OPPIEN
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LA PÊCHE
ou
LES
HALIEUTIQUES
TRADUIT
PAR J.-M. LIMES
CHANT SECOND
Tels
sont les lieux que fréquentent, où se nourrissent les nombreux habitants des
eaux. Tels sont aussi les doux hymens, les heureuses reproductions dont ils goûtent
les charmes ; les hommes en doivent sans doute la connaissance à quelqu'un des
dieux : car que peuvent les mortels sans leur secours ? Ils seraient même
inhabiles à soulever la plante de leurs pieds, à mouvoir leur frêle paupière.
Les dieux, toujours près quoique éloignés, ordonnent et disposent de tout ;
c'est donc une irrésistible nécessité de se soumettre. En vain la force ou la
puissance, telles qu'un coursier qui rejette le mors, exciteraient leurs bouches
rebelles à secouer témérairement le frein ; arbitres suprêmes de tout, les
Immortels font toujours incliner les rênes du côté qu'ils veulent. Le sage obéit
donc sans murmure et n'attend pas d'y être contraint par les durs aiguillons
d'un fouet incitateur. L'homme leur doit l'industrie féconde et un génie
propre à tout ; ils en ont tous reçu un nom et un honneur particuliers, à
cause des divers travaux auxquels chacun préside : Cérès est recommandable
par le joug imposé aux bœufs, par la culture et les sillons de la terre, par
les précieuses moissons des grains ; nous tenons de Pallas l'art de fabriquer
des armes, de construire des maisons, de transformer en riches étoffes la douce
toison des brebis ; Mars nous a fait don du glaive, des armures protectrices,
des casques, des lances, de tout l'appareil cher à Bellone ; Apollon et les
Muses nous ont fait présent de la divine mélodie ; nous devons à Mercure l'éloquence
et les vigoureux combats des jeux publics ; Vulcain veille aux pénibles et
suants travaux des forges. La même divinité qui, comblant d'abord les vastes
gouffres de la terre avec les eaux réunies des fleuves, en a formé la masse amère
des mers qu'elle a enchaînées, couronnées de coteaux et de rivages, a fait
aussi connaître aux humains les secrets des ondes, les races et les mœurs de
leurs habitants les moyens d'obtenir d'heureuses pêches, quel que soit
d'ailleurs le nom qu'on doive lui donner, celui de tout-puissant Neptune, de
vieux Nérée ou mieux encore de Phorcus (1)
ou de quelque autre souverain des eaux. Toutefois, vous tous dieux
immortels qui habitez les célestes lambris, le vaste Océan, la terre fertile,
les plaines des airs, daignez sourire, accordez votre bienveillance à mon
heureux prince, a son illustre fils, à leurs peuples, à mes chants.
Les poissons n'ont entre eux ni justice, ni pudeur, ni amitié : ils sillonnent
les mers, chaque espèce ennemie implacable de l'autre espèce ; le plus fort dévore
toujours le plus faible : ils se précipitent les uns sur les autres pour se
donner la mort ; ils sont toujours la proie et l'aliment les uns des autres. Les
uns triomphent des moindres par la puissance plus énergique de leurs muscles ou
de leurs mâchoires : les bouches de ceux-ci recèlent un venin destructeur ;
ceux-là, pour échapper aux coups mortels des autres, sont armés de pointes,
de piquants aigus, instruments terribles d'une ardente fureur. Ceux à qui les
dieux n'ont accordé ni la force, ni aiguillon osseux qui s'élance de leur
corps, trouvent en eux-mêmes une arme aussi redoutable, une source féconde de
ruses : c'est ainsi que d'autres poissons, plus grands et plus robustes, tombent
souvent victimes de leur adresse.
De quelle puissance propre et inhérente à sa substance, n'est pas douée
la molle torpille (2) pour balancer et subjuguer la
force : son corps faible est sans ressort, sa lente et lourde masse l'affaisse ;
on ne la prendrait point pour un animal qui nage. Se glissant quelquefois dans
l'eau limpide, elle se roule surtout dans les endroits troubles et obscurs. Des
deux côtés, à chacun de ses flancs, sont deux séries de rayons ou tuyaux,
appareil de ruse et supplément de sa faiblesse. Tout être vivant qui en
approche et qui la touche, sent ses forces se briser, son sang se contracte et
se glace, ses membres ne servent, ne soutiennent plus son corps ; la nature
s'arrête en lui enchaînée par ce stupide habitant des eaux. Connaissant
toutefois l'avantage dont elle dispose, elle se tient accroupie dans le sable,
elle y reste sans mouvement et comme morte : tout poisson qui l'effleure est à
l'instant foudroyé ; il tombe, abandonné de ses sens, dans un sommeil léthargique.
Elle s'élance alors avec précipitation, quoique peu prompte elle-même, et,
transportée de joie, le déchire vivant comme s'il avait cessé de l'être.
Elle se traîne souvent à la rencontre des poissons qui nagent dans les mers,
amortit en les touchant leur impétuosité, arrête et suspend la rapidité de
leur course ; infortunés qui, raides et dénués de force, ont perdu le
souvenir de leur route ou de leur fuite, et sont dévorés sans défense, sans
en avoir le sentiment ! Lorsqu'un homme dans les pénibles agitations d'un songe
se croit frappé d'épouvante et fait effort pour fuir, son cœur saute et
s'agite, tandis que ses genoux gémissent immobiles sous le poids des chaînes
qui contiennent ses élans : tel est l'effet produit par l'engourdissante
compression de la torpille.
Le batrachos est un poisson également lent et mou ; il est horrible à voir :
sa bouche présente une ouverture immense ; la ruse lui sert aussi à se
procurer la nourriture. Enfoncé dans un vaste limon, il y reste tranquillement
couché en soulevant une excroissance (3) charnue, déliée,
blanche, mais d'une odeur forte qui naît de dessous l'extrémité de sa mâchoire
supérieure ; il l'agite fréquemment en guise d'appât pour les petits
poissons, qui bientôt l'aperçoivent et cherchent à s'en saisir ; le batrachos
la retire alors en arrière jusqu'à sa bouche en l'y balançant mollement :
ceux-ci ne soupçonnant point le piège, l'y suivent et tombent engloutis tous
ensemble dans cette gueule énorme. Un homme qui veut attirer au trébuchet les
oiseaux légers, le garnit au-dedans des mêmes grains qu'il vient de répandre
au dehors à l'entour des portes et assure ainsi le succès de sa ruse.
L'attrait séducteur d'un aliment dont ces oiseaux sont avides, les entraîne et
les fait entrer dans la cage funeste d'où toute issue leur est fermée et qui
leur montre un bien triste résultat de leur repas ; c'est par un semblable
stratagème que le lourd batrachos attire les petits poissons, qui sont loin de
songer qu'ils courent à leur ruine. On dit que le rusé renard exécute une manœuvre
à peu près pareille. Lorsqu'il aperçoit une troupe nombreuse d'oiseaux, il se
couche, le dos recourbé, les jambes tendues, ferme les yeux et rapproche
exactement ses lèvres. On dirait qu'il est enseveli dans un sommeil profond ou
plutôt qu'il est étendu à terre mort réellement. Il est ainsi, sans pousser
le moindre souffle, à concerter les ruses les plus adroites et les plus variées.
Cependant les oiseaux qui le voient en cet état volent en foule sur lui,
grattent et feutrent son poil de leurs pieds, insultant insolemment à son sort
; dès qu'ils sont assez près de ses dents, il donne l'essor à ses ruses ; sa
vaste bouche s'ouvre, fond avec avidité sur ces téméraires oiseaux et saisit
par cette irruption précipitée une proie abondante.
La trompeuse sépie (4) déploie aussi les ruses dans
ses chasses. Du sommet de sa tête partent des prolongements charnus, longs et
grêles, semblables à des cordes, avec lesquels elle pêche les poissons comme
avec des lignes ; gisante ou retirée sous son tégument dans le sable, elle
s'en sert pour s'accrocher aux corps solides lorsque les tempêtes d'hiver font
enfler les ondes : on la prendrait pour un bâtiment amarré par ses cibles aux
rochers du rivage.
Les carides (5) sont petites sans doute et n'ont pas
une grande force, mais elles rendent victime de leurs ruses un plus fort
poisson, le labrax, qui doit son nom à sa voracité : empressé d'en faire sa
proie, il se jette à la hâte sur elles : fuir ou résister est au-dessus de
leur pouvoir; prêtes à périr, elles font périr et blessent à mort leur
meurtrier. Par des sauts et des élans réitérés, elles percent son palais
d'une pointe aiguë, qui s'élance de l'extrémité de leur tête. Le labrax,
tout entier à son vorace appétit, s'occupe peu des coups dont il est percé ;
cependant sa blessure se nourrit et s'étend : il succombe enfin aux maux et aux
douleurs et reconnaît trop tard que celle qu'il priva de la vie lui fait perdre
la sienne.
Il est un poisson qui se tient d'habitude dans la vase, ami de la chair de
l'homme, le bœuf (6), le plus grand de tous en étendue.
Sa largeur est souvent de dix et même de douze coudées ; il n'a point la
vigueur en partage, son corps est mou, destitué de force, ses dents sont intérieures,
à peine visibles, petites et faibles. S'il triomphe, ce n'est point par sa
puissance, mais par la ruse ; il fait cependant sa proie de l'homme, dont il met
en défaut le génie pénétrant, car il aime beaucoup à s'en nourrir ; sa
chair a beaucoup d'attrait, est un repas très agréable pour lui. S'il en voit
quelqu'un au-dessus des eaux, que quelque soin attire dans leur fond, plus léger
à cause de sa grande surface, il s'élève et nage constamment au-dessus de sa
tête, immobile, étendu sur lui, semblable au toit d'une maison. Il le suit en
cet état dans tous ses mouvements : il est toujours au-dessus comme une
fermeture. De même qu'un enfant qui dresse le piège fatal à la souris avide,
qu'un imprudent appétit attire sans soupçon au-dedans, mais qui bientôt
surprise par le bruit du creux instrument de sa captivité, ne peut en sortir,
malgré ses efforts, que lorsque l'enfant la saisit et la tue souvent avec un
ris moqueur ; de même ce funeste poisson plane sur la tête de l'homme et l'empêche
de remonter sur l'onde ; enchaînant par là sa respiration, il lui fait perdre
la vie au sein des flots, il tombe alors sur lui et le dévore ; c'est ainsi
qu'il doit à la ruse cette difficile conquête.
On louera, on admirera sans doute l'ingénieuse industrie du cancre dans ses
trous tapissés de mnies : les dieux lui ont donné l'adresse nécessaire pour
faire des huîtres une nourriture aussi agréable que facile. Lorsqu'elles
ouvrent la barrière de leurs écailles pour saisir le limon ou pour s'abreuver
d'eau, et qu'elles s'accrochent aux angles des rochers, le cancre prend sur le
rivage une petite pierre et la porte, engagée en travers dans ses pinces aiguës,
il approche à la dérobée et la place dans le milieu de l'huître, qu'il se
met ensuite à dévorer en savourant ce mets chéri. Ce misérable mollusque
veut en vain refermer ses valves, il n'en a plus le pouvoir : elles restent
ouvertes par l'effet d'une dure nécessité, jusqu'à ce qu'il meure et que son
ennemi en ait fait un ample repas.
Les rampantes étoiles de mer ont un art à peu près semblable, et c'est encore
contre les huîtres qu'elles l'exercent ; ce n'est point d'une pierre qu'elles
s'aident ou dont elles font leur instrument, mais d'un corps osseux qu'elles
passent entre leurs valves baillantes : les huîtres sont ainsi à leur discrétion
et deviennent leur nourriture.
Il est une coquille bivalve dans laquelle habite un mollusque qui porte le nom
de pinne, qui est inhabile à combiner, à faire quelque chose par elle-même.
Elle vit en communauté de toit et de demeure avec un cancre qui la nourrit et
veille à sa sûreté, ce qui lui a valu le surnom de pinnophulax (garde-pinne
). Quelque animal pénètre-t-il dans la coquille, le cancre réveille aussitôt
son attention en la pinçant, en la stimulant par d'utiles morsures : pressée
par la douleur, elle contracte ses valves, y emprisonne l'animal qui devient la
proie de l'un et de l'autre ; ils en font ensemble un doux repas. C'est ainsi
que parmi les habitants des eaux comme parmi les hommes, on remarque de la
sagacité dans les uns, de l'inaptitude dans les autres (7)
: ils n'ont pas tous le même degré d'intelligence.
On chercherait en vain un poisson qui l'emportât par sa stupidité sur l'émérocet
(8) ; la mer n'en renferme pas qui croupisse dans une
plus grande inertie. Ses yeux sont dirigés sur la partie supérieure de sa tête
vers le ciel, sa bouche vorace est placée entre ses yeux ; il reste tout le
long du jour couché sur le sable, plongé dans le sommeil. Seul de tous les
habitants des eaux, il veille la nuit et vague dans leur sein ; il est aussi
appelé nuctéris (animal nocturne).
Une faim déplorable est le résultat de son insatiable avidité ; il ne connaît
ni terme ni mesure dans ses appétits. La fureur d'un irrésistible besoin,
d'une faim toujours dévorante l'entraîne d'une manière impérieuse. Il ne
cesse de se gorger d'aliments que lorsque son ventre se déchire, qu'il tombe étendu
sous leur poids ou qu'il est saisi par un autre poisson, avalant encore le
dernier morceau. Quelle preuve plus frappante de cette immodérée voracité !
Dans les filets même du pêcheur, si une main le provoque en lui présentant
quelque nourriture, il en remplit son estomac, jusqu'à ce qu'elle retourne à
son palais. Apprenez par cet exemple, ô mortels ! quelle est la triste fin de
cette passion insensée pour la table (9),
quels maux en sont l'inévitable fruit. Évitez donc cette oisiveté
funeste de l'esprit et du corps, ce dérèglement des trop somptueux repas.
Prenez-les avec mesure et sans livrer votre âme à leur folle joie. Combien
parmi vous qui ne connaissent aucun frein, qui s'abandonnent à tous les débordements
d'un goût qui les maîtrise ! Regardez l'émérocet : que la leçon que vous
offre son malheur ne soit point perdue pour vous ! Les oursins à pointes aiguës
ont un instinct qui leur fait prévoir et juger la force des vents, l'approche
des terribles tempêtes : ils lestent alors leur dos d'une pierre (10)
aussi lourde que les intervalles de leurs piquants peuvent le permettre, et
luttent ainsi chargés contre la fureur des flots : ils craignent surtout que le
courroux des ondes ne les roule et ne les jette sur le rivage.
Personne n'ignore l'art qu'emploient les poulpes qui, semblables aux rochers sur
lesquels ils se moulent, y appliquent leurs bras : donnant ainsi le change soit
aux pêcheurs, soit aux animaux plus grands, ils parviennent à leur échapper.
Lorsqu'ils font la rencontre d'un plus petit, ils quittent leur forme, leur
apparence de pierre, et reparaissent sous celle de poulpes et d'êtres vivants ;
par cette adresse ils en prennent alternativement qui sont différentes et se dérobent
à la mort. On dit que l'hiver ils ne vaguent point dans les eaux, qu'ils en
redoutent beaucoup les orageux tourbillons : retirés et tremblants dans leurs
creuses retraites, ils dévorent comme une proie étrangère leurs propres bras,
qui repoussent ensuite après leur avoir servi d'aliment. Ils doivent cette
pratique aux inspirations de Neptune. C'est ainsi qu'en use l'ours farouche et
rugissant : pour se soustraire aux rigueurs de la froide saison, il se réfugie
dans le lieu le plus reculé des cavernes, et trompe sa faim en léchant et suçant
ses pattes ; avide d'une nourriture si vaine, il reste fixé dans sa tanière
jusqu'au retour du jeune époux de la nature.
Une haine affreuse existe surtout entre le crabe ardent, la murène et le poulpe
: ils se donnent mutuellement la mort les uns aux autres. Le genre de discorde
et de guerre qui est propre aux habitants des eaux règne toujours sur eux : ils
se dévorent réciproquement. S'élançant de dessus les roches des mers, déjà
la fougueuse murène se roule à travers les flots à la recherche d'une proie ;
bientôt elle aperçoit le poulpe qui se traîne sur les sommités du rivage, et
toute joyeuse se précipite sur cette victime chère à son goût. Son approche
n'échappe pas au poulpe : dans son inquiétude, il se détermine à la fuite ;
mais comment se déroberait-il en rampant à la murène qui nage et fond si
violemment sur lui, qui le saisit à l'instant et le presse de sa mâchoire
cruelle ? Il se trouve donc forcement engagé dans ce combat funeste : il roule
autour d'elle ses membres ; il la serre dans tous les sens des contours nombreux
de ses bras, cherchant par ses efforts à se débarrasser des siens. Vain
espoir, plus de remède, l'ardente et visqueuse murène glisse comme l'onde
d'entre ses liens ; il lui étreint tantôt son dos, tantôt son cou, ici l'extrémité
de sa queue ; là il les pousse contre l'ouverture de sa bouche, contre les
parties cachées de ses mâchoires. Tels que deux lutteurs habiles et robustes
qui font longtemps assaut de leurs forces, des membres desquels découle déjà
une sueur grasse et abondante, qui essaient et promènent partout les ressources
variées de leur art, et dont les bras nerveux flottent agités autour de leurs
corps, tels ceux des poulpes errent sans ordre et se tourmentent dans des luttes
inutiles. La murène le dévore de ses dents aiguës ; son estomac recèle
quelques-uns de ses membres, tandis que d'autres sont encore triturés dans ses
mâchoires acérées ; d'autres enfin à moitié rongés palpitent et se
contournent encore vivants comme cherchant à lui échapper. Dans les forêts,
un cerf au bois fourchu qui parcourt les bois fréquentés des serpents (11),
flaire, trouve leurs traces, parvient à leur repaire, en fait sortir un de ces
reptiles, et se presse de le mettre en morceaux, dans le temps même que
l'animal se roule autour de ses jambes, de son cou, de sa poitrine, et que ses
tronçons à moitié dévorés jonchent la terre ou sont broyés sous sa dent
rapide ; ainsi se replient les parties en mouvement du malheureux poulpe. En
vain cherchera-t-il son salut sous la forme de la pierre ! Si, se débarrassant
de la murène, il court appliquer ses membres sur une roche et se fondre dans sa
couleur, ce stratagème n'échappera pas à son ennemie ; elle ira le saisir, et
sa ruse restera sans succès. Quel est le mortel qui, voyant sa mort déplorable,
pourrait se défendre de la pitié ? Étendu sur la pierre et faisant corps avec
elle, la murène d'un air moqueur s'approchera de lui. On croirait que la
cruelle lui tient ce langage insultant : "Poulpe trompeur, que crains-tu ?
Espères-tu de me surprendre ! Nous verrons bientôt si tu es de la pierre ou si
la pierre te servira d'asile et te garantira de ma dent." Se portant
alors sur son enveloppe sinueuse et testacée, elle l'engloutit dans sa gueule,
à mesure qu'elle l'arrache tout tremblant de dessous la roche. Quoique mis en
pièces et dévoré, il ne la quitte point, il ne cesse de s'y retenir, il
l'embrasse toujours jusqu'à ce que ses bras accrochés soient les seules
parties qui existent encore. De même lorsque dans une ville livrée à la
fureur des ennemis, où les enfants et les femmes sont entraînés dans une dure
captivité, un homme, suivant la triste loi de la guerre, cherche à ravir un
jeune enfant qui repose dans les bras et sur le sein de sa mère, celui-ci se
tient avec plus de force à son cou, le presse de ses mains, tandis que cette mère,
poussant des cris aigus, résiste à le livrer et se laisse plutôt entraîner
avec lui ; de même le corps du malheureux poulpe se presse contre la pierre
humide dont il se sent arracher et ne s'en détache jamais.
Quelque redoutable que soit la murène, le crabe la dévore ; elle est vaincue
par son ardeur même. Arrivé prés de la roche qu'habite son agile ennemie, il
dresse ses deux aiguillons ; son souffle rare et guerrier, sonnant la charge, la
provoque au combat. Semblable au chef d'un des premiers rangs d'une armée, qui,
fier de sa vaillance, de son adresse militaire, des armes qui renforcent son
corps vigoureux, agite sa lance aiguë, défie celui des ennemis qui osera paraître,
et bientôt excite et voit s'avancer contre lui l'un des chefs opposés ; c'est
ainsi que le crabe aiguillonne la murène. Celle-ci ne se fait pas attendre : s'élançant
de son obscure retraite, la tête raide et courbe de colère, elle se présente
en proie à la plus violente fureur ; mais cette rage est impuissante contre le
corps rude du crabe. En vain elle le presse de ses fortes mâchoires, en vain
ses dents robustes se fatiguent pour l'entamer ; repoussées comme par une
pierre raboteuse, elles rentrent émoussées dans sa bouche : leur impétueuse
activité reste sans effet. Cependant son cœur féroce s'agite et bouillonne
jusqu'à ce que le crabe, rapprochant ses longues pinces, la serre dans le
milieu du corps. Il la comprime, il la retient sans relâche dans cet état,
comme avec des instruments de fer ; il ne les desserre point, quelque effort
qu'elle fasse pour s'échapper. Contenue par la force, accablée de douleurs,
elle roule et contourne obliquement son corps de tous côtés, en frappe, en
serre de plusieurs tours le dos hérissé du crabe, et s'engage ainsi elle-même
dans les pointes, dans les aiguillons de ce crustacé : elle succombe enfin
toute couverte de blessures, qu'elle doit aux coups même qu'elle s'est donnés.
Sa mort est son propre ouvrage, celui de son audace insensée. Ainsi, lorsqu'un
homme habile dans l'art de tuer les bêtes féroces, la lance en arrêt, le
corps raide et oblique, au milieu d'un peuple groupé autour des maisons, attend
la panthère effarouchée du sifflement des lanières, du bruit des épouvantails,
qui, à la vue du tranchant de l'acier, s'arme et s'enflamme de la plus terrible
fureur, et dont la gueule énorme se précipite elle-même comme un fourreau sur
le fer acéré ; ainsi la malheureuse murène s'emporte à une rage aveugle :
elle périt des maux qu'elle s'est faits.
Tels sont les combats que se livrent sur la terre, dans le fond des bois, le
serpent et l'oursin épineux lorsqu'ils viennent à s'attaquer. Dès que
celui-ci soupçonne l'approche du funeste reptile, il se retranche, sous forme
sphérique, derrière le rempart de ses longues et nombreuses épines qui lui
servent de bouclier, et se traîne de l'intérieur. Le serpent, de son côté,
se porte sur lui et l'essaie de ses dents gorgées de venin sur tous les points
de sa surface circulaire ; mais ses efforts sont inutiles : quelque terribles
que soient ses mâchoires, elles ne peuvent arriver jusqu'à son corps, à
travers la fourrure épineuse dont il est enveloppé. Roulé en cercle, en masse
globuleuse, il se meut, il se précipite en tours nombreux sur lui-même, et des
piquants dont il est hérissé, frappe le reptile, fait couler de ses membres
une sanie sanglante, et l'accable d'une multitude de blessures. L'odieux serpent
le couvre aussi en entier des longs et robustes replis de son corps, le presse,
le serre malgré les pointes horriblement aiguës dont il est percé de toutes
parts. La fureur ajoute à son audace. L'oursin, ferme au centre de ses
aiguillons, ne cesse de lutter de toutes ses forces, et ne gémit que malgré
lui dans cette dure compression. Sous l'abri protecteur de la voûte cachée qui
le recèle, il attend que son ennemi meure ; souvent il périt lui-même en
l'accablant : ils sont ainsi l'un à l'autre un instrument de ruine et de mort.
Souvent le malheureux oursin s'échappe, semble surgir du sein du reptile qui le
tenait emprisonné, et en emporte à ses piquants les chairs expirantes. C'est
à peu prés de la même manière que la murène tombe victime du crabe : elle
est pour lui une nourriture dont il est avide et qui flatte son goût.
Le poulpe, quoique faible et lent dans ses mouvements, fait sa proie du crabe à
la fois rude et rapide. Lorsqu'il l'aperçoit en repos et sans méfiance sur une
roche, il se jette furtivement sur son dos, qu'il enchaîne de ses bras longs et
forts, de leurs dernières articulations comprime en même temps avec violence
le conduit de ses aliments et arrête en lui le jeu alternatif de l'aspiration
et de l'expiration de l'air (car il est nécessaire même aux habitants des
eaux) : il le retient ainsi en l'accablant de toutes parts. Le malheureux
crustacé nage, s'arrête, s'élance en bonds, quelquefois se déchire dans ses
parties extrêmes ; nul relâche à son supplice que ses forces et sa vie ne
l'abandonnent ; son ennemi le dévore alors tranquillement sur les sables du
rivage. Tel qu'un enfant qui presse de sa bouche le sein de sa nourrice pour en
aspirer le lait, il en retire et en absorbe les chairs, vide en entier par ses
succions ce corps à aiguillons nombreux et remplit son estomac de cette
nourriture chérie. Un voleur de profession, qui médite de noirs projets ; qui,
toujours hors des sentiers de la justice, attend la nuit en embuscade dans une
rue étroite que quelque passant au sortir d'un repas tombe dans ses pièges, en
voit bientôt approcher un dont le vin rend la marche chancelante, à qui il
fait exhaler quelque chanson à boire où la sobriété n'est pas trop célébrée,
fond alors à la dérobée et par derrière sur lui, frappe à coups redoublés
sur sa tête, l'accable de ses mains cruelles, et le met dans un état
d'engourdissement et de sommeil peu différent de la mort, lui ravit ensuite
tout ce qu'il porte et se retire en emportant ce butin illicite et si
honteusement acquis ; l'instinct des poulpes les porte à mettre en usage des
moyens du même genre. Tels sont surtout les habitants des eaux qui s'attaquent
et sont ennemis entre eux. Seuls parmi les divers genres de poissons, ils sont
tour à tour meurtriers et vengeurs les uns des autres.
D'autres sont venimeux, ont, autour de leur bouche un venin funeste qui laisse
partout l'odieuse empreinte de leurs morsures. Telle est la scolopendre, ce
fatal reptile des mers dont la forme est assez semblable à celle de terre, mais
qui porte un bien plus grand préjudice. Si quelqu'un en approche et la touche
de quelque partie de son corps, il s'y établit aussitôt une démangeaison ;
une rougeur vive et brûlante qui fait trace comme celle de la plante à
laquelle on donne le nom d'ortie (12), à cause des
douleurs cuisantes qu'elle produit. La présence de la scolopendre est surtout
exécrée des pêcheurs ; pour peu qu'elle ait effleuré les filets, aucun
poisson ne touche aux appâts, tant le venin dont ils ont pu s'imprégner les
leur rend odieux.
Les iulis (13) aux couleurs variées sont également
redoutables par la puissance de leur bouche. Les plongeurs, qui vont fouiller le
fond des mers, et les pêcheurs d'éponges, accoutumés aux plus rudes épreuves,
les ont surtout en horreur. Lorsqu'ils aperçoivent quelqu'un de ces chercheurs
sous-marins se livrant dans l'onde à ses travaux, ils s'élancent par milliers
de dessus les roches, fondent, se pressent de toutes parts sur lui,
l'embarrassent dans ses recherches et dans sa marche, en l'accablant à la fois
de tous côtés de leurs téméraires morsures. Il se consume en vains efforts
pour lutter contre les eaux et ces odieux iulis : ses pieds, ses mains
s'agitent, pour repousser leurs masses ennemies ; leur opiniâtre activité
s'attache avec acharnement sur lui ; tels ces incommodes essaims de mouches qui
volent sans cesse dans l'été autour des hommes livrés aux pénibles soins des
moissons. Tout suants de fatigue et des ardeurs immodérées d'un ciel embrasé,
ils ont encore à gémir de l'importunité de ces insectes qui ne se relâchent
jamais qu'ils ne reçoivent la mort ou ne se rassasient du sang vermeil des
moissonneurs. C'est ainsi que le sang de l'homme a un attrait vif et puissant
pour les habitants des eaux. Il en est dont les morsures ne sont pas légères,
telles sont celles du poulpe rampant et de la sépie, qui recèlent en eux-mêmes
une liqueur, une encre en petite quantité, mais dangereuse et nuisible.
Certains poissons tiennent de la nature des instruments d'attaque, de forts
aiguillons : ce sont le gobie, ceux des scorpions qui se plaisent sur les
rochers ou dans les sables, les chélidons rapides, les dragons, et ceux des
chiens marins qui tirent leurs noms (14) de leurs
piquants redoutables ; ces pointes portent toutes un venin funeste dans les
chairs où elles s'implantent profondément.
La trygone et le xiphias ont chacun reçu des dieux un don terrible, une arme
d'une grande puissance qui est fortement inhérente à leurs membres. La mâchoire
de celui-ci donne naissance, naturellement, à un glaive droit, taillé en
pointe et en lance d'épée non d'acier, mais de diamant. Poussé avec impétuosité,
il n'est point de pierre, quelque solide qu'elle soit, qui puisse résister à
son effort tant il a d'énergie et de violence. De l'extrémité de la queue de
la trygone sort un horrible aiguillon tout à la fois redoutable par la force et
dangereux par son venin (15).
Que leur proie se présente à eux vivante ou morte, ni les xiphias, ni les
trygones ne la dévorent avant de l'avoir percée de leurs traits funestes. Sitôt
que la vie abandonne le xiphias, son arme puissante périt et s'éteint avec lui
: elle n'est plus qu'une masse, qu'un os sans vigueur, qu'il ne serait plus
possible de prendre pour un glaive, quelque désir qu'on eût de l'y reconnaître.
Il n'est pas de blessure qui fasse un mal plus assuré que celle de la trygone,
pas même celle de ce fer que l'art a fabriqué pour les combats, pas même
celles de ces flèches ailées qu'empoisonnent les Perses, et dont ils lancent
la mort. Ce formidable et si vif aiguillon de la trygone, dont on n'entend point
parler sans effroi, ne conserve pas seulement. son activité tant qu'elle est
vivante, lorsqu'elle a cessé de l'être, sa force et sa roideur se maintiennent
encore immuablement. Les animaux ne sont pas les seuls sur qui elle porte le
ravage et la destruction ; tout végétal, la pierre même qui tombe sous ses
coups, n'en reçoivent pas impunément l'atteinte. Si d'une belle bouture ou
d'une riche semence, s'est élevé un jeune arbuste dont la verdure hâtive
annonce la vigueur, et que ses racines en soient assez gravement offensées, cet
accident fera languir ses rameaux ; ils pencheront vers la terre comme affectés
de quelque maladie ; l'aspect gracieux de l'arbuste commencera par s'affaiblir :
il ne tardera pas à perdre la parure de ses feuilles, à sécher, à n'être
plus qu'un vil tronc.
L'enchanteresse Circé, mère de Télégon (16),
arma autrefois son fils d'un de ces aiguillons de trygone pour lui servir de
long dard emmanché et marin, dont il pût exterminer ses ennemis. Il fut jeté
sur une île à nombreux troupeaux de chèvres, et en fit un grand butin, sans
savoir qu'ils étaient ceux de son vieux père qu'il cherchait, et qui, courant
à sa défense, reçut de lui le coup mortel. C'est ainsi que cet ingénieux
Ulysse, qui avait été en butte à tant de traverses et de combats sur les
mers, mourut du trait rude et rapide d'une trygone.
Le thon et le xiphias portent toujours avec eux un fléau qui les vexe et les déchire
sans cesse (17) : ils
ne peuvent ni s'y soustraire, ni s'en délivrer ; c'est un insecte, l'astre
cruel, qui se fixe entre leurs nageoires, et qui, dans les chaleurs de l'ardente
canicule, se presse avec force contre leur corps, y enfonce violemment son dard
vif et acéré. Dans les maux dont il les accable, ils s'emportent à une rage
affreuse, et bondissent incités malgré eux comme par des fouets terribles.
Rendus furieux par ce noir aiguillon, ils s'agitent dans tous les sens. Là,
poussés par les plus intolérables douleurs, ils se tourmentent en courses
rapides sur les flots (18),
ici, transportés hors d'eux-mêmes par la véhémence des plus cruelles piqûres,
ils sautent et se jettent sur les vaisseaux les plus élevés. Souvent aussi, s'élançant
du sein des mers, ils se précipitent palpitants sur la terre et remplacent
leurs tourments par la mort, tant leur violence est grande et sans aucun relâche.
Lorsque cet odieux insecte s'attache aux bœufs et perce de son aiguillon le
cuir tendre de leurs flancs, leur conducteur, le pâturage, le reste du
troupeau, rien ne peut les retenir. Délaissant leurs étables, leurs parcs,
leur nourriture, ils se portent partout en proie au plus cruel délire. Les
fleuves, les mers, les précipices, les rochers escarpés ne sont plus pour eux
que de faibles barrières ; sitôt que d'ardentes piqûres de cet aiguillon pénètrent
leur corps et le déchirent des plus cuisantes douleurs, ils vont mugissant et
s'élançant par bonds de tous côtés, tant la fureur qui les transporte est
terrible et orageuse. Ainsi l'oestre exerce un égal et féroce empire sur les
poissons et sur les bœufs.
Les dauphins sont éminemment sur la première ligne parmi les habitants des
eaux et se distinguent surtout par leur vigueur, par la beauté de leurs formes,
par l'impétuosité de leurs mouvements ; ils volent sur les mers avec la
rapidité d'un trait ; une lumière vive et perçante jaillit de leurs yeux ;
ils aperçoivent le plus petit poisson tremblant dans sa retraite ou roulé dans
le sable. Ainsi que les aigles sont les rois des oiseaux, que les lions sont à
la tête des animaux carnassiers, que les dragons sont les premiers des
reptiles, ainsi les dauphins occupent le plus haut rang parmi les poissons ; il
n'en est aucun qui ose attendre leur approche ou dont l'œil ne craigne de les
fixer ; ils redoutent même de loin leurs terribles élans, leur respiration
rapide et brûlante. Lorsqu'ils parcourent les mers à la poursuite de leur
nourriture, toutes ces nombreuses espèces se précipitent les unes sur les
autres dans le désordre d'une fuite générale et portent partout l'effroi. Se
pressant de toutes parts, elles encombrent à la fois les endroits les plus
obscurs, les retraites les plus cadrées, les ports, les anfractuosités des
rivages ; les dauphins choisissant alors sur un si grand nombre la proie la
meilleure en font un aussi ample repas qu'ils le désirent. Toutefois les
poissons connus sons le nom d'amies, se présentent contre eux en adversaires
intrépides, sans songer que ce sont des dauphins qu'elles ont à combattre, et
seules elles leur font la guerre. Les amies sont plus minces de corps que les
thons, ont les chairs plus grêles, mais leur bouche est hérissée de dents
serrées et aiguës ; c'est là le principe de leur audace, de cette témérité
qui les fait assaillir un des plus forts rois des mers. Lorsqu'elles aperçoivent
quelque dauphin seul, éloigné du reste de la troupe, elles s'ébranlent de
tous cotés comme une armée au signal de son chef et fondent courageusement en
masse sur l'ennemi, telles que des guerriers en fureur, armés de boucliers, qui
marchent à l'assaut d'une tour. Le dauphin, fort de ses robustes mâchoires, méprise
d'abord cette multitude d'amies qui se pressent à sa rencontre ; il se jette
tantôt sur l'une, tantôt sur l'autre, et dévore comme un mets agréable
toutes celles qu'il saisit. Mais lorsque enveloppé de leurs nombreux
bataillons, il se trouve enfermé dans leur enceinte, il sent alors les rudes
travaux qui s'ouvrent devant lui ; il connaît ainsi seul au milieu d'ennemis
innombrables l'affreux précipice où il est tombé, dans quelle lutte pénible
sa force est engagée. Pleines de rage, les amies l'environnent, l'accablent
dans tous les sens de leurs masses, l'attaquent à la fois de toute la violence
de leurs dents, le déchirent dans toutes les parties de son corps avec audace
et sans jamais lâcher prise (19). Plusieurs
attaquent sa tête, d'autres sa mâchoire azurée ; celles-ci s'attachent à ses
nageoires, celles-là impriment leurs bouches cruelles dans ses flancs ;
d'autres se saisissent de l'extrémité de sa queue ; un grand nombre se presse
sous son ventre, un grand nombre dévore son dos ; celles-ci sont suspendues,
les unes au-dessus, les autres au-dessous de sa gorge. Assiégé de tant de maux
et de fatigues, il fait mugir l'onde de son souffle ; son cœur brûlant de rage
et dans une fièvre ardente bouillonne et excite inférieurement en lui un
bruissement sourd. Il bondit, il se roule autour de lui-même embrasé par la
douleur et dans le plus horrible délire. Semblable à un plongeur, tantôt il
disparaît dans l'épaisseur des eaux comme un tourbillon, tantôt il se pousse
jusqu'au fond de l'abîme ; il remonte ensuite et reparaît fréquemment à la
surface, toujours pour se soustraire à ce nombre immense d'impitoyables
poissons. Les amies obstinément serrées ne se relâchent point, l'accablent de
l'ensemble de leurs forces, se portent partout avec lui et s'il s'élance
au-dessus, s'élancent aussi comme entraînées. On croirait qu'un nouveau
monstre vient de paraître dans l'empire d'Amphitrite, un dauphin-amie ; leurs dents sont si fortement engagées dans son
corps qu'il semble ne faire qu'un avec elles. Ainsi lorsqu'un fils d'Esculape,
pour dégorger une plaie, soutire de ses lèvres le fluide impur qui en cause la
bouffissure et applique sur la partie malade ces vers des humides marais, les
noires sangsues, afin qu'elles en pompent le sang ; celles-ci grossissent bientôt
et deviennent gibbeuses, continuent de l'aspirer et ne cessent que lorsque enivrées
par de longues succions, elles tombent et roulent d'elles-mêmes semblables à
des hommes pris de vin ; ainsi les amies ne mettent point de terme à leur
acharnement contre les dauphins avant d'avoir trituré dans leurs bouches celles
de ses chairs où leurs dents étaient arrêtées. Mais pour peu qu'elles s'en
écartent sitôt qu'elles le laissent respirer un moment, la fureur de ce prince
irrité des mers éclate dans toute son énergie, le tour de l'épouvantable
supplice des amies arrive ; elles fuient ; il tombe sur elles à leur poursuite
et les écrase comme la foudre au son terrible, en fait un horrible carnage, une
proie continuelle ; de ses lèvres ensanglantées, rougit au loin l'onde amère
et tire une affreuse vengeance des maux qu'il a soufferts. Les chasseurs
racontent que, dans les bois les thos féroces (20)
réunis font éprouver le même sort au cerf ; ils se jettent sur lui, emportent
au moyen de leurs morsures quelques parties de ses muscles et s'abreuvent du
sang encore chaud de ses fraîches blessures. Sanglant, rugissant de douleur, le
corps tout couvert de plaies, il cherche un refuge sur le sommet des montagnes
voisines ; les thos ne le quittent point, le suivent de près, avides de sa
chair, le déchirent vivant et mettent en pièces sa peau avant qu'il ait exhalé
le dernier soupir.
Mais les thos cruels ne portent point la peine réciproque de leur férocité ;
ils insultent encore aux cerfs qui sont tombés leurs victimes après en avoir
fait un triste et déplorable repas. Les amies belliqueuses au contraire sont
aussitôt et bien cruellement punies de leur aveugle audace.
Qui ne serait saisi d'admiration en entendant rapporter ce fait merveilleux des
dauphins ? Lorsqu'ils sont attaqués d'une maladie grave et mortelle, ils ont le
sentiment de leur état, ils connaissent que leur fin est prochaine. Quittant
alors les immenses profondeurs des mers et des vastes bassins, ils se portent
sur les bancs des rivages ; ils y meurent dans l'espoir ou que quelqu'un des
mortels qui les verra ainsi gisants devant lui par respect pour le coursier sacré
de Neptune, les ensevelira sur cette rive, en mémoire de leur tendre
attachement pour la race humaine ou bien que la mer dans ses tumultueux
balancements les enveloppera elle-même dans les sables. Ils ne veulent point
qu'un de ses rois soit aperçu mort par les autres habitants des eaux, et qu'après
leur trépas quelque ennemi outrage leur dépouille. La fierté, la vertu
n'abandonnent donc point l'être qui meurt ; à sa dernière heure encore, il ne
dégrade point sa dignité.
On assure que le kestre est de tous les poissons celui dont les mœurs sont les
plus douces et les plus innocentes. Il est le seul qui ne soit pas méchant, qui
ne fasse point de mal à ceux de son espèce ou à ceux d'une espèce différente,
qui ne se nourrisse point de chair morte ou vivante ; race heureuse qui vit sans
nuire à aucune autre, sans se souiller de sang, sans soin et sans crime ! La
verte mnie (21) des mers ou la vase sont ses
aliments. Les kestres promènent aussi leurs bouches sur le corps les uns des
autres en se léchant. C'est par ces motifs que les autres poissons les honorent
et les révèrent ; aucun n'offense leurs petits nouveau-nés comme ils
attaquent ceux des autres espèces, ni ne porte sur eux une dent cruelle.
Ainsi la vertu obtient partout la récompense qui lui est due
(22); elle reçoit partout un juste tribut
d'honneurs ! Tous les autres habitants des eaux cherchent à se détruire
mutuellement ; aussi ne les voit-on jamais s'abandonner au doux sommeil. Leurs
yeux, le principe de leurs facultés intellectuelles, veillent toujours et sont
sans cesse en activité ; ils ont toujours ou la crainte que quelque poisson
plus fort ne tombe sur eux ou le désir de fondre sur un plus faible. Les pêcheurs
disent que le seul scare à chair molle n'a jamais été pris dans les filets
pendant la nuit ; ils croient qu'il passe ce temps à dormir dans le creux de
quelque retraite. Toutefois doit-on être si étonné que la Justice habite loin
des mers ? Cette déesse, la plus ancienne de toutes, n'a pas toujours eu un
temple chez les mortels. Le tumulte, le désordre, Mars, ce dieu féroce, fléau
du genre humain ; la discorde, principe de tous les maux, qui fomente l'odieuse
guerre, source de tant de larmes, ont longtemps exercé leur dévorante tyrannie
sur les malheureux humains. Ils n'avaient pas construit des villes qui missent
une barrière entre eux et les bêtes sauvages. Plus cruels que les lions, ils
souillaient du sang de leurs semblables et de la noire fumée de Vulcain leurs
tours, leurs maisons et les autels odorants des dieux. Enfin le fils de Cronus (23)
eut pitié de leur race qui se détruisait ainsi elle-même. Enfants d'Énée (24),
il vous fit aborder sur cette terre et vous en remit l'empire
(25). Vos premiers rois virent cependant
l'Ausonie livrée encore aux fureurs de la guerre ; il fallut combattre et les
Celtes et les fiers Ibères, et les guerriers de la vaste Libye, ceux du Rhin,
de l'Ister, de l'Euphrate ..... Mais pourquoi rappeler ces prodiges de vos armes
? Aujourd'hui , ô fille d'Astrée ! toi qui fais fleurir les états, je vois
que, descendue parmi les hommes et devenue leur amie, tu es assise sur ce trône
éclatant d'où l'auguste Antonin et son illustre fils dispensent des lois à la
terre, et qu'enfin par eux la suprême puissance est arrivée pour notre bonheur
à un heureux port. Grand Jupiter et vous chœurs d'Immortels, cour brillante
des dieux, conservez-nous ces princes ! Si la vertu obtient de vous quelque
faveur, fixez sur eux votre appui durant une longue, une nombreuse suite d'années
et versez sur leur règne un bonheur sans mélange !
CHANT
SECOND
(1)
Ou mieux encore de Phorcus, etc. Phorcus, fils de Neptune et de la nymphe
Thoosa, père de Méduse, régna en Sardaigne et en Corse. Atlas le vainquit et
le détrôna ; il devint dieu marin et fut révéré comme le premier des
Tritons et des autres divinités de la mer : c'est ce que les poètes nommaient
le chœur de Phorcus.
(2)
De quelle puissance propre et inhérente à sa substance n'est pas douée la
molle torpille, etc. Rien n'est plus curieux, n'est plus extraordinaire que
de retrouver dans les poissons, particulièrement dans la torpille, cette propriété
électrique, cet instrument vivant propre à lancer la foudre. Le lecteur pour
qui ce fait et sa cause seraient nouveaux me saura peut-être gré de le mettre
au courant de ce que la physique nous en a appris ; il sera ainsi dispensé de
chercher ailleurs des notions sur ce sujet. Nous les trouvons dans l'article de
ce cartilagineux de M. de Lacépède. On verra que les idées d'Oppien sur
l'organe électrique de ce poisson étaient assez justes. Comme il est bien
reconnu aujourd'hui que le fluide électrique est l'agent du phénomène que
nous offre la torpille, je joindrai à la citation qu'on va lire un extrait de
ce que j'ai écrit en 1808 sur la nature de l'agent électrique et sur sa manière
d'agir pour produire les effets de l'électricité. Cet abrégé de la théorie
que j'ai publiée ne sera pas indifférent à ceux qui aiment à remonter au véritable
principe des choses.
"La torpille, dit M. de Lacépède, a reçu de la nature une faculté
particulière bien supérieure à la force des dents, des dards et des autres
armes dont elle aurait été pourvue : elle possède la puissance redoutable et
remarquable de lancer pour ainsi dire la foudre ; elle accumule dans son corps
et fait jaillir le fluide électrique avec la rapidité de l'éclair ; elle
imprime une commotion soudaine et paralysante au bras le plus robuste qui
s'avance pour la saisir, à l'animal le plus terrible qui veut la dévorer ;
elle engourdit pour des instants assez longs les poissons les plus agiles dont
elle cherche à se nourrir ; elle frappe quelquefois ses coups invisibles à une
distance assez grande, et par cette action prompte et qu'elle peut renouveler,
annulant les mouvements de ceux qui l'attaquent et de ceux qui se défendent
contre ses efforts, on croit la voir réaliser au fond des eaux une partie de
ces prodiges que la poésie et la fable ont attribués aux fameuses
enchanteresses dont elles avaient placé l'empire au milieu des flots ou près
des rivages.
Mais quel est donc dans la torpille l'organe dans lequel réside cette électricité
particulière ? Et comment s'exerce ce pouvoir que nous n'avons vu encore départi
à aucun des animaux que l'on trouve sur l'échelle des êtres lorsqu'on descend
depuis l'homme jusqu'au genre des raies ?
De chaque côté du crâne et des branchies est un organe particulier qui s'étend
communément depuis le bout du museau jusqu'au cartilage demi-circulaire qui
fait partie du diaphragme et qui sépare la cavité de la poitrine de celle de
l'abdomen. Cet organe aboutit d'ailleurs par son côté extérieur presque à l'origine de la nageoire pectorale ; il occupe donc un espace d'autant plus
grand, relativement au volume de l'animal, qu'il remplit tout l'intérieur
compris entre la peau de la partie supérieure de la torpille et celle de la
partie inférieure. On doit voir aisément que la plus grande épaisseur de
chacun des deux organes est dans le bord, qui est tourné vers le centre et vers
la ligne dorsale du poisson et qui suit dans son contour toutes les sinuosités
de la tête et des branchies, contre lesquelles il s'applique. Chaque organe est
attaché aux parties qui l'environnent par une membrane cellulaire dont le tissu
est serré et par des fibres tendineuses, courtes, fortes et droites, qui vont
depuis le bord extérieur jusqu'au cartilage demi-circulaire du diaphragme.
Sous la peau qui revêt la partie supérieure de chaque organe électrique on
voit une espèce de bande étendue sur tout l'organe, composée de fibres
prolongées dans le sens de la longueur du corps et qui, excepté ses bords, se
confond dans presque toute sa surface supérieure avec le tissu cellulaire de la
peau. Immédiatement au-dessous de cette bande on en découvre une seconde de même
nature que la première et dont le bord intérieur se mêle avec celui de la
bande supérieure, mais dont les fibres sont situées dans le sens de la largeur
de la torpille.
Cette bande inférieure se continue dans l'organe proprement dit par un très
grand nombre de prolongement membraneux qui y forment ces prismes verticaux à
plusieurs pans, ou pour mieux dire des tubes creux perpendiculaires à la
surface du poisson et dont la hauteur varie et diminue à mesure qu'ils s'éloignent
du centre de l'animal et de la ligne dorsale. Ordinairement la hauteur des plus
longs tuyaux égale six vingtièmes de la longueur totale de l'organe ; celle
des plus petits en égale un vingtième, et leur diamètre, presque le même
dans tous, est aussi d'un vingtième ou à peu près.
Les formes des différents tuyaux ne sont pas toutes semblables : les uns sont
hexagones, d'autres pentagones, d'autres carrés ; quelques-uns sont réguliers,
mais le plus grand nombre est d'une figure irrégulière. Les prolongations
membraneuses qui composent les pans de ces prismes sont très déliées, assez
transparentes, étroitement unies l'une à l'autre par un réseau lâche de
fibres tendineuses qui passent obliquement et transversalement entre ces tuyaux,
et ces tubes sont d'ailleurs attachés ensemble par des fibres fortes et non élastiques
qui vont directement d'un prisme à l'autre. On a compté dans chacun des deux
organes d'une grande torpille jusqu'à près de douze cents de ces prismes. Au
reste, entre la partie inférieure de l'organe et la peau que revêt le corps du
poisson, on trouve deux bandes entièrement semblables à celles qui recouvrent
les extrémités supérieures de ces tubes.
Non seulement la grandeur de ces tuyaux augmente avec l'âge de la torpille,
mais encore leur nombre s'accroît à mesure que l'animal se développe ; chacun
de ces prismes creux est d'ailleurs divisé dans son intérieur en plusieurs
intervalles par des espèces de cloisons horizontales, composées d'une membrane
déliée et très transparente, paraissant se réunir par leurs bords, attachées
dans l'intérieur des tubes par une membrane cellulaire très fine, communiquant
ensemble par de petits tuyaux sanguins, placées l'une au-dessous de l'autre à
de très petites distances et formant un grand nombre de petits interstices qui
semblent contenir un fluide.
De plus, chaque organe est traversé par des artères, des veines et un grand
nombre de nerfs qui se divisent dans toutes sortes de directions entre les tubes
et étendent de petites ramifications sur chaque cloison où ils disparaissent.
Tel est le double instrument que la nature a accordé à la torpille ; tel est
le double siège de la puissance électrique. Nous venons de voir que lorsque
cette raie est parvenue à un certain développement, les deux organes réunis
renferment près de deux mille quatre cents tubes : ce grand assemblage de
tuyaux représente les batteries électriques si bien connues des physiciens
modernes et que composent des bouteilles fulminantes appelées bouteilles de
Leyde disposées dans ses batteries de la même manière que les tubes des
organes de la torpille, beaucoup plus grandes à la vérité, mais aussi bien
moins nombreuses. » (Hist. nat. des
poissons, t. 1, p. 117, édit. in 12.)
La torpille n'est pas le seul poisson qui jouisse de cette faculté foudroyante
et électrique ; il en est même qui en sont doués dans un degré plus éminent
: tel est le gymnote électrique, plus particulièrement connu sous le nom
d'anguille de Surinam. Cette plus grande intensité électrique se manifeste par
des étincelles qui supposent une plus grande accumulation ou condensation du
fluide électrique (1). On connaît aujourd'hui plusieurs autres poissons électriques,
le tétrodon, le trichiure, le malaptérure, etc. Il est à présumer qu'on découvrira
par la suite cette propriété avec plus ou moins d'énergie dans beaucoup
d'autres animaux.
(1)
Cependant Galvani est parvenu à apercevoir dans l'obscurité quelques étincelles
que donnait le fluide émané de la torpille au moyen de deux lames de métal
isolées et placées à une petite distance, de manière que ce fluide qui y
parvenait par l'intermède d'une lame pût passer de l'une à l'autre.
(3)
Oligên sarka ê ra oi ek genuos neatês
upenethe pephukei. Cette excroissance charnue est double et placée
au-devant des yeux. Bloch leur donne le nom de houppes :
"Les deux longues houppes, dit-il, de matière cornée, qui se trouvent
devant les yeux, qu'Aristote compare à des cheveux, Pline à des cornes, Oppien
à des verrues, leur servent à attirer les autres poissons. Le docteur Parson
les a trouvées de la longueur de deux pieds dans un poisson de quatre pieds
trois pouces. On en voit encore sur le dos quatre de même nature qui tiennent
par le bas à une membrane." Histoire
générale et particulière des poissons, 3e partie, p. 75.
(4)
La sèche.
(5)
Il paraît qu'il s'agit ici de la squilla gibba, ou du caramot de Rondelet, chap. 8, liv. XVIII, 1ère
partie.
(6)
La raie flassade.
(7)
C'est ainsi que parmi les hommes on remarque de la sagacité dans les uns et
de l'inaptitude dans les autres. C'est une chose digne de l'attention d'un
philosophe et d'un ami de la nature que cette différence dans les facultés des
hommes. Ceux mêmes qui paraîtraient devoir le plus se rapprocher à cet égard,
les membres d'une même famille, ceux qui tiennent le jour des mêmes individus,
offrent non seulement des différences, mais encore des disproportions, pour ne
pas dire des disparates, qui sont pour le moraliste des problèmes assez
difficiles à résoudre. Des êtres placés dans les mêmes circonstances, nés
des mêmes parents, qui ont reçu la même éducation, présentent cependant des
résultats opposés. Trop souvent un homme d'un esprit supérieur a un fils ou
un frère imbécile, d'un esprit faux ou borné, quoique celui-ci ait reçu le même
enseignement, ait eu les mêmes maîtres. Les exemples, si on voulait les
rapporter ici, n'en seraient que trop nombreux ; on n'aurait pas besoin de les
aller chercher dans l'antiquité, quoiqu'elle nous en fournisse plusieurs très
frappants et trop connus. N'est-ce pas à la physiologie plutôt qu'à la morale
à nous donner quelques lumières à cet égard ? Ne trouverons-nous pas le
principe de cette inégalité dans cette différence physique qui établit des
modifications, des nuances d'impression et de sensibilité, d'où résulte ou
l'homme de génie ou l'homme obtus, dans un assemblage d'organes discordants,
hors de la proportion et de l'harmonie nécessaires pour constituer ce que le
vulgaire appelle un homme heureusement
organisé, d'où provient un imbécile ou un fou ? Tels ces instruments dont
les cordes mal d'accord ne présentent à nos oreilles blessées que des tons
aigres et faux, qu'une musique détestable. Le docteur Gall, ce savant
cranologiste, ne désavouera pas sûrement cette explication. Sa longue étude
de l'organe cérébral, les nombreuses expériences qu'il a été dans le cas de
faire pour appuyer son système, lui ont fourni des preuves multipliées de ce
que j'avance. Les anciens avaient fait des observations du même genre : Homère
décrit la forme aiguë de la tête chauve de Thersite et paraît attribuer à
cette forme particulière et bizarre le caractère de ce guerrier.
Autar uperthe
Phoxos eên kephalên, psednê d'epenênothe lachne,
(Iliade, chant 1er, vers 219.)
(8)
L'uranoscope rat.
(9)
Apprenez par cet exemple, ô mortels ! quelle est la triste fin de cette
passion insensée pour la table, etc. Il paraît que l'auteur fait allusion
à ces repas des Romains si célèbres par leur luxe monstrueux. En écrivain
discret et qui ne veut offenser personne, il se retranche dans les généralités
; il profite de l'occasion de donner une leçon utile ; il le fait toutefois
sans humeur comme sans pédanterie, avec cette noblesse d'expression, de
sentiment qui constitue l'homme franc et poli tout ensemble. Il est impossible
de ne pas s'apercevoir, par la diction pure et distinguée d'Oppien, que son éducation
avait été digne de sa naissance.
(10)
Ils lestent alors leur dos d'une pierre, etc. Virgile, dans son 4e
livre des Géorgiques, donne aux
abeilles le même genre d'industrie ; elles luttent ainsi avec avantage contre
la force des vents :
Nec vero a stabulis
pluvia impendente recedunt
Longius, aut credunt caelo adventantibus Euris.
Sed circum tutae sub moenibus urbis aquantur,
Excursus breves tentant ; et saepe lapillos
Ut cymbae stabiles fluctu jactante suburram
Tollunt ; his sese per inania nubila librant.
L'air
est-il orageux et le vent incertain,
Il ne hasarde point de voyage lointain
À l'abri des remparts de sa cité tranquille,
Il va puiser une onde à ses travaux utiles ;
Et souvent dans son vol, tel qu'un nocher prudent,
Lesté d'un grain de sable, il affronte le vent.
(Trad. de Delille.)
Grégoire
Bersmann a rendu la même idée dans les vers suivants :
Adversus
autem se notos per nubila
Librat, lapillum sustinens rite pedibus,
Quo flatuum contra ruentes impetus
Se firmat ipsa gravata pondere.
Nam cymba recto non fertur tramite
Quam non suburrae fulcit aequilibrium.
(11)
Dans des forêts, un cerf au bois fourchu qui parcourt les lieux fréquentés
des serpents, etc.
Oppien, dans ses Cynégétiques, décrit
cette espèce de guerre des cerfs contre les serpents.
(12)
En latin urtica, qui vient d'urere,
brûler.
(13)
Le labre girelle.
(14)
Et principalement la centrine.
(15)
De l'extrémité de la queue de la trygone sort un horrible aiguillon tout à la
fois redoutable par sa force et dangereux par son venin, etc. C'est une erreur
qui s'est longtemps perpétuée que celle de ce prétendu venin dont on
gratifiait les pointes osseuses des poissons. On sait aujourd'hui que l'effet fâcheux
qu'ils produisent n'est dû à aucune espèce de venin. Une anatomie bien faite
de ces animaux nous a fait connaître qu'il n'existe chez eux aucune glande qui
en soit le réservoir. On trouvera dans le discours sur l'Histoire
naturelle des poissons de M. de Lacépède un assez long passage sur ce
sujet. Je me contenterai de rapporter ce qu'il dit à cet égard à l'article de
la raie aigle :
"Lorsque cette arme particulière est introduite très avant dans la main,
dans le bras ou dans quelque endroit du corps de ceux qui cherchent à saisir la
raie aigle, lorsque surtout elle y est agitée en différents sens et qu'elle en
est violemment retirée par des efforts multipliés de l'animal, elle peut
blesser le périoste, les tendons ou d'autres parties plus ou moins délicates
de manière à produire des inflammations, des convulsions et d'autres symptômes
alarmants. Ces terribles effets ont bientôt été regardés comme les signes de
la présence d'un venin des plus actifs, et comme si ce n'était pas assez
d'attribuer à ce dangereux aiguillon dont la queue de la raie aigle est armée
les qualités redoutables mais réelles des poisons, on a bientôt adopté sur
sa puissance délétère les faits les plus merveilleux, les contes les plus
absurdes. On peut voir ce qu'ont écrit sur ce venin mortel Oppien, Aelien,
Pline, relativement aux effets funestes que nous indiquons. Ces trois auteurs
ont entendu par leur pastenague ou leur raie trygone non seulement la pastenague
proprement dite, mais la raie aigle, qui a les plus grands rapports de
conformation avec cette dernière. Non seulement ce dard dentelé a paru aux
anciens plus propre à donner la mort que les flèches empoisonnées des peuples
à demi sauvages, non seulement ils ont cru qu'il conservait sa vertu
malfaisante longtemps après avoir été détaché du corps de la raie, mais son
simple contact tuait l'animal le plus vigoureux, desséchait la plante la plus
vivace, faisait périr le gros arbre dont il attaquait la racine : c'était
l'arme terrible que la fameuse Circé remettait à ceux qu'elle voulait rendre
supérieurs à tous leurs ennemis. Et quels effets plus redoutables, selon
Pline, que ceux que produit cet aiguillon, qui pénètre dans tous les corps
avec la force du fer et l'activité d'un poison funeste ?
Cependant ce dard, devenu l'objet d'une si grande crainte, n'agit que mécaniquement
sur l'homme ou sur les animaux qu'il blesse ; et sans répéter ce que nous
avons dit des prétendues qualités venimeuses des poissons, l'on peut assurer
que l'on ne trouve auprès de la racine de ce grand aiguillon aucune glande
destinée à filtrer une liqueur empoisonnée ; on ne voit aucun vaisseau qui
puisse conduire un venin plus ou moins puissant jusqu'à ce piquant dentelé ;
le dard ne renferme aucune cavité propre à transmettre ce poison jusque dans
la blessure, et aucune humeur particulière n'imprègne ni n'humecte cette arme,
dont toute la puissance provient de sa grandeur, de sa durée, de ses dentelures
et de la force avec laquelle l'animal s'en sert pour frapper." (Histoire
naturelle des poissons, t. 1er, page 14, édit. in 12.)
(16)
Dont Ulysse fut le père.
(17)
Le thon et le xiphias portent toujours avec eux un fléau qui les vexe et
les déchire sans cesse, etc. Rondelet, dans son 8ème livre des Poissons,
1ère partie, a tracé, sur la figure qui représente le thon, l'insecte,
l'oestre dont parle Oppien ; il dit dans son article du xiphias :
"Ce poisson est aussi fort tourmenté d'un ver nommé oestrus ou asilus, comme
le thon ; il en saute à terre et dans les navires. Ce ver est pourtrait
au pourtrait du grand thon ; il se fiche sous l'aile à cause que sa chair y
est plus molle et plus tendre ; il en peut sucer le sang et y tient si fort
qu'il n'en peut tomber, quelque mouvement du corps qu'il fasse."
Bloch n'a pas manqué, à l'exemple de tous les ichtyologistes, de parler de ce
petit animal si terrible pour le thon et le xiphias :
"Selon Aristote et Pline, dit-il, le thon, dans la canicule, est tourmenté
par un insecte qui a la grosseur d'une araignée et la forme d'un scorpion, et
qui se met sous les nageoires de la poitrine. Le thon, piqué par cet animal,
devient furieux au point que, selon Oppien, il saute dans les vaisseaux et sur
le rivage. La raison pour laquelle cet insecte s'attache plus particulièrement
au thon qu'aux autres poissons est que la peau du thon est très molle sous les
nageoires de la poitrine." (Ichtyologie
ou Histoire générale et particulière
des poissons , 2me partie, p. 89.)
Il manquerait quelque chose à cet article si nous ne rapportions ce qu'en a écrit
M. de Lacépède, dont le style, dans ce passage comme dans tant d'autres, est
si vif et si animé, pour ne pas dire même poétique :
"D'autres fois, et dans certains temps de l'année, des insectes aquatiques
s'attachent à sa peau et au-dessous de ses nageoires pectorales et dans
d'autres endroits d'où il ne peut les faire tomber malgré tous ses efforts ;
et quoiqu'il se frotte contre les algues, les sables ou les rochers, ils se
cramponnent avec obstination et le font souffrir si vivement qu'agité, furieux,
en délire comme le lion et les autres grands animaux terrestres sur lesquels se
précipite la mouche du désert, il va au-devant des plus grands dangers, se
jette au milieu des filets, s'élance sur le rivage ou s'élève au-dessus de la
surface de l'eau et retombe jusque dans les barques des pêcheurs." (Histoire
naturelle des poissons, t.4, p. 25.)
"Des animaux marins très grands et très puissants, tels que les squales,
les xiphias, sont pour les thons des poissons dangereux contre les armes
desquels leur nombre ou leur réunion ne peuvent pas toujours les défendre.
Mais indépendamment de ces adversaires remarquables par leur force ou par leur
dimension, le thon expire quelquefois victime d'un être bien petit et bien
faible en apparence, mais qui, par les piqûres qu'il lui fait et les tourments
qu'il lui cause, l'agite, l'irrite, le rend furieux, à peu près de la même
manière que le terrible insecte ailé qui règne dans les déserts brûlants de
l'Afrique est le fléau le plus funeste des panthères, des tigres et des lions.
Pline savait qu'un animal dont on compare le volume à celui d'une araignée et
la figure à celle d'un scorpion s'attachait au thon, se plaçait auprès et
au-dessous de ses nageoires pectorales, s'y cramponnait avec force, le piquait
de ses aiguillons et lui causait une douleur si vive, que ce scombre, livré à
une sorte de délire et ne pouvant, malgré tous ses efforts, ni immoler, ni
fuir son ennemi, ni apaiser sa souffrance cruelle, bondissant avec violence
au-dessus de la surface des eaux, la parcourait avec rapidité, s'agitait en
tous sens et, ne résistant plus à son état affreux, ne connaissait plus
d'autre danger que la durée de son angoisse : excédé, égaré, transporté
dans une sorte de rage, il s'élançait sur le rivage et sur le pont des
vaisseaux, et bientôt il trouvait dans la mort la fin de son tourment." (Même volume, p. 459.)
(18)
Ils
se tourmentent en courses rapides sur les flots. Le grec dit : "Allote d'allê kuma kathippeuousin", mot à mot : "Ils
enjambent, ils enfourchent les flots avec la rapidité d'un coùrsier, tantôt
d'un côté, tantôt de l'autre." Cette expression, outre qu'elle paraîtrait
bien hasardée en français, n'est pas assez noble pour pouvoir entrer dans le
texte ; mais je la rapporte ici, en y joignant la phrase grecque, afin que cette
image ne soit pas perdue pour le lecteur. Euripide avait dit de même dans les Phéniciennes
: "Zephurou pnoiais ippeuanthos en
ouranô (montant à cheval vers les cieux sur le souffle léger des zéphyrs);"
nous dirions, dans le génie de notre langue : "S'élançant vers les cieux
sur l'aile des zéphyrs." On lit dans Horace (ode 4, liv. 4 ) : "Ceu
flamma per taedas vel Eurues per siculas equitavit undas." Il paraît que
plusieurs auteurs, soit ceux qu'on vient de citer, soit plusieurs autres, se
sont emparés de la même expression, qui leur a paru tout à la fois vive et
hardie.
(19)
L'attaquent à la fois de toute la violence de leurs dents sans jamais lâcher
prise. Les uns lisent atromoi et les
autres atropoi. Les commentateurs préfèrent
cette dernière version. c'est aussi celle que j'ai suivie.
(20)
Les chasseurs racontent que dans les bois, les thos féroces, etc. Oppien parle
des thos dans le 3ème livre des Cynégétiques : "Souvent, dit-il, l'hymen rapproche les loups
et les cruelles panthères, et de leur union naît une race vigoureuse, celle
des thos, sur qui brillent réunies les couleurs de ceux dont ils tiennent le
jour : ils ressemblent à leur mère par les nuances de leur peau, et par la
face à leur père." (Traduction de Belin de Ballu, p. 76.), Celui-ci croit
pouvoir avancer que ce quadrupède n'est pas notre chacal, comme l'avait pensé
Buffon ; mais il avoue en même temps qu'il ne sait à quel animal connu le
rapporter :
"M. de Buffon, dit-il dans ses notes, p. 192, a pensé que le thos était
le même animal que le chacal (Hist. des
quadrupèdes, t. 6, p. 188). Nous devons sans doute beaucoup déférer aux
opinions de ce grand homme, mais il semble que ce sentiment, qu'il a puisé dans
l'ouvrage de Gesner sur les quadrupèdes et dans Bochart (Hierozoicon, t. 1er, p. 87), n'est pas absolument exact. Il est
constant, d'après ce passage d'Oppien, que le loup doré et le thos sont deux
animaux fort différents. Le premier ressemble entièrement à un loup ; il
n'a de particulier que le poil doré : le thos au contraire n'a rien du loup que
la forme de la tête ; du reste il en diffère essentiellement par la couleur de
sa robe et par les taches dont elle est semée : ces taches, semblables à
celles que porte la panthère, ont fait croire aux anciens que les thos étaient
le produit de l'accouplement du loup et de la panthère ; il résulte de là que
les chacals manquant absolument de ces taches et n'ayant qu'un poil doré et de
couleur uniforme, ne peuvent être les mêmes que les thos et que ces taches
forment un caractère particulier. Oppien n'est pas le seul auteur qui nous
apprenne que les thos ont la robe semée de taches. Arrien, dans son Histoire de l'Inde, p. 329, distingue une espèce de thos dont la
robe est semée de nuances différentes. Pline reconnaissait aussi cette espèce
de loups tachetés et les peint en ces mots (liv. 8, ch. 9) : "Pompei
magni primum ludi ostendere thoem (1) quem Galli rufium vocabant effigie lupi,
pardorum maculis." (1)
Je
trouve dans le texte de Pline que cite Belin une petite différence ; on y lit :
"Pompei magni primum ludi ostenderunt
chaum quam Galli raphium vocabant, effigie lupi, pardorum maculis."
Ainsi, selon ce naturaliste, le thos a le port du loup et les taches de
la panthère. Ce qu'Aristote dit du thos est trop abrégé pour qu'on puisse en
tirer un caractère propre à fixer sa ressemblance avec quelqu'un des animaux
que nous connaissons. Quel est parmi ces animaux celui qui représente le thos
d'Oppien et de Pline ? je l'ignore ; mais je crois pouvoir assurer que les
naturalistes qui pensent que le thos des anciens est le chacal des Perses se
trompent ou du moins n'ont point encore prouvé cette identité, contre laquelle
l'autorité des anciens s'élève fortement." On lit dans Pline (liv.
2, chap. 34) : "Thoes (luporum id
genus est procerius longitudine, brevitate crurum dissimile, velox saltu, venatu
vivens, innocuum homini) habitum non colorem mutant per hyemes hirtis aestate
nudi." Cette description conviendrait assez au chacal.
C'est l'opinion de M. Larcher, qu'il exprime ainsi dans ses notes (t. 3 de sa
traduction d'Hérodote,
p. 581) : "Cet animal paraît être le chacal que les Anglais écrivent jack-all.
Il y en avait un à la Tour de Londres tandis que j'étais en Angleterre, en
1752. Il est d'une couleur plus obscure que le renard et à peu près de
la même grandeur ; il glapit aussi de même que cet animal. Les Arabes
l'appellent deeb ou chathall. Le nom
anglais jack-all vient sans doute de
ce dernier nom et non pas parce que c'est le pourvoyeur du lion, comme on le
croit communément en Angleterre. Quand je parle d'une opinion communément reçue,
j'en excepte toujours les savants, qui font le plus petit nombre. Il est si peu
son pourvoyeur que si le lion survient lorsqu'il dévore sa proie, il s'enfuit
aussitôt : "On voit souvent le jack-all ronger les carcasses dont le lion a mangé partie pondant
la nuit. Cette circonstance et le bruit que le jack-all fait en quelque manière de concert avec le lion et que
j'ai souvent entendu moi-même est tout ce qui peut favoriser cette
opinion." (Voyages de Shaw en
Barbarie et au Levant, t. 1er, 321.)
Camus trouve des probabilités pour l'identité du chacal avec le thos ;
cependant il hésite à se ranger du côté de ceux qui l'adoptent. On peut voir
ses motifs à l'article thos dans sa traduction de l'Histoire des animaux d'Aristote, p. 806.
(21)
C'est une plante et un genre de la famille des mousses.
(22)
Ainsi la vertu obtient partout la récompense qui lui est due! Le grec dit
dikês aidoiês. Je traduis ces mots par celui de vertu, d'abord parce que
celui de justice ne convient point à la circonstance dont il est ici question,
en second lieu parce que cette version ne s'accorderait point avec ce que
l'auteur dit plus bas : "Doit-on être si étonné que la justice habite
loin des mers ?"
(23)
Cronos, signifie le Temps.
C'est le même que Saturne, père de Jupiter.
(24)
Enfants d'Énée, il vous fit aborder sur cette terre et vous en remit l'empire,
etc. Oppien termine ce second chant par un éloge des Romains aussi adroit que
flatteur ; il retrace rapidement et comme en masse tous leurs exploits guerriers
contre les divers peuples successivement soumis à leur puissance : "Mais
pourquoi, dit-il, rappeler ces prodiges de vos armes ?" Il quitte ces
souvenirs de leurs conquêtes pour se livrer au sentiment qui semble le presser
de rendre hommage à l'empereur et à son fils. Quelle vivacité, quelle
abondance d'expressions et d'idées ! Quel mouvement, quel élan de
l'imagination et du cœur dans les vœux qu'il forme pour leur conservation ?
L'histoire nous apprend que les vers d'Oppien, outre le rappel de son père, qui
était l'objet principal pour ce jeune poète, lui valurent autant de statères
d'or qu'il y avait de vers dans ses poèmes. Ah ! sans doute le passage dont
nous nous occupons ne fut pas celui qui contribua le moins à cette générosité,
dont il n'existait peut-être pas d'exemple, comme elle n'a pas été prise pour
modèle.
Je ne puis m'empêcher de remarquer qu'il est un des vers de ce morceau qui ne
me paraît pas avoir été bien entendu ou du moins bien traduit par aucun
traducteur latin, ni par Salvini, dont nous avons cité quelquefois la
traduction italienne ; c'est celui que j'ai rendu par ces mots : "Et
qu'enfin par eux la suprême puissance est arrivée pour notre bonheur à un
heureux port, "
Ek tôn moi glukus ormos anaktoriês
pepetastai.
Lippius l'explique ainsi :
Nascitur ex istis mos et doctrina regendi,
ce qui offre un sens tout à fait différent de celui du texte.
Rittershusius, dans son interprétation latine, me paraît avoir approché de la
véritable idée de l'auteur sans cependant y être arrivé tout à fait :
"Ex quibus mihi dulcis portos imperii
aperitur." La traduction de Salvini est à peu près celle de ces mots
latins : "Da questi aperto é a me un
dolce porto di corte," ce qui peut signifier : "Par eux le doux
port de la suprême puissance m'est ouvert." Quoique ces mots rendent
à peu près ceux qui leur correspondent dans le grec, comme ce sens paraît
insignifiant et qu'il l'a paru vraisemblablement à Lippius lui-même, puisqu'il
en a cherché un plus éloigné, je crois qu'il est convenable d'en imaginer un
autre qui s'adapte davantage au motif du morceau entier dont il fait partie. Je
pense donc que moi peut être ici pris
pour nos et que l'auteur a voulu dire
que la suprême puissance est arrivée pour le bonheur des humains à un heureux
port (1), puisqu'elle est établie pour un grand nombre d'années sur la tête
d'Antonin et de son fils, ce qui met l'empire pour longtemps à l'abri des
secousses et des malheurs qui ont si souvent ensanglanté la venue au trône des
nouveaux Césars. Ce sens me paraît beau, naturel, digne d'Oppien et de
l'honneur qu'il veut attacher au règne de ses souverains. On pourrait aussi
admettre la version suivante, qui serait peut-être moins éloignée : "Je
vois que, descendue parmi les hommes et devenue leur amie, tu es assise sur ce
trône éclatant d'où l'auguste Antonin et son illustre fils dispensent des
lois à la terre, et que je leur dois d'en
avoir laissé ouvrir pour moi la douce barrière." (1) J'ai vu avec
plaisir que Diaper avait eu la même pensée :
The heav'nly power
will look propitious down,
Dy SURE SUCCESSION fix th'establish'd throne,
Preserve th'immortal sire, and the god-like son.
(25) Il n'est sans doute aucun de mes lecteurs assez étranger à l'histoire ancienne et au beau poème de Virgile pour ignorer qu'après la prise de Troie, Énée conduisit dans l'Ausonie (aujourd'hui l'Italie) un assez grand nombre de Troyens qui s'y établirent ; on sait aussi que les Romains s'honoraient singulièrement de cette origine.