RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE ALLER à LA TABLE DES MATIÈRES DES PETITS POÈMES

   OPPIEN

intro la chasse I la chasse Il la chasse IlI la chasse IV la pêche

 

LA CHASSE

POÈME

CHANT SECOND.

 

Descends des cieux, fille de Jupiter, aimable Phébé, vierge à la ceinture d'or, sœur jumelle d'Apollon, viens m'apprendre quel fut le premier des mortels ou des vaillants Héros, qui reçut de ta main libérale les nobles présents de la chasse.
Au pied du mont Pholoé, dont le sommet s'élève dans les airs, une race féroce, qui unit à la forme des humains celle des animaux et dont le corps semblable jusqu'à la ceinture à celui des hommes se termine par la croupe d'un cheval, inventa la chasse autrefois pour fournir aux besoins de la table (1). Chez les mortels, le Héros qui trancha la tête de la Gorgone, ce fils illustre de Jupiter changé en or, Persée fut le premier chasseur. Porté sur les ailes rapides dont ses pieds étaient ornés, il saisissait de ses mains les lièvres et les thos, les chèvres sauvages, les daims légers, les oryx (2) ; il arrêtait les cerfs mêmes par le bois orgueilleux qui couronne leur tête. Castor, dont l'astre brillant annonce le retour de la lumière, inventa l'art de chasser à cheval les animaux sauvages. D'un javelot adroitement lancé, il donnait aux uns le trépas, et poursuivant les autres à l'aide de ses coursiers rapides, il les forçait dans les forêts, lorsque Phébus était au milieu de sa carrière. Le Lacédémonien, fils de Jupiter, Pollux, fut le premier qui d'un ceste redoutable fit mordre la poussière aux brigands et terrassa les bêtes sauvages avec le secours de ses chiens agiles. Le belliqueux fils d'Oïnée (3), Méléagre, se distingua sur tous les mortels, par les courses et les combats qu'il soutint dans les montagnes. Hippolyte enseigna le premier aux humains l'art de tendre les toiles et les rets. L'illustre fille de Schoenée, cette Atalante qui frappa d'un trait mortel le sanglier de Calydon, inventa les flèches ailées qui donnent le trépas aux habitants des forêts, et longtemps avant tous les autres, Orion, chasseur fécond en ruses ingénieuses, imagina les embûches nocturnes et cette chasse furtive par laquelle on surprend le gibier au milieu des ténèbres.
Tels furent autrefois les héros qui les premiers frayèrent les sentiers de la chasse (4). Mille mortels après eux furent épris pour elle du plus violent amour. Lorsqu'une fois on a senti l'aimable aiguillon de ce plaisir, on ne s'en détache pas volontiers. Il nous arrête par un charme inexprimable (5). Autant un doux sommeil, que l'on goûte au printemps sur un lit de fleurs ou dans une sombre caverne, pendant l'ardeur de la canicule, fait éprouver de volupté, autant les chasseurs en trouvent à prendre leurs repas au milieu des rochers. Quel plaisir pour eux de cueillir les fruits dorés de l'automne, d'étancher leur soif au ruisseau frais et limpide, qui s'écoule d'un antre, d'oublier leurs fatigues dans un bain délicieux, et combien les vases remplis d'un doux laitage, que les bergers leur portent dans les bois, sont pour eux d'agréables présents !
(6) Chantons premièrement, les taureaux, cette espèce jalouse à l'excès, chantons ces fréquents et terribles combats qu'allument entre eux les désirs de l'hymen. Unique souverain, le taureau, que sa taille et sa force élèvent au-dessus des autres, règne en tyran sur tout le troupeau. Il domine sur les femelles et sur les taureaux plus faibles que lui. Tous redoutent ce monarque puissant, armé de cornes menaçantes. Les génisses elles-mêmes tremblent à l'aspect de leur époux furieux. Mais si quelque autre taureau, écarté du troupeau dont il est aussi roi, marche à sa rencontre en secouant fièrement sa tête, alors un violent combat s'élève entre eux. D'abord posés en présence l'un de l'autre, ils se mesurent des yeux. La fureur jalouse, dont ils sont embrasés éclate dans leurs regards. Le feu sort à travers leurs naseaux. Ils déchirent la terre avec leur pied, semblables à des athlètes qui veulent se couvrir de poussière. Ils se défient réciproquement au combat en poussant de belliqueux mugissements. À peine ils ont sonné la charge, qu'ils s'élancent avec impétuosité l'un sur l'autre, et de leurs cornes aiguës se percent le flanc tour à tour. Ainsi dans un combat naval, lorsque le dieu de la guerre allume sur les flots le flambeau de la discorde, deux immenses vaisseaux font briller en se menaçant les éclairs de l'airain dont ils sont hérissés. Poussés par un vent rapide et par l'effort des nautoniers, ils volent, proue contre proue, à la rencontre l'un de l'autre, ils s'approchent, ils se choquent. Le bruit des armes, les cris des combattants, le fracas des vaisseaux qui se brisent, retentissent sur les prochains rivages et font gémir au loin le vaste empire de Nérée. Tels, ces taureaux furieux font retentir les airs sous les coups terribles qu'ils se portent, jusqu'à ce que l'un d'eux obtienne enfin une victoire longtemps douteuse et chère à ses désirs. L'autre cependant ne veut plus porter le joug de la servitude. Honteux d'être vaincu et poussant de profonds soupirs, il va cacher sa défaite dans le sein des forêts épaisses. Là, durant des années entières, vivant seul au milieu des rochers, il paît, loin de son troupeau, dans les bois et sur les montagnes. Comme un athlète qui veut accroître sa vigueur, il exerce ses forces, mais dès qu'il les sent assez redoutables pour balancer celles de son rival, il remplit les vallons de ses cris. Son vainqueur y répond et la forêt en est ébranlée. Bientôt, de plus fiers mugissements augmentent son audace. Il descend avec impétuosité des monts qu'il habitait, fond sur son ennemi et remporte sur lui une victoire facile. Ses forces se sont accrues par la vie sauvage qu'il menait dans les bois, et les plaisirs de Vénus ne les ont point énervées.
Les diverses espèces de taureaux sont innombrables, et leurs mœurs varient à l'infini. Ceux qui dans l'Égypte paissent les bords de ce fleuve, dont les canaux multipliés font naître de riches moissons, ont la blancheur éblouissante de la neige et surpassent tous les autres en grosseur. En les voyant de loin, on les prendrait pour un immense vaisseau qui vogue sur la terre. Leur caractère est doux. Amis des humains, ils s'accoutument dès la jeunesse à supporter tous les travaux qu'on leur impose.
(7) Les taureaux de Phrygie ont la noble couleur de Cérès et celle du feu. Un fanon large et majestueux descend de leur cou, que surmonte une éminence arrondie. Leurs cornes sont d'une étrange nature, elles ne sont point fixées sur la tête puissante de ces animaux, mais ils les baissent et les relèvent à volonté (8) Ceux d'Aonie, embellis de diverses taches, ont l'ongle d'une seule pièce, une corne unique et redoutable croit au milieu de leur front. En Arménie, les taureaux ont deux cornes, qui pendent recourbées et roulées en spirale. Elles portent de funestes blessures.
Les taureaux de Syrie, ceux que produit la Chersonèse (9) et ceux qui paissent sur les montagnes, d'où s'élève la magnifique Pella sont roux, forts et courageux. Ils ont un large front, mènent une vie sauvage (10) et sont infatigables. Ils attaquent à coups de cornes, s'irritent aisément, poussent des mugissements épouvantables et lancent des regards affreux. La jalousie les transporte, et leurs mâchoires sont largement fendues. Peu chargé d'embonpoint, leur corps n'est point appesanti dans sa marche, et, quoique maigres, ils n'en sont pas moins forts et vigoureux. Ainsi par un heureux accord, ces animaux unissent les dons divers qu'ils ont reçus des dieux, et sont tout à la fois prompts à la course et robustes aux combats.
On dit que le fils de Jupiter, l'infatigable Hercule, les amena jadis d'Eurythie (11). Ce fut le prix de la victoire qu'il remporta sur Géryon, prés des bords de la mer, lorsqu'il combattit et terrassa ce triple monstre sur le roc élevé qu'il habitait. Le héros se proposait encore d'exécuter un autre travail, non pour obéir à Junon ou aux ordres d'Eurysthée, mais en faveur d'Archippus son ami, souverain de Pella. La vaste plaine qui s'étend aux pieds du mont Emblon (12) était changée depuis longtemps en une mer immense. L'Orontès, toujours débordé (13), promenait au loin ses eaux vagabondes et semblait avoir oublié le chemin de la mer. Épris des charmes d'une Nymphe, fille de l'Océan, il s'arrêtait au pied des collines, et loin de renoncer à la passion malheureuse qui le transportait pour la belle Méliboée, il couvrait de ses flots une terre fertile. Deux montagnes prolongeaient l'une vers l'autre leur sommet majestueux, environnaient et bornaient des deux côtés le cours de ce fleuve. Le mont Dioclès étendait vers l'aurore sa masse élevée. Au couchant s'avançait la pointe gauche de l'Emblon, et dans la plaine qu'ils renfermaient, le fleuve roulait ses ondes impétueuses. Il les augmentait sans cesse, et les portant jusqu'aux pieds des remparts de ma patrie, quoiqu'elle fût un continent, il en faisait une île en la baignant de ses flots. C'est pour les réprimer que le fils de Jupiter, à l'aide de sa massue et de ses bras infatigables, devait en mesurer le cours, séparer et diriger loin de la plaine les eaux de ce beau lac (14) et celles du fleuve rapide. Il accomplit cette immense entreprise en coupant le sommet des montagnes qui bordaient les rives de l'Orontès. Il brisa les rochers qui enchaînaient l'onde de ce fleuve, et le faisant couler lui-même à flots précipités, il le fit descendre avec un horrible murmure sur les bords de la mer. A sa chute épouvantable, l'Océan retentit d'un bruit affreux que répéta le noir rivage de la Syrie (15). C'est avec moins de fracas que deux fleuves, dont le cours est contraire, précipitent leurs eaux au sein des mers qu'ils font mugir au loin. Ni l'lster, qui, franchissant les barrières de glace (16) que Borée oppose à son cours, roule son onde sur les rochers et les promontoires qu'il bat de ses flots et traverse la Scythie avec un murmure effrayant et continuel, ni le fleuve sacré de l'Égypte, qui, descendu de la Libye, épouvante la mer lorsqu'il vient y briser ses vagues écumeuses, ne font rien entendre de pareil aux mugissements affreux, dont le vaste Orontès fit retentir les rives de l'Océan. Elles poussèrent un horrible cri (17), lorsqu'elles reçurent dans leur sein la masse énorme de cette mer étrangère. Bientôt, renaissant sous les eaux qui l'accablaient, la terre offrit à Hercule une plaine nouvelle, reprit sa couleur noire et sa fertilité. Aujourd'hui même encore ses guérets se couronnent de riches moissons, et le bœuf laborieux foule le grain entassé dans les aires voisines du temple de Memnon, de ce temple où les peuples de l'Assyrie pleurent l'aimable fils de l'Aurore, ce héros que l'intrépide époux de Déidamie (18) précipita chez les morts, à la fleur de ses ans, lorsqu'il marchait au secours des malheureux Troyens. Une autre fois, je célèbrerai dignement et dans l'aimable langage du Permesse (19) les beautés qui décorent votre patrie. Je reviens maintenant aux chants que j'ai consacrés à la chasse.
Il est encore parmi les fiers taureaux une race indomptable. On donne à ceux-ci le nom de bisons (20), parce que la Bistonie de Thrace est leur patrie. Voici les formes qu'ils ont reçues de la nature. Sur leur cou épais flotte une crinière hérissée qui règne jusqu'aux épaules et couvre leurs joues délicates. Telle la porte le lion (21), ce noble roi des animaux, couronné d'une chevelure blonde et majestueuse. Les cornes de ces taureaux sont armées de pointes aiguës, aussi subtiles que des langues de feu (22) et semblables aux hameçons recourbés. Elles ne croissent point opposées comme aux autres taureaux, les pointes n'en sont point dirigées l'une vers l'autre, mais ces funestes dards, couchés sur le front de l'animal, se redressent à leur extrémité et regardent les cieux. Aussi, lorsque ces taureaux poursuivent un homme ou quelque quadrupède, s'ils le frappent de leurs cornes, ils l'enlèvent dans les airs. Leur langue, d'une rudesse extrême, est semblable à cet instrument qui ronge le fer (23), ses caresses font couler le sang.
Le cerf aux pieds légers se nourrit des productions de la terre. Il a le front couronné d'un bois majestueux. Son oeil est grand, son port noble et son dos tacheté et nuancé de diverses couleurs. Cet animal plein de vivacité traverse les fleuves et porte orgueilleusement sa tête. Ses reins sont fournis de graisse, mais ses jambes sont minces, son cou est faible et sa queue fort courte. Ses naseaux, partagés en quatre ouvertures (24), forment autant de canaux par lesquels il respire. Le courage n'habite point son cœur, sa colère est peu redoutable, et quoique élevé, son bois n'est armé que de pointes émoussées (25)
). Aussi, jamais les cerfs ne combattent à coups de tête, ni les animaux belliqueux, ni les chiens intrépides, ni même le lièvre aux pattes velues, animal faible et craintif.
Mais l'amour exerce un violent empire sur leurs cœurs, Vénus y verse tous ses feux. Semblables au coq ardent et belliqueux et à tous les oiseaux qui portent sur leurs ailes les riches couleurs du printemps, les cerfs brûlent durant des jours entiers des désirs de l'hymen. C'est dans leurs flancs et au-dessous du ventre qu'ils recèlent le double organe de la génération. En le moissonnant avec le fer, on ferait à l'instant d'un mâle une femelle, et le bois majestueux dont sa tête est parée tomberait entièrement. Le cerf dans ses amours n'observe point la loi de l'hymen que suivent les autres quadrupèdes, il se livre à d'étranges caresses, car pour jouir de sa femelle, il ne se tient point debout dans les pâturages, ni couché sur les fleurs, dont la terre émaille les prairies. Ce n'est que par une course rapide qu'il peut joindre sa biche. Il la saisit en courant et la presse amoureusement dans ses bras. Mais loin de se laisser attendrir, elle fuit, emportant son époux sur son dos et conserve un cœur inaccessible à la tendresse. Cependant le cerf la suit avec vivacité à l'aide des deux pieds qui lui restent, et sans quitter l'objet de son amour, il accomplit le devoir nuptial. Mais lorsque plusieurs lunes révolues ont amené le terme de son enfantement, la biche va chercher une retraite obscure, loin des lieux fréquentés par les humains. Les lieux où les mortels portent leurs pas sont odieux aux animaux sauvages.
Les cerfs, par le bois touffu qui couronne leur tête, surpassent en beauté tous les habitants des forêts, et lorsque ces rameaux tombent dans certaine saison, ils creusent une fosse et les enterrent (26) de peur que quelque mortel, ne les trouvant dans un sillon ne s'en saisisse. Ils se cachent ensuite eux-mêmes dans le plus sombre taillis, honteux de montrer ainsi dépouillée aux yeux des autres animaux, cette tête qu'ils levaient auparavant avec orgueil.
Les cerfs sont amphibies (27). Ils courent sur la terre et marchent au milieu des flots. Pour voyager ainsi sur les eaux, ils se rassemblent, et lorsqu'ils traversent les mers, l'un d'eux nageant à la tête du troupeau rangé sur une colonne, lui sert de conducteur : tel un pilote dirige le gouvernail d'un navire. Un autre, appuyant sa tête et son cou sur le dos du premier, le suit en nageant. Ils fendent ainsi l'onde en se prêtant un mutuel soutien, et lorsque le premier est fatigué, il quitte la file et vient à la queue de la phalange, où il se délasse en s'appuyant sur un autre. Chacun d'eux sert de guide à son tour. De leurs pieds, comme avec des rames, ils sillonnent l'onde amère, et tenant élevé le bois qui décore leur tête, ils le présentent ainsi qu'une voile au souffle des vents.
(28) Une haine implacable règne entre la race entière des cerfs et celle des serpents. Le quadrupède cherche sans cesse le fier reptile dans le fond des vallées, et sitôt qu'il reconnaît ses vestiges, tracés en longs sillons tortueux, il accourt transporté de joie au repaire de son ennemi, applique ses naseaux sur son nid, et par la violence de son souffle, il l'attire au combat. Le reptile funeste voudrait en vain l'éviter, le cerf l'arrache malgré lui à sa retraite profonde. À peine le monstre gonflé de venin a vu son ennemi qu'il dresse une horrible tête, ouvre une large gueule hérissée de dents blanches et aiguës, fait craquer ses mâchoires et pousse des sifflements pleins de colère, mais le cerf, qui semble rire de son courroux, le déchire à coups de dents, malgré les vains efforts qu'il fait pour se défendre. Le serpent a beau s'enlacer au cou et aux jambes du quadrupède, celui-ci le mord sans relâche et jonche la terre de ses tronçons palpitants. Quelle que soit la perfidie de son caractère, vous auriez pitié de ce reptile en le voyant ainsi mutilé tomber en lambeaux.
Sur les confins de la Libye, fertile en généreux coursiers, on voit errer une foule innombrable et funeste de serpents de toute espèce. Si quelque cerf vient seul se reposer sur les collines sablonneuses, aussitôt un essaim de serpents ennemis forme un bataillon venimeux et s'élance sur lui. Ils se répandent sur tous ses membres. Les uns lui rongent la tête et de leurs dents aiguës lui scient le front et les sourcils. D'autres dévorent son cou délicat, sa poitrine, ses flancs, son ventre ou sa bouche. Ceux-ci s'attachent â ses cotés, ceux-là se fixent sur ses cuisses ou se repaissent de son dos. D'autres encore se suspendent à d'autres parties, dans lesquelles ils plongent leurs dards empoisonnés. L'infortuné quadrupède, pénétré de toutes parts des plus vives douleurs, veut d'abord s'y dérober par une fuite légère, mais il n'en a pas la force. Celte multitude innombrable de serpents en fureur l'enchaîne et l'accable au point qu'elle le contraint à rester sur la place. Cependant il déchire à coups de dents des milliers de ces cruels animaux. Mugissant de douleur, il se roule en tous sens pour écraser ces reptiles odieux, qui, sans chercher à fuir le trépas, et loin de lâcher prise, périssent attachés à leur proie. La haine les rend intrépides. Les uns tombent coupés par la dent du cerf, d'autres expirent foulés sous ses pieds. Une sanie sanglante ruisselle sur la terre, jonchée de leurs tronçons palpitants, dont les restes à moitié dévorés sont attachés au flanc de l'animal. Quoique morts, ils le serrent encore de leurs dents, et leur tête enfoncée sous sa peau y demeure ensevelie. Cependant le léger quadrupède, qui par un effet de la providence des dieux, connaît les avantages qu'il a reçus de la nature, cherche partout le cours de quelque fleuve chargé d'un noir limon. Là, broyant sous ses dents des écrevisses (29), il trouve en elles l'antidote naturel du poison qui circule dans ses veines. À l'instant et d'eux-mêmes tombent à ses pieds ces restes odieux des furies qui l'agitaient et leurs morsures se cicatrisent.
Le cerf vit très longtemps, et c'est avec vérité que les mortels assurent que sa vie est égale à celle de quatre corneilles (30).
Il est une autre race de cerfs appelés eurycérotes (aux larges cornes) (31). Leur nom désigne assez quelle est la nature du bois dont ils sont couronnés.
On trouve encore dans les forêts l'animal qu'on nomme jorcos (32). Il a le corps du cerf, mais son dos est revêtu d'une peau entièrement semée de diverses taches semblables à celles qui brillent sur la robe des léopards.
(33) Le bubal est plus petit que l'eurycérote, mais plus grand que la gazelle. Il a les yeux brillants, la peau d'une couleur agréable et l'aspect gracieux. Les rameaux de ses cornes s'élèvent en droite ligne au sortir de la tête, mais plus haut elles se recourbent vers le dos par l'inflexion de leurs pointes. Cette espèce chérit singulièrement les lieux qui l'ont vue naître, les forêts où elle fait son séjour et sa retraite accoutumée. Si les chasseurs, après l'avoir enchaîné dans leurs filets, transportent cet animal dans une autre contrée et le laissent courir en liberté dans les vallées il reviendra bientôt dans les lieux chéris qu'il habitait. Il ne peut se résoudre é errer dans un pays où il est étranger. Ce n'est donc point aux seuls mortels que la patrie est chère (34), cet amour est également gravé par la nature dans le cœur des animaux sauvages.
(35) Les légères dorcades forment une espèce charmante. Tout le monde en connaît la forme, la taille et la force. Les perdrix belliqueuses, au cou changeant, à l'œil enflammé, contractent dans les vallées l'amitié la plus tendre pour les dorcades, vivent familièrement avec elles, habitent la même retraite, placent leur nid près de leur séjour et les suivent au pâturage. Mais, hélas ! cette amitié par la suite devient funeste à toutes deux. Elles en retirent l'une et l'autre de tristes fruits. Les humains, profitant de cette inclination mutuelle, dressent à ces infortunées une embûche perfide. Pour attirer les dorcades dans le piége, ils leur présentent des perdrix, objets de leur tendresse, et offrent à celles-ci des dorcades, leurs amies. 
(36) Il est des espèces sauvages de chèvres et de brebis qui ne sont pas beaucoup plus grandes que nos brebis ordinaires et nos chèvres velues, mais qui déploient bien plus de vitesse à la course et de force dans les combats. Leur tête est armée de cornes roulées en volutes. La force de ces brebis réside dans leur front, dont la dureté est extrême. Souvent dans les forêts, elles s'élancent contre les sangliers impétueux et les renversent expirants sur la poussière. Si quelque combat s'allume entre elles, la violence de leur choc fait résonner l'air d'un bruit formidable. L'ennemi ne peut éviter leur rencontre, et c'est pour l'une et l'autre une nécessité indispensable ou de remporter la victoire ou de tomber sans vie sur le champ de bataille, telle est la violence de leurs combats.
(37) Au milieu de leurs cornes les chèvres ont un conduit de respiration. Il passe à travers les dents et communique au cœur et aux poumons. Si l'on enduisait leurs cornes de cire, on ferait mourir ces animaux en interceptant le canal par lequel ils respirent.
Tendre mère, la chèvre sauvage prend un soin extrême de ses petits, lorsqu'ils sont dans l'enfance, et les petits à leur tour prennent soin de leur mère dans sa vieillesse. Tels on voit des humains remplis de tendresse pour un père lui prodiguer tous leurs soins, lorsque, enchaîné dans les tristes liens de la vieillesse, ses pas s'appesantissent, sa démarche devient tremblante, ses membres se couvrent de rides, ses bras languissent sans vigueur, ses yeux s'obscurcissent. Ses enfants lui paient alors le prix de leur éducation, qui lui coûta tant de travaux. Ainsi les jeunes chevreaux veillent sur les auteurs chéris de leur naissance, et lorsque ceux-ci viennent tomber dans les filets des chasseurs, ils leur présentent avec la bouche l'herbe tendre et fleurie qu'ils vont cueillir au loin, leur apportent sur le bord des lèvres l'eau fraîche qu'ils ont puisée dans le prochain ruisseau et d'une langue caressante leur nettoient le corps. Si vous prenez la mère seule dans vos filets, bientôt vous prendrez à la main tous les petits. On dirait qu'elle leur parle et les exhorte à prendre la fuite. Elle semble par ses bêlements leur adresser cette prière : "Fuyez, chers enfants, les redoutables chasseurs, fuyez et ne me rendez pas en tombant sous leurs coups une mère infortunée, privée des objets de sa tendresse." On croirait qu'elle leur tient ce langage. Ses petits, rangés autour d'elle, semblent aussi, par leurs plaintes touchantes, déplorer le sort de leur mère, et l'on dirait que, quittant leurs bêlements pour prendre une voix humaine, ils vont parler et supplier le chasseur en ces termes : "Au nom de Jupiter, au nom de Diane elle-même, rends-nous une mère chérie, nous t'en supplions. Reçois pour sa rançon tout ce que dans notre infortune, il nous est possible de te donner. Prends-nous nous-mêmes à la place de notre malheureuse mère. Laisse fléchir ton cœur barbare, crains la vengeance des Immortels et songe à la vieillesse de ton père si tu possèdes encore dans ton palais ce cher auteur de ta vie." C'est ainsi qu'ils paraissent supplier le chasseur. Mais s'ils voient qu'il conserve un cœur inaccessible à la pitié (ô tendresse, ô pouvoir de l'amour filial !), ils s'enchaînent volontairement sur ses pas et le suivent d'eux-mêmes.
Sur les bords les plus reculés de la Crète, dans le territoire de Cortyne, il est une race de brebis rousses armées de quatre cornes. La laine dont elles sont vêtues, a l'éclat de la pourpre et croît avec abondance, mais elle n'est point délicate au toucher. Sa rudesse la fait plutôt ressembler à la chevelure grossière de la chèvre qu'à la toison fine d'une brebis.
(38) Telle est aussi la couleur fauve dont brille le subus, mais sa robe n'est point chevelue, et au lieu de quatre cornes, deux seules, assez épaisses, arment son large front. Cet animal est amphibie, et lorsque dans la mer, il fend rapidement les flots, une foule de poissons nage à sa suite. Charmés à la vue du subus, dont ils aiment la peau délicate, ils lui lèchent les membres. Les pâgres, les timides mélanures, les anguilles de mer et les homards le suivent avec plus d'ardeur que les autres.
Quel sujet d'un étonnement inexprimable de voir des animaux brûler des plus étranges désirs de l'amour ! Ce n'est pas seulement aux bêtes de même espèce que ce dieu a imposé l'inévitable loi d'un penchant réciproque et naturel. Il ne l'a pas bornée non plus à la nécessité d'accroître et de perpétuer leur race. Il est admirable sans doute, que des êtres privés de raison soient enchaînés par les nœuds de la volupté, éprouvent pour leurs semblables le charme de l'amour et forment sans le secours de la réflexion une union conjugale, imitant en cela les humains, chez qui l'amour s'introduit par les yeux, que la raison tient sans cesse ouverts. Mais que par un pouvoir surnaturel les animaux ressentent pour des espèces étrangères toutes les fureurs de Vénus ! (39) Quelle passion les gélinottes ne conçoivent-elles pas pour les cerfs, et les perdrix pour les gazelles ! Par quel charme l'outarde, dont l'oreille est recouverte d'un long poil, aime-t-elle les chevaux ? (40) Le loup et le perroquet vivent ensemble dans une étroite union (41), et toujours le quadrupède recherche l'oiseau qui porte sur ses ailes la couleur des prairies.
Amour, puissant Amour, que tu es grand ! que ta force est immense ! que tes desseins sont profonds ! que ton empire est absolu ! Dieu suprême, quels sont tes jeux ! La terre est assise sur ses fondements, et tu la fais trembler sous tes traits. L'Océan est agité, et tu rends ses flots immobiles. Tu t'élances dans les airs, et le vaste Olympe frémit à ta présence. Tous les êtres tremblent devant toi, depuis la voûte immense des cieux jusqu'aux entrailles de la terre. Les tristes habitants de l'empire de Pluton qui ont bu l'onde insensible du Léthé et se sont dérobés à tous les maux te redoutent encore. Ta puissance pénètre où n'a jamais pénétré l'œil du soleil. Sa lumière cède en tremblant à tes feux, que respectent les foudres même de Jupiter. Tant ils sont violents ces traits que tu nous lances, dieu terrible ! ces traits douloureux et brûlants, qui corrompent la raison, inspirent une folle ivresse, allument des fureurs extrêmes, ces traits dont rien ne peut guérir les coups et dont tu te sers pour enflammer le cœur des animaux de désirs qu'ils ne peuvent calmer par une douce union !
On est saisi d'étonnement lorsqu'on voit l'attagas, auquel la nature a donné des ailes, s'abattre sur le cerf armé de cornes, quand la perdrix caresse les gazelles, les rafraîchit, lorsqu'elles sont couvertes de sueur, par l'agitation rapide de ses ailes et calme la chaleur extrême qui les incommode, quand l'outarde amoureuse tombe du haut des airs à la rencontre du coursier qui fait résonner la plaine sous ses pas. Les sagres s'attachent aux boucs, et une foule de poissons de toute espèce, éprise d'amour pour le subus, se range autour de lui lorsqu'il fend les flots et lui forme un immense cortège. Transportés de joie, ils le pressent de toutes parts, et l'Océan écume autour d'eux, frappé sous leurs blanches nageoires. Mais insensible aux caresses de ces étrangers, le quadrupède sans pitié dévore ses amis d'une dent meurtrière. En vain ils voient le triste sort dont ils sont menacés, ils ne peuvent haïr celui qui leur donne le trépas et ne veulent point se détacher de lui. Méchant et cruel subus, les pêcheurs un jour te dresseront dans les flots de mortelles embûches dont tes ruses ni ta cruauté envers les poissons ne te sauveront pas ! 
Un animal aux cornes aiguës habite encore dans les forêts (42), c'est le féroce oryx, l'ennemi déclaré des bêtes sauvages. Sa couleur est celle du lait au printemps. Ses joues sont les seules parties de sa face qui soient teintes de noir. Il a les reins doubles et fournis de graisse. Ses cornes de couleur d'ébène croissent et s'élèvent en droite ligne, armées de pointes aiguës qui font de cruelles blessures. Plus terribles que l'airain acéré et le fer tranchant, ses cornes surpassent en dureté le marbre même et recèlent, dit-on, un poison subtil. L'oryx a le cœur cruel et superbe ; il ne craint ni les aboiements du chien prompt à suivre sa trace ni le frémissement du sanglier qui sur les rochers court à sa rencontre. Le mugissement redoutable du taureau, l'horrible cri du léopard ne lui inspirent aucun effroi. Le lion même, par son affreux rugissement, ne lui fait pas prendre la fuite. Son intrépidité brave jusqu'aux mortels, et souvent le chasseur courageux qui s'oppose à son passage, est renversé dans les précipices. Quand l'oryx aperçoit quelque animal belliqueux, un sanglier à la dent recourbée, un lion qui ouvre une gueule menaçante, un ours intrépide et cruel, alors il incline la tête, et le front appuyé sur la terre, les cornes enfoncées dans le sable, il attend l'assaut de son ennemi et souvent le prévient en lui donnant la mort. En effet, le front obliquement baissé, il s'élance sur l'animal dont il observe tous les mouvements et lui présente ses armes aiguës. Celui-ci les brave et court avec fureur se précipiter sur leurs pointes redoutables. Un mortel plein de vigueur et de courage, que Diane a comblé de ses dons, lorsqu'il voit au milieu des forêts accourir le lion qu'il a blessé, fait briller un javelot dans ses robustes mains, et attendant le monstre de pied ferme, il oppose à sa rage le fer à double tranchant. Tel, l'oryx attend la bête cruelle qui vient fondre sur lui et qui par son intrépidité se donne elle-même le trépas. Les pointes aiguës pénètrent aisément dans ses flancs, et de cette double blessure coulent à l'instant les flots d'un sang noir que l'animal féroce étanche avec sa langue. Alors ces deux ennemis font de vains efforts pour prendre la fuite. Ils ne le peuvent et périssent en se donnant une mort réciproque. Quelquefois le laboureur ou le berger rencontre avec étonnement leurs corps étendus sur son passage et s'empare de cette riche proie.
A la suite et dans la chasse même des animaux qui sont armés de cornes, on doit célébrer l'éléphant, cet énorme quadrupède. Les deux défenses redoutables qui sortent de sa bouche s'élèvent en regardant les cieux et ressemblent à des dents recourbées. Le vulgaire leur en donne même le nom, mais il se trompe, et nous pensons qu'il vaut mieux les appeler des cornes (43). Ces armes naturelles ne diffèrent-elles pas par des signes évidents ? Celles qui dans les animaux sortent des mâchoires supérieures et croissent en s'élevant, sont des cornes, mais lorsqu'elles se dirigent vers la terre, ce sont de véritables dents. Les deux cornes de l'éléphant ont leurs racines dans sa tête. Ces racines, comme celles des arbres, sont proportionnées à la grosseur de l'animal. Cachées d'abord sous sa peau, elles s'allongent en descendant le long des tempes, arrivent dans la bouche, d'où elles sortent, dépouillées de leur enveloppe. Voilà ce qui donne au vulgaire la fausse opinion qui l'abuse. Cependant les mortels ont encore pour connaître la vérité un signe indubitable. Toutes les dents des animaux sont inflexibles, elles ne cèdent à aucun art et demeurent indomptables. L'ouvrier par son industrie veut en vain étendre leur surface, elles résistent obstinément. Leur fait-on violence, elles rompent en morceaux. Avec les cornes au contraire, on fabrique des arcs recourbés et mille instruments divers. Celles de l'éléphant, auxquelles on donne le nom de dents, se laissent étendre et ployer sous la main des ouvriers qui travaillent l'ivoire.
De tous les animaux terrestres, il n'en est aucun dont la taille égale celle de l'éléphant. On le prendrait en le voyant pour le vaste sommet d'une montagne ou pour un nuage épais qui recèle dans ses flancs la tempête redoutée des mortels et qui s'avance en menaçant les campagnes. La tête énorme de ce quadrupède est coiffée de deux oreilles creuses et découpées (44) . Entre ses yeux sort un nez long, mince et flexible, on l'appelle une trompe : c'est la main de l'éléphant. Avec elle, il exécute aisément tous ses desseins (45). Ses pieds ne sont point égaux, ceux du devant sont plus élevés que les postérieurs. La peau, dont son corps est revêtu, est rude au toucher, désagréable à la vue et si dure que le tranchant du fer à qui tout cède ne saurait l'entamer. L'éléphant est doué du plus grand courage. Féroce tant qu'il habite les forêts, il s'apprivoise aisément avec les humains, dont il devient le fidèle ami. On le voit, dans les prairies, dans le fond des vallées, déraciner les hêtres, les oliviers sauvages, les palmiers, dont la tête majestueuse s'élève dans les airs, et les renverser en les frappant de ses armes aiguës qui lui sortent des mâchoires, mais entre les mains puissantes des mortels, il oublie bientôt ce fier courage et dépouille toute la férocité de son caractère. Il supporte le joug, reçoit un frein dans sa bouche et se laisse monter par des enfants qui le dirigent dans ses travaux. On dit que les éléphants parlent entre eux et qu'il sort de leur bouche une voix articulée, mais celte voix animale (46) ne se fait pas entendre à tout le monde, leurs conducteurs ont seuls cet avantage. J'ai appris avec admiration que les plus robustes de ces animaux possèdent une intelligence prophétique et connaissent l'instant inévitable de leur trépas. Ce n'est donc pas parmi les seuls oiseaux que les cygnes présagent l'avenir et chantent douloureusement leur hymne funèbre (47). Chez les quadrupèdes, l'éléphant prévoit le terme fatal de sa vie et le déplore en poussant de tristes accents.
D'une taille un peu plus forte que l'impétueux oryx (48), le rhinocéros porte à l'extrémité de son nez une corne aiguë et redoutable, arme terrible, avec laquelle il peut dans l'effort de sa course percer l'airain et fendre le plus dur rocher. Souvent cet animal s'élance sur l'éléphant que, malgré sa force extrême, il renverse mort sur la poussière.
(49) Sur son front couronné d'une chevelure dorée et sur son large dos sont semées de nombreuses taches de pourpre. Tous les rhinocéros sont mâles (50). On ne voit aucune femelle de cette espèce. À qui doivent-ils donc la vie, je ne l'ai point appris, et ne le sachant pas, je ne puis dire si c'est du sein des rochers que naissent ces terribles animaux ou s'ils sont autochtones et sortis des entrailles de la terre ou si, sans amour, sans hymen, sans enfantement, ils se reproduisent eux-mêmes. Ainsi dans les humides vallées de l'Océan, on voit naître d'eux-mêmes et sans le secours d'une mère divers animaux, les huîtres, les anchois, les crabes, les trombes et tous ceux qui naissent dans le sable.
Muse, il ne nous est pas permis de chanter de faibles objets. Laissons dans l'oubli les animaux sans force et sans courage, les panthères aux yeux brillants (51), les chats malfaisants qui attaquent les oiseaux domestiques, les loirs au corps fluet, au cœur timide, aux membres délicats, et qui, ensevelis dans une retraite obscure, s'enivrent d'un sommeil continuel tant que l'hiver exerce ses rigueurs. Les infortunés ne prennent alors aucune nourriture et leurs yeux sont fermés à l'éclat du jour. Ces animaux sont tellement endormis au fond de leur tanière qu'ils semblent morts de froid, mais lorsque le printemps commence à sourire à la nature et rajeunit les fleurs et l'herbe des prairies, ils s'éveillent, sortent de leur obscurité, ouvrent les yeux et reçoivent la lumière du soleil. Le besoin rappelle en eux l'agréable souvenir de la douce pâture. Ainsi les loirs reviennent à la vie.
Je ne parlerai point de l'écureuil aux longues soies, de cet animal timide qui dans la saison brûlante oppose, en élevant sa queue, un abri naturel aux rayons de l'astre du jour. C'est ainsi que le paon ombrage son corps d'une voûte circulaire sur laquelle éclatent les couleurs les plus riches et les plus variées. De tous les êtres qui marchent sur la terre, dont le sein fécond les fait naître, qui d'une aile légère traversent l'immensité des cieux ou sillonnent les flots agités dans les gouffres de l'Océan, le souverain des dieux n'en a produit aucun de plus brillant ni de plus agréable aux yeux des mortels que cet oiseau dont le corps étincelle de la richesse de l'or unie à l'éclat du feu.
Je ne parlerai pas non plus de l'horrible hérisson environné d'un rempart formidable. Il est deux espèces de ces animaux affreux : l'une, petite et sans force, n'est armée que de faibles pointes, l'autre, d'une taille plus considérable, est hérissée de tous côtés de dards menaçants.
Je passe sous silence les trois espèces de singes, ces mauvais imitateurs de l'homme. Qui ne haïrait cette race difforme, odieuse, lâche et perverse ? Ces animaux engendrent deux petits, mais ils n'ont pas pour eux une égale tendresse : l'un est l'objet de leur amour et l'autre de leur haine. Ils lui donnent la mort jusque dans les bras de sa mère.
Mes chants se refusent encore à célébrer la race autochtone des taupes aveugles, dont l'herbe est la nourriture. Cependant, s'il faut croire l'incroyable opinion accréditée chez les mortels, elles tirent d'un sang royal leur glorieuse origine.
Le dieu brillant du jour, autrefois irrité contre Phinée, souverain de la Thrace, d'avoir été vaincu par lui dans la science de l'avenir, le priva de la lumière et le fit tourmenter par les Harpies, monstres ailés, infâmes, qui par leur présence odieuse venaient infecter ses repas. Mais lorsque les deux illustres fils de Borée, Zéthus et Calaïs, vinrent en Thrace avec Jason, qu'ils suivaient sur le navire Argo, à la conquête de la Toison d'or, ils eurent compassion de ce vieillard malheureux (52), tuèrent les monstres qui le tourmentaient et rassasièrent Phinée de mets les plus exquis. Cependant Apollon, dont la colère n'était point assoupie, le changea en taupe, dont la race n'existait point encore. Voilà pourquoi ces animaux sont aveugles et gourmands.

CHANT SECOND.

(1) Chez les mortels, le héros qui trancha. Xénophon, que notre auteur a pris pour guide lorsqu'il attribue l'invention de la chasse aux centaures, Xénophon, dis-je, ne nomme point Persée au rang des premiers chasseurs, et j'ignore d'où Oppien a pu tirer la tradition qu'il suit ici. Selon Xénophon, les dieux Apollon et Diane, pour récompenser Chiron de son amour pour la justice, lui communiquèrent l'art de la chasse ; il eut pour élèves dans cet art Céphale, Esculape, Mélanion, Nestor, Amphiaraüs, Pélée, Télamon et plusieurs autres parmi lesquels on ne voit point le nom de Persée. Les premiers inventeurs de la chasse furent les Phéniciens, si nous en croyons le récit de Sanchoniaton rapporté, d'après la traduction grecque de Philon de Biblos, par Eusèbe de Phamphylie (Préparation évangélique, liv. i, p. 35) : "Longtemps, dit-il, après la naissance d'Hypsuranius naquirent Agrée et Haliée, inventeurs de la pêche et de la chasse. C'est d'eux que les pêcheurs et les chasseurs ont tiré leur nom." On admirera sans doute la conformité qui se trouve entre ces deux noms prétendus phéniciens et les noms grecs alieis et agreutai ; elle me servira peut-être à prouver quelque jour que ce récit de l'antique Sanchoniaton n'est qu'un roman de Philon adapté à certaines circonstances et inventé pour déprimer les Grecs, qui s'attribuaient une trop haute antiquité et l'invention des sciences. Selon le poète Nonnus (Dionysiaques, liv. 5, p. 152), Aristée fut l'inventeur de la chasse, des filets, des fourches et de l'art de suivre les bêtes à la piste. (Voyez dans les notes latines le passage de ce poète.) Les Crétois s'attribuaient aussi cette invention. (Diodore de Sicile, livre 5, p. 334.)

(2) Les Oryx. Espèce de chèvre sauvage dont nous parlerons par la suite.

(3) Méléagre, qui tua le sanglier de Calydon. Voyez son histoire dans Homère, Iliade, liv. 9, v. 530. Atalante l'accompagnait à cette chasse et porta la première blessure au sanglier. (Voyez les mythologues.)

(4) Les héros qui les premiers frayèrent les sentiers de la chasse. Le grec dit : "qui furent les conducteurs de la chasse."

(5) Autant un doux sommeil. Imitation de ces beaux vers de Virgile : 
Quale sopor fessis in gramine, quale per aestum 
Dulcis aquae saliente sitim restinguere rivo.
(Eclog
. 5, v. 16.)

(6) Chantons ces fréquents et terribles combats. Tout ce morceau est imitation du 3e livre des Géorgiques.

(7) Les taureaux de Phrygie. Oppien leur attribue deux caractères principaux, d'avoir une éminence ou bosse sur le dos et de remuer les cornes à volonté. Ce second caractère est suspect, quoique indiqué par d'autres auteurs, tels qu'Aristote (Hist. anim., livre 3, ch. 9), Antigonus Carystius (Mirabilium synagoge, ch. 81), et Élien (De anim., liv. 2, ch. 20), lequel dit la même chose des taureaux d'Érythrée. À l'égard du premier caractère, c'est celui de plusieurs autres espèces de taureaux, principalement du zèbre décrit par M. de Buffon, t. 5, p. 119. Mais celle dernière espèce est trop petite pour convenir à la description de notre poète ; cette description s'accorde bien mieux avec celle que Pline nous a laissée des boeufs de Syrie et de Carie (livre 8, ch. 45) : "Syriacis non sunt palearia, sed gibber in dorso. Carici quoque in parte Asiae foedi visu, tubere super armos eminente, luxatis cornibus, excellentes in opere narrantur ; caetero nigri coloris candidive ad laborem damnantur." Sans pouvoir rien affirmer de précis sur ces taureaux, il paraît qu'on peut les rapprocher de l'espèce du bison et du bonasus décrit par Aristote au livre 9, ch. 45 de l'Histoire des animaux, et dont nous parlerons bientôt.

(8) Ceux d'Aonie. Les caractères qu'Oppien donne à ces animaux, l'ongle d'une seule pièce, la corne unique qui croît au milieu de leur front, annoncent que ce ne sont point des taureaux, mais des licornes ou monocéros, animaux fabuleux, dont cependant plusieurs auteurs ont assuré l'existence et décrit la forme. Strabon, d'après Onésicrite, les appelle ippous monokerôtas elaphorkranous (chevaux à tête de cerf et qui n'ont qu'une seule corne). Cet animal, dont les pieds ont vraisemblablement été mal observés par les anciens, paraît être le même que celui dont parle César (De bello gallico, liv. 6, gaga 246) : "On trouve, dit-il, dans les forêts de Germanie un bœuf qui a la forme du cerf et est monocorne, c'est-à-dire que ces cornes réunies en une seule pièce depuis la racine, s'élèvent en droite ligne au-dessus de son front, et à une certaine hauteur se partagent en deux rameaux fort étendus." Je pense que c'est le renne que César veut décrire en cet endroit. Ce quadrupède, aujourd'hui retiré dans les forêts du Nord, habitait autrefois celles de la Germanie, selon M. de Buffon (t. 5, p. 232). Pline (Histoire naturelle, livre 8, ch. 21 ) reconnaît, comme Oppien, des bœufs solipèdes et qui n'ont qu'une corne, mais il leur donne, ainsi que Strabon cité ci-dessus, l'Inde pour patrie : "In lndia et boves solidis ungulis unicornes." D'où je pense qu'il faut lire dans Oppien oi Indoi au lieu d'Aonioi qu'on lit aujourd'hui et d'ai Onoi que propose Bochart (p. 332 de son Hierozoicon) sans faire attention que ce mot, dont, la première syllabe est brève, rompt la mesure du vers. Ces taureaux de l'Inde me paraissent avoir beaucoup de rapport avec la description que Pline (liv. c.) fait du monocéros, et cette description appartient par plusieurs traits essentiels au rhinocéros. Quoi qu'il en soit, on sera peut-être curieux de savoir quelle était chez les anciens la chasse du monocéros. Jean Tzetzès, dans ses Histoires (Chiliade 5, v. 388), nous a conservé une description de cette chasse que peut-être il a prise dans le 5e livre du poème d'Oppien. Comme ce livre est perdu, je vais traduire le passage de Tzetzès : "Le monocéros porte une corne sur le milieu du front. Cet animal aime passionnément les odeurs. On le chasse de cette manière. Un jeune homme déguisé en fille, exhalant l'odeur des parfums les plus exquis, va se placer dans les lieux fréquentés par ce quadrupède. Les chasseurs se tiennent en embuscade à peu de distance. L'odeur des parfums attire bientôt le monocéros auprès du jeune homme ; il le caresse. Celui-ci lui couvre les yeux avec des gants de femme parfumés. Les chasseurs accourent à l'instant, saisissent l'animal sans qu'il fasse de résistance, lui coupent sa corne, qui est un excellent alexipharmaque, et le renvoient sans lui faire d'autre mal."

(9) Que produit la Chersonèse. Les anciens géographes reconnaissent cinq Chersonèses : celle du Péloponnèse, celle de Thrace, celle de Tauride, la Cimbrique, et la Chersonèse d'or située dans la presqu'île méridionale de l'Inde, que nous nommons aujourd'hui presqu'île de Malaca. Mais outre ces cinq Chersonèses, on donnait encore ce nom à la ville d'Apamée en Syrie, parce qu'elle était environnée en forme de péninsule par le fleuve Orontès. Plus anciennement elle portait le nom de Pharnace ; elle prit ensuite celui de Pella, d'une colonie macédonienne sortie de l'ancienne Pella, qui vint s'y établir. Elle reçut depuis le nom de Chersonèse, et enfin celui d'Apamée. C'est Strabon qui nous apprend tous ces détails au 16e livre, p. 517, de sa Géographie.

(10) Mènent une vie sauvage. La description qu'Oppien fait de ces taureaux me ferait penser qu'il désigne ici les buffles si M. de Buffon n'assurait d'une manière précise que cette espèce était absolument inconnue aux anciens, quoiqu'elle soit aujourd'hui très commune en Grèce et en Italie (t. 5, pages 45 et 51). Cependant en comparant les traits sous lesquels M. de Buffon a peint le buffle et ceux dont Oppien se sert pour caractériser les taureaux de Syrie, on est frappé de la vive ressemblance qui se trouve entre ces deux tableaux : c'est la même nature, la même forme et surtout le même caractère indomptable. Je voudrais que M. de Buffon nous eût appris comment il a pu se faire que ces animaux, communs en Grèce et en Italie, aient pu être inconnus aux anciens habitants de ces contrées. Il faut encore rapprocher des taureaux de Syrie d'Oppien celui que César décrit sous le nom d'urus au livre 6 De bello gallico, p. 218 : "Ii sunt magnitudine paullo infra elephantos, specie et colore et figura tauri ; magna vis eorum, magna velocitas." Puis il ajoute "qu'ils attaquent indifféremment tout ce qu'ils rencontrent, hommes ou animaux, qu'ils sont indomptables et ne peuvent s'apprivoiser, les élevât-on dès la plus tendre jeunesse. Leurs cornes différent de celles des autres taureaux par la grandeur, la forme et la nature." Cet animal ne peut être ni le bison d'Oppien ni le bonasus d'Aristote, car il n'a pas cette crinière qui fait le caractère principal du bison. César n'aurait pas manqué ce dernier coup de pinceau, sans lequel le portrait de l'animal était imparfait. N'est-ce que notre taureau ordinaire dans l'état de nature ? Non. Celui-ci se révolte contre le joug, le nôtre s'accoutume insensiblement à le porter. Ce caractère indomptable, qui est essentiellement celui des buffles, me fait penser que ce sont eux qu'Oppien a décrits sous le nom de taureaux de Syrie et César sous le nom d'urus.

(11) Les amena jadis d'Eurythie. Ancien nom de Cadix. L'enlèvement des bœufs de Géryon est raconté par Apollodore au 3e livre de sa Bibliothèque mythologique.

(12) Aux pieds du mont Emblon. Le nom de cette montagne et celui du mont Dioclès sont inconnus aux géographes anciens. M. Schneider pense que le Dioclès est le même que le Liban, et l'Emblon le mont Casius en Séleucie.

(13) L'Orontès toujours débordé. Ce fleuve s'appelait plus anciennement Typhon et devait ce nom, selon les poètes, au géant Typhon changé en serpent sur ses bords par Jupiter. Ensuite, il prit le nom d'Orontès, d'un certain Orontès, Indien dont le corps fut trouvé dans le fleuve. (Voyez cette histoire dans Pausanias, Arcadie, p. 261.) Eustathe, sur Denis Périégètes, v. 919, prétend que l'Orontès fut ainsi appelé par l'empereur Tibère et qu'il se nommait auparavant Dracon. Mais il paraît qu'Eustathe se trompe, car Pomponnius Méla, qui vivait bien des années avant Tibère, appelle le fleuve Orontès (liv. I, ch. 12, p. 73). Enfin selon Strabon (livre 16), le nom de Typhon que portait ce fleuve fut changé en celui d'Orontès, du nom même de celui qui le premier y construisit un pont.

(14) De ce beau lac. Le grec dit: "De ce lac aux beaux cheveux", par allusion aux roseaux dont il était couvert. Comme le poète l'a personnifié plus haut, il soutient ici la métaphore.

(15) Le noir rivage de la Syrie. Cette épithète noir exprime simplement la fécondité. Hérodote (Euterpe, ch. 12 ) fait entendre que le rivage de la Syrie n'est pas noir, car il dit de celui de l'Égypte, qui l'était, qu'il ne ressemble ni à celui de la Libye ni à celui de l'Arabie et de la Syrie.

(16) Franchissant les barrières de glace. À la lettre : "Rompant le frein blanc de Borée." Le poète indique par là l'impétuosité du Danube lors de sa débâcle.

(17) Elles poussèrent un horrible cri. Cette expression pourra paraître bien hardie en français appliquée à des rives, mais l'image m'a paru trop belle pour ne pas la conserver tout entière. C'est d'ailleurs une imitation de ce vers de Virgile (Géorg., liv. 3, v. 281) :
. . . . .
. Scopulis illisa reclamant littora.

(18) Que l'époux de Déidamie. Achille.

 

(19) En langage du Permesse. A la lettre: "En chant de Pimplée." Pimplée est une montagne de Thrace sur laquelle les Muses faisaient leur séjour aussi bien que sur l'Hélicon. C'était la demeure ordinaire d'Orphée.

(20) On donne à ceux-ci le nom de bisons. Les naturalistes anciens qui ont parlé du bison le désignent tous par un caractère auquel il est impossible de se méprendre, cette crinière dont il est revêtu depuis le haut de la tête jusqu'au milieu du dos, qui retombe sur ses épaules et couvre son poitrail. C'est à ce caractère que Gesner, et d'après lui M. de Buffon, ont reconnu dans le bison le bonasus d'Aristote. L'opinion de ces deux illustres modernes et les preuves dont ils l'ont appuyée sont trop connues pour nous y arrêter davantage. (Voyez la description du bonasus au livre 9, ch. 45 de l'Histoire des animaux d'Aristote, et dans l'excellente traduction que M. Camus vient de donner de cet ouvrage.

(21) Telle la porte le lion. Aristote, au livre 2, ch. 1 de l'Hist. des an., compare aussi la chevelure du bonasus à la crinière du lion.

(22) Aussi subtiles que des langues de feu. C'est ainsi que j'entends puriglôchines, que M. Schneider dit ne point entendre. La disposition des cornes du bison est bien différente, selon Oppien, de celle observée par Aristote, qui dit expressément (De partib. anim., livre 3, ch. 2) que les cornes de ces quadrupèdes sont courbées et inclinées l'une vers l'autre, de manière qu'elles leur sont inutiles pour se défendre. Mais cette disposition n'est pas un caractère essentiel, elle peul varier suivant les individus et selon les circonstances. L'auteur du traité De mirabilibus auscultat. dit que les cornes du bolinthus, le même animal que le bison, sont tournées en bas (katestramména) et que leur pointe est voisine des oreilles. (Voyez la fig. du bonasus dans Gesner, p. 131.)

(23) Semblable à cet instrument. La lime. Je n'ai rien trouvé dans les auteurs sur l'âpreté de la langue du bison. En général les bœufs ont la langue fort rude.
On aurait lieu de me faire un reproche si je finissais l'article du bison sans rien dire de la manière dont les anciens le prenaient à la chasse. Sans doute qu'Oppien en avait parlé dans le 5e livre de ce poème, mais comme ce livre est perdu, nous y suppléerons par un passage de Pausanias tiré de la description de la Phocide (page 828, édition de Kuhnius). Je ne me sers point de la traduction de l'abbé Gédoin : "Le bison, dit-il, est de tous les animaux féroces le plus difficile à prendre vivant ; les filets ne sont point assez forts pour résister à son impétuosité. Voici de quelle manière on le chasse. Après avoir trouvé un terrain qui a de la pente et qui descend dans une cavité, les chasseurs commencent par l'environner d'un rempart solide ; ensuite ils étendent sur ce terrain, à l'endroit où il monte et jusqu'à celui où il devient uni, des peaux nouvellement écorchées. Si l'on n'en a pas, on se sert de peaux sèches que l'on rend glissantes en les humectant avec de l'huile. Après cela, ceux des chasseurs qui sont meilleurs cavaliers poursuivent les bisons et les poussent vers cette enceinte. Ces animaux n'ont pas plutôt mis le pied sur les premières peaux qu'ils glissent sur le terrain incliné et tombent dans la cavité. On les abandonne là pendant trois ou quatre jours, et le cinquième, lorsque la faim et la fatigue ont épuisé leurs forces et dompté leur férocité, des hommes qui ont l'art d'apprivoiser les bêtes sauvages leur présentent un fruit de pin greffé, dont auparavant ils ont ôté les petites enveloppes, car ces animaux ne voudraient pas alors goûter d'aucune autre nourriture. Enfin, on leur passe des liens autour du corps et on les emmène." C'est ainsi qu'on les prenait pour les faire combattre aux jeux du cirque.

(24) Le cerf. Son nez a quatre ouvertures. Cela est faux, et je ne sais dans quel auteur Oppien a puisé cette fable. Les narines dit cerf sont larges et très ouvertes.

(25) N'est armé que de faibles pointes. À la lettre, De pointes émoussées. Aristote (De part. anim., liv. 3, ch. 2) dit que les cornes du cerf lui sont plus nuisibles qu'utiles pour sa défense à cause de l'étendue de leurs rameaux.
Voici ce que dit Eldémiri du cerf, qu'il appelle aussi ayyil : 
"Le bois du cerf ne commence à pousser que lorsqu'il a atteint l'âge de deux ans. Ses bois sont d'abord droits comme deux pieux ; à la troisième année ils se séparent en plusieurs rameaux et continuent à croître de la sorte jusqu'à l'âge de six ans. On dirait alors que ce sont deux arbres qu'il porte sur sa tête. Depuis cet âge, il jette son bois tous les ans, et il en croit de nouveaux à la place. Quand le nouveau est formé, il s'expose à l'ardeur du soleil pour le durcir.
"Aristote dit que l'on prend cet animal en chantant. (Voici le passage d'Aristote : "On prend, dit-il, les cerfs en chantant ou en jouant de la flûte C'est le moyen dont on se sert pour les attirer et les surprendre. Tandis qu'un des chasseurs chante sans se cacher, un autre s'approche secrètement et le frappe par derrière au signal que lui donne son camarade. Si le cerf tient les oreilles droites, il entend très bien, et il est impossible de le surprendre, mais s'il les tient baissées, on le tue facilement. (Aristote, Hist. anim, 1. 9.) Tant qu'il entend chanter, il ne se laisse point aller au sommeil. Les chasseurs se servent de ce moyen pour l'occuper et le distraire. Ils s'approchent par derrière, et lorsqu'ils le voient tranquille et les oreilles pendantes, ils le prennent. Ses bois sont solides et n'ont aucun creux dans l'intérieur. Il est peureux et poltron de son naturel. Il mange beaucoup de serpents et les avale toujours par la queue. Il jette ses bois tous les ans. Ceci arrive par une disposition particulière de la Providence, qui a prévu l'utilité que !es hommes en retireraient. Son bois en effet guérit toutes sortes de maladies, sert au soulagement des femmes enceintes, et facilite l'accouchement. Brûlé et pétri avec du miel, il chasse les vers du corps des enfants. Tout ceci est tiré des livres d'Aristote. L'ayyil est sujet à devenir très gros et se retire alors dans des lieux déserts de crainte de tomber entre les mains des chasseurs. (Ceci est encore tiré d'Aristote au même chapitre ci-devant) 
"Un poète a dit en parlant de son amante: "Si je te fuis, ce n'est pas par un superbe dédain, et mon amour n'en est pas moins violent, quoique je détourne de toi mes regards : je te fuis comme l'animal qui tourne autour d'une source d'eau et n'ose en approcher parce qu'il sait qu'il y trouverait une mort certaine : dévoré par la soif, la crainte du trépas l'arrête, il se contente de la regarder de loin ; il détourne ses yeux avec un air d'indignation, et d'instant en instant il jette sur elle un coup d'œil d'amour et de passion."
"Sur quoi le commentateur fait cette remarque : c'est du cerf que le poète veut parler. Cet animal mange des serpents durant les chaleurs de l'été, et cette nourriture lui cause une fièvre brûlante dont l'ardeur le porte à chercher quelque ruisseau. Mais sitôt qu'il trouve de l'eau, il s'abstient d'en goûter et tourne tout autour, se contentant d'en aspirer la vapeur. S'il buvait dans cet instant, l'eau venant à se mêler avec le venin qu'il a dans les entrailles lui causerait la mort. Ce n'est que lorsque le temps a dissipé le venin qu'il satisfait sa soif sans danger. 
"Ainsi, dit le poète, je m'éloigne de ta société, quelque peine qu'il en coûte à la violence de mon amour, comme cet animal s'abstient de l'eau qu'il désire passionnément par la crainte du trépas."
"N. B. Les Hébreux se servaient de la même comparaison et exprimaient la force de l'amour par l'ardeur avec laquelle le cerf cherche une source d'eau. De là vient cette expression du psalmiste : 
"Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum, ita desiderat anima mea ad te Deus."
Il n'est pas vrai, comme l'enseigne Oppien, que la castration fasse tomber le bois des cerfs et les change en femelles. On ne peut cependant lui faire un reproche de paraître adopter cette fable. Sa qualité de poète est son excuse. Aristote a fait à l'égard de la mutilation du cerf cette judicieuse observation, confirmée par l'expérience : ? Un cerf coupé avant l'âge où le bois croît n'en aura jamais. Si son bois est déjà né, il demeure fixé à la hauteur qu'il avait alors, et ce bois ne tombe plus. ? (Hist. anim., liv. 9, ch. 50.) Porphyre enseigne aussi la même doctrine dans son Traité de l'abstinence de la chair (liv. 5, p. 233 ) et compare les accidents que la castration occasionne sur les animaux à ceux qu'elle cause à l'espèce humaine. D'où l'on voit que les anciens avaient sur ces objets des idées très saines. Il ne faut pas, comme on ne le fait que trop souvent, accuser d'ignorance l'Antiquité tout entière d'après les fables d'un poète ou l'erreur de quelques écrivains.

La saisit et la presse avec ses pieds de devant
. Que n'ai-je pu traduire et la presse dans ses bras, mais notre langue ne s'élève pas à cette hardiesse. Nous n'osons pas dire les bras d'un animal. Ce qu'Oppien dit ici de la fuite de la biche est vrai jusqu'à un certain point, et Aristote (Hist. anim., liv. 5, ch. 2, et liv. 6, ch. 9) enseigne que la femelle du cerf, ainsi que celle du taureau, ne soufre qu'avec peine l'approche du mâle (propter nimiam genitalis membri tintiginem) et qu'elle ploie les reins (quando semen recipiunt), mais que la biche emporte le cerf sur son dos et que le mâle n'achève son accouplement qu'en courant. Voilà ce qui appartient à l'imagination du poète, lequel en cette qualité peut employer les traditions fabuleuses, toujours plus agréables que la vérité.

(26) Et les enterrent. Fable ridicule que l'on peut pardonner à un poète et que des philosophes n'ont pas eu honte de répéter sérieusement : Théophraste (De animalibus quae dicuntur invidere, p. 474), et Pline (liv. 2, ch. 32), qui a chargé son ouvrage de tous les contes absurdes qu'il a pu rassembler. Aristote rapporte aussi cette fable, mais ce philosophe témoigne assez qu'il n'en croit rien.

(27) Les cerfs sont amphibies. Il est aisé de voir qu'Oppien n'attache pas au mot amphibie le sens que nous lui donnons ordinairement en français. Il suffit que le cerf nage avec facilité et traverse une étendue d'eau considérable pour que le poète lui attribue le nom d'un animal qui vit dans les deux éléments. La navigation des cerfs est attestée par plusieurs auteurs anciens, Pline, Aelien, Artémidore, Jean Tzetzès. Le témoignage de ces écrivains peut être justement suspect, néanmoins le fait ne paraît pas absolument impossible. 

(28) Une haine implacable. L'inimitié du cerf et du serpent est une fable répétée par une foule d'auteurs anciens. Elle paraît fondée sur une vérité. Le cerf mange réellement des serpents et des couleuvres, sans doute pour se soulager de quelque maladie. On a trouvé plus d'une fois des tronçons de serpent dans les intestins du cerf.

(29) Broyant sous ses dents des écrevisses. Selon Antigonus Carystius (ch. 41), ce n'est pas le cerf, mais le sanglier qui mange des écrevisses pour se guérir de la morsure du serpent. Aristote le dit des cerfs quand ils sont piqués par une espèce d'araignée qu'il nomme phalangion. Les écrevisses de rivière broyées et cuites dans du lait d'ânesse sont un bon alexipharmaque et guérissent la morsure des reptiles venimeux, si l?on en croit Dioscoride (De materia med., lev. 2, ch. 12).

(30) Et c'est avec vérité. Rien n'est plus faux, le cerf vit trente à quarante ans. Aristote avait déjà réfuté l'erreur populaire qui attribue au cerf des siècles de vie. Il dit (au livre 6 de l'histoire des animaux, ch. 29) : ? Ce qu'on débite de la longue vie du cerf n'est qu'une fable ; rien de certain ne prouve ce que l'on en dit, et ni le temps de la gestation (qui est de huit mois) ni celui de l'accroissement du faon n'annoncent, par leur durée, un animal qui doit vivre de longues années. ?

(31) De cerfs appelés eurycérotes. Tous les naturalistes sont d'accord pour reconnaître le daim dans l'eurycérote, dont le nom signifie qui a les cornes larges ou palmées.

(32) Qu'on nomme jorcos. Ce cerf est le même que l'axis de Pline et le cerf du Gange des modernes. Il suffit pour s'en convaincre de rapprocher des vers d'Oppien la description de l'axis faite par M. de Buffon, tome 5 des quadrupèdes. (Voyez les notes latines.)

(33) Le bubal. On pense communément que le bubal des anciens est l'animal connu sous le nom de vache de Barbarie. C'est le sentiment de M. de Buffon, qui, d'après Pline, a montré et réfuté l'erreur dans laquelle plusieurs auteurs étaient tombés en prenant le bubal pour l'espèce de taureau appelée urus. En effet, Aristote (De part. anim., liv. 3, ch. 2) range le bubal dans la classe des cerfs, et en cela Oppien s'accorde parfaitement avec lui. Cependant il reste une difficulté sur l'identité de ces deux animaux : les cornes de la vache de Barbarie décrite et représentée dans les Mémoires pour servir à l'histoire des animaux (part. 2, page 24 ) sont simples, tandis qu'Aristote range le bubal entre les animaux dont les cornes ont des rameaux. Oppien indique aussi ce caractère par les mots akremones proteneis (rameaux prolongés). M. de Buffon n'a point soupçonné cette difficulté, et ce qui vraisemblablement a pu la lui déguiser, c'est la version latine d'Oppien qu'il avait sous les yeux et qu'il rapporte à la page 332 du tome 5 de l'histoire des quadrupèdes (boubalos Oppiani) : ? Dorcade Platycerote corpore inferior, cornua non ramosa sicut cervis et capreis sed rupicaprarum similia. Ces mots cornua non ramosa sont absolument opposés au texte du poète, les autres ne s'y lisent point, et je ne sais de quelle version d'Oppien ils ont été tirés. ?

(34) Ce n'est donc pas aux seuls mortels. Cette réflexion, qui reparaît encore au premier chant du poème de la pêche au sujet des homards, est une allusion délicate au malheur que notre poète éprouvait lui-même. Banni de sa patrie par l'empereur Sévère, il cherche à l'attendrir sur son sort.

(35) Les légères dorcades. Incertain s'il s'agit ici des chevreuils ou des gazelles, plus communes dans la patrie d'Oppien que les chevreuils, j'ai préféré conserver le nom grec. Cependant je vois que la plupart des naturalistes appliquent au chevreuil le nom grec dorx et à la gazelle celui de dorkas. L'amitié des perdrix et des gazelles est une fable, il n'est pas nécessaire d'en prévenir le lecteur.
Voici d'après Eldémiri le portrait de la gazelle ou dorcade (gazât ou dhaby) : ? Le mot gazelle vient de l'arabe gazât. C'est le nom que les Arabes donnent aux jeunes dorcades.
"Il y a trois espèces de gazelles qui diffèrent entre elles par la couleur de leur poil. La première, que les Arabes nomment rém est entièrement blanche (C'est l'animal que les Hébreux nomment rém et que l'on a mal à propos traduit en latin par unicornis.), elle habite les terrains sablonneux et est grasse et charnue. La seconde espèce, qui a le poil rougeâtre, a le cou très court et est moins agile que les autres. Elle fait son séjour des lieux élevés et pierreux. Enfin la dernière, qui a le ventre blanc, a le cou et les jambes très longues.
"Les gazelles ont la vue très perçante, sont d'un naturel extrêmement timide et prennent aisément la fuite. Quand le mâle veut rentrer dans son gîte, il marche à reculons et porte ses regards de tous côtés pour observer s'il n'est point aperçu par quelque objet capable de lui nuire ou de lui faire craindre pour sa sûreté et celle de ses petits. Si quelqu'un le regarde, il demeure dehors. S'il ne découvre rien, il entre tranquillement.
"Les gazelles aiment le fruit de la coloquinte. Elles boivent volontiers l'eau de la mer et vont se désaltérer sur ses bords. Cet animal n'a point de dents incisives.
"C'est à la dernière espèce dont nous avons parlé que se doit rapporter la gazelle qui donne le musc. Elle a le poil noir et ressemble aux autres par sa légèreté et la délicatesse de ses jambes. Elle a aussi la corne du pied très fendue. Mais ce qui la distingue, ainsi que celle de la troisième espèce, c'est qu'elles ont deux dents blanches, qui sortent de leur bouche près de la mâchoire inférieure, qui ont la même apparence que les défenses du sanglier. Ces dents ont environ la longueur qui est entre le pouce et l'index étendus autant qu'ils peuvent l'être (c'est la mesure nommée par les Grecs lichas.)
"Le musc n'est autre chose que du sang qui se rassemble vers le nombril de la gazelle dans un certain temps de l'année et forme une tumeur. La Providence a disposé ces tumeurs pour être la mine où se forme le musc. C'est une production qui se renouvelle tous les ans par la permission du Créateur, comme les fruits des arbres. Tant que dure la formation de cette tumeur, l'animal souffre et est malade. Les habitants de la Mecque plantent, dit-on, des pieux dans la campagne pour que les gazelles viennent s'y frotter et que le musc coule le long de ces pieux.
"Un auteur dit qu'il sort tous les ans de la mer à une certaine époque un poisson qui ressemble à la gazelle. On en fait, dit-il, une pêche considérable, et après avoir tué ceux qu'on a pris, on trouve dans leur nombril un amas de sang : c'est là le musc. Il n'a aucune odeur dans ce pays et ne devient odoriférant que lorsqu'il est transporté dans un autre canton. Ceci est singulier, mais l'origine du musc que nous avons donnée d'abord est plus généralement reconnue.
"La gazelle porte en arabe le nom de gazât jusqu'à ce qu'elle ait pris sa croissance et que ses cornes soient formées.
"On dit en proverbe ? Plus assoupi qu'une gazelle ?, parce que les jeunes gazelles dorment profondément après avoir tété leur mère.
"Les Arabes disent aussi : "Quitter quelque chose comme la gazelle quitte son gîte." Ce proverbe se dit des gens timides et poltrons. Il vient de ce qu'une gazelle à qui la frayeur a fait quitter le gîte, où elle se met à l'abri des ardeurs du soleil, n'y retourne jamais.
"Si l'on fait manger à une femme hautaine et impertinente dans ses discours, la langue d'une gazelle séchée à l'ombre, elle sera guérie de ce vice.
"La fiente et la peau de gazelle, brûlées et réduites en poudre, mêlées dans la nourriture d'un enfant, lui donnent de l'esprit, un caractère heureux et une bonne mémoire.
"Le musc affermit la vue, excite la transpiration, fortifie le cœur et le cerveau, détruit les cataractes des yeux et est un très bon remède pour les palpitations de cœur. C'est une substance sèche et chaude. Le meilleur vient du Tibet. On corrige la trop grande chaleur du musc, dangereuse pour les tempéraments chauds, en le mêlant avec du camphre. Le musc est un bon contre-poison. Il n'a d'autre inconvénient que de jaunir le teint. Pris dans les aliments, il occasionne une soif dévorante. La chair de gazelle est très bonne à manger et est préférable à tout autre gibier. C'est un aliment sec et chaud.
Les poètes arabes faisant l'éloge d'une femme comparent sa voix et la douceur de ses yeux à celles d'une gazelle. ?

(36) Il est des espèces de chèvres et de brebis. Les traits sous lesquels Oppien peint ces animaux, apparemment très connus de son temps, sont trop vagues, trop généraux pour déterminer le nom particulier de ces brebis et de ces chèvres. On peut seulement rappeler à cette espèce le mouflon, le bélier surnommé strepsikéros, le mouton de Barbarie, l'ibex de Gesner.

(37) Au milieu de leurs cornes. Voici encore une tradition fabuleuse répétée par plusieurs auteurs. Par Aristote (H. an., liv. 1, ch. 2), qui ne la rapporte que pour la réfuter et nous apprendre qu'elle doit naissance à un certain Alcmaeon de Corinthe, dont les ouvrages remplis de traits merveilleux, étaient fort accrédités chez les Grecs. Pline n'a pas laissé échapper cette fable absurde, il la rapporte au livre 8, chap, 40, en citant pour son garant, Archélaus, qui vivait longtemps après Aristote et sous le règne d'un Ptolémée. Mais ces auteurs, à la différence d'Oppien, disent que c'est par les oreilles que les chèvres sauvages ont leur second canal de respiration, et notre poète approche plus de la vérité qu'eux.

Il est une race de brebis rousses. Celles-ci me paraissent être les mouflons, dont le principal caractère est d'être vêtus d'un long poil plus semblable à celui de la chèvre qu'à la laine de la brebis. On trouve encore aujourd'hui cette espèce dans les îles de la Grèce. Il est vrai qu'elle n'a pas le nombre de cornes qu'Oppien leur attribue, mais les cornes, soit par leur nombre soit par leur disposition, ne forment point un caractère assez constant pour établir une différence réelle de race ou d'espèce. Le climat, la nourriture, mille circonstances peuvent influer sur cette exubérance naturelle. On voit en France des brebis à quatre cornes qui ne sont point différentes de nos brebis ordinaires, et en Islande on en voit qui en portent jusqu'à huit.

(38) Telle est aussi la couleur fauve dont brille le subus. Quelques recherches que j'aie faites sur le subus, rien n'a pu m'indiquer ni le nom moderne ni l'espèce de ce quadrupède, qu'Oppien met dans la classe des chèvres et des brebis sauvages. Il paraît même que ce poète est le seul auteur de l'antiquité qui ait parlé du subus. Les recherches du savant Gesner n'avaient pas été plus heureuses, et il avoue (p. 871) qu'il ignore quel peut être cet animal. Bodin, dans son commentaire d'Oppien, ne trouve aucune difficulté à reconnaître le bélier strepsikeros de Pline dans le subus, et à cette erreur, il en ajoute une plus grossière en disant qu'Aristote parle du subus et le décrit. On ne manquera pas de dire que cet animal doit être rangé parmi les monstres éclos du cerveau des poètes, mais je ne saurais me persuader qu'Oppien nous eût donné une description si particulière de la forme et des mœurs de ce quadrupède s'il ne l'eût réellement connu. Il n'aurait pas répété au poème de la Pêche (liv. 5) ce qu'il dit ici de l'inclination des poissons pour le subus. Il est vrai que dans ce second poème il ne parle que des chèvres en général. Enfin, je crois qu'il est plus prudent d'avouer notre ignorance sur cet objet que de risquer des conjectures hasardées ou de traiter de fabuleux ce qui échappe à nos faibles connaissances.

(39) Les gélinottes. Attagas est selon M. de Buffon le francolin de Bélon, qui n'est autre que la gélinotte. Alexandre de Myndes, cité par Athénée (liv. 9, page 387), donne une excellente description de cet oiseau. En voici la traduction : "Il est un peu plus petit que la perdrix, taché sur le dos d'une couleur rousse, un peu plus foncée que celle de l'argile (cuite). Les chasseurs le prennent à l'aide des chiens à cause de la pesanteur de son vol, car il a les ailes courtes. C'est un oiseau pulvérateur qui produit beaucoup et qui vit de graines." Aristophane, dans sa comédie des Oiseaux, a fait de l'attagas un oiseau de marais, mais le témoignage d'un poète comique n'est d'aucun poids en histoire naturelle. D'ailleurs, les Athéniens donnaient souvent aux plantes et aux animaux des noms différents de ceux qu'employaient les autres peuples de la Grèce, et il se peut qu'Aristophane donne le nom d'attagas à un oiseau différent que celui qu'Alexandre de Myndes a décrit sous ce nom. Aristote range aussi l'attagas parmi les oiseaux pulvérateurs, et son témoignage est décisif.

(40) L'outarde. C'est M. de Buffon qui le premier a dissipé par une savante critique les ténèbres dont la nomenclature de cet oiseau était environnée. Les auteurs anciens et modernes confondaient sans cesse l'ôtis et l'ôtos. M. de Buffon a démontré que ce premier nom appartenait à l'outarde et le second au hibou. Le témoignage d'Oppien confirme de la manière la plus précise le sentiment de ce grand naturaliste, et l'on ne saurait caractériser l'outarde d'une manière plus heureuse que l'a fait notre poète. Cet oiseau est en effet le seul qui porte une espèce de barbe d'un duvet très fin depuis la naissance du bec jusque dessus l'oreille. Ce caractère avait échappé à Aristote, qui décrit ainsi cet oiseau dans Athénée (liv. 9) : "L'outarde est de la classe des oiseaux de passage et des fissipèdes ; il a trois doigts, sa grosseur est celle d'un grand coq et sa couleur celle de la caille. Il a la tête allongée, le bec pointu, le cou mince, les yeux grands, la langue osseuse, mais il n'a point de jabot." L'amitié de l'outarde et du cheval est célébrée par plus d'un auteur.

(41) Le perroquet. L'historien Ctésias est le premier des Grecs qui ait parlé de cet oiseau qu'il nomme bittakos (Fragm. de l'Histoire de l'Inde, Bibliot. de Photius, p. 144). Ce qu'il dit de la faculté qu'a le perroquet d'imiter le langage des hommes a dû paraître fabuleux aux Grecs, chez lesquels cet oiseau n'est devenu commun qu'après l'expédition d'Alexandre aux Indes.

(42) C'est le féroce oryx. La plupart des auteurs de l'Antiquité qui ont parlé de l'oryx avant Oppien en ont dit si peu de chose qu'il est aisé de voir que cet animal ne leur était connu que de nom. Aristote le range dans la classe des animaux monocornes qui ont le pied fourchu (De partibus anim., liv. 3, ch. 2). Pline copie Aristote et n'ajoute aux paroles du philosophe que pour rapporter suivant son usage les fables les plus ridicules (Voy. liv.8,ch.53, et liv. 10, ch. 73). Il en est cependant quelques-uns qui peuvent nous servir de guides dans la recherche du quadrupède auquel ils ont donné le nom d'oryx. Hérodote, cet historien auquel on a tant reproché de mensonges et qui nous apprend tant de vérités, en rangeant l'oryx dans la classe des pazans, des bubales, des gazelles, nous donne une assez juste idée de cet animal (Voyez Melpom., ch. 101). Il semble même indiquer le nombre de ses cornes en le mettant au nombre de ces quadrupèdes qui en ont deux, et désigner leur forme en disant que les Phéniciens se servent des cornes de l'oryx pour faire les branches de leurs lyres. On voit par là qu'Hérodote est éloigné de reconnaître l'oryx pour un animal qui n'a qu'une seule corne. Il n'eût pas manqué d'avertir le lecteur de cette circonstance, lui qui, quelques lignes plus haut, en parlant des ânes que produit l'Afrique, a soin de prévenir qu'ils ne sont pas de ceux qui portent des cornes. À son témoignage, je joins celui de Diodore de Sicile (liv. 3, p. 194), qui ne parle des cornes de l'oryx qu'au pluriel et ne remarque point que cet animal soit monocorne, singularité bien digne d'être remarquée. Mais il y a plus, bien loin que tous les anciens fassent de l'oryx un animal qui ne porte qu'une seule corne, Aelien (De nat. anim. liv. 15, ch. 14) dit qu'il existe des oryx qui en ont quatre. Columelle compte l'oryx parmi les cerfs et les différentes espèces de chèvres. Le scoliaste de Juvénal (sur la satire 11e du livre 4, v. 140) compare l'oryx au bubal. De cette foule de témoignages, il résulte que l'oryx n'est qu'une chèvre sauvage, mais à quelle espèce de ces chèvres parait-il appartenir ? Je pense que c'est à celle du chamois ou plutôt que l'oryx des anciens n'est autre que cet animal. Tous deux portent les mêmes caractères, la même couleur, un jaune pâle, qui est celle du lait au printemps, comme s'exprime notre poète, et ce qu'il faut bien remarquer, tous deux ont les joues marquées de noir. C'est la seule partie de leur face qui en soit teinte. Ce caractère appartient exclusivement au chamois. Ce dernier a, comme l'oryx d'Oppien, les cornes noires, très aiguës et courbées à leur extrémité. Leurs mœurs sont les mêmes. Ils se plaisent à mener une vie sauvage sur les rochers escarpés et dans les forêts les plus touffues, ils sont intrépides et très difficiles à chasser. Enfin tout concourt à prouver l'identité de ces deux animaux. La seule difficulté qui s'élève est sur la grosseur de l'oryx, qu'Hérodote (I. c.) compare à un bœuf et Oppien à un rhinocéros, mais on peut répondre qu'Hérodote parle des oryx d'Afrique, sans doute plus gros que ceux d'Europe, et qu'Oppien se sert d'une emphase poétique ou n'avait vu que de jeunes rhinocéros. Cet animal jusqu'à sept ans n'excède pas la taille d'un bœuf.

(43) Nous pensons qu'il vaut mieux les appeler des cornes. Les anciens ont été fort partagés sur le nom et la nature des défenses de l'éléphant. Les uns, comme Oppien, les regardaient comme des cornes, d'autres les appelaient des dents. Du nombre des premiers est Pausanias, qui semble avoir fourni à notre poète la plus grande partie des preuves qu'il apporte en faveur de son système. Il enseigne dans ses Éliaques (liv. 1, ch. 12) que les défenses de l'éléphant ont leurs racines sur le sommet de la tête. Il prétend l'avoir observé sur le crâne d'un éléphant qu'il a vu en Campanie dans un temple de Diane. Cette observation ne paraît pas exacte. Ce qu'il dit ensuite, que les dents de l'éléphant s'amollissent au feu, qu'on les travaille au marteau, qu'on les ploie comme des cornes et qu'on étend leur surface, est contredit par l'expérience. L'ivoire brûle au feu et se réduit en cendres loin de s'amollir, il casse sous le marteau, et l'on ne peut le travailler qu'avec le ciseau et la scie. Mais peut-être les anciens connaissaient-ils l'art de le fondre et de le rendre malléable. À cet égard, le témoignage d'Oppien et de Pausanias, qui assurent ce fait, est singulièrement fortifié par le silence de Philostrate, qui, réfutant l'opinion de ceux qui prennent les défenses de l'éléphant pour des cornes, ne répond en aucune manière à cet argument tiré de la ductilité de l'ivoire (Voy. Philostrate, De vita Apollonii Thyan., liv.2,ch. 6). Une différence essentielle entre les dents ordinaires et les défenses de l'éléphant, c'est que les premières, si par hasard elles se cassent, pourrissent et ne se réparent point dés qu'elles ont perdu l'émail. Celles de l'éléphant se réparent et croissent de nouveau par lames longitudinales.

(44) De deux oreilles creuses et découpées. Le texte dit : "De deux petites oreilles." C'est-à-dire qu'elles paraissent petites en comparaison de la grosseur énorme de l'animal.

(45) Ses pieds ne sont point égaux. Oppien se trompe quand il dit, d'après Aristote, que les jambes antérieures de l'éléphant sont plus élevées que celles de derrière. Aelien les avait mieux observées, car il dit précisément le contraire (De nat. an., l.4, c. 31), et son témoignage est confirmé par M. de Buffon : "La conformation des pieds et des jambes est encore singulière et différente dans l'éléphant de ce qu'elle est dans la plupart des autres animaux. Les jambes de devant paraissent avoir plus de hauteur que celles de derrière. Cependant celles-ci sont un peu plus longues." La peau de l'éléphant est assez bien représentée par Oppien, mais ce qu'il dit de sa dureté extrême, qui la fait résister au tranchant du fer, est une emphase poétique.

(46) Voix animale. J'ai risqué cette expression sans laquelle il n'est pas possible de traduire thêreios aulê.

(47) Les cygnes chantent douloureusement. On a traité jusqu'ici de fable ce que les anciens ont dit du chant du cygne. Il est cependant une espèce de cygnes chanteurs, et personne n'en doute plus depuis que M. l'abbé Demongez, de l'Académie des belles-lettres, a publié un mémoire sur les cygnes sauvages qui s'étaient abattus dans les jardins de Chantilly. La musique de ces cygnes n'est pas à la vérité aussi mélodieuse que les poètes le prétendent, mais enfin ils chantent et cela suffit pour disculper l'Antiquité.

(48) Le rhinocéros. Par la comparaison qu'Oppien fait de la taille de l'oryx avec celle du rhinocéros, il est évident qu'il n'avait connu cet animal que fort jeune. On peut dire la même chose de Strabon, qui nous a donné une assez bonne description du rhinocéros, dont il compare la grosseur à celle du taureau (liv. 16, page 533). En effet, jusqu'à l'âge de sept ans, il n'excède pas cette taille, mais il devient ensuite deux fois plus gros. Aristote ne parle nulle part du rhinocéros, d'où l'on peut conclure que de son temps ce quadrupède était inconnu aux Grecs. Agatarchis de Cnide, qui vivait sous le sixième Ptolémée, vers la cent cinquantième olympiade, deux cents ans avant Jésus-Christ, est le premier auteur grec qui ait parlé du rhinocéros. Les Romains le virent pour la première fois dans leur cirque dans les jeux que donna le grand Pompée, suivant le témoignage de Pline. Depuis, les anciens l'ont fréquemment décrit et paraissent l'avoir bien connu. Mais ce qui doit nous étonner, c'est qu'aucun n'ait parlé d'un caractère particulier de cet animal, dont les pieds sont partagés en trois parties revêtues chacune d'une sole semblable à celle du bœuf.

(49) Son front couronné d'une chevelure. C'est une erreur, le rhinocéros n'a de poil qu'à l'extrémité de sa queue, mais cette erreur appartient moins à Oppien qu'aux copistes de son poème, qui ont écrit kallikumoisi pour poulutumoisi, mot par lequel Oppien exprimait les rides profondes et les replis dont le rhinocéros a la face et les épaules couvertes. À l'égard des taches pourpres dont Oppien parle ensuite, elles sont également répandues sur tout le corps, ce sont des incrustations ou tubérosités dont les plus larges sont sur les épaules et sur la croupe. (Voyez M. de Buffon, tome 4, p. 332.)

(50) Tous les rhinocéros sont mâles. Tradition fabuleuse. Ce qui suit sur la génération spontanée des huîtres, des aphyes et des strombes ou colimaçons de mer est tiré d'Aristote (Hist. des anim., liv. 6, ch. 15).

(51) Les panthères. C'est la petite panthère ou l'adire, ainsi que l'a prouvé M. de Buffon (tome 6, p. 200).

(52) Tuèrent les monstres. Cette fable est rapportée différemment par Apollonius de Rhodes (liv. 2, v. 282). Zétès et Calaïs ne tuèrent point les harpies, ils les poursuivirent jusqu'aux îles Strophades et leur laissèrent la vie à la prière d'Iris, qui promit avec serment que jamais les harpies ne reviendraient troubler les repas de Phinée.