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CATHEDRAL CHURCH
OF SAINT ENNODIUS AND
SAINT VERONICA
AT WENCHOSTER
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à LA TABLE D'ENNODIUS ENNODIUS
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
LETTRES
LIVRE VII
livre I - livre II -
livre III - livre IV -
livre V - livre VI
LIBER SEPTIMUS
|
LIVRE SEPTIEME
|
EPISTOLA PRIMA.
ENNODIUS JULIANO.
|
LETTRE I.
ENNODIUS A JULIEN.
Julien Comte du
Patrimoine a chargé Ennodius d’instruire et de juger un
différend qui relevait de son administration.
Exactions des fonctionnaires qui géraient en province les
revenus de ta couronne. Abus du droit d’entrée en
fonction. Fermiers royaux (Cf. cass.
v, var.
39) ; chartiers (Cod. just.,
lib. xii, tit.
41). |
Præceptis magnitudinis
vestræ ministerium devotionis exsolvimus; quia fit æquitati
proximus, qui justi viri monitis obsecundat. Negotiorum qualitas
quæ ab amico veritatis agnoscenda committitur, cautione instruit
animum cognitoris integri: affectionem infudisset nobis
magnitudinis vestræ consideratio, si studia non dedissent.
In negotio igitur quod
inter Bautonem , regiæ domus conductorem, et Epiphanium
chartarium vertitur, dum anceps in disceptatione nostra eventus
nutaret, et alterna se partes intentione colliderent, asserente
Bautone se sexaginta et quatuor solidos publicos, quos de
reliqua indictionis illius emisso chirographo fuerat debere
confessus, idcirco non posse restituere, quia per manus sublimis
viri Projecti quadraginta solidos Epiphanio suffragii nomine
contulisset, pro quibus nullum beneficium secutum fuisse
doceretur; et replicaret ipse Epiphanius, se si quid accepisset,
labore meruisse, nec frustra sibi a Bautone quidquam fuisse
collatum, vel prolati testis fidem laudibus incessanter
attolleret; statuimus ut sub jurejurando mihi nominatus superius
vir nobilis Projectus et sperati genus declararet beneficii, et
effectum, si ita esset, assereret non secutum: quod cum fuisset
impletum, Epiphanius acceptam pecuniæ refunderet quantitatem.
Nunc in potestate est culminis vestri decisionem nostram, si
placet, auctoritate fulcire. |
Selon les ordres de votre
Grandeur, nous avons rempli la mission dont vous nous aviez
chargé. Nous n’avons fait en cela que notre devoir, car c’est
servir l’équité que de se prêter aux desseins d’un homme juste.
La nature même des affaires qu’un ami de la vérité donne
commission d’instruire, arme d’une puissante garantie l’esprit
d’un juge intègre. Pour vous aimer il nous eut suffi de l’estime
que nous inspire votre Grandeur, si notre propre attrait ne nous
y eut incliné.
Donc
en l’affaire qui se discute entre Bauton, fermier de la maison
du roi, et l’archiviste Epiphane, nous demeurions incertain dans
la difficulté où nous étions d’établir une décision, car les
parties se heurtaient de leurs prétentions réciproques Bauton
alléguait que s’il ne pouvait restituer au fisc les soixante
quatre sous d’or de la recette publique qu’il avait reconnu, par
un billet de sa main, devoir au trésor en reste sur la dernière
taxe, c’était parce qu’il avait, par les mains du noble
Projectus, fait tenir à Epiphane, à titre de faveur, à son
entrée en fonction quarante sous;
mais il n’en avait reçu en retour aucun service équivalent.
Epiphane répliquait que s’il avait reçu quelque chose, c’était
uniquement le salaire de son travail ; jamais Bauton ne lui
avait rien avancé gratuitement ; que l’on prouvât le contraire
et il féliciterait à jamais le témoin qu’on aurait produit. Nous
avons pris le parti de citer le noble Projectus susnommé, et de
lui faire déclarer. sous la foi du serment, quel genre de
service Bauton attendait en retour de sa libéralité, et dire si
ce service n’avait pas été rendu. Or la déposition de Projectus
se trouva conforme aux revendications de Bauton. En conséquence,
nous avons statué qu’Epiphane restituerait la somme perçue. Il
appartient maintenant à votre Eminence, si elle le trouve bon,
de confirmer notre décision. |
EPISTOLA II.
ENNODIUS FAUSTO.
|
LETTRE II.
ENNODIUS A FAUSTUS.
Ennodius avait joui de la présence de Faustus
en Ligurie et, sans doute aussi de cette de toute sa
maison, comme le fait supposer la lettre suivante
à Aviénus. Un mal aux yeux qui le rend presque aveugle
(VII, 4), le fait beaucoup souffrir et le plonge dans une
profonde tristesse dont seules les lettres de ses amis peuvent
le tirer. |
Quantum ad fascem
mœroris adjungit interrupta tribulatio, quando ut acrius urat
adversitas, prosperorum mutatione blanditur! Ad cujus unquam
onus accessit, quod continuatæ sarcinam calamitatis abjecit?
Quam bene me ad patientiam absentiæ vestræ longus temporum usus
aptaverat; dum hoc quod felicitas non habebat, didicerant nec
vota præsumere! Ecce iterum de inveteratis doloribus passio
novella me lacerat, et obductam cicatricem rescindit ictus
acutior. Imploraveram a discedente misericordiam, ut quod de
præsenti confabulatione perdebam, litteris pensaretur; nec hanc
frugem omnibus desideriis jejunus emerui. Ego consuetudinis meæ
non negligens inter lacrymas scripta concinno: quibus de
afflictione mea credidi nil potius indicandum, illustris viri
domni Pamfronii relatione contentus.
Nunc, mi domine,
obsequia famuli vestri dignanter accipite, et animæ in angustiis
constitutæ remedia consueta præstate. |
O combien le poids du chagrin
s’aggrave de l’interruption de nos maux lorsque, comme pour nous
faire endurer des tourments plus raffinés, l’adversité fait
place un instant à de trompeuses apparences de bonheur. Qui donc
jamais se sentit d’autant plus accablé de son malheur qu’il le
voyait interrompu. Ah! Qu’une longue habitude m’avait bien formé
à souffrir de votre absence, à tel point que je m’étais fait à
ne plus même désirer ce que je n’avais pas le bonheur de
posséder! Et voilà que de nouveau mes souffrances se ravivent et
que j’éprouve le déchirement de mes anciennes douleurs: la
cicatrice à peine fermée, se rouvre sous Le coup d’une blessure
encore plus cruelle. A votre départ je vous avais prié en grâce
de suppléer par vos lettres à ces conversations qui faisaient
ici mon bonheur et dont j’allais être privé. Vain espoir, hélas!
je n’ai pas mérité cette faveur. Quant à moi, fidèle à ma
coutume, j’écris au milieu des larmes. C’est assez vous
entretenir ainsi de mon affliction puisque l’illustre seigneur
Panfronius vous donnera de vive voix de mes nouvelles.
Et
maintenant, cher seigneur, daigner agréez les humbles hommages
de votre serviteur et portez aux angoisses de son âme le remède
accoutumé. |
EPISTOLA III.
ENNODIUS AVIENO.
|
LETTRE III.
ENNODIUS A AVIÉNUS.
Aviénus,
selon toute apparence, avait accompagné son père Faustus
en Ligurie (VII, 2). Ennodius rappelle à son ami
les promesses d’écrire échangées à son départ. |
Quibus magnitudinem tuam
discedentem precibus imploravi, merito retexerem, nisi memoriæ
vestræ irrogare contumelias devitarem. Nam qui amantem de his
quæ recens sunt acta convenerit, fugiendam bonis oblivionem
importunus opponit: cum hoc sit peculiare conjunctis, ut sub
quadam præscientia mutuo sibi cupita sufficiant; et ad
substantiam caritatis efficaci dispensatione, quod votis
poscendum est, effectu seniore concilient. Cœlestis dispensatio
facienda suggerit, si quid amor optat, inquiras. His jungitur
quod æstuanti animæ, dum iter arriperes, multis in
promissionibus subvenisti; dicendo sustentandum me esse paginis,
qui propriæ lucis privarer absentia. Ecce et pollicitatio fide
claudicat, et spe irritatus ardesco. Egit veniens de remedii
præsumptione fiducia, ut difficilius dura tolerentur. Sed nunc,
mi domine, honorem salutationis accipiens, postquam apud vos,
quod male est animo, declaravi, curatio properata succurrat: ut
qui salutis vestræ status est vel gratia principalis,
exspectatis reseretur alloquiis. |
Je
pourrais à bon droit rappeler à votre Grandeur les prières que
je vous adressai au moment de votre départ, mais je ne veux pas
faire cette injure à votre mémoire, car adresser à un ami des
reproches au sujet de promesses récentes, n’est-ce pas lui
reprocher un oubli fâcheux qu’un honnête homme ne doit pas se
permettre. C’est en effet le propre de l’amitié de porter ceux
qu’elle unit à se procurer mutuellement ce qui fait l’objet de
leurs désirs et, comme aliment de leur affection, de s’employer
activement à hâter la réalisation de leurs vœux réciproques. Si
vous voulez bien considérer ce que réclame l’amitié, vous avez
reçu du ciel tout ce qu’il faut pour y répondre. A tout cela
s’ajoute que sur le moment de votre départ vous avez, en
multipliant vos promesses, adouci le cuisant chagrin dont mon
âme était consumée: vous disiez alors que vous ne manqueriez pas
de me ménager l’aliment de vos lettres, à moi qui suis privé de
l’usage de mes yeux. Or voici que votre promesse demeure sans
effet et que moi-même, séduit par de vaines espérances, je me
consume en regrets superflus. La confiance que j’avais de
recevoir un prompt remède m’a fait plus difficilement supporter
mes maux. Maintenant, mon cher seigneur, agréez l’hommage de mes
salutations, et puisque je vous ai fait connaître le mal dont
souffre mon esprit, empressez-vous de me procurer la guérison :
il suffit pour cela que vos lettres si désirées m’apportent des
nouvelles de l’état de votre santé et de La faveur dont vous
jouissez à la cour. |
EPISTOLA IV.
ENNODIUS AGNELLO.
|
LETTRE IV.
ENNODIUS A AGNELLUS.
Tendres plaintes d’ami. |
Semper famulantes
diligentiæ paginas nunc in proditione sui dolor exigit, et
gaudiorum ministras in vocem reserandæ traxit injuriæ; nec
contenta fuco dissimulationis urbanæ secreta pectoris aut
taciturnitate vestivit, aut in partem aliam transtulit
blandimento. Novi quidem fabricata, sed fugio: et simplicitate
contentus, cum amantibus sereni animi fronte congredior.
Ubi gentium fuit sub
obtestatione Dei inter nos promissa devinctio, ut proficiscentes
insalutatum me, velut incognitum linqueretis, nec potestatem
remanens sortirer necessaria suggerendi? Credo providistis ut
imbecillus oculis totum vobiscum lumen amitteret, nec diem meum
sub amici præsentia clausis orbibus intuerer. Hæc si per
negligentiam contigerunt, æstimationi relinquetis quem apud vos
locum obtineam: ferenda sunt acerbius, si intelliguntur
accidisse per studium.
Nunc vale, mi domine, et
animo meo quem in statione consistere suadet innocentia, origo,
propositum, potiorem gratiæ partem qua vobis sinceritate patuit
invitate. |
D’ordinaire les lettres servent à
échanger des témoignages d’affection. Aujourd’hui ma peine
requiert leur concours pour se manifester et fait servir ces
messagères de la joie à révéler l’injure. Elle ne peut accepter
de cacher sous le voile d’une dissimulation polie les secrets du
cœur, ni de donner le change par de faux compliments. Ce n’est
point que j’ignore l’art de feindre, mais à Dieu ne plaise que
j’en use et, en toute franchise, c’est à front découvert que je
m’abouche avec mes amis.
Qu’est donc devenue cette liaison
jurée entre nous au nom de Dieu, pour qu’à votre départ vous
m’ayez laissé comme un inconnu, sans me saluer, et que je sois
demeuré sans la possibilité de vous dire ce que j’avais de plus
urgent à vous communiquer? Vous avez voulu, je crois, rendre
tout à fait aveugle votre ami, déjà si malade de ses yeux, et
vous ne m’avez pas permis de retrouver, dans la présence d’un
ami, cette lumière du jour que mes yeux clos ne peuvent voir. Si
c’est par négligence que tout cela s’est fait, vous laissez
deviner quelle place j’occupe auprès de vous c’est bien pis
encore si je dois conclure que tout est à dessein.
Et
maintenant, adieu, mon cher seigneur, et puisque mon cœur s’est
ouvert à vous en toute sincérité, alors que l’innocence, mon
origine, ma vocation, tout l’invite à ne pas passer outre,
excitez-le à s’assurer une part meilleure encore de votre
bienveillance. |
EPISTOLA V.
ENNODIUS SENARIO.
|
LETTRE V.
ENNODIUS A SÉNARIUS.
Lettre d’amitié peur
demander des nouvelles de Sénarius et de Faustus. |
Quamvis te dominum meum
per intemeratæ documenta fidei principalis sibi cura conjungat,
et morum claritudo ita publicis rebus misceat, ut amabilis a te
saporem quietis excludat, non credo tamen ita religionem
amicitiæ posthaberi, ut non satisfaciens, Deo adjuvante,
regnantis imperiis debita sua refundas affectui. Nostis quid
poscat aula, quid gratia: uno eodemque tempore nec rerum deestis
domino, nec amori, quando Christianæ mentis integritas per has
partes divisa solidatur. His ergo sollicitudinem meam credo
relevari, quibus venerabilis consuetudo servatur studiis. Tantum
est, ut Dei nostri solatiis magnitudo vestra adjuta gratuletur.
Domine mi, salutationis
obsequia præsentans, spero ut de vestro vel amici vestri domni
Fausti statu hilarem me fieri votivo litterarum contingat
indicio. |
Il est vrai, monseigneur, que le
souci de remplir avec la plus absolue fidélité vos hautes
fonctions, vous absorbe tout entier; l’éclatante intégrité de
vos mœurs vous fait prendre une telle part aux affaires
publiques qu’il ne vous est plus loisible de goûter les douceurs
du repos; je ne crois pas néanmoins que toutes ces obligations
doivent à tel point l’emporter sur la religion de l’amitié que
vous ne puissiez, avec l’aide de Dieu, sans manquer à ce que
vous devez aux ordres du souverain, rendre à l’affection ce à
quoi elle a droit. Vous savez très bien ce qu’exige la cour, ce
que demande l’amitié, et dans le même temps vous arrivez à
satisfaire et le souverain et l’amour. L’intégrité de votre âme
chrétienne, loin d’être divisée par ces divers devoirs qui la
sollicitent, s’en trouve raffermie. Quant à moi je trouve à mes
soucis un allègement dans ces soins qui entretiennent en nos
rapports une habitude sacrée. Je les désire autant comme je
souhaite que les faveurs de notre Dieu comblent les vœux de
votre Grandeur.
Mon
cher seigneur, en vous rendant les devoirs de mes salutations,
j’ai l’espoir que j’aurai le plaisir de recevoir par vos lettres
des nouvelles de vous et de votre ami le seigneur Faustus. Je
les attends avec impatience. |
EPISTOLA VI.
FLORO ET DECORATO
ENNODIUS.
|
LETTRE VI.
ENNODIUS A FLORUS ET
DÊCORATUS.
Florus est avocat à
Rome, ainsi que son ami Décoratus. Ils avaient
tous les deux quitté la Ligurie où habitait
Ennodius (Sur Décoratus voir IV, 17). |
Permisi hactenus magnitudinem
vestram mobilitatem Ligurum urbanæ fuco disputationis incessere,
quia et me origo reddebat alienum, et vos ab eorum culpis
constantia promissa sejunxerat. Sed cum una sorte ab oculis
vestris et mente discessi, præconis voce contestor, neminem
damnare posse quod sequitur, nec salvo pudore sententiam
excessibus dictare peccantem. Fas est liberos a reatu detestari;
quis æquo animo ferat monitorem quod verbis destruit actibus non
vitare? Evangelii sententia est,
Qui fecerit et docuerit sic
dignum Dei gratia posse judicari. Vobis copiosus sermo est,
quotiens error arguitur, et sub conversationis negligentia
puritas amplectenda verborum. Perdidistis lacrymarum mearum
memoriam, quam discedentibus gemini doloris ictus effudit. Ecce
quanti dies sunt, in quibus sub tanta frequentia commeantum
nulla neque domini mei, amici vestri, neque vestra, quæ de illo
rem voti indicent, scripta suscipio. Absolvistis imitatione
culpabiles: non quod Liguribus evenerit propositum, quantum vos
dicitis, infidelitatis amittere, sed quod eos contigerit
invenisse in his quæ sunt vitanda consortes. Rogo tamen,
servitio salutationis exhibito, ut tandem aliquando, tanquam
boni domini precum mearum memores, prosperitatem vestram, vel
domni mei, amatoris vestri, reseretis muniis litterarum. |
J’ai
permis jusqu’à présent à votre Grandeur de reprocher sous forme
de spirituelle satire, aux Liguriens, de manquer de fidélité;
étranger à la Ligurie par mon origine, je vous laissais dire, et
d’ailleurs vous échappiez vous-mêmes à ce reproche par votre
assiduité à tenir vos promesses. Mais aujourd’hui éloigné de
vous, je me vois, par comble de disgrâce, totalement oublié, je
crie bien haut que nul n’a le droit de blâmer ce qu’il pratique
lui-même; le coupable ne peut sans rougir réprouver les excès
d’autrui. Seuls les innocents ont droit de flétrir les vices:
qui pourrait supporter d’entendre un censeur réprimer de ses
paroles ce que lui-même n’évite pas? L’Evangile prescrit de
faire et d’enseigner conformément à ses actes pour être jugé
digne de la grâce de Dieu. Votre éloquence ne tarit pas
lorsqu’il s’agit de relever l’aberration des autres et vous
savez parler de leur négligence en termes exquis. Vous avez donc
perdu le souvenir des larmes que votre double départ me fit
verser? Voilà déjà combien de jours que, malgré le grand nombre
des voyageurs, pas le moindre billet ne m’arrive ni de mon
seigneur votre ami, ni de vous ? En les imitant, vous justifiez
les coupables; non point que les Liguriens aient pour cela
renoncé à leurs habitudes d’infidélité, mais parce qu’ils
trouvent ainsi des complices. Je vous supplie quand même, en
vous adressant l’hommage de mes salutations, de tenir enfin
compte de mes instances et, comme de bons amis, de me donner par
vos lettres des nouvelles de votre prospérité et de celle de mon
cher seigneur
qui vous porte une si vive affection. |
EPISTOLA VII.
ENNODIUS HELPIDIO
DIACONO.
|
LETTRE VII.
ENNODIUS AU DIACRE HELPIDIUS.
Bien que probablement non encore diacre,
Ennodius avait déjà sérieusement embrassé la vie chrétienne.
Cette lettre donnerait à entendre qu’Helpidius avait contribué
personnellement à celte conversion par l’attrait de son talent
et l’empire de sa douceur. |
Perfecta caritas
corporalis absentiæ damna non patitur, nec animorum serena
conjunctio itinerum sequestratione multatur: quorum animæ
Christo in caritate sociante conveniunt, nulla possunt separari
interjectione terrarum. Hac ego spe vel securitate, de
conscientia vestra securus, amantem mei alloquor, tanquam in
amplexibus constitutum. Fove, domne Elpidi, quem Deo medio
suscepisti. Habeat suas mundus astutias, et urbanitatem fallendi
prudentiam damnandus appellet. Tu illi dulcedini quam probavi,
nihil admisceas, nisi quod gradibus ad perfectæ caritatis nos
bona perducat.
Domine, ut supra,
salutationem plenissimam reddens, quæso ut prosperitatem vestram
vel eorum qui nos diligunt frequentibus mihi indicetis
alloquiis. |
La parfaite charité n’est point
entamée par suite de l’absence corporelle, et la séparation
qu’impose l’éloignement ne porte aucune atteinte à la sereine
union des cœurs. Ceux dont les âmes sont unies par le Christ
dans la charité, ne peuvent être séparés par les distances.
Plein de cette confiance et assuré de vos sentiments, je vous
parle, ami, comme si je vous tenais pressé dans mes bras. Ne
négligez pas, seigneur Helpidius, celui que, grâce à Dieu, vous
avez relevé. Que le monde se garde ses faux airs et qu’il
appelle prudence sa coupable habileté à en imposer : vous, à
cette douceur dont j’ai fait l’expérience, ne mêlez rien qui ne
nous élève de plus en plus vers la parfaite charité.
Mon
cher seigneur, en vous adressant comme par le passé mes
salutations les plus profondes, je vous demande de me donner par
de fréquentes lettres des nouvelles de votre prospérité et de
celle de ceux qui vous aiment. |
EPISTOLA VIII.
ENNODIUS EUPREPIÆ.
|
LETTRE VIII.
ENNODIUS A EUPRÉPIE.
Il lui reproche d’écrire
dans un langage trop négligé et témoigne en avoir beaucoup peine.
VI, 3. |
Quam bene animum meum ad
patientiam sequestrationis absentiæ vestræ usus aptaverat, dum
prolixa silentia contemptum dulcedinis rerum suarum necessitate
pariebant! rescissa est cicatrix quæ ad medicinam pii amoris
accesserat. Confiteor, soror venerabilis, ad antiquum me
desiderium litteræ tuæ nimis noto conditæ sapore revocarunt.
Ecce vide qua arte contendis, cui nec satietatem de præsentia
tua, nec oblivionem de silentio pateris subvenire. Scit mentium
discussor altissimus, lectione apicum tuorum animam meam intra
penetralia sua non potuisse consistere, et ad præsentiam tuam
diligentiæ evolasse melle compulsam. Habuit Arelatensis
habitatio, cum Mediolanensibus muris includerer: et dum ad
dulcem sedem libertas mentis excurreret, intra Italiam me
corporis captivitas includebat. O si suppeteret sermonis
abundantia ad ea quæ cupit animus exponenda, aut ad illa ad quæ
lingua sufficit, non pudor eriperet! Parvus amor est, qui oris
testimonio sufficienter aperitur. Confessio est tepidæ
caritatis, quotiens in ea non cedit eloquium.
Quod restat, Deum
precor, ut valeas et ad sublevandum mœrorem meum quem scriptione
tua nimis dædala arte geminasti, bono prosperitatis mutuæ
reserveris. |
O comme l’habitude de votre
absence avait heureusement préparé mon esprit à supporter
l’isolement, tandis que votre silence prolongé me forçait à
oublier Le charme de vos entretiens La cicatrice que le baume de
votre tendre affection avait formée, vient de se rouvrir. Je le
confesse, vénérable sœur, vos lettres écrites dans un style
beaucoup trop vulgaire, ont ravivé mes anciens ennuis. Voyez
donc comme vous vous ingéniez à me faire souffrir: je ne puis
obtenir de vous ni que votre présence comble mes désirs, ni que
votre silence me laisse vous oublier. Celui dont le regard
pénètre jusques au plus profond des cœurs, sait qu’à la lecture
de votre écrit, mon âme n’a pu rester dans sa demeure
corporelle, et que poussée par l’affection dont le charme
l’enivre, elle s’est envolée auprès de vous. Elle habitait
Arles, tandis que je demeurais enfermé dans les murs de Milan;
ma pensée libre prenait son essor pour aller jouir des douceurs
de votre résidence alors que je restais prisonnier de mon corps
en Italie. O si la richesse de langage pouvait suffire à
exprimer tout ce que mon esprit aurait à publier, ou si les lois
de la retenue n’interdisaient de dire tout ce que la langue
pourrait exprimer! C’est un amour bien mince que celui qui
trouve son expression complète dans la parole; c’est confesser
une affection bien tiède que de ne pas rester à court de mots
pour en témoigner.
Pour
le reste, je prie Dieu de vous garder en bonne santé et si en
m’écrivant vous fûtes trop ingénieuse à redoubler mon chagrin,
que du moins le plaisir de nous savoir l’un et l’autre en santé
prospère me soit une consolation. |
EPISTOLA IX.
AVIENO ENNODIUS.
|
LETTRE IX.
ENNODIUS A AVIÉNUS
Il est dans un état de tristesse extrême.
C’est sans doute sous l’impression de ce profond chagrin
(ou à son
souvenir) qu’il écrivit l’hymne POUR LE TEMPS DE LA TRISTESSE.
Carm.
I, 11. |
Pompam quam in litteris
fugitis obtinetis; nec aliud est loqui vestrum, nisi
declamationum insignia custodire: hoc in vobis natura, hoc
peritiæ mater indeficiens lectionis cura congessit. Sed miseriis
meis evenire nulla consolatio potest, quando ante oculos sunt
locata, quæ merui, et quantum prælatus indignior exstiterit,
tantum in aperto fiunt peccata superati. Quid animum meum,
illustrissime hominum, conaris attollere? quid in vita quæ plena
mœroris est, reservare liceat tribulationibus meis? pro bono
dispensationis cœlestis finem vel cum vita constitui. Vobis
tamen insufficientes refero gratias, qui illam circa me servatis
diligentiam, qua potiorem nec dignissimis præstaretis. Domine
mi, salutationis reverentiam solvens, spero ut orare pro me
minime desistatis, et ad calamitatum solatia ferentia opem
scripta mittatis. |
Vous avez beau fuir la pompe
littéraire, vous ne pouvez écrire sans qu’elle éclate; vous ne
pouvez parler sans étaler toutes les richesses de l’art
oratoire. C’est en vous l’œuvre de la nature, c’est aussi le
fruit de lectures assidues, source du talent.
Il y aurait bien de quoi me réjouir, mais il n’y a plus à mes
peines de consolation, tant que j’ai devant les yeux l’affreux
tableau des châtiments que j’ai mérités, et plus celui qui se
trouve en un rang élevé en est indigne, plus son indignité est
mise en évidence. Pourquoi, ô le plus illustre des hommes, vous
efforcer de relever mon courage? De cette vie toute pleine de
chagrins que pourrais-je ménager pour être en proie aux
tribulations. J’estime comme une faveur du ciel de voir finir
ces tourments, même avec la vie. Vous, cependant, je vous rends
de très insuffisantes actions de grâces de ce que vous me gardez
une affection telle que vous n’en témoignez pas de plus vive à
ceux qui en sont les plus dignes.
Mon
cher seigneur, en vous rendant l’hommage de mes salutations,
j’espère que vous ne discontinuerez pas de prier pour moi et que
vous m’adresserez des lettres propres à m’apporter quelques
consolations dans mes calamités. |
EPISTOLA X.
ENNODIUS FLORO ET
DECORATO.
|
LETTRE X.
ENNODIUS A FLORUS ET
DÉCORATUS.
Lettre d’affaire pleine
d’allusions voilées.
Il semble qu’il s’agisse d’un procès gagné par les deux jeunes
avocats. |
Compulsoris functus
officio, ad redhibitionem promissionis suæ vix advocatum cœgi,
ut quod advocatis debebat exsolveret. Genus duræ professionis,
ut a vobis dicenda præveniam, ad verecundiam clericus inclinavi.
Quale sit quo molliuntur obstinatissimi, et quid sibi velit qui
raptores spoliat, æstimate. Argenti libram quam frater
Epiphanius dedit, fratri Gaiano ad vos perferendam tradidi,
pactis tamen adhuc apud me quæ suscepi constitutis. Restat ut,
si tradere debeam, designetis. Domine mi, salutationem
plenissimam dicens, rogo ut primum pro me sanctos orare
dignemini. Deinde domnis amatoribus nostris obsequia mea sub
illa qua me cupere scitis humilitate reddatis. |
J’ai assumé le rôle de
compulseur
et ce n’est pas sans peine que j’ai forcé l’avocat à s’exécuter
et à payer aux avocats ce qu’il devait. Dure profession, pour
parler comme vous le ferez vous-même: C’était pour moi clerc une
besogne fort embarrassante. Jugez vous-mêmes de ce qu’il en
coûte pour amener à composition des esprits si opiniâtres et
forcer à rendre gorge les ravisseurs. J’ai remis au frère
Gaianus, pour vous l’apporter, une livre d’argent qu’a donné le
frère Epiphane; quant à la somme convenue que j’ai reçue, elle
reste déposée chez moi. Mandez-moi si je dois vous l’envoyer de
même.
Recevez, mes chers Seigneurs, mes salutations les plus
affectueuses et daignez me faire la grâce d’abord de prier pour
moi par l’intercession des saints, puis de présenter mes
hommages, avec l’humilité dont vous me savez animé, à mes
seigneurs vos amis. |
EPISTOLA XI.
ENNODIUS AGNELLO.
|
LETTRE XI.
ENNODIUS A AGNELLUS
Reproches d’ami. |
Male est animo meo, quod
de facundiæ suæ dotibus mihi abundantia vestra nihil tribuit; et
ita eloquentiæ opibus incubat, ut partem ex eis facere,
sacrilegium computetur. Turpis est equidem universarum rerum
avaritia: contigit tamen, si verba deneges, plus pudenda. Sæpe
etiam evenit ut frequenter scribentes minus diligant; nunquam
tamen accessit ut aliquid caritati reservet, qui in perpetua
taciturnitate perdurat. Potest nasci de epistolaribus
blandimentis ambiguitas: certa fides est ab eo qui servat
silentium non amari. Hæc sunt quæ in festinatione perlatoris
celer scripsi, geminis stimulis incitatus, vel properationis
bajuli vel doloris. Ergo tædio animi mei remedia incunctanter
adhibete: ut quamvis defuerit hactenus affectioni pabula sua, in
statione esse tamen promissa caritas innotescat.
Domine mi, salutem
plenissimam dicens, quæso ut exspectationi meæ quod sufficit
loquendi peritissimo non negetur. |
Il est très pénible à mon esprit
de ne rien recevoir des richesses de votre éloquence; votre
génie en garde les trésors fermés avec une jalousie telle qu’il
estimerait un sacrilège d’en distraire la moindre part. C’est
toujours une honte que de donner dans l’avarice, mais n’est-ce
pas le comble que d’être avare même de ses paroles? Et puis il
arrive souvent, même en écrivant fréquemment, que l’amitié se
refroidisse ; mais a-t-on jamais vu un reste d’affection à
quelqu’un qui observe un silence perpétuel? A travers les
compliments du commerce épistolaire peut germer le doute ; on a
la certitude que celui qui garde le silence n’aime pas. Voilà ce
que je vous écris en toute hâte au passage rapide du courrier,
doublement aiguillonné et par la hâte du porteur et par mon
chagrin. Hâtez-vous donc d’apporter le remède à l’ennui qui
m’accable: ainsi quoique jusques à présent notre affection ait
manqué d’aliment, on pourra reconnaître que l’amitié promise
entre nous tient toujours debout.
Mon
cher Seigneur, je vous adresse mes salutations les plus
profondes et vous prie de ne pas refuser à mon attente les
quelques mots qui suffisent à un homme aussi expert dans l’art
de la parole. |
EPISTOLA XII.
ENNODIUS HORMISDÆ
DIACONO.
|
LETTRE XII.
ENNODIUS AU DIACRE
HORMISDAS.
Réponse à
une aimable lettre du diacre de Rome. Ennodius avocat
couru des citoyens et des clercs. |
Nullus remaneret
imperitis locus veniæ, si plura loquerentur: sola brevitas
commendat indoctos. Supra errorem est prolixa narratio
rusticantis: quando ab ignaro extortum fuerit quod diu legatur,
sibi rancorem suum debet exactor. Quisquamne hominum in longum
vult fastidienda procedere, et nullo sapore condita breves
terminos non habere? Romana hoc, frater, et nimium artifici
subtilitate flagitasti. Sed nos contra fabricatos munit
simplicitas nullis colorata præstigiis. Etenim quamvis me
delenifica epistolæ tuæ oratione produxeris, mei immemorem non
fecisti. Scio artare paginam, cujus pretium promulgator
intelligo. Noveris me tamen meis partibus non deesse, quamvis
vocet in medium et urbanus et clericus. Sed quid produco
paginam, cujus superius angustiam pollicebar? Hæc mihi cum
amante concertatio: talis fructus est litterarum.
Domine mi, salutem
uberrimam dicens, precor ut Dei nostri tribuente misericordia
crebro salutem vestram votivis mihi, dum meam quæritis,
nuntietis affatibus. |
Les ignorants n’auraient droit à
aucune indulgence s’ils prolongeaient leurs discours; seule la
brièveté les rend recommandables. C’est, chez un rustre, le
comble de l’erreur que de narrer, longuement; mais si l’on a
exigé d’un ignorant qu’il donne à lire longuement, l’exacteur ne
peut s’en prendre qu’à lui-même de son ennui. Qui jamais a voulu
que ce qui ennuie se prolonge et que des discours dépourvus de
tout sel et de tout charme ne soient pas brefs? C’est pourtant,
cher frère, ce qu’avec votre subtilité romaine et par trop
artificieuse vous avez sollicité. Mais ma simplicité me met
au-dessus de toutes ces habiletés et se refuse à tout
charlatanisme, Et en effet quoique les charmes de votre lettre
ne m’aient pas trouvé insensible, vous ne m’ayez point fait
oublier ce que je suis. Je sais restreindre ma page parce qu’en
l’écrivant j’en apprécie le peu de valeur. Or sachez que je ne
fais point défaut à mes clients bien que le citoyen et le clerc
me confient leurs causes. Mais pourquoi prolonger une lettre que
plus haut je promettais brève? Voilà qui est sujet à discussion
avec un ami c’est là le fruit de la littérature.
Mon
cher seigneur, en vous adressant mes salutations les plus
cordiales, je vous demande instamment que par la miséricorde de
notre Christ, tandis que vous vous informez de ma santé, vous
répondiez à mes désirs en me donnant, par de fréquentes lettres,
des nouvelles de la vôtre. |
EPISTOLA XIII.
ENNODIUS BOETIO.
|
LETTRE XIII.
ENNODIUS A BOÈCE.
Lettre écrite avant la 6e du livre VI.
Boèce avait écrit le premier à Ennodius qui en fut ravi
et lui fit cette réponse. Éloge des admirables
talents dont Boèce fut doué dès son enfance. |
Si liberum esset
imperata differri, concederetur adhuc mihi ornamenta silentii
non perire. Nam taciturnitatis munus est, quod non inhumanum
loqui me posse credidistis. Videte quantum linguæ genium vox
pressa contulerit. Sed res est vacui pectoris periclitata
remedia non tenere. Agit sermonis cura, ne promulgantis celetur
inscitia, quando otii labor gloriam intercipit. Ecce ego ille
ante probationem laudatus subdor examini, et ferias meas, ne
videar prædicatione dignus, irrumpo. Nam dum humilitas reddit
obsequium, impetrata per silentium non habemus. Tu in me,
emendatissime hominum, dignaris prædicare virtutes, quem in
annis puerilibus, sine ætatis præjudicio, industria fecit
antiquum; qui per diligentiam imples omne quod cogitur; cui
inter vitæ exordia ludus est lectionis assiduitas, et deliciæ
sudor alienus; in cujus manibus duplicato igne rutilat, qua
veteres face fulserunt. Nam quod vix majoribus circa
extremitatem vitæ contigit, hoc tibi abundat in limine. Vere
dedisti pretium loquacitati meæ, dum desiderantem colloquia
primus aggrederis. Contigit nova res garrulo, ut usque adeo
produceretur, donec exigerent scripta responsum. Deo gratias,
qui occultis itineribus de propinqui vos necessaria affectione
commovit. Ecce geminæ causas injuriæ jam tenetis: nam postquam
agrestis innotui, præsumo me dicere parentem.
Domine mi, salutis
officium dicens, spero ut circa litterarum munia frequentiam
commodetis: in quo opere assiduitatem et amans exhibet et
facundus. |
S’il était permis de différer ce
qui s’impose comme obligatoire, j’aurais la ressource de me
tenir enveloppé dans la parure du silence: car c’est pour ne
m’avoir jamais entendu que vous m’avez cru capable de parler un
langage non par trop inhumain. Voyez donc ce que donne de génie
à la langue le soin de ne pas parler ! Mais c’est le fait d’un
estomac vide que d’être mis à l’épreuve d’une médecine et de la
rejeter. Le souci qu’on se donne de parler ne permet pas de
tenir cachée son ignorance et le travail qu’on s’impose fait
perdre la gloire qu’avait value le repos. Ainsi en est-il de
moi; comblé d’éloges avant l’épreuve, me voilà soumis à l’examen
et je ne mets un terme à mon oisiveté que pour perdre le
bénéfice de ma renommée. Car tandis que l’humilité me fait vous
rendre mes devoirs, je laisse échapper les avantages acquis par
le silence. Vous daignez relever en moi des vertus, vous le plus
parfait des hommes ! Encore presque enfant, vous avez acquis la
maturité du vieillard, vous faites par goût ce que les autres ne
font que par nécessité. Encore au matin de la vie, l’étude
assidue est votre unique jeu et les fruits des travaux d’autrui,
vos seules délices ; en vous brillent des mérites dont l’éclat
éclipse tout ce que l’on connait des anciens car ce que les
anciens avaient à peine acquis au terme de leur vie, vous en
êtes comblé dès la jeunesse. En vérité, c’était largement payer
d’avance mon bavardage et répondre à mes désirs que de me
prévenir par votre lettre. C’est une aventure nouvelle pour un
bavard que d’être mis à tel point en demeure de parler qu’une
lettre exige de lui une réponse. Grâces à Dieu de vous avoir
fait ressouvenir par des voies secrètes de l’affection due à un
parent. Me voilà coupable à votre égard d’une double offense:
après m’être montré sans culture j’ai l’audace de me dire votre
parent.
Mon
cher Seigneur, en vous rendant le devoir de mes salutations
j’espère que vous m’accorderez fréquemment la faveur de vos
lettres. C’est un labeur auquel on est assidu quand on aime et
qu’on a le talent de s’exprimer avec facilité. |
EPISTOLA XIV.
ENNODIUS ARCHOTAMIÆ.
|
LETTRE XIV.
ENNODIUS A
ARCHOTAMIA.
Eloge et portrait de
cette noble matrone gallo-romaine et de son
fils, moine à Lérins. |
Ita supra claritatem
generis morum luce profecistis, ut quos etiam vobis non nectit
propinquitas, actuum vestrorum bona subjiciant. Quis enim non
perfectam reverentiam sit paratus impendere animæ in Dei cultura
sublimi? quia peregrinum se facit a Redemptoris gratia, qui Deo
non suscipit obsequentes. Indicium enim est conversationis
præcipuæ, Christi nostri amare cultores, proximus est
emendatissimis, qui diligit jam probatos, testimonium dat
bonorum sine dubitatione meritorum, si studeas laudibus prosequi
sub debita continuatione perfectos, fit sanctis proximus, qui in
illis sine fuco prædicat sanctitatem, quemcunque diligentia
hortante prætuleris, dispendium pudoris est, ni sequaris. Quis
salva verecundia per spinosa gradiens purgatum iter attollat, et
viam salutis aspiciens calles eligat noxiorum? professio
cæcitatis est, bona ante oculos in exemplum locata respicere, et
unde imitatione proficias non tenere. Hæc, mi domina, de te non
incertis fama nuntiavit indiciis, non loquax vulgus per ignara
judicii ora jactavit; cui mos est de humanis actibus, dum
scintillas in rogos animat, amplificatas fidelium flammas
exstinguere. Hoc nostrorum relatione propinquorum, præcipue
tamen domna et serore Euprepia referente, percrebuit; non solum
vos dignas esse præconiis, sed instituisse celebrandum, et
venerabili filio cum prosapiæ radiis facem conversationis
ingerere. Habet, quantum comperi, Lirinensis habitator quod de
sancta matre discat, etiam quæ urbana domicilia non reliquit. Si
mihi credit pietas tua, plus est in acie vicisse sæculum, quam
vitasse; resignat timorem fuga certaminis; nec spes est ulla
virtutis, quando ante congressionem declinatur adversarius.
Conscientia roboris paucis acquiescet ad latebram: hoc est
secretum eligere, quod ostendisse formidinem. Hæc ego non
dominum meum, et familiæ nostræ jubar, presbyterum arguens
scribo: cui nec ibi credo impugnationes deesse, quas superer; in
quo loci visus est declinasse conflictum. Tunc enim universa
sæculi blandimenta calcavit, quando ætatis, opum, natalium
profectionem ejus retinere catena non valuit.
Sed vobis quantum sexus
infirmior, tantum debetur potissima de palmæ adeptione laudatio.
Prope est ut etiam illius tu sis tutela propositi: quæ mala
viduitatis et orbitatis patiens, de venerabilis filii meritis
solatii tui occasione pateris nil perire. Ecce ubi femina,
fragilitatis oblita, castelli vice, et virum et juvenem ab
hostili impugnatione subducit. Hujus facta dux gloriosa
perdures, et usque ad illud in sæculo perseveres, quo illum, si
ita res poposcerit, jam maturum mundi istius campus accipiat.
Vellem, confiteor, si
epistolaris pateretur concinnatio, in longum verba producere, et
de actuum vestrorum ornamentis pauca sub loquendi ubertate
narrare. Sed hæc ad alios scribenda reserventur. Sufficit vos
scire, quia quamvis a me nunquam sis visa, cognosceris, et
adorandis inserta monumentis radice animi jam teneris. Scriptum
est, meministi: Laudent te proximi tui. Vere sola mihi
vellem causa existeret Gallias expetendi, ut cum domno meo
presbytero, utrique osculantes manus et oculos tuos, beatam te
in quavis afflictione temporis redderemus.
Domina mihi, propter
quod mittuntur epistolæ, corpore me valere significans,
prosperitatis vestræ statum requiro: deprecans et per Deum
conjurans ne unquam mihi orationum vestrarum adjumenta
denegetis. |
L’éclatante sainteté de votre vie
éclipse à tel point l’illustration de votre race, que même ceux
qui ne vous sont pas liés par la parenté, subissent la salutaire
influence de vos bonnes œuvres. Qui donc ne serait prêt à
révérer profondément une âme qui s’élève dans le culte de Dieu
aux sommets de la perfection? C’est tenir son cœur fermé à la
grâce du Rédempteur que de ne pas admirer ceux qui servent Dieu
fidèlement; au contraire, aimer les serviteurs de notre Christ
est l’indice d’excellentes dispositions c’est toucher presque à
la perfection que d’aimer ceux qui déjà ont fait leurs preuves
vous donnez un témoignage incontestable de vos mérites dès lors
que vous vous appliquez à louer sans relâche les parfaits. Vous
vous élevez presque au niveau des saints si vous célébrez
sincèrement leur sainteté ne serait-ce point une honte, en
effet, que de ne pas chercher à imiter ceux que l’on comble
d’éloges dictés par l’amour? Qui donc oserait sans rougir vanter
l’agrément d’une route sans épines alors qu’il marche
volontairement par des sentiers couverts de buissons? Il aurait
sous les yeux la voie qui mène au salut et il choisirait le
chemin du vice? C’est s’aveugler soi-même que de dédaigner les
exemples de vertus que l’on a sous les yeux et de ne pas
s’appliquer à imiter ce dont on peut tirer profit. Ces choses,
ma chère dame, je les ai apprises à votre sujet, non par les
bruits incertains de la renommée, ni par les on-dit du vulgaire
bavard, incapable de juger selon l’équité et qui a coutume,
lorsqu’il apprécie les actions des hommes, de transformer en
incendie les étincelles des défauts, tandis qu’il étouffe les
vives flammes de la vertu. C’est par les relations de nos
parents et surtout de ma sœur Euprépie que nous avons su non
seulement que vous êtes digne des plus grands éloges, mais
encore que vous avez préparé à les mériter aussi votre vénérable
fils, auquel avec l’illustration de votre famille vous avez
donné l’éclat d’une sainte vie. Cet habitant de Lérins, autant
que j’ai pu me renseigner, trouve en sa sainte mère le modèle à
imiter, bien qu’elle n’ait point quitté le monde. Si votre piété
daigne m’en croire, il y a plus de mérite à vaincre le siècle de
haute lutte qu’à le fuir. N’est-ce point montrer de la timidité
que de fuir le combat et quel fonds peut-on faire sur la valeur
d’un adversaire qui se retire avant d’en venir aux mains? Il en
est bien peu qui tirent de la conscience de leur force l’idée de
se cacher rechercher le secret n’est-ce point révéler sa
crainte? Si j’écris cela ce n’est point pour blâmer monseigneur
votre fils, prêtre qui est l’honneur de notre famille. J’ai du
reste la conviction que, même là, les combats ne lui manqueront
pas et qu’il en sortira victorieux, en ce lieu où il semble
s’être réfugié à l’abri de la lutte. Il foula aux pieds toutes
les séductions du monde lorsque ni l’âge, ni les richesses, ni
la naissance ne purent l’enchaîner et arrêter son départ.
Mais vous, autant votre sexe est
plus faible, autant vous avez plus de droits à la louange pour
avoir remporté la palme. Peu s’en faut même que ne vous revienne
tout l’honneur de sa résolution, puisque déjà veuve vous avez
accepté de rester privée de votre fils, plutôt que d’amoindrir
ses mérites en le gardant pour votre consolation. Et voilà
comment une femme, sans souci de sa fragilité, pareille à une
citadelle, met et son mari et son jeune fils à couvert des
attaques de l’ennemi. Continuez cette glorieuse entreprise,
persévérez-y jusqu’à ce que, si les événements le réclament, ce
fils mûr pour le combat, entre en ligne sur le champ de bataille
de ce monde.
Je voudrais, je le confesse, si le
cadre d’une lettre le comportait, m’étendre davantage et
raconter à mon aise quelques-uns des traits qui font l’ornement
de votre vie. Mais il me faut laisser à d’autres le soin de les
écrire. Qu’il vous suffise de savoir que sans vous avoir jamais
vue, je vous connais et que je porte votre nom imprimé au fond
de mon cœur. Il est écrit, vous le savez : Que les proches le
louent (prov. xxvii,
2). Combien je désirerais qu’une occasion m’obligeât à me rendre
dans les Gaules ! Alors, avec mon seigneur prêtre, nous vous
baiserions les mains et les yeux, et quelle que fut votre peine,
nous vous rendrions heureuse.
Ma
chère dame (c’est l’objet premier des lettres), je vous fais
savoir que je suis en bonne santé et vous prie de me donner des
nouvelles de la vôtre. Je vous le demande et au nom de Dieu je
vous en conjure, ne me refusez jamais le secours de vos prières. |
EPISTOLA XV.
ENNODIUS AGNELLO.
|
LETTRE XV.
ENNODIUS A AGNELLUS.
Il le félicite de son élévation aux honneurs. |
Deo gratias, qui circa
magnitudinem vestram licet protulerit cupita, non repulit.
Etenim ne fides claudicet supplicantis desideria differuntur,
quia devenustat secuturæ hilaritatis genium velox impetratio. Et
vos quidem honores meruisse, non optasse, manifestum est, sed
præcedens concinnatio eloquitur vota diligentium. Novit
omnipotens, et generis vestri luce permotus, et gratiæ quam
polliciti estis invitatus fiducia, præcessit in prosperis
vestris quidquid vos disciplina aut ratione cohibetis.
Sufficiant in floribus stricta colloquia: respondete de
prosperitate vestra sollicito, quamvis de amore non dubio.
Domine mi, salutationis plenissimæ obsequia dependens,
litterarum portitorem commendo, quia mihi fide et honestate
compertus est, volens universis quid dignationis vestræ habeam
non taceri, ut sperantes de communis gratiæ messe pascantur. |
Rendons grâces à Dieu : s’il a
différé d’exaucer les vœux que nous formions pour votre
Grandeur, il ne les a cependant pas repoussés. C’est, en effet,
pour fortifier la foi de celui qui prie, que Dieu diffère de lui
accorder ce qu’il désire; c’est déflorer le charme du plaisir
qui doit en résulter que d’accorder promptement ce qui est
demandé. Quant à vous, il est manifeste que vous avez mérité les
honneurs sans les souhaiter; mais tout ce qui précède redit les
vœux de ceux qui vous aiment. Le Tout-Puissant le sait: touché
de l’éclat de votre race il s’est laissé incliner à vous
favoriser en considération des garanties qu’offrait votre vertu.
Et voilà que dans votre prospérité vous arrive en première ligne
tout ce que par principes ou par raison vous cherchiez à éviter.
Mais
sur le pas de la porte les entretiens doivent être courts :
répondez à un ami qui est inquiet de votre santé mais ne doute
nullement de votre affection. Mon cher Seigneur, tout en vous
payant le tribut de mes salutations les plus profondes, je vous
recommande le porteur, car je l’ai reconnu fidèle et honnête, et
je suis heureux de manifester à tout le monde le crédit dont je
jouis auprès de vous, pour que ceux qui espèrent quelque chose
de notre réciproque bienveillance, ne soient pas déçus. |
EPISTOLA XVI.
ENNODIUS AGNELLO.
|
LETTRE XVI.
ENNODIUS A AGNELLUS.
Il le presse de lui
écrire. |
Solet prosperorum
indicia dispergere sermonis jucunda festivitas: dum quidquid
boni facundis accesserit, germana gaudiorum per populos voce
discurrit. Facilius est ignem in pyras animatum lingua
comprimere, quam silentium inter optata servare. Humanitatis lex
est et naturæ imperium, hilaritatem mentis opibus scriptionis
effluere. Emanant enim vel si arctentur secunda conclavibus. Sed
in magnitudine vestra, sicut ætas cana est, pudoris et scientiæ
dote maturescens, ita lætitiam frenis moderationis astringitis.
Sed nunquid in damnum gratiæ disciplina debet excurrere; et hoc
minui amicorum diligentiæ, quod ad morum ornamenta sociatur?
Quamvis monetam Latiaris eloquentiæ teneas, non potes tamen
invenire quemadmodum jure factum asseras quod exspectanti mihi
verba non tribuis. Decet ergo beneficia superna sola amantibus
opinione nuntiari, et de solida gratulatione trepidare gaudiis
jam potitum? Hac ergo necessitate puerum direxi, qui non
reposcat scripta, sed exigat. Nostis quæ sit fiducia simpliciter
amantum, eorum præcipue quorum spem retinetis gratiæ promissione
firmatam.
Domine mi, salutationem
plenissimam dicens, quæso ut frequentes et non in arctum coactas
epistolas destinetis. Videte animi mei securitatem: prolixas
posco paginas, qui adhuc nullas accepi. |
La prospérité, d’ordinaire, porte
à parler pour en répandre avec joie l’heureuse nouvelle et s’il
arrive quelque chose d’heureux à ceux qui possèdent l’art de la
parole, ils ne savent point taire leur bonheur et bien vite les
peuples en sont instruits. Il est plus facile d’éteindre avec la
langue le feu pris à des buchers que de se taire au sein des
succès désirés. C’est la loi de l’humanité et l’ordre impérieux
de la nature que la joie de l’esprit s’épanche par le moyen des
lettres aussi étroitement que l’on tienne le bonheur emprisonné,
il faut qu’il se répande. Mais en votre Grandeur, de même que
déjà l’âge parait vénérable, mûri par la modestie et la science,
ainsi vous réfrénez par la modération les exubérances de la
joie. Faut-il que la rigueur des principes soit poussée jusqu’au
détriment de l’amabilité et que l’on enlève à l’affection des
amis ce que l’on donne au lustre des mœurs? Bien que vous
déteniez le moule de l’éloquence latine, il vous est impossible
de démontrer comment c’est à bon droit que, malgré mon attente,
vous ne m’accordez pas un mot. Convient-il que les bienfaits du
ciel n’arrivent à la connaissance des amis que par le bruit
public, et pensez-vous que des félicitations ne soient pas trop
tardives lorsque celui qui les reçoit goûte depuis longtemps
déjà la joie de son succès? Et voilà pourquoi je vous ai dépêché
un serviteur, non pour vous demander mais pour exiger des
lettres. Vous savez quelle est la confiance de ceux qui aiment
simplement, surtout de ceux dont vous maintenez l’espérance
ferme par la promesse de vos faveurs.
Mon
cher Seigneur, en vous adressant mes salutations les plus
profondes je vous prie de m’accorder et de fréquentes et de
longues lettres. Voyez ma confiance : je demande de longues
lettres, moi qui n’en ai point encore reçu du tout. |
EPISTOLA XVII.
ENNODIUS AVIENO.
|
LETTRE XVII.
ENNODIUS A AVIÉNUS.
Il demande des nouvelles de la maladie de Cynégie,
mère d’Aviénus, sa cousine, qui avait pour lui une
affection très vive. |
Si vobis de parvitate
mea fuisset ulla curatio, tanti temporis silentium non maneret:
maxime cum inæqualitas domnæ meæ, matris vestræ, per varios
rumores sine remedio affligat absentem. Scio enim hoc solo
sanctam feminam fasce prægravari, quia immodicam pietatem
exhibet non merenti. Sed quid produco verba catenis obligata
tristitiæ? si bonam valetudinem ejus cœlestis favor refudit,
properato litteris nuntiare. Expecto enim ut tunc mecum prospera
concilientur, quando cum illa esse comperero. Didicistis causam
mœroris, indifferenter post Deum date remedii.
Domine mi, salutationis
obsequia præsentans, Domino pro me, supplice vestro, obsequia
digna porrigite. |
Si vous aviez quelque souci de ma
petitesse, vous ne me laisseriez pas si longtemps sans
nouvelles, surtout alors que la maladie de madame votre mère
qui, d’après certaines rumeurs, serait sans remède, plonge dans
l’angoisse le pauvre absent. Moi, je sais que la sainte femme
n’a qu’une chose à se reprocher: c’est de me témoigner, à moi
qui n’en suis pas digne, une affection excessive. Mais pourquoi
prolonger ce discours lorsque la tristesse me suffoque? Si par
une faveur céleste elle revenait en santé, hâtez-vous de me
l’écrire. J’ai l’espoir que l’heureuse nouvelle de sa guérison
me sera salutaire à moi-même. Vous savez la causé de mon
chagrin, ne différez pas, après Dieu, de m’en donner le remède.
Mon
cher Seigneur, je vous présente mes devoirs de salutations et
vous supplie d’offrir pour moi de dignes hommages à mon Seigneur
(Faustus). |
EPISTOLA XVIII.
ENNODIUS AVIENO.
|
LETTRE XVIII.
ENNODIUS A AVIÉNUS.
Un juge, le sublime
Vicarius, est victime d’injustices de la part de gens
sans aveu. Ennodius recommande sa cause à Aviénus.
D’après Vogel, Vicarius serait te titre du vicaire du
Préfet du Prétoire. |
Si judex vilium
personarum laboret injuriis, nescio utrum possit ab hoc onere
alios sublevare, cui ipse succumbit. Gravibus medica manus est
adhibenda vulneribus, ne impunitate morbus adolescat. Sublimis
vir Vicarius hæc a me, quamvis pro justitiæ consideratione
deberentur, tamen extorsit alloquia: quid pertulerit, ipse
manifestet. Unum scio, quia nisi succurritis, generale futurum
malum, cui ipse est disciplinæ tutor expositus. Hoc non est
alienum a christianitate, cum defero, quia impium est rerum
ordinem sub hac permixtione confundi. Domine mi, salutationis
honore prælato, vos vocem supplicis gratanter accipite, ut qui
tanti fascem laboris arripuit, convalescat effectu. |
Si
un juge est en butte aux attaques de la part de ce qu’il y a de
plus vil parmi le peuple, je me demande comment il pourra
défendre les autres de l’injustice, puisque lui-même en est la
victime. Il est urgent de remédier à un mal aussi grave, de
crainte que, négligé, il ne pousse de profondes racines. Le
sublime personnage Vicarius a insisté pour obtenir de moi ces
quelques lignes ; mais du reste, le simple respect de la justice
me faisait un devoir de ne pas les lui refuser. Lui-même vous
exposera ce qu’il a souffert. Quant à moi, je sais une chose si
vous n’y mettez la main, nous verrons se généraliser un mal
auquel se trouve exposé sans défense celui-là même qui est
constitué le gardien de la morale. Lorsque je vous dénonce un
pareil désordre, je crois servir les intérêts du christianisme,
car c’est une impiété que de bouleverser ainsi l’ordre public.
Daignez, mon cher seigneur, agréer mes salutations et écouter
avec bienveillance le suppliant, afin qu’après avoir porté le
poids de si lourdes épreuves, il en soit heureusement délivré. |
EPISTOLA XIX.
SIMPLICIANO
ENNODIUS.
|
LETTRE XIX.
ENNODIUS A
SIMPLICIANUS.
Il félicite le jeune
Simplicianus son protégé
(VI, 15) des succès
de sa première diction. |
Divini favoris adjumento
adolescentiæ tuæ rudimenta solidentur. Ipse det successum
frugibus, qui contulit ornamenta principiis: ut quod in cano
flore præmisisti, in pomorum maturitate non subtrahas. Est
propositi nostri prima curatio, ut de incipientis laude
solliciti ad Deum vota mittamus; quatenus quod in bonæ indolis
eruditione præsumptum est, de superna ope maturescat. Ille
ingenii segetem perducat ad horrea, qui altricem hominum herbam
exegit e cespite; ipse de terreno lacte expressam in triticum
formet effigiem, cujus imbre soli facies maritata fecundatur.
Tibi autem, erudite puer, habeo gratias, quod quamvis dicendi
splendore nituisses, et in illa urbe litterarum scientia
astipulante lauderis, mei quoque desideras adjumenta præconii.
Accessit tibi fructus diligentiæ meæ, et si nulla tribuuntur
rusticantis ornamenta testimonii. Libens dicta tua cum
facundissimis prædico, cum quibus sententiam meam, ut bonorum
ditescam societate, conjungo. Proximum est ut non dividantur
meritis, qui in qualibet judicatione consentiunt. Unus est, nec
enim procul evagatus ab arce sublimium, qui ad hoc quod illi
prænuntiant, non dispari admiratione concordat. Ad epistolæ tuæ
tamen dictionisque mella me refero: cui sic est blanda de
præsenti et tenera ætate præfatio, ut non subtrahatur virtus et
genius de futura. Constitit concavatis Latiaris elocutio, dum
per alveum suum Romanæ eloquentiæ unda prælabitur. Ad quæ se
porrigat, vix comprehendit æstimatio, qui maximus apparescat in
foribus. In matutina luce meridiano fulgore rutilasti. Tueatur
circa te cœlestis gratia munus suum, et ut frequentibus amantem
epistolarum colas muniis, salus nostra Christus inspiret. |
Daigne la faveur divine affermir ces débuts de votre
adolescence : que Dieu fasse succéder les fruits à de si
brillantes prémices et qu’au temps de votre maturité vous nous
donniez ce que nous permet d’espérer la fleur de votre jeunesse.
Oui, notre premier soin, dans cet éloge de vos débuts, sera
d’adresser à Dieu des vœux pour qu’il amène à une féconde
maturité ces semences d’érudition. Il a fait germer cette
moisson dans le fertile champ de voire esprit ; qu’il la
conduise jusqu’au grenier; qu’il féconde ce fonds et en tire le
froment, lui dont les pluies donnent à la surface du sol la
fécondité. Et vous, savant jeune homme, je vous remercie de ce
qu’après avoir fait briller l’éclat de votre éloquence et reçu
déjà dans Rome les éloges que vous mérite votre science des
lettres, vous désiriez y ajouter les miens. Voici donc ce
témoignage de mon affection, bien que le suffrage d’un rustique
provincial ne soit pas de grand prix. Volontiers, pour louer vos
discours, je me joins aux plus diserts et j’unis à leur
appréciation mon propre sentiment pour m’enrichir de leur
abondance. Comment ne pas attribuer le même mérite à ceux qui se
montrent unanimes dans leur manière de voir c’est en effet se
confondre avec les esprits sublimes et compter parmi eux que de
tomber d’accord avec eux et de partager leur admiration. Je
reviens à votre lettre et à votre diction que j’ai savourées
comme un miel délicieux : j’y vois comme un charmant prélude de
votre tendre jeunesse qui nous fait augurer de ce que donnera
votre talent dans l’avenir. Le fleuve de la parole Latine
s’arrête en réserves profondes dans tes gouffres secrets, tandis
que s’écoulent le long de son lit les flots de l’éloquence
Romaine: qui pourra dire où aboutira celui qui dès ses débuts
paraît atteindre le sommet de la perfection? Dès votre aurore
vous avez brillé de l’éclat du plein midi. Que la grâce divine
vous conserve ses faveurs et que le Christ, notre salut, vous
inspire de cultiver mon amitié par de fréquentes lettres. |
EPISTOLA XX.
MAXIMO ENNODIUS.
|
LETTRE XX.
ENNODIUS A MAXIME.
On est en vendanges.
Ennodius diacre demande à Maxime de lui tracer les règles des
mœurs. Allusion à sa séparation canonique
d’avec son épouse. |
Dum prelorum famuli
autumni dotem complerent, et teneras uvarum tunicas properata
calce disrumperent, ego ad summatem virum parentem fratremque
meum et oculos et verba revocavi: justum esse conjiciens, dum
vineta uberem tribuunt liquorem, me sobriam alloqui cum jucunda
hilaritate personam.
Solve ergo Pythagoricam
taciturnitatem, et mecum peritiæ et facundiæ tuæ bona partire;
sit inter nos felicium vindemiarum vice colloquium; currant
dulcia musta sermonum. Habes quæ cum diacono sanctissimo de
institutis morum nota dicendi ubertate communices. Nam qui
ecclesiastica, ut vos, probitate subsistunt, silentii apud illos
justa vitatio est. Scribite qua aurea castitas districtione
teneatur, per quem callem obscena fugiatur avaritia, quibus
modis turpis fallendi declinetur obscuritas. In summa, sine
dissimulatione docete quæ geritis. Illud præcipue scire cupidum
dignanter instruite qua sponsæ vel blandimenta sæculi religionis
districtione respuantur. Domine, ut supra, salutationis munera
præsentans, precor ut gratanter accipias quod inter curarum
moles exigit fieri jocorum non respuenda subreptio. |
Tandis que les serviteurs des
pressoirs recueillent les présents de l’automne et, de leurs
pieds agiles, déchirent les minces tuniques du raisin, j’ai
tourné mon regard et dirigé mes paroles vers l’homme éminent qui
est mon parent et mon frère. N’est-il pas, en effet, à propos,
lorsque les vignobles versent abondante l’enivrante liqueur,
d’entamer une joyeuse causerie avec le personnage le plus sobre
du monde?
Trêve donc à votre silence de Pythagoricien et faites-moi part
des trésors de votre savoir et de votre éloquence. Que nos
heureuses vendanges à nous, ce soit nos entretiens; que les
causeries plus douces que le moût, coulent à flots. Vous, d’une
si hante sainteté, avec cette parole abondante qui vous est
propre, que n’avez-vous à dire à un diacre sur les règles des
mœurs? Oui, lorsque comme vous on mène une vie ornée de toutes
les vertus que conseille l’Eglise, on a l’obligation de ne pas
se taire. Ecrivez-moi quelle réserve sévère nous assure la
précieuse chasteté ; par quelle voie on évite la hideuse
avarice; comment on laisse de côté les honteux détours du
mensonge; en un mot, enseignez-moi, sans rien dissimuler, votre
propre manière de vivre. Surtout daignez m’instruire, car je
désire ardemment le savoir, par quelle règle de religion on
rejette les cajoleries d’une épouse ou les attraits du siècle.
En vous présentant, cher seigneur, l’hommage accoutumé de mes
salutations, je vous prie d’avoir pour agréables ces innocentes
plaisanteries, délassement nécessaire au milieu des soucis qui
nous accablent. |
EPISTOLA XXI.
MAXIMO ENNODIUS.
|
LETTRE XXI
ENNODIUS A MAXIME
Il se plaint vivement de ne pas obtenir de lettres de lui et
laisse entendre que sa propre correspondance est
destinée à circuler dans le public. Il termine par
trois distiques. |
Ubi est fides
splendentis periclitata conscientiæ, quam in annis puerilibus
cana reverentia non relinquit, quam per ævi præjudicium
observantia honestatis irradiat, quæ in tempore juventutis
actibus maturescens infantiam ingressa prælabitur? Nunquid æquum
fuit amantis paginis tantum mandata restitui, aut per fides est
liberæ scriptionis et famuli? Nunquid dignum probatis moribus
censuistis provocantem ad officia religiosa non subsequi, vel
nefas putastis epistolas reddere quas vobis inter excessus
contigit non cepisse? Hæc igitur est tua disciplina? Non talem
te probitas olim manifestata disseminat. Ego tamen loquacitate
qua notus sum indurata nitor mutare silentia. Nunquid impar est
tibi lingua natalibus? aut non testimonium generis annuntias
flore sermonis? nunquid ostrum loquendi deseret pectoris fecunda
dictatio? Nihil nisi malitiam designat, qui cum possit,
desideranti verba non tribuit. Ecce inter ructationes Lyæo
debitas qualia Silenus alter verba compono. Scribendum sciatis
nomen vestrum ad genii mei purpuram, et libellis propriis
inserendum: ut etiam si nihil tribues de responso, ego tamen
arcem teneam, quod ad doctos viros dirigo sine trepidatione
aliqua quod legatur.
Domine mi, accipe nostræ
salutationis obsequia, reddens debita litterarum.
Sic tibi virginitas
mansuro constet in ævo:
Nec pereat quidquid vita
beata dedit.
Sic tua non maculent
nigrantes membra puellæ; Nec propter jaceas Tartaream faciem.
Ut cupidum sanctis
releves per scripta loquelis; Deque tuis fratri fontibus unda
fluat. |
Où donc est cette intégrité de
conscience dont vous avez donné tant de preuves éclatantes, qui
dès le temps de votre enfance vous gagna le respect dû aux
vieillards; cette intégrité que la fidélité à garder l’honnêteté
entoura avant l’âge d’une éclatante auréole, en sorte qu’ayant à
peine effleuré l’enfance, elle se manifeste au temps de votre
jeunesse par des actes d’une complète maturité? Est-ce juste de
ne répondre à une lettre d’ami que par commission orale et la
parole d’un esclave peut-elle être mise sur le même pied que
l’écriture d’un homme libre? Estimez-vous donc qu’il convienne à
un homme de mœurs exemplaires de ne pas condescendre à ce qu’on
lui demande, lorsqu’on le pousse à remplir des devoirs
religieux? Ou bien vous interdisez-vous comme un crime de
répondre à des lettres, parce que, lorsque vous les avez reçues,
vous n’étiez pas plongé dans la débauche? C’est donc là votre
règle de conduite? Ce n’est pas sous un tel aspect que le renom
de probité dont vous jouissez, vous signale au public. Quant à
moi, je mettrai en jeu toute la loquacité que l’on me connaît
pour briser votre silence. La langue n’est-elle donc pas chez
vous à la hauteur de votre naissance? N’attestez-vous pas votre
race par la distinction de votre discours? Ou bien l’éclat du
langage vous fait-il défaut parce que le cœur aride n’a rien à
dicter? Non, cela ne signifie rien de bon que de ne pas
répondre, lorsqu’on le peut, à quelqu’un qui le désire. Or comme
un autre Silène, c’est au milieu d’éructations dues à Bacchus
que j’écris ces lignes. Sachez que votre nom est inséré dans mes
ouvrages comme ornement de mon génie. Ainsi quand même je
n’obtiendrais pas de réponse, ce me sera, aux yeux du public,
une sauvegarde que de paraître écrire librement à des hommes
savants comme vous, quelque chose digne d’être lu.
Mon cher seigneur, agréez
l’hommage de mes salutations et rendez la réponse que vous
devez.
Puissiez-vous à tout jamais garder la virginité et ne rien
perdre de ce que vous a valu une sainte vie; puissiez-vous être
préservé du hideux contact d’une négresse et ne pas avoir à
dormir à côté d’une si laide figure, si par vos écrits vous
daignez réconforter de saintes paroles un ami avide de les
entendre, et que de vos fontaines l’eau coule abondante à votre
frère. |
EPISTOLA XXII.
MAXIMO ENNODIUS.
|
LETTRE XXII
ENNODIUS A MAXIME
Les distiques n’eurent pas plus de
succès que la prose auprès de Maxime qui persévéra dans son
silence. Nouvelles
plaintes d’Ennodius. Il ne garde pourtant pas rancune et
envoie à Maxime un canard qu’il a pris, après les
vendanges, à la chasse au faucon. Plus tard cette
sorte de chasse fut interdite aux clercs.
(Concile de Pavie en 850). |
Fidelius a sublimitate
tua vocem suscipiunt aut interrupta montium, aut secreta
silvarum. Præbent hominibus naturæ institutione et muta
responsum; redit ad mortales vicissitudo clamosæ solitudinis;
non perit quod linguæ acceperint vel lustra beneficium: quare
istud in magnitudine tua laudis et philosophiæ genus est, nihil
dicere, et silentii tenere inter declamantium incerta cautionem?
Homo, quem nec infecundum natura protulit, nec infabricatum
doctrina dereliquit. Sed, credo, me dedignaris affatu; opicis
nolens pretiosa dare verba judicio. Quid quod signum est divitis
eloquentia viri, nec indoctis sermonum cupita subtrahere?
mendicus fluminum cursus est, qui tantum nobilissimorum satiare
putatur ardorem; ubertas imbrium et nihil paritura saxa
perfundit. Liquid æ rationis ordo est, ut paupertatem resignet
qui damna formidat; quidquid non procurrit, exile est.
De volucribus tamen
munus singula destinavi, quod cepit accipiter. Nam progressi ad
Bromium et Bacchi orgia, inter aves bella commisimus: profuit
quæstui nostro certamen sociale pennarum. Memento quod solam
anatem direximus: scientes quia numero Deus impare gaudet.
Dona nostra institutio est: sume, si diligis, pro dogmate quod
jocamur. Fac meam frugiferam esse lætitiam. Si tibi perpetuæ
diligentiam castitatis indixerit, laborabit in laudibus tuis
lingua, quæ modo exercetur in monitis.
Vale, domine, et amanti,
ut doctus, si mereor, sequestrata dissimulatione responde. |
Les antres des montagnes, les
solitudes des forêts reçoivent avec plus de loyauté que votre
sublimité, la voix qui leur parle par ordre de la nature même
les êtres muets répondent aux hommes L’écho des solitudes
sonores revient aux oreilles des mortels ; même les forêts
épaisses, retraite des fauves, ne laissent pas s’évanouir Les
accents du langage qu’elles reçoivent. Comment se fait-il donc
que votre Grandeur affiche ce genre de mérite et de philosophie
qui consiste à ne rien dire et, lorsque de tous côtés, se font
entendre de vagues déclamations, elle se renferme prudemment
dans le silence ? Vous à qui la nature n’a point refusé le
talent que l’étude a porté à sa perfection, je crois que vous ne
me jugez pas digne de vos entretiens, ne voulant pas livrer vos
précieuses paroles à la critique des ignorants. Mais n’est-ce
point se montrer riche en éloquence que de ne pas refuser même
aux ignorants les discours qu’ils désirent? C’est un bien pauvre
fleuve que celui qui ne peut dans son cours désaltérer que les
plus nobles: les pluies abondantes pénètrent même les stériles
rochers. La simple raison l’indique : c’est s’avouer pauvre que
de redouter une perte ; tout ce qui n’afflue pas en abondance
est mesquin.
Or je vous ai expédié un présent
unique c’est un oiseau qu’a pris le faucon. Car venus à la
campagne pour fêter Bacchus (à la suite des vendanges), nous
avons mis la guerre entre les oiseaux : cette lutte sociale de
la gent ailée a tourné à notre profit. Souvenez-vous que nous
vous avons envoyé uniquement un canard sachant que le nombre
impair plaît à Dieu. Notre don est une instruction :
Recevez, si vous nous aimez, comme une leçon, ce qui nous est un
jeu. Faites que le plaisir que j’y prends porte des fruits. Si
mon présent peut vous inspirer l’amour de la chasteté
perpétuelle, ma tangue qui pour le moment s’étudie à vous donner
de sages conseils, un jour s’emploiera à faire votre éloge.
Adieu, cher Seigneur, et, si je le mérite, répondez à cœur
ouvert comme un savant à son ami. |
EPISTOLA XXIII.
ENNODIUS MAXIMO.
|
LETTRE XXIII
ENNODIUS A MAXIME
Maxime à dû renoncer au célibat;
le mariage lui a été pour ainsi dire imposé et le voici en fêtes
de noces auxquelles Ennodius malade n’a pu assister. Mais
de sa retraite il s’y est uni par la composition d’un épithalame,
chef d’œuvre du genre (I carm. 4), qu’il annonce à
son ami et qu’il s’était proposé, ce semble,
de lire à la noce, s’il y avait pris part (VIII, 10).
|
Producit magnitudo tua
nuptiarum festa temporibus; dum rem ad quam coactus es, sub
diuturnitate prosequeris, subito necessitas tua facta est
desiderium. Aliquis negotio illi perenniter incumbat, ad quod
descendit invitus? Sic recessisti a custoditæ beatitudinis
diligentia, quasi prolixis temporibus didicisses qualiter
institueretur uxorius. Triginta feliciter dies abierunt, et te
civitati adhuc meis oculis longa me macerans exspectatione
subducis. Vere quidquid vis facias, si vixero, qui tibi dicenda
texui, non tacebo: tamen honore salutationis accepto, gustum de
guttulis ut fratrem decet a fratre, directa suscipite. Erubesce
tu, quia nec ægrum requiris, nec de nuptialibus deliciis quæ
possent fastidium relevare transmittis. |
Votre grandeur prolonge longtemps les fêtes de ses noces; et
tandis que vous parachevez, en lui donnant toute la durée
convenable, cette chose à laquelle vous fûtes contraint, la
nécessité qui vous tient éloigné excite nos regrets. Va-t-on
s’attarder éternellement à une affaire dans laquelle ont fut
engagé malgré soi? Ainsi vous avez renoncé à l’amour de la
béatitude gardée jusque là, comme si vous n’aviez consacré un si
long temps qu’à apprendre à devenir époux. Trente jours se sont
joyeusement écoulés et vous restez encore éloigné de notre cité,
loin de ma vue, et vous me faites languir de cette longue
attente. En vérité, faites ce qu’il vous plaira Si je vis, je ne
vous tairai point ce que j’ai écrit pour vous le lire. Agréez
cependant l’honneur de mes salutations et les quelques
gouttelettes que je vous envoie pour goûter, recevez-les comme
il convient à un frère qui reçoit de son frère. Et puis
rougissez de ne vous être point informé de ma maladie, pas plus
que vous ne m’avez écrit sur les fêtes de votre mariage pour me
distraire de mon ennui. |
EPISTOLA XXIV.
ENNODIUS STEPHANO.
|
LETTRE XXIV
ENNODIUS A ÉTIENNE
A
la demande de Marcel,
Ennodius écrit à son père pour lui donner des nouvelles des
succès du jeune étudiant. Marcel fréquentait sans doute
les écoles de Milan, peut-être l’auditorium du rhéteur
Deutérius. |
Exigit a me filii
communis Marcelli adhortatio, quem natura vobis, mihi dedit
affectus, ut ad scriptionis munia prævius aspirarem, et solatium
litterarum per quod vetustas voluit absentiæ nil licere, amore
victus impenderem. Jam debes mihi duplicem gratiam, et si
responsa restitueris, ob hoc quod primus incepi. Ille
dilectionis januam pandit, qui in colloquiis præstat exemplum:
propositam custodiunt formulam, qui scripta restituunt. Ergo,
auctore Deo, nuntiam prosperitatis nostræ epistolam destinamus.
Illud ad gaudium vestrum, quo uberius paterna mens exsultet,
adjungimus, filium vestrum in studiis liberalibus ingenuitatis
testimonium jam tenere, et talem se in hac cura præstare, ut
avara suorum vota transcendat. Spes perfectionis est, honesta in
adolescente inchoatio, nec ab erudito distat, qui inter exordia
boni gloriam occupat instituti. Salutans ergo affectione qua
debeo, spero ut reparata opportunitate de bono me faciat vestræ
prosperitatis attolli. |
Les
instances de notre fils commun Marcel, qui vous a été donné par
la nature et à moi par l’affection, m’obligent d’en venir à vous
écrire le premier et à vous accorder, vaincu par l’amitié, la
satisfaction du commerce épistolaire, que les anciens ont
toujours considéré comme le souverain remède aux maux que cause
l’absence. Ainsi vous me devez double, lors même que vous aurez
donné à ma lettre une réponse, parce que j’ai le premier
commencé. N’est-ce pas ouvrir la porte à l’amitié que de fournir
le modèle des entretiens? On n’a pour y répondre qu’à garder la
formule déjà employée. Donc, avec l’aide de Dieu, je vous
adresse une lettre qui donne des nouvelles de notre bonne santé.
J’y ajoute pour votre joie, ce qui fera tressaillir de bonheur
votre cœur de père, que votre fils donne déjà, dans les études
libérales, les preuves de sa noblesse et se montre tel à les
poursuivre qu’il dépasse les aspirations les plus exigeantes de
ses parents. C’est donner l’espoir d’atteindre un jour à
la perfection que de fournir dès l’adolescence un honnête début,
et c’est toucher presque à l’érudition que d’acquérir dès le
principe la renommée d’un homme instruit. Je vous salue donc
avec l’affection que je dois, et j’espère qu’elle me vaudra, dès
la première occasion, le plaisir de recevoir de vos bonnes
nouvelles. |
EPISTOLA XXV.
ENNODIUS SYMMACHO.
|
LETTRE XXV
ENNODIUS A SYMMAQUE
PORTÉE
PAR URSUS LUI-MÊME
L’illustre personnage auquel est adressé cette lettre d’ami est
le patrice Symmaque,
beau-père de Ibère. |
Lex desideriis scripta
vix creditur. Impatiens rigidioris præcepti diligentia, non
jugiter dignum facit reprehensione quod libera est. Redditur
sæpe amabilior de reatu, cum per effrenationem sortitur genium
plus placendi: nam delictum suum quodam ipsius præsumptionis
melle commendat. Ego a præfatione me tueor, quia ad epistolas
primus aspiro. Restat in potestate celsitudinis vestræ, si
sustinere eligetis garrulum, non tacere, et de originario
Symmachiani fontis lacte me pascere. Vale in Christo nostro,
Romanæ gentis nobilitas, et me jam ut clientem et famulum pro
morum et naturæ luce dignare. |
Nous
avons eu de la peine à faire accepter une loi que nos désirs ont
dictée. L’affection obligée de se plier à de trop rigoureuses
exigences, ne concilie pas toujours la bienveillance, malgré
qu’elle soit à l’abri de tout reproche. Il arrive souvent qu’un
écart ne rende que plus aimable et que la licence prise donne le
privilège de plaire davantage. On trouve à la présomption je ne
suis quelle saveur qui fait pardonner la faute. Je prends soin
de me couvrir d’un préambule parce que j’ai l’audace de vous
écrire le premier. Il reste à la discrétion de votre grandeur,
si vous acceptez de supporter mon bavardage, de ne pas vous
taire et de me nourrir du lait qui coule de la fontaine de
Symmaque. Adieu en notre Christ, vous qui incarnez tout ce qu’il
y a de noble dans la Nation romaine et, si vous m’en croyez
digne par mes mœurs et ma naissance, faites-moi l’honneur de me
tenir pour votre client et votre serviteur. |
EPISTOLA XXVI.
ENNODIUS AGNELLO.
|
LETTRE XXVI
ENNODIUS A AGNELLUS
Agnellus avait promis un cheval à Ennodius et ne se trouvant pas
en mesure de tenir au jour dit sa promesse,
il lui écrivit pour lui assurer qu’il n’y avait pas de sa part
mauvaise volonté. Agnellus avait été chargé d’une
légation en Afrique: il est donc à croire que
c’est un de ces excellents chevaux de Numidie qu’il avait
promis à son ami. |
Pro voto meo produxistis
epistolam, dum res nulla fuscatas nube purgatis. Felicissima
defensionis sorte adsumus innocentiæ, et dextro semper omine per
se splendentibus usuram vocis impendimus. Facile ejus lucem qui
nitet affirmas: nec deest sermo qui commodetur absolutis. Sic de
caballo promisso processistis affatibus, quasi vobis aliquando
obscena mentiendi fuisset affectio. Vere per animam meam
facilius sacros crederem labi in hanc foveam posse pontifices.
Vitia maturos nesciunt, nisi quos primævos imbuerint. Infitiatio
in hominibus nova non germinat: quidquid in moribus nostris est,
et sequitur et præcessit.
Proinde valete, ostrum
Latiaris eloquii, et mihi vicissitudinem amando restituite:
illud providentes, ut pro compensatione tarditatis dignus mihi
munere vestro equus succurrat. |
Selon mes désirs, vous m’avez
écrit longuement pour éclaircir des choses qui ne sont nullement
obscures. La défense est bien facile dès lors que nous plaidons
pour l’innocence et nous sommes toujours assurés du succès
lorsque nous prêtons l’assistance de notre parole à ceux dont le
bon droit éclate de soi à tous les yeux. Il vous est facile de
démontrer l’éclat d’une lumière qui brille et l’on ne court pas
le risque d’être à court d’arguments dès lors qu’on plaide pour
des absouts. En vérité, au sujet du cheval promis, vous vous
êtes mis en frais d’éloquence, comme si jamais vous aviez eu
l’ignoble habitude de mentir. Sur mon âme, je croirais plutôt
les pontifes sacrés capables de tomber dans cet abîme. Les vices
ne dégradent les hommes mûrs qu’autant qu’ils en furent infectés
dès leur jeunesse: ce n’est pas de prime abord qu’un homme prend
le parti de nier une dette. Tout ce qui est dans nos mœurs a des
antécédents et se continuera.
Adieu donc, vous en qui brille de tout son éclat l’éloquence
latine; rendez-moi l’affection que je vous porte et qu’en
compensation du retard, il m’arrive un cheval digne de votre
munificence. |
EPISTOLA XXVII.
ENNODIUS PROBO.
|
LETTRE XXVII
ENNODIUS A PROBUS
Durant son séjour à Rome,
Ennodius avait dû entrer en relation avec Probus,
personnage non moins recommandable pour sa science que
pour sa vertu (VII, 21). Rentré en Ligurie il s’enhardit
à lui écrire. |
Eligo jacturam pudoris,
ne subeam dedecus non amantis, sciens facilius sarciri posse
frontis damna quam fidei. Indoctum esse infelicitatis est;
virtutes familiæ vestræ odisse, res criminis. Potuimus
disciplinis liberalibus defuisse non delinquentes; nulli
sufficit, unde mores excussit. Ego in amplitudine vestra tot
coacervata epistolari sermone bona non venerer? ego non illud
generis lumen amplificatum studiis et probitate suspiciam?
Videtur mihi non longe ab honestate desciscere, qui colit
emendatos; dum creditur quicunque sectari posse quod diligit.
Proinde vale per gratiam Dei, et studium meum approbans amantem
tui amplifica muniis litterarum. |
Je
préfère paraître effronté que d’encourir le reproche de manquer
de fidélité, car je sais qu’il est plus facile de réparer un
excès d’audace qu’un manquement à sa foi. Vivre dans l’ignorance
n’est qu’un malheur; ne pas aimer les vertus dont s’honore votre
maison serait un crime. On peut, sans être coupable, rester
étranger aux arts libéraux; nul n’a le droit de faire fi des
bonnes mœurs. Pourrais-je me dispenser d’écrire pour rendre
hommage aux mérites accumulés en votre Grandeur? Comment ne pas
m’arrêter à contempler cet éclat naturel dont brille votre race
et qui se trouve encore amplifié par l’étude et la vertu? C’est,
à mon avis, s’approcher déjà de l’honnêteté que de fréquenter
des gens vertueux, et l’on croit généralement que chacun
s’attache à ce qu’il aime. Pour lors, avec la grâce de Dieu,
portez-vous bien et, si mon zèle vous est agréable, accordez à
celui qui vous aime la faveur de vos lettres. |
EPISTOLA XXVIII.
ENNODIUS ADEODATO
PRESBYTERO.
|
LETTRE XXVIII
ENNODIUS AU PRÊTRE ADÉODAT
Il lui envoie
l’épitaphe de Cynégie, le charge de la faire graver avec
soin, et le prie de s’employer auprès du Pape pour
obtenir le règlement d’une affaire. Il revenait de Rome
et se trouvait à trois journées de la Ville lorsque Cynégie
lui apparut. Il avait aussitôt composé l’épitaphe au
passage du courrier. Vers 505, après le schisme de
Laurent. |
Voto meo obsequitur, quæ
ministra ad vos scriptionis existit occasio. Nam et præsentiæ
vice blanditur alloquium, et promittit sibi de paginarum
promulgatione quod exhibet: quia emendatissimi homines, sicut
derogari virtutibus suis æstimant, aliquos in diligentiæ
testimonio prævios exstitisse; ita ignominiam reputant, exempla
negligere. Vixit inter sanctos viros ista communio, ut per
intimi hominis providentiam nil noceret terrena sequestratio.
Par est, domine, ut et votum meum sequaris et formam. Ergo
salutans principe loco, ut mei memor sis deprecor; ut quod mihi
per negligentiam subtrahitur, divinæ gratiæ per vos suffragio
conferatur.
Indico ergo non
mentiens, nocte tertia a profectione mea, ingratam mihi dominam
meam Cynegiam apparuisse in ipso lucis exordio, et multum ab ea
me de itineris properatione culpatum, quare etiam nullis
versibus sepulcrum ejus esset honoratum. Hæc quidem ego non ad
imaginem propheticæ veritatis accepi; nec nocturnis forte
illusionibus operis mei sudore litavi. Sed quia facile suadetur
amantibus, debitum opus non laboravit exigere qui monebat. Salva
est dominæ reverentia. Versus quos direxi, per diem judicii te
conjuro ut in pariete supra ad pedes scribi mox facias. Gratum
noveris et filio tuo futurum, vult enim merita illius multorum
ore celebrari, sed in eo modo quo illos hic invenit.
Domnam meam Stephaniam
et domnam Sabianam, sed et domnam Fadillam pro me saluta. Si
scripti fuerint, mox rescribe.
Domno papæ dignare
dicere ut aliquid per secundia Hoscorum de mea causa ordinet.
Quantum in festinatione
veredarii potui, scripsi: dominum et fratrem Hormisdam satis pro
me saluta, cui dicite ut clavem illam mittat. |
L’occasion qui m’oblige à vous
écrire comble mes vœux. Car le charme de l’entretien supplée à
la présence et celui qui écrit en attend autant en retour. Les
hommes les mieux élevés croiraient déroger à toute leur vertu si
quelqu’un les devançait dans le témoignage de l’affection et, si
on leur en donne l’exemple, ils considèreraient comme un
déshonneur de ne pas en tenir compte. Les saints ont ainsi vécu
en une telle communion que par l’intimité qui unissait leurs
âmes l’inconvénient de la distance disparaissait. Il en sera de
même pour nous, Seigneur, si vous acquiescez à mon désir. Donc
avant tout je vous salué, puis je vous prie de vous souvenir de
moi afin que vos suffrages me fassent recouvrer de ta grâce
divine ce que ma négligence me fait perdre.
Or je vous le raconte en toute
vérité, la troisième nuit après mon départ (de Rome), ma sainte
dame Cynégie m’apparut au lever du jour sous un aspect sévère et
me reprocha vivement la précipitation de mon voyage : elle se
plaignit, non sans quelque amertume, de ce que l’on n’eut pas
encore fait à son tombeau l’honneur d’une épitaphe. Quant à moi,
je n’ai point considéré tout cela comme une fiction et en me
mettant à l’œuvre je n’ai point cru travailler sur la foi
d’illusions nocturnes. Mais parce que lorsqu’on aime on est
facile à persuader, elle n’eut pas de peine à obtenir de moi
l’œuvre qu’elle demandait, sauf tout le respect dû à la mémoire
de cette noble dame. Ces vers que je vous ai envoyés, je vous
conjure, par le jour du jugement, de les faire graver sans
retard Sur la pierre du tombeau, du côté des pieds. Votre fils,
sachez-le, vous en sera reconnaissant; car il veut que les
louanges de cette illustre défunte soient sur toutes les lèvres.
Conservez avec soin l’ordre selon lequel vous les trouverez
disposés ici.
Saluez pour moi Madame Stéphanie
et dame Sabiana et encore dame Fadilla. Aussitôt qu’ils seront
gravés, hâtez-vous de m’écrire.
Daignez parler au seigneur Pape de
mon affaire et lui dire de vouloir bien y donner une solution
par le saint diacre Dioscore. Je vous ai écrit ce que j’ai pu,
pressé par le départ du courrier.
Saluez pour moi comme il convient mon frère le seigneur
Hormisdas et dites-lui qu’il veuille bien m’envoyer cette clé. |
EPISTOLA XXIX.
ENNODIUS BEATO.
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LETTRE XXIX
ENNODIUS A BÉATUS
En même temps qu’il envoyait au prêtre Adéodat l’épitaphe de
Cynégie, Ennodius
l’adressait à son jeune ami et protégé Béatus, pour qu’il
la communiquât aux amis de Rome, principalement aux
habitués des salons de la matrone Barbara, chez laquelle
Béatus recevait l’hospitalité. Il veut que Béatus lui
rende un compte exact des critiques et appréciations qu’on en
fera. |
Non ego epistolam meam
intra breves terminos, Spartanæ memor concinnationis, includo;
nec formam tuam studio coacti sermonis irrideo: abest a me loqui
pauca cum modicis. Urbanorum est exiguis producta subtrahere, et
sine aliqua necessitate paginas, quales poscit hominum mensura,
formare. Quod in me de his quæ præfatus sum subtile putaveris,
festinatio non semper amica artis et casus exhibuit. Magnum mihi
est, si dederunt fortuita quod mireris. Ergo causam scriptionis
insinuo, quam tibi prælata salutatione commendo. Digresso mihi
urbe procul domnæ meæ Cynegiæ occurrit admonitio, quare
sepulcrum ejus non honorassem laude ducti in carmen eloquii.
Quod, quamvis reverentia viri ipsius facerem, tractavi, quia
quod radiat luce meritorum, styli ubertate celebrandum est. Nam
nec Deus officium respuit imperiti, et contentus ipse quod
tribuit, a rusticantibus verborum diademata non requirit.
His ergo versibus
scribendum epitaphium destinavi. De quo quid sentiatur, sic
pater tuus vivat, et Roma te, quantum ad illa quæ in ipsa
reprehenduntur, non suum faciat, ut simpliciter et pure indices;
nec auribus meis aut sensui fuco mentitæ gratiæ blandiaris.
Non erubescas, et etiam
aliquibus, præcipue tamen dominæ, et merito dominæ Barbaræ
paginam meam recensere; quia tecum locatur. Opto tamen ut tantum
tabella mea quantum spes tua sapiat, quæ in cano flore, et mea
et parentum suorum, quamvis sint avara, et vota transgreditur.
Dominum Cethegum et dominam Blesillam sororem ejus, pro me
saluta. Fidelem, Marcellum, Georgium, Solatium, Simplicianum pro
me saluta: quibus dic: Si vobis cordi est disciplina domnæ
Barbaræ, dominum, vel patres, aut fratres ejus, frequentate;
quia est casta luxuque carens: qui aliud fecerit, ad me non
sperat se esse rediturum.
EPITAPHIUM CYNEGIÆ.
Obtinui pretium votorum
munere Christi:
Quæ mihi vita fuit crux,
dedit hanc tumulis.
Dissolvens carni subolem
sine vulnere mentis,
Quod Fausto felix
conjuge præmorior:
Disjecit lacrymas medela
cordis.
Quæ servat meritis torum
fidelem.
Exoptet similem matrona
sortem. |
Je ne vais point, à l’imitation du
laconisme de Sparte, resserrer ma lettre dans des bornes
étroites, ni paraître me moquer de la forme de votre style, à
dessein si concis : loin de moi de ne parler que peu avec les
petits. C’est l’usage des hommes du monde d’être bref avec les
petites gens et, sauf le cas de nécessité, de régler la mesure
des pages sur celle de ceux à qui ils écrivent. Si dans les
lignes qui précèdent vous trouvez quelque subtilité, sachez
qu’elles sont l’œuvre de la précipitation, rarement amie de
l’art, et de l’occasion. Ce serait bien beau pour moi si dans
ces pensées jetées au hasard sur le papier, vous trouviez à
admirer. Voici donc le motif qui me fait vous écrire, motif,
qu’après vous avoir salué, je recommande à votre sympathie.
Comme j’étais déjà loin de la Ville, madame Cynégie se présenta
à moi pour me faire le reproche de n’avoir pas honoré sou
tombeau d’une épitaphe élogieuse. Je viens de l’écrire et, bien
que l’honneur que je porte à son mari eut suffi à me la dicter,
j’estime qu’une mémoire qui brille d’un tel éclat doit être
célébrée avec toute la pompe du style. Au reste Dieu lui-même ne
rejette pas les hommages d’un ignorant et, satisfait de ce qui
n’est d’ailleurs que son propre don, il n’exige pas d’un rustre
les ornements de la rhétorique.
J’ai donc envoyé ces vers qui
forment l’épitaphe à graver sur le tombeau. Et vous, si vous
voulez que je souhaite longue vie à votre père et à vous-même
d’échapper à la contagion de tout ce qu’il y a de vicieux dans
Rome, ayez soin de m’indiquer purement et simplement ce que l’on
pense de ce poème, sans chercher à flatter mes oreilles de vains
compliments.
Ne craignez point de communiquer
mon écrit à quelques-uns de nos amis, mais surtout, et c’est
trop juste, à la dame Barbara, puisque vous logez chez elle.
Tout ce que je désire pour mon poème, c’est qu’il soit goûté
autant que nous savourons les belles espérances que nous donne
votre jeunesse dans sa fleur car elles dépassent les vœux,
pourtant bien exigeants. et de moi-même et de vos parents.
Saluez pour moi le seigneur Cethégus et sa sœur la dame
Blésilla. Saluez aussi Fidèle, Marcellus, George, Solatius,
Simplicianus ; dites-leur : si vous avez à cœur de suivre la
sage direction de la matrone Barbara, fréquentez son mari, ses
parents et ses frères elle aime la chasteté et fuit le luxe.
Quiconque tiendrait une autre conduite ne doit pas espérer
revenir vers moi.
Texte de l’Epitaphe
Par la faveur de Jésus-Christ mes
vœux sont accomplis : La croix qui fut ma vie, domine mon
tombeau.
Le Seigneur a mis fin à la vie de
mon corps sans blesser mon âme ; j’ai le bonheur de mourir avant
Faustus mon époux.
Il versa des larmes, remède du
cœur.
Que
la matrone fidèle souhaite en récompense de ses mérites un
semblable sort. |
EPISTOLA XXX.
ENNODIUS FAUSTO.
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LETTRE XXX
ENNODIUS A FAUSTUS
En l’absence de Faustus
qui a dû s’éloigner de Rome, Parthénius livré à
lui-même s’est laissé emporter dans le tourbillon malsain de ta
vie oisive et voluptueuse que menait, dans la capitale,
la jeunesse de son rang. Le père, désolé à cette
nouvelle, supplie Ennodius d’y porter remède.
C’est dans ce but qu’il écrit à Faustus. |
Solida est spes
adolescentium, quam magnorum cultura prosequitur: si cessat
curatio, ubertas tritici transit in lolium. Parthenium, sororis
meæ filium, diu circa diligentiam litterarum, quantum patris
ipsius reseravit allegatio, culminis vestri metus attraxerat.
Sed nunc per absentiam vestram venerandæ solutus lege
formidinis, molitur obscena: ætas illa peccatis amicior multos
reperit ad errata ductores. Implorat fidem propositi mei pater,
et incolumem filium loco deflet exstincti. Sic faciunt, quibus
de profectu suorum fiducia nulla responderit. Nihil mihi
residuum fuit, quod remedii loco precibus victus ingererem; nisi
ut eminentiæ vestræ conscientiam de excessibus ante dicti
juvenis festinus instruerem. Vos medicam manum, vos opem
præstate consuetam, ne vitiorum profectus universa in eo quæ
boni aliquid potuerunt ferre succidat. Commendate amicis quæ
agantur; insinuate doctori, et quidquid potest subvenire,
concedite: quia hæc sunt quæ, præfatis salutationis obsequiis,
consanguineo possim, professionis meæ memor, sine dissimulatione
præstare. |
On
peut compter sur les espérances que donnent les adolescents
lorsqu’ils sont l’objet de la culture assidue de hauts
personnages; si on fait trêve d’émondage, il y a non plus
abondance de froment mais abondance d’ivraie. Longtemps le fils
de ma sœur, Parthénius, selon ce que son père même m’a fait
savoir, s’est attaché à l’étude des lettres, retenu par la
crainte salutaire que lui inspirait l’autorité de votre
Eminence. Mais comme votre absence l’a délivré de ce frein,
voici qu’il s’abandonne à l’inconduite. Cet âge enclin au mal,
ne trouve que trop de guides pour lui en enseigner les voies. Le
père désolé fait appel à l’autorité que me donne mon caractère
(de diacre) et, ce fils plein de vie, il le pleure comme s’il
était mort. Ainsi font ceux qui n’ont plus d’espoir en l’avenir
de leurs enfants. Quant à moi cédant à ses prières, je ne trouve
pas d’autre remède que d’instruire sans retard votre Eminence
des excès du jeune homme. A vous d’y porter remède et de nous
prêter votre concours accoutumé, avant que le progrès du vice
n’ait ruiné tout ce qu’il pouvait y avoir de bon en lui.
Recommandez à nos amis ce qu’il y a à faire; parlez-en à son
maître et mettez en œuvre tout ce qui peut être utile, car c’est
là tout ce qu’en vous payant le tribut ordinaire de mes
salutations, je puis faire pour ce parent et pour répondre à ce
qu’il attend de mon intervention. |
EPISTOLA XXXI.
PARTENIO ENNODIUS.
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LETTRE XXXI
ENNODIUS A PARTHÉNIUS
Cette lettre, écrite
en même temps que ta précédente à Faustus, a le
même objet: arrêter le jeune Parthénius sur la
pente du désœuvrement et du vice où il glisse déjà. |
Par quidem fuerat
silentio degeneri vicem taciturnitatis opponi, ut per ipsum
callem vindicta per quem venerat error exiret. Nunquid æquum est
ut in excessibus tuis vox, quid deliqueris, et non mutus dolor
ostendat? Crede mihi, manifestatæ indignationi vicina curatio
est. Te per longum ferire debuit inclusa commotio, si tamen non
ex toto ab humanitate discessisti. Quid deliqueram, postquam
primoribus litteris veniam fabricata humilitate poposceras? hæc
est correctionis fida promissio, ut postquam delenifica oratione
conceptam iram extorseris, erubescas te minora peccasse?
Quantum video, post
contestatam verecundiam, solas errorum vitas angustias, nefas
æstimas circa parentem et nutritorem tuum non in tantum extolli
supercilium quanta debuisti pro tot beneficiis communione
submitti.
Aut forte putas quod me
puerilis ira sollicitet, aut ulla necessitas maturum expugnare
possit affectum? nunquid genitori natorum non grata sunt
verbera? aut creatores reptantium parvulorum non et mulcentur
injuriis? Nihil amarum putant, quibus inter desideria quod votis
pro parte adversetur efferbuit. Invenimus inter triticeas
segetes spinas et lolium; et dum frugiferam herbam carpimus,
infecunda suggeruntur. Nunquid ideo culturæ respuenda diligentia
est, aut cessandum est a vomeribus, si non in toto satisfecerit
terra cultori?
Deum precor, ut a te
quod detestor excludat: ego tamen nunquam, si credis, deseram
monitoris officium. Audivi te, patris tui relatione, circa
studia jam remissum, et quasi arcem scientiæ adeptus sis, ita
nullatenus esse de lectionis instructione sollicitum. Nosti,
fili, istius rei summam, nisi assiduitate nimia non teneri. Non
profuit in hoc opere laborasse aliquando hominem, qui a laboris
intentione destitit: pernicibus alis negligentes fugit scientia;
et quidquid mora et sudore partum est, sub celeritate
transfertur.
Te salutatum et vigilem
volo, ut profectus tui messem quotidianæ catenis lectionis
astringas.
Ad me vel nunc, si quid
te deceat cogitas, rescribe: quia si credis, nunquam similem
dictionum tuarum invenies in qualibet orbis parte fautorem. |
C’eût été justice de répondre à
votre silence inavouable par un silence obstiné et que d’où
venait la faute vint aussi le châtiment. Est-il en effet
raisonnable d’élever la voix pour vous montrer l’infamie de vos
excès et ne convenait-il pas mieux de vous la faire sentir en me
renfermant muet dans ma douleur? Croyez-moi, l’indignation qui
éclate porte remède. Vous avez dû éprouver en votre âme une
émotion profonde, si du moins vous n’avez pas abdiqué tout
sentiment humain. En quoi vous avais-je manqué depuis que, par
votre précédente lettre, où vous simulez une fausse humilité,
vous demandiez votre pardon? Voilà comment vous tenez vos
promesses: après que par vos doucereux discours vous avez fait
tomber notre colère, si vous rougissez, c’est uniquement de
n’avoir pas été plus coupable.
A ce que je vois, vos
protestations de soumission n’ont point d’autre motif que
d’échapper aux angoisses de la misère qu’apporte le vice,
estimant du reste un malheur de ne pas témoigner à l’égard de
votre père et de votre nourricier autant d’arrogance que leurs
bienfaits vous commandent de respect.
Ou bien penseriez-vous que je
m’inquiète de vos colères d’enfant, ou que mon affection,
éclairée de la raison, puisse céder à la pensée de vos besoins?
Un père n’a-t-il pas pour agréables les coups que lui donnent
ses jeunes fils en colère? Ne sont-elles pas douces aux parents,
les injures que leur adressent leurs enfants encore incapables
de se tenir debout? Celui qui voit ses désirs satisfaits, ne
trouve nulle amertume à ce qui peut survenir de quelque peu
contraire. Nous trouvons mêlées à la moisson des épines et de
l’ivraie, et tandis que nous cueillons les épis féconds, il en
tombe de stériles sous notre faucille. Devrons-nous renoncer à
aimer la culture et cesser de labourer parce que la terre ne
donne pas en tout pleine satisfaction au cultivateur?
Je prie Dieu de vous préserver de
ce que je blâme: cependant, quoi qu’il arrive jamais,
croyez-moi, je ne cesserai de vous avertir, comme c’est mou
devoir. J’ai appris par votre père, que vous vous êtes relâché
dans vos études, comme si déjà vous touchiez au faite de la
science, vous n’êtes plus assidu à la lecture. Vous le savez
bien, cher fils, le trésor de la science ne se garde qu’au prix
d’un travail constant. C’est en vain qu’un homme s’y est
appliqué s’il cesse un jour la science fuit à tire-d’aile ceux
qui la négligent, et ce qu’ils ont acquis au prix de
persévérants efforts s’évanouit en un instant.
Je vous salue et veux vous savoir
assidu, afin que vous reteniez les fruits de vos progrès par les
liens d’une lecture quotidienne.
Si
vous avez quelque chose sur le cœur, écrivez-moi sur l’heure,
car je vous prie de le croire, vous ne pourriez trouver, d’un
bout à l’autre de la terre, un pareil admirateur de vos
compositions. |
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