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OPPIEN

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LA CHASSE

POÈME

CHANT QUATRIÈME.

Telles sont les diverses espèces d'animaux sauvages et les caresses conjugales auxquelles ils se livrent, dans le sein des forêts. Telles sont leurs amitiés, leurs haines, leurs combats terribles et leurs retraites accoutumées. Chantons à présent le travail immense des infatigables humains, leur intrépidité jointe à des ruses ingénieuses. C'est avec un cœur muni tout à la fois de courage et d'industrie que l'on attaque les espèces cruelles auxquelles la nature a donné la force en partage et un instinct qui le cède de bien peu à l'esprit inventif des chasseurs.
La chasse, ce noble exercice qui demande un grand nombre de filets, se fait de différentes manières : les unes conviennent à certains, animaux, d'autres sont propres à certaines nations, d'autres ne s'emploient que dans des précipices et des terrains inégaux ; enfin elles sont infinies. Quel génie pourrait seul les embrasser toutes et les chanter dignement d'une voix harmonieuse ? II n'y a que les dieux dont le vaste regard puisse tout contempler sans peine. Pour moi je chanterai ce dont mes yeux m'ont rendu témoin lorsque j'allais dans les bois recueillir les nobles présents de la chasse et ce que m'ont appris les hommes qui s'appliquent à pénétrer les plus secrets mystères de cet art agréable : je veux les chanter au fils de notre Jupiter. (1) Et toi, chaste déesse, souveraine des chasseurs, viens avec bonté faire entendre ta voix à l'oreille attentive de ce jeune prince, afin qu'instruit par tes leçons des préceptes de ton art, il trouve son bonheur à terrasser de ses  mains victorieuses les animaux sauvages et qu'il se plaise de m'entendre chanter leur trépas.
Parmi ces animaux les uns sont doués d'un instinct fécond en ruses, mais ils n'ont pas la force du corps en partage ; d'autres, au contraire, sont robustes et courageux, mais leur intelligence est bornée. Il en est aussi qui, privés tout à la fois de vigueur et de courage, n'ont de ressource que dans la promptitude de leurs pieds ; d'autres enfin ont tout reçu des dieux, instinct, courage et vitesse. Chacun d'eux connaît (2) les avantages qu'il tient de la nature et ce qui le rend faible ou redoutable. Le cerf ne met point sa confiance en ses cornes, celles du taureau le rendent audacieux : la force de l'oryx ne réside pas dans sa gueule, et c'est par là que le lion est terrible ; le rhinocéros se fie peu à la légèreté de ses pieds, et c'est dans la rapidité des siens que le lièvre trouve son salut. La panthère sait quel poison funeste recèlent ses ongles acérés. La brebis sauvage n'ignore pas l'impénétrable dureté de son front de marbre, et le sanglier connaît la force extrême de ses défenses.

Je célébrerai séparément les pièges (3) que les chasseurs intrépides vont seuls dresser sur les rochers, les précautions qu'ils prennent et les chasses particulières que l'on fait de chaque animal ; mais je réunirai dans mes chants celles qui se font en commun. C'est ainsi que l'on tend les toiles et les rets, que l'on poursuit à l'aide des coursiers et des chiens agiles les bêtes qui fuient avec vitesse. Quelquefois aussi on les chasse avec les seuls coursiers sans le secours des chiens ; ces coursiers, nourris en Libye ou dans la Mauritanie, (4) ne sont point retenus par le frein que gouverne une main vigoureuse ; un faible osier les fait obéir et les guide au gré du cavalier ; ceux qui les montent pleins de confiance en leur vitesse laissent loin d'eux les chiens, et sans aucun secours chassent, exposés à l'ardeur du soleil. On se réunit encore pour attaquer à coups de javelots et de flèches les animaux belliqueux qui combattent les hommes.
De l'art de tendre les toiles dépend tout le succès de la chasse (5) : il faut observer le vent et éviter son souffle (6). Les nautoniers pour conduire un vaisseau se tiennent assis à la poupe ; le gouvernail en main, ils examinent le vent, et, se confiant au Notus, qui fait blanchir les flots, ils étendent les voiles et déploient tous les agrès. Tels je veux que sur la terre les chasseurs observent de quel côté porte le souffle de l'air afin de placer les toiles et de diriger contre son cours leur poursuite accompagnée de cris. Les bêtes sauvages ont l'odorat subtil, et lorsqu'elles sont frappées de l'odeur des fourches ou de la toile étendue, elles fuient du côté opposé ; souvent elles viennent à la rencontre des chasseurs et rendent leurs travaux inutiles (7). Que ceux qui veulent donner le trépas aux bêtes fauves observent donc le vent et placent contre sa direction les toiles et les fourches qui les suspendent, qu'ils poursuivent ensuite les animaux en marchant vers le midi si Borée purifie les cieux par son souffle violent, vers le nord si le Notus excite les sombres tempêtes ; quand l'Eurus règne, courez vers le Zéphire, et quand c'est celui-ci, portez vos pas vers l'Eurus.
Connaissez premièrement la chasse illustre des lions et le courage intrépide des humains. On commence par aller reconnaître les lieux où sont situées les cavernes habitées par le lion rugissant, la terreur des troupeaux et des bergers, et quand on a vu le vaste sentier où s'imprime la trace de ses pas et par lequel il descend dans le fleuve pour éteindre sa soif brûlante, alors on creuse en cet endroit une fosse circulaire, large et profonde, au milieu de laquelle on construit une colonne élevée. À son sommet est suspendu un jeune agneau qu'on ravit à la tendre mère qui vient de lui donner le jour. Le contour extérieur de la fosse est environné d'un épais buisson affermi par des pierres amoncelées, afin de dérober au lion lorsqu'il s'approchera la vue de ce gouffre insidieux ; cependant l'agneau, qui regrette la mamelle de sa mère, l'appelle par ses bêlements, dont le son va frapper le cœur du lion affamé ; il accourt aussitôt plein de joie, guidé par les gémissements ; il s'empresse, ses regards enflammés cherchent de tous côtés, bientôt il approche du piège, il en fait le tour, et la faim excitant son audace, il franchit le buisson et tombe dans le gouffre immense. D'abord il ne s'aperçoit pas qu'il s'est précipité dans un abîme sans issue (8) ; il en fait le tour avec impétuosité, revient sur ses pas, s'élance pour en sortir. Tel un rapide coursier accoutumé à remporter le prix, s'élance en doublant la borne, lorsqu'il se sent pressé par le frein et la main de son conducteur. Cependant les chasseurs placés sur une éminence ont observé le lion ; ils accourent à l'instant et font descendre dans la fosse une cage (9) solide, suspendue à de fortes courroies. Pour y attirer l'animal, ils y renferment un morceau de chair qu'ils ont exposé à l'ardeur de la flamme. Le lion, qui croit sortir du gouffre, s'élance avec joie dans la cage ; alors tout espoir de liberté est perdu pour lui. Voilà de quelle manière se fait la chasse du lion dans les sables de la Libye.
Mais sur les rives de l'Euphrate on dresse à combattre ces animaux des coursiers aux yeux pers, au cœur magnanime, rapides à la course, intrépides dans les dangers. Seuls ils soutiennent le rugissement du lion, tandis que tous les autres tremblent à son aspect, baissent les yeux et n'osent soutenir les regards enflammés de leur roi : nous l'avons déjà dit en chantant les coursiers. Cependant quelques chasseurs à pied étendent un rempart de toiles et établissent les filets sur des fourches. Les deux extrémités de ce rempart ne doivent s'approcher qu'autant que les pointes du croissant nouveau s'inclinent l'une vers l'autre. Trois chasseurs se placent en embuscade auprès des toiles, l'un occupe le milieu, les deux autres se tiennent aux extrémités, assez près du premier pour entendre sa voix s'il venait à crier. Le reste des chasseurs se range en bataillon ; chacun d'eux tient de la main droite une torche enflammée, et de la gauche un bouclier dont le bruit formidable inspire la terreur aux sauvages habitants des forêts. Le lion redoute surtout le brillant de la flamme (10) et ne peut d'un œil fixe en soutenir la vivacité. Si quelques-uns de ces animaux courageux viennent à paraître, tous les cavaliers réunis le poursuivent, ceux des chasseurs qui sont à pied suivent en frappant sur leurs boucliers et font retentir les airs de leurs cris. Saisis d'effroi, les lions n'osent les attendre, ils fuient à pas précipités, le désespoir dans le cœur (11), et, sans vouloir se défendre. Par une semblable ruse les pêcheurs (12) conduisent pendant la nuit les poissons sur leurs filets en portant sur leurs barques des flambeaux allumés ; à la vue de cette lumière brillante les poissons fuient épouvantés. C'est ainsi que ces rois des animaux effrayés par le bruit des chasseurs et l'éclat des flambeaux ferment les yeux et viennent se précipiter d'eux-mêmes dans les filets.
Une troisième espèce de chasse fort surprenante et qui demande des forces infatigables est en usage chez les Éthiopiens. Quatre hommes robustes et pleins de confiance en leur vigueur l'exécutent de cette manière. Ils fabriquent avec des osiers fortement entrelacés d'épais boucliers arrondis par les côtés, et recouverts de peaux de bœuf séchées au soleil : c'est le rempart qu'ils opposent aux ongles terribles et à la gueule du lion. Leur corps est entièrement revêtu de toisons de brebis, et ceint par d'épaisses courroies pressées les unes contre les autres ; un casque couvre toute leur tête ; on ne leur voit que le nez, la bouche et les yeux. Bientôt ils marchent ensemble, et faisant résonner l'air sous le bruit éclatant des fouets dont ils sont armés, ils vont à la rencontre du farouche lion. Celui-ci ne tarde pas à quitter sa caverne ; il accourt plein de fureur, ouvre une gueule effroyable et menaçante ; ses yeux étincelants font jaillir de longs traits de feu. Sa colère s'allume, il pousse des rugissements semblables au bruit affreux du tonnerre.
Lorsque le Gange aux portes de l'aurore abandonne les plaines de l'Inde et les peuples de Maryandie (13), qu'il roule en grondant ses flots impétueux grossis du cours de vingt fleuves différents et se précipite du haut des rochers pour inonder un immense rivage, il pousse des mugissements moins affreux que n'est le bruit épouvantable dont le lion rugissant fait alors retentir les vallées et les forêts. Impétueux comme la tempête, il s'élance sur les chasseurs qui bravent sa colère, soutiennent sans être ébranlés cet assaut furieux ; des ongles et des dents il cherche à déchirer le premier qu'il saisit. À l'instant un de ces jeunes gens intrépides le frappe par derrière en poussant de grands cris, et provoque sa fureur. Le lion se retourne, abandonne celui qu'il avait saisi de sa gueule cruelle. Un autre vient encore l'exciter contre lui : ces chasseurs intrépides le fatiguent tour à tour par leurs fréquentes attaques, pleins de confiance en leurs boucliers, défendus par les peaux et les courroies dont ils sont revêtus, et que les dents du lion ni ses ongles de fer ne peuvent entamer. Enfin ce monstre furieux épuise ses forces par ses continuels efforts ; s'il quitte l'un, il s'élance sur l'autre et l'enlève de terre, puis il fond avec impétuosité sur un troisième.
Tel au fort d'une mêlée, lorsqu'un vaillant guerrier se voit enveloppé par une phalange ennemie, animé d'une fureur martiale, il vole de tous côtés, il agite d'un bras vigoureux sa lance meurtrière. Mais enfin accablé par le nombre de ses ennemis qui fondent sur lui tous à la fois, il tombe sur la terre frappé d'une grêle de traits qui font résonner l'air de leurs longs sifflements. C'est ainsi que le lion dont les forces sont épuisées par d'inutiles efforts cède enfin la victoire aux chasseurs. Son écume sanglante ruisselle sur la terre ; honteux d'être vaincu, il baisse tristement les yeux.
Un athlète qui dans les combats du ceste s'est souvent couronné d'olivier, s'il se sent accablé sous les coups redoublés que lui porte un redoutable adversaire, tient ferme quelques instants malgré les flots de sang qui jaillissent de ses blessures ; il chancelle, sa tête se balance, on dirait que l'ivresse a troublé sa raison ; bientôt ses genoux fléchissent, il tombe étendu sur l'arène : tel le lion étend sur le sable ses membres fatigués. C'est alors que les chasseurs, redoublant leurs efforts, fondent tous à la fois sur lui et enchaînent dans de solides liens cet animal qui, loin de chercher à se défendre, est couché sans mouvement. Quelle est l'intrépidité de ces hommes ! Quelle entreprise hardie ils exécutent ! Ce monstre terrible, ils l'enlèvent comme un timide agneau.
C'est encore en creusant des fosses et par des ruses semblables que l'on prend les thos cruels et que l'on trompe les diverses espèces de panthères. Mais ces fosses sont beaucoup plus petites ; la colonne que l'on dresse au milieu n'est point de pierres ; on taille à cet effet le tronc d'un chêne, et au lieu d'un chevreau on y suspend un chien auquel on serre fortement les testicules avec une étroite courroie ; la douleur qui le tourmente lui fait pousser des hurlements aigus ; ils se font entendre de la panthère et portent la joie dans son cœur. Aussitôt elle accourt du fond des bois. Ainsi les pêcheurs placent une amorce trompeuse au fond de leurs filets tissus d'osier de Salamine, soit un polype, soit une écrevisse qu'ils présentent auparavant à l'ardeur de la flamme ; l'odeur s'en répand sur les prochains rivages, elle attire les poissons, qui courent au-devant du trépas et vont se précipiter eux-mêmes dans la nasse dont ils ne pourront plus sortir. De même la panthère du plus loin qu'elle entend les cris du chien accourt, s'élance sans se douter du piège trompeur, et tombe dans le gouffre pour avoir obéi aux désirs de son estomac.
La liqueur de Bacchus triomphe aussi des panthères, et les chasseurs leur versent cette boisson perfide, sans craindre le courroux du dieu qui nous l'a donnée.
Les panthères sont aujourd'hui des animaux féroces, autrefois c'étaient des femmes charmantes ; vouées au culte de Bacchus (14), elles célébraient ses fêtes triennales, buvaient sa liqueur à longs traits, se couronnaient de pampre et de guirlandes de fleurs ; elles élevèrent ce dieu, père de la joie et de la danse. La fille d'Agénor, Ino, nourrit Bacchus (15) en son enfance, et présenta au fils de Jupiter sa mamelle d'où le lait jaillissait pour la première fois. Agavé et Autonoé partagèrent ses soins maternels ; ce ne fut point dans le palais du cruel Athamas, mais sur une montagne que les mortels appelaient alors Méros (16). Et pour se dérober à la colère de la puissante Junon et aux fureurs du roi Panthée, fils d'Échion, elles enfermèrent le divin enfant dans un coffre de sapin qu'elles couvrirent de peaux de cerf et couronnèrent de pampre. Elles le déposèrent ensuite dans un antre, formèrent des danses mystérieuses autour de ce jeune dieu, et par le bruit des tambours et des cymbales qui résonnaient dans leurs mains, elles couvraient ses cris. Ce fut autour de ce coffre caché qu'elles célébrèrent les premières orgies. Bientôt les femmes d'Aonie furent secrètement initiées par elles à ces mystères, et lorsque ces nourrices de Bacchus résolurent de quitter la montagne et de sortir de la Béotie, elles firent assembler leurs fidèles amies. Déjà les temps étaient arrivés où la terre auparavant inculte et sauvage devait se couronner de pampre par les bienfaits du dieu qui fait oublier les chagrins. Le chœur sacré de ces prêtresses enlève le coffre mystérieux, le pose sur le dos d'un âne, et dirige ses pas vers les bords de l'Euripe ; là elles trouvent un vieillard et ses enfants occupés à pêcher ; elles l'environnent et le prient de leur faire passer l'onde. Pénétré d'un saint respect à la vue de ces femmes, il les reçoit dans sa nacelle ; aussitôt le smilax (17) couvre de sa verdure les bancs des rameurs ; le pampre et le lierre couronnent la proue de leurs guirlandes fleuries, et les pêcheurs, frappés d'une terreur religieuse, se seraient précipités dans les eaux si la barque n'eût au même instant touché la rive. Arrivées en Eubée, les nourrices de Bacchus firent déposer le dieu chez Aristée ; il habitait un antre creusé sur la cime d'une montagne ; les rustiques humains devaient à son industrie mille inventions utiles pour la vie ; c'est lui qui le premier leur apprit à faire paître les troupeaux (18), le premier il pressa les fruits onctueux de l'olivier sauvage, fit cailler le lait et renferma dans des ruches les essaims des abeilles qu'il recueillait sur les chênes. Il reçut le jeune Bacchus des mains d'Ino, qui le tira du coffre, et il le nourrit dans son antre. Ses soins furent secondés par les Dryades et par les Nymphes qui chérissent les abeilles, par les jeunes filles de l'Eubée et les femmes d'Aonie. Déjà Bacchus adolescent jouait avec les jeunes gens de son âge : d'un bâton qu'il avait coupé (19), il frappait les rochers, qui sous ses coups faisaient jaillir des ruisseaux de vin pur ; d'autres fois il égorgeait des brebis, les dépouillait de leur toison, les coupait en morceaux et les jetait sans vie sur la terre, puis il rejoignait exactement leurs membres ; elles ressuscitaient à l'instant et paissaient l'herbe fleurie. Bientôt il songea à célébrer ses mystères. Les présents du fils de Thyonée furent répandus sur toute la terre, et partout où ce dieu portait ses pas, il signalait sa puissance aux yeux des mortels. Il vint enfin à Thèbes : toutes les filles de Cadmus accoururent au-devant de ce fils du tonnerre. Penthée seul est assez insensé pour vouloir charger de chaînes les mains de ce dieu qu'aucun lien ne saurait captiver ; il ose même, sans respect pour les cheveux blancs de Cadmus, insensible aux prières d'Agavée, prosternée à ses pieds, il ose menacer Bacchus de le déchirer de ses mains cruelles ; il commande à ses compagnons impies d'entraîner le fils de Jupiter et de l'enfermer. Lui-même poursuit le chœur des Bacchantes. Les gardes de Penthée et tous les Thébains voudraient voir traîner dans les prisons le dieu du vin chargé de fers ; mais les chaînes ne le touchèrent point. Cependant l'effroi glace le cœur des initiés, ils jettent à terre les couronnes qui ceignaient leur front et les thyrses dont leurs mains étaient armées. Les Bacchantes, baignées de larmes, s'écrient : "Dieu puissant, ô Bacchus ! Allume la foudre de ton père (20), fais trembler la terre et punis au plus tôt ce tyran impie. Fils du tonnerre ! change ce Penthée dont le nom est funeste (21), en un taureau errant sur les montagnes ; change-nous aussi en bêtes cruelles, armées d'ongles terribles, afin que nous puissions le déchirer d'une gueule affamée." Tels furent leurs vœux : le dieu qui règne à Nysse les entend ; il fait aussitôt un taureau de Penthée, enflamme ses yeux d'une farouche ardeur, prolonge son col et fait croître deux cornes sur son large front. Il métamorphose aussi ses Bacchantes en bêtes farouches, leur donne des yeux étincelants, les arme de dents terribles et peint leur dos des couleurs qui brillent sur celui des faons. Perdant leur première beauté, ces femmes changées en panthères par la puissance du dieu déchirent Penthée sur les rochers. On doit croire ses mystères tels que nous les chantons. Loin d'ici ces crimes atroces commis dans les vallées du Cythéron par quelques femmes impies, étrangères à Bacchus, et que les poètes célèbrent dans leurs chants imposteurs comme les nourrices de ce dieu.
Disons maintenant quelle ruse un chasseur aidé de ses compagnons met en œuvre contre les panthères passionnées pour le vin. Aux plaines sablonneuses de la Libye on choisit dans un terrain vaste mais aride une source peu abondante, dont l'eau noire coule imperceptiblement et goutte à goutte, ne s'épand pas au loin, ne forme aucun murmure, et qui ne sortant, qu'avec peine, semble demeurer immobile et séjourner sur le sable. C'est là qu'au lever de l'aurore les farouches panthères viennent se désaltérer. Les chasseurs y transportent pendant la nuit vingt amphores d'un vin excellent et qui compte sa onzième année depuis que le vigneron l'a foulé sur le pressoir. Ils mêlent ce vin pur à l'eau de la source, s'éloignent et vont se coucher à peu de distance, ayant soin de s'envelopper de peaux de chèvres ou de leurs toiles mêmes, car on ne saurait trouver d'abri ni dans le creux des rochers ni dans les bois touffus ; toute cette contrée est une plaine unie, où l'on ne rencontre aucun arbre. Bientôt la soif et l'odeur agréable du vin attirent les panthères frappées des rayons brûlants du soleil ; elles approchent de la source et boivent avec avidité la liqueur de Bacchus. Aussitôt on les voit bondir et courir les unes après les autres comme de jeunes filles qui forment un chœur de danse. Leur démarche devient ensuite plus pesante ; insensiblement elles penchent la tête, et tombent enfin vaincues par le sommeil. Tels dans un festin des jeunes gens dont un léger duvet ombrage encore le menton font couler les flots de vin pur, chantent joyeusement et s'invitent à boire à longs traits en élevant réciproquement la coupe. Le repos succède enfin à ce tumulte bachique, et la force du vin, accablant leurs esprits et leurs yeux, les renverse l'un sur l'autre. De même les panthères couchées en désordre deviennent aisément la proie des chasseurs.
Les habitants de l'Arménie, fameux par leur adresse à tirer de l'arc, et ceux des rivages du Tigre ont inventé contre les ours une chasse célèbre et qui l'emporte sur toute autre. Une troupe nombreuse de chasseurs pénètre dans le fond des bois les plus épais, où les plus expérimentés cherchent la piste de ces funestes animaux, guidés par les limiers qu'ils tiennent en laisse. Lorsque les chiens découvrent l'empreinte des pas d'un ours, ils la suivent et dirigent par leur flair la marche des chasseurs ; si quelque trace plus fraîche vient à frapper leurs sens, ils s'élancent aussitôt pleins de joie sur cette piste nouvelle et oublient la première. Mais lorsque après bien des circuits ils sont parvenus au terme de leurs recherches et qu'ils ont trouvé le fort où l'animal repose, le limier se précipite et veut échapper à la main du chasseur ; il fait éclater sa joie par ses aboiements douloureux. Telle on voit au printemps une jeune bergère errer pieds nus sur les montagnes où elle cherche des fleurs : si quelque suave odeur lui annonce de loin l'agréable violette, elle en ressent un plaisir extrême, et dans la joie dont son cœur est possédé, elle porte ses pas de tous côtés, sans éprouver de lassitude, forme de ces fleurs une couronne, la pose sur sa tête et revient en chantant à la demeure rustique de ses parents. Telle est la joie du limier courageux. Mais malgré les efforts qu'il fait pour échapper à la main du chasseur, celui-ci le retient par sa courroie, et retournant sur ses pas, revient trouver ses compagnons, leur indique le bois où il a laissé le féroce animal. On s'empresse à l'instant de planter les fourches solides, on déploie les filets entre lesquels on dépose les rets. Aux deux extrémités on place deux hommes sous des branches de frêne entrelacées, et depuis ces extrémités, où sont ces jeunes gens qui gardent l'entrée des filets, on tend à gauche une longue corde peu élevée au-dessus de la terre, mais assez pour qu'elle vienne au nombril de l'homme. On attache à cette corde des rubans de toutes couleurs (22), dont l'éclat effraie les bêtes sauvages ; on y suspend mille plumes brillantes de divers oiseaux, des ailes de vautours, de cygnes, de cigognes. À droite on place une embuscade cachée sous la feuillée ; l'on construit à la hâte en cet endroit avec des branches vertes des cabanes peu distantes l'une de l'autre, et l'on y cache quatre hommes dont le corps est entièrement revêtu de feuillage.
Quand tout est disposé comme il convient, la trompette fait entendre ses sons effrayants, l'ours sort avec impétuosité du bois, pousse des hurlements et lance des regards terribles. Alors tous les chasseurs se mettent en marche, et rangés en phalange viennent des deux cotés, en jetant de grands cris, à la rencontre de l'animal, qui, pour éviter le bruit et les chasseurs, s'élance avec vitesse vers les lieux où la plaine lui paraît le plus libre. Mais de ce côté on le poursuit aussi avec un bruit et des cris redoublés ; on le pousse vers la corde hérissée de plumes, vers cet épouvantail de diverses couleurs. L'ours, saisi d'un violent chagrin, ne sachant où fuir, se porte avec effroi de tous côtés, il redoute à la fois l'embuscade, le son de la trompette, le tumulte et les cris des chasseurs et l'épouvantail, car le souffle du vent fait mouvoir les rubans qui y sont suspendus ; les plumes agitées font entendre un sifflement aigu. L'ours, après avoir porté de tous cotés ses regards effrayés, vient se précipiter dans les filets : aussitôt les hommes placés à leur extrémité sortent de leur embuscade, se hâtent de tirer le péridrome et replient le filet sur lui-même en lui faisant faire plusieurs tours, car les ours travaillent alors avec fureur de leur gueule et de leurs pattes redoutables. Souvent ils échappent aux chasseurs en rompant les filets, et rendent la chasse inutile. Mais un homme robuste en lui liant la patte droite le prive de toute sa force. Il la lie adroitement et l'attache à un morceau de bois, puis il enferme dans une cage de bois de chêne et de sapin cet animal encore enveloppé dans les filets. 
C'est en descendant des rochers et des montagnes qu'il faut poursuivre la race légère des lièvres et des lapins, et les écarter soigneusement des lieux qui vont en montant. Dés que ces animaux aperçoivent les chiens et les chasseurs, ils gagnent les collines, parce qu'ils savent que leurs pieds de devant sont plus courts que les autres ; voilà pourquoi les collines sont plus aisées à gravir aux lapins et plus difficiles aux cavaliers. Éloignez-les encore des sentiers battus, et poussez-les dans les terres labourées, car ils courent avec plus de vitesse et sautent avec plus de légèreté dans les chemins, au lieu que dans les terres soulevées par la charrue, leurs pieds se fatiguent même durant l'été, et pendant l'hiver ils y prennent une chaussure qui leur devient funeste.
Si vous poursuivez un chevreuil, prenez garde qu'après une longue course et lorsque vous croyez toucher à la fin de vos travaux, il ne s'arrête quelques instants pour lâcher son urine. Les chevreuils sont ordinairement sujets à éprouver un gonflement dans la vessie, causé par les eaux qu'ils ne peuvent évacuer ; alors ils sentent dans leurs flancs un poids qui les retarde et les fait tomber sur les reins. Mais s'ils peuvent respirer un moment, ils reprennent leur force et leur vitesse, et fuient d'un pied plus agile quand ils ont allégé leurs entrailles.
On ne prend le renard ni dans les filets ni dans les toiles : son instinct les lui fait reconnaître. Adroit à couper les cordes avec ses dents, à délier les mailles, il sait échapper au trépas par ses subterfuges multiples. Cependant les chiens en réunissant leurs efforts viennent à bout de le prendre ; mais quelque vigoureux qu'ils soient, ce n'est pas sans répandre du sang qu'ils remportent la victoire.....

(Le reste est perdu.)

CHANT QUATRIÈME.

(1) Au fils de notre Jupiter. Le texte porte : "Au fils de Sévère notre Jupiter." C'est ainsi qu'au commencement du poème, il appelle Sévère le Jupiter de l'Ausonie.

(2) Chacun d'eux connaît. "Chaque animal, dit Porphyre (De abstin., livre 3, § 9, p. 223), connaît ce qui fait sa force et sa faiblesse, il fait usage de l'une et protège l'autre : la panthère attaque avec les dents, le cheval avec le pied, le bœuf avec ses cornes, le coq avec ses éperons, le scorpion avec sa queue."

(3) Je célébrerai séparément les pièges. C'était, sans doute un des objets du 5e chant, lequel est perdu.

(4) Ces coursiers nourris en Libye. Nous en avons parlé est détail dans les remarques sur le 1er chant.

(5) Dépend tout le succès de la chasse. Le texte dit à la lettre : "C'est vers les toiles qu'il faut diriger le gouvernail de la chasse." Oiêia est au pluriel, parce que les vaisseaux des anciens avaient plusieurs gouvernails ; les monuments en offrent un grand nombre de ce genre.

(6) Et éviter son souffle. C'est-à-dire ne pas se mettre sous le vent.

(7) Et rendent leurs travaux inutiles. Oppien suppose que l'intention des chasseurs est de prendre les animaux vivants en les poussant vers les toiles et en les faisant tomber dans les filets. Autrement, il me semble qu'ils pourraient tuer les animaux qui viennent à leur rencontre, et que leurs travaux ne seraient pas inutiles.

(8) Dans un abîme sans issue. J'ai traduit conformément à la correction de M. Schneider, qui lit anostêtoio au lieu d'anôistoio (inopiné). Mais je reviens à cette dernière leçon, la seule avouée par les manuscrits et qui peint mieux l'imprudence du lion.

(9) Une cage. Le texte dit : "Des palais composés d'osiers fortement tordus (eustropha tukta melathra)." On voit bien que c'est une emphase poétique.

(10) Le lion redoute surtout le brillant éclat de la flamme. Telle est aussi l'observation d'Aristote (Histoire des anim., livre 9, ch. 44). Ce que l'on dit du lion est vrai : le feu est ce qu'il redoute le plus, ainsi qu'Homère l'a dit dans son poème (Iliade, liv. 17, v. 663 , et liv. 2, v. 547). Aelien (au 12e liv. ch. 7, De nat. anirn.) fait une remarqua semblable : "Le lion, dit-il, craint le feu extérieur, parce qu'il est intérieurement rempli de feux."

(11) Le désespoir dans le cœur. À la lettre : "Rongeant son cœur." Manière de parler empruntée d'Homère.

(12) Par une semblable ruse les pêcheurs. Cette espèce de pêche se trouve détaillée dans le 4e livre des Halieutiques, v. G40.

(13) Les peuples de Maryandye. Il ne faut pas confondre ces peuples, habitants de l'Inde, avec les Maryandiniens situés sur la rive orientale du Pont-Euxin. Le véritable nom de ceux dont parle Oppien est Marundes (Maroundai) : c'est ainsi que les nomme Ptolémée (liv. 7 de sa Géographie, ch. 2). Oppien a changé ce nom en Maruandés, à cause du dialecte ionien dans lequel il écrit ; ou peut-être faut-il lire en cet endroit Marounrea au lieu de Maruanrea.

(14) Vouées au culte de Bacchus. L'expression grecque signifie : "Qui aime à boire du vin." Le texte ajoute à cette épithète celle d'oschophores. Ce surnom vient d'une cérémonie usitée dans les fêtes de Bacchus à Athènes. Nous trouvons une description très détaillée de cette cérémonie, appelée Oschophorie, dans la Chrestomathie de Proclus, dont Photius nous a conservé plusieurs fragments dans sa Bibliothèque, p. 989. Ce morceau m'a paru assez intéressant pour être mis sous les yeux des lecteurs qui aiment à étudier l'Antiquité dans ses mœurs et dans ses usages. "Les vers oschophoriques, dit Proclus parlant des différentes sortes de vers usités chez les Grecs, se chantent chez les Athéniens. Deux jeunes gens, habillés en femmes et portant des branches de vigne chargées de raisin, mènent le chœur : cette branche s'appelle oschê, et de ce nom est venu celui des vers. Thésée fut, dit-on, le premier qui célébra cette fête lorsqu'il s'offrit volontairement à s'embarquer pour la Crète et délivra sa patrie du tribut douloureux qu'elle payait à Minos. Il l'institua pour rendre grâce à Minerve et Bacchus, qui lui étaient apparus dans l'île de Dia (aujourd'hui Naxie) ; il employa pour la célébrer deux jeunes gens qui avaient été élevés à l'ombre, c'est-à-dire dans la prison du labyrinthe, et qui furent les ministres de cette cérémonie religieuse. Chez les Athéniens, la procession allait du temple de Bacchus à celui de Minerve Sciriade ; le chœur suivait les jeunes gens, et les adolescents de chaque tribu disputaient le prix de la course. La récompense du vainqueur était de goûter à la coupe nommée Pentaple, composée d'huile, de vin, de miel, de fromage et de farine. " Cette fête, selon le témoignage de Plutarque, se célébrait en l'honneur de Bacchus et d'Ariane, au temps où l'on fait la cueillette des fruits. On admettait au sacrifice et à la cérémonie des femmes qu'on appelait Déipnophorea (qui apportent le repas) et qui représentaient les mères des jeunes gens que le sort avait nommés pour aller en Crète. (Voyez Plutarque, Vie de Thésée, p. 48, édition de Reiske.)

(15) lno nourrit Bacchus. La première nourrice de Bacchus fut Macris, fille d'Aristée, s'il faut s'en rapporter au poète Apollonius de Rhodes (Argonautes, liv. 4, v. 1134), et selon Nonnus (Dionysiaques, liv. 48), ce fut Minerve qui, malgré sa virginité, allaita. Bacchus.

(16) Sur une montagne que les mortels appelaient alors Méros. Cette montagne était située dans l'Inde, près de la ville de Nyssa, à peu de distance du Gange. Le nom de cette montagne, qui signifie cuisse, a probablement donné lieu à la tradition mythologique par laquelle les poètes enseignent que Bacchus fut déposé dans la cuisse de Jupiter pour y attendre le terme de sa naissance. Arrien, dans son Histoire de l'Inde, ch. 1 (si cet ouvrage est d'Arrien), semble adopter l'opinion contraire et dire que la montagne fut ainsi nommée de l'événement arrivé à Bacchus. Euripide explique cette fable d'une manière assez curieuse et prétend que le nom de Méros est dit par corruption pour oméros, mot grec qui signifie otage. Voici la raison qu'il en donne et comme il s'exprime dans sa tragédie des Bacchantes, v. 286, où Tirésias dit à Penthée:
"Vous insultez à ce dieu par vos ris lorsqu'on vous dit qu'il a été enfermé dans la cuisse de Jupiter ;
mais je vais vous apprendre combien cette opinion est juste.  Lorsque le souverain de l'Olympe eut dérobé ce jeune enfant aux feux de son tonnerre, il le transporta dans les cieux, d'où la jalouse Junon voulut bientôt l'exiler. Mais Jupiter, comme un dieu puissant, rendit les ruses de Junon inutiles, et séparant une portion de terre environnée d'air, il y déposa Bacchus et le donna pour otage de la fin de ses débats avec Junon. De là les hommes ont dit que ce dieu avait été durant quelque temps nourri dans la cuisse de Jupiter ; ils prirent occasion de jouer sur le mot, de ce que Jupiter s'étant raccommodé avec Junon, lui avait donné Bacchus pour otage."  Au surplus il paraît, par le récit d'Oppien, qu'il place en Béotie la montagne de Méros. Si cela est, c'est une erreur de géographie.

(17) Aussitôt le smilax. J'ignore quelle est cette plante que les uns prennent pour l'if, d'autres pour le buis, d'autres pour une espèce de chêne vert, comme nous l'avons déjà observé sur le premier chant. Homère ou l'auteur de l'hymne à Bacchus imprimé sous le nom d'Homère, rapporte un semblable prodige lorsque les pirates tyrrhéniens veulent enlever Bacchus. (Voyez aussi Nonnus, Dionysiaques, liv. 45, p. 1166, et Ovide, Métam., liv. 3, v. 644.)

(18) C'est lui qui le premier. Apollonius (Argonautes, liv. 4, v. 1132) attribue également à Aristée diverses inventions utiles, telles que l'art de recueillir le miel, de faire de l'huile avec des olives, etc.

(19) D'un bâton qu'il avait coupé. Le même prodige est rapporté par Nonnus (Dionysiaques, liv. 48, p. 1282).Euripide l'attribue à une Bacchante dans sa tragédie de ce nom, v. 701.

(20) Ô Bacchus ! allume la foudre de ton père. "Le feu, dit Lucien dans son petit traité intitulé Bacchus, le feu est l'arme de Bacchus ; il l'a ravi à la foudre de son père."

(21) Ce Penthée dont le nom est funeste. Le nom de Penthée signifie deuil ou plutôt ce nom approche de penthos qui a cette signification. Une allusion semblable au nom de Penthée se trouve dans la tragédie des Bacchantes d'Euripide, v. 367 : "Vous vous appelez Penthée ; prenez garde que le deuil (penthos) n'entre dans votre maison." (Voyez aussi le vers 508 de la même tragédie.)

(22) On attache à cette corde. L'usage de cette corde chargée de bandelettes de pourpre et de plumes de différentes couleurs était d'effrayer les animaux qui auraient voulu sortir par le côté du demi-cercle que traçaient les filets et les toiles. On l'appelait en latin formido, comme les Grecs l'appelaient deima, qui a la même signification. Cette corde était soutenue dans sa longueur sur de petites fourches que les latins appelaient ancones, valli, vari, cervi. Nous en avons déjà parlé au 1er livre.