OPPIEN
LA CHASSE
POÈME
CHANT SECOND.
Descends des
cieux, fille de Jupiter, aimable Phébé, vierge à la ceinture d'or, sœur
jumelle d'Apollon, viens m'apprendre quel fut le premier des mortels ou des
vaillants Héros, qui reçut de ta main libérale les nobles présents de la
chasse.
Au pied du mont Pholoé, dont le sommet s'élève dans les airs, une race
féroce, qui unit à la forme des humains celle des animaux et dont le corps
semblable jusqu'à la ceinture à celui des hommes se termine par la croupe d'un
cheval, inventa la chasse autrefois pour fournir aux besoins de la table (1).
Chez les mortels, le Héros qui trancha la tête de la Gorgone, ce fils illustre
de Jupiter changé en or, Persée fut le premier chasseur. Porté sur les ailes
rapides dont ses pieds étaient ornés, il saisissait de ses mains les lièvres
et les thos,
les chèvres sauvages, les daims légers, les oryx (2)
; il arrêtait les cerfs mêmes par le bois orgueilleux qui couronne leur tête.
Castor, dont l'astre brillant annonce le retour de la lumière, inventa l'art de
chasser à cheval les animaux sauvages. D'un javelot adroitement lancé, il
donnait aux uns le trépas, et poursuivant les autres à l'aide de ses coursiers
rapides, il les forçait dans les forêts, lorsque Phébus était au milieu de
sa carrière. Le Lacédémonien, fils de Jupiter, Pollux, fut le premier qui
d'un ceste redoutable fit mordre la poussière aux brigands et terrassa les
bêtes sauvages avec le secours de ses chiens agiles. Le belliqueux fils
d'Oïnée (3), Méléagre, se distingua sur tous
les mortels, par les courses et les combats qu'il soutint dans les montagnes.
Hippolyte enseigna le premier aux humains l'art de tendre les toiles et les
rets. L'illustre fille de Schoenée, cette Atalante qui frappa d'un trait mortel
le sanglier de Calydon, inventa les flèches ailées qui donnent le trépas aux
habitants des forêts, et longtemps avant tous les autres, Orion, chasseur
fécond en ruses ingénieuses, imagina les embûches nocturnes et cette chasse
furtive par laquelle on surprend le gibier au milieu des ténèbres.
Tels furent autrefois les héros qui les premiers frayèrent les sentiers de la
chasse (4). Mille mortels après eux furent épris
pour elle du plus violent amour. Lorsqu'une fois on a senti l'aimable aiguillon
de ce plaisir, on ne s'en détache pas volontiers. Il nous arrête par un charme
inexprimable (5). Autant un doux sommeil, que l'on
goûte au printemps sur un lit de fleurs ou dans une sombre caverne, pendant
l'ardeur de la canicule, fait éprouver de volupté, autant les chasseurs en
trouvent à prendre leurs repas au milieu des rochers. Quel plaisir pour eux de
cueillir les fruits dorés de l'automne, d'étancher leur soif au ruisseau frais
et limpide, qui s'écoule d'un antre, d'oublier leurs fatigues dans un bain
délicieux, et combien les vases remplis d'un doux laitage, que les bergers leur
portent dans les bois, sont pour eux d'agréables présents !
(6)
Chantons premièrement, les taureaux, cette espèce jalouse à l'excès,
chantons ces fréquents et terribles combats qu'allument entre eux les désirs
de l'hymen. Unique souverain, le taureau, que sa taille et sa force élèvent
au-dessus des autres, règne en tyran sur tout le troupeau. Il domine sur les
femelles et sur les taureaux plus faibles que lui. Tous redoutent ce monarque
puissant, armé de cornes menaçantes. Les génisses elles-mêmes tremblent à
l'aspect de leur époux furieux. Mais si quelque autre taureau, écarté du
troupeau dont il est aussi roi, marche à sa rencontre en secouant fièrement sa
tête, alors un violent combat s'élève entre eux. D'abord posés en présence
l'un de l'autre, ils se mesurent des yeux. La fureur jalouse, dont ils sont
embrasés éclate dans leurs regards. Le feu sort à travers leurs naseaux. Ils
déchirent la terre avec leur pied, semblables à des athlètes qui veulent se
couvrir de poussière. Ils se défient réciproquement au combat en poussant de
belliqueux mugissements. À peine ils ont sonné la charge, qu'ils s'élancent
avec impétuosité l'un sur l'autre, et de leurs cornes aiguës se percent le
flanc tour à tour. Ainsi dans un combat naval, lorsque le dieu de la guerre
allume sur les flots le flambeau de la discorde, deux immenses vaisseaux font
briller en se menaçant les éclairs de l'airain dont ils sont hérissés.
Poussés par un vent rapide et par l'effort des nautoniers, ils volent, proue
contre proue, à la rencontre l'un de l'autre, ils s'approchent, ils se
choquent. Le bruit des armes, les cris des combattants, le fracas des vaisseaux
qui se brisent, retentissent sur les prochains rivages et font gémir au loin le
vaste empire de Nérée. Tels, ces taureaux furieux font retentir les airs sous
les coups terribles qu'ils se portent, jusqu'à ce que l'un d'eux obtienne enfin
une victoire longtemps douteuse et chère à ses désirs. L'autre cependant ne
veut plus porter le joug de la servitude. Honteux d'être vaincu et poussant de
profonds soupirs, il va cacher sa défaite dans le sein des forêts épaisses.
Là, durant des années entières, vivant seul au milieu des rochers, il paît,
loin de son troupeau, dans les bois et sur les montagnes. Comme un athlète qui
veut accroître sa vigueur, il exerce ses forces, mais dès qu'il les sent assez
redoutables pour balancer celles de son rival, il remplit les vallons de ses
cris. Son vainqueur y répond et la forêt en est ébranlée. Bientôt, de plus
fiers mugissements augmentent son audace. Il descend avec impétuosité des
monts qu'il habitait, fond sur son ennemi et remporte sur lui une victoire
facile. Ses forces se sont accrues par la vie sauvage qu'il menait dans les
bois, et les plaisirs de Vénus ne les ont point énervées.
Les diverses espèces de taureaux sont innombrables, et leurs mœurs varient à
l'infini. Ceux qui dans l'Égypte paissent les bords de ce fleuve, dont les
canaux multipliés font naître de riches moissons, ont la blancheur
éblouissante de la neige et surpassent tous les autres en grosseur. En les
voyant de loin, on les prendrait pour un immense vaisseau qui vogue sur la
terre. Leur caractère est doux. Amis des humains, ils s'accoutument dès la
jeunesse à supporter tous les travaux qu'on leur impose.
(7) Les taureaux de Phrygie ont la noble couleur de
Cérès et celle du feu. Un fanon large et majestueux descend de leur cou, que
surmonte une éminence arrondie. Leurs cornes sont d'une étrange nature, elles
ne sont point fixées sur la tête puissante de ces animaux, mais ils les
baissent et les relèvent à volonté (8) Ceux
d'Aonie, embellis de diverses taches, ont l'ongle d'une seule pièce, une corne
unique et redoutable croit au milieu de leur front. En Arménie, les taureaux
ont deux cornes, qui pendent recourbées et roulées en spirale. Elles portent
de funestes blessures.
Les taureaux de Syrie, ceux que produit la Chersonèse (9)
et ceux qui paissent sur les montagnes, d'où s'élève la magnifique Pella sont
roux, forts et courageux. Ils ont un large front, mènent une vie sauvage (10)
et sont infatigables. Ils attaquent à coups de cornes, s'irritent aisément,
poussent des mugissements épouvantables et lancent des regards affreux. La
jalousie les transporte, et leurs mâchoires sont largement fendues. Peu chargé
d'embonpoint, leur corps n'est point appesanti dans sa marche, et, quoique
maigres, ils n'en sont pas moins forts et vigoureux. Ainsi par un heureux
accord, ces animaux unissent les dons divers qu'ils ont reçus des dieux, et
sont tout à la fois prompts à la course et robustes aux combats.
On dit que le fils de Jupiter, l'infatigable Hercule, les amena jadis d'Eurythie
(11). Ce fut le prix de la victoire qu'il
remporta sur Géryon, prés des bords de la mer, lorsqu'il combattit et terrassa
ce triple monstre sur le roc élevé qu'il habitait. Le héros se proposait
encore d'exécuter un autre travail, non pour obéir à Junon ou aux ordres
d'Eurysthée, mais en faveur d'Archippus son ami, souverain de Pella. La vaste
plaine qui s'étend aux pieds du mont Emblon (12)
était changée depuis longtemps en une mer immense. L'Orontès, toujours
débordé (13), promenait au loin ses eaux
vagabondes et semblait avoir oublié le chemin de la mer. Épris des charmes
d'une Nymphe, fille de l'Océan, il s'arrêtait au pied des collines, et loin de
renoncer à la passion malheureuse qui le transportait pour la belle Méliboée,
il couvrait de ses flots une terre fertile. Deux montagnes prolongeaient l'une
vers l'autre leur sommet majestueux, environnaient et bornaient des deux côtés
le cours de ce fleuve. Le mont Dioclès étendait vers l'aurore sa masse
élevée. Au couchant s'avançait la pointe gauche de l'Emblon, et dans la
plaine qu'ils renfermaient, le fleuve roulait ses ondes impétueuses. Il les
augmentait sans cesse, et les portant jusqu'aux pieds des remparts de ma patrie,
quoiqu'elle fût un continent, il en faisait une île en la baignant de ses
flots. C'est pour les réprimer que le fils de Jupiter, à l'aide de sa massue
et de ses bras infatigables, devait en mesurer le cours, séparer et diriger
loin de la plaine les eaux de ce beau lac (14) et
celles du fleuve rapide. Il accomplit cette immense entreprise en coupant le
sommet des montagnes qui bordaient les rives de l'Orontès. Il brisa les rochers
qui enchaînaient l'onde de ce fleuve, et le faisant couler lui-même à flots
précipités, il le fit descendre avec un horrible murmure sur les bords de la
mer. A sa chute épouvantable, l'Océan retentit d'un bruit affreux que répéta
le noir rivage de la Syrie (15). C'est avec moins
de fracas que deux fleuves, dont le cours est contraire, précipitent leurs eaux
au sein des mers qu'ils font mugir au loin. Ni l'lster, qui, franchissant les
barrières de glace (16) que Borée oppose à son
cours, roule son onde sur les rochers et les promontoires qu'il bat de ses flots
et traverse la Scythie avec un murmure effrayant et continuel, ni le fleuve
sacré de l'Égypte, qui, descendu de la Libye, épouvante la mer lorsqu'il
vient y briser ses vagues écumeuses, ne font rien entendre de pareil aux
mugissements affreux, dont le vaste Orontès fit retentir les rives de l'Océan.
Elles poussèrent un horrible cri (17),
lorsqu'elles reçurent dans leur sein la masse énorme de cette mer étrangère.
Bientôt, renaissant sous les eaux qui l'accablaient, la terre offrit à Hercule
une plaine nouvelle, reprit sa couleur noire et sa fertilité. Aujourd'hui même
encore ses guérets se couronnent de riches moissons, et le bœuf laborieux
foule le grain entassé dans les aires voisines du temple de Memnon, de ce
temple où les peuples de l'Assyrie pleurent l'aimable fils de l'Aurore, ce
héros que l'intrépide époux de Déidamie (18)
précipita chez les morts, à la fleur de ses ans, lorsqu'il marchait au secours
des malheureux Troyens. Une autre fois, je célèbrerai dignement et dans
l'aimable langage du Permesse (19) les beautés
qui décorent votre patrie. Je reviens maintenant aux chants que j'ai consacrés
à la chasse.
Il
est encore
parmi les fiers taureaux une race indomptable. On donne à ceux-ci le nom de
bisons (20), parce que la Bistonie de Thrace est
leur patrie. Voici les formes qu'ils ont reçues de la nature. Sur leur cou
épais flotte une crinière hérissée qui règne jusqu'aux épaules et couvre
leurs joues délicates. Telle la porte le lion (21),
ce noble roi des animaux, couronné d'une chevelure blonde et majestueuse. Les
cornes de ces taureaux sont armées de pointes aiguës, aussi subtiles que des
langues de feu (22) et semblables aux hameçons
recourbés. Elles ne croissent point opposées comme aux autres taureaux, les
pointes n'en sont point dirigées l'une vers l'autre, mais ces funestes dards,
couchés sur le front de l'animal, se redressent à leur extrémité et
regardent les cieux. Aussi, lorsque ces taureaux poursuivent un homme ou quelque
quadrupède, s'ils le frappent de leurs cornes, ils l'enlèvent dans les airs.
Leur langue, d'une rudesse extrême, est semblable à cet instrument qui ronge
le fer (23), ses caresses font couler le sang.
Le cerf aux pieds
légers se nourrit des productions de la terre. Il a le front couronné d'un
bois majestueux. Son oeil est grand, son port noble et son dos tacheté et
nuancé de diverses couleurs. Cet animal plein de vivacité traverse les fleuves
et porte orgueilleusement sa tête. Ses reins sont fournis de graisse, mais ses
jambes sont minces, son cou est faible et sa queue fort courte. Ses naseaux,
partagés en quatre ouvertures (24), forment
autant de canaux par lesquels il respire. Le courage n'habite point son cœur,
sa colère est peu redoutable, et quoique élevé, son bois n'est armé que de
pointes émoussées (25)
CHANT SECOND.
(1) Chez les mortels, le héros qui trancha. Xénophon, que notre auteur a pris pour guide lorsqu'il attribue l'invention de la chasse aux centaures, Xénophon, dis-je, ne nomme point Persée au rang des premiers chasseurs, et j'ignore d'où Oppien a pu tirer la tradition qu'il suit ici. Selon Xénophon, les dieux Apollon et Diane, pour récompenser Chiron de son amour pour la justice, lui communiquèrent l'art de la chasse ; il eut pour élèves dans cet art Céphale, Esculape, Mélanion, Nestor, Amphiaraüs, Pélée, Télamon et plusieurs autres parmi lesquels on ne voit point le nom de Persée. Les premiers inventeurs de la chasse furent les Phéniciens, si nous en croyons le récit de Sanchoniaton rapporté, d'après la traduction grecque de Philon de Biblos, par Eusèbe de Phamphylie (Préparation évangélique, liv. i, p. 35) : "Longtemps, dit-il, après la naissance d'Hypsuranius naquirent Agrée et Haliée, inventeurs de la pêche et de la chasse. C'est d'eux que les pêcheurs et les chasseurs ont tiré leur nom." On admirera sans doute la conformité qui se trouve entre ces deux noms prétendus phéniciens et les noms grecs alieis et agreutai ; elle me servira peut-être à prouver quelque jour que ce récit de l'antique Sanchoniaton n'est qu'un roman de Philon adapté à certaines circonstances et inventé pour déprimer les Grecs, qui s'attribuaient une trop haute antiquité et l'invention des sciences. Selon le poète Nonnus (Dionysiaques, liv. 5, p. 152), Aristée fut l'inventeur de la chasse, des filets, des fourches et de l'art de suivre les bêtes à la piste. (Voyez dans les notes latines le passage de ce poète.) Les Crétois s'attribuaient aussi cette invention. (Diodore de Sicile, livre 5, p. 334.)
(2) Les Oryx. Espèce de chèvre sauvage dont nous parlerons par la suite.
(3) Méléagre, qui tua le sanglier de Calydon. Voyez son histoire dans Homère, Iliade, liv. 9, v. 530. Atalante l'accompagnait à cette chasse et porta la première blessure au sanglier. (Voyez les mythologues.)
(4) Les héros qui les premiers frayèrent les sentiers de la chasse. Le grec dit : "qui furent les conducteurs de la chasse."
(5)
Autant un doux sommeil. Imitation de ces beaux vers de Virgile :
Quale sopor fessis in gramine, quale per aestum
Dulcis aquae saliente sitim restinguere rivo.
(Eclog. 5, v. 16.)
(6) Chantons ces fréquents et terribles combats. Tout ce morceau est imitation du 3e livre des Géorgiques.
(7) Les taureaux de Phrygie. Oppien leur attribue deux caractères principaux, d'avoir une éminence ou bosse sur le dos et de remuer les cornes à volonté. Ce second caractère est suspect, quoique indiqué par d'autres auteurs, tels qu'Aristote (Hist. anim., livre 3, ch. 9), Antigonus Carystius (Mirabilium synagoge, ch. 81), et Élien (De anim., liv. 2, ch. 20), lequel dit la même chose des taureaux d'Érythrée. À l'égard du premier caractère, c'est celui de plusieurs autres espèces de taureaux, principalement du zèbre décrit par M. de Buffon, t. 5, p. 119. Mais celle dernière espèce est trop petite pour convenir à la description de notre poète ; cette description s'accorde bien mieux avec celle que Pline nous a laissée des boeufs de Syrie et de Carie (livre 8, ch. 45) : "Syriacis non sunt palearia, sed gibber in dorso. Carici quoque in parte Asiae foedi visu, tubere super armos eminente, luxatis cornibus, excellentes in opere narrantur ; caetero nigri coloris candidive ad laborem damnantur." Sans pouvoir rien affirmer de précis sur ces taureaux, il paraît qu'on peut les rapprocher de l'espèce du bison et du bonasus décrit par Aristote au livre 9, ch. 45 de l'Histoire des animaux, et dont nous parlerons bientôt.
(8) Ceux d'Aonie. Les caractères qu'Oppien donne à ces animaux, l'ongle d'une seule pièce, la corne unique qui croît au milieu de leur front, annoncent que ce ne sont point des taureaux, mais des licornes ou monocéros, animaux fabuleux, dont cependant plusieurs auteurs ont assuré l'existence et décrit la forme. Strabon, d'après Onésicrite, les appelle ippous monokerôtas elaphorkranous (chevaux à tête de cerf et qui n'ont qu'une seule corne). Cet animal, dont les pieds ont vraisemblablement été mal observés par les anciens, paraît être le même que celui dont parle César (De bello gallico, liv. 6, gaga 246) : "On trouve, dit-il, dans les forêts de Germanie un bœuf qui a la forme du cerf et est monocorne, c'est-à-dire que ces cornes réunies en une seule pièce depuis la racine, s'élèvent en droite ligne au-dessus de son front, et à une certaine hauteur se partagent en deux rameaux fort étendus." Je pense que c'est le renne que César veut décrire en cet endroit. Ce quadrupède, aujourd'hui retiré dans les forêts du Nord, habitait autrefois celles de la Germanie, selon M. de Buffon (t. 5, p. 232). Pline (Histoire naturelle, livre 8, ch. 21 ) reconnaît, comme Oppien, des bœufs solipèdes et qui n'ont qu'une corne, mais il leur donne, ainsi que Strabon cité ci-dessus, l'Inde pour patrie : "In lndia et boves solidis ungulis unicornes." D'où je pense qu'il faut lire dans Oppien oi Indoi au lieu d'Aonioi qu'on lit aujourd'hui et d'ai Onoi que propose Bochart (p. 332 de son Hierozoicon) sans faire attention que ce mot, dont, la première syllabe est brève, rompt la mesure du vers. Ces taureaux de l'Inde me paraissent avoir beaucoup de rapport avec la description que Pline (liv. c.) fait du monocéros, et cette description appartient par plusieurs traits essentiels au rhinocéros. Quoi qu'il en soit, on sera peut-être curieux de savoir quelle était chez les anciens la chasse du monocéros. Jean Tzetzès, dans ses Histoires (Chiliade 5, v. 388), nous a conservé une description de cette chasse que peut-être il a prise dans le 5e livre du poème d'Oppien. Comme ce livre est perdu, je vais traduire le passage de Tzetzès : "Le monocéros porte une corne sur le milieu du front. Cet animal aime passionnément les odeurs. On le chasse de cette manière. Un jeune homme déguisé en fille, exhalant l'odeur des parfums les plus exquis, va se placer dans les lieux fréquentés par ce quadrupède. Les chasseurs se tiennent en embuscade à peu de distance. L'odeur des parfums attire bientôt le monocéros auprès du jeune homme ; il le caresse. Celui-ci lui couvre les yeux avec des gants de femme parfumés. Les chasseurs accourent à l'instant, saisissent l'animal sans qu'il fasse de résistance, lui coupent sa corne, qui est un excellent alexipharmaque, et le renvoient sans lui faire d'autre mal."
(9) Que produit la Chersonèse. Les anciens géographes reconnaissent cinq Chersonèses : celle du Péloponnèse, celle de Thrace, celle de Tauride, la Cimbrique, et la Chersonèse d'or située dans la presqu'île méridionale de l'Inde, que nous nommons aujourd'hui presqu'île de Malaca. Mais outre ces cinq Chersonèses, on donnait encore ce nom à la ville d'Apamée en Syrie, parce qu'elle était environnée en forme de péninsule par le fleuve Orontès. Plus anciennement elle portait le nom de Pharnace ; elle prit ensuite celui de Pella, d'une colonie macédonienne sortie de l'ancienne Pella, qui vint s'y établir. Elle reçut depuis le nom de Chersonèse, et enfin celui d'Apamée. C'est Strabon qui nous apprend tous ces détails au 16e livre, p. 517, de sa Géographie.
(10) Mènent une vie sauvage. La description qu'Oppien fait de ces taureaux me ferait penser qu'il désigne ici les buffles si M. de Buffon n'assurait d'une manière précise que cette espèce était absolument inconnue aux anciens, quoiqu'elle soit aujourd'hui très commune en Grèce et en Italie (t. 5, pages 45 et 51). Cependant en comparant les traits sous lesquels M. de Buffon a peint le buffle et ceux dont Oppien se sert pour caractériser les taureaux de Syrie, on est frappé de la vive ressemblance qui se trouve entre ces deux tableaux : c'est la même nature, la même forme et surtout le même caractère indomptable. Je voudrais que M. de Buffon nous eût appris comment il a pu se faire que ces animaux, communs en Grèce et en Italie, aient pu être inconnus aux anciens habitants de ces contrées. Il faut encore rapprocher des taureaux de Syrie d'Oppien celui que César décrit sous le nom d'urus au livre 6 De bello gallico, p. 218 : "Ii sunt magnitudine paullo infra elephantos, specie et colore et figura tauri ; magna vis eorum, magna velocitas." Puis il ajoute "qu'ils attaquent indifféremment tout ce qu'ils rencontrent, hommes ou animaux, qu'ils sont indomptables et ne peuvent s'apprivoiser, les élevât-on dès la plus tendre jeunesse. Leurs cornes différent de celles des autres taureaux par la grandeur, la forme et la nature." Cet animal ne peut être ni le bison d'Oppien ni le bonasus d'Aristote, car il n'a pas cette crinière qui fait le caractère principal du bison. César n'aurait pas manqué ce dernier coup de pinceau, sans lequel le portrait de l'animal était imparfait. N'est-ce que notre taureau ordinaire dans l'état de nature ? Non. Celui-ci se révolte contre le joug, le nôtre s'accoutume insensiblement à le porter. Ce caractère indomptable, qui est essentiellement celui des buffles, me fait penser que ce sont eux qu'Oppien a décrits sous le nom de taureaux de Syrie et César sous le nom d'urus.
(11) Les amena jadis d'Eurythie. Ancien nom de Cadix. L'enlèvement des bœufs de Géryon est raconté par Apollodore au 3e livre de sa Bibliothèque mythologique.
(12) Aux pieds du mont Emblon. Le nom de cette montagne et celui du mont Dioclès sont inconnus aux géographes anciens. M. Schneider pense que le Dioclès est le même que le Liban, et l'Emblon le mont Casius en Séleucie.
(13) L'Orontès toujours débordé. Ce fleuve s'appelait plus anciennement Typhon et devait ce nom, selon les poètes, au géant Typhon changé en serpent sur ses bords par Jupiter. Ensuite, il prit le nom d'Orontès, d'un certain Orontès, Indien dont le corps fut trouvé dans le fleuve. (Voyez cette histoire dans Pausanias, Arcadie, p. 261.) Eustathe, sur Denis Périégètes, v. 919, prétend que l'Orontès fut ainsi appelé par l'empereur Tibère et qu'il se nommait auparavant Dracon. Mais il paraît qu'Eustathe se trompe, car Pomponnius Méla, qui vivait bien des années avant Tibère, appelle le fleuve Orontès (liv. I, ch. 12, p. 73). Enfin selon Strabon (livre 16), le nom de Typhon que portait ce fleuve fut changé en celui d'Orontès, du nom même de celui qui le premier y construisit un pont.
(14) De ce beau lac. Le grec dit: "De ce lac aux beaux cheveux", par allusion aux roseaux dont il était couvert. Comme le poète l'a personnifié plus haut, il soutient ici la métaphore.
(15) Le noir rivage de la Syrie. Cette épithète noir exprime simplement la fécondité. Hérodote (Euterpe, ch. 12 ) fait entendre que le rivage de la Syrie n'est pas noir, car il dit de celui de l'Égypte, qui l'était, qu'il ne ressemble ni à celui de la Libye ni à celui de l'Arabie et de la Syrie.
(16) Franchissant les barrières de glace. À la lettre : "Rompant le frein blanc de Borée." Le poète indique par là l'impétuosité du Danube lors de sa débâcle.
(17)
Elles poussèrent un horrible cri. Cette expression pourra paraître bien
hardie en français appliquée à des rives, mais l'image m'a paru trop belle
pour ne pas la conserver tout entière. C'est d'ailleurs une imitation de ce
vers de Virgile (Géorg., liv. 3, v. 281) :
. . . . . . Scopulis illisa reclamant
littora.
(18) Que l'époux de Déidamie. Achille.
(19) En langage du Permesse. A la lettre: "En chant de Pimplée." Pimplée est une montagne de Thrace sur laquelle les Muses faisaient leur séjour aussi bien que sur l'Hélicon. C'était la demeure ordinaire d'Orphée.
(20) On donne à ceux-ci le nom de bisons. Les naturalistes anciens qui ont parlé du bison le désignent tous par un caractère auquel il est impossible de se méprendre, cette crinière dont il est revêtu depuis le haut de la tête jusqu'au milieu du dos, qui retombe sur ses épaules et couvre son poitrail. C'est à ce caractère que Gesner, et d'après lui M. de Buffon, ont reconnu dans le bison le bonasus d'Aristote. L'opinion de ces deux illustres modernes et les preuves dont ils l'ont appuyée sont trop connues pour nous y arrêter davantage. (Voyez la description du bonasus au livre 9, ch. 45 de l'Histoire des animaux d'Aristote, et dans l'excellente traduction que M. Camus vient de donner de cet ouvrage.
(21) Telle la porte le lion. Aristote, au livre 2, ch. 1 de l'Hist. des an., compare aussi la chevelure du bonasus à la crinière du lion.
(22) Aussi subtiles que des langues de feu. C'est ainsi que j'entends puriglôchines, que M. Schneider dit ne point entendre. La disposition des cornes du bison est bien différente, selon Oppien, de celle observée par Aristote, qui dit expressément (De partib. anim., livre 3, ch. 2) que les cornes de ces quadrupèdes sont courbées et inclinées l'une vers l'autre, de manière qu'elles leur sont inutiles pour se défendre. Mais cette disposition n'est pas un caractère essentiel, elle peul varier suivant les individus et selon les circonstances. L'auteur du traité De mirabilibus auscultat. dit que les cornes du bolinthus, le même animal que le bison, sont tournées en bas (katestramména) et que leur pointe est voisine des oreilles. (Voyez la fig. du bonasus dans Gesner, p. 131.)
(23)
Semblable à cet instrument. La lime. Je n'ai rien trouvé dans les
auteurs sur l'âpreté de la langue du bison. En général les bœufs ont la
langue fort rude.
On aurait lieu de me faire un reproche si je finissais l'article du bison sans
rien dire de la manière dont les anciens le prenaient à la chasse. Sans
doute qu'Oppien en avait parlé dans le 5e livre de ce poème, mais comme ce
livre est perdu, nous y suppléerons par un passage de Pausanias tiré de la
description de la Phocide (page 828, édition de Kuhnius). Je ne me sers point
de la traduction de l'abbé Gédoin : "Le bison, dit-il, est de tous les
animaux féroces le plus difficile à prendre vivant ; les filets ne sont point
assez forts pour résister à son impétuosité. Voici de quelle manière on le
chasse. Après avoir trouvé un terrain qui a de la pente et qui descend dans
une cavité, les chasseurs commencent par l'environner d'un rempart solide ;
ensuite ils étendent sur ce terrain, à l'endroit où il monte et jusqu'à
celui où il devient uni, des peaux nouvellement écorchées. Si l'on n'en a
pas, on se sert de peaux sèches que l'on rend glissantes en les humectant avec
de l'huile. Après cela, ceux des chasseurs qui sont meilleurs cavaliers
poursuivent les bisons et les poussent vers cette enceinte. Ces animaux n'ont
pas plutôt mis le pied sur les premières peaux qu'ils glissent sur le terrain
incliné et tombent dans la cavité. On les abandonne là pendant trois ou
quatre jours, et le cinquième, lorsque la faim et la fatigue ont épuisé leurs
forces et dompté leur férocité, des hommes qui ont l'art d'apprivoiser les
bêtes sauvages leur présentent un fruit de pin greffé, dont auparavant ils
ont ôté les petites enveloppes, car ces animaux ne voudraient pas alors
goûter d'aucune autre nourriture. Enfin, on leur passe des liens autour du
corps et on les emmène." C'est ainsi qu'on les prenait pour les faire
combattre aux jeux du cirque.
(24) Le cerf. Son nez a quatre ouvertures. Cela est faux, et je ne sais dans quel auteur Oppien a puisé cette fable. Les narines dit cerf sont larges et très ouvertes.
(25)
N'est armé que de faibles pointes. À la lettre, De pointes
émoussées. Aristote (De part. anim., liv. 3, ch. 2) dit que
les cornes du cerf lui sont plus nuisibles qu'utiles pour sa défense à cause
de l'étendue de leurs rameaux.
Voici ce que dit Eldémiri du cerf, qu'il appelle aussi ayyil :
"Le bois du cerf ne commence à pousser que lorsqu'il a atteint l'âge de
deux ans. Ses bois sont d'abord droits comme deux pieux ; à la troisième
année ils se séparent en plusieurs rameaux et continuent à croître de la
sorte jusqu'à l'âge de six ans. On dirait alors que ce sont deux arbres qu'il
porte sur sa tête. Depuis cet âge, il jette son bois tous les ans, et il en
croit de nouveaux à la place. Quand le nouveau est formé, il s'expose à
l'ardeur du soleil pour le durcir.
"Aristote dit que l'on prend cet animal en chantant. (Voici le passage
d'Aristote : "On prend, dit-il, les cerfs en chantant ou en jouant de la
flûte C'est le moyen dont on se sert pour les attirer et les surprendre. Tandis
qu'un des chasseurs chante sans se cacher, un autre s'approche secrètement et
le frappe par derrière au signal que lui donne son camarade. Si le cerf tient
les oreilles droites, il entend très bien, et il est impossible de le
surprendre, mais s'il les tient baissées, on le tue facilement. (Aristote,
Hist. anim, 1. 9.) Tant qu'il entend chanter, il ne se laisse point aller au
sommeil. Les chasseurs se servent de ce moyen pour l'occuper et le distraire.
Ils s'approchent par derrière, et lorsqu'ils le voient tranquille et les
oreilles pendantes, ils le prennent. Ses bois sont solides et n'ont aucun creux
dans l'intérieur. Il est peureux et poltron de son naturel. Il mange beaucoup
de serpents et les avale toujours par la queue. Il jette ses bois tous les ans.
Ceci arrive par une disposition particulière de la Providence, qui a prévu
l'utilité que !es hommes en retireraient. Son bois en effet guérit toutes
sortes de maladies, sert au soulagement des femmes enceintes, et facilite
l'accouchement. Brûlé et pétri avec du miel, il chasse les vers du corps des
enfants. Tout ceci est tiré des livres d'Aristote. L'ayyil est sujet à
devenir très gros et se retire alors dans des lieux déserts de crainte de
tomber entre les mains des chasseurs. (Ceci est encore tiré d'Aristote au même
chapitre ci-devant)
"Un poète a dit en parlant de son amante: "Si je te fuis, ce n'est
pas par un superbe dédain, et mon amour n'en est pas moins violent, quoique je
détourne de toi mes regards : je te fuis comme l'animal qui tourne autour d'une
source d'eau et n'ose en approcher parce qu'il sait qu'il y trouverait une mort
certaine : dévoré par la soif, la crainte du trépas l'arrête, il se contente
de la regarder de loin ; il détourne ses yeux avec un air d'indignation, et
d'instant en instant il jette sur elle un coup d'œil d'amour et de
passion."
"Sur quoi le commentateur fait cette remarque : c'est du cerf que le poète
veut parler. Cet animal mange des serpents durant les chaleurs de l'été, et
cette nourriture lui cause une fièvre brûlante dont l'ardeur le porte à
chercher quelque ruisseau. Mais sitôt qu'il trouve de l'eau, il s'abstient d'en
goûter et tourne tout autour, se contentant d'en aspirer la vapeur. S'il buvait
dans cet instant, l'eau venant à se mêler avec le venin qu'il a dans les
entrailles lui causerait la mort. Ce n'est que lorsque le temps a dissipé le
venin qu'il satisfait sa soif sans danger.
"Ainsi, dit le poète, je m'éloigne de ta société, quelque peine qu'il
en coûte à la violence de mon amour, comme cet animal s'abstient de l'eau
qu'il désire passionnément par la crainte du trépas."
"N. B. Les Hébreux se servaient de la même comparaison et exprimaient la
force de l'amour par l'ardeur avec laquelle le cerf cherche une source d'eau. De
là vient cette expression du psalmiste :
"Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum, ita desiderat anima mea
ad te Deus."
Il n'est pas vrai, comme l'enseigne Oppien, que la castration fasse tomber le
bois des cerfs et les change en femelles. On ne peut cependant lui faire un
reproche de paraître adopter cette fable. Sa qualité de poète est son excuse.
Aristote a fait à l'égard de la mutilation du cerf cette judicieuse
observation, confirmée par l'expérience : ? Un cerf coupé avant l'âge
où le bois croît n'en aura jamais. Si son bois est déjà né, il demeure
fixé à la hauteur qu'il avait alors, et ce bois ne tombe plus. ? (Hist.
anim., liv. 9, ch. 50.) Porphyre enseigne aussi la même doctrine dans
son Traité de l'abstinence de la chair (liv. 5, p. 233 ) et compare les
accidents que la castration occasionne sur les animaux à ceux qu'elle cause à
l'espèce humaine. D'où l'on voit que les anciens avaient sur ces objets des
idées très saines. Il ne faut pas, comme on ne le fait que trop souvent,
accuser d'ignorance l'Antiquité tout entière d'après les fables d'un poète
ou l'erreur de quelques écrivains.
La saisit et la presse avec ses pieds de devant.
Que n'ai-je pu traduire et la presse dans ses bras, mais notre langue ne
s'élève pas à cette hardiesse. Nous n'osons pas dire les bras d'un animal. Ce
qu'Oppien dit ici de la fuite de la biche est vrai jusqu'à un certain point, et
Aristote (Hist. anim., liv. 5, ch. 2, et liv. 6, ch. 9) enseigne que la
femelle du cerf, ainsi que celle du taureau, ne soufre qu'avec peine l'approche
du mâle (propter nimiam genitalis membri tintiginem) et qu'elle ploie
les reins (quando semen recipiunt), mais que la biche emporte le cerf sur
son dos et que le mâle n'achève son accouplement qu'en courant. Voilà ce qui
appartient à l'imagination du poète, lequel en cette qualité peut employer
les traditions fabuleuses, toujours plus agréables que la vérité.
(26) Et les enterrent. Fable ridicule que l'on peut pardonner à un poète et que des philosophes n'ont pas eu honte de répéter sérieusement : Théophraste (De animalibus quae dicuntur invidere, p. 474), et Pline (liv. 2, ch. 32), qui a chargé son ouvrage de tous les contes absurdes qu'il a pu rassembler. Aristote rapporte aussi cette fable, mais ce philosophe témoigne assez qu'il n'en croit rien.
(27) Les cerfs sont amphibies. Il est aisé de voir qu'Oppien n'attache pas au mot amphibie le sens que nous lui donnons ordinairement en français. Il suffit que le cerf nage avec facilité et traverse une étendue d'eau considérable pour que le poète lui attribue le nom d'un animal qui vit dans les deux éléments. La navigation des cerfs est attestée par plusieurs auteurs anciens, Pline, Aelien, Artémidore, Jean Tzetzès. Le témoignage de ces écrivains peut être justement suspect, néanmoins le fait ne paraît pas absolument impossible.
(28) Une haine implacable. L'inimitié du cerf et du serpent est une fable répétée par une foule d'auteurs anciens. Elle paraît fondée sur une vérité. Le cerf mange réellement des serpents et des couleuvres, sans doute pour se soulager de quelque maladie. On a trouvé plus d'une fois des tronçons de serpent dans les intestins du cerf.
(29) Broyant sous ses dents des écrevisses. Selon Antigonus Carystius (ch. 41), ce n'est pas le cerf, mais le sanglier qui mange des écrevisses pour se guérir de la morsure du serpent. Aristote le dit des cerfs quand ils sont piqués par une espèce d'araignée qu'il nomme phalangion. Les écrevisses de rivière broyées et cuites dans du lait d'ânesse sont un bon alexipharmaque et guérissent la morsure des reptiles venimeux, si l?on en croit Dioscoride (De materia med., lev. 2, ch. 12).
(30) Et c'est avec vérité. Rien n'est plus faux, le cerf vit trente à quarante ans. Aristote avait déjà réfuté l'erreur populaire qui attribue au cerf des siècles de vie. Il dit (au livre 6 de l'histoire des animaux, ch. 29) : ? Ce qu'on débite de la longue vie du cerf n'est qu'une fable ; rien de certain ne prouve ce que l'on en dit, et ni le temps de la gestation (qui est de huit mois) ni celui de l'accroissement du faon n'annoncent, par leur durée, un animal qui doit vivre de longues années. ?
(31) De cerfs appelés eurycérotes. Tous les naturalistes sont d'accord pour reconnaître le daim dans l'eurycérote, dont le nom signifie qui a les cornes larges ou palmées.
(32) Qu'on nomme jorcos. Ce cerf est le même que l'axis de Pline et le cerf du Gange des modernes. Il suffit pour s'en convaincre de rapprocher des vers d'Oppien la description de l'axis faite par M. de Buffon, tome 5 des quadrupèdes. (Voyez les notes latines.)
(33) Le bubal. On pense communément que le bubal des anciens est l'animal connu sous le nom de vache de Barbarie. C'est le sentiment de M. de Buffon, qui, d'après Pline, a montré et réfuté l'erreur dans laquelle plusieurs auteurs étaient tombés en prenant le bubal pour l'espèce de taureau appelée urus. En effet, Aristote (De part. anim., liv. 3, ch. 2) range le bubal dans la classe des cerfs, et en cela Oppien s'accorde parfaitement avec lui. Cependant il reste une difficulté sur l'identité de ces deux animaux : les cornes de la vache de Barbarie décrite et représentée dans les Mémoires pour servir à l'histoire des animaux (part. 2, page 24 ) sont simples, tandis qu'Aristote range le bubal entre les animaux dont les cornes ont des rameaux. Oppien indique aussi ce caractère par les mots akremones proteneis (rameaux prolongés). M. de Buffon n'a point soupçonné cette difficulté, et ce qui vraisemblablement a pu la lui déguiser, c'est la version latine d'Oppien qu'il avait sous les yeux et qu'il rapporte à la page 332 du tome 5 de l'histoire des quadrupèdes (boubalos Oppiani) : ? Dorcade Platycerote corpore inferior, cornua non ramosa sicut cervis et capreis sed rupicaprarum similia. Ces mots cornua non ramosa sont absolument opposés au texte du poète, les autres ne s'y lisent point, et je ne sais de quelle version d'Oppien ils ont été tirés. ?
(34) Ce n'est donc pas aux seuls mortels. Cette réflexion, qui reparaît encore au premier chant du poème de la pêche au sujet des homards, est une allusion délicate au malheur que notre poète éprouvait lui-même. Banni de sa patrie par l'empereur Sévère, il cherche à l'attendrir sur son sort.
(35)
Les légères dorcades. Incertain s'il s'agit ici des chevreuils ou des
gazelles, plus communes dans la patrie d'Oppien que les chevreuils, j'ai
préféré conserver le nom grec. Cependant je vois que la plupart des
naturalistes appliquent au chevreuil le nom grec dorx et à la gazelle
celui de dorkas. L'amitié des perdrix et des gazelles est une fable, il
n'est pas nécessaire d'en prévenir le lecteur.
Voici d'après Eldémiri le portrait de la gazelle ou dorcade (gazât ou dhaby)
: ? Le mot gazelle vient de l'arabe gazât. C'est le nom que les
Arabes donnent aux jeunes dorcades.
"Il y a trois espèces de gazelles qui diffèrent entre elles par la
couleur de leur poil. La première, que les Arabes nomment rém est
entièrement blanche (C'est l'animal que les Hébreux nomment rém et que l'on a
mal à propos traduit en latin par unicornis.), elle habite les terrains
sablonneux et est grasse et charnue. La seconde espèce, qui a le poil
rougeâtre, a le cou très court et est moins agile que les autres. Elle fait
son séjour des lieux élevés et pierreux. Enfin la dernière, qui a le ventre
blanc, a le cou et les jambes très longues.
"Les gazelles ont la vue très perçante, sont d'un naturel extrêmement
timide et prennent aisément la fuite. Quand le mâle veut rentrer dans son
gîte, il marche à reculons et porte ses regards de tous côtés pour observer
s'il n'est point aperçu par quelque objet capable de lui nuire ou de lui faire
craindre pour sa sûreté et celle de ses petits. Si quelqu'un le regarde, il
demeure dehors. S'il ne découvre rien, il entre tranquillement.
"Les gazelles aiment le fruit de la coloquinte. Elles boivent volontiers
l'eau de la mer et vont se désaltérer sur ses bords. Cet animal n'a point de
dents incisives.
"C'est à la dernière espèce dont nous avons parlé que se doit rapporter
la gazelle qui donne le musc. Elle a le poil noir et ressemble aux autres par sa
légèreté et la délicatesse de ses jambes. Elle a aussi la corne du pied
très fendue. Mais ce qui la distingue, ainsi que celle de la troisième
espèce, c'est qu'elles ont deux dents blanches, qui sortent de leur bouche
près de la mâchoire inférieure, qui ont la même apparence que les défenses
du sanglier. Ces dents ont environ la longueur qui est entre le pouce et l'index
étendus autant qu'ils peuvent l'être (c'est la mesure nommée par les Grecs lichas.)
"Le musc n'est autre chose que du sang qui se rassemble vers le nombril de
la gazelle dans un certain temps de l'année et forme une tumeur. La Providence
a disposé ces tumeurs pour être la mine où se forme le musc. C'est une
production qui se renouvelle tous les ans par la permission du Créateur, comme
les fruits des arbres. Tant que dure la formation de cette tumeur, l'animal
souffre et est malade. Les habitants de la Mecque plantent, dit-on, des pieux
dans la campagne pour que les gazelles viennent s'y frotter et que le musc coule
le long de ces pieux.
"Un auteur dit qu'il sort tous les ans de la mer à une certaine époque un
poisson qui ressemble à la gazelle. On en fait, dit-il, une pêche
considérable, et après avoir tué ceux qu'on a pris, on trouve dans leur
nombril un amas de sang : c'est là le musc. Il n'a aucune odeur dans ce pays et
ne devient odoriférant que lorsqu'il est transporté dans un autre canton. Ceci
est singulier, mais l'origine du musc que nous avons donnée d'abord est plus
généralement reconnue.
"La gazelle porte en arabe le nom de gazât jusqu'à ce qu'elle ait
pris sa croissance et que ses cornes soient formées.
"On dit en proverbe ? Plus assoupi qu'une gazelle ?, parce que
les jeunes gazelles dorment profondément après avoir tété leur mère.
"Les Arabes disent aussi : "Quitter quelque chose comme la gazelle
quitte son gîte." Ce proverbe se dit des gens timides et poltrons. Il
vient de ce qu'une gazelle à qui la frayeur a fait quitter le gîte, où elle
se met à l'abri des ardeurs du soleil, n'y retourne jamais.
"Si l'on fait manger à une femme hautaine et impertinente dans ses
discours, la langue d'une gazelle séchée à l'ombre, elle sera guérie de ce
vice.
"La fiente et la peau de gazelle, brûlées et réduites en poudre,
mêlées dans la nourriture d'un enfant, lui donnent de l'esprit, un caractère
heureux et une bonne mémoire.
"Le musc affermit la vue, excite la transpiration, fortifie le cœur et le
cerveau, détruit les cataractes des yeux et est un très bon remède pour les
palpitations de cœur. C'est une substance sèche et chaude. Le meilleur vient
du Tibet. On corrige la trop grande chaleur du musc, dangereuse pour les
tempéraments chauds, en le mêlant avec du camphre. Le musc est un bon
contre-poison. Il n'a d'autre inconvénient que de jaunir le teint. Pris dans
les aliments, il occasionne une soif dévorante. La chair de gazelle est très
bonne à manger et est préférable à tout autre gibier. C'est un aliment sec
et chaud.
Les poètes arabes faisant l'éloge d'une femme comparent sa voix et la douceur
de ses yeux à celles d'une gazelle. ?
(36) Il est des espèces de chèvres et de brebis. Les traits sous lesquels Oppien peint ces animaux, apparemment très connus de son temps, sont trop vagues, trop généraux pour déterminer le nom particulier de ces brebis et de ces chèvres. On peut seulement rappeler à cette espèce le mouflon, le bélier surnommé strepsikéros, le mouton de Barbarie, l'ibex de Gesner.
(37) Au milieu de leurs cornes. Voici encore une tradition fabuleuse répétée par plusieurs auteurs. Par Aristote (H. an., liv. 1, ch. 2), qui ne la rapporte que pour la réfuter et nous apprendre qu'elle doit naissance à un certain Alcmaeon de Corinthe, dont les ouvrages remplis de traits merveilleux, étaient fort accrédités chez les Grecs. Pline n'a pas laissé échapper cette fable absurde, il la rapporte au livre 8, chap, 40, en citant pour son garant, Archélaus, qui vivait longtemps après Aristote et sous le règne d'un Ptolémée. Mais ces auteurs, à la différence d'Oppien, disent que c'est par les oreilles que les chèvres sauvages ont leur second canal de respiration, et notre poète approche plus de la vérité qu'eux.
Il est une race de brebis rousses. Celles-ci me paraissent être les mouflons, dont le principal caractère est d'être vêtus d'un long poil plus semblable à celui de la chèvre qu'à la laine de la brebis. On trouve encore aujourd'hui cette espèce dans les îles de la Grèce. Il est vrai qu'elle n'a pas le nombre de cornes qu'Oppien leur attribue, mais les cornes, soit par leur nombre soit par leur disposition, ne forment point un caractère assez constant pour établir une différence réelle de race ou d'espèce. Le climat, la nourriture, mille circonstances peuvent influer sur cette exubérance naturelle. On voit en France des brebis à quatre cornes qui ne sont point différentes de nos brebis ordinaires, et en Islande on en voit qui en portent jusqu'à huit.
(38) Telle est aussi la couleur fauve dont brille le subus. Quelques recherches que j'aie faites sur le subus, rien n'a pu m'indiquer ni le nom moderne ni l'espèce de ce quadrupède, qu'Oppien met dans la classe des chèvres et des brebis sauvages. Il paraît même que ce poète est le seul auteur de l'antiquité qui ait parlé du subus. Les recherches du savant Gesner n'avaient pas été plus heureuses, et il avoue (p. 871) qu'il ignore quel peut être cet animal. Bodin, dans son commentaire d'Oppien, ne trouve aucune difficulté à reconnaître le bélier strepsikeros de Pline dans le subus, et à cette erreur, il en ajoute une plus grossière en disant qu'Aristote parle du subus et le décrit. On ne manquera pas de dire que cet animal doit être rangé parmi les monstres éclos du cerveau des poètes, mais je ne saurais me persuader qu'Oppien nous eût donné une description si particulière de la forme et des mœurs de ce quadrupède s'il ne l'eût réellement connu. Il n'aurait pas répété au poème de la Pêche (liv. 5) ce qu'il dit ici de l'inclination des poissons pour le subus. Il est vrai que dans ce second poème il ne parle que des chèvres en général. Enfin, je crois qu'il est plus prudent d'avouer notre ignorance sur cet objet que de risquer des conjectures hasardées ou de traiter de fabuleux ce qui échappe à nos faibles connaissances.
(39) Les gélinottes. Attagas est selon M. de Buffon le francolin de Bélon, qui n'est autre que la gélinotte. Alexandre de Myndes, cité par Athénée (liv. 9, page 387), donne une excellente description de cet oiseau. En voici la traduction : "Il est un peu plus petit que la perdrix, taché sur le dos d'une couleur rousse, un peu plus foncée que celle de l'argile (cuite). Les chasseurs le prennent à l'aide des chiens à cause de la pesanteur de son vol, car il a les ailes courtes. C'est un oiseau pulvérateur qui produit beaucoup et qui vit de graines." Aristophane, dans sa comédie des Oiseaux, a fait de l'attagas un oiseau de marais, mais le témoignage d'un poète comique n'est d'aucun poids en histoire naturelle. D'ailleurs, les Athéniens donnaient souvent aux plantes et aux animaux des noms différents de ceux qu'employaient les autres peuples de la Grèce, et il se peut qu'Aristophane donne le nom d'attagas à un oiseau différent que celui qu'Alexandre de Myndes a décrit sous ce nom. Aristote range aussi l'attagas parmi les oiseaux pulvérateurs, et son témoignage est décisif.
(40) L'outarde. C'est M. de Buffon qui le premier a dissipé par une savante critique les ténèbres dont la nomenclature de cet oiseau était environnée. Les auteurs anciens et modernes confondaient sans cesse l'ôtis et l'ôtos. M. de Buffon a démontré que ce premier nom appartenait à l'outarde et le second au hibou. Le témoignage d'Oppien confirme de la manière la plus précise le sentiment de ce grand naturaliste, et l'on ne saurait caractériser l'outarde d'une manière plus heureuse que l'a fait notre poète. Cet oiseau est en effet le seul qui porte une espèce de barbe d'un duvet très fin depuis la naissance du bec jusque dessus l'oreille. Ce caractère avait échappé à Aristote, qui décrit ainsi cet oiseau dans Athénée (liv. 9) : "L'outarde est de la classe des oiseaux de passage et des fissipèdes ; il a trois doigts, sa grosseur est celle d'un grand coq et sa couleur celle de la caille. Il a la tête allongée, le bec pointu, le cou mince, les yeux grands, la langue osseuse, mais il n'a point de jabot." L'amitié de l'outarde et du cheval est célébrée par plus d'un auteur.
(41) Le perroquet. L'historien Ctésias est le premier des Grecs qui ait parlé de cet oiseau qu'il nomme bittakos (Fragm. de l'Histoire de l'Inde, Bibliot. de Photius, p. 144). Ce qu'il dit de la faculté qu'a le perroquet d'imiter le langage des hommes a dû paraître fabuleux aux Grecs, chez lesquels cet oiseau n'est devenu commun qu'après l'expédition d'Alexandre aux Indes.
(42) C'est le féroce oryx. La plupart des auteurs de l'Antiquité qui ont parlé de l'oryx avant Oppien en ont dit si peu de chose qu'il est aisé de voir que cet animal ne leur était connu que de nom. Aristote le range dans la classe des animaux monocornes qui ont le pied fourchu (De partibus anim., liv. 3, ch. 2). Pline copie Aristote et n'ajoute aux paroles du philosophe que pour rapporter suivant son usage les fables les plus ridicules (Voy. liv.8,ch.53, et liv. 10, ch. 73). Il en est cependant quelques-uns qui peuvent nous servir de guides dans la recherche du quadrupède auquel ils ont donné le nom d'oryx. Hérodote, cet historien auquel on a tant reproché de mensonges et qui nous apprend tant de vérités, en rangeant l'oryx dans la classe des pazans, des bubales, des gazelles, nous donne une assez juste idée de cet animal (Voyez Melpom., ch. 101). Il semble même indiquer le nombre de ses cornes en le mettant au nombre de ces quadrupèdes qui en ont deux, et désigner leur forme en disant que les Phéniciens se servent des cornes de l'oryx pour faire les branches de leurs lyres. On voit par là qu'Hérodote est éloigné de reconnaître l'oryx pour un animal qui n'a qu'une seule corne. Il n'eût pas manqué d'avertir le lecteur de cette circonstance, lui qui, quelques lignes plus haut, en parlant des ânes que produit l'Afrique, a soin de prévenir qu'ils ne sont pas de ceux qui portent des cornes. À son témoignage, je joins celui de Diodore de Sicile (liv. 3, p. 194), qui ne parle des cornes de l'oryx qu'au pluriel et ne remarque point que cet animal soit monocorne, singularité bien digne d'être remarquée. Mais il y a plus, bien loin que tous les anciens fassent de l'oryx un animal qui ne porte qu'une seule corne, Aelien (De nat. anim. liv. 15, ch. 14) dit qu'il existe des oryx qui en ont quatre. Columelle compte l'oryx parmi les cerfs et les différentes espèces de chèvres. Le scoliaste de Juvénal (sur la satire 11e du livre 4, v. 140) compare l'oryx au bubal. De cette foule de témoignages, il résulte que l'oryx n'est qu'une chèvre sauvage, mais à quelle espèce de ces chèvres parait-il appartenir ? Je pense que c'est à celle du chamois ou plutôt que l'oryx des anciens n'est autre que cet animal. Tous deux portent les mêmes caractères, la même couleur, un jaune pâle, qui est celle du lait au printemps, comme s'exprime notre poète, et ce qu'il faut bien remarquer, tous deux ont les joues marquées de noir. C'est la seule partie de leur face qui en soit teinte. Ce caractère appartient exclusivement au chamois. Ce dernier a, comme l'oryx d'Oppien, les cornes noires, très aiguës et courbées à leur extrémité. Leurs mœurs sont les mêmes. Ils se plaisent à mener une vie sauvage sur les rochers escarpés et dans les forêts les plus touffues, ils sont intrépides et très difficiles à chasser. Enfin tout concourt à prouver l'identité de ces deux animaux. La seule difficulté qui s'élève est sur la grosseur de l'oryx, qu'Hérodote (I. c.) compare à un bœuf et Oppien à un rhinocéros, mais on peut répondre qu'Hérodote parle des oryx d'Afrique, sans doute plus gros que ceux d'Europe, et qu'Oppien se sert d'une emphase poétique ou n'avait vu que de jeunes rhinocéros. Cet animal jusqu'à sept ans n'excède pas la taille d'un bœuf.
(43) Nous pensons qu'il vaut mieux les appeler des cornes. Les anciens ont été fort partagés sur le nom et la nature des défenses de l'éléphant. Les uns, comme Oppien, les regardaient comme des cornes, d'autres les appelaient des dents. Du nombre des premiers est Pausanias, qui semble avoir fourni à notre poète la plus grande partie des preuves qu'il apporte en faveur de son système. Il enseigne dans ses Éliaques (liv. 1, ch. 12) que les défenses de l'éléphant ont leurs racines sur le sommet de la tête. Il prétend l'avoir observé sur le crâne d'un éléphant qu'il a vu en Campanie dans un temple de Diane. Cette observation ne paraît pas exacte. Ce qu'il dit ensuite, que les dents de l'éléphant s'amollissent au feu, qu'on les travaille au marteau, qu'on les ploie comme des cornes et qu'on étend leur surface, est contredit par l'expérience. L'ivoire brûle au feu et se réduit en cendres loin de s'amollir, il casse sous le marteau, et l'on ne peut le travailler qu'avec le ciseau et la scie. Mais peut-être les anciens connaissaient-ils l'art de le fondre et de le rendre malléable. À cet égard, le témoignage d'Oppien et de Pausanias, qui assurent ce fait, est singulièrement fortifié par le silence de Philostrate, qui, réfutant l'opinion de ceux qui prennent les défenses de l'éléphant pour des cornes, ne répond en aucune manière à cet argument tiré de la ductilité de l'ivoire (Voy. Philostrate, De vita Apollonii Thyan., liv.2,ch. 6). Une différence essentielle entre les dents ordinaires et les défenses de l'éléphant, c'est que les premières, si par hasard elles se cassent, pourrissent et ne se réparent point dés qu'elles ont perdu l'émail. Celles de l'éléphant se réparent et croissent de nouveau par lames longitudinales.
(44) De deux oreilles creuses et découpées. Le texte dit : "De deux petites oreilles." C'est-à-dire qu'elles paraissent petites en comparaison de la grosseur énorme de l'animal.
(45) Ses pieds ne sont point égaux. Oppien se trompe quand il dit, d'après Aristote, que les jambes antérieures de l'éléphant sont plus élevées que celles de derrière. Aelien les avait mieux observées, car il dit précisément le contraire (De nat. an., l.4, c. 31), et son témoignage est confirmé par M. de Buffon : "La conformation des pieds et des jambes est encore singulière et différente dans l'éléphant de ce qu'elle est dans la plupart des autres animaux. Les jambes de devant paraissent avoir plus de hauteur que celles de derrière. Cependant celles-ci sont un peu plus longues." La peau de l'éléphant est assez bien représentée par Oppien, mais ce qu'il dit de sa dureté extrême, qui la fait résister au tranchant du fer, est une emphase poétique.
(46) Voix animale. J'ai risqué cette expression sans laquelle il n'est pas possible de traduire thêreios aulê.
(47) Les cygnes chantent douloureusement. On a traité jusqu'ici de fable ce que les anciens ont dit du chant du cygne. Il est cependant une espèce de cygnes chanteurs, et personne n'en doute plus depuis que M. l'abbé Demongez, de l'Académie des belles-lettres, a publié un mémoire sur les cygnes sauvages qui s'étaient abattus dans les jardins de Chantilly. La musique de ces cygnes n'est pas à la vérité aussi mélodieuse que les poètes le prétendent, mais enfin ils chantent et cela suffit pour disculper l'Antiquité.
(48) Le rhinocéros. Par la comparaison qu'Oppien fait de la taille de l'oryx avec celle du rhinocéros, il est évident qu'il n'avait connu cet animal que fort jeune. On peut dire la même chose de Strabon, qui nous a donné une assez bonne description du rhinocéros, dont il compare la grosseur à celle du taureau (liv. 16, page 533). En effet, jusqu'à l'âge de sept ans, il n'excède pas cette taille, mais il devient ensuite deux fois plus gros. Aristote ne parle nulle part du rhinocéros, d'où l'on peut conclure que de son temps ce quadrupède était inconnu aux Grecs. Agatarchis de Cnide, qui vivait sous le sixième Ptolémée, vers la cent cinquantième olympiade, deux cents ans avant Jésus-Christ, est le premier auteur grec qui ait parlé du rhinocéros. Les Romains le virent pour la première fois dans leur cirque dans les jeux que donna le grand Pompée, suivant le témoignage de Pline. Depuis, les anciens l'ont fréquemment décrit et paraissent l'avoir bien connu. Mais ce qui doit nous étonner, c'est qu'aucun n'ait parlé d'un caractère particulier de cet animal, dont les pieds sont partagés en trois parties revêtues chacune d'une sole semblable à celle du bœuf.
(49) Son front couronné d'une chevelure. C'est une erreur, le rhinocéros n'a de poil qu'à l'extrémité de sa queue, mais cette erreur appartient moins à Oppien qu'aux copistes de son poème, qui ont écrit kallikumoisi pour poulutumoisi, mot par lequel Oppien exprimait les rides profondes et les replis dont le rhinocéros a la face et les épaules couvertes. À l'égard des taches pourpres dont Oppien parle ensuite, elles sont également répandues sur tout le corps, ce sont des incrustations ou tubérosités dont les plus larges sont sur les épaules et sur la croupe. (Voyez M. de Buffon, tome 4, p. 332.)
(50) Tous les rhinocéros sont mâles. Tradition fabuleuse. Ce qui suit sur la génération spontanée des huîtres, des aphyes et des strombes ou colimaçons de mer est tiré d'Aristote (Hist. des anim., liv. 6, ch. 15).
(51) Les panthères. C'est la petite panthère ou l'adire, ainsi que l'a prouvé M. de Buffon (tome 6, p. 200).
(52) Tuèrent les monstres. Cette fable est rapportée différemment par Apollonius de Rhodes (liv. 2, v. 282). Zétès et Calaïs ne tuèrent point les harpies, ils les poursuivirent jusqu'aux îles Strophades et leur laissèrent la vie à la prière d'Iris, qui promit avec serment que jamais les harpies ne reviendraient troubler les repas de Phinée.