ARISTOTE
Thomas d’Aquin
Commentaire au traité de l’âme
LIVRE III (1ère partie)
traduction par Yvan Pelletier
2000
Site http://www.thomas-d-aquin.com/
Yvan Pelletier Yvan Pelletier (né en 1946) est professeur titulaire à la Faculté de philosophie de l'Université Laval, où il enseigne depuis 1975 et où il a complété sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant à l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abbé Jasmin Boulay et de MM. Warren Murray, Alphonse Saint-Jacques et quelques autres professeurs d'une tradition aristotélico-thomiste initiée à cette faculté par M. Charles De Koninck. Son enseignement est agencé de façon à offrir aux étudiants du baccalauréat une présentation des principes fondamentaux et de la méthode de chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective aristotélicienne : éthique, politique, physique, métaphysique - et aux étudiants de maîtrise et doctorat une réflexion critique sur les éléments du credo contemporain - démocratie, nouvelle morale, logique symbolique, dissociation de l'être et du devoir, primauté de la conscience, etc. - à partir de ces principes fondamentaux.
LIVRE TROISIÈMEChapitre 1 (424b22-245b11) 424b22 Qu’il n’existe pas d’autre sens à part les cinq — je veux dire ceux-ci : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher —, on pourra s’en persuader comme suit. 424b24 À supposer que de tout ce dont il y a sensation tactile nous ayons de fait sensation — car toutes les affections de l'objet tangible en tant que tangible nous sont sensibles par le toucher —, nécessairement, s'il nous manque une sensation, un organe sensoriel nous fait aussi défaut. En outre, tout ce que nous sentons en le touchant nous-mêmes, c'est au toucher qu'il est sensible, sens que nous nous trouvons à posséder; par ailleurs, tout ce que nous sentons grâce à des milieux et non en le touchant nous-mêmes, nous le sentons grâce aux corps simples, je veux dire l'air et l'eau. Or il en va de telle sorte que si, grâce à un milieu unique, plusieurs objets différents les uns des autres génériquement se trouvent sensibles, nécessairement, celui qui possède l'organe sensoriel correspondant sera capable de sentir les deux. Par exemple, si l'organe sensoriel est à base d'air, et que l'air soit un milieu à la fois pour le son et pour la couleur. Et que s'il existe plusieurs milieux pour le même sensible — par exemple, pour la couleur, à la fois l'air et l'eau, car les deux sont diaphanes —, alors celui qui possède un organe à base de l'un des milieux seulement sentira l'objet accessible par les deux. 425a3 Par ailleurs, parmi les corps simples, c'est seulement de deux d'entre eux que se constituent des organes sensoriels, à savoir, d'air et d'eau: la pupille est d'eau, l'ouïe d'air et l'odorat de l'une et l'autre. Quant au feu, il n'appartient à aucun organe, ou est commun à tous, car rien, sans chaleur, n'est capable de sentir. La terre, enfin, n'appartient à aucun organe, ou bien c'est surtout dans le toucher qu'elle se trouve en composition. Par suite, il en résulterait qu'il n'existe aucun organe sauf d'eau et d'air. Et ceux-là, de fait, il y a des animaux qui les possèdent. Tous les sens, donc, sont en la possession de ceux qui ne sont ni imparfaits ni estropiés. La taupe même, manifestement, a ses yeux sous sa peau. Par conséquent, s'il n'existe pas de corps différent, ni d'affection qui n'appartienne à aucun des corps d'ici, aucun sens ne saurait nous manquer. 425a13 Mais il n'en va pas non plus de sorte qu'il y ait un organe sensoriel propre pour les sensibles communs, ces qualités que nous sentons avec chaque sens et non par accident (01), à savoir, le mouvement, le repos, la figure, la grandeur, le nombre, l'unité. 425a16 Car toutes ces qualités, c'est par un mouvement que nous les sentons: la grandeur, par exemple, c'est par un mouvement. La figure aussi, par suite, car la figure est une espèce de grandeur. Quant à ce qui est en repos, c'est par le fait qu'il ne se meuve pas. Puis le nombre, c'est par la négation du continu; c'est aussi par les sensibles propres, puisque chaque sens sent l'unité. Par conséquent, il est évidemment impossible qu'il y ait un sens propre pour ces qualités, par exemple pour le mouvement. 425a21 Autrement, il en irait (02) comme nous sentons de fait le doux avec la vue. En ce cas, c'est parce que nous nous trouvons à avoir sensation des deux, et par là, quand ils coïncident, nous les reconnaissons. Alors (03), nous ne sentirions pas du tout les sensibles communs, sinon par accident, comme nous percevons le fils de Cléon non pas parce qu'il est le fils de Cléon, mais parce qu'il est blanc; et c'est par accident que ce blanc s'attribue au fils de Cléon. 425a27 Mais en fait, nous avons des sensibles communs une sensation commune et non par accident. Il n'y en a donc pas de sens propre; nous ne les sentirions alors d'aucune autre façon que celle dont nous avons dit que nous voyons le fils de Cléon. Mais c'est par accident que les sens sentent les sensibles propres les uns des autres. Ils ne le font pas en eux-mêmes, mais dans la mesure où ils constituent un sens unique, lorsque la sensation se fait sur le même objet, la bile, par exemple, sentie amère et jaune. Car il ne revient certes pas à un autre sens de dire que les deux sont une seule chose. Voilà pourquoi on se trompe et, si c'est jaune, on croit que c'est de la bile. 425b4 On pourrait se demander à quelle fin nous avons plusieurs sens plutôt qu'un seul. Ne seraitce pas pour que ne nous échappent pas les sensibles dérivés et communs, comme le mouvement, la grandeur et le nombre? Car s'il y avait seulement la vue et qu'elle porte sur le blanc, ils nous échapperaient davantage et, du simple fait que couleur et grandeur aillent ensemble, nous aurions l'impression que tout cela est la même chose. Maintenant, au contraire, comme les sensibles communs se retrouvent aussi en un autre sens, il est évident que chacun d'entre eux est quelque chose de différent. #564. — Chez les Grecs, ici commence le troisième livre (04), et de manière assez raisonnable. À partir d'ici, en effet, Aristote accède à l'enquête qui porte sur l'intelligence. Il y en a eu qui ont soutenu que le sens et l'intelligence sont la même chose. Pourtant, il est manifeste que l'intelligence n'est pas l'un (05) des sens externes dont on a déjà parlé (06) puisqu'elle (07) n'est pas contractée à ne connaître qu'un genre de sensibles. Aussi reste-t-il à vérifier si dans la partie sensitive il y a quelque autre puissance cognitive, de façon à ce qu'on puisse saisir si l'intelligence est de quelque manière un sens. #565. — Cette partie, donc, se divise en trois autres: dans la première, il cherche s'il existe un autre (08) sens à part les cinq sens externes dont on a déjà parlé; dans la seconde (427a17), il montre que l'intelligence et le sens ne sont d'aucune façon la même chose; dans la troisième (429a10), une fois montré que l'intelligence n'est pas un sens, il traite de la partie intellectuelle de l'âme. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il montre qu'il n'existe pas d'autre sens propre à part les cinq déjà présentés; dans la seconde (425b12), il montre qu'à part les sens propres il y a un sens commun. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre qu'il n'existe pas d'autre sens à part les cinq; en second (425b4), il montre pourquoi il y en a plusieurs et pas seulement un. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre qu'il n'existe pas, à part ces cinq-là, un autre sens susceptible de connaître les sensibles propres; en second (425a13), il montre qu'il n'existe pas, à part ces cinq-là, un autre sens dont l'objet soit les sensibles communs. #566. — Sur le premier point, il use d'un raisonnement comme suit: quiconque possède l'organe d'un sens par lequel des sensibles soient de nature à être connus connaît tous les sensibles de nature à être connus par cet organe (09); or les animaux parfaits possèdent tous les organes des sens; donc ils connaissent tous les sensibles. Or comme ils ne possèdent que cinq sens, il n'y aura pas, à part ces cinq-là (10), d'autre sens (11) en regard des sensibles propres. #567. — Pour ce raisonnement, il procède de la manière suivante. En premier, il présente son intention: à partir de ce qui va suivre, dit-il, on peut être amené de manière suffisante à croire qu'il n'existe pas d'autre sens (12) à part les cinq déjà présentés. #568. — En second (424b24), il manifeste (13) la première proposition du raisonnement amené, à savoir celle que l'animal qui possède l'organe d'un sens connaît tous les sensibles qui peuvent se sentir avec cet organe. Cela, bien sûr, il le manifeste dans le sens du toucher, du fait qu'il est manifeste combien (14) il existe de qualités tangibles; on a dit plus haut, en effet, que les qualités tangibles sont les différences d'un corps élémentaire en tant que tel, lesquelles deviennent manifestes à partir de ce qu'on définit à partir des éléments. Aussi peut-il nous devenir manifeste que nous sentons toutes les qualités tangibles. #569. — À partir de là, il conclut, en comparaison avec autre chose de pareil, que, si nous possédons un organe, nous avons sensation des sensibles qui sont de nature à être connus avec cet organe. C'est cela qu'il veut dire, quand il précise que, si nous avons la sensation de tout sensible dont le toucher est perceptif — ce qui devient apparent du fait que nous sentons toutes les affections tangibles en tant que telles —, nécessairement on dira universellement que si nous manque la sensation de sensibles, nous fera défaut aussi le sens par lequel on serait de nature à connaître ces sensibles; en effet, si nous possédions cet organe, nous connaîtrions ces sensibles. Puis, ce qui vient d'être affirmé universellement, il le manifeste en exemplifiant dans chacun des cas. #570. — Et en premier quant à ce qu'on connaît sans milieu externe. C'est ce qu'il veut dire, avec: tout ce que nous sentons en touchant, c'est-à-dire sans milieu externe, peut se sentir avec l'organe du toucher que nous possédons, sous lequel on comprend le goût (15). Par contre, en ce qui concerne les sensibles que nous sentons moyennant des milieux externes qui sont des corps simples, à savoir, l'air et l'eau (16), nous ne les sentons pas en les (17) touchant; il en va comme si je disais: si avec un organe, on peut sentir plusieurs sensibles différents entre eux génériquement, nécessairement, qui possède un organe de la sorte sent l'un et l'autre genre; par exemple, si un organe est constitué d'air, et que l'air peut être affecté par la couleur et par le son, il s'ensuit que qui possède un organe de la sorte peut à la fois percevoir le son et la couleur. Tandis que si, au contraire, ce sont plusieurs organes qui sont susceptibles du même sensible, comme l'air et l'eau — l'un et l'autre diaphanes — sont perceptifs de la couleur, il s'ensuit que l'animal qui possède l'un d'eux (18) peut percevoir ce qui est perceptible avec l'un et l'autre, comme par des milieux, ou bien par les deux, comme par des instruments — ce qu'il dit parce que dans les sens qui sentent par un milieu externe les organes sont conformes aux milieux —. Ces conditions, il les a introduites (19) parce que le même sensible se sent par un animal avec l'eau et par un autre avec l'air, comme il appert de l'odeur. #571. — En troisième (425a3), il introduit la seconde proposition avec sa manifestation, à savoir, que les animaux parfaits possèdent tous les organes de la sensation. Les organes de la sensation, dit-il donc, sont de nature à consister seulement de deux corps simples, à savoir, d'air et d'eau, parce que ce sont les plus affectables et c'est ce que requiert la condition de l'organe du sens pour être facilement affecté par le sensible. Dans la pupille, en effet, il y a de l'eau, parce que par l'humeur aqueuse qui se trouve dans la pupille de l'œil on reçoit l'espèce du visible; et dans l'organe de l'ouïe, il y a de l'air (20), comme on l'a dit plus haut. Pour ce qui est de l'odorat, par ailleurs, il se trouve attribué à l'air en certains et à l'eau en d'autres, comme on l'a dit plus haut. Par contre, le feu n'appartient par soi à l'organe d'aucun sens, parce que le feu est très actif et très peu affectable; cependant, en raison d'une participation de sa qualité, il est commun à tous les sens. Rien n'est sensitif sans chaleur, comme rien non plus n'est vivant sans chaleur, puisque rien ne sent à moins de vivre. (21) #572. — La terre, quant à elle, n'est à l'état pur l'organe d'aucun sens, en ce que l'organe est luimême sensible (22); cependant, par alliance, elle s'approprie surtout (23) au toucher, parce que l'organe du toucher doit être d'une complexion intermédiaire, comme on l'a dit plus haut (#546-548); par conséquent, il doit se composer (24) de tous les éléments. Il s'ensuit qu'il n'y a aucun organe du sens à part l'air et l'eau. Par ailleurs, ces organes d'air et d'eau, ce sont certains animaux qui les ont, à savoir, les animaux parfaits. Aussi, conclut-il, ce sont les animaux non imparfaits en leur nature qui possèdent tous les sens (25); sont imparfaits, par exemple, les animaux immobiles, qui possèdent seulement le toucher. #573. — Et les animaux non estropiés (26), c'est-à-dire auxquels ne manque aucun sens pour une cause non naturelle, comme c'est le cas des aveugles ou des sourds. Ainsi, même la taupe, qui appartient au genre des animaux parfaits, semble bien avoir des yeux sous la peau, pour s'assimiler à son genre. Mais puisqu'elle vit sous terre, la vue ne lui était pas nécessaire, et la terre, si elle avait les yeux à découverts, blesserait ses yeux. #574. — Comme il apparaît manifestement, ce raisonnement procède à partir du nombre déterminé des éléments; c'est à partir de là que le Philosophe a prouvé que les organes des sens, qui agissent moyennant des milieux extérieurs, sont affectés seulement moyennant l'air et l'eau. Et aussi à partir de l'établissement des affections des éléments, qui sont les qualités tangibles; aussi est-ce par elles qu'on arrive à savoir que nous connaissons toutes les qualités tangibles. Aucun sens ne nous fait défaut, conclut-il donc; à moins qu'on ne prétende qu'il y ait encore un corps élémentaire à part les quatre éléments, et qu'il y a d'autres affections qui peuvent se discerner par le toucher et qu'elles appartiennent à des corps qui n'existent pas ici et que nous ne connaissons pas (27). Cela paraît absurde. Aussi reste-t-il qu'il n'y ait que cinq sens, ceux que nous possédons. #575. — Ensuite (425a14), comme on pourrait dire qu'il y a un autre sens apte à connaître les sensibles communs, il exclut cela avec un raisonnement comme suit. Tout ce qui est connu par un sens comme son sensible propre n'est pas connu par d'autres sens, sauf par accident; or les sensibles communs ne sont pas sentis par accident par l'un des sens, mais par soi par plusieurs; donc, les sensibles communs ne sont les objets propres (28) d'aucun sens. #576. — Pour ce raisonnement, il procède de la manière suivante. En premier, il présente la conclusion. Il ne peut y avoir, dit-il, d'organe propre à un sens qui soit apte à connaître les sensibles communs que nous sentons par soi et non par accident avec chaque sens, à savoir, le mouvement, le repos, etc. #577. — En second (425a16), il prouve que ces sensibles communs se sentent par soi et non par accident. En effet, tout ce que l'on sent du fait que cela affecte le sens est senti par soi et non par accident. Car c'est cela sentir par soi, qu'on soit affecté par un sensible. Or tous ces sensibles communs sont sentis moyennant une espèce d'affection (29). Et c'est ce qu'il veut dire, en disant que nous les sentons tous par un mouvement, c'est-à-dire moyennant une espèce d'affection. En effet, il est manifeste que la grandeur affecte le sens, puisqu'elle est le sujet d'une qualité sensible, par exemple la couleur ou la saveur, et que les qualités n'agissent pas sans leurs sujets. De là, il apparaît que nous connaissons aussi la figure moyennant une certaine affection, parce que la figure est un aspect de la grandeur, car elle consiste en la limitation (30) de la grandeur. La figure, en effet, c'est ce qui est contenu par une ou des limites, comme il est dit au premier livre d'Euclide. #578. — Il est manifeste, encore, qu'on comprend le repos à partir du mouvement, comme les ténèbres moyennant la lumière. Car le repos est la privation du mouvement. On connaît le nombre, enfin, par la négation du continu, qui est la grandeur. En effet, le nombre des choses sensibles est causé par la division du continu; aussi connaît-on même les propriétés du nombre par les propriétés du continu. En effet, parce que le continu est divisible à l'infini, le nombre aussi peut croître à l'infini, comme il appert, Physique, III, 5. Il est manifeste aussi que chaque sens connaît par soi un objet, dans la mesure où il se trouve affecté par un objet. Aussi est-il manifeste qu'on connaît ces sensibles communs par soi et non par accident. Il est impossible, en conclut-il, qu'il y ait un sens propre de l'un de ces sensibles communs. #579. — En troisième (425a21), il montre que si un sens les sentait proprement, ce serait des sensibles par accident. C'est ce qu'il veut dire, quand il dit qu'il en irait ainsi des sensibles communs, s'ils étaient les objets propres d'un sens, qu'il en va maintenant du fait que nous sentons le doux avec la vue. C'est en effet que nous avons sensation de l'un et de l'autre, à savoir, du blanc et du doux. C'est pourquoi, quand ils coïncident en un sujet unique, ce qui relève d'un sens se trouve connu par soi par ce sens, mais par l'autre par accident. C'est pourquoi, en voyant par soi le blanc, nous voyons par accident le doux. (31) #580. — Par ailleurs, si ce n'est pas sensible proprement par un sens, ce ne sera jamais senti par accident par un autre sens en raison de la coïncidence de deux sens ou de deux sensibles dans le même sujet. Cependant, cela sera sensible tout à fait par accident, comme on l'a dit plus haut (#395). Par exemple, nous sentons le fils de Cléon par accident, non pas parce qu'il est le fils de Cléon, mais parce qu'il est blanc, à quoi il appartient par accident d'être le fils de Cléon. Or cela, à savoir, être le fils de Cléon, n'est pas sensible à la vue par accident de la manière que ce serait sensible par soi pour un autre sens, comme il en allait du doux. Par contre, «nous avons des sensibles communs une sensation commune non par accident», c'est-à-dire, les sensibles communs sont sentis communément par soi et non par accident par différents sens. Aussi, s'ensuit-il, il n'existe pas de sens propre pour eux; car alors (32) nous ne les sentirions pas par soi avec les autres sens, mais nous les sentirions par accident, comme nous sentons le fils de Cléon. #581. — Effectivement, les sens sentent par accident les sensibles propres les uns des autres, comme, par exemple, la vue le sensible de l'ouïe, et réciproquement. La vue, en effet, ne connaît pas le sensible de l'ouïe, ni l'ouïe le sensible de la vue selon ce qu'ils sont, parce que la vue n'est en rien affectée par l'audible, ni l'ouïe par le visible, sauf dans la mesure où ils constituent un sens unique, c'est-à-dire une seule sensation en acte, pour ainsi dire (33), dans le même sensible. Et je dis la même sensation en acte (34) du fait que l'action de l'un et l'autre sens se fait ensemble en regard du même sensible; par exemple, on perçoit en même temps de la bile par le goût qu'elle est amère, et par la vue qu'elle est jaune (35). C'est pourquoi, tout de suite à l'aspect du jaune nous jugeons que c'est quelque chose d'amer. Par contre, il n'y a pas un autre sens dont ce soit le propre de connaître que le blanc et l'amer sont une seule chose. En effet, cette unité n'en une que par accident (36); et ce qui est par accident seulement (37) ne peut être l'objet d'une puissance. Et c'est pourquoi, parce que la vue ne perçoit pas ce qui relève du goût, sauf par accident, le sens se trompe fréquemment en pareilles choses, et nous jugeons que si c'est quelque chose de jaune, c'est de la bile. #582. — Ensuite (425b4), il cherche la cause de la pluralité des sens. Or c'est une conséquence de toute l'espèce; et en pareilles choses, on doit assigner une cause finale, comme le Philosophe (38) l'enseignera, Génération des animaux, V, 1. Il en va autrement, par contre, dans les accidents (39) de l'individu, dont on doit donner la raison à partir de la matière, ou de l'agent. Aussi donne-t-il ici une cause finale. On peut chercher, dit-il donc, en vue de quoi nous avons plusieurs sens et non pas un seul seulement. Et la réponse à cela, c'est pour que ne nous échappe pas ce qui suit les sensibles propres et est commun aux différents sens (40), comme le mouvement et la grandeur et le nombre. Si, en effet, il n'y avait que le sens de la vue, comme il ne porte que sur la couleur, et que la couleur et la grandeur se suivent, puisque c'est ensemble que le sens est affecté par la couleur et par la grandeur, nous ne pourrions pas discerner entre couleur et grandeur, mais elles nous paraîtraient être la même chose. Mais maintenant, parce que la grandeur est sentie par un autre sens que la vue, tandis que la couleur non, cela même nous manifeste (41) que couleur et grandeur c'est autre chose. Et il en va pareillement des autres sensibles communs.
#583.
— On peut aussi donner cette raison pour la distinction des sens. Il est
manifeste, en effet, que, comme la puissance se dit en relation à un objet, il
faut que les puissances sensitives soient diversifiées d'après la différence
des objets. Or un objet est sensible pour autant qu'il est susceptible
d'affecter les sens. Aussi, selon différents genres d'affectation du sens par
un sensible il faut qu'il y ait différents sens. Par ailleurs, le sens est
affecté par le sensible d'une manière par contact, et ainsi on a le sens du
toucher, qui est apte à discerner de ce dont est constitué l'animal, et le
sens du goût, qui est apte à percevoir les qualités qui désignent la
convenance comme aliment, par lequel se conserve le corps de l'animal. C'est
d'une autre manière que le sens est affecté par un milieu extérieur (42).
Et cette affection, certes, se fait ou bien avec altération du sensible, et
ainsi l'odeur affecte le sens avec une espèce de réduction de l'odorant. Ou
bien avec un mouvement local, et ainsi affecte le son. Ou sans affection du
sensible (43), mais par la seule affection
spirituelle du milieu et de l'organe, et ainsi affecte la couleur. Chapitre 2 (425b11-426b8) 425b12 Nous sentons que nous voyons et que nous entendons; en conséquence, c'est nécessairement ou bien à la vue de sentir qu'elle voit, ou bien à un autre sens. 425b13 [Si c'est à un autre, ce sera ou bien par lui-même qu'il voit, ou bien par un autre.(44)] Cependant (45), le même sens portera sur la vue et sur la couleur, son sujet (46). Par suite, ou bien deux sens porteront sur le même objet ou bien le même sens portera sur lui-même. 245b15 D'ailleurs, si c'est un autre sens qui porte sur la vue, ou bien il en ira ainsi à l'infini ou bien à un moment donné le même sens portera sur lui-même. Aussi doit-on reconnaître cela pour le premier. 425b17 Mais il y a une difficulté, car si sentir avec la vue, c'est voir, et si c'est la couleur qu'on voit, ou ce qui en est doté, dès lors, si l'on voit ce qui est en train de voir (47), ce qui le premier est en train de voir sera doté de couleur. 425b20 Il devient donc manifeste que sentir avec la vue n'est pas quelque chose d'un (48). Et de fait, quand nous ne voyons pas (49), c'est avec la vue que nous discernons tant l'obscurité que la lumière, mais pas de la même manière. 425b22 En outre, même ce qui est en train de voir est comme coloré, car chaque organe sensoriel est réceptif du sensible sans sa matière. C'est pourquoi, même une fois que les sensibles s'en sont allés, les sensations et images (50) demeurent dans les organes sensoriels. D'ailleurs, l'acte du sensible et celui du sens est le même et unique, bien que pour eux être ne soit pas la même chose. Je veux dire, par exemple, le son en acte et l'ouïe en acte: il se peut, en effet, que ce qui est doté de l'ouïe ne soit pas en train d'entendre et que ce qui est doté de son ne soit pas en train de résonner, mais quand ce qui peut entendre est en acte et que résonne ce qui peut résonner, alors l'ouïe et le son passent simultanément à l'acte, et on dira que l'un est audition, et l'autre résonance. 426a2 Si donc le mouvement, à la fois l'action et l'affection, réside dans ce qui est agi, nécessairement le son et l'ouïe en acte résident dans l'ouïe en puissance. Car l'acte de ce qui agit et meut se réalise dans ce qu'il affecte; aussi ce qui meut n'est pas nécessairement mû. L'acte du sonore est donc son ou résonance, et celui de l'entendant ouïe ou audition; car l'ouïe est double et double est le son. Le même raisonnement vaut pour les autres sens et les autres sensibles. Et de même que l'action et la passion résident en ce qui est affecté et non en ce qui agit, de même aussi l'acte du sensible et celui du sens résident dans le sens. En certains cas, toutefois, ils ont chacun un nom, par exemple résonance et audition, tandis qu'en d'autres l'un demeure sans nom. En effet, on appelle vision l'acte de la vue, mais celui de la couleur est sans nom; on appelle gustation l'acte du goût, mais celui de la saveur est sans nom. 426a15 C'est donc un acte unique que celui du sens et celui du sensible, bien qu'être soit autre chose pour l'un et l'autre. Ce sera donc nécessairement en même temps que se corrompront ou se conserveront l'ouïe et le son dont on parle de cette manière, et certes aussi la saveur et le goût, et pareillement pour les autres. Par contre, quand on en parle sous le rapport de la puissance, il n'en ira plus nécessairement ainsi. 426a20 Les premiers physiologues, par contre, n'ont pas bien exprimé ce fait, du fait de croire qu'il n'existe rien de blanc, ni de noir sans la vue, ni saveur sans le goût. Pour une part, ils s'exprimaient correctement, mais pour une autre incorrectement. C'est que c'est de deux manières que l'on parle de sens et de sensible, les uns l'étant en puissance et les autres en acte; pour ces derniers, bien sûr, ce qu'ils disaient s'applique, mais pour les autres il ne s'applique pas. Cependant, ils parlaient de manière absolue de choses qui ne se disent pas de manière absolue. 426a27 Si donc le son (51) est une sorte d'harmonie, et que le son et l'ouïe soient d'une certaine manière une seule chose — bien que d'une autre manière elles ne soient pas une seule chose ou pas la même chose —, et que l'harmonie soit une proportion, nécessairement l'ouïe aussi constitue une certaine proportion. C'est pour cela aussi que tout excès, dans l'aigu comme dans le grave, corrompt l'ouïe. De même, l'excès dans les saveurs corrompt le goût; dans les couleurs, l'excès du brillant ou du sombre corrompt la vue; il en va de même pour l'odorat, avec l'odeur forte, tant douce qu'amère. Tout comme si le sens était une sorte de proportion. 426b3 Par suite, les qualités sensibles sont plaisantes lorsque, d'abord pures et sans mélange, elles sont amenées à une certaine proportion. Par exemple, le piquant, le doux ou le salé sont alors de fait plaisants. D'une manière générale, d'ailleurs, le mixte tient plus de l'harmonie que l'aigu ou le grave, et, pour le toucher, le chaud ou le froid. Mais le sens, c'est la proportion, tandis que l'excès peine ou corrompt. #584. — Le Philosophe vient de montrer qu'il n'existe pas d'autre sens propre, à part les cinq. Il passe maintenant à examiner s'il existe une puissance sensitive commune à ces cinq sens. Cela, il l'examine à partir de certaines actions qui semblent bien ne pas être propres à un sens mais exiger une (52) puissance sensitive commune. Il y a deux actions de cette sorte. L'une tient à ce que nous percevons les actions des sens propres; par exemple, à ce que nous sentons que nous voyons et entendons. L'autre tient à ce que nous discernons entre les sensibles propres (53) des différents sens; par exemple, que ce soit une chose le doux, et autre chose le blanc. En premier, donc, il cherche à quoi attribuer la première de ces actions. En second (426b8), à quoi attribuer la seconde. Sur le premier point, il en développe trois autres. En premier, il soulève la question et dit: puisque nous sentons que nous voyons, et que pareillement nous sentons que nous entendons, et ainsi de suite pour chacun des sensibles, nécessairement ou bien c'est par la vue que nous sentons que la vue même voit, ou bien c'est par une autre faculté; et il en va ainsi des autres sens. (54) #585. — En second (426a27), il objecte à l'une et l'autre parties. En premier, il apporte deux raisonnements pour montrer que la vue voit qu'elle voit. Le premier va comme suit. Si on sent qu'on voit avec un autre sens que la vue, ce sera ou bien parce qu'on voit la couleur avec cet autre sens, ou bien que c'est tout à fait avec un autre sens (55) qu'on voit la couleur et qu'on sent la vision de la couleur. Or si c'est avec le même sens qu'on sent la couleur et qu'on sent la vision de la couleur (56), il s'ensuit que le même et unique sens et la même et unique vue (57) appréhendera en acte la vue ellemême et la couleur, son sujet (58). Aussi s'ensuit-il l'une de deux conséquences. En effet, si ce sens qui sent la vision et la couleur est un autre sens que la vue, il faudra qu'il y ait deux sens d'un sujet unique, à savoir, de la couleur. Ou bien, si ce sens par lequel nous sentons la vision et la couleur est le même sens que la vue (59), il s'ensuit que le même porte sur le même, c'est-à-dire que la vue est sens d'elle-même, chose qu'on a niée dès le début. Dire, par contre, que cet autre sens par lequel on sent qu'on voit ne sent pas la couleur est tout à fait déraisonnable, parce que s'il ne connaissait pas la couleur, il ne pourrait non plus connaître ce que c'est de voir, puisque voir n'est rien d'autre que de sentir la couleur. #586. — Il présente ensuite son second raisonnement (425b15), qui va comme suit. Si le sens (60), celui de la vision, à savoir, celui par lequel nous sentons que nous voyons, en est un autre que la vue, on doit encore se demander de ce sens s'il sent qu'il sent; et si non, il faudra encore chercher un sens (61) qui sente qu'il sent. Ou bien donc cela va à l'infini, ce qui est impossible, puisqu'il est impossible de compléter une action qui dépend d'agents (62) infinis et aussi qu'il puisse y avoir des puissances infinies pour une chose unique, ou bien il faudra qu'on parvienne à un sens qui soit juge de lui-même, c'est-à-dire qui perçoive qu'il sent. Pour la même raison, donc, cela pouvait arriver dans le premier sens, à savoir la vue, qu'elle sente qu'elle voit. Ce n'est donc pas un autre sens qui perçoit la couleur et qui perçoit la vision de la couleur. #587. — Ensuite (425b17), il objecte à la partie contraire. Et comme les premiers raisonnements, d'une certaine manière, concluent du vrai, le raisonnement actuel se trouve proposé par mode de difficulté; aussi résoudra-t-il celle-ci (63). Le raisonnement va comme suit. Si c'est avec la vue que nous sentons que nous voyons, et que sentir avec la vue n'est rien d'autre que de voir, alors nous voyons que nous voyons. Or on ne voit rien, sinon la couleur seulement (64), ou ce qui a couleur. Si donc on voit de soi (65) qu'on est en train de voir, il s'ensuit que ce qui en premier voit, qui devient (66) en second ce qui est vu, ait couleur, ce qui paraît absurde. En effet, on a dit plus haut (#427) que la vue, comme elle est réceptive de la couleur, est sans couleur. #588. — Ensuite (425b20), il résout (67) de deux façons la difficulté proposée. En premier, il conclut de ce qui précède que sentir avec la vue se dit de plusieurs manières. En effet, on a montré plus haut (#585-586) que c'est avec la vue que nous sentons que nous voyons. On a montré aussi qu'avec la vue nous ne sentons que la couleur. Donc, sentir avec la vue se dit de deux manières. D'une manière, pour autant qu'avec la vue nous sentons que nous voyons. De l'autre manière, lorsque avec la vue nous voyons la couleur. Que donc sentir avec la vue se dit de plusieurs manières ressort de ce que des fois on nous dit sentir avec la vue du fait que notre vue se trouve présentement affectée par l'objet visible, à savoir par la couleur (68), tandis que d'autres fois nous discernons avec la vue à la fois les ténèbres et la lumière même quand nous ne voyons pas, c’est-à-dire de cette vue où nous sommes affectés par un sensible extérieur. Mais ce n'est pas de pareille manière qu'on dit de l'une et l'autre façons sentir avec la vue. La solution revient donc à ceci que l'action de la vue peut se regarder soit d'après ce qu'elle consiste en l'affectation d'un organe par un sensible extérieur — et alors on ne sent que la couleur, et par cette action, la vue ne voit pas qu'elle voit —, soit, autre action de la vue, d'après ce que (69), après l'affectation de l'organe, elle juge de l'affectation (70) même de l'organe par le sensible, même en l'absence du sensible — et alors la vue ne sent pas seulement la couleur (71), mais sent aussi la vision de la couleur. #589. — Ensuite (425b22), il apporte une autre solution, laquelle est nécessaire du fait que la couleur a un être double: l'un naturel, dans la chose sensible, l'autre spirituel, dans le sens. C'est donc d'après le premier être de la couleur que procède la première solution, tandis que la seconde solution (72) procède en relation au second être de la couleur. Concernant cette solution, il développe trois points: en premier, il présente la solution; en second (426a2), il prouve quelque chose qu'il a supposé dans la solution; en troisième (426a15), il démontre (73) aussi, à partir de cette solution, la solution de certaines autres questions. #590. — On a résolu la difficulté qui précède (74), commence-t-il, en soutenant que ce qui voit n'est pas coloré. On peut aussi la résoudre en admettant que ce qui voit est aussi coloré, puisqu'il y a en ce qui voit une similitude de la couleur, de sorte que ce qui voit est semblable au coloré. Aussi, la puissance qui voit qu'on est en train de voir ne se trouve pas en dehors du genre de la puissance visuelle. Que de fait ce qui voit soit de certaine manière coloré, il le prouve avec ce qu'on a dit plus haut (#427), que chaque organe du sens est réceptif d'une espèce sensible sans sa matière, comme on l'a dit plus haut (75) (#551-554). Voilà la raison pour laquelle, en l'absence des sensibles, il se fait en nous des sensations et des imaginations, c'est-à-dire comme des manifestations (76), d'après lesquelles d'une certaine façon les animaux sentent. Ainsi appert-il que ce qui voit est lui aussi coloré, et semblable à l'objet coloré. Mais aussi, l'acte de n'importe quel sens est le même et unique en sujet (77) avec l'acte du sensible, mais en définition il n'est pas le même. #591. — Ce que j'appelle l'acte du sens, c'est comme l'ouïe en acte; et l'acte du sensible, c'est comme le son en acte. Car ils ne sont pas toujours en acte, puisqu'il se peut que ceux qui ont l'ouïe n'entendent pas, et que ce qui possède un son ne soit pas toujours à résonner. Mais quand ce qui peut entendre a son opération, et que ce qui peut résonner résonne (78), alors se produisent ensemble le son en acte, que l'on appelle résonance (79), et l'ouïe en acte, que l'on appelle audition. Comme donc la vue perçoit le sensible et son acte, et que le voyant est semblable au sensible, et que l'acte du voyant est le même en sujet que l'acte du sensible, bien que non en définition, il reste qu'il appartient à la même vertu de voir la couleur et l'affectation qui vient de la couleur, et le visible en acte et sa vision. Donc, la puissance par laquelle nous voyons que nous voyons n'est pas étrangère à la puissance visuelle, mais diffère d'elle en définition. #592. — Ensuite (426a2), il prouve ce qu'il a supposé, à savoir que l'acte du sensible et du sentant est le même et unique, bien qu'il diffère en définition, à partir de ce qu'on a montré, Physique, III, 3. Là, en effet, on a montré que tant le mouvement que l'action et (80) l'affection sont en ce qu'on agit, c'est-à-dire dans l'affecté et le mobile. Il est manifeste, par ailleurs, que l'ouïe est affectée par le son; aussi est-il nécessaire que tant le son en acte, qu'on appelle résonance, que l'ouïe en acte, qu'on appelle audition, se trouvent en ce qui est en puissance, à savoir dans l'organe de l'ouïe. La raison en est que l'acte de l'agent et du moteur se passe dans ce qui en est affecté, et non dans l'agent et le moteur. Voilà la raison pour laquelle il n'est pas nécessaire que tout moteur soit mû. En effet, tout ce en quoi il y a mouvement est mû. Aussi, si le mouvement et l'action (81), qui est une espèce de mouvement, se trouvait dans le moteur, il s'ensuivrait que le moteur serait mû. Et de même qu'on a dit, Physique, III, 3, que l'action et l'affection constituent un seul acte, quant à leur sujet, mais diffèrent, quant à leur définition, pour autant qu'on signifie (82) l'action comme issue de l'agent tandis qu'on signifie l'affection comme présente en ce qui est affecté, de même on a dit plus haut (#590-591) que, quand à leur sujet, c'est le même acte (83) pour le sensible et pour le sentant, mais pas quant à leur définition. Donc, l'acte de ce qui peut résonner, c'est-à-dire du son, c'est la résonance, tandis que l'acte de l'ouïe c'est l'audition. #593. — En effet, l'ouïe et le son se disent de deux manières: en acte et en puissance. Et ce qu'on a dit de l'ouïe et du son vaut pour la même raison dans les autres sens et sensibles. De même, en effet, que l'action et l'affection se trouvent comme en leur sujet (84) dans ce qui est affecté et non dans l'agent, mais là seulement comme dans leur principe par lequel ils se produisent (85), de même autant l'acte du sensible que l'acte du sensitif se retrouvent dans le sensitif comme en leur sujet. Cependant, en certains sensibles et sensitifs, on a nommé l'un et l'autre actes, à la fois celui du sensible comme résonance, et celui du sensitif, comme audition. En d'autres, cependant, on en a nommé un seul, à savoir l'acte du sensitif. En effet, on appelle vision l'acte de la vue, mais l'acte de la couleur n'est pas nommé. Et le goût, c'est-à-dire la gustation, est l'acte du gustatif, mais l'acte de la saveur n'est pas nommé chez les Grecs. #594. — Ensuite (426a15), à partir de la solution présentée, il passe à démontrer la vérité de deux questions, dont la première est si les sens et les sensibles se corrompent et se conservent ensemble. Nécessairement, dit-il donc, en rapport à la solution de celle-ci, comme les actes du sensible et du sensitif n'en sont qu'un seul, quant à leur sujet, mais diffèrent, quant à leur définition, ainsi qu'on l'a dit, l'ouïe dite en acte et le son dit en acte se conservent et se corrompent ensemble; et il en va pareillement de la saveur et du goût, et des autres sensibles et sens. Mais si on en parle selon leur puissance, ce n'est pas nécessairement qu'ils se corrompent et (86) se conservent ensemble. #595. — À partir de cette solution (87), il écarte une opinion des naturalistes anciens (426a20). Les naturalistes antérieurs, dit-il, ne se sont pas bien exprimés en ceci, parce qu'ils pensaient que rien n'est blanc, ou noir, sauf quand on le voit; et qu'il n'y a de saveur que lorsqu'on goûte; et pareillement pour les autres sensibles et sens. Et puisqu'ils ne croyaient pas qu'il y ait d'autres êtres que les sensibles, ni d'autre faculté cognitive que le sens, ils croyaient que tout l'être et la vérité des choses se trouvait dans le fait qu'elles se manifestent. De là, ils se trouvaient conduits à croire que les contradictoires sont vraies ensemble, du fait que des gens différents pensent des choses contradictoires. #596. — Ils parlaient toutefois correctement, d'une certaine manière, mais d'une autre manière non. En effet, comme le sens et le sensible se disent de deux manières — à savoir, d'après la puissance et d'après l'acte —, il arrive, à propos du sens et du sensible en acte, ce qu'ils disaient, qu'il n'y aurait (88) pas de sensible sans sens. Mais cela n'est pas vrai du sens et du sensible en puissance. Cependant, eux, ils parlaient absolument, c'est-à-dire sans distinction, de ce qui se dit de plusieurs manières. #597. — Ensuite (426a27), il démontre, à partir de ce qui précède, la solution de l'autre question, à savoir, pourquoi certains sensibles corrompent le sens et certains lui plaisent. La symphonie, dit-il, c'est-à-dire le son consonant et proportionné, est un son, et d'une certaine façon le son est la même chose que l'ouïe, et la symphonie est une espèce de proportion; alors nécessairement, l'ouïe est une espèce de proportion. Comme, par ailleurs, toute proportion se corrompt par la surabondance, le sensible excessif (89) corrompt le sens. Par exemple, ce qui est excessivement grave et aigu corrompt l'ouïe; l'excès de saveur corrompt le goût; ce qui est fortement éclatant ou obscur corrompt la vue; et la forte odeur corrompt l'odorat, étant donné que le sens est une espèce de proportion.
#598.
— Par contre, si les sensibles purs (90) sont mélangés
avec proportion, ils deviennent plaisants. Par exemple, dans les saveurs, quand
quelque chose arrive à la proportion due de piquant, de doux et de salé, on a
alors quelque chose de tout à fait plaisant. D'ailleurs, tout ce qui est mélangé
est plus plaisant que ce qui est simple; par exemple, la symphonie plaît
davantage que la voix seulement aigue ou seulement grave. Et dans le toucher, ce
qui est composé de chaleureux et de rafraîchissant. En effet, le sens se plaît
dans les choses proportionnées, comme en des choses qui lui sont pareilles, du
fait que le sens est une espèce de proportion. Mais les extrêmes (91)
corrompent (92) le sens ou au moins lui déplaisent
(93).
Chapitre 2 (426b8-427a16) 426b8 Chaque sens porte donc sur le sensible qui est son sujet, réside dans l'organe sensoriel comme tel et juge des différences du sensible qu'il a pour sujet. Le blanc et le noir, par exemple, c'est la vue qui en juge; le doux et l'amer, c'est le goût; il en va pareillement pour les autres cas. 426b12 Cependant, nous distinguons aussi entre le blanc et le doux, et chaque sensible en rapport à chacun; il y a donc quelque chose par quoi nous sentons qu'ils diffèrent. C'est nécessairement par un sens, puisqu'il s'agit de sensibles. Par là, il devient évident aussi que la chair n'est pas l'organe sensoriel ultime, car ce serait alors nécessairement au contact du sensible que cette faculté de discernement s'exercerait. 426b17 Assurément, il n'est pas possible non plus de juger avec des sens séparés que le doux diffère du blanc: il faut au contraire que les deux soient évidents à un sens unique. Car sinon, même si je sentais l'un et toi l'autre, il resterait évident qu'ils diffèrent l'un de l'autre! Il faut plutôt que le même et unique énonce qu'ils diffèrent, c'est-à-dire que le doux diffère du blanc. C'est en fait le même qui l'énonce, de sorte que, comme il l'énonce, il le pense aussi et il le sent. Que donc il ne soit pas possible de discerner des sensibles séparés avec des sens séparés, c'est évident. 426b23 Que cela ne puisse non plus se faire en un temps séparé, en voici la preuve. De même, en effet, que c'est le même qui énonce que le bien et le mal diffèrent, de même quand il énonce que l'un diffère, il énonce alors même que l'autre diffère, ce quand ne se trouvant pas par accident. Je veux dire, par exemple, que j'énonce maintenant qu'il diffère, mais pas qu'il diffère maintenant. Au contraire, on énonce comme suit: à la fois maintenant et que maintenant, simultanément donc. Par conséquent, c'est quelque chose d'inséparable qui effectue le discernement, et en un temps inséparable. 426b29 Pourtant il est impossible que la même chose, en tant qu'indivisible et en un temps indivisible, soit mue simultanément des mouvements contraires. Car s'il s'agit du doux, il meut de telle manière le sens et la pensée, et l'amer d'une manière contraire, et le blanc encore autrement. 427a2 Est-ce donc que cette faculté de discernement est à la fois numériquement une, indivisible, inséparable dans le temps, mais séparable dans son être? Alors, d'une manière, en tant que divisible, il lui appartiendrait de sentir les qualités divisées, mais d'une autre manière il exercerait son discernement en tant qu'indivisible; ne se trouvant divisible que quant à son être, il resterait indivisible en lieu, temps et nombre. 427a5 Mais n'est-ce pas que cela ne se peut pas? Car c'est en puissance que la même chose est les contraires, à la fois indivisible et divisée, non en son essence. Dans son agir, par contre, le sens est divisible et il ne lui est pas possible d'être simultanément blanc et noir, ni, par conséquent, d'être affecté par leurs espèces, si le sens et l'intelligence sont de la sorte. 427a9 Plutôt, il en va comme de ce que certains appellent un point: en autant qu'il est un ou deux, par là même il est divisible. En tant qu'indivisible, cette faculté de discernement est une et simultanée; en tant que divisible, elle n'est plus une. En effet, on se sert deux fois du même point en même temps. Ainsi, du fait d'user de la limite comme de deux choses, on distingue deux choses et deux choses séparées, par une faculté en quelque sorte séparée; mais du fait qu'on use d'une seule limite, on en juge simultanément. Quant au principe par lequel nous disons que l'animal est sensible, voilà notre manière de le préciser. #599. — Aristote (94) vient de faire porter son enquête sur le sens commun à partir de l'opération par laquelle nous sentons que nous voyons et entendons. Partant de cette opération, on en est venu à ce que la puissance visuelle sent la vision (95), mais d'une autre manière qu'elle ne sent le sensible extérieur. Par contre, il n'est pas encore établi que la puissance qui juge des actes des sens soit une et commune. Aussi passe-t-il ensuite à enquêter sur pareille faculté (96) par le biais d'une autre opération, laquelle montre qu'il existe une puissance commune qui porte d'une certaine manière sur tous les cinq sens; cette opération, c'est celle de discerner les sensibles les uns des autres (97). À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre combien (98) peut s'étendre le discernement du sens propre; en second (99) (426b12), il enquête sur le discernement des sensibles qui dépasse la puissance du sens propre. #600. — À partir de ce qu'on a dit (#383ss.), il est manifeste, commence-t-il, que chaque sens est apte à connaître le sensible qui se présente à lui (100), celui dont l'espèce se forme dans son organe, en tant qu'il s'agit d'un organe de telle nature. En effet, l'organe de chaque sens est affecté par soi, non par accident, par l'objet propre du sens. De plus, chaque sens discerne les différences de son sensible propre; par exemple, la vue discerne le blanc et le noir, le goût le doux et l'amer, et il en va pareillement chez les autres sens. #601. — Ensuite (426b12), il montre à quoi on doit attribuer le (101) discernement qui dépasse le sens propre (102), à savoir, le fait de discerner le sensible d'un sens du sensible d'un autre. À ce propos, il développe deux points: en premier, il établit la vérité; en second (426b29), il soulève une objection contre cette vérité et la résout. Sur le premier point, il en développe trois autres: en premier, il montre qu'il y a un sens qui discerne entre le blanc et le doux (103); en second (426b17), il montre qu'il n'existe pas deux mais une pareille puissance du sens; en troisième (426b22), il montre que cette puissance perçoit à la fois l'un et l'autre sensible entre lesquels elle discerne. Avec une certaine faculté, commence-t-il, nous discernons non seulement le blanc du noir, ou le doux de l'amer, mais aussi le blanc du doux, et nous discernons chaque sensible de chaque autre, et nous sentons qu'ils diffèrent. Or il faut bien que ce soit par un sens, puisque connaître les sensibles en tant qu'ils sont sensibles appartient au sens. En effet (104), nous connaissons la différence (105) entre blanc et noir non seulement quant à l'essence de chacun, ce qui appartient à l'intelligence, mais aussi quant à l'affectation différente du sens. Et cela ne peut se faire que par un sens. #602. — Si cela se fait par un sens, il semble plutôt que ce soit par le toucher, qui est le premier des sens, et d'une certaine manière la racine et le fondement de tous les sens; c'est d'ailleurs par lui que l'animal tient qu'on le dise sensible. Aussi est-il manifeste que la chair n'est pas le dernier organe du sens du toucher, car lorsque le discernement se fait par le sens du toucher, il serait nécessaire que, dans le contact même de la chair par le tangible, se produise le discernement du tangible par rapport aux autres sensibles. Cependant, on n'attribue pas ce discernement au toucher en tant qu'il est un sens propre, mais en tant qu'il est le fondement de tous les sens, et qu'il se tient plus près de la racine et de la source (106) de tous les sens, qui (107) est le sens commun. #603. — Ensuite (426b17), il montre que c'est le même sens qui (108) discerne le blanc du doux. En effet, on pourrait croire que nous discernons le blanc du doux non pas avec une puissance unique, mais avec des différentes, à savoir, pour autant qu'avec le goût nous connaissons le doux, et avec la vue le blanc. C'est ce qu'il exclut, en disant que cela ne se peut pas, discerner avec des puissances séparées, c'est-à-dire différentes, que le doux soit autre chose que le blanc. Il faut au contraire, pour discerner entre eux (109), que ces sensibles nous soient manifestes (110) par le moyen d'une puissance unique. Car si nous sentions le doux et le blanc avec des puissances différentes, il en irait comme si des personnes différentes sentaient, l'une le doux et l'autre le blanc. Par exemple, si moi je sens l'un et toi (111) l'autre. Dans cette situation, en effet (112), il restera (113) manifeste que le doux et le blanc sont différents l'un de l'autre, puisque je suis affecté autrement par le doux que toi par le blanc. #604. — Cependant, cette différence ne sera pas manifeste pour nous (114). Il faut plutôt qu'il n'y en ait qu'un seul qui énonce que c'est autre chose le doux que le blanc. Car c'est une seule vérité, à savoir, que le doux soit autre chose que le blanc; il faut donc que cette unique vérité soit énoncée par un seul. Or de l'énoncer est l'interprétation d'une saisie antérieure; de même donc qu'il n'y en a qu'un qui énonce, de même faut-il qu'il n'y en ait qu'un qui comprenne et sente que le doux est autre chose que le blanc. Par ailleurs, il dit comprenne et sente parce qu'on n'a pas encore montré que l'intelligence est autre chose que le sens. Ou encore parce que cette différence se connaît à la fois avec le sens et avec l'intelligence (115). De même donc qu'il faut que ce soit le seul et même homme qui énonce que le blanc est autre chose que le doux qui connaisse l'un et l'autre, de même aussi faut-il que ce soit avec la même et unique puissance qu'il connaisse (116) l'un et l'autre. En effet, ce n'est qu'avec une puissance qu'on connaît. C'est cela qu'il conclut par après, qu'il est évident qu'il n'est pas possible de juger des objets séparés, c'est-à-dire que des choses soient différentes, avec des facultés séparées, c'est-à-dire différentes. Au contraire, il faut que ce soit la même puissance qui connaisse l'un et l'autre. #605. — Ensuite (426b22), il montre qu'il faut que l'un et l'autre objets soient connus simultanément. De ce qu'on dit, il devient manifeste aussi (117), dit-il donc, que ce n'est pas non plus en un temps séparé, c'est-à-dire en un temps différent, qu'on connaît l'un et l'autre objets. En effet, celui qui juge que des objets sont séparés dit une seule et unique chose, à savoir, que c'est autre chose le bien et le mal; de même aussi le dit-il quand c'est autre chose. En effet, il dit que c'est autre chose alors même qu'il en juge, et cela même, quand c'est autre chose, Aristote ne le dit pas par accident, de sorte que ce quand se rapporte à celui qui parle, et que par exemple il dise maintenant que c'est autre chose, et qu'il ne dise pas que c'est maintenant autre chose. Ce serait en effet par accident en regard de ce qui est dit. Au contraire, de même qu'il dit maintenant que c'est autre chose, de même il dit que c'est maintenant autre chose. Or cela ne se pourrait pas s'il n'appréhendait pas ces objets simultanément, c'est-à-dire en l'instant pour lequel il juge qu'ils sont autre chose l'un que l'autre (118). Il est donc manifeste qu'il connaît simultanément l'un et l'autre. Donc, de même qu'il appartient à une puissance inséparable, c'est-à-dire unique et la même, de connaître l'un et l'autre des objets entre lesquels une différence est discernée, de même il faut que ce soit dans un temps inséparable qu'elle appréhende l'un et l'autre. #606. — Ensuite (426b29), il soulève une objection en sens contraire. À ce propos, il développe quatre points. En premier, il présente l'objection, comme suit (119). Il est impossible que la même et indivisible chose se meuve simultanément selon des mouvements contraires, simultanément et dans un temps indivisible. Or l'intelligence et le sens sont mus par le sensible et par l'intelligible, en tant qu'ils sentent et intelligent (120). Or des sensibles différents et contraires meuvent selon des mouvements différents et contraires. Il est donc impossible que la même faculté sensitive ou intellective connaisse simultanément des objets contraires et différents (121). #607. — En second (427a2), il présente une solution. Ce qui juge d'une différence entre des objets contraires ou différents (122), dit-il, est tout ensemble à la fois indivisible et inséparable numériquement, c'est-à-dire unique de sujet, mais séparé quant à son être, c'est-à-dire différent quant à sa définition. Ainsi donc, d'une certaine façon, c'est quelque chose de divisible (123) qui sent des objets divisés, c'est-à-dire différents. Mais d'une autre manière c'est quelque chose d'indivisible (124) qui sent des objets différents. En effet, quant à l'être il est divisible, c'est-à-dire il est différent de définition, mais indivisible de lieu et de nombre, c'est-à-dire il est unique de sujet. Et il dit de lieu, parce que des puissances différentes se trouvent avoir leurs organes (125) en des parties différentes du corps. #608. — En troisième (427a5), il réprouve cette solution. Il n'est pas possible, dit-il, que la solution qui précède tienne. En effet, ce qui est la même et indivisible chose quant à son sujet, mais non quant à son être, c'est-à-dire quant à sa définition, peut certes avoir les contraires en puissance. Par contre, ce qui a les contraires en leur agir, c'est-à-dire en acte, il faut que ce soit divisible. Il est impossible que la même et indivisible chose soit simultanément et en une fois blanche et noire. C'est pourquoi il n'est pas possible non plus que quelque chose d'un et d'indivisible (126) soit affecté en même temps par leurs espèces; ni non plus ne les intellige et sente, si intelliger et sentir est de la sorte, c'est-à-dire une manière d'être affecté. #609. — En quatrième (427a9), il présente la solution véritable. Cette solution se prend à partir de la similitude du point. Car le point qu'il y a entre deux parties de ligne peut se prendre comme une seule chose ou comme deux (127). Comme une seule chose, certes, pour autant que, comme terme commun, il met les parties de ligne en continuité. Mais comme deux, pour autant que nous usons deux fois du point, à savoir (128), comme début d'une ligne et comme fin d'une autre. De même aussi, doit-on comprendre, la faculté de sentir est répartie dans les cinq organes des sens à partir d'une racine commune; de celle-ci est issue la faculté de sentir dans tous les organes, et à celle-ci se terminent toutes les affectations des organes singuliers; aussi peut-on la regarder (129) de deux manières. D'une manière, pour autant qu'elle est un début et un terme pour toutes les affectations sensibles. D'une autre, pour autant qu'elle est le début et le terme de tel et tel sens. Et c'est cela qu'il dit, que de même que le point est une seule ou deux choses, de même aussi est-il divisible; quant au principe sensitif commun il est divisible (130) dans la mesure où on se sert simultanément deux fois du même point, c'est-à-dire du principe sensitif, à savoir, comme début et terme de la vue et de l'ouïe. #610. — Donc, on use du principe sensitif comme d'un terme pour deux choses «dans la mesure où on juge de deux objets, et que ces objets sont séparés», et ils sont connus «avec une puissance séparée», c'est-à-dire avec un principe divisible, «dans la mesure, par ailleurs», où cette puissance est unique en elle-même, comme on connaît la différence de l'un et l'autre objets avec un principe unique, et simultanément. Ainsi donc, ce principe sensitif commun a qu'il connaisse plusieurs objets ensemble, dans la mesure où on le prend deux fois, comme terme de deux affectations des sensibles, mais en tant qu'il est unique, il peut juger la différence d'un objet avec l'autre. #611. — Toutefois, il faut que ce principe sensitif commun ait un (131) organe, parce qu'une partie sensitive n'a pas d'opération sans organe. Or (132) comme l'organe du toucher est réparti par tout le corps, il paraît nécessaire que l'organe de ce principe sensitif commun se trouve là, où il y a la première racine de l'organe du toucher. C'est pour cela qu'Aristote a dit plus haut (#602) que, si la chair était l'organe ultime du toucher, en touchant avec la chair, nous discernerions un sensible de l'autre. #612. — Bien que, doit-on tenir compte aussi, ce principe commun soit affecté par le sens propre, parce que les affectations de tous les sens propres parviennent au sens commun comme à leur terme commun, le sens propre n'est pourtant pas plus noble que le sens commun, même si le moteur est plus noble que le mû, et l'agent que le patient; de même, le sensible extérieur n'est pas non plus plus noble que le sens propre, même s'il le meut. Il est de fait plus noble sous un certain rapport, à savoir, en tant qu'il est en acte blanc ou doux, ce que le sens propre n'est qu'en puissance. Par contre, le sens propre est, absolument, plus noble, à cause de la vertu sensitive, d'où aussi il reçoit d'une manière plus noble, à savoir, sans matière (133): car tout ce qui reçoit quelque chose le reçoit (134) à sa manière. Et ainsi aussi, le sens commun reçoit d'une manière plus noble que le sens propre, pour le fait que la vertu sensitive se regarde dans le sens commun comme en sa racine, et moins divisée. De plus, ce n'est nécessairement pas par une action du sens commun que l'espèce reçue dans son organe se forme en lui, parce que toutes les puissances de la partie sensitive sont passives; et il n'est pas possible qu'une puissance soit à la fois active et passive. #613. — Le sens propre, doit-on tenir compte aussi, a à discerner entre des sensibles contraires en tant qu'il participe (135) quelque chose de la vertu du sens commun, car aussi le sens propre est un terme d'affectations différentes qui se font à travers le milieu par des sensibles contraires. Mais le jugement ultime et l'ultime discernement appartient au sens commun.
#614.
— On a parlé du principe, conclut-il en dernier par manière d'épilogue,
selon lequel on dit que l'animal est sensible, c'est-à-dire capable de sentir.
Chapitre
3 (427a17-b27) 427a17 C'est surtout avec deux différences qu'on définit l'âme:
avec le mouvement local, et avec le fait de concevoir, de discerner et de sentir
(136). C'est pourquoi aussi on a l'impression que concevoir et discerner
soient comme une manière de sentir; dans les deux cas, de fait, l'âme
distingue et connaît (137) une réalité. 427a21 Les Anciens, quant à eux, disent
que c'est la même chose discerner et sentir. Ainsi Empédocle a-t-il dit: «C'est
d'après la situation présente que la ruse (138) grandit tant chez les hommes que
chez les autres animaux (139), d'où leur vient de toujours discerner des choses
différentes». C'est d'ailleurs la même chose que veut dire aussi le mot d'Homère:
«Car telle est la conception (140)…». 427a26 Tous ces Anciens se représentent
comme corporel le fait de concevoir, comme celui de sentir, et qu'on sent et
discerne le semblable par le semblable, ainsi que nous l'avons établi au début
du traité. 427a29 Ils auraient dû cependant traiter en même temps de
l'erreur, car celle-ci est plus familière aux animaux et l'âme y demeure plus
de temps. Nécessairement, en conséquence, ou bien, comme certains le disent,
tout ce qui apparaît est vrai, ou bien c'est le contact du dissemblable qui
constitue l'erreur: voilà en effet le contraire de connaître le semblable par
le semblable. 427a5 Par contre, il semble bien que l'erreur et la science qui
porte sur les contraires sont les mêmes. 427b6 En réalité, que sentir et
discerner ne soient pas la même chose, c'est manifeste, car au premier tous les
animaux ont part, tandis qu'à l'autre peu seulement. 427b8 Mais concevoir non
plus, qui peut se faire correctement et incorrectement. Concevoir correctement,
c'est la prudence, la science et l'opinion vraie, tandis que concevoir
incorrectement, c'est leurs contraires. Cela non plus n'est pas la même chose
que sentir, car la sensation des sensibles propres est toujours vraie et appartient à tous les animaux,
tandis qu'user de conceptions (141) se peut même faussement et n'appartient à
rien qui ne soit aussi doté de la raison. 427b14 L'imagination, quant à elle,
se différencie à la fois de la sensation et de la conception. Néanmoins, elle
ne se produit pas sans sensation; et sans imagination il n'y a pas de jugement (142).
427b16 Que l'imagination ne soit ni une conception
(143) ni un
jugement, c'est manifeste. Car cette affection dépend de nous: quand nous le
voulons, il nous est possible de nous former des images (144) devant les yeux,
comme on le fait, en mnémotechnie, pour ranger ses idées. Par contre, juger (145)
ne dépend pas de nous, car cela implique nécessairement dire faux ou dire
vrai. 427b21 En outre, lorsque nous jugeons que c'est terrible ou effrayant,
aussitôt nous éprouvons l'affection correspondante, et pareillement aussi si
c'est rassurant. Avec l'imagination, par contre, nous réagissons comme si nous
regardions en peinture ce qui nous apparaît terrible ou rassurant. 427b24 Il
existe aussi différentes espèces du jugement lui-même: la science, l'opinion,
la prudence et leurs contraires. Pour leur distinction, il faudra un autre traité.
#615. — Pour deux opérations sur lesquelles il semblait y avoir doute, à savoir, percevoir les actes des sens propres et discerner entre les sensibles des différents sens, le Philosophe vient de montrer qu'elles ne dépassent pas la faculté du principe sensitif. Il veut maintenant examiner si discerner et concevoir (146) dépassent la faculté du même principe (147). À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre que discerner et concevoir n'appartiennent pas au sens, ce qui revient à montrer que le sens et l'intelligence ne sont pas la même chose (148); en second (427b14), il montre que l'imagination, qui appartient au sens, n'est pas non plus (149) la même chose que l'opinion, qui appartient à l'intelligence. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il présente l'opinion de ceux qui prétendent que le sens et l'intelligence sont la même chose; en second (427a29), il la réprouve. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il présente l'opinion; en second (427a26), il donne la cause de l'opinion. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il présente l'opinion de manière commune; en second (427a21), il cite les paroles de philosophes qui semblent bien revenir à elle. #616. — Les philosophes anciens, commence-t-il, définissaient l'âme d'après deux choses, à savoir, d'après le mouvement local et d'après la connaissance, laquelle inclut le discernement intellectuel (150) et le sens. Il semble donc en ressortir (151) que, dans leur opinion, concevoir et discerner soient une espèce de sentir, car autant en concevant et en discernant qu'en sentant (152) l'âme juge et connaît. #617. — Ensuite (427a21), il montre que cela ne suit pas seulement de ce qu'ils disaient de manière commune. Des Anciens ont même dit expressément que c'est la même chose discerner avec l'intelligence et sentir. Pour bien comprendre les paroles qu'il rapporte des philosophes, et quel impact elles ont sur le propos, on doit tenir compte qu'aucun corps ne peut agir directement sur ce qui n'est d'aucune manière corporel. Ainsi donc, du fait que les puissances sensitives sont d'une certaine manière corporelles, car elles sont des facultés insérées dans des organes corporels, elles peuvent être affectées par l'action des corps célestes; mais c'est par accident, car ni l'âme ni la faculté de l'âme n'est mue, sinon par accident, par un corps mû. À cause de cela, il se peut que par l'influence (153) d'un corps céleste l'imagination aussi soit affectée, de même que l'appétit sensible. Par conséquent, même les animaux irrationnels, qui sont menés à leurs mouvements seulement par l'appétit sensible (154), suivent la plupart du temps les influences des corps célestes. Soutenir, donc, que les corps célestes auraient une influence directement sur la partie intellective quant à l'intelligence et à la volonté, c'est soutenir que la volonté et l'intelligence seraient des facultés corporelles. Or c'est ainsi que sonnent les paroles de certains philosophes anciens (155). #618. — Autant chez les hommes que chez les autres animaux (156), dit Empédocle, en effet, «la volonté est augmentée», c'est-à-dire est incitée à agir «d'après la situation présente», c'est-à-dire, d'après la disposition de l'heure présente, laquelle disposition, certes, dépend de la disposition des corps célestes. Aussi, le temps présent, c'est-à-dire, l'heure, «leur», c'est-à-dire aux hommes et aux autres animaux, fait «toujours discerner des choses différentes». En effet, à des heures et temps différents, l'homme et les autres animaux se trouvent à juger de choses différentes et de façon différente (157). #619. — Le mot suivant d'Homère revient au même: «Car telle est l'intelligence, chez les hommes terrestres: elle est comme la conduit tout au long du jour le père tant des hommes que des dieux», c'est-à-dire le soleil. On appelle le soleil père des hommes, par ailleurs, parce qu'il est l'une des causes de la génération humaine. C'est l'homme, certes, qui engendre l'homme, mais aussi le soleil. Et on le dit père des dieux, soit à cause des corps célestes, que les Anciens appelaient des dieux, et qui, d'après les Astrologues, se trouvent d'une certaine manière réglés par le soleil, soit à cause des hommes, qu'on croyait divinisés du fait qu'ils sont engendrés par la puissance du soleil. Par ailleurs, la puissance du soleil s'exerce tout au long du jour, parce que c'est durant le jour qu'il nous apparaît, pendant qu'il se meut dans l'hémisphère supérieure; c'est aussi pourquoi il est appelé par les Astrologues une planète diurne. Homère a donc voulu dire que les hommes terrestres reçoivent leur intelligence par l'action du soleil, et qu'ils se trouvent disposés différemment à intelliger selon le mouvement, et la position, et l'aspect du soleil. #620. — Ce vers d'Homère, doit-on savoir, toutefois, Aristote ne l'a pas cité au complet; il n'en a cité que le début. Aussi n'en a-t-on pas plus que cela ni en Grec ni en Arabe. L'interprétation de ce fait est qu'on comprenne ce mot de la façon dont nous avons coutume, lorsque nous apportons à l'appui le vers d'une autorité (158), d'en citer seulement le début, si le vers est connu. Cependant, comme ce vers d'Homère n'était pas connu chez les latins, Boèce l'a cité en entier. #621. — Avec ce qu'on a dit ici, il appert donc que si (159) les corps célestes ont une influence directe (160) sur l'intelligence et sur la volonté, cela revient à soutenir que l'intelligence est la même chose que le sens. Par contre, l'influence des corps célestes peut s'exercer indirectement sur l'intelligence ou sur la volonté, pour autant que l'intelligence et la volonté s'unissent, dans leur opération, aux facultés sensibles. Aussi, en cas de lésion à l'organe de l'imagination, l'intelligence est gênée dans son opération; de plus, par l'appétit sensible (161) la volonté est inclinée à vouloir ou à ne pas vouloir quelque chose. Cependant, la volonté n'est pas entraînée avec nécessité par l'appétit sensible (162), mais garde toujours la liberté de suivre l'inclination de l'appétit sensible (163), ou de ne pas la suivre; aussi les corps célestes n'entraînent aucune nécessité pour les actes (164) humains. #622. — Ensuite (427a26), il montre la cause de la position présentée (165). Il est manifeste, en effet, qu'une fois qu'on a enlevé la différence qui rend des choses différentes l'une de l'autre (166), elles restent pareilles. Par exemple, si on retire de l'homme son caractère rationnel, il restera du nombre des animaux irrationnels. Or la différence qui rend différente la connaissance intellectuelle de la sensible, c'est que sentir est quelque chose de corporel. Car il n'y a pas d'opération de sens sans organe corporel, tandis que concevoir n'est pas quelque chose de corporel, comme on le montrera plus loin (#684). La raison, donc, pour laquelle les Anciens soutenaient que le sens et l'intelligence sont la même chose, c'est qu'ils pensaient que concevoir était quelque chose de corporel comme sentir. #623. — Comment, maintenant, ils soutenaient que l'un et l'autre soient quelque chose de corporel, il le montre ensuite (167) du fait qu'ils soutenaient qu'autant discerner avec l'intelligence que sentir étaient rendus possibles par la force d'une similitude, comme on l'a dit au premier livre (#43-44). En outre, ils comprenaient une similitude quant à l'être corporel, par exemple, que l'on connaît la terre par de la terre, et l'eau par de l'eau, et ainsi du reste. Aussi s'ensuivait-il que sentir et concevoir entraînaient une nature corporelle, et de la même manière. Et ainsi s'ensuit-il que sentir et concevoir soient la même chose. #624. — Ensuite (427a29), il réprouve la position présentée; en premier, quant à sa cause; en second (417b6), quant à la position même. Les Philosophes, commence-t-il, en donnant pour cause de la connaissance la similitude de celui qui connaît à ce qu'il connaît, auraient dû aussi fournir une cause pour l'erreur. Surtout que l'erreur semble bien être davantage appropriée que la connaissance pour les animaux, selon leur condition de nature. Nous observons bien, en effet, que les hommes peuvent par eux-mêmes se tromper et faire erreur, tandis que pour connaître la vérité, ils ont besoin de se faire enseigner par d'autres. En outre, l'âme passe plus de temps dans l'erreur que dans la connaissance de la vérité, puisqu'elle parvient avec peine à la connaissance de la vérité après un effort de longue durée. Ce raisonnement porte efficacement contre les philosophes anciens qui soutenaient que la connaissance appartient à l'âme de par sa nature, comme si l'âme, du fait qu'elle est constituée des principes, tient non seulement d'être en puissance aux objets de connaissance, mais de se trouver à les connaître en acte. #625. — On peut répondre à cela de deux manières. D'une manière, en autant qu'on dise que les Philosophes anciens ne croyaient pas qu'il y ait erreur. Ils soutenaient en effet que tout ce qui apparaît est vrai, comme on l'a dit plus haut (#39; 595-596). C'est pourquoi il n'y avait pas besoin pour eux de fournir une cause pour l'erreur. #626. — On peut répondre d'une autre manière que, du fait qu'ils disaient que la cause de la connaissance vient de ce que l'âme touche ce qui lui est semblable, il est donné à comprendre que la cause de l'erreur est que (168) l'âme touche ce qui lui est dissemblable. C'est donc ce qu'il conclut, que comme les philosophes anciens n'ont pas fourni de cause pour l'erreur, nécessairement, s'ensuit-il (169), ou bien tout ce qui semble est vrai, comme certains l'ont dit, ou bien que le toucher par lequel l'âme touche une chose dissemblable est la cause de l'erreur. Car toucher du dissemblable paraît être contraire à connaître du semblable à soi.
#627.
— La première réponse se trouve réprouvée, Métaphysique, IV, 4-7 (In
IV Met., 6-15, #628. — Aussi passe-t-il à examiner la seconde (427b5). Il est manifeste, en effet, que dissemblable et semblable sont des contraires. Mais pour ce qui est des contraires, c'est de la même manière qu'on a connaissance et erreur (170), parce que qui connaît l'un des contraires connaît aussi l'autre (171), et qui fait erreur sur l'un fait aussi erreur sur l'autre. C'est ce qu'il dit, que la science et l'erreur, portant sur les contraires, semble bien la même. Il n'est donc pas possible que le toucher d'une chose semblable soit la cause de la connaissance vraie et que le toucher d'une chose dissemblable soit la cause de l'erreur, puisqu'alors il y aurait science de l'un des contraires, et erreur sur l'autre. #629. — Ensuite (427b6), il réprouve la position, et montre que ni discerner ni concevoir n'est la même chose que sentir. Ces deux opérations s'attribuent en effet à la connaissance intellectuelle. Car l'intelligence doit juger (172), ce qu'on appelle ici (173) discerner, et saisir (174), ce qu'on appelle ici (175) concevoir. En premier, donc, il montre que sentir n'est pas la même chose que discerner, avec un raisonnement comme suit. Sentir appartient à tous les animaux, tandis que discerner n'appartient pas à tous, mais à peu; donc discerner n'est pas la même chose que sentir. Il dit par ailleurs que discerner appartient à peu d'animaux, et non pas que cela n'appartient qu'aux hommes (176), parce que même certains autres animaux (177) participent quelque chose de la prudence et quelque chose (178) de la sagesse, pour autant (179) qu'ils jugent correctement de ce qu'il y a à faire, avec leur estimation naturelle. #630. — En second (427b8), il prouve que concevoir n'est pas non plus la même chose que sentir, avec deux moyens termes, dont le premier agit comme suit. Concevoir peut se faire correctement et incorrectement. Concevoir correctement, certes, se fait selon la science, qui porte sur les objets spéculatifs et nécessaires, et (180) selon la prudence, qui est la raison droite des agibles contingents, et (181) selon l'opinion vraie, qui garde un rapport avec les deux énoncés opposés: elle ne se fixe pas sur un seul, comme la science et la prudence, mais opte pour un dans la crainte de l'autre (182). Or il est possible «de concevoir incorrectement» selon leurs contraires, c'est-à-dire selon une science fausse, et selon une imprudence, et selon une opinion fausse. Par contre, sentir ne se peut que correctement (183), puisque concernant les sensibles propres le sens est toujours vrai. Donc, sentir et concevoir ne sont pas la même chose. #631. — Toutefois, quelqu'un pourrait dire que concevoir correctement est la même chose que sentir. Aussi ajoute-t-il un autre moyen terme pour exclure cela: pareil sentir «appartient à tous les animaux», tandis que concevoir non, mais à ceux seulement auxquels appartient la raison, à savoir, aux hommes, qui par la recherche de leur raison obtiennent de saisir la vérité intelligible. Cependant, les substances séparées, qui sont d'une intelligence supérieure, conçoivent la vérité tout d'un coup et sans recherche. Donc, concevoir correctement n'est pas non plus la même chose que sentir. #632. — Ensuite (427b14), il montre que l'opinion, qui suit la conception (184), est autre chose que l'imagination, qui suit le sens. À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre que l'imagination n'est pas l'opinion; en second (427b27), il cherche ce qu'est l'imagination. Sur le premier point, il en développe trois autres. En premier, il présente son intention. Il est manifeste aussi, dit-il, que le sens et la conception intellectuelle diffèrent, du fait que l'imagination est autre chose que le sens (185) et que la conception, et que pourtant l'imagination ne se fait pas sans le sens, parce qu'elle suit le sens, comme on le dira par après (#655-659), et que sans l'imagination il ne se forme pas d'opinion. L'imagination se rapporte au sens, semble-t-il bien, comme l'opinion à la conception. Or dans les choses sensibles, lorsque nous sentons une chose, nous affirmons qu'il en est ainsi. Mais lorsqu'une chose nous apparaît par l'imagination, nous n'affirmons pas qu'il en est ainsi, mais que cela nous semble ou nous apparaît tel. C'est en effet du nom de la vision ou de l'apparition que se tire le nom de l'imagination, comme on le dira plus loin (#668). Il en va pareillement pour les objets à concevoir: quand nous concevons (186) quelque chose, nous affirmons qu'il en est ainsi; mais quand ce devient notre opinion, nous disons qu'il nous en semble ou nous en apparaît ainsi (187). De même donc (188) que concevoir requiert le sens, de même aussi se faire une opinion requiert l'imagination. #633. — En second (427b16), il prouve que l'opinion et l'imagination ne sont pas la même chose, avec deux raisonnements, dont le premier va comme suit. L'affection de l'imagination vient en nous quand nous le voulons, car il est en notre pouvoir d'y former quelque chose comme si cela apparaissait devant nos yeux, comme des montagnes d'or, ou quoi que ce soit que nous voulions, comme il en appert de ceux qui se rappellent des choses, et s'en forment des images à volonté. Mais être d'une opinion n'est pas en notre pouvoir, parce qu'il est nécessaire, pour être de cette opinion, qu'on ait quelque raison de juger que c'est vrai ou que c'est faux. Donc, l'opinion n'est pas la même chose que l'imagination. #634. — Il présente ensuite son second raisonnement (427b21), qui va comme suit. Une opinion entraîne tout de suite l'affection correspondante (189) dans l'appétit, parce que, lorsque notre opinion est que quelque chose soit grave ou terrible, tout de suite nous sommes affectés et nous nous attristons ou nous craignons. Et il en va pareillement s'il s'agit de quelque chose de rassurant, c'est-à-dire sur quoi on doit se fier et espérer: tout de suite s'ensuit l'espoir ou la joie. Par contre, l'imagination n'entraîne pas d'affection dans l'appétit. En effet, quand une chose nous apparaît telle par l'imagination, cela nous dispose tout comme si nous regardions sur une peinture des occasions de terreur ou d'espoir. Donc, l'opinion n'est pas la même chose que l'imagination. #635. — La raison de cette différence, c'est que l'appétit n'est pas affecté ni mû à la simple saisie de la chose comme la propose l'imagination. Il faut plutôt la saisir en la concevant comme bonne ou mauvaise, utile ou nuisible. C'est cela que produit l'opinion chez les hommes, en composant et (190) divisant, quand on tient pour opinion (191) que telle chose est terrible ou mauvaise, ou que telle chose est à espérer ou bonne. Or l'imagination ne compose ni ne divise. Néanmoins, l'appétit des animaux est affecté par l'estimation naturelle, qui opère en eux ce qu'opère l'opinion chez les hommes.
#636.
— En troisième (427b24), il dit que, bien que beaucoup de choses relèvent du
jugement de l'intelligence (192) — la science, la prudence et l'opinion, et leurs
contraires —, ce n'est pas ici que l'on doit traiter de leur différence, mais
ailleurs, en Éthique, VI, 3-4 (Leçon 3).
Chapitre 3 (427b27-428b10) 427b27 Pour ce qui est de concevoir, en somme, c'est autre chose que sentir; mais par ailleurs, tant l'imagination que le jugement donnent l'impression de relever de leur contexte (193). C'est donc une fois qu'on aura déterminé de l'imagination qu'on devra de même traiter de l'autre. 428a1 Certes, si l'imagination est ce par quoi on dit qu'une image se présente à nous (194), et si ce n'est pas par métaphore qu'on dit cela, elle est l'une de ces puissances ou l'un de ces habitus par lesquels nous distinguons (195) ou disons vrai ou disons faux. Or telles sont le sens, l'opinion (196), l'intelligence (197), la science. 428a5 Que l'imagination ne soit pas le sens, cela devient évident avec ce qui suit. Le sens est soit en puissance soit en acte; il est par exemple soit vue soit vision. Or des images nous apparaissent sans que n'intervienne ni l'un ni l'autre, comme celles qui surgissent pendant le sommeil. 428a8 Ensuite, le sens est toujours présent (198), tandis que l'imagination non. 428a9 Si par contre l'imagination était la même chose que le sens en acte, elle pourrait appartenir à toutes les bêtes; or il semble bien que ce ne soit pas le cas, par exemple, pour la fourmi, l'abeille ou le ver. 428a11 Ensuite, les sens sont toujours vrais, tandis que les imaginations finissent pour la plupart par être fausses. 428a12 En outre, ce n'est pas quand notre sens s'exerce précisément sur son sensible que nous disons que cela nous présente l'apparence d'un homme (199), mais plutôt quand notre sensation ne se fait pas clairement; c'est alors que le sens est tantôt vrai tantôt faux. 428a15 Enfin, comme nous le disions plus haut, des visions nous apparaissent même les yeux fermés (200). 428a16 Mais elle n'est non plus aucun des habitus qui disent toujours vrai, comme la science ou l'intelligence, car l'imagination peut aussi être fausse. 428a18 Reste donc à voir si elle se ramène à l'opinion, car il arrive à l'opinion et d'être vraie et d'être fausse. Cependant, l'opinion entraîne l'adhésion (201), car il n'est pas possible, ayant une opinion, de ne pas adhérer à ce qu'il nous en semble. Or l'adhésion n'est le fait d'aucune bête, tandis que l'imagination l'est de beaucoup. 428a22 En outre, toute opinion implique adhésion, et toute adhésion, qu'on y soit conduit (202), et d'être conduit à adhérer requiert la raison. Or l'imagination appartient à certaines des bêtes, mais non pas la raison. 428a24 Il est donc manifeste, que l'imagination ne saurait non plus être une opinion accompagnée de sens, ni une opinion causée par le sens, ni une combinaison d'opinion et de sensation, pour ces raisons. 428a27 Et du fait qu'il est évident que l'opinion en question n'en serait pas une autre, mais celle-là précisément qui porte sur ce dont il y aurait sens. Je veux dire que l'imagination serait la combinaison de l'opinion que c'est blanc avec la sensation de l'objet blanc, car elle ne pourrait être issue de l'opinion que c'est bon et de la sensation de l'objet blanc. Imaginer (203) serait donc avoir pour opinion cela même qu'on sent, sans que ce soit par accident. 428b2 Pourtant, on s'imagine aussi des faussetés, sur lesquelles en même temps on porte un jugement vrai. Par exemple, le soleil s'imagine avec un pied de diamètre, mais on tient pour opinion qu'il est plus grand que la terre habitée. Il se trouve alors ou bien que l'on a perdu son opinion vraie antérieure alors que la chose se conserve, qu'on ne l'oublie pas et qu'on ne change pas d'avis; ou bien, si on en garde quelque chose, que la même opinion soit nécessairement à la fois vraie et fausse, mais serait devenue fausse quand, à notre insu, l'objet aurait changé. L'imagination, ce n'est donc ni l'un de ces habitus ou de ces puissances, ni une combinaison qui en serait issue. #637. — Maintenant qu'il a montré que l'imagination n'est pas l'opinion, le Philosophe commence (204) à chercher ce qu'elle est. En premier, il dit sur quoi porte son intention; en second (428a1), il la poursuit. On a montré (#630-631), commence-t-il, que concevoir est autre chose que sentir, et que l'opinion concerne l'un des deux, à savoir, la conception intellectuelle, et que l'imagination concerne l'autre, à savoir, le sens. Après avoir traité du sens, on doit donc traiter de l'imagination pour, par après (#671ss.), traiter de l'autre, c'est-à-dire de la conception et de l'opinion. #638. — Ensuite (428a1), il enquête sur ce qu'est l'imagination (205). À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre que l'imagination n'est pas (206) l'une des puissances ou l'un des habitus manifestes, qui discernent ou jugent le vrai ou (207) le faux; en second (428b10), il montre ce que c'est. Sur le premier point, il en développe trois autres: en premier, il distingue les puissances et les habitus par lesquels on discerne quelque chose; en second (428a5), il montre que l'imagination n'est pas l'un d'eux; en troisième (428a24), il montre qu'elle n'est pas non plus quelque chose de composé d'eux. L'imagination, commence-t-il, est la faculté d'après laquelle on dit que se forme en nous un phantasme, c'est-à-dire une image (208), à moins peut-être de prendre l'imagination (209) métaphoriquement. Nécessairement, donc, semble-t-il, l'imagination compte au nombre des habitus ou des puissances cognitives, par lesquelles on discerne une chose d'une autre, ou par lesquelles on dit du vrai ou du faux sur quelque chose, c'est-à-dire par quoi nous errons ou n'errons pas. Imaginer une chose, en effet (210), c'est la distinguer (211), puis dire soit vrai soit faux. Or manifestement, les puissances ou habitus par lesquels nous distinguons (212), puis disons vrai ou (213) faux, sont les quatre suivants: le sens, l'intelligence, l'opinion et la science. Aussi semble-t-il que l'imagination soit l'un de ces quatre-là. #639. — Ces quatre-là, toutefois, il les présente comme déjà connus, alors que le reste de ce qui touche la connaissance ne se trouvait pas encore connu avec certitude de son temps. Lui-même, de fait, a déjà distingué, plus haut (#630-631), l'intelligence du sens. Aussi, à part le sens, il énumère trois autres puissances ou habitus, à savoir, l'intelligence, l'opinion et la science. Il est manifeste que l'intelligence, ici, n'est pas prise pour la puissance; de la sorte, en effet, on ne diviserait pas la science et l'opinion en opposition avec l'intelligence, car elles appartiennent à la puissance intellective. Plutôt, on prend l'intelligence pour certaine saisie de ce qui nous est connu sans recherche, comme le sont les premiers principes. (214) La science, par contre, est prise pour la connaissance de ce dont nous nous assurons avec une investigation de la raison. Quant à l'opinion, c'est pour la connaissance de ce sur quoi nous ne portons pas un jugement certain. #640. — Aussi encore, il dit que l'imagination est un habitus ou une puissance de leur nombre, pour montrer que parmi eux telle chose a nature de puissance, telle autre d'habitus. Par ailleurs, nous pouvons savoir que seulement ceux-là étaient connus chez les Anciens pour des principes de connaissance, à partir de l'opinion (215) de Platon présentée plus haut, au premier livre (#51), qui réduisait seulement ces quatre-là à des nombres, et attribuait l'intelligence à l'un, la science à la dualité, l'opinion à la ternarité et le sens à la quaternarité. #641. — Ensuite (428a5), il montre que l'imagination n'est rien de ce que l'on a nommé. À ce propos, il développe trois points: en premier, il montre que ce n'est pas le sens; en second (428a16), que ce n'est pas l'intelligence ou la science; en troisième (428a18), que ce n'est pas l'opinion. Sur le premier point, il en développe trois autres: en premier, il montre que l'imagination n'est pas le sens, ni en puissance ni en acte. Le raisonnement procède comme suit. En dormant, on imagine quelque chose, et cela ne se fait pas avec le sens en puissance, car au sens qui se trouve en puissance rien n'apparaît, ni avec le sens en acte, car durant le sommeil le sens n'est pas en acte. Donc, l'imagination n'est ni le sens en puissance, ni le sens en acte. #642. — En second (428a8), il montre que l'imagination n'est pas le sens en puissance, et le raisonnement va comme suit. Le sens en puissance est toujours présent chez l'animal, tandis que l'imagination ne l'est pas toujours, puisque des images n'apparaissent pas toujours à l'animal. Donc, l'imagination n'est pas le sens en puissance. #643. — En troisième (428a9), il montre que l'imagination n'est pas le sens en acte, avec quatre raisonnements, dont le premier va comme suit. Sentir (216) en acte convient à toutes les bêtes, c’est-à-dire aux animaux irrationnels. Si donc l'imagination était la même chose que l'acte du sens (217), il s'ensuivrait qu'elle appartiendrait à tous les animaux irrationnels. Or ce n'est pas vrai; en effet, elle n'appartient pas à la fourmi ou à l'abeille ou au ver. Donc, l'imagination n'est pas le sens en acte. #644. — On doit tout de même remarquer que tous les animaux ont d'une certaine manière l'imagination. Cependant, les animaux imparfaits n'ont qu'une imagination indéterminée, comme le dira plus loin (#838-839) le Philosophe. Pourtant, cela ne semble pas vrai pour la fourmi et l'abeille, dont les opérations (218) montrent beaucoup de prudence. Néanmoins, doit-on savoir, leurs œuvres de prudence, la fourmi et l'abeille les réalisent par une inclination naturelle, et non du fait d'avoir une imagination déterminée et distincte du sens. En effet, elles n'imaginent quoi que ce soit que dans la mesure où elles se trouvent mues par un sensible. Et le fait qu'elles agissent pour une fin, comme en prévoyant pour le futur, ne leur est pas rendu possible par le fait de posséder une imagination de ce futur. Plutôt, elles imaginent leurs actes présents, lesquels sont ordonnés à une fin par une inclination naturelle plus que par une connaissance. Le Philosophe n'accorde ici l'imagination qu'aux animaux auxquels quelque chose apparaît dans leur imagination même quand rien n'est senti en acte. #645. — Il présente ensuite son second raisonnement (428a11), qui va comme suit. Les sens en acte sont toujours vrais, car le sens ne se trompe pas sur son sensible propre; or les imaginations, la plupart du temps, sont fausses. En effet, la plupart du temps, la chose ne correspond pas (219) à l'imagination. Donc, l'imagination n'est pas le sens en acte. #646. — Il présente ensuite son troisième raisonnement (428a12), qui va comme suit. Lorsque nous opérons avec certitude (220) sur un sensible en acte, à savoir, en le sentant, nous ne disons pas que cela nous semble un homme. Cela, nous le disons plutôt quand nous ne sentons pas manifestement, comme quand nous voyons quelque chose de loin, ou que nous le voyons à l'obscurité. Et alors le sens en acte est soit vrai soit faux. En effet, sur le sensible par accident — et l'homme est un sensible de la sorte —, le sens n'est pas toujours vrai, mais il se trompe parfois. Il ajoute cela pour montrer la ressemblance entre le sens non manifeste et l'imagination, laquelle est aussi parfois vraie et parfois fausse. Par contre (221), quand nous imaginons une chose manifestement, nous disons que cela nous semble un homme, et que ce n'est pas un homme en toute certitude. Donc, l'imagination n'est pas la même chose que le sens en acte (222). #647. — Il présente ensuite son quatrième raisonnement (428a15), qui va comme suit. Des visions imaginaires nous apparaissent quand on dort. Or là le sens n'est pas en acte; donc, la vision imaginaire (223) n'est pas le sens en acte. #648. — Ensuite (426a16), il montre que l'imagination n'est ni l'intelligence ni la science. L'intelligence des premiers principes (224), en effet, de même que la science (225) acquise par démonstration sur les conclusions portent toujours sur des choses vraies. L'imagination, par contre, est parfois fausse. Donc, l'imagination n'est ni l'intelligence, ni la science (226). #649. — Ensuite (428a18), il montre que l'imagination n'est l'opinion, à quoi elle ressemble le plus, parce que l'opinion aussi est parfois fausse, comme l'imagination. Il le montre avec deux raisonnements, dont le premier va comme suit. À l'opinion s'ensuit (227) la foi (228); manifestement, en effet, il ne se peut pas (229) qu'on ne croie pas à l'opinion qu'on tient. Et ainsi, comme aucune bête n'a de foi, l'opinion n'appartiendra à aucune bête. Or l'imagination appartient à beaucoup de bêtes, comme on l'a dit (#643-644); donc, l'imagination n'est pas l'opinion. #650. — Il présente ensuite son second raisonnement (428a22), qui va comme suit. Toute opinion implique foi, puisque chacun croit à l'opinion qu'il tient, comme on l'a dit (#649). Or la foi implique qu'on soit persuadé (230); nous croyons en effet ce qu'on nous a persuadé. La persuasion, elle, implique la raison en regard d'un ordre d'inférence, parce que c'est par un raisonnement qu'on persuade une opinion à quelqu'un. Donc, du principe au terme, quiconque a une opinion possède la raison. Or aucune bête ne possède la raison, alors que certaine pourtant possède l'imagination. Donc, l'imagination n'est pas l'opinion. Il est manifeste que ce second raisonnement est apporté pour confirmer le premier, quant à ce que le premier supposait, qu'aucune bête n'a de foi. #651. — Ensuite (428a24), il montre que l'imagination n'est pas un composé des puissances et habitus précédents, et principalement du sens et de l'opinion, dont elle pourrait le plus avoir l'air d'être composée. À ce propos, il développe trois points. En premier, il présente (231) son intention, comme en la concluant de ce qui précède. Il conclut donc (232) que, puisque l'imagination n'est ni le sens ni l'opinion, il peut devenir manifeste par là que l'imagination n'est pas non plus l'opinion avec le sens, de sorte qu'elle serait essentiellement opinion et aurait le sens comme concomitant, qu'elle n'est pas non plus l'opinion par le sens, de sorte qu'elle serait essentiellement opinion mais aurrait le sens comme agent, et qu'elle n'est pas non plus une composition d'opinion et de sens, de sorte qu'elle serait essentiellement composée de l'une et de l'autre. Il n'ajoute pas par ailleurs que l'imagination ne soit pas le sens avec l'opinion, parce que manifestement l'imagination ressemble davantage à (233) l'opinion, qui peut être fausse, qu'au sens, qui est toujours vrai. #652. — En second (428a27), il montre de quelle manière il faudrait prendre l'opinion, si l'imagination se composait d'opinion et de sens. Comme l'imagination, en effet, porte sur un seul et même objet, il est manifeste que l'opinion adjointe au sens, que serait l'imagination, ne serait pas une autre opinion, mais celle-là qui porte sur le même et unique objet sur lequel porte aussi le sens. Comme si nous disions que l'imagination est la composition de l'opinion que c'est blanc et de la sensation du même objet. En effet, elle ne pourrait être composée de l'opinion que c'est blanc et de la sensation de l'objet bon, parce qu'ainsi l'imagination ne porterait pas sur le même et unique objet. Il faut donc, si l'imagination est issue d'une composition d'opinion et de sens, que s'imaginer quelque chose (234) ne soit rien d'autre que d'avoir pour opinion cela même (235) qu'on sent, et cela par soi (236) et non par accident. #653. — En troisième (428b2), il détruit la position qui précède, avec un raisonnement comme suit. Il se peut, parfois, que des faussetés apparaissent par l'imagination, qui est issue du sens, et qu'au sujet des mêmes et uniques choses on ait une opinion vraie. Par exemple, par le sens il apparaît que le soleil ne dépasse pas en quantité un pied, ce qui est faux. Mais, en conformité à une opinion vraie, on croit qu'il est plus grand que «notre habitation», c'est-à-dire que toute la terre sur laquelle nous habitons. Or (237) si cette fausse image (238) même est la même chose qu'une opinion accompagnée de sens, il faut admettrre l'une de deux choses. La première en est que, dans la composition d'opinion avec sens, on rejette l'opinion vraie qu'on avait antérieurement, tout en «sauvant» son contenu, c'est-à-dire en le gardant de la même manière, et qu'en rejetant son opinon on n'ait pas oublié cela à quoi on cesse de croire. Ce qui est impossible. En effet, c'est des trois manières suivantes qu'on perd (239) une opinion vraie. En premier, quand la chose change, comme lorsqu'on pense avec vérité que Socrate est assis, alors qu'il est assis; mais après que Socrate ait cessé d'être assis, si on garde la même opinion, l'opinion vraie devient fausse. En second, quand on cesse de penser ce qu'on pensait auparavant, pour le fait qu'on a oublié son opinion originale. En troisième, quand on cesse de penser ce qu'on pensait avant, parce qu'on cesse de croire à ce qu'on croyait avant, affecté (240) par un (241) raisonnement. Que l'on perde son opinion sans que rien de cela n'arrive, c'est impossible. Et c'est pourtant ce qui arriverait (242) dans le propos.
#654.
— L'autre chose qu'il faut admettre, si on ne concède pas la première, c'est
qu'on garde, avec la fausse image (243), l'opinion vraie. Et ainsi, si l'image est
l'opinion même — ce qu'il est nécessaire d'admettre, si l'imagination est
l'opinion —, il s'ensuit que la même image soit vraie et fausse. Mais il
faut, si elle devient fausse, et qu'elle ne soit plus vraie, que la chose
«transcendante» (244),
c’est-à-dire changée de ce qui était auparavant, échappe au détenteur de
l'opinion; car si elle ne lui échappait pas, en même temps que la chose
changerait on changerait d'opinion (245); et on n'aurait pas d'elle une opinion fausse. Or il a ajouté cela pour exposer
ce qu'il avant dit auparavant de la conservation de la chose. Il conclut donc
que l'imagination n'est ni l'un (246) des quatre habitus ou puissances qui précèdent,
ni n'en est composée (247).
Chapitre
3 (428b10-429a9) 428b10 Il se peut, néanmoins, si une chose se trouve en
mouvement, qu’autre chose soit mû par elle. De la sorte, l’imagination
donne l’impression d’être une espèce de mouvement, mais qui ne puisse se
produire sans la sensation, qui appartienne, au contraire, à qui est doté de
sens, et porte sur ce dont il y a sensation. Enfin, il se peut qu’un mouvement
soit produit par le sens en acte et nécessairement il sera semblable à la
sensation. Ce mouvement ni ne pourra se produire sans sensation ni
n’appartiendra à qui ne sent pas (248) ; qui l’aura fera et subira bien des
choses par lui ; il sera éventuellement vrai, mais aussi faux. 428b18 Cela se
produit pour les raisons qui suivent. La sensation des sensibles propres est
vraie, ou ne comporte que très peu de faux. Mais pour celle, en second, de ce
à quoi ils se rattachent par accident, là déjà il est possible de se tromper
; car que ce soit blanc, on ne s’y trompe pas, mais si c’est cela qui est
blanc, ou si c’est autre chose, on s’y trompe. Quant à celle, en troisième,
des sensibles communs impliqués par les sujets auxquels les sensibles propres
se rattachent par accident — je veux dire, par exemple, le mouvement et la
grandeur, qui se rattachent par accident aux sensibles — c’est à leur sujet
que la sensation peut le plus tromper. Le mouvement produit par l’acte de la
sensation va aussi varier, selon qu’il provient de ces trois sensations. Le
premier, quand la sensation est présente, est vrai ; quant aux deux autres, en
présence comme en l’absence de la sensation, ils risquent d’être faux, par
dessus tout si le sensible est éloigné. Si donc rien d’autre que
l’imagination ne possède ce qu’on vient de décrire, et cela est bien ce
qu’on a dit, l’imagination sera un mouvement produit par la sensation en
acte. 429a2 Et puisque la vue est le sens par excellence, l’imagination ( ) a
tiré son nom de la lumière ( ), parce que sans lumière il n’est pas
possible de voir. 429a4 Et du fait que les images persistent et ressemblent aux
sensations, les animaux agissent beaucoup d’après elles : les uns parce
qu’ils n’ont pas d’intelligence, comme les bêtes, les autres parce que
leur intelligence est parfois obscurcie par la maladie ou par le sommeil, comme
les hommes. Pour ce qui est donc de l’imagination, ce qu’elle est et de quoi
elle dépend, contentonsnous d’autant. #655. — Maintenant qu’il a montré que l’imagination n’est pas l’un des quatre aspects que les Anciens rattachaient à la connaissance, le Philosophe s’enquiert ici de ce qu’elle est. Cela se divise en deux parties : dans la première, il montre ce qu’est l’imagination ; dans la seconde (428b17), il donne la raison de ce qui appartient à l’imagination. Pour ce qui est d’enquêter sur ce qu’est l’imagination, il procède comme suit. En premier, il affirme (249) que si une chose est mue, il se peut que par elle autre chose soit mû. On a montré, en effet, Physique, VIII, 5, qu’il y a deux types de moteurs : un moteur immobile, et un moteur mû, qui meut du fait (250) qu’il est mû. #656. — Ensuite (428b11), il affirme (251) que l’imagination est une sorte de mouvement. De même, en effet, que l’âme qui sent (252) se trouve mue par les sensibles, de même, quand elle imagine, elle se trouve mue par certaines images que l’on appelle des phantasmes. #657. — Par après (428b11), il présente (253) l’affinité que l’imagination entretient avec le sens, parce que l’imagination ne peut s’exercer sans le sens ; au contraire, elle a lieu seulement chez ceux qui sont dotés du sens, à savoir, chez les animaux. De plus, elle porte seulement sur ce dont il y a sens, à savoir, sur ce qui est senti. En effet, ce qui est seulement intelligible n’entre pas dans l’imagination. #658. — Ensuite (428b13), il affirme qu’à partir de l’acte du sens, il se peut qu’un mouvement se produise. Cela devient manifeste, bien sûr, par ce qu’on affirmait en premier, à savoir, qu’il se peut que, par ce qui est mû, autre chose soit mû. Or le sens devient en acte du fait d’être mû par les sensibles ; aussi reste-t-il que par le sens en acte soit causé un mouvement. Par là il est encore manifeste que le mouvement produit (254) par l’acte du sens est nécessairement semblable au sens, puisque tout agent produit un effet semblable à lui. C’est pourquoi ce (255) qui meut du fait d’être mû produit un mouvement semblable au mouvement dont lui-même est mû. #659. — De toutes ces affirmations, il conclut que l’imagination est une espèce de mouvement produit par le sens en acte, lequel mouvement ne va pas sans le sens, ni ne peut appartenir à ce qui ne sent pas. Parce que si un mouvement est issu du sens en acte, il est semblable (256) au mouvement du sens, et rien d’autre, à part la seule imagination (257), ne se trouve être tel. Il reste donc (258) que l’imagination soit (259) un mouvement de la sorte. De plus, du fait qu’elle est un mouvement produit par le sens, semblable à lui, il s’ensuit qu’il se puisse (260) que celui qui est doté d’imagination agisse (261) et soit affecté beaucoup par elle. De plus, il se peut qu’elle soit (262) vraie et fausse, comme on le montre tout de suite (#660-667). #660. — Ensuite (428b17), il donne la raison des propriétés qui conviennent à l’imagination, en s’appuyant sur ce qui a été dit. À ce propos, il développe trois points : en premier, il donne la cause de ce qu’il avait dit, que (263) l’imagination est parfois vraie et parfois fausse (264) ; en second (429a2), il donne la cause de son nom ; en troisième (429a4), il donne la cause de ce qu’il a dit, que beaucoup d’animaux agissent par imagination. Cela, commence-t-il, à savoir, que l’imagination soit parfois vraie et parfois fausse, arrive en raison de ce qu’on dira, à savoir, parce que le sens, dont est issue l’imagination quand il est en acte, entretient un rapport différent avec la vérité et la fausseté (265), pour autant qu’on le compare à différentes objets. #661. — D’abord, en effet, concernant, bien sûr, les sensibles propres, le sens est toujours vrai ou ne présente que peu de fausseté. Les puissances naturelles, en effet, ne font pas défaut, dans (266) leurs opérations propres, sinon par exception, en raison de quelque corruption ; de même aussi, les sens ne font pas défaut au jugement vrai sur leurs sensibles propres, sauf par exception, en raison de quelque corruption de leur organe, comme on le voit chez ceux qui souffrent de fièvre, chez qui, en raison d’une indisposition de leur langue, ce qui est doux paraît amer. #662. — En second, le sens porte sur des sensibles par accident, et là le sens commence à se tromper. Quant à ce que ce qui est vu (267) soit blanc, le sens ne trompe pas ; mais quant à ce que le blanc soit telle chose ou telle autre, par exemple, de la neige ou de la farine ou autre chose de la sorte, là il commence à se pouvoir que le sens trompe, et surtout de loin. #663. — En troisième, par ailleurs, le sens porte sur les sensibles communs, qui accompagnent les sujets dans lesquels se trouvent les accidents que sont les sensibles propres (268) ; par exemple, la grandeur et le mouvement, qui sont des sensibles communs, coïncident avec les sensibles corporels. À propos de pareils objets, il y a beaucoup d’erreur, car le jugement qui porte sur eux change d’après la différence de distance. En effet, ce que se voit de plus loin paraît plus petit. #664. — Par ailleurs, le mouvement de l’imagination, qui est produit par l’acte du sens, diffère de ces trois sens, c’est-à-dire de ces actes du sens, de la façon dont un effet diffère de sa cause. À cause de cela, parce que l’effet est plus faible que sa cause, et que plus un effet est éloigné de son premier agent, d’autant moins il reçoit de sa puissance et de sa ressemblance, il s’ensuit que dans l’imagination, plus facilement encore que dans le sens, il peut se produire de la fausseté, celle-ci consistant dans une dissimilitude entre sens et sensible. Il y a fausseté du sens (269), en effet, quand la forme du sensible se trouve reçue dans le sens autrement qu’elle n’est dans le sensible. Et je dis autrement selon la forme, non selon la matière ; par exemple, si la saveur du doux se trouve reçue sur la langue sous aspect d’amertume ; car selon la matière, c’est toujours que le sens reçoit autrement que ne se trouve le sensible. Le premier (270) mouvement de l’imagination, donc, qui part de la sensation (271) des sensibles propres, est vrai dans la plupart des cas. Je dis cela en rapport à (272) la présence du sensible, quand le mouvement de l’imagination va en même temps que le mouvement du sens. #665. — Mais quand le mouvement de l’imagination se produit en l’absence du sens, alors il peut se tromper aussi sur les sensibles propres. En effet, on imagine parfois les objets absents comme blancs, bien qu’ils soient noirs. Mais les autres mouvements de l’imagination, à savoir, ceux (273) produits par la sensation des sensibles par accident, et par la sensation des sensibles communs, peuvent être faux, que le sensible soit présent ou non. Cependant, ils sont le plus faux en l’absence du sensible, quand il est loin (274). #666. — Partant de la raison donnée, il conclut par après son propos principal. Si donc, dit-il, ce qu’on a dit ne convient qu’à l’imagination, et si l’imagination est comme on a dit, il reste que l’imagination soit un mouvement produit par le sens en acte. #667. — Si toutefois (275) ce mouvement requiert une autre puissance que la puissance sensitive, Aristote n’en traite pas ic (276). Cependant, semble-t-il bien, comme les puissances se distinguent d’après la diversité de leurs actes, et comme la diversité de mouvement requiert des mobiles différents, car ce qui est mû ne se meut pas lui-même mais meut autre chose, il semble bien nécessaire que la puissance fantastique, c’est-à-dire imaginative, en soit une autre que celle du sens. #668. — Ensuite (429a2), il donne la cause de son nom. En grec, faut-il savoir à ce propos, signifie lumière ; d’où vient , qui signifie image, ou illumination et imagination (277). La vue, dit-il donc, est le principal parmi les sens, du fait qu’elle est plus spirituelle, comme on l’a montré plus haut (#417-418), et cognitive de plus d’objets : c’est pourquoi l’imagination qui est causée par le sens en acte reçoit son nom de la lumière, sans laquelle il n’est pas possible de voir, comme on l’a dit plus haut (#408-412). #669. — Ensuite (429a4), il montre la cause pour laquelle les animaux agissent et sont affectés par l’imagination. Les images demeurent, dit-il, c’est-à-dire persévèrent, même en l’absence des sensibles, et elles sont semblables aux sens en acte. Aussi, de même que le sens en acte meut l’appétit en (278) la présence du sensible, de même aussi les images en l’absence du sensible. C’est la raison pour laquelle il dit que les animaux font beaucoup de choses d’après des images. Mais cela est rendu possible par défaut (279) d’intelligence, parce que, lorsque l’intelligence est présente, comme elle (280) est supérieure, son jugement prévaut pour l’action.
#670.
— Aussi, quand ce n’est pas l’intelligence qui domine, les animaux
agissent par imagination. Certains, certes, parce qu’ils n’ont pas du tout
d’intelligence, comme les bêtes, mais d’autres parce qu’ils ont une
intelligence voilée, comme les hommes. Ce qui se peut de trois manières.
Parfois, cela arrive du fait d’une passion, de colère, de désir ou de
crainte, ou quelque chose de la sorte, quand pareille passion est tellement
forte qu’elle obnubile l’intelligence (281). Parfois encore, cela arrive du
fait d’une infirmité, comme il appert chez les fous et (282) les déments.
Parfois encore, cela arrive du fait du (283) sommeil, comme il arrive chez ceux qui
dorment. Du fait de ces causes, en effet, il se peut que l’intelligence ne prévale
pas sur l’imagination ; de là, on suit l’image de l’imagination284 comme
si elle était vraie. Il conclut finalement, à propos de l’imagination, que
voilà dit ce qu’elle est et quelle en est la cause.
Chapitre
4 (429a10-b5) 429a10 On doit maintenant, pour ce qui est de la partie de
l’âme par laquelle l'âme connaît et discerne, qu'elle soit séparable, ou
qu’elle ne soit pas séparable en sa grandeur, mais seulement en sa notion,
regarder ce qu’elle comporte comme différence, puis comment donc se fait
l’acte de concevoir. 429a13 Si donc concevoir est comme sentir, ce sera ou être
affecté de quelque manière par l'intelligible ou autre chose de la sorte. Il
faut donc qu’il y ait quelque chose d’impassible, qui soit capable de
recevoir l’espèce et soit pareille en puissance, mais ne soit pas celle-ci.
Il faut qu’il en aille de l’intelligence à l'égard des intelligibles comme
de la partie sensitive à l'égard des sensibles. 429a18 Nécessairement, donc,
puisqu'elle conçoit toutes choses, elle sera sans mélange, comme dit
Anaxagore, pour dominer, c'est-à-dire pour connaître. Car, en montrant une
forme propre, elle ferait obstacle à celle d’autre chose et l'intercepterait.
Aussi n'y a-t-il pour elle aucune nature si ce n'est celle-là : être en
puissance. Par suite, avant de concevoir, ce qu'on appelle l'intelligence de l'âme —
j'appelle intelligence ce avec quoi l'âme forme des conceptions et juge (285) —,
n'est en acte aucun des êtres. 429a24 C'est pourquoi il n’est pas raisonnable
non plus qu'elle soit mêlée au corps, car elle revêtirait quelque qualité,
serait chaude ou froide, et il y aurait même pour elle un organe, comme il y en
a pour la faculté sensitive. Pourtant, il n'y en a aucun de fait. 429a27 Assurément,
ils ont bien raison ceux qui soutiennent que l'âme est le lieu des espèces,
sauf que pas en entier, mais seulement sa partie intellectuelle, et que les espèces
n’y sont pas finalisées, mais seulement en puissance. 429a29 Que
l'impassibilité de la faculté sensitive et celle de la faculté intellectuelle
ne soient pas pareilles, cela devient manifeste à regarder les organes
sensoriels et le sens. Le sens, en effet, est rendu incapable de sentir par un
sensible très fort. De sentir le son, par exemple, à la suite de sons
intenses, de même que de voir ou de sentir, à la suite de couleurs et d'odeurs
puissantes. Par contre, l'intelligence, quand elle conçoit un objet fortement
intelligible, ne conçoit pas moins ensuite un objet moins intelligible ; elle
le conçoit davantage, au contraire. La faculté sensitive, en effet, ne va pas
sans le corps, tandis que l'intelligence en est séparable. #671. — Le Philosophe a traité de la partie sensitive de l’âme ; il a montré aussi que sentir et intelliger ne sont pas la même chose. Il commence ici à traiter de la partie intellective de l’âme. Cela se divise en deux parties : dans la première, il traite de la partie intellective de l’âme ; dans la seconde (431b20), à partir de ce qui a été établi sur le sens et sur l’intelligence, il montre ce qu’il faut penser de l’âme. La première partie se divise en deux autres : dans la première, il traite de l’intelligence ; dans la seconde (430a26), de son opération. La première partie se divise en trois autres : dans la première, il traite de l’intellect possible ; dans la seconde (430a10), de l’intellect agent ; dans la troisième (430a19), de l’intelligence en acte. Sur le premier point, il en développe trois autres : en premier (286), il traite de l’intellect possible ; en second (287) (429b10), de son objet ; en troisième (429b22), il soulève une difficulté sur ce qu’il vient d’établir. Sur le premier point, il en développe deux autres : en premier, il montre la nature de l’intellect possible ; en second (288) (429b5), il montre comment il se trouve réduit en acte. Sur le premier point, il en développe deux autres : en premier, il dit (289) sur quoi porte son intention ; en second (429a13), il développe son propos. #672. — Maintenant, commence-t-il (290), qu’on a traité de la partie sensitive, et qu’on a montré que discerner et concevoir (291) ne sont pas la même chose que sentir, on doit traiter de la partie de l’âme «par laquelle l’âme connaît», c’est-à-dire conçoit, «et discerne». On a dit plus haut (#629), par ailleurs, ce qui fait la différence (292) entre discerner et concevoir. En effet, discerner appartient au jugement de l’intelligence, tandis que concevoir relève de son appréhension. #673. — Concernant cette partie, il y a quelque chose qu’il laisse de côté, sur quoi il existait une difficulté chez les Anciens : si cette partie de l’âme est séparable des autres parties de l’âme en son sujet, ou bien si elle n’en est pas séparable en son sujet, mais en sa définition seulement. Par ailleurs, il entend qu’elle est séparable en son sujet en disant qu’elle est séparable en sa grandeur, à cause de Platon, qui, soutenant que les parties de l’âme sont séparées les unes des autres (293) en leur sujet, leur a attribué des organes dans des parties différentes du corps. C’est donc cela qu’il laisse de côté ici. #674. — Mais il y a deux points sur quoi il entend enquêter. Le premier est le suivant : si cette partie de l’âme est séparable des autres en sa définition, quelle différence elle a avec les autres (294). Et comme la propriété d’une puissance se connaît par la qualité de son acte, le second point sur quoi il entend enquêter, c’est «comment donc se fait l’acte de concevoir», c’est-à-dire comment s’accomplit l’opération intellectuelle. #675. — Ensuite (429a13), il développe son propos. Sous ce rapport, il développe trois points : en premier (295), il présente la ressemblance entre intelligence et sens ; en second (429a18), à partir de pareille ressemblance, il conclut la nature de l’intellect possible ; en troisième (429a29), il montre, à partir de ce qu’il a établi à propos de l’intelligence, la différence entre intelligence et sens. En premier, donc, avec ce qu’il a supposé (296), il passe à établir son propos, qu’intelliger est semblable à ce qu’est sentir. Cette ressemblance devient manifeste, du fait que, de même que sentir est une façon de connaître, et que nous sentons tantôt en puissance, tantôt en acte, de même aussi intelliger est une façon de connaître, et nous intelligeons tantôt en puissance, tantôt en acte. Il s’ensuit toutefois de là, puisque sentir est une façon d’être affecté par un sensible, ou quelque chose de semblable à une affection, qu’intelliger consiste aussi soit à être affecté de quelque manière du fait d’un intelligible, soit en quelque chose de la sorte, à savoir, semblable à une affection. #676. — De ces deux points, néanmoins, le second est plus vrai. En effet, sentir, comme on l’a dit plus haut (#350-351; 393), au second livre, ne consiste pas proprement à être affecté. Car c’est par son contraire qu’une chose est proprement affectée. Cependant, sentir a quelque chose de semblable à une affection, en tant que le sens est en puissance au sensible, et peut recevoir les sensibles. Donc, si concevoir est semblable à ce qu’est sentir, et s’il faut que la partie intellective soit impassible, en prenant l’affection proprement, il faut tout de même que cela ait quelque chose de semblable à de la passibilité, car il faut qu’une partie de la sorte soit capable de recevoir l’espèce intelligible, et qu’elle soit en puissance à une espèce de la sorte, mais qu’elle ne la soit pas en acte. Ainsi, nécessairement, l’intelligence se rapporte aux intelligibles (297) comme la faculté sensitive aux sensibles. C’est que l’un et l’autre sont en puissance à leur objet, et capables de le recevoir. #677. — Ensuite (429a18), partant de ce qui précède, il montre la nature de l’intellect possible. À ce propos, il développe deux points : en premier, il montre que l’intellect possible n’est pas quelque chose de corporel, ou un mélange de choses corporelles ; en second (429a24), il montre qu’il n’a pas d’organe corporel. Concernant l’intelligence (298), doit-on donc tenir compte, sur le premier point, les Anciens ont tenu deux opinions. Certains ont soutenu que l’intelligence était composée de tous les principes afin de connaître toutes choses ; c’était, a-t-on dit plus haut (#45), l’opinion d’Empédocle. Anaxagore, lui, a soutenu que l’intelligence était simple et sans mélange, et qu’elle n’a quoi que ce soit de commun avec aucune des choses corporelles. Partant donc de ce qui vient d’être dit, que l’intelligence n’est pas les intelligibles (299) en acte, mais en puissance seulement, il conclut que, nécessairement, l’intelligence, du fait qu’elle conçoit tout en puissance, n’est pas un mélange issu des choses corporelles, comme Empédocle le soutenait, mais sans mélange, comme le soutenait Anaxagore. #678. — Assurément (300), Anaxagore a soutenu cela pour le motif qu’il avait affirmé que l’intelligence est le principe de tout mouvement, de sorte que toutes choses seraient mues selon son commandement. Si par contre elle avait été un mélange issu des natures corporelles, ou avait comporté l’une d’entre elles déterminément, elle n’aurait pas pu mouvoir tout par son commandement, puisqu’elle se serait trouvée limitée à une seule inclination. C’est ce qu’il veut dire en disant qu’Anaxagore soutenait que l’intelligence est sans mélange «pour dominer», c’est-à-dire pour mouvoir tout par son commandement (301). #679. — Puisque, cependant, nous ne parlons pas de l’intelligence qui meut toutes choses, mais de l’intelligence qui conçoit toutes choses (302), ce moyen terme n’est pas opportun pour nous (303) en vue de montrer que l’intelligence est sans mélange. Il nous faut plutôt admettre un autre moyen terme pour montrer la même chose (304), à savoir, la montrer à partir du fait que l’intelligence connaît toutes choses. C’est ce qu’il veut dire en ajoutant : «c’est-à-dire pour connaître», comme s’il disait : de même Anaxagore a soutenu que l’intelligence est sans mélange pour dominer, de même il nous faut soutenir que l’intelligence est sans mélange pour connaître. #680. — Et cela, certes, devient clair avec un raisonnement comme suit. Tout ce qui est en puissance à une chose et capable de la recevoir, cela à quoi il est en puissance et qu’il est capable de recevoir lui fait défaut. Par exemple, à la pupille, qui est en puissance aux couleurs, et capable de les recevoir, toute couleur fait défaut. Or notre intelligence conçoit les intelligibles de telle façon qu’elle est en puissance à ceux-ci et capable de les recevoir, comme le sens pour les sensibles. Donc, toutes ces choses qu’elle est apte de nature à concevoir lui font défaut. Comme donc notre intelligence est de nature à concevoir toutes les choses sensibles et corporelles, nécessairement (305) toute nature corporelle lui fait défaut, comme toute couleur fait défaut au sens de la vue, du fait qu’il est capable de connaître la couleur. Si, en effet, il avait une couleur, cette couleur l’empêcherait de voir les autres couleurs. Par exemple, la langue de qui fait de la fièvre, comme elle est affligée d’une humeur amère, ne peut percevoir (306) la saveur douce. De même, l’intelligence, si elle avait une nature déterminée, cette nature qui lui serait connaturelle l’empêcherait de connaître les autres natures. C’est ce qu’il veut dire en disant : «en montrant une forme propre, elle ferait obstacle à celle d’autre chose et l'intercepterait», c’est-à-dire, cette forme mettra un empêchement à l’intelligence, lui mettra un voile, d’une certaine façon, et la fermera à tout regard (307) sur autre chose. Il dit que «montre une forme propre» une chose intrinsèque connaturelle à l’intelligence qui, tant qu’elle apparaît, empêche toujours l’intelligence de concevoir autre chose. Comme si nous disions qu’une humeur amère se montre à la langue de qui fait de la fièvre. #681. — Il en conclut qu’il ne se peut pas que pour l’intelligence il y ait «aucune nature», c’est-à-dire aucune déterminément, mais qu’elle a cette seule nature qu’elle est en puissance à toutes choses. Et cela certes est possible pour l’intelligence, parce qu’elle n’est pas apte à connaître seulement un genre de choses sensibles, comme la vue ou l’ouïe, ou seulement des qualités et des accidents (308) sensibles communs ou propres, mais toute nature sensible universellement. Aussi, comme un genre de sensibles fait défaut à la vue, de même il faut que toute nature sensible fasse défaut à l’intelligence. #682. — De là, il conclut ensuite que ce que l’on appelle l’intelligence de l’âme n’est, avant de concevoir, rien en acte de ce qui est ; et cela est le contraire de ce que les Anciens soutenaient. Ils disaient en effet que pour connaître toutes choses elle était composée de toutes choses. Par contre, si c’était du fait de posséder en elle toutes choses que l’intelligence était apte à connaître toutes choses, elle serait toujours en acte et jamais en puissance. C’est ce qu’il a dit plus haut (#352-355) du sens, que s’il était composé des sensibles, il n’aurait pas besoin de sensibles extérieurs pour sentir. #683. — Pour qu’on ne croie pas que cela est vrai (309) de toute intelligence, qu’avant qu’elle ne conçoive elle est en puissance à ses intelligibles, il ajoute qu’on parle maintenant de l’intelligence avec laquelle «l’âme forme des conceptions et juge» (310). Il dit cela pour exclure l’intelligence de Dieu (311), qui n’est pas en puissance, mais constitue d’une certaine manière l’acte (312) de toutes choses. Cette intelligence dont Anaxagore disait qu’elle est sans mélange pour être à même de dominer. #684. — Ensuite (429a24), il montre que l’intelligence ne possède pas d’organe corporel. En premier, il montre son propos. En second (429a27), il lui adapte une parole des Anciens. Si notre intelligence, commence-t-il, concluant de ce qui précède, pour être à même de connaître toutes choses, ne doit pas posséder une nature déterminée parmi les natures des choses corporelles qu’elle connaît, il est raisonnable, de la même manière, qu’elle «ne soit pas mêlée au corps», c’est-à-dire qu’elle n’ait pas d’organe corporel comme en possède la partie sensitive de l’âme. Car s’il y a un organe corporel pour l’intelligence, comme il y en a un pour la partie sensitive, il s’ensuivra que l’intelligence possédera une nature déterminée parmi les natures des choses sensibles. C’est ce qu’il veut dire, en disant qu’il s’ensuivra qu’elle «revêtira quelque qualité» (313), c’est-à-dire qu’elle se trouvera avoir une qualité sensible, se trouvant par exemple chaude ou froide (314). Il est manifeste en effet que la puissance de l’âme qui est l’acte d’un organe se conforme à cet organe, comme tout acte pour ce qui est apte à le recevoir. #685. — Cela ne change rien à son acte, pour la puissance, si c’est la puissance même qui possède une qualité sensible déterminée, ou si c’est son organe, puisque l’acte n’appartient pas seulement à la puissance, mais au composé de la puissance et de l’organe corporel. En effet, la vision des yeux sera empêchée pareillement si c’est la puissance visuelle qui a une couleur déterminée ou si c’est la pupille. C’est pourquoi il dit que c’est pour la même raison qu’on soutient que l’intelligence ne possède pas d’organe corporel et qu’elle ne possède pas elle-même une nature corporelle déterminée. Aussi ajoute-t-il qu’il y a pas d’organe pour la partie intellective comme il y en a pour la partie sensitive. #686. — Ensuite (429a27), il adapte ce qu’il a dit à une opinion des Anciens. Du fait que la partie intellective ne possède pas d’organe comme en possède la partie sensitive, on peut déjà vérifier la parole de ceux qui ont dit que l’âme est le lieu des espèces, ce que l’on dit par comparaison, du fait qu’elle est apte à recevoir les espèces. Or cela ne serait pas vrai, si toute partie de l’âme avait un organe, car alors les espèces ne seraient pas reçues dans la seule âme, mais dans le composé. En effet, ce n’est pas la vue seule qui est réceptive des espèces, mais l’œil. C’est pourquoi on ne doit pas dire que toute l’âme est le lieu des espèces, mais seulement la partie intellective, qui ne possède pas d’organe. Mais elle n’est pas le lieu des espèces du fait de les posséder en acte, mais seulement en puissance. #687. — Ensuite (429a29), il montre la différence entre l’intelligence et le sens quant à leur impassibilité. On a dit en effet, plus haut (#676), que de même que sentir n’est pas être affecté d’une affection proprement entendue, de même non plus concevoir. De cela, il a conclu plus haut (#676) que l’intelligence est impassible. Pour qu’on ne croie pas, donc, que le sens et l’intelligence se trouvent dans le même degré d’impassibilité, il ajoute ici (315) que les impassibilités sensitive et intellective ne sont pas pareilles. Le sens, en effet, bien qu’il ne soit pas affecté par soi (316) par le sensible, en entendant proprement l’affection, est cependant affecté par accident, en tant que la proportion de son organe se trouve corrompue par un sensible excessif. Par contre, cela ne peut arriver à propos de l’intelligence, puisqu’elle n’a pas d’organe ; aussi n’est-elle passible ni par soi ni par accident. #688. — C’est ce qu’il veut dire, en disant que la dissemblance d’impassibilité entre sensitif et intellectif devient manifeste par les organes (317) et le sens, car le sens est rendu incapable de sentir par un sensible excessif ; par exemple, l’ouïe ne peut entendre (318) de son du fait d’être mue par des sons trop grands, ni la vue ne peut voir, ni l’odorat sentir, du fait que ces sens aient été mus auparavant par des couleurs et des odeurs fortes qui corrompent leur organe. L’intelligence, par contre, puisqu’elle ne possède pas d’organe corporel qui puisse se trouver corrompu par l’excellence (319) de son propre objet, lorsqu’elle intellige quelque chose d’extrêmement intelligible, ne se trouve pas ensuite à intelliger moins les objets moins intelligibles, mais davantage. C’est la même chose qui arriverait au sens s’il n’avait pas d’organe corporel. Cependant, l’intelligence se trouve affaiblie indirectement par la lésion d’un organe corporel, pour autant que l’opération du sens qui possède cet organe est requise à son opération à elle. La cause, donc, de la différence, est que le sensitif ne va pas sans corps, tandis que l’intelligence en est séparée. #689. — Avec ce que l’on a dit apparaît la fausseté de l’opinion de ceux qui ont dit que l’intelligence est la puissance d’imaginer, ou quelque acquisition antérieure dans la nature humaine qui s’ensuivrait de la complexion du corps. Cependant, à l’occasion de ces paroles, certains se sont trouvés trompés au point de soutenir que l’intellect possible se trouve séparé du corps, quant à son être (320), à la manière de l’une des substances séparées. Mais cela est tout à fait impossible. #690. — Il est manifeste, en effet, que chaque homme pense (321). Si en effet on le nie, alors celui qui tient cette opinion ne pense lui-même rien et on n’a pas à l’écouter. Mais si chaque homme pense, il faut bien qu’il le fasse avec quelque chose, à parler formellement. C’est cela l’intellect possible dont le Philosophe dit : «J’appelle intelligence ce avec quoi l’âme forme des conceptions et juge.» L’intellect possible est donc ce avec quoi chaque homme, à parler formellement, pense. Certes, ce avec quoi s’opère quelque chose comme par un principe actif peut, dans la réalité, se trouver séparé de ce qui accomplit l’opération : par exemple, nous dirons que la catapulte (322) opère par le roi, parce que c’est le roi qui la met en opération. Mais il est impossible que ce avec quoi formellement un agent opère soit séparé de lui dans la réalité. La raison en est que rien ne fait quoi que ce soit sinon pour autant qu’il est en acte. Ainsi donc, un agent opère formellement avec quelque chose (323) pour autant qu’il le possède en acte. Par contre, rien ne possède quoi que ce soit en acte s’il en est séparé dans la réalité. Aussi est-il impossible que ce avec quoi un agent agit formellement soit séparé de lui dans la réalité. Il est donc impossible que l’intellect possible, avec lequel on intellige parfois en puissance parfois en acte soit séparé de soi dans la réalité.(324) #691. — En conséquence, à regarder cela, les tenants de cette position (325) se sont trouvés forcés de trouver une manière par laquelle cette substance séparée qu’ils disent qu’est l’intellect possible se trouverait en continuation et union avec nous pour que son acte de penser soit notre acte de penser. Ils soutiennent en effet que l’espèce intelligible est la forme de l’intellect possible. C’est par elle, en effet, qu’il devient en acte. Or le sujet de pareille espèce est un phantasme qui se trouve en nous. Ainsi donc, ils disent que l’intellect possible se trouve rattaché à nous par sa forme. #692. — Cependant, ce qu’on vient de dire ne démontre absolument aucune continuation de l’intelligence avec nous, ce qui appert comme suit. En effet, l’intellect possible ne fait pas un avec l’intelligible, sinon pour autant qu’il se trouve conçu (326) en acte. De même, le sens n’est pas non plus la même chose que le sensible en puissance, comme on en a traité plus haut (#355-357; 382). Donc, l’espèce intelligible n’est pas une forme de l’intellect possible, sinon pour autant qu’elle est un intelligible en acte ; or elle n’est un intelligible en acte que pour autant qu’elle est abstraite (327) des phantasmes. Il est donc manifeste que pour autant qu’il fait un avec l’intelligence il est éloigné des phantasmes. Ce n’est donc pas par lui que l’intelligence est unie avec nous. #693. — Il est manifeste, par contre, que l’auteur de cette position s’est trouvé trompé avec un sophisme par l’accident, un peu en argumentant comme suit. Les phantasmes font d’une certaine manière un avec l’espèce intelligible ; or l’espèce intelligible fait un avec l’intellect possible ; donc, l’intellect possible fait un avec les phantasmes. Mais il est manifeste qu’intervient ici un sophisme par l’accident, parce que l’espèce intelligible, pour autant qu’elle fait un avec l’intellect possible, est abstraite des phantasmes, comme on l’a dit. (328) #694. — En concédant cependant que de cette façon il y ait une union de l’intellect possible avec nous, cette union ne ferait même pas que nous concevions, mais plutôt que nous soyons conçus. Cela en effet dont la ressemblance intervient comme espèce dans une faculté cognitive ne devient pas par cela connaissant, mais connu. En effet, du fait qu’une espèce, dans la pupille, est similitude d’une couleur dans le mur, il ne s’ensuit pas que la couleur voie, mais plutôt qu’elle soit vue. Du fait donc qu’une espèce intelligible, dans l’intellect possible, est similitude d’un phantasme, il ne s’ensuit pas que nous concevions, mais que nous, ou plutôt nos phantasmes, soyons conçus par cette substance séparée. #695. — Il y a encore plusieurs autres choses que l’on peut dire contre cette position ; mais nous en avons traité ailleurs avec diligence (voir De unitate intellectus contra Averroistas). Ici toutefois, que cela seulement suffise, qu’il s’ensuit de cette position que chaque homme ne pense pas. #696. — Il est manifeste aussi que cette position va contre l’intention d’Aristote (329). En premier, parce qu’Aristote (330) enquête ici sur une partie de l’âme. C’est ainsi en effet qu’il commence ce traité. Aussi est-il manifeste que l’intellect possible est pour lui une partie de l’âme, et non une substance séparée. #697. — De plus, du fait qu’il continue son enquête à propos de l’intelligence, qu’elle soit séparable en sujet des autres parties de l’âme, ou qu’elle ne le soit pas. Aussi appert-il que sa démarche tiendrait même si l’intelligence n’était pas séparable en sujet des autres parties de l’âme. #698. — De plus, du fait qu’il dit que l’intelligence est ce avec quoi l’âme pense. Car tout cela montre qu’Aristote ne dit pas que l’intelligence est séparée à la manière des substances séparées.
#699.
— Il devient d’ailleurs étonnant à quel point ces gens se sont trompés légèrement,
du fait qu’Aristote dise que l’intelligence est séparée, puisqu’on peut
comprendre avec ce qu’il dit littéralement : il dit, en effet, que
l’intelligence est séparée parce qu’elle ne possède pas d’organe à la
manière du sens. Et cela est possible parce que l’âme humaine dépasse par
sa noblesse la faculté de la matière corporelle et ne peut totalement se
trouver incluse en elle. Aussi lui reste-t-il une action dans laquelle la matière
corporelle ne communique pas avec elle. C’est pour cela que sa puissance à
cette action ne possède pas d’organe corporel, et qu’ainsi l’intelligence
est séparée.
Chapitre
4 (429b6-22) 429b6 Lorsque l’intelligence devient chacun de ses objets, au
sens où on la dit savante, et savante en acte — ce qui se produit lorsqu'elle
peut par elle-même passer à l'acte —, elle demeure, même alors, en
puissance d’une certaine manière, quoique non pas de la même manière
qu'avant d'apprendre ou de trouver. En outre, elle peut alors se concevoir
elle-même. 429b10 C’est par ailleurs quelque chose de différent que la
grandeur et, pour la grandeur, son être, et l'eau et, pour l’eau, son être.
Il en va de même en bien d'autres cas, mais pas en tous, car il y en a où
c’est la même chose. Par suite, on distingue (331), pour la chair, son être, et
la chair même avec une puissance soit différente, soit dans un rapport différent.
La chair, en effet, n'existe pas sans la matière, mais, comme le camus, elle
est telle chose en telle chose. On distingue donc le chaud et le froid, et ce
dont la chair constitue une certaine raison, avec la puissance sensitive. Avec
une puissance différente, donc, soit séparée, soit comme il en va de la ligne
recourbée sur elle-même : quand elle se redresse, on distingue, pour la chair,
son être. (332) 429b18 En outre, pour ce qui est dans
l’abstraction, il en va du droit comme du camus, puisqu'il vient avec le
continu. Ce qu’il devait être est différent, si ce sont des choses différentes
son être, pour le droit, et le droit. Mettons que ce soit la dualité. On les
distingue donc avec une puissance ou différente ou dans un rapport différent.
En général, donc, c’est de la manière dont les choses se séparent de la
matière qu’il en va pour les objets de l'intelligence. #700. — Après avoir traité de l’intellect possible, qui se trouve en puissance aux intelligibles, le Philosophe montre ici comment il s’y réduit en acte. En premier, il montre comment (333) l’intelligence devient à un certain moment en acte. En second (429b10), il montre quel est l’objet propre en regard duquel elle devient en acte. Il montre donc en premier comment l’intelligence devient à un certain moment en acte (334). On a dit, rappelle-t-il, que l’âme intellective n’est pas en acte les espèces, mais seulement en puissance ; cependant, «lorsqu’elle devient ainsi les singuliers», c’està- dire, lorsqu’elle se trouve réduite en l’acte des espèces intelligibles, en tant que savante, c’est-à-dire possédant l’habitus de science, elle détient les espèces en acte, et on parle alors (335) d’une intelligence qui est en acte. Cela se produit dès que l’on peut activer par soi-même l’opération (336) de l’intelligence, qui est le fait même de concevoir (337). Il en va à la façon dont on a en acte n’importe quelle forme quand on peut accomplir l’opération de cette forme. #701. — Toutefois, bien que l’intelligence soit de certaine manière en acte, quand elle détient les espèces intelligibles, en tant que savante (338), alors même, cependant, elle reste encore d’une certaine manière en puissance, quoique pas de la même manière qu’elle l’était auparavant (339), avant d’acquérir la science par discipline ou par découverte. Car avant de détenir l’habitus de science, qui est l’acte premier, elle ne pouvait opérer comme elle le voulait ; mais il fallait qu’elle se trouve réduite en acte par autre chose ; tandis que lorsqu’elle a désormais l’habitus de science, qui est l’acte premier, elle peut, dès qu’elle le veut, passer à l’acte second qui est l’opération. #702. — Néanmoins, il devient manifeste, avec ce que l’on vient dire, qu’elle est fausse l’opinion d’Avicenne, qu’il oppose, à propos des espèces intelligibles, à celle d’Aristote. Avicenne, en effet, soutient que les espèces intelligibles ne sont pas conservées dans l’intellect possible, et ne sont en lui que lorsqu’il conçoit en acte. Il faut par contre, à son avis, que lorsque l’intelligence conçoit en acte, elle se tourne vers l’intellect agent séparé, dont viennent dans l’intellect possible les espèces intelligibles. #703. — Cela va à l’encontre de ce que le Philosophe dit manifestement ici, que l’intelligence, même réduite en l’acte des espèces de la manière dont la science est un acte, demeure encore une intelligence en puissance (340). En effet, quand l’intelligence conçoit en acte, les espèces intelligibles sont en elle selon un acte parfait, tandis que lorsqu’elle a l’habitus de science, les espèces sont en l’intelligence même, mais d’une manière intermédiaire entre la puissance pure et l’acte pur. #704. — Cependant, a-t-il dit, lorsque l’intelligence devient d’une certaine manière en acte, en rapport à chacune des choses en rapport auxquelles elle se trouvait en puissance, c’est alors qu’elle peut concevoir. Aussi pourrait-on croire, comme elle ne se trouverait d’aucune manière en puissance à son propre égard, qu’une fois passée à l’acte elle ne se concevrait pas elle-même. C’est en vue d’exclure cela qu’il ajoute que l’intelligence, une fois passée à l’acte, ne peut pas seulement concevoir les autres choses, mais peut alors aussi se concevoir elle-même. #705. — Ensuite (429b10), le Philosophe montre quel est l’objet de l’intelligence. En Métaphysique VII, 6, doit-on savoir pour accéder à l’évidence de ce qu’il déclare, le Philosophe s’enquiert si ce que la chose est, c’est-à-dire sa quiddité, ou son essence, que sa définition signifie, est identique à la chose. C’est que Platon soutenait que les quiddités des choses sont séparées des choses singulières et il les appelait des idées, ou des espèces. C’est pourquoi Aristote montre que les quiddités des choses ne sont pas autre chose que les choses mêmes, sauf par accident. Par exemple, ce n’est pas identique la quiddité d’un homme blanc, et un homme blanc, parce que la quiddité de l’homme blanc (341) ne contient en elle que ce qui appartient à l’espèce de l’homme, tandis que ce qu’on appelle un homme blanc possède autre chose en lui, à part ce qui relève de l’espèce humaine. #706. — Cela se produit chez tous les êtres qui ont leur forme en une matière, qu’en eux (342) il y a autre chose à part les principes de leur espèce. C’est que la nature de l’espèce se trouve individuée par la matière ; aussi les principes individuants et les accidents de l’individu sont à part de l’essence de l’espèce. C’est la raison pour laquelle on peut rencontrer plusieurs individus sous une espèce unique ; ceux-ci, sans différer dans la nature de leur espèce, diffèrent cependant quant à leurs principes individuants. C’est pourquoi, chez tous les êtres qui ont leur forme dans une matière, ce n’est pas tout à fait identique, la chose et ce que la chose est. Socrate, en effet, n’est pas son humanité. Par contre, chez les êtres qui n’ont pas leur forme dans une matière, mais (343) sont des formes simples, il ne peut rien y avoir à part l’essence de leur espèce, puisque la forme même est toute l’essence. C’est aussi pourquoi, chez pareils êtres, il ne peut pas y avoir plusieurs individus dans une espèce unique, et il ne peut chez eux y avoir de différence entre la chose et ce qu’elle est. #707. — On doit aussi tenir compte que ce ne sont pas seulement les êtres naturels qui ont leur espèce dans une matière, mais aussi les êtres mathématiques. Il existe en effet deux matières : la sensible, dont font abstraction les êtres mathématiques, et à laquelle ont trait les êtres naturels, et l’intelligible, à laquelle ont trait les êtres mathématiques. Voici comment on doit l’entendre. Il est manifeste, en effet, que la quantité inhère immédiatement à la substance, tandis que les qualités sensibles, comme le blanc et le noir, le chaud et le froid, sont fondées dans la quantité. Or quand on enlève ce qui suit, ce qui précède reste ; aussi, quand les qualités sensibles se trouvent enlevées dans l’intelligence, il y reste encore une quantité continue. #708. — Il y a donc des formes qui requièrent une matière sous une disposition déterminée de qualités sensibles ; toutes les formes naturelles sont de la sorte. C’est pourquoi les êtres naturels ont trait à une matière sensible. Mais il y a des formes qui n’exigent pas une matière sous une disposition déterminée de qualités sensibles, bien qu’elles requièrent une matière placée sous une quantité ; le triangle, par exemple, et le carré, et ainsi de suite. C’est cela qu’on appelle des êtres mathématiques ; ils font abstraction de la matière sensible, mais non de la matière intelligible, en tant qu’il reste dans l’intelligence une quantité continue, abstraite de la qualité sensible. Ainsi donc, il appert que, de même que les êtres naturels ont leur forme dans une matière, de même aussi les êtres mathématiques. Pour cela, tant chez les êtres naturels que chez les êtres mathématiques il y a différence entre la chose et ce qu’elle est. Aussi, chez les deux, on trouve plusieurs individus sous une espèce unique. De même, en effet, qu’il y a plusieurs hommes d’une espèce unique, il y a aussi plusieurs triangles sous une espèce unique. #709. — Une fois donc que l’on a cela, il est facile d’accéder à l’intelligence du texte du Philosophe. C’est quelque chose de différent, dit-il en effet, que «la grandeur et, pour la grandeur, son être (344)», c’est-à-dire, c’est quelque chose de différent que la grandeur et ce qu’elle est. Car l’être qui appartient à la grandeur, il l’appelle sa quiddité. Pareillement, c’est quelque chose de différent que «l’eau et, pour l’eau, son être», et il en va ainsi en beaucoup d’autres êtres, c’est-à-dire chez tous les êtres mathématiques et naturels. Aussi est-il significatif qu’il ait présenté deux exemples : car la grandeur est quelque chose de mathématique, tandis que l’eau est quelque chose de naturel. #710. — Cependant, «il» n’«en va» pas «de même en tous» les cas. Car chez les êtres tout à fait séparés de la matière, il y a identité entre la chose et ce qu’elle est. Mais comme les substances séparées échappent à notre connaissance, il n’a pas pu les nommer par des noms appropriés, comme il l’a fait pour les êtres mathématiques et pour les naturels ; plutôt, il les nomme à l’exemple des choses naturelles. Voilà pourquoi il ajoute que chez certains êtres, cela est identique, la chair et, pour la chair, son être. Mais il entend que cette attribution d’une chose et, pour cette chose, de son être, comme l’attribution de la chair et, pour la chair, de son être, est identique chez certains êtres, à savoir, chez ceux qui sont séparés de la matière. #711. — Puisque des puissances différentes sont requises pour connaître des objets différents, il conclut que l’âme ou bien connaît la chose avec une puissance, et sa quiddité avec une autre, ou bien avec une seule et unique puissance, mais qui se rapporte de façon différente à chacun. Il est manifeste, par ailleurs, que la chair ne va pas sans matière ; la forme de la chair, en effet, est une forme déterminée et existe dans une matière sensible déterminée. De la même manière aussi le camus (345) a un sujet sensible déterminé, à savoir, le nez. L’âme connaît donc cette matière (346) sensible avec le sens. C’est la signification de ce qu’il ajoute, que l’âme distingue avec la puissance sensitive le chaud et le froid, et les autres qualités de la sorte, «dont la chair constitue une certaine raison», c’est-à-dire une proportion. En effet, la forme de la chair requiert une proportion déterminée de chaud et de froid, et d’autres qualités de la sorte. #712. — Mais il faut qu’une puissance différente «distingue, pour la chair, son être», c’est-à-dire ce que la chair est. Toutefois, cela se produit de deux manières. D’une manière, de sorte que la chair même et la quiddité de la chair sont connues par des puissances tout à fait différentes l’une de l’autre : par exemple, en sorte que la quiddité de la chair soit connue par la puissance intellective et la chair par la puissance sensitive. Cela se produit quand l’âme connaît par soi le singulier et connaît par soi la nature de l’espèce. De l’autre manière, de sorte que la chair et ce que c’est que la chair soit connus autrement (347) non pas qu’il s’agisse de puissances distinctes, mais qu’on connaisse la chair et ce qu’elle est avec une seule et même puissance, quoique de manières distinctes : c’est ce qui arrive nécessairement quand l’âme compare l’universel au singulier. De même, en effet, qu’on a dit, plus haut (#601-604), que nous ne pourrons pas sentir la différence entre doux et blanc, s’il n’y a pas une puissance sensitive commune qui connaisse l’un et l’autre, de même aussi nous ne pourrons connaître la comparaison de l’universel au singulier (348), s’il n’existe pas une puissance qui connaisse l’un et l’autre. L’intelligence, donc, connaît l’un et l’autre, mais de manières distinctes. #713. — L’intelligence connaît en effet la nature de la chose, c’est-à-dire ce qu’elle est, quand elle se redresse vers elle (349), mais elle connaît le singulier moyennant une espèce de réflexion, en ceci qu’elle retourne aux phantasmes (350) dont les espèces intelligibles sont abstraites. C’est le sens de ce qu’il dit, que si on connaît la chair avec la puissance sensitive, c’est «avec une différente», c’est-à-dire, avec une autre puissance, qu’on connaît, «pour la chair, son être», c’est-à-dire ce qu’est la chair. «Soit séparée», donc, quand on connaît la chair avec le sens et son être, pour la chair, avec l’intelligence, mais avec la même puissance, quoique dans un rapport différent, quand, comme «recourbée sur elle-même», l’âme intellective connaît aussi la chair. Car «quand elle se redresse», elle discerne son être, pour la chair, c’est-à-dire, elle saisit directement la quiddité de la chair, tandis que, en se recourbant, elle connaît la chair elle-même. #714. — Ensuite (429b18), il expose pour les êtres mathématiques ce qu’il a dit pour les êtres naturels. De plus, dit-il, en ce qui est par «abstraction», c’est-à-dire, chez les êtres mathématiques, dont la notion s’abstrait de la matière sensible, le droit entretient le même rapport que le camus. C’està- dire que les êtres mathématiques ont une matière, comme les êtres naturels, car le droit est mathématique, tandis que le camus est naturel. La notion du droit, en effet, implique le continu, comme la notion du camus implique le nez. Le continu est une matière intelligible, comme le nez (351) est une matière sensible. Aussi est-il manifeste que ce sont choses différentes, chez les êtres mathématiques, la chose et ce qu’elle devait être, comme le droit et, pour le droit, son être. Aussi faut-il qu’on connaisse avec une puissance ce que ces choses devaient être, et avec une autre puissance ces choses mêmes. #715. — Supposons maintenant, par exemple (352), que la dualité soit ce que devait être la ligne droite. En effet, Platon soutenait que les nombres étaient les espèces et les quiddités des êtres mathématiques : par exemple, l’unité pour le point (353), la dualité pour la ligne droite, et ainsi de suite. Il faut donc que l’âme connaisse ou bien (354) les êtres mathématiques eux-mêmes avec une puissance et leurs quiddités avec une autre puissance, ou bien les deux avec la même puissance sous un rapport différent. Aussi, comme on montre avec les êtres naturels que l’intelligence qui connaît les quiddités des êtres naturels est différente du sens qui connaît les êtres naturels singuliers eux-mêmes, de même, en partant des êtres mathématiques, on montre que l’intelligence qui connaît ce qu’ils sont est différente de la faculté imaginative qui saisit les êtres mathématiques eux-mêmes. #716. — Mais on pourrait croire (355) que c’est de la même manière qu’on conçoit les êtres mathématiques et les êtres naturels ; aussi ajoute-t-il que les choses se rapportent à l’intelligence de la manière dont elles sont séparables de la matière. Par conséquent, les êtres séparés de la matière (356), dans leur être, ne peuvent être perçus que par l’intelligence seulement, tandis que ceux qui ne sont pas séparés de la matière sensible en leur être, mais en leur notion, sont conçus sans matière sensible, mais non sans matière intelligible. Les êtres naturels, par contre, sont conçus par abstraction de la matière individuelle, mais non par abstraction de la matière sensible totalement. En effet, on conçoit l’homme comme un composé de chair et d’os, mais par abstraction de telle chair et de tels os. Il s’ensuit que ce n’est pas l’intelligence qui connaît directement les singuliers, mais le sens ou l’imagination. #717. — Il ressort de ce que le Philosophe affirme ici que l’objet propre de l’intelligence est la quiddité de la chose, laquelle n’est pas séparée des choses, comme les Platoniciens le soutenaient. En conséquence, ce qui est l’objet de notre intelligence n’est pas quelque chose qui existe en dehors des choses sensibles, comme les Platoniciens le soutenaient, mais quelque chose qui existe dans les choses sensibles. Cependant, l’intelligence saisit les quiddités des choses d’une autre manière qu’elles ne sont dans les choses sensibles. En effet, elle ne les saisit pas avec les propriétés individuantes qui s’ajoutent à elles dans les choses sensibles. Et cela peut se faire sans fausseté de l’intelligence. En effet, rien n’empêche, pour deux choses unies l’une avec l’autre, qu’on conçoive l’une sans concevoir l’autre. Par exemple, la vue saisit la couleur sans saisir l’odeur, mais non sans saisir la grandeur, qui est le sujet propre de la couleur. Par suite, l’intelligence aussi peut concevoir une forme sans ses principes individuants, mais non sans la matière dont dépend la conception de cette forme. Par exemple, on ne peut concevoir le camus sans nez, mais on peut concevoir la courbe sans nez. Du fait de ne pas avoir distingué cela, les Platoniciens ont soutenu que les êtres mathématiques et les quiddités des choses sont séparées dans leur existence, comme elles sont séparées dans l’intelligence. #718. —Il est manifeste aussi que ce ne sont pas les espèces intelligibles par lesquelles l’intelligence possible passe à l’acte qui sont l’objet de l’intelligence. En effet, elles ne se rapportent pas à l’intelligence comme ce qui se trouve conçu, mais comme ce par quoi l’intelligence conçoit (357). Pareillement aussi (358), ce n’est pas l’espèce qui est dans la vue qui est ce qu’on voit ; elle est plutôt ce par quoi la vue voit ; ce qu’on voit, c’est la couleur qui se trouve dans le corps. Pareillement aussi, ce que l’intelligence conçoit, c’est la quiddité qui se trouve dans les choses, et non l’espèce intelligible, sauf pour autant que l’intelligence revient sur (359) elle-même. Il est manifeste, en effet, que les sciences portent sur ce que l’intelligence conçoit. Or les sciences portent sur les choses, non sur les espèces, ou sur les intentions intelligibles, sauf pour la seule science rationnelle. Par conséquent, il est manifeste que ce n’est pas l’espèce intelligible qui est l’objet de l’intelligence, mais la quiddité de la chose conçue.
#719.
— De quoi appert comment est vain (360) le raisonnement de ceux qui veulent
montrer que l’intelligence possible est unique chez tous en partant de ce que
c’est la même chose qui est conçue par tous et qu’il faudrait qu’il y
ait plusieurs espèces intelligibles, numériquement, s’il y avait plusieurs
intelligences. En effet, l’espèce intelligible n’est pas cela même qui est
conçu, mais sa similitude dans l’âme. C’est pourquoi s’il y a plusieurs
intelligences qui ont une similitude d’une seule et même chose, la même
chose sera conçue par tous. En plus de cela, il est manifeste que même les
substances séparées conçoivent les quiddités des choses naturelles que nous
concevons, et leurs intelligences sont distinctes. Aussi, si leur raisonnement
était valide, on n’éviterait pas, en soutenant qu’il n’y a qu’une
seule intelligence chez tous les hommes, l’inconvénient qu’ils concluent.
Car on ne peut tout de même pas soutenir qu’il y a une intelligence unique
chez tous les êtres intelligents.
Chapitre
4 (429b22-430a9) 429b22 On pourra toutefois se demander, si l'intelligence
est simple et impassible et n’a rien de commun avec rien, à ce que dit
Anaxagore, comment elle concevra, si concevoir est une manière d’être affecté
? Car c'est pour autant qu’il y a quelque chose de commun aux deux termes que
l'un donne l’impression d’agir et l'autre d’être affecté. 429b26 On se
demandera, en outre, si elle est intelligible elle aussi. Alors, ou bien
l’intelligence appartiendra aussi aux autres objets intelligibles, si ce n'est
pas par autre chose qu'elle est elle-même intelligible, et si l'objet intelligible est spécifiquement un, ou bien
il y aura autre chose mêlé à elle qui la rendra intelligible comme les autres
objets. 429b29 Rappelons, plutôt, qu’on a distingué, auparavant, en rapport
à un élément commun, deux manières différentes d’être affecté. Car
c'est en puissance que l’intelligence est d'une certaine manière les objets
intelligibles, sans être finalement (361) aucun d'eux avant d’en concevoir
aucun. Ce qui se produit pour l’intelligence doit ressembler à une tablette
sur laquelle rien ne se trouve encore inscrit finalement. 430a2 De plus, elle
est intelligible elle aussi à la manière des autres objets intelligibles. Pour
ce qui va sans matière, en effet, c’est la même chose ce qui conçoit et ce
qui est conçu, car la science spéculative et l’objet qui se trouve su de
cette façon, c’est la même chose. 430a5 Quant au fait qu'on ne conçoit pas
toujours, il faut en considérer la cause : chez les réalités qui comportent
matière, c'est en puissance seulement que chacune se présente comme objet
intelligible, de sorte que l’intelligence ne leur appartiendra pas — car
l’intelligence de pareils objets est une puissance sans matière —, tandis
qu’il lui appartiendra, à elle, d’être intelligible.
NOTES (1) Torstrik suggère de corriger et Moerbeke traduit non secundum accidens. (2) , il en ira ainsi. Les deux moitiés de ce paragraphe paraissent inversées; on lirait mieux: «Autrement, nous ne sentirions pas du tout les sensibles communs, sinon par accident, comme nous percevons le fils de Cléon non pas parce qu'il est le fils de Cléon, mais parce qu'il est blanc; et c'est par accident que ce blanc s'attribue au fils de Cléon. Ainsi, il en irait comme nous sentons de fait le doux avec la vue. En ce cas, c'est parce que nous nous trouvons à avoir sensation des deux, et par là, quand ils coïncident, nous les reconnaissons.» — Mais on peut rétablir le sens à moins de frais en inversant les introductions, comme je le fais dans le texte. (3) , autrement. Voir la note précédente. (4) Léonine: apud Graecos hic incipit tertius liber. Marietti: omis. (5) Léonine: aliquis. Marietti: aliquid. (6) Léonine: dictum est. Marietti: iam dictum est. (7) Léonine: quia. Marietti: ex eo quod. (8) Léonine: alius. Marietti: aliquis alius. (9) Léonine: omnia sensibilia quae nata sunt cognosci per ilud organum. Marietti: omnia illa sensibilia per illud organum. (10) praeter quinque. Marietti: praeter quinque sensus. (11) Léonine: alius sensus. Marietti: sensus. (12) Léonine: alius sensus. Marietti: alius. (13) Léonine: manifestat. Marietti: ostendit. (14) Léonine: quot. Marietti: quod. (15) Léonine: per organum tactus quem habemus. Marietti: per organum tactus, sub quo intelligitur gustus, quem habemus. (16) Léonine: aere et aqua. Marietti: aer et aqua. (17) Léonine: ipsa. Marietti: illa. (18) Léonine: alterum horum. Marietti: aliquod horum. (19) Léonine: apposuit. Marietti: posuit. (20) Léonine: organum autem auditus est aer. Marietti: in organo autem auditus est aer. (21) Léonine: nihil enim est sensitivum sine calore, cum nihil sentiat non vivens. Marietti: nihil enim est sensitivum sine calore, sicut nec vivens, cum nihil sentiat nisi vivens. (22) Léonine: nullius sensus est organum. Marietti: nullius sensus est organum, inquantum ipsum organum est sensitivum. (23) Léonine: per commixtionem maxime appropriatur. Marietti: per commissionem appropriatur. (24) Léonine: oportet quod sit compositum. Marietti: oportet quod sit quasi compositum. (25) Léonine: omnes sensus. Marietti: omnia organa sensus. (26) Non orbatis, traduction de . (27) Léonine: quae non sunt alicuius corporum hic existentium. Marietti: quae sunt aliquorum corporum hic existentium. (28) Léonine: propria. Marietti: proprie. (29) Léonine: sensibilia communia per immutationem quamdam cognoscuntur. Marietti: sensibilia per immutationem quamdam sentiuntur. (30) Léonine: terminatione. Marietti: conterminatione. (31) Léonine: illud quod est unius sensus cognoscitur per accidens ab alio. Marietti: illud quod est unius sensus, per se cognoscitur ab illo sensu, per accidens autem ab alio. Ideo videndo album per se, videmus dulce per accidens. (32) Léonine: quia. Marietti: quia tunc. (33) Léonine: ut ita loquamur. Marietti: ut ita loquar. (34) Léonine: secundum actum. Marietti: actu. (35) Rubicunda, rougeâtre, mais en traduction de , jaune. (36) Léonine: non est nisi una per accidens. Marietti: non est nisi per accidens. (37) Léonine: per accidens. Marietti: per accidens tantum. (38) Léonine: Aristoteles. Marietti: Philosophus. (39) Léonine: secus autem est in accidentibus. Marietti: secus autem de accidentibus. (40) Léonine: sensibus. Marietti: sensibilibus. (41) Léonine: manifestat. Marietti: manifestat nobis. (42) Léonine: per medium extraneum. Marietti: per medium. (43) Léonine: absque immutatione sensibilis. Marietti: absque immutatione sensibili. (44) Ce passage n'apparaît pas dans les manuscrits maintenant disponibles, mais apparaissait dans celui qu'a traduit Moerbeke. (45) C'est-à-dire, s'il revient à un autre sens de percevoir qu'on voit, on finira par devoir attribuer au même sens de percevoir à la fois vue et couleur. (46) (47) Il s'agit de ce qui voit, mais de ce qui voit le premier, la rétine — —, et de son acte de voir — certains manuscrits usent de l'infinitif plutôt que du participe et disent plutôt que . —, mais non, bien sûr, du sujet qui en est doté, lequel est coloré sans que cela fasse problème. Voir la rétine, la voir en train de voir, voir le fait de voir implique que tout cela soit coloré, puisque c'est la couleur qui rend visible. (48) Autrement dit: il n'y a pas qu'une seule activité dont on parle quand on parle de sentir avec la vue. (49) À l'obscurité, ou en présence d'aucun objet coloré à voir, ou étant aveugles. (50) Aristote oscille entre ce mot et , selon qu’il se met du point de vue de l’acte de l’imagination ou de l’œuvre qui en est le fruit. Malgré ma préférence générale pour garder dans la même racine la traduction des mots de même racine, je garderai pour le second la traduction traditionnelle de phantasme. (51) Il s'agit, dans le contexte, du son en général, de l'objet de l'ouïe, pas précisément du son de voix. (52) Léonine: aliquam. Marietti: aliam. (53)Léonine: sensibilia. Marietti: sensibilia propria. (54) Depuis et dit : omis par Léonine. (55) Léonine: omnino altero sensu. Marietti: omnino alio sensu. (56) Léonine: Si autem eodem sensu quo sentit colorem sentit visionem coloris. Marietti: Si vero eodem sensu quo sentit colorem et sentit visionem coloris. (57) Léonine: unus et idem erit sensus et visus secundum actum, id est visionis, et subiecti coloris. Marietti: unus et idem erit sensus secundum actum apprehensivus ipsius visionis et subiecti coloris. (58) Subiecti coloris. (59) Léonine: idem sensus cum visu. Marietti: idem cum sensu visus. (60) Léonine: sensus visus. Marietti: sensus. (61) Léonine: quaerere iterum sensum. Marietti: quaerere tertium sensum. (62) Léonine: agentibus. Marietti: actionibus. (63) Léonine: eam solvet. Marietti: eam solvit. (64) Léonine: nisi color. Marietti: nisi color tantum. (65) Léonine: de se. Marietti: se. (66) Léonine: fit. Marietti: fuit. (67) Léonine: solvit. Marietti: solvit tertio. (68) Léonine: a colore. Marietti: colore. (69) Léonine: secundum quod. Marietti: secundum quam. (70) Perceptio. Si on traduit: juge de la ‘perception’ même de l'organe, il faudra supprimer par le sensible. Ce serait de fait une meilleure lecture. (71) Léonine: non solum colorem sentit. Marietti: non videt solum colorem, vel sentit. (72) Léonine: secunda solutio. Marietti: secunda. (73) Léonine: demonstrat. Marietti: ostendit. (74) Léonine: praedicta. Marietti: prima. (75) Léonine: ut supra dictum est. Marietti: ut dictum est. (76) Apparitiones. (77) Léonine: unus et idem. Marietti: unus et idem subiecto. (78) Léonine: sonet. Marietti: habet sonare. (79) Sonatio. (80) Léonine: et. Marietti: vel. (81) Léonine: qui. Marietti: quae. (82) Léonine: significatur. Marietti: signatur. (83) Léonine: idem est actus. Marietti: idem est actu. (84) Léonine: ut in subiecto. Marietti: ut subiecto. (85) Ut in principio a quo. (86) Léonine: aut. Marietti: et. 87) Léonine: solutione. Marietti: ratione. (88) Léonine: esset. Marietti: est. (89) Excellens. (90) Léonine: pura. Marietti: plura. (91) Excellentia (92) Léonine: corrumpunt. (93) Léonine: contristant. Marietti: contristat. (94) Léonine: Aristoteles. Marietti: Philosophus. (95) Léonine: visionem. Marietti: visione. (96) Léonine: virtutem. Marietti: veritatem. (97) Léonine: adinvicem. Marietti: abinvicem. (98) Léonine: in quantum. Marietti: quantum. (99) Léonine: secundo. Marietti: in secunda. (100) Léonine: cognoscitivus sensibilis sibi subiecti. Marietti: cognitivius sensibilis sui obiecti. (101) Léonine: illa. Marietti: ista. (102) Léonine: proprium. Marietti: primum. (103) Léonine: inter album et dulce. Marietti: inter album et nigrum, et dulce. (104) Léonine: enim. Marietti: autem. (105) Léonine: differentiam. Marietti: differentias (106) Ad fontalem radicem. (107) Léonine: quae. Marietti: qui. (108) Léonine: eius sensus sit, quod. Marietti: idem sensus sit, qui. (109) Léonine: inter ea. Marietti: ea. (110) Léonine: manifesta sint. Marietti: manifestum sit. (111)Léonine: tu. Marietti: ille. (112) Léonine: enim. Marietti: autem. (113) Léonine: erit. Marietti: est. (114) Léonine: non erit manifesta. Marietti: non erit nobis per sensum manifesta. — Elle ne pourra pas être manifeste à chacun de nous, puisque nous ne sentons chacun que l'une des deux et n'avons ainsi aucune possibilité de les comparer. (115) Léonine: et sensu et intellectu. Marietti: ex sensu et intellectu. (116) Léonine: cognoscatur. Marietti: agnoscitur. (117) Léonine: manifestum est etiam. Marietti: manifestum est. (118) Léonine: in illo instanti, pro quo iudicat ea esse altera. Marietti: in illo instanti, pro quo iudicat esse altera. (119) Léonine: obiectionem. Marietti: obiectionem talem. (120) Léonine: intellectus et sensus movetur a sensibili et intelligibili, inquantum sentiunt et intelligunt. Marietti: intellectus et sensus movetur a sensibili, inquantum sentit, et intelligibili, inquantum intelligit. (121) Léonine: contraria et diversa. Marietti: contraria diversa. (122) Léonine: contraria vel diversa. Marietti: contraria. (123) Léonine: divisibile. Marietti: indivisibile. (124) Léonine: indivisibile. Marietti: divisibile. (125) Léonine: organice. Marietti: organa habere. (126) Léonine: aliquod unum et indivisibile. Marietti: aliquod unum et idem indivisibile. (127) Léonine: aut duo. Marietti: et ut duo. (128) Léonine: scilicet. Marietti: id est. (129) Léonine: potest ergo considerari. Marietti: quae potest considerari. (130) Léonine: aut duo, sic divisibile est, principium sensitivum commune sic vero divisibile est. Marietti: aut duo, sic divisibile est. (131) Léonine: aliquod. Marietti: aliud. (132) Léonine: igitur. Marietti: enim. (133) Léonine: scilicet sine materia. Marietti: sine materia. (134) Léonine: recipit. Marietti: recipit illud. (135) Léonine: participat. Marietti: proprius participat. (136) Certains manuscrits ont à la place de ; certains manuscrits omettent . Moerbeke traduit intelligere et discernere et sentire. (137) Comme et , deux termes qui renvoient respectivement aux aspects représentation de et jugement de conformité à la réalité, mais plus communs, applicables autant au domaine du sens qu'à celui de l'intelligence. Il sera utile, plus loin (428a3, 429b13), de ne pas avoir confondu au jugement; dans le contexte, Aristote y vise plutôt le sens plus radical de séparer, dégager : le sens et l'intelligence dégagent de l'objet une image susceptible de le représenter. (138) signifie une sagesse qui se confond avec l'habileté pratique, la ruse; mais aussi le plan, le dessein, d'où, peut-être, Moerbeke a traduit par voluntas. (139) Moerbeke traduit: «et in hominibus et in aliis», comme si on avait: « », ce qui porte encore davantage à interpréter ainsi comme les autres animaux, et tout ce qui est donné d'Empédocle comme une citation unique. — Mais la lecture habituelle, et que suggère plus immédiatement la grammaire, voit comme l'introduction d'une seconde citation: «Et ailleurs: …» Mais la signification d'ensemble n'en change pas pour autant. (140) , l'acte de , qu'on a auparavant traduit concevoir, ou la faculté qui l'exécute, l'intelligence. — Moerbeke complète la citation d'Homère: «Talis enim intellectus est in terrenis hominibus, qualem ducit in diem pater virorumque deorumque», «car telle est la conception chez les hommes terrestres: elle est comme la conduit tout au long du jour le père tant des hommes que des dieux». (141) Il est difficile de saisir quelle distinction Aristote met au juste entre et . L'interprétation de saint Thomas, qui les assigne respectivement aux deux opérations que distingue Aristote pour l'intelligence — l'appréhension et le jugement —, est séduisante et j'ai traduit en conséquence. Le présent passage fait cependant difficulté alors. D'abord, Aristote se trouve ainsi à distinguer l'appréhension de la sensation par le fait de la possibilité d'y errer, alors qu'il montrera plus loin que la possibilité d'errer est réservée au jugement; on peut constater, en contrepartie, qu'il ne parle pas strictement d'erreur, mais d'incorrection, et que de fait une certaine malformation peut entacher l'appréhension dans la mesure où elle comporte progrès vers une plus grande distinction. Mais ensuite, Aristote nomme l'appréhension correcte avec des noms de vertus et d'opérations intellectuelles réservées au jugement: sagesse, prudence, opinion. Peut-être peut-on alors tabler sur l'usage d'un verbe différent, , qui viserait plutôt l'usage des conceptions dans le jugement: les appréhensions de l'intelligence, tout infaillibles qu'elles soient, se prêtent à entrer dans des jugements faux. Mais il est difficile de soutenir qu'il en va autrement des sensations: ne se prêtent-elles pas à une appréciation erronée de la réalité, même chez les animaux irrationnels? — Le développement qui suit, à propos de l'imagination, va confirmer que le deuxième membre de la division vise l'énonciation. (142) Conception, dianoía, et jugement, , sont deux noms qui continuent la distinction présentée avec les verbes et . Moerbeke traduit par opinio, ce qui va amener saint Thomas à présenter ce qui suit comme distinction entre imagination et opinion, mais le contexte est plus large: il s'agit de distinguer l'imagination de tout jugement, et non seulement de celui de caractère endoxal, comme cela apparaîtra en dernière ligne, où Aristote divisera la — traduite par Moerbeke, pour l'occasion, par existimatio, que saint Thomas paraphrasera comme intellectualem acceptionem — en science, opinion ( ) et prudence. (143) (144) (145) Malgré la racine du mot, le sens est ici plus commun que simplement tenir une opinion. Quoiqu'on pourrait aussi traduire ainsi, en prenant, par synecdoque, l'opinion comme illustration de n'importe quel jugement. — Boèce traduit opinari. (146) Sapere et intelligere, en traduction respective de et . (147) Léonine: eiusdem principii. Marietti: principii. (148) Léonine: idem. Marietti: idem subiecto. (149) Léonine: nec est. Marietti: non est.
(150)
Intellectivam discretionem. Avec cette expression, saint Thomas ramène
comme à un même acte ce qu'Aristote présente avec deux verbes: et . Plus loin
(voir infra, (151) Léonine: videtur ex hoc. Marietti: videtur hoc. (152) Léonine: tam intelligendo quam sentiendo. Marietti: tam sentiendo quam intelligendo. — Les deux opérations de l'intelligence sont ici ramassées dans le seul verbe intelligere. (153) Impressio. (154) Léonine: appetitu. Marietti: appetitu sensitivo (155) Léonine: quorumdam antiquorum. Marietti: quorumdam philosophorum antiquorum. (156) Aristote dit: « .» On considère généralement que introduit la seconde citation, d'où la traduction: et ailleurs. Saint Thomas rattache ces mots — traduits et in aliis par Moerbeke — à la première citation, pour comprendre ainsi que c'est autant chez les hommes que chez les autres animaux que la connaissance est affectée par la situation présente. (157) Léonine: diversa et diversimode. Marietti: diversa diversimode. (158) Léonine: auctoritatis. Marietti: auctoris (159) Léonine: quod. Marietti: quod si. (160) Léonine: directam. Marietti: directe. (161) Léonine: sensibili. Marietti: sensitivo. (162) Léonine: ab appetitu sensibili. Marietti: appetitu sensitivo. (163) Léonine: sensibilis. Marietti: sensitivi. 164) Léonine: corporibus. Marietti: actibus. (165) Léonine: praedictae positionis. Marietti: positionis. (166) Léonine: adinvicem. Marietti: abinvicem. (167) Léonine: ostendit. Marietti: consequenter ostendit. (168) Léonine: sit hoc quod. Marietti: sit haec quod. (169) Léonine: deceptionis, inde necesse est. Marietti: deceptionis animae, necesse est. (170) Léonine: eodem modo habet homo cognitionem et deceptionem. Marietti: eodem modo se habet homo ad cognitionem et deceptionem (c'est de la même manière qu'on se rapporte à la connaissance et à l'erreur). (171) Léonine: reliquum. Marietti: aliud. (172) Iudicare. (173) Léonine: quod hic dicitur. Marietti: et hoc dicitur. (174) Apprehendere. (175) Léonine: quod hic dicitur. Marietti: et hoc dicitur. (176) Léonine: solum hominibus. Marietti: solis hominibus. (177) Léonine: quaedam alia animalia. Marietti: quaedam animalia. (178) Léonine: alicuius. Marietti: aliquid. (179) Léonine: secundum quod. Marietti: scilicet quod. (180) Léonine: et. Marietti: vel. (181) Léonine: et. Marietti: vel. (182) Léonine: quae se habet ad utrumque, non tamen determinate ad alterum oppositorum, sicut scientia et prudentia, sed ad unum, cum formidine alterius. Marietti: quae se habet ad utrumque, et non determinate ad alterum oppositorum, sicut scientia et prudentia, sed ad unum, cum formidine alterius. (183) Léonine: non contingit non recte. Marietti: non contingit nisi recte. (184) Opinio, quae sequitur intellectum, c'est-à-dire le jugement, qui résulte de la composition de conceptions. Voir supra, note 143. (185) Léonine: phantasia alterum aliquid est et a sensu. Marietti: phantasia aliud est a sensu. (186) Intelligimus. (187) Cette phrase commente en quelque sorte à contresens, du fait que saint Thomas lise opinio en traduction de , et prenne ici en son sens restraint et plus faible le jugement qui se nomme proprement opinion. Les raisonnements qui vont suivre s'appuieront au contraire sur la fermeté d'adhésion qu'implique le jugement, même sous le nom d'opinion, en différence de l'imagination, qui n'entraîne aucune adhésion. (188) Léonine: igitur. Marietti: enim. 161 (189) Léonine: ex opinione statim sequitur passio. Marietti: opinionem statim sequitur passio. (190) Léonine: et. Marietti: vel. (191) Léonine: cum opinamur. Marietti: dum opinatur. (192) Ad intellectualem acceptionem. (193) À quoi renvoie ? À concevoir — —, comme on le juge habituellement, faisant ainsi de l'imagination et du jugement deux aspects de la conception? Cela fait contresens avec le chapitre précédent, où on a rattaché comme leurs suites naturelles l'imagination au sens et le jugement à la conception intellectuelle. Il me semble que c'est plutôt aux deux à la fois — et — pris comme contexte d'ensemble. (194) — , en rapport avec , imagination. Je fais exception, ici, en traduisant par image, puisque le texte grec table justement sur la similitude de racine. Voir, supra, note 50. 162 (195) Voir supra, note 137, en rapport à 427a20. (196) (197) (198) Boèce ajoute: «… viventibus et non orbatis», chez les vivants non mutilés. (199) (200) Boèce traduit dormientibus. (201) Boèce traduit fides. Cependant, il ne s'agit pas de foi, de persuasion ou de conviction dans la connotation affective que ces adhésions comportent; il s'agit simplement du fait que l'intelligence se prononce, adhère à l'une des contradictoires comme vraie. Comparer: « .» (Réf. soph., 2, 165b3) Le disciple adhère nécessairement aux principes, non pas qu'il croie et fasse confiance au maître, mais que l'évidence le contraint à adhérer, ne laissant aucune place à questionner son contenu. (202) Comme pour la à laquelle il s'agit de mener, il ne s'agit pas ici strictement de persuader, avec tout le recours affectif impliqué, mais simplement du fait de fournir à l'intelligence des raisons; l'intelligence ne peut pas adhérer sans motif rationnel. Voir supra la note 201. (203) , apparaître à l'imagination. 163 (204) Léonine: hic incipit. Marietti: incipit. (205) Léonine: inquirit quid sit phantasia. Marietti: prosequitur intentum. (206) Léonine: non est. Marietti: phantasia non est. (207) Léonine: vel. Marietti: et. (208) Aliquid apparibile. (209) Léonine: phantasiam. Marietti: phantasmata. (210) Léonine: nam. Marietti: non. (211) Nam apparere est aliquid discernere, qu'une chose apparaisse [à l'imagination], c'est la distinguer. (212) Voir supra, note 137, à propos de , traduit ici par discernere. (213) Léonine: vel. Marietti: et. (214) L'intelligence, , ne serait-elle pas encore, dans ce contexte, la conception, la simple appréhension, en rapport à ce que signifie , depuis le début? Car elle aussi est exempte d'erreur, et on comprend plus facilement la possibilité de confondre l'imagination avec elle qu'avec l'intelligence des principes. (215) Léonine: opinione. Marietti: positione. (216) Léonine: sentire. Marietti: sensus. (217) Léonine: sensus actum. Marietti: sensus in actu. (218) Léonine: operationibus. Marietti: operatione. (219) Léonine: non respondet res. Marietti: non respondet. (220) Léonine: secundum certitudinem. Marietti: cum certitudine. (221) Léonine: enim. Marietti: autem. (222) Léonine: secundum actum. Marietti: in actu. (223) Phantastica visio. On aurait attendu phantasia, l'imagination. (224) Ou la simple conception. Voir supra, note 214 (225) Léonine: intellectus enim primorum principiorum, et scientia. Marietti: intellectus enim est primorum principiorum, et scientiarum. (226) Léonine: neque est scientia, neque intellectus. Marietti: non est intellectus, neque scientia. (227) Léonine: consequitur. Marietti: sequitur. (228) Fides, en traduction de . À comprendre purement comme l'acte de l'intelligence qui adhère, sans connotation d'une pression affective. Voir supra, note 201. (229) Léonine: non enim videtur esse contingens. Marietti: non enim videtur esse conveniens. (230) Quod aliquis sit persuasus. Boèce a traduit par suasum esse. Mais il faut se rappeler qu'il s'agit tout simplement de fournir des motifs rationnels d'adhérer, sans les pressions affectives liées au contexte rhétorique où ce terme est le plus souvent employé. Voir supra, note 201. (231) Léonine: proponit. Marietti: ponit. (232) Léonine: concludens. Concludit ergo quod. Marietti: concludens, quod. (233) Léonine: magis videtur convenire cum. Marietti: magis videtur communicare cum. (234) Apparere aliquid secundum phantasiam, le fait qu'une chose apparaisse à l'imagination. (235) Léonine: id idem. Marietti: aliquid idem. (236) Léonine: secundum se. Marietti: per se. (237) Léonine: igitur. Marietti: enim (238) Apparitio (239) Léonine: amittit. Marietti: abiicit. (240) Léonine: immutatus. Marietti: immutatur. (241) Léonine: aliquam. Marietti: aliam. (242) Léonine: quod contingeret. Marietti: quod tamen contingeret. (243) Léonine: apparitione. Marietti: opinione. (244) Boèce a traduit , changé, par transcendens. (245) Léonine: mutaret opinionem. Marietti: mutaretur opinio. (246) Léonine: aliquid. Marietti: quid. (247) Léonine: composita. Marietti: compositum. (248) Boèce traduit : «Phantasia ipsa motus qui…» (249) Léonine: ponit. Marietti: proponit. (250) Léonine: in eo. Marietti: eo. (251) Léonine: proponit. Marietti: ponit. (252) Léonine: anima sentiens. Marietti: sentiens. (253) Léonine: proponit. Marietti: ponit. (254) Léonine: quod motus causatus. Marietti: quia motus causatur. (255) Léonine: id. Marietti: illud. (256) Léonine: similis. Marietti: similis est. (257) Léonine: nisi sola phantasia. Marietti: nisi phantasia. (258) Léonine: relinquitur. Marietti: relinquitur ergo. (259) Léonine: sit. Marietti: erit. (260) Léonine: contingat. Marietti: continget. (261) Léonine: facere. Marietti: agere. (262) Léonine: eam esse. Marietti: esse. (263) Léonine: quare. Marietti: eius quod dixerat, quod. (264) Léonine: falsa et quandoque vera. Marietti: vera ete quandoque falsa. (265) Léonine: ad veritatem et falsitatem. Marietti: ad veritatem. (266) Léonine: a. Marietti: in. 169 (267) Léonine: hoc quod videtur. Marietti: quod videtur. (268) Les qualités sensibles sont des accidents, certes, mais , dans la phrase d’Aristote, désigne plutôt leurs sujets, et signale leur rapport accidentel avec l’objet propre du sens. (269) Léonine: est falsitas sensus. Marietti: est falsus sensus. (270) Léonine: primus. Marietti: omnis. (271) Léonine: sensu. Marietti: motu. (272) Léonine: ad. Marietti: quantum ad. (273) Léonine: qui scilicet. Marietti : qui. (274) Léonine: maxime sunt falsi in absentia sensibilis, quando est procul. Marietti: magis sunt falsi in absentia sensibilis, quam sunt quando sunt procul. (275) Léonine: utrum autem. Marietti: ulterius autem quod. (276) Léonine: hic non determinat. Marietti: hoc non determinat. 170 (277) Le terme grec qui présente ces sens serait plutôt . est un adjectif qui signifie brillant, évident et un nom qui désigne une lampe. (278) Léonine: apud. Marietti: ad. (279) Léonine: in defectu. Marietti: propter defectum. (280) Léonine: qui. Marietti: quia. (281) Léonine: aut aliquid huiusmodi, quando est ita fortis quod obnubilat intellectum. Marietti: aut aliquid huiusmodi. (282) Léonine: et. Marietti: vel. (283) Léonine: et a somno. Marietti: in somno. (284) Léonine: apparitionem phantasticam. Marietti: apprehensionem phantasticam. 285. , variantes de et . Voir supra, notes 136, 137, 141 et 142. 286. Léonine: primo. Marietti: in prima. 287. Léonine: secundo. Marietti: in secunda. 288. Léonine: secundo. Marietti: secundum. 289. Léonine: dicit. Marietti: ostendit. 290. Léonine: dicit ergo primo. Marietti: dicit ergo. 291. Sapere et intelligere. Voir supra, note 146. 292. Léonine: quod differentiat. Marietti: quod differentia est. 293. Léonine: adinvicem. Marietti: abinvicem. 172 294. Léonine: ad alia. Marietti: ab aliis. 295. Léonine: primo. Marietti: primum. 296. Léonine: ex cuius suppositione. Marietti: ex huiusmodi suppositione. 297. Léonine: oportet, …, similiter se habere intellectum. Marietti: oportet, quod … similiter se habeat intellectivum. 298. Léonine: circa intellectum. Marietti: de intellectu. 299. Léonine: intelligibilia. Marietti: intelligens. 173 300. Léonine: sed primum. Marietti: et quidem. 301. Léonine: suo imperio. Marietti: ut suo imperio. 302. Léonine: qui omnia intelligit. Marietti: quo anima intelligit. 303. Léonine: nobis opportunum. Marietti: opportunum. 304. Léonine: idem. Marietti: illud. 305. Léonine: oportet quod. Marietti: necesse est quod. 306. Léonine: percipere. Marietti: recipere. 307. Léonine: claudet ad inspectionem. Marietti: concludet ab inspectione. 308. Léonine: vel tantum qualitatum accidentium. Marietti: vel omnium qualitatum et accidentium. 309. Léonine: hoc esse verum. Marietti: quod esset hoc verum. 310. Quo anima opinatur et intelligit, par laquelle l’âme se forme une opinion et conçoit. Saint Thomas continue d’être tributaire de Boèce, qui traduit avec opinari. Mais le contexte est clairement l’opposition entre simple appréhension et jugement, non entre opinion et intelligence plus sûre. Voir supra, note 142. 311 Léonine: dei. Marietti: divino. 312 Léonine: actus. Marietti: intellectus. 313. Léonine: quod sequetur quod erit aliquis qualis. Marietti: qualis enim aliquis utique fiet 314. Léonine: aut calidus aut frigidus. Marietti: actu calidus aut frigidus. 315. Léonine: hic. Marietti: hoc. 316. Léonine: non per se patiatur. Marietti: non patiatur 317. Léonine: organis. Marietti: organo. 318. Léonine: sentire. Marietti: audire. 319. Léonine: ab excellentia. Marietti: ob excellentiam. 320. Léonine: secundum esse acorpore separatum. Marietti: esse a corpore separatum. 321. Intelligit. Le mot est pris ici dans un sens général qui recouvre toutes les opérations de l’intelligence. 322. Léonine: ballivus. Marietti: balivus. 323. Léonine: aliquid formaliter aliquo operatur. Marietti: aliquid formaliter operatur per aliquid. 324. Léonine: impossibile est quod illud, quo aliquid agit formaliter, sit separatum ab eo secundum esse ; impossibile est igitur quod intellectus possibilis quo homo intelligit quandoque quidem in potentia quandoque autem in actu sit separatus ab eo secundum esse. Marietti: impossibile est quod illus, quo aliquid agit formaliter, sit separatum ab eo secundum esse. 325. Léonine: positionis. Marietti: opinionis. 326. Léonine: intellectum. Marietti: intellectus. 327. Léonine: abstracta. Marietti: abstracta et remota. 328. Voici comment s’analyse ce sophisme de l’accident: «Les phantasmes font d’une certaine manière un avec l’espèce intelligible», soit la majeure: l’espèce intelligible a pour sujet le phantasme en nous; «L’espèce intelligible fait un avec l’intellect possible», soit la mineure: l’espèce intelligible est la forme de l’intellect possible; d’où: «L’intellect possible fait un avec les phantasmes», soit la conclusion: la forme de l’intellect possible a pour sujet le phantasme en nous. Ce qui donne, en forme plus facile à visualiser: L’espèce intelligible a pour sujet le phantasme en nous L’espèce intelligible est la forme de l’intellect possible La forme de l’intellect possible a pour sujet le phantasme en nous La majeure est manifestement la pensée d’Aristote. La mineure en découle aussi nécessairement, puisque la définition de la forme — ce par quoi on devient en acte — convient à l’espèce intelligible, en regard de l’intellect possible: Ce par quoi l’intellect possible devient en acte est la forme de l’intellect possible L’espèce intelligible est ce par quoi l’intellect possible devient en acte L’espèce intelligible est la forme de l’intellect possible Le problème de l’argument principal, qui en fait un sophisme de l’accident, est que, dans la majeure, l’espèce intelligible est prise en puissance, dans sa composition concrète avec le phantasme, tandis que, dans la mineure, elle est prise en acte, faisant donc abstraction du phantasme et éloignée de lui. 329. Léonine: Aristotelis. Marietti: Philosophi. 330. Léonine: Aristoteles. Marietti: Philosophus. 331. Le terme est utilisé comme synonyme de , concevoir, la première opération de l’intelligence : abstraire du sensible une représentation. À la différence de son synonyme, toutefois, il est assez commun aussi pour désigner l’opération analogue du sens. Voir supra, note 137. 332. Ce passage est si concis que sa grammaire prête à un complet contresens, comme chez Bodéüs. Comme la chair n’existe pas sans matière sensible individuée, l’intervention du sens est incontournable; mais l’essence de la chair s’abstrait de la matière individuelle et fait l’objet de l’intelligence. Il y a donc occasion que chaque objet soit connu respectivement par le sens et l’intelligence, séparément. Mais comme notre connaissance implique aussi une comparaison entre les deux, il faut qu’on soit à même de saisir les deux avec la même puissance; ce sera le fait de l’intelligence qui, dans sa démarche directe, saisit l’essence de la chair, mais qui a pouvoir de se retourner vers le principe de cette appréhension, vers les phantasmes qui y ont conduit, et de connaître ainsi elle aussi de quelque façon la chair même, l’individu. — Le contresens, que fait Bodéüs par exemple, c’est lire que la puissance qui saisit l’essence «pourrait n’être pas séparée du sensitif qui perçoit la chair, mais constituée par une autre disposition de celui-ci, qui, redressée en quelque sorte, comme peut l’être la ligne brisée, mesurerait désormais ce que le sensitif ne pouvait faire» (p. 225, note 3). Bodéüs complète le contresens en faisant dire à Aristote que «l’intelligence de l’âme n’est séparable du sens qu’en raison» (ibid.). Barbotin fait le même contresens, quoique plus confusément: après avoir dit que c’est avec le sens qu’on distingue la chair, il ajoute que «c’est ou bien par une autre faculté séparée, ou par la même faculté placée, à l’égard d’elle-même, dans la relation que soutient la ligne brisée une fois redressée avec la ligne brisée elle-même, qu’on juge de l’essence formelle de la chair» (p. 80). — La difficulté est d’abord grammaticale. , avec une puissance différente (429b16), doit conclure ce qui précède: en attribuant au sens de percevoir la chair, on l’attribue à une puissance différente de l’intelligence. Barbotin et Bodéüs le rattache au contraire à ce qui suit, comme annonce que c’est à une puissance différente du sens qu’il faudra attribuer de saisir l’essence. Il en va de même pour la disjonction qui suit: , c’est séparée de l’intelligence, et l’image de la ligne s’applique encore à l’intelligence: c’est elle qui peut comme se recourber sur sa démarche et retourner à son origine sensible. Jusque là, c’est toujours à la perception de la chair elle-même qu’on en a, considération qui se termine à , qu’un point devrait séparer de la suite. « » a comme sens que dans sa démarche directe, quand elle se redresse, l’intelligence se porte vers l’appréhension de l’essence de la chair. 333. Léonine: quomodo. Marietti: quod. 334. Léonine: primo ergo ostendit quomodo intellectus aliquando fit in actu. Marietti: ostendit iditur quomodo intellectus in actum reducatur. 335. Léonine: tunc dicitur. Marietti: et tunc dicitur. 336. Léonine: operationem. Marietti: operatione. 337. Léonine: intelligere. Marietti: ipsum intelligere. 338. Léonine: sicut sciens. Marietti: sicut sciens habet habitum. 339. Léonine: sicut erat. Marietti: sicut prius erat. 179 340. Léonine: intellectus reductus in actum specierum per modum quo scientia actus est, adhuc est potentio intellectus. Marietti: intellectus reducitur in actum specierum, per modum, quo sciens actu adhuc est in potentia intelligens. 341. Léonine: hominis albi. Marietti: hominis. 342. Léonine: quod in eis. Marietti: quia in eis. 343. Léonine: sed. Marietti: sicut. 344. Léonine: magnitudini esse. Marietti: magnitudinis esse. 345. Léonine: simum. Marietti: simul. 346. Léonine: materiam. Marietti: naturam. 347. Léonine: cognoscatur alio caro, et quod quid est carnis. Marietti: cognoscitur caro, et quod quid est carnis. 348. Léonine: singulare. Marietti: particulare. 349. Léonine: directe extendendo se in ipsam. Marietti: directe extendendo seipsum. 350. Léonine: redit supra phantasmata. Marietti: redit super phantasmata. 351. Léonine: nasus. Marietti: simum. 352. Léonine: exempli causa. Marietti: exempli causa cum Platone. 353. Léonine: puncti. Marietti : lineae. 354. Léonine: aut. Marietti: omis. 355. Léonine: credere. Marietti: dicere. 356. Léonine: a materia. Marietti: a materia sensibili. 182 357. Léonine: quo intellectus intelligit. Marietti: quo intelligit. 358. Léonine: et. Marietti: enim. 359. Léonine: super se ipsum rreflectitur. Marietti: in seipsum reflectitur. 360. Léonine: vanam. Marietti: nullam. 361. Autre tentative d’intégrer l’idée de fin à la traduction de
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