rameaux une femelle de même espèce, compagne
ordinaire de ses chasses, qui bientôt fait entendre son chant vif et gracieux ;
les oiseaux, attirés, détournés de leur route par le son séducteur de cette
voix, arrivent en foule et donnent dans le filet : les scares viennent de même
chercher la mort dans les nasses.
L'amour cause aussi de la même manière la perte des céphales ; ils se
laissent tromper également par une femelle aussi belle que bien nourrie, qu'on
promène dans les flots ; dès qu'ils l'aperçoivent, ils se portent sur elle en
nombre immense, et comme enchaînés à cet attrait, ils ne veulent point s'en détacher.
Ce charme, l'ardeur de leurs désirs, les entraînent partout, même sur le
rivage qui leur est funeste si on y dirige la frauduleuse femelle ; ils la
suivent en foule, sans se souvenir des pêcheurs et de leurs pièges. Ainsi que
des jeunes gens qui, frappés de la beauté d'une femme, s'arrêtent d'abord
pour la contempler, pour admirer ses traits enchanteurs, qui s'en approchent
ensuite, oublient, cessent de suivre la route qu'ils tenaient auparavant, et
sont toujours après elle, le cœur agité des doux mouvements de l'amour, ainsi
vous verriez le chœur nombreux des céphales emportés, égarés par leur
amoureux délire, mais ces amours ne tardent pas à leur être odieux : le pêcheur,
armé de l'amphiblestre, le projette au loin sur eux, les enveloppe aisément
dans ses mailles artistement tissues, et en fait une pêche copieuse.
Les sépies, malheureuses dans leurs amours, éprouvent un sort plus fâcheux (c):
les pêcheurs ne se fatiguent point dans les mers à diriger contre elles les
nasses ou les longs replis des filets ; ils les entraînent en portant au milieu
des eaux leurs mains sur une seule. A peine sont-ils aperçus des autres sépies,
qu'elles fondent à la hâte sur elle, se serrent sur son corps, l'enlacent de
leurs bras, comme de jeunes filles qui voient de retour ou leur frère absent
depuis nombre d'années ou leur père chéri qui revient sain et sauf dans ses
foyers ou comme une jeune épouse récemment engagée sous les lois de l'hymen,
qui tient son jeune époux étroitement embrassé dans le lit nuptial, et dont
les bras d'une éclatante blancheur sont toute la nuit attachés, suspendus à
son cou ; ainsi les rusées sépies sont fortement roulées les unes sur les
autres. Cet effort de leur amour ne cesse que lorsque les pêcheurs les ont
enlevées dans la nacelle ; alors même restent-elles encore unies, et leur
amitié n'a-t-elle d'autre terme dans la mort qu'elles reçoivent ensemble. Dans
le printemps, on les prend, on les trompe avec les nasses qu'on établit à
l'ombre sous les rameaux du myrica (01), ou sous les branches épaisses du comare (02), ou dans tout autre fourré sur les bords des
rives sablonneuses. Les sépies, pressées par le désir de se reproduire, par
le besoin de s'unir, se hâtent d'entrer dans les nasses, et se plaçant sous
l'abri des rameaux, perdent à la fois leur amour et leur vie, domptées par
l'adresse des pêcheurs.
Le cossyphe (03) est de tous les poissons celui qu'un trop fatal
amour accable de la manière la plus terrible : brillant de la plus vive ardeur
pour les kichles (04), l'amour et la jalousie, déesse affreuse, dévorent
son cœur. Il ne se contente point d'un seul lit nuptial, d'une seule épouse,
d'un seul hymen ; il possède plusieurs femelles dont les retraites cachées recèlent
séparément les gîtes particuliers. Elles sont sans cesse et toute la journée
dans ces demeures solitaires ; semblables à de jeunes mariées que personne n'a
vues se montrer devant la maison de leurs époux (d), dont l'aimable pudeur virginale rougit encore
le front ; de même les kichles, retirées chacune dans son habitation, y
restent toujours, quelle que soit celle que leur époux leur ait assignée. Le
cossyphe, placé sur la roche, ne les perd pas de vue ; il est toujours à
surveiller leurs gîtes, il ne se porte jamais ailleurs ; il est tout le jour en
sentinelle, tournant alternativement ses regards sur chacune ; son instinct ne
le ramène ni vers le soin de sa nourriture ni vers tout autre objet. Sa jalouse
inquiétude le tient dans les tourments d'une garde continuelle : c'est la nuit
qu'il songe à ses repas, qu'il se relâche pour quelques instants de cette éternelle
surveillance. Mais lorsque les kichles sont en travail de leur ponte, le
farouche cossyphe s'agite dans la plus cruelle anxiété. Il va tantôt vers
l'une, tantôt vers l'autre de ses épouses, en proie aux plus vives alarmes sur
le danger de leur état, de même qu'une mère, l'âme brisée par la douleur,
frissonne du trop prompt accouchement de sa fille unique, accouchement si redouté
des femmes, qui n'est pas dans des transes moins rudes que l'accouchée, qui
vague de tous côtés hors de la chambre nuptiale, se consumant en prières, en
gémissements, et l'esprit en arrêt jusqu'à ce qu'elle entende de l'intérieur
le cri de la délivrance ; de même le cossyphe, craignant pour ses épouses,
tremble et frémit. On dit que des mœurs analogues dans leurs amours, dans
leurs hymens, sont en usage chez ces peuples d'Assyrie dont les villes sont situées
sur les bords du Tigre, chez ceux qui habitent la Bactriane, célèbres par la
distance à laquelle ils lancent leurs flèches. Ils vivent séparément et à
la fois avec plusieurs épouses, et partagent tour à tour leur couche avec
elles. Toujours pressées par l'aiguillon de la jalousie, elles meurent de rage
et de douleur, en se déchirant mutuellement par une guerre vive et opiniâtre.
C'est ainsi que parmi les mortels, la jalousie est le plus funeste, le plus
horrible des maux. Que de chagrins, que de gémissements dont elle est l'odieuse
cause ! Compagne de la rage effrénée, elle s'associe avec elle, enfante les
plus affreux désordres, se termine par la mort ; elle pousse aussi le
malheureux cossyphe à sa perte : il ne recueille de ses nombreux hymens qu'un
fruit bien amer. Lorsque le pêcheur le voit s'agitant sur la roche, en peine
pour ses épouses, il roule une caride vivante autour de son hameçon, il place
le cube de plomb au-dessus ; il avance vers les roches le piège chargé de ce
poids, il le présente à portée des demeures des kichles. Le cossyphe s'en
aperçoit et s'élance transporté de fureur, croyant voir la cruelle ennemie de
ses plaisirs et de ses épouses prête à pénétrer dans leurs gîtes ; il
croit, en se précipitant, venger de ses dents aiguës cet attentat de la caride
; il ne voit pas que sa bouche s'ouvre pour sa ruine. Le pêcheur, qui l'attend,
pousse et presse contre lui son dard recourbé ; il l'entraîne triste, abattu,
expirant, et lui tient ce langage moqueur : "Pauvre cossyphe, prends soin,
fais maintenant la garde de tes épouses, livre-toi auprès d'elles aux douceurs
de l'amour ; une seule, un hymen unique ne sauraient te plaire ; il te faut pour
toi seul la puissance d'un grand nombre : approche, heureux époux, vois ces
noces qui se préparent, ce foyer embrasé qui remplit le rivage de sa clarté
brillante." Discours outrageants, mais qu'il lui tient sans en être
entendu. Les kichles, lorsque leur défenseur, lorsque leur cossyphe a cessé de
vivre, quittent ces retraites de leurs hymens, s'égarent au dehors et
partagent, par un trépas commun, le triste destin de leur époux.
Les chiens galées, les races des noirs centrophores (05), périssent de même par suite de l'attachement,
des secours qu'ils se portent les uns aux autres. Le pêcheur fixe un poisson
blanc à l'hameçon ; il le porte à la profondeur de longues et nombreuses
orgyes sur quelque fond vaseux et obscur : un de ces poissons s'y précipite et
y trouve sa perte ; il est enlevé sur-le-champ. Dès que les autres s'en aperçoivent,
ils se jettent et sont toujours en foule après lui jusqu'à la rencontre de la
nacelle et des pêcheurs. On les prend alors dans l'enceinte circulaire de
vastes filets, en lançant sur eux avec impétuosité des fers à trois pointes
ou d'autres instruments meurtriers ; ils ne se retirent que lorsqu'ils ont vu
leur compagnon entraîné : ils ambitionnent de mourir avec lui. Ainsi que de
tendres parents accompagnent de leur maison jusqu'au triste lieu de sa sépulture,
un enfant dont la Parque vient de trancher les jours, leur unique enfant, objet
de tant de soins et de sollicitudes ; se déchirant de leurs mains cruelles,
versant des torrents de pleurs sur sa tombe, ils y restent opiniâtrement attachés
; ils se refusent de retourner chez eux, obstinés à mourir sur son malheureux
cadavre : de même ces poissons ne veulent point se séparer de celui qu'entraînent
les pêcheurs, jusqu'à ce qu'ils succombent eux-mêmes sous leurs coups.
Il en est qu'un attrait particulier autre que celui des mers sollicite d'en
sortir pour satisfaire leur passion pour la terre ; ce goût si vif pour un élément
étranger se remarque surtout parmi les poulpes et la race des sargues, qui vit
au milieu des rochers. Le poulpe ne résiste point au penchant qui l'entraîne
vers l'arbre de Minerve, le glauque olivier ; le charme qui l'attire vers ce végétal,
la joie que lui inspire cette plante oléagineuse, semblent tenir du prodige. Se
trouve-t-il sur le prochain rivage, non loin de la mer, un bel olivier richement
chargé de fruits, l'instinct du poulpe l'y dirige de la même manière que la
puissance de son odorat conduit le chien de Cnosse (06) sur la trace des bêtes sauvages, qui, sur la
foi de ce guide, s'engage à leur recherche sur les montagnes, dans des routes
tortueuses, qui bientôt fond sur elles, sans être trompé dans son attente, et
retourne glorieux vers son maître. Le poulpe reconnaît de même la présence
d'un olivier voisin : il sort du fond des flots, se traîne tout joyeux sur la
terre et s'approche de l'arbre chéri. Il commence par se rouler, par se serrer
étroitement et avec transport autour du pied, pareil à un jeune enfant dont
les bras s'ouvrent à l'approche de sa nourrice, s'enlacent autour d'elle, font
effort pour atteindre jusqu'à son cou, avides de presser sa tête et son sein ;
ainsi le poulpe, cédant à l'impulsion de son amour, s'enchaîne autour de ce
tronc tant aimé. S'appuyant bientôt des extrémités de ses bras, il rampe
avec empressement vers sa cime et se contourne sur ses rameaux, en se portant
tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre, tel qu'un homme qui, après une longue
absence, ne se lasse point d'embrasser ses amis venus en foule à sa rencontre
ou tel que le lierre toujours frais qui serpente le long des hauts sapins et s'étend
partout en rampant sur leurs branches, depuis la racine jusqu'au sommet ; ainsi
l'heureux poulpe engage ses bras avec caresse dans les rameaux onctueux de
l'olivier. Lorsque son amour, satisfait par la douce jouissance de cet arbre
favori, a perdu de son ardeur, il se retire dans l'abîme des mers. Les pêcheurs,
qui ont remarqué ce goût des poulpes pour l'olivier, le mettent à profit pour
les attirer dans le piège ; ils lient ensemble plusieurs de ces plus belles
branches ; ils chargent le milieu d'un poids de plomb, et les tirent de l'intérieur
de la nacelle : le poulpe ne résiste point à cet appât ; il se saisit de ces
rameaux aimés et s'y attache avec force. Entraîné ensuite comme une proie,
les noeuds de son amour ne se rompent que lorsque le pêcheur l'a enlevé sur la
barque ; même en mourant, l'olivier ne saurait lui être odieux. Les sargues
ont un vif amour pour les chèvres (e) : elles sont l'objet de leurs désirs.
Quoiqu'ils vivent dans les ondes, ils trouvent dans les troupeaux des montagnes
un charme difficile à rendre. Quoi de plus merveilleux que ce rapprochement
d'animaux sortis les uns des mers, les autres des monts escarpés !
Durant les chaleurs de l'ardente canicule, les bergers conduisent leurs chèvres
vers la mer pour qu'elles y prennent, exposées aux rayons de Phébus, un bain
qui les purifie. Les sargues qui entendent leur bêlement, la voix plus forte
des chevriers, s'élancent vers la rive à la hâte, quoique peu agiles, entraînés
jusque sur ses bords par l'élan du plaisir, caressent de leurs queues ces
quadrupèdes à cornes, promènent sur eux leurs langues avides, et bondissant
tout autour, les assiègent en nombre immense. Les bergers qui en sont pour la
première fois témoins restent frappés d'étonnement. Les chèvres ne voient
point avec peine cette troupe amie ; les sargues, de leur côté, ne se lassent
point de ce doux commerce. Des chevreaux qui sautent autour de leur mère à
leur retour du pâturage se livrent envers elles à de moindres transports, à
de moins douces affections dans leurs sombres étables. Lorsque tout retentit
des bêlements de joie de ces tendres chevreaux, l'aimable sourire anime la
figure des bergers (f). Les sargues montrent le même empressement
autour des troupeaux de chèvres. Lorsqu'un assez long séjour dans les eaux a
satisfait leurs désirs et leurs besoins, elles retournent vers la bergerie. Les
sargues affligés les suivent alors tous en masse et de près jusqu'à la dernière
ride des ondes qui touche à la terre : ainsi, lorsqu'une mère, une épouse désolée
accompagnent l'une son fils chéri, l'autre son époux prêts à partir pour une
contrée lointaine, leur esprit, plongé dans la plus accablante douleur,
calcule la longue étendue des mers, le nombre des mois ; s'avançant sur le
bord qui frise de plus près les ondes, elles donnent l'essor à leurs gémissements
et conjurent les dieux de hâter le retour de leur fils, de leur époux ; leurs
pieds ne secondent plus leurs voeux pour les ramener ; leurs regards ne peuvent
plus se détacher de dessus les mers ; ainsi serait-on porté à croire que les
larmes coulent des yeux des sargues abandonnés des chèvres qui se retirent.
Infortunés, vous ne tarderez pas sans doute à maudire les chevriers. Le génie
de l'homme tournera contre vous votre attachement pour vous tromper, pour vous
donner la mort.
Le pêcheur cherche d'abord, à portée du rivage, ces rochers à deux sommets
rapprochés dont la mer est resserrée dans un étroit espace, qui sont frappés
sans obstacle de tous les feux du jour, où les sargues habitent en commun ; car
ils aiment beaucoup les rayons vifs et ardents du soleil. Revêtu de la peau des
chèvres, la tête surmontée de deux cornes, il s'y rend muni d'un appât ; il
jette dans les flots de la farine imprégnée de la graisse et du fumet de ces
animaux. Cette odeur amie, cette forme trompeuse, le bienfait de cette
nourriture aimée, les attirent sans qu'ils aient le soupçon d'aucun piège ;
ils se jouent avec une orgueilleuse complaisance autour du pêcheur ennemi déguisé
sous la peau des chèvres, auquel ils prodiguent leurs douces caresses.
Malheureux, ils apprendront bientôt combien ce traître ami leur sera fatal,
combien il diffère de l'innocente douceur des chèvres ! Armé à l'instant du
roseau mortel, de la corde tressée de lin, il garnit l'hameçon d'un fragment
de chair détaché de la bouche d'une chèvre ; les sargues s'en saisissent avec
avidité. Le pêcheur, incliné en arrière, tire sur-le-champ la ligne à lui
d'une main vigoureuse. Si quelqu'un de ces poissons s'avise du stratagème dont
ils sont l'objet, ils ne reparaîtront plus, lors même qu'on amènera de véritables
chèvres aux longs poils. Glacés d'effroi, ils fuiront tous ensemble et le
simulacre et l'appât, et l'heureuse exposition du rocher. Si le pêcheur leur dérobe
le secret de ses ruses, s'il pousse sa manoeuvre avec rapidité, aucun ne lui échappera,
ils tomberont tous victimes de la forme empruntée de ces quadrupèdes.
Les sargues, dans le printemps, se livrent aux soins d'un autre amour, à celui
de leur propre espèce. Ils se font la guerre pour la jouissance de leurs
femelles ; un seul prétend à la possession de plusieurs. Celui qui sort
vainqueur du combat reste l'unique époux de toutes ; il conduit leur troupe
nombreuse vers ces rochers où les pêcheurs ont disposé la nasse aux vastes
flancs et de forme circulaire, dont ils ont masqué l'ouverture avec des rameaux
de myrte, de laurier odorant ou de tout autre arbuste qu'ombragent tout entière
des branches verdoyantes arrangés avec art. L'aiguilIon de l'amour excite bientôt
les sargues à commencer l'attaque ; ils se battent avec une horrible fureur,
dont l'hymen est le prix. Lorsque un d'eux, repoussant ses rivaux, a remporté
la victoire, il cherche de l'oeil quelque roche excavée qui puisse servir de
retraite à ses épouses. Il aperçoit la nasse gisante que recouvrent des
rameaux chargés de feuilles : nouvel époux, il y dirige ce choeur de femelles,
qui se portent aussitôt dans son enceinte ; il écarte au dehors les autres mâles
et ne leur permet d'approcher d'aucune d'elles. Lorsqu'elles sont toutes dans la
nasse fatale, il y entre après elles comme dans une chambre nuptiale, comme
dans son lit d'hymen, qui bientôt sera son lit de mort. Ainsi lorsqu'un berger
ramenant ses brebis laineuses du lieu de leurs dépaissances les fait rentrer
dans le bercail ; placé sur le seuil de la porte, il les compte au fur et à
mesure en lui-même et en fait la revue exacte, s'assurant ainsi qu'elles sont
toutes en bon état. Dès qu'il les voit renfermées à la presse dans leurs étables,
il y entre à leur suite : ainsi les femelles des sargues vont en avant les
premières dans ce creux séjour. Lui-même, trop malheureux époux, s'y précipite
le dernier au milieu de ses malheureuses épouses.
Tels sont les combats que l'amour provoque parmi les habitants des eaux : telles
sont aussi les fraudes cruelles, cause de leur ruine, dont leurs amours sont le
principe.
Les hippures aperçoivent-ils quelque corps qui flotte sur les ondes, ils le
suivent en foule et de près dans tous ses mouvements, surtout lorsqu'un
vaisseau brisé par la tempête, après avoir été cruellement en butte à
l'horrible courroux de Neptune, a été mis en pièces par les vagues amoncelées,
que ses fragments, rompus par le nombre et la force des chocs, errent dispersés
dans la vaste mer. Les races des hippures se dirigent alors sur ces débris
emportés par les flots et ne les quittent pas. Si le pêcheur les attaque dans
ce moment, il en fera une pêche abondante et qui ne lui sera pas enviée.
Puissent les nautoniers, chéris du dieu des mers, être à l'abri de ces
malheurs ! Puissent leurs bâtiments, aidés du souffle léger des zéphyrs,
sillonner le sein des eaux sans en être battus, sans accident fâcheux, en
effectuant, par le jeu alternatif de leurs rames, les utiles transports du
commerce ! On imaginera d'autres pièges contre les hippures, et la pêche s'en
fera sans la destruction des vaisseaux : liant ensemble plusieurs morceaux de
bois dégradés, on les jettera dans le gouffre des mers, après avoir fixé
au-dessous une pierre dont le poids les entraînera dans le fond. Tout cet
appareil s'enfoncera ainsi doucement dans les eaux. Aussitôt les hippures, amis
des lieux sombres, s'y rassembleront en cohortes nombreuses. Le plaisir de se
jouer sans cesse sur le dos de ces bois les y retiendra sans peine. Les pêcheurs
prendront ce moment pour en faire la pêche. Qu'ils arrivent, les hameçons
garnis de leurs amorces, et jettent les lignes, les hippures s'empresseront d'y
courir et saisiront la mort. Lorsqu'un homme, agitant entre deux chiens une
proie qu'il tient suspendue, excite entre eux une rixe cruelle, pressés tous
deux par l'aiguillon de la faim, ils tendent en grondant leurs gueules l'un
au-devant de l'autre, avec une égale fureur, les yeux toujours fixés sur la
main de l'homme, cherchant à juger où tombera la nourriture, qu'ils se
disputent ensuite avec rage à coups pressés de leurs dents : c'est avec la même
ardeur que les hippures se précipitent sur les appâts. Un pêcheur diligent
les enlèvera tous aisément les uns après les autres ; plus prompts que lui,
les hippures se presseront vers la mort, victimes de leur aveugle stupidité.
L'imprudente avidité des pompiles favorise aussi leur pêche : les mers sombres
ont pour eux le même attrait.
On prépare contre les theutis une fusée en corde sous forme d'écheveau ; on
fixe tout autour, très près les uns des autres, de nombreux hameçons dont les
pointes crochues se correspondent, sur lesquels on engage des iulis au corps
bigarré qui recouvrent les extrémités aiguës du fer. Le pêcheur qui tient
cette corde fortement liée la tire au-dessus des vastes abîmes : le theutis
l'aperçoit, s'élance, embrasse l'appât de ses ailes humides et se prend aux
haims. Quels que soient ses efforts, il ne peut s'en dégager : il est entraîné
malgré lui, après s'être enferré lui-même.
Dans les anses paisibles des mers un jeune pêcheur fait en jouant la pêche des
anguilles (g) : il prend les intestins d'une brebis, il les
jette dans l'onde, tels que les longs filets d'une ligne. L'anguille les voit,
s'y porte, sa bouche s'en saisit ; l'enfant, qui juge qu'une partie est déjà
dans son estomac, souffle avec force dans ces intestins, qui s'enflent et se
raidissent aussitôt ; gros et tendus par le ressort de l'air que sa bouche y
lance, ils gonflent et distendent la gorge de la malheureuse anguille. La
compression, due au souffle de cet enfant, la tourmente d'une manière affreuse
; en vain veut-elle fuir, elle est enchaînée jusqu'à ce que son horrible enflure
et l'étouffement dont elle est cause, la forçant de monter à la surface des
eaux, la livrent aux mains du pêcheur. Ainsi lorsqu'un homme qui veut déguster
la liqueur d'un vase applique sa bouche au tube creux propre à la soutirer et
la fait jaillir au dehors par l'aspiration des extrémités réunies de ses lèvres
en l'entraînant à la suite de son souffle : ainsi les anguilles, rendues
tumescentes par celui des pêcheurs, sont impérieusement amenées vers la
bouche fatale d'où ces jets d'air sont partis.
Il est un poisson malheureux et dénué de force, l'espèce misérable de la
faible aphye, à laquelle on donne le nom d'engraules (h): tous
les autres s'en accommodent pour leur nourriture ; elle est toujours prête à
prendre la fuite ; elle tremble au moindre objet. Engagées les unes dans les
autres, les aphyes s'établissent en groupes, étroitement serrées, retenues
entre elles comme par de forts liens : on tenterait vainement de les désunir,
de les détacher, tant elles font corps ensemble. Souvent les vaisseaux
s'embarrassent au milieu des manœuvres dans leurs masses ; souvent ceux qui
commandent les galères cherchent à les rompre de leurs rames ; les rames,
quoique mues avec force, en sont arrêtées autant que par un dur rocher.
D'autrefois la hache terrible tombe sur elles sans pénétrer dans toute leur épaisseur
; elle ne coupe qu'une partie de ce monceau animé, tranche la tête de l'une,
coupe la queue de l'autre, fait deux parties égales de celle-ci, emporte
celle-là tout entière. Spectacle horrible qui ressemble à un exécrable champ
de carnage ! Les aphyes restent toutefois opiniâtrement engagées dans les nœuds
qui les enchaînent : on dirait qu'elles sont fixées par des clous : un homme
qui y porterait sa main, ainsi que dans un banc de sable, l'en retirerait
amplement chargée. Lorsque les pêcheurs les voient ainsi pressées les unes
sur les autres, ils les enveloppent de leurs sagènes et en amènent sur le
rivage une proie immense acquise sans un grand travail ; ils en remplissent
leurs vases, leurs bâtiments ; ils en élèvent en avant de la rive des tas
d'une grande hauteur, tant la pêche qu'ils en ont faite est considérable.
Ainsi que des gens de la campagne qui, pour achever l'œuvre de la moisson,
livrent le grain au vent, le lancent de leurs rames (07) propices et terrestres pour l'obtenir sans mélange
et en forment, au milieu de l'aire arrondie, une pile d'un grand volume qui, la
remplissant en entier, blanchit au loin, en apparence, sous la forme d'une
couronne : de même le front du rivage (i), dont la mer sinueuse est bordée, blanchit par
le nombre infini d'aphyes qui en couvrent l'étendue.
L'Euxin est la patrie des pélamys (08) ; les tunnis (09) farouches leur donnent l'être (j) ; ces dernières, rassemblées à l'embouchure
du Maeotis, autour de ses humides roseaux, dans ces plages où il s'unit à la
mer, se livrent, à leur ponte pénible ; elles y dévorent impitoyablement tous
les oeufs qui s'offrent à leurs bouches avides ; ceux qui leur échappent, protégés
par les joncs et les roseaux, produisent dans le temps la race nombreuse des pélamys.
A peine ont-ils le contact des ondes, ont-ils essayé les mers qu'ils se hâtent
de passer dans celle de l'Euxin et ne veulent plus rester dans les eaux de leur
naissance, quelque petits qu'ils soient. Il est sur les confins de la Thrace une
mer enfoncée, qu'on dit être celle du domaine de Neptune, qui a le plus de
profondeur et qui tire de là le nom de Noire,
sur laquelle les vents impétueux, les vents dévastateurs n'exercent point leur
affreux ravage. Dans son enceinte sont sous les flots des retraites excavées,
vaseuses, immenses où se produisent plusieurs substances qui sont une
nourriture agréable aux petits poissons : ce sont les premiers asiles où se
rendent les troupes innombrables des pélamys nouveau-nés. Ils sont ceux de
tous les habitants des eaux qui redoutent le plus les tempêtes du rude hiver ;
ces terribles agitations des ondes troublent et trompent leur vue. Abrités dans
ces bassins spacieux, ils y restent sans inquiétude, ils y croissent dans
l'attente du doux printemps : ils ressentent alors l'heureux besoin de l'hymen.
Lorsque leurs germes développés grossissent dans leurs flancs, ils retournent
dans la mer qui les vit naître et s'y délivrent de leurs œufs. Les Thraces,
pendant la cruelle saison des frimas, en font dans la vaste et noire étendue de
cette mer une pêche pénible et sans attrait, par le droit sanglant de la
guerre et le fatal privilège de la mort. Ils ont une pièce de bois peu longue,
seulement d'une coudée, mais grosse et forte, lestée dans sa partie supérieure
d'une couche épaisse de plomb ; ils l'arment de pointes, de tridents de fer
nombreux et serrés ; une corde fortement tressée s'étend tout autour et
l'enveloppe. Dirigeant leur nacelle vers le lieu de la mer qui a le plus de
profondeur, ils envoient, dans le fond le plus reculé de l'abîme, la pièce
solide de bois. Entraînée en même temps par l'impulsion du pêcheur, par le
poids du plomb et des fers, elle arrive jusqu'aux dernières couches des ondes
et tombe sur les malheureux pélamys engagés dans la vase : elle perce, elle
saisit tous ceux de ces infortunés qui se trouvent à sa rencontre. Les pêcheurs
les enlèvent aussitôt, se débattant encore autour du fer dont les blessures
les déchirent des plus atroces douleurs. L'homme même le plus dur, en voyant
cette triste pêche et leur horrible trépas, ne pourrait défendre son cœur
des émotions de la pitié. Ces terribles pointes prennent l'un par les flancs,
l'autre à la tête, atteignent celui-ci à la queue, celui-là au ventre, écrasent
le dos de cet autre, percent les entrailles de ce dernier. Ainsi lorsque, après
une bataille, des guerriers retirent du sang et de la poussière leurs
compagnons tués dans le combat et les portent, les yeux baignés de larmes, sur
le lit et le brasier funéraires (sur le bûcher), on voit sur ces cadavres tous
les genres de blessures, les coups de toute espèce dont la fureur de Mars les a
frappés : ainsi les pélamys sont mis en pièces de mille façons : véritable
image de la guerre, qui remplit de joie les pêcheurs. D'autres prennent ces
stupides poissons avec des rets légers. Ils sont pendant toute la durée de la
nuit dans de continuelles alarmes, frémissant au moindre objet qui tombe dans
la mer ; ils ont une crainte extrême des ténèbres. On choisit ce temps pour
en faire la pêche lorsqu'ils gémissent saisis de terreur au fond des eaux. Les
pêcheurs ont des dictues à mailles légères qu'ils disposent en cercle : ils
battent violemment de leurs rames le dos des ondes et poussent avec impétuosité
leurs perches retentissantes. Mis en fuite par le bruit et l'agitation
phosphorique des flots, les pélamys s'élancent et s'engagent dans les flancs
du filet solidement fixé qu'ils prennent pour un sûr asile. Insensés, que la
peur d'un vain bruit précipite sous la faux de la mort ! Les pêcheurs se
jettent aussitôt sur le rivage. Les pélamys, à la vue du mouvement de ces
cordes, en proie à la frayeur, se serrent, se roulent tout tremblants en un
seul tas. Que celui qui gouverne les dictues prie les dieux qui président aux pêches
qu'il ne sorte rien du filet, qu'aucun être qui se meut n'en montre l'issue aux
pélamys ! sans cela ils passeraient avec rapidité de l'intérieur de leur
mobile prison dans le fond des mers, et rendraient la pêche vaine et stérile.
Si quelque divinité des eaux n'est point contraire aux pêcheurs, ces poissons,
lors même qu'ils auront été entraînés sur le rivage, hors de l'empire
d'Amphitrite, ne voudront point quitter le filet, mais resteront obstinément
attachés et comme adhérents aux replis de ses parois. C'est ainsi que, dans
les forêts, sur les montagnes, les chasseurs prennent, par un heureux artifice,
les cerfs timides en suspendant aux arbres extérieurs des cordons où sont
attachées les ailes légères des rapides oiseaux (k). Les cerfs, à cette vue, glacés d'une vaine et
folle crainte, effrayés sans objet de ces plumes, n'osent approcher, jusqu'au
moment où les chasseurs fondent sur eux et les prennent.
Un plongeur qui a une grande habitude de la mer, qui marche sur son fond avec
autant d'assurance que sur le continent, saisira sans ruse et seulement avec ses
mains, certains poissons, le sargue craintif et la timide sciène. Les sargues,
en proie à l'épouvante, s'entassent en tremblant dans quelque endroit creux
des ondes ; leurs flancs appliqués, pressés les uns à côté des autres, ils
dressent et présentent leurs dos hérissés d'aiguillons aigus, pareils à des
vignerons qui ont enceint leur héritage d'une haie épaisse hérissée de
piquants, barrière redoutable contre toute entreprise téméraire ; on
essaierait vainement d'y pénétrer, puisque de fortes épines en défendent
l'entrée : de même personne, dans cette disposition des sargues, ne saurait y
toucher, y porter la main ; elle serait repoussée par cet assemblage de noirs
et horribles piquants. Un pêcheur instruit dans son art se précipite au fond
des eaux, examine les sargues dans tous les sens ; il voit de quel côté sont
leurs têtes, où sont les attaches de leurs queues. Plaçant alors sa main
au-dessus de leurs têtes, il l'avance et abat peu à
peu leurs aiguillons en les pressant avec force. Les sargues qui croient
que ces aiguillons les mettent hors de toute atteinte, se tiennent fortement
serrés, les uns sur les autres ; le pêcheur en enlève un de chaque main et
remonte au-dessus des flots, redevable de ses succès à son adresse.
La sciène est-elle saisie de crainte, amie des rochers, elle s'empresse de s'y
précipiter et se jette dans quelque trou circulaire, dans quelque fente, ou
s'enfuit sous les herbes marines, sous les humides fucus (l). Elle ne se met point en peine de quelque
retraite qui puisse la recevoir, la protéger tout entière ; elle borne ses
soins à garantir sa tête : elle la cache ainsi que ses yeux. Ne voyant point
son ennemi, elle espère échapper à sa poursuite, de même qu'un bubale (10) qui, près de tomber sous la griffe d'un lion
furieux, incline sa tête, l'enfonce dans un buisson (défense, hélas ! trop
vaine), et croit s'être soustrait à la vue du féroce animal, jusqu'à ce
qu'il en soit atteint et déchiré. Telle est la confiance de la sciène ; elle
n'incline pas sa tête ; en mourant même, elle croit être en sûreté. Ainsi
que l'oiseau géant de la Libye (11) (m) met en usage une ruse aussi folle qu'indigne
d'elle et qui n'a pas une bonne issue, de même la trop faible sciène se cache
dans une vaine espérance. Bientôt le pêcheur, la tenant dans ses mains, l'élève
au haut des ondes et l'offre aux yeux de ses compagnons, accablée et dans l'étonnement.
Telles sont les pratiques ingénieuses venues à ma connaissance, qui font
partie de l'art de la pêche, auxquelles tant de poissons doivent une si triste
fin. Les autres n'ont pas un sort plus doux, engagés dans les nasses, dans les
flancs des vastes filets, aux hameçons, enlevés par les tridents redoutables,
par ce nombre d'instruments inventés par les pêcheurs, et dont se compose leur
art. On attaque les uns pendant le jour ; on ne fait la guerre aux autres que le
soir. Lorsque aux premières approches de la nuit, les pêcheurs font avancer
sur les mers leurs nacelles éclairées par des feux qu'ils y ont allumés, ils
frappent de mort dans les ténèbres les poissons qui se croyaient sans alarmes.
Malheureux ! ils se portent autour de la barque, réjouis par la grasse clarté
de ces résineux fanaux ; surpris à l'instant par les coups impétueux du
terrible trident, ils auront vu de bien tristes feux.
Il est un autre genre de pêche, celle qui s'obtient à la faveur des poisons.
On fait usage contre les habitants des eaux d'une préparation empoisonnée qui
leur donne une mort prompte. Les pêcheurs, par des battements précipités,
par des coups nombreux de leurs perches et de leurs rames, forcent les bandes
nombreuses des poissons de se rendre en un même lieu de forme concave, sillonné
de profondes et creuses retraites ; les sciènes se retirent sous ces roches
excavées ; les pêcheurs s'arrêtent pour en fermer l'enceinte d'une longue
suite de dictues comme s'ils élevaient contre des ennemis une double barrière,
un double rang de murs. L'un d'eux prend alors de l'argile onctueuse et quelques
racines de la plante connue des enfants d'Esculape, sous le nom de cyclamen
(12) (n) ; les mêlant ensemble dans ses mains, il en pétrit
deux galettes. Il s'élance dans l'onde par-dessus les filets. Il enduit de ce
poison odieux et d'odeur si fatale les endroits creux des rochers ; il en
remplit, il en infecte toute la mer ; la nacelle se tient à portée pour qu'il
puisse ensuite y remonter. Cette odeur ennemie et mortelle parvient bientôt
dans les gîtes des sciènes ; leurs yeux en sont oppressés comme par le nuage
de quelque vapeur ; leurs têtes, leurs membres en sont appesantis ; elles ne
peuvent plus rester dans leurs demeures ; elles se répandent, toutes troublées,
au-dehors sur les rochers. La mer leur est encore moins propice, tant elle est
imprégnée de cet exécrable poison. Enivrées, étourdies, comme des
hommes pris de vin, par ces funestes émanations, elles se jettent de tous côtés
sans trouver aucune partie des ondes où elles n'éprouvent le même tourment.
Elles se précipitent à la hâte et avec fureur sur les dictues dans l'espoir
de passer à travers ; mais nul relâche à leurs souffrances, point de moyens
de s'y soustraire ; elles s'emportent au plus cruel délire, accablées tout à
fois de la fatigue de leurs sauts, et des coups qu'elles se donnent. Les
expirations plus fortes et plus rapides des sciènes mourantes remplissent toute
la mer ; car c'est là l'unique expression de la douleur des poissons. Les pêcheurs
attendent dans le voisinage, charmés et tout joyeux de leur supplice, que le
silence règne sur les eaux ; que, cessant de lutter contre la mort, on
n'entende plus le bruit dont leur souffle agite la mer. Ils enlèvent alors
cette immense quantité de poissons qu'un destin commun, qu'un même trépas
livrent entre leurs mains. Ainsi, lorsque des ennemis déployant toutes les
fureurs de la guerre contre une ville, ne cessent, dans l'espoir d'en faire plus
facilement le pillage, de diriger contre elle les fléaux les plus désastreux
et rendent l'eau de leurs sources mortelles en y versant des poisons, ceux qui
l'habitent, succombant sur leurs tours à tous les malheurs, au funeste effet de
cette onde traîtresse, périssent d'une mort odieuse, horrible, et la ville
entière est jonchée de leurs cadavres ; ainsi les sciènes, victimes des pêcheurs,
terminent leur vie par un trépas aussi barbare que terrible.
(01)
Le tamaris, plante de la famille des portulacées.
(02)
Le traducteur latin dit oleaster,
l'olivier sauvage. C'est plutôt l'arbousier de la belle famille des rosages.
(03)
Le labre merle mâle.
(04)
Femelle du cossyphe ; le labre merle femelle.
(05)
Les centrophores sont des squales à dos noir et armé d'aiguillons, nommés
noirs. (kelainoi), dit Salvini, par
opposition à ceux que le poète grec veut désigner sous le nom des galées (galesi),
qui n'ont pas le dessus du corps noir, et dont le nom peut venir de gala
(lait) squales au dos blanc.
(06)
On sait que Cnosse était une des villes de l'île de Crète.
(07)
Expression métaphorique pour exprimer les pelles dont on se sert pour vanner le
grain.
(08)
Les Anciens appelaient ainsi les jeunes thons.
(09)
Les femelles des thons.
(10)
Voyez la note relative à cet animal dans les remarques du quatrième chant.
(11)
L'autruche, le plus gros des oiseaux.
(12)
Plante de la famille des lysimachies.
CHANT
QUATRIÈME
(notes de fin de livre)
(a)
Amour ! trompeur amour ! le plus beau, sans doute, des dieux, etc. Ce
morceau, qui commence le quatrième chant, étincelle des beautés du premier
ordre. Quel élan sublime ! Quel heureux délire ! Qu'Oppien est beau dans ces
vers où, entraîné par un sentiment qui le presse, il donne l'essor à son génie
et se sent échauffé de ce feu divin et inspirant qu'Apollon n'accorde qu'à
ses favoris, qu'Ovide a si bien peint dans ces mots : agitante calescimus illo ! Quel beau mouvement dans ce qui suit :
"O vous, les plus puissants de ceux qui commandent aux mortels ! Antonin et
vous son cher, son divin fils, voyez avec complaisance, avec intérêt ces
ravissants tableaux des mers dont les Muses, en me comblant de leurs faveurs,
ont tracé les heureuses images dans mon esprit et dans mes chants ! Poète,
elles ont ceint mon front de leurs lauriers immortels pour me rendre digne de
faire passer à vos oreilles et dans vos âmes le charme enivrant de la douce
harmonie."
Le tableau qui vient après cette peinture si vive et si animée des bienfaits,
des malheurs de l'amour, se ressent de cette inspiration céleste qui avait
produit les vers précédents. Le début de ce chant ne le cède en richesse de
poésie à aucun autre sorti de la plume de ce poète. Il en a inséré un du même
genre dans le second chant des Cynégétiques
que je joins ici pour qu'on puisse en faire le rapprochement.
"Amour, puissant Amour ! que tu es grand ! Que ta force est immense ! Que
ton empire est absolu ! Dieu suprême ! Quels sont tes jeux ! La terre est
assise sur ses fondements, et tu la fais trembler sous tes traits ; l'Océan est
agité, et tu rends ses flots immobiles ; tu t'élances dans les airs, et le
vaste Olympe frémit de ta présence. Tous les êtres tremblent devant toi,
depuis la voûte immense des cieux jusqu'aux entrailles de la terre. Les tristes
habitants de l'empire de Pluton qui ont bu l'onde insensible du Léthé et se
sont dérobés à tous les maux, te redoutent encore. Ta puissance pénètre où
n'a jamais pénétré l'œil du soleil : sa lumière cède en tremblant à tes
feux, que respectent les foudres même de Jupiter, tant ils sont violents les
traits que tu nous lances, dieu terrible ! ces traits douloureux et brûlants
qui corrompent la raison, inspirent une folle ivresse, allument des fureurs extrêmes
; ces traits dont rien ne peut guérir les coups et dont tu te sers pour
enflammer le cœur des animaux de désirs qu'ils ne peuvent calmer par une douce
union !"
(b)
L'un d'eux gémit-il engagé au terrible hameçon, un autre, s'élançant à
sa défense, rompt la corde de ses dents, etc. M. de Lacépède, en citant
à ce sujet Oppien, rapporte la même close de ces animaux :
"Les individus de cette espèce, dit-il, vivent en troupe ; et le poète
grec Oppien, qui a cru devoir chanter leur affection mutuelle, dit que lorsqu'un
score a été pris à l'hameçon, un de ses compagnons accourt et coupe la corde
qui retient le crochet et l'animal, avec ses dents obtuses dont il est accoutumé
à se servir pour arracher ou scier l'herbe qui tapisse le fond des mers. Il
ajoute que si un score enfermé dans une nasse cherche à en sortir, la queue la
première, ces mêmes compagnons l'aident dans ses efforts en le saisissant avec
leur gueule par cette queue qui se présente à eux, en la tirant avec force et
constance ; et enfin, pour ne refuser à l'espèce dont nous nous occupons
aucune nuance d'attachement, il nous montre les mâles accourant vers une
femelle retenue dans une nasse ou par un hameçon et s'exposant, pour l'amour
d'elle, à tous les dangers dont les pêcheurs les menacent. Mais je n'ai pas
besoin de remarquer que c'est un poète qui parte. Et combien le naturaliste,
plus sévère, n'est-il pas forcé de réduire à quelques faits peu
extraordinaires des habitudes si touchantes et que la sensibilité voudrait
conserver comme autant d'exemples utiles et d'heureux souvenirs !" (Histoire
naturelle des poissons, tome 6, p. 279, édit. in-12.)
(c)
Les sépies, malheureuses dans leurs amours, éprouvent le sort le plus fâcheux,
etc. La sèche est, suivant M. de Lamarck, un des céphalopodes nus compris
dans la classe nombreuse des mollusques, ayant un corps charnu, déprimé,
contenu dans un sac ailé dans toute l'étendue de sa longueur et renfermant
vers le dos un os crétacé, spongieux, ayant des bras garnis de ventouses. Ce
que dit Oppien du secours qu'elles se portent mutuellement est vrai et rapporté
par tous ceux qui ont écrit l'histoire de cet animal.
(d)
Semblables à de jeunes mariées que personne n'a vu se montrer devant la
maison de leurs époux, etc. On lit dans Jean-Louis Vives, liv. 2 :
"Novas nuptas amissa virginitate
menses aliquot latere convenit." Il y a donc apparence que cet usage,
qui annonçait une réserve si éloignée de nos mœurs, a eu lieu, puisqu'il
est mentionné tout à la fois par deux auteurs différents.
(e)
Les sargues ont un vif amour pour les chèvres. Cet amour pour les chèvres,
qu'Oppien et d'autres anciens naturalistes attribuent aux sargues, n'est point véritable
ou n'a d'autre cause que l'espèce de suint qui émane de ces quadrupèdes, qui
les attire par son odeur assez folle et dont quelques molécules détachées par
les eaux peuvent en s'y mêlant avoir de l'attrait pour ces poissons. Il paraît
que notre poète ajoutait quelque foi à cet empressement des sargues pour les
chèvres, puisqu'il en parle ainsi dans les Cynégétiques
:
"Les sargues, dit-il, s'attachent aux boucs, et une foule de poissons
de toute espèce, éprise d'amour pour le subus, se range autour de lui
lorsqu'il fend les flots et lui forme un immense cortège. Transportés de joie,
ils le pressent de toutes parts, et l'Océan écume autour d'eux, frappé sous
leurs blanches nageoires. Mais insensible aux caresses de ces étrangers, le
quadrupède sans pitié dévore ses amis d'une dent meurtrière. En vain ils
voient le sort dont ils sont menacés : ils ne peuvent haïr celui qui leur
donne le trépas et ne veulent point se détacher de lui. Méchant et cruel
subus, les pêcheurs te dresseront un jour dans les flots de mortelles embûches
dont tes ruses ni les cruautés envers les poissons ne te sauveront pas !"
(Traduction de Belin de Ballu, chant 2°).
M. de Lacépède, bien loin d'admettre que ces osseux se portent vers les chèvres
lorsqu'elles entrent au sein des eaux, par l'effet de quelque cause qui les
attire vers elle, et après avoir rejeté ce prétendu amour des sargues pour
ces animaux, présente des idées tout à fait différentes et qui sont assez
ingénieuses pour que le lecteur qui n'en a pas connaissance ne soit pas bien
aise que je les insère ici :
"A l'égard, dit-il, de l'amour merveilleux qu'Aelien et Oppien ont attribué
à ce thoracin pour les chèvres, et de la propriété qu'on a supposée dans
les incisives ou les molaires de ce spare, qui, portées avec soin, préservent,
dit-on, de tout mal aux dents, nous ne ferons pas à nos lecteurs le tort de les
prémunir contre des assertions dont l'état actuel de la science ne permet pas
de craindre la répétition." (Histoire naturelle des poissons, t. 7, p. 9, édit. in-12).
"Ajoutons que les mâles de l'espèce (du spare mendole) dont nous nous
occupons présentent fréquemment des nuances ou reflets noirâtres, surtout sur
les nageoires et les opercules, pendant que les femelles sont encore pleines, et
que dès le temps d'Aristote, ils recevaient des Grecs à celle époque, de
l'altération des couleurs en noirâtre ou en noir, le nom de boucs (tragoi).
Nous avons vu à l'article du sargue, qu'Aelien a parlé du prétendu amour de
ces derniers pour les chèvres. On pourrait trouver l'origine de cette croyance
ridicule dans quelques contes absurdes substitués maladroitement par
l'ignorance à une opinion peut-être fausse, mais que l'on ne pourrait regarder
au moins comme très invraisemblable. Les espèces du sargue et de la mendole
ont tant de rapports l'une avec l'autre que des mâles de la première peuvent
très bien dans la saison du frai, rechercher les œufs pondus par les
femelles de la seconde et ces femelles elles-mêmes. Cette habitude aura été
observée par les anciens Grecs, qui dès lors auront parlé de l'affection des
sargues pour les mendoles femelles. Ces mendoles femelles auront été désignées
par eux sous le nom de chèvres, comme
les mendoles mâles l'auront été sous celui de boucs
; et dans un pays ami du merveilleux et où l'histoire de la nature était
perpétuellement mêlée avec les créations de la mythologie et les inventions
des poètes, on aura bientôt dit et répété que les sargues avaient un amour
assez violent, non pas pour les mendoles appelées chèvres,
mais pour les véritables chèvres que l'on conduisait dans les gras pâturages
arrosés par la mer." (Id., t. 7, p. 21.)
(f)
Lorsque tout retentit des bêlements de joie de ces tendres chevreaux,
l'aimable sourire anime la figure des bergers. Quelle idée riante ! Qu'elle
aimable peinture ! Le grec dit seulement : "L'esprit des bergers
sourit." Lippius traduit :
omnia cum circum reboant loca vocibus
illis,
Pastores dulces fundunt de pectore risus.
Salvini traduit plus brièvement :
"É ne ride lamente de pastori."
Image charmante qui est suivie d'une autre qui ne l'est guère moins :
"Lorsqu'un assez long séjour dans les eaux a satifait leurs désirs et
leurs besoins, elles (les chèvres) retournent vers la bergerie. Les sargues
affligés les suivent alors tous en masse et de près jusqu'à la dernière ride
des ondes qui touche à la terre." Expression heureuse pour rendre une idée
tout à fait agréable :
Eutan d'einaliôn men aden ichôsi loetrôn
Ai de palin steichôsin es aulia, de tote sargoi
Achnumenoi, mala pantes aollees egchus epontai
Kumatos akrotatoio gelos othi cherson ameibei.
Lippius n'a pas traduit ces vers, qui méritaient cependant de ne pas être
oubliés. Salvini a été plus exact. Voici sa traduction :
Quando appunto
ne' marini lavacri a sofficienza
Abbiano, ed alle stalle elle ne riedano;
Allora, sarghi addolorati in folla
Segueno presso del estremo flutto,
Ove il riso del mare el terren varca.
Ces comparaisons ne seront pas jugées inutiles : elles font connaître
tout à la fois les divers génies des langues et des traducteurs. Rien ne forme
plus le goût que ces rapprochements.
(g)
Dans les anses paisibles des mers, un jeune pêcheur fait, en jouant, la pêche
aux anguilles. Cette manière de pêcher ces animaux est curieuse et même
nouvelle pour nous : elle n'est pas mentionnée dans nos divers ouvrages sur la
pêche. L'Encyclopédie méthodique,
outre celle à la nasse, à la ligne
dormante, à la main, celle à la
faveur d'une préparation empoisonnée,
fait mention de deux autres assez intéressantes. La première est nommée pêche des anguilles à la fouane : "La fouane, y lit-on, est
un instrument particulier à cette pêche. On le promène le long de la rivière
et on fiche l'instrument au fond de l'eau, en remuant de côté et d'autre,
comme pour faire sortir le poisson. Si la fouane est maniée par une main
industrieuse et qu'il y ait des anguilles aux lieux où on la fait agir, elles
se prennent entre les branches, et on en tire quelquefois deux ou trois d'un
seul coup. On doit celte méthode au solitaire inventif. "Le secret suivant
n'est sans doute qu'une imitation de la pêche à la fouane. On prend du sarment
dont on fait une javelle que l'on noue par les deux bouts ; on la jette ensuite
au fond de l'eau avec une grosse pierre ou un pieu auquel on l'attache et on ne
la retire que la nuit suivante. On y trouve souvent des anguilles entrelacées.
Ce poisson se trouve pris par les dents qu'il n'a pu retirer du sarment après
l'avoir mordu." (Encyclop. méthod.,
Dictionn. de toutes les pêches).
(h)
Il est un poisson malheureux et dénué de force, l'espèce misérable de la
faible aphie, à laquelle on donne le nom d'engraule, etc. Nous avons déjà
parlé d'une autre aphie bien différente de celle-ci et que nous avons dit être
le cyprin aphie. Les engraules sont de
l'espèce appartenant au genre élupée,
que nous nommons l'anchois : "Cet osseux, dit Willugby, est beaucoup plus
connu par l'usage qu'on en fait pour l'assaisonnement que pour sa forme, qu'on
est rarement à portée d'observer, parce qu'elle se trouve dénaturée par les
préparations que l'on fait subir à ce poisson avant de nous l'envoyer. Sa
longueur ordinaire est d'un doigt et s'étend quelquefois jusqu'à une palme et
au-delà ; sa grosseur est égale à celle du pouce de la main ; il a le corps
plus épais que le hareng, dépourvu d'écailles et remarquable par une
transparence qui n'est interrompue qu'à l'endroit de l'épine ; le dos est
d'une couleur brune ou cendrée avec un mélange de vert, celle du ventre est
argentée ; les mâchoires sont luisantes et ont une teinte rouge ; le museau
est terminé en pointe ; la mâchoire supérieure dépasse de beaucoup l'inférieure,
ce que Linnaeus et Artedus donnent pour le principal caractère spécifique de
l'anchois ; l'ouverture de la gueule est d'une grandeur démesurée par
proportion au volume de ce poisson : il en faut dire autant des ouvertures des
ouïes ; les yeux, qui ont pareillement un diamètre considérable à raison des
autres dimensions de l'anchois, sont recouverts par une peau lâche : leurs iris
sont argentés.
La nageoire du dos est garnie de quinze rayons ; les nageoires pectorales en ont
chacune quatorze ; les ventrales, situées au-delà des précédentes, en allant
vers la queue, n'ont chacune que sept rayons : on en compte dix-sept à la
nageoire anale. La queue est évidée, en forme de fourche.
L'anchois est commun dans les parties de la Méditerranée, qui baignent les côtes
de Venise, de Gène et de Rome. On sale ce poisson et on l'envoie dans de petits
barils ; mais avant de l'apprêter, on a soin d'ôter la tête, que l'on dit être
d'un goût très amer, ce qui a fait donner à ce poisson, par les Anciens, le
nom d'encrasicholus, c'est-à-dire qui a du fiel à la tête.
Comme les anchois se dissolvent aisément dans presque toutes les liqueurs que
l'on expose sur le feu, on fait avec ce poisson une saumure propre à relever la
saveur des mets qu'elle accompagne." Note extraite du volume de l'Encycl.
méthod., sur les poissons, article anchois.
(i)
De même le front du rivage, etc. Le grec dit "Ophrus agchialou leukainetai aigialoio." Lippius n'a pas rendu
l'image agréable que présente le mot ophrus
(le sourcil, la bordure) :
Piscibus innumeris canent sic littora
ponti.
Salvini l'a conservée.
Dall' apue innumerabili il ciglione
Del lido presso il mare si s'imbianca.
(j)
L'Euxin est la patrie des pélamys ; les thunnis farouches leur donnent l'être.
Il paraît que le mâle de ces poissons portait le nom de tunnos
et la femelle celui de thunnis ; que
les petits en changeaient en passant par différents âges comme nous l'apprend
Rondelet :
"Touchant ce poisson, dit-il, aucuns sans raison reprennent Aristote,
disant que les pelamydes se changent en thons, car ils prennent notre thon
vulgaire pour le thon d'Aristote. Aussi n'a-t-il jamais entendu les pelamydes se
changer en thons ; mais voulant désigner que ce poisson a divers noms, pour les
divers âges, il dit les petits thons s'appeler cordylas ; quand ils sont un peu plus grands, s'appeler pelamydes
; quand encore sont plus grands, s'appeler thons.
Mais je ne le croirai pas volontiers quand il dit que les thons ne vivent que
deux ans. Mais je pense qu'il le dit plutôt par l'opinion des pêcheurs que par
la sienne, ce que montrent assez ces paroles. Aristote aussi écrit les
pelamydes et thons ne faire leurs petits ailleurs qu'au Ponte, et après lui
Pline. Il est bien vrai que le Ponte leur est bien plus commode pour ce,
et plus abondant pour leur nourriture à cause de l'abondance des eaux douces
qui y tombent, lesquelles les thons aiment fort et s'engraissent, encore que de
leur nature ils vivent de la chair des autres. Nous voyons par expérience les
poissons être plus gras et plus gros quand il pleut fort, au contraire maigres
et petits quand l'année est sèche et sans pluie. En outre au Ponte il n'y a guère
de grandes bêtes marines qui tourmentent fort les autres poissons. Mais si pour
cette raison, on conclut qu'ils ne font leurs petits qu'au Ponte, qu'on n'en
voit point ailleurs, il me semble que la conclusion n'est pas nécessaire, car
je crois qu'on n'en trouve point guère de petits, ni au Ponte ni ailleurs, vu
que tout poisson croisse bientôt au Ponte, comme écrit Pline après Aristote,
par quoi ils sont cachés au profond des eaux où ils s'engraissent fort. Mais
chacun pensera de cette affaire ce que bon lui semblera. Aucune fois les thons
entrent aux rivières ; on en a vu en Agde monter jusqu'au pont." (Première
partie, liv., 8, chap. 10, pag. 196.)
(k)
C'est ainsi que dans les forêts, sur les montagnes, les chasseurs prennent
par un heureux artifice les cerfs timides en suspendant, aux arbres extérieurs
des cordons, etc. Oppien dit à peu près la même chose dans ses Cynégétiques,
au sujet de l'ours. Il ajoute seulement qu'on suspendait aussi à des cordes des
rubans de toutes couleurs : "L'usage de cette corde, chargée de
bandelettes de pourpre et de plumes de différentes couleurs, était d'effrayer
les animaux qui auraient voulu sortir par le côté du demi-cercle que traçaient
les filets et les toiles : on l'appelait en latin formido,
comme les Grecs l'appelaient deima,
qui a la même signification. Cette corde était soutenue dans sa longueur sur
de petites fourches que les Latins appelaient ancones,
valli, veri, servi." (Note
du chant quatrième de Belin de Ballu.)
(l)
Ou s'enfuit sous les herbes marines, sous les humides fucus. En français
varec ; c'est une plante cryptogame de
la famille des algues. Il est des rivages de la mer où on l'accumule en si
grande abondance qu'on s'en sert et qu'on le brûle pour fumer les terres. C'est
un excellent engrais.
(m)
Ainsi que l'oiseau géant de la Libye. On voit assez qu'il est question
de l'autruche. Oppien, dans ses Cynégétiques,
décrit cet animal le premier pour la grandeur de tous ceux qui composent la
grande tribu des oiseaux.
(n) L'un d'eux prend alors de l'argile onctueuse et quelques racines de la plante connue des enfants d'Esculape sous le nom de cyclamen. Vulgairement pain de pourceau. La racine assez grosse de cette plante est âcre, caustique et un violent emménagogue ; elle provoque des vomissements et des superpurgations funestes. Sans doute qu'elle communique son dangereux effet à l'eau qui est en contact avec les roches ou les fonds sur la surface desquels elle est frottée.