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OVIDE
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LE REMEDE D'AMOUR
1.
L'Amour venait de lire le titre de cet ouvrage : "C'est la guerre, je le
vois, c'est la guerre, dit-il, qu'on me déclare," O Cupidon ! ne calomnie
pas le poète qui tant de fois a porté l’étendard que tu lui avais confié.
Je ne suis pas ce Diomède dont la lance blessa ta mère, quand les chevaux de
Mars la ramenèrent, toute sanglante, aux demeures éternelles ! Souvent l’Amour
se refroidit dans plus d'un coeur ; moi, j'ai toujours aimé ; et si tu me
demandes ce que je fais en ce moment, j'aime encore. Bien plus, j'ai enseigné
l'art d'obtenir tes faveurs, et de régler sur la raison les impétueux élans de
la passion. Non, je ne vais pas, aimable enfant, trahir mon art ; et ma Muse,
oublieuse du passé, ne recommencera pas son ouvrage. Que l'amant d'une beauté
qui le paie de retour jouisse de son bonheur, et livre sa voile aux vents
propices ! Mais, s'il est un infortuné qui supporte mal le joug d'une indigne
maîtresse, qu'il accepte, pour se sauver, le secours de mon art. Pourquoi
souffrir qu'un amant se comprime le cou dans un lacet, et se pende au sommet
d'une poutre élevée ? qu'un autre plonge dans ses entrailles un fer homicide ?
Ami de la paix, ô Amour ! tu as le meurtre en horreur. Cet amant, s'il
n'éteint sa flamme, en doit être la victime ; qu'il cesse donc d'aimer, et tu
n'auras causé la mort de personne.
25.
Tu es un enfant : les jeux sont ton unique apanage ; joue donc ; le doux empire
des Jeux convient à ton âge. Tu pourrais, je le sais, descendre dans l'arène,
armé de flèches acérées ; mais ces flèches ne sont jamais teintes de sang.
Laisse Mars, ton beau-père, brandir le glaive et la lance, et marcher tout
sanglant au milieu du carnage : toi, ne livre d'autres combats que ceux dont
Vénus te donna des leçons ; combats innocents, et qui jamais n'ont ravi un
fils à sa mère. Fais que, dans une querelle nocturne, une porte soit brisée,
ou qu'elle soit ornée de nombreuses couronnes. Jette une ombre amie sur les
secrets rendez-vous des amants et de leurs timides maîtresses ; aide à tromper
un mari soupçonneux ; provoque un amant à adresser tour à tour des prières
suppliantes et des imprécations à la porte inflexible de sa belle, et, s'il
est repoussé, à chanter sa mésaventure sur un ton plaintif : contente-toi de
faire verser des larmes, sans avoir à te reprocher la mort de personne. Ton
flambeau n'est pas fait pour allumer des bûchers dévorants. Ainsi, disais-je ;
et l'Amour, agitant ses ailes diaprées de pourpre et d'or : "Achève, me
dit-il, ton nouvel ouvrage." Venez donc à mes leçons, amants trompés, et
vous qui avez toujours échoué dans vos prétentions amoureuses, venez à moi.
Déjà je vous appris l'art d'aimer ; apprenez de moi maintenant l'art de
n'aimer plus. La main qui vous blessa saura vous guérir. Souvent le même sol
produit des herbes salutaires et des herbes nuisibles ; près de la rose croît
l'ortie, et la lance d'Achille cicatrisa la blessure qu'elle-même avait faite
au fils d'Hercule. Jeunes beautés, mes préceptes, je vous en avertis, sont
aussi bien pour vous que pour vos amants ; je donne des armes aux deux partis.
Si, parmi ces préceptes, il en est dont l'usage ne vous soit pas nécessaire,
l'exemple qu'ils vous offriront pourra néanmoins vous instruire ; éteindre une
flamme cruelle, affranchir les coeurs d'une servitude honteuse, voilà le but
utile que je me propose. Phyllis eût vécu, si j'eusse été son maître ; et
si elle se rendit neuf fois sur le bord de la mer, elle y fût revenue plus
souvent encore. Didon mourante n'eût pu vu, du haut de son palais, la flotte
des Troyens mettre à la voile, et le désespoir n'eût point armé contre ses
enfants une mère dénaturée, qui versait ainsi son propre sang pour se venger
d'un époux parjure (1). Bien qu'épris de Philomèle, Térée,
grâce à moi, n'eût point mérité, par un crime, d'être changé en oiseau (2).
Donnez-moi Pasiphaë pour élève, elle cessera d'aimer un taureau ; donnez-moi
Phèdre, sa flamme incestueuse va s'éteindre ; confiez-moi Pâris, et Ménélas
gardera son Hélène, et Troie ne tombera pas sous la main des Grecs. Si l’impie
Scylla eût lu mes vers, ta tête, ô Nisus ! eût conservé son fatal cheveu de
pourpre. Mortels, étouffez de funestes amours ; suivez mes conseils, et votre
barque et ses passagers vogueront en sécurité vers le port. Lorsque vous
apprîtes à aimer, vous avez dû lire Ovide ; c'est encore Ovide qu'il vous
faut lire aujourd'hui, Dans chaque amant malheureux, je vois un client à
affranchir de ses fers (3) ; secondez donc les efforts de celui
qui veut être votre vengeur.
Je t'invoque, divin Phébus, toi l'inventeur de la poésie et de la médecine ;
sois-moi propice ; poète et médecin à la fois, je réclame ton secours ;
n'es-tu pas le dieu tutélaire de ces deux arts ? Quand vos chaînes ne sont pas
encore bien pesantes, si vous vous repentez d'aimer, arrêtez-vous dès les
premiers pas ; étouffez dans son germe ce mal naissant, et que, dès l'entrée
de la carrière, votre coursier rétif refuse d'aller plus avant. Tout
s'accroît par le temps ; le temps mûrit les raisins ; il change l’herbe
tendre en fertiles épis. Cet arbre, dont les rameaux répandent sur les
promeneurs un vaste ombrage, ne fut, lorsqu'on le planta, qu'un chétif rejeton.
Alors on pouvait facilement l'arracher ; maintenant qu'il est dans toute sa
force, il repose, inébranlable, sur ses puissantes racines. Hâtez-vous
d'interroger votre coeur ; demandez-vous quel est l'objet de votre amour, et
secouez le joug qui doit un jour vous blesser. Combattez le mal dès son
principe ; le remède vient, trop tard lorsque ce mal s'est fortifié par de
longs délais. Hâtez-vous donc, et ne différez pas d'heure en heure votre
guérison. Si vous n'êtes pas prêts aujourd'hui, demain vous le serez moins
encore. L'Amour est fertile en prétextes ; il trouve un aliment dans le retard.
Le jour le plus proche est donc le plus convenable pour procéder à sa
destruction. Vous voyez peu de fleuves larges dès leur source ; la plupart se
grossissent par le tribut des ruisseaux qui viennent s'y perdre. Si tu avais
réfléchi plus tôt au crime monstrueux que tu allais commettre, ton visage, ô
Myrrha ! ne cacherait point sous l'écorce la honte qui le couvre (4).
J'ai vu des plaies, d'abord faciles à guérir, devenir incurables, par suite
d'une négligence obstinée. Mais on aime à cueillir les fleurs que Vénus a
semées pour nous, et l'on se dit chaque jour : "Il sera temps
demain." Cependant une flamme sourde circule dans vos veines, et l'arbre
nuisible jette de profondes racines. Si cependant le moment d'appliquer le
remède est passé, si l'amour a vieilli dans le coeur dont il s'est emparé,
d'immenses difficultés viennent entraver la guérison. Mais, parce qu'on
m'appelle trop tard auprès du malade, ce n'est pas un motif pour que je
l'abandonne ? Le héros, fils de Péan, n'aurait pas dû hésiter un instant de
couper la partie où il venait d'être blessé (5). Toutefois,
dit-on, il n'en fut pas moins guéri plusieurs années après, et il accéléra
la chute de Troie.
115.
Je vous conseillais tout à l'heure d'attaquer le mal à sa naissance ;
maintenant je vous offre des secours lents et tardifs ; tâchez, si vous le
pouvez, d'éteindre l'incendie dès qu'il se développe, ou dès qu'il
s'affaiblit de lui-même par sa propre violence. Quand un homme laisse s'exhaler
sa fureur, cédez à son emportement : il serait difficile d'en arrêter la
fougue impétueuse.
121.
Insensé le nageur qui, pouvant descendre le fleuve obliquement, s'efforce de
lutter contre le courant. Impatient et rebelle encore à l'influence de l'art,
l'esprit prend en haine un conseiller inopportun. Il devient plus souple lorsque
déjà il laisse toucher ses blessures, et qu'il se montre disposé à entendre
raison. Quel est l'homme, s'il n'a perdu le sens, qui voudra empêcher une mère
de pleurer aux funérailles de son fils ? Ce n'est pas le moment de lui faire la
leçon ; quand elle aura versé des larmes et soulagé son coeur affligé,
modérez alors, par des paroles consolantes, l'excès de sa douleur. Bien
prendre son temps, voilà presque tout le secret de la médecine ; le vin,
donné à propos, est salutaire ; donné à contre-temps, il devient dangereux.
Ainsi, vous ne ferez qu'irriter un défaut et l'enflammer davantage si vous ne
le combattez pas en temps utile.
135.
Aussitôt que vous vous sentirez capable de mettre à profit les secours de mon
art, commencez par fuir l’oisiveté ; l'oisiveté fait naître l'amour, et le
nourrit une fois qu'il est né ; elle est à la fois la cause et l'aliment de ce
mal si doux ; sans l'oisiveté, l'arc de Cupidon se brise, son flambeau
s'éteint et n'est plus digne que de mépris. Autant le platane aime les pampres
de Bacchus, le peuplier la fraîcheur des ruisseaux, et le roseau marécageux
une terre limoneuse, autant Vénus aime l'oisiveté. Voulez-vous voir la fin de
votre amour, occupez-vous ; l'amour fuit le travail ; travaillez donc, et vous
serez sauvé. La paresse, le sommeil prolongé outre mesure, et que personne n'a
le droit d'interrompre ; le jeu, de longues heures passées à boire ôtent à
l'âme, sans toutefois la blesser, toute son énergie. C'est alors que, la
trouvant sans défense, l'Amour s'y introduira par surprise. Ainsi de la paresse
; l'Amour hait l’activité ; si donc votre esprit est vide, donnez-lui quelque
travail qui le tienne occupé. Vous avez pour cela le barreau, des lois à
discuter, des amis à défendre ; mêlez-vous aux candidats qui briguent les
dignités urbaines (6) ; ou, jeune volontaire, allez cueillir
les lauriers sanglants de Mars ; bientôt alors la volupté vous affranchira de
ses liens. Voici le Parthe fugitif qui vous offre l'occasion d'un triomphe
éclatant ; déjà, aux portes de son camp, flottent les étendards de César (7).
Triomphez à la fois et des flèches de l'Amour et de celles du Parthe, et
rapportez ce double trophée aux dieux de la patrie. Aussitôt que Vénus fut
blessée par la lance du roi d'Étolie, elle laissa le soin de la guerre à son
amant. Vous demandez pourquoi Égisthe devint adultère ? la cause en est facile
à deviner : il n'avait rien à faire ; les autres princes soutenaient une lutte
interminable sous les murs de Troie ; c'est là que la Grèce avait transporté
toutes ses forces. En vain Égisthe eût songé à combattre, il n'en avait pas
l'occasion ; à plaider, il n'y avait point de procès à Argos. Ce qu'il put
faire, il le fit ; pour n'être pas désoeuvré, il aima. C'est ainsi que
l'amour entre dans nos coeurs ; c'est ainsi qu'il s'y maintient. La campagne, les
soins de la culture sont aussi, pour le coeur, la source d'agréables
distractions ; il n'est pas de soucis dont elles ne triomphent. Domptez le
taureau, forcez-le à courber sa tête sous le joug ; fendez le sol endurci, à
l'aide du soc tranchant de la charrue ; confiez aux sillons la semence des
richesses de Cérès, que votre champ fécondé va vous rendre avec usure. Voyez
ces branches courbées sous le poids des fruits ; c'est à peine si l'arbre peut
porter les trésors qu'il a produits. Voyez ces ruisseaux qui coulent avec un
joyeux murmure ; voyez ces brebis qui tondent un épais gazon ; là les chèvres
grimpent sur les montagnes et les rochers escarpés, et bientôt elles
rapporteront à leurs jeunes chevreaux des mamelles gonflées de lait. Ici le
berger module un air sur sa flûte aux tuyaux inégaux, et, près de lui,
compagnons fidèles, se tiennent ses chiens vigilants. Plus loin, les forêts
profondes retentissent de longs mugissements : c'est la génisse qui appelle son
nourrisson égaré. Que dirai-je des abeilles, que met en fuite la fumée de
l'if, pour qu'on puisse ensuite enlever les rayons de miel des ruches courbées
sous son poids ? L'automne vous donne ses fruits, l'été s'embellit de ses
moissons, le printemps fait épanouir ses fleurs, l’hiver s'adoucit au coin du
feu. Chaque année, à la même époque, le vigneron cueille le raisin mûr, et
fait jaillir sous ses pieds le vin nouveau ; chaque année, à la même époque,
l’herbe fauchée est rassemblée en gerbe par les mains du faneur ; et sur la
prairie nue se promènent les râteaux aux larges dents. Vous pouvez vous-même
ensemencer votre humide potager, et y conduire les eaux paisibles de quelque
ruisseau. Quand le temps de la greffe est venu, entez sur la branche une branche
adoptive, et que l'arbre se couvre d'un feuillage qui n'était pas le sien.
Lorsqu'une fois vous prenez goût à ces plaisirs, l'Amour, aux abois, s'enfuit
d'un vol débile. Livrez-vous aussi à l'exercice de la chasse ; souvent,
vaincue par la soeur d'Apollon, Vénus fut contrainte de lui céder la place.
201.
Tantôt lancez à la poursuite du lièvre rapide votre chien à l'odorat subtil,
tantôt dressez vos filets sur les coteaux boisés ; inventez mille ruses contre
le cerf timide, et que le sanglier tombe percé des coups de votre épieu.
Après les fatigues du jour, la nuit, vous ne songerez guère aux belles, et
goûterez un sommeil profond, nécessaire à vos membres harassés. Il est une
occupation plus paisible, mais non moins attachante, c'est celle de prendre des
oiseaux, gibier de peu de valeur, soit aux filets soit à la glu. C'est celle
encore qui consiste à tendre un hameçon recourbé, caché sous l'appât
trompeur, au poisson vorace qui l'avale avec avidité. Que ces moyens, et
d'autres semblables, servent donc à tromper furtivement la passion qui vous
ronge, jusqu'à ce qu'enfin vous en soyez complètement guéri.
213.
Surtout, fuyez au loin : quels que soient les liens qui vous retiennent, fuyez ;
entreprenez des voyages de longue durée. La seule pensée de quitter votre amie
vous fera verser des larmes, et souvent vos pas s'arrêteront au milieu du
chemin ; mais plus votre coeur sera rebelle, plus votre volonté doit être
ferme persistez. Si vos jambes refusaient d'avancer, forcez-les à courir. Ne
craignez ni la pluie, ni la fête du Sabbat, que célèbre un peuple étranger,
ni le fatal anniversaire de la journée d'Allia (8) ; ne
demandez pas combien vous avez parcouru de milles, mais combien il vous en reste
encore. Ne cherchez aucun prétexte pour vous arrêter plus longtemps dans un
voisinage dangereux ; ne comptez point les heures ; ne tournez pas sans cesse
vos regards du côté de Rome ; mais fuyez. C'est encore ainsi que le Parthe
échappe aux atteintes de ses ennemis Mes préceptes, dira-t-on, sont durs ;
j'en conviens, mais que ne souffre-t-on pas pour recouvrer la santé ? Malade, j'ai souvent, malgré le dégoût qu'elles m'inspiraient, pris des potions
amères, et souvent l’on m'a refusé les aliments que j'implorais. Ainsi, pour
guérir votre corps, vous souffrirez le fer et le feu ; vous n'oserez pas
rafraîchir, avec un peu d'eau, votre bouche altérée ; et pour guérir votre
âme, vous ne voudrez rien endurer ? Combien cependant cette partie de
vous-même est-elle plus précieuse que le corps ! Dans l'art que j'enseigne, le
début est toujours ce qui coûte le plus. Voyez comme le joug meurtrit le front
des jeunes taureaux qui le sentent pour la première fois ; et comme les
premières épreuves du harnais blessent le coursier agile. Peut-être,
aurez-vous de la peine à quitter le foyer de vos pères : vous le quitterez
cependant ; mais bientôt vous voudrez le revoir. Ce ne sont point vos dieux
domestiques, c'est l'Amour qui vous rappelle, l’Amour déguisant sa faiblesse
sous des paroles pompeuses. - Une fois parti, vous trouverez mille distractions
; la campagne, vos compagnons de voyage, une route longue et variée, ne
manqueront pas de vous en fournir ; mais ne pensez pas qu'il suffise de vous
éloigner : prolongez votre absence, jusqu'à ce que votre amour ait perdu
toutes ses forces, et que le feu ne couve plus sous la cendre. Si vous hâtez
votre retour, avant une entière guérison, l'Amour rebelle tournera de nouveau
ses armes contre vous. Quel fruit retirerez-vous de votre absence ? Vous
reviendrez plus ardent, plus passionné, et votre éloignement n'aura fait qu’aggraver
votre mal. Laissez à d'autres croire que les herbes nuisibles de l'Hémonie (9)
et l’art des magiciens sont une sauvegarde contre l'Amour : la ressource des
sortilèges est bien usée Ma Muse, dans ses vers religieux, ne vous offrira que
des secours innocents. Vous ne me verrez point évoquer les ombres des tombeaux,
ni sommer une vieille sorcière de forcer, par des formules infâmes, la terre
à s'entr'ouvrir, à transplanter les moissons d'un champ dans un autre, à
faire pâlir tout à coup le disque du soleil. Mais le Tibre, comme de coutume,
poursuivra son cours vers la mer, et le char de la lune, traîné par ses
chevaux blancs, suivra sa carrière habituelle. Non, ce n'est point par des
sortilèges que je chasserai de votre coeur les soucis qui le rongent. Pour
mettre l'Amour en fuite, l'odeur du soufre embrasé est impuissant (10).
261.
Princesse de Colchos, à quoi t'ont servi les plantes du Phase, quand tu voulais
rester dans le palais de tes pères (11) ? Et toi, Circé,
quels secours as-tu tiré de celles dont Persée t'enseigna l'usage, lorsque les
vaisseaux d'Ulysse (12), poussés par un vent favorable,
voguaient vers Ithaque ? Tu as mis tout en oeuvre pour empêcher le départ de
ton hôte astucieux ; et pourtant, il n'en poursuivit pas moins, à pleines
voiles, une fuite assurée. Tu as mis tout en oeuvre pour éteindre le feu qui
te dévorait ; mais dans cette âme, qui voulait le bannir, l'Amour régna
longtemps encore. Toi, qui pourrais faire subir à l’homme mille
métamorphoses, tu n'as pu changer les lois du coeur. On dit qu'au moment où
Ulysse allait partir (13), tu voulus l'arrêter encore quelque
temps par ces paroles : "Je ne te demande plus aujourd'hui que tu sois mon
époux, douce espérance qu'autrefois, s'il m'en souvient, je me plaisais à
nourrir. Déesse, et fille du puissant dieu du jour, j'aurais pu ne pas me
croire indigne de cet hyménée. Diffère ton départ, je t'en supplie !
Accorde-moi quelques jours ; c'est la seule grâce que j'implore. Puis-je,
hélas ! te demander moins ! Vois comme la mer est agitée ; ne crains-tu pas sa
colère ? Plus tard les vents te seront plus favorables. Mais pourquoi fuir
enfin ? Troie ne renaît point de ses cendres : un nouveau Rhésus (14)
n'appelle point au combat ses valeureux compagnons : ici règnent l'Amour et la
Paix (seule je n'en jouis pas, et ma blessure en est la cause) ; cette île
entière reconnaîtra ton empire." Elle parlait encore, lorsqu'Ulysse leva
l'ancre, et les vents emportèrent à la fois son vaisseau et les plaintes
inutiles de la déesse. Furieuse, Circé a recours à ses artifices ordinaires ;
mais ils ne peuvent rien contre la violence de son amour. Vous donc qui
réclamez les secours de mon art, n'ayez aucune confiance dans les enchantements
et les sortilèges. Si quelque puissant motif vous force de rester à Rome,
apprenez de moi la conduite que vous devez y tenir. Honneur à celui qui
revendique sa liberté, brise ses fers, et qui le même jour perd jusqu'au
sentiment de son esclavage ! S'il est quelqu'un doué d'un tel courage, je serai
le premier à l'admirer, et je dirai : "Il peut se passer de mes
conseils." Mais vous, qui êtes moins habiles à vous détacher d'un objet
aimé, qui voulez être libres et n'en avez pas le pouvoir, c'est vous que je
dois instruire. Rappelez-vous souvent les perfidies de votre maîtresse, et ayez
toujours devant les yeux toutes les pertes qu'elle vous a fait éprouver.
Dites-vous : "Elle m'a pris telle ou telle chose, et, non contente de m'en
dépouiller, elle m'a forcé, par son avarice, à vendre, à l'encan, la maison
de mes pères (15). Autant elle m'a fait de serments, autant
elle en a violé. Que de fois elle m'a laissé coucher devant sa porte ! Elle
en aime tant d'autres ! Moi seul je suis en butte à ses dédains ! Et ces nuits
d'amour qu'elle me refuse, hélas ! c'est à quelque courtier qu'elle les
accorde !" Que tous ces souvenirs vous aigrissent ; qu'ils soient toujours
présents à votre esprit, et deviennent contre elle un germe de haine. Plût au
ciel que vous puissiez trouver quelqu'éloquence à les lui reprocher !
Plaignez-vous seulement, et vous serez éloquent sans chercher à l'être.
Naguère, une jeune beauté fixa mon attention ; son caractère ne sympathisait
point avec le mien. Nouveau Podalire (16), j'essayai de me
guérir avec mes propres remèdes, et, (je l'avoue, à ma honte,) le médecin
avait grand besoin de son art. Je m'appesantis, et je m'en trouvai bien, sur les
défauts de ma maîtresse ; et cette épreuve, fréquemment répétée, eut pour
mon coeur de salutaires résultats. "Que cette fille, disais-je, a la jambe
mal tournée !" et je proteste qu'il n'en était rien. "Qu'elle est
loin d'avoir de beaux bras ! " la vérité est qu'ils étaient charmants.
"Qu'elle est petite ! " elle ne l'était point. "qu'elle est
exigeante ! " ce fut là le principal motif de mon dégoût. Le mal est si
voisin du bien, que souvent on les confond, et qu'on n'est pas plus indulgent
pour une qualité que pour un défaut, Autant que vous le pourrez, dépréciez
les qualités de votre maîtresse ; et que l'étroite limite qui sépare le bien
du mal trompe votre jugement. A-t-elle de l'embonpoint, dites qu'elle est
bouffie. Est-elle brune ? dites qu'elle est noire. Vous pouvez à la taille
svelte reprocher de la maigreur ; appelez effronterie la vivacité de ses
manières, et pruderie sa retenue. Faites plus : s'il est quelque talent qui lui
manque, employez les prières les plus persuasives pour qu'elle vous en donne la
preuve. Exigez qu'elle chante, si elle n'a pas de voix ; qu'elle danse, si ses
mouvements sont dépourvus de grâce. Sa conversation est commune, prolongez-la
autant que vous pourrez. Elle n'a jamais appris à toucher les cordes d'un
instrument, priez-la de jouer de la lyre. Son allure est pesante, faites-la
promener ; sa gorge volumineuse et d'une seule pièce, ne lui souffrez aucun
voile. Sa bouche est mal meublée, racontez-lui quelqu'histoire qui la fasse
rire. A-t-elle les yeux faibles, que vos récits les fassent pleurer. Il est bon
aussi de venir chez elle le matin, à l'improviste, et de la surprendre avant
qu'elle n'ait eu le temps de préparer sa toilette. La parure nous séduit :
l'or et les pierreries cachent les imperfections ; et la femme alors est la
moindre partie de l'ensemble qu'elle représente. Au milieu de tant
d'accessoires, vous cherchez en vain les appas qui doivent vous charmer. La
toilette est comme une égide que l’Amour jette devant nos yeux pour les
éblouir. Paraissez tout à coup : elle n'est pas encore sous les armes ; et
l'infortunée, surprise, sera trahie par ses défauts. Ne vous fiez pas trop
cependant à ce précepte : une beauté négligée et sans art séduit bien des
amants ! Vous pouvez aussi, la décence le permet, visiter votre maîtresse
lorsqu'elle prépare ses cosmétiques, et qu'elle se farde le visage. Vous
verrez alors ses boîtes de pommade aux mille couleurs, et son sein inondé des
flots huileux de l’aesipe. A l'odeur de telles drogues, ô Phinée (17)
on se croirait à tes banquets ! Aussi, que de fois elles m'ont soulevé le
coeur ! Je vais maintenant vous apprendre quelles forces vous pouvez puiser
contre votre flamme, dans la jouissance même. Pour chasser l’Amour, tous les
moyens sont bons. J'aurais honte d'entrer ici dans certains détails ; mais
votre imagination suppléera à mon silence. Dernièrement, certaines gens ont
censuré mes écrits ; ils traitent ma Muse de dévergondée. Si mes chants ont
le talent de plaire, s'ils sont célébrés dans l'univers entier, les attaque
qui voudra. L'envie n'épargna point le sublime génie d'Homère. Qui que tu
sois, Zoïle (18), ton nom est encore celui de l’envie. Des
langues sacrilèges ont déchiré tes poèmes (19), ô toi,
dont la Muse a conduit sur nos bords les dieux vaincus de Troie ! Les grands
talents sont en butte à l'envie, comme les cieux élevés à la fureur des
vents ; comme les plus hautes montagnes aux foudres lancés par Jupiter. Mais
toi, censeur inconnu, que blesse la licence de mes écrits, apprends du moins,
si tu es doué de sens, à estimer chaque chose à sa juste valeur. La poésie
qui célèbre les combats suit le rythme adopté par le chantre de Méonie (20)
; mais quelle place y peuvent trouver les chants de la volupté ? La tragédie
élève la voix, et le cothurne tragique convient aux fureurs de Melpomène ; le
brodequin plus modeste parle le langage ordinaire (21).
L'iambe, libre dans son allure, tantôt rapide, tantôt traînant le dernier
pied, est un glaive dont on blesse légèrement ses détracteurs. La douce
élégie chante les amours armés d'un carquois : comme une maîtresse folâtre,
elle s'abandonne librement à ses instincts capricieux. Le vers de Callimaque ne
peut célébrer Achille ; et ta voix, divin Homère, n'est pas faite pour
chanter Cydippe (22) ! Qui souffrirait Thaïs jouant le rôle
d'Andromaque ? et Andromaque, le rôle de Thaïs (23) ? Ce
travestissement serait absurde : Mais Thaïs est à sa place dans l’art que
j'enseigne : là aussi mon humeur badine s'épanche sans réserve ; ma Muse ne
ceint pas le bandeau des vestales ; Thaïs est ma seule héroïne. Si mes vers
ne sont point au-dessous de la gaieté du sujet, ma cause est gagnée, et mes
accusateurs perdent la leur.
389.
Crève de dépit, mordante Envie, déjà mon nom a quelqu'éclat ; il en aura
plus encore, si la fin de ma carrière est digne de son origine. Mais tu te
hâtes trop : que je vive seulement, et tu auras bien des sujets de plaintes ;
car mon esprit a déjà conçu une foule de nouveaux vers. La gloire est chère
à mon coeur, et cet amour de la gloire aiguillonne de plus en plus mon zèle.
Le coursier du poète ne respire avec peine qu'à ses premiers efforts pour
gravir la double colline. L'élégie avoue qu'elle ne m'est pas moins redevable
que la noble épopée à Virgile.
397.
Je viens de répondre à l'Envie. Maintenant, poète, serre plus vigoureusement
les rênes de ton coursier, et poursuis la carrière dans les limites que tu
t'es assignées. Lorsque l'heure du plaisir, cette heure si douce à la
jeunesse, sera prête à sonner pour vous, et que la nuit tant désirée
approchera, il se peut que les transports de votre maîtresse, étreinte dans
vos bras avec toute la puissance de vos forces, ne vous captivent ; je veux
qu'auparavant vous cherchiez, vous trouviez une autre femme, sur laquelle vous
ayez cueilli les prémices de la volupté. La sensation répétée du plaisir
l'émousse ; mais, au contraire, le plaisir différé n'en a que plus de prix.
Quand il fait froid, nous aimons le soleil, et, à son tour, la chaleur de cet
astre nous fait désirer l'ombre. L'eau semble du nectar à la bouche altérée.
Je rougis de le dire, je le dirai pourtant ; prenez dans vos ébats amoureux la
posture que vous savez être la moins favorable à votre maîtresse. Rien n'est
plus facile ; peu de femmes osent s'avouer la vérité, et elles se croient
belles sous tous les aspects. J'exige aussi que vous ouvriez ses fenêtres, afin
d'observer au grand jour toute la laideur de ses imperfections. Mais, lorsque
vous avez atteint le terme de la volupté, et que votre âme et vos membres
s'abattent de lassitude ; quand naît le dégoût ; quand vous voudriez n'avoir
jamais touché une femme, et qu'il vous semble avoir perdu longtemps l'envie d'y
revenir, choisissez ce moment pour faire l'examen de tous ses défauts, et ne
cessez pas d'y attacher vos regards. Peut-être me dira-t-on, ce sont là de
pauvres ressources : elles le sont, j'en conviens ; mais si, isolées, elles
sont impuissantes, réunies, elles seront efficaces. La vipère est petite, et
sa morsure tue un énorme taureau ; souvent un chien de taille médiocre tient
le sanglier en respect. Seulement, pendant l'action, profitez de mes avis en
masse ; faites-en comme un faisceau, et leur nombre imposant vous assurera la
victoire. Mais, comme il existe autant de caractères que de figures
différentes, il ne faut pas en tout régler votre conduite d'après mes
décisions. Telle action selon vous est innocente, et pourtant, selon d'autres,
elle sera blâmable. L'un, pour avoir vu toutes nues certaines parties
obscènes, sentit son amour s'arrêter tout à coup au milieu de sa course ;
l'autre éprouva la même répugnance parce qu'au moment où sa maîtresse
quittait le lit, théâtre de leurs jouissances, il en aperçut les traces
immondes. L'amour qui s'est ému de si peu de chose n'était qu'un jeu, et sa
flamme n’était qu'une étincelle. Mais que le fils de Vénus tende plus
fortement les cordes de son arc, et ceux qu'il aura blessés viendront réclamer
de plus puissants remèdes. Que dirai-je de l'amant qui se cache pour épier sa
maîtresse au moment où elle paye le tribut à de sales nécessités, et voit
ce que la décence la plus vulgaire nous interdit de voir ? A Dieu ne plaise que
je donne jamais à personne de semblables conseils ! Fussent-ils vraiment
utiles, il ne faudrait pas les mettre en usage.
441.
Je vous conseille aussi d'avoir en même temps deux maîtresses, et si vous en
avez plus, votre coeur n'en sera que plus ferme ; le coeur, volant ainsi d'une
belle à une autre, ces deux amours s'affaiblissent réciproquement. Les plus
grands fleuves s'amoindrissent quand leurs eaux sont divisées en plusieurs
ruisseaux ; la flamme s'éteint faute du bois qui lui servait d'aliment ; une
seule ancre ne suffit pas pour arrêter plusieurs vaisseaux ; et, quand on
pêche à la ligne, il faut y attacher plus d'un hameçon ; l’amant qui, de
longue main, s'est ménagé une double consolation a, dès ce moment, remporté
une victoire éclatante. Mais vous qui vous êtes imprudemment donné à une
seule maîtresse, maintenant du moins, trouvez un nouvel amour. Minos, infidèle
à ses premiers feux, sacrifia Pasiphaé à Procris, et la première, épouse
vaincue, céda la place à la seconde (24). Le frère
d'Amphiloque, dès qu'il eut admis Callirhoé à partager sa couche, cessa
d'aimer la fille de Phégée (25). Oenone eût pour toujours
enchaîné Pâris, si elle n'eût été supplantée par l'illustre concubine
lacédémonienne (26). La beauté de Progné eût toujours
captivé le coeur du tyran de Thrace, si Philomèle, qu'il tenait prisonnière,
n'eût été plus belle que sa soeur (27). Mais pourquoi
m'attacher à des exemples dont la trop longue énumération me fatigue ?
Toujours un nouvel amour triomphe de celui qui l'a précédé. Une mère qui a
plusieurs enfants supporte plus facilement la perte de l'un d'eux que celle qui
s'écrie, au milieu des sanglots : "Je n'avais que toi seul ! " Et
n'allez pas croire que je veuille ici vous prescrire de nouvelles lois ; plût
aux dieux que je pusse réclamer la gloire de cette invention ! Le fils d'Atrée
la connut avant moi, lui dont la vaste puissance s'étendait sur la Grèce
entière. Il aimait sa captive Chryséis, qu'il avait obtenue pour prix de sa
valeur ; mais le père de la jeune fille faisait retentir le camp de ses
plaintes douloureuses. Vieillard importun, pourquoi ces larmes ? Les deux amants
se conviennent ; insensé ! ta tendresse te conseille mal ; elle nuit à ta
fille. Mais Calchas, protégé par le bras d'Achille, ordonna la restitution de
la jeune esclave à son père, et Chryséis rentra sous le toit paternel :
"Il est, dit alors Agamemnon, une autre beauté presque égale à
Chryséis, et dont le nom, si l'on en retranche la première syllabe, est le
même. Qu'Achille, s'il est bien inspiré, me la cède ; autrement, il saura quel est mon pouvoir. Si quelqu'un de vous, ô Grecs ! ose me condamner, il
apprendra ce qu'est un sceptre dans des mains vigoureuses ; car, si je suis
votre roi, et que Briséis ne partage pas ma couche, que Thersite alors (28),
j'y consens, vienne régner à ma place." II dit, et Briséis lui fut
donnée pour le consoler de son veuvage ; et cette nouvelle conquête lui fit
oublier la première. Imitez Agamemnon, ouvrez comme lui votre coeur à de
nouveaux amours, et adressez simultanément vos hommages à deux maîtresses.
Mais où les trouver ? direz-vous. Relisez mes préceptes, et voguez ensuite.
Bientôt des essaims de beautés viendront en foule peupler votre nacelle. Si
vous accordez quelque valeur à mon art, si Apollon, par ma voix, donne aux
mortels des leçons utiles, votre coeur brûlât-il d'un feu plus ardent que
celui de l'Etna, faites que vous paraissiez, aux yeux de votre maîtresse, plus
froid que la glace. Feignez d'être guéri, de peur que, si par hasard vous
souffrez tant soit peu, elle ne s'en aperçoive et riez quand vous avez plutôt
envie de pleurer. Je ne vous ordonne point de passer subitement d'un état
passionné à l'indifférence ; je ne vous impose pas des lois si rigoureuses.
Dissimulez, parez-vous des dehors d'une parfaite tranquillité ; et ce calme,
fictif d'abord, deviendra réel. Souvent, pour me dispenser de boire, j'ai fait
semblant de dormir, et bientôt j'ai dormi en effet. Je ris beaucoup de cet
homme qui contrefait l'amant passionné, et qui, maladroit oiseleur, finit par
se prendre à ses propres filets. L'amour naît par l'habitude ; c'est
l'habitude aussi qui le tue ; ayez la force de vous croire guéri, et vous
guérirez infailliblement. Votre maîtresse vous donne un rendez-vous nocturne,
allez-y ; vous trouvez en arrivant la porte fermée, patientez ; n'ayez recours
ni aux prières ni aux menaces, et ne vous couchez point stoïquement sur le
seuil. Le lendemain, n'ayez pas un reproche à la bouche, pas un signe de
douleur sur le visage. Son orgueil humilié soutiendra mal vos froideurs ; et
c'est encore à mon art que vous devrez ce nouveau service. Cherchez, toutefois,
à vous faire illusion, jusqu'à ce que vous cessiez entièrement d'être
épris. Souvent le coursier repousse le frein qu'on lui présente. Cachez-vous
à vous-même l'utilité de vos desseins, et, en agissant, n'écoutez pas le
désaveu de votre coeur. L'oiseau évite les filets quand ils sont trop visibles
; pour que votre maîtresse compte moins sur son pouvoir, et qu'elle n'ait pas
le droit de vous mépriser, luttez avec elle de fierté, et que son orgueil plie
devant le vôtre ; sa porte est-elle ouverte, comme par hasard, et entendez-vous
sa voix qui vous rappelle ? passez outre ; vous fixe-t-elle une nuit ? "Je
doute, direz-vous, de mon exactitude." Avec de la persévérance, vous
pourrez subir de tels sacrifices ; et d'ailleurs, il vous est permis de chercher
des compensations dans les bras d'une beauté facile.
523.
Qui peut m'accuser d'être un conseiller trop sévère, lorsque mon rôle est de
mettre d'accord le plaisir et la raison ? Les esprits sont divers, mes
préceptes le sont aussi ; à mille sortes de maladies opposons mille sortes de
remèdes ; il est des maux que guérit à peine le tranchant du fer, et d'autres
qui cèdent au suc bienfaisant des herbes. Vous êtes trop faible pour prendre
sur vous de vous éloigner, et, pour rompre vos chaînes ; le cruel Amour vous
tient le pied sur la gorge ; cessez une lutte inégale, laissez les vents
ramener votre barque, et secondez de la rame le courant qui vous entraîne. Il
faut étancher cette soif qui vous suffoque et vous dévore, j'y consens ;
puisez dans le fleuve à pleine coupe, et buvez outre mesure, et jusqu'à rendre
l'eau que vous aurez avalée. Jouissez sans obstacle, jouissez sans interruption
de votre belle ; consacrez à la servir vos nuits et vos jours. Cherchez le
dégoût dans la satiété, c'est un moyen de guérison ; restez près d'elle,
quand même vous croiriez pouvoir vous en éloigner ; restez jusqu'à ce que
vous ayez épuisé tous les plaisirs, contracté un dégoût complet et un
insurmontable désir de quitter la maison. L'amour, que nourrit la jalousie,
dure longtemps ; si vous voulez le bannir, bannissez la défiance ; l'art de
Machaon (29) suffirait à peine pour guérir celui qui
craindrait qu'un rival ne lui enlevât sa maîtresse et n'en fit la sienne
propre. Une mère aime le plus celui de ses deux fils dont l'absence l'inquiète
parce qu'il porte les armes.
549.
Il est, près de la porte Colline, un temple vénéré auquel le mont Éryx a
donné son nom (30) ; là règne un dieu, l'Amour oublieux,
qui guérit les coeurs malades, en plongeant sa torche ardente dans les eaux
glacées du Léthé. Les amants malheureux, les jeunes filles éprises d'un
objet insensible, viennent lui demander l'oubli de leurs peines ; ce dieu,
était-ce bien lui en effet, ou plutôt l'illusion d'un songe ? je crois que
c'était un songe ; ce dieu me parla ainsi : "O toi, qui tour à tour
allumes et éteins les flammes d'un amour inquiet, Ovide, ajoute à tes conseils
ceux que je t'adresse : que chacun se retrace le triste tableau de ses malheurs,
et il cessera d'aimer. La Divinité nous a départi à tous plus ou moins
d'infortunes. Que celui qui redoute le putéal Janus (31) et
les calendes toujours trop promptes à revenir, songe au remboursement des
sommes qu'il a empruntées. Que celui qui a un père dur, quand il n'aurait
d'ailleurs rien à désirer, ait sans cesse devant les yeux la dureté de ce
père. Marié à une femme sans dot, vous vivez avec elle dans la pauvreté,
dites-vous que cette femme sans dot est un obstacle à votre bonheur ; vous
avez, dans une campagne fertile, une vigne féconde en vin généreux, craignez
que la grappe ne soit brûlée à sa naissance. L'un soupire après le retour
d'un vaisseau ; qu'il se représente les flots agités et le rivage couvert des
débris de sa fortune ; que l'autre tremble pour son fils qui est sous les
drapeaux, vous pour votre fille nubile ; qui de nous n'a pas mille sujets
d'inquiétude ? Pour haïr ton Hélène, ô Pâris ! il fallait te représenter
la mort tragique de tes frères." Le dieu parlait toujours, quand son image
enfantine s'évanouit avec mon songe, si tant est que ce fût un songe.
577.
Que ferai-je ? Palinure abandonne mon esquif au milieu des ondes, et je vogue
entraîné sur des mers inconnues. Amants, qui que vous soyez, fuyez la solitude
; la solitude est dangereuse. Où fuyez-vous ? c'est dans la foule que vous
serez plus en sûreté. Évitez l'isolement ; l'isolement aigrit la douleur ;
cherchez un refuge au sein des réunions nombreuses, et vous y trouverez quelque
soulagement ; vous serez triste si vous êtes seul : l'image de votre maîtresse
délaissée viendra s'offrir à vos yeux ; il vous semblera voir votre
maîtresse elle-même. Voilà pourquoi la nuit est plus triste que la clarté du
jour ; la nuit pendant laquelle vous n'avez pas, pour vous distraire,
l'agréable société de vos joyeux compagnons. Ne soyez pas taciturne, ne tenez
pas votre porte fermée, et ne cachez point clans les ténèbres votre visage
baigné de larmes ; ayez un Pylade qui soit toujours là pour consoler Oreste ;
car alors les soins de l'amitié sont d'un puissant secours. N'est-ce pas la
solitude des forêts qui mit le comble à la douleur de Phyllis ? La véritable
cause de sa mort, c'est qu'elle était seule. Elle courait, pareille à une
bacchante échevelée, dont les compagnes sauvages vont, tous les trois ans, sur
les monts d'Aonie, célébrer le culte de Bacchus (32) ;
tantôt elle portait, aussi loin qu'elle le pouvait, ses regards sur le vaste
Océan ; tout épuisée de fatigue, elle s'asseyait sur la grève sablonneuse.
"Perfide Démophoon ! " criait-elle aux flots insensibles, et ses
plaintes étaient entrecoupées de sanglots. Souvent elle se rendait au bord de
la mer par un étroit sentier couvert d'un épais ombrage, et l'infortunée
venait de le parcourir pour la neuvième fois. "C'en est fait ! "
dit-elle ; puis, pâlissante, elle regarde sa ceinture et les arbres de la
forêt ; elle hésite, elle recule devant la pensée hardie qu'elle vient de
concevoir ; elle tremble et porte ses mains à son cou. Plût au ciel, Phyllis,
qu'alors tu n'eusses pas été seule ! la forêt attendrie ne se fût point
dépouillée de son feuillage. Instruits par l'exemple de Phyllis, fuyez, amants
trompés par vos maîtresses, belles trompées par vos amants, fuyez les lieux
trop solitaires.
609.
Docile aux conseils que lui donnait ma Muse, un jeune homme allait être guéri
; déjà même il touchait au port ; mais la vue contagieuse de quelques amants
passionnés fut cause de sa rechute. L'Amour reprit ses flèches, qu'il n'avait
fait que cacher. O vous qui voulez cesser d'aimer, évitez la contagion ; elle
étend ses ravages sur vous comme sur les troupeaux. Tel qui regarde les
blessures d'autrui se sent blessé lui-même : bien des maux se communiquent
ainsi, d'un corps à l'autre, leurs propriétés malfaisantes. Souvent un filet
d'eau, chassé du fleuve qui coule dans le voisinage, arrose un champ sec et
aride ; ainsi l'Amour se glisse à notre insu dans nos coeurs, si nous ne nous
éloignons pas de ceux qui aiment ; mais nous sommes tous, à cet égard,
ingénieux à nous tromper. L'un était déjà guéri, et le voisinage d'un
malade l'a perdu ; l'autre a senti faillir son courage à l'aspect fortuit de sa
maîtresse. Mal cicatrisée, son ancienne blessure s'est rouverte, et mon art
est demeuré pour lui sans effet.
625.
On se préserve difficilement de l'incendie qui dévore la maison voisine ;
fuyez donc prudemment les lieux que fréquente d'ordinaire votre maîtresse.
N'allez pas sous ce portique où elle a coutume de venir, et n'accomplissez pas
simultanément les mêmes devoirs de politesse. Pourquoi rallumer en vous la
flamme qui s'assoupit. Habitez, s'il est possible, un autre hémisphère. Il est
difficile, devant une table servie, de commander à son appétit ; et le cristal
d'une eau jaillissante redouble l'ardeur de notre soif. A la vue de la génisse,
le taureau est difficile à contenir, et le coursier vigoureux hennit toujours
à l'approche de sa cavale.
635.
Lorsque vous aurez fait assez de progrès pour toucher enfin au rivage, non
seulement je veux que vous abandonniez votre maîtresse, mais j'exige encore que
vous donniez congé à la mère, à la soeur, à la nourrice sa confidente et à
toutes les personnes qui l'entourent. Craignez qu'un esclave ou une soubrette,
les yeux mouillés de larmes feintes, ne viennent vous trouver de sa part, pour
vous souhaiter le bon jour ; et n'allez pas demander, quand même vous voudriez
le savoir, comment elle se porte. Sachez vous contenir, et vous serez
récompensé de votre discrétion. Et vous qui expliquez les motifs de votre
rupture et dévoilez les nombreux griefs que vous avez contre votre maîtresse,
soyez sobre de plaintes ; mieux vaut alors le silence ; vous vous vengerez mieux
ainsi, et arriverez au point de la quitter sans le moindre regret.
647.
N'est-il pas plus sage de se taire que de répéter sans cesse que vous n'aimez
plus ? Celui qui dit à tout le monde : "Je n'aime plus," aime encore.
C'est par degrés, et non pas tout à coup, qu'on parvient réellement à
éteindre sa flamme. Dépêchez-vous lentement, et vous serez sauvé. Un torrent
est plus impétueux que le cours uniforme d'un fleuve ; mais l'un a peu de
durée, et l'autre coule toujours. Que votre amour disparaisse à votre insu,
qu'il s'évanouisse comme une vapeur subtile, et meure insensiblement. Ce serait
presqu'un crime de haïr aujourd'hui la femme qu'on aimait hier ; un changement
si brusque ne convient qu'à des âmes féroces ; il suffit que vous la
négligiez.
L'amant chez qui la haine remplace l'amour aime encore, ou s'afflige de la fin
de ses maux. Il est honteux de voir deux amants, naguère tendrement unis,
devenir tout à coup des ennemis implacables. Vénus elle-même désapprouve de
telles querelles (33). Souvent on accuse sa maîtresse, et on
l'aime encore. Là où les récriminations se taisent, l'amour s'éloigne
spontanément. Le hasard voulut un jour que je servisse de témoin à un jeune
homme : sa maîtresse était près de là, dans sa litière ; il éclatait
contre elle en reproches sanglants, en paroles menaçantes, au moment où il
allait l'assigner. "Oh ! qu'elle sorte de sa litière, dit-il" elle
sort, et il reste muet devant elle ; les bras lui tombent, les tablettes
s'échappent de ses mains ; et, se jetant au cou de son amie : "Tu l’emportes,
" s'écrie-t-il. Il est plus convenable, plus décent, de se séparer
paisiblement, que de passer de la chambre à coucher aux querelles du barreau.
Laissez-la garder sans conteste les présents que vous lui aurez faits ; un
léger sacrifice nous épargne souvent des pertes plus sérieuses.
Si le hasard vous réunit l'un et l'autre dans le même lieu, n'oubliez pas de
faire usage des armes que je vous ai fournies : c'est maintenant que vous en
avez besoin ; combattez donc vaillamment. Penthésilée (34)
doit tomber sous vos coups. Songez à votre rival, songez à cette porte
inflexible à votre amour, à ces faux serments dont l’infidèle prit les
dieux à témoin. Ne prenez aucun soin de vos cheveux, parce que vous allez la
voir ; ne disposez point avec art, sur votre poitrine, les plis onduleux de
votre robe ; ne vous inquiétez pas tant de plaire à une femme qui désormais
vous est étrangère, et, qu'à vos yeux, rien ne la distingue plus du commun
des femmes.
683.
Je vais signaler maintenant le plus grand obstacle au succès de nos efforts :
que chacun là-dessus consulte sa propre expérience. Nous cessons trop tard
d'aimer, parce que nous espérons toujours d'être encore aimés. Race crédule
que nous sommes ! chacun de nous sacrifie à sa vanité. N'ajoutez donc plus foi
aux belles paroles : elles sont si trompeuses, et, parmi les dieux eux-mêmes,
elles ont si peu de valeur ! -Prenez garde aussi d’être sensibles aux larmes
; pleurer est un art auquel s’exercent les belles. Le coeur des amants est en
butte à mille artifices, comme le galet du rivage, ballotté en tous sens par
les flots de la mer. Ne lui dites point pourquoi vous préférez une rupture ;
ne découvrez point vos motifs de plaintes ; gardez-les pour vous seul. Ne
parlez point de ses torts à votre maîtresse, elle se disculperait ; aidez, au
contraire, à ce que sa cause paraisse meilleure que la vôtre. Celui qui se
tait fait preuve de courage ; celui qui accable sa maîtresse de reproches ne
demande qu'à l’entendre se justifier.
699.
Je ne prétends point, comme le roi d'Ithaque, plonger dans un fleuve les
flèches acérées de l'Amour et son flambeau brûlant. Je ne couperai point ses
ailes purpurines si et mes préceptes ne feront point détendre les cordes de
son arc. Mes chants sont de simples conseils ; amants, suivez-les ; et toi,
Phébus, continue, comme tu l'as fait jusqu'ici, à seconder mon entreprise.
Mais je suis exaucé ; j'entends la lyre de Phébus, j'entends le bruit de son
carquois ; à ces insignes, je reconnais le dieu : voici Phébus !
...
707.
Comparez à la pourpre de Tyr une laine teinte à Amyclée (35)
; celle-ci vous paraîtra bien plus grossière ; comparez aussi votre maîtresse
aux plus belles femmes, et vous rougirez bientôt de votre aveugle préférence.
Junon et Pallas pouvaient toutes deux sembler belles à Pâris mais, comparées
à Vénus, l'une et l'autre furent vaincues. Poussez le parallèle plus loin que
les figures ; appliquez-le aussi au caractère, aux talents ; mais que l'amour,
surtout, ne fausse pas votre jugement.
Écoutez encore cet avis de moindre importance ; si futile qu'il soit, bien des
gens se sont applaudis de l’avoir suivi, et moi tout le premier. Gardez-vous
de relire les anciennes lettres de votre maîtresse ; cette lecture dangereuse
ébranle le caractère le plus ferme. Jetez-les impitoyablement au feu, quoi
qu'il vous en coûte, et dites :" Que mon amour trouve là son
bûcher."
721.
La fille de Thestius brûla son fils, en livrant aux flammes le tison fatal ; et
vous hésiteriez à brûler ces perfides écrits ! Si vous pouvez encore,
éloignez de vos yeux le portrait de l'infidèle, pourquoi resteriez-vous
enchaîné devant cette image muette ? Cette imprudence a perdu jadis Laodamie.
Il est des lieux dont l'aspect vous serait nuisible. Fuyez ceux qui furent les
témoins de vos plaisirs ; ils ne feraient qu'aigrir votre douleur. "C'est
ici qu'elle était ; c'est là que je la vis couchée et que je dormis dans ses
bras ; c'est là que, dans une nuit voluptueuse, elle mit le comble aux
ravissements de mes sens." L'Amour se réveille ; la blessure se rouvre,
prête à saigner encore : la moindre imprudence est fatale aux convalescents.
Comme un feu presque éteint, mis en contact avec le soufre, revit, et d'abord,
flamme légère, devient ensuite un incendie : de même, si vous n'évitez pas
tout ce qui pourrait réveiller votre amour, sa flamme, que vous croyez
assoupie, se rallumera plus impétueuse. La flotte grecque eût bien voulu fuir
le promontoire de Capharée, et le fanal trompeur que tu allumas, ô vieillard !
pour venger la mort de ton fils (36) ! Le prudent nautonier se
réjouit d'avoir passé le détroit de Scylla (37). Vous,
amants, détournez-vous des lieux qui vous furent trop chers. Qu'ils soient pour
vous les Syrtes : évitez ces rochers Acrocérauniens (38), et
le gouffre de l'affreuse Charybde, qui revomit sans cesse les flots qu'elle
vient d'engloutir (39). Il est encore d'autres remèdes dont
l'emploi est difficile à prescrire, mais qui, dus au hasard, peuvent être
cependant très efficaces. Que Phèdre devienne pauvre, et les jours de ton
petit-fils, ô Neptune ! seront épargnés, et tu arrêteras le monstre qui
épouvanta les coursiers d'Hippolyte. Réduite à la misère, Pasiphaé ne
connaîtra que des amours légitimes. Les richesses sont l'aliment de la passion
luxurieuse. Pourquoi Hécalé n'eut-elle pas d'amant, et Irus de maîtresse (40)
? La première était pauvre ; le second portait la besace. La pauvreté n'a pas
de quoi nourrir l'amour : ce n'est pas cependant un motif pour la désirer.
Mais, ce qui vous importe du moins, c'est de ne pas vous donner le plaisir de
fréquenter les théâtres, jusqu'à ce que votre coeur soit complètement rendu
à la liberté. Là, les sons de la lyre, de la flûte et de la cithare, une
voix harmonieuse, la danse aux mouvements cadencés, énervent l’âme ; là,
vous voyez chaque jour des amants fictifs paraître sur la scène, et un acteur
habile vous rappeler avec art les plaisirs que vous fuyez et ceux qui vous
enchantent. Je le dis à regret, ne touchez pas aux poètes érotiques. Père
dénaturé, je lance l'anathème contre mes propres enfants. Fuyez Callimaque,
il n'est point ennemi de l'amour ; et toi, poète de Cos, tu n'es pas moins
dangereux que Callimaque. Sapho m'a rendu plus tendre pour mon amie, et la muse
du vieillard de Téos ne m'a pas donné des moeurs bien sévères (41).
Qui peut lire impunément tes vers, ô Tibulle ? ou les tiens, chantre aimable,
que ta Cynthie seule inspira ? Qui peut lire Gallus et rester insensible ? Ma
Muse elle-même n'a-t-elle pas je ne sais quels accords, dont la douceur vous
pénètre ?
Si le dieu qui me dicte mes vers, si Apollon, ne m'abuse point, un rival est la
principale cause de notre martyre. Figurez-vous donc que vous n'avez point de
rival ; et croyez fermement que votre maîtresse repose seule dans son lit.
Oreste n'aima si violemment Hermione, que parce qu'elle appartenait déjà à un
autre. Pourquoi te plaindre, Ménélas ? Tu, vas en Crète sans ton épouse ; et
tu as le courage de rester longtemps éloigné d'elle ? Mais Pâris l'enlève,
et, seulement alors, tu ne peux plus vivre sans elle ? L'amour d'un autre a
stimulé le tien. Ce qu'Achille déplore le plus en perdant Briséis, c'est de
la voir passer dans les bras du fils de Plisthène (42) ; et,
croyez-moi, il ne pleurait pas sans motif. Agamemnon fit ce qu'il ne pouvait
manquer de faire, à moins de tomber dans une honteuse impuissance : j'en aurais
fait tout autant, car je ne suis pas plus sage que lui. Ce fut le plus grand
motif de haine entre ces deux guerriers. Car, lorsqu'Agamemnon jure par son
sceptre qu'il a respecté Briséis, c'est qu'il ne regarde pas son sceptre comme
un dieu.
785.
Puissiez-vous encore passer devant le seuil de votre maîtresse, après l'avoir
abandonnée, sans vous arrêter et sans que vos pieds donnent un démenti à
votre résolution ; et vous le pourrez si vous le voulez fermement, Mais il faut
le vouloir ainsi ; il faut avancer courageusement et enfoncer l'éperon dans les
flancs de votre coursier. Figurez-vous que sa demeure est le séjour des
Lothophages, et l'antre des Syrènes (43) : Faites force de
rames et mettez toutes les voiles au vent. Cessez, je vous le conseille encore,
de traiter en ennemi le rival qui vous cause des chagrins si vifs. Saluez-le du
moins, quoique vous le haïssiez toujours ; mais si vous pouvez l'embrasser vous
êtes sauvé.
795.
Maintenant, pour remplir envers vous toutes les obligations d'un bon médecin,
je vais vous indiquer les mets que vous devez prendre, et ceux dont vous devez
vous abstenir. Toute plante bulbeuse, qu'elle vienne de la Daunie (44),
ou des rivages d'Afrique, ou de Mégare, est également nuisible. Abstenez-vous
sagement de la roquette stimulante, et de tout ce qui nous porte aux plaisirs de
l'amour. Vous emploierez avec avantage la rue qui donne aux yeux de l'éclat et
qui éteint en nous le feu des désirs. Vous me demandez ce que je vous prescris
à l'égard du vin ? Je vais vous satisfaire plus promptement que vous ne
l'espérez. Le vin dispose à l'amour, à moins qu'on ne le boive sans
modération, car alors il anéantit les facultés de l'esprit.
809.
Le vent alimente le feu, il peut aussi l'éteindre. Léger, il entretient la
flamme ; trop violent, il l'étouffe. Point d'ivresse donc, ou bien qu'elle soit
assez complète pour vous faire oublier tous vos succès. Dans un cas pareil, un
milieu raisonnable vous serait nuisible.
813.
Je suis au bout de ma carrière ; ornez de guirlandes de fleurs ma nef
fatiguée. Je touche enfin le port où je voulais aborder. Amants et maîtresses
que ma muse a guéris, un jour, vous rendrez à votre poète de pieuses actions
de grâces.
NOTES DU REMÈDE D'AMOUR.
(1) Matrem. Médée, pour se venger de l'infidélité de Jason, tua les deux enfants qu'elle avait eus de lui, et s'enfuit ensuite à travers !es airs, dans un char traîné par des dragons ailés.
(2) Tereus... Philomela. Voyez Métam., VI.
(3) Pubicus assertor. Ovide désigne, par ces mots, le préteur qui donnait la liberté aux esclaves, en les frappant de sa baguette appelée vindicta.
(4) Myrrha était fille de Cynire. Elle eut un commerce incestueux avec son père qui, ayant reconnu son crime, voulut la tuer; mais elle fut changée en un arbrisseau d'où coule la myrrhe.
(5) Paeantius heros désigne Philoctète, fils de Paean et compagnon d'Hercule, qui lui avait légué ses flèches trempées dans le sang de l'hydre de Lernes. Il en laissa tomber une sur son pied ; et lorsque les Grecs allèrent au siège de Troie, ne pouvant supporter l'infection qu'exhalait la blessure de Philoctète, ils abandonnèrent celui-ci clans l'île de Lemnos. Voyez Sophocle, tragédie de Philoctète.
(6) Vade per urbanae candida castra togae. Ovide désigne par-là les assemblées des citoyens pour l'élection des magistrats : on sait que ceux qui aspiraient aux honneurs civils étaient appelés candidats, à cause de la robe blanche, candida toga, dont ils étaient revêtus.
(7) Ecce fugax Parthum, magni nova causa triumphi. Allusion a la guerre contre les Parthes, dont Auguste avait confié la conduite au jeune Caïus, fils d'Agrippa.
(8) Allia. C'est le nom d'un fleuve d'Italie, qui se jette dans le Tibre, non loin de Rome et sur les bords duquel les Gaulois, sous la conduite de Brennus, taillèrent en pièces l'armée romaine. De là alliensis dies pour exprimer un jour malheureux.
(9) Haemoniae... terrae. La Thessalie, célèbre par ses plantes vénéneuses.
(10) Vivo sulfure victus amor - Allusion aux cérémonies religieuses dans lesquelles, pour purifier les amants, on employait une torche enflammée, du soufre et des oeufs.
(11) Phasiacae... terrae. Colchos, patrie de Médée, où coulait le Phase. Le poète apostrophe Médée, en lui appliquant le nom de son pays, Colchi.
(12) Neritias. Épithète donnée au vaisseau d'Ulysse, de Nérite, montagne de l'île d'Ithaque.
(13) Dulichium. Surnom d'Ulysse, de Dulichium, l'une des îles Echniades dont Ulysse était roi.
(14) Rhaesus. Roi de Thrace, tué par Ulysse et par Diomède, tandis qu'il venait au secours de Troie.
(15) Sub titulum... misit. "Vendre à l'encan". Titulus était une affiche, un écriteau qui indiquait qu'une propriété était à vendre. (Voyez Tibul., II, élég.IV, v.53.)
(16) Podalirius. Fils d'Esculape, et médecin célèbre.
(I7) Phinen. Phinée, roi de Thrace, que les dieux privèrent de la vue, parce qu'il avait fait crever les yeux à son fils. Les Harpies, monstres moitié femmes et moitié oiseaux, infectaient, ventris profluvio, tous les mets servis sur sa table, et les dévoraient ensuite. Voyez Virgile, Enéide, III, v. 214.
(18) Quisquis es. Ovide se sert de ce mot parce qu'on ne connaît ce Zoïle que parce qu'il composa des libelles contre Homère, et qu'il les récitaà Ptolémée d'Alexandrie. Ce prince, indigné d'une présomption si audacieuse et si mal justifiée, garda vis-à-vis du pamphlétaire le silence du mépris. Selon Vitruve (de Architect. VII), Zoïle serait né à Amphipolis, en Thrace, Poussé par la misère, il vint trouver Ptolémée, dans l'espoir d'en obtenir quelque chose; mais Ptolémée lui répondit que, puisqu'il se disait plus habile qu'Homère, il devait non seulement se faire vivre lui-méme, mais beaucoup d'autres encore; car Homère, qui était mort depuis plus de mille ans, avait fait vivre par ses ouvrages des milliers de générations. Accusé ensuite de parricide, il fut crucifiés et on lui appliqua le sobriquet d'Homeromatix, ou de fléau d'Homère.
(19) Quo duce. Allusion à une satire de Carvilius Picto contre l'Énéide, intitulée Enéidomatix : quo duce s'applique à Virgile, qui a chanté l'arrivée d'Énée en Italie.
(2O) Maeonio pede. Dans le rythme dHomère, l'alexandrin ou vers héroïque.
(21) Cothurnos. Chaussure élevée dont ou se servait pour jouer la tragédie, comme on se servait du soccus, chaussure plus basse, dans la comédie. Lusibus e mediis, la vie ordinaire et le langage qu'on y parle; celui qui convient à la comédie.
(22) Cydippe. Callimaque écrivit un poème de ce nom, dont il ne nous reste que quelques fragments transmis par les grammairiens. Voyez aussi Héroïde XX.
(23) Andromaches... Thaida. Andromaque, épouse d'Hector, ne pourrait parler le langage de Thaïs, courtisane d'une des comédies de Térence.
(24) Ab Idaea. Épithète donnée à Procris, parce qu'elle se réfugia, disent quelques écrivains, en Crète, où était le mont Ida, près de Minos, et qu'elle épousa celui-ci, après l'avoir guéri d'un ulcère.
(25) Amphilochi... Phegida. Allusion à l'histoire d'Alcmaeon, frère d'Amphiloque et fils d'Amphiaraüs et d'Éryphile. Callirhoë fut la femme de cet Alcmaeon, qui tua sa mère Eryphile. Voyez, sur cette histoire un peu confuse, Properce et Pausanias, Histoires, VII.
(26) Et Parin Oenone. Voyez Héroïde V - L'Aebalie était le même pays que la Laconie : elle fut ainsi nommée d'Aebalus, un de ses premiers rois.
(27) Conjugis Odrysio. Allusion à Térée, qui régnait dans celte partie de la Thrace qu'on appelait l'Odrysie, du nom d'Odrysa, la capitale. Voyez Métam. VI. Sororis désigne Philomèle.
(28) Thersites. C'était le plus laid, le plus bavard et le plus lâche des Grecs au siège de Troie. Voyez Iliad., II.
(29) Machaonia... ope. La médecine, du nom de Machaon, célébre médecin, fils d'Esculape.
(30)
Est prope Collinam. Près de la porte Colline par laquelle on se rendait au mont Quirinal, était le temple de Vénus Ërycine, ainsi nommé du mont Éryx (aujourd'hui Catafalna), en Sicile, où elle avait un temple
fameux. - L'allégorie de l'oubli d'Amour, qu'Ovide
représente trempant son flambeau dans une eau glacée est on ne peut plus ingénieuse.
(31) Qui Puteal Janumque timet. Le Putéal était un lieu où le préteur rendait la justice; on l'appelait ainsi d'une fosse ou d'un puits qui en était proche. Les changeurs, les courtiers et les gens d'affaires s'y réunissaient, de même que les usuriers et les marchands se rassemblaient sur la place voisine du temple de Janus, pont assigner en justice les débiteurs retardataires. Celeres Kalendas indique le retour des Calendes, trop prompt au gré des débiteurs, qui étaient obligés de payer, dans les premiers jours du mois, l'intérêt ou le capital de l'argent qu'ils avaient emprunté. Voyez Horace livre I, Sat. 3, v. 86.
(32) Edono trieterica Baccho. Il s'agit ici des sacrifices que l'on faisait à Bacchus tous les trois ans, en mémoire de son expédition dans les Indes. L'épithète d'Edono vient du nom d'Édon, montagne de la Thrace, où le dieu était particulièrement honoré.
(33) Appias. C'est la Vénus Genitrix qui avait un temple dans le forum de J. César, et surnommé Appias, parce que la fontaine Appias était située près de ce forum.
(34) Penthesilea. Le poète compare ici la jeune fille aimée de quelqu'un, et contre laquelle il faut combattre, à Penthésilée, reine des Amazones.
(35) Amyclaeis... ahenis. Amyclée était une ville du Péloponèse, située près de l'Eurotas, où l'on teignait la laine en couleur de pourpre. Mais cette couleur, si célèbre que fût sa beauté, ne pouvait cependant soutenir la comparaison avec la pourpre de Tyr.
(36)
Argolides cuperent fugisse Capharea puppes;
Teque, Senex, luctus ignibus te ulte tuos.
Les roches Capharées étaient situées sur le bord d'un promontoire de l'île dEubée (aujourd'hui Négrepont), du côté de la mer, où elles présentaient un écueil très dangereux. C'est là que Nauplius, père de Palamède, allumait toutes les nuits un phare, afin d'attirer les vaisseaux des Grecs qu'il voulait faire périr pour venger la mort de son fils, dont ils étaient la cause. Voyez Virgile,
Énéid., liv. XI, v. 260 ; et Prop., liv. III, élég. 7, v. 39.
(37) Niseide. Scylla, fille de Nisus. Voyez Métam., VII.
(38) Syrtes... Acroceraunia. Les Syrtes sont deux golfes sur la côte d'Afrique, de profondeur inégale, mais également dangereux. Ils sont appelée ainsi du mol grec surô j'entraîne, parce que les vagues semblent y en traïner les vaisseaux. - Les monts Acrocérauniens sont ainsi nommés de deux mois grecs, akron, sommet, et keraunos foudre, parce qu'à cause de leur hauteur ils, sont souvent frappés de la foudre. Ils sont situés en Epire, sur le bord de la mec Adriatique.
(39) Charybdis. Gouffre très dangereux situé à l'entrée du détroit de Messine, qui engloutissait et revomissait les vaisseaux qui s'y étaient laissé entraîner. Son nom lui vient de Charybde, femme gloutonne qui, pour avoir dérobé les boeufs d'Hercule, fut foudroyée par Jupiter et précipitée dans la mer, où elle conserve encore son ancien naturel.
(40) Hecalen... Iron. Hécalé fut une pauvre vieille femme qui donna l'hospitalité à Thésée. Irus est le mendiant qui, à l'instigation de Pénélope se battit contre Ulysse avant que ce prince se fût fait reconnaître. Odyssée et Héroide I, v. 95.
(41) Cynthia. Cette Cynthie fut la maîtresse de Properce.
(42) Plisthenio. Agamemnon, fils de Plisthène, qui le recommanda en mourant à son frère Atrée, ainsi que Ménélas, son autre fils. Atrée les éleva tous deux comme ses propres enfants. C'est de là que ces deux princes furent appelés Atrides.
(43) Lotophagos... sirenas. Les Lotophages étaient un peuple qui habitait les îles de Zerbi, sur la côte d'Afrique. Ils étaient ainsi nommés parce qu'ils faisaient leur nourriture des fruits d'un arbre appelé Lotos. Au reste, on ne trouve dans ces îles, dont l'une est appelée Meninx ou Lotophagitis par Strabon, ni fruits ni arbre, ni verdure. Homère raconte, dans l'Odyssée, que les compagnons d'Ulysse, ayant goûté des fruits du Lotos les trouvèrent si délicieux qu'ils leur firent oublier leur patrie. - Pour les sirènes, voyez Art d'aimer, livre III, v. 314.
(44)
Daunius. La Daunie apulienne était une province de l'Italie, d'où l'on tirait beaucoup de plantes
bulbeuses, ainsi que de Mégare, ville de l'Attique, et des rivages de l'Afrique.