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   OPPIEN

introduction la chasse la pêche I  la pêche II la pêche IV  la pêche V

 

LA PÊCHE

ou

LES HALIEUTIQUES,

TRADUIT PAR J.-M. LIMES.

PRÉFACE.

Ce n'est point sans motif, comme on le verra dans la première remarque du troisième chant, que cette traduction porte pour titre les Halieutiques, c'est-à-dire le mot même employé par Oppien. Je n'ai pas cru qu'il dût suffire de l'intituler la Pêche, nom sous lequel ce poème est assez souvent désigné, parce que l'auteur y traite non-seulement de la pèche, mais même de tout ce qui concerne ce grand nombre d'animaux différents dont les eaux sont peuplées. II ne se borne pas à ce que nous entendons aujourd'hui par le mot poissons, car plusieurs savants, comme l'observe Willugby, comprennent dans ce nom collectif tous les habitants des eaux, aquatilia tam sanguinea qu'exanguia ; et lui-même, ainsi que l'ont fait plusieurs auteurs jusqu'à ces derniers temps, y fait entrer les cétacés, tant, dit-il, à cause de leur forme extérieure, assez ressemblante à celle des poissons proprement dits, qu'à cause du lieu de leur habitation, sans songer que la différence d'organisation qui en fait des animaux à mamelles force de les inscrire dans la grande classe des mammifères.
Notre poète nous retrace donc les mœurs des poissons, des mollusques, des crustacés, des cétacés, etc. Oppien est ici poète, naturaliste et philosophe tout ensemble. Le charme d'une belle poésie accompagne et anime ses tableaux ; les fleurs dont il a soin d'orner leurs cadres donnent de la fraîcheur et du coloris à une matière qui ne paraissait promettre que de l'aridité ; enfin, son poème offre l'avantage d'une belle exécution poétique et l'intérêt qu'inspire toujours l'histoire bien présentée de la nature. Son mérite, comme naturaliste, est reconnu de tous ceux qui se livrent à l'étude de l'histoire naturelle. On sait quel cas, sous ce rapport, en faisait Buffon : ce qu'il en dit dans plusieurs passages de son histoire des quadrupèdes en est une preuve irrécusable. Son digne et éloquent successeur, M. le comte de Lacépède, montre la même estime pour ce poète, dont il a emprunté quelques traits qui ne déparent point son Histoire naturelle des Poissons, ouvrage traité avec une méthode et dans un système de classification tout nouveaux, fruit du génie de son illustre auteur, monument impérissable élevé en l'honneur de celle belle partie des sciences, qui, joint à celui des grands travaux anatomiques du célèbre Cuviez, en facilitera à jamais l'étude et les progrès.
On trouvera sans doute quelques erreurs dans Oppien. Mais quel est l'ouvrage sur cette partie des sciences, je ne dis pas ancien mais même moderne, qui en soit exempt ? Chaque siècle, chaque homme a les siennes. On sait que Pline, Aelien et les autres naturalistes anciens nous en ont transmis un assez grand nombre ; Oppien était un poète, et un jeune poète puisqu'il mourut vers sa trentième année. Ses connaissances en histoire naturelle, qui paraissent assez étendues pour le temps où il a vécu, étaient celles de ses contemporains et des auteurs qui l'avaient précédé. Ce n'est donc point Oppien qu'il faut accuser de quelques fables qu'on rencontre dans son poème, que nous reconnaissons aujourd'hui pour telles, mais qui, de son temps n'avaient point ce caractère, tant il est vrai que l'homme se roule, de siècle en siècle, dans un cercle toujours nouveau d'erreurs, trop heureux de ramasser de loin en loin quelque vérité qui le dédommage des trop fréquentes aberrations du reste de sa carrière ! J'ai eu soin de relever ces erreurs dans les remarques qui font suite au texte, et de mettre le lecteur au courant de l'état de la science au moment où j'écris. Ces remarques seront sans doute inutiles à ceux des naturalistes qui font depuis longtemps leur étude de l'ichtyologie ; plusieurs même y trouveront des passages sur lesquels leurs écrits ont fourni des éclaircissements précieux. Ils me pardonneront d'en avoir usé ainsi en faveur de personnes à qui cette partie des sciences naturelles est peu familière, et pour lesquelles il sera plus commode de trouver à la suite de cette traduction les documents qu'elle leur laisserait à désirer. Un critique sévère fera peut-être le reproche à Oppien d'avoir prodigué les comparaisons. Ce défaut, si c'en est un, est de ceux qu'on blâme et qu'on admire : heureux excès d'imagination, trop rare et trop fugitive surabondance d'idées et de moyens, véritable caractère du génie, qui, au physique comme au moral, sont l'orgueil et l'apanage de la jeunesse, dont le goût en se formant apprend bientôt à ménager l'usage ! Mais si leur fréquence nuit à la rapidité d'un récit, cet inconvénient s'affaiblit ou s'éteint dans un poème qui n'est qu'une suite de tableaux isolés, dont chacun est un tout à part, sans rapport ni liaison nécessaires avec ceux qui le précèdent ou qui le suivent ; comparaisons qui leur servent de cortège et comme d'entourage pour en remplir les intervalles, pour reposer l'attention, pour la conduire, toujours avec agrément, à travers celte multitude de descriptions qui, dénuées de toute parure, finiraient peut-être, dans un poème, par produire la lassitude et le dégoût. Celles d'Oppien sont si belles, si bien choisies, si heureusement exprimées, que ceux mêmes qui en désireraient moins seraient en peine de désigner celles qu'ils voudraient proscrire, tant elles se défendent elles-mêmes contre le critique implacable qui voudrait en réduire le nombre.

CHANT PREMIER.

Arbitre suprême de la terre, Antonin, fils illustre de Sévère et de Domna (1), je chante les enfants d'Amphitrite, ces habitants des ondes, ces espèces si nombreuses de poissons, tout ce qui vit dans l'abîme, dans le sein des flots orageux (2), les parties de l'empire de Neptune que chacun recherche pour sa nourriture, leurs amours, leur ponte, leurs mœurs ; ce qu'ils aiment, ce qui leur déplaît ; les ruses, les attaques de tout genre dont se compose l'art si utile de la pêche ; les artifices que l'active industrie de l'homme a multipliés pour surprendre, dans leurs sombres demeures, ces races si fécondes d'animaux. S'élançant avec audace sur des mers douteuses, dans des détroits inconnus, il a vu, il a appris des choses jusqu'alors ignorées ; il a rendu l'entier domaine des eaux tributaire et victime de son indomptable génie.
C'est à découvert que le chasseur voit l'ours ou le sanglier fondre sur lui : il peut, à son choix, les frapper de loin, les terrasser de près. Il n'est point de surprise entre l'homme et l'animal terrestre qu'il attaque. Les chiens, guides et compagnons du chasseur, lui signalent sa proie, le conduisent jusqu'au gîte où elle repose, et le suivent, prêts à le seconder. A la chasse, ni l'hiver ne fait autant sentir ses rigueurs, ni l'été ses feux dévorants : on a de nombreux abris, des retraites ombragées, les cimes inclinées des monts, les grottes taillées par la nature, des sources en grand nombre au pied des montagnes, dont les eaux argentées étanchent la soif et présentent un baie toujours nouveau. Sur leur bord verdoie l'herbe basse et touffue, heureux lit de repos, soit pour s'y délasser par un sommeil réparateur, soit pour y prendre un repas agreste des fruits abondants des montagnes. On a moins de peine que de plaisir à la chasse. Ceux qui s'arment contre les oiseaux (3) ont aussi une chasse facile et toujours sous leurs yeux. Tantôt ils prennent le temps du sommeil pour les ravir furtivement dans leurs nids ; tantôt ils les abattent sous leurs flèches enduites de glu. Ici, las de vaguer dans les airs, les oiseaux se précipitent eux-mêmes dans des filets à longs plis, où ils trouvent un bien triste asile. Le pêcheur le plus endurci à la fatigue est toujours à lutter contre des obstacles inattendus. L'inquiète espérance, telle qu'un vain songe, berce son âme : ce n'est point sur un sol immobile qu'il va porter la guerre, mais sur un élément rebelle et terrible dans sa fureur, sur lequel, même du rivage, on ne peut hasarder un regard, on n'ose essayer ses yeux, sans frémir d'épouvante. Jouet errant des tempêtes sur une frêle barque, et l'esprit toujours fixé sur les flots, il ne perd jamais de vue ce noir nuage qui le menace ; cette onde opaque et profonde le glace de crainte : ici, nul abri contre l'impétueuse fureur des vents et des pluies, contre la chaleur brillante de l'été. Il faut qu'en sillonnant les plaines liquides, il redoute encore ces monstres, l'effroi des mers déjà si effrayantes par elles-mêmes. Là point de chien pour battre et marquer les sentiers : ceux qu'ont à craindre les navigateurs ne sont ni tracés ni connus. Les poissons ne fréquentent pas toujours les mêmes lieux ; aussi le pécheur ne sait jamais d'une manière bien certaine ceux où il établira sa pêche. Quelques crins frêles, les pointes de quelques crochets, des roseaux, les mailles de quelques filets, voilà tous les instruments de sa puissance. 
Toutefois, Antonin, si tu ne demandes à la pêche que de l'amusement, tu ne manqueras pas d'y en trouver: l'agrément et le plaisir accompagnent toujours celle d'un empereur (4). De jeunes matelots, frappant l'onde de leurs rames, impriment un mouvement rapide à une nacelle aussi légère qu'artistement, assemblée ; un pilote, sur la proue, la dirige avec la vitesse d'un trait vers un lieu tranquille et abrité, dont rien ne trouble l'azur des eaux. Là, mille espèces de poissons avides dévorent cette nourriture abondante que leur portent des esclaves toujours chargés de ce soin, et qui les tiennent ainsi gras et prêts pour la pêche que toi, mon prince, et ton illustre fils, daignez faire. Déjà la main jette sur l'onde une ligne courbée avec art ; déjà le poisson s'y précipite et mord à l'hameçon ; défié tu l'entraînes sans résistance vers ta personne auguste : ton cœur en palpite de joie. Oui, c'est un spectacle qui réjouit également l'esprit et les yeux, que celui d'un poisson qui s'agite et bondit sous la ligne à laquelle il s'est laissé prendre.
Soyez-moi propice, fils de Saturne, roi des ondes, ô Neptune: toi aussi, vaste Océan ! et vous tous, dieu qui habitez la mugissante mer ! Aidez-moi vous-mêmes à chanter les troupes, les races nombreuses qui s'y nourrissent. Et toi, muse céleste, donne à mes chants ce charme, ce poli qui les fasse paraître émanés de toi, et qui les rende dignes de l'empereur et de son fils.
Mille espèces de poissons possèdent en commun le domaine d'Amphitrite : il serait difficile d'en dire tous les noms ; les limites et les profondeurs des mers sont encore inconnues; on n'est guère parvenu au-dessous de trois cents orgyes (5). La mer immense et sans bornes nous dérobe la plupart des choses qu'elle recèle. L'esprit de l'homme et ses moyens sont faibles, et il ne peut parler de ce qu'il ignore. Mais je pense que la mer n'est pas moins féconde que la terre, soit pour le nombre, soit pour la grandeur des animaux qui y vivent. Les dieux seuls peuvent dire s'il y a égalité entre elles, ou si l'une l'emporte sur l'autre ; nous, sachons nous réduire aux connaissances qui sont notre partage.
La naissance, les mœurs des poissons, le lieu de la mer qu'ils habitent, les substances dont ils se nourrissent ne sont pas toujours les mêmes. Les uns préférant les plages les plus basses : leurs aliments sont le sable ou ce qu'il produit, tels l'hippocampe (6), le rapide cocus (7), l'érythrine (8), le cythare (9), le trigle (10), le débile, mélanure (11), les nombreux trachures (12), le bouglousse (13), le faible taenia (14), le plature (15), le mormyle aux couleurs variées (16), les scombres, les cyprins, et tant d'autres qui fréquentent les rivages.
Ceux-ci se tiennent et se nourrissent dans la vase et le limon des mers : ce sont la raie batis, les énormes bœufs marins (17), la redoutable trygone (18), la nargué (ou torpille), bien digne de ce nom, les psettes (19), les claries (20), les trigles, la race si nombreuse des onisques (21), les saures (22), les scépanes (23), tous ceux enfin qui vivent dans les eaux bourbeuses. Ceux-là préfèrent les rives verdoyantes par le nombre d'herbes qui y croissent, comme les mainis (24), les tragues (25), les atherines, les smaris (26), les blennies, les spares, les bogues (27), et toutes les races de poissons phytophages (28).
Le kestre (29), le céphale (30), le plus innocent des poissons, les labres, l'audacieuse amie (31), les chremés (32), le pélamus (33), les congres (34), et celui qu'on appelle oliste (35), ne s'écartent point de ces mers voisines des fleuves, ou des marais dont l'eau douce se joint à l'onde amère, ou de ces amas d'eaux fangeuses descendues en torrents des coteaux ; c'est là qu'ils trouvent en abondance la nourriture qui leur est chère, et qu'ils s'engraissent dans leurs flots moins salés. Le labre ne s'éloigne point du lit des fleuves, et remonte de la mer dans leur embouchure ; l'anguille au contraire les quitte pour se traîner sur les rivages.
Des rochers de formes diverses, autour desquels roulent les ondes, sont entretenus dans une constante humidité par les fucus (36); des mnies (37) abondantes les recouvrent. Là, trouvent leur nourriture les perches, les iulis (38), les chaunes (39), les saupes (40) au dos diversement coloré, les kicles (41) agiles et le phycis (42) que les pêcheurs nomment aussi l'inhabile (43). Non loin des mers sablonneuses sont d'autres roches de forme aiguë, qu'habitent la skirre (44), la sciène, le basilisque (45), le mufle et le trigle (46) aux couleurs rouges (47). D'autres  plongées sous les eaux, mais surmontées de plantes toujours vertes, sont peuplées à la fois des sargues (48), des siénes, du chalchis (49), du coracin (50) (ou corbeau), ainsi nommé de sa couleur, du scare (51), le seul parmi les poissons, tous muets, qui fasse entendre une humide voix, le seul qui, pareil aux animaux ruminants (52), triture de nouveau dans sa bouche des aliments (53) qu'il y ramène à la manière des brebis. Celles où abondent les cames (54) et les lépas (55) sont le séjour et les lieux où se nourrissent les oxuphagres (56), les agriophagres (57) si farouches, les cercures (58), les opsophagres (59), la visqueuse murène, le scombre, l'orphe (60) vivace, celui de tous les habitants des eaux qui passe le plus de temps sous terre et qui survit aux coups dont le fer l'a tranché. Dans les retraites et les fonds les plus reculés, se tiennent le probate (61) et les hépates (62), et ceux des poissons (63) qui, remarquables par leur taille et leur génie, se roulent pesamment au sein des ondes. Ils sortent peu de cet asile, ils y restent en embuscade, et fondent soudain sur ceux des poissons d'un ordre inférieur qui passent à leur portée. De ce nombre est l'onos, ou l'aselle (64), qui redoute surtout les feux brûlants de la canicule ; retiré dans sa demeure ténébreuse, il ne se montre que lorsque les cieux sont devenus plus doux.
Un poisson qui se plaît surtout parmi les rochers battus des vagues, d'une couleur à peu près rouge, dont les mœurs ressemblent assez à celles des muges, est celui qui porte le nom d'adonis (65), que d'autres appellent exocet, parce qu'il est le seul des animaux à membranes branchiales qui sorte des mers pour habiter tour à tour la terre. Lorsqu'un calme propice a assoupi la fureur des flots, il s'élance avec eux vers le rivage, se choisit un gîte sur les rochers et s'y livre aux douceurs du sommeil. Il redoute toutefois les oiseaux pêcheurs qui lui font la guerre ; sitôt qu'il en voit quelqu'un se porter vers lui, il bondit tel qu'un sauteur agile, jusqu'à ce que ses bonds précipités l'aient rendu à son élément préservateur.
II en est qui se plaisent également parmi les roches et dans les sables : le chrysophrys (66), qui doit son nom à sa beauté, les dragons (67), les simes (68), les glaucus (69), les vigoureux synodontes (70), les deux espèces de scorpion (71), les deux sphyrènes allongées et les raphis (72) plus effilés encore. On y rencontre le carac (73), les gobies, ces plongeurs si agiles, la race intraitable des mus ou caprisques (74), ces poissons téméraires qui provoquent l'homme au combat, quoique moins grands que lui, qui, forts d'une peau impénétrable et d'un rempart de dents étroitement serrées, attaquent les pêcheurs les plus robustes, les poissons les plus redoutables, et font leur demeure dans les immenses abîmes des mers, loin de la terre et des rivages. On y voit les thons rapides si renommés par leur vélocité, les xiphias, le grand et robuste orcynus (75), les grenades (76), les cybeies (77), les skolies (78), les scytalles (79) et les hippures (80). On y voit aussi le callichte (81) ou le poisson sacré, le pompile (82), honoré des navigateurs, qui l'ont ainsi nommé parce qu'il les accompagne dans leurs voyages. Entraînés par la joie la plus vive à la vue des vaisseaux qui sillonnent les mers, les pompiles les suivent en foule et à l'envi, sautant et se jouant à la poupe, à la proue, sur les flancs, tout autour de ces chars maritimes. Leur passion pour eux est si ardente qu'on dirait qu'ils cèdent moins à une impulsion libre et volontaire qu'à des liens qui les enchaînent aux bâtiments, et qui les forcent d'en suivre la marche. Comme on voit un prince qui vient de prendre une ville, comme on voit un homme vainqueur dans les jeux publics, le front ceint d'une couronne de fleurs nouvelles, autour desquels se presse un peuple immense, enfants, jeunes gens, vieillards qui les accompagnent, qui sont toujours après eux jusqu'aux portes de leur habitation, et ne se retirent qu'après les avoir vus pénétrer au-dedans, ainsi les pompiles vont toujours en foule à la suite des navires, tant qu'ils ne sont pas troublés par la crainte du voisinage de la terre ; sitôt qu'elle n'est plus éloignée, car elle leur est odieuse, ils se retournent tous ensemble, comme ayant atteint la barrière, et se retirent en abandonnant les vaisseaux. Leur retraite est un indice certain pour les nautoniers qu'ils approchent du continent. O poisson justement cher aux navigateurs ! ta présence annonce les vents doux et amis ; tu ramènes le calme et tu en es le signe.
L'échéneis (83) suit aussi les navires : il est long d'une coudée, sa couleur est noirâtre, sa taille est assez semblable à celle des anguilles. Le dessous de sa tête présente une bouche terminée en pointe arquée pareille à la courbure d'un hameçon. Il est devenu pour les navigateurs l'objet d'un prodige. On aurait peine à y croire sur un simple récit, tant l'esprit rebelle de l'homme rejette ce qu'il n'a pas appris par sa propre expérience, et se refuse souvent à la vérité. Un vaisseau qu'un vent assez impétueux fait avancer à pleines voiles sur les vastes plaines des mers est arrêté tout à coup par la bouche d'un poisson de taille médiocre (84), qui s'oppose à sa marche et qui dirige ses efforts sur la partie inférieure, à laquelle il s'applique. Le vaisseau, comme enchaîné, suspend malgré lui sa course ; on dirait qu'il est resserré dans un port étroit. Les voiles, les câbles, les cordages trop tendus crient ; les antennes gémissent, plient, vont se briser ; le pilote, quoique pressé de continuer sa route, se voit réduit à les détendre. Son navire résiste au gouvernail, n'obéit plus au vent, n'est plus entraîné par les flots, mais reste forcément immobile, attaché, enraciné à la bouche de ce faible et misérable habitant des ondes. Cet événement glace de crainte les nautoniers, qui en cherchent vainement la cause ; ils croient voir un de ces prodiges qu'enfante le sommeil. Ainsi qu'un chasseur, à la rencontre d'une biche qui court d'un pas rapide dans les bois, fait voler vers elle un trait dont la blessure, glaçant son impétuosité, la force par les douleurs les plus vives, les plus intolérables, d'attendre le redoutable chasseur, ainsi l'échéneis oppose au-devant du navire un obstacle invincible et l'arrête : il en a tiré son nom, celui d'arrête-vaisseau.
Les calchordes (85), les thrisses (86), les abramys (87) se portent en colonies nombreuses et réunies tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre : ici on les trouve parmi les rochers, là on les rencontre dans la longue étendue des rivages, sans demeure fixe, changeant sans cesse de domicile, comme des voyageurs. Les anthia (88) cherchent surtout leur nourriture au milieu de ces roches qui ont de la profondeur, sans que ce soit cependant leur séjour habituel : ils vont errant partout où les entraîne une faim toujours active, un insatiable appétit. Quoique leur bouche soit en partie dépourvue de dents, l'aiguillon du besoin les tourmente sans cesse. Sur les quatre grandes espèces d'anthias, les uns sont blancs, les autres fauves, une troisième est d'une couleur noir de sang, on nomme les autres euôpous et aulôpous, poissons aux beaux yeux, aux yeux rayonnants, parce que leur prunelle est terminée par des sourcils en rayons dont l'ensemble aplati s'arrondit en cercle d'une teinte foncée.
L'astacus (89) et le crabe (90) aux pinces aiguës, revêtus tous deux d'une peau dure et testacée, se plaisent dans les golfes des mers ; ils y habitent et se nourrissent au milieu des rochers. On remarque surtout dans l'astacus une affection naturelle et difficile à rendre pour le lieu qui lui sert de retraite ; il ne l'abandonne jamais volontairement. En est-il arraché de force, et après l'avoir transporté au loin le rend-on à la mer, bientôt il se pressera de regagner sa demeure et ne voudra jamais en habiter une nouvelle. II ne se fixera point sur un autre rocher, il cherchera celui qui était le sien, celui qu'il a perdu, celui de ses habitudes, celui qui fournissait à ses besoins : les pêcheurs même en violant son asile n'auront pu le lui rendre odieux. O navigateurs! c'est ainsi que la mer qui vous a vus naître, que le toit paternel, que ces lieux que vous fréquentiez dans votre enfance, excitent et font couler dans votre âme une joie douce et délicieuse ! Les mortels ne sont donc pas les seuls pour qui la patrie a des charmes! Non ! il n'est pas de douleur plus cruelle (91) ni plus cuisante que celle d'un homme qui, gémissant dans une terre étrangère sous le poids accablant de l'arrêt qui le proscrit, est condamné à finir dans l'exil une vie de chagrins et d'amertumes.
Dans la même famille se trouvent le cancre voyageur, les carides (92) et les farouches pagures, qu'on peut aussi ranger parmi les amphibies. Tous ces animaux, dont le corps est protégé par un test osseux, le perdent lorsqu'il est trop ancien ; un nouveau repousse à la place ; lorsque les pagures sentent l'effort que fait pour se briser celui qu'ils doivent perdre, ils s'empressent de se gorger d'aliments, afin que la tension due à leur quantité en facilite la déchirure ; lorsque leur peau rompue les abandonne, ils restent d'abord sur le sable, privés en quelque sorte de sentiment, sans songer à se nourrir ou à faire tout autre chose : on dirait qu'ils se croient déjà au rang des morts, qu'ils ne sentent plus en eux aucun principe de vie. Cette peau tendre qui vient de renaître les tient dans une crainte continuelle ; cependant ils reprennent peu à peu leurs esprits ; devenus moins timides, ils portent et promènent quelques grains de sable dans leur bouche. Ils restent dans cet état d'immobilité et de faiblesse jusqu'à ce que leur peau, raffermie, ait acquis de la solidité. Comme un fils d'Esculape qui, appelé auprès d'un homme subitement atteint d'une maladie, commence par interdire à son malade toute espèce de nourriture, afin d'amortir tout d'un coup la force et la violence du mal ; qui ne lui laisse prendre ensuite que quelques légers morceaux, jusqu'à ce qu'il ait fait disparaître entièrement les maux et les douleurs qui l'accablaient, de même les pagures n'osent point se hasarder avec leur peau trop nouvelle, dans la crainte que quelque choc fâcheux ne l'entame et ne l'offense.
D'autres animaux rampants vivent dans le sein des mers : le poulpe aux bras nombreux (93), le scordyle (94), la scolopendre exécrée des pécheurs et l'osmyle (95) ; tous sont amphibies. Il est sans doute plus d'un habitant des campagnes qui, en soignant ses plantations sur le bord des rivages, a vu la poulpe et l'osmyle enlacés dans des rameaux chargés de fruits, s'occupant d'en faire un doux repas : on y voit aussi la rusée sépie (96), entraînée par les mêmes goûts.
Une immense quantité d'animaux à coquille habite au milieu des eaux, sur les rochers et dans les sables : les nérites, les strombes, les pourpres, le solen, si bien nommé le manche à couteau (97), les chéruques (ou buccins), les myes (98), les huîtres aquifères et les échines ( les oursins) à pointes aiguës. Si vous coupez l'un de ces mollusques en un petit nombre de parties, et que vous les jetiez à la mer, vous les verrez bientôt se rassembler et le mollusque reprendre une vie nouvelle. Les carkinas ( les bernard-l'ermite), en venant au jour, n'ont point de test : ils naissent nus et sans défense ; leur corps débile en revêt un qui n'est pas le leur. Lorsqu'ils aperçoivent une coquille vacante et privée de son maître que la mort a moissonné, ils s'y placent, se l'approprient, la dirigent de l'intérieur et parcourent ainsi les mers sous un abri étranger : ils s'inquiètent peu s'il a été la dépouille d'une nérite, d'un buccin ou d'un strombe ; ils préfèrent même celles de ce dernier, parce qu'elles ont le double avantage de la grandeur et de la légèreté. Lorsque les carkinas en grandissant ont rempli leur demeure, ils ne continuent plus de l'occuper ; ils l'abandonnent pour se mettre en cherche et se revêtir d'une plus ample. Ces coquilles sont souvent pour eux un grand sujet de débat et de guerre ; le plus fort en chasse le plus faible, et s'arrange dans cette maison usurpée qui est à sa convenance.
II est un mollusque enfermé dans une coquille univalve et profonde dont l'animal ressemble assez aux poulpes, qu'on nomme avec raison le nautile, à cause de son adresse à naviguer : il habite le fond des mers sablonneuses ; quelquefois il s'élève à leur surface, mais à la renverse, le corps tourné vers la terre, afin que sa coquille ne soit pas submergée. Dès qu'il est parvenu à la hauteur des ondes, il se retourne et la dirige de la même manière qu'un pilote dirige un vaisseau. Il dresse et élève deux de ses pieds en forme de mâts ; Il déploie dans le milieu une membrane mince en guise de voile, et la présente au vent ; deux autres de ses pieds, tournés en bas et s'enfonçant dans les eaux, lui tiennent lieu de rames et font marcher à la fois la coquille, la nacelle, l'animal. Survient-il quelque danger, il ne met point son salut dans la fuite ou dans le secours des vents ; il retire et rentre à la hâte les mâts, les voiles, les rames ; un vaste volume d'eau remplit enfin la coquille : ce poids trop lourd l'affaisse et l'entraîne au fond des mers. O dieux ! qui donc a trouvé le premier l'art de la navigation ? Est-ce quelqu'un des immortels qui en a révélé les lois ? Est-ce quelque homme d'un génie hardi qui a osé le premier se hasarder sur les flots, ou plutôt ne serait-ce point que ce mollusque aurait servi de modèle et d'exemple, soit pour la construction d'un navire, du gouvernail et des rames, soit pour l'usage des mâts et des voiles ?
On ne voit point sans effroi ces énormes cétacés, ces monstrueuses merveilles de l'Océan, ces immenses masses vivantes qui ont aussi une force immense : toujours en proie à une rage effrénée et meurtrière, ils vivent en grand nombre dans le vaste domaine des eaux, et de préférence dans les parties les plus reculées et les moins connues de l'empire de Neptune. Peu quittent la haute mer pour se porter sur les rivages qu'ils font gémir de leur poids ; de ce nombre sont le féroce lion (99), la terrible zygène (100), la redoutable pardalis (101), l'impétueux physsale (102) (103), la race robuste des melanthons (104), la farouche pristis (105), l'épouvantable lamie (106), à gueule effroyable, la malthe (107), ainsi nommée de son humeur moins sauvage ; de ce nombre sont encore les béliers cruels (108) (109), l'hyène (110) au poids énorme, les chiens marins (111), si impudemment ravisseurs, dont on forme trois races : l'une fait partie des terribles cétacés ; les deux autres sont du nombre des poissons les plus forts. Les uns sont la centrine (112), ainsi nommée de ses noirs aiguillons ; les autres sont appelés d'un nom commun, les galées (ou chats) qui fournissent plusieurs espèces, les skymnes (113), les leïes (114), l'acanthias (115), la riné (116), les alopès (117) (ou renards), et ceux de ce genre à diverses couleurs (118) : les chiens marins (ou squales) ont tous les mêmes mœurs et les mêmes formes ; ils vivent et se nourrissent ensemble.
Les dauphins se plaisent sur les rives résonnantes et dans le sein des profondes mers ; aucune n'en est dépourvue ; ils sont chers à Neptune depuis le jour qu'ils lui révélèrent le lieu caché du palais de l'Océan, dans lequel le fille de Nérée, la belle et jeune Amphitrite, se tenait cachée, rebelle à son amour, pour se dérober à sa poursuite et à son hymen. Ce dieu aux beaux cheveux noirs ravit aussitôt la déesse et triompha de sa résistance ; elle devint son épouse et la souveraine des ondes. Ce bon office des fidèles dauphins leur valut la bienveillance de leur maître et l'honneur insigne qui est, pour ainsi dire, imprimé à leur race.
Il est de ces terribles cétacés qui sortent des mers et s'avancent sur le sol nourricier de la terre ; on voit ainsi s'arrêter assez longtemps sur les rivages ou sur les terrains qui les avoisinent, les anguilles, la tortue cuirassée et les castors funestes et de mauvais présage, qui menacent les hommes de leur voix fatale et funéraire. Le mortel dont les oreilles sont frappées de ces sons lamentables, de ces tristes gémissements, ne tardera point à être précipité dans la tombe : ces lugubres accents lui annoncent la fin prochaine de sa destinée. On assure que l'énorme phaleine (119) vient également sur le rivage pour y jouir de la douce influence du soleil. Les phoques sortent toujours de la mer pendant la nuit ; souvent aussi, durant le jour, ils restent paisiblement sur les rochers ou sur le sable ; ils s'y abandonnent au sommeil.
Puissant Jupiter, tout est en toi et par toi, soit que tu habites dans les régions supérieures de l'éther, ou que tu sois partout (car nul mortel ne peut le dire). Avec quelle ingénieuse complaisance tu as limité, séparé les masses éthérées, l'air, l'eau, la terre mère de tout, et chaque chose de toutes les autres, en les enchaînant néanmoins toutes dans les liens d'une harmonie commune, en leur imposant le joug nécessaire d'une mutuelle dépendance ! L'éther ne peut exister sans l'air, ni l'air sans l'eau, ni l'eau sans la terre. Ils se fondent les uns dans les autres, ils parcourent tous le même cercle, ils éprouvent tous la même vicissitude. C'est ainsi qu'ils se sont, en quelque manière, donné des gages et des otages réciproques dans les amphibies. Les uns, en effet, se portent de la mer sur la terre ; les autres, du haut des airs, se précipitent au sein des eaux ; les légers laros (120), les gémissants alcyons : les robustes et voraces aigles de mer et tous les oiseaux pêcheurs qui ne vivent que de poissons.
Ceux-ci, quoique nés dans les eaux, fendent les airs; ce sont les theutis (121), les irex (122), les chélidons (ou hirondelles de mer). Ces poissons en voient-ils un autre à leur portée et prêt à les atteindre, ils s'élancent du milieu des flots et s'échappent dans les airs. Lorsque les theutis déploient au loin et assez haut leurs ailes, on distingue difficilement s'ils sont des poissons ou des oiseaux, surtout lorsqu'on les voit en troupes nombreuses. Les hirondelles de mer ont le champ de leur vol moins élevé ; celui des irex est encore plus bas; ils ne font que raser les ondes ; ils paraissent à la fois nager et voler.
Il est des poissons qui vivent entre eux en société comme dans les villes, mais séparés des autres espèces ; certains voyagent sans ordre en troupes diverses, pareils à des troupeaux ou à des armées ; on leur donne le nom de nomades. D'autres marchent en colonnes régulières qu'on prendrait pour des bataillons ou des décuries ; l'un d'eux est en avant et à leur tête : le reste suit à la file et sur deux lignes ; d'autres enfin ne s'écartent point de leur habitation. Tous ont, durant l'hiver, une extrême appréhension de ces tourmentes, de ces tempêtes qui bouleversent et font mugir les flots ; il n'est même aucun être qui vive dans leur sein, qui ne redoute la mer lorsqu'elle est irritée. Les uns restent alors tremblants et sans force dans le sable qu'ils ont creusé de leurs nageoires ; d'autres se roulent tous en masse dans les trous des rochers ; ceux-ci fuient et vont chercher un asile dans les fonds les plus bas et les plus reculés ; le bouleversement des ondes, la furie des vents n'arrivent point à ces extrêmes profondeurs ; aucune tempête n'atteint jusqu'aux dernières couches, jusqu'aux derniers retranchements des eaux (123). Ils échappent ainsi aux maux et aux effets funestes du terrible hiver. Mais lorsque le printemps, rendant à la terre sa parure de fleurs, fait aussi sourire les ondes, qu'elles respirent, délivrées des noirs frimas, qu'un air plus doux caresse mollement leur surface, alors les poissons, tout joyeux, s'élancent de toutes parts dans le voisinage de la terre. Telle une ville chérie des dieux, heureuse de survivre au fléau destructeur de la guerre, après avoir été longtemps en proie à ses fureurs ; qui, libre enfin, et respirant des maux qu'elle a soufferts, donne volontiers l'essor à sa joie, se plaît à reprendre les travaux utiles de la paix, et voit ses habitants se livrer sans crainte aux plaisirs de la table et de la danse ; tels les poissons, débarrassés de leurs longues douleurs, de la crainte des ondes, s'agitent, bondissent ivres de joie et de bonheur, pareils à des danseurs agiles. Dans le printemps, le doux attrait d'une jouissance nécessaire, le désir d'une tendre union, le besoin d'une ardeur réciproque fermentent dans les cœurs de tout ce qui respire sur la terre, dans les airs et dans les eaux. Dans le printemps, plusieurs races de poissons ovipares hâtent le moment d'être allégées du fardeau douloureux de l'amour ; les mâles, dans la vue de perpétuer leur espèce, les femelles pour se débarrasser de leurs oeufs, effleurent, caressent le sable de leurs ventres délicats, car ces oeufs lui se détachent pas aisément : réunis en masse au dedans du corps et se prêtant un appui mutuel, ils résistent fortement ; ainsi serrés, comment pourraient-ils se frayer un passage ?  Les mères, dans cet état d'angoisse, ont peine à ne pas abjurer et maudire leur progéniture. Ainsi les dieux n'ont donc pas donné aux seuls poissons des délivrances pénibles. Les épouses des mortels ne sont donc pas aussi les seules qui gémissent des douleurs de l'enfantement ? Tout ce qui vit les éprouve. 
Parmi les poissons, il est des mâles qui voulant faire leur proie d'autres poissons, les poursuivent jusque sur le bord du rivage afin de les dévorer ; d'autres courent et sont sans cesse à la suite des troupes nombreuses de leurs femelles ; ces dernières, emportées par la violence des plus effrénés désirs, se précipitent vers les mâles avec une irrésistible fureur ; ceux-ci, s'excitant alors entre eux par des contacts et des froissements réciproques, répandent leur laitance que les femelles enflammées dévorent aussitôt de leurs bouches avides et brillantes ; on dit que celte espèce d'hymen les féconde (124).
Telles sont les lois, les mœurs d'un grand nombre de poissons. Il en est d'autres qui forment avec leurs épouses des nœuds plus étroits et plus particuliers, et qui vivent séparément avec elles, car Vénus exerce un grand empire sur les poissons : de là ces désirs immodérés, cette jalousie, tourment affreux, et tout ce qu'entraîne à sa suite une passion brillante lorsqu'elle est arrivée par une insatiable volupté. Plusieurs se disputent les uns aux autres leurs femelles, pareils aux amants d'une jeune personne, qui viennent ensemble lui faire leur cour, et qui, quoique égaux, rivalisent de richesse et de beauté. Les poissons n'ont aucun de ces avantages à mettre en avant ; ils n'ont à s'opposer que leurs forces, leurs mâchoires, un solide rempart de dents fortes et aiguës. C'est avec ces armes qu'ils s'attaquent et se préparent à la victoire ; celui qui a vaincu ses rivaux, remporte aussi le prix de l'hymen. Quelques-uns se plaisent dans la possession de plusieurs femelles ; tels sont les sargues (125) et les cossyphes (126). D'autres n'en aiment qu'une, ne veulent vivre qu'avec une seule ; les canthares (127) et les aitnées (128) sont de ce nombre ; une seule leur suffit.
D'autres mœurs dans leurs amours sont propres aux anguilles, à la tortue, au poulpe, à la noire murène ; ils n'obéissent, qu'à regret au vœu de la nature. Les premières, enlacées en spirales, pressent les unes contre les autres leur corps froid et visqueux ; il en découle une sanie, une espèce d'écume que le sable reçoit et absorbe ; par là devenu fécond, les anguilles y naissent en foule (129). Le même effet se produit à peu prés pour les congres à peau si gluante. Les tortues redoutent, abhorrent un trop pénible hymen ; elles n'y sont point entraînées par l'attrait du plaisir, comme les autres animaux ; de longues et cruelles douleurs l'accompagnent. Les mâles sont armés d'une pointe dure et aiguë, d'un aiguillon osseux qui rend leur approche fâcheuse pour leurs femelles ; aussi leurs jouissances sont-elles précédées de véritables luttes, de morsures terribles et réciproques, les femelles pour se soustraire aux efforts des mâles, ceux-ci pour parvenir à vaincre cette résistance, jusqu'à ce que leur force en triomphe et les livre impérieusement à leur amour, comme une proie, une conquête faite à la guerre. Enfin, les tortues accouplées présentent le même phénomène que les chiens de terre et que les phoques ; elles restent longtemps engagées dos à dos ; on dirait que des liens les tiennent enchaînées. L'hymen fatal du poulpe et sa mort cruelle se succédant de très prés ; le terme de son amour est aussi celui de sa vie. II ne quitte point sa femelle, il ne cesse point de jouir qu'il n'y soit contraint par l'abandon de ses forces, qu'il ne tombe de lassitude et d'épuisement sur le sable ; il devient alors la proie de tout ce qui passe près de lui. Les cancres, gros et petits, le dévorent, ainsi que ces poissons qu'il poursuivait naguère avec tant d'avantage, dont il faisait lui-même sa nourriture. Étendu maintenant, il est mis en morceaux jusqu'à ce qu'il succombe et meure. II périt ainsi victime d'un trop funeste amour. Sa femelle meurt de même dans les douleurs de ses efforts laborieux ; car, différente des autres poissons, elle ne voit point sortir ses oeufs les uns après les autres ; adhérents entre eux et comme en grappes, ils ne sortent qu'avec peine par une issue trop étroite ; ce qui fait que les poulpes ne vivent jamais au delà d'une année ; leurs oeufs ou leurs amours les font toujours périr misérablement.
C'est une chose assez reconnue que le serpent (130) s'accouple avec la murène (131), que celle-ci sort d'elle-même de la mer pour satisfaire le penchant qui la porte à cet hymen. Le serpent en proie à l'ardeur la plus vive brûle de jouir, se traîne à la hâte vers le rivage ; il cherche d'abord une pierre creuse et concave, dans laquelle il puisse déposer son venin ; il y verse ce funeste et subtil poison, trésor et magasin du trépas : il rend ainsi son approche sans danger et sans dommage pour la murène. Parvenu au bord des eaux, il donne le signal accoutumé, ce signal dont il l'invite à l'amour : elle l'entend aussitôt et s'avance plus rapide qu'un trait. Elle s'élance du fond des mers ; le serpent s'élance aussi de la terre au sein des flots ; tous deux avides de s'unir se précipitent l'un sur l'autre. Dans l'ivresse du bonheur, la murène admet dans sa bouche la tête de cet époux chéri. Lorsqu'ils ont rempli le vœu de l'hymen, ils se retirent, elle dans le lieu de la mer qu'elle habitait, lui vers le rivage. II retourne aussitôt à la pierre dépositaire du venin exprimé de ses dents ; il le reprend et le repompe. S'il ne le retrouve pas, s'il connaît que quelque passager, qui en a fait la rencontre, l'a dissipé dans des flots d'eau, il succombe à la plus vive douleur; il se jette à terre et y attend que l'inexorable destin termine sa vie et son supplice : tant est grande sa honte de se trouver ainsi sans force, sans ces armes qui faisaient sa gloire et son essence comme serpent ; il perd et laisse sa vie sur la même pierre où il avait laissé son venin.
Les dauphins s'unissent entre eux à la manière des mortels : ils leur ressemblent encore par la forme de leurs sexes ; seulement celui des mâles n'est pas toujours visible : il est caché dans l'intérieur de leur corps ; il ne se montre que dans l'acte nécessaire de la génération.
Telles sont les mœurs des poissons dans leurs amours, dans leurs hymens. Le besoin de s'unir, le désir de perpétuer leur espèce, se font sentir aux uns dans une saison, à ceux-là dans une autre : c'est tantôt l'été, tantôt l'hiver ; ici c'est le printemps, là l'automne précipité qui les voit vaquer aux soins de leur reproduction. Le plus grand nombre n'a qu'une seule ponte, n'engendre qu'une seule fois chaque année. Le labrax éprouve deux fois les douleurs de Lucine ; les trigles sont ainsi nommés de leur ponte triple ; on en observe quatre dans le scorpion, et cinq dans les seuls cyprins. On dit qu'on n'a jamais vu l'onisque se reproduire ; sa manière de se régénérer est encore inconnue aux humains. Lorsque les germes des poissons ovipares se développent en eux au printemps, certaines espèces bornées à leur demeure ordinaire y restent tranquilles et paisibles ; d'autres, qui vivent en commun, se rendent ensemble dans le Pont-Euxin pour y déposer leurs oeufs : c'est le bassin le plus agréable de l'empire d'Amphitrite ; il est le rendez-vous de plusieurs fleuves aux eaux douces et abondantes. Sur ses bords sinueux sont des bancs d'un sable doux et fin, de gras pâturages, des roches dont la cime surnage aux ondes, d'autres à creux profonds, des cavernes à lits d'argile, des monts à sommets ombragés, enfin tout ce qu'aiment les poissons. On n'y voit ni les cétacés dévastateurs ni tout autre animal dont ils puissent devenir la proie, pas même les ennemis des plus petits d'entre eux, les poulpes, les astacus, les pagures. Les dauphins y sont en petit nombre; ils sont d'ailleurs les plus faibles, les moins malfaisants des cétacés ; c'est ce qui fait que cette mer à pour eux autant d'attrait et qu'ils mettent tant d'empressement à y chercher leur nourriture : ils s'y portent tous en masse pêle-mêle et de toutes parts, offrant l'ensemble et l'aspect d'un troupeau. Tous suivent la même route, la même impulsion, le même mouvement, le même instinct pour leur retour. D'immenses quantités de poissons différents passent de la mer de Bébrycie et des bouches étroites de celle du Pont dans le Bosphore de Thrace et se répandent dans la longue étendue de cette vaste mer. Ainsi lorsqu'il arrive de l'Éthiopie et de l'Égypte des bandes de grues élancées dans les airs qu'elles remplissent de leurs cris, qui fuient ou la cime neigeuse du mont Atlas, ou le rude hiver, ou les races inhabiles des Pygmées dégénérés, leurs grandes troupes alignées en bataillons s'avancent sans rompre leurs rangs et obscurcissent les cieux de leurs ailes déployées ; ainsi des milliers de poissons sillonnent les eaux de l'Euxin. Cette mer en est remplie et frémit dans son sein des battements nombreux et répétés de leurs nageoires jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent dans leurs courses et pour leur ponte. La saison de l'automne reparaît-elle, ils songent aussitôt à faire retraite ; car l'hiver exerce bien plus ses rigueurs sur cette mer agitée qui a peu de profondeur : elle est plus accessible à la fureur des vents, qui la bouleversent et la tourmentent à leur gré. Fuyant donc ces rives des Amazones, ils s'en retournent avec leur nouvelle famille et se dispersent dans l'Océan, suivant leur goût ou leur caprice. Ceux qu'on nomme mous (ou mollusques), qui n'ont point de sang, qui n'ont point d'os, ceux qui sont enfermés dans de fortes écailles ou recouverts de têts solides, se propagent aussi par des oeufs dont la nature leur confie le soin. Le chien vorace, l'aigle de mer (132) et tous ceux qu'on désigne sous le nom de cartilagineux, les dauphins, ces rois des poissons, et les phoques aux gros yeux font des petits qui, au sortir du sein de leurs mères, ont les mêmes formes qu'elles. (133) Tous les animaux des mers qui sont vivipares ont un amour extrême pour leur progéniture et la défendent avec courage.
Rien ne tient plus du prodige que l'histoire des dauphins, soit qu'ils aient fait autrefois partie de l'espèce humaine, soit qu'ils aient habité dans des villes avec des hommes ; que cédant ensuite aux conseils de Bacchus, ils aient changé leur élément pour celui des mers en revêtant la forme des poissons. Ils en ont conservé cette douce urbanité dans leurs mœurs, dont toutes leurs actions portent l'empreinte. Lorsque deux dauphins jumeaux, fruit ordinaire de leur hymen, sont venus au jour, ils ne se quittent pas ; ils sont toujours sautant et nageant autour de leur mère : ils passent à travers ses dents dans sa bouche et y restent sous l'abri protecteur de son palais. Cette mère leur prodigue de son côté ses douces caresses, s'agite sans cesse autour d'eux, ivre d'orgueil et de joie, leur tend à tous deux ses mamelles d'où chacun peut faire jaillir un lait doux et nourrissant. Les dauphins ont reçu des dieux du lait et des seins semblables à ceux des mortelles : aussi exercent-ils le doux ministère des nourrices. Les petits sont-ils devenus plus forts, aussitôt leur mère les conduit et les précède dans le lieu de leur chasse et leur enseigne à la faire aux poissons. Elle ne s'en éloigne point, elle ne les abandonne point à eux-mêmes que leurs forces ne soient entièrement développées, elle est toujours auprès d'eux mère surveillante et protectrice. Quel navigateur pourrait tenir son âme fermée à l'admiration en voyant l'aimable spectacle qui s'offre à lui lorsque, dans un temps calme, dans une mer mollement caressée des zéphyrs, ses regards se portent sur ces troupes superbes de dauphins, l'amour et l'orgueil des ondes ? Les jeunes marchent en avant et réunis comme des troupes d'enfants, comme des chœurs dont la figure et le dessin varient à tout instant. En arrière est l'armée de réserve, composée de ceux qui l'emportent par leur taille et par leur âge et qui ne s'écartent jamais des plus jeunes. Ils ressemblent à des bergers qui dans le printemps suivent leurs tendres agneaux aux pâturages. On voit tous les jours des enfants qui sortent en foule des écoles, et des maîtres d'un âge avancé (car la vieillesse rend l'homme respectable) qui les suivent de près, veillent sur eux et sont les régulateurs de leur marche, de leurs mouvements, de leur esprit. C'est ainsi que les dauphins plus âgés vont à la suite des jeunes pour les garantir de tout accident funeste.
Les phoques ont aussi grand soin de leurs petits  (134) ; leurs femelles ont également des mamelles qui fournissent d'abondants ruisseaux de lait. Ce n'est point au milieu des flots, mais sur la terre, qu'elles gémissent, à leur terme, des douleurs de l'enfantement : elles y passent douze jours avec eux ; le treizième, au lever de l'aurore, elles les prennent sous leurs aisselles et, fières de ce doux fardeau, courent à la mer pour leur montrer leur patrie et leur élément naturel. Ainsi qu'une femme qui, s'étant délivrée dans une terre étrangère, retourne avec plaisir sur ses foyers, se complaît à tenir tout le jour son enfant entre ses bras, à lui montrer le toit paternel, et se livre avec une inépuisable tendresse aux doux soins de la maternité, tandis que l'enfant, trop jeune pour connaître ce qu'il voit, considère néanmoins toutes choses, la maison, les divers objets qui servent aux auteurs de ses jours ; ainsi les phoques transportent leurs petits à la mer et leur en apprennent les secrets et les travaux.
Grands dieux ! l'homme n'est donc pas le seul en qui l'amour de ses enfants soit plus fort, soit plus doux que la lumière et la vie. Les oiseaux, les bêtes féroces, les monstres des mers éprouvent aussi pour les leurs cet irrésistible et si vif sentiment : il est inné en eux, il leur fait braver avec audace les maux les plus terribles, la mort même. Déjà le chasseur a rencontré sur la montagne la lionne rugissante qui couvre ses lionceaux de son corps, qui combat pour les défendre : elle s'inquiète peu du nombre de pierres ou de traits qui volent sur elle. Frappée, repoussée de mille manières, son opiniâtre résistance demeure inébranlable, elle ne cède qu'en mourant : à moitié domptée, elle leur sert encore d'égide ; elle s'occupe moins du danger qui la menace que du malheur de les voir tomber dans la cage funeste qu'on leur destine. Et ce pâtre, si familier tout à l'heure avec sa chienne qui vient de mettre bas, n'ose toucher à ses petits, effrayé du grognement de leur mère irritée, qui s'emporte pour repousser sa main téméraire ; elle est également féroce pour quiconque ose l'approcher. A quelle fureur ne sont pas en proie les génisses qu'on prive de leurs veaux ? Elles poussent des sanglots et des gémissements qui ne diffèrent point de ceux des femmes, qui affligent et attendrissent leurs ravisseurs eux-mêmes. Quel mortel ne connaît les lamentables douleurs de l'orfraie lorsqu'elle déplore avant le jour la perte de ses aiglons ? Qui n'a entendu celles du chantre harmonieux des bois, de la triste et plaintive Philomèle ? Qui n'a pas vu au printemps le deuil inquiet des hirondelles lorsqu'elles viennent d'être privées du fruit de leurs amours, que des hommes impitoyables ou des dragons cruels ont arraché de leur nid ?
Les dauphins se distinguent éminemment des autres poissons par leur amour pour leur progéniture : il en est d'autres qui montrent aussi une grande affection pour la leur. Les chiens de mer, si vagabonds, en sont un exemple admirable ; ces animaux nouveau-nés restent toujours auprès de leur mère qui leur fait un rempart d'elle-même. Ont-ils quelque chose à craindre, survient-il quelque sujet pressant d'alarmes, elle leur donne asile dans ses flancs (135) par la même route, par la même voie que celle de leur naissance. Elle affronte volontiers toutes les douleurs qui l'attendent, et recèle une seconde fois ses petits dans son sein maternel pour leur donner de nouveau le jour lorsque le danger aura cessé.
La riné (ou squale ange) use en faveur des siens d'un semblable stratagème, sans cependant les recevoir dans son corps comme les chiens de mer. Au-dessous de ses nageoires pectorales, des deux côtés sont des plis profonds qui ressemblent assez aux membranes branchiales des autres poissons ; c'est là qu'elle enferme ses petits palpitants d'effroi. D'autres espèces rassemblent les leurs dans leur bouche, qui leur sert ainsi d'asile et de refuge. Quel amour ne ressent pas pour les siens la femelle du glaucus (136), le poisson ovipare qui l'emporte sur tous les autres par ses soins maternels ? Elle reste constamment auprès de ses oeufs jusqu'à ce qu'ils soient éclos. Ses petits sont-ils nés, elle nage toujours avec eux ; lorsqu'elle voit qu'ils sont effrayés de l'approche de quelque poisson plus fort, son palais s'ouvre pour les recevoir et leur sert d'abri jusqu'à ce que l'ennemi se soit éloigné : elle les rejette et les exhale alors dans les eaux.
Je ne crois pas qu'il existe dans les mers d'animal plus barbare, de mœurs plus féroces que le thon. Lorsqu'il est parvenu, au milieu des plus vives douleurs à pondre ses oeufs, ces oeufs qui sont son ouvrage et sa substance, il dévore impitoyablement tous ceux qu'il rencontre ; il en fait de même des jeunes thons qui n'ont pas appris à se soustraire par la fuite à sa dent meurtrière : il n'a ni pitié ni respect pour son propre sang.
II est je ne sais combien de poissons qui ne naissent d'aucun autre, qui ne proviennent d'aucun hymen, mais qui se produisent eux-mêmes, qui sont le résultat d'une génération spontanée : de ce nombre sont ces espèces si nombreuses d'huîtres qui prennent l'être d'un vil limon ; on ne distingue en elles aucun sexe, ni mâle ni femelle ; elles sont toutes semblables et d'une organisation uniforme. C'est ainsi que la race misérable de la faible aphye naît sans avoir été engendrée, sans avoir eu de père (137). Lorsque des masses de pluie s'échappant des nuages, suivant les desseins du maître des dieux, se précipitent avec fureur et en torrents sur les vastes plaines des mers, toutes leurs ondes confondues et converties en tourbillons agités se heurtent, se couvrent d'écume, deviennent tumescentes : les aphyes alors se produisent, vivent et se montrent en nombre immense, entassées les unes sur les autres, faibles et de couleur blanche, sans qu'on sache par quels rapprochements, par quels ressorte secrets et cachés leur existence a été déterminée ; c'est ce qui leur a fait donner le nom d'aphrétides (nées de l'écume). D'autres naissent dans la vase limoneuse : lorsque la violence des vents se fait sentir par le choc des eaux jusque dans les précipices, et que la mer bouillonne tourmentée, bouleversée, son immense limon s'entasse et ne forme bientôt qu'un seul corps. Le calme rétabli, toutes les substances qui se trouvaient pêle-mêle dans la vase et dans les eaux, fermentent, se décomposent ; il en provient des quantités considérables d'aphyes, qu'on prendrait pour des vers. II n'est pas d'espèce plus frêle, ni plus débile que celle de ce malheureux poisson ; sa chair est du goût de tous les autres, qui en font leur proie. Les aphyes se lèchent outre elles et se servent ainsi mutuellement de nourriture. Lorsqu'elles se meuvent dans les mers en masses réunies, à la recherche de quelque rocher qui projette de l'ombrage, de quelque retraite, de quelque abri au fond des eaux, l'azur des plages d'Amphitrite se change en un blanc éclatant. Lorsqu'un vent violent d'ouest a couvert la vaste plaine ; d'une neige abondante, on n'aperçoit plus la couleur noire de la terre, mais seulement le blanc de la couche épaisse qui l'enveloppe ; de même les champs de Neptune prennent la teinte et la blancheur de ces immenses quantités d'aphyes qu'on y renconte.

REMARQUES SUR LA PÊCHE D'OPPIEN,

PAR J. M. LIMES.

CHANT PREMIER.

 (1) Arbitre suprême de la terre, Antonin, fils illustre de Sévère et de Domna, etc. Le grec dit seulement Antonin. J'ajoute "fils illustre de Sévère et de Domna" pour indiquer que le poète parle de l'empereur Marc-Aurèle Caracalla, surnommé Antonin par Sévère. C'est la désignation qu'Oppien lui a donnée au commencement des Cynégétiques.
On sait que l'empereur Septime Sévère eut pour seconde épouse Julia Domna, fille de Bassianus, prêtre d'Apollon ; que deux enfants provinrent de cet hymen, Bassianus et Géta. Dans la suite, lorsque Sévère, parvenu à l'empire, voulut s'adjoindre ses fils, il fit quitter à l'aîné le nom peu noble de Bassianus et lui donna celui de Marc-Aurèle Antonin : le surnom de Caracalla lui vint d'un habillement barbare, nommé caracalle, qu'il prit lors de son expédition contre les Parthes.

(2) Tout ce qui vit dans l'abîme, dans le sein des flots orageux, etc. Lippius a très bien exprimé dans les vers qui suivent le sujet de chacun des chants d'Oppien.

Primus habet coitus, proles et pascua ponti. 
Ostendit fraudes, caedes et bella secundus. 
Tertius in pisces hamos et retia jactat. 
Ducit amor quarto captos in fata natantes. 
In quinto Delphinus amat, ceteque necantur.

(3) Oppien avait composé un poème sur les oiseaux, qui est perdu.

(4) Celle d'un empereur. Le grec dit : "Basilêios agrê. (Une pêche impériale)."

(5) L'orgye contenait 6 pieds grecs, répondant à 5 pieds 8 pouces 3 lignes de notre mesure, ce qui ne diffère pas beaucoup de notre toise.

(6) Le syngathe hippocampe, vulgairement le cheval marin.

(7) Le trigle grondin.

(8) Le spare pagel.

(9) Le pleuronecte limande. Le folio, suivant Rondelet. 

(10) Le mulle.

(11) Le spare oblade.

(12) Le caranx trachure, ou le maquereau bâtard.

(13) Le pleuronecte sole.

(14) Le cépole taenia.

(15) N'est-ce pas le turbot ou quelqu'un des pleuronectes ?

(16) Le spare morme.

(17) Les raies flassades.

(18) La raie pastenague.

(19) Le pleuronecte moineau.

(20) Le gade lote.

(21) Le gade merlan, suivant plusieurs naturalistes.

(22) L'osmère saure.

(23) Au lieu de skepanos, ne doit-on pas lire skepênos, qui signifie munitus, tectus, protégé, convert ? ne seraient-ce-pas les ostracions? Certaines espèces vivent dans la mer Rouge et ne devaient pas être inconnues aux anciens.

(24) Le spare mendole. 

(25) Le gobie boulerot. 

(26) Le spare smaris. 

(27) Le spare bogue. 

(28) On sait que ce mot veut dire mange-plante. 

(29) Les muges.

(30) Le muge céphale.

(31) Le scombre amie, le boniton de Rondelet. 

(32) Chremes ou chromis, le spare marron.

(33) Le jeune thon. 

(34) La murène congre.

(35) C'est sans doute une espèce de murène. Le mot indique que c'est un poisson qui échappe des mains à cause de sa qualité gluante.

(36) Un des genres de la famille des algues.

(37) Un des genres de la famille des mousses.

(38) Le labre girelle.

(39) Le labre hyatule.

(40) Le spare saupe.

(41) Le labre tourd femelle.

(42) La blennie phycis, surnommée l'eunuque à cause de sa faiblesse, qui la fait aussi surnommer la molle.

(43) Le phycis, que les pêcheurs nomment aussi l'inhabile, etc. Rondelet croit que le phycis est une espèce de tanche. II veut encore que l'épithète d'inhabile, mise dans le texte à la place d'eunuque, ne regarde pas le phycis, mais qu'elle s'applique au gade merlan, et que le pronom grec de la fin du vers 126 as tla'alines, ne se rapporte point à phukides.

(44) Skirris pour skinis. C'est, suivant Rondelet, une espèce de sciène.

(45) Ne serait-ce pas celui que Rondelet appelle peis rei, poisson royal, aneespéce d'umbre ou de sciène ?

(46) Le mufle rouget.

(47) Le trigle aux couleurs rouges. En latin mullus. "Eperche le triglie son di color rosato, Veneziani chiamano mule, le pianelle de loro senatori. I Tatini, mullei, calcei patriciorum. (Note de Salvani.) Les trigles sont de couleur tirant sur le rouge. On les nomme mulli en latin : de là est venu le nom de mules que les Vénitiens ont donné aux pantoufles également rouges de leurs sénateurs. Les Romains donnaient le nom de mullei aux chaussures des patriciens."

(48) Le spare sargue.

(49) La clupée sardine.

(50) Le corp ou sciène umbre.

(51) Le cheiline scare. Rondelet dit que le mot skaros vient de skairein, qui veut dire paître, car ce poisson, dit-il, se paît d'herbes. Je ne sais où Rondelet a trouvé que skairein veut dire paître ; ce mot signifie sauter. Aussi Scapula observe-t-il que le nom de scare a été donné au poisson qui le porte, quod, inclusus nassis, caudae ictibus crebris aversus laxet fores, atque ira retrorsum erumpat.

(52) Qui pareil aux animaux ruminants. "Ce poisson, dit M, le comte de Lacépède, non seulement habite dans la Méditerranée, mais encore vit dans les eaux qui baignent la Sicile et la Grèce et les îles répandues auprès des rivages fortunés de cette Grèce si fameuse. Il n'est donc pas surprenant que les premiers naturalistes grecs aient pu observer cet osseux avec facilité. Le cheiline est d'une couleur blanchâtre ou livide mêlée de rouge ; il ne parvient guère qu'à la longueur de trois décimètres : les écailles qui le recouvrent sont grandes et très transparentes ; il montre sur les côtés de sa queue des appendices transversales dont la forme et la position ont frappé les observateurs. La conformation de ses dents n'a pas moins été remarquée : elles sont émoussées au lieu d'être pointues et par conséquent très propres à couper ou arracher les algues et les autres plantes marines que le scare trouve sur les rochers qu'il fréquente. Les végétaux marins paraissent être l'aliment préféré par ce cheiline, et cette singularité n'a pas échappé aux naturalistes d'Europe les plus anciens ; mais ils ne se sont pas contentés de rechercher les rapports que présente le scare, outre la forme de ses dents, les dimensions de son canal intestinal, la quantité de ses sucs digestifs et la nature de sa nourriture, très différente de celle qui convient au plus grand nombre de poissons, ils ont considéré le scare comme occupant, parmi ces poissons carnassiers, la mène place que les animaux ruminants qui ne vivent que de plantes, parmi les mammifères qui ne se nourrissent que de proie, et exagérant ce parallèle, étendant les ressemblances et tombant dans une erreur qu'il eût été cependant facile d'éviter, ils sont allés jusqu'à dire que le scare ruminait ; et voilà pourquoi, suivant Aristote, les Grecs l'ont appelé mérukan." (Histoire naturelle des poissons, t. 6, p. 277, in-12,)

(53) Ut scarus, epastas salas qui ruminat escas. Ovidius, Halieuticon, v. 119.

(54) et (55) Mollusques qui portent ces noms.

(56) (57) et (58) Spare pagre, dont Oppien distingue les trois espèces ou variétés qui correspondent à ces numéros.

(59) On lit dans Ovide, vers 103 :
Cercyrosque ferox scopulorum fine moratus.

(60) Le spare orphe.

(61) Rondelet conteste que ce soit l'aigrefin, auquel plusieurs l'ont rapporté : cependant Oppien l'associe aux hépates, qu'on a aussi regardés comme des aigrefins. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce sont des poissons de grande taille, puisque Oppien le dit formellement.

(62) S'il faut en croire Rondelet, cet hépate, en latin jecorinus, n'est pas l'aigrefin, mais plutôt le labre hépate.

(63) Et ceux des poissons, etc. Le grec dit "êde prepontes," que Lippius traduit par décentes; d'autres, du nombre desquels est Salvini, en font un nom particulier de poisson. Je ne crois pas devoir suivre son exemple : j'aime mieux croire, comme Lippius, que prepontes exprime seulement la beauté des formes de ceux des habitants des mers dont il est question d'une manière générale.

(64) Le gade merlus. On n'est pas parfaitement fixé sur ce que les anciens appelaient onos et oniskos.

(65) La blennie coquillade.

(66) Le spare dorade. 

(67) La trachine vive.

(68) La chimère arctique.

(69) Le caranx glauque.

(70) Le spare denté.

(71) Les scorpènes. Ce nom est composé de deux mots grecs, skôr, ordure, et penomai, faire.

(72) L'ésoce belone.

(73) Le cyprin hamburge. 

(74) Le baliste caprisque.

(75) Le grand thon de Rondelet.

(76) On ne trouve dans aucun dictionnaire prênades, mais on trouve dans le Thesaurus linguae graecae, 1554, prémades ou prêmê, qu'il explique ainsi : Piscis thunnorum genere. La différence du mu au nu est trop légère pour ne pas penser que c'est réellement de l'espèce du genre thon que parle ici Oppien, qui le place d'ailleurs à côté de l'orkunos, que nous venons de dire être le grand thon de Rondelet. On retrouvera, je crois, plusieurs autres poissons d'Oppien, qu'on croyait ne pas connaître, en rétablissant dans le texte des lettres qui, par erreur, avaient été substituées à d'autres.

(77) John Jones, qui, en 1722, a publié â Oxford une traduction en vers anglais des Halieutiques d'Oppien, dont Diaper avait fait les deux premiers chants, dit que kubriai signifie les jeunes thons femelles, sans ajouter sur quoi il se fonde.

(78) J'incline à croire que skoliai est le même que koliai. Rondelet dit que ces derniers sont des maquereaux plus grands que les maquereaux ordinaires, nommés coguoils près de Marseille.

(79) Espèces de carides, suivant Rondelet.

(80) Le coryphène hippure.

(81) Le mot grec veut dire beau poisson ; on l'appelle aussi poisson sacré. On en verra la raison plus loin dans le texte. C'est le lutjan anthias de Lacépède.

(82) Le coryphène pompile.

(83) L'échénéis remora : suivant Rondelet, le pétromyzon lamproie. Les raisons qu'il en donne ne me paraissent pas décisives. 

(84) Est arrêté tout â coup par la bouche d'un poisson d'une taille médiocre, etc. On ne lira pas sans intérêt ce que M. de Lacépède dit au sujet de ce poisson, dont tout le merveilleux tient à une plaque de diverses lames qui ont la forme de cette espèce d'abat-jour qu'on nomme persienne, laquelle est adhérente au-dessous de sa gorge, et qu'il présente aux corps auxquels il s'accroche dans un sens opposé à celui de la fermeture de ces lames, ce qui produit une résistance d'une certaine énergie, mais très peu capable d'arrêter la marche d'un bâtiment : 
"Depuis le temps d'Aristote, dit l'ictyologiste français, jusqu'à nos jours, cet animal a été l'objet d'une attention constante ; on l'a examiné dans ses formes, observé dans ses habitudes, considéré dans ses efforts. On ne s'est pas contenté de lui attribuer des propriétés merveilleuses, des facultés absurdes, des forces ridicules ; on l'a regardé comme un exemple frappant des qualités occultes départies par la nature à ses diverses productions. II a paru une preuve convaincante de ces qualités secrêtes dans leur origine et inconnues dans leur essence ; il a figuré avec honneur dans le tableau des poètes, dans les comparaisons des orateurs, dans les récits des voyageurs, dans les descriptions des naturalistes ; et cependant à peine dans le moment où nous écrivons, l'image de ses traits, de ses mœurs, de ses effets, a-t-elle été tracée avec fidélité. Écoutons par exemple, au sujet de ce rémora, l'un des plus beaux génies de l'antiquité : 
"L'echéneis, dit Pline, est un petit poisson accoutumé à vivre au milieu des rochers. On croit que lorsqu'il s'attache à la carène des vaisseaux, il en retarde la marche, et de là vient le nom qu'il porte et qui est formé de deux mots grecs, je retiens, et l'autre navire. Il sert à composer des poisons capables d'amortir et d'éteindre les feux de l'amour. Doué d'une puissance bien plus étonnante, agissant par une faculté morale, il arrête l'action de la justice et la marche des tribunaux ; compensant cependant les qualités funestes par des propriétés utiles, il délivre les femmes enceintes des accidents qui pourraient trop hâter la naissance de leurs enfants ; lorsqu'on le conserve dans du sel, son approche seule suffit pour retirer du fond des puits les plus profonds l'or qui peut y être tombé.
Mais le naturaliste romain ajoute avant la fin de la célèbre histoire qu'il a écrite une peinture bien plus étonnante du remora, et voyons comment il s'explique au commencement de son 32e livre:
« Nous voici parvenus au plus haut des forces de la nature, au sommet de tous les exemples de son pouvoir. Une immense manifestation de sa puissance occulte se présente d'elle-même ; ne cherchons rien au delà, n'en espérons pas d'égale ni de semblable. Ici la nature se surmonte elle-même et le déclare par des effets nombreux. Qu'y a-t-il de plus violent que les mers, les vents, les tourbillons et les tempêtes ? Quels plus grands auxiliaires le génie de l'homme s'est-il donnés que les voiles et les rames ? Ajoutez à cela la force inexprimable des flux alternatifs qui font un fleuve de tout l'océan : toutes ces puissances et toutes celles qui pourraient se réunir à leurs efforts sont enchaînées par un seul et très petit poisson qu'on nomme echéneis. Que les vents se précipitent, que les temples bouleversent les flots, il commande à leurs fureurs, il brise leurs efforts, il contraint de rester immobiles des vaisseaux que n'aurait pu retenir aucune chaîne, aucune ancre précipitée dans la mer et assez pesante pour ne pouvoir en être retirée. Il donne ainsi un frein à la violence, il dompte la rage des éléments, sans travail, sans peine, sans chercher à retenir et seulement en adhérant. II lui suffit pour surmonter tant d'impétuosité de défendre aux navires d'avancer Cependant les flottes armées pour la guerre se chargent de tours et de remparts pour que l'on combatte au milieu des mers comme au haut des tours. O vanité humaine ! un poisson très petit contient leurs éperons armés de fer et de bronze et les tient enchaînés ! On rapporte que lors de la bataille d'Actium, ce fut un echéneis qui, arrêtant le navire d'Antoine au moment où il allait parcourir les rangs des vaisseaux et exhorter les siens, donna à la flotte de César la supériorité de la vitesse et l'avantage d'une attaque impétueuse. Plus récemment, le bâtiment monté par Caïus, lors de son retour d'Andara à Antium, s'arrêta sous l'effort d'un echéneis : alors le remora fut un augure, car à peine cet empereur fut-il rentré à Rome qu'il périt sous les traits de ses propres soldats. Au reste son étonnement ne fut pas long lorsqu'il vit que de toute sa flotte, son quinquérème seul n'avançait pas. Ceux qui s'élancèrent du vaisseau pour en rechercher la cause trouvèrent l'echéneis adhérent au gouvernail et le montrèrent au prince, indigné qu'un tel animal pût l'emporter sur quatre cents rameurs et très surpris que ce poisson, qui dans la mer avait pu retenir son navire, n'eût plus de puissance jeté dans le vaisseau. Nous ayons déjà rapporté plusieurs opinions, continue Pline, au sujet du pouvoir de cet echéneis, que quelques Latins ont nommé remora.  Quant à nous, nous ne doutons pas que tous les genres des habitants de la mer n'aient une faculté semblable. L'exemple célèbre et  consacré dans le temple de Cnide ne permet pas de refuser la même puissance à des conques marines. De quelque manière que ces effets aient lieu, ajoute plus bas l'éloquent naturaliste que nous citons, quel est celui qui, après cet exemple de la faculté de retenir des navires, pourra douter du pouvoir qu'exerce la nature par tant d'effets spontanés et de phénomènes extraordinaires ? "
"Combien de fables et d'erreurs accumulées dans ces passages, qui d'ailleurs sont des chefs-d'œuvre de style ! Accréditées par un des Romains dont on a le plus admiré la supériorité de l'esprit, la variété des connaissances et la beauté du talent, elles ont été presque universellement accueillies pendant un grand ombre de siècles ; mais on n'attend pas de nous une mythologie, etc." (Histoire naturelle des poissons, tome 5, pages 192 et suivantes.)

(85) Le chalcoïde cyprin.

(86) La clupée alose.

(87) Le cyprin brème.

(88) Le lutjan authias et autres.

(89) Le homar ou l'écrevisse de mer.

(90) La langouste ; en grec karabos. Notre crabe est leur karkinos, le cancre. Le lecteur voudra bien se souvenir que partout où il trouvera le mot crabe dans cet ouvrage, il sera toujours question de la langouste. 

(91) Non, il n'est pas de douleur plus cruelle, etc. On ne sait ce qu'on doit admirer ici le plus ou du sentiment dont l'auteur est animé ou de l'adresse qu'il emploie dans le choix des idées qui en sont l'expression. Qu'il est beau de voir ce jeune et sensible poète cherchant, comme sans dessein, à ramener l'attention de l'empereur vers un père condamné à l'exil ! Avec quelle finesse il termine le tableau qu'il n'avait commencé que dans cet objet ! Quelle délicatesse de motif et de sentiment !
John Jones, ou plutôt Diaper, son co-traducteur, a paraphrasé ainsi ce passage:
The love of countrys not to man confined
The same propensions sway the brutal mind.
Fishes their native caves vith transport view,
They have their countries, and their fondness too.
No nation may with that blest clime compare,
That grave us first acquaintance of our eyes.
How rich the soil ! how beautiful the skyes
The name of country fills the grateful mind
With all that's tender, generous and kind.
Ah ! wretched those who forc'd from what they love
Necessitous in vagrant exil rove,
Still restless must the killing grief renew,
Despis'd by all, or pity'd but few
. (Ch. 1er.)
Oppien, dans ses Cynégitiques, avait saisi une circonstance du même genre pour exprimer, quoique d'une manière plus éloignée, son désir d'obtenir le rappel de son père ; on y lit, en parlant de la vache marine: "Cette espèce chérit singulièrement les lieux qui l'ont vue naître, les forêts où elle fait son séjour et sa retraite accoutumée. Si les chasseurs, après l'avoir enchaînée dans leurs filets, transportent cet animal dans une autre contrée et le laissent courir en liberté dans les vallées, il reviendra bientôt dans les lieux chéris qu'il habitait : il ne peut se résoudre à errer dans un pays où il est étranger. Ce n'est donc point aux seuls mortels que la patrie est chère : cet amour est également gravé par la nature dans te cœur animaux sauvages. » (Traduction de Belin de Ballu, chant 1er, page 43.)

(92) Les squilles, suivant Rondelet. Les scyllares de M. La Treille.

(93) Le grec dit polupos, qui signifie à plusieurs pieds ou bras. Pour être fidèle au plan que j'ai suivi dans cet ouvrage, je devrais mettre dans le texte le mot polype ; mais comme ce nom désigne chez nous un animal bien différent, j'ai cru, pour éviter toute méprise, devoir faire exception à la régie que je me suis prescrite, et devoir donner à cet animal son véritable nom, poulpe, sous lequel nous le connaissons.

(94) Une espèce du genre poulpe.

(95) Autre espèce de poulpe qui sent le musc, non seulement, dit Rondelet, lorsqu'il est vif, mais aussi mort et desséché.

(96) La sèche.

(97) C'est le nom que nous lui donnons en langue vulgaire. La mot grec sôlên veut dire plus particulièrement un tube creux, un tuyau.

(98) Rondelet dit que ce sont les moules, et non ce que nous entendons aujourd'hui par myes ; d'autres entendent par ce mot les murex

(99) Serait-ce le grand phoque, ou plutôt n'est-ce pas le physeter microps ?

(100) Le squale marteau.

(101) La panthère. C'est sans doute quelque squale rochier ou roussette.

(102) II n'est pas hors de toute vraisemblance qu'Oppien désigne ici le cachalot macrocéphale. (Voyez la remarque du premier chant qui correspond à cet article.)

(103) L'impétueux physsale, etc. "Ce cétacé n'est pas étranger à la Méditerranée. Les anciens n'en ont pas eu cependant une idée bien nette; il paraît même que, sans excepter Pline ni Aristote, ils n'ont pas bien distingué les formes ni les habitudes de ces grands cétacés. Malgré la présence de plusieurs de ces animaux dans la Méditerranée et malgré les renseignements que leurs relations commerciales avec les Indes pouvaient leur procurer sur plusieurs autres, non seulement ils ont appliqué à leur mysticetus des organes, des qualités, des gestes du rorqual aussi bien que de la baleine franche, mais encore ils ont attribué à leurs baleines des formes ou des propriétés du gibbar, du rorqual et du cachalot macrocéphale mêlé avec ceux du gibbar. » (Lacép. Histoire naturelle des cétacés.)

(104) Ce sont sûrement ceux que cite Rondelet, liv. XVI, prem. part., chap, 19, sous le nom de mélanthyes, qui ne diffèrent pas beaucoup de celui d'Oppien, melanthunos. Ne serait-ce pas quelque espèce du genre nombreux des dauphins ? Leur grosseur les rendait dignes chez les anciens de trouver place parmi les cétacés ; ils auraient pour nous un titre bien plus caractéristique pour en faire partie : ce serait celui d'être mammifères.

(105) Le squale scie.

(106) Je crois qu'il s'agit de la lamie, et qu'il faut lire lamiês au lieu de lamnês, ou bien que les deux noms désignaient le même poisson : c'est alors notre squale requin.

(107) La lamiole de Rondelet, le squale milandre de Lacép.

(108) Je ne vois que le narval, parmi les cétacés, à qui on puisse donner ce nom.

(109) De ce nombre sont encore les béliers cruels, etc. "II y a, dit Rondelet, plusieurs autres bêtes marines à nous inconnues, hormis que de nom, comme béliers, éléphants, panthères, mélanthyes, hyènes, roues, dromons et autres infinies. Oppien, au 1er livre, met les béliers entre les cruels et ceux des hautes mers ; au 5e, entre les cétacés. Pline écrit que du temps de l'empereur Tibère, la mer océane, se retirant sur la grève, laissa plus de trois cents bêtes marines de merveilleuse variété et grandeur, guère moins en la côte de Saintonge : entre les autres, des éléphants, des béliers et plusieurs néréïdes. Aelien et Oppien ont fait mention de la panthère, des mélanthyes, de l'hyène." (Liv. 16, ch. 19, 1ère partie.)

(110) N'est-ce pas la baleine franche ? Le poids énorme que le poète lui attribue, donne de la vraisemblance à cette conjecture.

(111) Diverses espèces de squales.

(112) Le squale humantin.

(113) Le squale roussette.

(114) Le squale émissole.

(115) Le squale aiguillat.

(116) Le squale ange.

(117) Le squale renard.

(118) Le grec dit poikiloi. Certains auteurs ont pris ce mot pour celui d'un nom propre ; je ne suis pas de cet avis, et je pense que c'est le pluriel de l'adjectif poikilos, qui veut dire bigarré. Il me paraît que cette épithète pourrait convenir aux squales roussettes, qui sont comme tigrés. 

(119É phôkaina d'Aristote ; le dauphin marsouin.

(120) Le gavia des Latins, le goéland ou la mouette, oiseau palmipède à bec fort, long, pointu, et arqué à l'extrémité. 

(121) Le calmar.

(122) Il paraît que ce sont les deux mêmes poissons que ceux dont parle Rondelet, sous le nom de ierax, accipiter', ou le trigle milan de Lacép.

(123) Cette expression est hardie, peut-être, même hasardée : elle est de l'auteur. Pour la faire passer plus aisément, j'ai ajouté ces mots, jusqu'aux dernières couches qui présentent un sens plus clair, une idée plus nette.

(124) On dit que celle espèce d'hymen les féconde, etc. On ne croit plus aujourd'hui à ce mode de fécondation. Voici comment s'exprime à ce sujet M. de Lacépède dans son discours sur l'histoire naturelle des poissons.
"A peine les femelles sont-elles débarrassées du poids qui les tourmente que quelques-unes dévorent une partie des oeufs qu'elles viennent de pondre, et c'est ce qui a donné lieu à l'opinion de ceux qui ont cru que certaines femelles de poissons avaient un assez grand soin de leurs oeufs pour les couver dans leurs gueules. D'autres avalent aussi avec acidité la liqueur laiteuse des mâles à mesure qu'elle est répandue sur des oeufs déjà déposés, et voilà l'origine du soupçon erroné auquel n'ont pu se soustraire des modernes et de très grands naturalistes qui ont cru que les poissons femelles pourraient bien être fécondées par la bouche." (Histoire naturelle des poissons, t. 1, p. 136.)

(125) Spare sargue. 

(126) Le labre tourd mâle. La femelle était appelée kichlé

(127) Le spare canthare. 

(128) Suidas dit que c'est le grand canthare.

(129) Par là devenu fécond, les anguilles y naissent en foule, etc. On est mieux fixé maintenant sur la manière dont se propagent les anguilles ; longtemps, jusqu'à nos jours même, on a été dans l'erreur à cet égard. Notre ictyologiste français va nous fournir encore des instructions précieuses :
"Comment se perpétue, dit cet illustre naturaliste, cette espèce utile et curieuse ? L'anguille vient d'un véritable oeuf, comme tous les poissons. L'œuf éclôt le plus souvent dans le ventre de la mère, comme ceux des raies, des squales, de plusieurs blennies, de plusieurs silures. La pression sur la partie inférieure du corps de la mère facilite la sortie des petits déjà éclos. Ces faits, bien vus, bien constatés par les naturalistes récents, sont simples et conformes aux vérités physiologiques les mieux prouvées, aux résultats les plus sûrs des recherches anatomiques sur les poissons et particulièrement sur l'anguille. Et cependant combien depuis deux mille ans ils ont été dénaturés et altérés par une trop grande confiance dans les observations précipitées et mal faites qui ont séduit les plus beaux génies, parmi lesquels nous comptons non seulement Pline, mais même Aristote. Lorsque les anguilles mettent bas leurs petits, communément elles reposent sur la vase du fond des eaux ; c'est au milieu de cette terre et de ce sable humectés qu'on voit frétiller les murènes qui viennent de paraître à la lumière. Aristote a pensé que cette génération était due à cette fange. Les mères vont quelquefois frotter leurs ventres contre des rochers ou d'autres corps durs pour se débarrasser plus facilement des petits déjà éclos dans leur intérieur. Pline a écrit que par ce frottement elles faisaient jaillir des fragments de leur corps qui s'animaient, et que telle était la seule origine des jeunes murènes dont nous exposons la véritable manière de naître. D'autres anciens auteurs ont placé cette même origine dans les chairs corrompues des cadavres des chevaux ou d'autres animaux jetés dans l'eau, cadavres autour desquels doivent souvent fourmiller de jeunes anguilles forcées de s'en nourrir par le défaut de tout autre aliment placé à leur portée. A des époques bien plus rapprochées de nous, Helmont a cru que les anguilles venaient de la rosée du mois de mai, et Leuwenhoek a pris la peine de montrer la cause de cette erreur en faisant voir que dans cette belle partie du printemps, lorsque l'atmosphère est tranquille et que le calme règne sur l'eau, la portion de ce fluide la plus chaude est la plus voisine de sa surface, et que c'est cette couche plus échauffée, plus vivifiante et plus analogue à leur état de faiblesse que les jeunes anguilles peuvent alors préférer. Schwenckfeld de Breslaw, en Silésie, a fait naître des murènes anguilles des branchies du cyprin bordelière. Shoneveld de Kiel, dans le Holstein, a voulu qu'elles vinssent à la lumière sur la peau des gades morues ou des salmones éperlans. Ils ont pris l'un et l'autre pour de très petites murènes anguilles des gordins, des sangsues ou d'autres vers qui s'attachent à la peau ou aux branchies de plusieurs poissons. Eller, Charleton, Fakleberg, Gesner, Birchkoltz ont connu au contraire la véritable manière dont se reproduit l'espèce que nous décrivons. Plusieurs observateurs des temps récents sont tombés à la vérité dans une erreur combattue même par Aristote en prenant les vers qu'il voyaient dans les intestins des anguilles qu'ils disséquaient pour des fœtus de ces animaux. Leuwenhoeck a eu tort de chercher les oeufs de ces poissons dans leur vessie urinaire, et Vallisniéri dans leur vessie natatoire ; mais Muller et peut-être Mondini ont vu les ovaires ainsi que les oeufs de la femelle, et la laite du mâle a été également reconnue.
D'après toutes ces considérations, on doit éprouver un assez grand étonnement et ce vif intérêt qu'inspirent les doutes et les recherches d'un des plus habiles et des plus célèbres physiciens lorsqu'on lit dans le Voyage de Spallanzani que des millions d'anguilles ont été pêchées dans les marais, les lacs et les fleuves d'Italie et de la Sicile sans qu'on eût vu dans leur intérieur ni oeuf ni fœtus. Ce savant observateur explique ce phénomène en disant que les anguilles ne multiplient que dans la mer, et qu'on n'en trouve pas, continue-t-il, suivant Sennebier, dans le lac de Genève, jusque auquel la chute du Rhône ne leur permet pas de remonter, tandis qu'on les pêche dans le lac de Neufchâtel, qui communique avec la mer par le Rhin et le lac Brenna. Il invite en conséquence les naturalistes à faire de nouvelles recherches sur les anguilles qu'ils rencontreront au milieu des eaux salées et de la mer proprement dite dans le temps du frai de ces animaux, c'est-à-dire vers le milieu de l'automne ou au commencement de l'hiver.
Les oeufs de l'anguille, éclosant presque toujours dans le ventre de la mère, y doivent être fécondés ; il est donc nécessaire qu'il y ait dans cette espèce un véritable accouplement du mâle avec la femelle, comme dans celle des raies, des squales, des syngnathes, des blennies et des silures, ce qui confirme ce que nous avons déjà dit de ses affections. Et comme la conformation de la murène est semblable en beaucoup de points à celle des serpents, l'accouplement des serpents et de la murène doit avoir lieu à peu près de la même manière. Rondelet a vu en effet le mâle et la femelle entrelacés dans le moment de leur réunion la plus intime comme deux couleuvres le sont dans les circonstances analogues, et ce fait a été observé depuis par plusieurs naturalistes." (Histoire naturelle des poissons, tome 3, p. 329 et suiv.)

(130) La vipère.

(131) C'est une chose assez reconnue que le serpent s'accouple avec la murène. Cette jolie mais ridicule fable de l'accouplement de la vipère avec la murène ne trouve plus aujourd'hui personne qui daigne y ajouter foi. Les circonstances qui l'accompagnent dans le tableau que nous offre Oppien la rendent encore plus digne d'être reléguée parmi les erreurs populaires : "Muraena, dit Pline, quocumque tempore parit cum caeteri pisces stato pariant : ova ejus citissime crescunt, in sicco littore lapsas vulgus coitu serpentium impleri putat." (Liv. 9, ch. 23.)

(132) La raie aigle

(133) Le chien vorace, l'aigle de mer et tous ceux qu'on désigne sous le nom de cartilagineux, les dauphins mêmes, ces rois des poissons, et les phoques aux gros yeux font des petits vivants qui, au sortir du sein de leurs mères, ont les mêmes formes qu'elles. Les dauphins, les phoques, qui font partie des mammifères, sont les seuls réellement vivipares. Quant aux poissons cartilagineux, ils sont tous ovipares, en ce sens que leurs petits viennent tous d'un oeuf ; mais il en est quelques-uns dans ce nombre dont les oeufs éclosent dans le ventre de leur mère ; ce sont ceux de ce genre dont Oppien a raison de dire qu'ils sont en naissant semblables à leur mère : tels sont les raies, les squales, les aodons, la chimère (dans le mâle de laquelle on a remarqué un double instrument de fécondation), la syngnathe, encore ces derniers présentent-ils une particularité remarquable : leurs oeufs sortent par une déchirure qui se fait au-dessous de leur ventre et se disposent dans une espèce de canal sur des rangs plus ou moins nombreux, c'est là qu'ils sont fécondés à travers la peau très mince de ce canal, que les petits rompent lorsqu'ils éclosent.

(134) Les phoques ont aussi grand soin de leurs petits, etc. Buffon, qui faisait un cas particulier d'Oppien non seulement comme poète, mais encore comme naturaliste, puisqu'il dit de lui (tome 6 de l'Histoire des quadrupèdes) qu'une probabilité devient une certitude par le témoignage d'Oppien, s'explique ainsi sur ces animaux dans son Histoire nat. (t. 27, p. 162, édit. in-12) : "Les phoques femelles mettent bas en hiver ; elles font leurs petits à terre, sur un banc de sable, sur un rocher, sur une petite île et à quelque distance du continent ; elles se tiennent assises pour les allaiter (Quand tes veaux marins sont en mer, leurs pieds de derrière leur servent de queue pour nager, et à terre de siége quand ils donnent à téter à leurs petits. (voyage de Dampierre, t. i, p.117.) (Id. p. 119.) et les nourrissent ainsi pendant douze à quinze jours dans l'endroit où ils sont nés, après quoi la mère amène ses petits avec elle à la mer où elle leur apprend à nager et à chercher à vivre ; elle les prend sur son dos lorsqu'ils sont fatigués. 
Comme chaque portée n'est que de deux ou trois, ses soins ne sont pas fort partagés et leur éducation est bientôt achevée ; d'ailleurs ces animaux ont naturellement assez d'intelligence et beaucoup de sentiment : ils s'entendent, ils s'entre aident et se secourent mutuellement ; les petits reconnaissent leur mère au milieu d'une troupe nombreuse, ils entendent sa voix, et dès qu'elle les appelle ils arrivent à elle sans se tromper. Nous ignorons combien de temps dure la gestation ; mais à en juger par celui de l'accroissement, par la durée de la vie et aussi par la grandeur de l'animal, il paraît que ce temps doit être de plusieurs mois, et l'accroissement étant de quelques années, la durée de la vie doit être assez longue. Je suis même très porté à croire que ces animaux vivent beaucoup plus de temps qu'on n'a pu l'observer, peut-être cent ans et davantage, car on sait que les cétacés en général vivent bien plus longtemps que les animaux quadrupèdes : comme le phoque fait une nuance entre les uns et les autres, il doit participer de la nature des premiers et par conséquent vivre plus que les derniers."

(135) Elle leur donne asile dans ses flancs, etc. Je n'ai pas besoin d'avertir que ce que dit Oppien est une erreur ou tout au moins une méprise qui provient de ce que ces cartilagineux ont des plis à leur peau de dessous le ventre, à l'abri de laquelle leurs petits se réfugient dans le moment du danger, d'où ils sortent ensuite lorsqu'il a cessé. Cependant Rondelet dit la même chose de la torpille : "Elle engendre environ vers l'automne, selon Aristote, non pas des oeufs, mais des petits vifs qu'elle éclôt au dedans, lesquels quand ils ont peur les reçoit dans soi, puis les met dehors." (Partie première, liv. 12, ch. 18.)

(136) Le caranx glauque. 

(137) C'est ainsi que la race misérable de la faible aphye naît sans avoir été engendrée. On lit dans la belle histoire générale et particulière des poissons de Bloch : "Ce nom d'aphye, qui signifie sans mère, vient sûrement d'aphya, que les anciens donnaient à un petit poisson qu'ils faisaient naître de l'écume de la mer, sans le secours de la génération." (Troisième partie, p. 122.) On ne croit plus aujourd'hui à la production spontanée de ces animaux. Cette erreur assez singulière s'est pourtant accréditée jusque parmi nous, puisque Rondelet, qui a consigné dans son 7e livre (ch. 1er) l'opinion des anciens à cet égard, ne fait aucune réflexion qui décèle le moindre doute. Il est cependant certain que ces osseux viennent comme tous les autres d'un oeuf et que, se tenant dans le limon des mers, ils se montrent et paraissent naître lorsque les eaux ébranlées par la tempête jusqu'en leurs fondements en entraînent la vase et ces poissons qui y vivaient. Il en est de même des huîtres : bien loin qu'on ne distingue dans ces mollusques aucun sexe, comme le dit Oppien, on reconnaît au contraire les deus sexes dans le même individu; en sorte que ces animaux sont hermaphrodites. Leurs seuls, ainsi que nous l'apprend le savant auteur de l'Anatomie comparée, M. Cuvier, sont situés derrière le foie ; ils sont quelquefois abreuvés par une humeur qui paraît de la semence, laquelle est secrétée dans un certain temps : cette disposition est nécessaire puisque l'huître ne peut se remuer et par conséquent ne peut aller chercher un autre individu peur s'accoupler. Ce savant a vu dans les moules, et il pense que ce doit être la même chose dans les huîtres, que lorsque les oeufs ont été fécondés ils descendent et se placent entre les deux lames qui forment chaque branchie. Il les a vus plusieurs fois, en examinant les moules au microscope, dans celle même place. II a distingué dans chaque oeuf un petit moule vivant et remuant déjà ses valves, ce qui prouve évidemment que ces animaux sont ovovipares. ( Voyez sur ces animaux le superbe ouvrage de Regenfus, et ceux de Knorr, notamment celui qui a pour titre les Délices des yeux et de l'esprit.)