I
L'ATHÉNIEN A la suite de ces règlements, nous avons à ordonner
et à régler par nos lois les fêtes, de concert avec l'oracle de Delphes, et à déterminer quels sacrifices il faut faire et à quels dieux, pour le plus grand avantage et profit de l'État. Pour ce qui est du temps et du nombre, peut-être est-ce à nous-mêmes à promulguer certaines lois à ce sujet.
CLINIAS Pour le nombre, peut-être.
L'ATHÉNIEN Commençons donc par le nombre. Qu'il n'y ait pas moins de trois cent soixante-cinq sacrifices, afin qu'au
moins un corps de magistrats sacrifie toujours à quelque dieu ou démon pour la ville, pour les habitants et pour leurs biens. Que les interprètes, les prêtres, les prêtresses et les devins se réunissent avec les gardiens des lois pour régler là-dessus ce que le législateur est dans la nécessité d'omettre; c'est eux aussi qui auront à juger de ces omissions. Mais c'est la loi qui fixera les douze fêtes en l'honneur des
dieux dont chaque tribu tire son nom. On fera tous les mois un sacrifice à chacun d'eux avec des choeurs et des concours de musique. Pour les concours gymniques, on les répartira comme il convient entre les dieux et selon les saisons, et l'on déterminera les fêtes auxquelles il sied que les femmes assistent seules ou avec les hommes. De plus, on ne mêlera pas le culte
des dieux souterrains avec celui des dieux qu'il faut appeler célestes et des divinités subalternes qui les suivent, mais on les séparera, assignant à Pluton le
douzième mois, selon la loi. Il ne faut point que les guerriers aient de l'aversion pour ce
dieu ; ils doivent au contraire l'honorer comme un dieu toujours très favorable au genre
humain ; car l'union de l'âme et du corps n'est à aucun point de vue, j'ose l'affirmer sérieusement, plus avantageuse à l'homme que leur séparation.
En outre, il faut que ceux qui voudront répartir convenablement ces fêtes considèrent que notre ville est telle qu'on n'en trouverait pas une autre, parmi celles d'aujourd'hui, qui soit aussi bien pourvue de loisir et de choses nécessaires à la vie, et qu'elle doit vivre aussi heureuse que peut l'être un seul homme. Or, pour vivre
heureux, il faut d'abord ne commettre soi-même aucune injustice, ensuite n'être point en butte à l'injustice d'autrui. La première condition n'est pas du tout difficile à réaliser, mais il est infiniment difficile d'acquérir assez de puissance pour être à l'abri de toute injure, et il n'est pas possible d'y parvenir entièrement sans une parfaite probité. Il en est de même pour la république
; si elle est vertueuse, elle vivra en paix, mais elle aura la guerre au dehors et au dedans, si elle est perverse.
Les choses étant ainsi pour l'ordinaire, ce n'est pas en temps de guerre qu'il faut s'exercer au métier des armes, mais c'est pendant la paix. Il faut donc qu'un État intelligent s'exerce au service militaire au moins un jour par mois et davantage, si les magistrats en sont d'avis entre eux, et cela sans prendre garde au froid ni au chaud, tantôt tous ensemble, eux, leurs femmes et leurs enfants, quand les magistrats jugeront bon de faire sortir tout le peuple, et tantôt par parties.
Il faudra, chaque fois qu'on offrira un sacrifice, imaginer de beaux divertissements, qui seront des combats de fête imitant
aussi naturellement que possible les combats de la guerre ; et l'on y distribuera des prix et des récompenses aux vainqueurs. Les citoyens y feront l'éloge ou la critique
les uns des autres, selon que chacun d'eux se sera comporté dans les combats et dans tout le reste de sa vie, glorifiant ceux qui se seront le plus distingués, et blâmant les autres.
On n'admettra pas n'importe quel poète à composer des chants en ces occasions.
Il faudra d'abord qu'il n'ait pas moins de cinquante
ans ; en second lieu, qu'il ne soit pas de ceux qui, bien doués d'ailleurs pour la poésie et la muse, n'ont jamais rien fait de beau ni de mémorable. On choisira ceux qui auront été vertueux dans
leur conduite et auront acquis l'estime de leurs concitoyens, témoins de leurs belles actions. Ce sont les ouvrages de tels poètes que l'on chantera, même si la Muse ne les a pas favorisés. On s'en remettra, pour en juger, à l'instituteur de la jeunesse et aux autres gardiens des lois, qui les autoriseront seuls à faire parler leur muse avec liberté, mais l'interdiront aux autres et ne souffriront pas qu'on chante aucune pièce de vers que les gardiens des lois n'auraient pas approuvée, fût-elle e plus agréable que les hymnes de Thamyras et d'Orphée. Ils n'admettront que les poèmes consacrés aux dieux et jugés conformes à la religion et les vers en forme d'éloge ou de critique composés par des hommes vertueux, quand ils auront été jugés propres à remplir cet objet.
II
Je prétends que mes prescriptions au sujet des exercices militaires et de la franchise de langage des poètes s'impose également aux femmes et aux hommes.
Il faut aussi que le législateur se remémore à lui-même et se dise en esprit : Voyons, quels citoyens dois-je former, après avoir organisé ma république
? N'est-ce point des athlètes destinés aux plus grands combats et qui ont des milliers d'adversaires en tête
? Assurément, pourrait-on me répondre avec raison. Eh bien ! si nous dressions des athlètes au pugilat ou au pancrace ou en vue de
quelque autre combat du même genre, les engagerions-nous dans la lutte réelle, s'ils ne s'étaient jamais battus auparavant contre
personne ; et, si nous étions athlètes au pugilat, n'apprendrions-nous pas à lutter longtemps avant le
combat, et ne travaillerions-nous pas à imiter tous les gestes à faire pour le moment
de disputer la victoire ? Et, nous approchant autant que possible de la réalité, au lieu de cestes, n'armerions-nous pas nos bras de gantelets ronds pour nous exercer de notre mieux
à porter les coups et à les parer ? Et si par hasard nous ne trouvions personne pour lutter avec nous, est-ce que la crainte d'être tournés en ridicule par les sots nous empêcherait de suspendre un mannequin et de nous exercer contre
lui ? Et enfin, à défaut d'adversaires vivants et inanimés, ne nous résoudrions-nous pas à simuler une lutte contre nous-mêmes
? Et n'est-ce point dans cette elle qu'on a inventé l'exercice qui consiste à remuer les
bras ?
CLINIAS On peut dire, étranger, que c'est justement en vue de ce que tu dis.
L'ATHÉNIEN Mais quoi ? Les soldats de notre république oseront-ils se présenter, sans s'y être aussi bien préparés que les athlètes ordinaires, au plus important
des combats, où ils ont à défendre leur vie, leurs enfants, leurs biens et l'État tout
entier ? Et le législateur, dans la crainte que les citoyens ne paraissent ridicules en s'exerçant les uns avec les autres, ne fera-t-il pas une loi pour les obliger chaque jour au moins aux manoeuvres légères qui se font sans armes et à diriger vers ce but les choeurs et toute la
gymnastique ? Ne leur ordonnera-t-il pas de faire au moins une fois par mois certains exercices plus ou moins importants, de lutter les uns contre les autres dans tout le pays, de rivaliser à
qui emportera un poste ou dressera une embuscade, en imitant tout ce qui se fait dans la guerre véritable
; de se lancer des balles et des traits autant que possible pareils aux vrais et dont les coups
comportent quelque danger, afin que la crainte ne soit pas absente de ces divertissements, qu'elle y ait quelque place et fasse connaître d'une manière ou d'une autre les gens de coeur et les
lâches, et qu'enfin, par une juste distribution des honneurs pour les uns, de l'ignominie pour les autres, il tienne constamment toute la ville en état de livrer un combat véritable
? Si quelqu'un venait à être tué dans ces jeux, le meurtre sera considéré comme involontaire et l'auteur, purifié selon la loi, sera déclaré avoir les mains pures. Le législateur fera réflexion que, si quelques hommes meurent, il en naîtra d'autres qui ne leur seront pas inférieurs, et que, si la crainte disparaissait
dans tous ces exercices, il ne pourrait plus distinguer les bons des mauvais, ce qui
serait pour l'État un mal beaucoup plus grand que l'autre.
CLINIAS Nous convenons avec toi, étranger, qu'il faut faire passer en lois ces sortes d'exercices et obliger tous les citoyens
à les pratiquer.
III
L'ATHÉNIEN Connaissons-nous tous la cause pour laquelle ces choeurs et ces luttes n'existent presque
nulle part aujourd'hui dans les États, à part quelques petits exercices, ou dirons-nous que la faute en est à l'ignorance de la multitude et de ceux qui lui ont donné des
lois ?
CLINIAS Peut-être.
L'ATHÉNIEN Pas du tout, bienheureux Clinias. Ce qu'il faut dire, c'est qu'il y a de cela deux causes, tout à fait suffisantes pour produire cet effet.
CLINIAS Lesquelles ?
L'ATHÉNIEN L'une est l'amour des richesses qui ôte à jamais le loisir de s'occuper d'autre chose que de ses intérêts particuliers. Tous les citoyens, ayant l'esprit attaché à cette préoccupation, ne sauraient s'intéresser à autre chose qu'au gain journalier, et chacun en son particulier est tout disposé à apprendre et à cultiver toute science et tout exercice qui conduit à ce but, et se moque de tout le reste. Il faut donc avouer que c'est là une des
causes pour lesquelles aucun État ne veut s'intéresser sérieusement à ces exercices ni à aucune belle et bonne occupation, tandis que, dans son insatiable amour de l'or et de l'argent, chacun est prêt à s'astreindre à n'importe quel métier, à n'importe quelle industrie, sans s'inquiéter si elle est honorable ou non, pourvu qu'elle l'enrichisse, et qu'il n'a de répugnance pour aucune action, qu'elle soit pieuse ou impie et même tout à fait honteuse, pourvu qu'il y trouve la facilité de manger
et de boire, comme une bête, tout ce qui lui plaît et de se gorger entièrement des plaisirs de l'amour.
CLINIAS Tu as raison.
L'ATHÉNIEN Admettons donc que c'est là, comme nous le disons, une cause qui empêche les États de s'adonner à un exercice honnête et ne permet pas de s'appliquer au métier de la guerre, qui transforme les gens de nature modérée en marchands, en armateurs et en serviteurs, et les gens courageux en brigands, en perceurs de murailles, en pilleurs de temples, en guerriers, en tyrans, les rendant malheureux en dépit de leur nature, qui parfois n'est pas mauvaise.
CLINIAS Que dis-tu là ?
L'ATHÉNIEN Comment ne regarderais-je pas comme extrêmement malheureux des gens condamnés à passer leur vie avec une âme toujours affamée
?
CLINIAS Voilà donc la première cause. Dis-nous maintenant la deuxième, étranger.
L'ATHÉNIEN Tu fais bien de me le rappeler.
CLINIAS Cette première cause est, à ce que tu dis, cette insatiable poursuite de la richesse, qui prend toute la vie,
sans laisser de loisir à personne, et qui empêche de s'appliquer comme il faut aux exercices de la guerre. Soit. Mais quel est l'autre
obstacle ?
L'ATHÉNIEN Vous croyez peut-être que je ne veux pas le dire, et que je remets à le faire, parce que je suis embarrassé.
CLINIAS Non, mais il nous semble que c'est ton aversion pour de telles moeurs qui, à l'occasion de ce discours, t'a dicté ces invectives outrées.
L'ATHÉNIEN C'est très bien à vous, étrangers, de me reprendre. Vous n'avez maintenant, je crois, qu'à m'écouter.
CLINIAS Parle seulement.
L'ATHÉNIEN Je dis que cette cause, ce sont les faux gouvernements dont j'ai souvent parlé dans mes précédents discours, à
savoir la démocratie, l'oligarchie et la tyrannie. En effet, aucun d'eux n'est
un vrai gouvernement ; le nom qui leur convient le mieux est celui de factions. Dans aucun d'eux l'autorité n'est exercée de gré
à gré ; le pouvoir seul est volontaire et l'obéissance toujours forcée. Le chef, se défiant de ses subordonnés,
ne permettra jamais volontairement qu'ils deviennent honnêtes, ni riches, ni forts, ni courageux, ni surtout guerriers en aucune façon. Ce sont là, à peu de chose près, les deux principales causes de tous les maux, et particulièrement les causes réelles de ceux dont nous parlons. Mais l'État dont nous dressons à présent les lois échappe à ces deux d inconvénients
; car, non seulement on y jouit du plus grand loisir et les citoyens y sont indépendants les uns à l'égard des autres, mais ils seront encore, j'espère, tout à fait détachés des richesses, s'ils suivent nos lois. Aussi est-il naturel et raisonnable de croire que, de toutes les constitutions politiques actuelles, la nôtre est la seule qui admette l'éducation que nous avons décrite et les jeux militaires que nous avons institués en esprit, comme il convient.
CLINIAS Fort bien.
IV
L'ATHÉNIEN Comme suite à ce que nous venons de dire,
ne faut-il pas, à propos de tous ces combats gymniques, rappeler qu'il faut pratiquer tous ceux d'entre eux qui ont rapport à la guerre, et proposer des prix pour les vainqueurs et laisser de côté les autres qui nous seraient inutiles pour cette
fin. Quels sont ces combats, il est bon de le dire d'abord et de les mettre dans la loi. Pour commencer, ne faut-il pas établir ceux de la course et de l'agilité en général
?
CLINIAS Il le faut.
L'ATHÉNIEN Il est certain en effet que rien n'est plus avantageux à la guerre que la rapidité en général, soit des pieds, soit des mains, celle des pieds pour fuir et pour attraper les fuyards, celle des mains dans les mêlées, où il faut
engager la lutte avec force et vigueur.
CLINIAS Sans doute.
L'ATHÉNIEN Mais, sans armes, ni l'une ni l'autre n'est d'une bien grande utilité.
CLINIAS Il n'en saurait être autrement.
L'ATHÉNIEN Aussi, lorsque le héraut appellera d'abord, suivant l'usage actuel, celui qui doit parcourir le simple stade, qu'il se présente avec des
armes ; nous ne proposerons pas de prix pour un coureur sans armes. Le premier qui! entrera dans la carrière sera celui qui doit courir tout armé l'espace d'un stade,
(17) le second celui qui parcourra le diaule
(18), le troisième sera le coureur à cheval
(19), le quatrième courra le diolique (20), le cinquième, que nous
ferons partir sous les armes, fera soixante stades jusqu'à un temple d'Arès ; après lui, celui que nous appelons
hoplite, plus lourdement chargé, parcourra le même espace par un chemin plus uni. Le suivant sera un archer
qui, avec tout l'attirail de son métier, courra, à travers les montagnes et des terrains de toute sorte, l'espace de
cent stades jusqu'à un temple d'Apollon ou d'Artémis. Et la lutte engagée, nous les attendrons, jusqu'à ce
qu'ils reviennent, et nous donnerons au vainqueur le prix proposé pour chaque
course.
CLINIAS Fort bien.
L'ATHÉNIEN Pour ces luttes, nous instituerons trois classes, une pour les enfants, une pour les jeunes gens encore imberbes, une pour les hommes faits. Qu'ils disputent le prix comme archers ou comme hoplites, nous ferons parcourir aux jeunes gens imberbes les deux tiers de la longueur de la course et aux enfants le tiers. Quant aux filles qui n'ont pas encore atteint l'âge de la puberté, elles entreront nues dans la carrière et parcourront le stade, le
diaule, l'éphippie (21) et le dolique ; elles partageront les exercices des hommes depuis l'âge de treize ans jusqu'à leur mariage, qui ne sera pas reculé au delà de vingt ans ni avancé en
deçà de dix-huit
(22) ; elles devront alors se vêtir décemment pour descendre dans la lice et lutter à la course. Tels sont les règlements que nous ferons pour les hommes et pour les femmes relativement aux courses.
Quant aux exercices de force, au lieu de la lutte et des autres exercices pesants actuellement en usage, nous y substituerons la lutte armée d'un contre un, de deux
contre deux et jusqu'à dix contre dix. Quant aux coups auxquels il faut échapper ou qu'il faut donner, et jusqu'à quel nombre pour être déclarés vainqueurs, nous ferons comme les juges actuels de la lutte qui ont édicté en lois ce qui est bien ou mal fait dans la lutte : nous appellerons les experts dans la lutte armée et nous les prierons de déterminer par une loi comment il faut se défendre ou attaquer dans ces luttes pour mériter la victoire, et de même d'après quelles règles on jugera qu'un champion est battu. La loi ordonnera les mêmes combats pour les femmes jusqu'à ce qu'elles se marient.
A la lutte du pancrace nous substituerons la peltastique complète, où l'on combat avec des arcs, des boucliers légers, des javelots et des pierres lancées à la main ou à la fronde, et nous réglerons de même par une loi la
distribution des récompenses et des honneurs de la victoire à celui qui aura le mieux observé nos prescriptions.
Pour faire suite à ces règlements, nous avons à légiférer sur les combats de chevaux. On ne fait pas en Crète un grand ni fréquent usage de chevaux. Il s'ensuit nécessairement qu'on s'empresse moins d'en nourrir et de les faire combattre. Je ne vois point du tout chez vous de gens qui entretiennent un char, et il n'y a pas de raison pour que l'on ait de l'émulation à ce sujet. Aussi établir de tels combats dans un pays qui ne s'y prête pas serait montrer peu de sens et passerait pour inconséquent. Cependant, en proposant des prix pour la
course sur un seul cheval, tant sur les poulains qui n'ont pas encore jeté leurs premières dents que sur ceux qui tiennent le milieu entre les poulains et les chevaux formés et ceux qui ont atteint leur plein développement, nous pourrons instituer ce divertissement équestre en conformité avec la nature du pays.
Il y aura donc en vertu de la loi de ces espèces de combats qui exciteront l'émulation
; et les phylarques et les hipparques seront chargés de juger en commun de toutes ces courses et des champions qui descendront armés
dans la carrière. Pour ce qui est des combats sans armes, soit gymniques, soit à cheval, nous aurions tort d'en instituer.
Un archer à cheval n'est pas inutile en Crète, ni un d lanceur de javelots; aussi nous favoriserons l'émulation et la lutte en vue des divertissements de ce genre. Il ne serait pas convenable de contraindre par (les lois et des règlements les femmes à prendre part à ces exercices; mais si, à la suite des enseignements précédents passés en habitude, elles se sentent en état de les pratiquer et n'y ont pas de répugnance, loin de les blâmer, nous leur permettrons d'y participer, tant qu'elles seront enfants ou jeunes filles.
V
Nous en avons complètement fini maintenant avec la
lutte et l'apprentissage de la gymnastique, en tout ce qui regarde les jeux et le travail journalier sous la direction des maîtres. Nous avons traité de même de la plupart des exercices de la musique. A l'égard des rhapsodes et de ce qui se rattache à leur profession, et des luttes entre les choeurs qu'il nous faudra établir les jours de fête, lorsque nous aurons assigné aux dieux et aux divinités inférieures leurs mois, leurs jours et leurs années, nous organiserons les concours, soit tous les trois ans,
soit tous les cinq ans, ou dans l'ordre que nous suggéreront les dieux. Il faut s'attendre aussi qu'il y ait des concours particuliers organisés par des athlothètes
(23), l'instituteur de la jeunesse et les gardiens des lois, qui se réuniront ensemble pour cet objet, et, devenus eux-mêmes législateurs, désigneront le moment des concours et les personnes qui disputeront le prix dans toutes les espèces de choeurs, de chants et de danses. Quant aux paroles, aux chants et aux harmonies assorties aux rythmes et
aux danses qui doivent entrer dans chaque espèce, le premier législateur s'en est expliqué plus d'une fois déjà. Ceux qui viendront après lui devront suivre ses traces, et, après avoir réparti les concours de la manière et dans le temps convenable à chaque sacrifice, ils feront célébrer les fêtes par l'État.
Il n'est pas difficile de connaître de quelle manière il faut régler ces concours et les autres objets de même nature pour qu'ils soient conformes à la loi, et, si l'on y change quelque chose ici et là, il n'en reviendra à l'État ni grand avantage ni grand préjudice. Mais il y a
une chose qui importe hautement et qui est difficile à persuader, et qui demanderait avant tout l'intervention d'un dieu, s'il était en quelque façon possible que les prescriptions de notre législation vinssent de la main d'un dieu. A son défaut, il semble bien qu'il nous faut
un homme hardi, qui, plaçant la franchise au-dessus de tout, propose ce qu'il juge être le meilleur pour le public et les particuliers, qui rétablisse dans les âmes corrompues l'ordre convenable et conforme à toute notre législation, qui s'élève contre les passions les plus violentes et qui seul, sans être secondé par aucun homme, suive la seille raison.
CLINIAS Que veux-tu donc dire à présent étranger ? Nous ne le saisissons pas encore.
L'ATHÉNIEN Je ne m'en étonne. pas; mais je vais essayer de vous expliquer plus nettement ma pensée. Quand j'en suis venu à parler de l'éducation, j'ai vu des jeunes garçons vivant familièrement avec des jeunes filles. J'en ai
naturellement ressenti quelque crainte, en songeant à ce qu'on peut faire d'un État où les jeunes garçons et les jeunes filles sont bien nourris et n'ont point à s'occuper des travaux violents et serviles, les plus propres à éteindre le feu des passions, et qui n'ont pas d'autre souci dans la vie que les sacrifices, les fêtes et les choeurs. Quel
frein mettra-t-on dans cet État aux passions qui jettent souvent tant de gens dans les derniers excès, passions dont la raison, essayant
de s'imposer comme une loi, ordonne de s'abstenir ? On conçoit sans peine que la défense d'acquérir des richesses excessives contribue fortement à rendre tempérant, et toute l'éducation est
soumise à des lois appropriées à ce but. Ajoutez à cela la surveillance des magistrats qui ne doivent pas détourner les yeux de la jeunesse et sont obligés de la surveiller constamment. Il y a là de quoi modérer les autres passions, autant que des moyens humains peuvent le faire. Mais à l'égard de l'amour qu'on a pour les enfants mâles et femelles, pour des femmes qui tiennent lieu d'hommes et d'hommes qui jouent le rôle de femmes, amours qui
sont la source d'une infinité de maux pour les particuliers et pour les États, comment
est-il possible de s'en garder et. quel remède pourrait-on trouver à chacun de ces maux pour échapper à un tel
danger ? Ce n'est pas du tout facile, Clinias. Sur d'autres points assez nombreux, toute la Crète et Lacédémone nous sont d'un secours vraiment efficace pour établir des lois contraires aux habitudes
ordinaires ; mais au sujet de l'amour, disons-le entre nous, ils sont tout à fait opposés à nos vues. Si en effet quelqu'un, suivant l'instinct de la nature, rétablissait la loi qui fut en vigueur avant le temps de Laïus
(24), disant qu'il est dans l'ordre de ne point toucher, pour s'unir d'amour avec eux, aux mâles et aux jeunes gens, et d'imiter en cela les animaux, dont il citerait l'exemple pour montrer qu'il n'est point dans la nature qu'un mâle touche pour cette fin à un mâle, il ne dirait rien que de plausible, mais ne serait pas d'accord avec vos deux États. En outre, la règle que le législateur doit, selon nous, constamment observer ne
s'accorde pas non plus ici avec votre usage ; car ce que nous cherchons toujours, c'est à savoir quelle loi porte à la vertu et quelle loi en éloigne. Or, dites-moi, quand nous accorderions que votre loi actuelle est honnête et n'a rien de honteux, en quoi peut-elle contribuer à nous faire acquérir la
vertu ? Imprimera-t-elle le caractère du courage dans l'âme de celui qui se laisse séduire et dans l'âme du séducteur l'idée de la tempérance
? Est-il quelqu'un qui puisse jamais se le persuader ? Tout au contraire, tout le monde ne s'accordera-t-il pas à blâmer
la mollesse de ceux qui cèdent à ces plaisirs et sont incapables de se contenir, et à condamner chez celui qui imite la femme sa ressemblance avec ce
sexe ? Quel homme pourrait sanctionner par la loi un tel abus ? Personne, pour peu qu'il ait l'idée de la véritable loi. Mais comment prouver ce que je
dis ? Il est nécessaire de bien connaître la nature de l'amitié, de la passion et de ce qu'on appelle amour, si l'on veut se faire une idée
juste de ces choses. Comme il y a deux espèces d'affection et une troisième née des deux autres, qui sont
comprises sous un même nom, cela cause tout l'embarras et l'obscurité de cette matière.
CLINIAS. Comment cela ?
VI
L'ATHÉNIEN Nous appelons amis deux êtres qui se ressemblent pour la vertu ou qui sont égaux entre eux. Nous disons aussi que l'indigence est amie de la richesse, bien que ce soient des genres opposés, et, lorsque l'une ou l'autre de ces amitiés devient violente, nous l'appelons amour.
CLINIAS Fort bien.
L'ATHÉNIEN L'amitié qui naît des contraires est terrible, sauvage et rarement réciproque. Celle qui résulte de la ressemblance, au contraire, est douce et unit les hommes pendant la vie. Pour celle qui est mêlée de ces deux-là, il n'est pas aisé de deviner ce que veut l'homme qui est possédé de cette troisième sorte d'amour. Tiraillé en sens contraire par les deux premières, il est perplexe entre l'une qui le porte à jouir de la beauté, et l'autre, qui le lui défend. Car celui qui n'aime que le corps et qui est affamé de sa beauté comme d'un fruit s'excite à
s'en rassasier et n'a aucun égard à l'âme et aux moeurs de l'objet aimé. Mais celui qui accorde peu d'attention à l'amour du corps, qui en regarde la beauté plutôt qu'il ne la désire et dont l'âme est vraiment éprise de l'âme de son ami, croirait lui faire insulte en assouvissant sur son corps une passion brutale. Plein de respect et de vénération pour la tempérance, la force, la grandeur d'âme et la sagesse, il voudrait rester toujours pur avec son ami également pur. L'amour mêlé des deux autres d est celui que nous avons compté pour le troisième. Ayant à compter avec ces trois amours, la loi doit-elle les défendre tous et nous empêcher de leur donner accès
dans notre cour, ou plutôt n'est-il pas évident que nous admettrions volontiers dans notre république l'amour fondé sur la vertu, qui aspire à rendre le jeune homme aussi parfait que possible, et que, si nous le pouvions, nous interdirions les deux
autres ? Qu'en penses-tu, cher Mégillos ?
MÉGILLOS Ce que tu viens de dire sur ce sujet, étranger, me paraît fort bien dit.
L'ATHÉNIEN Je vois que, comme je l'escomptais, j'ai ton assentiment. Quant à votre loi, pas n'est besoin d'examiner ce qu'elle veut : il me suffit d'avoir
ton aveu. Pour Clinias, j'essayerai dans la suite de le persuader en le prenant par la raison. Je m'en tiens à ce que vous m'accordez l'un et l'autre. Maintenant continuons résolument l'exposé de nos lois.
MÉGILLOS Tu as tout à fait raison.
L'ATHÉNIEN Pour faire passer à présent cette loi, je vois un moyen facile à certains égards, mais extrêmement difficile à exécuter à d'autres égards.
MÉGILLOS Comment cela ?
L'ATHÉNIEN Nous savons que, même aujourd'hui, la plupart des hommes, si peu respectueux des lois qu'ils puissent être, s'abstiennent fort bien et exactement de tout commerce criminel avec les belles personnes, sans y être forcé et du meilleur gré possible.
MÉGILLOS Quand cela ?
L'ATHÉNIEN Lorsqu'ils ont un frère ou une soeur d'une grande beauté. S'il s'agit d'un fils ou d'une fille, la même loi non écrite suffit parfaitement à empêcher le père de coucher avec eux, soit ouvertement, soit en cachette, ou de les toucher de quelque autre façon criminelle en les
embrassant ; et le désir d'un tel commerce n'entre même pas du tout dans l'esprit de la plupart des hommes.
MÉGILLOS Tu dis vrai.
L'ATHÉNIEN Ainsi une simple parole éteint tous les désirs voluptueux de cette nature.
MÉGILLOS Quelle parole ?
L'ATHÉNIEN Celle qui dit que ces plaisirs sont défendus par la religion, détestés des dieux et honteux parmi les plus honteux. Et la cause n'en est-elle pas celle-ci, c'est que personne n'en parle autrement et que chacun de nous,
aussitôt qu'il est né, entend dire la même chose en tout temps et en tout lieu, soit dans les discours badins, soit dans les discours sérieux de la tragédie, qui le répète souvent, lorsque par exemple elle introduit sur le scène
des Thyestes, des OEdipes ou des Macarées, qui ont eu avec leurs soeurs (25) un commerce clandestin, et qui, découverts, n'ont pas hésité à se donner la mort pour se punir de leur
faute ?
MÉGILLOS Tu as bien raison de dire que la voix publique a un merveilleux pouvoir, puisqu'elle va jusqu'à
nous empêcher de respirer contre la défense de la loi.
VII
L'ATHÉNIEN Nous avons donc en raison de dire tout à l'heure
que si le législateur veut subjuguer une de ces passions qui subjuguent le plus entièrement les hommes, il lui est facile de connaître le moyen d'en venir à bout : c'est de consacrer cette voix publique, en faisant tenir le même langage à tout le monde, esclaves et hommes libres. enfants et femmes et à la cité tout entière
; c'est ainsi qu'il assurera à cette loi la plus grande stabilité.
MÉGILLOS Sans doute, mais comment pourra-t-on jamais obtenir qu'ils veuillent tous tenir le même
langage ?
L'ATHÉNIEN Ta question vient à propos. J'ai précisément dit moi-même que j'avais un moyen de faire passer la loi qui obligera les citoyens à se conformer à la nature dans l'union sexuelle pour la procréation des enfants, à ne pas toucher aux mâles, à ne pas anéantir de dessein prémédité la race humaine, à ne pas jeter sur des rochers et des pierres une semence qui ne peut y prendre racine et y fructifier conformément à sa nature, à s'abstenir enfin dans ses rapports avec la femme de jeter sa semence à un endroit où elle refuserait de pousser. Si cette loi s'imposait à perpétuité, comme elle s'impose à présent dans les relations des parents entre eux, et qu'elle prévalût dans les autres commerces amoureux comme le veut la justice, elle produirait une infinité de bons effets. Elle est en premier lieu conforme à la
nature ; ensuite elle délivre les hommes de la rage amoureuse, de la folie, s'oppose à tous les adultères, et à tous les excès du manger et du boire, rend les maris dévoués et attachés à leur femme, et produirait encore mille autres biens, si l'on pouvait être assez maître de soi pour s'y conformer. Mais il se pourrait qu'un homme jeune et violent, et d'un tempérament de feu, entendant proposer cette loi, se présentât devant nous et nous reprochât insolemment de faire des lois insensées et impossibles à observer, et qu'il remplît tout de ses clameurs. C'est dans la prévision de ces reproches que j'ai dit que j'avais un moyen, d'un côté facile entre tous, mais, de l'autre, très difficile pour faire adopter cette loi et la rendre
stable. Il est, en effet, très facile de concevoir que la chose est possible et comment. Je prétends que la loi, une fois suffisamment consacrée, subjuguera tous les coeurs et qu'avec la crainte elle leur inspirera une entière soumission aux lois établies. Mais aujourd'hui les choses en sont venues à ce point qu'on tient ce règlement pour impraticable, de même qu'on ne croit pas qu'un État entier puisse vivre en pratiquant constamment les repas en commun. Pourtant les faits ont démontré le contraire,
puisque ces repas sont en usage chez vous, et, malgré cela, même dans vos deux États, on ne croit pas que la nature des femmes s'y prête. C'est cette force du préjugé contraire qui m'a fait dire que les lois sur ces deux articles auraient beaucoup de peine à se maintenir.
MÉGILLOS Et tu ne te trompes pas en le disant.
L'ATHÉNIEN Quoi qu'il en soit, voulez-vous que j'essaye de vous prouver par un argument persuasif que la chose n'est pas au-dessus des forces humaines et qu'elle est
possible ?
MÉGILLOS Bien certainement.
L'ATHÉNIEN Quel est celui qui s'abstiendra plus facilement des plaisirs de l'amour et consentira à observer modestement le règlement, d'un homme qui a le corps sain et bien exercé, ou d'un homme mal constitué
?
CLINIAS C'est de beaucoup celui qui l'a bien exercé.
L'ATHÉNIEN N'avons-nous pas entendu dire qu'Ikkos de Tarente (26),
dans son désir de remporter la victoire aux jeux olympiques et aux autres, acquit, dit-on, avec son art, tant de tempérance et de courage qu'il ne toucha jamais à une femme ni à un garçon durant tout le temps de ses plus forts exercices. Et l'on dit la même chose de Crison
(27), d'Astylos (28), de Diopompos
(29) et d'une foule d'autres. Cependant, Clinias, ils étaient beaucoup plus mal élevés quant à l'âme que mes concitoyens et les tiens, et ils
avaient beaucoup plus de sève dans le corps.
CLINIAS C'est vrai, ce que tu dis-là : les anciens nous ont bien rapporté que ces athlètes s'étaient réellement comportés ainsi.
L'ATHÉNIEN Quoi donc ? ces gens-Ià, pour remporter le prix de la lutte, de la course et d'autres exercices pareils ont pris sur eux de s'abstenir de ce que la plupart des hommes regardent comme un bonheur, et nos enfants ne pourront pas maîtriser leurs désirs en vue d'une victoire beaucoup plus belle, que nous leur peindrons dès leur enfance comme
la plus belle de toutes, et dont nous charmerons naturellement leurs oreilles dans nos récits, nos discours et nos chants !
CLINIAS Quelle victoire ?
L'ATHÉNIEN Celle qu'on remporte sur les plaisirs et qui nous fait vivre heureux, tandis que, si on s'y laisse vaincre, on est au contraire malheureux. Outre cela, la crainte de
commettre un acte absolument, et toujours impur n'aura-t-elle pas assez de force
pour les faire triompher de penchants que d'autres ont surmontés, bien qu'ils ne les valussent pas.
CLINIAS Elle en aura assez vraisemblablement.
VIII
L'ATHÉNIEN Puisque nous en sommes venus là au sujet de cette
loi et que nous sommes tombés dans l'embarras à cause des mauvais sentiments de la foule, je dis qu'il faut absolument poursuivre notre législation sur ce point et déclarer que nos concitoyens ne doivent pas être pires que les oiseaux et beaucoup d'autres animaux, qui, élevés parmi de grands troupeaux, vivent chastes et purs, sans connaître l'accouplement jusqu'à ce qu'ils soient en âge de faire des petits et qui, parvenus à cet âge, s'unissent, mâle avec femelle et femelle avec mâle, en vue de l'amour, et vivent dès lors suivant les lois de la sainteté et de la justice, s'en tenant. aux premiers engagements de leur amitié. Or il faut que nos citoyens
soient meilleurs que les animaux. Cependant, s'ils se laissent corrompre par les autres Grecs et la plupart des barbares, en voyant et entendant vanter la très grande puissance qu'a chez eux l'Aphrodite qu'on appelle désordonnée, et que par suite ils ne soient pas capables de la vaincre, alors il faut que les gardiens des lois, se faisant législateurs, imaginent une seconde loi pour les brider.
CLINIAS Qu'elle loi leur conseilles-tu de porter, s'ils éludent a celle que tu viens d'énoncer
?
L'ATHÉNIEN Il est évident, Clinias, que c'est une loi qui se rattache à la première et lui fait suite.
CLINIAS Mais encore quelle est-elle ?
L'ATHÉNIEN C'est d'affaiblir la force de la passion pour le plaisir, en lui donnant le moins d'exercice possible et en détournant par le travail ce qui la nourrit et l'entretient vers une autre partie du corps, but qui serait atteint, si l'on supprimait en eux l'impudeur dans l'usage des plaisirs de l'amour. Si la pudeur le rendait assez rare, la volupté
deviendrait pour eux une maîtresse moins impérieuse par suite de cette rareté même. Enseignons-leur qu'il est bien de se cacher pour faire de telles actions, et qu'ils voient là une prescription que l'habitude et la loi non écrite sanctionneront, qu'au contraire il est honteux de ne pas se cacher, pour les commettre, mais qu'on peut cependant les commettre sans honte. La loi établirait ainsi une immoralité et une moralité du second degré, qui viendrait après la loi parfaite, et qui, des trois classes de citoyens qu'elle embrasserait, forcerait la troisième,
celle des citoyens corrompus que nous appelons inférieurs à eux-mêmes, à respecter ses prescriptions.
CLINIAS Quelles sont ces classes ?
L'ATHÉNIEN L'une est celle des gens pieux et qui aiment l'honneur ; la seconde est celle de ceux qui sont épris, non des corps, mais des belles qualités de l'âme. Ce que nous en dirons à présent n'est peut-être qu'un souhait, comme on en fait dans les entretiens; mais c'est de beaucoup ce qu'il y aurait de mieux, si cela se réalisait dans tous les États. Mais peut-être, avec l'aide de Dieu, pourrions-nous
obtenir au sujet de l'amour de deux choses l'une : ou bien que personne n'ose toucher à aucune personne de condition libre et noble, si ce n'est à sa femme légitime, ni contracter avec des concubines une union qui ne
serait précédée d'aucune cérémonie religieuse et dont les fruits seraient des bâtards, ni entretenir un commerce contre nature avec des mâles, ou bien
de bannir entièrement l'amour des garçons. Quant à l'amour des femmes, si quelqu'un avait des rapports avec une autre que celle qui est entrée dans sa maison avec les dieux et les cérémonies du mariage, soit qu'il l'ait achetée ou acquise de quelque autre façon, s'il
ne se cache pas à tous les regards soit des hommes, soit des femmes, peut-être nous approuvera-t-on de le priver de toutes les distinctions accordées aux citoyens et de le reléguer réellement parmi les étrangers. Telle est la loi, qu'il faille la compter pour une ou pour deux, que nous portons sur les plaisirs de l'amour et sur les relations amoureuses licites ou illicites que la passion fait naître parmi les hommes qui
vivent dans la société les uns des autres.
MÉGILLOS Pour ma part, étranger, je suis tout disposé à accepter cette loi. Quant à Clinias, qu'il nous dise lui-même ce. qu'il en pense.
CLINIAS Je le ferai, Mégillos, quand je croirai que le temps en sera venu. Pour le moment, laissons l'étranger poursuivre la série de ses lois.
MÉGILLOS Soit.
IX
L'ATHÉNIEN En avançant, nous sommes arrivés maintenant à
l'institution des repas en commun. Elle serait, je crois, difficile à établir ailleurs, mais en Crète il n'est personne qui pense qu'il faudrait vivre d'une autre manière. Le point est de savoir quelle pratique nous suivrons, celle d'ici, ou celle de Lacédémone
(29), ou s'il y a en outre une troisième façon de les organiser qui serait préférable à ces
deux-là. Il me semble qu'elle ne serait pas difficile à trouver, mais, une fois trouvée, elle ne serait pas d'une grande utilité, puisque à présent ces repas sont convenablement organisés.
Ce qui fait suite à cet article, c'est l'organisation de la vie et la manière de se procurer la subsistance. Dans d'autres États, on se la procure de mille façons et de mille endroits, d'une source à peu près double de celle qui nous suffit. La plupart des Grecs, en effet, tirent leur nourriture de la terre et de la
mer ; nos citoyens la tireront de la terre seulement, ce qui facilite la tâche du législateur
; car il nous suffira de la moitié des lois nécessaires ailleurs, et même de beaucoup moins, et encore
seront-elles mieux appropriées à des hommes libres. Le législateur de notre État est en effet débarrassé en grande partie de celles qui regardent les armateurs, les négociants, les marchands au détail, les hôtelleries, les douanes, les milles, les prêts d'argent, les placements usuraires, et mille autres choses semblables
dont il n'a pas à se soucier. Il se bornera à faire des lois pour les laboureurs, les pâtres, les apiculteurs, pour ceux qui gardent leurs produits ou qui fabriquent leurs outils, après qu'il aura
réglé les objets les plus importants, les mariages, la génération, l'éducation et l'instruction des enfants, et l'institution
des magistrats dans l'État. Il lui faut dès lors se tourner vers ceux qui travaillent à nourrir la cité et ceux qui les aident dans cette tâche, et régler leur activité.
Commençons par les lois dites agricoles. Édictons d'abord celle-ci au nom de Zeus qui préside aux limites. Que personne ne touche aux bornes du champ du citoyen
qui est son voisin ou de l'étranger qui possède un terrain à l'extrémité du
territoire ; qu'on se persuade que c'est là remuer ce qui doit être immuable, et que chacun consente à essayer de remuer le plus grand rocher, plutôt que la petite pierre qui borne l'amitié et l'inimitié, qu'on a juré par les
dieux de laisser à sa place. Le Zeus qui veille sur le pays et le Zeus qui veille sur l'étranger ont été témoins de ces serments, et déchaînent les guerres les plus acharnées, si on les irrite. Celui qui aura obéi à la loi ne sentira pas les maux qu'entraîne sa violation. Celui qui l'aura méprisée, s'exposera à un double châtiment, l'un, le premier, de la part des dieux, le second de la part de la loi. Que personne ne déplace donc les bornes qui
séparent sa terre de celle de ses voisins. Si quelqu'un les déplace, que celui qui le voudra le dénonce aux laboureurs, et que ceux-ci le conduisent devant les juges. S'il perd son procès, le tribunal appréciera la peine ou l'amende qu'il devra subir, pour avoir refait en cachette ou à force ouverte le partage des terres.
En second lieu, comme les voisins se causent souvent entre eux de légers dommages, qui par leur fréquence engendrent de graves inimitiés et rendent le voisinage fâcheux et très désagréable, il faut donner tous ses soins
à n'avoir jamais de différend avec son voisin et se bien donner de garde de lui faire aucun tort et surtout d'empiéter sur ses terres. Il n'est, en effet, pas difficile de léser autrui : c'est à la portée de tout le
monde ; mais il n'est pas à la portée de tout le monde de rendre service. En conséquence, si quelqu'un, outrepassant les bornes, empiète sur le champ de soie voisin, qu'il paye le dommage, et que, pour le guérir de son impudence et de sa bassesse, il paye en outre le double, du dommage
à celui qu'il aura lésé. La connaissance, le jugement, la punition de ce délit et de tous ceux du même genre appartiendront aux agronomes. Les délits considérables seront, comme il a été dit précédemment, réglés par l'ordre entier des douze gardes
(30), les délits moins importants par les chefs des gardes.
Si quelqu'un fait paître son bétail sur autrui, les mêmes juges, après avoir vu de leurs yeux le dommage, l'apprécieront et fixeront la peine. Si, cédant au plaisir d'avoir des abeilles, on s'approprie les essaims d'autrui, et qu'on
les attire chez soi en frappant sur des vases d'airain, on paiera le dommage. Si quelqu'un, en allumant
du bois, ne prend pas garde à autrui, que les magistrats lui infligent la peine qu'ils jugeront à propos. Il en sera de même si, en plantant, on ne laisse pas la distance prescrite entre son champ et celui du voisin, comme elle a été suffisamment réglée par beaucoup de législateurs, dont il faut suivre les lois, persuadés qu'il ne convient pas au législateur suprême de l'État de faire des lois sur une multitude de petits objets qui sont à la portée du premier législateur venu.
C'est ainsi qu'au sujet des eaux il y a d'anciennes et bonnes lois portées pour les cultivateurs, qu'il n'est pas à propos de détourner pour les faire passer dans ce discours. Mais que celui qui veut amener l'eau sur son terrain l'amène en commençant depuis les sources publiques, sans intercepter les sources visibles d'aucun particulier, et qu'il les conduise par où il voudra, sauf par les maisons, par certains endroits sacrés, par les tombeaux, sans causer d'autre dommage que le conduit même des eaux. S'il y a disette d'eau en certains endroits par suite de la nature du sol qui absorbe les
eaux tombées du ciel, et si l'on manque de la boisson indispensable, qu'on creuse dans son terrain jusqu'à ce qu'on rencontre l'argile, et, si, à cette profondeur, on ne trouve pas d'eau du tout, on ira en puiser chez le voisin ce qu'il en faut pour chacun des gens de sa maison. Mais si les voisins eux-mêmes n'ont que juste assez d'eau pour eux, on fera régler par les agronomes l'ordre dans lequel chacun ira puiser chaque jour l'eau qu'il emportera chez lui, et c'est ainsi qu'on se partagera l'eau du voisin.
Si quelqu'un fait tort à un autre qui cultive un champ plus haut que le sien ou qui habite une maison contiguë à la sienne, mais plus basse, en ne donnant pas d'écoulement aux eaux tombées du ciel, ou si, au contraire, celui qui habite en haut laisse couleur l'eau à l'aventure et fait tort à celui qui habite en bas, et que d'ailleurs ils ne veuillent pas s'accorder à l'amiable, celui qui le voudra fera venir, si c'est en ville, l'astynome et, si c'est à la campagne l'agronome, pour leur faire régler
ce que chaque partie devra faire. Celui qui ne s'en tiendra pas à ce règlement sera accusé à titre de voisin jaloux et incommode, et, s'il est condamné, il payera le double du dommage à celui qu'il aura lésé, pour n'avoir pas voulu d obéir aux magistrats.
X
Pour les fruits de l'automne, il faut que tous les citoyens en fassent part à tous comme il suit. La déesse qui préside à cette saison nous fait gracieusement deux sortes de présents : l'un, c'est le fruit
de Dionysos qui ne se met pas en réserve; l'autre, c'est le raisin propre par sa nature à être gardé. Posons à propos de ces fruits la règle que voici :
celui qui aura goûté aux fruits qui poussent sans culture, grappes de raisin ou figues, soit dans son champ, soit dans le champ d'autrui, avant le temps de la récolte
qui coïncide avec le lever d'Arcturus (31), payera cinquante drachmes qui seront consacrées à Dionysos, s'il les a cueillies dans ses propriétés
; une mine, si c'est dans celles de son voisin, et deux tiers de mine, dans tout autre champ. Celui qui voudra cueillir les grappes qu'on appelle à présent franches ou les figues surnommées franches, pourvu que ce soit dans ses propriétés, pourra les récolter comment et quand il lui
plaint ; mais, s'il le fait chez autrui sans permission, on ne manquera pas de le punir conformément à la loi qui défend de toucher à ce qu'on n'a pas déposé. Si c'est un esclave qui, sans l'agrément du propriétaire, touche à quelqu'un de ces fruits, il recevra autant de coups de fouet qu'il aura pris de grains de raisin ou de figues. Le métèque pourra, s'il veut, cueillir ces fruits francs, en les achetant. Si un étranger en voyage a envie, en cours de route, de manger des fruits, il pourra toucher aux fruits francs, s'il le veut, lui et une seule personne de sa suite, sans les payer, et comme s'il les recevait à titre de présent d'hospitalité. Mais pour les fruits qu'on appelle champêtres et autres du même genre, la loi empêchera les étrangers d'y porter
la main, et, si quelque étranger ou son esclave, ignorant cette défense, touche
à ces fruits, on punira l'esclave à coups de fouet, mais on relâchera l'homme libre, après l'avoir admonesté et averti de cueillir les autres fruits, ceux qui
ne se prêtent pas à être conservés pour devenir des raisins secs, du vin et des figues sèches, Pour les poires, les pommes, les grenades et tous les fruits de ce
genre, il n'y aura point de. honte à en prendre en cachette. Mais si quelqu'un au-dessous de trente ans est pris sur le fait, qu'on le frappe et le repousse sans
le blesser. L'homme libre n'aura aucun recours en justice pour ces sortes de coups. L'étranger aura le même droit sur ces fruits que sur les raisins et les figues. Si c'est un citoyen de plus de trente ans qui touche à ces fruits et les mange sur place sans en emporter, il pourra comme l'étranger goûter à tous.
Mais, s'il n'observe pas la loi, il s'exposera au risque de ne pouvoir disputer le prix de la vertu, si quelqu'un avertit alors les juges des fautes qu'il aura commises en ce genre.
XI
L'eau est de tous les éléments le plus propre à fertiliser les jardins, mais elle est facile
à corrompre. Ni la terre, ni le soleil, ni les vents, qui concourent avec l'eau à la nourriture des plantes,
ne sont guère sujets à être empoisonnés, détournés ou dérobés, tandis que tout cela peut
arriver à l'eau ; aussi a-t-elle besoin de la loi pour la préserver. Dans ce but, je proposerai
celle-ci : Si quelqu'un corrompt volontairement l'eau d'autrui, eau de source ou eau de pluie ramassée, en la droguant, en creusant le sol ou en la dérobant, celui qu'il aura lésé pourra le traduire devant les astynomes en couchant par écrit l'estimation du dommage, et celui qui sera convaincu de lui avoir fait tort par certaines drogues sera condamné, outre l'amende, à purifier la source ou le réservoir, suivant les indications des interprètes de la loi pour chaque cas et chaque personne.
Quant au transport de tous les fruits de la saison, il sera permis à chacun de transporter les siens par telle voie qu'il lui plaira, pourvu qu'il ne fasse aucun tort à personne, ou qu'il gagne lui-même le triple du dommage qu'il aura causé à son voisin. La connaissance de ces causes appartiendra aux magistrats, ainsi que de toutes celles où, en transportant ses denrées, on aura sciemment fait tort, par violence ou par fraude, à un propriétaire ou à ses biens. Celui-ci pourra dénoncer toutes ces sortes de délits aux magistrats, qui statueront, si le dommage
ne monte pas au delà de trois mines ; s'il réclame plus de trois mines, la cause sera portée devant les tribunaux publics, qui
puniront le coupable. Si l'on voit qu'un magistrat a manqué de justice en estimant le dommage, la partie lésée pourra le citer en justice et lui réclamer le double, et qui voudra aura le droit de déférer aux tribunaux publics les injustices des magistrats, quels que soient les griefs qu'on ait contre eux.
Il y aurait mille autres petits règlements sur la manière de punir, sur le tirage au sort des procès, sur les assignations et les témoins qui les garantissent, soit qu'il faille en appeler deux ou davantage, et sur tous les détails de ce
genre qu'on ne peut négliger, mais qui sont au-dessous d'un législateur de mon âge. C'est aux jeunes gens à faire des lois
là-dessus, en imitant celles que nous avons édictées précédemment, en ajustant les petites aux grandes, d'après l'expérience qu'ils en auront nécessairement, jusqu'à ce qu'enfin tout leur paraisse bien réglé. Ils les rendront alors inébranlables et, dès lors ils y conformeront leur conduite, comme à une législation achevée.
XII
A l'égard des autres artisans, voici ce qu'il faut faire.
Tout d'abord aucun indigène ni serviteur d'indigène ne travaillera à des ouvrages mécaniques ; car le citoyen a un métier qui requiert à la fois beaucoup d'exercice et
beaucoup de connaissances et qui lui suffit, c'est de préserver et conserver le bon ordre dans l'État, métier qui ne doit pas être traité comme un accessoire. Il n'y a pour ainsi dire pas d'homme assez doué pour exercer parfaitement deux occupations ou deux métiers, ni pour exercer comme il faut le sien et surveiller quelqu'un qui en exerce un autre.
Il faut donc d'abord établir chez nous cet usage, qu'un forgeron ne sera pas en même temps charpentier, et qu'un charpentier ne négligera pas son métier pour faire travailler le fer par d'autres, sous prétexte qu'ayant à s'occuper d'un grand nombre d'esclaves qui travaillent pour lui, il est. naturel qu'il s'occupe d'eux davantage, parce qu'il en retire plus de profit que de son propre
métier. Que chacun n'ait dans un État qu'un seul métier et qu'il en tire sa subsistance. Les astynomes auront grand soin de maintenir cette loi, et, si un indigène incline vers un métier particulier plutôt que vers la pratique de la vertu, qu'ils le censurent et le privent d'honneurs, jusqu'à ce qu'ils l'aient ramené dans le droit chemin. Si un étranger exerce deux métiers, qu'ils le punissent en l'emprisonnant, le mettant à l'amende ou l'expulsant de
la cité, et le contraignent ainsi à être un seul homme, et non plusieurs. Pour ce qui regarde le salaire des ouvriers et les travaux dont ils se sont chargés, si quelqu'un leur fait tort, ou si eux-mêmes font tort à d'autres, les astynomes prononceront jusqu'à concurrence de cinquante
drachmes ; au-delà de cette somme, les tribunaux publics trancheront le différend selon la loi.
Que personne dans l'État ne paye de droit de douane pour des marchandises exportées ou importées. Pour l'encens et pour toutes les denrées du même genre
qu'on offre aux dieux, pour la pourpre et toutes les teintures que le pays ne fournit pas, ou pour les produits étrangers
dont un art quelconque puisse avoir besoin, qu'on ne les introduise pas sous quelque raison de nécessité que ce puisse être, et qu'on n'exporte pas non plus les denrées qui doivent demeurer dans le pays. A l'exception des cinq plus vieux, les douze autres
gardiens des lois connaîtront de tout cela et y veilleront.
Quant aux armes et aux instruments propres à la guerre, si l'on a besoin d'ouvriers étrangers, de bois, de
métaux, de matières à faire des liens ou de certains animaux utiles à cette fin, les hipparques et les stratèges auront tout pouvoir d'importer et d'exporter le nécessaire, et de donner et de recevoir au nom de la ville, et les gardiens des lois feront à ce propos les lois convenables et suffisantes. Mais il ne sera permis à personne dans tout notre territoire et dans notre ville de trafiquer de ces matières ni d'aucune autre en vue de s'enrichir.
XIII
Quant à la nourriture et à la distribution des produits
du pays, il semble qu'on ne peut mieux faire que de se rapprocher en cela de la loi crétoise
(32). Il faut que les douze parties de ces produits soient partagées entre tous et consommées de même; que de chaque douzième de ces produits, par exemple le blé et l'orge, auxquels on adjoindra pour les distribuer tous les autres fruits, avec tous les animaux bons pour être vendus qui se trouvent
dans chaque partie, on fasse trois parts proportionnelles, une pour les hommes libres, une autre pour leurs esclaves, la troisième pour les artisans et en général pour les étrangers, tant ceux qui sont établis chez nous pour y gagner leur vie que ceux qui peuvent y venir pour les affaires de l'État ou de quelque particulier. Cette troisième portion des denrées indispensables une fois distribuée sera nécessairement mise en vente, et ce sera la
seule ; il ne sera pas nécessaire de vendre les deux autres. Quelle sera la manière la plus juste de faire ce
partage ? Il est d'abord évident qu'il devra être égal à certains égards, à d'autres
égards inégaux.
CLINIAS Comment l'entends-tu ?
L'ATHÉNIEN Il est forcé que ce que la terre produit et nourrit soit médiocre à tel endroit, meilleur à tel autre.
CLINIAS Sans doute.
L'ATHÉNIEN Les trois parts ainsi faites, il ne faut pas qu'en les distribuant on attribue à l'une d'elles plus qu'aux autres, que ce
soit celle des maîtres, ou celle des esclaves, ou celle des étrangers, mais que la répartition soit égale entre tous d'une égalité de ressemblance. Chaque citoyen, ayant touché ses deux parts, sera le maître
de distribuer aux hommes libres et aux esclaves les choses qu'il voudra et telle quantité qu'il lui plaira. Le surplus sera réparti dans la mesure et la proportion du nombre des animaux qui se nourrissent des produits de la terre : on les comptera tous et l'on se réglera sur le dénombrement.
Après cela il faut régler à part la disposition des maisons de nos citoyens. Voici l'ordre qui convient. Il faut qu'il y ait douze bourgs, chacun d'eux étant placé au centre
de chacune des douze parties de l'État, et que, dans chaque bourg, on réserve l'emplacement d'un marché
et de temples pour les dieux et les démons qui, marchent à leur suite, soit que les Magnètes
(33) aient des dieux indigètes ou d'autres vieilles divinités conservées par la tradition et auxquels ils rendent les honneurs que leur rendaient leurs lointains ancêtres. Il y aura partout des temples de Hestia, de Zeus, d'Athéna et
du dieu qui préside à chaque douzième partie du territoire. On placera alors
des maisons autour de ces temples, dans les endroits les plus élevés, afin qu'elles soient pour la garnison des retraites aussi bien fortifiées que possible. Sur tout le reste du territoire on répartira les artisans en treize corps, dont l'un s'établira dans la ville et sera divisé à son tour entre ses douze parties, tandis que les autres seront répartis au dehors et en cercle autour de la ville. Dans chaque bourg on rassemblera les espèces d'ouvriers que demande l'agriculture.
Les chefs des agronomes veilleront à tout cela et décideront du nombre et de la
qualité des ouvriers nécessaires en chaque endroit et du lieu où on les logera, pour qu'ils soient le moins incommodes et le plus utiles aux cultivateurs. Pour établir de même les ouvriers de la ville et
pour s'occuper d'eux, on déléguera le corps des astynomes.
XIV
Il appartiendra aux agoranomes de s'occuper de tout ce qui concerne la place publique. Après la surveillance des temples qui sont sur cette place, ils seront chargés de veiller à ce qu'il ne se commette aucune injustice dans le trafic des choses nécessaires
à la vie, et, en second lieu, de faire observer le bon ordre et d'empêcher les violences, et ils puniront ceux qui auront besoin de correction. A l'égard des denrées, ils examineront d'abord si, pour celles que les citoyens doivent vendre aux étrangers, les transactions
sont conformes à la loi.
Voici l'ordre de la loi : le premier jour du mois, les citoyens feront porter au marché par
des étrangers ou des esclaves chargés d'administrer leurs affaires le douzième du blé qui doit être vendu aux étrangers, et ceux-ci achèteront ce premier jour
le blé et les autres grains nécessaires pour le mois tout entier. Le dixième jour du mois, les
uns vendront, les autres achèteront les liquides suffisants pour tout le mois. Le vingt-troisième jour, se tiendra le marché des bestiaux que les uns auront
à vendre et les autres à acheter, ainsi que de tous les meubles et objets que les laboureurs auront à vendre, par exemple des peaux,
des étoffes de tout genre, des tissus, des feutres et autres ouvrages du même genre que les étrangers sont
dans la nécessité d'acheter pour leur usage. Mais personne n'aura le droit de vendre
au détail aux habitants de la ville et à leurs esclaves, ni d'acheter d'eux ces sortes
de marchandises, non plus que le blé ou l'orge réduits en farine et tout ce qui sert à nourrir l'homme. Mais il sera
permis aux étrangers sur les marchés qui leur sont propres de vendre aux artisans et à leurs esclaves du vin et du blé et de pratiquer ainsi ce qu'on appelle généralement le commerce de détail. Les boucliers vendront la viande coupée en morceaux aux artisans et à leurs esclaves. Tous les jours n'importe quel étranger pourra acheter en gros du combustible de toute sorte chez ceux qui sont chargés de ce soin en chaque endroit, et le revendre lui-même aux
étrangers en telle quantité et en tel temps qu'il voudra.
Pour les autres marchandises et tous les ustensiles dont chacun a besoin, on les apportera pour les vendre au marché commun, dans les endroits fixés par les gardiens des lois et les agoranomes de concert avec les astynomes, lesquels auront fixé le prix des objets mis en vente. Là, on échangera de l'argent pour des marchandises et des marchandises pour de l'argent, mais on ne vendra pas à crédit. Celui qui le fera, sous prétexte qu'il a confiance en l'acheteur, qu'il recouvre ou non sa créance, ne pourra se plaindre, parce qu'il n'y aura point d'action en justice pour ces sortes de marchés. Si l'on achète ou vend plus et
plus cher que ne le veut la loi qui a marqué jusqu'où on peut faire monter ou descendre les prix, sans permettre d'aller au delà, on inscrira le surplus chez les gardiens des lois et on effacera ce qui manque au juste prix.
On procédera de même pour les métèques à propos de l'inscription de leur fortune. Quiconque voudra venir s'établir chez nous pourra le faire aux conditions prescrites, c'est-à-dire que nous hébergerons tout étranger qui voudra et pourra s'établir chez nous, pourvu qu'il ait un métier
et qu'il ne demeure pas plus de vingt années, à dater de son inscription, qu'on n'exigera de lui d'autre droit de séjour qu'une conduite raisonnable, qu'il ne paiera aucun impôt sur ses achats et ses ventes, qu'enfin, son temps fini, il prendra ses affaires et s'en ira. Cependant, si, dans ces vingt années, il a pu acquérir de la considération en rendant à l'État un grand service, et s'il espère obtenir du sénat et du peuple assemblé l'autorisation de différer
son départ ou même de rester toute sa vie, il n'aura qu'à s'adresser à la cité, et, s'il la persuade, cette autorisation lui sera confirmée. Quant aux enfants de ces étrangers domiciliés, s'ils ont un métier et ont accompli leur quinzième année, on leur comptera leur temps de séjour à partir de cette année et, après être restés chez nous vingt années, ils s'en iront où il leur plaira. S'ils veulent rester, qu'ils restent, après avoir obtenu de même l'agrément du peuple. En s'en allant, ils iront faire effacer les inscriptions déposées en leur nom chez les magistrats.
(17)
Le stade était de 177 mètres.
(18) Le diaule était le double du stade. On allait jusqu'au terme, ce qui faisait un stade, puis on revenait à la barrière.
(19) Dans la course à cheval (éphippie), on parcourait à cheval un espace égal à celui qu'on parcourait à pied dans le diaule.
(20) Le dolique, c'est-à-dire le long stade, espace de 12 diaules. était la plus longue carrière
que les lutteurs parcouraient dans les jeux.
(21) L'éphippie est la course à cheval.
(22) Cependant Platon, à la fin du VIe livre, 785 b, l'avance jusqu'à seize ans.
Même variation pour les garçons; au livre VI, 772 d, Platon veut qu'il se marient entre vingt-cinq et
trente-cinq ans, et à la fin du même livre 785 b. il fixe l'âge du mariage entre trente et trente-cinq ans.
(23) L'athlothète était l'organisateur qui présidait des jeux. C'était à Athènes un magistrat chargé
de présider dans les Panathénées aux luttes équestres, aux concours de musique et de gymnastique et à la distribution des prix.
Il y en avait dix, un pour chaque tribu, élus par le peuple pour quatre ans.
(24) Élien, livre XII, ch. 5, et d'autres disent que Laïos introduisit le premier en Grèce l'amour contre nature, et qu'il enleva Chrysippe, fils de Pélops.
(25) D'après la légende, Macarée seul eut un commerce clandestin avec sa soeur. Thyeste
corrompit sa belle-soeur, et Oedipe épousa sa mère, sans savoir qu'elle était sa mère.
(26) Il est question d'Ikkos de Tarente dans le
Protagoras,
316 d, où il est dit que certains sophistes abritaient leur profession de sophiste derrière la gymnastique, par crainte de la défaveur
qui y était attachée.
(27) Crison d'Himère est cité aussi dans le
Protagoras 335 e, comme un coureur célèbre.
(28) Astylos et Diopompos, athlètes dont les noms ne nous sont connus que par ce passage.
(29) Voici ce que dit Aristote à ce sujet : "Ce qui concerne les repas publics est mieux ordonné chez les Crétois que chez les Lacédémoniens. A Lacédémone, chacun apporte par tête le contingent fixé; sinon, la lois l'exclut de toute participation
au gouvernement. Mais en Crète cette institution est plus populaire. Sur les fruits de la terre et sur les troupeaux, soit qu'ils appartiennent à l'État, soit qu'ils proviennent des redevances
des Périoeciens, on prélève une partie qui est destinée au culte des dieux, ainsi
qu'à toutes les dépenses publiques, et l'autre aux repas communs en sorte que l'État nourrit hommes, femmes et enfants.
Politique II, VII, 4 traduction Thurot, Garnier.
(30) Au livre VI, 761 e, l'Athénien il fait cette prescription à propos des dommages causés à
un voisin : Dans les causes de moindre, importance, les cinq agronomes de la tribu rendront par eux-mêmes la justice à ceux qui se prétendront lésés; dans les causes plus considérables, jusqu'à concurrence de trois
mines ils s'associeront douze gardes et jugeront ainsi au nombre de dix-sept.
(31) L'Arcturus, littéralement gardien de l'Ourse, est une étoile de la constellation du Bouvier, en face de la Grande
Ourse ; elle est visible ni milieu de septembre.
(32) Voyez la note 29.
(33) Les Magnètes sont la partie de la population crétoise qui composera la colonie à laquelle
Platon donne des lois.
|