MARTIAL
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M. VAL. MARTIAL
ÉPIGRAMMES
LIVRE IX
Relu et corrigé
I. - A AVITUS Poète aux sublimes inspirations, qui vainement t'efforces de rester inconnu, à qui l'on rendra, tardivement justice après le trépas, Avitus, inscris cette courte épigramme sous mon portrait placé par toi en si illustre compagnie : "Mon mérite égale celui de tout autre dans le genre frivole ; tu peux bien ne pas m'admirer, lecteur ; mais tu m'aimes, j'en suis persuadé. Que de plus grands génies s'élèvent à de plus nobles chants ; moi qui n'ai su parler qu'un humble langage, il me suffit de me voir revenir souvent dans vos mains." MARTIAL A SON CHER TURANIUS Turanius, mon très cher frère, salut. L'épigramme détachée des pages de ce livre a été adressée à l'illustre Stertinius, qui a voulu placer mon portrait dans sa bibliothèque. J'ai cru devoir t'en avertir, afin que tu saches qui j'ai désigné sous le nom d'Avitus. Adieu ; prépare-toi à me recevoir. II. - SUR LE TEMPLE DE LA MAISON FLAVIENNE Tant que Janus donnera son nom aux hivers, Domitien aux automnes, Auguste aux étés ; tant qu'au grand jour des calendes germaniques se rattachera le souvenir éclatant de la conquête du Rhin ; tant que subsistera sur la roche Tarpéienne le temple du souverain des dieux ; tant que nos riches matrones imploreront la divinité bienfaisante de Julia et lui offriront leur encens ; la gloire de la maison Flavienne continuera de briller à l'égal du soleil, des astres et de la splendeur romaine. Tout monument élevé par un bras invincible est le ciel même. III. - CONTRE LUPUS Si tu es pauvre avec tes amis, Lupus, te ne l'es point pour ta maîtresse, et ta mentule, du, moins, n'a pas à se plaindre de toi. On voit cette impudique créature s'engraisser d'un pain délicat, servi sous la forme du bijou féminin, tandis qu'un pain noir est l'aliment de tes convives. Pour elle, coule le vin de Setia, chaud à brûler la neige; et nous, il nous faut boire le liquide trouble et empoisonné que le Corse verse dans ses tonneaux. L'héritage de tes pères ne suffit pas pour payer une de tes nuits, encore pas tout entière, et ton ami abandonné laboure des terres qui ne sont pas les siennes. Ta concubine est tout étincelante de pierreries arrachées à l'Érythrée ; et, pendant que tu la caresses, on conduit ton client en prison. Il ne te coûte pas de donner à cette belle une litière traînée par huit esclaves, et le corps de ton ami sera jeté nu dans une bière. Va maintenant, Cybèle, châtrer de misérables débauchés ; voilà une mentule qui mérite bien autrement que ton couteau s'exerce sur elle. IV. - A DOMITIEN Si tu venais à redemander, César, tout ce que te doivent le ciel et les dieux, si tu te présentais en créancier ; quel que fût le montant des enchères dans l'Olympe, les dieux fussent-ils obligés de vendre tout ce qu'ils ont ; Atlas ferait banqueroute, et le maître des dieux serait à peine en état de te donner douze pour cent. Le moyen en effet de te payer le temple du Capitole et les jeux du mont Tarpéien ? Le moyen pour l'épouse du maître du tonnerre de te rendre le prix de ses deux temples ? Je ne dis rien de Pallas : tes intérêts sont les siens. Parlerai-je d'Alcide, de Phébus et des enfants de la Laconie si chers l'un à l'autre ? Citerai-je le temple des Flaviens dont s'est enrichi l'Olympe latin ? Il faut, Auguste, te résigner à attendre et à patienter ; car les coffres de Jupiter ne sont pas assez riches pour te payer. V. - CONTRE ESCHYLUS Lorsqu'on peut baiser Galla pour deux pièces d'or et lui faire mieux encore en doublant la somme pourquoi, Eschylus ; lui donnes-tu dix pièces d'or ? Elle ne prend pas si cher, même pour prêter sa bouche : que fait-elle donc? elle est discrète. VI. - CONTRE PAULLA Tu veux épouser Priscus ; je ne m'en étonne pas, Paulla : c'est fort sage à toi. Priscus ne veut pas t'épouser ; c'est fort sage à lui. VII. -- A DOMITIEN Illustre vainqueur du Rhin, père suprême de l'univers, prince aux pudiques vertus, les villes éclatent en actions de grâces : désormais elles auront des habitants ; on enfantera sans crime. Le jeune garçon, que mutilait l'art infâme d'un avide courtier, n'aura plus à gémir sur la perte de sa virilité. On ne voit plus la mère indigente vendre au vil entremetteur son enfant voué à la prostitution. La pudeur, qui avant toi n'existait plus même au lit conjugal, a commencé, par tes soins, à pénétrer jusque dans les mauvais lieux. VIII - CONTRE AFER Voilà cinq jours, Afer, depuis ton retour de Libye, que je cherche à te dire bonjour, et cinq fois on m'a répondu : "il est en affaire, ou il dort." C'en est trop, Afer : tu ne veux pas que je te dise bonjour, eh bien ! bonsoir ! IX. - A DOMITIEN Comme si c'était une légère offense pour notre sexe de livrer nos enfants mâles à la lubricité du premier venu, le berceau était passé dans le domaine des trafiquants de débauche, et l'enfant, arraché du sein de sa mère, semblait par ses vagissements réclamer le prix de sa souillure. Des corps à peine formés subissaient un abominable supplice. Le père de l'Ausonie n'a pu supporter de pareilles monstruosités ; il a tendu naguère une main secourable à la faible adolescence, et n'a plus permis qu'un libertinage barbare condamnât l'âge viril à la stérilité. Chéri déjà des adultes, des jeunes gens et des vieillards, maintenant, César, c'est aux enfants à t'aimer. X. - A BITHYNICUS Fabius, à qui tu donnais annuellement six mille sesterces, si je m'en souviens bien, ne t'a rien légué, Bithynicus. Garde-toi de t'en plaindre : il n'a laissé à personne plus qu'à toi ; ce sont six mille sesterces de rente qu'il t'a légués. XI. - CONTRE CANTHARUS Quoique soupant volontiers chez autrui, tu déblatères, tu médis, tu menaces, Cantharus. Crois-moi, fais trêve à ces fureurs : on ne peut être à la fois libre et gourmand. XII. - SUR L'EARINUS DE DOMITIEN O nom qui pris naissance parmi les violettes et les roses, nom qui es celui de la plus belle saison de l'année, qui respires les parfums de l'Hybla et des fleurs de l'Attique, qui exhales l'odeur du nid où repose le roi des airs; nom plus doux que le nectar des dieux, qui ferais envie à l'enfant chéri de Cybèle et à celui qui remplit la coupe du maître du tonnerre ; nom auquel répondent Vénus et l'Amour, quand il vient à retentir dans le palais impérial ; nom plein de noblesses, de suavité et de délicatesse; je voulais te faire entrer dans un vers élégant, mais une syllabe rebelle s'y oppose. Il est des poètes qui disent Earinon ; mais ce sont des Grecs, à qui tout est permis et qui peuvent scander ces mots Ares, Ares, comme ils veulent. Quant à nous, nos Muses sont plus sévères, et nous ne pouvons prendre de telles licences. XIII. - SUR LE MÊME On m'appellerait Oporinus, si l'automne m'eût donné mon nom ; Chimerinus, si je l'eusse reçu de l'hiver rigoureux ; Therinus, si l'été en eût fait les frais : comment désigne-t-on celui qui doit son nom au printemps ? XIV. - SUR LE MÊME Tu portes un nom qui désigne l'aimable saison de l'année, ce printemps, si court pendant lequel les abeilles de l'Attique butinent les fleurs ; un nom digne d'être écrit avec une flèche de l'amour, et que Vénus se plaît à tracer avec son aiguille ; un nom qui mériterait d'être figuré avec des perles de l'Érythrée, avec la précieuse pierre que broie la main des Héliades ; un nom fait pour être dessiné dans les cieux par les ailes de la grue ; un nom enfin qui seul est digne du palais de César. XV. - CONTRE UN COUREUR DE SOUPERS Cet homme que tes soupers, que ta table, ont rendu ton ami, le crois-tu un modèle de solide amitié ? Ce qu'il aime, c'est le sanglier, le surmulet, les tétines de truie, les huitres, et non pas toi. Si l'on soupait aussi bien chez moi, il serait. mon ami. XVI. - SUR CHLOÉ Sur chacun des tombeaux, des sept maris qu'elle a enterrés, la fameuse Chloé a écrit que ces tombeaux étaient son ouvrage : peut-on, être plus naïf ? XVII. - SUR LA CHEVELURE D'EARINUS Ce miroir, conseiller de la beauté, cette soyeuse chevelure, ont été consacrés au dieu de Pergame par cet enfant, le plus gracieux ornement de la cour de son maître, et dont le nom désigne la saison du printemps. Heureuse la contrée qui est jugée digne d'un pareil présent ! Les cheveux de Ganymède ne lui seraient pas plus chers. XVIII. - A ESCULAPE SUR CETTE MÊME CHEVELURE Vénérable petit-fils de Latone; toi qui, par des plantes salutaires désarmes les Parques et suspends le cours rapide de leurs fuseaux ; du sein de la capitale de l’Éatium, un de tes enfants t'envoie en hommage ses cheveux admirés de son maître. A cette offrande il a joint ce miroir brillant qui reproduisait fidèlement les grâces de son visage. Conserve-lui, en retour, le charme de la jeunesse, afin qu'avec ses cheveux courts il ne soit pas moins beau qu'avec sa longue chevelure. XIX. - A CÉSAR DOMITIEN Je possède, César, un petit bien de campagne ; puissé-je le posséder longtemps sous ton règne ! et j'ai de plus une maisonnette à la ville. Mais c'est à grand-peine qu'une pompe recourbée apporte à mon jardin altéré l'eau d'une étroite vallée ; et ma maison à sec gémit de ne pas jouir de la moindre rosée, lorsque tout près se fait entendre le murmure de la fontaine Martia. Auguste, l'eau dont, tu auras gratifié mes pénates deviendra pour moi l'eau de Castalie ou la pluie de Jupiter. XX. - CONTRE SABELLUS Tu as consacré, Sabellus, trois cents vers à l'éloge des bains de Ponticus chez qui l'on soupe si bien. Ce que tu convoites, Sabellus, ce n'est pas un bain, mais un souper. XXI. - A DOMITIEN Ce temple ouvert à tout le monde, ce temple partout revêtu de marbre et d'or, repose sur un sol témoin de l'enfance du maître de l'empire. Heureux le sol qui entendit ses nobles vagissements, qui soutint et vit se traîner ses mains enfantines ! Là s'élevait cette maison digne de tant de respects, qui eut la gloire de donner à la terre ce que Rhodes et la pieuse Crète ont donné aux cieux. Les Curètes protégèrent du bruit de leurs armes la naissance de Jupiter, si tant est que ce fussent des armes que portaient ces Phrygiens mutilés. Mais toi, César, c'est le père des dieux lui-même qui t'a protégé ; au lieu du javelot et du bouclier, c'est la foudre et l'égide qui te défendaient. XXII. - A AUCTUS Artémidore possède un jeune esclave, mais il a vendu sa terre. En échange de son jeune esclave, Calliodore possède une terre. Lequel des deux, Auctus, a fait la meilleure affaire ? Artémidore est pour l'amour; Calliodore pour le labour. XXIII. - A PASTOR Tu te figures peut-être, Pastor, que je désire la richesse pour des motifs semblables à ceux qui animent le vulgaire et la foule aux grossiers appétits ; que je voudrais user mes hoyaux sur le sol de Setia, entendre une légion d'esclaves traîner ses fers sur les champs de la Toscane, voir chez moi cent tables de Mauritanie avec des supports d'ivoire libyen, et posséder des lits surchargés de brillantes lames d'or ; que j'aimerais à ne presser sous mes lèvres que de grands vases de cristal, à teindre la neige avec mon noir Falerne, à faire suer le Syrien, vêtu de laine de Canuse, sous le poids de mes brancards, à faire escorter ma litière d'une multitude de clients de bonne maison, à exciter mes convives pris de vin par la vue d'un jeune esclave que je ne changerais pas même pour Ganymède, à exposer mes vêtements de pourpre aux éclaboussures d'une mule crottée, enfin à conduire avec la baguette un coursier venu de la Massylie. Rien de tout cela, j'en atteste le ciel et les dieux. - Que prétends-tu donc ? --- Donner, mon cher Pastor, et bâtir. XXIV. - A CABUS O toi sur la tête duquel on a vu briller l'or virginal, dis-moi, Carus, ce que tu as fais de ce don glorieux de Pallas ? - Tu vois cette image de marbre, où resplendissent les traits du maître de l'empire ; eh bien ! ma couronne est allée d'elle-même se placer sur son front. Le chêne sacré peut désormais porter envie à l'olivier du mont Alban, puisque celui-ci a eu l'honneur de ceindre le premier le front invincible de César. XXV. -- AU MÊME Quel est l'artiste qui, en reproduisant les traits de César, a vaincu par le marbre du Latium l'ivoire de Phidias ? Tels sont les traits, tel est le visage de Jupiter dans sa majestueuse sérénité. Tel est ce dieu, lorsque dans un ciel pur il fait gronder son tonnerre. Non seulement, Carus, Pallas t'a donné la couronne ; mais tu lui dois aussi l'image du maître que tu révères. XXVI. - CONTRE AFER S'il m'arrive de regarder ton Hyllus quand il me verse à boire, tu me lances aussitôt, Afer, un coup d'œil inquiet. Est-ce un crime, je te le demande, est-ce un crime de regarder cet aimable serviteur ? On regarde bien le soleil, les astres, les temples et les dieux. Détournerai-je la tête, me cacherai-je les yeux et le visage, comme si c'était la Gorgone qui me tendît la coupe ? Alcide était d'humeur farouche, mais il souffrait qu'on regardât Hylas. Mercure n'a-t-il pas la permission de jouer avec Ganymède ? Si tu ne veux pas, Afer, que tes convives regardent tes esclaves ; n'invite chez toi que des Phinées et des OEdipes. XXVII. -SUR NERVA Autant vaudrait, Cosmus, te donner en présent le pâle glaucium, que d'oser adresser des vers à l'éloquent Nerva ; autant vaudrait porter des violettes et de blancs troènes à l'habitant des champs de Paestum, du miel de la Corse aux abeilles de l'Hybla. Cependant il n'est pas de pauvre petite muse qui n'ait des grâces à elle ; l'humble olive est recherchée même après le loup marin. Ne sois pas surpris, Nerva, que ma muse, à qui son insuffisance n'est que trop connue, appréhende ton jugement. On dit que Néron lui-même redoutait ton oreille, lorsque, dans sa jeunesse, il te lisait ses œuvres badines. XXVIII. - CONTRE CHRESTUS Chrestus, avec tes testicules épilés, ta mentule pareille au cou, d'un vautour, ta tête plus lisse que le derrière d'un mignon, tes jambes dénuées de poils, tes lèvres sur lesquelles tu promènes sans cesse la pince, tu oses copier le langage des Curius, des Camille, des Quinctius, des Numa, des Ancus, et de tout ce que nous connaissons de personnages à grandes barbes ; tu éclates en gros mots menaçants ; tu fais la guerre aux théâtres et au siècle. S'il se présente alors quelque jeune impudique, fier d'avoir échappé à son pédagogue, et dont la turbulente mentule ait été récemment débouclée, vite tu lui fais signe ; et j'ai honte de dire, Chrestus, ce que fait alors ta langue de Caton. XXIX. - ÉPITAPHE DE LATINUS Je suis ce Latinus, l'honneur de la scène, la gloire des jeux publics, que vous avez tant aimé et applaudi ; ce Latinus que Caton eût voulu voir, en présence duquel se fût déridée la gravité des Curius et des Fabricius. Ma vie ne s'est point ressentie des habitudes du théâtre, et, je n'appartins à la scène que par mon art. Sans mœurs, je n'aurais pu plaire à notre maître ; c'est un dieu dont l'œil voit jusqu'au fond des consciences. Peu m'importe qu'on m'appelle le parasite d'Apollon, pourvu que Rome sache que je suis le serviteur de son Jupiter. XXX. - ÉPITAPHE DE PHILÉNIS Après avoir vécu des siècles comme Nestor, te voilà donc, Philénis, transportée sur les rives du royaume infernal ? Tu ne comptais pas encore autant d'années que la Sibylle de Cumes, car elle est morte plus vieille que toi de trois mois. Ah ! quelle langue est réduite au silence ! Moins bruyantes sont mille de ces cages où l'on expose en vente les esclaves, moins bruyante la foule des adorateurs de Sérapis, la troupe d'écoliers aux cheveux frisés qui courent, dès le matin chez leur maître, moins assourdissants les cris qu'une troupe de grues fait retentir sur les rives du Strymon. Qui évoquera maintenant la lune à l'aide du rhombe thessalien ? Quelle entremetteuse saura aussi bien négocier les rencontres amoureuses ? Que la terre te soit légère, qu'une mince couche de sable recouvre ton corps, pour que les chiens puisent déterrer tes os. XXXI. -- SUR LA PIÉTÉ CONJUGALE DE NIGRINA Antistius a péri sur les rives inhospitalières de la Cappadoce : ô terre souillée d'un crime déplorable ! Nigrina, rapportant dans les plis de sa robe les restes de son époux chéri, se plaignait de n'avoir pas plus de chemin à faire ; et lorsque ta tombe, à laquelle elle porte envie, a reçu l'urne sacrée, il lui sembla qu'elle perdait une seconde fois son mari. XXXII. - SUR LE VOEU DE VELIUS A l'époque où Velius accompagnait César dans son expédition contre le Nord, pour assurer la victoire à son maître, il fit vœu de sacrifier à Mars cet oiseau. La lune n'avait pas encore parcouru huit fois sa carrière, que le dieu réclamait l'accomplissement de ce vœu. Soudain l'oie s'empressa de voler vers l'autel, et, modeste victime, tomba sur le brasier sacré. Vous voyez ces huit pièces d'argent suspendues à son bec entr'ouvert ! Elles étaient auparavant cachées dans ses entrailles. Une victime qui prodigue pour toi l'argent au lieu de son sang, nous fait voir, ô César, que le fer aujourd'hui ne nous est plus nécessaire. XXXIII. - UNE MAÎTRESSE COMME IL M'EN FAUT UNE Je veux une maîtresse facile, de celles qui courent avec le palliolum ; une maîtresse qui ait été mise à l'épreuve par mon jeune esclave ; une maîtresse qu'on ait tout entière pour deux deniers ; une maîtresse enfin qui suffise seule à trois galants à la fois. La beauté qui demande de l'or et qui fait de belles phrases, je l'abandonne à la mentule de l'épais Burdigalus. XXXIV. - A FLACCUS Quand tu entendras, Flaccus, des applaudissements dans un bain, sois sûr que la mentule de Morion se trouve là. XXXV. - SUR LE TEMPLE DE LA FAMILLE FLAVIENNE Jupiter ne put s'empêcher de rire du tombeau mensonger qui lui fut élevé sur l'Ida, quand il aperçut le temple dédié par César à la famille Flavia. Bientôt après, au milieu des épanchements de table, comme il passait à son fils Mars sa coupe, qu'il avait maintes fois vidée : - Vous, dit-il en regardant Phébus et sa chaste sœur, qui étaient en compagnie d'Alcide et du fidèle Mercure, vous, qui m'avez élevé ce monument en Crète, voyez combien il y a plus de profit à être le père de César. XXXVI. - CONTRE PHILOMUSUS Tu as un sûr moyen de te faire inviter à souper, Philomusus, c'est d'inventer force nouvelles et de les débiter comme vraies. Tu sais ce qu'a décidé, dans son conseil, le roi des Parthes, Pacorus ; tu sais le compte de l'armée du Rhin et de celle de la Sarmatie ; tu es au fait des ordres qu'a transmis par écrit le chef des Daces ; le laurier de la victoire n'est pas encore aux mains du général, que déjà tu l'as vu ; le ciel d'Égypte ne verse pas une fois ses eaux sur les noirs peuples de Syène, que tu n'en sois informé ; le nombre des vaisseaux sortis des ports de la Libye ne t'est jamais inconnu ; tu sais d'avance quelle tête César couronnera de l'olivier, et à quel vainqueur le père des dieux destine la guirlande triomphale. Épargne-toi ces inventions, Philomusus : tu souperas aujourd'hui chez moi, à condition que tu ne me contes pas de nouvelles. XXXVII. - ENTRETIEN DE JUPITER ET DE GANYMÈDE AU SUJET D'EARINUS ET DES AUTRES MIGNONS DE DOMITIEN Quand il vit le jeune enfant, gloire de l'Ausonie, déposer naguère sa chevelure, le mignon phrygien, connu pour faire les délices de l'autre Jupiter, dit à son maître : "Souverain du monde, permets à ton esclave adolescent de faire ce que César vient de permettre au sien. Déjà le premier duvet dont se couvre mon menton se cache sous mes longs cheveux, et Junon, pour se moquer de moi, m'appelle un homme. " - "Enfant chéri, lui réplique le père des dieux, ce n'est pas moi, mais la force des choses même, qui s'oppose à tes vœux. Notre bien-aimé César a mille serviteurs comme toi, et c'est à grand-peine que son vaste palais contient cette troupe céleste ; mais si le sacrifice de ta chevelure te donne l'air d'un homme, quel autre me versera le nectar ?" XXXVIII. - CONTRE GALLA Pendant que tu es chez toi, Galla, on s'occupe de ta parure dans la rue Suburra, où l'on est en train de friser les cheveux qui suppléent à ceux que tu n'as plus ; tu ôtes chaque soir tes dents comme ta robe ; tes attraits reposent dans cent boites diverses, et ton visage ne couche pas avec, toi ; tu t'avises pourtant de m'agacer avec le sourcil qu'on t'apporte le matin ; et tu oses montrer sans rougir ces secrets appas que les années ont blanchis, et que tu peux déjà compter au nombre de tes aïeux. Quoi qu'il en soit, tu me promets monts et merveilles ; mais ma mentule fait la sourde oreille ; et, toute borgne qu'elle est, elle te voit. XXXIX. - A AGATHINUS Agile Agathinus, quoique tu fasses un jeu des tours de force les plus difficiles, tu ne saurais pourtant laisser tomber ce bouclier. Il te suit malgré toi, et, à travers les airs, revient sans cesse se replacer ou sur ton pied, ou sur ton dos, ou sur tes fesses, ou sur ton doigt. En vain une pluie de safran a-t-elle rendu la scène glissante, en vain l'impétuosité du vent emporte-t-elle les toiles qui résistent, le bouclier se promène sur tes membres qui le reçoivent sans s'émouvoir, et ni le vent ni la pluie ne te font obstacle. Quelques efforts que tu fisses pour faillir, tu n'y parviendrais pas ; si tu laissais tomber ton bouclier, ce ne serait que par un tour d'adresse. XL. - SUR LE JOUR DE NAISSANCE DE CÉSONIA Ce jour est le premier qui se leva pour le dieu tonnant du mont Palatin, et Cybèle eût désiré qu'il fût jadis témoin de la naissance de Jupiter. C'est à la même époque que naquit, pour mon bien-aimé Rufus, la vertueuse Césonia. Il n'est pas de jeune fille qui doive plus à sa mère. Son mari se réjouit en pensant que, doublement favorisé dans l'accomplissement de ses vœux, il a deux motifs pour aimer ce jour. XLI. - SUR DIODORE ET SUR LE VOEU DE PHILÉNIS SON ÉPOUSE Diodore, ayant quitté Pharos pour venir recevoir à Rome la couronne de chêne, Philénis fit vœu, pour le retour de son époux, de se faire lécher par une jeune fille bien innocente, telle que les aiment les chastes Sabines. Une affreuse tempête ayant mis son vaisseau en pièces, Diodore, submergé et presque englouti par les flots, se sauva pourtant à la nage, grâce à ce vœu. O mari trop lent et trop paresseux !- Si ma belle eût prononcé, du rivage, un pareil vœu, comme je me serais hâté de revenir ! XLII. - CONTRE PONTICUS Ponticus, parce que tu ne pratiques pas les exercices amoureux, que tu fais de ta main, qui te sert de maîtresse, l'instrument de tes plaisirs, tu ne crois pas mal faire ? Sache donc que c'est un crime abominable, un crime tel que tu n'en peux concevoir l'énormité. Horace, d'un seul coup, a donné la vie à trois héros, et, d'un seul coup aussi, Mars a rendu la chaste Ilia, mère de deux enfants. C'en était fait de nous tous si chacun d'eux, se suffisant à lui-même, eût demandé à ses mains de sales et honteuses jouissances. Crois-en la nature elle-même, qui te crie : "Ce que tu gaspilles avec tes doigts, Ponticus, c'est un homme. " XLIII. - PRIÈRE À APOLLON EN FAVEUR DE SON AMI STELLA Puisses-tu, Apollon, dans les champs Myriniens, jouir à jamais de tes antiques cygnes ! Que les doctes sœurs s'empressent à te servir ! que les oracles de Delphes ne trompent jamais personne ! que ta divinité soit toujours honorée et chérie dans le palais des princes ! Et fais que César, prompt à exaucer ma prière, accorde à Stella les douze faisceaux ! Heureux alors et engagé envers toi par un vœu sacré, j'irai immoler, au pied de tes rustiques autels, un jeune taureau aux cornes dorées. Que tardes-tu, Phébus ? La victime est déjà née. XLIV. - SUR UNE STATUE D'HERCULE Ce dieu si grand, malgré l'exiguïté de son image d'airain, ce dieu qui est assis sur ce marbre dont il adoucit la rudesse avec sa peau de lion ; qui, le visage tourné vers les astres, regarde le ciel qu'il a porté ; qui serre de sa main gauche une massue, et de sa droite une coupe de vin ; ce dieu n'est point une célébrité de nos jours, une gloire de nos contrées : ce fut un noble présent, chef-d'œuvre de Lysippe. Jadis il figura sur la table du tyran de Pella, sitôt enseveli sous la terre qu'il avait conquise. Annibal enfant l'avait adjuré sur les autels de la Libye, et c'est lui qui ordonna au farouche Sylla de déposer le pouvoir suprême. Indigné de l'orgueilleux despotisme qui règne dans les cours, Hercule se fait un plaisir d'habiter aujourd'hui la demeure d'un simple citoyen, et, comme il alla jadis s'asseoir à la table du paisible Molorchus, il veut être de même le dieu du savant Vindex. XLV. - SUR LA MÊME STATUE Dernièrement je demandais à l'Alcide de Vindex quel était l'habile artiste qui l'avait fait. Il se prit à rire (c'est assez son habitude), et, avec un léger mouvement de tête, il me dit : « Poète, ne sais-tu pas le grec ? Regarde mon piédestal et tu y verras un nom. » Lysippe, ai-je lu ; je pensais y lire Phidias. XLVI - A MARCELLINUS Tu vas porter tes armes, Marcellinus, vers les climats hyperboréens, et braver les astres paresseux du ciel de la Gétie. Tes yeux verront de près le roc de Prométhée, et ce mont illustré par tant de récits. Lorsque tu contempleras ces rochers ébranlés par les cris sans fin du vieillard, tu diras : "Ils étaient moins durs que lui." Et tu pourras encore ajouter : "Celui qui a pu souffrir de pareils tourments pouvait aussi former le genre humain." XLVII. - CONTRE GELLIUS Gellius bâtit sans cesse : aujourd'hui il pose une porte, demain il achète une serrure, puis il s'occupe d'y adapter une clef. Ses fenêtres, il les place, les déplace, et les refait ensuite. Il n'y a rien que Gellius ne fasse, pourvu qu'il bâtisse ; et cela afin de pouvoir dire à un ami qui lui demande de l'argent, ce seul mot : "Je bâtis. " XLVIII. - CONTRE PANNICUS Tu parles de Démocrite, de Zénon, de l'énigmatique Platon, et de tous ceux qu'on représente avec des figures hérissées de barbe, comme si tu étais le successeur et l'héritier de Pythagore ; et cependant une barbe non moins longue ombrage ton menton. Mais ce membre, si lent à s'émouvoir chez un vieux bouc, et si laid chez les hommes velus, tes fesses ramollies aiment cependant à en sentir la dureté. Toi, qui connais si bien l'origine et les doctrines des différentes sectes, dis-moi, Pannicus, à quel dogme appartient ce goût-là. XLIX. - CONTRE GARRICUS Tu m'as juré par tes dieux et par ta tête, Garricus, que je serais héritier d'un quart de ton bien ; je l'ai cru (doute-t-on jamais de ce qu'on désire ?), et je me suis entretenu dans cet espoir en t'offrant de continuels présents. Je t'ai envoyé entre autres un sanglier de la forêt de Laurente, et si gros, qu'on l'eût pris pour celui de Calydon. Soudain tu as convié peuple et sénateurs, et nos gourmets ont encore dans la bouche le goût de mon sanglier. Et moi (qui le croirait ?) je n'ai pas même eu la dernière place à table, on ne m'a pas même envoyé une côtelette ou un bout de queue. Le moyen, Garricus, de compter sur ton quart, quand tu ne m'as même pas offert une once de mon sanglier. L. - SUR UNE TOGE QUE LUI AVAIT DONNÉE PARTHENIUS La voilà cette toge que j'ai si souvent chantée dans mes vers ; dont mes lecteurs savent l'histoire et qu'ils aiment. Jadis, ô présent mémorable, elle me fut donnée par le poète Parthenius. Elle rehaussait ma qualité de chevalier, quand sa laine, neuve encore, brillait de tout son lustre, quand elle était digne, par sa jeunesse, du nom de son donateur. Vieille maintenant, au point qu'un gueux, transi de froid, n'en voudrait pas, on pourrait à bon droit l'appeler une robe de neige. O longue suite des jours, ô années, que ne détruisez-vous pas ! Cette toge n'est plus celle de Parthenius, c'est la mienne. LI. - CONTRE GAURUS Tu prétends que je suis un petit génie, Gaurus, parce que je fais des ouvrages qui plaisent par leur brièveté ; je te l'accorde ; mais toi, qui racontes en vingt livres les combats de Priam, tu es un grand homme. Moi, je peins au naturel le mignon de Brutus et Lagon ; toi, grand homme, tu fais un géant d'argile. LII. - SUR LUCANUS ET TULLUS Ce que tu demandais constamment aux dieux, en dépit de ton frère, tu l'as obtenu, Lucanus : tu es mort avant lui. Mais lui te porte envie ; car, bien qu'il fût le plus jeune, il voulait aller le premier visiter les bords du Styx : Maintenant que tu habites l'Élysée et ses riants bocages, pour la première fois tu désires de rester séparé de ton frère ; et si l'un des deux gémeaux vient à descendre du séjour brillant des astres, tu conseilles à Castor de ne point venir remplacer Pollux. LIII. - A QUINTUS OVIDIUS Crois-moi, Quintus, j'aime (car tu le mérites) les calendes d'avril, époque de ta naissance, autant que celles de mars, époque de la mienne. O jours heureux tous deux et dignes d'être notés parmi les meilleurs ! L'un m'a donné la vie, l'autre un ami. C'est à tes calendes, Quintus, que je dois le plus. LIV.-- AU MÊME Je voulais, Quintus, te faire un petit présent pour ton jour de naissance ; tu m'en empêches ; c'est de la tyrannie. Il faut t'obéir ; mais, pour que nous soyons tous deux servis à souhait n'oublie pas, Quintus, qu'en me donnant quelque chose, tu feras plaisir à tous deux. LV. - A SON COUSIN
Si j'avais à ma disposition les grives que le Picenum engraisse de ses olives ;
s'il m'était permis de tendre mes filets dans les bois, de la Sabine ; s'il
suffisait d'allonger mon roseau pour amener une proie légère, ou d'apprêter mes
gluaux pour que maint oiseau vînt s'y prendre, je t'enverrais le cadeau consacré
par l'usage pour fêter un parent qui m'est cher de préférence même à mon frère
et à mon aïeul : mais nos campagnes n'entendent que le maigre étourneau, les
plaintes du pinson, et le chant aigu du passereau qui fête le printemps. Ici le
laboureur répond au salut de la pie, là-bas on voit le milan ravisseur s'enlever
pour monter au faîte des airs. Je me borne donc à t'offrir LVI. - A FLACCUS En ce jour, fête des parents, et où se donnent tant d'oiseaux, tandis que je prépare des grives pour Stella et pour toi, Flaccus, je vois accourir chez moi une foule d'importuns qui se disent chacun mon meilleur ami. Je voudrais être agréable à deux personnes ; il serait imprudent de fâcher les autres ; faire des cadeaux à tous est par trop onéreux. Eh bien ! le seul moyen de contenter tout le monde, je le prendrai : je ne donnerai, Flaccus, de grives ni à Stella ni à toi. LVII - SUR SPENDOPHORUS Spendophorus, l'écuyer de César, part pour la Libye. Prépare Cupidon, prépare pour cet enfant les traits dont tu perces les cœurs des jeunes garçons et des tendres jeunes filles ; que sa main délicate, cependant, soit armée d'une lance légère : quant à la cuirasse, au bouclier et au casque, garde-les pour toi. Pour qu’il se batte avec plus d'avantage, il faut qu'il se présente nu. Parthenopéus échappa aux atteintes du javelot, du glaive et de la flèche, tant que sa tête resta découverte. Quiconque sera blessé par Spendophorus mourra d'amour. Heureux ceux à qui est réservé un destin si doux ! Hâte-toi de revenir pendant que tu es encore dans l'adolescence, pendant que ton visage a tout son charme et toute sa fraîcheur. Que ce soit Rome, et non la Libye, qui te voie devenir homme ! LVIII. - CONTRE HEDYLUS Il n'est rien de si usé que la casaque d'Hedylus ; les anses des vieux vases de Corinthe, la jambe desséchée par dix ans de fers, le cou écorché d'une mule morte à la peine, les saillies de la voie Flaminienne, le galet qui brille sur le rivage, le hoyau que le Toscan a poli en fouillant sa vigne, la toge déteinte dont on recouvre un gueux après sa mort, la roue fatiguée du chariot lentement conduit par le muletier, le flanc dépouillé du bison frotté contre les murs de l'étable, la plus vieille dent du farouche sanglier, tout cela n'en approche pas. Hedylus a pourtant, et il n'oserait le nier, quelque chose de plus usé que sa casaque c'est son derrière. LIX. - A LA NYMPHE DE SABINUS Reine d'une onde sacrée, Nymphe à qui la pieuse munificence de Sabinus a consacré un temple aussi gracieux que solide ; puisse la montueuse Ombrie continuer d'honorer tes sources, et ta chère Sarsine ne lui préférer jamais les eaux de Baies ! Reçois avec bonté le don de mes écrits ; ils sont jaloux de ton suffrage ; tu deviendras pour ma muse la fontaine de Pégase. Celui qui fait hommage de ses vers aux temples des Nymphes indique lui-même ce qu'on doit faire de ses ouvrages. LX. - CONTRE MAMURRA Après s'être longtemps et beaucoup promené dans le vaste enclos où, toute rayonnante d'or, Rome étale ses richesses, Mamurra passe en revue les jeunes esclaves et les dévore des yeux ; non pas ceux qui sont exposés sur le devant des boutiques, mais ceux qui sont tenus en réserve dans des loges soigneusement cachées, et que ne voient ni le peuple ni les gens de ma sorte. Rassasié de ce spectacle, il ouvre un buffet, découvre une table ronde, puis demande un beau meuble d'ivoire qu'on a placé tout en haut, et, après avoir pris quatre fois la mesure d'un lit à six places incrusté d'écaille, il se désole de ce qu'il n'est pas assez grand pour sa table de citronnier. Il consulte son nez, pour s'assurer si ces vases sentent l'airain de Corinthe ; et on l'entend, ô Polyclète, critiquer tes statues ! Tout en se plaignant qu'on ait gâté des cristaux en y mêlant un peu de verre, il a désigné et mis de côté dix cassolettes à myrrhe. Il marchande des corbeilles antiques, et, s'il s'en trouve, des coupes du célèbre Mentor ; il compte les émeraudes qui ornent un vase d'or, sans négliger ces magnifiques perles qui résonnent aux blanches oreilles de nos belles, cherche sur chaque tablette de véritables sardoines, et met un prix aux jaspes les plus gros. Enfin lorsque, vers la onzième heure, la fatigue le force à se retirer, il achète deux gobelets qu'il paye un as, et il les emporte. LXI. - ENVOI D'UNE COURONNE DE ROSES A SABINUS Soit que tu viennes de Paestum ou de la campagne de Tibur ; soit que l'incarnat de tes roses ait brillé sur la terre de Tusculum, ou qu'une villageoise t'ait cueillie dans les jardins de Préneste ; soit que tu aies fait la gloire des plaines de la Campanie ; pour que tu paraisses plus belle à notre ami Sabinus, couronne, laisse-lui croire que tu as poussé sur mes rosiers de Nomentum. LXII. - SUR LE PLATANE DE CÉSAR Dans les champs Tartessiens, aux lieux où l'opulente Cordoue aime à voir couler paisiblement le Bétis ; aux lieux où, revêtues toutes vivantes d'une couche d'or, les toisons des troupeaux de l'Hespérie brillent des feux de ce métal, il est un palais connu de tout le monde, au sein duquel s'élève le platane de César, ce platane qui de ses épais ombrages couvre tous les édifices qui l'entourent. Planté par l'heureuse main de cet hôte invincible, c'est encore grâce à elle qu'il a commencé de croître : on dirait que cette espèce de forêt reconnaît son créateur et son maître, tant sa verdure est belle, tant ses rameaux s'élancent vers les cieux. Souvent les Faunes, animés par le vin, ont folâtré le soir à l'ombre de ses rameaux, et les sons de leur flûte ont troublé le silence du palais ; souvent la Dryade, fuyant à travers la solitude des champs les poursuites nocturnes de Pan, est venue chercher un refuge sous son rustique feuillage ; souvent enfin les lares qu'elle abrite ont exhalé l'odeur des libations de Bacchus, et ses ombrages ont dû au vin répandu sur le sol de pousser avec plus de vigueur. Souvent le gazon se joncha de couronnes de roses, et nul ne put dire le lendemain qu'il les y eût déposées. Arbre chéri des dieux, arbre du grand César, ne redoute ni la hache ni la flamme sacrilège. Tu peux prétendre à la gloire d'un feuillage éternel ; car ce ne sont pas des mains pompéiennes qui t'ont planté. LXIII. - SUR PHILÉNIS Si Philénis porte nuit et jour des vêtements de pourpre, ne croyez pas que ce soit par ambition ou par orgueil ; c'est l'odeur qu'elle en aime, non la couleur. LXIV. - CONTRE PHÉBUS Tous les débauchés t'invitent à souper chez eux, Phébus ; celui qui vit de sa mentule n'est pas, je pense, un homme pur. LXV. - SUR UNE STATUE DE CÉSAR DOMITIEN César, après avoir daigné descendre jusqu'à prendre la figure du grand Hercule, fonde un temple nouveau sur la voie Latine, dans le lieu où le voyageur qui va visiter le bois sacré de Diane s'aperçoit qu'il est à huit bornes de la ville reine du monde. Cet Alcide, qu'on honorait auparavant par des offrandes et par des flots de sang, est aujourd'hui forcé de s'incliner devant un autre Alcide plus grand que lui. A celui-ci les uns demandent des richesses, les autres des honneurs ; à l'autre on peut, en toute sécurité, adresser des vœux plus modestes. LXVI. - A HERCULE AU SUJET DE LA MÊME STATUE Alcide, toi que le Jupiter latin doit enfin reconnaître, depuis que tu t'es approprié la noble figure du dieu César, si tu avais possédé ce port et ces traits, lorsque tant de monstres redoutables tombèrent sous tes coups, les peuples ne t'eussent pas vu obéir en esclave au tyran de l'Argolide, et subir sa cruelle domination. Eurysthée, au contraire, eût reçu ta loi, et le fourbe Lichas ne t'eût pas apporté le perfide présent de Nessus. Affranchi des rigueurs du bûcher de l'Oeta, tu fusses monté sain et sauf aux cieux où règne ton père ; tu n'aurais point, dans la Lydie, tourné le fuseau d'une maîtresse orgueilleuse ; tu n'aurais vu ni le Styx ni le chien qui garde les enfers. Aujourd'hui, Junon t'est propice, et ton Hébé te chérit ; aujourd'hui, si la Nymphe qui causa tes pleurs te voyait, elle te rendrait ton Hylas. LXVII. - A FABULLUS A quoi bon, Fabullus, lorsque tu possèdes une femme jeune, belle et vertueuse, solliciter les droits de père de trois enfants ? Ce que tu demandes avec tant d'instances à notre maître, à notre dieu, tu l'obtiendras de toi-même, si tu sais être homme. LXVIII. - CONTRE ESCHYLUS J'ai possédé toute la nuit une piquante jeune fille qui n'a pas son égale en fait d'espiègleries. Las de mille ébats amoureux, je lui propose de faire le petit garçon ; sans se faire prier, au premier mot, elle accepte. Bientôt après, moitié riant, moitié rougissant, je lui ai demandé quelque chose de pis ; sans hésiter, la libertine me l'a promis : cependant elle est sortie pure de mes mains. Elle ne sortira pas ainsi des tiennes, Eschylus, mais, si tu veux de ce trésor, il faut y mettre le prix. LXIX. - CONTRE UN MAÎTRE D'ÉCOLE Qu'avons-nous à démêler avec toi, coquin de maître d'école, tête odieuse aux jeunes garçons et aux petites filles ? Le coq, à la crête altière n'a pas encore chanté, que déjà ta détestable voix et ton fouet nous étourdissent. L'airain ne résonne pas avec plus de fracas sur l'enclume du forgeron qui met en selle la statue d'un avocat ; moins bruyantes sont, dans le grand Amphithéâtre, les clameurs frénétiques des partisans d'un gladiateur victorieux. Tes voisins ne te demandent pas de les laisser dormir toute la nuit ; car c'est peu de chose que quelques heures de veille, mais veiller sans cesse est un supplice. Renvoie tes écoliers. Veux-tu, bavard maudit, que l'on te donne pour te taire autant que tu reçois pour brailler ? LXX. - CONTRE POLYCHARMUS Quand tu besognes une femme, Polycharmus, aussitôt la chose faite, tu cours vider ton ventre. Quand on te besogne, que fais-tu, Polycharmus? LXXI. - CONTRE CÉCILIANUS O temps ! ô mœurs ! s'écriait jadis Cicéron, lorsque Catilina tramait ses complots sacrilèges, lorsque le gendre et le beau-père se livraient d'affreux combats, et que la terre désolée était inondée du sang des guerres civiles. Pourquoi répéter aujourd'hui : O temps ! ô mœurs ! Qu'y a-t-il qui te fâche, Cécilianus ? Nulle part on ne voit nos chefs se déchirer, nulle part le fer exercer ses fureurs ; nous jouissons d'une paix pleine de sécurité et de tout le bonheur possible. Ce ne sont pas nos mœurs qui déshonorent ces temps dont tu te plains ; ce sont les tiennes, Cécilianus. LXXII. - SUR UN LION ET UN BÉLIER C'est chose admirable que l'attachement qui unit ce lion, orgueil des monts Massyliens, et ce bélier. Voyez comme ils habitent la même loge, comme ils mangent ensemble les mêmes aliments ! Ils dédaignent les produits des forêts et les doux pâturages : une simple brebis sert à assouvir leur commune faim. Qu'ont fait de si méritoire la terreur de Némée, le ravisseur d'Hellé, pour briller dans le ciel au rang des constellations ? Si les bêtes fauves, si les bêtes à laine peuvent mériter de prendre place parmi les astres, c'est ce bélier, c'est ce lion, qu'il faudrait choisir. LXXIII. - A LIBER Liber, toi dont le front a ceint la couronne d'Amyclée, dont la main romaine frappe des coups dignes de la Grèce, lorsque tu m'envoies à diner dans un panier bien fermé, pourquoi ne joins-tu pas au tout une bouteille ? Si tu faisais des présents dignes du nom que tu portes, tu n'ignores pas, je pense, ce que tu aurais à me donner. LXXIV. - CONTRE UN SAVETIER Toi qui passais ta vie à allonger de vieux cuirs avec tes dents, et à mordre des semelles usées et pourries par la boue, tu possèdes aujourd'hui, grâce à tes extorsions, le domaine de Préneste, qui appartenait à ton patron, domaine dont le moindre recoin est trop beau pour toi. Exalté par les brûlantes vapeurs du Falerne, tu brises les cristaux, et tes désirs cuisants s'adressent au Ganymède de ton maître. Et moi, mes sots parents m'ont fait étudier les lettres ! Qu'avais-je besoin des grammairiens et des rhéteurs ? Brise ta plume légère, déchire tes livres, ô ma Muse, puisqu'un soulier peut donner tout cela à un savetier ! LXXV. - SUR LE PORTRAIT DE CAMONUS La peinture ne nous a transmis que les premiers traits de Camonus, alors qu'il était au berceau. Son père n'a pas permis qu'il fût représenté à la fleur de l'âge, tant il craignait, dans sa tendresse, la vue d'un visage muet. LXXVI. - SUR LE BAIN DE TUCCA Tucca n'a pas construit son bain en pierre de taille, ni en moellons de bâtisse, ni avec cette brique cuite dont Sémiramis se servit pour élever la vaste enceinte de Babylone ; mais avec la dépouille des forêts, avec des pins assemblés, afin qu'il pût, au besoin, se servir de ce bain en guise de navire. De plus, il a élevé, dans sa magnificence, des thermes somptueux, pour lesquels ont été réunies toutes les espèces de marbres : ceux de Carystos, ceux des carrières de Synnas, ceux de Numidie, et ceux que l'Eurotas a baignés de ses eaux limpides ; mais il y manque du bois : Tucca, place ton bain sous les thermes. LXXVII. - SUR LE PORTRAIT DE CAMONUS Ce portrait est celui de mon cher Camonus. Tel il était dans son enfance, et voilà ses premiers traits. Vingt années avaient développé l'homme ; déjà un léger duvet se plaisait à orner ses joues, que le rasoir avait déjà effleurées. Jalouse de tant de charmes, une des trois Parques coupa la trame de sa vie, et une urne funéraire porta sa cendre à son père absent. Je n'ai pas voulu que la peinture fût seule à parler de cet aimable enfant ; mes vers donneront plus de vie et de durée à son image. LXXVIII. - SUR LE FESTIN DE PRISCUS Priscus, dans des pages éloquentes, discute sur ce qui constitue le meilleur festin. Tantôt gracieux, tantôt sublime, il parle toujours savamment. Vous demandez quel est le meilleur festin ? c'est celui où il n'y a pas de joueur de flûte. LXXIX. - A PICENTINUS Après avoir enterré sept maris, Galla est devenue ta femme Picentinus : Galla, la chose est claire, veut aller rejoindre ses maris. LXXX. - A DOMITIEN Naguère Rome détestait les serviteurs de ses princes, leurs grands officiers, et l'orgueil des courtisans : maintenant, Auguste, on a tant d'amour pour ceux qui t'entourent, que la première pensée de chacun n'est plus pour sa maison. Telle est leur douceur, leur déférence pour tous, leur bonté, leur modestie, qu'on peut dire des personnes attachées à César (comme il arrive toujours dans une cour puissante), qu'elles n'ont plus d'autre caractère que celui de leur maître. LXXXI. - SUR GELLIUS Pressé par la misère et par la faim, Gellius a épousé une femme vieille et riche : maintenant Gellius mange et besogne. LXXXII. - A AUCTUS Ceux qui lisent et entendent lire mes ouvrages, les trouvent bons, Auctus ; mais certain poète leur refuse ce mérite. Je m'en soucie fort peu ; j'aime mieux que les mets servis sur ma table aient l'approbation de mes convives que celle des cuisiniers. LXXXIII. - CONTRE MUNNA Un astrologue avait prédit que tu mourrais vite, Munna, et je ne crois pas qu'il t'ait trompé ; car, dans la crainte de rien laisser après toi, tu as épuisé en prodigalités l'héritage de tes pères : deux millions de sesterces ont passé en moins d'un an. Dis-moi, Munna, n'est-ce pas là mourir vite? LXXXIV. - A CÉSAR DOMITIEN Si, à l'aspect des merveilles de ton amphithéâtre, qui surpasse toutes les munificences des anciens maîtres de Rome, les yeux sont forcés de reconnaître qu'ils te doivent beaucoup, César, les oreilles te doivent plus encore, puisque ceux qui figuraient jadis comme acteurs sont aujourd'hui spectateurs muets. LXXXV. - A NORBANUS Norbanus, tandis que ta pieuse fidélité défendait César notre maitre contre de sacrilèges fureurs, assis à l'ombre des bocages chers aux Muses, et fier de cultiver ton amitié, je me livrais paisiblement aux jeux de la poésie. Un Rhétien te disait mes vers au fond de la Vindélicie, et l'Ourse apprenait ainsi à connaître mon nom. O combien de fois, te rappelant ton ancien ami, tu t'es dit : C'est bien lui, c'est bien mon poète ! Ces poésies, que le lecteur, pendant six ans, n'a offertes qu'en détail à ton oreille, l'auteur t'en offre aujourd'hui le recueil. LXXXVI. - SUR PAULLUS Lorsque notre ami Paullus est souffrant, ce n'est pas lui, Atilius, mais ses convives, qu'il condamne à l'abstinence. Ce mal subit n'est qu'une comédie, Paullus ; c'est ma sportule qui est morte. LXXXVIL - SUR LA MORT DE SEVERUS SILIUS Tandis que Silius, dont l'éloquence brille dans plus d'un genre, se désolait de la fin prématurée de son cher Severus, je mêlais mes regrets à ceux des Muses et d'Apollon. Moi aussi j'ai pleuré mon Linus, disait Apollon ; et, se tournant vers sa sœur Calliope, qui était près de lui : - "Toi-même, lui dit-il, ton cœur a, comme le mien, sa blessure. " Vois le dieu qu'on adore au Capitole, vois celui qui règne au mont Palatin ; Lachésis, dans sa coupable audace, a frappé au cœur l'un et l'autre Jupiter. Quand on voit, les dieux soumis comme nous aux dures lois du destin, comment peut-on les accuser d'injustice ? LXXXVIII. - A LUPERCUS C'est au moment où j'ai vidé sept grands verres d'Opimianus, et laissé ma parole avec ma raison au fond d'un pot de quatre cyathes, que tu m'apportes je ne sais quelles tablettes, en me disant : - Je viens d'affranchir Nasta (le jeune esclave qui me vient de mon père) ; signe. - Mieux vaudra demain, Lupercus je réserve aujourd'hui mon cachet pour la bouteille. LXXXIX. - A RUFUS Quand tu cherchais à gagner mes bonnes grâces tu m'envoyais force présents ; depuis que tu les as gagnées, Rufus, tu ne m'envoies plus rien. Pour me retenir, il faut me faire des présents ; sinon le sanglier mal nourri s'échappera de sa loge. XC. - A STELLA C'est trop de cruauté, Stella, de forcer ton convive à faire des vers ; car c'est lui permettre d'en faire de mauvais. XCI. - A FLACCUS Couché sur un gazon émaillé de fleurs, près d'un ruisseau qui, dans sa course vagabonde, roule ses cailloux d'une rive à l'autre ; libre des fâcheux, le front ceint d'une couronne de roses, savoure à ton aise un vin rafraîchi par la glace, jouis du bonheur de posséder à toi seul un joli garçon, et d'exciter les désirs d'une vierge pudique ; mais, je te le conseille et je t'en conjure, Flaccus, défie-toi des chaleurs excessives de la perfide Chypre, lorsque l'aire retentira du bruit des moissons broyées, et que le Lion secouera sa redoutable crinière. Et toi, déesse de Paphos, rends-nous, rends sain et sauf à nos vœux ce jeune homme. Et puissent les calendes de mars t'être toujours consacrées ! Puissent, avec l'encens, le vin et les victimes, de nombreux gâteaux t'être offerts sur tes blancs autels ! XCII. - FLATTERIE ADRESSÉE A DOMITIEN Si l'on venait m'inviter en même temps à souper aux deux Olympes, ici avec César, et là-haut avec Jupiter, le ciel fût-il plus près, et le palais impérial plus loin, voici la réponse que j'enverrais aux dieux : "Cherchez un convive qui préfère être le convive de votre Jupiter ; mon Jupiter, à moi, me retient ici-bas." XCIII. - A CONDYLUS Condylus, tu ne sais quels sont les ennuis d'un maître et les avantages d'un serviteur, toi qui gémis de rester si longtemps dans la servitude. La plus misérable natte t'assure un sommeil paisible, et Caïus couche sur la plume sans pouvoir fermer l'oeil. Dès le point du jour, Caïus va saluer en tremblant une multitude de maîtres ; toi, Condylus, tu ne salues pas même le tien. "Caïus, rends-moi ce que tu me dois," crient Phébus d'un côté et Cinnamus de l'autre ; personne, Condylus, ne t'en dit autant. Tu as peur des corrections ; mais Caïus est rongé par la goutte aux pieds et aux mains, et il aimerait mieux recevoir mille coups de fouet. Tu ne vomis pas le matin, tu ne prostitues pas ta langue à de honteux offices ; n'aimes-tu pas mieux être toi-même que d'être trois fois Caïus ? XCIV. - A CALOCISSUS Jeune esclave, pourquoi cesses-tu de verser l'immortel Falerne ? Puise au plus vieux tonneau, et, remplis six fois ma coupe. Maintenant sais-tu, Calocissus, pour quel dieu je te presse de verser six cyathes ? Pour César. Que dix couronnes de roses soient préparées pour nos têtes, autant qu'a de lettres le nom de celui qui éleva un temple à son auguste race. Après cela, donne-moi deux fois cinq baisers, autant qu'il faut de lettres pour former le surnom que notre dieu rapporta des régions du Nord. XCV. - SUR HIPPOCRATE Hippocrate m'a donné une potion d'herbe de Saintonge, le misérable ! et il me demande en échange du vin miellé. Tu ne fus pas aussi sot, à ce que je crois, Glaucus, lorsque pour de l'airain tu donnas de l'or. Il veut du doux pour de l'amer, il l'aura ; mais à condition de le boire avec de l'ellébore. XCVI. - SUR ATHÉNAGORAS Athénagoras était Alfius ; il est devenu Olfius en se mariant. Crois-tu, Callistrate, que ce nom d'Athénagoras soit un vrai nom ? je veux mourir si je sais ce que c'est qu'Athénagoras. - Mais, Callistrate, je crois dire un nom véritable. - Alors ce n'est pas moi qui me trompe, c'est votre Athénagoras. XCVII. - SUR HÉRODE Le médecin Hérode vola le gobelet d'un de ses malades ; pris sur le fait : "Imbécile, dit-il, pourquoi veux-tu boire ?" XCVIII. - A JULIUS Certain personnage crève de jalousie, mon cher Julius, de ce que Rome lit mes vers, il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que partout on me signale du doigt, il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que deux Césars m'ont reconnu les droits d'un père de trois enfants, il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que j'ai une charmante maison de campagne aux portes de la ville et un pied-à-terre à la ville, il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que je suis chéri de mes amis et de ce qu'on m'invite souvent à souper, il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce qu'on m'aime et m'applaudit. Puisse-t-il crever celui qui crève de jalousie ! XCIX. - A Q. OVIDE Le produit des vendanges n'a pas été nul partout, Ovide ; on a mis à profit les grandes pluies. Coranus a fait cent amphores d'eau. C. - A ATTICUS SUR MARCUS ANTONIUS Si j'en dois croire sa lettre flatteuse, Marcus Antonius aime mes vers, cher Atticus ; Marcus, dont la savante Toulouse s'honorera toujours, et qui naquit au sein du calme, fils de la paix. Toi qui peux supporter les frais d'une longue route, pars, mon livre, gage d'une amitié qui résiste à l'absence. Tu ne vaudrais pas grand chose, je l'avoue, si tu étais acheté, mais, ce qui te donne du prix, c'est d'être un présent de l'auteur. Il est bien différent, crois-moi, de boire d'une eau courante, ou d'une eau qui dort dans un lac immobile. CI. - CONTRE BASSUS Tu veux, Bassus, que, pour un repas de trois deniers, je vienne dès le matin, vêtu de ma toge, me morfondre dans ton antichambre ; et qu'ensuite, attaché à tes côtés, ou précédant ta chaise, je t'accompagne chez dix ou douze veuves. Ma pauvre toge est usée sans doute, elle est bien misérable, bien sale et bien rapetassée ; telle qu'elle est cependant, je n'en aurais pas, Bassus, une pareille pour trois deniers. CII. - FLATTERIES ADRESSÉES A DOMITIEN Voie Appienne, que consacre la présence de César sous la figure d'Hercule, ô toi ! de toutes les voies de l'Ausonie la première, si tu veux connaître les exploits de l'ancien Alcide, écoute-moi : Il soumit la Libye, enleva les Pommes d'or, dénoua la ceinture de l'Amazone, que protégeait le bouclier scythe; unit la dépouille du Sanglier d'Arcadie à celle du Lion de Némée ; délivra les forêts de la Biche aux pieds d'airain, et les airs des oiseaux de Stymphale ; revint des bords du Styx avec Cerbère enchaîné ; mit un terme à la fécondité de l'Hydre, qui renaissait de la mort ; fit baigner dans les eaux de la Toscane les bœufs de l'Hespérie. Voilà pour le moins grand des deux Alcides. Apprends maintenant ce qu'a fait le plus grand, celui qu'on adore à six milles d'Albe : Il a purgé le palais impérial d'un pouvoir détesté ; il a voué ses premières armes au Jupiter qui le protégeait ; bientôt, maître du pouvoir, il le résigna, se contentant de la troisième place dans cet univers qui lui appartenait. Trois fois franchissant l'Ister, il a dompté le perfide Sarmate ; et trois fois dans les neiges de la Gétie il a plongé son coursier baigné de sueur. Quoiqu'il ait bien des fois refusé les honneurs du triomphe, vainqueur, il a rapporté un nom glorieux des contrées hyperboréennes. Les dieux lui doivent des temples, les peuples la régénération de leurs mœurs, le glaive le repos dont il jouit, sa famille la place qu'elle occupe parmi les astres, les cieux de nouvelles splendeurs, et Jupiter un surcroît de couronnes. C'est trop peu de la divinité d'Hercule pour de si grandes actions ; c'est au Jupiter du Capitole à emprunter les traits de César. CIII. - A PHÉBUS Tu m'as rendu, Phébus, un billet de quatre cent mille sesterces ; mieux eût valu m'en prêter cent autres. Cherche quelque autre auprès de qui tu puisses te vanter d'un aussi mince service ; ce que je ne puis te payer, Phébus, est à moi. CIV. - SUR DES FRÈRES JUMEAUX Quelle est la nouvelle Léda qui t'a donné deux serviteurs aussi semblables ? quelle est la Lacédémonienne dont un nouveau cygne a surpris la nudité ? Pollux a donné ses traits à Ilerius, et Castor à Asillus ; et sur le visage de tous deux brille la beauté de la sœur de Tyndare. Si tant de charmes eussent paru dans Amyclée, quand de moindres avantages causèrent la défaite de deux déesses, tu fusses restée dans ton palais, Hélène, et Pâris fût revenu en Phrygie avec ces deux Ganymèdes. III. Pauper amicitiae. Pour pauper in amicum. Le poète reproche à Lupus ses prodigalités excessives envers sa maîtresse, et son ignoble avarice envers ses amis. XI. Liber non potes, et gulosus esse. "Tu ne peux être à la fois homme libre et parasite." Bien que les grands et les riches voulussent avoir des parasites, ils les traitaient de la manière la plus humiliante. En effet, ceux-ci, par leurs fades adulations, par la bassesse de leurs sentiments el par leur honteuse intempérance, s'étaient rendus si vils et si ridicules, que les poètes comiques mettaient presque toUjours dans leurs pièces un parasite, comme un personnage plat et bouffon. Martial avertit donc Cantharus qu'il ne lui sied pas de faire le rodomont, en satisfaisant sa gourmandise aux dépens des autres. XIX. Est mihi, etc. Martial possédait près de Rome une petite campagne, et dans la ville une petite maison. Comme celle-ci surtout manquait d'eau, il prie Domitien de lui faire présent de la somme nécessaire pour y faire venir, au moyen d'un conduit, de l'eau d'une fontaine voisine. XXXI. Rettulit ossa. Les Romains avaient coutume de rapporter dans leur patrie les cendres de leurs amis et de leurs proches morts en pays étranger, et les femmes elles-mêmes accomplissaient ce pieux devoir. Tacite nous apprend (Ann., liv. III. ch. I, 2), qu'Agrippine rapporta de la Syrie à Rome les cendres de Germanicus. Quelquefois ce transport devenait tout à fait obligatoire, par suite d'une disposition testamentaire de ceux qui mouraient ainsi en terre étrangère. C'est ce qu'on voit par plusieurs inscriptions. XXXIII. Palliolata. Le Palliolum, espèce de capuchon qui enveloppait la tête et les épaules jusqu'au coude, était une marque de débauche et de mollesse, comme on le voit par ces vers d'Ovide :
Arguat et macies animum : nec turpe putaris Burdigali. Nom imaginaire d'un personnage riche et sot. Ce nom est formé des mots burdus gallus, c'est-à-dire stultus gallus. Martial, qui était espagnol, s'égaye en plus d'un endroit aux dépens des Gaulois, et se moque de leur flegme, à peu près comme nous nous moquons de celui des Anglais. LXIX. Causidicum medio quum faber aptat equo. Les avocats avaient coutume, à cette époque, de s'ériger eux-mêmes une statue équestre à l'entrée de leurs maisons, ce qui leur attirait beaucoup de clients, et les mettait à même de se faire payer plus cher. Cette particularité des mœurs du temps est mentionnée par Juvénal :
Aemilio dabitur; quantum licet, et melius nos LXXIX. Sequi vult... Galla viros. " Galla veut suivre les maris qu'elle a empoisonnés ; " c'est-à-dire qu'elle sera empoisonnée elle-même par Picentinus. |