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CATHEDRAL CHURCH
OF SAINT ENNODIUS AND
SAINT VERONICA
AT WENCHOSTER
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à LA TABLE D'ENNODIUS ENNODIUS
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
LETTRES
LIVRE IX
livre I - livre II -
livre III - livre IV -
livre V - livre VI - livre
VII - livre VIII
LIBER NONUS.
|
LIVRE NEUVIÈME.
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EPISTOLA PRIMA.
ENNODIUS ARATORI.
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LETTRE PREMIÈRE.
ENNODIUS A ARATOR.
Il l’engage à
se marier. |
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Velim ita labori meo faveas, ut
jejuno veniam præstes ingenio, quia nefas est in devotionibus
despici amabilem discendi cupiditatem: quando quod gratiosus
obtulerit, durus rerum interpres evacuat. Laudandus est in
studiis, vel qui facundum æquare non putatur eloquio. Inter
benignos et eruditos, quid eligatur incertum est, cum pars
utraque det pretium. Ergo crede diligenti, et amaritudinem
temporibus legitimi amoris amollire. Nolo rem voti facias
necessitatem: et desideria quibus humanum genus natura peperit,
digeras in mœrorem. Non habiturus continentiam, nisi nuptias
optet, in culpa est: conjugalis copulæ vitans remedium,
electurus est aut virtutes, aut crimina. Tu te ut metiaris,
imploro, ut nec supra hominem plenum casibus iter arripias, nec
intra hominem quæ sunt plectenda mediteris. Vix delinquit, qui a
natura et lege non deviat. Ergo post Musarum castra, et inanes
ætate nostra cantilenas, ad curam te serendæ sobolis muta: vita
quod viluit, quia inter imperitorum exercitus furor est nolle
rusticari: juvat sapientem, hoc esse quod plurimos. Facessat
philosophia in nostrorum nota conventibus: ego donasse curis
cupio, quotiens infelicem inscitiam sequitur qui præcedit.
Ergo honorem salutati accipiens,
rescribe mihi quid cum animo tuo pagina mea egerit. Nam si quæ
mihi sit sententia flagites, ego ipsa studiorum liberalium
nomina jam detestor. |
Je souhaite que mon travail trouve
auprès de vous une telle faveur que vous ne teniez pas rigueur à
mon esprit de son avidité. C’est mal de mépriser chez ceux qui
nous sont dévoués un aimable désir d’apprendre et de rejeter
avec dédain ce qui est offert de grand cœur. On doit louer de
ses études même celui que l’on n’estime pas atteindre aux
sommets de l’éloquence. Entre l’amabilité et la science le choix
donne de l’embarras car l’une comme l’autre ont du prix. Donc
fiez-vous à mon affection et chassez tout amer souci en ces
jours que vous donnez à l’amour légitime. Je ne veux pas que
vous fassiez d’une chose à désirer une nécessité que l’on subit,
ni que vous convertissiez en chagrin les aspirations qui sont le
principe de la génération du genre humain. Celui qui n’est pas
en état de garder la continence, doit désirer se marier, sans
quoi il est en faute si l’on repousse le remède du mariage, il
faut choisir ou l’héroïsme de la vertu ou la flétrissure du
vice. Je vous conjure de mesurer vos forces afin de ne pas vous
engager témérairement dans une voie surhumaine pleine de périls,
ni méditer une ligne de conduite de tout point répréhensible.
Une vie conforme à la nature et à la loi est presque
irréprochable. Donc après avoir servi les Muses et consacré
votre talent à des bagatelles poétiques qui ne sont plus de
notre âge, songez à fonder une famille ; évitez le commun, car
parmi la foule des gens sans culture, c’est une fureur de
paraître distingué. On aime, si l’on est avisé, à se conformer
au goût de la multitude. Laissons la philosophie à la porte de
nos salons; quant à moi, je veux oublier tout souci, dès lors
qu’une heureuse ignorance est mise en honneur par mon chef de
file.
Veuillez donc agréer l’hommage de mes salutations et,
répondez-moi pour me dire quelle impression ma lettre aura
produite sur votre esprit. Car si vous êtes désireux de
connaître mon sentiment, j’en suis à détester jusques aux noms
des arts libéraux. |
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EPISTOLA II.
ENNODIUS FAUSTO.
|
LETTRE II.
ENNODIUS A FAUSTUS.
Il le prie en son nom et en celui de Faustinus, père d’Ambroise,
de veiller sur ce jeune homme, durant le séjour qu’il fait à
Rome comme
étudiant. |
|
Stat apud conscientiam culminis
vestri quid sublimis viri Faustini voto debeam et generi: et
ideo quamvis apud vos credat sufficere quod pro filio pater
rogavit, per me tamen quia parum putat ejus sollicitudo quod
egerit, preces frequentat, sperans ut noster adolescens ad
maturos, Deo auspice, mores erigatur: vos detis præcepta, quid
sequi debeat, quid cavere, vos apud quos necessarium
credideritis scriptione prosequamini. Hoc scio culmen vestrum
etiam si taceam, esse facturum: sed nec debui tanti viri
precibus deesse, nec potui: qua de re permotus lacrymis superius
comprehensi, et ego flens supplico per illam quæ vobis a Deo
concessa est, conscientiam (sic petitiones vestras pia martyrum
Salvatori nostro commendet adsertio), ut efficaciter apud vos et
creator pro filio et domnus Faustinus pro Ambrosio supplicet: et
ordinate prædictum juvenem, et orate pro ipso, ut adolescentem
Roma nec vitiis possit, nec moribus exstinguere. Scio vos plura
apud homines, sed majora apud Deum prævalere. Et ideo securus
jam effectum illis polliceor quos commendo. Ergo reverentiam
salutationis exsolvens, paucis multa contexui. Sufficit Deo
placentis viri instructam esse pietatem: et causa et persona,
cum Dei solatio, vestro disponatur studio. |
Votre Eminence sait fort bien ce que le sublime Faustinus et sa
famille ont le droit d’attendre de nous; aussi malgré
qu’il ne doute pas que, de votre part, la demande qu’il vous
adressa en faveur de son fils, ne soit plus que suffisante, il
ne laisse pas d’user de mon intermédiaire pour renouveler ses
instances, car au regard de sa sollicitude, ce qu’il a fait
n’est que peu de chose; et il espère, que sous votre sauvegarde
le jeune homme sera formé à des mœurs pures. Vous-même
prescrivez-lui ce qu’il doit faire, ce qu’il doit éviter;
écrivez-en à ceux qu’il vous paraîtra nécessaire. Je sais bien
que tout cela, lors même que je n’en dirais rien, votre Eminence
ne manquerait pas de le faire; mais je ne pouvais me refuser aux
instances d’un homme de cette qualité, ni ne le devais. C’est
pourquoi, touché de ses larmes et moi-même en pleurs, je vous en
supplie par cette conscience dont Dieu vous a gratifié.
(Qu’ainsi vos prières arrivent à notre Sauveur munies de la
pieuse recommandation des martyrs), que les supplications du
père pour son fils, du seigneur Faustinus pour Ambroise,
obtiennent leur efficacité. Gouvernez notre jeune homme et priez
pour lui, afin que son adolescence ne trouve à Rome ni la mort
du vice, ni celle de la maladie. Je vous sais puissant auprès
des hommes, mais plus puissant encore auprès de Dieu. Aussi
c’est avec pleine confiance que je promets le bon effet de ma
recommandation à ceux à qui je la donne. Il ne me reste qu’à
vous rendre l’hommage de mes salutations et en peu de mots
j’aurai renfermé beaucoup de choses. Il suffit à l’homme qui
plaît à Dieu que sa piété soit éclairée avec la grâce de Dieu,
prenez en main et la cause et la personne. |
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EPISTOLA III.
ENNODIUS MERIBAUDO.
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LETTRE III.
ENNODIUS A MÉRIBAUDUS.
Ambroise va recevoir à Rome les leçons de Méribaudus. Ennodius
présente au maître éminent ce noble jeune homme et je lui
recommande. |
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Quasi solem facibus adjuvet, et
mare exiguo humore locupletet, ita superfluis laborat impendiis,
qui per se placitura commendat. Sed stultum est perire
occasionem beneficii, quando auxilium fortis implorat; opum
largus supra copias ditatus est, si credit subsidium quod pauper
obtulerit. Regale munus fit, cui insigne pretium præstat
accipiens.
Domnus Faustinus de prolis suæ
profectu supra quam poscit paterna cura, sollicitus, Ambrosium
nostrum hac apud vos credidit prosecutione communiri: æstimans
quod sanguis ejus, quod prudentia, quod census, intra Liguriæ
angusta delitesceret; et quod artis fama nobilis arctaretur
obstaculis: alieno præsidio claritatem suam in Romanam lucem
putat erumpere.
Facessat ab studiis meis negare
testimonium quod plus opitulatur auctori: qui enim bonos
asserit, approbatur.
Videte quæ de vobis fiducia sit,
cui quidquid præcipuum habet nobilis terra commisit. Nolo putet
apud nos quod hac sit familia potius inveniri. Sufficit honorum
cupidis sic plures vincere, ut potissimis comparentur.
Honestatem juvenis vulgatus natalium pudor ostendit: faciat
divinitatis dispensatio ut per vos principia ejus hic bene
locata solidentur.
Ergo honorem salutationis
accipite, et petitioni meæ paterna, sicut præceptores vocavit
antiquitas,
pietate respondete. |
C’est prétendre renforcer le
soleil par des flambeaux et grossir la mer en y versant quelques
gouttes d’eau que de se donner la peine inutile de recommander
ce qui de soi a tout pour plaire. D’autre part, n’est-ce pas
folie de manquer l’occasion d’être obligeant, lorsque un fort
appelle à son aide? L’opulent se trouve enrichi s’il estime
utile pour lui ce qu’un pauvre lui a offert. Un présent devient
royal dès lors qu’il tire une valeur insigne de celui qui le
reçoit.
Le seigneur Faustinus, préoccupé
au delà de ce que réclame la sollicitude paternelle de l’avenir
de son fils, a cru utile à notre Ambroise de se présenter à vous
muni de cette lettre de recommandation. Il estime que l’éclat de
son sang, de ses talents, de sa fortune resterait éclipsé entre
les étroites limites de la Ligurie et que son savoir n’y
pourrait percer. Il espère, au contraire, que, grâce à l’appui
qu’il y trouvera, ses mérites jetteront de l’éclat au milieu des
splendeurs de Rome.
Dieu me garde de refuser un
témoignage qui profite surtout à celui qui le rend. Car, faire
l’éloge des bons, n’est-ce point se rendre soi-même
recommandable?
Voyez de quelle estime vous
jouissez, puisque ce noble pays de Ligurie vous confie ce qu’il
possède de meilleur. Il nie qu’on puisse rien trouver chez nous
qui soit au-dessus de cette famille. C’est assez pour ceux qui
ambitionnent les honneurs d’avoir le pas sur un si grand nombre
qu’ils soient rangés parmi les premiers. L’honnêteté d’un jeune
homme a sa garantie dans la noblesse bien connue de sa
naissance. Fasse le ciel que par vous celui-ci se montre de plus
en plus digne de son illustre origine.
Recevez mes salutations, et puisque l’antique usage vous a donné
le nom de précepteurs, répondez à ma demande avec la bonté d’un
père. |
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EPISTOLA IV.
PROBINO ENNODIUS.
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LETTRE IV.
ENNODIUS A PROBINUS.
Même sujet: recommander le jeune Ambroise. Probinus fut consul
en 489. Plus tard Ennodius écrivait de lui au même Ambroise:
« Vous avez le
patricien Probinus, brillante illustration d’une race paisible,
formé aux pures traditions de science de sa famille... »
Et parlant de son fils: « Vous avez son fils, le
praticien Céthégus, personnage consulaire. Encore jeune il
montre la prudence d’un vieillard; en lui s’allie la sagesse
d’un âge avancé aux charmes de la jeunesse » (opus.
vi). Consul en 504. |
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Si apud eminentiam vestram
supplicatio mea recordatione subsisteret, crebra scriptione
patuisset: nec quos apud Liguriam vestros dignatione vocabatis,
sepeliret oblivio. Sed quia loco et opibus divisi, nec
diligentiæ lege comparantur; ideo perfectam subjectis caritatem,
si digni sint allocutione, præstatis: hac in amicitiam
discretione cœuntes, ut vos cogamini tantum respicere, nos
amare. Erit vilium superba conditio, si plus a potentibus quam
verba præstolantur. Ad querelam descendi caritatis imperio:
debuistis me post periculum quod videratis, dignum putare
colloquio, vel quia recentis mysterii reviviscentem commendabat
assertio: puto quod digni sint bonorum gratia de sepulcris
Redemptoris nostri potentia restituti.
Ego tamen, quamvis sim prodigus
frontis et garrulus, nec dum de me fiduciam gerens, propinquos
insinuo. Præsentium portitor, domni Faustini filius,
sufficienter bona pollicetur merita de parente: hunc ut vos
foveatis, imploro: quia bene nostis qua sit creator ejus morum
luce conspicuus: nec debet ad alios festinare, nisi ad vos,
quemcunque vitæ auctoritas armat et generis.
Ergo, domne mi, obsequio
salutationis impenso, rogo ut prosperitatem vestram epistolaris
cura manifestet. |
Si votre Eminence accordait à mes
instances la faveur de s’en souvenir, de fréquentes lettres en
fourniraient ta preuve, et les vôtres de Ligurie, comme vous
daignez nous appeler, ne resteraient pas ensevelis dans l’oubli.
Mais ceux que la distance en même temps que la fortune tiennent
séparés, ne sont point rapprochés par la loi de l’amitié; c’est
pour cela que, lorsqu’ils en sont dignes, vous témoignez à vos
inférieurs des sentiments de parfaite affection en leur
adressant simplement la parole. Vous allez à l’amitié de telle
façon que, de votre part, il vous suffit d’incliner sur nous vos
regards pour nous forcer à vous aimer. Ce serait de la part des
inférieurs de l’outrecuidance que d’attendre des puissants plus
que de bonnes paroles. Si je formule ces plaintes, c’est sous
l’empire de l’affection. Ne deviez-vous pas m’estimer digne
d’une lettre après m’avoir vu d’abord en si grand danger, puis
revenu à la vie par une guérison qu’on peut dire mystérieuse?
J’estime qu’on doit quelque honneur à ceux que la puissance de
notre Rédempteur a rappelés du tombeau.
Or quoique je sois effronté et
bavard, je n’ai point confiance en moi et je cherche pour mes
proches des protecteurs. Le porteur des présentes, fils du
seigneur Faustinus, est doué de qualités pleines de promesses et
que garantit suffisamment le nom de son père. Je vous demande de
lui porter vous aussi de l’intérêt et de lui donner vos soins,
car vous n’ignorez pas de quel éclat brille la vertu de son père
et l’on ne peut adresser à d’autres qu’à vous quiconque se
présente muni du renom de sa propre vertu et de celle de sa
famille.
Enfin, cher Seigneur, après vous avoir offert l’hommage de mes
salutations, je vous prie de m’écrire pour me donner de vos
bonnes nouvelles. |
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EPISTOLA V.
HORMISDÆ DIACONO
ENNODIUS.
|
LETTRE V.
ENNODIUS AU DIACRE HORMISDAS.
Il lui fait part de son
retour à la santé. |
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Cœlestis dispensatio epistolaribus
beneficiis junctos caritate consociat: dum quos discernit
itinerum prolixitas, in remedio sollicitudinis jungit affectio,
si sit cura sermonis. Silentium tamen vestrum nimis admiror,
quod post depositæ sarcinas ægritudinis nulla me allocutione
sublevastis. Sed quia loquendo opportune cogimus, ut loquaris,
vel garruli imitatione responde. Bene enim res desiderii et
poscitur, et impetratur exemplis.
Ergo honorem salutationis
impendens, indico me, Deo propitio, jam valere, supplicans, ut
vicaria mihi styli promulgatione benedicas. |
Le ciel a voulu que le commerce
épistolaire rapprochât ceux qu’unit l’affection. Ainsi quelle
que soit la distance qui les sépare, ils ne sont plus solitaires
mais réunis par l’amitié, s’ils ont soin de s’écrire. Je suis
fort étonné de votre silence et qu’après mon retour à la santé
je n’aie pas eu la consolation de recevoir de vous la moindre
lettre. J’espère qu’en vous adressant moi-même la parole
j’obtiendrai de vous faire parler et que ne pouvant vous
dispenser de m’imiter jusque dans mon bavardage, vous allez me
répondre. Car le meilleur moyen de demander et d’obtenir ce que
l’on désire, c’est d’en donner l’exemple.
Donc
en vous adressant l’hommage de mes salutations, je vous annonce
que, par la grâce de Dieu, je suis revenu en santé et vous
supplie de m’accorder la faveur d’une réponse. |
|
EPISTOLA VI.
BEATO ENNODIUS.
|
LETTRE VI.
ENNODIUS A BÉATUS.
Pour exciter Béatus, son
jeune protégé, à lui écrire, il met son silence
sur le compte de
l’ignorance. |
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Si proferenda temporibus de
eruditionis messe pectoris horreo condidisses, jejunæ ab
epistolis tuis commeantium dexteræ non venirent. Sed quia
negligentiam et sterilitatem tuam sermonis prodit abstinentia,
nos necesse est iterum ad culturam admonitionis assurgere, et
terga jactis infecunda seminibus recidivis ad ubertatem sulcis
urgere. Ubi sunt monita quæ apud te asserebas esse victura? ubi
studium colloquendi, per quod et scientia patescat et caritas?
Clamant silentia tua, te non assecutum quod boni dignum possit
esse judicio. Nam sicut rara doctos, ita continua prodit
taciturnitas imperitos. Ergo erubesce, et tandem aliquando rumpe
vincula, et impedimenta sermonum. Ostende quid valeas, ostende
quid promoveris, si tamen te juxta votum nostrum gratia superna
non deserit.
Nunc salutationis honorem accipe,
et brevi contentus epistola, agnosce patri tuo quæ longa
correptione reserentur fuisse mandata. |
Si vous aviez moissonné dans le
champ de l’érudition, si vous aviez rempli les greniers de votre
intelligence pour y puiser à l’occasion, on ne verrait pas ceux
qui viennent de Rome arriver les mains vides. Ce silence obstiné
dénonce votre négligence et voire incapacité il m’oblige à vous
faire entendre de nouvelles admonestations, à soumettre ces
guérets restés stériles, malgré les semences reçues, à de
nouveaux labours pour les forcer à produire. Où sont ces avis
dont vous assuriez devoir tenir compte? Où est le soin de
correspondre, par où se manifestent et la science et l’amitié?
Votre silence proclame que vous n’aviez acquis rien qui puisse
supporter le jugement d’un honnête homme. Car si le savant parle
volontiers et rarement se renferme dans le silence, l’habitude
de se taire obstinément est l’indice de l’ignorance.
Rougissez-en donc et rompez enfin une bonne fois ces liens et
ces entraves. Montrez ce que vous valez, montrez quels sont vos
progrès, si du moins, selon notre vœu, la grâce d’en haut ne
vous fait pas défaut.
Et
maintenant, agréez l’hommage de mes salutations; daignez vous
contenter de cette courte lettre et sachez que j’ai transmis à
votre père ce qui pouvait faire l’objet de plus longue
réprimandes. |
|
EPISTOLA VII.
AVIENO ENNODIUS.
|
LETTRE VII.
ENNODIUS A AVIENUS.
Réponse à une lettre d’Aviénus. Il
le prie de s’employer à lui faire acquérir une maison de
campagne. |
|
Benedico Dei nostri triplicem in
majestatibus unitatem quæ me inter angustias meas, perfectæ
sanitatis loco, de conjunctionis vestræ munere sublevavit. Venit
ad me sera quidem relatio, sed votiva: adsit Redemptor noster,
et impleat quod inclinatus supplicatione concessit.
Domine mi, salutationis
reverentiam solvens, rogo ut actionis vestræ summam de suburbano
illo cum parente vestro domno Liberio, Christo vobiscum
adnitente, compleatis: quatenus si evenit commutatio, pretium
dignetur accipere, ne diutius sub promissionis nutemus ambiguo,
quia vos nostis nihil plus esse quod in hac supplici vestro
mundi conversatione præstetis. |
Je bénis l’Unité de notre Dieu,
triple dans ses majestés, de ce qu’au milieu de mes angoisses,
s’il ne me donne pas une santé parfaite, du moins il m’accorde
comme soulagement le bienfait de votre amitié. Votre lettre
m’est arrivée tardive, il est vrai, mais bien conforme à mes
vœux. Que notre Rédempteur me soit en aide et qu’il parachève ce
qu’il a commencé d’accorder à nos supplications.
Mon
cher Seigneur, tout en vous rendant l’hommage de mes
salutations, je vous prie de vouloir bien, le Christ aidant,
vous employer à terminer avec votre parent, le seigneur
Liberius, l’affaire relative à ce domaine des faubourgs. Tâchez
d’obtenir, si le marché se conclut, qu’il accepte le prix, afin
que nous ne demeurions pas plus longtemps en suspens sur de
simples promesses. Vous savez que vous ne pouvez en ce monde
rendre à votre humble suppliant un plus signalé service. |
|
EPISTOLA VIII.
ENNODIUS VICTORI.
|
LETTRE VIII.
ENNODIUS A VICTOR.
Cette lettre suppose qu’Ennodius dirigeait à Milan une école
fonctionnant régulièrement. Elle était fréquentée par des
internes venus de pays éloignés; mais on doit supposer
que de nombreux externes de la ville et des environs en
suivaient les cours. |
|
Dum inscitiam sublimitas
tua præloquitur, eruditionis secreta patefecit: impugnas
perfectione quod asseris. Nam dum te salvo pudore illitteratum
esse confirmas, quid naturæ vigor, quid studiorum lima
contulerit, declarasti. Credat mihi sublimitas tua, imbuendum
liberalibus disciplinis jam suis bonis ditavit. Si talis lingua
prosequitur fratris Pauli filium, facunda astipulatio et
commendat et edocet. Nihil longe degentibus magistris opus est,
quando digna laude loquitur, qui dirigit ad docentem. Erubesco
insinuatum minus invenisse quam detulit: Deum rogans ut quod de
me per affectionem præsumitis, ingenii valeam virtute complere.
Vos tamen, honore salutationis accepto, quibus libet officium
sermonis impendite; dummodo sollicitudini meæ de prosperitate
multiplex scriptionis cura respondeat. |
Tout
en alléguant son ignorance, votre sublimité révèle les trésors
secrets de son érudition. Car tandis que par modestie vous vous
prétendez dépourvu de littérature, vous avez montré ce que vous
tenez et de la richesse de votre naturel et d’études
laborieuses. Que votre sublimité veuille bien m’en croire, ce
jeune homme qu’elle nous confie pour l’initier aux arts
libéraux, elle l’a déjà enrichi de ses propres biens. Lorsqu’une
langue qui sait si bien parler présente le fils du frère de
Paul, un témoignage si éloquent l’instruit en même temps qu’il
le recommande. Qu’est-il besoin de chercher au loin des maîtres,
lorsque celui qui leur amène l’élève parle lui-même à la
perfection? Je rougis de constater que cet élève trouvera auprès
de son nouveau maître moins qu’il n’apportera, et je prie Dieu
que les ressources de mon talent répondent pleinement à ce que
votre affection vous fait attendre de moi. Quant à vous,
l’hommage de mes salutations agréé, accordez à qui vous voudrez
la faveur de vos entretiens pourvu que le soin de m’écrire
souvent réponde à la sollicitude que m’inspire le souci de votre
prospérité. |
|
EPISTOLA IX.
CAMILLÆ ENNODIUS.
|
LETTRE IX.
ENNODIUS A CAMILLA.
Ennodius directeur d’école. Camilla, sa parente en Gaule, à
Aria, selon toute apparence, était tombée dans une grande misère
(IX, 29). Il ne lui
restait pour vivre que le modeste loyer de quelques maisonnettes
grevées de lourds impôts. Cet état de gène dut la déterminer à
se séparer de son jeune fils, pour confier te soin de son
éducation à Ennodius. Le père d’Ennodius (IV, 25)
s’appelait Camille. |
|
Intercepisti nostrum,
nescio quem secuta, consilium. Nam parvulum tuum quem studiorum
liberalium debuit cura suscipere, ante judicii convenientis
tempora, religionis titulis insignisti. Veneranda quidem
ecclesiastici forma servitii, sed quæ ad duas partes animum non
relaxet: unum et difficile iter est quo itur ad Christum, nec
occupatos multipliciter aliquando vita arcta suscepit.
Properantes ad se de disciplinis sæcularibus salutis opifex non
refutat; sed ire ad illas quemquam de suo nitore non patitur.
Jam si eum mundo subtraxeras, mundi in eo schemata non requiras:
erubesco ecclesiastica profitentem ornamentis sæcularibus
expolire. Annueram quod per Patricium diaconum, quantum ipse
asseruit, postulasti: quid oportuit eum aliter ad me, quam
diebus ipsis inventus est, destinari? Si judicium meum consulis,
volo ad me pertinentes magis merito sanctos esse quam titulo.
Vere animum meum de quietis statione ad cogitationum pelagus
expulisti. Suscepi tamen Deo auspice sanguinis mei vernulam.
Nunc restat ut conatibus meis favor cœlestis arrideat, et
negligentias hominum piæ moderationis ubertate componat. Domina,
ut supra, salutem debitam dicens, precor ut nunc geminam
sollicitudinem pro utrisque suscipias, et Deo nostro commendare
adsiduis precibus non omittas. |
Vous
avez, je ne sais sous quelle inspiration, entravé l’exécution de
nos projets. Car ce jeune enfant que le souci des études
libérales devait absorber tout entier, vous l’avez revêtu des
livrées de la religion avant l’âge requis pour apporter à
pareille démarche toute la discrétion nécessaire. Certes
l’engagement dans la vie ecclésiastique mérite toute notre
vénération, mais à la condition de ne pas laisser l’esprit en
balance entre deux régimes à suivre et de l’absorber
entièrement. Le chemin qui mène au Christ est unique et
difficile et ce n’est pas par un étroit sentier que peuvent
marcher ceux qui sont absorbés par de multiples préoccupations.
L’auteur de notre salut ne repousse pas ceux qui viennent à lui
des études séculières, mais il ne souffre pas que pour aller à
ces études on s’éloigne de la splendeur de sa doctrine. Si déjà
vous l’aviez arraché au monde, il ne fallait plus vouloir en lui
les manières du monde : c’est pour moi une honte de donner une
instruction séculière à un clerc.
Je vous avais accordé tout ce que vous m’aviez demandé par le
diacre Patricius; quel besoin y avait, il de me l’envoyer dans
un état différent de celui où il était alors? Si vous tenez
compte de mon opinion, je veux que ceux qui me touchent soient
saints plus par le mérite que par le titre. En vérité ce que
vous avez fait m’a totalement bouleversé. J’ai pourtant reçu
quand même, Dieu aidant, ce rejeton de mon sang. Il reste
maintenant que la faveur céleste seconde mes efforts et supplée
aux négligences des hommes par l’efficacité d’une pieuse
direction. Chère dame, en vous adressant, comme toujours, les
salutations que je vous dois, je vous prie de nous avoir
maintenant tous les deux en une même sollicitude, et de ne pas
omettre de nous recommander à Dieu par des prières assidues. |
|
EPISTOLA X.
CELSO ENNODIUS.
|
LETTRE X.
ENNODIUS A CELSE.
Celse était de Milan où
s’écoula sa jeunesse. Appelé, sans doute par quelque charge,
à
se fixer au-delà du Gargare, l’un
des sommets de l’Ida en Phrygie, il ne donnait plus signe de
vie. |
|
Lenocinium est, non
gratiæ sacramentum, quod tantum præsentibus exhibetur: amicitiæ
sinceritas et longe positos non relinquit. Quid possit vera
fides, intelligat qui tunc adipiscitur beneficia, quando desinit
supplicare; ego mihi debeo quod ad stationem precum trans
Gargara positus pervenisti. Tu luce conscientiæ amicos et
litteras uno a te tempore divisisti, sectans non solum
longinqua, sed abdita, ita ut nusquam te sagacis boni persecutor
inveniat. Semper et hic quidem latentia inter lepores cubilia
diligebas; sed sæpe latebram tuam, qui presso ore vestigia
rimatus est invenit. Nunc altiori consilio, credo, ut majores
accenderis, te hominum cœtibus submovisti. Ergo solam pueritiam
debuisti Mediolanensibus tuis? et virum te tenere debuerant qui
puerum possederunt; et quos lætificasti de amplexibus, debuisti
juvare consiliis. Sed hinc alias; tu tibi provisionum tuarum aut
gaudia debebis aut lacrymas. Ego interim salutationem præfatus
memor debiti donationem de puero destinavi, hoc apud me
reputans, ut nec importunus in tempore diffidentiæ suæ vinceret,
et cessans inter desperationis mala gauderet. |
C’est agir en courtisan et non donner un témoignage de sa
bienveillance que de n’avoir d’attentions que pour ceux qui sont
présents : l’amitié sincère ne néglige point même les plus
éloignés. Pour comprendre ce que peut la vraie fidélité il faut
recevoir des bienfaits lorsque l’on n’est plus en mesure de les
demander. Je me dois de reconnaître qu’en vous établissant
au-delà du Gargare, vous vous êtes mis hors d’atteinte de toute
sollicitation. Vous avez très bien su vous isoler en même temps
et de vos amis et de leurs lettres, prenant le soin non
seulement de vous éloigner mais aussi de vous cacher en quelque
retraite si profonde qu’il fût impossible au plus sagace de vous
découvrir. Même ici ce fut toujours dans vos goûts de vous tenir
caché parmi les lièvres dans des retraites secrètes; mais au
moins pouvait-on, en suivant attentivement votre piste, arriver
à vous trouver. Maintenant je crois que, dans un dessein
profond, pour redoubler nos chagrins, vous vous êtes totalement
séparé de la compagnie des hommes. Ne deviez-vous donc à vos
Milanais que l’enfance? Mais c’était leur droit de vous avoir
homme, eux qui vous possédèrent enfant et ceux que vous aviez
réjouis de vos embrassements, ne deviez-vous pas les aider de
vos conseils? Mais, passons. L’expérience montrera si vous aurez
à vous réjouir de ces précautions ou bien à les déplorer. Quant
à moi, cependant, après vous avoir salué, je n’oublie pas ce que
je dois et je vous envoie un don en souvenir de l’enfant,
faisant à part moi la réflexion qu’il ne faut pas que celui qui
s’est rendu inabordable triomphe en ses défiances, ni qu’il se
réjouisse alors que son silence cause notre désespoir. |
|
EPISTOLA XI.
FAUSTO ENNODIUS.
|
LETTRE XI.
ENNODIUS A FAUSTUS.
A
propos d’une bonne nouvelle qu’il a reçue de Faustus, Ennodius
revient sur la mort de la sainte fille de son ami et fait
allusion au futur mariage de son fils Aviénus, ainsi qu’au choix
qui a été fait de lui, Ennodius, pour représenter en qualité de
député la province de Ligurie à la cour de Théodoric. |
|
Suscepi litteras
multiplici gaudiorum dote locupletes, et gratiam circa vos Dei
quam noveram nuntiantes. Protinus testibus Christi nostri, cum
lacrymis quas suggerebat hilaritas, indicata patefeci: et quod
per ipsos impetratum fuerat, gratias referens, quasi novus
relator asserui. Vere, domne Fauste, simpliciter in hac causa
vulgatum est, quid haberet meriti, quid virium in precibus illa
sancta anima quæ præcessit. Nam etsi sit spes nostra adhuc cæca
mundi luce vestita; sed quod conveniens esse noverat sine nostræ
actionis labore promeruit; cum a nobis divideret res in manibus
collocatas, obtulit longa statione distantes, felicius tribuens
necessaria quam cupita. Ergo mundus iste veri aliquid habet; aut
si non habet, non de ejus ditione mox rapitur. Mentiti sunt
homines qui se jurabant accipere beneficia, si dedissunt: etiam
superna dispensatione conjuncti sunt, a quibus nec accepimus
blandimenta, nec dedimus: certa de desperatione confidentia, et
nebulosum de publicata promissione constitutum. Vere dicerem, si
doleret ista discissio quod tales homines nec illa quam dicitis
nutricem mendacium esse, Liguria potuisset mittere. Quid arguam
prius in illis? fallaciæ, aut fatuitatis obscena? perdiderunt
duos, qui inter se sanctorum impetratione sociantur, per quos
potuisset diu jacentis et in umbram coactæ familiæ scintilla
reparari.
Memores estis, domnum
Avienum vobis in ecclesia dixisse, Deum se de illa puella
specialiter non rogare. Vide progeniem sanctis creatoribus ad
usuram vitæ procedentem. Intelligebat plus se parentum fletibus
quam actione promoturum. Gratias tibi, omnipotens Deus, gratias,
rector fidelium, qui ancillæ tuæ vota respiciens, prophetiæ in
ea pollicitationes implesti, dicentis: Anima ejus in bonis
demorabitur, et semen ejus hæreditabit terram.
Perfice, pie arbiter,
quod remansit, et in alterius servi tui copula serenus aspira.
Mihi si hæc videnda morbus qui jam vitalem præoccupavit
substantiam, non relinquit, videat de illis bona pater, et avi
proavique ante transitum suum nomen accipiat.
Me tamen, quamvis
peccatorem, adhuc gratia superna non deserit, qui admonitionem
cautione prævenio. Nam desideria mea ne legati provincialis
nomen acciperem, licet cum dolore, suspendi. Timui ne aut rerum
dominus, vobis disponentibus, hæc a se exigi crederet, quæ cogit
necessitas postulari; et ego redderer officiis onerosus et
actionibus infecundus, quamvis nec exsequi nec injunctis par
esse sufficerem.
Rogo ut supplicetis Deo,
ut me vel usque ad votorum communium tempora in mundi istius
servet incerto. |
J’ai reçu vos lettres toutes
pleines d’heureuses nouvelles qui font notre joie et où j’ai pu
voir, ce que je savais déjà, en quelle faveur vous êtes auprès
de Dieu. Tout aussitôt, avec des larmes que la joie me faisait
verser, j’en ai informé les témoins de notre Christ et tout en
leur rendant grâces de ce succès obtenu par leurs prières, je
leur en ai fait à mon tour le récit. En vérité, seigneur
Faustus, nous avons vu se manifester clairement en cette affaire
quel est le crédit auprès de Dieu, quelle est la puissance des
prières de cette sainte âme qui nous a précédés en l’autre vie:
car tandis que notre espérance est encore aveuglée par la
lumière de ce monde, elle nous a obtenu, sans aucun concours de
notre part, ce qu’elle savait être le plus expédient. Elle
éloignait de nous ce que nos mains semblaient déjà tenir, mais
elle mettait à notre portée ce qui se trouvait à de longues
distances ; elle nous faisait avoir ce qui nous était nécessaire
et qui valait bien mieux pour nous que ce que nous avions
désiré. Donc ce monde offre quelque chose de vrai, ou bien si
l’on n’y trouve que faux, on ne peut trop tôt être délivré de sa
domination. Ils mentaient ces hommes qui nous juraient que nous
rendre service c’était pour eux un vrai bienfait: il en est même
que la divine Providence a faits nos alliés, de qui nous n’avons
jamais reçu la moindre amabilité: vis-à-vis d’eux nous avons dû
user de procédés analogues. Lorsque tout semblait désespéré il
restait une certaine confiance et les promesses les plus
solennelles laissaient dans l’incertitude. En vérité, si cette
séparation était douloureuse, j’oserais le dire: même la Ligurie
que vous vous plaisez à nommer la mère des menteurs, n’auraient
pu enfanter de tels hommes. Je ne sais ce qui chez eux inspire
le plus de dégoût, de la fausseté ou de la sottise. Ils en ont
perdu deux, aujourd’hui réunis par la prière des saints. Par eux
pouvait se rallumer le flambeau d’une famille depuis longtemps
sans vigueur et tombée dans l’obscurité.
Vous devez vous rappeler ce que le
seigneur Aviénus vous disait un jour à l’église, qu’il ne priait
point Dieu spécialement pour cette sainte jeune fille. Voyez
votre enfant marchant par les soins de ceux à qui elle doit le
jour vers ce fruit de la vie qui est le ciel. Elle comprenait
qu’elle avancerait plus par les larmes de ses parents que par
ses propres efforts. Grâces à vous, Dieu tout puissant; merci,
Providence des fidèles ; vous avez écouté les vœux de votre
servante et réalisé en elle les promesses de cette prophétie:
son âme ira demeurer au séjour des bons et sa race aura la terre
en héritage (Ps. xxiv,
13).
Arbitre de nos destinées si plein
de bonté, achève ce qui reste et favorise de ta bienveillance
l’union conjugale de ton autre serviteur. Si la maladie qui a
pénétré en moi jusques aux sources même de la vie, ne me permet
pas de le voir, que du moins le père soit l’heureux témoin de
leur bonheur; qu’il reçoive avant de quitter ce monde, le nom de
grand-père et de bisaïeul.
Quant à moi, malgré mes péchés, je
ne suis point tout à fait abandonné de la bonté divine puisque
j’ai la sagesse de prévenir les reproches que je pourrais
encourir. Car, malgré qu’il m’en coûte beaucoup, j’ai suspendu
le projet d’accepter la charge de député de la province. Je
crains, si j’assume cette charge, qu’étant donné le pouvoir dont
vous disposez dans l’administration des affaires, le Souverain
ne considère comme extorqué de lui par votre faveur, ce que la
nécessité me fera un devoir de demander; ou bien, si je ne
demande rien, je ne serai qu’une charge pour la province qui
m’aura décoré d’un mandat stérile et que je me trouverai
incapable de remplir.
Je
vous le demande, suppliez Dieu de me garder à travers les
incertitudes de ce monde, au moins jusques à la réalisation de
nos vœux communs. |
|
EPISTOLA XII.
MESSALÆ ENNODIUS.
|
LETTRE XII.
ENNODIUS A MESSALA.
Ce ne sont plus des
reproches comme autrefois (VIII. 3. 9).
mais des éloges qu’il lui adresse:
il loue son talent littéraire et son éloquence. |
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Fero vestrarum absentiam
litterarum, si sic ad incrementa gaudii mei pertinet quod
tacetis. Non est molesta paginalis intermissio, si cum
splendidis dictionibus junguntur rara colloquia. Quod de gratia
circa vos Dei, quod de sanctis parentibus præsumatur accipio.
Jam suffragiis amicorum Dei qui tibi pater et frater est,
agnovisti. Vere dictionem tuam sine lacrymis quas dabant gaudia,
non relegi. Nolo apud te quæ de te sentio verborum importunitate
producere. Labora ut quod suggerente in sensibus vena invenis,
componas eloquentia. Nihil tibi a domni Fausti et domnæ meæ
matris tuæ filio minus est, nisi quod ipse studiose subtraxeris.
Parcat tibi tamen Deus,
ut credas me immemorem esse tui, dum impedientibus morbis
frequenti te scriptione non veneror: debes nosse dignum esse
venia quidquid necessitate delinquitur.
Domine mi, salutationem
plenissimam dicens, benedicere me Deum in operibus ejus de domni
Avieni conjunctione significo; et de te quod ejus pietas
pollicetur exspecto. |
Je me résigne à jeûner de vos
lettres si votre silence doit me ménager une telle surabondance
de joie. Il ne m’est plus pénible de rester longtemps sans
recevoir de vous le moindre billet, si vos rares lettres
m’arrivent avec de splendides dictions. Je reçois enfin ce que
j’attendais et de la grâce de Dieu à votre égard et des mérites,
de vos saints parents. C’est maintenant qu’à l’effet des
suffrages de ces amis de Dieu, vous pouvez comprendre quel père
et quel frère vous avez. En vérité, je n’ai pu, sans verser des
larmes de joie, relire votre diction. Se ne veux point, mal à
propos, mettre sous vos yeux ce que je pense de vous. Travaillez
à composer selon les règles de l’art oratoire ce que vous tirez
de votre génie. Il ne vous manque rien de ce qui convient à un
digne fils du seigneur Faustus et de Madame votre mère; vous
avez même, par l’étude, dépassé cette mesure.
Que Dieu vous pardonne d’avoir cru
que je vous oubliais, alors qu’empêché par la maladie je ne
pouvais m’acquitter souvent du devoir de vous écrire. Vous devez
savoir que toute négligence imposée par la nécessité mérite
pardon.
Mon
cher Seigneur, tout en vous adressant mes salutations les plus
empressées, je vous dirai que je bénis Dieu en ses œuvres au
sujet du mariage du seigneur Aviénus, et que j’attends de vous
ce que l’on peut espérer de sa piété. |
|
EPISTOLA XIII.
PANFRONIO ENNODIUS.
|
LETTRE XIII.
ENNODIUS A PAMFRONIUS.
Une affaire que le porteur devait
exposer en même temps qu’elle était détaillée dans diverses
pièces adressées à Aviénus et Libérius, mettait Ennodius et ses
amis de Milan dans une situation critique. C’était l’œuvre de
perfides menées; pour les déjouer il importait d’agir sans délai
auprès du roi
Théodoric. |
|
Peregrinari me in solo
patrio vobis absentibus crederes, etiamsi valerem. At cum
ægritudo mihi et quorumdam insistat infirmitas, inter utraque
quid faciam? quis uno tempore, et morbos ferat, et perfidos?
Scias nulla cautione, nulla innocentia, in civitate nostra, quæ
Deo medio promissa sunt, custodiri: totum felicitati tribuitur,
nil amori: circa humiles rara dignatio; optimus ille, qui
celsior. Sed hanc ego non pro mei, cui nihil superest quod
sperem, consideratione suspiro, dolet mihi illos perire quos
diligo. Plenius vobis rem omnem, et quam propter studium vestrum
invidiam contraxerim, homo vestet insinuabit. Ego honorem
salutationis impertiens, rogo ut scripta mea, et domno Avieno,
et domno Liberio protinus contradatis; et per ipsum qui vobis
Pamfroniam nostram sanam contribuat, conjuro, ut vos me quid
responsi dederint instruatis; quia si regius occupatione aliqua
negatur adventus, ego ad vos, Deo meo suffragante, sub quavis
membrorum meorum fragilitate venire festino. |
En
votre absence, même avec une parfaite santé, je me trouve comme
étranger sur le sol de ma patrie. Mais en proie d’une part à la
maladie et de l’autre à la lâcheté de certains, entre ces deux
calamités que puis-je faire? Qui jamais eut à supporter à la
fois et la maladie et la perfidie? Sachez-le donc, dans notre
ville il n’y a plus aucun fondement à faire sur les engagements
les plus sacrés, sur la plus pure réputation d’honnêteté, comme
garantie des promesses faites au nom de Dieu. Tout est accordé
au succès, rien à l’affection ; l’humilité n’obtient que des
dédains la vertu se mesure à l’élévation. Mais si je formule ces
doléances, ce n’est point en considération de moi ; il ne me
reste plus d’espoir : ce qui me désole, c’est de voit périr ceux
que j’aime. Votre homme vous dira plus au long toute la chose et
quelles fureurs de l’envie je me suis attirées en prenant vos
intérêts. Donc en vous adressant l’hommage de mes salutations,
je vous demande de faire sans retard remettre mes écrits au
seigneur Aviénus et au seigneur Libérius, et je vous conjure au
nom de celui qui vous garde en bonne santé notre Pamfronia, de
me faire savoir aussitôt la réponse qu’ils auront donnée. Car si
par suite de quelque intrigue l’audience royale était refusée,
quel que soit mon état de santé je me hâterai, avec l’aide de
Dieu, de me transporter auprès de vous. |
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EPISTOLA XIV.
HELPIDIO DIACONO
ENNODIUS.
|
LETTRE XIV.
ENNODIUS AU DIACRE HELPIDIUS.
Helpidius attaché en qualité de médecin à la cour de Théodoric a
fait des démarches pour concilier à
Ennodius la faveur du roi,
mais Ennodius se sent mourir et
cette lettre de remerciement est comme son testament. |
|
Deus sanctitatem tuam
misericordiæ suæ et gratiæ prosequatur insignibus; qui de
humilitate mea, rem amici faciens, dignaris esse sollicitus, et
me meosque promittis peculiari affectione te colere. Scio quia
Deus propitius tibi sic gratiam invicti principis contulit, ut
humilitas ecclesiastica non periret. Vere, domne Elpidi, si
dignatur pius rex de servo suo esse sollicitus, tu fecisti,
cujus animo nullus amicorum vicem poterit repensare. Scias me
tamen quotidie diversa affligi qualitate morborum, ita ut de
vita desperem. Rogo tamen, honore salutationis accepto, ut
domnum Faustum et filios ipsius, memor animæ tuæ, sinceriter
diligas; et pro anima mea, quantum prævales, orare non cesses:
quia non remansit in luce quod sperem. Rogo etiam ut me
frequenti digneris alloquio, et si domnus noster ad Liguriam
venturus est, intimare procures. |
Que
Dieu daigne favoriser votre sainteté des trésors de sa
miséricorde et de sa grâce, puisque vous prenez à cœur mon
humilité au point d’en faire une affaire d’ami et que vous
promettez de vous intéresser à moi et aux miens avec une
affection toute particulière. Je sais que Dieu vous a fait la
faveur de vous concilier les bonnes grâces de notre invincible
Prince, de telle sorte que l’humilité ecclésiastique en fut
honorée. En vérité, seigneur Helpidius, si le roi daigne penser
à son serviteur, vous m’aurez rendu un service qu’un ami sera
toujours impuissant à dignement reconnaître. Sachez cependant
que je ne cesse d’être journellement en proie à diverses sortes
de maladies, au point que je désespère d’y survivre. Quoiqu’il
arrive, après vous avoir salué, je vous demande au nom de votre
âme, d’aimer de tout cœur le seigneur Faustus et ses fils; et de
ne pas cesser de prier autant que vous le pourrez pour mon âme,
car il ne me reste plus une lueur d’espérance. Je vous demande
aussi de m’écrire souvent et, si notre seigneur (Faustus) doit
venir en Ligurie, de me le faire savoir. |
|
EPISTOLA XV.
ENNODIUS STEPHANIÆ.
|
LETTRE XV.
ENNODIUS A
STÉPHANIE.
En écrivant à son neveu
Aviénus, la sainte veuve a envoyé le bonjour à Ennodius.
Celui-ci en témoigne sa joie. |
|
Bene est animo meo, quod
gravatum peccati fasce meministis; et inter illas sacri pectoris
curas, quantum epistolæ ad domnum Avienum destinatæ manifestant,
personæ meæ non emergit oblivio. Deo gratias ago, qui per
indebitam delinquentibus clementiam solita miseratione
succurrit, dum eos sanctarum animarum intercessione sustentat.
Non credo quod inter orationes deseratur, quem nobilitatis
alloquio.
Saluto ergo humilitate
qua dignum est, et rogo ut illi assidua orationum donetis
suffragia, quem commemorationis pascitis ubertate. |
Je suis heureux de voir qu’un
pêcheur comme moi a place dans votre souvenir et qu’au milieu
des soucis qui se partagent votre noble cœur, autant que les
lettres adressées au seigneur Aviénus le manifestent, ma
personne n’est pas laissée dans l’oubli. Je rends grâces à Dieu
de ce que, sans le moindre mérite de notre part, il use envers
nous de clémence et, avec sa bonté ordinaire, vient en aide aux
pécheurs et les fait se relever par l’intercession des saintes
âmes. Je ne crois point que vous abandonniez dans vos prières
celui que vous honorez de vos entretiens.
Je
vous salue donc avec toute l’humilité qu’il convient et je vous
prie d’accorder assidûment les suffrages de vos oraisons à celui
que vous réjouissez du fréquent témoignage de votre bon
souvenir. |
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EPISTOLA XVI.
ENNODIUS ADEODATO.
|
LETTRE XVI.
ENNODIUS A ADÉODAT.
Un mot du début de cette lettre fait supposer qu’Ennodius était
diacre lorsqu’il l’écrivit.
Elle fut portée à Rome
par te diacre Dioscore, venu en Ligurie régler des affaires,
probablement au nom du Pape. Faustus et Aviénus étaient encore
auprès d’Ennodius, mais se disposaient à rentrer à Rome,
apparemment pour le mariage d’Aviénus. Echange de manuscrits. |
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Olim ad beatitudinis tuæ
scripta responderam, si facile fuisset Romam pergentium itinera
deprehendi. Ecclesiastica humilitas a mundi potentibus quasi res
peregrina transitur. Ut primum tamen domnus Dioscorus Romam
perfunctus pii laboris remeavit officio, ad restitutionem
debiti, reverentiam vestram suspiciens, aspiravi.
Hos filios vestros,
domnum Paulum, vel sanctam progeniem ipsius redire Romam
cupitis, nos manere: dispar sententia ad unum affectionis callem
sine errore revertitur. Deus tamen optimus dispensator, quod
felicitati ejus scit convenire, disponat. Mihi domni Fausti,
suorumque prosperitas præsentiæ vice blanditur.
Domine mi, salutationis
cultum pleno amore dissolvens, codicem quem dedistis, filio
vestro domno præfecto remeante, transmitto: vos meum, aut illum
quem promisistis, si placuerit, destinate. Illud tamen
specialiter conferentes, ut orationum vestrarum nunquam me
propugnatione nudetis, quia nullus mihi murus potior esse
adversus peccati arietem poterit, quam si illarum me tutela
defenderit. |
Depuis longtemps j’eusse répondu
aux écrits de votre béatitude s’il m’eut été facile de connaître
le passage des voyageurs qui vont à Rome. L’humilité
ecclésiastique est dédaignée des puissants du monde comme une
chose étrangère. Mais aussitôt que le seigneur Dioscore eut
terminé le pieux labeur dont il avait mission de s’acquitter et
repartit pour home, je tournai mes regards vers votre Révérence
et je m’efforçai de vous payer ma dette.
Vous désirez, vous, que vos fils,
le seigneur Faustus et sa sainte progéniture, retournent à Rome;
nous, qu’ils demeurent ici. Des sentiments si différents
procèdent néanmoins d’un même principe qui est l’affection. Que
Dieu qui seul sait exactement ce qui nous convient, lui ménage
ce qu’il connaît devoir lui procurer le bonheur. Si je ne puis
jouir de la présence du seigneur Faustus et des siens, je m’en
consolerai en les sachant heureux.
Mon
cher Seigneur, tout en vous offrant à plein cœur l’hommage de
mes salutations, je vous renvoie par votre fils, le seigneur
Préfet (Faustus) qui retourne à Rome, le manuscrit que vous
m’aviez donné. De votre côté, expédiez-moi, s’il vous plaît, le
mien ou celui que vous m’avez promis; mais ce que je vous
demande par dessus tout, c’est de ne jamais me priver du secours
de vos prières, car je sais que je ne puis trouver contre les
assauts du péché la protection d’un plus ferme rempart. |
|
EPISTOLA XVII.
ENNODIUS APODEMIÆ.
|
LETTRE XVII.
ENNODIUS A APODÉMIA.
Apodémia, cousine d’Ennodius, qui habitait un pays éloigné,
probablement la Provence, lui a envoyé une cuculle, Ennodius
l’en remercie et la prie de lui faire parvenir au plus tôt le
manteau et les racanes que sans doute elle lui avait promis.
Ainsi, les clercs même séculiers, portaient un habit
particulier, qu’Ennodius appelle « les livrées de la religion ». |
|
Non clauda fides
opinionis antiquæ, quæ perhibet quod propinquitas generis non
defraudetur longinquitate regionis. Manent familiarum suis jura
cardinibus; nec quæ sunt divisa habitaculis, dissociantur
animabus: percurrit ætherius vigor, ubicunque carnis cognatione
producitur; et illa cœlestis portio unius patriæ non continetur
angustiis. Sic tu, domna mea, longe a corpore degentem Ennodium
perquisisti, efferendo desideratis nobile munus aspectibus.
Accepi cucullam qualem debuit dirigere religionem profitenti.
Sanctissima, ora, ut dignum me humilium indumentis, et si non
invenerunt dona vestra, tamen meriti sui nobilitate perficiant.
Domina mi, salutem largissimam dicens, rogo, ut crebro
venerandis relevetis alloquiis. Lænam et racanas, cujus vos
volueritis coloris rubei aut fusci, mihi sub celeritate
dirigite. |
De
tout temps l’on a cru, et non à tort, que les droits de la
parenté n’étaient nullement diminués par suite de l’éloignement.
Les liens de famille gardent toute leur force et l’espace qui
sépare les habitations ne brise pas l’union des âmes. Sous
l’influence de la parenté il s’établit entre elles comme un
énergique courant aérien qui franchit les espaces et cette
patrie céleste ne se renferme pas en d’étroites frontières.
C’est ainsi que vous, Madame, retenue au loin corporellement,
vous êtes venue à la recherche d’Ennodius, par l’offre d’un
présent qui témoigne du désir que vous avez de le voir. J’ai
reçu la cuculle; elle est bien telle qu’une sainte devait
l’offrir à un religieux. Priez pour que si votre présent ne me
trouve pas digne de revêtir les livrées de l’humilité, du moins
il me dispose par sa vertu à le devenir. Ma chère dame, en vous
exprimant mes salutations les plus cordiales, je vous demande de
m’accorder souvent la consolation de vos vénérables entretiens.
Envoyez-moi au plus tôt le manteau et les racanes de couleur
rouge ou fauve selon qu’il vous plaira. |
|
EPISTOLA XVIII.
ENNODIUS STEPHANIÆ.
|
LETTRE XVIII.
ENNODIUS A
STÉPHANIE.
Il charge de cette lettre Aviénus qui retourne auprès de sa
tante. Il fait
à Stéphanie des observations au
sujet de son style qu’il ne trouve pas digne d’une sœur de
Faustus. |
|
Sufficeret equidem pro
epistolari commercio meritum portitoris, cui et vena sua quod
loquendum est et pura circa me ministrat affectio. Sed animus
meus ad duplicatum festinat obsequium; nec simplici quam
reverentia vestra exigit humilitate contentus, domno Avieno
scripta conjungit, illi quem de stirpe vestra procreatum et vita
prodit et oratio. Graviter tamen fero quod rusticas voces nimis
urbana et subtili elocutione narratis. Non ita circa familiam
vestram gratia cœlestis innotuit, ut aliquem in ea liceat
majoribus suis aut lingua esse aut actione dissimilem, nisi
forte quod vos supra claritatem seniorum sanctæ viduitatis in
vobis fulgor irradiat. Nempe illius domni Fausti germana es, in
cujus præfectura quod monachos instituat, invenitur, quem plus
est actione venerabilem esse, quam titulo.
Rogo vos, servitio
salutationis exhibito, ut nunquam scholasticorum indociles
compositiones sanctis dictationibus misceatis: sufficit mihi
quod admirer, quod si mereor sequi debeam, in vestris sensibus
invenire. |
Il suffirait, au lieu de vous
écrire, de m’en rapporter au mérite du porteur : son talent
naturel et l’affection sincère dont il m’honore, lui
suggèreraient suffisamment ce qu’il y aurait à vous dire. Mais
mon esprit s’empresse de vous rendre doublement mes hommages, et
non content des humbles sentiments que lui impose le respect dû
à votre révérence, il donne une lettre au seigneur Aviénus,
noble rejeton de votre race, comme il le montre et par la
sainteté de sa vie et par l’éclat de son éloquence. Laissez-moi
vous dire que je supporte avec peine de vous voir employer un
style trop poli et trop recherché pour conter les choses les
plus rustiques. Les dons merveilleux que le ciel s’est plu à
prodiguer à votre famille n’ont point encore permis que
quelqu’un de ses membres parut différer de ses ancêtres par le
langage non plus que par l’action; sauf toutefois qu’à l’éclat
dont brille votre antique lignée vous ajoutez en votre personne
celui de la sainte viduité. N’êtes-vous pas, en effet, la sœur
de ce Faustus, dont la Préfecture est marquée par les monastères
qu’il a fondés; qui recherche l’honorabilité dans les actes
beaucoup plus que dans les titres.
Je vous prie, après vous avoir
rendu le devoir de mes salutations, de ne jamais mêler à ce que
vous dictez des compositions grossières d’écoliers il me suffit
de trouver dans l’expression de vos pensées de quoi admirer et
de quoi imiter, si du moins je le mérite. |
|
EPISTOLA XIX.
ENNODIUS AGNELLO.
|
LETTRE XIX.
ENNODIUS A AGNELLUS.
Compliments: Allusion
à la légation du Patrice
Agnelins en Afrique et aux honneurs dont il fut gratifié
probablement à son retour. |
|
Longo animus meus pependit
incerto, utrum pro diligentia notitiæ vestræ januam scriptionis
amabili præsumptione pulsarem, et excellentissimi hominis per
hunc callem pectus ingrederer, an per homines vestros, vaga
salutatione contentus, secreta quibus obsidebar irrumperem, quia
visum mihi est non esse in hominum numero computandus, quem
hominum potissimus ignoraret. Et plane illi nec mores suggerunt
fiduciam, nec natura, qui in arce locatis absconditur: vobis
præcipue, quos uterque orbis amica et socia diversitate
complectitur, quod Dei timor gratiæ suæ comitate firmatos fecit
jam honorum summa largiri, et ad quod vix præcipui perducuntur
ad opinionis gloriam dare subjectis. Laudandi sunt apices, sed
ad eos sudore maximo vix venitur. Quod tamen feliciter dictum
sit, et inter munera vestra sunt culmina.
Ergo salutans reverenter,
epistolam brevitate concludo, ne ante dignationem vestram
videatur importuna laudatio. Latius post responsum paginale,
quod moribus, quod potentiæ vestræ convenit, critis mundo mecum
attestante lecturi. |
Longtemps je suis demeuré à me
demander si pour réaliser le désir que j’avais d’être connu de
vous je prendrais l’aimable liberté de pousser la porte du
commerce épistolaire et de pénétrer par cette voie jusques au
cœur du plus excellent des hommes, ou bien si, pour briser les
clôtures qui me tenaient ignoré de vous, je me contenterais de
vous adresser par vos gens une vague salutation, car j’estimais
que ce n’était pas compter au nombre des hommes que de rester
ignoré du meilleur des hommes. Et en effet on ne peut avoir
pleine confiance pour son renom ni dans la pureté de ses mœurs,
ni dans les heureuses facultés que l’on a reçues de la nature,
si l’on demeure ignoré de ceux qui occupent le sommet de
l’échelle sociale, surtout de vous que les deux mondes (l’Europe
et l’Afrique) se disputent avec orgueil, vous que la crainte de
Dieu et les libéralités de sa grâce ont élevé au faite des
honneurs et à ce point auquel à peine parviennent les plus
éminents, de communiquer de votre gloire à ceux qui se tiennent
sous vos ordres. On doit louer les sommets, mais il faut verser
beaucoup de sueurs pour y arriver. C’est encore un de vos plus
heureux talents que de savoir le dire.
Je vous salue donc très humblement
et je borne là cette courte lettre de crainte que votre
révérence ne trouve mes éloges poussés à l’importunité. Après
votre réponse, vous pourrez lire plus au long, (et le monde
entier confirmera mon témoignage), l’éloge que comporte et
l’éclat de votre vie et l’étendue de votre puissance. |
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EPISTOLA XX.
ENNODIUS MASCATORI.
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LETTRE XX.
ENNODIUS A MASCATOR.
En sa qualité de diacre chargé du soin
des pauvres, il demande
un secours pour de pauvres gens. |
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Et me sperare quod pium est, et
vos decet annuere. Nam disparibus viis ad unum finem remuneranda
tendit intentio. Vos solatia rebus impenditis, a me tenui
sermonis præstolatur auxilium. Sic fit ut cui incumbit per
officii considerationem præstare potiora, vix possit exigua.
Reddat ingenuitatem homo palatii, quia Ecclesiæ nihil amplius
sufficit quam precari. Scitis pro ascinis a quo veniat
retributio, si juventur. Succurrite his quos et patria terra
captivat, quibus et invidia est cum originariis et conditio
dolenda cum profugis.
Pluribus Christianum et sapientem
non decet admoneri, ne longa deprecatio fructum sibi videatur
ascribere laboris alieni. Saluto ergo humilitate qua dignum est,
et ut præfatos cum gaudio ad me remittatis, inploro. |
Il est de mon office d’espérer
obtenir un secours charitable, et de votre situation de
l’accorder. Ainsi par des voies différentes nous tendons à la
même fin qui est la charité. Vous soulagez en réalité les
infortunes; à moi on ne demande que le modeste appui de ma
parole. Il arrive ainsi que celui qui devrait, par obligation de
sa charge, fournir les principaux secours, peut en donner à
peine de très minces. Qu’ils obtiennent, ces malheureux, d’un
homme du Palais, de recouvrer leur condition d’hommes libres,
car l’Eglise ne peut pour eux autre chose que de prier. Vous
savez qui doit vous le rendre si vous venez en aide à de pauvres
gens sans abri. Secourez des infortunés qui se trouvent captifs
sur le sol de leur patrie, qui n’ont à espérer que la misère
parmi leurs concitoyens et une condition pire encore s’ils
prennent le parti de s’exiler.
M’adressant à un personnage chrétien et sage, je ne dois pas
insister davantage, de crainte qu’en prolongeant ma supplique je
ne paraisse vouloir lui attribuer le mérite de la bonne œuvre
qui revient à autrui. Donc je vous salue avec toute l’humilité
qui convient et je vous supplie de me les renvoyer contents. |
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EPISTOLA XXI.
ENNODIUS HELPIDIO.
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LETTRE XXI.
ENNODIUS A HELPIDIUS.
Le diacre Helpidius était attaché comme
médecin à la personne de Théodoric. En qualité de
Milanais, il avait dû s’employer à la solution de l’affaire de
la maison qu’Ennodius voulait acheter à
Milan, car, l’affaire terminée,
Ennodius s’empresse de l’en informer en même temps que Faustus. |
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Etsi te immemorem mei Pontica
facit inhumanitas, me tamen imitari non decet quod accuso. Sic
de civitate Mediolanensi quasi Icarus avolasti, et nec mandati
me salutatione dignatus es. Sic faciunt quos potentium lateribus
jungit inopinata sodalitas. Musca moritura justum est, ut si per
naturam non potes, ad effectum meo inviteris exemplo: possunt
tibi alii pro abundantia facultatum utiliores existere, esse
tamen non valent dulciores.
Sed redeo ad considerationem
patriæ, cui debes bonorum oblivionem et miseriam qua laboras.
Nunc ergo, honore salutationis impenso, servum tuum ad hoc
direxi, ut filio tuo domno præfecto et tibi nuntiaret in Christi
nomine, me de suburbano illo documenta legitima suscepisse, ut
vos cum filio vestro domno Triggua, quod necessarium videris,
agere non omittas. |
Parce que vous m’oubliez avec une
inhumanité digne des riverains du Pont-Euxin, je ne dois
cependant pas imiter ce que je vous reproche. Voici que, nouvel
Icare, vous vous êtes envolé de la cité de Milan sans daigner
m’adresser un mot d’adieu. Ainsi font ceux que lie aux flancs
des puissants une association bien inopinée. Pauvre mouche qui
n’a qu’un instant à vivre! Il est juste que si vous ne le pouvez
par les seules forces de la nature, vous soyez par mon exemple
attiré à me témoigner un peu d’affection: D’autres plus riches
que moi peuvent vous être plus utiles ; je les défie de vous
aimer plus tendrement que je ne te fais.
Mais
revenons à ce qui intéresse votre patrie pour le bien de
laquelle vous devez accepter et d’oublier vos bons amis et
toutes les autres misères dont vous souffrez à la cour. Quand à
présent donc je vous salue et vous envoie exprès votre serviteur
pour qu’il annonce au nom de Jésus-Christ à votre fils le
seigneur Préfet
et à vous que les pièces authentiques et en due forme,
concernant cette maison du faubourg, me sont arrivées. A. vous
maintenant et à votre fils le seigneur Triggua, de ne pas
manquer d’agir selon que vous le jugerez nécessaire. |
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EPISTOLA XXII.
ENNODIUS FAUSTO.
|
LETTRE XXII.
ENNODIUS A FAUSTUS.
Faustus, alors préfet du Prétoire, et en cette qualité, attaché
à la cour de
Théodoric, devait partir pour une destination qu’Ennodius
n’indique pas et rester absent assez longtemps. L’affaire de
l’acquisition d’une maison de campagne dans les faubourgs
de Milan est enfin terminée (VIII. 12, 19; — IX. 7,
21). Faustus a envoyé de Venise toutes tes pièces
nécessaires et aussitôt Ennodius est entré en possession. Il est
à croire que Faustus
disposait de cette maison comme Préfet du Prétoire. |
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Spero in Trinitate Deo nostro, per
suffragia veneranda sanctorum, quod servos in quocunque loco
positos, quemadmodum munitur oculi pupilla, custodiat, et ad
bonam valetudinem reducat quidquid inimica fregit inæqualitas.
Ego tamen, et si corpore nequeo, sequor officiis. Nam imperio
sollicitudinis verba congessi, deprecans ut quam sani sitis
edocear. Ecce vix fero brevem, absentia longa fatigandus: sed
potentes sunt et amici domni, quibus vos anima sancta commisit.
Ego memores, ut depositum servent, sine cessatione convenio:
aderunt partibus suis, et quod ab eis susceptum est, sine
imminutione servabunt.
His addo, præstante omnipotentis
Dei misericordia, servos vestros de Venetiis jam regressos
exhibuisse documenta confirmata de legibus, hic introductionem
solemnem illico fuisse confectam.
Nunc utrum amico a vobis dici
aliquid debeat, illa qua soletis maturitate consulite. |
J’ai la confiance que notre Dieu
Trinité, grâce aux suffrages des vénérables saints, garde en
quelque lien qu’ils soient, ses serviteurs, comme on protège la
prunelle de l’œil, et qu’il les ramène sains et saufs des
accidents où peut les jeter leur mauvaise fortune. Quant à moi,
si je ne puis vous accompagner de corps, je le fais du moins de
mes hommages. Sous l’empire de l’inquiétude j’ai réuni ces
quelques lignes pour vous prier de vouloir bien me donner de vos
bonnes nouvelles. Moi qui ne puis qu’avec peine vous voir
éloigné pour peu de temps, combien vais-je souffrir d’une si
longue absence! Mais je ne dois pas oublier quelle est la
puissance des amis du Seigneur, auxquels vous a confié la sainte
âme.
Je ne cesse de les presser de garder fidèlement ce dépôt ; ils
n’y failliront pas et ce qu’ils ont reçu, ils le garderont
intact,
A ceci j’ajoute que par la
miséricordieuse toute puissance de Dieu, vos esclaves déjà
revenus de Venise, m’ont apporté les pièces revêtues de toutes
les formes requises par les lois et qu’aussitôt l’entrée en
possession solennelle a eu lieu.
Et
maintenant voyez avec la maturité qui vous est habituelle si
vous avez quelque chose à dire à un ami. |
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EPISTOLA XXIII.
ENNODIUS LIBERIO.
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LETTRE XXIII.
ENNODIUS A LIBERIUS.
Magnifique éloge du Patrice. D’abord attaché à Odoacre, il garda
à ce prince, jusque dans la défaite, une si parfaite fidélité
que Théodoric vainqueur lui donna la charge de Préfet du
Prétoire d’Italie, avec mission de pacifier et de relever ce
pays ruiné. Théodoric avait assigné à ses Goths le tiers des
terres des vaincus. Libérius opéra ce partage avec tant de
prudence qu’une mesure qui semblait devoir éterniser les haines
fut l’instrument de l’union entre les deux peuples. Dans
l’exercice de cette charge Libérius rendit de grands services à
Ennodius et plus tard, chargé des mêmes fonctions en Gaule, le
Patrice protégea ses parents restés en Provence.
(IX, 29). |
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Datum est mihi, cœlestis infusione
mysterii, libera habere judicia, etiam cum sim beneficiis
obligatus. Est enim superni muneris ut ingenuam sententiam ferat
obnoxius, nec delectetur immanitate gratiæ vigor examinis.
Divinum est, quando sine corruptione de te loquitur cui mula
contuleris, nec iniquum ponit aliquid in lance veritatis donorum
tuorum opibus subjugatus. Nam ubi de potissimis sermo est, et in
aures mundi itura formantur, publicum testimonium privata actio
cur obumbret? Debeo quidem celsitudini vestræ plus quam
universitas; sed nolo majus aliquid quam universitatis possunt
ora depromere: et epistolaris angustiæ lege contentus, satis
modicum de illa meritorum messe prælibo. Felicissime hominum,
hoc totis hostilitas virium suarum laborat impendiis, ut per
totum orbem tu solus dissipata componas. Æstimationi remanet
qualis sit ille cui militas, quando lapsa, exusta, perdita, cum
te aspexerint, convalescunt. Vix pascebatur Italia publici
sudore dispendii, quando tu ea sine intervallo temporis, et ad
spem reparationis, et ad præbitionem tributariam commutasti.
Læti cœpimus te moderante inferre ærariis publicis quod cum
maximo dolore solebamus accipere. Fuit semper ubertas nostra
dispensatio tua. Juverunt venerabile superna consilium. Nam
vires vectigalium tu vel nutristi pro bono publico, vel dedisti.
Culminibus omnibus sublimior, tu primus fecisti regales copias
sine malo privatæ concussionis affluere. Tibi post Deum debetur,
quod apud potentissimum dominum et ubique victorem, securi
divitias confitemur: tuta enim est subjectorum opulentia, quando
non indiget. Quid quod illas innumeras Gothorum catervas, vix
scientibus Romanis, larga prædiorum contatione ditasti? nihil
enim amplius victores cupiunt, et nulla senserunt damna
superati. Taceo, consideratione paginalis eloquii, communionis
et blandimentorum tuorum mella præceptis cœlestibus instituta,
non minus rebus nobilitata quam verbis:
orationem meam ad ea quæ eminentiæ
tuæ debentur, vota transduco, quia mecum Galliæ in hac
astipulatione conveniunt, ut, Christo Deo vivo disponente,
ordinatis illis quibus civilitatem post multos annorum
curriculos intulisti, quos ante te non contigit saporem de
Romana libertate gustare, ad Italiam tuam, et poscentibus nobis,
et illis tenentibus, reducaris. Sic utriusque orbis per sanctas
actiones indigena, venerabilem domum et summates filios cum
universis Italiam possidens videntibus, felicis præsentiæ tuæ
dote sublimes. Ego autem, servitiis salutationis exhibitis,
valere me nuntio, et de vobis quod voto meo satisfacere possit
exspecto. |
Le ciel m’a donné de garder toute
la liberté de mes appréciations même lorsque je suis lié par des
bienfaits. N’est-ce pas en effet un don d’en haut qu’un débiteur
puisse porter un jugement en pleine indépendance et que le
séduisant attrait des faveurs reçues n’exerce pas son charme
dominateur sur la rigidité de l’investigation? Il faut en vérité
l’intervention divine pour pouvoir parler de vous sans altérer
la vérité lorsqu’on vous est redevable de si grands services et
que, subjugué par la magnificence de vos dons, l’on n’use point
de faux poids pour peser vos vrais mérites. Car dès lors qu’il
est question des hommes les plus éminents et que l’on formule
des jugements destinés aux oreilles du public, pourquoi
l’appréciation d’un particulier viendrait-elle amoindrir le
témoignage de tout le monde? Je dois en effet à votre Altesse
plus que la généralité, mais je ne veux pas que mes louanges
dépassent ce que tout le monde peut dire et me bornant aux
étroites limites imposées à une lettre, c’est à peine si je
goûterai de la riche moisson de vos mérites. O le plus heureux
des hommes! il semble que la guerre n’ait mis aux prises les
peuples divisés que pour vous procurer la gloire de pacifier le
monde entier. On peut juger à vos hauts faits de la grandeur de
celui que vous servez il vous suffit d’apparaître et les ruines
encore fumantes se relèvent à votre aspect. L’Italie vivait à
grand peine à la sueur du trésor public; vous
prenez en main l’administration et aussitôt vous lui rendez
l’espoir de se relever et la mettez en état de payer l’impôt.
Alors nous commençâmes à payer joyeux au fisc ce qu’auparavant
nous avions l’habitude d’en recevoir avec le plus grand chagrin.
Votre administration nous procura toujours l’abondance. Le ciel
bénit vos augustes desseins. Soit que vous remplissiez les
trésors du fisc, soit dans leur emploi, toujours vous procurâtes
le bien public. Plus grand que tous les grands, vous ayez le
premier fait regorger les coffres royaux sans la calamité des
confiscations de fortunes privées. A vous après Dieu nous devons
de pouvoir, auprès du prince très puissant et partout
victorieux, avouer en sécurité nos richesses; car l’opulence des
sujets n’a rien à craindre lorsque le souverain ignore
l’indigence. Que dirai-je de ces innombrables bataillons de
Goths que vous avez enrichis presque à l’insu des Romains d’une
large distribution de terres? Les vainqueurs ne demandent rien
de plus et les vaincus n’ont senti aucun dommage. Le cadre d’une
lettre m’oblige à ne rien dire des agréments de votre commerce,
du charme de vos entretiens toujours conformes aux préceptes
divins, en sorte que vos actes ne vous font pas moins d’honneur
que vos paroles.
J’amène mon discours aux vœux qui sont dus à votre Eminence: les
Gaules sont d’accord avec nous pour demander au ciel qu’avec
l’aide du Christ Dieu vivant, après avoir organisé ces peuples
auxquels, après tant d’années, vous avez le premier apporté le
bienfait de la civilisation de sorte qu’avant vous ils
ignoraient les douceurs de la liberté romaine, vous reveniez à
votre Italie, où nous vous réclamons, sans abandonner toutefois
la Gaule qui vous retient. Ainsi devenu par vos grandes œuvres
comme indigène des deux pays, le bienfait de votre présence fera
rejaillir votre gloire sur votre vénérable maison, sur vos fils
si éminents et sur tous les habitants de l’Italie. Quant à moi,
après vous avoir rendu les devoirs de mes salutations, je vous
annonce que je suis en bonne santé et j’attends de vous des
nouvelles conformes à mes vœux. |
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EPISTOLA XXIV.
ENNODIUS AVIENO.
|
LETTRE XXIV.
ENNODIUS A AVIÉNUS.
Lettre d’amitié. |
|
Bene erat animo meo, si vel ad
scriptionem frequens portitorum suggereretur occasio, quia in
remedio desiderii senior providentia munus litterarum
comparavit, in quo ad vicem præsentiæ formato æstuantibus
blanditur alloquio:
et licet de ipsis remediis meus
ægrescat absentium, et de medicina sollicitudinis cura
geminentur, attamen non sunt deserenda quæ sola sunt.
Ergo infante Valentino Romam
petente, quantum sub celeritate potui, de his quæ erant loquenda
subripui, breviter significans valetudinem corporis mei fuisse
turbatam. Satis est tamen, si nuntio prosperitatis vestræ, dum
fit hilaris anima, convalescam.
Domine mi, salutationis muniis,
sicut reverentia vestra postulat, exsolutis, rogo ut jam me de
votorum effectu et de bonis vestris epistolaris sublevetis
promulgatione colloquii. |
Ce serait pour mon esprit un vrai
bonheur que de trouver fréquemment l’occasion d’un porteur qui
me permit de vous écrire, car comme remède à la peine que cause
le désir de se voir, la vénérable Providence nous a ménagé
l’échange des lettres. Par elles nous avons avec les absents des
entretiens qui nous tiennent lieu de leur présence et charment
nos ennuis.
Et malgré que souvent ce remède
réveille le mal dont souffrent ceux qui vivent au loin et que
leurs soucis en soient redoublés, il ne faut point pour cela le
rejeter puisqu’il n’en est pas d’autre.
Je profite donc du voyage à Rome
du jeune Valentin pour vous écrire rapidement te plus pressé de
ce que j’avais à vous dire: en deux mots je vous noterai que ma
santé a été ébranlée; mais il suffira de la nouvelle de votre
prospérité pour que la joie achève de me guérir.
Mon
cher seigneur, je vous adresse, comme votre révérence le
demande, le tribut de mes salutations et vous prie de ne pas me
refuser la consolation d’apprendre par vos lettres et la
réalisation de vos vœux et l’heureux succès de vos affaires. |
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EPISTOLA XXV.
ENNODIUS AGNELLÆ.
|
LETTRE XXV.
ENNODIUS A AGNELLA.
La noble dame Romaine Agnelle, cousine d’Ennodius, avait pris le
voile de la viduité. Le saint diacre l’en félicite
et s’édifie de son exemple. |
|
Gratum mihi est ad magnitudinem
vestram litterarum munera promulgare, quia et generi et
conscientiæ vestræ, non tam exhibetur honor iste, quam redditur.
Justum est ut religiosi homo propositi sanctam viduam et nobilem
veneretur ingenuus. Ago Deo meo gratias, quia bonus opinionis
vestræ, ad nos odor emanavit. Ille usque ad consummationem vitæ
fructus tribuat, qui bonam radicem in hac sæculi conversatione
plantavit. Bene fecisti, domna Agnella, mundi istius blandimenta
respuere: et dum celsiora sequeris, etiam quæ potuerunt venire a
legitimis remediis, non habere: scisti non solum veniam quærere,
sed coronam. Gaudeant de medicina languentes: prope est ut
proximior sit integritati, cui conceditur ut feliciter dediscat
illecebras.
Ergo, domina mi, salutationis
gratiam honorificentiamque persolvens, rogo ut pro me amico et
parente tuo apostolorum liminibus non desinas supplicare, ut
merear servare quod prædico, et quod in aliis extollo ipse non
negligam. |
Il m’est souverainement agréable
d’adresser à votre grandeur l’hommage de mes lettres : notre
parenté et votre conscience me l’imposent à tel point que c’est
moins un honneur à vous rendre qu’un devoir à acquitter.
N’est-il pas juste qu’un honnête homme qui fait profession de
religion, tienne en vénération une sainte veuve d’un rang si
noble? Je rends grâces à Dieu de ce que la bonne odeur de votre
réputation s’est répandue jusque chez nous. Qu’il amène jusques
à leur parfaite maturité les fruits de votre vie, celui qui prit
soin de planter une si bonne rapine en ce milieu où s’agite
notre siècle. Vous avez bien fait, noble Agnella, de mépriser
les charmeuses douceurs de ce monde, de viser à la perfection et
de renoncer même à ce qui est accordé comme légitime remède:
vous avez su prétendre non seulement au pardon mais à la
couronne. Que la médecine fasse la joie des malades : c’est
toucher de bien proche à la sainteté que d’oublier heureusement
les voluptés.
Donc, ma chère dame, je vous offre le tribut et l’hommage de mes
salutations et vous demande, moi votre ami et parent, de ne
point cesser de prier au tombeau des saints Apôtres pour que
j’obtienne d’observer ce que je prêche et de ne pas négliger
moi-même ce que je loue dans les autres. |
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EPISTOLA XXVI.
ENNODIUS MESSALÆ.
|
LETTRE XXVI.
ENNODIUS A MESSALA.
Il lui reproche d’avoir quitté la Ligurie sans lui écrire et lui
demande de prier pour lui au tombeau des Saints Apôtres. |
|
Scio equidem vos pro desiderio meo
fuisse subtractos: sed aliud spei de sollicitudine vestra
præceperam. Nam et qualiter domnus Deo præstante valedixerit, et
qui vobis itineris ordo fuerit, si mei memor esses, agnoveram.
Sed quid facio, qui negligentiam vestram, nec suggerendo formam
affectionis expugno? Ergo si te, Christo Deo nostro tribuente,
spes nuptialis afflaverit, Ennodii memoriam non fugabis: quando
nulla sic cessit major diligentia, et pius amor exclusus est,
tantum a pectore tuo, quantum ab oculis submovebor. Sanus esto,
salva vita patris et fratris tui, Deus vobis benefaciat:
agnoscant quod pascat auditum, quale vultis circa me exhibete
propositum. Unum te rogo, honore salutationis exhibito, ut apud
domnos apostolos pro me digneris preces offerre; ut ipsi
miserias meas medicinaliter curent, nec patiantur me quidquam
velle quod non decet: castigent præsumptiones mentis et
corporis. Quod si facias, credo pro innocentia et puritate tua
te melius pro me, quam si essem coram positus, audiendum. |
Je
reconnais, en vérité, que je ne pouvais, malgré mes regrets,
m’opposer à votre éloignement; mais pourtant je croyais pouvoir
espérer autre chose de votre sollicitude. Si je n’étais pas tout
à fait oublié, assurément j’aurais appris et comment, Dieu
aidant, le Seigneur (Faustus) prit congé, et la suite de tout
votre voyage. Mais que fais-je de vous reprocher votre
négligence sans laisser paraître mon affection? Donc si par la
faveur du Christ notre Dieu, un espoir de mariage vous sourit,
vous ne chasserez pas le souvenir d’Ennodius; car, il faut
l’avouer, jamais plus vive affection n’aura cédé la place et
l’amitié que vous me portez n’aura faibli en votre cœur qu’à
proportion de mon éloignement. Soyez en bonne santé et de môme
votre père et votre frère; que Dieu vous prodigue ses faveurs;
qu’ils reçoivent d’heureuses nouvelles que votre conduite
manifeste vos dispositions à mon égard. Après vous avoir rendu
le devoir de mes salutations je ne vous demande qu’une chose que
vous daigniez offrir pour moi des prières au tombeau des
vénérables Apôtres: qu’ils portent remède à mes misères et ne
permettent pas que ma volonté s’égare; qu’ils corrigent les
insubordinations de l’esprit et des sens. Si vous le faites,
j’ai la confiance, grâce à votre innocence et à votre pureté,
d’être mieux exaucé que si j’y priais en personne. |
|
EPISTOLA XXVII.
ENNODIUS AURELIANO
EPISCOPO.
|
LETTRE XXVII.
ENNODIUS A L’ÉVÊQUE AURÉLIEN.
Il le complimente de son élévation récente
à l’épiscopat. On se demande à
quel siège fut élevé ce cousin d’Ennodius: Il y eut un
Aurélien évêque d’Arles; mais à
l’époque où fut écrite cette
lettre, saint Césaire occupait ce siège et l’Aurélien son
successeur, n’y monta qu’au moins trente ans après la mort
d’Ennodius. |
|
Debeo equidem dolori meo vocem,
sed reverentiæ taciturnitatem. Et forte melius mœrorem de
abstinentia sermonis vestri sequeretur muta dissimulatio:
urbanum enim et subtile erat ut eisdem lineis quibus in me
delinquitur potiorum delicta ferirentur, ut secum haberet culpa
vindictam. Sed quo me vertam qui immemorem mei, et humilium
notitiam respuentem, pertinacia amoris insequi non desisto?
Nunquid non repudiati importunitas mater horroris est, cum
placendi per assiduitatem desiderium materiam exigit
displicendi? Nam quidquid mente fugimus, ingestum oculis vix
videmus. O si mihi liceret adhuc æquali cum beatitudine tua
sorte contendere! sed dormiunt apud coronam tuam propinquitatis
privilegia, postquam pater esse meruisti. Retinet quisquam
hominum perire suis jura necessitudinis incrementis, et
accessione piæ dignitatis, et generis et diligentiæ vincla
dissolvi? Ergo decuit evectionem meriti vestri instabili mihi
esse rumore compertam, et de communibus gaudiis adhuc pendere
opinione contentum? Electus sum cui bonum generale taceretur, ut
rem aurei sæculi solus pro conscientiæ meæ obscuritate nescirem.
Nobilis vita et genere apicem ecclesiastici honoris ascendit, et
me dedignatur alloquio. Vere tale factum, aut studio aut
negligentia evenerit, non probatur. Ego tamen servitia
salutationis impendo, et Italica simplicitate, unde tristitiam
habuerim, sine dissimulatione manifesto. |
Ma peine exige que je parle, mais
votre révérence mériterait que je gardasse le silence. Et
peut-être que la manière la plus éloquente d’exprimer le chagrin
que me cause votre longue négligence à m’écrire, serait encore
de le dissimuler : c’eut été me venger d’une façon distinguée et
peu ordinaire que d’y employer les procédés mêmes dont on a usé
si outrageusement à mon égard, de telle sorte que la faute
portât avec elle son châtiment. Mais que ferai-je, moi qui ne
puis me dispenser de poursuivre avec la ténacité de l’amour
celui qui m’oublie et dédaigne d’entrer en relation avec les
humbles? Faudra-t-il donc croire que l’importunité de celui qui
n’a pas été repoussé n’inspire que de l’horreur, puisque le
désir de plaire par son assiduité n’atteint son but qu’à la
condition d’apporter matière à déplaisir? Dès lors que notre
esprit repousse un objet, on a beau nous le mettre sous les
yeux, nous le voyons à peine. O s’il m’était donné d’entrer en
lice avec votre béatitude à armes légales ! Mais depuis que vous
avez mérité d’être père (évêque) vous laissez dormir auprès de
votre couronne les privilèges de la parenté. Y a-t-il quelqu’un
au monde qui estime qu’en prenant de l’accroissement les droits
de la parenté périssent et que l’élévation à une vénérable
dignité rompt les liens du sang et de l’affection? Il a donc
fallu que l’élévation de votre mérite ne me fut signalée que par
la vague rumeur de la renommée et que lorsque tout le monde se
réjouissait, je demeurasse dans l’incertitude, faute de
renseignements plus précis ! On a fait choix de moi pour me
taire ce qui est un bienfait pour tout le peuple, et me laisser
ignorer, dans la mesure de l’insuffisance de mes propres
informations, un événement qui ramène l’âge d’or. Un homme noble
par sa vie non moins que par sa naissance monte au sommet des
dignités ecclésiastiques et ii ne daigne pas me le dire. En
vérité, l’on se demande si c’est à dessein ou par négligence
qu’un tel fait se produit. Quant à moi, je vous adresse
l’hommage de mes salutations et avec la franchise italienne je
vous déclare sans détour ce qui a fait ma peine. |
|
EPISTOLA XXVIII.
ENNODIUS AGAPIO.
|
LETTRE XXVIII.
ENNODIUS A AGAPIUS.
Lettre de condoléance. |
|
Duriter officium gestientis animi
ad memoriam tristium mens recordatione stimulanda revocavit. Nam
semper remedium oblivio doloris est; quia quod ratione non
possumus, temporum prolixitate sepelimus. Bene est, quia
diuturnitate senescit afflictio, et magni doloris consolatio per
silentium procuratur. Nam in hujusmodi negotiis plus agitur nil
agendo. Sed quid facio, quia epistolæ lectio jam obducta
cicatricis penetralia rescindit, et sepultam immaturi funeris
recordationem amara sorte vivificat? Ergo ego communi fratri
consolationem dare poteram, cum si quid humanitatis in me esse
creditur, sic dolerem? Aut unquam flens placuit consolator?
Ergo exspectatur medicina de
morbidis? Non de me, domne Agapi, bene judicas, si et in germani
tui mœroribus, et in obitu spiritualis filii, ego quasi opinioni
tuæ disputator occurro. Sana pectora iter curationis inveniunt,
nemo alterum unde ipse laborat absolvit. Sed hinc alias: potens
est Deus, qui solus ad ista valet occurrere, et communis mali
sublevare pressuram. Vos tamen honorificæ cultu salutationis
impertiens, rogo, ut crebro mihi epistolaris commercii mune a
conferatis, ad quæ studia pigrum esse nec amantem convenit, nec
facundum. |
Il est pénible pour un esprit
ouvert à la joie d’être rappelé aux tristes pensées qu’impose le
deuil dont le souvenir est ravivé. Le grand remède à la douleur,
en effet, c’est l’oubli, et ce que la raison ne pourrait
dissiper, avec le temps nous l’ensevelissons. C’est juste, car
la durée émousse l’affliction et les grandes douleurs trouvent
dans le silence leur plus prompte consolation. En ces sortes de
choses le moyen d’obtenir davantage c’est de ne rien faire. Mais
que fais-je moi-même? Car la lecture de votre lettre vient
rouvrir la profonde cicatrice déjà fermée et raviver, hélas! le
souvenir d’un trépas prématuré Pourrai-je donc, moi, donner
quelque consolation au frère commun, alors que, si l’on
m’accorde quelques sentiments humains, je suis moi-même si
désolé? Ou bien pour que nos consolations soient efficaces nous
faut-il pleurer nous-mêmes?
Alors c’est du malade que l’on attend le remède? Vous auriez de
moi, cher Agapius, une fausse opinion si vous pensiez qu’au
milieu des chagrins que vous cause, à vous, la mort d’un fils
spirituel, je vienne discuter votre état d’âme. Aux cœurs qui ne
sont pas blessés, de trouver la voie de la guérison : personne
n’a jamais soulagé autrui d’un fardeau dont on est soi-même
accablé. Mais passons à un autre ordre d’idées: Dieu est
puissant; lui seul peut venir en aide en de telles extrémités et
alléger le poids de notre commune affliction. Et cependant, en
vous adressant l’hommage de mes respectueuses salutations, je
vous demande de m’honorer fréquemment de la faveur de vos
lettres. C’est un soin qu’il n’est permis de négliger ni à l’ami
ni au lettré. |
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EPISTOLA XXIX.
ENNODIUS LIBERIO.
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LETTRE XXIX.
ENNODIUS A LIBÉRIUS.
Il remercie le Patrice des faveurs que lui et les siens en ont
reçues et lui demande de les continuer en procurant à sa cousine
des Gaules, la veuve Camilla
(IX, 9)
un dégrèvement d’impôts. |
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Si pœtarum spiritus disciplina
paginalis admitteret, centena ora et vox ferrea
vix quod celsitudini vestræ a me debetur verborum ubertate
reseraret. Sed quia magnis obnoxius vix ad pauca sufficio,
providi post Dei misericordiam vestræ gratiæ repensorem. Nam
frater vester domnus Faustus, cum debere se beneficium quod mihi
tribuis is eloquitur, ab imbecillis cervicibus gravis oneris
sarcinas amolitur. Sunt inter duos præcelsos ista communia: vos
vobis et dare digna nostis, et reddere; me sub fasce vestri
muneris constitutum sola manet de obnoxietate confessio, dum
præventum gratiæ vestræ mole quod voti compotem fecit, hoc
imparem. Adsum tamen partibus meis, et inter orandum, quamvis
peccator, Deum, ut pro me quoque vobis reddat, imploro. Ecce duo
ista sufficiunt: nam et de cœlo pro me exspectatis quod vos
exhibuisse meministis: et est æqualis, qui se debere fateatur in
terris. Exspecto tamen beneficii vestri celeriter supplementum,
ut litteras, quales per sublimem virum Tranquillinum sum
precatus, accipiam. His tamen aliam vobis miserendi viam bene
morum vestrorum conscius exhibebo. Camilla parens mea intra
Gallias, et viduitatis miseria et geminæ jam captivitatis
succubuisse fertur incommodis. Nemo est qui tam multiplices
necessitates præter celsitudinem vestram possit avertere,
generis mei patronus quod in Italia positis præstitit, non neget
in Gallia, ut de casellulis ipsius, ordinatione vestra, dum ab
eis fisci onera derivantur, ad præfatæ alimenta sufficiant.
Domine mi, salutationis servitia
dependens, rogo ut portitorem præsentium, hominem meum quem ad
hæc exsequenda destinavi, Deo vobis inspirante, meum effectum
eminentia vestra jubeat commeare. Nunquid dubitare de
postulationibus suis eum convenit, qui se novit et illa quæ non
poposcerat, impetrasse? |
Si le style épistolaire comportait
l’emphase de la poésie je pourrai dire que cent bouches et une
voix d’airain seraient à peine capables de proclamer ce que je
dois à votre Altesse. Mais débiteur de si grosses dettes, moi
qui puis à peine en payer de petites, j’ai trouvé quelqu’un qui,
après la divine miséricorde, prend sur lui de vous payer. Votre
frère, le seigneur Faustus, prétend qu’il vous est redevable des
bienfaits dont vous me comblez et par là ii décharge mes faibles
épaules d’un fardeau trop lourd pour elles. Dans le haut rang où
vous êtes élevés il y a ceci de commun entre vous deux: vous
savez vous donner et vous rendre mutuellement de dignes
honneurs. Et moi, accablé sous le poids de vos bons offices, je
ne puis que confesser ma dette, car l’étendue de votre faveur
qui comble mes vœux, me rend par là même impuissant à dignement
la reconnaître. Cependant je ne me dérobe point à mes
obligations et dans mes oraisons, quoique pécheur, je supplie
Dieu de vous rendre ce que je vous dois. Or ces deux choses
suffisent: car vous attendez que le ciel vous paie pour moi de
ce que vous savez m’avoir accordé et d’ailleurs c’est être en
règle avec la justice de ce monde que de reconnaître sa dette.
Et pourtant j’attends encore de votre part un prompt surcroit de
faveur. Le sublime Tranquillinus a dû vous en présenter de ma
part la requête et vous dire combien je désire que vous
m’écriviez. Et moi, par cette lettre, confiant dans la
connaissance que j’ai de votre obligeance, je vais vous indiquer
un moyen nouveau d’aider des malheureux. Camilla, ma cousine,
qui réside en Gaule, est, paraît-il, dans une situation
lamentable. A la misère qui résulte pour elle de sa viduité
viennent de s’ajouter les ruineuses dépenses d’une double
captivité qu’elle s subie elle et son fils. Il n’est personne au
monde que votre Altesse en mesure d’éloigner de sa tête de si
nombreuses calamités. Vous, le protecteur attitré de ma parenté,
ce que vous avez fait pour ceux d’Italie vous ne le refuserez
pas à ceux des Gaules: par votre intervention les maisonnettes
qu’elle possède, dégrevées des charges fiscales, suffiront à lui
donner de quoi vivre.
Mon
cher seigneur, en vous rendant les devoirs de mes salutations,
je demande à votre Eminence d’ordonner, sous l’inspiration
divine, au porteur des présentes, un homme de ma maison que je
vous ai expédié tout exprès pour cette affaire, de me rapporter
une décision favorable. Peut-on douter du résultat de ses
requêtes lorsqu’on sait que même ce que l’on n’a pas demandé est
obtenu? |
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EPISTOLA XXX.
SYMMACHO PAPÆ.
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LETTRE XXX.
AU PAPE SYMMAQUE.
Cette suscription est ajoutée par
Sirmond. Les anciens manuscrits, reproduits par les éditions
nouvelles de Vienne et de Berlin, portent simplement SOUS
LE SCEAU DU CHRIST.
Cette remarquable lettre fut écrite au pape Symmaque pour le
complimenter de l’extinction du schisme de Laurent et du retour
de la paix (505 ou 506). Ces heureux résultats étaient dus
principalement à la bienveillante intervention de Théodoric qui
fit triompher les droits de Symmaque. Ennodius profite de cette
lettre pour faire du prince un fort bel éloge et acquitter, en
quelque façon, la dette de reconnaissance dont le pape restait
chargé vis-à-vis du roi.
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In Christi signo.
Natura rerum est, ut etiam idoneus
ore vel pectore possit de præsumptione culpari, quia omnis
verborum commoditas humilitatis terminos egressa calcatur: et
sicut habenda sunt quæ exiguntur in pretio, ita ingesta
vilescunt. Importunitas cum facundos opinionis nobilitate
dispoliet, dedecore vestit indoctos. Sed hac me ratiocinatione
sustento, quia est quidem audax, sed amabile prævium præstitisse
sermonem: et sicut vicimum temeritatis, ita proximum diligentiæ
ad caritatem pertinens iter aperire. Inter Ecclesiarum homines
nunquid reatus est, si pari amori contenderint dispares
dignitate? aut excedunt modici honoris angustiam, qui desiderant
suffragio gratiæ summatibus comparari? Non habet superbi
conscientiam, qui se tantum in affectionis muniis non metitur.
Præsumo dicere, subditorum error est, qui in hac re præcedentem
antevenit. Ecce sic partes meas quasi voluntariæ allocutionis
fuscatas nube purgavi. Sed dico quod ad defensionem spectat
uberrimam. Filius vester domnus Rhodanius cœgit a me in usum
styli præsentis erumpere. Fateor tamen, in studio meo fuisse
quod jussit: quia qui volentem cœgerit, non laborat.
Deo gratias principe loco, et tota
epistolæ concinnatione referamus, quia in societatem capitis sui
aliquando Romana membra coierunt. Justum erat ut et beatus
Petrus apostolus sedi suæ Ecclesias et senatui liberiori per
Dominum partes debitas reformaret. Dignus regnator, dignus in
quo cum ætate votorum summa contigerit. Nam etsi itura ad
posteros felicitas perseveret, litandum illi est laudatione
præcipua a quibus sumpsit exordium.
Deo efficaciter supplicastis, ut
illius vos virtus erueret, cujus potest servare clementia.
Didicistis ejus eventus prosperos, quem videtis dum mandat
secutam bella victoriam. Parum superest, ut mansuetudinem mentis
illius ita profundam teneatis, quasi sit ignara procinctuum. Deo
tribuente, nec pax ejus turbari dubiis potest, nec fortitudo
qualibet objectatione confringi. Nihil apud illum tutius
supplicante: solus evasit præliares ac es, qui rogavit: vicit
armorum impetus qui obtulit devotus ob equium. Quod vix veteres
principes præsentiæ suæ sudore pot ti sunt, hoc semper regis
nostri brevis procuravit epistola. Per excursus dirigitur felix
exercitus ad triumphum. Quis credat militem ejus in labore et
perfectione habere quidem superantis gloriam, sed continentiam
subjugati? Consummatis congressionibus de iræ hæreditate nil
remanet: uno tempore, quos perniciosos adversarii viderint,
blandos sentiunt tributa pendentes. Et hæc quidem cœlesti
præparantur pro hac repensione suffragio: quia fides nostra apud
eum, aliud ipse sectetur, in portu est. Mirabilis patientia,
quando tenax propositi sui, claritatem non obumbrat alieni: nam
et Ecclesiarum nostrarum patrimonia relabi, nisi aucta fuerint,
ingemiscit. Sic factum est, ut et statum suum locupletes
pauperum substantiæ teneant, et mediocres ad supremam opulentiam
convalescant. In sacerdotibus virtutes et innatas colit, et non
repertas inspirat.
Sed cur beatitudinem vestram
præjudicio diffusi sermonis anticipem? Continuo experientia
vestra et spiritalis illa perfectio jejunum me fuisse in filii
vestri laudibus accusabit: et cum soleant amplificari facta
colloquiis, sterilem me relatorem de virtutum ejus messe
causabitur. Jam sæculares apices, curules et trabeas, patricias
etiam dignitates qualiter aut naturæ reddat aut moribus,
domestici perlatoris astipulatione vulgetur. Nam et veteres in
antiqua generis luce durare facit, et novos splendore inopinati
fulgoris irradiat. Facilius respublica ejus bono dispensationis
in privatam migrat opulentiam, quam famulantum census in
palatina lucra commutetur.
Nunc quod superest, meæ servitiis
salutationis acceptis, prospicite ut Christus Redemptor noster
quæ in præfato clementissimo rege servientibus sibi contulit,
longa ætate conservet. Det etiam regni de ejus germine
successorem: ne bona tanti hominis in una ætate veterescant, et
antiquata temporibus pro sola aurei sæculi commemoratione
nominentur. |
Sous le sceau du Christ.
Il est dans la nature que même
avec les facultés qui donnent l’éloquence, on puisse être taxé
de présomption; car le talent de parole qui franchit les bornes
imposées à l’humilité, n’obtient que le mépris, et autant l’on
apprécie des discours que l’on a exigés, autant ceux qui
s’imposent eux-mêmes nous sont insupportables. L’importunité qui
fait perdre aux orateurs de talent la réputation acquise, couvre
de honte les ignorants. Mais voici le raisonnement sur lequel je
prétends m’appuyer; il y a sans doute de l’audace mais aussi de
l’amabilité à parler le premier et si c’est friser la témérité,
n’est-ce pas aussi témoigner de l’affection que d’ouvrir la oie
à l’amitié? Entre hommes d’église serait-ce un crime que de
rivaliser en sentiments également affectueux alors que la
dignité dont ils sont revêtus les tient en des rangs inégaux? Ou
bien est-ce franchir les étroites limites des modestes honneurs
auxquels nous avons droit que de prétendre à des témoignages de
bienveillance qui nous mettent sur le même pied que les
personnages du plus haut rang? On ne peut taxer d’orgueil celui
qui oublie uniquement dans les offices de l’amitié, de tenir
compte de sa mesure. J’ose l’affirmer: un inférieur est dans la
droite voie lorsqu’il se laisse entraîner par son zèle à
prévenir en ce point ses supérieurs. Je crois que me voici
pleinement justifié. J’ajouterai cependant pour ma défense un
mot qui la rendra plus que suffisante: votre fils, le seigneur
Rhodanius, m’a contraint de produire cet écrit. Je dois pourtant
avouer que son ordre me trouvait disposé d’avance à l’exécuter.
Il n’y a pas grand peine à contraindre quelqu’un qui déjà veut
ce qu’on lui demande.
Avant toute chose nous devons à
Dieu des actions de grâces, et nous y consacrons toute notre
lettre. Enfin les membres de Rome se sont réunis à leur chef; il
était juste que le bienheureux Pierre, par le concours de notre
prince, rendît à son siège la possession de ses églises et au
Sénat plus libre l’exercice de ses fonctions. Roi vraiment digne
du trône; heureux sujets qui virent leurs vœux les plus ardents
réalisés! Car bien que l’heureuse prospérité dont nous jouissons
aujourd’hui, soit durable et doive passer à nos neveux, il est
juste d’en faire honneur à ceux qui en furent les premiers
auteurs,
Dieu vous a exaucé lorsque vous
l’avez supplié de vous délivrer par le bras de celui dont la
clémence peut vous protéger. Vous le savez, lorsqu’il part pour
la guerre, les heureux succès montrent la victoire enchaînée à
ses pas. Faut-il ajouter que la douceur de son esprit est si
grande qu’il semble ignorer ce qu’il en est de tirer l’épée! Par
une faveur de Dieu, ni l’incertitude des événements ne peut
troubler sa pair, ni un obstacle quelconque résister à sa
valeur. Auprès de lui, la voie la plus sûre est celle de la
prière; seul le suppliant a échappé à ses armes; seul a triomphé
de ce vainqueur celui qui a su se soumettre. Ce que les princes
d’autrefois obtenaient à peine par leur présence, une courte
lettre de notre roi suffit toujours à l’emporter. Son armée n’a
qu’à marcher pour triompher: et, qui le croira? ses soldats
glorieux, au sein de la victoire, sont modérés comme des
vaincus. La lutte terminée, il ne reste pas trace de haines
héréditaires : immédiatement ces peuples qui avaient si
énergiquement résisté à l’ennemi se montrent faciles à lui payer
le tribut. Et tous ces heureux succès ne sont que la récompense
providentielle des services rendus à l’Eglise, car auprès de lui
notre foi est pleinement à l’abri, bien que lui-même tienne une
autre croyance. Admirable tolérance que de rester attaché à son
opinion sans s’offusquer du crédit d’opinions étrangères! Il ne
lui suffit pas de voir leurs patrimoines retourner à nos
églises; il veut y ajouter; celles qui étaient pauvres
deviennent riches et celles qui tenaient une situation médiocre
touchent à l’opulence. Il s’applique à cultiver clans le clergé
les vertus qu’il y trouve innées; il lui inspire celles qui lui
manquent.
Mais pourquoi imposer à votre
Béatitude les inutiles longueurs de mon discours? Votre propre
expérience et les lumières de votre esprit si pénétrant, ne
tarderont pas à m’accuser de n’avoir su donner à votre fils que
de bien pauvres louanges et tandis que d’ordinaire l’on embellit
par le discours les actions dont on fait l’éloge, j’encourrai le
reproche de n’avoir été qu’un stérile panégyriste de ses riches
vertus. Comment il honore les dignités séculaires que
distinguent la Curule ou la trabée ou le Patriciat, comment il
les attribue à la naissance ou au mérite; mon porteur domestique
vous le dira de vive voix. Car il sait maintenir dans l’antique
éclat de leur race les rejetons des vieilles familles et quant
aux nouveaux venus, il les illumine d’un éclat inopiné. Sous son
administration la fortune publique va plutôt enrichir les
particuliers que les tributs payés par ses sujets ne remplissent
les coffres du palais,
Et,
maintenant, pour ce qui reste, daignez agréer l’hommage de mes
salutations, et procurez par votre prière que le Christ notre
Rédempteur continue longtemps à ses serviteurs les faveurs qu’il
leur accorde par notre très clément roi. Qu’il nous donne aussi
de sa race un successeur à son trône, afin que les bienfaits
d’un si grand homme ne passent pas en une génération, de sorte
que bientôt il n’en resterait plus que le lointain souvenir d’un
âge d’or. |
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EPISTOLA XXXI.
ENNODIUS AVIENO.
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LETTRE XXXI.
ENNODIUS A AVIÉNUS.
Aviénus vient de se marier; Ennodius adresse aux jeunes
époux des vœux et de précieux conseils. On peut rapprocher de
cette lettre l’oraison insérée à la fin de la messe de mariage,
où l’on retrouve les mêmes souvenirs bibliques (IX, 34). |
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Dum jucundis adhuc, Deo
dispensante, fruerer de præsentiæ vestræ vicinitate
conspectibus, et amabilia colloquiorum mella venerabili mendacio
retineret auditus, occasio mihi scriptionis oblata est. Fateor,
diu nolui medicinam desiderii, dum altera procuratur, irrumpere.
Delectabat series animo meo pia ludificatione blandita, nolebam
conscius deprehendere quæ pascebat in amore fallaciam. Bene enim
sapit studiis nostris obsecuta seductio, et pro vero libenter
admittimus dulcium imagines nuntiorum: grata somnia quoties
fugantur vigiliis, ingemiscimus, et illud mortis simulacrum de
placidis deceptionibus plus amatur. Ergo nunc mihi, quia illud
quod præfatus sum stare non licuit, exsequendum est quod
remansit. Aliquis hominum pro peccati sui onere sic laborat?
affligerer nisi vos viderem: ad cupita perductus maceror, quia
quæ poscebamus, Deo tribuente, concessa sunt. Nunquid alicui
accessit de lætitiæ occasione quod torqueat, aut de messe
gaudiorum egressa est planta tristitiæ?
Gratias inseparabili
Trinitati, Deo vero, qui ut vota impleat, aliquotiens vota
contemnit. Ipse ergo conjunctionis tuæ copulam respiciat: ipse
unum faciat ex duobus, in primi hominis corpore, dum adhuc
nativa et intemerata immortalitate gauderet, utrosque formavit.
Jungatur tibi uxor, ut Abrahæ Sarra, ut Isaac Rebecca, ut Jacob
Rachel cœlesti benedictione sociata est.
Habeas continentis
præviam frugem, et dulcedinem conjugati: legi Dei pareat solutio
virginalis, dum quod in se subtrahit, reddit in sobole. Nesciat
externam diligentiam bene in vobis solidata communio: illa
matrem tuam moribus et conversatione restituat, tu parentem. Non
pareat mundo majorum tuorum, dum in te renascitur, amplectenda
formatio. Nequaquam peregrina vitæ exempla, nec non adventitia
postulantur: in oculis locata sectamini. Ecce ego, qui hymenæis
tuis interesse non potui, hac te precum mearum prosecutione
convenio: vos ad vicissitudinem exhibete crebra colloquia.
Salutationis amorem et
reverentiam persolvens, rogo ut si memoriam mei de illa
locupleti recordatione non truditis, et orationibus me et
colloquiis sublevetis. |
Comme il y a peu de temps que vous
étiez ici, je jouissais encore, grâce à Dieu, des charmes de
votre présence il me semblait vous voir et mon oreille, par une
illusion trop douce, retenait les délicieux accents de vos
entretiens lorsque s’est offerte l’occasion de vous écrire.
Longtemps, je l’avoue, j’ai différé de rompre, en vous écrivant,
le charme de cette imagination qui dissipe pour un temps le
chagrin de ne plus vous avoir. Je me plaisais en cette chère
illusion de votre présence; je me refusais à reconnaître
l’erreur dont se repaissait mon affection. Car on prend plaisir
à une illusion qui cadre avec nos désirs et, volontiers, nous
tenons pour réalité les douces imaginations que provoquent
d’agréables nouvelles. Nous déplorons le réveil qui fait
évanouir des songes agréables et ce sommeil, image de la mort,
est préféré, pour le charme des rêves trompeurs. Mais parce que
cette douce illusion ne pouvait toujours durer, il me faut en
revenir à ce qui me reste, je veux dire à vous écrire.
Est-il un homme au monde qui
souffre autant pour l’expiation de ses péchés? Ne plus vous voir
est ma désolation. L’accomplissement de mes vœux cause mon
tourment et je suis dans la peine parce que Dieu nous a accordé
ce que nous souhaitions. A-t-on jamais vu cela ; ce qui devrait
réjouir devenir un tourment et d’une moisson de joies surgir une
plante de tristesse?
Grâces soient rendues à
l’indivisible Trinité, au vrai Dieu, qui pour combler nos vœux,
parfois, parait les mépriser. Qu’il daigne abaisser son regard
sur votre mariage. Que de vous deux il ne fasse qu’un, lui qui
du corps du premier homme encore dans sa pureté originelle et
destiné à l’immortalité, forma l’un et l’autre de nos parents.
Qu’à vous s’unisse votre épouse comme à Abraham Sara, comme à
Isaac Rebecca, comme à Jacob Rachel, comblée des bénédictions du
ciel.
Ayez le mérite de la continence en
goûtant les fruits et la douceur du mariage; que la loi de Dieu
règle ta fin de la virginité en sorte qu’elle trouve dans la
progéniture une juste compensation. Unis d’un indissoluble lien,
ignorez toute affection étrangère. Par ses vertus et la douceur
de sa vie, elle vous rendra votre mère;
vous lui rendrez son père. Les belles traditions de vos ancêtres
ne se perdront pas; vous les ferez revivre. Vous n’avez en effet
nul besoin de chercher au dehors et chez des étrangers les
modèles à suivre: vous les avez sous tes yeux. Et moi qui n’ai
pu assister à votre hyménée, voilà, cher Aviénus, les vœux que
j’adresse au ciel pour vous. En échange faites-moi la faveur de
fréquents entretiens.
Mon
cher seigneur, en m’acquittant du devoir aimé de vous saluer je
vous demande, si mon souvenir n’est pas exclu de votre si riche
mémoire, de m’accorder l’assistance et de vos prières et de vos
entretiens. |
|
EPISTOLA XXXII.
ENNODIUS ADEODATO
PRESBYTERO.
|
LETTRE XXXII.
ENNODIUS AU PRÊTRE ADÉODAT.
Il lui confie le chagrin que lui cause le départ de
son brillant et cher élève Aviénus qui rentre à Rome
pour se marier. —
Echange de manuscrits. |
|
Quantum a me merito,
quantum actione sis clarior, orationum tuarum reserabit
effectus. Ecce domni Fausti filii tui abstractam de solatio meo
partem maximam tu tenebis. Ego quidem sanctis et legalibus
desideriis precum impedimenta non attuli: sed tanta me domni
Avieni perculit pro ejus caritate discessio, ut lacrymis
prosequerer et ad optata tendentem. Patuit humanarum rerum in
hac causa de diversitate formatio. Illum evocant, Christo duce,
votiva; me feriunt. Illi blanditur de conjunctione vicinitas, me
de sequestratione compungit. Ecce de precam mearum fruge
sollicitor: et adeptos nos, si quid in hac parte postulatum est,
quod cum Christi pace dici liceat, ingemisco.
Sed inter hæc tali
diligentiæ curatione sustentor, quia domnum Avienum superantem
vota reddidimus. Habet de origine ejus Roma jactantiam, Liguria
de profectu: ibi domno Fausto filius naturæ lege concessus est,
hic eruditione patefactus. Minus fuit cum generalitate hominem
nasci, quam quod inimitabile videbatur, Fausti sobolem
comprobari.
Referamus ad Deum
beneficia sua, et ipsi pro illo redhibeamus gratias, a quo
poposcimus quæ tenemus. Vos salutationis meæ obsequia pro sancti
pectoris vestri puritate suscipite; et codicem recipientes meum,
cum illo qui a vobis promissus est, destinate. |
Combien votre mérite, combien vos
œuvres vous élèvent au-dessus de moi! L’effet de vos prières le
montre clairement Vous allez donc posséder ce que le Seigneur
Faustus, votre fils, a de meilleur; et moi je perds mon unique
consolation. Je n’ai point opposé à de saints et légitimes
désirs l’obstacle de mes prières; mais j’aimais tant le seigneur
Aviénus et son départ me fit une si grande peine, que je
l’accompagnai de mes larmes bien que mes vœux se trouvassent
réalisés. On peut voir en cette rencontre comment les choses
humaines ont des destinées diverses. Par la grâce de
Jésus-Christ il s’élève à la fortune que nous pouvions souhaiter
et du même coup je suis accablé; la pensée qu’il va bientôt se
marier le réjouit et celle que je vais me trouver seul me
poignarde. Ainsi le fruit de mes prières exaucées fait mon
tourment et si, de ce côté, l’on a demandé quelque chose, soit
dit, sans offenser le Christ, je gémis de nous voir exaucés.
Il est cependant, au milieu de
tous ces chagrins, une pensée qui me console, c’est que, par nos
soins, le Seigneur Aviénus a surpassé nos vœux et nos
espérances. A Rome appartient la gloire de lui avoir donné le
jour, à la Ligurie celle de l’avoir élevé ; là il fut donné pour
fils à Faustus par la loi de la nature; ici par sa science il
s’est montré digne de l’être. C’était peu de naître comme le
commun des hommes, mais il semblait impossible de se faire
reconnaître pour le digne fils de Faustus.
Rapportons à Dieu ses bienfaits et rendons-lui grâces de les
avoir accordés à nos prières. Vous, recevez dans la sainte
pureté de votre cœur l’hommage de mes salutations et prenez soin
de me renvoyer le manuscrit que je vous adresse avec celui que
vous-même vous m’avez promis. |
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EPISTOLA XXXIII.
ENNODIUS CÆSARIO
EPISCOPO.
|
LETTRE XXXIII.
ENNODIUS À L’ÉVÊQUE CÉSAIRE.
Cette lettre se
rapporte au voyage de S. Césaire à Ravenne, où il eut à
se justifier devant Théodoric du soupçon de trahison formé
contre lui durant le siège d’Arles par les Francs et les
Burgondes, en 510. Il se hâta d’annoncer le succès de sa
démarche à Ennodius qu’il avait peut-être vu en passant à Milan.
Ennodius qui connaissait
Théodoric, avait dû encourager Césaire et lui donner bon espoir,
car il semble s’en applaudir dans cette réponse qui reste un
magnifique éloge du grand évêque, alors la lumière de l’église
des Gaules. S. Césaire quitta Ravenne grandi et se rendit à Rome
pour y visiter te tombeau des Apôtres. Le pape Symmaque
l’accueillit comme le personnage le plus illustre de l’église
d’Occident; il lui donna le Pallium, l’institua légat du Saint
Siège pour les Gaules et l’Espagne, avec la charge de veiller au
maintien de la discipline dans ces deux pays et confirma, en sa
considération, les antiques privilèges de l’église d’Arles. A
partir de ce moment jusqu’à sa mort (562), S. Césaire fut à la
tête des affaires ecclésiastiques des Gaules. Il convoqua et
présida de nombreux conciles dont le plus célèbre est le second
d’orange (529), où fut condamné le Semi-Pélagianisme et dont les
décrets font autorité à l’égal de ceux des conciles généraux. |
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Quod spe præceperam,
litteris indicastis. Nam venerandi promulgatione colloquii, quid
cœlestis imperator domnum regem circa vos facere compulisset,
agnovi: ego sum, cui postquam meritum vestrum patuit, nequaquam
se felicitas actionis abscondit. Qui hominum nobilissimo in
Christi servitute pontifici terrenas dominationes nesciat esse
subjectas, et minacem reis potentiam innocentiæ objectione
superari, quando principalis purpura aut cilicia despexit, aut
pallium; quando libertas illa potissima credidit, sibi ante
Christianam humilitatem licere quod voluit; aut quando ei licuit
velle quod læderet? Quod si inter hæc canæ ætatis exempla
recolantur, et sævitiam circa cultores Dei tyrannicam reducas in
medium, scimus quia ab illis nostri dogmatis sectatores, ne
unquam morerentur, occisi sunt. Tunc militibus suis vitam,
æternitatem, obsequente gladio perpetuus ille dux contulit. Illi
inimicorum suorum ministerio perdiderunt originariam vilitatem.
Te, mi domine, in orbe jam Christiano diva lex peperit, et
apostolici uberis lacte nutrivit: tu cæteros velut solis
magnitudo astris minoribus comparata transgrederis: te qui
interioris hominis oculis inspexit, instructus est. Nam et cum
facie ipsa foveas puritatem, delinquentes feriato ore castigas.
Boni de conversatione tua, quocunque processeris, imitanda
inveniunt: malis fugienda demonstrantur. Beatus tu, cui a Deo
tributum est ut et monitis doceas et exemplis: qui ad pii iti
eris directum semper existens prævius invitasti: quis non optet,
te loquente, ut sciat plura, non legere? Tu dum libris genium
relatione concilias, et magistros informas: tibi debet quicunque
ille sc iptorum maximus, quod eum dote elocutionis amplificas.
In te lux convenit sermonis et operis. Unde hæc prærogativa
Transalpinis? unde parentibus meis inauspicata sublimitas, ut
talem virum miserint? Sed cur inter terrena quæritur res
cœlestis? Potuit ergo ante te quodlibet palatii supercilium non
jacere? potuit tibi cupita subtrahere, quem mitiorem ovibus sola
faciunt errata pugnacem?
Latius me et meritum
vestrum vocat et diligentia: sed loquacitatem meam lex
epistolaris includit. Quod superest, benigni servitutis meæ
munus accipite, et me Deo nostro orationum suffragiis intimate,
frequenter de his quæ vobiscum aguntur vel acta sunt,
informantes. Deprecor etiam ut quid apud vos promoverit Rustici
supplicat, qui, quantum audio, fornicationes suas nomine vestit
uxorum, et vocabulo legis putat excusari posse rem criminis,
mihi manifestes ministerio litterarum. |
Ce que l’espoir m’avait fait
pressentir, votre lettre me l’annonce. A sa lecture, j’ai
reconnu la main de Dieu et ce que le Maître du ciel avait
contraint notre seigneur roi de faire à votre égard quant à moi,
dès lors que votre mérite me fut connu, je ne doutais plus de
l’heureux succès de l’affaire. Qui donc pourrait ignorer qu’un
très noble pontife attaché au service du Christ domine les
puissances de la terre et que le pouvoir royal, redoutable aux
criminels, cède devant l’innocence? Quand vit-on la pourpre
mépriser les cilices ou le pallium? Quand cette liberté suprême
du pouvoir absolu eut-elle la prétention de l’emporter sur
l’humilité chrétienne et de se permettre, au détriment de
celle-ci, ce qui pourrait lui plaire? c’est-à-dire, lui fut-il
jamais permis de vouloir l’injustice? Que si l’on veut objecter
à ce propos ce qui se passa en un temps déjà reculé et rappeler
le souvenir des cruautés tyranniques exercées contre les
serviteurs de Dieu, nous savons que les martyrs de notre foi
n’ont été mis à mort par les persécuteurs que pour devenir
immortels. Le chef éternel qui commandait à ces vaillants
soldats, leur a fait trouver, sous les coups du glaive qui les
frappait, la vie et l’éternité: grâce à leurs ennemis ils ne
gardent plus rien de ce qu’il y avait de vil dans leur origine.
Vous, mon Seigneur, la Providence vous a donné au monde déjà
chrétien et vous a nourri du lait de la doctrine apostolique.
Vous surpassez tous les autres comme l’éclat du soleil éclipse
les astres inférieurs; il suffit pour s’instruire, de vous
considérer des yeux de l’homme intérieur. Votre seul aspect
inspire la pureté et, sans même ouvrir la bouche, vous réprimez
l’inconduite. En toute occurrence les bons trouvent en vous à
imiter, les méchants à se corriger. Combien vous êtes heureux
d’avoir reçu de Dieu le don d’instruire et par vos leçons et par
vos exemples, d’indiquer constamment, en y marchant le premier,
le droit chemin de la piété! Lorsque vous prenez la parole qui
ne se hâtera pour apprendre davantage, de fermer le livre et de
vous écouter? Car par vos commentaires vous enrichissez le texte
du livre et vous prêtez votre science aux docteurs qui l’ont
écrit. Les écrivains les plus fameux vous doivent d’être
enrichis des trésors de votre éloquence. Vous réunissez en votre
personne l’éclat des œuvres et celui de la parole. D’où vient
aux Transalpins une telle prérogative, d’où une gloire si
inopinée à mes parents, que de nous envoyer un tel homme? Mais
pourquoi chercher sur terre ce qui est du ciel? A votre
apparition dans le palais, s’y est-il trouvé quelque courtisan
dont l’orgueil ne se soit abîmé? Pouvait-il ne pas accéder à vos
désirs ce Prince plus doux qu’un agneau et qui ne s’attaque
jamais qu’aux errements?
Votre mérite et l’affection que je vous porte m’entraîneraient à
en dire bien davantage, mais je dois me taire pour ne pas
franchir le cadre obligatoire d’une lettre. Pour le surplus,
daignez accueillir avec bienveillance cet hommage de votre très
humble serviteur et m’accorder auprès de notre Dieu les
suffrages efficaces de vos prières; et puis informez-moi
fréquemment de ce qui se passe autour de vous et donnez-moi de
vos nouvelles. Je vous prie encore de me faire connaître par
écrit les résultats de la supplique à vous adressée par
Rustique. Autant que j’en suis informé, c’est un homme qui
couvre ses fornications du nom d’unions conjugales et qui
s’imagine qu’il suffit d’invoquer une loi pour justifier des
crimes. |
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EPISTOLA XXXIV.
ENNODIUS AVIENO.
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LETTRE XXXIV.
ENNODIUS A AVIÉNUS.
L’évêque de Milan fait en instance auprès des Faustus pour une
affaire au sujet de laquelle il avait dépêché à
Rome un exprès. Ennodius en profite pour écrire à Aviénus
nouvellement marié une nouvelle lettre où il le félicite des
mérites que la renommée attribue à sa jeune femme (IX. 31). |
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Ubi sunt, qui dicunt
inter habitatione discretos diligentiam non durare, et
affectionis calorem terrarum divisione tepescere, nec longius
procedere mentes posse, quam oculos? Ecce amoris mei plenitudo
violentia sequestrationis exæstuat, et colloquii medicina
languidior corporis sedibus non tenetur. Deum tamen qui, circa
vos respexit vota nostra, benedico, qui vos non solum nobili,
sed, quantum fama nuntiat, sancta moribus uxore donavit.
Cultores Christi perfecta omnia promerentur, ipsis solis in
conjunctione, opum, mentium et sanguinis claritas non negatur.
Ipse præcipiebam quod possit talis effici, qualem ad te audio
jam venisse. Transit æstimationem meam quid de ejus hominis
profectu sentiam, quem audio ab optimis inchoasse.
Domine mi, gratiam
salutationis impertiens, spero ut petitionem tancti episcopi
patris vestri dignemini incunctanter efficere, et homini ipsius
classici illum de quo securus sum, grate animum condonare. |
Où sont ceux qui prétendent que
les distances tuent l’affection, que ses ardeurs s’éteignent à
mesure qu’on s’éloigne et que le cœur ne porte pas plus loin que
tes yeux? Quant à moi je sens mon cœur impuissant à contenir la
violence de l’amour qui l’embrase et, même lorsque je vous
écris, ce n’est qu’un faible palliatif qui ne peut calmer ses
transports. Cependant je bénis Dieu d’avoir, à votre égard,
exaucé nos vœux; de vous avoir donné une épouse que distingue
non seulement la noblesse de sa naissance, mais encore, autant
que l’annonce ta renommée, la sainteté de sa vie. Les fidèles
disciples du Christ obtiennent en tout la perfection seuls, dans
leur mariage, ils réunissent à l’éclat des richesses et de la
naissance, l’excellence des âmes. Quant au vôtre, ce que par
avance j’avais désiré, l’épouse qui vous est venue, à ce que
j’apprends, le réalise pleinement. Je ne puis exprimer ce que
j’attends des progrès d’un homme dont les débuts sont proclamés
si éminents.
Mon
cher seigneur, tout en vous rendant l’honneur de mes
salutations, j’espère que vous daignerez réaliser sans délai ce
que vous demande le saint Evêque votre digne père, et que vous
accueillerez l’envoyé de ce prélat éminent avec ces sentiments
de bienveillance dont j’ai la parfaite assurance. |
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EPISTOLA XXXV.
ENNODIUS
MESSALÆ.
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LETTRE XXXV.
ENNODIUS A
MESSALA.
Messala va faire un riche mariage;
il paraît en oublier ses vieux amis. |
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Solent inauspicata
felicitate superbarum mentium colla mollescere, et rigidioris
propositi novo gaudio supercilia temperari. Nam benignitatem
seminat quidquid votis obsequitur, nec plus aliquid humiliat
potissimos quam optata sublimitas. Indicium communionis et
obsequii est, ad apicem pervenisse. Tu postquam ad cupita
provectus es, ignorato hactenus tumore me despicis: et quid in
melle tuo respicias oblitus, de sola amicos veteres futuræ
uxoris opulentia contemnis, nesciens sarcinam venire unde
æstimas commeare rem præmii: primum quod mobilem esse non decet,
qui originis suæ radios non obumbrat: deinde, quia unde
despicior, vindicabor. Ergo ad usum promissionis benigne
revertere, ne videar manifesta suspicatus. Ego, quia hactenus ab
scriptionis munere temperastis, in hæc verba prorupi: vos aut
factum diluere, aut affirmare innocentiam convenit nobilitate
sermonis.
Domine mi, salutationis
plenissimæ officia persolvens, spero ut qui diligentem
neglexisti, saltem alioquiis facias dignum arguentem. |
D’ordinaire on voit, sous le coup
d’une bonne fortune inattendue, mollir l’orgueil des esprits
superbes, et la fierté des plus rigides tomber au souffle de la
joie. La bienveillance nait d’elle-même dès lorsque les vœux
sont comblés et rien n’oblige les puissants à s’abaisser comme
la grandeur tant désirée, Qu’ils parviennent au faîte, vous les
trouverez partisans de l’union et tout disposés à vous être
agréables. Mais vous, au contraire, depuis que vous êtes parvenu
au comble de vos vœux, avec une fierté que je ne vous
connaissais pas, vous n’ayez plus pour moi que du dédain.
Oublieux de ceux auxquels vous devriez votre bienveillante
considération, la seule perspective de l’opulence de votre
future épouse vous fait mépriser vos vieux amis et vous ne
prenez pas garde que ce que vous estimez une bonne fortune vous
deviendra un lourd fardeau, d’abord parce que celui qui ne veut
pas voir pâlir l’éclat de son origine, doit éviter d’être
inconstant, et puis parce que si je suis méprisé, j’en serai
vengé. Hâtez-vous donc de revenir à tenir ce que vous m’aviez
promis, sans quoi l’évidence confirmera mes soupçons. Quant à
moi, si je me suis laissé emporter à cette violente sortie,
c’est que depuis longtemps vous négligez décrire. A vous de vous
justifier ou d’affirmer votre innocence en y mettant toutes les
élégances du discours.
Mon
cher seigneur, daignez agréer l’hommage de mes salutations très
empressées et me laisser espérer que si vous m’avez négligé
lorsque je vous prodiguais les témoignages d’affection, lorsque
je vous accable de reproches vous me ferez l’honneur de vos
entretiens. |
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Sollicité par l’évêque espagnol Oresius de lui envoyer des vers,
Sidoine s’en excuse en ces termes: « Depuis que j’ai embrassé
l’état ecclésiastique. J’ai absolument renoncé à la poésie,
parce que l’on pourrait m’accuser de légèreté si je m’adonnais
encore à une chose frivole, quand je ne dois songer qu’à des
occupations sérieuses. »
Primum ab exordio religiosœ
protessionis huic principaliter exercitio renuntiavi, quia
nimirum facilitati posset accommodari, si me occupasset levitas
versuum quem respicere cœperat gravitas actionum.
Cependant comme il lui en coûte de répondre à Oresius par un
refus, « je prendrai, conclut-il, un certain milieu, et sans
composer aujourd’hui de nouvelles pièces, s’il me reste quelques
lettres entremêlées de vers, écrites avant que je ne fusse
astreint aux devoirs de ma profession actuelle, je te les
enverrai, en te priant de ne point être assez injuste pour aller
croire que jamais je ne cesserai d’écrire de semblables
bagatelles. »
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