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ATHÉNÉE DE NAUCRATIS

De l'Amour 

Le Livre XIII des Deipnosophistes

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trADUCTION

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Tous des pourceaux !

21. Soudain, Cynulcos répliqua en reprenant les vers de Cratinos: « Tu as le toupet de parler ainsi, toi qui n’as sûrement pas des « doigts de rose » mais bien plutôt une jambe gonflée de bouse de vache. Tiens ! tu sais à qui tu me fais penser ? Au poète qui portait le même nom que toi et qui passait le plus clair de son temps à moisir dans les bistrots et les tavernes.
   L’orateur Isocrate a pu dire ceci dans son Aréopagitique :  

« Personne, pas même un esclave, n'oserait manger ou boire dans un troquet : on avait alors le souci de rester digne et de ne pas sombrer dans la débauche. » 

Et Hypéride, dans son discours contre Patrocle (si ce discours est vraiment de lui), précise que les Aréopagites refusaient toute promotion à l’Aéropage à quiconque s’était restauré dans l’un de ces cabarets. Mais toi, charmant sophiste, tu te vautres dans ces lieux, non pas avec des amis de ton sexe, mais avec des femmes, des maquerelles à la pelle. En outre, tu ne cesses de distribuer à la volée les ouvrages d'Aristophane, d'Apollodore, d'Ammonios, d'Antiphane, et même de Gorgias d'Athènes, bref que des torchons où l’on ne parle que de putains athéniennes !
   Ma foi, elle est belle, ton érudition ! Il est sûr et certain que tu n'as rien à voir avec Théomandros de Cyrène, dont Théophraste dit dans son livre sur le Bonheur, qu'il désirait enseigner l’art d’être heureux. Non, toi, tu cherches plutôt à nous apprendre l’érotisme. En fait, tu ressembles à cet d'Amasis d'Élis, dont Théophraste – encore lui- fait mention dans son Traité sur l'amour, et qui était un expert en matière sexuelle. On ne se tromperait pas de beaucoup en t'appelant pornographe, au même titre que les peintres Aristide, Pausias et Nicophanos. Dans son livre sur les Tableaux de Sicyone, Polémon reconnaît que ces gens-là excellaient dans ce genre de peinture.

Oui, mes chers amis, elle est belle, l’érudition de ce personnage, lui qui, sans même se cacher la face, récite sans complexe les vers d'Euboulos tirés de ses Cercopes 

« Je suis allé à Corinthe. Là-bas, cherchant à me régaler, je me mis à déguster Ocimon et j'ai échoué; et dans l’affaire, j'ai perdu ma chemise. » 

C’est du joli ! Et ce sophiste des Corinthiens explique tout bonnement à ses élèves que cette Ocimon est le nom d'une pute !
    Ah ! il en existe de ces drames, mes bons tartuffes, dont le titre porte le nom d’une roulure. Je citerai la Thalatta de
Dioclès, la Corianno de Phérécratès, l’Antéia d'Eunicos - ou de Philyllios – la Thaïs et la Phanion de Ménandre, l’Opora d'Alexis, la Clepsydra d'Euboulos. Soit dit en passant, la dernière de ces créatures fut ainsi surnommée parce qu’elle avait, dit-on, pour habitude de chronométrer ses prouesses avec un clepsydre, n’arrêtant de baiser qu’une fois l’appareil vide. C’est Asclépiade, le fils d'Aréios, qui nous apprend cela dans son Histoire de Démétrios de Phalère, où il ajoute que son vrai nom était en réalité Métiché.

Les courtisanes

22. Dans son Paysan, Antiphanès écrit ces lignes : 

« Une courtisane est une vraie calamité pour l'homme qui l’a sous sa garde : en effet, il n’a d’autre plaisir que celui d’entretenir un fléau sans pareil ! » 

Dans le même esprit, Timoclès, dans sa Nérée, nous fait le portrait saisissant d’un homme qui se lamente sur son destin : 

« Malheureux de moi ! Je me suis un jour amouraché de cette Phryné alors qu’elle cueillait des câpres : à cette époque, elle n’avait rien de ce qu’elle possède aujourd'hui. Et moi, pour elle, j'ai dilapidé des fortunes chaque fois que je venais la visiter : or, maintenant, elle me ferme la porte au nez ! »

 Et dans la pièce intitulée Orestautocleidès, ce même Timoclès dit: 

« Autour de ce pauvre type dorment ces vieilles traînées : Nannion, Plangon, Lyca, Gnathaina, Phrynè, Pythionicè, Myrrhiné, Chrysis, Conalis, Hiérocléia et Lopadion. » 

Amphis nous cite les noms de ces mêmes prostituées dans ses Ciseaux :

 « Sans conteste, Ploutos est aveugle ! Il ne rend jamais visite à cette jeune fille ; en revanche, il est comme statufié dans la demeure de Sinope, de Lyca, de Nannion, ou de toute autre de ces créatures qui lui extirpent sa force virile : en un mot, il ne les quitte pas d’une semelle. »

Astuces fémimines

23. Alexis, dans sa pièce, La Juste mesure, nous fait un compte-rendu des procédés usuels auxquels ont recours les prostituées, nous révélant par-là même tous les artifices servant à valoriser leur corps. 

« Chez elles, tout est bon pour faire du fric et dépouiller leurs voisins, le reste est accessoire. Ainsi donc, elles ourdissent des complots contre tout le monde.
   Dès qu’elles se sont enrichies, elles engagent dans leur maison quelques filles bien fraîches, pour faire leur « apprentissage » et elles les métamorphosent tant et si bien, qu’elles ne conservent plus rien de leur apparence d’antan.
   Bon, supposez qu'une fille est trop petite : qu’à cela ne tienne, on lui coud une semelle de liège dans ses chaussures. L’autre est trop grande ? On lui fait porter un mince escarpin, et on l’incite à marcher en enfonçant sa tête entre les épaules : sa taille n’en est que plus réduite. L’autre n’est pas très trapue ? On la bourre d’étoffes sous sa robe, afin d’exciter les passants dans la rue, estomaqués à la vue d’une si parfaite cambrure. Elle a trop de ventre ? On l’enserre dans un corset comme on fait pour les acteurs comiques : ainsi, on dégage la poitrine, elles tirent alors en avant, comme si avec ces perches, elles renfonçaient l'estomac (texte corrompu). Une autre a des sourcils trop roux ? Elle les peint avec du noir de fumée. Une d’elles a le teint trop mat ? On lui badigeonne la face avec du blanc de céruse. Elle est trop pâlotte ? Elle se frotte les joues avec du fard. Une fille a une partie du corps particulièrement attirante ? Aussitôt, on la met en valeur. Elle a de jolies dents ? Alors, elle a pour mission de rire en toutes circonstances pour montrer aux gens combien sa bouche est délicate. Le rire n’est pas son fort ? Elle reste confinée dans son intérieur, et, comme chez les bouchers, qui garnissent leurs têtes de veau sur leurs étals, elles doivent sans discussion tenir entre les lèvres un brin de myrte bien raide : à force, elle finit par se dérider.
   Tels sont les stratagèmes mis en œuvre par ces femmes pour façonner leur corps et leur visage. »
 

Attention À la dépense et aux femmes mariées !

 

24. Donc, je te conseille instamment, mon joli « Thessalien au char bariolé » de ne t’en tenir qu’aux femmes de ta maison et de ne pas jeter par les fenêtres l’argent qui revient de droit à tes fils. Il est vrai aussi que le « boiteux chevauche à merveille » ; ton père cordonnier t'a souvent fait la leçon et tu as pu jouir de la vue de ses peaux... Mais ne connais-tu pas, en empruntant les vers du Vigile d'Euboulos, 

« ces traquenards ambulants subjugués par les petites pièces de monnaie, ces pouliches de Cypris fin prêtes à l'action, nues, seulement vêtues d’un voile transparent finement tissé, telles les vierges de l’Éridan régénérées dans ses eaux pures. Tu peux, pour une somme des plus modiques, sûr de ton coup et en toute quiétude, acheter auprès d’elles ton plaisir. » 

Et dans Nannion - la pièce d'Euboulos, non pas celle de Philippe -, le poète ne dit-il pas :

« Celui qui recherche des unions ténébreuses dans des lieux secrets, n’est–il pas l'homme le plus pitoyable au monde? Alors qu'il peut, en plein soleil, contempler des filles nues, prêtes à l'action et revêtues de voiles transparents finement tissés, telles les filles que l'Éridan régénérées dans ses eaux pures. Tu pourras à tout moment et de manière infaillible acheter ton plaisir pour une petite pièce de monnaie, ce qui t’évitera de chasser les amours clandestines – pratique nocive entre toutes – dans le but avoué d’assouvir davantage ton orgueil déplacé que ton goût du plaisir. »

    De même Xénarque, dans son Pentathlon, pourfend tous ceux qui, comme toi, se prélassent auprès des poules de luxe ou des femmes mariées, donc, de condition libre :

  « Terribles, terribles, et tout à fait intolérables, les mœurs des jeunes gens dans notre cité. Dire qu’il y a tant de beaux brins de filles qui attendent dans les bordels : les garçons peuvent les voir se dorer au soleil, les seins nus, prêtes à agir en première ligne. Et on peut trouver sa pointure sans aucun problème : il n’y a que l’embarras du choix. Le garçon la veut-il maigre ou grasse, rondelette, toute en longueur, un peu tassée, jeune, vieille, mûre, blette ? Au moins, il n’est pas besoin de se munir d’une échelle pour se glisser furtivement jusqu’à elle, ni passer par le trou de la cheminée. Nul besoin de se fourrer dans un tas de paille. Rien de tout cela ! On n’a qu’à se laisser entraîner vers elles : les vieux, elles les appellent : « Papy » ; les jeunes, ce sont les « p’tits salauds ». On peut rendre visite à ces demoiselles sans crainte, pour bien peu, et à n’importe quel moment de la journée, le jour, le soir, bref à votre convenance.
   Quant aux femmes mariées, celles qu’on ne peut pas voir, et que, même si on les voit, on ne regarde jamais sans trembler et craindre pour sa vie, comment, ô Aphrodite marine, arrive-t-on à se les appuyer quand on sait ce qui nous guette avec les lois de Dracon? »

 Solon crée les bordels

25. Sur le même sujet, Philémon, dans ses Adelphes, nous informe que ce fut Solon, soucieux de calmer les ardeurs des jeunes gens, qui prit l’initiative d’ouvrir des maisons de passe et d’y installer des jeunes femmes achetées. Nicandre de Colophon ne dit pas autre chose dans le troisième livre de son Histoire de Colophon, ajoutant que Solon fit édifier un temple d'Aphrodite Pandémos avec l’argent des impôts perçus sur les maquerelles dirigeant les bordels. Mais revenons à Philémon, il dit : 

« Toi, Solon, tu as fait là une loi d’utilité publique, car c’est toi, qui, le premier, dit-on, compris la nécessité de cette institution démocratique et bienfaitrice, Zeus m'en est témoin ! Il est important que je dise cela. Notre ville fourmillait de pauvre garçons que la nature contraignait durement, si bien qu’ils s’égaraient sur des chemins néfastes : pour eux, tu as acheté, puis installé en divers endroits des femmes fort bien équipées et prêtes à l’emploi. Elles se montrent nues : ainsi, elles ne peuvent tromper sur la marchandise ; jette un coup d'œil à tout. Peut-être es-tu un peu morose ? Il y des choses qui t'affligent. Mais la porte est grande ouverte. Prix : une obole; laisse-toi faire ! Pas de chichis ! Tu en auras pour ton argent, comme tu veux et de la manière que tu veux. Tu sors. Dis-lui d'aller se faire voir ailleurs : elle n'est rien pour toi. » 

De son côté, Aspasie, l’amie de Socrate, engagea toute une armée de jolies filles, à tel point que la Grèce fut vite inondée de ses catins, comme l’indique, non sans ironie, le plaisant Aristophane, quand il dit, à propos de la guerre de Péloponnèse, que Periclès en alluma l’étincelle par passion pour Aspasie, qui venait alors de perdre deux de ses filles enlevées par les Mégariens :  

« Une putain, Simaithé, ayant été enlevée par des jeunes gens avinés sur la route de Mégare, les Mégariens, rouges de colère, enlevèrent à leur tour, deux des prostituées d'Aspasie ; et c’est ainsi qu’éclata un conflit général de tous les Hellènes... pour trois putes ! »

 

Grandeur et dÉcadence des courtisanes.

 

26. Je t’exhorte, toi le plus érudit de tous les grammairiens, à te tenir à carreau de ces poules de luxe, parce que

 « tu peux voir toutes les autres joueuses de flûte jouer la chanson d'Apollon ou la chanson de Zeus, alors que ces dames ne jouent que celle du Faucon. » 

   C'est ce que dit Épicrate dans son Anti-Laïs, pièce également où il décrit en ces termes la fameuse Laïs :  

« Cette même Laïs est une fainéante et une ivrogne ; tout ce qu’elle fait, c’est boire et manger le plus clair de son temps : bref, si tu veux mon avis, elle est semblable aux aigles. En effet, quand ils sont jeunes, surgissant du haut des montagnes, on les voit prendre des moutons et des lièvres dans leurs serres vigoureuses, et ils s’en nourrissent. Puis, une fois vieux et affamés, ils se perchent sur le toit des temples, ce qui est considéré généralement comme un mauvais présage. En un sens, cette Laïs est aussi un mauvais présage : quand elle était jeunette, par appât du gain, elle est devenue arrogante et sauvage, bien qu’elle ne se laissât pas voir facilement, telle Pharnabaze. Maintenant qu’elle a derrière elle une longue carrière et que les magnifiques proportions de son corps se sont bien avachies, il est plus facile de la voir que de cracher ; bien plus, elle est toujours en sortie, toujours entre deux vins, acceptant un gros statère ou trois petites oboles, s’offrant indifféremment aux vieillards comme aux jeunes. L’oiseau est tellement apprivoisé, mon cher, qu’elle va prendre l'argent directement dans votre main. »

   Anaxandridès parle également de Laïs dans sa Gérontomania, et passe en revue quelques autres courtisanes :  

« - Tu connais Laïs, celle de Corinthe ?
- Évidemment !
- Elle a une amie appelée Antéia
- C’est aussi notre chouchoute !
- Oui, par Zeus, c'était au temps merveilleux où florissaient Lagisca, mais aussi Théolyté, qui avait un minois si charmant qu’elle aurait pu devenir une nouvelle Ocimon. » 

RÈglement de compte entre philosophes

27. Tel est le conseil que je t’invite à suivre, camarade Myrtilos ! Et, pour finir, je te citerai un extrait de la Chasseresse de Philétairos : 

« Maintenant que tu es vieux, renonce à tes manies ! Tu ne sais pas que mourir en baisant n’est pas la chose au monde la plus reluisante ! Prends le cas de Phormisios, qui mourut ainsi. » 

Je peux aussi te citer encore quelques autres vers, pris dans les Marathoniens de Timoclès, et qui devraient te séduire : 

« Quel est le mieux : coucher avec une donzelle effarouchée ou avec une pute ? Ah ! presser la chair encore juvénile et ferme de la fille, goûter à son teint, à son haleine fraîche, par les dieux du ciel ! Certes, tout n'est pas encore au point chez elle, il faut lutter un peu, subir de sa main délicate quelques bonnes raclées, quelques coups. Mais, somme toute, cela ajoute au plaisir, par Zeus tout puissant ! »

 Cynulcos voulait en dire beaucoup plus, mais Ulpien, soucieux de défendre l'honneur de Myrtilos, tenta de se jeter sur lui. Mais Myrtilos, qui ne pouvait souffrir les Syriens, ne le lui permit pas et lui lança ces mots, en citant Callimaque:  

« Nos espoirs ne sont pas tombés aussi bas au point de demander l’aide de nos ennemis. »

 Oui, nous pouvons nous défendre par nous-mêmes, Cynulcos, et je vais te dire ceci : 

« Comme tu es rustre et crétin ! Comme tu es venimeux ! Comme ta langue balance du côté gauche dans ta bouche !» 

Tels sont les mots d’Ephippos dans sa Philyra. Il me semble que tu es un de ceux  

« à qui le Muses ont enseigné les lettres, mais relégué le plus à gauche possible. » 

en citant l’un de nos parodistes.

 

Importance du sens des mot

28. Quant à moi, camarades de table, en citant les Brises de Metagène ou l'Idiot d'Aristagoras, je ne veux pas vous dire ceci : 

« Je vous ai parlé d'abord des superbes prostituées danseuses ; je ne vous ai pas parlé non plus des petites joueuses de flûte, qui, très vite, moyennant argent, ont vidé de leurs forces nos pauvres marins, à bord de leur navires. » 

Non, je désire vous entretenir des courtisanes au sens propre, celles qui exercent une amitié sans feinte, ces femmes que Cynulcos couvre d’opprobre, alors qu'elles sont les seules au monde qui méritent vraiment de porter le nom d’amies, ce nom que, chez les Athéniens, elles se sont vues décerner en tant que compagnes d'Aphrodite.

À leur sujet, voyons ce que dit Apollodore d'Athènes dans son livre sur les Dieux :

 « L'Aphrodite courtisane réunit des compagnons et des compagnes, c'est-à-dire des amies. » 

Aujourd’hui encore, les femmes honorables, tout comme les jeunes filles, ont l’habitude d’appeler leurs amies intimes « chères compagnes ». Sappho ne faisait pas autrement : 

« Voici de joyeuses chansons que je chanterai maintenant pour mes compagnes. »

 Et encore : 

« Léto et Niobé étaient en effet deux compagnes qui m’étaient chères. »

 Il est vrai qu’on appelle « compagnes », ces femmes qui se font payer pour coucher avec un homme. On dit « faire la compagne » quand quelqu’un monnaye ses faveurs : on use alors d’un mot ayant à l’origine un sens tout à fait honnête. Ménandre a compris cela et, dans la Caution, il fait nettement la distinction entre la « compagne », au sens noble et la « compagne » au sens péjoratif: 

 « Vous faites le travail non pas des prostituées mais celui d'amies : dans les deux cas, le mot est identique ; mais si la prononciation est défectueuse, on commet vite une grosse bévue ! »

 

Des prostituÉes ! Non : des compagnes

29. Évoquons ces vraies courtisanes et écoutons ce qu’en dit Éphippos dit dans le Trafic :  

« Laissez-moi vous dire que, lorsque l’un de vous a le cœur morose, elle s’empresse de le consoler gentiment : elle l'aime, non pas en serrant les lèvres, comme à un ennemi, mais en ouvrant la bouche toute grande comme un jeune moineau ; elle converse avec lui, elle est enjouée, elle assèche ses larmes et lui rend sa bonne humeur. »

Empress SabinaEuboulos dans le Bossu, parle ainsi d’une courtisane dotée d’un remarquable savoir-vivre :

« Qu’elle mange avec distinction ! Ah ! elle ne se comporte pas comme ces autres femmes qui se goinfrent de poireaux en les enroulant, et qui dévorent goulûment et salement des morceaux de viande ; non,  elle goûte un peu de chaque plat avec la délicatesse d'une jeune fille de Milet. »

 Même chose pour Antiphanès dans l'Urne:

 « Le jeune homme dont je vous parle aperçut une courtisane qui vivait dans le voisinage et s’éprit d'elle ; elle était de la cité, mais elle n’avait ni protecteur, ni parents ; elle avait un caractère en or, c'était en tous points une vraie compagne. Hélas, les autres femmes, par leur mode de vie, souillaient ce nom, pourtant si charmant. » 

Anaxilas dans le Poussin: 

« - Quand une fille simple et pudique rend de doux services à ceux qui le lui demandent, elle obtient de son gage d’amitié le nom de compagne. Et, dans ce cas, la fille dont tu es amoureux n'est pas une pute, comme tu le dis, mais une très bonne compagne. N’est-elle une personne d’une loyauté sans faille ?
- Elle est plus que cela, c’est une dame, par Zeus! »

 

Les garçons À philosophes

30. Quant à ces petits jeunes gens que traînent avec eux les philosophes, je les imagine tels que les décrit Alexis - ou Antiphanès - dans le Sommeil

« Pourquoi donc ce pédé ne mange-t-il pas de poireaux ? Il doit avoir peur d’incommoder son amant quand il l’embrassera. » 

À propos de ces gens, Éphippos a, dans sa Sappho, des lignes fort pertinentes : 

« Quand un jeune minet va chez un autre homme et qu’il engouffre des mets sans payer sa part, soyez certains qu’il paiera de sa personne durant la nuit... » 

L'orateur Eschine a le même argument dans son discours Contre Timarque.

les temples d'Aphrodite l'HÉtaïre

31. Revenons à nos chères courtisanes sur lesquelles Philétairos a écrit ces mots dans sa Chasseresse 

« Ce n'est pas sans raison si l’on trouve partout un temple de la Courtisane, et nulle part un temple à la Femme mariée. » 

Je sais qu’il existe une fête, les Hétairidéia qui est célébrée à Magnésie. D’emblée, précisons qu’elle n’a pas pour fonction d’honorer les courtisanes. Dans ses Commentaires, Hégésandros nous en explique l’origine :  

« Les Magnésiens célèbrent la fête des Hétairidéia. Ils racontent que Jason, le fils d'Éson, quand il rassembla tous les Argonautes, fut le premier à sacrifier à Zeus Hétairéios, donnant à cette cérémonie le nom de Hétairidéia. Les rois de Macédoine célèbrent également ces fêtes au cours desquelles ils procèdent à des sacrifices. »

 On va même jusqu’à consacrer à Abydos un temple à l’Aphrodite Putain, s’il faut en croire Pamphilos : en effet, lorsque la cité fut vaincue - je ne fais que répéter ce que dit Néanthe dans ses Légendes - la garnison qui l’occupait voulut offrir un sacrifice. Après s’être bien enivrés, les soldats fricotèrent avec les prostituées de la place. Or l’une d’entre elles, constatant que les gardes s’étaient endormis, s’empara des clefs, escalada le rempart et livra ses informations aux Abydéens. Aussitôt, ceux-ci prirent les armes, massacrèrent les gardes et redevinrent maîtres de la citadelle. Ayant recouvré leur liberté, les gens d’Abydos voulurent témoigner de leur gratitude envers ces filles et leur érigèrent un temple à l’Aphrodite Putain. » 

Alexis de Samos, dans le deuxième livre de ses Annales de Samos, nous dit ceci : 

« L'Aphrodite de Samos, que certains appellent « dans les roseaux » et d’autres « dans le marais » fut construite par les propres mains de prostituées athéniennes, celles qui accompagnaient l'armée de Périclès lors du siège de Samos, et qui avaient tiré d’excellents revenus de leurs charmes. » 

Evalkès, dans ses Éphésiaques, nous apprend qu'à Éphèse un temple avait été dédié à l’Aphrodite Hétaïre. Quant à Cléarchos, voici qu’il écrit dans le premier livre de ses Érotiques  

« Gygès, roi de Lydie, est, non seulement célèbre pour avoir aimé et comblé d’honneurs sa maîtresse – nul n’ignore qu’il remit tout son empire entre les mains cette dernière – mais aussi pour avoir, lorsqu’elle mourut, rassemblé les Lydiens de son royaume pour lui bâtir un sanctuaire qui, de nos jours encore, est consacré à la Courtisane. Ce monument était si impressionnant que, de quelque côté qu’il se tournât dans la région du mont Tmolos, le roi ne pouvait échapper à sa vue. De même, les Lydiens distinguaient de loin les formes de cette colossale bâtisse. »

 Enfin, dans son Discours Contre Néaira, reproduit par Apollodoros - si toutefois ce texte est bien de sa main - l'orateur Démosthène a dit ceci : 

« Nous avons des putes pour le plaisir, des concubines pour l’hygiène quotidienne, et des épouses afin de nous faire des enfants légitimes et veiller avec diligence au soin de notre intérieur. »

Courtisanes et patriotes !

32. Maintenant, rien que pour toi, mon cher Cynulcos, je vais t’offrir un de ses discours à l’ionienne, comme sait à merveille en concocter Eschyle dans son Agamemnon, quand il parle des prostituées. Je commencerai par la belle ville de Corinthe, où tu me reproches d’avoir été enseignant.
   Il est une vieille coutume à Corinthe – c’est
Chaméléon d'Héraclée qui le rapporte dans son livre sur Pindare – selon laquelle, dans les circonstances exceptionnelles où l’on adresse des prières à Aphrodite, on invite le plus grand nombre possible de prostituées à se joindre à la cérémonie. Une fois les prières terminées, elles ont encore le droit d’assister aux sacrifices.

   Au temps où la Perse était en conflit avec la Grèce, Théopompe, mais également Timée dans son Livre VII, nous racontent que les prostituées de Corinthe se rendirent au temple d'Aphrodite afin d’y prier pour le salut des Grecs. En guise d’hommage, les Corinthiens consacrèrent à la déesse une plaque commémorative que l’on voit encore aujourd'hui, où l’on avait inscrit le nom des prostituées qui avaient participé à ces prières publiques. Pour l’occasion,
Simonide composa l’épigramme suivante :

« Les voilà, ces excellentes citoyennes qui agirent en priant la Cyprienne en faveur des vaillants Corinthiens ; [et leurs vœux furent exaucés : ] la divine Aphrodite se refusa à ce que l’acropole des Grecs fût livrée aux flèches des Mèdes. » 

Il y a mieux. Quand de simples citoyens prient la déesse d’exaucer leurs désirs, ils s’empressent d’ajouter que, si leur vœu se réalise, ils lui amèneront, comme témoignage de leur gratitude, des prostituées... 

Les courtisanes de Corinthe

33. La coutume relative à la déesse était si bien ancrée dans les mœurs que, lorsque Xénophon de Corinthe alla concourir à Olympie, il fit le vœu d'amener des courtisanes à Aphrodite en cas de victoire. Et c'est ainsi que Pindare composa à son intention une élégie commençant par ce vers : 

« Je célèbre une maison par trois fois victorieuse à Olympie... »

 

Un peu plus tard, il écrivit une ode qui fut chantée lors du repas sacrificatoire, dont les premiers vers s'adressent aux courtisanes sacrifiant à Aphrodite en même temps que Xénophon. Les voici :

 « Ô reine de Chypre, ici, dans ce sanctuaire, Xénophon a offert en pâture une troupe de cent filles, heureux que son vœu ait été exaucé. » 

Voici ensuite la mélodie :

 « Jeunes filles si accueillantes aux étrangers, prêtresses de la Persuasion dans l’onctueuse Corinthe, vous qui sur l'autel faites brûler les larmes jaunes de l'encens frais, souvent vous volez en pensée jusqu'à la mère des Amours, la merveilleuse Aphrodite ; ô enfants, libres de reproches, elle vous a accordé le droit de cueillir le fruit de la douce beauté dans vos étreintes passionnées. Quand la nécessité l'exige, tout est beau. » 

Après ce début, Pindare continue : 

« Mais je me demande ce que les maîtres de l'Isthme diront de moi, qui, pour prélude à mon chant, avec des mots d’une douceur de miel, me suis fait l’allié de ces femmes publiques. » 

En effet, il est évident qu'en s'adressant à ces prostituées, le poète était curieux de savoir comment les Corinthiens prendraient la chose. Mais, très confiant à l’égard de sa propre intégrité, il poursuit ainsi :  

« Nous avons voulu examiner l'or avec une pierre de touche pure. »

 Du reste, les prostituées célèbrent aussi leur propre fête d'Aphrodite à Corinthe, comme Alexis nous le rapporte dans ces lignes tirées de son Amante :  

« La ville célèbre une fête d'Aphrodite pour les prostituées, une fête qui diffère notablement de celle qui est réservée aux femmes honnêtes. Durant ces journées, il est de règle que les putains s'amusent, et il leur est même permis de s’enivrer dans nos festins. » 

Et vint Alcibiade...  

34. À Lacédémone, s’il faut suivre Polémon le géographe dans son recueil sur les Offrandes à Lacédémone, on peut voir un portrait de la célèbre courtisane Cottina, qui aurait, selon lui, consacré une vache de bronze. Voici dans quels termes :  

« Et il y a le petit portrait de la courtisane Cottina, qui a suscité en son temps tellement d’émoi que l’on montre encore de nos jours la maison de passe où elle habitait non loin de Colone, là où se dresse le temple de Dionysos. Cette bâtisse est illustre à plus d’un titre et bien des gens la connaissent. En guise d’enseigne, nous trouvons au-dessus de la statue de Pallas une petite vache de bronze ainsi que le portrait que je viens de mentionner. » 

Mais parlons du bel Alcibiade, à propos duquel un poète comique a dit ceci :  

« Le délicat Alcibiade, ô  terre et dieux ! que les Lacédémoniens veulent arrêter comme adultère... » 

Ce lascar, bien qu’aimé par la femme d'Agis, n’en allait pas moins faire la nouba à la porte des filles de joie, laissant sur la carreau à la fois les femmes mariées de Sparte et de l'Attique. Il éprouva de vifs sentiments envers Médontis d'Abydos, dès qu’il fut au courant de ses merveilleux attraits. Voulant alors la conquérir, il s’embarqua sur-le-champ pour l'Hellespont en compagnie d'Axiochos, qui était alors son mignon de service, comme le confirme l'orateur Lysias dans le discours qu'il prononça contre lui. Pour finir, les deux amis se partagèrent allègrement les faveurs de la donzelle...
   Ajoutons qu’Alcibiade traînait toujours derrière lui deux autres prostituées, à savoir Damasandra, la mère de Laïs – la plus jeune des Laïs - et Théodoté. C’est d’ailleurs cette dernière qui organisa ses funérailles à Melissé de Phrygie quand il mourut, victime de la trahison de Pharnabaze. Moi-même, j’ai vu le tombeau d’Alcibiade à Melissé, un jour que j’allais de Synnada à Métropolis. Tous les ans, on y sacrifie un bœuf, par la volonté de l'empereur Hadrien, le prince le plus noble qui soit. Ajoutons que c’est lui qui fit placer sur ce tombeau une statue d'Alcibiade en marbre de Paros.

 

Love story en MÉdie

 

35. Sans forcément tomber des nues, convenons qu’il peut exister des gens qui s’amourachent d’une femme simplement par ouï-dire. Ainsi, dans le livre X de ses Histoires d'Alexandre, Charès de Mytilène parle de ces hommes qui aiment des femmes sans jamais les avoir vues, excepté dans leurs rêves. Mais écoutons ce qu’il nous dit : 

« Hystaspès avait un frère cadet appelé Zariadrès. Les gens du pays prétendaient qu’ils étaient nés des œuvres d'Aphrodite et d'Adonis. Hystaspès était le maître de la Médie et des contrées inférieures, tandis que Zariadrès gouvernait les régions supérieures, des Portes Caspiennes au fleuve Tanaïs.
  Homartès, qui était roi des Marathi, dont l’influence s’étendait au delà du Tanaïs, avait une fille nommée Odatis. Des chroniques racontent qu’un jour Odatis vit en songe Zoriadrès et tomba éperdument amoureuse de lui. La même aventure survint également pour elle à Zariadrès. Dès lors ils ne cessèrent de fantasmer l'un pour l'autre par rêves interposés. Odatis était la plus belle femme de l'Asie, et Zariadrès, de son côté, était considéré comme le plus bel homme.
   Zariadrès exprima à Homartès son désir fervent d'épouser Odatis. Mais Homartès refusa, parce que, n’ayant pas d'enfants mâles, il voulait la donner en mariage à un homme de sa propre maison.
   Peu après, Homartès convoqua les princes du royaume, ainsi que ses amis et parents, pour célébrer les noces de sa fille, en s’abstenant bien de dévoiler le nom de l’élu.
   Quand l’ivresse fut générale, le père fit venir Odatis au banquet, et lui déclara devant les invités réunis :
   « Odatis, ma chère fille, aujourd'hui nous célébrons tes noces. Regarde autour de toi, scrute chaque visage, puis prends une coupe d’or, remplis-la de vin, et offre-la à celui que tu voudrais comme époux. »
   Et la pauvre fille, après avoir regardé autour d’elle, quitta bientôt les lieux, les yeux en larmes. En effet, son unique désir était de voir Zariadrès, lequel avait été averti par elle de la cérémonie.
   Zariadrès avait établi son camp le long du fleuve Tanaïs, qu'il traversa à l’insu de son armée, accompagné seulement de son cocher, avec lequel il s’élança sur son char en pleine nuit, parcourant d’une seule traite un immense territoire d’environ 800 stades. Arrivé à l’endroit où les noces se célébraient, il abandonna char et cocher, et continua son chemin, déguisé en Scythe.
   Il pénétra dans la cour et remarqua Odatis qui pleurait à chaudes larmes devant le buffet, tout occupée à remplir de vin la coupe fatidique. Il vint alors près d’elle et lui dit :
   « Odatis, je suis ici pour exaucer ton désir. Je suis Zariadrès. »
   Voyant que cet étranger ressemblait traits pour traits à l’homme qui peuplait ses rêves, elle ne put contenir sa joie et elle lui tendit la coupe. Il s’en saisit, puis emmena Odatis jusqu’à son char et s’enfuit avec elle.
   Les esclaves et les servantes, qui connaissaient pertinemment le secret d’amour de leur maîtresse, gardèrent le silence, et bien que le père leur ait ordonné de s’expliquer, elles feignirent d'ignorer où était parti le jeune homme.
   Le souvenir de cette histoire d’amour est toujours vivace chez les Barbares d’Asie et elle est extrêmement populaire. Cette légende a souvent été représentée sur les fresques ornant leurs temples, leurs palais et même les demeures des particuliers. Et la plupart des princes ont coutume de donner le nom d’Odatis à leur propre fille. »

Une histoire marseillaise

36. Aristote raconte une aventure similaire dans sa Constitution de Marseille. Voici comment il le fait : 

« Les Phocéens, qui fondèrent Marseille, étaient des commerçants venus d’Ionie. Un jour, le roi Nannos – tel était son nom – accueillit Euxène de Phocée. Or, le jour même de l’arrivée de ce dernier, Nannos célébrait les noces de sa fille : de fait, Euxène fut invité à participer au banquet nuptial.
   Le mariage devait se dérouler de la façon suivante : après le repas, la jeune fille devait entrer dans la salle des cérémonies et offrir une coupe de vin mélangé à celui qui deviendrait son époux.
   Quand la jeune fille entra, elle donna la coupe, soit par hasard, soit pour une raison qui ne tient qu’à elle, à Euxène. La jeune fille se nommait Petta.
   La chose une fois faite, le père, croyant que cette offrande correspondait à la volonté divine, consentit à cette union. Euxène prit donc pour femme Petta et vécut avec elle, non sans avoir changé son nom contre celui d’Aristoxène.
   Il existe encore à Marseille une famille qui descend de cette femme : il s’agit des Protiades, Protis étant le fils d'Euxène et d'Aristoxèné. »

 Énumération de courtisanes

37. Et Thémistocle, si l’on en croit Idoménéos, n'a-t-il pas attelé un char avec quatre prostituées, et n’est-il pas apparu accompagné d’un pareil cortège en plein cœur de l’agora ? Ces femmes étaient Lamia, Scioné, Satyra et Nannion.
   D’ailleurs, Thémistocle lui-même ne fut-il pas enfanté par une courtisane du nom d’Abrotonon ? Dans son livre sur les Hommes illustres, Amphicratès ne dit pas autre chose : 

« Abrotonon était une femme de Thrace ; mais la postérité doit savoir qu’elle fit naître pour la gloire de la Grèce le grand Thémistocle. »

 

Néanmoins, Néanthe de Cyzique, dans les troisième et quatrième livres de son Histoire de la Grèce, écrit que Thémistocle était le fils d'Euterpe.
   Quant à Cyrus, qui guerroya contre son frère, n'était-il pas accompagné dans son expédition par une courtisane que l’on considérait comme la plus séduisante et la plus intelligente des Phocéennes ? Zénophanès prétend qu'elle s’appela d’abord Milto, mais qu’elle changea son nom en Aspasie. Cyrus avait également emmené avec lui une de ses concubines, originaire de Milet.
   N’oublions pas le grand Alexandre qui profitait de la douce compagnie de Thaïs, la courtisane athénienne. Cleitarchos insiste pour nous dire qu’elle porte la responsabilité de l’incendie du palais royal de Persépolis. Après la mort d'Alexandre, cette Thaïs épousa Ptolémée, le premier roi égyptien de cette dynastie, et elle lui donna deux fils, Leontiscos et Lagos, ainsi qu'une fille, Irène, laquelle fut mariée à Eunostos, le roi de Soles, cité de Chypre.
   Quant au deuxième roi d'Égypte, surnommé Philadelphe, comme le rapporte Ptolémée Évergète dans le troisième livre de ses Commentaires, il eut des maîtresses à foison : parmi elles, Didyme, une égyptienne de souche, une authentique splendeur, Bilistiché, Agathocléia, mais aussi Stratonice, dont l’imposant mausolée se dresse au bord de la mer, près d'Éleusis. Il aima encore Myrtion et une infinité d’autres femmes.... Bref ce Ptolémée était un fieffé coureur de jupons.
   D’autre part, Polybe, dans le quatorzième livre de ses Histoires, nous affirme que l’on avait érigé à Alexandrie un grand nombre de statues de Cléino, une femme spécialement chargée de verser des coupes de vin au Philadelphe : à cet effet, on avait pris soin de la représenter vêtue d’une tunique légère et tenant un rhyton entre les mains.
   Et les plus belles demeures de la ville ne portent-elles pas le nom de Myrtion, de Mnésis et de Pothiné ? Mnésis était une joueuse de flûte, tout comme Pothiné, alors que Myrtion était une de ces actrices adulées par le public.
   S’agissant de la courtisane Agathocléia, il faut savoir qu’elle menait le roi Ptolémée Philopator par le bout du nez, au point de causer des troubles funestes dans son royaume.
   Eumaque de Naples, quant à lui, indique dans le deuxième livre de ses Histoires d'Hannibal, que Hiéronyme, le tyran de Syracuse, épousa une prostituée qu’il avait sortie d'un bordel. Et cette femme, qui s’appelait Peitho, devint bientôt reine grâce à lui.

Fils de putes

38. Timothée, le général athénien – la chose n’est pas un secret – était le fils d'une prostituée thrace, qui se distingua toutefois par sa grande classe. Il est vrai que les putains qui se transforment en femmes honorables sont généralement bien plus fiables que ces dames qui se glorifient de leur respectabilité.
   Alors qu'on glosait sur le fait qu’il était né d’une telle mère, Timothée répondit :
 

« Oui, c’est vrai, et de plus, je lui sais gré de m’avoir fait fils de Conon. » 

Philétairos, qui fut roi de Pergame et des régions connues sous le nom de Caene, était le fils d'une joueuse de flûte appelée Boa, une prostituée originaire de Paphlagonie : c’est en tout cas ce que rapporte Carystios de Pergame dans ses Commentaires historiques.
   Quant à l'orateur Aristophon, celui-là même qui proposa sous l'archontat d'Euclide une loi selon laquelle quiconque n’était pas issu d’une femme née dans la cité devait être déclaré illégitime, il fut confondu par le poète comique Calliadès qui révéla qu’il était né, en fait, des amours de la courtisane Chorégis. Encore une fois, c’est Carystios qui nous apprend la chose dans le troisième livre de ses Commentaires.
   Poursuivons notre propos. Démétrios Poliorcète aima à la folie la joueuse de flûte Lamia, dont il eut une fille, - peut-être Phila.
   Soit dit en passant, cette Lamia était, aux dires de Polémon, la fille de Cléanor d'Athènes, et elle aurait fait construire le portique de Sycione, un ouvrage auquel Polémon a consacré l’un de ses écrits.
   Démétrios fut aussi épris de Léaena, une athénienne, et de bien d’autres courtisanes encore.

ObscÉnitÉs royales

39. Quant au poète comique Machon, voici ce qu’il dit dans son recueil de Sentences :

 « En raison de sa sensualité exacerbée, digne d’une lionne, Leéna prenait du bon temps auprès de Démétrios. On raconte qu’un jour, Lamia ayant chevauché le roi d’une façon si experte, celui-ci ne put que l’en féliciter. Elle dit alors au prince : « Pour cela aussi, si tu le veux, prends Leéna ! » 

Lamia avait un sens inné de la répartie ; elle était tout aussi pleine d'esprit que Gnathaena, dont nous reparlerons plus tard.  Machon écrit encore ceci au sujet de Lamia : 

« Lors d'un banquet, le roi Démétrios montrait à Lamia toute une série de parfums. Précisons que cette Lamia était une joueuse de flûte que Démétrios appréciait particulièrement tant elle avait su le chatouiller avec un art consommé.
   Lamia repoussa tous les parfums avec un mépris sidérant, au risque de contrarier le roi. Celui-ci, d'un signe, ordonna qu'on lui apportât en douce une pommade facile à utiliser et il s’en frotta le sexe. Puis, touchant sa maîtresse de son doigt, il lui dit ceci : « Et ce parfum, ma chère, respire-le et tu constateras combien il est agréable ! »
   Riant aux éclats, elle lui répondit : « Petit malin, à mon avis, l’odeur en est plutôt infecte. »
   À cela, Démétrios répliqua : « Certes, mais, les dieux m'en sont témoins, elle émane d’un gland royal ! »

 

Courtisanes de MacÉdoine

 

40. Ptolémée, fils d'Agésarchos, nous donne, dans son Histoire de Philopator, une liste des maîtresses royales. Voici ce qu’il écrit : 

« Philippe, qui accrut considérablement la puissance macédonienne, eut pour maîtresse la danseuse Philinna, dont il eut Arrhidée, qui régna après Alexandre.
Démétrios Poliorcète, après toutes celles dont nous avons fait mention plus haut, eut pour maîtresse Mania. Antigonos eut Démo, avec laquelle il engendra Alcyon. Enfin, Séleucos le jeune eut Mysta et Nysa. »
 

Dans le trente-sixième livre de ses Histoires, Héraclide de Lembos ajoute que Démo était l’amie de Démétrios.
    Or on raconte que son père Antigonos était lui aussi violemment épris de cette femme, à tel point qu’il mit à mort Oxythémis qui avait été le complice des crimes de Démétrios et qui avait fait périr, après les avoir soumises à la torture, les servantes de Démo.

 

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