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Oeuvre numérisée par J. P. MURCIA

 

PLATON

LES LOIS

introduction I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII

 

 

LIVRE X

 

 

I

L'ATHÉNIEN Après les mauvais traitements, portons sur tous les actes de violence la loi que voici. Il est interdit de prendre et d'emporter quoi que ce soit qui appartient à autrui, et de se servir d'aucun objet du voisin, sans en avoir obtenu la permission ; car c'est de là que proviennent tous les maux dont nous avons parlé, c'est là qu'ils ont pris, prennent et prendront toujours naissance.
A l'égard des autres désordres, les plus grands sont l'incontinence et les violences des jeunes gens ; ils sont de la plus grande conséquence, quand ils ont pour objet les choses sacrées, et spécialement quand l'État ou toute une tribu ou quelque autre communauté s'y trouve intéressée. En second lieu, il faut mettre les crimes contre le culte privé et les tombeaux ; en troisième lieu, les violences contre les pères et mères, en dehors de celles dont il a déjà été question ; en quatrième lieu, l'outrage fait aux magistrats, lorsqu'au mépris de leur dignité, on prend, on emporte, on emploie à son usage quelque chose qui leur appartient, sans avoir obtenu leur aveu ; en cinquième lieu, tout attentat aux droits de chaque citoyen qui appelle la répression de la justice. Il faut faire une loi commune à chacune de ces espèces de violence.
Nous avons parlé du pillage des temples en général, commis à force ouverte ou en cachette, et dit la peine qu'il méritait. Il faut maintenant, quand nous aurons préludé par une exhortation, déterminer la peine qui frappera tous les outrages faits aux dieux en paroles et en actions. Cette peine sera la suivante. Celui qui croit, comme l'enseigne la loi, qu'il y a des dieux, ne commettra jamais volontairement aucun acte impie et ne lâchera jamais un mot contre la religion. Si on le fait, c'est pour une des trois causes que voici : la première, c'est que comme je l'ai dit, on ne croit pas à l'existence des dieux, la seconde, qu'on pense qu'ils ne s'occupent pas des affaires humaines, et la troisième, qu'il est facile de les fléchir par des sacrifices et de les séduire par des prières.
CLINIAS Alors que faire et que dire à ces gens-là ?
L'ATHÉNIEN Commençons, mon bon ami, par écouter ce que je devine qu'ils nous diront d'un ton à la fois insultant et moqueur.
CLINIAS Que nous diront-ils donc ?
L'ATHÉNIEN Ils pourraient nous dire pour se jouer de nous : "Étrangers d'Athènes, de Lacédémone et de Cnossos, vous dites vrai. Il y en a parmi nous qui ne croient pas du tout à l'existence des dieux, d'autres qui se les figurent tels que vous dites. En conséquence, nous demandons qu'avant de nous menacer durement, vous essayiez d'abord, comme vous l'avez jugé bon à propos des lois, de nous persuader et de nous prouver par des raisons concluantes qu'il y a des dieux, et qu'ils sont d'une nature trop excellente pour se laisser enjôler et détourner de la justice par des présents. Comme nous entendons tenir ces propos et d'autres semblables à des gens qui passent pour être très capables, poètes, orateurs, devins, prêtres, sans parler d'une infinité d'autres personnes, la plupart d'entre nous ne se sentent pas portés à ne pas faire de mal, mais à y remédier, après qu'il est commis. Nous  avons droit, d'attendre des législateurs qui prétendent préférer la douceur à la brutalité qu'ils commencent à user avec nous de la persuasion, et qu'ils nous tiennent sur l'existence des dieux des discours sinon meilleurs, du moins plus vrais que les discours des autres. Peut-être nous laisserons-nous persuader. Essayez, si notre demande est raisonnable, de nous dire ce que nous demandons."
CLINIAS Ne semble-t-il pas, étranger, qu'il est facile de démontrer véritablement l'existence des dieux ?
L'ATHÉNIEN Comment ?
CLINIAS D'abord la terre, le soleil, les astres et l'univers, le bel ordre des saisons, la répartition des années et des mois, et tous les Grecs et les barbares qui croient qu'il y a des dieux.
L'ATHÉNIEN J'ai peur, mon bienheureux ami, que les méchants ne nous méprisent, car de dire que j'en rougis pour vous, c'est ce que je ne ferai jamais. Vous ne connaissez pas la cause de leur désaccord avec nous; vous croyez que c'est uniquement parce qu'ils ne peuvent pas dominer les plaisirs et les passions qu'ils se jettent dans l'impiété.
CLINIAS A quelle autre cause faut-il donc l'attribuer ?
L'ATHÉNIEN A une cause que vous ignorez et qui vous reste cachée, à vous qui vivez en dehors de la Grèce.
CLINIAS Que veux-tu dire par là ?
L'ATHÉNIEN Je veux dire une affreuse ignorance qu'ils prennent pour la plus haute sagesse.
CLINIAS Comment dis-tu ?

II

L'ATHÉNIEN Il y a chez nous des discours, soit en vers, soit en prose, consignés dans des écrits qui n'existent pas chez vous, à cause, je crois, de l'excellence de votre constitution. Les plus anciens disent au sujet des dieux que les premiers êtres furent le Ciel et les autres corps, puis peu de temps après leur naissance, ils placent celle des dieux, et racontent les traitements qu'ils se firent les uns aux autres (35). Que, sous certains rapports, ils soient utiles ou non à ceux qui les entendent, il n'est pas facile, vu leur antiquité, d'y trouver à redire ; mais en ce qui regarde les soins et les égards dus aux parents, je ne saurais pour ma part les approuver ni avouer qu'ils sont utiles, ni même qu'ils soient vrais. Laissons donc ces anciens écrits ; qu'il n'en soit plus question, et qu'on en dise ce qu'il plaira aux dieux. Tenons-nous en aux écrits des modernes et des sages, et montrons par où ils sont une source de mal. Voici l'effet que produisent leurs discours. Lorsque, pour prouver qu'il y a des dieux, nous alléguons ce que tu disais, le soleil, la lune, les astres et la terre comme autant de dieux et d'êtres divins, les disciples de ces sages répondent que tout cela n'est que de la terre et des pierres, incapables de s'intéresser en quelque façon que ce soit aux affaires humaines, et ils donnent à leurs arguments une forme brillante propre à persuader.
CLINIAS Le discours que tu leur prêtes, étranger, est difficile à réfuter, quand tu n'aurais affaire qu'à lui seul, mais comme tu as en tète une foule de gens, il devient encore plus embarrassant.
L'ATHÉNIEN Alors, que pouvons-nous dire et que faut-il que nous fassions ? Nous défendrons-nous, comme si l'un de ces hommes impies, attaqué par nos lois, nous accusait de tenter une entreprise inouïe, en basant notre législation sur l'existence des dieux, ou bien les envoyant promener, retournerons-nous à nos lois, de peur que le préambule ne devienne trop étendu. La discussion prendrait de grandes proportions, si nous voulions démontrer aux sectateurs de l'impiété la vérité des points sur lesquels ils nous demandent des explications, et si nous ne portions nos lois qu'après leur avoir inspiré de la crainte et donné de l'aversion pour tout ce qui en mérite.
CLINIAS Étranger, nous avons dit souvent en peu de temps qu'il faut bien se garder dans le sujet que nous traitons de préférer la brièveté à la longueur ; car, comme on dit, personne ne nous presse et ne nous poursuit. Nous serions ridicules et méprisables, si nous préférions le plus court au meilleur. Il importe au plus haut point de mettre en quelque sorte dans nos discours une force de persuasion qui fasse croire qu'il y a des dieux, qu'ils sont bons et qu'ils honorent la justice infiniment plus que les hommes. Ce serait là pour toutes nos lois le plus beau et le plus excellent des préludes. Ainsi donc, sans nous impatienter ni nous presser, déployons dans cette discussion toute notre force de persuasion, sans rien omettre, et développons jusqu'au bout nos arguments aussi bien que nous le pourrons.

III

L'ATHÉNIEN J'interprète comme une prière le discours que tu viens de tenir, tant tu y as mis d'empressement et d'ardeur; il ne me permet plus d'hésiter à parler. Parlons donc ; mais comment garder son sang froid, quand on se voit réduit à prouver que les dieux existent ? On ne peut s'empêcher de voir de mauvais oeil et de haïr ceux qui ont été et sont encore aujourd'hui cause de la discussion où nous allons entrer ; qui n'ont pas foi aux contes que, dès leur plus jeune âge, alors qu'ils étaient encore à la mamelle, ils ont entendu de la bouche de leur nourrice et de leur mère, lesquelles enchantaient leurs oreilles sur un ton tantôt badin, tantôt sérieux ; qui ont entendu leurs parents prier dans les sacrifices et ou les cérémonies dont ils sont accompagnées, toujours si agréables à voir et à entendre pratiquer, lorsqu'on est jeune ; qui ont vu leurs parents appliqués avec le plus grand zèle à offrir des sacrifices pour eux-mêmes et pour leurs enfants et s'adressant aux dieux dans leurs prières et leurs supplications, dans la persuasion la plus assurée qu'ils existent ; qui savent et voient de leurs yeux que tous les Grecs et tous les barbares se prosternent et adorent les dieux au lever et au coucher du soleil et de la lune, dans toutes les situations malheureuses ou heureuses de leur vie, parce que, loin de penser que les dieux n'existent pas, ils sont convaincus que leur existence est aussi réelle que possible et qu'il n'y a jamais lieu de soupçonner qu'il n'y a pas de dieux. Et maintenant, au mépris de toutes ces leçons, et sans aucune raison valable, comme le pensent tous ceux qui ont tant soit peu de sens, ils nous forcent à leur tenir le langage que nous leur tenons. Comment pourrait-on reprendre doucement ces gens-la et leur apprendre en même temps qu'il y a des dieux ? Il faut l'essayer pourtant ; car il ne faut pas que, parmi nous, les uns déraisonnent, parce qu'ils sont affamés de plaisirs, et les autres, parce qu'ils sont indignés contre eux.
Adressons-nous donc sans colère à ceux dont l'esprit est ainsi gâté, et refrénant notre indignation, parlons-leur avec douceur, comme si nous conversions avec l'un d'eux : mon enfant, tu es jeune ; mais, en s'avançant, le temps changera bien des choses à tes sentiments actuels et t'en donnera de contraires. Attends jusqu'à ce moment pour juger des choses les plus importantes. Ce que tu tiens à présent pour une chose de nulle conséquence est une chose très importante, je veux dire l'opinion juste qu'on se fait des dieux, opinion d'où dépend la bonne ou la mauvaise conduite de la vie. Mais d'abord je ne crains pas qu'on m'accuse de mentir, si je te dis à ce sujet une chose digne de remarque, c'est que tu n'es pas le seul et que tes amis ne sont pas les premiers qui aient eu cette opinion au sujet des dieux, et qu'il y a toujours plus ou moins de personnes atteintes de cette maladie. Je puis t'assurer, pour avoir fréquenté beaucoup d'entre elles, qu'aucune de celles qui dans leur jeunesse ont embrassé cette opinion que les dieux n'existent pas n'a persisté dans ce sentiment jusqu'à la vieillesse (36), que cependant certaines d'entre elles, mais en petit nombre, ont persévéré dans les deux autres opinions, à savoir que les dieux existent, mais qu'ils ne s'inquiètent pas des affaires humaines ; en outre, qu'ils s'en inquiètent, mais qu'il est facile de les fléchir par des sacrifices et des prières. Pour éclaircir tes doutes autant que possible, tu attendras, si tu m'en crois, en examinant s'il en est ainsi ou autrement, et tu consulteras là-dessus les autres et surtout le législateur. Durant cet intervalle, ne sois point assez téméraire pour offenser les dieux. C'est à celui qui te donne des lois d'essayer maintenant et plus tard de t'enseigner ce qu'il en est des dieux mêmes.
CLINIAS Tout ce que tu as dit jusqu'ici, étranger, nous paraît admirable.
L'ATHÉNIEN J'en suis ravi, Mégillos et Clinias ; mais nous sommes tombés sans nous en apercevoir sur une doctrine étonnante.
CLINIAS De quelle doctrine parles-tu ?
L'ATHÉNIEN D'une doctrine que beaucoup de gens regardent comme la plus ingénieuse de toutes. 
CLINIAS Explique-toi encore plus clairement.

IV

L'ATHÉNIEN Certains prétendent que toutes les choses qui existent, ont existé et existeront doivent leur origine, les unes à la nature, les autres à l'art, les autres au hasard.
CLINIAS N'est-ce pas exact ?
L'ATHÉNIEN Il est vraisemblable que cette prétention d'hommes sages est exacte. Suivons-les cependant à la trace et voyons ce que pensent en somme ceux qui partent de ce principe.
CLINIAS Voyons.
L'ATHÉNIEN Il semble, disent-ils, que les choses les plus grandes et les plus belles sont l'oeuvre de la nature et du hasard, et les plus petites de l'art, qui, recevant de la nature les plus grands et les premiers ouvrages, façonne et produit tous les ouvrages moins importants, que nous appelons artificiels.
CLINIAS Comment dis-tu ?
L'ATHÉNIEN Je vais m'expliquer encore plus clairement. Ils disent que le feu, l'eau, la terre et l'air sont tous produits par la nature et le hasard, et qu'aucun d'eux ne l'est par l'art, et que c'est de ces éléments entièrement privés de vie que les corps de la terre, du soleil, de la lune et des astres se sont formés par la suite. Ces premiers éléments, emportés au hasard par la force propre à chacun d'eux, s'étant rencontrés, se sont arrangés ensemble conformément à leur nature, le chaud avec le froid, le sec avec l'humide, le mou avec le dur, et tout ce que le hasard a forcément mêlé ensemble par l'union des contraires ; et le ciel entier avec tous les corps célestes, les animaux et toutes les plantes, avec toutes les saisons que cette combinaison a fait éclore, se sont trouvés formés de cette façon, non point, disent-ils, par une intelligence, ni par une divinité, ni par l'art, mais, comme nous le disons, par la nature et par le hasard. Dans la suite, l'art né de ces deux principes, inventé par les mortels et mortel lui-même, a donné naissance à ces jouets qui n'ont que peu de part à la vérité, mais qui sont des images parentes entre elles, telles que celles qu'enfantent la peinture, la musique et tous les arts qui les accompagnent. Les arts qui produisent quelque chose de sérieux sont ceux qui ajoutent leur propre vertu à la nature, comme la médecine, l'agriculture et la gymnastique. La politique aussi ne participe que faiblement de la nature et relève de l'art pour sa plus grande partie ; c'est pourquoi la législation tout entière n'est pas l'oeuvre de la nature, mais de l'art, et les lois qu'elle pose n'ont rien de vrai.
CLINIAS Comment cela ?
L'ATHÉNIEN Tout d'abord mon bienheureux ami, ils prétendent que les dieux n'existent point par nature, mais par art et en vertu de certaines lois, et que ces dieux diffèrent suivant que chaque peuple s'est entendu avec lui-même pour les imposer dans sa législation ; que la morale aussi est autre suivant la nature, et autre suivant la loi ; que la justice non plus n'existe pas du tout par nature, mais que les hommes sont toujours en contestation à son sujet et y font des changements continuels, et que les dispositions nouvelles qu'il ont adoptées s'imposent aussitôt avec l'autorité qu'elles tiennent de l'art et des lois, et non de la nature. Voilà, mes amis, ce que nos sages débitent à la jeunesse, soutenant que les prescriptions que le vainqueur impose par violence sont d'une justice parfaite. De là les impiétés qu'on voit chez les jeunes gens, quand ils pensent que les dieux ne sont pas tels qu'ils doivent se les représenter pour obéir à la loi ; de là les séditions, parce qu'ils sont attirés vers une vie conforme à la nature et qui consiste à dominer véritablement les autres et à ne point les servir conformément à la loi.
CLINIAS Quelle doctrine tu viens d'exposer, étranger, et quelle peste pour les États et pour les maisons particulières, quand la jeunesse est ainsi gâtée !
L'ATHÉNIEN Tu dis vrai, assurément, Clinias. Dès lors, que crois-tu que doit faire le législateur avec des gens si bien préparés de longue main ? Se contentera-t-il, debout dans la cité, de menacer ceux qui ne reconnaîtront pas qu'il y a des dieux et qui ne s'en feront pas la même idée que la loi, qui ne parleront pas comme elle de l'honnête, du juste et de tous les objets les plus importants, et, en tout ce qui a rapport à la vertu et au vice, ne penseront pas qu'il faut se conduire comme le législateur l'aura prescrit dans ses lois, ajoutant que ceux qui refuseront de se soumettre aux lois seront, les mis condamnés à mort, les autres punis du fouet et de la prison, ceux-ci privés de droits du citoyen, ceux-là réduits à l'indigence et à l'exil ? Et, tout en donnant ses lois, ne joindra-t-il pas à ses discours de quoi persuader les esprits et les adoucir autant que possible ?
CLINIAS Non, étranger, il ne se bornera pas aux menaces ; mais, s'il y a quelque moyen, si faible qu'il soit, de persuader ces vérités aux citoyens, le législateur, pour peu qu'il mérite ce nom, ne devra pas se rebuter. Il devra plutôt, comme on dit, n'épargner aucune parole pour appuyer la vieille loi et démontrer l'existence des dieux et tout ce que tu viens d'exposer ; il devra se porter au secours de la loi elle-même et de l'art, pour montrer qu'ils n'existent pas moins par nature que la nature elle-même, puisque ce sont des productions de l'intelligence, suivant la droite raison que tu me parais défendre et en laquelle j'ai foi comme toi.
L'ATHÉNIEN Ton zèle est admirable, Clinias ; mais c'est bien difficile à la foule de suivre ces discours, qui d'ailleurs ont une étendue sans fin !
CLINIAS Quoi donc, étranger ? Nous nous sommes patiemment étendus sur l'ivresse et la musique, et nous n'aurons pas la patience de nous étendre sur les dieux et les objets semblables ? Cela peut être aussi d'un très grand secours pour une législation sage, parce que, pouvant en tout temps rendre raison de ses prescriptions, elle demeure inébranlable. Aussi ne faut-il pas s'alarmer si la discussion est au commencement difficile à suivre, puisque, si lent d'esprit qu'on soit, on peut y revenir et y réfléchir ; et, si longue qu'elle soit, si elle est utile, il n'est pas du tout raisonnable ni permis à qui que ce soit de ne pas prêter main forte à ces discours clans la mesure où chacun le peut.
MÉGILLOS A mon avis, étranger, Clinias a très bien parlé.
L'ATHÉNIEN Oui, certes, Mégillos, et il faut faire ce qu'il dit. Si ces doctrines n'étaient pas répandues chez presque tous les hommes, il ne serait pas besoin d'y remédier en prouvant l'existence des dieux ; mais on ne peut s'en dispenser. Et à qui plutôt qu'au législateur, convient-il de venir au secours des lois les plus importantes, que des hommes pervers s'efforcent de renverser ?
CLINIAS A personne.

V

L'ATHÉNIEN Mais réponds-moi encore, Clinias ; car il faut que tu prennes ta part de la discussion. Il semble bien que celui qui soutient une telle doctrine regarde le feu, l'eau, la terre et l'air comme les premiers de tous les êtres, que c'est à eux qu'il donne le nom de nature et que c'est d'eux que l'âme tire ensuite son origine. Mais que dis-je : il semble ? C'est bien réellement qu'ils le signifient dans leurs discours.
CLINIAS Cela est certain.
L'ATHÉNIEN Eh bien, au nom de Zeus, n'avons-nous pas trouvé pour ainsi dire la source de l'opinion insensée de tous ceux qui jusqu'à présent se sont occupés des recherches sur la nature ? Examine avec soin tout ce qu'ils disent. Ce ne serait pas pour nous un médiocre avantage, si nous d pouvions faire voir que ceux qui soutiennent ces opinions impies et qui en entraînent d'autres à leur suite ne raisonnent pas juste, mais d'une manière erronée. Or, je crois que c'est leur cas.
CLINIAS C'est bien dit, mais explique-nous comment.
L'ATHÉNIEN Je vois bien qu'il faut nous engager dans une discussion qui sort de l'ordinaire.
CLINIAS Il ne faut pas hésiter, étranger. Je comprends bien ta pensée : tu crois que nous allons sortir de notre sujet, la législation, si nous entamons cette discussion. Mais s'il n'y a pas d'autre moyen de nous mettre d'accord avec notre loi qui admet l'existence des dieux, il faut bien, mon admirable ami, en passer par là.
L'ATHÉNIEN Voici déjà, ce me semble, un propos peu ordinaire que je peux avancer: ce qui est la cause première de la génération et de la destruction de tous les êtres n'est pas la première en date, mais la seconde, si l'on s'en rapporte à ceux qui ont semé l'impiété dans les esprits. De là vient leur erreur sur la réelle existence des dieux.
CLINIAS Je ne te comprends pas encore.
L'ATHÉNIEN Il me semble, camarade, que ces gens-là ont ignoré la nature de l'âme et ses propriétés. Ils n'ont pas vu qu'en tout le reste et surtout quant à l'origine, elle est un des premiers êtres, qu'elle a existé avant les corps et qu'elle préside plus qu'aucune autre chose à leurs changements et à leur arrangement. S'il en est ainsi, n'est-il pas de toute nécessité que tout ce qui est parent, de l'âme ait existé avant ce qui appartient au corps, puisqu'elle est plus vieille que le corps ?
CLINIAS C'est forcé.
L'ATHÉNIEN Par conséquent, l'opinion, la prévoyance, l'intelligence, l'art et la loi sont antérieurs aux objets durs et mous, aux lourds et aux légers, comme aussi les grands et premiers ouvrages et les premières opérations appartiennent à l'art, puisqu'ils sont parmi les premiers objets qui aient existé ; mais les productions de la nature et la nature, ou plutôt ce qu'ils appellent faussement la nature, sont postérieures et viennent de l'art et de l'intelligence.
CLINIAS En quoi leur assertion est-elle fausse ?
L'ATHÉNIEN Ils entendent par nature la génération des premiers êtres. Mais, si c'est l'âme qui apparaît d'abord, si ce n'est ni le feu, ni l'air, mais l'âme qui a été créée parmi les premiers êtres, il est tout à fait logique de dire qu'elle existe plus que tout autre par nature. Il en est ainsi, si l'on prouve que l'âme est plus vieille que le corps ; autrement, non.
CLINIAS Tu dis très vrai.
L'ATHÉNIEN Dès lors apprêtons-nous à cette tâche.
CLINIAS Sans doute. 
L'ATHÉNIEN Tenons-nous bien en garde contre un sophisme trompeur fait pour séduire la jeunesse ; craignons qu'il ne nous séduise, nous vieillards, et qu'après s'être échappé de nos mains, il ne nous couvre de ridicule et ne fasse dire aux gens que, nous chargeant de trop grandes entreprises, nous manquons même les petites. Voyons donc comment il faut, nous y prendre. Supposons que nous ayons tous les trois une rivière au courant rapide à traverser, et que moi, étant le plus jeune et ayant déjà passé plusieurs rivières, je vous dise qu'il faut, vous laissant en sûreté, que j'essaye le premier de m'assurer par moi-même si le courant est guéable pour vous qui êtes vieux, ou s'il en est autrement, et qu'après m'en être assuré, je vous appelle alors et vous aide à passer grâce à mon expérience ; qu'au contraire, si le courant est infranchissable pour vous, que je prenne sur moi le danger : ne trouverez-vous pas alors ma proposition raisonnable ? Eh bien, c'est à présent notre cas ; la discussion que nous allons engager est entraînante et peut-être n'est-elle pas guéable pour vos forces à tous deux. Aussi est-il à craindre qu'elle ne vous trouble la tête et ne vous donne le vertige, en vous emportant dans un torrent d'interrogations auxquelles vous n'êtes pas exercés à répondre et qu'elle ne vous jette dans une situation qui siérait mal à votre âge et ne vous plairait pas. Aussi je crois devoir à présent procéder ainsi : je m'interrogerai moi-même et vous m'écouterez en toute sûreté, puis je me répondrai, et je poursuivrai toute cette dispute jusqu'à ce que je l'aie menée à son terme et que j'aie démontré que l'âme a existé avant le corps.
CLINIAS Il nous semble qu'on ne saurait mieux dire. Fais donc comme tu dis.

VI

L'ATHÉNIEN Commençons donc. Si jamais nous avons eu besoin d'appeler les dieux à notre secours, c'est à ce moment qu'il faut le faire. Implorons-les donc avec instance pour démontrer leur existence, et nous attachant à eux comme à une ancre sûre, embarquons-nous dans la dispute présente. Si l'on me fait à ce sujet les questions que je vais dire, le plus sûr me paraît être d'y répondre comme il suit. Si l'on me pose cette question : est-ce que tout est immobile, étranger, et rien en repos, ou est-ce tout le contraire, ou enfin les choses sont-elles, les unes immobiles et les autres en mouvement ? je répondrai : les unes sont en mouvement, les autres immobiles. - N'est-ce pas dans quelque espace que les choses immobiles sont en repos et les mobiles en mouvement ? - Sans doute. - Et les unes y sont dans un seul endroit, les autres en plusieurs ? - Tu veux dire, répondrai-je, que les corps qui ont en leur milieu la nature des corps immobiles se meuvent sans changer de place, de même que la circonférence des cercles qu'on dit immobiles, tourne sur elle-même. - Oui. - Nous comprenons que dans cette révolution circulaire le mouvement qui fait tourner à la fois le plus grand et le plus petit cercle se distribue proportionnellement au plus grand et au plus petit, étant lui même plus grand ou plus faible dans la même proportion. Aussi y a-t-il de quoi s'étonner de tout cela, en voyant que la force mouvante communique à la fois aux grands et aux petits cercles la lenteur et la vitesse proportionnée, phénomène qu'on pourrait croire impossible. - Rien de plus vrai. - Par les corps qui changent de place, il me paraît que tu entends ceux qui, emportés par le mouvement, passent sans cesse d'un lieu à un autre, et qui tantôt n'ont qu'un même centre comme base de leur mouvement, tantôt en ont plusieurs, parce qu'ils roulent dans l'espace. Tu dis aussi que, chaque fois qu'il se rencontrent, ils se divisent, s'ils heurtent des corps en repos ; qu'au contraire ceux qui, poussés l'un vers l'autre de points opposés, tendent au même point se combinent en corps Intermédiaires entre les deux. - Je conviens que les choses se passent comme tu le dis.- Tu conviens aussi qu'ils s'augmentent par la combinaison et diminuent par la division, quand leur forme constitutive persiste, et que, si elle ne persiste pas, ils périssent par l'une et l'autre. Quelle est donc la cause de la génération et quand se produit-elle ?  C'est lorsque un élément, ayant reçu de l'accroissement passe à un second et de celui-ci à un autre voisin, et qu'arrivé au troisième, il devient sensible pour ce qui est capable de sensation. C'est en se transformant et se déplaçant ainsi que tout se fait. Chaque chose existe réellement quand elle est fixée, mais, quand elle passe à un autre état, elle est entièrement corrompue. N'avons-nous pas énuméré tous les mouvements, y compris leurs espèces, excepté deux, mes amis ?
CLINIAS Lesquels ?
L'ATHÉNIEN Ceux qui font l'objet de notre présente dispute.
CLINIAS Parle plus clairement.
L'ATHÉNIEN N'est-ce pas l'âme qui en est l'objet ?
CLINIAS Sans doute.
L'ATHÉNIEN Distinguons donc deux espèces de mouvement : l'un qui peut mouvoir d'autres objets, tout en étant incapable de se mouvoir lui-même, l'autre qui peut toujours se mouvoir lui-même et d'autres choses par des combinaisons et des divisions, des augmentations et des diminutions, par des générations et des corruptions, et qui est seule de son espèce.
CLINIAS Soit.
L'ATHÉNIEN Nous compterons donc pour la neuvième espèce de mouvement celui qui meut d'autres objets et qui change par l'effet d'un autre ; quant à celui qui se meut lui-même et d'autres, qui s'accommode également de l'état actif et de l'état passif et qu'on appelle le changement et le mouvement réel de tous les êtres, celui-là nous dirons qu'il est le dixième.
CLINIAS Sans contredit.
L'ATHÉNIEN Des dix mouvements que nous avons reconnus, lequel convient-il particulièrement de préférer, comme étant incomparablement le plus fort et le plus agissant ?
CLINIAS Il faut bien reconnaître que celui qui peut se mouvoir lui-même est mille fois supérieur aux autres, et que ceux-ci viennent tous à sa suite.
L'ATHÉNIEN C'est bien dit. Mais de ces mouvements dont nous venons de parler peu exactement, ne faut-il pas en transposer un ou deux ?
CLINIAS Lesquels veux-tu dire ?
L'ATHÉNIEN Nous nous sommes mal exprimés en disant que c'est le dixième.
CLINIAS Comment cela ?
L'ATHÉNIEN Il est logique de le mettre le premier pour l'existence et la force. Après celui-là et au second rang vient celui que nous avons rangé mal à propos au neuvième.
CLINIAS Comment cela ? 

VII

L'ATHÉNIEN Voici. Quand une chose produit du changement dans une autre et que celle-ci en meut successivement d'autres, y a-t-il jamais parmi ces choses un principe de changement, et comment, lorsqu'elle est mue par une autre, pourrait-elle être la première motrice ? Cela est impossible. Mais lorsqu'une chose qui s'est mise elle-même en mouvement cause du changement dans une autre, et celle-ci dans une troisième et qu'il y a ainsi des milliers et des milliers de choses mues, est-ce qu'il y a pour elles un autre principe de tous ces mouvements que le changement de celle qui s'est mue elle-même ?
CLINIAS C'est très bien dit, et l'on ne peut qu'y acquiescer.
L'ATHÉNIEN Disons encore ceci et répondons-nous encore à nous-même. Si toutes les choses existaient ensemble dans un complet repos, comme la plupart de ces gens-là osent le soutenir, dans laquelle devrait avoir lieu le premier mouvement ?
CLINIAS Dans celle qui se meut elle-même ; car jamais elle ne pourrait être mue par une autre, si auparavant les autres ne subissent aucun changement.
L'ATHÉNIEN Nous dirons donc que le principe de tous les mouvements, le premier qui se soit produit dans les choses en repos et dans celles qui sont actuellement en mouvement, le principe qui se meut lui-même est nécessairement la plus ancienne et la plus considérable de toutes les espèces de changement, et nous mettrons au second rang le changement qui est produit par un autre et qui meut d'autres choses.
CLINIAS Rien de plus vrai.
L'ATHÉNIEN Puisque nous en sommes venus à ce point de notre dispute, répondons à une chose. 
CLINIAS Laquelle ?
L'ATHÉNIEN Si nous voyons ce mouvement se produire dans une substance quelconque, terrestre, aqueuse, ignée, simple ou composée, dans quel état dirons-nous qu'est cette substance ?
CLINIAS Ne me demandes-tu pas si nous la dirons vivante, quand elle se meut d'elle-même ?
L'ATHÉNIEN Si.
CLINIAS Elle vit en effet ; il est impossible qu'il en soit autrement.
L'ATHÉNIEN Mais quoi ? Lorsque nous voyons une âme en certaines choses, ne faut-il pas reconnaître que c'est précisément par l'âme que cette chose est vivante ?
CLINIAS Ce ne peut être par autre chose.
L'ATHÉNIEN Mais dis-moi, au nom de Zeus : ne voudrais-tu pas concevoir dans chaque objet trois choses ?
CLINIAS Comment ? 
L'ATHÉNIEN L'une est sa substance, l'autre la définition de sa substance, la troisième son nom. De plus il y a sur chaque être deux questions à faire.
CLINIAS Comment, deux questions ?
L'ATHÉNIEN Tantôt, proposant le nom seul, nous en demandons la définition, et tantôt, proposant la définition seule, nous demandons le nom. Vois si ce n'est point ceci que nous voulons dire maintenant.
CLINIAS Quoi ?
L'ATHÉNIEN Le nom et la définition sont distincts en bien des choses, en particulier dans le double : en tant que nombre, son nom est pair, et sa définition, un nombre divisible en deux parties égales.
CLINIAS Oui.
L'ATHÉNIEN C'est cela même que je veux dire. N'est-ce donc pas la même chose que nous désignons de deux façons, soit qu'on nous demande la définition et que nous répondions par le nom, soit qu'on nous demande le nom et que nous répondions par la définition, appelant le même nombre par son nom, qui est pair, et par sa définition, qui est un nombre divisible en deux parties égales ?
CLINIAS Sans contredit.
L'ATHÉNIEN Et maintenant quelle est la définition, qui correspond au nom d'âme ? Y en a-t-il une autre que celle que nous avons dite tout à l'heure, la substance qui est capable de se mouvoir d'elle-même ?
CLINIAS Tu dis que la définition de cette substance à laquelle nous donnons tous le nom d'âme est de se mouvoir d'elle- même ?
L'ATHÉNIEN C'est ce que j'affirme, et, s'il en est ainsi, pouvons-nous désirer encore une démonstration plus complète que l'âme est la même chose que le premier principe de la génération et du mouvement, comme aussi de la corruption et du repos, dans tous les êtres présents, passés et à venir, puisque nous avons vu qu'elle est la cause de tous les changements et dite tous les mouvements dans tout ce qui existe ?
CLINIAS Non ; il a été parfaitement démontré que l'âme est le plus ancien de tous les êtres, puisqu'elle est le principe du mouvement.
L'ATHÉNIEN Dès lors, n'est-il pas vrai que l'espèce de mouvement suscité dans une substance par une autre, mais dans une substance qui ne produit jamais elle-même aucun mouvement en elle-même, doit être mise au second degré, et même à autant de degrés que l'on voudra, puisqu'elle n'est autre chose que le changement d'un corps qui n'a réellement pas d'âme ?
CLINIAS C'est juste.
L'ATHÉNIEN Nous nous sommes donc exprimés d'une manière exacte, propre, très vraie et très parfaite, en disant que l'âme a existé avant le corps, et que le corps a existé le second et postérieurement à l'âme qui le commande, et à laquelle il est naturellement soumis. 
CLINIAS Rien n'est plus vrai.

VIII

L'ATHÉNIEN Or nous nous souvenons d'être tombés d'accord que, s'il était démontré que l'âme est plus ancienne que le corps, nous conclurions que ce qui appartient à l'âme est plus ancien que ce qui appartient au corps.
CLINIAS Certainement.
L'ATHÉNIEN Par conséquent les caractères, les moeurs, les volontés, les raisonnements, les opinions vraies, la prévoyance et la mémoire ont existé avant la longueur, la largeur, la profondeur et la force des corps, puisque l'âme elle-même a existé avant le corps.
CLINIAS C'est une conséquence nécessaire.
L'ATHÉNIEN Dès lors, n'est-ce pas aussi une nécessité d'avouer que l'âme est la cause des biens et des maux, des belles choses et des laides, du juste et de l'injuste et de tous les contraires, si nous admettons qu'elle est la cause de tout ? 
CLINIAS Sans contredit.
L'ATHÉNIEN N'est-il pas aussi nécessaire de reconnaître que l'âme qui habite en tout ce qui se meut et le dirige, gouverne aussi le ciel ?
CLINIAS Sans doute.
L'ATHÉNIEN Cette âme est-elle unique, ou y en a-t-il plusieurs ? Je réponds pour vous deux qu'il y en a plusieurs. N'en mettons pas moins de deux, l'une qui fait du bien, l'autre qui a le pouvoir de faire le contraire.
CLINIAS C'est très bien dit.
L'ATHÉNIEN Soit. L'âme gouverne donc tout. ce qui est dans le ciel, sur la terre et dans la mer, par les mouvements qui lui sont propres et qu'on nomme volonté, examen, prévoyance, délibération, opinion vraie ou fausse, joie, chagrin, confiance, crainte, haine, affection, et par tous les mouvements parents de ceux-là, qui sont les premières causes efficientes et qui, s'adjoignant pour les seconder les mouvements des corps, produisent dans tous les êtres l'accroissement et le dépérissement, la division et la composition et les effets qui s'ensuivent, comme la chaleur et le refroidissement, la pesanteur et la légèreté, la dureté et la mollesse, le blanc et le noir, la rudesse et la douceur, et tous les mouvements qui sont au service de l'âme, qui, s'adjoignant toujours dans sa marche régulière l'intelligence qui est une déesse, gouverne avec sagesse et conduit tout au bonheur, au lieu que, si elle s'associe à l'imprudence, elle effectue tout le contraire. Admettons-nous que les choses se passent ainsi ou doutons-nous encore si elles se passent autrement ?
CLINIAS Pas du tout.
L'ATHÉNIEN Et maintenant laquelle des deux âmes dirons-nous qui gouverne le ciel, la terre et toute la voûte céleste ? Est-ce l'âme sage et pleine de vertu, ou celle qui n'a ni l'une ni l'autre de ces qualités ? Voulez-vous que nous répondions à cette question comme il suit ? 
CLINIAS Comment ?
L'ATHÉNIEN Disons-le : si toute la marche et la révolution du ciel et de tous les corps célestes sont de la même nature que le mouvement, la révolution et les raisonnements de l'intelligence et vont d'accord avec elle, il est évident qu'on doit en conclure que c'est la bonne âme qui s'occupe de tout l'univers et le conduit dans la voie qu'il suit.
CLINIAS C'est juste.
L'ATHÉNIEN Et qu'au contraire c'est la mauvaise, si le monde va follement et sans ordre.
CLINIAS Cela aussi est juste.
L'ATHÉNIEN Quelle est donc la nature du mouvement de l'intelligence ? C'est là une question à laquelle il est difficile de répondre prudemment. C'est pourquoi il est à propos que je vous aide à trouver la réponse.
CLINIAS Tu as raison.
L'ATHÉNIEN N'imitons pas ceux qui regardent le soleil en face et s'aveuglent les yeux en plein midi ; ne répondons pas comme si nous devions jamais voir et connaître parfaitement l'intelligence avec nos yeux mortels : nous la verrons plus sûrement, en regardant son image.
CLINIAS De quelle image parles-tu ?
L'ATHÉNIEN Parmi les dix espèces de mouvement dont il a été question plus haut, prenons celle qui ressemble au mouvement de l'intelligence. Je vais vous la rappeler et nous ferons notre réponse en commun.
CLINIAS Ce sera très bien.
L'ATHÉNIEN De ce que nous avons dit alors, nous nous rappelons encore au moins ceci, c'est que nous avons reconnu que, de tous les êtres qui existent, les uns sont en mouvement, les autres en repos.
CLINIAS Oui.
L'ATHÉNIEN Et que parmi ceux qui se meuvent, les uns ne changent pas de place, les autres vont d'un lieu à un autre. 
CLINIAS C'est cela. 
L'ATHÉNIEN De ces deux mouvements, celui qui se fait toujours à la même place tourne nécessairement autour d'un centre, à l'imitation des cercles qu'on fabrique au tour, et doit avoir avec la révolution de l'intelligence une parenté et une ressemblance aussi complète que possible.
CLINIAS Comment cela ?
L'ATHÉNIEN Quand nous disons que l'intelligence et le mouvement qui se fait dans la même place, semblables aux mouvements d'une sphère sur le tour, s'exécutent certainement tous les deux suivant les mêmes règles, de la même manière, dans le même lieu, autour du même centre et vers les mêmes choses, selon la même proposition et le même ordre, nous n'avons pas à craindre qu'on nous prenne, en nous entendant parler, pour de médiocres artisans de belles images. 
CLINIAS
Tu parles on ne peut plus juste.
L'ATHÉNIEN Par contre, le mouvement qui ne se fait jamais de la même manière, ni suivant les mêmes règles, ni dans la même place, ni autour du même centre, ni vers les mêmes choses, qui ne se produit pas en un seul endroit, qui ne garde ni rang ni ordre, ni aucune proportion définie, ressemble tout à fait à l'imprudence.
CLINIAS Cela semble très vrai.
L'ATHÉNIEN A présent, il n'est plus du tout difficile de répondre nettement que, puisque c'est l'âme qui imprime à l'univers le mouvement circulaire, il faut nécessairement dire que cette révolution du ciel, c'est, ou l'âme bonne, ou la mauvaise qui s'en occupe et la règle.
CLINIAS Vraiment, étranger, après ce que tu viens de démontrer, il n'est même pas permis de dire autre chose, sinon que c'est une ou plusieurs âmes douées de toutes les perfections qui font tourner l'univers.
L'ATHÉNIEN Tu as parfaitement suivi mon raisonnement, Clinias. Mais écoute encore ceci.
CLINIAS Qu'est-ce ?

IX

L'ATHÉNIEN Si l'âme fait tourner le soleil, la lune et tous les astres, ne fait-elle pas tourner chacun en particulier ?
CLINIAS Sans doute.
L'ATHÉNIEN Faisons donc nos réflexions sur un seul astre : elles s'appliqueront évidemment à tous.
CLINIAS Sur lequel ?
L'ATHÉNIEN Sur le soleil. Tout le monde voit le corps de cet astre, mais personne ne voit son âme, non plus que celle d'aucun animal vivant ou mort. Mais il y atout lieu de croire que cette espèce de substance est de telle nature qu'elle ne e peut être perçue par nos sens corporels, et qu'elle ne peut être saisie que par l'intelligence. Prenons-en donc par la seule intelligence et la seule imagination l'idée que voici.
CLINIAS Quelle idée ?
L'ATHÉNIEN Puisque c'est une âme qui conduit le soleil, en disant qu'elle fait de trois choses l'une, nous ne risquons guère de nous tromper.
CLINIAS Quelles sont ces trois choses ?
L'ATHÉNIEN Ou bien l'âme, logée à l'intérieur de ce corps rond que nous voyons le transporte partout comme notre âme porte notre corps en tous les sens ; ou bien, s'étant procuré mi corps de feu ou d'air, comme quelques-uns le prétendent, elle s'en sert pour pousser du dehors le corps du soleil ; ou enfin, dégagée de tout corps, elle dirige le soleil par certaines autres vertus tout à fait admirables.
CLINIAS Oui.
L'ATHÉNIEN C'est donc une nécessité que l'âme dirige tout par un de ces trois moyens. Mais, soit que, conduisant le soleil sur un char, elle distribue, la lumière à tout le monde, soit qu'elle le pousse du dehors, soit qu'elle agisse sur lui de toute autre manière et par toute autre voie, chacun doit la regarder comme une divinité. Autrement, que faut-il en dire ?
CLINIAS Il doit la regarder comme telle, à moins qu'il ne soit arrivé au dernier degré de la déraison.
L'ATHÉNIEN Et maintenant, s'il s'agit de tous les astres, de la lune, des années, des mois et de toutes les saisons, qu'en dirons-nous, sinon ce que nous venons de dire du soleil, que, puisque nous avons montré qu'une âme ou des âmes sont les causes de tout cela et sont douées de toutes les perfections, il faut les tenir pour des divinités, soit qu'elles habitent dans des corps, et que, sous forme d'animaux, elles gouvernent tout le ciel, soit qu'elles le fassent d'une autre façon et par une autre voie. Si l'on convient de ces choses, peut-on soutenir que l'univers n'est pas plein de dieux ?
CLINIAS Non, étranger, il n'y a personne qui soit à ce point déraisonnable.
L'ATHÉNIEN Finissons ici, Mégillos et Clinias, notre dispute contre ceux qui jusqu'ici ne croyaient pas aux dieux, après leur avoir indiqué nos conditions.
CLINIAS Quelles conditions ?
L'ATHÉNIEN C'est de nous faire voir que nous avons tort d'admettre que l'âme est le principe originel de toutes choses et de déduire toutes les conséquences qui se tirent de là, ou, s'ils n'ont pas mieux à dire que nous, de nous écouter et de vivre désormais persuadés de l'existence des dieux. Voyons donc si ce que nous avons dit suffit pour convaincre les incrédules qu'il y a des dieux, ou s'il reste quelque chose à dire.
CLINIAS Cela suffit parfaitement, étranger.

X

L'ATHÉNIEN Arrêtons donc là notre discussion sur ce point. Passons à celui qui, tout en croyant qu'il y a des dieux, est persuadé qu'ils ne s'occupent pas des affaires humaines et instruisons-le. Excellent homme, lui dirons-nous, si tu crois qu'il y a des dieux, c'est sans cloute qu'une sorte d'affinité entre leur nature et la tienne te porte à les honorer et à croire à leur existence. Mais en voyant prospérer des particuliers et des hommes publics méchants et injustes, qui en réalité ne sont pas heureux, mais que l'on croit, à tort, au comble du bonheur, tu te jettes dans l'impiété, parce que les poètes et toutes sortes de gens les vantent mal à propos dans leurs discours. Il se peut aussi qu'ayant vu des impies parvenir au terme de la vieillesse ne laissant derrière eux les enfants de leurs enfants élevés aux plus grands honneurs, tu te sentes à présent troublé de tous ces désordres, ou peut-être encore parce que tu auras appris par ouï dire, ou que le hasard t'aura fait voir de tes propres yeux un grand nombre d'actions impies et terribles qui ont servi de degrés à certains hommes pour s'élever d'une basse condition à la tyrannie et aux plus hautes dignités. C'est pour toutes ces raisons, je le vois, que ne voulant pas, à cause de ta parenté avec les dieux, les accuser d'être les auteurs de ces désordres, mais poussé par de faux raisonnements et ne pouvant t'en prendre aux dieux, tu en es venu maintenant à ce point de croire qu'ils existent, mais qu'ils dédaignent les affaires humaines et ne s'y intéressent pas. Aussi pour que ton opinion présente ne vienne pas augmenter ta disposition à l'impiété, nous allons, si nous en sommes capables, essayer d'en conjurer pour ainsi dire les approches, en rattachant la discussion qui va suivre à celle que nous avons achevée, lorsque nous nous sommes adressés d'abord à celui qui niait absolument l'existence des dieux. Nous allons à présent la diriger contre ce jeune homme. Quant à vous, Clinias et Mégillos, chargez-vous encore, comme vous l'avez fait précédemment, de répondre pour ce jeune homme. Si au cours de l'entretien il se présente quelques difficultés, je vous prendrai tous les deux, comme tout à l'heure, et je vous ferai passer la rivière.
CLINIAS C'est bien dit. Fais cela de ton côté, du nôtre nous ferons ce que tu demandes de notre mieux.
L'ATHÉNIEN Il n'y aura peut-être pas du moins la moindre difficulté à montrer que les dieux ne s'occupent pas moins des petites choses que des plus grandes. Il a entendu, puisqu'il était présent, ce que nous avons dit tout à l'heure, qu'étant parfaits de tout point, ils s'occupent de l'univers entier avec un soin qui leur est spécialement propre.
CLINIAS Oui, il l'a fort bien entendu.
L'ATHÉNIEN Et maintenant qu'il examine avec nous de quelles perfections nous entendons parler, quand nous convenons que les dieux sont parfaits. Voyons : la tempérance et l'intelligence sont bien des vertus, selon nous, et les qualités contraires des vices ?
CLINIAS Oui.
L'ATHÉNIEN Et le courage, n'est-ce pas une vertu, et la lâcheté un vice ?
CLINIAS Si, assurément.
L'ATHÉNIEN De ces qualités, les unes ne sont-elles pas, à notre avis, honnêtes, et les autres malhonnêtes ?
CLINIAS Nécessairement.
L'ATHÉNIEN Pour celles de ces qualités qui sont mauvaises, ne dirons-nous pas, si nous les avons, qu'elles sont le partage de notre nature, mais que les dieux n'y ont aucune part, ni petite, ni grande ?
CLINIAS Pour cela aussi, tout le monde sera de cet avis.
L'ATHÉNIEN Mais quoi ? Compterons-nous pour des vertus de l'âme la négligence, la paresse, la mollesse ? Qu'en dites-vous ?
CLINIAS Comment le pourrait-on ?
L'ATHÉNIEN Ne faut-il pas plutôt les ranger parmi les défauts ?
CLINIAS Si. 
L'ATHÉNIEN Nous mettrons donc les qualités contraires dans le rang contraire ?
CLINIAS Oui, dans le rang contraire.
L'ATHÉNIEN Mais alors, l'homme mou, négligent, paresseux, celui que le poète assimile aux frelons oisifs, ne nous parait-il pas à tous comme un frelon véritable ?
CLINIAS Si, la comparaison est très juste.
L'ATHÉNIEN Il ne faut donc pas attribuer à Dieu ce caractère, qu'il déteste lui-même, ni souffrir qu'on essaye de tenir un pareil langage.
CLINIAS Non certes, on ne peut le souffrir.
L'ATHÉNIEN Mais si quelqu'un, chargé de faire et de surveiller certaines affaires, n'applique son intelligence qu'aux grandes et néglige les petites, comment pourrions-nous approuver sa conduite, sans nous fourvoyer complètement ? Examinons la chose de cette manière. Ne peut-on pas ramener à deux les motifs de celui qui agit ainsi, dieu ou homme ?
CLINIAS Quels motifs ?
L'ATHÉNIEN Ou bien il pense que la négligence des petites choses n'importe en rien pour le tout, ou, s'il croit qu'elle importe, c'est par indolence et par mollesse qu'il les néglige. La négligence peut-elle avoir une autre cause ? Car, lorsqu'il est impossible de pourvoir à tout, on ne peut taxer de négligence ce qui néglige ou les petites ou les grandes affaires, du moment que, Dieu ou homme chétif. il n'a ni les moyens ni la capacité de s'occuper de toutes.
CLINIAS Comment le pourrait-il alors ?

XI

L'ATHÉNIEN Maintenant que nos deux adversaires, qui confessent l'un et l'autre qu'il y a des dieux, mais dont l'un prétend qu'on peut les fléchir et l'autre qu'ils ne s'inquiètent. pas des petites choses, répondent à ce que nous leur proposons tous les trois. Avouez d'abord tous les deux que les dieux connaissent, voient et entendent tout, et que rien ne petit leur échapper de ce que perçoivent les sens et les sciences. L'avouez-vous, oui ou non ?
CLINIAS Oui.
L'ATHÉNIEN Avouez aussi qu'ils peuvent tout ce que les mortels et les immortels sont capables.
CLINIAS Comment nos contradicteurs eux-mêmes n'en conviendraient-ils pas ?
L'ATHÉNIEN Nous sommes d'ailleurs convenus tous les cinq qu'ils sont bons et parfaits.
CLINIAS Nous avons été bien d'accord là-dessus.
L'ATHÉNIEN Mais n'est-il pas impossible de dire qu'ils font quoi que ce soit avec indolence et mollesse, étant tels que nous le reconnaissons ? Car la paresse est fille de la lâcheté, et l'indolence, fille de la paresse et de la mollesse.
CLINIAS Rien n'est plus vrai.
L'ATHÉNIEN Donc aucun des dieux n'est négligent par paresse ni par indolence; car ils n'ont point de part à la lâcheté.
CLINIAS Ce que tu dis est parfaitement juste.
L'ATHÉNIEN Il reste donc deux hypothèses, s'il est vrai qu'ils négligent les petites et menues choses dans le gouvernement de l'univers, l'une est qu'ils en agissent ainsi parce qu'ils savent qu'ils n'ont pas du tout à s'occuper d'aucune de ces choses, l'autre, la seule qui reste, qu'ils sont persuadés du contraire.
CLINIAS La seule en effet.
L'ATHÉNIEN Eh bien, mon bon, mon excellent ami, quel est ton sentiment ? Préfères-tu soutenir que les dieux ignorent que c'est à eux d'en prendre soin et que c'est par ignorance qu'ils les négligent, ou bien que, connaissant leur devoir, ils se comportent comme les plus méprisables des hommes, qui, sachant qu'il y a quelque chose à faire de mieux que ce qu'ils font, ne le font pas, parce qu'ils se laissent vaincre par le plaisir ou la douleur ?
CLINIAS Comment cela pourrait-il être ?
L'ATHÉNIEN Les affaires humaines sont-elles en dehors de la nature animée, et l'homme n'est-il pas celui de tous les animaux celui qui révère le plus la divinité ?
CLINIAS Il le semble bien en tout cas.
L'ATHÉNIEN Or nous soutenons que tous les êtres mortels sont une possession des dieux, comme le ciel tout entier.
CLINIAS Sans contredit.
L'ATHÉNIEN Et maintenant qu'on dise, si l'on veut, que nos affaires sont petites ou grandes aux yeux des dieux. Ni dans l'un ni dans l'autre cas, il ne convient que ceux à qui nous appartenons nous négligent, alors qu'ils sont très soigneux et très bons. Examinons donc encore ce point.
CLINIAS Lequel ?
L'ATHÉNIEN Il se rapporte à nos sens et à nos facultés. N'y a-t-il pas entre eux une opposition naturelle en ce qui concerne la facilité et la difficulté ?
CLINIAS Comment cela ?
L'ATHÉNIEN C'est qu'il est plus difficile d'entendre et de voir les petites choses que les grandes, et qu'au contraire il est plus aisé pour tout homme de se charger, de se rendre maître, de prendre soin de petites choses et en petit nombre que de grandes choses et en grand nombre.
CLINIAS De beaucoup plus facile.
L'ATHÉNIEN Si un médecin qui veut et qui peut soigner le corps entier d'une personne, s'occupe des parties importantes de ce corps et. néglige les petites, verra-t-il jamais son client tout entier en bon état ?
CLINIAS Jamais.
L'ATHÉNIEN Il en est de même des pilotes, des généraux, des économes, des hommes d'État et de tous ceux qui exercent des professions semblables, s'ils ne s'intéressent qu'au grand nombre des affaires et aux plus importantes et laissent de côté le petit nombre et les affaires de mince importance ; car, comme disent les maçons, les grosses pierres ne s'arrangent pas bien sans les petites.
CLINIAS En effet.
L'ATHÉNIEN Ne ravalons donc pas Dieu au-dessous des artisans mortels, qui exécutent avec le même art les ouvrages de leur métier, soit petits, soit grands, avec d'autant plus de précision et de perfection qu'ils sont plus excellents. Ne disons pas que Dieu, qui est très sage et qui veut et peut prendre soin de tout, n'en prend aucun des petites choses, auxquelles il lui est plus aisé de pourvoir, comme un ouvrier paresseux ou lâche qui craint la peine et le prend à son aise, et ne s'occupe que des grandes.
CLINIAS N'adoptons jamais, étranger, de pareils sentiments sur les dieux. Il ne serait ni pieux ni vrai de nous les figurer ainsi.
L'ATHÉNIEN Il me semble que nous avons maintenant suffisamment disputé contre celui qui se plaît à accuser les dieux de négligence.
CLINIAS Oui.
L'ATHÉNIEN Et que nous l'avons contraint par nos raisons de reconnaître son erreur ; mais il me paraît avoir encore besoin de certains discours propres à charmer son âme.
CLINIAS De quels discours ?

XII

L'ATHÉNIEN Essayons de persuader à ce jeune homme par nos paroles que celui qui prend soin du tout a tout disposé pour le salut et la perfection du tout, que chaque partie souffre et fait autant que possible ce qu'il lui convient de souffrir et de faire, qu'il a chargé des chefs d'étendre leur surveillance jusqu'aux plus minces affections ou actions de chaque individu, et qu'il a poussé ses soins jusqu'au plus petit détail. La petite portion qu'est ta personne, si chétive qu'elle soit, malheureux, est toujours tournée et tend vers le tout. Mais tu ne te rends pas compte que toute génération se fait en vue du tout, afin qu'il ait une vie heureuse, et que tu n'es pas né pour toi, mais pour l'univers. Tout médecin, en effet, tout artisan habile ne fait rien qu'en vue d'un tout, tendant au bien commun, et il rapporte la partie au tout, et non le tout à la partie. Et tu murmures, parce que tu ignores que ce qui t'arrive est le meilleur pour le tout et pour toi, selon les lois de l'existence universelle. Puis donc que l'âme, toujours unie tantôt à un corps, tantôt à un autre, éprouve toutes sortes de changements soit par sa propre volonté, soit par l'action d'une autre âme, il ne reste à celui qui dispose les pions de l'échiquier qu'à mettre dans une meilleure place l'âme de la meilleure qualité, et dans une moins bonne celle qui est d'une qualité inférieure, selon ce qui convient à chacune, pour qu'elle ait le lot qui lui revient. 
CLINIAS Qu'entends-tu par là ?
L'ATHÉNIEN J'entends, ce me semble, ce qui facilite le soin que les dieux prennent de toutes choses. Si, en effet, un ouvrier, l'oeil toujours fixé sur le tout, faisait, en façonnant son ouvrage, changer toutes choses de figures ; que du feu, par exemple, il fit de l'eau animée et de plusieurs choses une seule et d'une seule plusieurs, en les faisant passer par une première, une seconde et même une troisième génération, il y aurait une infinité de manières de disposer les choses et de les mettre en ordre, au lieu que, d'après moi, celui qui prend soin de l'univers le fait avec une merveilleuse facilité.
CLINIAS Explique-nous cela aussi.
L'ATHÉNIEN Voici ce que je veux dire. Notre roi, faisant réflexion que toutes les actions partent d'un principe animé et qu'elles sont mélangées de bien et de mal, que l'âme et le corps une fois nés sont indestructibles, mais non éternels, comme les dieux le sont selon la loi, car si l'un ou l'autre périssaient, il n'y aurait jamais plus de génération d'êtres vivants, et pensant que la nature du bien est d'être toujours utile, en tant qu'il vient de l'âme, tandis que le mal est toujours nuisible, notre roi, dis-je, voyant tout cela, a imaginé de placer chaque partie de manière à assurer le plus vite et le mieux possible dans le tout la victoire de la vertu et la défaite du vice. C'est en vue de ce tout qu'il a imaginé pour tous les êtres qui naissent successivement la place que chacun doit recevoir et occuper et dans quels endroits. Mais il a laissé à nos volontés les causes d'où dépendent les qualités de chacun de nous, car nous devenons généralement tels que nous désirons être, conformément aux inclinations de notre âme.
CLINIAS C'est en tout cas vraisemblable.
L'ATHÉNIEN Ainsi tous les êtres doués d'une âme subissent des changements dont ils portent en eux la cause, et, en changeant, ils se rangent dans l'ordre marqué par le destin et conformément à fa loi. Ceux dont les murs changent peu s'éloignent moins et demeurent à la surface du sol ; ceux qui changent davantage et sont plus méchants descendent dans la profondeur de la terre et dans des régions souterraines qu'on appelle Hadès ou d'autres noms pareils. Ils sont en butte à des craintes violentes et à des songes, pendant leur vie, et après qu'ils sont séparés de leurs corps. Mais lorsque l'âme a changé et progressé dans le vice ou dans la vertu par sa propre volonté et par la force de l'habitude, si elle s'est approchée de la vertu divine et qu'elle soit devenue elle-même éminemment divine, elle quitte le lieu qu'elle occupait pour passer dans un autre excellent et entièrement saint ; si, au contraire, elle est devenue plus mauvaise, elle passe dans un lieu pire que celui qu'elle occupait avant.
Telle est la justice des dieux qui habitent l'Olympe (38), enfant ou jeune homme, qui te crois négligé des dieux. Si l'on devient plus méchant, on va rejoindre les âmes plus méchantes; si l'on devient meilleur, on va rejoindre les âmes meilleures, et, dans la vie et dans toutes les morts successives, on souffre et on inflige les traitements que les semblables font naturellement à leurs semblables. Ni toi, ni aucun autre malheureux ne pouvez jamais vous vanter d'avoir échappé à cette justice des dieux. C'est une justice que ceux qui l'ont établie ont voulu supérieure à toutes les autres et il faut absolument la respecter. Tu ne seras jamais négligé par elle, quand tu serais assez petit pour pénétrer dans les profondeurs de la terre, ni assez grand pour t'élever jusqu'au ciel. Tu porteras la peine qui t'est due, soit dans ton séjour sur la terre, soit quand tu auras passé chez Hadès, ou que tu auras été transporté dans un lieu encore plus horrible. Il en sera de même de ceux que tu as vus devenir grands de petits qu'ils étaient, à la suite d'actes impies ou d'autres crimes, et que tu as crus être passés du malheur au bonheur, en suite de quoi tu as cru remarquer dans leurs actions, comme dans un miroir, que les dieux se désintéressent de tout, parce que tu ne connais pas comment leur intervention contribue finalement à l'ordre général. Et comment peux-tu croire, ô le plus audacieux des hommes, que cette connaissance n'est pas nécessaire, puisque, faute de l'avoir, on ne pourra jamais former un plan de vie ni concevoir une idée juste de ce qui fait le bonheur ou le malheur ? Si Clinias que voici, et tout le sénat que nous formons réussit à te convaincre qu'en parlant des dieux, tu ne sais ce que tu dis, c'est bien, c'est Dieu même qui aide à ta conversion. Mais si tu as encore besoin d'être endoctriné, écoute-nous parler à l'impie de la troisième espèce, si tu as tant soit  peu de bon sens.
Que les dieux existent et qu'ils s'occupent des hommes, je pense l'avoir assez bien démontré. Mais que les dieux se laissent fléchir par les criminels moyennant les présents qu'ils en reçoivent, c'est ce qu'il ne faut accorder à personne, et ce qu'il faut refuser de toute manière et de toutes nos forces.
CLINIAS C'est très juste. Faisons comme tu dis.

XIII

L'ATHÉNIEN Voyons donc. Au nom des dieux mêmes, dis-nous, en admettant que nous puissions les fléchir, comment nous pourrions le faire; dis-nous qui ils sont et à qui ils ressemblent. Il faut bien qu'on donne le nom de maîtres à ceux qui sont chargés de gouverner efficacement tout l'univers.
CLINIAS Oui.
L'ATHÉNIEN Mais à quels maîtres ressemblent-ils ? Pouvons-nous en juger sans erreur en comparant les petits aux grands ? Sont-ils tels que les conducteurs de chars qui luttent dans la carrière, ou que les pilotes des vaisseaux ? On pourrait peut-être aussi les assimiler à des chefs d'armée ; il est encore possible qu'ils ressemblent à des médecins en garde contre la guerre que nous font les maladies des corps, ou à des laboureurs qui attendent en tremblant pour la production des plantes le retour des saisons qui leur sont nuisibles, ou encore aux gardiens des troupeaux. Puisque en effet nous sommes tombés d'accord que l'univers est plein de biens et en même temps de maux, mais ceux-ci en plus grand nombre, il y a entre eux, disons-nous, une lutte immortelle et qui exige une vigilance étonnante. Nous avons pour alliés les dieux et les démons, auxquels nous appartenons. L'injustice et la violence secondées par la folie nous perdent ; mais la justice et la tempérance secondées par la sagesse nous sauvent. Ces vertus habitent dans les âmes des dieux ; mais on peut en voir nettement une faible partie logée en nous. Mais certaines âmes qui habitent sur la terre, et qui, manifestement sauvages, s'adonnent à l'injustice, s'adressent aux âmes des gardiens, soit chiens, soit bergers, ou à celles des maîtres suprêmes, et essayent par des discours flatteurs et des prières enchanteresses, au dire des méchants, de leur persuader qu'ils ont le droit d'avoir plus que les autres, sans souffrir aucun mal. Mais nous disons que le vice que nous venons de nommer est ce qu'on appelle maladie dans les corps de chair, peste dans les saisons et les temps de l'année, et ce qui, changeant de nom, devient l'injustice dans les cités et les gouvernements. 
CLINIAS C'est exactement cela.
L'ATHÉNIEN Or voici nécessairement comment celui qui soutient que les dieux pardonnent toujours les hommes injustes et criminels, si on leur fait part des fruits de l'injustice. C'est comme s'il disait que les loups font part aux chiens d'une petite portion de leurs proies, et que les chiens, adoucis par leur largesse, les laissent ravager le troupeau. N'est-ce pas là le langage de ceux qui prétendent que les dieux sont faciles à fléchir ?
CLINIAS C'est cela même.

XIV

L'ATHÉNIEN En ce cas, auxquels, parmi les gardiens que nous avons cités, peut-on assimiler les dieux sans se couvrir infailliblement de ridicule ? Est-ce à des pilotes qui se laisseraient détourner de leur devoir par une libation de vin ou la graisse des victimes, et feraient chavirer les vaisseaux et les nautonniers ?
CLINIAS Pas du tout.
L'ATHÉNIEN Ce ne sera pas non plus à des conducteurs de chars alignés ensemble pour la lutte, qui, gagnés par des présents, abandonneraient la victoire à d'autres attelages.
CLINIAS L'assimilation dont tu parles serait révoltante.
L'ATHÉNIEN Ce ne sera pas non plus aux généraux d'armée, ni aux médecins ni aux laboureurs, ni aux bergers, ni à des chiens séduits par des loups.
CLINIAS Parle des dieux avec plus de respect. Qui oserait faire une telle comparaison ?
L'ATHÉNIEN De tous les gardiens, les dieux ne sont-ils pas les plus grands et occupés des plus grandes choses ?
CLINIAS Ils dépassent les autres de beaucoup.
L'ATHÉNIEN Dirons-nous donc que ces dieux qui veillent sur ce qu'il y a de plus beau et qui sont des gardiens incomparables en vertu sont inférieurs aux chiens et aux hommes ordinaires, qui ne trahiraient jamais la justice en vue de coupables présents offerts par des criminels ?
CLINIAS Pas du tout. Un tel langage n'est pas supportable ; et des gens les plus complètement impies celui qui tient à une telle opinion risque de passer très justement pour le plus méchant et le plus impie de tous.
L'ATHÉNIEN Nous pouvons maintenant nous flatter d'avoir prouvé suffisamment les trois points que nous nous étions proposés, à savoir l'existence des dieux, leur providence et leur inflexible équité.
CLINIAS Sans doute et nous souscrivons à ce que tu as dit.
L'ATHÉNIEN A la vérité, l'esprit de chicane des méchants m'a fait parler avec plus de véhémence qu'à l'ordinaire. C'est pour cela que j'ai pris ce toit dans la discussion. J'ai craint que, si je leur cédais le dessus, les méchants ne se crussent en droit de faire tout ce qu'ils veulent et d'avoir sur les dieux tant d'opinions de tolite sorte. C'est ce qui m'a fait parler avec cette ardeur juvénile. Mais pour peu que j'aie réussi à leur persuader de se prendre eux-mêmes en aversion et de s'attacher aux vertus contraires à leurs vices, j'aurai fait un beau prélude à nos lois sur l'impiété.
CLINIAS Espérons-le. Autrement, ce genre de discours ne fera point honte au législateur.

XV

L'ATHÉNIEN Ce prélude fini, c'est le montent d'énoncer la loi, eu avertissant d'abord tous les impies de renoncer à leurs sentiments pour prendre ceux des gens pieux. Contre les réfractaires, voici la loi que nous porterons sur l'impiété. Si quelqu'un se montre impie, soit en paroles, soit en actions, celui qui en sera témoin s'y opposera et le dénoncera aux magistrats. Les premiers informés d'entre eux le traduiront conformément aux lois devant le tribunal nommé pour juger ces sortes de crimes. Si un magistrat, après avoir reçu la dénonciation, n'y donne pas suite, il pourra lui-même être poursuivi pour impiété par quiconque voudra venger la loi. Si un accusé est convaincu, le tribunal fixera une peine spéciale à chaque espèce d'impiété. La peine générale sera la prison. Il y aura dans la cité trois sortes de prisons, une sur la place publique, qui sera commune à la plupart des délinquants et s'assurera de leurs personnes ; une autre à l'endroit où se réuniront la huit certains magistrats et qu'on appellera maison de correction ; une troisième enfin au milieu du pays dans un endroit désert et aussi sauvage que possible, qui sera surnommée la prison du châtiment. Il y aura délit d'impiété pour trois motifs, qui sont précisément ceux dont nous avons parlé, et, comme chaque espèce se divise en deux, il y aura donc six espèces de fautes envers les dieux, qui demandent à être distinguées, vu que la punition n'en sera ni égale ni pareille.
Il y a en effet des gens qui ne croient pas du tout a l'existence des dieux, mais qui tiennent de la nature un esprit de justice, qui haïssent les méchants, et, parce que l'injustice leur répugne, s'abstiennent de toute action injuste, fuient la compagnie des pervers et chérissent les gens de bien. Mais il y en a d'autres qui, non seulement croient que le monde est vide de dieux, mais sont encore incapables de maîtriser le plaisir et la douleur, et qui possèdent une mémoire solide et une grande pénétration d'esprit. Ils ont une maladie commune, qui est de ne pas croire aux dieux ; mais pour ce qui est de gâter les autres hommes, les premiers font moins de mal que les seconds.
En effet, les premiers s'expriment avec une pleine licence à l'égard des dieux, des sacrifices et des serments, et, en se moquant des autres, ils pourraient peut-être les rendre impies comme eux, s'ils échappaient au châtiment ; mais les seconds, étant dans les mêmes sentiments que les premiers, sont, comme on dit, des finauds, pleins de ruse et d'artifice; c'est parmi eux que se forment un bon nombre de devins et ceux qui exercent tous les genres de sorcellerie, quelquefois aussi les tyrans, les généraux d'armée, ceux qui séduisent le public par des initiations privées et les sophistes avec leurs raisonnement captieux ; car les espèces de ces impies sont nombreuses ; mais il y en a deux qu'il faut réprimer par des lois, l'une, qui feint l'ignorance, mérite non pas une, mais plusieurs morts ; l'autre n'a besoin que de réprimande et de prison.
Pareillement, ceux qui pensent que les dieux ne s'occupent pas des hommes forment deux espèces, et ceux qui pensent qu'ils sont faciles â fléchir, deux aussi. Cette distinction faite, les juges condamneront, suivant la loi, ceux qui sont impies par défaut de jugement, mais sans mauvais penchant ni mauvaises moeurs, à passer cinq ans au moins dans la maison de correction. Pendant ce temps, aucun citoyen ne devra frayer avec eux, sauf les magistrats du conseil de nuit, qui l'entretiendront pour son instruction et le salut de son âme. Lorsque son temps de prison sera fini, s'il paraît assagi, il ira vivre avec les citoyens vertueux ; s'il ne l'est pas, et qu'il soit convaincu de nouveau, il sera puni de mort.
Quant à ceux qui, devenus semblables à des bêtes fauves, non seulement ne croient pas à l'existence, à la providence et à l'inflexible justice des dieux, mais qui, méprisant les hommes, séduisent un grand nombre de vivants et se disent capables d'évoquer les morts et promettent de fléchir les dieux en les charmant par des sacrifices, des prières et des incantations, et entreprennent, pour satisfaire leur avarice, de renverser de fond en comble les fortunes des particuliers, des maisons entières et des États, celui d'entre eux qui aura été convaincu de ces fourberies sera condamné, selon la loi, par le tribunal à être mis aux fers dans la prison du milieu du pays ; aucun homme libre n'approchera jamais de lui et il recevra de la main des esclaves ce que les gardiens des lois auront réglé pour sa nourriture. A sa mort, on le jettera hors des frontières sans lui donner de sépulture. Si un homme libre aide à l'ensevelir, il sera accusé d'impiété par quiconque voudra le citer en justice. Au cas où il laisserait des enfants capables de servir l'État, les magistrats qui s'occupent des orphelins en prendront soin, comme si c'étaient de véritables orphelins avec autant d'attention que les autres, dès le jour où leur père aura été condamné.

XVI 

L'ATHÉNIEN Il faut encore édicter une loi générale contre ces impies, afin que la plupart d'entre eux pêchent moins contre les dieux en actes et en paroles, et qu'ils deviennent plus sensés, quand il ne leur sera plus permis de sacrifier contre la loi. Établissons donc simplement pour tous la loi que voici. Que personne n'ait chez soi d'autel particulier, et, si quelqu'un a envie de faire un sacrifice, qu'il aille le faire aux temples publics, qu'il remette les victimes entre les mains des prêtres et des prêtresses chargés de veiller à la pureté des sacrifices, qu'il prie avec eux lui-même et quiconque voudra joindre ses prières aux siennes. Voici ce que nous avons en vue en faisant cette défense, c'est qu'il n'est pas aisé d'ériger des temples ou des statues de dieux, et qu'il faut pour y réussir des lumières supérieures ; que c'est une coutume en particulier chez toutes les femmes, chez les malades de toute sorte, chez ceux qui sont en danger ou en détresse, quelle qu'elle soit, ou, au contraire, chez ceux qui sont tombés sur quelque bonne aubaine de consacrer tout ce qui se présente à eux, de faire voeu d'offrir des sacrifices, de promettre des autels aux dieux, aux démons et aux enfants des dieux ; de même chez ceux qui se sont réveillés effrayés par une apparition ou qui ont eu un songe, de même aussi chez ceux qui, se rappelant diverses visions qu'ils ont eues, cherchent un remède à chacune d'elles en érigeant des autels et des chapelles, dont ils remplissent toutes les maisons, tous les bourgs et tous les lieux quels qu'ils soient, purs ou non.
C'est pour obvier à tous ces inconvénients qu'il faut observer la loi que je viens d'énoncer, il le faut aussi pour empêcher que les impies se livrent furtivement à ces pratiques, et construisent dans leurs maisons des chapelles et des autels, dans la pensée qu'ils pourront se rendre les dieux propices par des sacrifices et des prières, et que, s'abandonnant sales fin à l'injustice, ils n'attirent la réprobation des dieux sur eux et sur les magistrats qui les laissent faire. et qui sont plus honnêtes gens qu'eux, et qu'ainsi tout l'État ne pâtisse en quelque sorte avec justice des méfaits des impies. Alors Dieu n'aura rien à reprocher au législateur. Faisons donc une loi qui défende aux particuliers de bâtir des autels aux dieux dans leurs maisons. Si l'on découvre que l'un d'eux en a chez lui et qu'il célèbre des cérémonies en dehors des cérémonies publiques, au cas où le coupable, homme ou femme, n'aurait commis rien de grave en fait d'injustice ou d'impiété, quiconque s'en apercevra devra le dénoncer aux gardiens des lois, qui lui ordonneront de transporter ses autels particuliers dans les temples publics et le puniront, s'il n'obéit pas, jusqu'à ce qu'il les ait transférés. Si l'on surprend quelqu'un de ceux qui ont commis, non des péchés d'enfant, mais de graves impiétés d'hommes faits, soit en élevant des autels chez soi ou en sacrifiant en public à n'importe quels dieux, il sera puni de mort, comme ayant sacrifié avec un coeur impur. Les gardiens des lois jugeront si ce sont ou non des péchés d'enfant, et le traduiront alors devant les juges et lui feront porter la peine de son impiété.


(35) C'est à la Théogonie d'Hésiode que Platon fait allusion.
(36)  Cette assertion fait songer à la conversation de Céphale avec Socrate, au début de la République (330 d-c) : "Quand un homme croit sentir les approches de la mort, il lui vient des craintes et des inquiétudes sur des choses qui auparavant le laissaient indifférent, et les récits qu'on fait de l'Hadès et du châtiment dont il faut payer là-bas les injustices commises ici, ces récits, dont il se moquait auparavant portent maintenant le trouble dans son âme. Il craint qu'ils ne soient véritables; et lui-même, soit parce qu'il est affaibli par la vieillesse, soit aussi parce qu'il est à présent plus près de l'autre monde, il les considère  avec plus d'attention ; en tout cas, son âme se remplit de défiance et de frayeur."
(37)  Hésiode, Travaux et Jours, 300-304.
(38)  Telle est la justice des dieux qui habitent l'Olympe : C'est un vers d'Homère, Odyssée XIX, 43.