OVIDE
Introduction | Héroïdes | Amours | L'art d'aimer | Le remède d'Amour | les cosmétiques | |
les halieutiques | les Métamorphoses | les Fastes | les tristes | les pontiques | consolation | ibis noyer |
LES TRISTES.
LIVRE
PREMIER.
ÉLÉGIE
1.
Va,
petit livre, j'y consens, va sans moi dans cette ville où, hélas ! il ne
m’est point permis d'aller, à moi qui suis ton père; va, mais sans
ornements, comme il convient au fils de l'exilé ; et malheureux, adopte les
insignes du malheur. Que le vaciet (1)
ne te farde point de sa teinture de pourpre ; cette couleur n'est pas la couleur
du deuil ; que le vermillon (2)
ne donne pas de lustre à ton titre, ni l'huile de cèdre à tes
feuillets. Qu'on ne voie point de blanches pommettes (3)
se détacher sur tes pages noires ; cet appareil peut orner des livres heureux,
mais toi, tu ne dois pas oublier ma misère ; que ta double surface ne soit
point polie par la tendre pierre-ponce (4)
; présente-toi hérissé de poils épars çà et là, et ne sois pas honteux de
quelques tâches : celui qui les verra y reconnaîtra l'effet de mes larmes. Va,
mon livre, et salue de ma part les lieux qui me sont chers ; j'y pénétrerai
ainsi par la seule voie qui me reste ouverte.
S'il est quelqu'un dans la foule qui pense encore à moi, s'il est quelqu'un qui
demande par hasard ce que je fais, dis-lui que j'existe, mais que je ne vis pas,
et que cependant cette existence précaire est le bienfait d'un dieu. Par
prudence, et de peur d'aller trop loin, tu ne répondras aux questions indiscrètes
qu'en te laissant lire. A ton aspect, le lecteur aussitôt se préoccupera de
mes crimes, et je serai poursuivi par la clameur populaire, comme un ennemi
public. Abstiens-toi de répliquer, même aux plus mordants propos ; une cause déjà
mauvaise se gâte encore quand on la plaide. Peut-être trouveras-tu quelqu'un
qui gémira de m'avoir perdu, qui lira ces vers les joues mouillées de pleurs,
et dont les yeux silencieux, de peur des oreilles malveillantes, invoqueront la
clémence de César et le soulagement de mes maux. Quel qu'il soit, puisse-t-il
n'être pas malheureux un jour, celui qui sollicite l'indulgence des dieux en
faveur des malheureux ! Puissent ses vœux s'accomplir ! puisse le ressentiment
du prince s'éteindre et me permettre de mourir au sein de la patrie !
Quelque fidèle que tu sois à mes ordres, peut-être, ô mon livre! seras-tu
critiqué et mis bien au-dessous de ma réputation. Le devoir du juge est
d'examiner les circonstances des faits aussi bien que les faits eux-mêmes ; cet
examen te sauvera. La poésie ne peut éclore que dans la sérénité de l'âme,
et des malheurs soudains ont assombri mon existence ; la poésie réclame la
solitude et le calme, je suis le jouet de la mer, des vents et de la tempête ;
la poésie veut être libre de crainte, et, dans mon
délire, je vois sans cesse un glaive menacer ma poitrine. Mais ces vers devront
encore étonner le critique impartial ; et, quelque faibles qu'ils soient, il
les lira avec indulgence. Mettez à ma place un Homère, et l'entourez d'autant
d'infortune que moi-même, tout son génie en serait bientôt frappé
d'impuissance.
Enfin, mon livre, pars indifférent à l'opinion et ne rougis pas si tu déplais
au lecteur. La fortune ne nous est pas assez favorable pour que tu fasses cas de
la gloire. Au temps de ma prospérité, j'aspirais à la renommée, et j'en étais
avide ; aujourd'hui, si je ne maudis pas la poésie, ce penchant qui m'a
été fatal, cela doit suffire, puisque mon exil est aussi l'œuvre de mon génie.
Va cependant, va pour moi, tu le peux du moins, contempler Rome. Dieux ! que ne
puis-je, en ce jour, être mon livre !
Ne crois pas cependant, parce que tu arriveras étranger dans la ville immense,
que tu puisses y arriver inconnu, sans titre même. Ta sombre couleur te
trahirait, si tu voulais renier ton père. Ne t'introduis toutefois qu'avec mystère
; mes anciennes poésies pourraient te nuire, et je ne suis plus, comme jadis,
le favori du public. Si quelqu'un, par cela seul que tu viens de moi, se fait
scrupule de te lire et te rejette de son sein, dis-lui : "Regarde le titre
; je n'enseigne pas ici l'art d'aimer ; une peine était due à ce livre, et il
l'a subie."
Peut être veux-tu savoir si je t'ordonnerai de gravir la colline où s'élève
le palais de César ? Pardon, séjour auguste ; pardon, divinités de ce séjour
! Mais c'est de cette demeure redoutable que la foudre est tombée sur ma tête.
Je connais, sans doute, la clémence des divinités qui y résident, mais je
redoute celles qui m'ont frappé. Elle tremble au moindre bruit d'ailes, la
colombe que les serres de l'épervier ont blessé ; elle n'ose plus s'éloigner
de la bergerie, la brebis arrachée à la gueule du loup ravisseur; Phaéton,
s'il revenait à la vie, fuirait le ciel, et n'oserait approcher de ces
coursiers qu'il voulut follement conduire. Et moi aussi je crains encore, je
l'avoue, après en avoir senti les atteintes, les traits de Jupiter, et je me
crois menacé de ses feux vengeurs chaque fois que le tonnerre gronde. Celui des
Grecs dont le navire a une fois évité les écueils de Capharée détourne ses
voiles des eaux de l'Eubée ; ma barque aussi, déjà battue par une terrible
tempête, frémit d'approcher des côtes où elle fut maltraitée. Sois donc,
livre chéri, sois timide et circonspect, et qu'il te suffise d'être lu des
gens de condition médiocre. Icare, pour s'être élancé d'une aile trop faible
vers les régions élevées de l'air, a donné son nom à la mer Icarienne. Il
est difficile cependant de décider si tu dois faire usage de la rame ou des
voiles ; tu consulteras le temps et les lieux. Si tu peux être présenté dans
un moment de loisir, si tu vois le calme régner partout, si la colère a épuisé
sa fougue, s'il se trouve un introducteur généreux qui, malgré tes hésitations
et tes craintes, la présente, après avoir préparé en peu de mois ta réception,
risque-toi. Puisses-tu, plus heureux que ton maître, arriver en temps opportun
et soulager ma misère ; car nul autre que l'auteur de ma blessure, comme
autrefois Achille, ne peut la guérir. Prends garde surtout de me nuire en
voulant me servir : mon cœur,
hélas ! craint plus qu'il n'espère. Ne va pas éveiller et ranimer
cette colère qui sommeille, et ne sois pas pour moi la cause d'un châtiment
nouveau.
Quand tu seras entré dans le sanctuaire de mes travaux, que tu auras trouvé la
cassette arrondie, domicile qui t'est destiné, tu y verras rangés en bon ordre
tes frères, autres enfants de mes veilles ; tous montreront. leurs titres à découvert,
et porteront fièrement leur nom inscrit en toutes lettres. Il en est trois
seulement que tu découvriras cachés dans un coin obscur. Ceux-là enseignent
un art que personne n'ignore, l'Art
d'Aimer. Fuis leur contact ou flétris-les, si tu l'oses, du nom d'Oedipe et
de Télégone (5);
si tu as de la déférence pour ton père, je te conjure de ne pas en aimer un
seul des trois, quoi qu'il fasse pour t'apprendre à aimer. Il est aussi quinze
volumes de métamorphoses, poésies échappées à mes funérailles ; je te
charge de leur, dire que ma fortune peut fournir une métamorphose de plus à
celles que j'ai chantées, car elle a pris tout à coup un aspect bien différent
de ce qu'elle était d'abord, aussi pitoyable aujourd'hui qu'elle était
heureuse hier. J'aurais encore, si tu veux le savoir, beaucoup d'instructions à
te donner, mais je crains d'avoir déjà trop retardé ton départ ; si
d'ailleurs je te chargeais de tout ce qui oppresse mon âme, tu deviendrais
toi-même un fardeau trop lourd à transporter ; le voyage est long ! hâte-toi
donc. Pour moi, je resterai confiné aux extrémités du monde, sur une terre
bien éloignée de celle qui m'a vu naître !
ÉLÉGIE
II.
Dieux
de la mer et du ciel ! (car il ne me reste plus maintenant qu'à faire des
vœux), n'achevez pas de mettre en pièces ce navire, déjà si maltraité, et
ne vous associez pas à la vengeance du grand César. Souvent un dieu protège
ceux qu'un autre persécute. Si Vulcain prit parti contre Troie, Apollon se déclara
pour elle. Vénus favorisa les Troyens, quand Pallas leur était contraire ;
Junon, si propice à Turnus, haïssait Énée, mais celui-ci était en sûreté
sous la sauvegarde de Vénus ; souvent Neptune en courroux a attaqué le prudent
Ulysse, et souvent Minerve le déroba aux coups du frère de son père. Et nous
aussi, malgré la distance qui nous sépare de ces héros, qui empêche qu'une
divinité ne nous protège contre les agressions d'une autre divinité ?
Mais, infortuné que je suis ! mes vœux impuissants se perdent dans les airs !
d'énormes vagues couvrent la bouche qui les profère. L'impétueux Notus
disperse mes paroles et ne permet pas d'arriver jusqu'aux dieux les prières que
je leur adresse. Ainsi les mêmes vents, comme si c'était trop peu pour moi
d'un seul dommage, emportent je ne sais où et mes voiles et mes vœux !
O malheur ! quelles vastes montagnes d'eau roulent les unes sur les autres et
semblent vouloir s'élancer jusqu'au ciel ! Quelles vallées profondes, quand
les flots s'abaissent, s'entrouvrent sous nos pieds, et semblent toucher au
sombre Tartare ; de quelque côté que se portent les regards, partout la mer et
le ciel, l'une grosse de vagues amoncelées, l'autre de nuages menaçants. Au
milieu de ces deux éléments, les vents se déchaînent en tourbillons furieux.
La mer ne sait à quel maître obéir : tantôt c'est l'Eurus qui s'élance de
l'orient embrasé, tantôt le Zéphyr qui souffle de l'occident, tantôt le
froid Borée accourt avec furie de l'aride Septentrion (1),
et tantôt le Notus vient le combattre en l'attaquant de front. Le pilote éperdu
ne sait plus quelle route éviter ou suivre ; dans cette affreuse perplexité,
son art même est frappé d'impuissance.
Ainsi donc nous mourons ! plus d'espoir de salut qui ne soit chimérique !
Pendant que je parle, la vague inonde mon visage ; elle m'ôte la respiration,
et ma bouche, ouverte en vain pour implorer l'assistance des dieux, se remplit
d'une onde homicide. Heureusement ma fidèle épouse ne pleure que mon exil ! De
tous mes malheurs, elle ne connaît et ne déplore que celui-là ; elle ignore
que je suis le jouet du vaste Océan, elle ignore que je suis à la merci des
vents, elle ignore enfin que la mort est là, sous mes yeux. Je rends grâces
aux dieux de ce que je n'ai pas souffert qu'elle s'embarquât avec moi, de ce
que la fatalité n'a pas voulu que je subisse deux fois la mort. Quand je périrais
maintenant, puisqu'elle est en sûreté, je me survirais encore dans la moitié
de moi-même.
Hélas ! quel rapide éclair a sillonné la nue ! de quels terribles éclats
retentit la voûte éthérée ! La lame frappe les flancs du navire aussi
violemment que la pesante baliste qui ébranle les remparts ; et la vague qui s'élève
surpasse toutes les autres vagues, c'est celle qui suit la neuvième et précède
la onzième (2).
Ce n'est pas la mort que je redoute, ce sont Ies horreurs d'une telle mort:
sauvez-moi du naufrage, la mort sera pour moi un bienfait. C'est quelque chose,
pour celui qui meurt de mort naturelle ou par le fer, de rendre son corps à la
terre sur laquelle il a vécu ; c'est quelque chose d'espérer un tombeau de la
tendresse de ses proches et de ne pas être la pâture des monstres marins.
Supposez-moi digne d'un tel supplice, je ne suis pas seul sur ce navire ;
pourquoi envelopper dans ma perte des hommes innocents ?
Dieux de l'Olympe, et vous, dieux azurés qui régnez sur les mers, cessez vos
menaces les uns et les autres ; cette vie que m'a laissée la colère généreuse
de César, souffrez que je la traîne douloureusement jusqu'au séjour qu'il
m'assigne. Si vous voulez que mon expiation soit proportionnée à mon crime, ma
faute, César lui-même l'a décidé, n'est pas de celles que l'on punit de mort
; s'il eût voulu m'envoyer sur les bords du Styx, certes il le pouvait sans
votre aide ! Toujours maître de verser mon sang, il ne m'envie pas le bonheur
de vivre, et peut encore, quand il le voudra, m'ôter ce qu'il m'a laissé. Mais
vous, envers qui du moins je ne me crois coupable d'aucune offense, ô dieux !
je vous en supplie, contentez-vous des maux que j'endure.
Et pourtant quand vous vous uniriez tous pour sauver un malheureux, l'être déjà
frappé de mort ne peut plus être sauvé ; que la mer se calme, que les vents
me deviennent favorables, que vous me fassiez grâce enfin, en serai-je moins
exilé ? Ce n'est pas pour trafiquer ni pour assouvir ma cupidité de richesses
infinies que je sillonne la vaste mer ; ce n'est pas pour aller, comme
autrefois, étudier à Athènes, ni pour visiter les villes de l'Asie et les
contrés que j'y ai déjà vues, ni pour aborder à la célèbre ville
d'Alexandre (3)
et voir tes rives enchantées, ô Nil capricieux ! Si je demande des vents
favorables, qui le croirait ? c'est la Sarmatie (4)
qui est la terre où j'aspire ! Je fais des vœux pour toucher aux rivages
barbares du Pont occidental (5),
et je suis réduit à me plaindre de m'éloigner trop lentement de ma patrie !
Pour voir Tomes, située je ne sais dans quel coin du monde, j'abrège par mes vœux
la route de l'exil. Si je vous suis cher, calmez ces flots furieux, et servez de
guide à mon vaisseau ; si je vous suis odieux, poussez-le vers ces côtes où César
me relègue, puisque le pays même contribue en partie à l'aggravation de mon
supplice. Hâtez donc (que fais-je ici ?), vents rapides, hâtez ma course.
Pourquoi mes voiles sont-elles encore en vue des bords ausoniens ? César ne le
veut pas ; pourquoi retenir celui qu'il bannit ? Que les côtes du Pont
s'offrent plutôt à mes regards ! ainsi l'ordonne-t-il, et je l'ai mérité.
Je ne crois pas même que le crime condamné par lui puisse être légitimement
et saintement défendu. Toutefois, puisque les dieux ne peuvent s'abuser sur les
actions des hommes, je fus coupable, vous le savez, mais non pas criminel. Que
dis-je ! si, comme vous le savez encore, je n'ai cédé qu'à une erreur
involontaire, si mon esprit a été aveuglé et non pervers ; si j'ai soutenu la
famille d'Auguste, autant que le peut un citoyen obscur ; si ses ordres furent
toujours sacrés pour moi ; si j'ai célébré le bonheur du peuple sous son
empire ; si j'ai fait fumer un pieux encens en son honneur, en l'honneur des Césars
; si tels furent toujours mes sentiments, veuillez, grands dieux, m'épargner en
retour. S'il en est autrement, que la vague suspendue sur ma tête retombe sur
elle et m'engloutisse.
Me trompé-je ? vois-je bien se dissiper les sombres nuages et la mer, dont le
courroux s'épuise, changer d'aspect ? Ce n'est pas l'effet du hasard, non !
c'est vous, dieux, dont j'ai, sous condition, invoqué l'appui, vous qu'on ne
peut jamais tromper, c'est vous qui m'exaucez en ce fatal moment.
ÉLÉGIE
III.
Quand
m'apparaît le lugubre tableau de cette nuit qui fut l'agonie de ma vie à Rome
(1),
quand je songe à cette nuit où je quittai tant d'objets si chers, maintenant
encore des larmes s'échappent de mes yeux.
Déjà approchait le jour où je devais, d'après l'ordre de César, franchir
les frontières de l'Ausonie : je n'avais ni le temps ni la liberté d'esprit
suffisante pour faire mes préparatifs ; mon âme était restée engourdie dans
une longue inaction ; je ne m'étais occupé ni du choix des esclaves qui
devaient m'accompagner ni des vêtements et des autres nécessités de l'exil.
Je n'étais pas moins étourdi de ce coup qu'un homme foudroyé par Jupiter, qui
existe encore, mais sans avoir encore recouvré le sentiment de l'existence.
Lorsque l'excès même de la douleur eut dissipé le nuage qui enveloppait mon
esprit, et que mes sens se furent un peu calmés, prêt à partir, j'adresse une
dernière fois la parole à mes amis consternés, naguère si nombreux, et dont
je ne voyais plus que deux près de moi. Ma tendre épouse, me serrant dans ses
bras, mêlait à mes pleurs ses pleurs plus abondants, ses pleurs qui coulaient
à flots le long de son visage, indigné de cette souillure. Ma fille, alors
absente et loin de moi, retenue en Libye, ne pouvait être informée de mon désastre.
De quelque côté qu'on tournât les yeux, on ne voyait que des gens éplorés
et sanglotants ; on eût dit des funérailles, de celles où la douleur n'est
pas muette ; hommes, femmes, enfants même pleuraient comme si j'étais mort,
et, dans toute la maison, il n'était pas une place qui ne fût arrosée de
larmes : tel, si l'on peut comparer de grandes scènes à des scènes moins
imposantes, tel dut être l'aspect de Troie au moment de sa chute.
Déjà l'on n'entendait plus la voix de l'homme ni l'aboiement des chiens, et la
lune guidait au haut des airs son char nocturne. Élevant mes regards jusqu'à
elle, et les reportant de l'astre au Capitole, dont le voisinage, hélas ! fut
inutile au salut de mes pénates. "Divinités habitantes de ces demeures
voisines, m'écriai-je, temples que désormais mes yeux ne verront plus ; dieux,
à qui la noble ville de Quirinus dresse des autels qu'il me faut abandonner,
salut pour toujours ! Quoiqu'il soit trop tard de prendre le bouclier après la
blessure, cependant déchargez-moi de la haine que m'impose mon exil ; dites à
ce mortel céleste, à l'auteur de mon châtiment, quelle erreur m'aveugla, afin
qu'il ne persiste pas à voir un crime là où il n'y a qu'une faute ; dites-lui
qu'il juge cette faute comme vous la jugez vous-mêmes. Ce dieu apaisé, je puis
n'être pas malheureux."
Ainsi je priai les dieux ; ma femme, dont les paroles étaient entrecoupées de
sanglots, pria plus longuement. Ensuite, les cheveux en désordre, elle se
prosterna devant nos Lares, baisa les foyers éteints de ses lèvres
tremblantes, et prodigua aux pénates insensibles des supplications, hélas !
sans profit pour son époux infortuné.
Déjà la nuit se précipite et ne permet plus de retard : déjà l'Ourse de
Parrhasie a détourné son char. Que faire ? J'étais retenu par le doux amour
de la patrie ; mais cette nuit était la dernière qui précédât mon exil. Ah
! que de fois, en voyant l'empressement de mes compagnons, ne leur ai-je pas dit
: "Pourquoi vous hâter ? Songez-donc aux lieux d'où vous partez, à ceux
où vous allez si vite ! Que de fois ai-je feint d'avoir fixé d'avance, comme
plus favorable, une heure à ce fatal départ ! Trois fois je touchai le seuil,
et trois fois je reculai. Mes pieds, par leur lenteur, semblaient d'accord avec
mon âme. Souvent, après un adieu, je parlai beaucoup encore ; souvent je
donnai les derniers baisers, comme si je m'éloignais enfin ; souvent je réitérai
les mêmes ordres et je m'abusai moi-même, reportant mes regards sur les objets
de ma tendresse. Enfin. Pourquoi me presser ? C'est en Scythie qu'on m'envoie,
m'écriai-je, et c'est Rome que je quitte, double excuse de ma lenteur ! Vivant,
je perds à jamais mon épouse vivante, ma famille, ma maison et les membres fidèles
qui la composent ; et vous que j'aimai comme des frères, vous dont le cœur eut
pour moi la fidélité de Thésée, que je vous embrasse quand je le puis
encore, car peut-être ne le pourrai-je plus jamais ! L'heure qui me reste est
une heure de grâce ; plus de retard !" Mes paroles restent inachevées, et
j'embrasse ceux qui m'approchent de plus près.
Tandis que je parle et que nous pleurons, l'étoile importune du matin brille
sur l'horizon ; Lucifer se lève. Soudain je me sens déchiré comme si l'on m
arrachait quelque membre ou comme si une partie de mon corps était séparée de
l'autre. Tel fut le supplice de Métius (2),
quand des coursiers, vengeurs de sa trahison, l'écartelèrent. Ce n'est plus
alors chez les miens qu'une explosion de cris et de gémissements : chacun se
meurtrit le sein d'une main désespérée, et ma femme, suspendue à mon cou, mêla
à ses sanglots ces tristes paroles : "Non, tu ne peux m'être ravi : nous
partirons ensemble ; je suivrai tes pas ; femme d'un exilé, je le serai moi-même,
le chemin m'est aussi ouvert ; ma place est près de toi, à l'extrémité du
monde. Je n'ajouterai pas beaucoup à la charge du vaisseau. La colère de César
te force à quitter ta patrie ; moi, c'est la piété conjugale ; ses lois
seront pour moi plus puissantes que les ordres de César." Tels étaient
ses efforts, efforts déjà tentés auparavant. À peine céda-t-elle aux
importants motifs de notre intérêt commun.
Je sors (ou plutôt il semblait, moins le cérémonial, qu'on me portât au
tombeau) tout en désordre, les cheveux épars et le visage hérissé de barbe.
Pour elle, anéantie par la douleur, elle sentit sa vue s'obscurcir et tomba,
comme je l'ai su depuis, à demi-morte, sur le carreau.
Quand elle fut revenue à elle, et que les cheveux souillés de poussière, elle
eut soulevé son corps gisant sur le marbre glacé, elle pleura sur elle
d'abord, et puis sur nos pénates abandonnés ; elle prononça mille fois le nom
de l'époux qu'elle perdait, et son désespoir ne fut pas moindre que si elle
avait vu le bûcher recevoir le corps de sa fille ou le mien. Surtout elle
voulut mourir et perdre le sentiment avec la vie ; elle ne consentit à vivre
que pour moi.
Qu'elle vive donc pour l'exilé, puisque les dieux l'ont voulu ainsi, qu'elle
vive et me continue ses soins bienveillants pendant mon absence !
ÉLÉGIE
IV.
Le
gardien de l'Ourse d'Érymanthe se reflète dans l'Océan, et son influence
trouble les flots ; et cependant c'est en dépit de nous que nous sillonnons la
mer Ionienne ; mais la peur nous impose tant d'audace.
Malheureux que je suis ! quelles masses d'eau soulève la tempête, et comme le
sable bouillonne, arraché du fond des abîmes ; des vagues hautes comme des
montagnes viennent assaillir la proue et frapper l'image des dieux (1).
Ses flancs de bois de sapin craquent de toutes parts ; le vent fait siffler les
cordages, et le navire lui-même témoigne par ses frémissements qu'il est
sensible à notre détresse. Pâle et frissonnant, le pilote trahit son effroi ;
il cède au mouvement du navire qu'il ne peut plus régler. De même qu'un écuyer
malhabile abandonne au coursier rebelle ses rênes impuissantes, ainsi je vois
le pilote lâcher les voiles au vaisseau, et voguer, non pas dans la direction
qu'il voudrait, mais au gré de la violence impétueuse des flots. Si donc Éole
ne nous envoie pas des vents opposés, je serai peut-être entraîné vers les
lieux où il m'est détendu d'aborder ! Déjà, laissant l'Illyrie (2)
à gauche, j'aperçois dans le lointain l'Italie qui m'est interdite. Cessez
donc, ô vents! cessez, je vous supplie, de me pousser vers des rivages qu'on
m'a rendus inaccessibles, et obéissez ainsi que moi à un dieu tout puissant.
Tandis que je parle, et que j'hésite entre le désir et le regret de m'éloigner,
avec quelle furie la vague vient de frapper le flanc du navire ! Grâce, divinités
de l'empire azuré ! grâce, n'ai-je pas assez déjà de la haine de Jupiter ?
Sauvez d'une mort affreuse un malheureux épuisé, si toutefois celui qui est déjà
anéanti peut être sauvé du néant.
ÉLÉGIE
V.
O
toi que je ne mettrai jamais au second rang sur la liste de mes amis ! toi qui
envisageas ma disgrâce comme si elle eût été la tienne propre, toi enfin,
cher ami, qui le premier, il m'en souvient, osas me relever de mon abattement
par tes paroles encourageantes, et me donner le doux conseil de vivre quand le désir
de la mort possédait tout entière mon âme infortunée, tu te reconnais sans
doute à ces traits substitués à ton nom ? .... Tu ne peux prendre le change
sur l'expression d'une reconnaissance que tu as inspirée. Les souvenirs sont
pour toujours fixés au fond de mon cœur, et je t'aimerai à jamais comme mon
sauveur. Le souffle qui m'anime se perdra dans les airs, et abandonnera mon
corps aux flammes du bûcher ardent, avant que l'oubli de ta générosité pénètre
dans mon âme, avant que le temps éteigne les sentiments de tendresse que je
t'ai voués. Que les dieux te soient propices ! qu'ils rendent ta destinée
assez heureuse pour n'avoir pas besoin d'aide! qu'ils la rendent tout autre que
la mienne! Et pourtant, si ma barque eût vogué au gré d'un vent favorable,
tant de dévouement ne se fût peut-être pas révélé ! Pirithoüs n'eût pas
éprouvé l'infatigable amitié de Thésée (1),
s'il ne fût descendu vivant aux sombres bords ; tes fureurs, malheureux Oreste,
ont été pour Pylade l'occasion de paraître le modèle des amis ; si Euryate
ne fût tombé entre les mains ennemies des Rutules, Nisus, le fils d'Hyrtaque,
n'eût acquis aucune gloire (2).
Comme le feu éprouve l'or, l'adversité éprouve l'amitié : tant que la
fortune nous favorise et nous montre un visage serein, tout sourit à une destinée
jusqu'alors à l'abri de toute atteinte. La foudre vient-elle à gronder, tout
fuit, et personne ne connaît plus celui qu'entourait naguère un essaim
d'adulateurs. Ces vérités que j'avais observées dans l'histoire du passé,
une triste expérience m'en fait connaître la réalité : de tant d'amis à
peine êtes-vous deux ou trois qui me restiez fidèles ; les autres étaient les
amis de la Fortune, et non les miens. Mais plus votre nombre est restreint, plus
j'appelle votre zèle au secours de ma disgrâce. Offrez un port sûr au naufragé
: surtout ne vous effrayez pas inconsidérément de l'idée que votre
attachement puisse offenser un dieu. César a souvent loué la fidélité même
dans ceux qui le combattaient ; il l'aime dans ses partisans et l'estime dans
ses ennemis. Ma cause est plus facile à défendre, puisque je n'ai jamais
soutenu le parti contraire à César, et que je n'ai mérité mon exil que par
une inconséquence. Ainsi donc, je t'en supplie, au nom de mes malheurs, sois
attentif à calmer, s'il est possible, le ressentiment de cette divinité.
Au reste, si quelqu'un veut connaître, tous mes malheurs, il demande plus qu'il
ne m'est permis de lui dire. Les maux que j'ai soufferts sont aussi nombreux que
les astres brillants du ciel, que les imperceptibles atomes contenus dans
l'aride poussière. Ce que j'ai souffert surpasse toute vraisemblance, et mes
peines, quoique trop réelles, seront regardées comme des fables. Il en est
d'ailleurs une partie qui doit mourir avec moi ; et puisse ce mystère, alors
que je garderai le silence, n'être jamais révélé ! Eussé je une voix
infatigable, une poitrine plus dure que l'airain, plusieurs bouches avec
plusieurs langues, le sujet épuiserait mes forces avant que j'aie pu le traiter
en entier.
Laissez là, poètes fameux, le roi de Nérite (3),
et dites mes infortunes. J'en ai plus essuyé qu'Ulysse même : il erra
plusieurs années dans un étroit espace entre Dulychium et les ruines d'Ilion,
mais moi, après avoir traversé des mers situées au-delà des étoiles qui m'étaient
connues, j'ai été poussé par le sort sur les côtes des Gètes et des
Sarmates. Il eut avec lui une troupe dévouée de fidèles amis, et tout le
monde m'abandonna quand
il me fallut partir. Vainqueur joyeux, il cherchait sa patrie ; vaincu et
banni, je fuis la mienne, et ma patrie, ce n'est ni Dulychium, ni Ithaque, ni
Samos, séjours dont la privation était supportable ; c'est la ville qui, du
haut de ses sept collines, surveille l'univers, c'est Rome, le siège de
l'empire et le séjour des dieux. Ulysse était robuste et rompu à la fatigue,
mon corps est faible et délicat. Il était habitué aux terribles vicissitudes
de la guerre, et je ne connus jamais que le doux loisir des Muses. Accablé par
un dieu, je n'ai reçu l'assistance d'aucun autre. La déesse des combats le
protégeait. Le dieu qui règne sur les ondes indociles est moins redoutable que
Jupiter. Or, la colère de Neptune pesa seule sur Ulysse, et sur moi, celle de
Jupiter. Ajoutez à cela que la plupart de ses malheurs sont imaginaires, et il
n'y a rien de fabuleux dans les miens. Il revit enfin ses pénates si longtemps
désirés, cette terre si longtemps cherchée, mais moi, c'est pour toujours que
j'ai perdu ma patrie, si le dieu que j'ai offensé ne s'adoucit pas.
ÉLÉGIE
VI.
Lydée
fut moins aimée du poète de Claros (1),
et Battis de celui de Cos (2),
que tu ne l'es de moi, chère épouse, toi dont l'image est gravée au fond de
mon cœur, et à qui le sort devait un époux plus heureux, mais non pas plus dévoué.
Tu fus l'appui qui soutint ma destinée croulante, et le peu que je suis encore
est un bienfait de toi ; c'est à toi que je dois de n'être pas tout à fait dépouillé,
ni devenu la proie des hommes avides qui convoitaient les débris de mon
naufrage. Comme un loup ravisseur, pressé par la faim et altéré de sang, épie
l'instant de surprendre une bergerie sans défense ou comme un vautour affamé
cherche autour de lui s'il n'apercevra pas quelque cadavre sans sépulture,
ainsi je ne sais quel lâche ennemi du malheur allait s'emparer de mes biens, si
tu l'avais souffert. Ton courage lui opposa victorieusement ces amis généreux
à qui je ne témoignerai jamais assez de reconnaissance. Tu trouves donc en moi
un témoin de ton dévouement aussi sincère qu'il est malheureux, si toutefois
un pareil témoin peut avoir quelque poids ; en effet, ton dévouement surpasse
celui de la femme d'Hector et celui de cette Laodamie, qui partagea la mort de
son époux. Si les destins t'eussent donné un Homère (3),
ta gloire eût éclipsé la gloire de Pénélope ; soit que tu ne doives
ton mérite qu'à toi seule, sans en avoir emprunté le modèle à aucune école,
et grâce aux heureux penchants dont tu fus dotée en naissant ; soit que cette
femme d'un rang suprême (4),
et à laquelle tu fus attachée toute ta vie, t'enseigne à être l'exemple de
la perfection conjugale, et que, par une longue habitude de vous voir, elle
t'ait rendue semblable à elle-même, si de tels rapports peuvent s'établir
entre une destinée si élevée et une si humble fortune.
Ah ! pourquoi ma verve s'est-elle affaiblie ? Pourquoi mon génie est-il
maintenant au-dessous de ton mérite ? Pourquoi le peu d'énergie que j'eus
autrefois s'est-il amorti sous le poids de mes longues infortunes ? Tu aurais la
première place parmi les saintes héroïnes, tu serais la plus illustre d'entre
elles par les qualités de ton âme ! Cependant, quelle que soit la valeur de
mes éloges, tu vivras du moins éternellement dans mes vers.
ÉLÉGIE
VII.
Qui
que tu sois qui possèdes l'image fidèle de mes traits, détaches-en le lierre
(1),
couronne bachique qui ceint ma tête ; ces symboles heureux ne conviennent
qu'aux poètes heureux. Une couronne me sied mal dans l'état où je suis. Tu
dissimules en vain, tu sais que je m'adresse à toi, le meilleur des amis, qui
me portes partout à ton doigt, qui as fait enchâsser mon portrait dans un or
pur (2),
afin de contempler, par le seul moyen possible, les traits chéris de l'exilé.
Peut-être, chaque fois que tu les regardes, te prends-tu à te dire :
"Qu'il est loin de moi, ce cher Ovide !" Je suis heureux de ce
souvenir ; mais je suis peint plus en grand dans ces vers que je t'envoie, et
que je te prie de lire, malgré leurs défauts. J'y chante les métamorphoses
des êtres, ouvrage que le funeste exil de son auteur avait interrompu ; ce poème,
comme beaucoup d'autres écrits, je l'avais, lors de mon départ, et dans
l'emportement de la douleur, livré aux flammes ; et comme la fille de Thestias
(3),
sœur dévouée plutôt que tendre mère, brûla, dit-on, son fils avec le tison
fatal, ainsi, pour qu'ils ne me survécussent pas, je brûlai ces livres
innocents, mes propres entrailles, soit par ressentiment contre les Muses, cause
de ma disgrâce, soit parce que mon oeuvre ne me semblait qu'une ébauche encore
informe. Si elle n'a pas péri tout entière, si elle existe encore, c'est, je
pense, que quelque copie l'avait reproduite. Qu'elle vive ! je le demande
maintenant, et qu'amusant les loisirs du public, elle s'emploie avec ardeur à
le faire souvenir de moi.
Personne, toutefois, n'en supporterait la lecture, si l'on n'était prévenu que
je n'ai pu y mettre la dernière main, qu'elle a été enlevée de l'enclume à
peine forgée, que le poli de la lime lui a manqué ; aussi est-ce l'indulgence
que je sollicite, et non des éloges ; et ce sera me louer assez, Latins, que de
ne pas me rejeter. Voilà, si tu les en crois dignes, six vers à placer en tête
du livre : "Qui que tu sois, aux mains de qui tombe cet ouvrage orphelin,
donne-lui du moins un asile dans cette Rome qui est restée ton séjour.
Rappelle-toi, pour lui être favorable, qu'il n'a point été publié par son
auteur, qu'on l'a comme sauvé de mon bûcher funèbre. Tout ce qu'un travail
interrompu y a laissé de fautes, songe que, si le sort l'eût permis, je les
eusse corrigées."
ÉLÉGIE
VIII.
On
verra remonter de leurs embouchures à leurs sources les fleuves majestueux, et
rétrograder les coursiers du soleil ; on verra la terre se couvrir d'étoiles,
le ciel s'ouvrir sous le soc de la charrue, la flamme jaillir de l'eau, et l'eau
jaillir du feu ; enfin tout ira au rebours des lois de la nature ; aucun corps
ne suivra la route qui lui est tracée ; les phénomènes que je croyais
impossibles se réaliseront, et il n'est plus rien qu'on ne doive admettre désormais
comme croyable. Ces prédictions, je les fais parce que celui dont j'attendais
l'assistance dans l'adversité a trahi mon espoir. M'as-tu donc à ce
point oublié, perfide ? as-tu à ce point redouté la contagion du malheur, que
tu n'aies eu, pour me consoler dans mon affliction, ni un regard ni une parole,
et que tu n'aies pas, âme insensible, assisté à mes funérailles ? L'amitié,
dont le nom est imposant et sacré pour tous, est donc pour toi un objet méprisable
et bon à fouler aux pieds ? Que te coûtait-il de visiter un ami accablé sous
les coups du malheur, de lui adresser des paroles encourageantes, de donner,
sinon une larme à son infortune, du moins quelques regrets apparents, quelques
signes de douleur, de lui dire simplement adieu, ce qu'on obtient même des étrangers
; de joindre ta voix à la voix du peuple, tes cris à ses cris ; enfin, puisque
tu allais ne plus voir mon visage consterné, de profiter, pour le voir encore,
des derniers jours qui te restaient, et une seule fois encore, pour toute ta
vie, de recevoir et de prononcer, avec un attendrissement mutuel, un dernier
adieu ? C'est pourtant là ce qu'ont fait des hommes qu'aucun lien n'attachait
à moi, et des larmes abondantes attestaient leur émotion. Que serait-ce donc
si tu n'avais pas vécu avec moi, et aussi longtemps, dans une étroite amitié,
fondée sur de puissants motifs ? Que serait-ce donc si tu avais eu moins de
part à mes plaisirs et à mes affaires, si je n'avais été moi-même le
confident de tes plaisirs et de tes affaires ? Que serait-ce donc si je ne
t'avais connu qu'au milieu de Rome, toi, associé en tout et partout à mon
existence? Tout cela est-il devenu le jouet des vents impétueux ? Tout
cela est-il devenu la proie du Léthé ?
Non, je ne crois pas que tu sois né dans la molle cité de Quirinus, dans cette
ville, hélas ! où je ne dois plus rentrer, mais au milieu des rochers qui hérissent
cette rive gauche du Pont, au sein des monts sauvages de la Scythie et de la
Sarmatie. Tes entrailles sont de roche, ton cœur sans pitié est de bronze ;
une tigresse fut la nourrice dont ta lèvre enfantine pressa les mamelles ; sans
cela tu n'aurais pas vu mes malheurs avec autant d'indifférence, et tu ne te
serais pas attiré de ma part cette accusation de cruauté. Mais puisque aux
autres coups du destin se joint encore la perte de l'amitié que tu me témoignais
jadis, tâche du moins de me faire oublier ta faute, et de forcer la bouche qui
t'accuse aujourd'hui à faire bientôt ton éloge.
ÉLÉGIE
IX.
Puisses-tu
parvenir sans orages au terme de ta vie, toi qui lis mon livre sans prévention
hostile à son auteur ! Puisse le ciel, que mes vœux n'ont pu fléchir pour
moi, exaucer les vœux que je forme aujourd'hui pour toi ! Tant que tu seras
heureux, tu compteras beaucoup d'amis ; si le temps se couvre de nuages, tu
resteras seul. Vois comme les colombes sont attirées par la blancheur des édifices,
tandis que la tour noircie par le temps n'est visitée d'aucun oiseau. Jamais
les fourmis ne se dirigent vers les greniers vides : jamais les amis vers les
prospérités évanouies. Comme notre ombre nous accompagne fidèlement tant que
nous marchons au soleil, et nous quitte si l'astre est caché par les nuages ;
de même le vulgaire inconstant règle sa marche sur l'éclat de notre étoile,
et s'éloigne dès qu'un nuage vient à l'éclipser. Je souhaite que ces vérités
te semblent toujours des chimères ; mais ma propre expérience me force, hélas
! à les reconnaître pour incontestables. Tant que je fus sur un bon pied dans
le monde, ma maison, bien connue dans Rome, quoique simple et sans faste, fut
assez fréquentée ; mais, à la première secousse, tous redoutèrent sa chute,
et, d'un commun accord, s'enfuirent prudemment. Je ne m'étonne pas que l'on
craigne la foudre, dont le feu gagne tous les objets d'alentour ; mais César
estime la fidélité au malheur, lors même que celui à qui l'on est fidèle
est un ennemi de César, et il ne s'irrite point (lui le plus modéré des
hommes) qu'un autre aime encore, dans l'adversité, ceux qu'il aimait
auparavant. Lorsqu'il sut la conduite d'Oreste, Thoas lui-même, dit-on,
applaudit à Pylade ; Hector loua toujours l'amitié qui unissait Patrocle au
grand Achille. On raconte que le dieu du Tartare s'attendrit en voyant Thésée
accompagner son ami aux Enfers : en apprenant l'héroïque dévouement de Nisus
et d'Euryale, des pleurs, ô Turnus ! on le peut croire, arrosèrent ton visage.
Il est une religion du malheur qu'on approuve même jusque dans un ennemi ;
mais, hélas ! qu'ils sont peu nombreux ceux que touchent mes paroles !
Cependant telle est ma situation, telle est ma destinée présente qu'elle
devrait arracher des larmes à tous les yeux.
Mais mon cœur, quoique flétri par mes propres chagrins, s'épanouit à ton
bonheur ; j'avais prévu tes succès quand ta barque ne voguait encore que par
un faible brise. Si les vertus, si une vie sans tache ont droit à quelque récompense,
nul, mieux que toi, ne mérite de l'obtenir ; si quelqu'un s'est jamais signalé
dans les nobles exercices de l'esprit, c'est toi dont l'éloquence fait
triompher toute cause qu'elle soutient. Frappé de tes éminentes qualités :
"Ami, te disais-je alors, c'est sur un théâtre élevé qu'éclatera ton génie."
Et je ne consultais ni les entrailles des brebis, ni le tonnerre grondant à
gauche (1), ni le chant ou le vol des oiseaux ; la raison seule et un
heureux pressentiment de l'avenir furent mes augures.
C'est ainsi que je conçus et que j'exprimai ma prophétie ; puisqu'elle s'est
accomplie, je me félicite, je te félicite de toute mon âme de ce que ton
talent ait échappé à l'obscurité. Ah ! plût au ciel que le mien y fût à
jamais resté enseveli ! Il eût été pour moi plus utile que mes productions
ne vissent jamais le jour ! car autant, ô mon éloquent ami, l'art sérieux que
tu cultives t'a profité, autant mes études, bien différentes des tiennes,
m'ont été nuisibles ! Et cependant ma vie t'est bien connue ! Tu sais que les
mœurs de l'auteur sont restées étrangères à cet art dont je suis le père,
tu sais que ce poème fut un amusement de ma jeunesse, et que, tout blâmable
qu'il est, il n'est toujours qu'un jeu de mon esprit d'alors. Si ma faute ne
peut, sous quelque jour qu'elle apparaisse, être justifiée, je pense, du
moins, qu'on peut l'excuser. Excuse-la donc de ton mieux, et n'abandonne pas la
cause de ton ami. Ton premier pas fut heureux ; tu n'as plus qu'à
continuer ta route.
ÉLÉGIE
X.
Je
monte (ah ! puissé-je monter encore!) un navire placé sous la protection de la
blonde Minerve. Le casque de la déesse, qui y est peint, lui a donné son nom.
Déploie-t-on les voiles, il glisse au moindre souffle. Agite-t-on les rames, il
obéit aux efforts du rameur. Non content de vaincre à la course les autres
vaisseaux qui l'accompagnent, il rejoint ceux qui l'ont devancé au sortir du
port. Il résiste à la lame, il soutient le choc des vagues les plus hautes et
battu par les flots furieux, il ne faiblit jamais. C'est lui qui, depuis Cenchrée
(1),
voisine de Corinthe, où je commençai à en apprécier le mérite, fut toujours
le guide et le compagnon fidèle de ma fuite précipitée. Jeté au milieu de
tant de hasards, et à travers des mers soulevées par les tempêtes, il est
resté sain et sauf, grâce à la protection de Pallas. Puisse-t-il encore, sain
et sauf, franchir les bouches du vaste Pont, et entrer enfin dans les eaux qui
baignent les rivages des Gètes, le but de son voyage.
Dès qu'il m'eut conduit à la hauteur de la mer d'Hellé, petite-fille d'Éole,
et qu'en traçant un étroit sillon, il eut accompli ce long trajet (2),
nous cinglâmes vers la gauche et laissant la ville d'Hector (3),
nous allâmes, ô Imbros (4),
aborder à ton port. De là, poussé par une brise légère aux rivages de Sérinthos
(5),
mon vaisseau, fatigué, mouilla près de Samothrace, et c'est jusqu'à cette île,
d'où il n'y a qu'une courte traversée (6)
pour gagner Tempyre, qu'il m'accompagna, car alors j'eus la fantaisie de
traverser par terre le pays des Bistoniens. Pour lui, il tourna dans les eaux de
l'Hellespont, et se dirigea successivement vers Dardanie (7),
qui a conservé le nom de son fondateur, vers tes rives, ô Lampsaque (8),
protégée du dieu des jardins ! vers le détroit qui sépare Sestos d'Abydos (9),
canal resserré, où périt la jeune fille que portait mal sa dangereuse
monture, de là, vers Cyzique, qui s'élève sur les côtes de la Propontide,
Cyzique, célèbre création du peuple d'Hémonie, enfin, vers le Bosphore,
porte majestueuse qui s'ouvre sur les deux mers, et que domine Byzance (10).
Puisse-t-il surmonter tous les obstacles, et, poussé par le souffle de
l'Auster, traverser victorieusement les mouvantes Cyanées (11),
le golfe de Thynios, et de là, saluant Apollonie, passer sous les hauts
remparts d'Anchiale, raser le port de Mésembrie, Odesse, la ville qui te doit
son nom, ô Bacchus (12)
! et celle où des fugitifs d'Alcathoë fixèrent, dit-on, leurs pénates
errants. Puisse-t-il, enfin, arriver heureusement à cette colonie (13),
asile où me relègue le courroux d'un dieu offensé.
S'il arrive à cette destination, j'offrirai, en actions de grâces, une brebis
à Minerve. Une offrande plus riche est au-dessus de ma fortune.
Vous qu'on révère en cette île (14),
fils de Tyndare, soyez propices à ce double voyage (15),
car l'un de nos vaisseaux se prépare à traverser le groupe resserré des Symplégades,
et l'autre à sillonner les mers Bistoniennes. Faites que, dans leurs itinéraires
si différents, ils aient l'un et l'autre un vent favorable !
ÉLÉGIE
XI.
Toutes
ces épîtres (1),
quelle que soit celle que tu viens de lire, ont été composées au milieu des
vicissitudes du voyage. L'Adriatique (2),
pendant que je naviguais sur ses eaux, me vit écrire celle-ci, tout transi des
froids de décembre ; j'écrivais cette autre après avoir franchi l'isthme
resserré par deux mers, et pris mon second vaisseau d'exil. Les Cyclades, de la
mer figée, à leur grand étonnement sans doute, m'ont vu écrire des vers au
milieu des terribles mugissements des flots. Moi-même, aujourd'hui, je ne
comprends pas que ma verve ait triomphé de la double tempête de mon âme et de
la mer. Qu'on appelle cette passion de versifier idée fixe ou délire, toujours
est-il que mon âme y puise des forces dans son abattement. Souvent j'étais le
jouet des orages soulevés par les Chevreaux ; souvent la constellation de Stéropé
rendait les Rois menaçants ; le gardien de l'ourse d'Érymanthie obscurcissait
le jour, ou l'Auster grossissait de ses pluies les Hyades à leur coucher ;
souvent la mer envahissait une partie du navire, et ma main tremblante n'en traçait
pas moins des vers tels quels. Maintenant encore (3)
l'Aquilon fait siffler les cordages tendus, et l'onde s'amoncelle en forme de voûte.
Le pilote même, élevant ses mains vers le ciel, demande à sa prière les
secours que la science lui refuse ; partout à mes regards se présente l'image
de la mort, la mort que mon cœur incertain redoute, et qu'il désire en la
redoutant ; car enfin, si j'arrive au port, le port même est un objet de
terreur pour moi, et la terre où j'aspire est plus à craindre que la mer qui
me porte ; je suis exposé en même temps aux embûches des hommes et aux
caprices des flots ; le fer et l'eau me causent un double effroi ; je tremble
que l'un ne s'apprête à se rougir de mon sang, et que l'autre n'ambitionne
l'honneur de mon trépas. La population de la rive gauche du Pont est barbare,
et toujours prête à la rapine ; là règnent constamment le meurtre, le
brigandage et la guerre. La mer même, au jour des tempêtes les plus terribles,
n'égale point la turbulence de ces Barbares.
Voilà bien des raisons pour obtenir ton indulgence, si, lecteur bienveillant,
ces vers sont, comme ils le sont en effet, au-dessous de ton attente. Ce n'est
plus, comme autrefois, dans mes jardins (4),
ni les membres mollement étendus sur tes coussins, ô lit délicat, mon siège
ordinaire, que je les ai composés. Je suis, au milieu d'un jour obscurci par
l'orage, livré à la fougue de la mer indomptée, et mes tablettes elles-mêmes
sont battues de flots azurés. La tempête acharnée lutte contre moi, elle
s'indigne de ma persévérance à écrire au bruit de ses terribles menaces. Eh
bien ! que la tempête triomphe d'un mortel, mais, je le demande, qu'en même
temps que je cesse d'écrire, elle cesse aussi ses fureurs.
NOTES
DES TRISTES.
LIVRE
1
ÉLÉGIE I
(1)
Vaccinia est le nom d'un arbrisseau
qui porte des baies noires fort recherchées des anciens pour la teinture rouge.
(2)
Les titres des livres étaient écrits en rouge avec une espèce de vermillon
appelé minium, et la coutume était
de tremper le parchemin, membrana,
dans de l'huile de cèdre pour le parfumer, et le préserver de la pourriture et
des vers. Pline dit que par ce moyen les livres de Numa Pompilius furent trouvés
sains et entiers après 675 ans.
(3)
Le mot cornus désigne les extrémités
du petit cylindre sur lequel on roulait les feuillets collés au bas les uns des
autres ; candida marque qu'elles étaient
d'ivoire. On les appelait umbilici
quand le manuscrit était roulé. - Fronte
désigne le côté écrit du feuillet ; les anciens n'écrivaient que d'un côté,
et frontes veut dire la page écrite
et le revers. (Voy. v. 11.)
(4)
On se servait de cette pierre pour polir la couverture des livres, laquelle
couverture était de peau.
(5)
Comme Oedipe, fils de Laïus et de Jocaste et Télégone, fils d'Ulysse et
de Circé, tuèrent l'un et l'autre leur père sans le savoir, ainsi Ovide dit
que ses livres furent cause de sa perte, et il ordonne aux Tristes de reprocher aux autres la mort de leur père commun.
ÉLÉGIE
II.
(1)
L'Ourse ne descend jamais au-dessous de notre horizon ou, selon les idées des
anciens, ne se plonge jamais dans l'Océan.
(2)
Les poètes avaient imaginé je ne sais quoi de mystérieux dans le dixième
flot, et prétendaient qu'il était plus terrible que les autres. Fluctus decumanus était passé en proverbe pour signifier quelque
chose de funeste. Ovide n'ose pas ici le nommer par son nom, tant il en a
d'horreur.
(3)
Alexandrie, en Égypte, était une ville très dissolue.
(4)
La Sarmatie était située au nord du Pont-Euxin partie en Europe, partie en
Asie.
(5)
La ville de Tomes était située à l'occident du Pont-Euxin, et par conséquent
sur la rive gauche de la mer. Les côtes de celte mer, presque toujours battues
par les tempêtes, lui firent donner le nom d'Axenus, c'est-à-dire inhospitalier. On l'appela ensuite Euxenus
par euphémisme, et comme pour conjurer sa fureur, Ovide joue plus d'une fois
sur ce nom, et sur celui de laeva ou sinistra. (Liv. IV, Élég.
IV,
vv. 56, 60 ; Liv. V,
Élég. IX, v. 14, etc.)
ÉLÉGIE
III.
(I)
Ovide fut exilé l'an de Rome 763, après la défaite de Varus. Il partit de
Rome sur la fin de novembre.
(2)
Le poète compare ici la douleur qu'il ressentit en se séparant de sa famille
à celle de Métius Suffétius, chef des Albains, qui fut écartelé par l'ordre
du roi Tullus, pour avoir trahi les Romains, ses alliés, dans un combat contre
les Fidénates. (Tite-Live,
Liv. I,
ch. XVIII). - Lemaire, d'après l'ancienne leçon donne ainsi ces deux vers :
Sic Priamus doluit, tunc quum in contraria
versus
Ultores habuit proditiouis equus.
vers auxquels il faut faire violence pour en tirer un sens raisonnable. Deux
manuscrits portent Mettus, et toute
difficulté disparaît.
ÉLÉGIE
IV.
(I)
Les Romains avaient à la poupe de leurs vaisseaux des images peintes ou sculptées
de leurs dieux tutélaires.
(2)
L'Illyrie, était sur la rive gauche de l'Adriatique, relativement à la marche
du vaisseau d'Ovide.
ÉLÉGIE
V.
(I)
Pirithoüs ayant conçu le dessein d'aller enlever Proserpine aux Enfers, Thésée
l'y suivit. Ils échouèrent tous deux, mais Hercule délivra Thésée, et
Pirithoüs dut, dit-on, sa grâce à Proserpine.
(2)
Virg., Enéid., Iiv. IX.
(3)
Nérise, montagne de l'île d'Ithaque.
ÉLÉGIE
VI.
(1)
Ce poète est Antimaque. Ovide lui donne l'épithète de Clarius, parce qu'il le suppose né à Claros, ville voisine de
Colophon, en Ionie. Mais Plutarque et Athénée disent qu'Antimaque était né
dans cette dernière ville.
(2)
Cet autre poète est Philétas, originaire d'une île de la mer Égée, appelée
Cos. Il y a eu aussi une ville de ce nom.
(3)
Homère était appelé ainsi, ou parce qu'il était de la Méonie, ou à cause
de Méon, son père.
(4)
Marcia était fille de Marcius Philippus, beau-père d'Auguste, dont il avait épousé
la mère, Atia ou Accia, sœur de Jules-César. Marcia était femme de Maxime,
l'un des favoris d'Auguste. (Pont., lib. I, lettr. II, V. 139 et lib. III,
lettr. I, v. 77)
ÉLÉGIE
VII.
(1)
La couronne de chêne caractérisait le poète héroïque : celle de lierres le
poète élégiaque.
(2)
Dans les premiers temps de la république, on se contentait de graver quelques
lettres dans la matière même de l'anneau : depuis on enchâssa sur le cercle
de l'anneau un diamant ou quelque autre pierre précieuse où l'on gravait aussi
de simples lettres, mais où l'on grava ensuite les images de ses protecteurs ou
de ses amis.
(3)
Voy. les Métamorphoses, liv. VIII, v.
464.
ÉLÉGIE
IX.
(1)
On regardait comme un heureux présage qu'il tonnât à gauche parce que le
tonnerre était censé gronder à la droite des dieux.
ÉLÉGIE
X.
(I)
Ovide laissa son premier vaisseau au port de Léchées, dans le golfe de
Corinthe, traversa l'isthme à pied et s'embarqua à Cenchrée sur un second
navire, celui dont il est ici question.
(2)
Comme Ovide n'entra pas dans l'Hellespont, ces mots ne peuvent pas désigner le
canal étroit de celle mer. Ils désignent donc l'étroit sillon tracé dans sa
course par le navire.
(3)
Il laissa Troie, qu'il avait à sa droite.
(4)
Imbros est une île peu éloignée de Lemnos et de Samos, vis-à-vis de la
Thrace. L'île de Samothrace est ainsi appelée du nom de la Thrace même, dont
elle n'est séparée que par un petit trajet - Tempyre est une ville de Thrace,
non loin de Trajanopolis, connue dans l'itinéraire d'Antonin sous le nom de
Tempyrum.
(5)
Zérynthe était le nom d'une caverne de Samothrace, célèbre par les mystères
des Cabires.
(6)
Ce vers doit être entre parenthèses ; car hactenus,
dans le vers suivant, ne veut pas dire jusqu'à Tempyre, mais jusqu'à
Samothrace. C'est à Samothrace, en effet, qu'Ovide quitte son navire, qui
reprend alors sa route par l'Hellespont pour aller à Tomes ; tandis que lui,
Ovide, prend, comme nous le verrons plus bas, un troisième navire, pour aller
de Samothrace à Tempyre.
(7)
Cette ville était située à l'entrée de l'Hellespont, assez près de
l'ancienne Troie, et eut Dardanus, prince troyen, pour fondateur.
(8)
Autre ville où était né Priape, fils de Vénus et de Bacchus. Il en fut chassé
à cause de ses débauches, et plus tard les Lampsaquiens lui élevèrent des
autels. - Ici l'ordre géographique est interverti ; cette ville n'aurait dû être
nommée qu'après Sestos et Abydos.
(9)
Aujourd'hui le détroit des Dardanelles. - Sestos est une petite ville située
en Europe, et Abydos une autre ville située en Asie. Elles sont en face l'une
de l'autre, et célèbres, ainsi que le détroit par les amours d'Héro et de Léandre.
(10)
Cette côte s'étend depuis Byzance, aujourd'hui Constantinople, jusqu'au
Bosphore de Thrace, où s'ouvre une large entrée sur deux mers, qui sont la
Propontide, par où l'on descend dans la mer Egée, et le Pont-Euxin.
(11)
On appelle aussi Symplégades les îles situées à l'embouchure du Pont-Euxin.
- Le golfe de Tynias prend son nom d'une ville et d'un promontoire sur la rive
gauche du Pont-Euxin. - La ville d'Apollon ou Apollonie, aussi sur le
Pont-Euxin, est appelée aujourd'hui Sizébali. - Anchiale, sur la côte gétique,
s'appelle encore aujourd'hui Anchialo. - Mésambrie est sur le Pont-Euxin, dans
un angle de la Thrace, où elle confine avec la Mésie. - Udesse ou Odessa est
encore de la Mésie inférieure.
(12)
Dyonisiopole était aussi dans la Mésie.
(13)
Tomes. (Voy. liv. III, élég. IX.)
(14)
Quelle pouvait être cette île, sinon Samothrace? Il y était donc resté,
comme nous l'avons dit. - Tyndaridae,
Castor et Pollux.
(15)
C'est qu'il va s'embarquer sur un troisième vaisseau, pour traverser la mer de
Thrace, Bistonias aquas.
ÉLÉGIE
XI.
(1)
Ovide marque ici lui-même la date de ce premier livre des Tristes,
composé tout entier sur mer, pendant son voyage, et qu'il envoya à Rome avant
même d'arriver à Tomes.
(2)
La mer Adriatique s'appelait aussi mer Supérieure, par opposition à la mer
Tyrrhénienne, dite mer Inférieure.
(3)
Celte élégie fut donc composée avant son arrivée à Tomes, et pendant une
troisième tempête. Il en faut conclure qu'Ovide, après avoir traversé la
Thrace, dans sa partie la plus étroite sans doute, se rembarqua sur le
Pont-Euxin : ce qui confirme celte opinion, c'est qu'il dit plus bas : Barbara
pars laeva est (v. 51) ; pour avoir la Thrace à sa gauche, il fallait bien
qu'il fût sur mer.
(4) Ovide nous apprend lui-même ( Pont., liv. I, lettr. VIII, v. 43) qu'il avait de beaux jardins dans les faubourgs de Rome, entre la voie Claudia et la voie Flaminia.