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 MARTIAL

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petit livre sur les spectacles epigrammes attribuées à Martial


M. VAL. MARTIAL

ÉPIGRAMMES

LIVRE XII

 

relu et corrigé

 

 

LIVRE XII

MARTIAL A SON AMI PRISCUS, SALUT.

Je sais que j'ai à me justifier de mes trois ans de paresse opiniâtre. Elle ne trouverait pas son excuse dans ces occupations de la ville, qui n'aboutissent, bien souvent, qu'à nous rendre plutôt à charge qu'utiles à nos amis; moins encore est-elle excusable dans cette solitude de province, qui, si je ne me livre à une étude sans relâche, ne présente ni une consolation à mon âme ni une excuse à ma retraite. Écoute donc mes raisons. La première et la plus décisive, c'est que je cherche vainement ici ces oreilles délicates que je trouvais à Rome, et que j'y suis comme si je plaidais au milieu d'un Forum étranger. S'il y a, en effet, quelque chose qui plaise dans mes livres, je le dois à mes auditeurs. Cette pénétration de jugement, cette fécondité de génie, ces bibliothèques, ces théâtres, ces réunions où l'on ne sent de l'étude que ses plaisirs, tous ces avantages enfin que leur abondance même me fit quitter, leur absence aujourd'hui fait que je les regrette. Ajoute à cela la malveillance grossière et la stupide jalousie des provinciaux ; un ou deux malintentionnés, ce qui est beaucoup dans un si petit endroit, en présence desquels il est bien difficile de garder tous les jours sa bonne humeur. Ne t'étonne donc pas que l'indignation m'ait fait abandonner ce que je pratiquais avec tant de plaisir. Pour n'avoir cependant rien à refuser à ta demande, quand tu arriveras de Rome (et ce n'est point m'acquitter envers toi que de m'en tenir à ce qui m'est possible), je me suis fait une obligation de ce qui autrefois était pour moi un bonheur, et j'ai passé quelques jours à l'étude, afin d'offrir à mon meilleur ami mon hommage de bienvenue. Je te prie donc de vouloir bien examiner et peser mûrement ces vers, qui près de toi seul ne courent point de dangers ; et, ce qui te sera bien difficile, juge ces bagatelles sans trop de complaisance, de crainte que, si tu l'ordonnes, je n'envoie à Rome un livre, non pas écrit en Espagne, mais espagnol.

I. - AU MÊME

Pendant que les filets sont pliés, que les chiens n'aboient plus, que la forêt ne retentit plus du bruit que font les chasseurs sur la trace du sanglier, tu pourras, Priscus, accorder à ce petit livre un peu de tes loisirs. Nous ne sommes pas en été, et l'heure que tu me donneras ne sera pas perdue tout entière.

II. - A SES VERS

Mes vers, vous qui jadis alliez à Pyrgos, allez maintenant dans la rue Sacrée : il n'y fait plus de poussière.

III. - A SON LIVRE

Toi qui naguère allais de Rome chez les autres peuples, maintenant, ô mon livre, c'est de chez eux que tu vas à Rome : pars donc des bords du Tage au sable d'or, des rives sévères du Salo, et de cette terre puissante où repose la cendre de mes aïeux. Pourtant, tu ne passeras pas pour un nouveau venu ni pour un étranger dans l'illustre ville de Remus, où tu comptes déjà tant de frères. Va ; tu en as le droit, présente-toi aux portes vénérables de ce temple qui vient d'être rendu au chœur sacré des Muses, ou, si tu l'aimes mieux, gagne d'abord la rue de Suburre. C'est là qu'est le palais du consul, mon ami, de l'illustre Stella, qui couronne ses pénates du laurier, de l'éloquence, et dont la soif ardente s'étanche à la fontaine de Castalie. Là en effet, cette fontaine répand avec orgueil son cristal transparent ; et souvent, dit-on, les neuf Sœurs sont venues s'y désaltérer. C'est par lui que le peuple, les sénateurs et les chevaliers te liront ; lui-même ne te lira point sans verser quelques larmes. Pourquoi réclames-tu un titre ? Qu'on lise seulement deux ou trois vers, et chacun s'écriera : Livre, tu es bien l'enfant de Martial.

IV. - A PRISCUS

Ce que Mécène, le chevalier issu des rois, fut pour Horace, pour Varius et pour le grand Virgile, tous les peuples sauront que tu le fus pour moi, Priscus Terentius. La renommée le publiera partout, et mes vers l'apprendront aux siècles les plus reculés. Tu donnes l'élan à mon génie ; le mérite qu'on m'accorde, je te le dois; et je te dois aussi le noble loisir dont je jouis.

V. - A CÉSAR

Mon dixième et mon onzième livre étaient trop longs ; j'en ai resserré la texture : ainsi restreint, l'ouvrage a peu d'étendue. Quant au surplus, ceux-là pourront le lire, à qui tu as procuré le loisir et la sécurité. Toi, César, lis ceux-ci ; peut-être, ensuite, liras-tu les autres.

VI. - ÉLOGE DE NERVA

Les dieux ont accordé à l'Ausonie Nerva, le plus clément des princes : aujourd'hui le commerce des Muses est affranchi de toute entrave. L'équité confiante, la clémence au visage riant, la puissance tutélaire sont de retour : loin de nous a fui la terreur. Rome, ton peuple et les nations soumises à ton empire ne forment pour toi qu'un vœu : c'est que tu aies toujours de pareils princes, et que tu conserves longtemps celui-ci ! Courage donc, Nerva ! exerce cet esprit supérieur, déploie cette pureté de mœurs dont Numa s'enorgueillirait, et qui aurait souri à Caton lui-même. Tu peux, oui, tu peux aujourd'hui faire des largesses, accorder des grâces, agrandir les petits patrimoines, et donner au-delà même de ce que tu dois à la bonté des dieux. Mais que dis-je ? N'as-tu pas, sous un prince cruel, quand partout triomphaient les méchants, osé seul être bon ?

VII. - SUR LIGEIA

Si Ligeia compte autant d'années qu'elle a de cheveux sur la tête, elle a trois ans.

VIII. - ÉLOGE DE TRAJAN

Rome, déesse des nations et du monde, Rome que rien n'égale, dont rien même n'approche, tressaillit de joie à l'avènement de Trajan. Se flattant de le voir régner pendant de longues années, et voyant réunis, dans son illustre chef, le courage, la jeunesse et l'ardeur martiale, elle s'écria fièrement : "Princes des Parthes, chefs des Sères, Thraces, Sarmates, Gètes et Bretons, je puis vous montrer un César ; approchez."

IX. - A CÉSAR

Palma gouverne notre chère Ibérie, ô le plus clément des Césars ! ses douces lois assurent à ces provinces étrangères la paix la plus heureuse. Reçois donc nos joyeuses actions de grâces pour un si grand bienfait : tu nous as envoyé un second toi-même.

X. - SUR AFRICANUS

Africanus a force millions, et pourtant il court après les héritages. La fortune donne trop à beaucoup de gens, jamais assez à personne.

XI. - IL ENVOIE SON LIVRE A PARTHENIUS

Muse, va saluer Parthenius, ton ami et le mien. Quel poète boit à plus longs traits aux sources d'Aonie ? Quelle lyre résonne avec plus d'éclat dans les antres de Pimplée ? Quel poète fut jamais plus aimé d'Apollon ? Si par hasard, ce que j'ose à peine espérer, il a quelque loisir, prie-le de présenter lui-même mes vers au prince. Qu'il recommande ce timide et court opuscule par ces mots seulement : « Ta chère Rome le lit. »

XII. - CONTRE POSTHUMUS

Point de promesses que tu ne fasses, quand tu as bu toute la nuit ; le matin, tu n'en tiens aucune ; bois le matin, Posthumus.

XIII. - A AUCTUS

Auctus, c'est pour les riches une espèce de gain que la colère : il en coûte moins cher de se fâcher que de donner.

XIV. - A PRISCUS

Crois-moi, Priscus, use plus sobrement du rapide coursier, et ne mets pas autant d'ardeur à poursuivre des lièvres. Le gibier a été souvent vengé des attaques du chasseur : celui-ci, emporté par la fougue du cheval, parfois en est tombé, pour n'y plus remonter. La plaine aussi a ses dangers et ses pièges, quoiqu'elle n'ait ni fossés, ni éminences, ni rochers. Le spectacle de ces dangers, assez de gens te l'offriront, qui, s'ils y périssent, ne seront pas tant regrettés. S'il te faut de nobles périls, allons (le courage y est plus sûr) chasser les sangliers de Toscane. Qu'ont de si attrayant ces courses hasardeuses ? Le cavalier, Priscus, y périt plus souvent que le lièvre.

XV. - COMPLIMENT

Tout ce que renfermait de richesses le palais des Césars est offert à nos dieux et livré à nos regards. Jupiter admire l'éclat des émeraudes de Scythie enchâssées dans leurs cercles d'or. Il considère avec étonnement ces magnificences orgueilleuses des rois et ce luxe onéreux aux peuples. Ces coupes, elles sont dignes du maître du tonnerre ; ces coupes, il leur faudrait l’échanson phrygien. Jupiter et tous les Romains sont heureux aujourd'hui ; mais naguère, je rougis, oui, je rougis de l'avouer, Jupiter était pauvre avec tous les Romains.

XVI. - CONTRE LABIENUS

Tu as, Labienus, vendu trois de tes champs : tu as, Labienus, acheté trois mignons : tu fais, Labienus, l'amour à tes trois champs.

XVII. - CONTRE LENTINUS

La fièvre, Lentinus, t'obsède depuis bien longtemps ; et tu demandes en gémissant pourquoi elle se montre si tenace. Elle va en litière avec toi ; avec toi elle va aux bains : elle mange des champignons, des huîtres, de la tétine et du sanglier ; souvent elle s'enivre de Sétia ou de Falerne ; elle ne boit le Cécube qu'à la glace ; elle ne couche que sur la rose et l'amomum ; elle ne dort que sur la plume et la pourpre. Entourée de tant de délices, si bien traitée chez toi, voudrais-tu qu'elle allât de préférence chez Dama ?

XVIII. - A JUVÉNAL

Pendant que tu bats peut-être en tous sens, Juvénal, la bruyante rue de Suburre, ou que tu gravis la colline où Diane a son temple ; pendant que, trempé de sueur, sans autre vent que celui de ta robe, tu cours de palais en palais ; pendant que tu vas et reviens du grand au petit Célius ; moi, après tant d'années, j'ai enfin revu ma patrie : Bilbilis m'a reçu et m'a fait campagnard ; Bilbilis, orgueilleuse de son or et de son fer. Ici je cultive à mon aise, et sans trop de travail, les champs de Botrode et de Platée, noms grossiers de la Celtibérie. Je jouis d'un sommeil profond, opiniâtre, qui souvent se prolonge au-delà de la troisième heure, et je répare ici les fatigues de mes veilles pendant trente années. La toge est inconnue en ces lieux ; mais, à ma demande, on me donne l'habit jeté tout près de moi sur ma chaise cassée. Je me lève ; le feu m'attend ; magnifique foyer, construit aux frais des chênes de la forêt voisine, et flanqué d'une foule de marmites par la fermière. Arrive le chasseur, mais tel que tu voudrais en avoir un au plus profond d'un bois. De jeunes garçons font le service ; le métayer, imberbe encore, distribue leur tâche aux esclaves ; et me prie de lui permettre de couper sa chevelure. Voilà comme j'aime à vivre ; voilà comme je veux mourir.

XIX. - SUR ÉMILIUS

Émilius, aux bains, se gorge de laitues, d'œufs et de lézards de mer ; et il assure, après cela, qu'il ne dîne jamais en ville.

XX. - A FABULLUS

Tu demandes, Fabullus, pourquoi Thémison n'a point de femme ? Il a une sœur.

XXI. - A MARCELLA

Qui croirait, Marcella, que tu habites sur les rives sauvages du Salo ? Qui même te croirait Espagnole ? Il y a en toi quelque chose de si exquis, de si délicat ! Que Rome t'entende une fois seulement, elle te dira née au sein de ses palais. Tu ne trouveras d'égale ni au milieu du quartier de Suburre ni près du mont Capitolin. On ne verra point de mère étrangère répondre au sourire d'une fille qui mérite plus que toi d'être Romaine. Tu me rends plus facile à supporter la privation de la capitale du monde : seule, tu es Rome pour moi.

XXII. - SUR PLILÉNIS

Veux-tu, Fabullus, qu'en deux mots je te dise combien Philénis est affreuse avec son œil borgne ? Ecoute : Philénis aurait meilleure grâce à être aveugle.

XXIII. - CONTRE LÉLIA

Tes dents et tes cheveux, tu les as achetés, et tu ne rougis point de t'en parer. Mais comment feras-tu pour ton œil, Lélia ? On n'en vend point.

XXIV. - A JUVENCUS, SUR UN CHARIOT COUVERT

Que j'aime la discrète structure de ce chariot couvert, présent du docte Élianus, et préférable cent fois au char et à la litière ! Là, Juvencus, tu pourras librement me dire tout ce qui te viendra à l'idée. Devant nous, point de noir conducteur de chevaux libyens, point de coureur étroitement sanglé, pas même un muletier, mais seulement deux bidets qui ne diront rien. Oh ! si Avitus était des nôtres, Avitus, le seul tiers dont je ne craindrais pas les oreilles, que nous passerions bien ainsi toute notre journée !

XXV. - CONTRE THELESINUS.

Quand Je veux t'emprunter sans gage, "Je n'ai point d'argent," me dis-tu. Si mon champ vient répondre pour moi, tu en as. Ce que tu refuses, Thelesinus, à moi ton ancien ami, tu l'accordes aux sillons et aux arbres de mes champs. Te voilà aujourd'hui poursuivi par Carus devant les tribunaux : que mon champ soit ton avocat. On te bannit de Rome : que mon champ soit ton compagnon d'exil.

XXVI. - CONTRE UN AMI AVARE

Lorsque toi, sénateur, tu vas chaque matin frapper à soixante portes diverses, tu ne vois en moi qu'un chevalier paresseux, parce que je n'ai pas, au point du jour, parcouru la ville en tous sens, et que je ne rentre pas chez moi fatigué et sali de mille baisers. Ton but à toi est de placer un nom nouveau dans nos fastes consulaires, et d'aller gouverner la Numidie ou la Cappadoce ; mais moi, qui devrais, dis-tu, interrompre mon sommeil au milieu de son cours pour aller dès le matin piétiner dans la boue, qu'ai-je à attendre ? Si ma sandale brisée laisse mon pied à nu, si un orage soudain m'inonde d'un torrent de pluie, j'ai beau appeler à grands cris, pas un esclave pour changer mes habits trempés. Un des tiens, s'approchant de mon oreille glacée, me dit : "Létorius vous invite à souper avec lui." Quoi ! ma faim n'est-elle pas au-dessus de vingt pièces d'argent ? Ce qui me vaut un souper te procure une province. Nous faisons le même métier, et notre récompense n'est pas la même.

XXVII. - CONTRE SENIA

Tu prétends, Senia, que des voleurs ont joui de toi. Mais les voleurs s'en défendent comme d'un mauvais cas.

XXVIII. - CONTRE CINNA

Je vide, moi, deux cyathes seulement : toi, Cinna, tu en bois onze ; et tu te plains qu'on ne nous serve pas le même vin.

XXIX. - SUR LE VOLEUR HERMOGÈNE

Hermogène est, à mon avis, Ponticus, un aussi grand voleur de linge que Massa le fut de pièces d'argent. Tu auras beau observer sa main droite, tenir sa gauche dans la tienne, il trouvera moyen de prendre ta serviette. Ainsi le cerf attire par son aspiration le serpent glacé ; ainsi l'on voit Iris absorber les vapeurs prêtes à se résoudre en pluie. Dernièrement, pendant qu'on demandait grâce de la vie pour Myrinus blessé, Hermogène escamota quatre serviettes. Une autre fois, le préteur allait donner avec la sienne le signal des jeux : Hermogène venait de la dérober au préteur. Dans un souper où devait se trouver le fripon, personne n'avait apporté de serviette : Hermogène emporta la nappe. A défaut de nappe, Hermogène dégarnit les lits ou détache les pieds des tables. Le théâtre fût-il comme une fournaise sous les rayons enflammés du soleil, on ôte les rideaux aussitôt qu'Hermogène paraît. Les mariniers tremblants s'empressent de ferler les voiles dès qu'ils voient Hermogène sur le port. Sous leur robe de lin, les prêtres rasé d'Isis ne frappent plus leurs sistres, mais s'enfuient, quand parmi les adorateurs se présente Hermogène. Hermogène jamais n'apporta de serviette dans un souper ; mais il en rapporta toujours.

XXX. - SUR APER

Aper est sobre et ne boit pas : que m'importe ? ces qualités, je les prise dans mon esclave, non dans mon ami.

XXXI. - SUR LES JARDINS DE MARCELLA, SA FEMME

Ce bois, ces fontaines, ces treillis où la vigne entretient un frais ombrage, ce ruisseau qui promène une eau vive, ces prairies, ces rosiers aussi beaux que ceux de Pestum, qui fleurissent deux fois l'année, ces légumes qui verdissent en janvier et ne gèlent jamais, ces viviers où nage emprisonnée l'anguille domestique, cette blanche tour que peuplent des colombes non moins blanches, j'ai reçu tout cela de mon épouse : ces domaines ,ce petit empire, c'est Marcella qui me les a donnés, après sept lustres d'absence. Si Nausicaa me cédait les jardins d'Alcinoüs, je pourrais dire au père de Nausicaa : Je préfère les miens. 

XXXII. - CONTRE VACERRA

O honte des calendes de juillet ! j'ai vu, oui, Vacerra, j'ai vu ton mobilier. Tu devais deux ans de loyer ; et l'on n'avait point voulu le retenir en payement. Trois personnes suffisaient à l'emporter : ta femme, cette rousse aux sept cheveux ; ta sœur, cette grande efflanquée ; puis ta vieille mère à tête chauve : j'ai cru voir passer sous mes yeux les trois Furies échappées du Tartare. Toi, piteuse victime du froid et de la faim, plus sec et plus pâle qu'un vieux rameau de buis, Irus de ton siècle. Tu venais après elles : on eût dit une émigration de la colline d'Aricie. C'était d'abord un grabat, à trois pieds, une table qui n'en avait que deux, une lampe et un gobelet de corne, un pot de chambre dont les fêlures avaient fait un arrosoir. Venait ensuite, hissée sur la tête d'une de ces femmes, une moitié d'amphore portant un réchaud, et dont l'odeur infecte semblait une émanation de quelques restes de harengs pourris. Ajoutez à cela un quartier de fromage de Toulouse, un noir chapelet de pouliot vieux de quatre ans au moins, un autre aussi d'aulx et d'oignons, puis un vieux pot rempli d'une immonde résine appartenant à ta mère, et servant à l'épilation des Vénus de remparts. Pourquoi chercher un logement à la campagne et tromper nos bons villageois, quand tu peux, Vacerra, en trouver un gratis ? Le luxe de ton mobilier convient au coin d'un pont.

XXXIII. – SUR LABIENUS

Labienus, afin d'acheter des mignons, a vendu ses jardins. Labienus n'a plus rien maintenant qu'un verger de figuiers.

XXXIV. - A JULES

Voilà, si je ne me trompe, Jules, trente-quatre ans que nous passons dans la société l'un de l'autre, non sans quelques alternatives de douceur et d'amertume. Les moments de plaisir, il est vrai, ont été plus nombreux ; et si nous faisions le calcul des jours de peine ou de bonheur, nous trouverions plus de pierres blanches que de noires. Si tu veux t'épargner quelques regrets, te soustraire aux chagrins qui rongent l'âme, ne vis avec personne dans une trop grande intimité. Tu auras moins de jouissances, mais aussi moins de peines.

XXXV. - A CALLISTRATE

Pour me témoigner, Callistrate, combien tu es franc avec moi, tu conviens que tu as souvent servi de giton. Tu n'es pas, Callistrate, aussi franc que tu veux le paraître : car quiconque avoue de telles choses en dissimule beaucoup d'autres.

XXXVI . - A LABULLUS

Donner à un ami trois ou quatre pièces d'argent, une toge sous laquelle il grelotte, un surtout écourté, faire sonner dans sa main quelques écus d'or qui le feront vivre deux mois, c'est quelque chose, sans doute, Labullus ; mais de ce que toi seul le fais, il ne s'ensuit aucunement que tu sois un homme bienfaisant. - Quoi donc? - Tu es, à dire vrai, le meilleur des méchants. Rends-moi les anciens Pisons, les Sénèques, les Memmius, les Crispus, et dès lors tu seras le dernier des gens de bien. Veux-tu te faire gloire d'être un excellent coureur ? Devance Tigris et le léger Passerinus. Il n'y a point de gloire à vaincre un baudet à la course.

XXXVII. - CONTRE UN MOQUEUR

Tu tiens trop à passer pour avoir un grand nez ; je veux bien qu'on ait un grand nez, mais non un polype.

XXXVIII.- A CANDIDUS

Ce fat, si connu de toute la ville, qu'on voit nuit et jour dans la litière des femmes ; que tout le monde reconnaît à sa luisante chevelure, à ses parfums, à sa pourpre brillante, à ses traits délicats, à sa large poitrine, à ses jambes sans poil, et qui s'attache sans cesse à ta femme, tu n'as point à le craindre, Candidus ; il ne besogne pas les femmes.

XXXIX. - CONTRE SABELLUS

Je te hais, Sabellus, parce que tu es un bel homme. C'est bien peu de chose qu'un bel homme et que Sabellus : encore aimé-je mieux un bel homme que Sabellus. Puisses-tu, beau Sabellus, en sécher de dépit !

XL. - CONTRE PONTILIANUS

Mens-tu ? Je te crois. Lis-tu de méchants vers? je te loue. Chantes-tu ? Je chante. Bois-tu, Pontilianus ? Je bois. Laisses-tu échapper un vent ? J'ai l'air de ne pas m'en apercevoir. Veux-tu jouer aux échecs ? Je perds. Il n'y a qu'une chose que tu fasses sans moi, et je n'en parle point. Je ne reçois pourtant de toi aucun service. - A ma mort, me dis-tu, je te traiterai bien. - Je ne veux rien ; mais meurs bien vite.

XLI. - CONTRE TUCCA

Ce n'est pas assez pour toi d'être un gourmand ; tu tiens encore, Tucca, à être proclamé tel et à le paraître.

XLII. - SUR CALLISTRATE ET AFER

Le barbu Callistrate vient de se marier au vigoureux Afer, suivant la loi qui unit ordinairement la femme à son époux. On porta devant eux des torches allumées : le voile nuptial fut placé sur leur tête : tes hymnes, Thalassus, ne manquèrent pas à la solennité : on convint même de la dot. Rome, n'en est-ce point assez pour toi? Attends-tu maintenant des fruits d'un tel hymen ?

XLIII. - CONTRE SABELLUS

Ils sont d'un style trop relevé pour des scènes de débauché, les vers que tu m'as lus, Sabellus. On n'en trouve point de pareils chez les filles de Didyme, ni dans les livres voluptueux d'Éléphantis. Il s'agit ici de plaisirs monstrueux d'un nouveau genre ; on y voit ce que peut oser le libertin le plus roué ; ce que font en cachette les plus vils impudiques ; comment ils s'accouplent par cinq ou plus, jusqu'à former une chaîne ; jusqu'où peut aller la licence, quand les lumières sont éteintes. Pour tant de cynisme, tant d'éloquence était du luxe.

XLIV. - A M. UNICUS

Unicus, toi qui m'es lié de si près et par le sang et par la conformité de nos goûts, tu fais des vers qui ne le cèdent qu'à ceux de ton frère ; tu n'es pas après lui par le cœur, et tu es avant lui par la tendresse. Lesbie eût pu t'aimer autant que son cher Catulle, et après Ovide c'est toi que la douce Corinne eût chéri. Les zéphyrs souffleraient dans tes voiles, si tu voulais gagner la pleine mer, mais tu n'aimes que le rivage, et par là tu te rapproches encore de ton frère.

XLV. - A PHÉBUS

En te voyant, Phébus, couvrir d'une calotte de peau de bouc ta tête chauve et tes tempes dégarnies, quelqu'un a dit de toi plaisamment que tu avais la tête bien chaussée.

XLVI. - A CLASSICUS

Les vers de Lupercus et de Gallus trouvent des acheteurs : va dire maintenant que ces poètes n'ont pas le sens commun.

XLVII. - CONTRE UN HOMME D'HUMEUR INÉGALE

Maussade, bienveillant, aimable, atrabilaire, tu es à la fois tout cela : aussi ne puis-je vivre avec toi ni sans toi.

XLVIII. - CONTRE UN AMPHITRYON FASTUEUX

Si tu me sers des champignons, du sanglier, comme choses communes, sans croire que ces mets soient l'objet de tous mes vœux, j'accepte. Mais si tu me trouves en cela fort heureux, si tu prétends que pour quelques huîtres de Lucrin je te laisse mon héritage, bonsoir. Ton souper est splendide, j'en conviens, très splendide ; mais demain, aujourd'hui, dans une minute, qu'en restera-t-il ? Où il aura passé, demande-le à la fétide éponge de ce sale bâton ; demande-le au premier chien venu ou au vase placé au coin de la rue. Rougets, lièvres, tétines, tout cela a la même fin ; tout cela, aussi, vous donne un teint couleur de soufre et d'affreuses douleurs aux jambes. A ce, prix, je ne voudrais point des repas du mont Albain ni des festins du Capitole et des pontifes: à ce prix, le nectar de Jupiter ne serait pour moi que du vinaigre ou de la liqueur traîtresse des cuves du Vatican. Cherche d'autres convives qui se laissent prendre aux séductions de tes festins splendides. Quant à moi, qu'un ami m'invite sans façon à partager son pot au feu, voilà le repas qui me plaît, voilà celui que je puis rendre.

XLIX. - AU PÉDAGOGUE LINUS

Pédagogue d'une troupe d'enfants à la longue chevelure, Linus, toi, que la riche Postumia nomme le maître de ses biens, toi à qui elle confie ses bijoux, son or, ses vins, ses plus beaux favoris, puisses-tu, pour prix de ta constance et de ta foi, être toujours son préféré ! Prends pitié, je t'en prie, de la malheureuse passion qui me transporte, et surveille un peu moins les objets que mon cœur brûle de posséder, et que, nuit et jour, j'aspire à presser sur mon sein : car ils sont beaux, blancs comme neige, exactement pareils, véritables jumeaux, de riche taille ; ce n'est pas des enfants que je parle, mais des diamants.

L. - CONTRE LE PROPRIÉTAIRE D'UN RICHE DOMAINE

Bosquets de lauriers, avenues de platanes, cyprès aériens, vastes salles de bains, tu possèdes cela tout seul. Pour toi s'élancent dans les airs cent colonnes qui soutiennent tes portiques ; tu foules d'un pied superbe la mosaïque étincelante ; tes rapides coursiers dévorent l'hippodrome poudreux ; partout, chez toi, murmurent des ruisseaux et des cascades ; chez toi l'on voit s'ouvrir d'immenses galeries ; mais d'endroit pour manger, mais d'endroit pour dormir point. Que tu es bien installé pour n'être pas logé !

LI. - SUR FABULLUS

Tu t'étonnes, Aulus, que notre ami Fabullus soit si souvent trompé : l'honnête homme est toujours novice.

LI I. - A SEMPRONIA

Poète habitué aux lauriers des Muses, aussi bien qu'avocat chéri des accusés, ici, oui, Sempronia, ici repose ton Rufus ; et sa cendre brûle encore pour toi du même feu. L'histoire de vos amours fait l'entretien de l'Élysée, et ton enlèvement laisse dans la stupeur la fille même de Tyndare. Tu es au-dessus d'elle par ton retour et ta résolution de fuir un ravisseur : Hélène, redemandée par son époux, refusa de le suivre. Ménélas n'entend point sans rire le récit de ces nouveaux amours d'Ilion ; et ton enlèvement absout le Phrygien Pâris. Quand, un jour, tu seras reçue dans ce délicieux asile réservé aux âmes pieuses, nulle ombre, sur les bords du Styx, ne sera plus connue que toi. Loin de haïr les belles enlevées, Proserpine les aime, et cette aventure ne peut manquer de te la rendre favorable.

LIII. - CONTRE UN AVARE

Quoique peu de citoyens ou de pères de famille possèdent autant d'or et d'argent que toi, tu ne donnes jamais rien ; toujours couché sur ton trésor, tu le défends comme jadis le dragon chanté par les poètes gardait, dit-on, le bois mystérieux de la Scythie. A t'en croire, car c'est toi-même qui le proclames, la cause de cette avarice inouïe, c'est ton fils. Oh ! cherche ailleurs des imbéciles et des sots crédules pour te moquer d'eux. Ce fils dont tu te pares n'est autre chose que ton avarice.

LIV. - CONTRE ZOÏLE

Avec tes cheveux roux, ton visage livide, ton pied-bot, ton œil louche, tu fais des merveilles, si tu es honnête homme.

LV. - A DES COURTISANES

Vouloir, jeunes beautés, que vous vous donniez gratis, serait le comble de la sottise et de l'impertinence. Non, ne vous donnez point gratis ; mais accordez gratis des baisers. Eh bien, Églé s'y refuse : l'avare ! Elle vend les siens. A quelque prix qu'elle les mette qu'est-ce qu'un baiser peut valoir ? Les siens, elle les fait payer bien cher. Il faut à ses baisers ou une livre de parfums de Cosmus ou huit pièces de la monnaie nouvelle, pour qu'ils ne soient point froids et secs, pour que ses lèvres ne restent point étroitement fermées. Dans un cas cependant, mais c'est le seul, elle est généreuse. Églé ne donne point un seul baiser gratis ; mais lécher gratis, Églé ne le refuse pas.

LVI. - CONTRE POLYCHARME

Chaque année, Polycharme, tu fais dix maladies ou plus : ce n'est point toi, c'est nous qui en souffrons. Car chaque fois que tu quittes le lit, tu exiges de tes amis les dons qu'on offre aux convalescents. Un peu de pudeur, Polycharme : sois donc malade une fois.

LVII. - A SPARSUS

Tu demandes pourquoi je vais si souvent à ma modeste villa, à cette humble campagne de l'aride pays de Nomentum. C'est qu'à Rome, Sparsus, l'homme pauvre ne peut ni penser ni dormir. Comment vivre, dis-moi, avec les maîtres d'école le matin, les boulangers la nuit, et le marteau des chaudronniers pendant tout le jour ? Ici, c'est un changeur qui s'amuse à faire sonner sur son sale comptoir des pièces marquées au coin de Néron ; là, un batteur de chanvre dont le fléau luisant brise à coups redoublés sur la pierre le lin que nous fournit l'Espagne. A chaque instant du jour, vous entendez crier ou les prêtres fanatiques de Bellone ou le naufragé babillard qui porte avec lui sa tirelire ou le Juif instruit par sa mère à mendier ou le chassieux débitant d'allumettes. Qui compterait les heures perdues à Rome pour le sommeil, pourrait compter facilement le nombre des mains qui frappent sur des bassins de cuivre pour ensorceler la lune. Toi, Sparsus, tu ignores, ces choses-là ; et comment pourrais-tu les savoir, voluptueux possesseur du domaine de Petilius, dont la plate-forme domine orgueilleusement les collines qui l'entourent. Tu as la campagne au centre de la ville et des vignes au milieu de Rome ! Les coteaux de Falerne n'étalent pas, en automne, plus de richesses que les tiens. Sans sortir de chez toi, tu peux faire des courses en char. Au fond de ton palais, tu jouis d'un sommeil que rien ne trouble, d'un repos que nul bruit n'interrompt : le jour n'y entre qu'autant que tu le veux. Moi, au contraire, les éclats de rire des passants me réveillent : Rome entière est à mon chevet. Quand le dégoût me prend et que je veux dormir, je cours à la campagne.

LVIII. - A ALAUDA

Ta femme t'appelle coureur de servantes ; elle-même court les porteurs de litières : l'un vaut l'autre, Alauda.

LIX. - SUR LES FAISEURS IMPORTUNS

Rome te donne, après quinze ans d'absence, plus de baisers que Catulle n'en reçut jamais de Lesbie. Tous tes voisins te baisent : ton fermier, aux aisselles velues, imprime sur ta face un baiser qui sent le bouc. Puis vient le tisserand, puis le foulon, puis le cordonnier, dont la bouche sent le cuir ; puis un autre baiseur au menton peuplé de vermine ; puis un louche, puis un chassieux, puis une bouche qui suce, puis une autre qui vient de lécher. Tu n'as pas gagné gros à revenir.

LX. - A SON JOUR NATAL

Fils aîné de Mars, jour heureux où je vis pour la première fois l'Aurore aux doigts de rose et le disque brillant du dieu des astres, si tu regrettes que je te fête à la campagne, et sur un autel de gazon, moi qui te fêtais jusqu'ici dans la capitale du Latium, permets-moi d'être libre pendant tes calendes ; et de vouloir jouir de la vie le jour où je suis né. Craindre, dans un pareil jour, que l'eau chaude ne manque à Sabellus, que le vin ne soit pas assez clarifié pour Alauda ; se tourmenter pour passer à la chausse le Cécube encore trouble ; ne faire qu'aller et venir autour des tables ; recevoir ses convives les uns après les autres ; être obligé de se lever pendant tout le repas ; fouler de ses pieds nus les marbres glacés de la salle, c'en est trop ! N'y a-t-il pas folie à subir volontairement une sujétion que l'on refuserait, si un maître, et un roi voulaient l'imposer.

LXI. - SUR LIGURRA

Tu as peur de mes vers, Ligurra ; tu crains, que je ne fasse contre toi quelque épigramme aussi courte que vive, et tu veux faire croire que ta crainte est fondée ; mais c'est en vain, pourtant, qu'à la fois tu le crains et le désires. Le lion de Libye rugit contre un taureau et n''inquiète point un papillon. Cherche, crois-moi, si tu veux qu'on lise ton nom, cherche dans quelque taverne enfumée un de ces poètes qui tracent au charbon ou à la craie, sur les murs d'un privé, des vers lus par les gens qui viennent se soulager. Un front comme le tien est indigne de mon stigmate.

LXII. - A SATURNE, POUR PRISCUS TERENTIUS

Grand roi de l'univers antique et du premier âge du monde, âge de paix et de sécurité pour l'homme, où il ne connaissait ni les fatigues du travail ni les éclats de la foudre, qui n'avait point encore de crimes à punir ; où la terre, sans qu'on l'entrouvrît jusqu'aux abîmes infernaux, prodiguait d'elle-même ses richesses ; partage notre joie, et ne refuse point d'assister à la fête que nous offrons à Priscus : ta présence est ici nécessaire. Si, après une absence de six hivers, il revoit aujourd'hui sa patrie, c'est toi, ô le meilleur des pères, qui le ramènes de la ville où régna le pacifique Numa. Rome t'offrit-elle jamais un sacrifice plus pompeux que celui-ci ? Vois-tu quelle munificence préside à cette fête ; de combien de trésors ces tables sont couvertes en ton honneur ? Et pour que ces offrandes, ô Saturne, te soient plus agréables, et aient encore plus de prix pour toi, c'est un père, c'est un homme frugal qui célèbre ainsi tes solennités. Puisse toujours, divinité puissante, ta fête de décembre être aussi belle ! Puissent de pareils jours revenir souvent pour Priscus !

LXIII. - A CORDOUE

Cordoue, ville plus délicieuse que la fertile Vénafre, non moins riche en oliviers que l'Istrie ; toi dont les brebis l'emportent en blancheur sur celles du Galèse, et n'empruntent point au murex ou au sang un éclat mensonger, mais doivent leur vive teinte à la nature seule ; rappelle, je te prie, un de tes poètes à la pudeur, et dis-lui qu'il cesse de s'attribuer mes vers. Passe encore s'il était bon poète, et que je pusse, au besoin, rendre aux siens le même honneur. Mais non ; c'est un célibataire qui séduit ma femme, sans que je puisse user de représailles ; c'est un aveugle qui ne peut perdre la lumière qu'il ravit. Rien n'est pire qu'un voleur dénué de tout ; rien n'est plus en sûreté qu'un mauvais poète.

LXIV. SUR CINNA

D'un adolescent qui éclipsait, par la fraîcheur de son visage et par sa blonde chevelure, le teint de rose des plus beaux esclaves, Cinna a fait son cuisinier : Cinna aime les morceaux friands.

LXV. - SUR PHYLLIS

La belle Phyllis m'avait, pendant toute une nuit, prodigué largement des faveurs de toute espèce. Comme je songeais, le matin, à lui donner, soit une livre de parfums de Cosinus ou de Nicéros, soit une bonne quantité de laine de Bétique, soit enfin dix pièces d'or frappées au coin de César, Phyllis me saute au cou, imprime sur ma bouche un baiser aussi long que celui des colombes amoureuses, et se met à me demander une amphore de vin.

LXVI. - A AMÉNUS

La maison qui t'a coûté cent mille sesterces, tu voudrais t'en défaire, même à un plus bas prix. Mais, pour en imposer à l'acquéreur par une ruse infâme, tu caches, Aménus, les défauts de l'édifice sous le luxe des ornements. Tu as là des lits où brillent la plus fine écaille, des meubles précieux en citronnier de Mauritanie, des tables en marbre de Delphes couvertes d'or et d'argent ; tout autour, de jeunes esclaves que je m'estimerais heureux d'avoir pour maîtres. Tu cries, après cela : "Deux cent mille sesterces ! pas un sou de moins !" Meublée comme elle est, Aménus, c'est la donner pour rien.

LXVII. - POUR LE JOUR NATAL DE VIRGILE

Ides de mai, vous avez vu naître Mercure. Les ides du mois d'août ramènent l'anniversaire de Diane. La naissance de Virgile a consacré les ides d'octobre. Fêtez longtemps les ides de Mercure et de Diane, vous tous qui célébrez les ides de Virgile !

LXVIII. - AUX CLIENTS

Client matinal, toi qui m'as chassé de Rome, fréquente, si cela te plaît, ses palais fastueux. Je ne suis point avocat ; les ennuis de la chicane ne sont pas mon affaire ; mais, déjà vieux, ami de la paresse et des Muses, mon plaisir est dans le repos et le sommeil, que je ne trouve point au milieu du fracas de Rome. J'y retourne pourtant, s'il faut ici veiller de même.

LXIX. - A PAULLUS

Comme s'il s'agissait de tableaux et de vases antiques, tu n'as d'amis, Paullus, que pour en faire parade.

LXX. - SUR APER

Lorsque, naguère encore, le linge d'Aper était porté au bain par un esclave aux jambes torses ; lorsqu'une vieille femme borgne s'asseyait sur sa méchante toge pour la garder, et que le baigneur hernieux lui donnait à peine une goutte d'huile, les buveurs trouvaient dans Aper le censeur le plus âpre et le plus rigoureux. Voyait-il un chevalier boire en sortant du bain, il criait qu'on brisât les coupes et qu'on renversât le Falerne. Mais depuis qu'un vieil oncle lui a légué trois cent mille sesterces, il ne revient plus du bain sans être ivre. Voyez ce que peuvent sur un homme la vaisselle ciselée et cinq esclaves à la belle chevelure ! Alors qu'il était pauvre, Aper n'avait jamais soif.

LXXI. - A LYGDUS

Il n'est rien aujourd'hui, Lygdus, que tu ne me refuses. Autrefois cependant, Lygdus, tu ne me refusais rien.

LXXII. - A PANNICUS

Acquéreur de quelques arpents situés près des tombeaux gaulois, propriétaire d'une maisonnette mal bâtie et mal couverte, aujourd'hui, Pannicus, tu abandonnes le barreau, ton véritable patrimoine, et les profits assez minces, mais sûrs, que te donnait ta vieille robe. Autrefois, praticien, tu vendais du froment, du millet, de l'orge, des fèves ; aujourd'hui cultivateur, tu en achètes.

LXXIII. - A CATULLE

Tu me jures, Catulle, que tu m'as fait ton héritier : je ne le croirai pas, Catulle, que je n'aie lu ton testament.

LXXIV. - A FLACCUS

L'Égypte, je le sais, t'envoie des coupes de cristal : accepte cependant ces vases du cirque de Flaminius. Qui est le plus hardi, ou de ces vases ou de ceux qui te les offrent ? Tout communs qu'ils sont, pourtant, ils ont un double mérite : ils ne tentent point les voleurs, et ne craignent pas l'eau trop chaude. De plus, les esclaves les voient, sans crainte d'accidents, aux mains des convives. Un avantage encore, et qui n'est pas à dédaigner, c'est que tu pourras t'en servir dans les toasts où il faut briser sa coupe.

LXXV. - SUR SES MIGNONS

Polytimus se plaît avec les jeunes filles : Hymnus ne convient qu'à regret qu'il est garçon ; Secundus a les fesses nourries de gland ; Dindymus est lascif, tout en feignant de ne pas l'être ; Amphion pouvait être fille. Voilà ceux, mon ami, dont les douces faveurs, les dédains et les caprices sont pour moi préférables à une dot d'un million de sesterces.

LXXVI. - SUR UN LABOUREUR

L'amphore de vin coûte vingt as, et le boisseau de blé quatre : ivrogne et sujet aux indigestions, ce laboureur n'a rien.

LXXVII - SUR ÉTHON

Un jour que, dans l'attitude la plus humble et la plus respectueuse, il adressait ses vœux à Jupiter, Éthon fit un pet au milieu du Capitole. Les assistants en rirent à l'envi : mais le père des dieux, offensé, condamna le coupable à ne pas souper hors de chez lui trois jours durant. Depuis cette aventure, le malheureux Éthon, quand il songe à venir au Capitole, se rend d'abord aux privés de Patrocle, et lâche dix, vingt pets. Mais, en dépit de ces précautions, il a soin de serrer les fesses pour saluer Jupiter.

LXXVIII. -. SUR LE MÊME

Un histrion bien repu fit un pet devant la statue de Jupiter. Ce dieu, pour le punir, le condamna à vivre désormais à ses propres dépens.

LXXIX. - A BITHYNICUS

Je n'ai rien écrit contre toi, Bithynicus : tu ne veux point me croire, et tu exiges un serment : je préfère payer l'amende.

LXXX. - A ATTICILLA

Je t'ai fait cent cadeaux que tu m'as demandés ; je t'ai même donné plus que tu ne m'as demandé ; tu me demandes chaque jour une faveur nouvelle : Atticilla, celui-là suce, qui ne sait rien refuser.

LXXXI. - SUR CALLISTRATE

Afin de ne point louer ceux qui le méritent, Callistrate loue tout le monde. Mais qui peut être bon, pour qui personne n'est méchant ?

LXXXII. - SUR UMBER

A l'entrée de l'hiver, pendant les fêtes de Saturne, Umber, pauvre alors, rn'envoyait en présent une alicula (petite toge). Il m'envoie aujourd'hui une alica (mesure de froment) : c'est qu'aujourd'hui Umber est riche.

LXXXIII. - SUR MÉNOGÈNE

Dans les thermes, autour des bains, il n'y a pas moyen d'échapper à Ménogène, de quelque adresse que l'on use. Il prendra des deux mains la balle encore chaude, et te la passera, pour que tu lui tiennes compte de ses complaisances. Il ramassera même, pour te le rapporter, le ballon tout sali de poussière ; et cela, il le fera après s'être lavé et chaussé. Prends-tu du linge : il te dira qu'il est plus blanc que neige, fût-il plus sale que les langes d'un enfant. Si tu passes le peigne dans tes quelques cheveux, Achille n'avait point, dira-t-il, une plus belle chevelure. Ce n'est pas tout : il t'apportera la cruche où fume un vin épais et trouble, et il essuiera la sueur qui coule de ton front. Il ne cessera point de tout louer et de tout admirer, que tu ne lui aies dit, ennuyé de tant, de prévenances : Viens souper avec moi.

LXXXIV. - SUR FABIANUS

Le moqueur Fabianus, ce fléau des hernies, des descentes et des hydrocèles, qui naguère faisait sur ces maladies plus d'épigrammes que deux Catulles à la fois, Fabianus eut le malheur de se voir nu aux thermes de Néron, et dès lors il se tut.

LXXXV. - A POLYTIMUS

Je n'avais point voulu, Polylimus, couper ta chevelure ; mais je suis bien aise d'avoir enfin cédé à tes instances. Une fois tes cheveux coupés, tu brilles d'une telle blancheur, que, nouveau Pélops, une épouse te croirait tout d'ivoire.

LXXXVI. - CONTRE FABULLUS

Les pédérastes ont, dis-tu, l'haleine forte : si la chose est comme tu le dis, Fabullus, que doivent sentir, dis-moi, ceux qui lèchent ?

LXXXVII. - CONTRE UN HOMME USÉ

Tu as trente mignons et autant de jeunes filles ; mais tu n'as qu'une seule mentule, encore ne peut-elle lever la tête. Que feras-tu ?

LXXXVIlI. - SUR COTTA

Deux fois nous avons vu Cotta se plaindre d'avoir perdu sa chaussure par la négligence de l'unique valet qui lui sert de cortège. Mais, en homme fin et rusé, il a imaginé un moyen de n'être plus exposé à la même infortune : c'est d'aller souper en ville pieds nus.

LXXXIX. - SUR TONGILIANUS

Tongilianus a du nez, je le sais, je n'en disconviens pas ; mais c'est tout ce qu'il a.

XC. - A CHARINUS

Si ta tête, Charinus, est tout enveloppée de laine, ce ne sont point tes oreilles, mais les cheveux, qui sont malades.

XCI. - SUR MARON

Maron a fait un vœu à haute voix pour un de ses amis en proie aux ardeurs déchirantes d'une fièvre demi-tierce. Il a promis, si le malade échappait aux ondes du Styx, d'immoler au grand Jupiter une victime digne de lui. Les médecins répondirent de la guérison : Maron fait, maintenant des vœux pour ne point acquitter son premier vœu.

XCII. - CONTRE MAGULLA

Puisque le même lit est pour ton mari et toi, Magulla, le théâtre commun de vos débauches, dis-moi pourquoi vous n'auriez pas le même échanson ? Tu soupires ! Je comprends : tu crains le breuvage.

XCIII. - A PRISCUS.

Souvent tu me demandes, Priscus, ce que je serais, si tout d'un coup je devenais riche et puissant. Penses-tu que l'on puisse prévoir ses sentiments à venir ? Que serais-tu, dis-moi, si tu devenais lion ?

XCIV. - SUR FABULLA

Fabulla a trouvé moyen de baiser son amant en présence de son mari : elle a un petit fou, qu'elle couvre de ses baisers humides. Le galant le prend aussitôt, puis le remet tout imbibé des siens à sa maîtresse, qui rit du stratagème. Le plus fou, n'est-ce pas le mari ?

XCV. - CONTRE TUCCA

Je préparais une épopée ; tu en commenças une : je te cédai la place, pour que mes vers ne fussent pas rivaux des tiens. Ma muse alors chaussa le cothurne tragique : la tienne s'affubla du long manteau. J'eus recours à la lyre du poète de la Calabre : toi, tu saisis le luth par une ambition nouvelle. J'aborde la satire ; tu veux être un Lucilius. Je m'en tiens aux soupirs de l'élégie, tu te prends aussitôt à soupirer. Pour dernière ressource, je fais des épigrammes, et tu m'envies déjà ma renommée. Choisis : de quoi ne veux-tu point ? Il y aurait de l'impudeur à tout, vouloir. S'il est quelque chose dont tu ne veuilles pas, Tucca, laisse-le-moi.

XCVI. - A RUFUS

Les écrits de Musée ne le cèdent point en licence aux livres sybaritiques. Les pages en sont imprégnées du sel de l'obscénité. Lis-les, Instantius Rufus ; mais que ta maîtresse soit près de toi, de peur que ta main libertine n'usurpe les droits de l'hymen, et ne fasse de toi un mari sans femme.

XCVII. - CONTRE UNE JALOUSE

Quand la conduite et la fidélité de ton mari te sont connues ; quand aucune autre femme n'occupe et n'aspire à occuper ta couche nuptiale, pourquoi, comme s'il s'agissait de maîtresses, jalouses-tu sottement de jeunes esclaves qui ne donnent jamais qu'un plaisir court et fugitif ? Encore est-il facile de prouver qu'ils te sont plus utiles qu'à ton mari : grâce à eux, en effet, il n'a point d'autre femme que toi. Ils lui donnent ce qu'épouse tu ne veux point donner. - Mais je le donne aussi, dis-tu, pour fixer son amour. - Ce n'est point la même chose : J'aime la figue savoureuse de Chio, et non celle de Marisque. Et pour que tu n'ignores pas ce que j'entends par la figue de Chio, celle de Marisque est la tienne. Une femme, une épouse doit savoir où finissent ses droits : laisse aux mignons leur part ; use de la tienne.

XCVIII. - CONTRE BASSUS

Quand tu as pour épouse une femme jeune, riche, noble, instruite et vertueuse, telle enfin que la désirerait le plus exigeant des maris, tu t'escrimes, Bassus, sur de jeunes blondins que tu t'es procurés avec sa dot ; de sorte que ta mentule, qui lui a coûté tant de milliers de sesterces, lui revient épuisée et hors de service. Ni les plus tendres paroles ni les plus douces étreintes ne peuvent la ranimer. Un peu de pudeur enfin ou allons en justice. Ta mentule n'est plus à toi, Bassus, tu l'as vendue.

XCIX. - AU FLEUVE BÉTIS

Bétis, toi dont le front est couronné d'oliviers, dont les limpides eaux donnent aux toisons l'éclat de l'or ; toi qu'aiment à l'envi Bromius et Pallas ; toi pour qui Neptune a ouvert des chemins sur toutes les mers, reçois favorablement sur tes rivages Instantius, et que cette année soit pour les peuples semblable à la précédente ! Il n'ignore pas le fardeau qu'on s'impose en succédant à Macer : mesurer l'étendue de ses devoirs, c'est être capable de les remplir.

C. - CONTRE UN EFFRONTÉ

Tu as, dis-tu, la bouche de ton grand-père, le nez de ton oncle, les deux yeux de ton père, et les gestes de ta mère : puisqu'il n'est pas une partie de ton corps qui ne rappelle tes ancêtres, de qui as-tu le front, dis-moi !

CI. - A MATTUS

Si, quand tu frappes à ma porte, je fais dire que je n'y suis pas, sais-tu, Mattus, ce que cela signifie ? que je dors pour toi.

CIL - A MILON

Encens, poivre, habits, argenterie, manteaux et pierres précieuses, voilà, Milon, ce que tu nous vends chaque jour. Une fois payées, l'acheteur emporte avec lui ses emplettes. L'article le plus avantageux de ton fonds, c'est ta femme : car vendue et revendue, elle ne fait point faute à celui qui la vend : jamais on ne l'emporte.