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   OPPIEN

introduction la chasse la pêche I  la pêche II la pêche III  la pêche IV

 

OEUVRES D'OPPIEN

TRADUITES PAR M. BELIN DE BALLU.

PRÉFACE.

Parmi les chefs-d'œuvre poétiques de l'antiquité échappés au naufrage des lettres et à la méchanceté des hommes, il en est peu qui méritent autant notre estime que les ouvrages d'Oppien. Ce poète, par le choix de sa matière, par le style agréable et nombreux dont il a su l'embellir, par la richesse et la variété des descriptions répandues dans ses deux poèmes, obtient sans peine un rang distingué sur le Parnasse des Grecs. II est étonnant sans doute, qu'un pareil écrivain soit resté si longtemps dans une espèce d'oubli et qu'on ne se soit pas empressé de le traduire. On ne doit l'attribuer qu'à l'indifférence générale que l'on témoigne aujourd'hui pour la langue grecque, ou plutôt à l'état d'altération où le texte de cet auteur se trouvait dans les différentes éditions. Une foule de passages offraient un sens défectueux ou n'en offraient aucun, et il était nécessaire de les rétablir avant de les interpréter. Telle fut en effet la première difficulté que j'éprouvai, lorsque j'entrepris ce travail. Je n'avais conçu d'autre projet que celui d'essayer de transmettre dans notre langue quelques-unes des images brillantes dont les poèmes d'Oppien sont remplis ; mais bientôt arrêté presque dès le commencement de mon entreprise, je me vis obligé de travailler à une édition nouvelle de ce poète. Heureusement j'ai trouvé dans les manuscrits de la bibliothèque du roi, dans ceux de Venise et du Vatican, des secours abondants qui m'ont mis en état de publier le poème de la Chasse beaucoup plus correct, qu'on ne l'avait eu jusqu'à présent. C'est d'après cette édition qui a paru à Strasbourg en 1786 que je donne aujourd'hui cette traduction.
Il est naturel, en lisant les ouvrages d'un auteur, de chercher à connaître les différents événements de sa vie, le temps auquel il a fleuri et la patrie qui s'honore de lui avoir donné le jour. Nous ne savons malheureusement que peu de détails sur la vie d'Oppien. Un grammairien anonyme et Constantin Manassès, qui vivait à Constantinople vers le douzième siècle sont les seuls qui nous aient transmis quelques faits intéressants sur ce poète.
Oppien naquit vers la fin du règne de Marc-Aurèle, à Anazarbe, ville capitale de la Cilicie. Son père se nommait Agésilas et sa mère Zénodote. Agésilas était un des membres les plus distingués du Sénat d'Anazarbe, moins encore par sa naissance que par son amour pour les lettres et pour la philosophie. Il destina de bonne heure son fils à cultiver ces belles connaissances, et déjà le jeune Oppien avait parcouru le cercle des sciences que les Grecs appellent Encyclopédie, lorsqu'un malheur subit détruisit sa fortune et précipita son père dans l'indigence. L'empereur Septime-Sévère, monté depuis peu sur le trône qu'il avait conquis, vint à Anazarbe ; tous les sénateurs s'empressèrent d'aller au-devant de lui et de porter leurs hommages au nouveau souverain. Le seul Agésilas négligea ce devoir que les circonstances semblaient lui prescrire. L'empereur irrité de cette indifférence, qu'il regardait peut-être comme un reproche secret fait à son usurpation, dépouilla Agésilas de tous ses biens et l'exila dans l'île de Mélite, située dans la mer Adriatique (on l'appelle aujourd'hui Meleda). Oppien aimait trop son père pour ne pas partager volontairement son infortune. Il se condamna lui-même à l'exil. Ce fut dans cette retraite qu'il conçut et exécuta ses poèmes de la Chasse et de la Pêche. Il vint à Rome, et il les offrit à Sévère et à son fils Antonin Caracalla, qui se plaisaient à ces différents exercices. Cet hommage du poète fut si favorablement reçu, qu'après avoir entendu la lecture de ces poèmes, l'empereur lui ordonna de souhaiter tout ce qu'il lui plairait. Ce fils tendre et reconnaissant ne demanda que la grâce de son père. Elle lui fut aussitôt accordée, et pour récompenser sa piété filiale aussi bien que ses talents, Sévère fit donner à Oppien une statère d'or pour chacun de ses vers, lesquels, suivant Suidas, se montaient à vingt mille.
Oppien ne jouit pas longtemps de sa gloire et de sa prospérité. A peine était-il de retour dans sa patrie, qu'une peste affreuse ravagea la ville d'Anazarbe et moissonna notre poète à la fleur de son âge. II n'avait guère alors plus de trente ans. Ses concitoyens l'honorèrent de leurs regrets et lui élevèrent un tombeau magnifique, sur lequel ils placèrent sa statue avec une inscription en vers dont voici le sens : "Je suis Oppien, j'ai acquis une gloire immortelle. La Parque jalouse et le cruel Pluton ont ravi à la fleur de son âge l'interprète des Muses. Si j'avais vécu plus longtemps, et si le sort jaloux m'eût laissé sur la terre, aucun mortel n'eût atteint à ma renommée."
Les ouvrages d'Oppien étaient nombreux pour le peu de temps qu'il a vécu. II avait composé, dit Suidas, un poème sur la Pêche en cinq chants, un autre sur la Chasse en quatre chants, un troisième sur la manière de prendre les oiseaux. A ces ouvrages, Manassès et l'auteur anonyme qui a écrit la vie d'Oppien, ajoutent différentes poésies admirables, que je soupçonne être des odes et des dithyrambes, d'après le vers 27 du 1er chant de la Chasse.
De tous ces ouvrages, il ne nous reste plus aujourd'hui que le poème de la Chasse : encore le quatrième chant de ce dernier est-il incomplet et le cinquième totalement perdu ; car ce poème était, comme celui de la Pêche, divisé en cinq chants. Ils existaient du temps de l'anonyme, mais le dernier était déjà perdu du temps de Suidas. Les Ixeutiques ou la Chasse aux oiseaux, n'existent plus depuis longtemps. Le sophiste Eutechnius nous a laissé une paraphrase en prose d'un poème intitulé Ixeutica. On croit assez communément que c'est celui d'Oppien ; mais Eutechnius lui-même déclare à la fin de sa paraphrase, que ce sont les Ixeutiques de Dionysius qu'il a traduites en prose. Or ce Dionysius ne peut être que celui de Samos, qui, selon le témoignage d'Eusthate dans la préface de son Commentaire sur Denis Périégete, avait écrit un poème sur cette matière, en vers durs et presque barbares.
La perte des écries d'Oppien est d'autant plus digne de nos regrets, que ceux qui sont parvenus jusqu'à nous lui ont mérité des éloges distingués. Tous les critiques anciens et modernes lui donnent les épithètes les plus glorieuses. Jean Tzetzès, dans les vers qu'il a mis à la tête de ses scholies sur le poème de la Pêche, appelle Oppien un océan de grâces. Manassés, dans les vers politiques que nous avons publiés à la tête de notre édition, ne donne pas de moindres louanges à ce poète. J. C. Scaliger, ch, 9, lin. 5 de sa Poétique, trouve Oppien si sublime et si nombreux qu'il le regarde comme le seul des Grecs qui ait atteint à l'élégance de Virgile. Et l'on sait quelle était la passion de Scaliger pour le poète latin. Casp. Barthius, un des plus savants hommes du dernier siècle, n'a pas fait difficulté d'appeler Oppien, le plus fleuri des poètes grecs. Que dirai-je de Conrad Gesner, écrivain aussi distingué par son mérite littéraire que par ses vastes connaissances en histoire naturelle ? Il s'appuie presque à chaque pas du témoignage d'Oppien. L'illustre M. de Buffon cite souvent notre poète et toujours avec éloges ; il va jusqu'à dire, tome VI de l'histoire des quadrupèdes, qu'une probabilité devient une certitude par le témoignage d'Oppien.
Le poème de la Chasse n'a encore été traduit en entier qu'une seule fois, et en vers, par Florent Chrétien, précepteur d'Henri quatre. Chrétien était fort savant en grec et en hébreu ; sa traduction ne manque pas de fidélité ; il parait avoir travaillé sur l'édition d'Alde, fort défectueuse et dans laquelle il manque plusieurs vers. D'ailleurs la langue française était alors bien éloignée de ce degré de perfection, de celte clarté, de cette élégance, qui lui ont mérité l'estime de foules les nations de l'Europe et qui la font considérer comme la langue universelle, plutôt que comme celle d'un seul peuple. La poésie de Chrétien est faible même pour son siècle. Celle traduction parut en 1575 sous ce titre : Les quatre livres de la Vénerie d'Oppian, poëte grec d'Anazarbe ; à Paris, de l'imprimerie de R. Étienne, par Mamest Palisson. M. D. LXXV. Ce livre est devenu fort rare.
Environ cent ans après, un anonyme traduisit en prose les deux derniers chants de ce poème, pour servir de suite au traité de la Chasse d'Arrien. Cette traduction qui fourmille de contresens, écrite d'un style presque barbare, annonce que son auteur n'avait qu'une très faible connaissance de la langue grecque. L'abbé Goujet, en parlant de cette traduction dans sa Bibliothèque française; l'attribue à Défermat, conseiller au Parlement de Toulouse, habile mathématicien. La seule preuve sur laquelle ce bibliographe se fonde est que l'exemplaire qu'il a vu à la bibliothèque du roi portait le nom de Défermat, écrit sur le titre. II eût été plus naturel d'en conclure que ce livre avait appartenu à celui dont il porte le nom. Celle traduction parut à la suite de celle d'Arrien, chez David Hortemels en 1690. Depuis, Oppien n'a point été traduit en français, et le poème de la Pêche n'a jamais paru en cette langue. Nous le publierons incessamment.
Les Italiens qui ont traduit avec succès tous les poètes grecs n'ont pas oublié le nôtre. L'abbé Antonio Maria Salvini, si célèbre en ce genre, publia les deux poèmes d'Oppien à Florence 1728. Sa traduction en vers italiens de huit syllabe est très fidèle. Il l'a enrichie de quelques notes. On assure que les Anglais ont aussi traduit Oppien en leur langue ; mais quelques recherches que j'aie faites, je n'ai pu me procurer celle traduction anglaise. 


BELIN DE BALLU.