OPPIEN
LA
CHASSE
POÈME
CHANT
TROISIÈME
Après
avoir chanté les animaux armés de cornes, les taureaux, les cerfs, les daims
à la taille élégante, les légères gazelles, l'oryx, le brillant jorcos et
tous ceux dont le front est orné de rameaux, Muse, célébrons à présent les
espèces cruelles qui ouvrent une gueule menaçante et dévorent la chair, et
celles qui portent des dents recourbées.
C'est au lion que je dois consacrer mes premiers chants.
(1)
Jadis les Curètes nourrirent le fils du puissant Saturne, lorsque Rhée, dérobant
à la voracité de ce père impitoyable le fruit de son hymen, le déposa dans
les antres de la Crète. Saturne aperçut ce jeune enfant déjà robuste, et
pour se venger des Curètes, il changea ces généreux sauveurs de Jupiter en
animaux sauvages. Dépouillés par la volonté d'un dieu de la forme des
humains, ils revêtirent celle ces lions. Mais bientôt après, Jupiter leur
donna le souverain empire sur les habitants des forêts et le droit de traîner
le char rapide de la mère des dieux.
Il est diverses espèces de lions. Chacun de ces animaux a sa forme particulière.
Ceux que produit l'Arménie vers l'embouchure bruyante et sur les vastes bords
du Tigre (2)
et ceux que fait naître la fertile contrée des Parthes, brillent d'une couleur
fauve. Leur vigueur n'est pas extrême, mais ils ont un cou épais et une longue
crinière. Leurs yeux brillants sont recouverts par de vastes sourcils
tristement hérissés et prolongés jusqu'au museau. De leur cou et de leur
menton descend des deux côtés une superbe chevelure.
Les lions que nourrit l'Arabie, nommée heureuse par les mortels, ont comme les
premiers le cou et la poitrine velue et font jaillir de leurs yeux de longs éclairs
de feu. Ils surpassent tous les autres en beauté, mais cette espèce est rare
sur la terre.
Dans les plaines brûlantes de la fertile Libye, une foule innombrable (3)
de robustes lions fait entendre ses rugissements affreux. Ces animaux ne sont
point hérissés de poils, un duvet rare et léger les environne, mais leur
aspect est effrayant. Ils ont une tête énorme, une couleur cyanée (4)
légèrement mêlée de noir, règne sur tous leurs membres. La force de leurs
muscles est extrême, et le lion de Libye est le roi des autres lions souverains
du reste des animaux.
Autrefois un lion prodigieux passa de l'Éthiopie dans la Libye. Il était
noir, (5)
coiffé d'une belle crinière. Sa gueule seulement avait la couleur de la
pourpre. Il portait un large front, ses pattes étaient garnies d'un long poil,
le feu le plus vif brillait dans ses yeux. Je n'en parle pas d'après un simple
récit, j'ai vu moi-même ce terrible animal. Il vint à Rome pour être offert
aux regards de l'empereur.
Les lions n'éprouvent pas le besoin de manger tous les jours, (6)
ils en emploient un à leurs repas et l'autre aux travaux de la chasse. Ils ne
se retirent pas non plus dans les creux des rochers pour se livrer au sommeil,
mais pleins de confiance en leur courage, ils dorment en pleine campagne, et
partout où les surprend la nuit profonde.
J'ai su des jeunes hommes qui prennent soin des lions, que la patte droite de
ces animaux a la puissante vertu de la torpille (7),
et que c'est par ce charme qu'ils ravissent toute la force aux autres bêtes
sauvages.
La femelle du lion éprouve cinq fois les douleurs de Lucine (8).
On dit qu'elle ne fait qu'un seul petit, mais c'est une opinion absolument
fausse (9).
Elle en produit cinq à sa première portée, quatre à la seconde, trois à la
troisième, deux à la quatrième, mais à son dernier enfantement cette noble mère
ne fait sortir de ces généreux flancs qu'au seul lionceau destiné à régner
un jour dans les forêts.
Les redoutables panthères se divisent en deux espèces, (10)
les unes déploient à nos regards une taille considérable, un dos large et
fourni de graisse, les autres sont plus petites, mais n'ont pas une moindre
force. Toutes deux brillent des mêmes beautés, leur forme est la même. Ce
n'est que par la queue qu'elles diffèrent. Les petites panthères la portent
plus longue, et les grandes plus courte. Cet animal a les cuisses charnues
(11),
le corps allongé, l'œil brillant, ses prunelles étincellent sous des paupières
d'un bleu tendre. Elles ont elles-mêmes cette couleur, mais le fond, teint de
pourpre, éclate de mille feux dont elles paraissent embrasées. Les dents inférieures
dont sa gueule est armée sont blanches et venimeuses, sa robe est d'un gris
obscur, semée de fréquentes taches noires, semblables à des yeux. La panthère
est si rapide à la course et s'élance avec tant de force, qu'on croirait à la
voir bondir qu'elle vole à travers les airs. C'est cette race que célèbrent
les poètes, lorsqu'ils disent que les panthères furent jadis les nourrices de
Bacchus. Voilà pourquoi elles aiment encore le vin avec excès et saisissent
avidement dans leur gueule les doux présents du dieu de la treille. Une autre
fois, je dirai (12)
pour quelle raison ce dieu changea des femmes illustres en de cruelles panthères.
On voit encore une double espèce d'animaux légers à la course
(13),
celle des lynx dont les uns, assez petits, font la guerre aux lièvres encore
plus faibles qu'eux, tandis que les autres d'une taille plus considérable s'élancent
avec agilité sur les cerfs et sur les oryx. Ces deux lynx sont revêtus de
formes parfaitement semblables, une égale vivacité éclate dans leurs regards
et leur physionomie a je ne sais quoi d'agréable et de riant. Tous deux ont la
tête de médiocre grosseur et l'oreille arrondie. La seule couleur de la peau
met entre eux quelque différence. Les petits lynx ont la robe d'un fauve
ardent, celle des grands a la teinte du safran ou du soufre.
Tous ces animaux, les lynx aux regards agréables, les lions aux prunelles
enflammées, les redoutables panthères, les tigres aussi légers que les vents,
chérissent singulièrement leur tendre progéniture. Si d'intrépides chasseurs
perçant jusqu'au fond des bois, vont dérober leurs petits, les mères de
retour, à la vue de leur demeure abandonnée, poussent de fréquents gémissements
et font retentir au loin leurs plaintes douloureuses. Telles, à la vue de leur
patrie ravagée par le fer et la flamme, les femmes éplorées volent au secours
de leurs enfants en poussant des cris lamentables. O puissance de cet amour
qu'un dieu sans doute a gravé dans le cœur de tous les êtres pour leur jeune
postérité ! Ce n'est pas chez les seuls humains, en qui tout est le fruit du génie,
que cette tendresse éclate. Elle anime les reptiles et les poissons, les
nombreux habitants de l'air et jusqu'aux animaux les plus féroces. Que de soins
le dauphin, le glaucus aux yeux brillants, (14)
le phoque et tous les citoyens de l'onde ne prodiguent-ils pas à leurs petits !
Et parmi les oiseaux, quelle infatigable tendresse n'ont pas pour leur couvée
les colombes, les orfraies (15),
toutes les espèces d'aigles et la corneille qui vit de si nombreuses années.
Voyez comme à l'aspect de l'épervier planant au haut des airs, la poule, cet
oiseau qui partage la demeure des humains, s'agite avec inquiétude autour de
ses poussins. D'abord elle jette un cri perçant, bondit çà et là, les
appelle d'une voix aiguë, et la tête élevée, le cou arrondi, les plumes hérissées,
elle ouvre les ailes, les étend vers la terre. Ses petits tout tremblants se réfugient
sous ce léger rempart. Souvent, elle épouvante l'oiseau cruel et le force à
prendre la fuite, tant elle est intrépide à défendre sa postérité. Elle
nourrit avec tendresse ses poussins lorsqu'ils sont dans l'enfance ou lorsque
n'ayant point encore de plumes ils viennent de rompre les liens de la coquille.
Ainsi parmi les bêtes féroces, les lionnes rugissantes, les panthères impétueuses,
les tigres au dos rayé affrontent tous les dangers pour défendre leurs petits,
attaquent les chasseurs, bravent les lances dont ils sont armés et subissent le
trépas. Rien ne les effraie quand elles combattent pour leur postérité, ni la
foule menaçante des jeunes hommes armés d'épieux, ni les éclairs du fer et
de l'airain, ni la grille de traits et de pierres dont elles sont frappées.
Tous leurs efforts tendent à sauver leurs petits ou à perdre la vie.
L'ours cet animal féroce, traître et sanguinaire, revêtu d'un poil épais et
rude, n'offre rien dans ses traits rebutants qui ne déplaise aux yeux. Sa
gueule largement fendue, armée de dents menaçantes, le rend redoutable aux
chasseurs. Il a le museau bleu, l'œil vif et perçant, le corps fourni, large.
Il est prompt à la course. Ses pattes (16)
ressemblent aux pieds et aux mains de l'homme. Il gronde d'une manière
effrayante. Son cœur est toujours occupé de ruses et de trahisons. Vénus y règne
tout entière, nulle pudeur n'en peut arrêter les transports. Les femelles brûlent
jour et nuit des désirs de l'hymen et recherchent avec fureur les caresses des
mâles. À peine peuvent-elles s'abstenir de la couche nuptiale lorsqu'elles
portent dans leurs flancs le fruit de leur fécondité. En effet, à l'exception
des lynx et des lièvres timides, c'est pour tous les animaux une loi sacrée de
ne point se livrer alors aux plaisirs de l'amour, mais l'ourse toujours tourmentée
de désirs, l'ourse à qui le veuvage est odieux, ose attenter sur ses propres
enfants, et prévenant le terme prescrit par la nature, elle presse ses flancs
et fait violence à Lucine. Tel est l'excès de sa lubricité, telle est la
violence de ses transports amoureux. Ses petits, lorsqu'elle les met au monde,
ne sont encore formés qu'à moitié (17).
Leurs membres confondus, sans articulations, n'offrent aux yeux qu'une masse
informe de chair. La mère partage ses soins entre la nourriture de ses enfants
et les plaisirs d'un nouvel hymen. À peine a-t-elle mis bas, qu'elle jouit
aussitôt des embrassements de son époux. Cependant elle lèche ses oursons,
comme on voit les jeunes bœufs se lécher les uns les autres. Ces animaux en
effet trouvent dans la peau de leurs semblables une saveur qui flatte agréablement
leur goût, et jamais ils ne se séparent qu'ils ne se soient rassasiés de ce
plaisir, et l'homme qui les conduit au pâturage, sent en les voyant son cœur
rempli de joie. C'est ainsi que l'ourse achève de former ses petits en les
caressant avec sa langue, jusqu'à ce qu'ils fassent entendre leur grondement épouvantable.
Malgré l'épaisseur de sa fourrure, l'ours craint la rigueur de l'hiver (18)
et lorsque le vent d'occident verse en abondance la neige qui blanchit les
campagnes, il va se cacher au fond d'une caverne spacieuse où, privé de
nourriture, il lèche ses pattes, les suce comme mamelle et donne par là le
change aux désirs de son estomac. Telle est aussi la ressource ingénieuse
qu'emploie le polype tortueux dans les profondeurs du vaste Océan. Pour se
mettre à l'abri du froid qu'ils redoutent, les polypes se cachent sous les
rochers qui bordent le rivage et se nourrissent en mangeant leurs cheveux. Mais
lorsque le printemps fait renaître les fleurs, ils produisent, en peu de temps
de jeunes rameaux et recommencent à voguer sur la mer, ornés d'une nouvelle
chevelure.
Chantons à présent l'onagre (19).
Sa jambe fine, sa tête qu'il porte au vent, sa légèreté, sa vitesse, sa
taille élevée le rendent digne de plaire à nos yeux. Il a l'air gai
(20),
le corps plein, bien proportionné, revêtu d'un poil argenté. Sa tête est
surmontée de deux longues oreilles, une raie noire, accompagnée de deux bandes
aussi blanches que la neige règne le long de son dos. Ce quadrupède se nourrit
de fourrages et paît l'herbe que la terre lui fournit avec abondance, mais il
est lui-même une pâture délicate pour les animaux carnassiers
(21)
plus robustes que lui. La race entière des onagres est livrée à la plus
excessive jalousie. Ces animaux mettent leur gloire à posséder un grand nombre
de femelles qui suivent leur époux partout où il veut les conduire, soit au pâturage,
soit aux sources limpides des fleuves, boisson chérie (22)
des animaux, soit à leurs demeures ombragées, lorsque Vesper amène le sommeil
à sa suite.
Le terrible aiguillon de la jalousie qui tourmente les mâles les rend cruels
envers leurs propres enfants. Lorsqu'une femelle éprouve les douleurs de
Lucine, tranquillement assis auprès d'elle, son époux attend le moment où
elle sera délivrée de son fruit pour en observer le sexe (23)
: si c'est une femelle, l'onagre qui déjà désire sa jouissance la caresse
tendrement avec sa langue, mais s'il voit naître un mâle, transporté d'une
funeste jalousie, il s'élance sur son petit et veut d'une dent cruelle lui
couper la marque de son sexe, dans la crainte qu'il ne devienne un jour l'époux
de celle qui l'a fait naître. Quoique affaiblie par les douleurs de
l'enfantement, la mère défend son malheureux poulain si cruellement attaqué.
Lorsque au milieu des horreurs de la guerre de barbares soldats massacrent un
enfant sous les yeux de sa mère, et l'arrachent elle-même au corps tout
sanglant de son fils qu'un reste de vie fait palpiter encore, elle pousse les
cris les plus douloureux, se déchire les joues, le sang et le lait confondus
inondent son sein, telle l'onagre femelle semble par ses gémissements, par ses
cris lamentables déplorer le sort de son malheureux fils. On dirait que pour le
défendre cette infortunée a recours aux prières les plus touchantes, aux plus
tendres supplications et qu'elle dit :
"O mon époux ! mon époux ! d'où vient ce front irrité ? pourquoi vos
yeux tout à l'heure si brillants sont-ils enflammés de colère ? Ce n'est
point l'affreuse tête de Méduse (24),
ce n'est point un dragon venimeux, ni le petit d'une lionne sauvage qui s'offre
à vos regards, c'est votre enfant dont la naissance m'a coûté tant de
douleurs et que nos vœux ont enfin obtenu des dieux. Quoi, vous voulez d'une
dent ennemie ravir à votre fils sa virilité ! arrêtez cher époux !
gardez-vous de trancher et... pourquoi... Hélas ! qu'avez-vous fait ? en
mutilant votre fils vous l'avez réduit au néant. Que je suis malheureuse !
j'ai perdu tout le fruit de ma fécondité ! Et toi, mon fils ! l'excès de ton
malheur vient de ton coupable père. C'est par sa dent cruelle et non par les
ongles des lions que tu es mutilé."
C'est ainsi que cette mère infortunée semble gémir du triste sort de son
fils. Mais insensible à ses plaintes, l'onagre d'une bouche ensanglantée achève
son horrible repas. O Jupiter ! quel est donc le caractère atroce de la
jalousie ! tu la fais triompher à nos yeux de la nature même. Puissant roi des
dieux, elle a reçu de toi une force plus active, plus pénétrante que celle de
la flamme, et tu l'as armée d'un glaive de diamant. Loin de garantir les
enfants des fureurs de leurs pères, elle ne connaît ni les liens du sang ni
ceux de l'amitié. C'est elle qui jadis arma contre leurs propres enfants les
demi-dieux et les déesses mêmes, Thésée (25),
Athamas en Attique, Progné, Philomèle en Thrace, Médée à Colchos et
l'illustre Thémisto. Bien plus, ainsi qu'aux malheureux mortels, elle présente
aux animaux l'horrible festin de Thyeste.
Sur les confins de l'Éthiopie habite au milieu des précipices
la race nombreuse des hippagres (chevaux sauvages) (26).
Leur bouche est armée de deux défenses venimeuses. Cependant ces animaux ne
sont point solipèdes, ils portent au contraire une double pince semblable à
celle d'un cerf. Sur le milieu de leur dos une épaisse crinière règne depuis
le sommet de la tête jusqu'à l'extrémité de la queue. Le fier hippagre n'a
jamais pu supporter la servitude, et lorsque les noirs habitants de l'Inde (27)
le prennent dans leurs filets ou par de subtiles embûches, il ne veut plus
prendre ni boisson ni nourriture et se révolte contre le joug de l'esclavage.
Muse, chantez à présent deux races d'animaux féroces, dont la rencontre est
funeste et dont la large gueule est hérissée de dents, le loup meurtrier des
brebis et l'hyène (28)
aux yeux peu clairvoyants : l'un donne le trépas aux bergers et aux chevriers,
l'autre est l'ennemie redoutée des chiens les plus intrépides. Le premier
pressé par la faim ravit pendant la nuit les agneaux et les chevreaux, le
second ne marche qu'à la faveur des ténèbres, ne fait que des courses
nocturnes, car elle ne jouit de la lumière que lorsque nous l'avons perdue (29)
et le retour de l'aurore la replonge dans l'obscurité. La forme du loup et de
l'hyène est bien différente de celle des bêtes féroces. L'un paraît
absolument semblable aux grands chiens des bergers, l'autre a le dos arqué (30)
par la courbure de son épine. Elle est entièrement velue. Son corps effrayant
à voir est peint de longues raies d'un bleu pâle et tracées en grand nombre,
sa taille est étroite et longue. Les poètes célèbrent la puissance
redoutable de la peau de ces animaux. Si vous portez à vos pieds des courroies
de peau d'hyène, vous inspirerez l'effroi aux chiens les plus robustes, et
lorsque vous marcherez avec cette chaussure, ils n'aboieront plus à votre
rencontre, quoiqu'ils le fissent auparavant. D'un autre coté, si l'on écorche
un loup et que l'on fasse un tambour de sa peau, ce tambour bruyant, propre à célébrer
les fèces de Cybèle, capable de causer l'avortement de tous les fruits quand
on le frappe en même temps que plusieurs autres, fait seul résonner l'air d'un
bruit formidable. On n'entend plus que lui, il impose le silence aux autres et
les rend muets quelque sonore qu'ils fussent auparavant. Les brebis après sa
mort craignent encore le loup qui ne vit plus.
Une particularité surprenante que j'ai apprise au sujet des hyènes à robe rayées,
c'est qu'elles changent de sexe tous les ans. Tantôt mâle, tantôt
femelle (31),
cet animal fait tour à tour les fonctions d'un époux amoureux et d'une mère féconde.
On compte jusqu'à cinq espèces de loups revêtus de poil gris. Les bergers,
dont ces animaux sont les cruels ennemis, ont remarqué en eux différentes
formes qui distinguent ces espèces. La première est celle de ce loup intrépide
que l’on appelle archer. Il est entièrement
roux, ses membres sont arrondis, il porte une tête plus forte que les autres et
court avec vitesse. Son ventre blanc est parsemé de taches grises, son
hurlement inspire la terreur, il fait des bonds d'une hauteur surprenante. Ce
loup secoue sans cesse la tête et ses regards ont la vivacité du feu.
Il en est un autre d'une taille plus considérable, ses membres allongés le
rendent plus prompt à la course que tous les loups. Les hommes lui donnent le
nom d'épervier ou de ravisseur.
Dès le matin, aux premiers traits du jour, il sort pour aller à la chasse, en
poussant un sifflement considérable. Il se passe aisément de nourriture. Ses
flancs et sa queue brillent d'une blancheur éclatante. C'est sur les montagnes
élevées qu'il fait ordinairement son séjour, mais en hiver lorsque la froide
neige tombe des nues et couvre la terre, cet animal perfide et revêtu
d'impudence s'approche de la demeure des humains dans l'espoir de trouver
quelque pâture. Il rôde en silence autour des maisons, et s'il rencontre une
chèvre il la saisit aussitôt avec ses griffes aiguës. Sur les sommets glacés
du Taures, au milieu des montagnes de Cilicie, et près des bords élevés de
l'Amanus (32),
habite un animal que sa beauté ravissante élève au-dessus de toutes les bêtes
sauvages. On l'appelle chriseus
(loup doré) (33).
Sa longue chevelure dorée lui prête un éclat éblouissant. Ce n'est point un
loup. Il l'emporte de beaucoup sur cette espèce par la hauteur de sa taille.
Ses dents sont aussi tranchantes que l'acier et sa force est extrême. Souvent
dans sa fureur il perce l'airain le plus épais, brise les pierres et le fer
dont les lances sont armées. Il connaît le temps auquel règne la canicule et,
redoutant le lever de cette constellation, il se cache dans un souterrain ou
dans quelque caverne obscure, jusqu'à ce que le soleil et l'astre funeste du
chien aient calmé la violence de leurs feux.
Les acmons (enclumes), cette race
sanguinaire, se divisent en deux espèces. Le cou assez court, de très larges
épaules, les cuisses et les pattes garnies de longs poils, la tête petite, les
yeux médiocrement fendus, voilà leur caractère. La première espèce de ces
animaux est remarquable par son dos argenté et la blancheur de son ventre.
L'extrémité seule de ses pattes est teinte d'un gris obscur. Les hommes lui
ont donné le nom d'Ictinus à poils gris.
La seconde espèce paraît de couleur noire. Sa taille est plus petite, mais cet
acmon n'est pas moins robuste que l'autre. Il poursuit les lièvres, sur
lesquels il s'élance avec impétuosité, et tous les poils dont ses membres
sont couverts se dressent et se hérissent.
Souvent l'hymen rapproche les loups et les cruelles panthères, et de leur union
naît une race vigoureuse, celle des thos, sur qui brillent réunies les
diverses couleurs de ceux dont ils tiennent le jour. Ils ressemblent à leur mère
par les nuances de leur peau, et par la face à leur père.
Chantons à présent le tigre au corps noble et superbe (34).
La nature ingénieuse et féconde, entre mille animaux, n'en a produit aucun de
plus agréable à nos yeux. Le tigre l'emporte autant sur tous les habitants des
forêts que le paon sur les autres oiseaux. Il paraît entièrement semblable à
la sauvage femelle du lion, si vous en exceptez la peau, embellie chez le tigre
de diverses guirlandes qui ont tout l'éclat de la pourpre et des fleurs. Ses
yeux enflammés lancent, comme ceux de la lionne, de brillants éclairs. Il a
comme elle le corps robuste et la taille fournie. C'est la même queue, ombragée
de long poil, le même mufle, les mêmes sourcils fièrement relevés. Leurs
dents brillent du même éclat. De tous les quadrupèdes, c'est le plus prompt
à la course (35),
et sa légèreté égale celle de Zéphire, dont il tient la naissance. Mais
non, Zéphire n'est pas son père. Qui croira jamais (36)
que des animaux puissent être fécondés par le souffle de l'air ? Dire que
cette race entière est femelle et ne s'accouple point avec des mâles, c'est
une erreur destituée de vraisemblance. On peut voir souvent cet époux décoré
de riches couleurs, mais il n'est pas facile à prendre, car aussitôt qu'il
aperçoit des chasseurs il abandonne ses petits pour fuir de toute sa force. La
mère au contraire suit toujours ses enfants, et, pénétrée de douleur, vient,
au grand plaisir des chasseurs, se précipiter dans les filets qu'ils lui
tendent.
Le sanglier tient un rang distingué parmi les animaux sauvages et belliqueux.
Il aime à placer sa bauge au fond des précipices. Les hurlements des bêtes
fauves lui sont odieux. Toujours errant dans les forêts, il poursuit avec
ardeur sa femelle, et dans ses transports amoureux, ses soies se hérissent sur
son col, comme l'aigrette qui s'élève sur un casque. La terre est arrosée de
l'écume qu'il distille, et cette écume blanche frappe à grand bruit sur ses
dents, poussée par un souffle brûlant. Il met dans ses amours plus
d'emportement que de tendresse, si sa femelle soumise souffre ses caresses, elle
apaise à l'instant sa colère, mais si elle s'y refuse et fuit ses
embrassements, cet époux embrasé de fureur lui fait violence ou, la frappant
de ses défenses, il l'étend morte sur la poussière.
C'est une opinion commune (37)
que la défense du sanglier recèle intérieurement la chaleur brûlante du feu.
Voici par quel moyen on peut connaître la vérité. Lorsque les nombreux
chasseurs, à l'aide de leurs chiens courageux, ont renversé un sanglier sur la
poussière et qu'il succombe sous les coups redoublés des lances et des
javelots, si on arrache une soie de son col et qu'on l'approche de la dent de
l'animal tandis qu'il respire encore, à l'instant le poil saisi par la chaleur
se roule en spirale. Eh ! ne voit-on pas sur la peau des chiens même de longues
cicatrices de feu tracées sur leurs flancs, aux endroits où les défenses brûlantes
du sanglier les ont atteints ?
Il n'est dans les forêts aucun animal d'un aspect plus affreux que
les porcs-épics (38).
Il n'en est point de plus redoutable. Leur taille par sa grosseur approche de
celle des loups. Elle est cependant un peu plus petite. Ils ont le corps robuste
et la peau hérissée de toute part d'une chevelure épaisse et rude, semblable
à celle dont sont revêtues les diverses espèces de hérissons. Lorsqu'ils
sont poursuivis par des animaux plus forts qu'eux, voici le stratagème auquel
ils ont recours. Ils dressent leur chevelure piquante et, par un mouvement
rapide de leur dos, ils décochent un des traits aigus et douloureux dont il est
armé. C'est ainsi qu'ils fuient et combattent à la fois. Souvent ils tuent le
chien qui les poursuit la gueule ouverte. On les prendrait pour de jeunes
guerriers habiles à tirer de l'arc avec justesse. Aussi quand les chasseurs
aperçoivent le porc-épic, ils ne lâchent point sur lui leurs chiens, mais ils
emploient les ruses dont je parlerai dans la suite lorsque je chanterai le trépas
des animaux sauvages.
L'ichneumon (39)
est petit, mais il mérite d'être célébré à l'égal des plus grands animaux
à cause de son instinct et du courage intrépide qu'il fait éclater malgré sa
délicatesse. C'est par ses ruses qu'il donne le trépas à deux espèces
dangereuses, aux serpents et aux terribles crocodiles, ces cruels habitants du
fleuve de l'Égypte. Si quelqu'un de ces monstres funestes s'endort en ouvrant
sa gueule énorme, gouffre profond entouré d'un triple rempart de dents
formidables, l'ichneumon, qui médite contre lui une ruse mortelle, l'observe
d'un regard oblique jusqu'à ce qu'il soit assuré que cette bête immense est
ensevelie dans un profond sommeil. Aussitôt il se roule dans le sable et dans
la boue (40),
et s'élançant avec intrépidité dans la gueule du monstre, il franchit
rapidement cette porte du trépas et se glisse à travers son vaste gosier. Aux
premières atteintes d'une douleur imprévue et dont il porte la cause dans ses
flancs, le malheureux crocodile s'éveille. Désespéré, furieux, il erre de
tous côtés. Tantôt il se précipite au fond du fleuve, tantôt il se roule
sur le sable du rivage, pousse des soupirs effrayants et se tord de douleur. Son
ennemi brave sa rage impuissante. Placé sur son foie, il le dévore à son gré
et se régale d'un mets qui flatte son goût. Enfin il sort du corps de ce féroce
animal et l'abandonne après en avoir entièrement vidé les entrailles.
Intrépide ichneumon, que je t'admire ! quel instinct éclate dans tes ruses !
que ton cœur renferme de courage ! avec quelle audace tu soutiens la vue du trépas
que tu oses affronter de si près !
Voici maintenant le piège qu'il tend à l'aspic venimeux
(41)
: le corps entièrement enseveli dans le sable, à l'exception de sa queue et de
ses yeux enflammés, il attend son ennemi. Or la longue queue de l'ichneumon est
faite comme un serpent, elle en représente la tête par les poils de l'extrémité,
elle paraît noire lorsqu'on la regarde en face et ressemble à la peau écailleuse
des reptiles. Dès qu'il, voit celui-ci s'approcher en sifflant, il recourbe sa
queue en demi-cercle et provoque au combat le cruel aspic, qui s'avance aussitôt
en levant sa tête venimeuse. Sa gorge s'enfle, il découvre ses horribles dents
et fait à son ennemi d'inutiles morsures de ses mâchoires empoisonnées. Le
courageux ichneumon s'élance à l'instant hors du sable, saisit le serpent à
la gorge, le déchire malgré les replis dont celui-ci l'environne, lui donne le
trépas et lui fait vomir tout le poison amer, violent et mortel dont il était
chargé.
De tous les animaux qui mènent une vie sauvage, le
renard (42)
est le plus rusé. Son cœur est rempli de courage, et la prudence lui fait
habiter le plus reculé des terriers, car il se creuse sept demeures éloignées
les unes des autres, de peur que les chasseurs ne le fassent tomber dans les
filets qu'ils dressent à la porte de sa retraite. Dans un combat, sa gueule est
redoutée des animaux plus robustes que lui et des chiens qui le poursuivent.
Lorsque la rigueur de l'hiver a dépouillé les vignes de leur pampre, privé de
nourriture, le renard emploie alors toute son industrie à chasser aux oiseaux
et à prendre les jeunes lièvres.
Muse, que votre voix sonore, harmonieuse, chante aussi ces animaux de nature
mixte, formés du mélange de deux races différentes, en qui la panthère au
dos tacheté est unie au chameau (43).
Père de la nature, ô Jupiter ! quelle magnificence éclate dans tes nombreux
ouvrages ! quelle riche variété répandue dans les plantes, dans les animaux,
dans les poissons ! que de présents tu as faits aux mortels, ô toi dont la
puissance a revêtu de la robe des panthères cette espèce de chameaux embellie
des plus riches couleurs ; nobles et charmants animaux que les humains
apprivoisent sans peine. Ils ont un long cou (44),
leur corps est semé de diverses taches. De courtes oreilles
(45)
couronnent leur tête dépourvue de crinière (46)
dans la partie supérieure. Leurs jambes sont longues et leurs pieds larges,
mais ces membres sont inégaux. Ceux de devant sont beaucoup plus élevés que
les postérieurs, considérablement plus courts. Tels les ont les boiteux. Du
milieu de la tête de ces animaux sortent deux cornes qui ne sont pas de la
nature des cornes ordinaires (47)
. Leurs pointes molles, environnées d'une chevelure, s'élèvent sur les tempes
et près des oreilles. Cette espèce a, comme le cerf, la bouche délicate, médiocrement
fendue et garnie de petites dents d'une blancheur égale à celle du lait. Ses
yeux étincellent du plus vif éclat, et sa queue, aussi courte que celle de la
gazelle, est garnie de crins noirs à son extrémité.
Il est encore une autre espèce prodigieuse que j'ai vue de mes propres yeux.
Elle est également composée de deux races différentes, du passereau et du
chameau (48),
et quoiqu'elle ait des ailes et qu'on la compte au nombre des oiseaux, mes
chants la célébreront cependant, parce qu'on ne la prend que par le genre de
chasse qui fait l'objet de mes vers. La glu, funeste aux autres volatiles, ne
peut enchaîner celui-ci, les flèches qui traversent les routes de l'air n'ont
point sur lui de puissance, il faut le poursuivre à l'aide des coursiers
(49),
le lancer avec des chiens agiles et l'enfermer dans des filets dont on lui dérobe
la vue. Sa taille et sa force sont immenses et telles qu'il peut porter un
enfant sur son large dos. Ses jambes élevées ressemblent à celles des pesants
chameaux et sont couvertes de fréquentes écailles jusqu'à leurs doubles
genoux. Il porte une tête assez petite, montée sur un long cou que recouvrent
de grands poils de couleur blanchâtre. Il agite une aile épaisse, mais il ne
navigue point dans les plaines de l'air. Cependant il court avec autant de
vitesse et de légèreté que volent les oiseaux. L'hymen de celui-ci ne
s'accomplit pas en montant sur sa femelle, comme fait toute l'espèce ailée,
mais à rebours, ainsi que s'accouple l'animal de la Bactriane (le chameau). Il
pond un oeuf immense, d'une grosseur capable de contenir un oiseau si considérable,
et cet oeuf est revêtu d'une coquille aussi dure que la pierre.
Chantons à présent les lapins et les lièvres, le gibier le plus abondant de
la chasse. Ils ont le corps petit et velu, de très longues oreilles, une tête
médiocre, les pattes courtes et inégales. La couleur de leur robe n'est pas la
même à tous. Elle est d'un gris obscur à ceux qui habitent un terrain noir et
d'un fauve ardent lorsqu'ils vivent sur une plaine dont le sol est rouge. Leurs
yeux ont de larges prunelles où brille la gaieté et sont invincibles au
sommeil. Jamais en dormant ces animaux ne ferment les paupières ; toujours en
garde contre la violence des bêtes sauvages ou l'industrie des humains, ils
veillent toute la nuit et se livrent aux caresses de l'amour, qu'ils désirent
sans cesse. Les femelles, quoique pleines, ne se refusent point à l'ardeur impétueuse
du mâle, lors même qu'elles portent dans leurs flancs le trait douloureux de
Lucine. Cette espèce est la plus féconde de toutes celles que nourrit la
terre, et tandis qu'elle fait sortir de son sein un petit tout formé, elle en
porte un autre qui n'a pas encore de poil. Un troisième, imparfait, s'accroît
en même temps dans ses flancs, qui en recèlent un quatrième dont les membres
ne sont point encore développés. La mère les met au jour l'un après l'autre,
et cette femelle sans pudeur ne fait point de grève avec la lascivité, et,
sans jamais refuser les plaisirs de Vénus, elle se livre à toute l'impétuosité
de sa passion.
CHANT
TROISIÈME
(1)
Jadis les Curètes. Cette fable est connue. On sait d'après le témoignage
des poètes que les Curètes dansaient la pyrrhique autour du berceau de Jupiter
et par le bruit de leurs armes empêchaient que les cris de cet enfant ne
fussent entendus de Saturne (Callimaque, Hymn.
1, v. 52 et suiv. - Lucien, De Saltatione,
page 272). Les mythologues donnent à Jupiter différentes nourrices. Les uns
nomment Adrastie, sœur des Curètes, et les nymphes Méliades. D'autres prétendent
que la chèvre Amalthée le nourrit de son lait. Callimaque fait nourrir Jupiter
du miel des abeilles qui habitaient les monts Panacrés, situés en Crète, et
par cette raison appelle ces abeilles panacrides, d'où quelques commentateurs
ont imaginé une abeille nommée Panacride, parce que le poète s'exprime par
figure au singulier et dit l'abeille de Panacrée pour les abeilles. Mais il est
une autre opinion plus curieuse, celle d'Agathocle le Babylonien qui, au lieu
d'une chèvre et d'une ruche, donne pour nourrice à Jupiter une truie, laquelle
par ses grondements couvrait les cris du jeune dieu, et par cette raison toute
l'espèce de ces animaux était sacrée chez les Crétois. L'ouvrage, dans
lequel Agathocle rapporte cette opinion, est cité par Athénée (liv. 9, p.
275, F., sous le titre d'Hist. de Cyzique, liv. premier. - (En protô peri Kuzikou).
(2)
Sur les vastes bords du Tigre. Le texte porte de
l'Ister, c'est-à-dire du Danube. C'est une erreur de géographie, puisque
l'Arménie n'est point arrosée par le Danube.
(3)
Une foule innombrable. Oppien ne
veut pas dire que les lions d'Afrique vont par troupes, mais seulement qu'ils
sont très nombreux dans cette contrée. Notre poète ne pouvait pas ignorer que
le lion est un animal solitaire et que le temps de ses amours est le seul où il
consente à vivre en société avec sa femelle. Les anciens avaient fait cette
observation. Elle se trouve dans Élien (De nat. anim., liv. 4, ch. 13).
(4)
Une couleur cyanée. C'est-à-dire un bleu obscur.
(5)
Il était noir. Pline (liv. 8, ch. 17) assure que les seuls lions
de Syrie sont noirs. Il se trompe, les lions d'Afrique sont aussi de cette
couleur.
(6)
Les lions n'éprouvent pas le besoin de manger tous les jours. Il
ne faut pas prendre ceci trop à la lettre. Oppien a suivi une opinion fabuleuse
fondée sur ce que le lion peut passer plusieurs jours sans manger, parce qu'il
prend beaucoup de nourriture à la fois. Aristote en fait l'observation (Hist.
des anim., liv. 8, ch. 5) : "Le lion, dit-il, est un animal carnivore,
comme sont toutes les bêtes sauvages dont les dents sont pointues. Il mange
avec avidité et avale des morceaux considérables sans les broyer. Il reste
ensuite deux ou trois jours sans prendre de nourriture, et son estomac chargé
d'aliments le rend capable de cette abstinence. " Pline n'a point balancé
d'adopter la fable en disant (liv. 8, ch. 10) que
les lions ne mangent que deux jours l'un. - Vesci
alternis diebus.
Voici le portrait du lion tracé par Eldémiri :
"Parmi les bêtes féroces, il n'en est point de plus célèbre que le
lion. Il a sur les autres animaux la supériorité d'un roi que sa force, son
intrépidité, sa fierté, son agilité et la férocité de son naturel rendent
également redoutable. De là vient que son nom est employé pour exprimer la
force, le courage, la bravoure, la grandeur d'âme et la violence.
Il y en a de plusieurs espèces : "J'en ai vu une, dit Aristote, qui a
quelque ressemblance avec la figure de l'homme. Son poil est d'un rouge foncé
et sa queue est faite comme celle du scorpion." Il existe une autre
espèce qui approche de la figure du bœuf et qui a des cornes noires de la
longueur d'une palme. La lionne, disent les écrivains qui ont traité de
l'histoire naturelle, ne met bas qu'un seul lionceau. En sortant du ventre de sa
mère, il est comme une masse de chair privée de sentiment et de mouvement. Il
demeure dans cet état trois jours entiers sous la garde de sa mère. Le père
au bout de ce temps vient souffler sur lui, ce qu'il continue jusqu'à ce qu'il
ait fait naître en lui le mouvement et la respiration. Alors ses membres se
forment et se séparent de la masse, sa figure se développe et la mère vient
l'allaiter. Ses yeux ne s'ouvrent que sept jours après sa naissance. À l'âge
de six mois il commence à chercher lui-même sa nourriture. Le lion supporte la
faim plus aisément que les autres animaux sauvages, et il n'en est aucun qui
ait moins besoin d'eau. Il ne mange point ce qui a été pris par un autre et ne
retourne jamais à la proie qu'il a une fois abandonnée après s'en être
rassasié. Lorsque la faim le presse, il se livre à la férocité de son caractère
; mais lorsqu'il n'est point tourmenté par le besoin de nourriture, il est
assez doux. Jamais il ne goûte de l'eau dans laquelle un chien a bu. Il se
contente de mordre et de déchirer sa nourriture avec ses dents sans la mâcher
et il a très peu de salive, ce qui est cause que son haleine est très puante.
Sa timidité n'est pas moins fameuse que sa hardiesse. Le chant du coq, la vue
d'un chat, le bruit d'un chaudron l'effraient, et lorsqu'il aperçoit du feu il
demeure interdit. Le lion est farouche et ne fait société avec aucun autre
animal, sans doute parce qu'il n'en trouve aucun qui puisse aller de pair avec
lui. Si l'on met la peau du lion sur celle des autres animaux, celles-ci se dépouillent
de tout leur poil. Le lion, quelque affamé qu'il soit, n'approche point d'une
femme qui a ses règles. Il est très sujet à la fièvre et vit fort longtemps.
La chute de ses dents est un signe de vieillesse.
On dit en proverbe : "Plus noble, plus généreux, plus agile qu'un
lion." On se sert aussi de son nom pour désigner quelque chose de
terrible, comme dans ces vers d'un poète :
"Un jour je m'étais approché de leurs tentes le cœur dévoré d'une
flamme cruelle : "Ne crains-tu donc point, me dirent-ils, la colère de
notre lion." Hélas ! leur répondis-je, le cœur d'un mortel est
toujours où repose l'objet de son amour. "
On dit aussi en proverbe : "Les lions de Schara". C'est un lieu où
ils sont en grand nombre. Un poète a dit :
"Celui qui tend un piège à l'honneur de ma femme est comme celui qui
attaque les lions de Schara pour ravir leurs petits."
Si un homme se frotte tout le corps de graisse de lion, les bêtes féroces le
fuiront et ne lui feront aucun mal. Sa
voix fera mourir les crocodiles..."
(7)
A la puissante vertu de la torpille. La torpille est un poisson du genre
des raies. Elle a la propriété d'engourdir le bras de celui qui la touche.
Nous en parlerons plus au long dans le poème de la pêche. Il n'est pas besoin
d'avertir que ce que le poète dit ici de la patte du lion est fabuleux et que
cet animal ne doit qu'à la force extrême de ses muscles la supériorité qu'il
a sur les autres animaux.
(8)
Eprouve cinq fois les douleurs de Lucine. Le grec dit à la lettre :
"Dénoue sa ceinture,"
expression figurée qui ne peut en français s'appliquer aux animaux et par
laquelle les Grecs désignaient l'accouchement. À l'égard de la fécondité de
la lionne et de ses cinq portées, plusieurs auteurs de l'Antiquité ont suivi
cette opinion. Aristote l'adopte, mais pour les lions de Syrie simplement (Hist.
des anim., liv. 6, ch. 31). Voyez aussi Élien (De
nat. anim., liv. 4, ch. 34) et Manuel Phile (In
jambis de prop. anim., p. 136). Le même Aristote enseigne (liv. 6., ch.31)
que les lionnes ne mettent bas qu'une seule fois l'année, au printemps. Leur
gestation est de sept mois, selon Philostrate (Vie
d'Apollonius, liv. 1, ch. 16) . Gesner adopte ce sentiment (De
quadr., p. 579). Élien et Manuel Phile prétendent que les lionnes ne
portent que deux mois. La taille du lion et le temps qu'il lui faut pour
parvenir à sa pleine croissance prouvent suffisamment qu'Élien n'a enseigné
qu'une erreur.
(9)
C'est une opinion absolument fausse. Hérodote est le plus ancien auteur
qui ait enseigné que la lionne ne mettait bas qu'un seul petit durant toute sa
vie. Il suffira de rapporter ses paroles pour les réfuter : "La lionne,
dit-il dans sa Thalie (p. 251, édition
de Wesseling), la lionne, cet animal si fort et si terrible, ne devient mère
qu'une seule fois durant sa vie, car en mettant au jour son lionceau elle perd
sa matrice. La raison est que lorsque le fœtus commence à s'agiter dans le
sein de sa mère, ses ongles déjà très aigus déchirent l'enveloppe qui le
contient. Plus il devient fort, plus il l'attaque et la déchire, et lorsque la
lionne est près de mettre bas, il n'y reste plus rien d'entier."
Antigonus Carystus a adopté aveuglément l'opinion d'Hérodote (Mirab.
synagoge, ch. 25) ; Aulu-Gelle, plus prudent, la révoque en doute au ch. 7
du liv. 19 de ses Nuits attiques ;
mais Aristote n'a point balancé à la ranger au rang des fables absurdes (Hist.
des anim., liv. 3, ch. 31).
(10)
Les redoutables panthères se divisent en deux espèces, la panthère
proprement dite et l'once. Elles diffèrent entre elles non seulement par la
taille et la longueur de la queue, mais la couleur de la peau et la forme des
taches dont leur robe est semée. Celle des panthères est de couleur fauve, ses
taches sont rondes, noires, larges, faites comme un anneau ou une rose dont le
centre est peint des mêmes couleurs. L'once au contraire a le poil plus blanc
et parsemé de taches longues, répandues par faisceaux et sans ordre. Cet
animal est bien moins féroce que la panthère, et les Orientaux les forment à
la chasse comme les chiens. Aristote a remarqué que l'Asie était la patrie des
panthères et qu'on n'en trouvait aucune en Europe (Hist.
des anim., liv. 8, ch. 28). Les Grecs distinguaient par deux noms différents
le mâle et la femelle de ces animaux. Ils appelaient le mâle pordalis
et la femelle pardalis. De même les
Latins nommaient la femelle variam et
pantheram et le mâle pardum
(Pline; liv. 8, ch. 17). Quelques modernes, entre autres le savant père
Hardouin, ont cru que ce dernier nom désignait notre léopard, mais c'est une
erreur, et il paraît que cet animal n'était pas connu des anciens.
(11)
Cet animal a les cuisses charnues. La panthère est décrite d'une manière
très exacte par Aristote (De physiognomia,
p. 1176). Il observe qu'elle a la face assez courte, la gueule très fendue, les
yeux petits, mais plus étincelants que ceux du lion, le cou long, effilé, le
dos large, les reins et les cuisses fournies. On a débité beaucoup de contes
au sujet des panthères. On a prétendu qu'elles exhalaient une odeur qui
attirait les autres bêtes et servait à les leur faire prendre. (Voyez
Aristote, Problem., p.748 ; Antigonus
de Carystie, ch. 37.)
(12)
Une autre fois je dirai. Au quatrième livre.
(13)
La double espèce de lynx. Nous connaissons aujourd'hui ces deux espèces.
La petite s'appelle le caracal. On le nomme aussi le pourvoyeur du lion, parce
qu'il chasse de compagnie avec le lion et lui aide à découvrir le gibier. Les
grands lynx retiennent ce nom et sont tels qu'Oppien les décrit. Les uns et les
autres portent un caractère qu'il est étonnant que notre poète ait passé
sous silence. C'est un long pinceau de poil à l'extrémité de l'oreille. Élien
n'a pas manqué ce trait caractéristique en parlant du lynx (liv. 14, ch. 6).
(14)
Lisez: "Le glaucus aux yeux brillants." Le glaucus des anciens est
suivant Rondelet le desbio. Il est
bleu, et c'est de cette couleur que son nom de glaucus
lui a été donné. Il a de plus le ventre blanc, les écailles petites, et, ce
qui peut former un caractère, il a à l'extrémité de la nageoire dorsale une
pointe qui avoisine la tête et tournée en sens contraire de celles de la
nageoire. Ce caractère convient aux trois espèces de glaucus
données sous ce nom par Rondelet. Aristote parle de ce poisson (Hist.
des anim., liv. 8, ch. 13) et dit qu'il se cache pendant l'été durant
soixante jours, qu'il a peu d'appendices à l'estomac. Oppien, dans le poème de
la pêche, célèbre particulièrement l'amour que le glaucus porte à sa postérité
(liv. I, v. 749, où nous parlerons plus en détail de ce poisson).
Le phoque est. un poisson amphibie. (Voyez les remarques de M. Camus sur
Aristote, p. 632.) Philostrate dit que ce poisson aime tellement ses petits
qu'une phoque qui avait mis bas un petit mort, pénétrée de douleur, se priva
de nourriture pendant trois jours, fable bien digne de la Vie d'Apollonius de Thyane, dans laquelle elle se trouve (liv. 2,
ch. 8 ).
(15)
L'orfraie est le grand aigle de mer.
(16)
Ses pattes. Le grec dit : "Ses
mains et ses pieds ressemblent aux pieds et aux mains de l'homme."
Aristote dit la même chose (livre 2, ch. 1). Mais cette main de l'ours est une
main très informe, le pouce n'est pas séparé des autres doigts comme dans la
main de l'homme, ce qui n'empêche pas l'ours de saisir fortement et de lancer
des pierres avec une adresse merveilleuse.
(17)
Ne sont qu'à moitié formés. Toute l'Antiquité semble avoir adopté
cette fable. Le seul Aristote en parle avec plus de réserve: "L'ours,
dit-il au liv. 6, ch. 30, produit ses petits moins gros qu'une belette, mais
plus forts qu'un rat. Ils sont sans poils et aveugles, leurs membres ne sont
presque pas articulés." Le philosophe n'a garde de dire que l'ours les
forme en les léchant. À l'égard de Pline, il prétend que les oursons à leur
naissance ne "sont qu'une masse de chair blanche et sans forme, sans poil,
sans yeux, à laquelle l'ours donne une figure en la léchant." (L. 8, ch.
36). La raison pour laquelle les ours se plaisent à se lécher les uns
les autres est vraisemblablement la transpiration salée qui sort de leur peau.
(18)
L'ours craint la rigueur de l'hiver. La plupart des anciens ont observé
que l'ours aimait le froid et n'habitait point les pays chauds, ce qui n'est
vrai que des ours noirs, animaux frugivores, bien différents, par le caractère
moral, des ours bruns dont Oppien fait ici la description. On croit communément
que les ours noirs n'ont point été connus des anciens ; cependant ce n'est
qu'en leur accordant cette connaissance que l'on peut concilier le sentiment de
Pline (liv. 8, ch. 36 ), qui assure que les ours n'habitent point les pays
chauds et qu'on n'en trouve point en Afrique, avec celui d'Hérodote (Melpomène, ch. 191), qui affirme le contraire. Mais cette
contradiction disparaît si l'un a parlé des ours noirs, qui n'habitent
effectivement que les régions les plus froides, et l'autre des ours bruns, que
l'on trouve dans les climats les plus chauds.
(19)
Chantons à présent l'onagre. L'onagre n'est point le zèbre, comme l'a
enseigné le dernier éditeur d'Oppien, M. Schneider. Déjà M. de Buffon avait
averti de la différence essentielle qui est entre ces deux animaux: "Le zèbre,
dit-il (t. 5, p. 177 de son Hist. des
quadr.), n'est point l'animal indiqué par les anciens sous le nom d'onagre. Celui-ci
n'est autre que l'âne ordinaire en état de liberté ; il est plus grand, plus
fort et plus beau parce qu'il n'est point déshonoré par le joug de l'esclavage
et qu'il vit sous un climat plus favorable, dans les belles contrées de l'Asie
et de l'Afrique.
(20)
Il a l'air gai. Si l'on veut adopter la correction que je propose, osté péléiphaïdros au lieu d'osté
péléiphe, il faut traduire : "Il
a les yeux brillants."
(21)
Mais il est lui-même une pâture délicate pour les animaux carnassiers.
Parmi ces animaux carnassiers, il faut comprendre l'homme, car les anciens
faisaient un cas particulier de la chair de l'onagre. Xénophon (Expédition du jeune Cyrus, liv. 1, p. 151 ) dit que cette chair
ressemble beaucoup à celle du cerf, si ce n'est qu'elle est plus délicate
encore. Nous voyons dans l'Ane de
Lucien qu'on avait fait présent à un homme riche d'une cuisse d'âne sauvage
comme d'un morceau recherché et digne d'une table somptueuse. Le cuisinier, par
sa négligence, ayant laissé dévorer cette cuisse par des chiens et voulant se
pendre de désespoir, sa femme lui conseille d'égorger l'âne des prêtres de
Cybèle, d'en prendre la cuisse et de la servir à son maître comme celle de l'âne
sauvage. Les onagres les plus délicats étaient, selon Pline (liv. 8, ch. 44),
ceux d'Afrique, que les Latins appelaient lalisiones.
(22)
Boisson chérie. Le grec dit à la lettre : "Le vin pur des
animaux" (C'est une imitation de Virgile (Géorg.,
3, v. 529) : Pocula sunt
fontes liquidi.
(23)
Le moment où elle sera délivrée de son fruit. Le grec dit :
"Quand le petit tombe aux pieds de sa mère."
(24)
Ce n'est point l'affreuse tête de Méduse. Il est assez plaisant de voir
un âne citer la fable. Ce trait est de mauvais goût et décèle la jeunesse de
l'auteur, qui paraît avoir voulu imiter Euripide dans les Phéniciennes
(v. 458), où Jocaste dit à Polynice qui regarde son frère d'un oeil courroucé
: "Adoucissez, mon fils, la sévérité de vos regards et contenez votre
colère. Ce n'est point la tête affreuse de la Gorgone qui se présente à
vous, c'est un frère."
(25)
Thésée. Qui dévoua son fils Hippolyte à la vengeance des dieux, sur
les calomnies de Phèdre.
Athamas, irrité par les délations d'Ino sa seconde épouse, exila Phryxus et
Hellé qu'il avait eus de sa première femme. Hygin (fab. 4 et 5) dit que, dans
un accès de fureur, il tua à la chasse son fils Léarque.
Thémisto, fille d'Hypséus et seconde femme d'Athamas, selon Hygin, tua ses
propres enfants en croyant tuer ceux d'une rivale (fab. 45).
(26)
La race énorme des hippagres. Dans ce vers, polu
marque moins le nombre que la grosseur et l'énormité de la taille. Mais quels
sont ces hippagres dont le nom signifie à la lettre chevaux sauvages ? Il est
aisé de s'apercevoir, en lisant la description qu'en fait Oppien, qu'elle ne
convient à aucune des espèces de chevaux connues, et ce que Bodin et d'après
lui, Rittersheim disent des chevaux sauvages de la Scythie ne mérite pas qu'on
s'y arrête.
S'il m'est permis de dire ici mon sentiment, je pense que ces chevaux sauvages
ne sont autres que ceux que les anciens appelaient chevaux du Nil et hippopotames. Ne serait-il pas étonnant
qu'Oppien eût passé tout à fait sous silence un animal aussi célèbre dans
l'Antiquité ? Mais si tous les traits dont le poète s'est servi pour caractériser
son hippagre conviennent parfaitement à l'hippopotame, s'il a suivi les
opinions et même les erreurs des écrivains précédents qui ont parlé de ce
fameux animal, il demeure pour constant que sous le mon d'hippagre, Oppien a
voulu décrire le cheval du Nil. Premièrement, selon notre poète, l'hippagre
habite les confins de l'Ethiopie, c'est-à-dire entre l'Égypte et l'Éthiopie.
Ce sentiment est celui d'Hérodote (liv. 2, ch. 71) et de Diodore de Sicile
(liv. 1, p. 42), qui donnent pour patrie à l'hippopotame l'Egypte supérieure.
Nicandre (v. 566 de ses Theriaca),
Nonnus ( I. 26, p. 690 de ses Dionysiaques)
et la plupart des écrivains modernes enseignent la même chose. Les hippagres
d'Oppien ont la bouche armée de deux dents saillantes et recourbées.
L'hippopotame, suivant Hérodote Diodore, Aristote (Hist.
des anim., I. 2, c. 7), porte de pareilles défenses et est du genre des
animaux que les Grecs appellent chauliodontas.
Ce qu'Oppien dit du pied de l'hippagre, qu'il n'est pas renfermé comme celui
des chevaux dans une sole, mais qu'il est divisé en une double pince comme
celui du cerf, se retrouve entièrement dans les auteurs que je viens de citer
et c'est une erreur qui leur est commune. Ils parlent encore de la crinière de
l'hippopotame à peu près dans les mêmes termes qu'Oppien nous décrit celle
de l'hippagre, excepté qu'ils ne disent pas, comme le poète, que cette crinière
règne depuis le sommet de la tête jusqu'à l'extrémité de la queue. Les mœurs
sauvages et le caractère indomptable de l'hippagre d'Oppien conviennent
parfaitement au tableau que Diodore nous fait des mœurs
et du caractère de l'hippopotame. Tous ces traits réunis et comparés
prouvent par leur ressemblance que, sous deux noms différents, l'hippopotame et
l'hippagre sont le même animal. Je ne puis mieux terminer cet article qu'en
traduisant ici une description de l'hippopotame faite par un auteur grec anonyme
et que le savant J.-Caes. Boulanger a publiée, d'après un manuscrit, dans sa Dissertation
sur les jeux du cirque, dissertation comprise dans les antiquités grecques
et romaines recueillies par Graevius et Gronovius (t. 9, page 730, édit. de
Florence) : "L'hippopotame, dit l'écrivain anonyme, a le ventre et les
pieds du cheval, excepté que la sole en est fendue ou divisée en deux pinces.
Sa queue est épaisse, peu garnie de poils, aussi bien que tout le reste de son
corps. Sa tête est arrondie, ses mâchoires sont plus petites que celles du
cheval. Il a les naseaux très creux, et le souffle qui s'exhale par leur cavité
ressemble à des tourbillons de fumée qui sortent d'une cheminée. Sa bouche
est fendue jusqu'à ses tempes. Il a en outre deux dents saillantes, semblables
à celles du sanglier. C'est un animal prodigieusement vorace. Une moisson entière
peut à peine assouvir sa faim. Sa taille est celle d'un taureau. Pour le
chasser, on observe les lieux qu'il fréquente, on y creuse des fosses qu'on
recouvre de branchages légers sur lesquels on répand de la terre."
(27)
Les noirs habitants de l'Inde. Ce sont les Ethiopiens, car l'Éthiopie
est quelquefois appelée l'Inde occidentale, par la raison, dit Philostrate (Vie
d'Apollonius, livre 3, ch. 6), que les Éthiopiens tirent leur origine de
l'Inde. Ce dernier pays est quelquefois appelé Éthiopie orientale, comme nous
l'apprend Servius, commentateur de Virgile, sur le 4e livre de l'Énéide, v.
481 : "Dure sunt Aethiopiae, usa circa ortum solis, altera circa occasum,
id est, Mauritania, quam nunc dicit. Dicta est Ethiopia a colore populorum, quos
solis vicinitas torret."
(28)
L'hyène. La nomenclature de cet animal est extrêmement variée chez les
auteurs anciens. Aristote l'appelle glanos
au livre 8, ch. 5 de l'Hist. des Anim.
Ctésias, dans son Hist. de l'Inde, et
Porphyre (De abstinentia, 1. 3, § 4 )
la nomment crocotta. Ce nom est, selon
Ctésias, celui que lui donnent les Indiens. Strabon (lib. 16) nous apprend
qu'on l'appelle quelquefois kunolucos,
parce qu'elle tient du chien et du loup. Enfin elle est nommée belbus
par quelques auteurs latins, entre lesquels on distingue Capitolinus (p. 677, édition
dite des variorum.)
(29)
Elle ne jouit de la lumière que lorsque nous l'avons perdue. Les anciens
Grecs appelaient héméralopie cette
disposition vicieuse des organes de la vue qui, trop faibles ou trop irrités
pour soutenir l'éclat du jour, ne distinguent les objets qu'aux approches de la
nuit. Il est douteux que l'hyène soit habituellement sujette à cette maladie.
(30)
L'autre a le dos arqué. Il est assez étonnant qu'Aristote ait oublié
ce caractère particulier à l'hyène, dont il donne d'ailleurs une assez bonne
description (H. an., liv. 6, ch. 32,
et liv. 8, ch. 5). Il est superflu d'avertir le lecteur que ce que notre poète
raconte ensuite de la vertu des peaux de l'hyène et du loup est purement
fabuleux.
(31)
Tantôt mâle, tantôt femelle. Ce qui a pu donner naissance à cette
fable ridicule, rapportée sérieusement par une foule d'auteurs et réfutée
par Aristote, c'est que le mâle a sous la queue une raie assez profonde
semblable à la vulve de la femelle. (Aristote, De
generat. anim., liv. 3, ch. 6, p. 1103. B.)
(32)
Près des rocs élevés de l'Amanus. C'est ainsi qu'il faut lire, et non Près
des bords. L'Amanus est une chaîne de montagnes qui divisent la Cilicie et
la Syrie.
(33)
On l'appelle Chrysus. C'est-à-dire loup
doré. M. de Buffon croit que ce loup doré d'Oppien est le thos
d'Aristote et le chacal ou schiagal
des Orientaux. Mais Oppien distingue expressément le thos
du loup doré.
(34)
Le tigre au corps noble et superbe. Le tableau qu'Oppien nous trace ici
du tigre est le plus vrai de tous ceux que l'Antiquité nous a laissés de cet
animal, et notre poète est le seul qui ait donné au tigre le véritable caractère
qui le distingue de la panthère, de l'once et du léopard, en disant que sa
peau est embellie par diverses guirlandes, c'est-à-dire par de longues bandes
tirées de la tête à la queue.
(35)
C'est le plus prompt à la course. Le tigre s'élance et bondit
plutôt qu'il ne court : "La vélocité du tigre est terrible, dit Pline
(liv. 8, ch. 18). On la connaît lorsqu'on lui enlève pendant son absence toute
sa portée, qui est toujours nombreuse. Le ravisseur, monté sur un excellent
coursier, fuit à toute bride, mais dès que la femelle (le mâle est peu attaché
à ses petits) trouve son repaire abandonné, elle accourt sur les traces du
ravisseur, le joint et le force à lui jeter un de ses petits. Elle le prend
aussitôt dans sa gueule, le porte à sa demeure, revient encore, en reprend un
second, jusqu'à ce que le cavalier, parvenu à son vaisseau, s'éloigne et la
laisse sur le rivage, où elle fait éclater sa fureur et ses regrets."
C'est par ce moyen que les Romains se procuraient des tigres vivants pour
combattre dans les jeux du cirque. On employait encore une autre ruse pour avoir
des tigres sauvages et dans la force de l'âge. On fabriquait une large boîte
dont le fond était occupé par un miroir. Autour de cette boîte, on dressait
une enceinte de filets, dans lesquels les chasseurs poussaient l'animal.
Celui-ci, en arrivant à la boîte, voyait dans le miroir l'image de la
campagne, croyait pouvoir passer outre et s'élançait dans la boîte, dont un
homme, placé derrière, fermait aussitôt le couvercle. On voit une représentation
de cette espèce de chasse dans l'Antiquité expliquée de D. Montfaucon.
Le nom du tigre lui est donné à cause de son extrême promptitude et vient,
suivant Varron (De lingua lat., liv.
4, n° 20) d'un mot arménien qui signifie flèche.
(36)
Qui croira jamais. C'est avec raison qu'Oppien rejette cette fable
ridicule, que plusieurs graves auteurs ont enseignée sérieusement. Varron (De R. R., liv. 2) prétend que les cavales d'Espagne et de Lusitanie
sont fécondées par le vent.
(37)
C'est une opinion commune. Il n est pas nécessaire d'avertir le lecteur
que cette opinion est fausse. Oppien paraît l'avoir puisée dans le Traité de la Chasse de Xénophon, ch. 17. Il n'a fait pour ainsi
dire que mettre en vers le texte de cet auteur, que Pollux paraît aussi avoir
copié au ch. 12 du liv. 5 de son Onomasticon.
(38)
Les porcs-épics. Cet animal, appelé hystrix
par les anciens, paraît avoir été confondu par quelques-uns avec le hérisson
(echinus), dont cependant il diffère
essentiellement par la grosseur aussi bien que par la forme. La seule
ressemblance qui soit entre ces deux animaux, c'est que l'un et l'autre a le
corps revêtu de piquants. Le nom de porc-épic pourrait faire croire qu'il y a
quelque similitude avec le porc. Il n'a cependant que peu de rapports avec ce
quadrupède. Ses pieds sont divisés en doigts, tandis que ceux du porc sont
partagés en deux pinces. Il n'a point le museau allongé du porc, son mufle est
arrondi. Ainsi Claudien a enseigné une erreur lorsqu'il a dit dans son petit poème
du Porc-épic, v. 5 :
Os longius illi
Assimilat porcum.
Les
porcs-épics sont plus petits que les loups, et si Oppien semble les égaler à
ces animaux, c'est par une erreur de copiste, car il faut lire au v. 303 tôn d'outoi megethos au lieu de tôn
d' êtoi, ainsi que je crois l'avoir prouvé dans les notes latines.
(39)
L'ichneumon. C'est l'animal que l'on appelle aujourd'hui la mangouste et
que les Égyptiens nomment en leur langage rat
de Pharaon, quoiqu'il n'ait aucun rapport avec le rat. Il ressemble plutôt
à la belette. (Voyez sa description dans l'hist.
des quadr. de M. de Buffon, tome 6, p. 133.)
(40)
Aussitôt il se roule dans le sable. Strabon (liv. 17, p. 558) décrit à
peu près dans les mêmes termes qu'Oppien la ruse que l'ichneumon emploie
contre le crocodile : "Les ichneumons, dit-il, détruisent les crocodiles.
Lorsqu'ils voient ceux-ci ouvrir au soleil leur vaste gueule, ils s'élancent
dans ce gouffre, rongent les entrailles du crocodile et sortent par son
ventre." Ce que Pline semble avoir traduit liv. 8, ch. 25 : "Crocodilum
somno pressum conspicatus ichneumon, per easdem fauces ut telum aliquod
immissus, erodit alvum."
(41)
Voici le piège qu'il tend à l'aspic. Ce combat de l'ichneumon et de
l'aspic est totalement emprunté d'Aristote (Hist.
an., liv. 9, ch. 6). Mais le philosophe n'y croyait pas beaucoup. Élien,
Nicandre, Antigonus Carystius et une foule d'autres auteurs ont orné leurs écrits
de cette fable.
(42)
Le renard. Cet animal est trop connu pour nous y arrêter. La ruse qu'il
emploie pour prendre les oiseaux est décrite par Oppien au poème de la Pêche (liv. 1, v, 108).
(43)
En qui la panthère est unie au chameau. C'est de cette réunion
que les Grecs avaient nommé cet animal camelopardalis ; nous l'appelons aujourd'hui girafe d'après les
Orientaux. La description qu'en donne ici Oppien est une des meilleures que nous
ayons.
(44)
Ils ont un long cou. Héliodore dit de même : "Son cou mince
s'allongeait comme celui d'un cygne."
(45)
De courtes oreilles. Ni Strabon ni Héliodore ne parlent des oreilles du
camelopardalis. Belon, qui avait vu cet animal, assure que les oreilles de la
girafe sont tout à fait semblables à celles de la vache et de même grandeur.
Par conséquent, elles doivent paraître fort petites pour un animal dont la tête
est si élevée.
(46)
Dépourvue de crinière. Oppien est ici d'une exactitude admirable. En
effet dans les descriptions modernes de la girafe et dans les différentes
figures qu'on en a tracées, la crinière, qui est fort courte, ne commence qu'à
la naissance du cou.
(47)
Deux cornes qui ne sont pas de la nature des cornes ordinaires.
C'est ainsi que je traduis outi kéras kéroen
: "Ce n'est pas une corne de corne." En effet, suivant les
meilleurs naturalistes modernes, les cornes de la girafe sont d'une nature
osseuse, roulées en spirale, revêtues de poils qui semblent être adhérents.
Leur hauteur est à peu près de six pouces ou un peu plus. Ces cornes, comme le
dit Oppien, croissent au milieu du front au-dessus des tempes.
(48)
Du passereau et du chameau. D'après cette opinion, les Grecs nommaient
l'autruche stroutiocamêlos. Les
Arabes lui donnent encore aujourd'hui un nom qui signifie aussi oiseau-chameau.
(Voyez les Extraits de l'hist. Nat.
d'Eldémiri.)
(49)
Il faut le poursuivre à d'aide des coursiers.
Elien (De nat. anim., liv. 14, ch. 7)
décrit ainsi la chasse de l'autruche. Cet oiseau se prend en le forçant avec
des chevaux. Sa course est circulaire et excentrique. Les chevaux l'atteignent
en lui coupant le chemin. On le prend encore en guettant le moment où il va
visiter ses oeufs pour voir s'ils sont éclos, car il ne les couve point. Il les
dépose seulement dans le sable, et l'ardeur du soleil les fait éclore. Quand
il croit que ses petits sont nés, il vole à eux les ailes étendues. Alors les
chasseurs, placés en embuscade, le percent à coups de trait. Oppien, dans le
poème de la Pêche (l. 4, v, 63o),
dit que l'autruche est si stupide qu'elle croit se dérober à la vue des
chasseurs en se cachant la tête dans des buissons.