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table des matières de l'oeuvre d'Aristote

 

ARISTOTE

 

Thomas d’Aquin

 

Commentaire au traité de l’âme 

 

Livre I Livre I (suite) Livre II Livre II (suite) Livre III

LIVRE II (2ème partie) 

traduction par Yvan Pelletier

2000

Site http://www.thomas-d-aquin.com/

Yvan Pelletier Yvan Pelletier (né en 1946) est professeur titulaire à la Faculté de philosophie de l'Université Laval, où il enseigne depuis 1975 et où il a complété sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant à l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abbé Jasmin Boulay et de MM. Warren Murray, Alphonse Saint-Jacques et quelques autres professeurs d'une tradition aristotélico-thomiste initiée à cette faculté par M. Charles De Koninck. Son enseignement est agencé de façon à offrir aux étudiants du baccalauréat une présentation des principes fondamentaux et de la méthode de chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective aristotélicienne : éthique, politique, physique, métaphysique - et aux étudiants de maîtrise et doctorat une réflexion critique sur les éléments du credo contemporain - démocratie, nouvelle morale, logique symbolique, dissociation de l'être et du devoir, primauté de la conscience, etc. - à partir de ces principes fondamentaux.   

 


 

Leçon  11

#358. — Le Philosophe a montré que le sens est tantôt en puissance tantôt en acte (260); maintenant, il entend montrer comment il passe de la puissance à l'acte. Cela se divise en deux parties: dans la première, il distingue puissance et acte, et il montre comment on passe de plusieurs manières de la puissance à l'acte, en usant de l'intelligence comme exemple (261); dans la seconde partie (417b16), il montre son propos concernant le sens. Sur le premier point, il développe trois points: en premier, il dit quelle est son intention; en second (417a22), il distingue la puissance et l'acte concernant l'intelligence; en troisième (417a30), il montre comment on passe à l'acte de l'une et l'autre puissance (262). On doit effectuer une division de (263) la puissance et de l'acte, commence-t-il, c'est-à-dire, on doit montrer de combien de manières on dit une chose en puissance, et de combien de manières en acte.  Cette distinction est rendue nécessaire du fait qu'antérieurement (#352-357) on a fait usage de la puissance et de l'acte de manière absolue, c'est-à-dire sans distinction.

#359. — Ensuite (417a22), il distingue la puissance et l'acte concernant l'intelligence. On dit une chose en puissance (264) d'une manière, dit-il, comme on dit que l'homme est savant parce qu'il a une puissance naturelle à savoir, et de la sorte on le dit du nombre des savants et de ceux qui détiennent la science pour autant qu'il a la nature pour savoir et pour développer l'habitus de science. On dit d'une seconde manière qu'on sait des choses (265), comme lorsque nous disons que celui qui détient l'habitus d'une science, par exemple de la grammaire, est savant de fait (266).

#360. — On dit de l'un et de l'autre qu'il est savant du fait qu'il peut quelque chose, c'est manifeste; mais ce n'est pas de la même manière que l'un et l'autre ont la puissance de savoir. Au contraire, on dit que le premier a la puissance de savoir parce qu'il est un genre et une matière de telle sorte, c'est-à-dire parce qu'il a une capacité naturelle de savoir qui nous le fait placer dans tel genre, et parce qu'il est en puissance pure (267) à la science, comme la matière l'est à la forme. Quant au second, à savoir, celui qui détient l'habitus de la science, on dit qu'il a puissance parce que, quand il le veut, il peut se représenter son objet (268), si rien d'extrinsèque ne l'en empêche par accident; par exemple, soit une occupation extérieure, soit une indisposition de la part du corps.

#361. — Quant au troisième, celui qui se représente de fait son objet (269), il est en acte. C'est lui qui sait proprement et parfaitement ce qui relève d'un art, par exemple la lettre “A”, qui relève de la grammaire, dont il a fait mention plus haut (#216) (270). Entre ces trois-là, donc, le dernier est en acte seulement, le premier est en puissance seulement, et le second est en acte en regard du premier, mais en puissance en regard du troisième (271). Il est manifeste, par là, qu'on attribue de deux manières d'être en puissance, à savoir, comme au premier et au second; et qu'on attribue de deux manières d'être en acte, à savoir, comme au second et au troisième.

#362. — Ensuite (417a30), il montre, pour l'une et l'autre puissance, comment elle se trouve réduite à l'acte. À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre comment, dans le cas de l'une et l'autre puissance, quelque chose se trouve réduit à l'acte; en second (417b2), il montre si pareille réduction se fait en rapport à une affection. Les deux premiers, commence-t-il, sont savants en puissance, et ce qui est en puissance finit par se trouver réduit à l'acte; mais c'est de manières différentes qu'on (272) se trouve réduit à l'acte de la puissance première et de la seconde. Car qui (273) est en puissance de la première manière se trouve réduit à l'acte en se trouvant comme altéré par un enseignement, et mû par quelqu'un d'autre qui soit déjà en acte, par exemple par un maître; et bien des fois, pareil changement est issu de l'habitus contraire. La raison pour laquelle il précise cela, c'est que lorsqu'on se trouve réduit de la puissance première à l'acte, on devient savant alors qu'on était ignorant.

#363. — Ignorant, toutefois, cela se dit de deux manières: d'une manière selon une négation simple, quand on n'est ni forcé par la vérité (274) ni non plus bloqué par l'erreur contraire: celui qui est ignorant de cette manière devient savant en acte non pas comme (275) se trouvant mû à partir de l'habitus contraire, mais seulement comme acquérant la science. Mais on dit quelqu'un ignorant d'une autre manière, suivant une mauvaise disposition, du fait, par exemple, qu'on soit retenu par l'erreur contraire à la vérité concernée; alors, on se trouve réduit à l'acte de la science comme en s'y trouvant mû à partir de l'habitus contraire.

#364. — Par contre, celui qui est en puissance de la seconde manière, à savoir, de manière à ce qu'il détienne de fait l'habitus, passe du fait qu'il détient le sens ou la science, mais ne s'en sert pas (276), à ce qu'il s'en serve (277), car, c'est-à-dire, il se met à exercer sa science (278). C'est donc d'une manière qu'il devient en acte et d'une autre manière que le premier le devenait.

#365. — Ensuite (417b2), il manifeste si on peut dire qu'on est affecté, quand on passe de la puissance à l'acte de la science de la première ou de la seconde manière. À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre de combien de manières on parle d'être affecté; en second (417b5), il manifeste son propos. De même, commence-t-il, que la puissance et l'acte ne s'attribuent pas de manière simple, mais multiple, de même aussi être affecté ne s'attribue pas non plus d'une manière unique, mais multiple. On attribue d'être affecté d'une première manière en rapport à une corruption issue du contraire. L'affection proprement dite, en effet, implique manifestement un dommage (279) pour celui qui se trouve affecté, dans la mesure où son agent l'emporte sur lui. Or il se produit un dommage (280) pour celui qui est affecté pour autant qu'il se fait enlever quelque chose. Cet enlèvement est une espèce de corruption pour lui: soit absolument, comme quand c'est sa forme substantielle qu'il se fait enlever; soit sous quelque rapport, comme quand c'est une forme accidentelle qu'il se fait enlever. Pareil enlèvement d'une forme se fait par un agent contraire, car une forme se fait enlever d'une matière ou d'un sujet par l'introduction d'une forme contraire, ce qui est l'œuvre d'un agent contraire. De la première manière, donc, on parle proprement d'affection, en rapport à une corruption issue du contraire.

#366. — On parle d'une autre manière d'affection, communément et moins proprement (281), dans la mesure où elle implique une espèce de réception. Mais ce qui est réceptif d'autre chose se compare à lui comme la puissance à l'acte; et l'acte est la perfection de la puissance. C'est pourquoi de cette manière on parle d'affection non en ce qu'il se produit une espèce de corruption de celui qui se trouve affecté, mais plutôt en ce qu'il se produit le salut, c'est-à-dire (282) la perfection, de celui qui est en puissance, par l'œuvre de celui qui est en acte. En effet, ce qui est en puissance ne se trouve parfait que par ce qui est en acte (283). Or ce qui est en acte n'est pas contraire à ce qui est en puissance, en tant que tel, mais plutôt semblable, car la puissance n'est rien d'autre qu'une espèce d'ordonnance à l'acte. Or à moins qu'il n'y ait une ressemblance entre puissance et acte, il ne serait pas nécessaire que l'acte approprié advienne à la puissance appropriée. L'affection (284) ainsi attribuée, donc, n'est pas issue du contraire, comme l'affection (285) dite de la première manière, mais elle est issue du semblable, de la manière dont la puissance se rapporte à l'acte selon une ressemblance.

#367. — Ensuite (417b5), il manifeste si ce qui passe de la puissance à l'acte de la science se trouve affecté. En premier, il le manifeste concernant ce qui passe de la seconde puissance à l'acte pur; en second (417b12), il le manifeste concernant ce qui passe de la puissance première à l'habitus.  Celui qui a la science, commence-t-il, c'est-à-dire qui sait habituellement, se met à se représenter en acte son objet (286). Cependant, cela n'est pas (287) vraiment et proprement être altéré et affecté, car, comme on l'a dit (#365-366), il n'y a pas proprement affection et altération quand on passe de la puissance à l'acte, mais quand on est mû du contraire au contraire. Or lorsque celui qui sait habituellement se met à se représenter en acte son objet, il ne change pas de contraire à contraire, mais se trouve parfait (288) en ce qu'il a déjà. C'est ce qu'il veut dire avec: «c'est un progrès vers soi-même et vers son acte». En effet, on lui ajoute une perfection dans la mesure où il passe à l'acte. Ou bien si on dit qu'il se trouve altéré et affecté, ce sera l'autre genre d'altération et d'affection, pas attribuée proprement. Il manifeste cela encore par un exemple: il ne convient pas, dit-il, d'affirmer qu'un sage par habitus se trouve altéré quand il se trouve dans l'acte d'exercer sa sagesse, comme nous ne disons pas non plus qu'un constructeur se trouve altéré quand il construit.

#368. — Celui qui passe de l'habitus à l'acte, conclut-il par la suite, ne reçoit pas à neuf la science, mais progresse et se parfait en ce qu'il a déjà. Se faire enseigner, par contre, c'est recevoir (289) la science. Lorsque, donc, on fait passer (290) quelqu'un de la puissance à l'acte en ceci qu'on fait qu'il commence (291) à faire acte d'intelligence et de sagesse, il n'est pas correct que pareil passage de la puissance à l'acte ait dénomination d'enseignement. Il peut néanmoins en avoir une autre, qui peutêtre n'a pas encore été mais attend d'être instituée.

#369. — Ensuite (417b12), il manifeste si on est altéré et affecté quand on passe de la première puissance à l'acte de la science. Alors qu'on se trouve seulement en puissance savant, dit-il, lorsqu'on se met à apprendre et à recevoir la science de la part de celui qui est savant en acte, c’est-à-dire du maître, on doit dire ou bien qu'on n'est pas affecté et altéré de manière absolue, ou bien qu'il y a deux manières dont se produit l'altération. L'une correspond à «un changement vers des dispositions privatives», c'est-à-dire vers des dispositions contraires, par lesquelles on soit privé de dispositions antérieures (292), car l'un des contraires est la privation de l'autre. L'autre correspond à «un changement vers les habitus et la nature» (293), c'est-à-dire selon lequel on reçoive des habitus, et des formes qui constituent des perfections de sa nature, sans qu'on se fasse enlever quoi que ce soit. Celui donc, qui apprend une science ne se trouve pas altéré ni affecté de la première manière, mais de la seconde.

#370. — Cela, toutefois, semble bien être contraire à ce qu'il a dit plus haut (#363), que bien des fois celui qui apprend la science se trouve changé à partir d'un habitus contraire; car ainsi il semble qu'il s'agisse d'altération selon un changement vers des dispositions privatives. Cependant, doit-on répliquer, lorsqu'on se trouve ramené de l'erreur à la science de la vérité, il y a sans doute là une ressemblance avec l'altération qui va d'un contraire à l'autre, mais il n'y a pas de fait pareille altération. En effet, à l'altération qui va d'un contraire à l'autre, l'un et l'autre sont impliqués par soi et essentiellement: qu'à la fois on parte du contraire et qu'on aille au contraire. Par exemple, de même qu'il n'y a blanchissement que vers le blanc, de même il n'y en a qu'à partir du noir, ou d'un intermédiaire, lequel, en regard du blanc, est d'une certaine manière du noir. Par contre, dans l'acquisition de la science, il est accidentel que celui qui acquiert la science de la vérité se soit d'abord trouvé dans l'erreur; car on peut sans cela être amené à la science de la vérité; aussi ne trouve-t-on pas vraiment là d'altération d'un contraire à l'autre.

#371. — En outre, on fait une difficulté de ce qu'il dit, que celui qui reçoit la science devient savant en acte par l'action d'un savant en acte et d'un maître. En effet, cela n'arrive pas toujours, car on acquiert la science non seulement en l'apprenant d'un maître, mais aussi en la découvrant par soi-même. Cependant, doit-on répliquer à cela, il faut toujours, quand on est savant en puissance (294), si on devient savant en acte, que cela ait lieu par l'action de ce qui est en acte. Toutefois, doit-on prendre en considération, une chose se trouve parfois réduite de la puissance à l'acte par un principe extrinsèque seulement: l'air, par exemple, se trouve illuminé par ce qui se trouve en acte lumineux. Parfois, par contre, c'est à la fois par un principe intrinsèque et par un principe extrinsèque (295): l'homme, par exemple, guérit à la fois grâce à la nature et grâce au médecin; mais dans les deux cas il guérit grâce à la santé en acte. Car il est manifeste que dans l'esprit du médecin se trouve la définition de la santé, et que c'est d'après elle qu'il guérit. Il faut aussi que chez celui qui guérit grâce à la nature il se trouve une partie saine, à savoir, le cœur, dont le pouvoir guérisse les autres parties. Et quand le médecin guérit, il guérit de la manière dont la nature guérirait, à savoir, en réchauffant, ou en refroidissant, ou en introduisant un autre changement. Ainsi, le médecin ne fait rien d'autre que d'aider la nature à expulser la maladie; et la nature n'aurait pas besoin de son aide, si elle était assez forte.

#372. — Il en va de la même manière dans l'acquisition de la science. En effet, on acquiert la science à la fois grâce à un principe intrinsèque, quand on découvre, et grâce à un principe extrinsèque, quand on se fait enseigner. Mais dans l'un et l'autre cas on est réduit de la puissance à l'acte par l'action de ce qui est en acte. En effet, avec la lumière de l'intelligence active, on connaît tout de suite en acte les premiers principes connus naturellement; et quand on aboutit aux conclusions à partir d'eux, du fait de savoir en acte, on parvient à la connaissance actuelle de ce qu'on savait en puissance. C'est de la même manière que celui qui enseigne de l'extérieur aide à savoir; c’est-à-dire, partant des principes connus du disciple, il le conduit par la démonstration à des conclusions d'abord ignorées. Mais cette aide de l'extérieur ne serait pas nécessaire, si on était d'intelligence à ce point perspicace qu'on puisse par soi-même aboutir des principes connus aux conclusions, perspicacité qui est plus ou moins présente chez chacun.

Chapitre 5 (417b16-418a6) 417b16 Pour le sensitif, par ailleurs, le premier changement est le fait de son générateur; une fois engendré, il sent déjà, mais à la manière dont on sait quand on a une science. Quant à sentir en acte, cela se compare à penser (296). 417b19 Il y a cette différence, toutefois, que ce qui produit cet acte vient de l'extérieur: c'est le visible et l'audible, et pareillement le reste des sensibles. La raison en est que la sensation en acte porte sur les singuliers et la science sur les universels; or ces derniers sont en quelque sorte dans l'âme elle-même. C'est pourquoi penser (297) dépend de soi, on le fait quand on veut, mais sentir ne dépend pas de soi, car il y faut la présence du sensible. Il en va d'ailleurs pareillement pour les sciences qui portent sur les sensibles, et pour la même raison: les sensibles sont les singuliers et ils résident à l'extérieur. Mais l'occasion de fournir des éclaircissements à ce sujet se représentera plus tard. 417b30 Précisons au moins, pour le moment, qu'en puissance ne se dit pas d'une seule manière; au contraire, cela se dit, d'une manière, comme nous dirions que l'enfant peut diriger l'armée et, de l'autre, comme nous le dirions de celui qui en est en âge. La même distinction vaut pour le sensitif. Il n'existe toutefois pas de noms pour exprimer la différence entre ces manières de pouvoir, alors qu'on vient de déterminer qu'elles sont différentes et comment elles le sont. Il nous faut donc parler d'être affecté et d'être altéré comme s'il s'agissait de dénominations appropriées. Ainsi, le sensitif est en puissance pareil au sensible déjà en acte, comme nous l'avons dit. Il est donc affecté du fait qu'il n'est pas pareil, mais une fois affecté il s'y assimile et lui devient pareil.

Leçon  12

#373.— Auparavant, le Philosophe a distingué la puissance et l'acte, et il a montré comment, en ce qui concerne l'intelligence, on passe de la puissance à l'acte. Ce qu'il disait de l'intelligence, il l'adapte au sens. À ce propos, il développe trois points: en premier, il montre comment, en ce qui concerne le sens, on est réduit de la puissance à l'acte; en second (417b19), il montre la différence entre le sens et l'intelligence; en troisième (417b30), il rassemble sous forme d'épilogue ce qu'il a dit du sens. Sur le premier point, donc, on doit tenir compte qu'il y a, dans la science, deux puissances et deux actes, et qu'il en va de même aussi en ce qui concerne le sens. En effet, ce qui n'a pas encore le sens et est de nature à l'avoir est en puissance au sens. Et ce qui a déjà le sens mais ne sent pas encore sent en puissance, comme on disait en ce qui concerne la science (#359). Or on est mû de la puissance première à l'acte premier quand on acquiert la science par l'enseignement; de même, partant de la puissance première au sens, on est mû à l'acte, quand on reçoit le sens par la génération. C'est que le sens appartient naturellement à l'animal; aussi, de même qu'il acquiert par la génération sa nature propre et son espèce, de même acquiert-il le sens. Il en va autrement toutefois de la science, qui n'appartient pas à l'homme par nature mais s'acquiert par la découverte et l'enseignement (298).

#374. — C'est ce qu'il dit, donc, en affirmant que pour le sensitif le premier changement lui vient de son générateur. Il nomme (299) alors premier changement celui qui va de la pure puissance à l'acte premier. Or ce changement vient du générateur; car c'est par la force présente dans la semence que l'âme sensible se voit réduite de la puissance à l'acte avec toutes ses puissances. Une fois, ensuite, que l'animal se trouve désormais engendré, il possède alors le sens de la manière dont on a la science une fois qu'on l'a apprise. Par contre, quand ensuite on sent en acte, on est alors dans le rapport de celui qui pense en acte (300).

#375. — Ensuite (417b19), puisqu'il a présenté la ressemblance entre sentir en acte et penser, il veut montrer la différence entre les deux. C'est d'ailleurs la cause de cette différence qu'il commence à donner, en partant de la différence entre leurs objets, à savoir, entre les sensibles sentis en actes et les intelligibles pensés en acte. Car les sensibles qui sont les agents de l'opération sensible — le visible et l'audible, et autres pareils — sont en dehors de l'âme. La cause en est que les sens en acte portent sur les singuliers, qui se trouvent en dehors de l'âme, tandis que la science porte sur les universels, qui se trouvent d'une certaine manière dans l'âme. De là il appert que celui qui a déjà la science n'a pas besoin de chercher au dehors ses objets, mais les détient en lui-même; aussi peut-il y penser dès qu'il le veut, sauf éventuellement s'il s'en trouve empêché par accident. Par contre, on ne peut sentir dès qu'on veut, parce qu'on n'a pas les sensibles en soi et qu'ils doivent se présenter de l'extérieur.

#376. — Il en va ainsi de l'opération des sens et il en va de même dans les sciences des sensibles, car les sensibles aussi sont du nombre des singuliers et de ce qui se trouve en dehors de l'âme. En conséquence, on ne peut penser, en science, à tous les sensibles qu'on veut, mais seulement à ceux que l'on perçoit avec le sens. Mais il y aura encore occasion d'en traiter avec certitude, à savoir, au troisième livre (#622-636; 671-699; 765-778), quand il s'agira de l'intelligence, et de la comparaison de l'intelligence au sens.

#377. — Quant à ce qu'on dit ici, on doit examiner pourquoi le sens porte sur les singuliers et la science sur les universels, et comment les universels se trouvent dans l'âme. Sur le premier point, donc, doit-on savoir, le sens est une faculté inhérente à un organe corporel, tandis que l'intelligence est une faculté immatérielle, qui n'est pas l'acte d'un organe corporel. Or toute chose est reçue en une autre à la façon de cette dernière et non à sa propre façon (301). Et toute connaissance se produit du fait que l'objet connu devienne présent de quelque manière en ce qui le connaît, à savoir, par similitude. En effet, la faculté qui connaît en acte est l'objet même connu en acte. Nécessairement, donc, le sens reçoit corporellement et matériellement (302) une similitude de la chose sentie. Et l'intelligence, quant à elle, reçoit incorporellement et immatériellement une similitude de ce qu'elle intellige. Or l'individuation d'une nature commune dans les choses corporelles et matérielles provient de la matière corporelle, du fait qu'elle soit contenue sous des dimensions délimitées; par contre, l'universel s'obtient par abstraction de pareille matière et des conditions matérielles individuantes. Il est donc manifeste que la similitude de la chose reçue dans le sens représente la chose en ce qu'elle est singulière, tandis que celle reçue dans l'intelligence la représente sous la conception de sa nature universelle. C'est pour cela que le sens connaît les singuliers, tandis que l'intelligence connaît les universels, et que c'est sur eux que portent les sciences.

#378. — Sur le second point, ensuite, doit-on tenir compte, l'universel peut se prendre de deux manières: d'une manière, on peut appeler universelle la nature commune en tant qu'elle revêt l'intention d'universalité; de l'autre manière, la nature commune en elle-même. De la même façon aussi, le blanc peut se prendre de deux manières: c'est ou bien ce à quoi il échoit d'être blanc, ou bien cela même en tant qu'il revêt la blancheur (303). Par ailleurs, cette nature à laquelle advient l'intention d'universalité — par exemple: la nature humaine — a deux façons d'être: l'une, certes, est matérielle, et quant à celle-là elle existe dans une matière naturelle; mais l'autre est immatérielle, et quant à celle-là elle existe dans l'intelligence. Pour autant, donc, qu'une nature existe dans une matière naturelle, il ne peut lui advenir d'intention d'universalité, puisqu'elle est individuée par la matière. L'intention d'universalité lui advient donc pour autant qu'elle est abstraite de la matière individuelle. Cependant, il n'est pas possible qu'elle soit abstraite de la matière individuelle dans la réalité, comme les Platoniciens le soutenaient. L'homme naturel, en effet, c'est-à-dire réel, n'existe qu'en telles chairs et tels os, comme le prouve le Philosophe, Métaphysique, VII, 16. Il reste donc que la nature humaine n'existe pas en dehors de ses principes individuants, sauf seulement dans l'intelligence.

#379. — Néanmoins, l'intelligence n'est pas fausse, quand elle appréhende une nature commune sans ses principes individuants, bien qu'elle ne puisse exister sans eux dans la nature réelle. Car ce n'est pas cela qu'appréhende l'intelligence, à savoir, que la nature commune existe sans principes individuants. Elle appréhende plutôt la nature commune sans en saisir les principes individuants; et cela n'est pas faux. La première chose serait fausse: par exemple, si je séparais la blancheur d'un homme blanc de manière à penser qu'il n'est pas blanc; pareille appréhension alors serait de fait fausse. Mais si je séparais la blancheur de l'homme de manière à appréhender l'homme sans rien appréhender de sa blancheur, pareille appréhension ne serait pas fausse. C'est qu'il n'est pas exigé à la vérité de l'appréhension qu'en appréhendant une chose (304) on en appréhende tous les attributs. Ainsi donc, l'intelligence abstrait sans fausseté le genre des espèces, en tant qu'elle connaît la nature du genre sans connaître ses différences. Et pareillement, elle abstrait l'espèce des individus, en tant qu'elle connaît la nature de l'espèce, sans connaître ses principes individuels.

#380. — Il appert donc de la sorte qu'on ne peut attribuer une intention d'universalité à une nature commune que selon l'être qu'elle possède dans l'intelligence. Car une nature est unique pour plusieurs sujets seulement pour autant qu'on l'appréhende en dehors des principes par lesquels cette nature unique se trouve divisée en ces plusieurs sujets. Il reste donc que les universels, en tant qu'universels, n'existent que dans l'âme. Les natures mêmes, par contre, qui revêtent l'intention d'universalité, existent dans les choses. C'est pour cela que les noms communs qui signifient les natures mêmes s'attribuent aux individus; mais non les noms qui signifient les intentions. Socrate, en effet, est un homme, mais il n'est pas une espèce, bien que l'homme soit une espèce.

#381. — Ensuite (417b30), il rassemble ce qu'il a dit du sens. Maintenant, dit-il, on a seulement défini que ce qui est en puissance ne se dit pas d'une seule manière mais de plusieurs (305). En effet, nous disons d'une manière que l'enfant peut faire la guerre, d'après une puissance éloignée. Mais nous disons d'une autre manière qu'on peut faire la guerre, quand (306) déjà on en a atteint l'âge, et là c'est selon une puissance prochaine. Il en va pareillement avec la sensation. En effet, on est de deux manières en puissance à sentir une chose (307), comme on l'a déjà dit. Et bien qu'il n'existe pas de noms appropriés établis (308) pour marquer cette différence entre puissances (309), on a quand même établi que ces puissances sont différentes entre elles, et comment elles le sont.

#382. — De fait, on ne dit pas proprement qu'on est altéré et affecté, du fait de passer de la puissance seconde à l'acte, du fait que, par exemple (310), doté de sens, on vient à sentir en acte. Cependant, on doit parler d'être affecté et d'être altéré comme s'il s'agissait de noms appropriés et adéquats, parce que le sensitif en puissance est pareil au sensible en acte. À cause de cela, il s'ensuit que, dans la mesure où, au début, il est affecté, le sens n'est pas semblable au sensible (311); mais dans la mesure où il a déjà été affecté, il est dès lors assimilé (312) au sensible, et il est pareil à lui. C'est parce que les philosophes anciens n'ont pas su discerner cela qu'ils ont soutenu que le sens est composé des sensibles.

Chapitre 6 (418a7-25) 418a7 On doit d'abord, en ce qui concerne chaque sens, traiter des sensibles. Le sensible s'attribue de trois manières, dont nous disons que deux se sentent par soi et la troisième (313) par accident. Des deux premiers sensibles, l'un est propre à chaque sens et l'autre commun à tous. 418a11 Je dis propre celui qu'il n'est pas possible à un autre sens de sentir, et sur lequel il n'est pas possible de se tromper: par exemple, la vue porte sur la couleur, l'ouïe sur le son et le goût sur l’humeur (314). Le toucher, toutefois, juge de plusieurs différences. En tout cas, chacun juge de ces sensibles propres, et ne se trompe pas sur ce qu'il s'agit de couleur ou de son, mais sur ce qu'est l'objet coloré ou sur le lieu où il se trouve, ou sur ce qu'est l'objet sonore ou sur le lieu où il se trouve. On dit donc de pareils sensibles qu'ils sont propres à chaque sens. 418a17 Quant aux sensibles communs, ce sont le mouvement, le repos, le nombre, la figure, la grandeur. Pareils sensibles, en effet, ne sont propres à aucun sens mais communs à tous. Et de fait, un mouvement est sensible à la fois au toucher et à la vue. [Ce sont donc des sensibles par soi. (315)] 418a20 On dit qu'il y a sensible par accident, si, par exemple, le blanc est le fils de Diarès. Celuici, en effet, c'est par accident qu'on le sent, car c'est par accident qu'il s'attribue au blanc qu'on sent. C'est pourquoi aussi le sens en tant que tel n'est alors en rien affecté par le sensible. Par ailleurs, parmi les sensibles par soi, ce sont les sensibles propres qui le sont principalement, et c'est en rapport à eux que l'essence de chaque sens comporte une aptitude naturelle.

Leçon  13

#383. — Après avoir montré comment le sens se rapporte aux sensibles, le Philosophe commence à traiter du sensible et du sens. Cela se divise en deux parties: dans la première partie, il traite des sensibles; dans la seconde (424a17), du sens. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il distingue les sensibles propres des autres formes de sensibles; dans la seconde (418a26), il traite des sensibles propres en rapport à chaque sens. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il présente une division des sensibles; en second (418a11), il explique les membres de la division. Avant donc de traiter de ce qu'est le sens (316), dit-il en premier (317), il faut d'abord parler des sensibles en rapport à chaque sens, car les objets sont antérieurs aux puissances. Or c'est de trois manières qu'on attribue d'être sensible: d'une manière par accident, certes, et de deux manières (318) par soi, dont, selon l'une, on dit sensible ce qui est propre à chacun des sens et, selon l'autre, on dit sensible ce qui se trouve senti communément par tous les sens (319).

#384. — Ensuite (418a11), il explique les membres de la division. En premier, il explique ce que sont les sensibles propres. Le sensible propre, dit-il, est ce qui se trouve senti par un sens de façon qu'il ne peut être senti par un autre sens, et sur quoi le sens ne peut se tromper. Par exemple, la vue est proprement susceptible de connaître la couleur, et l'ouïe le son, et le goût le fluide (320), c’est-à-dire la saveur. Le toucher, quant à lui, a plusieurs différences qui lui sont appropriées; il connaît en effet le chaud et le froid, le sec et l'humide (321), le lourd et le léger, et beaucoup de qualités de la sorte. Or chacun de ces sens juge de ses sensibles propres et ne se trompe pas sur eux; par exemple, la vue ne se trompe pas sur ce qu'il s'agit de telle couleur (322), ni l'ouïe ne se trompe sur le son.

#385. — Concernant les sensibles par accident ou communs, par contre, les sens se trompent; par exemple, la vue se trompe, si on veut juger par elle de ce qu'est l'objet coloré, ou du lieu où il est. Et pareillement, on se trompe si on veut juger par l'ouïe de ce qu'est ce qui produit un son (323). Voilà donc les sensibles propres de chaque sens.

#386. — En second (418a17), il explique le second membre de la division. Les sensibles communs, dit-il, sont les cinq suivants: le mouvement, le repos, le nombre, la figure et la grandeur. Ces sensibles, en effet, ne sont propres à aucun sens unique, mais sont communs à tous. Ce qu'il ne faut pas comprendre comme si tous étaient communs à tous les sens; plutôt, certains d'entre eux, à savoir, le nombre, le mouvement et le repos, sont communs à tous les sens. Mais c'est le toucher et la vue qui les perçoivent tous les cinq. Ainsi donc, on a manifesté ce qui est sensible par soi.

#387. — En troisième (418a20), il explique le troisième membre de la division. On parle de sensible par accident, dit-il, quand on dit que Diarès, ou que Socrate est sensible par accident, car c'est par accident qu'il est blanc. Ce qui se sent par accident, en effet, c'est ce qui appartient par accident à ce qui se sent par soi; or il appartient par accident au blanc, qui est sensible par soi, d'être Diarès; aussi, Diarès est sensible par accident. Ainsi le sens n'est en rien affecté par cela (324) en tant que tel. Les sensibles communs et les sensibles propres sont tous par soi sensibles, mais les sensibles propres sont sensibles par soi proprement. En effet, l'essence de chaque sens et sa définition réside en ce qu'il est apte de nature à être affecté par tel sensible. Car (325) la définition de chaque puissance consiste en sa relation à son objet propre.

#388. — On rencontre toutefois ici une difficulté pour la distinction des sensibles communs par rapport aux sensibles par accident. Les sensibles par accident, en effet, ne sont saisis qu'en autant que les sensibles propres le sont; et pareillement, les sensibles communs aussi ne sont saisis qu'en autant que les sensibles propres le sont (326). Car jamais la vue ne saisit la grandeur ou la figure, sinon en tant qu'elle saisit l'objet coloré. Il semble donc que les sensibles communs aussi sont des sensibles par accident.

#389. — Certains répondent donc que pareils sensibles communs ne sont pas des sensibles par accident pour deux raisons. En premier, de fait, parce que pareils sensibles communs sont propres au sens commun, comme les sensibles propres sont propres à chacun des sens. En second, parce que les sensibles propres ne peuvent exister sans les sensibles communs, tandis qu'ils peuvent exister sans les sensibles par accident.

#390. — L'une et l'autre réponse sont incompétentes. La première, certes, parce qu'il est faux que ces sensibles communs soient des objets propres du sens commun. En effet, le sens commun est une puissance à laquelle aboutissent les immutations de tous les sens, comme on le rendra évident plus loin (#575-578; 601-614). Aussi est-il impossible que le sens commun ait un objet propre qui ne soit pas déjà l'objet d'un sens propre. Cependant, sur les immutations des sens propres sous l'action de leurs objets, le sens commun a des opérations propres (327) que les sens propres ne peuvent avoir. Par exemple, il perçoit les immutations mêmes des sens, et discerne entre les sensibles des différents sens. Par le sens commun, en effet, nous percevons que nous vivons, et que nous discernons entre des sensibles de sens différents, par exemple, le blanc et le doux (328).

#391. — En outre, en concédant que les sensibles communs seraient des objets propres du sens commun, on n'exclurait pas qu'ils soient des sensibles par accident en regard des sens propres. On traite ici (329) des sensibles quant à leur relation aux sens propres; en effet, la puissance du sens commun n'est pas encore présentée. Or il est possible, à ce qui est l'objet propre d'une puissance intérieure, d'être un sensible par accident, comme on le dira plus loin (#395-396). Et ce n'est pas étonnant, car ce qui est sensible par soi pour l'un des sens extérieurs est sensible par accident en regard d'un autre; par exemple, le doux est visible par accident.

#392. — La deuxième raison n'est pas non plus compétente. En effet, cela n'a pas rapport au fait d'être sensible par accident, que ce qui est sujet d'une qualité sensible soit son sujet par soi ou non par soi. Car personne ne dirait que le feu, parce qu'il est (330) le sujet propre de la chaleur, est un sensible par soi pour le toucher.

#393. — C'est pourquoi on doit répliquer d'une autre manière. Sentir consiste en quelque sorte à être affecté et à être altéré, comme on l'a dit plus haut (#183; 350-351). Donc, tout ce qui fait une différence dans l'affection et l'altération du sens a par soi une relation au sens et se dit sensible par soi. Par contre, ce qui ne fait aucune différence quant à l'immutation du sens se dit sensible par accident. Aussi le Philosophe dit-il textuellement que le sens, en tant que tel, n'est en rien affecté par le sensible par accident.

#394. — Par ailleurs, une chose peut faire une différence quant à l'immutation du sens de deux manières. D'une manière quant à l'espèce même de l'agent (331). C'est de cette façon que font une différence quant à l'immutation du sens les sensibles par soi, du fait que telle chose soit une couleur, que telle autre soit un son, que telle autre soit blanche, telle autre noire. En effet, les espèces mêmes des objets qui agissent sur le sens sont les sensibles propres, auxquels a une aptitude naturelle la puissance sensitive. Pour cela, c'est selon une différence entre ces sensibles que se différencient les sens. D'autres, par contre, font une différence dans le changement des sens non pas quant à l'espèce de l'agent, mais quant à son mode d'action. En effet, les qualités sensibles meuvent le sens corporellement et en sa situation. Aussi les meuvent-ils différemment selon qu'ils sont en un corps plus grand ou plus petit, et selon qu'ils sont en une situation différente, proche ou éloignée, la même ou une autre. Et c'est de cette façon que les sensibles communs font une différence quant à l'immutation des sens. Il est manifeste, en effet, que c'est selon tous les cinq que la grandeur ou la situation font une différence. Mais comme elles ne se rapportent pas au sens comme les espèces de leurs agents, les puissances sensitives ne se différencient pas en rapport à eux, mais restent communes à plusieurs sens.

#395. — On a vu, donc, comment on parle de sensibles par soi, et communs, et propres; il reste à voir pour quelle raison une chose se dit sensible par accident. Pour qu'une chose soit sensible par accident, doit-on donc savoir, il est requis en premier qu'elle appartienne par accident à ce qui est par soi sensible, comme il appartient par accident au blanc d'être un homme, et qu'il lui appartient par accident d'être doux. Il est requis en second qu’elle soit saisie par le sujet sentant: si en effet une chose appartenait par accident à un sensible mais échappait au sujet sentant, on ne lui attribuerait pas d'être sentie par accident. Il faut donc qu'elle soit connue par soi par une autre puissance cognitive du sujet sentant. Et cela, certes, c'est ou bien un autre sens, ou bien l'intelligence, ou bien la puissance cogitative, ou bien la puissance estimative. Je dis, bien sûr, un autre sens; par exemple, pouvons-nous dire, le doux est visible par accident en tant que le doux s'attribue par accident au blanc, qui se saisit par la vue, et que lui-même se connaît par un autre sens, à savoir, par le goût (332).

#396. — Cependant, à parler proprement, cela n'est pas universellement sensible par accident, mais visible par accident, et sensible par soi. Cela donc qui ne se connaît pas par le sens propre, s'il s'agit de quelque chose d'universel, se saisit par l'intelligence; cependant, ce n'est pas tout ce qui peut se saisir par l'intelligence dans la chose sentie (333) qu'on peut dire sensible par accident, mais seulement ce qu'on saisit avec l'intelligence dès que se présente la chose sentie. Par exemple, tout de suite en voyant quelqu'un parler, ou se mouvoir, on saisit par l'intelligence sa vie, de sorte qu'on peut dire qu'on le voit vivre. Par ailleurs, on le saisit dans le singulier, si, par exemple, en voyant un objet coloré, on perçoit tel homme ou tel animal; toutefois, pareille saisie se fait chez l'homme avec sa puissance cogitative, que l'on appelle aussi raison particulière, du fait qu'elle recueille les intentions individuelles comme la raison universelle recueille les notions universelles.

#397. — Néanmoins, cette puissance se trouve dans la partie sensitive; c'est que la puissance sensitive, à son plus haut niveau, participe en quelque chose de la puissance intellective, chez l'homme, en qui le sens s'unit à l'intelligence. Chez l'animal irrationnel, par contre, la saisie de l'intention individuelle se fait par l'estimative naturelle, selon laquelle la brebis reconnaît son petit, ou autre chose de pareil, avec l'ouïe ou la vue.

#398. — C'est cependant de façon différente que se comportent à ce sujet la cogitative et l'estimative. En effet, la cogitative saisit l'individu comme rangé sous une nature commune. Et cela lui est possible pour autant qu'elle est unie à la puissance intellective dans le même sujet; aussi connaîtelle tel homme pour autant que c'est tel homme, tel bois pour autant que c'est tel bois. L'estimative, quant à elle, ne saisit pas un individu selon qu'il se range sous une nature commune, mais  seulement selon qu'il est le terme ou le principe d'une action ou d'une affection. Par exemple, la brebis connaît tel agneau non pas en tant qu'il est tel agneau, mais en tant qu'il est allaitable par elle; et telle herbe, en tant qu'elle est sa nourriture. Aussi les individus auxquels ne s'étend pas son action ou son affection, elle ne les saisit d'aucune manière par son estimative naturelle. En effet, l'estimative naturelle est donnée aux animaux pour qu'ils s'ordonnent grâce à elle dans leurs actions propres, ou dans leurs passions, pour les rechercher ou les éviter.

Chapitre 7 (418a26-418b26) 418a26 Ce sur quoi porte la vue, c'est le visible. Or le visible, c'est à la fois la couleur et autre chose, qu’il y a lieu de désigner avec une définition, mais qui reste sans nom. Ce que nous voulons dire deviendra évident en poursuivant. 418a29 Car le visible, c’est la couleur. Le visible par soi, c’est-à-dire. Et par soi, dis-je, non pas par sa définition (334), mais parce qu’elle possède en elle-même la cause de sa visibilité. Toute couleur est capable de mouvoir le transparent en acte, et c'est cela sa nature. C'est pourquoi justement la couleur n'est pas visible sans lumière, et c'est dans la lumière que se voit la couleur de chaque chose. Aussi est-ce d'abord de la lumière qu’on doit dire ce qu'elle est. 418b4 Il y a assurément du transparent. J’appelle transparent ce qui est visible sans être visible par soi, à strictement parler, mais grâce à la couleur d’autre chose. Tels sont l'air, l'eau et un grand nombre de solides. Ce n'est pas en effet en tant qu’eau ni en tant qu’air qu'ils sont transparents, mais parce qu'une même nature se retrouve en ces deux-là, et aussi dans le corps éternel supérieur. 418b9 Quant à la lumière, c’en est l'acte, l’acte du transparent en tant que transparent. Néanmoins, l’obscurité aussi se trouve en puissance en lui. La lumière, en somme, constitue comme la couleur du transparent, quand le transparent est finalisé comme tel, par le feu, ou par semblable élément, le corps supérieur, par exemple, car il y a en lui une même propriété. 418b13 Ce qu'est le transparent, donc, on l'a dit. Et aussi ce qu'est la lumière : elle n'est ni du feu, ni un corps, de toute manière, ni l’émanation d'aucun corps, car alors aussi elle serait un corps, mais la présence dans le transparent du feu ou de pareil élément. 418b17 C’est que deux corps ne peuvent pas se trouver ensemble dans le même lieu. 418b18 La lumière, on l’admet, est le contraire de l'obscurité. Or l'obscurité est pour le transparent la privation de pareil habitus. Il est évident, en conséquence, que c’est la présence de celui-ci qui constitue la lumière. 418b20 Empédocle, ou qui que ce soit d’autre, n’a pas raison non plus, en affirmant que la lumière prendrait un temps pour se transporter et s'étendre (335) entre la terre et la périphérie, mais à notre insu. Cela s’oppose à la fois à l'évidence de la raison et aux faits d’expérience. Cela pourrait nous échapper sur une petite distance, mais que cela nous échappe du levant au couchant, c'est beaucoup trop demander.

Leçon  14

#399. — Le Philosophe vient de distinguer les sensibles des sensibles communs, ainsi que des sensibles par accident. Il traite ici des sensibles propres, en rapport à chaque sens : en premier, du sensible propre de la vue ; en second (419b4), du sensible propre de l’ouïe ; en troisième (421a7), du sensible propre de l’odorat ; en quatrième (422a8), du sensible propre du goût ; en cinquième (422b17), du sensible propre du toucher. Sur le premier point, il en développe deux autres : en premier, il traite de l’objet visible ; en second (419a7), il montre comment le visible se voit. Sur le premier point, il en développe deux autres : en premier, il manifeste ce qu’est l’objet visible, et divise le visible en deux ; en second (418a29), il traite des deux visibles. Comme on l’a dit (#384-385), commence-t-il, les sensibles propres sont les objets que chaque sens perçoit proprement ; par conséquent, le sensible dont la vue est proprement perceptive, voilà ce qu’est le visible. Mais sous le visible, on comprend deux objets : le visible, c’est à la fois la couleur et autre chose, que l’on peut désigner par une définition (336), mais à quoi aucun nom propre n’a été donné. Ce visible, c’est ce qui se voit de nuit (337), comme, par exemple, les vers luisants (338), les agarics (339), et autres pareilles choses. Ce second objet nous deviendra manifeste, dans le courant du traité (#429-430), une fois entrés dans la connaissance du visible, sur la base de la connaissance de la couleur, plus manifestement visible.

#400. — Ensuite (418a29), il traite des deux visibles : en premier, de la couleur ; en second (419a1), du visible qu’il a dit être resté sans nom. Sur le premier point, il en développe deux autres : en premier, il montre comment la couleur se rapporte à ce qui est visible ; en second (418b4), il traite de ce que requiert la vision de la couleur. La couleur étant une espèce d’objet visible, commence-t-il, être visible lui convient par soi. Et de fait, la couleur est visible (340) du fait même d’être couleur.

#401. — Par soi, par ailleurs, se dit de deux manières. D’une manière, on appelle proposition par soi celle dont l’attribut entre dans la définition du sujet ; par exemple : l’homme est un animal. L’animal, en effet, entre dans la définition de l’homme. Puisque, ensuite, ce qui entre dans la définition d’une chose est d’une certaine manière sa cause, on dit que, pour ce qui est par soi de cette manière (341), les attributs sont la cause du sujet. De l’autre manière, on appelle proposition par soi celle dont, inversement, le sujet se met dans la définition de l’attribut ; par exemple, si on dit que le nez est camus, ou que le nombre est pair. En effet, le camus n’est rien d’autre qu’un nez courbe, et le pair rien d’autre qu’un nombre qui a une moitié. Là, le sujet est la cause de l’attribut.

#402. — On doit comprendre que la couleur est visible par soi de cette seconde manière, et non de la première. En effet, la visibilité est une affection de la couleur (342), comme le camus est une affection du nez. C’est ce qu’on veut dire, quand on dit que la couleur est visible par soi «non en définition», c’est-à-dire non de sorte que le visible se mette dans sa définition, mais qu’elle ait en elle-même la cause pourquoi elle est visible, comme le sujet a en lui-même la cause de son affection propre.

#403. — Cela, il le prouve par le fait que toute couleur meut le transparent en acte. Le transparent, c’est la même chose que le transparent, comme l’air ou l’eau, et la couleur tient de sa propre nature de pouvoir mouvoir le transparent en acte. Or le visible est tel du fait même de mouvoir le transparent en acte. Il s’ensuit que la couleur, par sa propre nature, est visible (343). Parce que, néanmoins, le transparent ne devient en acte que grâce à la lumière, il s’ensuit que la couleur n’est pas visible sans lumière. C’est pourquoi, avant de montrer de quelle manière elle se voit, on doit parler de la lumière.

#404. — Ensuite (418b4), il traite de ce sans quoi la couleur ne peut se voir : du transparent et de la lumière. Cela se divise en trois parties : en premier, il montre ce qu’est le transparent ; en second (418b9), il traite de la lumière, qui est son acte ; en troisième (418b26), il montre comment le transparent est susceptible de couleur. Par sa nature, commence-t-il, la couleur affecte le transparent ; le transparent est donc nécessairement quelque chose. Le transparent, c’est ce qui n’a pas de couleur propre qui ferait qu’on puisse le voir en lui-même, mais qui peut recevoir la couleur d’autre chose, qui le rend visible de quelque manière. Sont ainsi transparents, par exemple, l’air, et l’eau, et bien des corps solides, comme certaines pierres, et le verre. Cependant, les autres accidents liés aux éléments et aux corps faits d’éléments, comme le chaud et le froid, et le lourd et le léger, et autres pareilles qualités, s’y attachent en raison de la nature des éléments. Le transparent, par contre, ne s’attribue pas aux choses qui précèdent en raison de leur nature d’air, ou d’eau, en tant que tels ; il suit plutôt une nature commune non seulement à l’air et à l’eau, qui sont des corps corruptibles, mais aussi au corps céleste, qui est perpétuel et incorruptible. Manifestement, en effet, certains corps célestes sont transparents. Car nous ne pourrions pas voir les étoiles fixes qui sont dans la huitième sphère, si les sphères inférieures des planètes n’étaient pas diaphanes, c’est-à-dire transparentes. Manifestement donc, le transparent n’est pas une propriété qui suit la nature de l’air ou de l’eau ; c’est à une nature plus commune qu’il faut demander la cause de cette propriété qu’est la transparence, ainsi qu’il apparaîtra par après (#421).

#405. — Ensuite (418b9), il montre ce qu’est la lumière : en premier, il manifeste la vérité ; en second (418b13), il exclut une erreur. La lumière, commence-t-il, est l’acte du transparent en tant que transparent. Manifestement (344), ni l’air ni l’eau ni autre chose de la sorte n’est transparent en acte à moins d’être illuminé. Toutefois, le transparent est par soi en puissance en rapport à la fois à la lumière et à l’obscurité, qui sont la privation de lumière, comme la matière première est en puissance en rapport à la fois à la forme et à la privation. Par ailleurs, la lumière se rapporte au transparent de la manière dont la couleur se rapporte au corps fini, parce que l’un et l’autre sont l’acte et la forme susceptibles d’elles. Pour cette raison, dit-il, la lumière est comme une couleur du transparent, selon laquelle le transparent est rendu transparent en acte par un corps lumineux, que ce soit du feu ou autre chose ou un corps céleste. En effet, être lumineux en acte et capable d’illuminer est commun au feu et au corps céleste, comme être transparent est commun à l’air et à l’eau, et au corps céleste.

#406. — Ensuite (418b13), il exclut une fausse opinion sur la lumière. À ce propos, il développe deux points : en premier, il montre que la lumière n’est pas un corps ; en second (418b20), il infirme une solution à un raisonnement par lequel on peut prouver que la lumière n’est pas un corps. Sur le premier point, il en développe trois autres. En premier, il propose son intention : lorsque, dit-il, on a défini le transparent et la lumière, on a manifesté que la lumière n’est pas du feu, comme certains le soutenaient, qui admettaient trois espèces de feu : le charbon, la flamme et la lumière ; qu’elle n’est pas du tout un autre corps non plus ; qu’elle n’est pas enfin autre chose issu d’un corps, à la manière dont Démocrite soutenait que la lumière se constitue de parcelles détachées de corps lumineux (345) : des atomes. En effet, s’il s’agissait de parcelles détachées d’un corps, il s’ensuivrait que ce serait un corps (346), et alors la lumière ne serait rien d’autre que la présence du feu ou d’un corps de la sorte dans le transparent. Il n’y a donc aucune différence à dire que la lumière est un corps, ou (347) qu’elle est détachée d’un corps.

#407. — En second (418b17), il prouve ce qu’il vient de proposer, avec un raisonnement qui va comme suit : il est impossible d’avoir deux corps ensemble ; si donc la lumière est un corps, il est impossible d’avoir ensemble la lumière et un corps transparent. Cependant, cette conclusion est fausse ; la lumière, donc, n’est pas un corps.

#408. — En troisième (418b18), il prouve qu’on a ensemble la lumière et le transparent. En effet, les contraires ont le même sujet. Or la lumière et l’obscurité sont des contraires, de la manière dont privation et habitus sont une espèce de contrariété, comme il est dit, Métaphysique, X, 4. Or manifestement, l’obscurité est pour le transparent (348) la privation de cette espèce d’habitus qu’est la lumière. Donc, la présence même de l’habitus mentionné, la lumière, est lumière. On a donc ensemble la lumière et le transparent.

#409. — Ensuite (418b20), il infirme une réponse à un raisonnement qui peut s’opposer à qui prétend que la lumière est un corps. En effet, on peut former l’objection qui suit : si la lumière est un corps, l’illumination est nécessairement le mouvement local de la lumière qui vient s’ajouter au transparent (349) ; or aucun mouvement local d’aucun corps ne peut être subit ou instantané ; donc, l’illumination ne se fait pas subitement mais successivement.

#410. — Nous observons le contraire, car à l’instant même où le corps lumineux se présente, tout le transparent s’illumine à la fois, et non pas une partie après une autre. Ni Empédocle, donc, ni personne d’autre n’a parlé correctement, en prétendant que la lumière est soumise au mouvement local, en tant que corps, et s’étend successivement dans l’espace intermédiaire entre la terre et son contenant, à savoir, le ciel, mais que cette succession nous échappe et que c’est seulement en apparence que tout s’illumine ensemble et subitement.

#411. — En effet, cela va contre la vérité, qui peut se percevoir avec la raison, car, pour l’illumination du transparent, rien n’est requis sauf une opposition directe, sans obstacle intermédiaire, d’un corps illuminant à un corps illuminable.

#412. — En outre, cela va contre les apparences. En effet, on pourrait dire que la succession du mouvement local nous échappe sur un petit espace (350), mais qu’elle nous échappe dans le mouvement de la lumière de l’orient jusqu’à l’occident de notre horizon, c’est l’objet d’une demande trop grosse, fort difficile sinon tout à fait impossible à concéder.

#413. — En outre, comme il s’agit ici de la nature de la lumière, de celle du transparent et de la nécessité de la lumière pour voir, on doit tenir compte des trois. Sur la nature de la lumière, donc, différents auteurs ont soutenu différentes opinions. Certains, par exemple, ont pensé que la lumière est un corps, comme il est dit dans le texte. Ils y ont été portés par certaines expressions dont nous usons quand nous parlons de la lumière : nous avons l’habitude de dire que son rayon traverse l’air, qu’il se réflète, que les rayons se coupent, toutes choses qui appartiennent aux corps (351), à ce qu’il semble.

#414. — Mais cette opinion ne peut tenir, en raison des raisonnements qu’Aristote apporte dans le texte, et de plusieurs autres qu’il serait facile d’ajouter. En effet, il ne serait pas facile de justifier comment un corps de la sorte se multiplierait tout d’un coup par toute l’hémisphère, ou s’engendrerait, ou se corromprait ; comment aussi la seule opposition d’un corps opaque serait la cause de la corruption de ce corps dans une partie du transparent. Par ailleurs, parler de mouvement ou de réflexion de la lumière, cela se fait métaphoriquement. Par exemple, nous pourrions aussi dire que la chaleur progresse, quand des corps se réchauffent encore, ou qu’elle se réfléchit, quand elle rencontre un obstacle.

#415. — D’autres, par contre, ont soutenu que la lumière a une nature spirituelle, en tirant argument de ce que nous usons du nom de lumière en matière intellectuelle. Car nous disons qu’il y a une lumière intelligible dans les substances intellectuelles. Mais cela aussi est impossible.

#416. — Il est impossible, en effet, qu’une nature spirituelle et intelligible tombe sous l’appréhension du sens. Comme celui-ci est une puissance corporelle, il n’est apte à connaître que des objets corporelles. Si quelqu’un prétend, par ailleurs, que la lumière spirituelle est autre chose que ce que le sens perçoit, on ne devra pas discuter avec lui, du moment qu’il concède que la lumière que la vue perçoit n’a pas une nature spirituelle. En effet, rien n’empêche qu’un nom soit imposé à plusieurs choses, aussi différentes qu’elles soient. 

#417. — Ensuite, user de la lumière et de ce qui concerne la vue dans les choses intellectuelles est rendu possible par la noblesse du sens de la vue, le plus spirituel et le plus subtil de tous les sens. Cela appert de deux choses. En premier, certes, de son objet. En effet, les choses tombent sous la vue selon les propriétés dans lesquelles les corps inférieurs communiquent avec les corps célestes. Par contre, le toucher est perceptif de propriétés qui sont propres aux éléments : le chaud, le froid et d’autres semblables ; le goût et l’odorat sont perceptifs de propriétés qui concernent des corps mixtes selon une proportion différente du mélange du chaud et du froid, de l’humide et du sec. Le son, par ailleurs, est causé par le mouvement local, qui est aussi commun aux corps célestes et inférieurs ; cependant, l’espèce de mouvement qui cause le son ne concerne pas les corps célestes, dans la pensée d’Aristote. Aussi, de par la nature même de l’objet, il appert que la vue est le plus haut des sens, que l’ouïe lui est prochaine, mais que les autres sens en sont plus éloignés.

#418. — En second, c’est par la manière dont il est affecté qu’il appert que le sens de la vue est plus spirituel. En effet, en aucun autre sens il n’y a d’affection spirituelle sans affection physique. Je parle d’affection physique dans la mesure où la qualité est reçue en son être physique chez celui qui en est affecté, comme quand on se refroidit ou se réchauffe ou se déplace. Par contre, une affection spirituelle consiste à ce que l’espèce soit reçue dans l’organe du sens ou dans le milieu sous forme intentionnelle, et non sous forme physique. En effet, l’espèce sensible (352) ne se reçoit pas dans le sens selon l’être qu’elle a dans la chose sensible. Cependant, dans le toucher, appert-il, et dans le goût, qui est une espèce de toucher, il se fait une altération physique. En effet, une chose se réchauffe et se refroidit par le contact du chaud et du froid, et il ne se fait pas seulement une affection spirituelle. Pareillement, par ailleurs, l’affection de l’odeur implique une évaporation de fumée, et celle du son implique un mouvement local. Dans l’affection de la vue, par contre, il y a seulement l’affection spirituelle. Aussi appert-il que la vue, parmi tous les sens, est le plus spirituel, et après elle l’ouïe. Pour cela, ces deux sens sont les plus spirituels, et les seuls pour enseigner. Nous utilisons ce qui les concerne en matière intellectuelle, et principalement de ce qui concerne la vue.

#419. — D’autres encore ont dit que la lumière n’est que l’évidence de la couleur. Mais cela est manifestement faux pour ce qui luit de nuit, et dont pourtant la couleur reste cachée.

#420. — D’autres encore ont dit que la lumière est la forme substantielle du soleil, et que la lumière issue de sa source (353) a un être intentionnel, comme l’espèce des couleurs dans l’air. L’une et l’autre opinions sont fausses. La première, certes, parce qu’aucune forme substantielle n’est par soi sensible ; elle est seulement compréhensible pour l’intelligence. Et si on dit que ce qui se voit dans le soleil n’est pas sa lumière, mais sa splendeur, il n’y a pas à discuter du nom, du moment que ce que nous appelons lumière, à savoir, ce que saisit la vue, n’est pas une forme substantielle. La seconde opinion est fausse aussi, parce que ce qui a seulement un être intentionnel ne produit pas de transformation physique. Or les rayons des corps célestes transforment toute la nature inférieure. Aussi disons-nous que de même que les corps élémentaires ont des qualités actives avec lesquelles ils agissent, de même la lumière est une qualité active du corps céleste avec laquelle il agit et elle se range dans la troisième espèce de la qualité, comme aussi la chaleur.

#421. — Elle comporte cependant cette différence avec la chaleur que la lumière est la qualité d’un premier corps qui altère, lequel n’a pas de contraire. Aussi, la lumière non plus n’a pas de contraire, tandis qu’il y a un contraire pour la chaleur. Parce qu’il n’y a non plus aucun contraire pour la lumière, il ne peut non plus y avoir de disposition contraire dans le sujet qui en est susceptible. Pour cette raison encore, ce qui en est affecté, à savoir, le transparent, est toujours dans la disposition ultime à la forme. Pour cela, il s’illumine tout d’un coup, tandis que le sujet susceptible de réchauffement ne se réchauffe pas tout d’un coup. C’est donc la participation ellemême ou l’effet de la source de lumière dans le transparent que l’on appelle lumière. Si cela se fait en ligne droite avec le corps lumineux, on parle de rayon, tandis que si, par contre, cela vient de la réflexion du rayon vers le corps lumineux, on parle de splendeur. Mais la lumière est commune à tout effet de la source de lumière dans le transparent. 

#422. — Maintenant que l’on a fait ces distinctions à propos de la nature de la lumière, la raison apparaît facilement pourquoi certains corps sont lumineux en acte : certains sont transparents, certains sont opaques. En effet, comme la source de lumière est la qualité du premier altérant, qui est le plus parfait et formel parmi les corps, les corps qui sont les plus formels et nobles (354) sont lumineux en acte ; et ceux qui leur sont proches sont réceptifs de la lumière, comme les transparents ; mais ceux qui sont les plus matériels et ni n’ont la lumière dans leur nature, ni ne sont réceptifs de la lumière, sont opaques. Cela appert dans les éléments mêmes. En effet, le feu a sa source de lumière dans sa nature, bien que sa source de lumière ne nous apparaisse que dans une nature étrangère, à cause de sa densité. L’air, par ailleurs, et l’eau, qui sont moins formels, sont transparents. Enfin, la terre, qui est la plus matérielle, est opaque.

#423. — Pour le troisième point, certains, doit-on savoir, ont dit que la lumière est nécessaire pour voir, du côté de la couleur même. En effet, ils disent que la couleur n’a pas la puissance d’affecter le transparent, sauf par la lumière. Ils en donnent (355) comme signe que ce qui est dans l’obscurité voit ce qui est dans la lumière, mais qu’il n’en va pas inversement. Ils donnent comme raison à cela que, comme la vue est une, le visible ne doit comporter qu’une définition. Ce qui n’aurait pas lieu, si la couleur était par soi visible, et non par la puissance de la lumière, et que la lumière aussi soit visible par soi.

#424. — Mais cela va manifestement contre ce qu’Aristote dit de la couleur, «qu’elle possède en elle-même la cause de sa visibilité». Aussi, dans la pensée d’Aristote, on doit dire que la lumière est nécessaire pour voir, non pas, cependant, du côté de la couleur, du fait qu’elle rendrait les couleurs en acte, alors qu’elles ne seraient qu’en puissance quand elles sont dans l’obscurité, mais du côté du transparent, du fait qu’elle le rend en acte, comme il est dit dans le texte.

#425. — Pour en avoir l’évidence, on doit tenir compte de ce que toute forme, en tant que telle, est principe pour produire quelque chose de semblable à elle. Aussi, la couleur étant une forme, elle peut par soi produire une similitude d’elle-même dans le milieu. Il y a cependant, doit-on savoir, une différence entre puissance parfaite et imparfaite. En effet, la forme de la puissance parfaite peut, en agissant, non seulement induire sa similitude en ce qui est susceptible de la recevoir (356), mais aussi disposer celui qu’elle affecte pour qu’il en soit un récepteur approprié. Cela ne peut certes pas avoir lieu si elle appartient à une puissance imparfaite. On doit donc dire que la puissance de la couleur est imparfaite dans son action, en rapport à la puissance de la lumière. En effet, la couleur n’est rien d’autre qu’une source quelconque de lumière d’une certaine manière obscurcie par le mélange avec un corps opaque. Aussi, elle n’a pas la puissance de rendre le milieu dans la disposition où il deviendrait susceptible de couleur, ce que par contre la source pure de lumière peut faire.

#426. — De là il appert aussi que, comme la source de lumière est d’une certaine manière la substance de la couleur, c’est à la même nature que se réduit tout visible, et la couleur n’a pas à devenir visible en acte par l’action d’une lumière extrinsèque. Par ailleurs, voir en étant dans l’obscurité les couleurs illuminées est rendu possible du fait que le milieu lui-même se trouve illuminé assez pour l’affection de la vue (357).

Chapitre 7 (418b26-419b4) 418b26 Ce qui est susceptible de couleur, c'est l'incolore, et de son, c'est l'insonore. L'incolore, c'est le transparent, l'invisible, ou ce qui se voit à peine, comme l'obscur, à ce qu’il semble. Le transparent est de la sorte, quoique non pas quand il est finalisé comme transparent, mais quand il l'est en puissance. C'est en effet la même nature qui est tantôt obscurité, tantôt lumière. 419a1 Cependant, ce n’est pas tout visible qui l’est dans la lumière, mais seulement la couleur propre de chaque chose. Certaines choses, en effet, ne se voient pas dans la lumière, alors qu’elles provoquent une sensation dans l'obscurité, comme, par exemple, celles qui nous apparaissent ignées et qui brillent, bien qu’elles soient privées d’un nom commun : l'agaric, la corne, les têtes des poissons, leurs écailles, leurs yeux. On ne voit pourtant la couleur propre d’aucune de ces choses ; pourquoi alors les voit-on, elles, voilà une autre question. 419a7 Avec tout cela, il est manifeste maintenant que ce que l'on voit dans la lumière, c'est la couleur. C’est pourquoi on ne la voit pas sans lumière. Pour la couleur, en effet, ce devait être son essence, de pouvoir affecter le transparent en acte ; or la finalisation du transparent, c’est la lumière. En voici un signe manifeste : si l'on met l'objet de couleur sur la vue même, on ne le verra pas. La couleur doit donc affecter le transparent, l'air par exemple, et c’est par lui assurément que l'organe sensoriel en contact avec lui se trouve affecté. 419a15 Démocrite, en effet, n’exprime pas bien la réalité, quand il pense que si le milieu deve nait vide, on verrait avec exactitude même une fourmi qui serait dans le ciel. Car voilà qui est impossible, puisque c'est pour autant que l'organe sensoriel subit une affection qu’il se produit qu’on en vienne à voir. Or la couleur que l’on voit ne peut pas faire cela par elle-même. Il reste, certes, que ce soit par l’entremise du milieu, de sorte qu’il y a nécessairement un milieu est. Qu’il devienne vide, alors, ne fera pas qu’on voie avec exactitude, mais qu’on ne voie rien du tout. Voilà donc pourquoi c’est nécessairement dans la lumière qu’on voit la couleur. 419a23 Le feu, lui, est visible dans les deux cas, à la fois dans l'obscurité et dans la lumière, et cela nécessairement, puisque c'est par lui que le transparent devient transparent (358). 419a25 Le même raisonnement vaut aussi pour le son et pour l'odeur: ni l'un ni l'autre, en effet, ne produit la sensation s’il touche l'organe sensoriel. Plutôt, par l'odeur et le son, c'est le milieu qui est affecté, puis c’est par ce dernier que chacun des organes sensoriels l’est ensuite. Par contre, si on met sur l'organe même l'objet sonore ou odorant, il ne se produira aucune sensation. Pour le toucher et le goût, il en va pareillement, mais cela ne paraît pas. Pour quelle raison, cela deviendra évident par la suite. 419a32 Le milieu, pour les sons, c’est l'air, mais pour l’odeur, il reste sans nom. C’est de fait une affection commune à l'air et à l'eau. Comme le transparent pour la couleur, il y a de même pour ce qui a odeur quelque chose qui appartient à ces deux milieux. À ce qu’il semble, en effet, même les animaux aquatiques possèdent le sens de l'odorat. Par ailleurs, l'homme, et tous les animaux terrestres qui respirent ne peuvent percevoir les odeurs sans respirer. La cause en aussi sera fournie plus loin.  

Leçon  15

#427. — Le Philosophe vient de montrer (#399-426) ce que sont la couleur, le transparent et la lumière. Il montre ici comment le transparent se rapporte aux couleurs. Il est manifeste, à partir de ce qui précède, que le transparent est susceptible de couleur; la couleur, en effet, affecte le transparent, comme on l'a dit plus haut (#423-426). Or ce qui est susceptible de couleur ne doit pas avoir de couleur, de la façon dont ce qui est susceptible de son ne doit pas avoir de son. En effet, rien ne reçoit ce qu'il a déjà; et ainsi, il appert que le transparent ne doit pas avoir de couleur.

#428. — Comme, par ailleurs, les corps sont visibles par leurs couleurs, il s'ensuit que le transparent est invisible en lui-même. Puisqu’en outre c'est la même puissance qui connaît les opposés, il s'ensuit que la vision, qui connaît la lumière, connaît aussi l’obscurité. Donc, bien que le transparent, en lui-même, manque de la couleur et de la lumière dont il est susceptible et par suite n'est pas visible en lui-même de la manière dont sont visibles les objets lumineux et colorés, on peut cependant le dire visible de la manière dont on voit l'objet obscur, qu’on voit à peine. Le transparent est donc de la sorte, c'est-à-dire obscur, lorsqu'il n'est pas en acte mais en puissance seulement transparent. En effet, c’est la même nature qui est sujette tantôt à l’obscurité, tantôt à la lumière. Ainsi, le transparent privé de la lumière, ce qui est le cas tant qu’il n’est qu’en puissance transparent, doit être obscur. 

#429. — Ensuite (419a1), puisqu'on a déjà traité de la couleur, que l'on voit dans la lumière, il traite de l'autre visible qu'il a présenté plus haut (#399) comme sans nom. Tous les visibles, dit-il, ne le sont pas dans la lumière ; c’est seulement la couleur propre de chaque corps qui est visible dans la lumière. En effet, il y a des objets qu’on ne voit pas dans la lumière, mais dans l’obscurité : il y en a, par exemple, qui (359) paraissent ignés et lumineux dans l’obscurité. Ils sont nombreux, mais n'ont pas de nom commun. Il y a, par exemple, les agarics, la corne de certains animaux, la tête de certains poissons, les écailles et les yeux de certains animaux. Mais bien que ces objets se voient dans l’obscurité, on ne voit néanmoins dans l’obscurité la couleur d'aucun d'entre eux. Donc, ces objets se voient dans l’obscurité et dans la lumière, mais dans l’obscurité comme lumineux, dans la lumière comme colorés.

#430. — Cependant, pourquoi voit-on ainsi dans l’obscurité des objets lumineux, c'est pour une autre raison. Il n'en fait pas état ici, sauf comme par accident, pour comparer le visible avec la lumière. Mais la raison de leur visibilité dans l’obscurité paraît être la suivante: dans leur composition, ils ont quelque chose de la lumière, pour autant que les caractères lumineux du feu et transparent de l'air et de l'eau ne sont pas totalement enveloppés en eux par le caractère opaque de la terre. Toutefois, comme ils ont peu de la lumière, leur caractère lumineux reste caché, en présence d'une lumière plus grande. Aussi, on ne les voit pas dans la lumière comme lumineux, mais comme colorés seulement. Par ailleurs, leur caractère lumineux, en raison de sa faiblesse, ne peut réduire parfaitement le transparent en acte, en ce qu'il est de nature à être affecté par la couleur; aussi, sous leur lumière, ni leur couleur, ni celle des autres ne se voit, mais seulement leur lumière. La lumière, en effet, comme elle est plus efficace que la couleur pour affecter le transparent, et plus visible, peut se voir avec une affection plus petite du transparent.

#431. — Ensuite (419a7), il montre comment la couleur parvient à la vue. À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre qu'il est nécessaire pour cela que la vue soit affectée par la couleur; en second (419a25), il montre une chose semblable, qui est nécessaire dans les autres sensibles. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il traite de la vérité; en second (419a15), il exclut une erreur. Avec ce qui précède (#427-428), commence-t-il, il devient au moins manifeste que ce qui se voit dans la lumière est la couleur, et que sans lumière on ne peut pas voir, car, comme on l'a dit plus haut (#424; 427; 430), il est de la nature de la couleur qu'elle puisse affecter le transparent; or cela, certes, se fait par la lumière, qui est l'acte du transparent; et c'est pourquoi, sans lumière, la couleur ne peut se voir.

#432. — Le signe en est que si on met un corps coloré sur l'organe de la vue, on ne le verra pas, car il n'y aura pas là de transparent en acte que la couleur puisse affecter. En effet, même si la pupille est transparente, elle n’est cependant pas transparente en acte, si on lui superpose un corps coloré. Or la couleur doit affecter un transparent en acte, par exemple l'air ou quelque chose de la sorte; c’est par lui qu’est ensuite affecté la capacité de sentir, c'est-à-dire l'organe de la vue, comme par un corps qui lui est continu. En effet, le corps ne s'affectent pas, s'ils ne se touchent pas.

#433. — Ensuite (419a15), il exclut une erreur. Démocrite, dit-il, ne s’est pas bien exprimé, quand il a été d'opinion que si le milieu était vide, entre la chose qu’on voit et l'œil, on pourrait la voir quelque soit sa petitesse et à quelque distance que ce soit ; une fourmi, par exemple, qui serait dans le ciel. Mais cela est impossible. Il faut en effet, pour qu’on voie quelque chose, que l'organe de la vue soit affecté par le visible. Or, a-t-on montré (#432), il n’est pas affecté par le visible lui-même immédiatement, parce qu’on ne voit pas le visible superposé à l'œil. Il reste donc que l'organe de la vue doive être affecté par le visible moyennant un milieu. Il faut donc un milieu entre le visible et la vue. Or si on a le vide, il n’y a pas de milieu qui puisse affecter et être affecté. Si donc on avait le vide entre les deux, on ne verrait rien du tout.

#434. — Démocrite est tombé dans cette opinion parce qu'il pensait que la raison pour laquelle la distance empêche la vision d'une chose était que le milieu résiste à une affection par le visible. Mais cela est faux. En effet, le transparent ne présente pas de contrariété avec la lumière ou la couleur ; au contraire, il est en immédiatement disposé à les recevoir. Le signe en est que c'est tout d'un coup qu'il se trouve affecté par la lumière ou par la couleur. De fait, la cause pour laquelle la distance empêche la vue est que tout corps est vu comme dans l’angle d'un triangle, ou plutôt d'une pyramide, dont la base se trouve dans la chose qu’on voit, tandis que l'angle se trouve dans l’œil du voyant.

#435. — Quant à cela, il n’y a pas de différence, que la vue se fasse par émission, de sorte que les lignes qui renferment le triangle ou la pyramide constituent des lignes visuelles qui aille de la vue à la chose vue, ou qu'il en aille inversement, du moment que la vue s’exerce selon cette figure de triangle ou de pyramide. Ainsi, nécessairement, comme la chose vue est plus grande en quantité que la pupille, il faut que ce soit en diminuant proportionnellement que l’affection du visible parvienne jusqu'à la vue. Or il est manifeste que plus les côtés du triangle ou de la pyramide seront longs, avec une base qui reste la même, plus l'angle sera petit; c'est pourquoi plus on voit de loin, plus on voit petit. La distance peut finalement devenir telle qu'on ne voie plus du tout.

#436. — Ensuite (419a23), il montre comment on voit le feu et les corps lumineux. On les voit, ditil, non seulement dans la lumière, comme colorés, mais aussi dans l’obscurité, comme les objets dont on a parlé plus haut (#342). Cela arrive nécessairement, parce que le feu a tellement de lumière qu'il peut rendre tout à fait en acte le transparent, de sorte qu’on le voie, lui, et autre chose aussi. Sa lumière n'est pas si faible qu'en présence d'une plus grande lumière il devienne obscur, comme il arrive à ces objets dont on a parlé plus haut.

#437. — Ensuite (419a25), il montre qu'il en va pareillement dans les autres sens comme dans la vue. La même raison, dit-il, vaut du son et de l'odeur, que de la couleur. En effet, aucun d'eux n'est senti s'il touche l'organe du sens. Au contraire, ce sont des milieux qui sont affectés par l'odeur et le son, et c’est par ces milieux que les deux organes, à savoir, l'ouïe et l'odorat, le sont eux-mêmes. Par contre, lorsqu'on met un corps odorant ou résonnant sur l'organe du sens, on ne le sent pas. Il en va pareillement pour le toucher et le goût, d’ailleurs, bien que cela ne paraisse pas, pour la raison qu’on donnera plus loin (#507-508; 545).

#438. — Ensuite (419a32), il montre quel milieu intervient dans ces sens. Ce qui est affecté par le son, dit-il, c'est l'air. Le milieu, ensuite, qui est affecté par l'odeur, c'est quelque chose de commun à l'air et à l'eau, de même que tous les deux constituent le milieu affecté par la couleur. Cependant, l'un et l'autre sont affectés par la couleur en ce qu'ils sont transparents, tandis que l'affection commune à l'air et à l'eau qui les dispose à être affectés par l'odeur reste sans nom. Car ils ne sont pas affectés par l'odeur en ce qu'ils sont transparents. Que les deux sont de fait affectés par l'odeur, il le manifeste par le fait que les animaux aquatiques ont le sens de l'odeur, ce qui montre que les eaux sont affectées par l'odeur. L'homme, par ailleurs et les animaux qui marchent et respirent ne sentent pas l'odeur sans respirer ; ainsi manifeste-t-il que l'air sert de milieu pour l'odorat. La cause en sera donnée plus loin (#491-500).

Chapitre 8 (419b4-34) 419b4 Maintenant, traitons d'abord du son et de l'ouïe. Le son, c’est deux choses : celui qui est en acte et celui en puissance. Car nous disons de certaines choses, comme l’éponge, la laine, qu’elles n’ont pas de son, tandis que d’autres, comme l’airain et tout ce qui est dur et lisse, nous disons qu’elles en ont un, parce qu’elles sont capables de résonner, c'est-à-dire de produire un son en acte dans le milieu entre lui-même et l'ouïe. 419b9 Quant au son qui devient en acte, il est toujours le fait d’une chose à une autre et en une autre, car c'est un choc qui le produit. Voilà pourquoi il est impossible que le son vienne d’une chose qui soit unique, car c’en est une qui frappe, et une autre qui est frappée. En conséquence, ce qui résonne résonne en relation à autre chose. En outre, un choc n'a pas lieu sans translation. 419b13 Mais comme nous l'avons dit, ce n'est pas le choc de n'importe quoi qui produit le son. La laine ne produit aucun son, si on la frappe. Ce sont plutôt le bronze et tout ce qui est lisse et creux. L'airain parce qu’il est lisse, et les objets creux, en raison de la répercussion, car du fait que l’air mis en mouvement ne peut s'échapper, il se produit plusieurs chocs, après le premier. 419b18 En outre, on entend dans l’air, et aussi dans l'eau, mais moins ; ni l'air ni l'eau, toutefois, ne sont propres au son. Cependant, il doit se produire un choc de solides l'un contre l'autre et contre l'air, ce qui se réalise quand l'air supporte le choc et ne se dissipe pas. C'est pourquoi, si on le frappe vite et fort, il résonne: c’est que le mouvement de ce qui frappe doit devancer la dissipation de l'air, comme si l'on voulait frapper un amas ou filet de grains de sable qui se déplacerait vite. 419b25 L'écho, quant à lui, se produit lorsque l'air rebondit comme une sphère sur l’air gardé uni par la cavité qui le renferme et l'empêche de se dissiper. 419b27 Il se produit toujours un écho, à ce qu’il semble, puisqu’il en va du son comme de la lumière. En effet, la lumière se réfléchit toujours — sinon la lumière ne se diffuserait pas partout, et ce serait l'obscurité, où ce n’est pas ensoleillé — mais pas toujours comme sur l'eau, l'airain ou tout autre corps lisse, de sorte que se produit l'ombre, par laquelle nous délimitons la lumière.  

Leçon  16

#439. — Le Philosophe vient de traiter du visible. Il traite ici de l’audible, c'est-à-dire du son. Cela se divise en deux parties: dans la première, il traite communément du son ; dans la seconde (420b5), il traite d'une espèce de son, à savoir, la voix. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il traite du son ; dans la seconde (420a26), des différences entre les sons. La première partie se divise en deux autres : dans la première, il traite du son ; dans la seconde (420a19), il soulève une difficulté concernant ce dont il a traité auparavant. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il traite de la production du son ; dans la seconde (419b33), de l'affection de l'ouïe par le son. Si, par ailleurs, on demande pourquoi il traite ici de la production du son, puisque plus haut il n'a pas traité de la production de la couleur, mais seulement de l'affection du sens et du milieu par la couleur, la réponse est que la couleur, l'odeur, la saveur et les qualités tangibles ont une existence permanente et fixe dans leur sujet. C’est pourquoi ces qualités, en elles-mêmes et selon qu'elles affectent le sens, demandent des traités différents : traiter de l'un et de l'autre se fait différemment. En conséquence, le Philosophe traite de la production de la couleur, de la saveur et de l'odeur au livre Du sens et de la sensation, 3. Ce qui concerne les qualités tangibles occupe le livre De la génération, II, 1, et, sous certains aspects, le livre Des météores, I, 2. Dans ce livreci, néanmoins, il n'entend traiter des sensibles que pour autant qu'ils affectent les sens. Par contre, le son est causé par le mouvement, n'a pas d’existence fixe et stable dans son sujet et consiste en une espèce d’affection. Aristote traite donc ensemble du son en ce qu'il est produit en son espèce et en ce qu'il affecte le sens. La première partie, par ailleurs, se divise en deux autres: dans la première, il traite de la première production du son; dans la seconde (419b25), de la seconde génération du son, qui se fait par réflexion. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre que le son est tantôt en acte, tantôt en puissance; en second (419b9), il montre comment le son devient en acte.

#440. — Avant de traiter du toucher et du goût, commence-t-il, on doit parler du son et de l'odeur (360). Du son en premier, toutefois, parce qu'il est plus spirituel, comme on l'a montré plus haut (#417-418). Le son, cependant, se dit de deux manières: on parle en effet de son en acte et de son en puissance : une chose a un son, disons-nous, quand elle résonne en acte et quand elle a la capacité de résonner. Par exemple, nous disons que telle cloche sonne bien, même si elle ne sonne pas en acte. De la même manière, nous disons que certaines choses n'ont pas de son parce qu'elles n'ont pas de capacité de résonner, comme les éponges, et les objets mous de la sorte. Tandis que nous disons que d'autres ont un son, parce qu'elles peuvent sonner, comme l'air, et d'autres objets plans et doux de la sorte. Ainsi donc il appert que le son se dit tantôt selon sa puissance, tantôt selon son acte.

#441. — Que le son se fasse en acte, maintenant, cela relève à la fois du milieu et de l'ouïe. En effet, à tout sensible on attribue de deux manières d’être en acte. D'une manière, quand on le sent en acte ; cela se passe au moment où son espèce est dans le sens ; ainsi le son est en acte selon qu'il est dans l'ouïe. D'une autre manière, selon qu'il a son espèce propre, par laquelle on peut le sentir, pour autant qu'il est dans son sujet. Il y a d'autres sensibles qui deviennent en acte de cette façon, du fait qu'ils soient dans les corps sensibles ; par exemple, la couleur, du fait qu’elle soit dans le corps coloré, l'odeur et la saveur, du fait qu'elles soient dans les corps odorant et savoureux. Mais il n'en va pas pareillement du son, toutefois : dans le corps qui sonne, il n'y a pas de son, sauf en puissance, tandis que dans le milieu, par ailleurs, quand il est affecté du fait que le corps sonnant le frappe, le son devient en acte. C’est pour cette raison qu’on dit que le son en acte appartient au milieu et à l'ouïe, non au sujet susceptible de résonner.

#442. — Ensuite (419b9), il montre comment le son devient en acte. À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre combien de choses concourrent à ce que le son soit constitué en acte; en second (419b13), il montre quelles elles doivent être. Pour que le son devienne en acte, commence-t-il, trois choses doivent concourir : il le devient toujours de quelque chose et vers quelque chose et en quelque chose. C'est pourquoi s'il y a une chose seulement, il ne peut se faire de son. La raison en est, ou le signe, que c’est une percussion qui cause le son: il faut donc une chose qui frappe et une autre qui soit frappée. C’est pour cela qu’il dit que «le son est le fait d’une chose à une autre», c'est-à-dire de ce qui frappe à ce qui est frappé. En effet, ce qui produit le son doit toucher une chose; c’est lorsqu'il la touche par son coup que le son est produit. Par ailleurs, le coup de ce qui frappe ne se fait pas sans mouvement local, et le mouvement local ne se fait pas sans milieu. Il reste donc qu'il faut aussi un milieu pour que le son devienne en acte. C’est ce qu'il veut dire (#442), en disant que le son est non seulement d’une chose et à une autre, mais aussi en une autre.

#443. — Ensuite (419b13), il montre quelles doivent êtres ces choses ainsi requises à la production du son : en premier, il montre quelles doivent être celle qui frappe et celle qui est frappée; en second (419b18, quel doit être le milieu. Comme on l'a dit auparavant (#440), commence-t-il, le son ne se fait pas en frappant n'importe quel corps. On a dit plus haut, en effet, que les poils, les éponges et les corps mous de la sorte n'ont pas de capacité de résonner; aussi ne font-ils aucun son, même si on les frappe. La raison en est que les corps mous cèdent sous le coup de ce qui les frappe; de la sorte, aucun air n’est chassé en les frappant, pour qu'en eux puisse se former un son par le coup de ce qui frappe et la résistance de ce qui est frappé. Par contre, si pareils corps mous sont comprimés jusqu’à ce qu'ils aient une certaine dureté et résistent à l’objet qui les frappe, il s'ensuit un son, mais un son sourd. Le bronze, par contre, et les corps lisses et creux, donnent un son quand on les frappe. En effet, ceux dont la percussion produit le son doivent être durs, pour que l'air soit chassé, car c’est ce rejet qui cause la production du son. Il est aussi requis qu'ils soient lisses, pour que l’air soit uni, comme on le dira plus loin (#451).

#444. — Par ailleurs, les objets creux aussi, quand on les frappe, rendent bien le son, parce qu'ils renferment de l'air à l'intérieur d'eux. Comme ce qui est mû en premier ne peut pas sortir tout de suite, il frappe un autre air, et ainsi par répercussion il se fait plusieurs coups et le son s’en trouve multiplié. C’est pour cela aussi que les objets qui ont dans leur composition de l'air bien disposé sont très sonores, comme l'airain et l'argent. Ceux dans la composision desquels l'air n'entre pas bien, par contre, ne sont pas très sonores, comme le plomb, et autres pareilles choses, qui comportent davantage de vase et de terre.

#445. — Ensuite (419b18), il montre quel est le milieu dans lequel se produit le son. Le milieu, ditil, dans lequel on entend le son est l'air et l'eau, mais on entend moins bien dans l'eau que dans l'air. Aussi le milieu le plus approprié, tant pour la production que pour l'audition, est l'air. Ensuite, parce qu’au milieu, pour n'importe lequel sens, doivent faire défaut les qualités sensibles par ce sens, de façon qu’il puisse les revêtir toutes, il est manifeste que ni l'air ni l'eau n'ont un son propre, et que, pour qu’un son se produise dans l'air ou dans l'eau, des corps fermes, c’est-à-dire solides, et durs doivent se frapper l’un sur l’autre, et frapper l'air.

#446. — Pour que, maintenant, les solides puissent se frapper simultanément entre eux et contre l’air, et qu’ainsi le son se produise, l'air doit demeurer dans son intégrité, et ne pas se diviser du fait d’être frappé. Aussi, observons-nous, si une chose en touche une autre d'un mouvement lent, cela ne fait pas de son, parce que l'air s'en va et se dissout avant que le contact des corps solides ne s’effectue. Mais si le coup est rapide et fort, alors il se fait du son, parce que pour qu'il se fasse du son, il faut que le mouvement de ce qui frappe prévienne la division de l'air, de sorte que l'air, 115 encore réuni ou colligé, puisse être frappé, et qu'en lui le son soit produit. Il en va comme lorsqu’une chose se déplace rapidement : elle peut frapper un tas de pierres avant qu'il ne se défasse, ce qu’elle ne peut pas faire, si elle se meut lentement. À cause de cela encore, quand une chose se déplace rapidement dans l'air même, elle fait un son par son mouvement, parce que l'air, encore réuni, tient lieu de chose frappée, et non seulement de milieu. 

#447. — Ensuite (419b25), il traite de la seconde production du son, qui se fait par réverbération, lequel son on appelle écho. En premier, donc, il décrit comment il est produit; en second (419b27), il montre la différence de sa production. Sur le premier point, on doit tenir compte de ce que la production du son dans l'air suit le mouvement de l'air, comme on a dit (#445-446). D’ailleurs, il peut en aller de l'affection de l'air, lors de la production du son, comme de l'affection de l'eau, quand une chose y est projetée. Manifeste, en effet, il se produit des ronds autour de l'eau frappée. Ceuxci, près du lieu du coup, sont petits, et le mouvement est fort. Mais plus loin, les ronds sont grands, et le mouvement plus faible. Enfin, le mouvement s'évanouit totalement, et les ronds disparaissent. Si toutefois, avant que le mouvement ne cesse, les ronds rencontrent un obstacle, il se forme des ronds en sens contraire; et cela avec d'autant plus de véhémence qu'on est plus près du premier choc.

#448. — De même, doit-on comprendre, lors du choc sur des corps sonnants, l'air se meut en cercle, et le son se diffuse partout. Tout près, certes, les ronds sont plus petits, mais le mouvement plus fort : aussi le son est-il perçu comme plus fort. Mais au loin, les ronds s’agrandissent, le mouvement est plus faible, et le son s’entend plus obscurément. Enfin, tout disparaît. Si cependant, avant que ces espèces de ronds sonores disparaissent, il se fait sur un corps une réverbération de l'air ainsi mû qui porte le son, les ronds repartent en sens contraire et le son se fait ainsi entendre en sens opposé. C'est cela qu'on appelle l'écho.

#449. — Cela se fait principalement, quand ce qui fait obstacle à la répercussion de l'air mû est un corps concave, comme un vase qui limiterait l'air et lui garderait son unité, l'empêchant ainsi de se diviser. Alors, en effet, cet air ainsi déplacé et gardé uni, comme il ne peut étendre son mouvement plus loin, en raison du corps qui lui fait obstacle, frappe de nouveau l'air qui le frappait et le mouvement repart en sens contraire. C’est ce qu’il arrive quand on lance une balle, appellée ici une sphère, et que, rencontrant un obstacle, elle rejaillit.

#450. — Ensuite (419b27), il montre comment c’est de façons différentes que l'écho se fait. Il semble, dit-il, qu’il se produise toujours un écho, mais qu’il ne soit pas toujours clair, c'est-à-dire manifestement perceptible. Il montre cela avec une comparaison : il en va avec le son, dit-il, comme avec la lumière. De fait, la lumière se réfléchit toujours, mais cette réflexion est parfois manifeste, et parfois non. La réflexion de la lumière est manifeste, certes, quand elle est réfléchie par un corps brillant, de sorte qu’elle se fasse avec quelque clarté, en ressemblance avec l'émission de la première lumière. Par contre, elle n'est pas manifeste, quand elle a lieu sur un corps opaque, parce que pareille réflexion se fait sans clarté ni émission de rayons. Car si la réflexion des rayons du soleil n’avait pas lieu, sur les corps opaques, la lumière ne se ferait pas à fond, c'est-à-dire dans tout l'air de l'hémisphère supérieur ; au contraire, ce serait partout l’obscurité en dehors du soleil, c'est-à-dire en dehors des lieux auxquels parviennent directement les rayons solaires. Cependant, la lumière n'est pas réfléchie par les corps opaques comme par l'eau, l'air ou l’un des corps lisses et purs, qui réfléchissent avec clarté et émission de rayons. Du fait qu’ainsi la réflexion renvoyée par les corps opaques ne ressemble pas à celle que renvoient les corps brillants, la réflexion renvoyée par les corps opaques produit une obscurité, c'est-à-dire une ombre, à partir du côté où se limite la lumière manifeste, celle qui provient de l'émission directe des rayons solaires. Pareillement, par ailleurs, quand la répercussion du son se fait sur un corps concave, de nature à multiplier le son, il se fait un certain écho, qui est manifestement perceptible. Mais quand elle se fait sur d'autres corps, qui ne sont pas de nature à multiplier le son, il ne se produit pas d'écho manifeste.

Chapitre 8 (419b34-420b4) 419b34 Quant au vide, c’est correctement qu’on le dit approprié pour entendre. À ce qu’il semble, en effet, l'air est vide, et c'est lui qui fait qu’on entende, lorsqu'il est mû et qu’il reste continu et un. Mais, vu son inconsistance, il ne résonne pas, si ce n’est pas un objet lisse qui est frappé. C’est d’ailleurs alors qu’il se trouve un et concomitant, à cause de la surface, car la surface du lisse présente de l’unité. Est donc sonore ce qui est capable de mouvoir un air qui garde unité en continuité jusqu'à l'ouïe. 420a4 L'ouïe comporte naturellement de l'air (361). Et du fait qu’elle soit dans l'air, lorsque l'air externe est mis en mouvement, son air interne l’est aussi. Pour cette raison, ce n’est pas avec toute partie que le vivant entend, et l’air ne le parcourt pas non plus entièrement. En effet, ce n'est pas en sa totalité que comporte de l'air la partie animée qui est à mouvoir (362). 420a7 En lui-même, l'air est insonore, du fait qu'il se dissipe facilement. Quand, toutefois, on l’empêche de se dissiper, son mouvement devient un son. De son côté, celui qui est emprisonné dans les oreilles, c'est pour y demeurer immobile, de manière à sentir exactement toutes les différences du mouvement. 420a11 Voilà pourquoi nous entendons même dans l'eau: c’est qu’elle ne pénètre pas jusqu'à l'air que comporte par nature l'organe, ni dans l'oreille, à cause des replis. Mais quand cela arrive, elle n'entend plus, ni si la membrane est lésée. Il en va de même avec la peau sur la pupille. (363) 420a15 Par ailleurs, le signe qu'on entend ou non, c'est que l'oreille bourdonne, comme la corne : alors, en effet, l'air se meut continuellement d’un mouvement propre dans les oreilles ; or le son doit lui être étranger et ne pas lui être propre. Voilà pourquoi on dit qu'on entend alors avec le vide et le bourdon, puisque nous entendons avec un organe qui comporte de l'air enfermé. (364) 420a19 Qu’est-ce qui sonne : ce qu’on frappe ou ce qui frappe ? Ou seraient-ce les deux, mais de manière différente ? Car le son est un mouvement de ce qui peut se mouvoir de cette manière-là dont se meut ce qui rebondit de corps lisses, quand on le frappe dessus. Certes, comme on l’a dit, tout ce qu’on frappe ou qui frappe ne sonne pas, par exemple, si une aiguille battait contre une autre. Il faut plutôt que ce qu’on frappe soit plan, de sorte que l'air rebondisse et vibre comme un tout. 420a27 Les différences des sons se manifestent dans le son en acte, car de même que sans lumière on ne voit pas les couleurs, de même sans le son on ne perçoit pas l'aigu et le grave. 420a29 Par ailleurs, on les nomme par métaphore à partir des tangibles. 420a30 L'aigu meut beaucoup le sens en peu de temps, tandis que le grave le meut peu en beaucoup de temps. 420a31 Assurément, l'aigu n’est pas rapide, ni le grave lent, mais tel mouvement abouti à l’un grâce à sa rapidité, et à l’autre grâce à sa lenteur. 420b1 On a là, semble-t-il, une proportion avec l'aigu et l'obtus qui se rapportent au toucher, car l'aigu pique, on dirait, et l'obtus pousse, du fait que l'un meuve en peu, l'autre en beaucoup de temps, d’où il s’ensuit que l'un soit rapide, et l'autre lent. Pour le son, voilà un traité suffisant.  

Leçon  17

#451. — Le Philosophe vient de traiter de la production du son. Il traite ici de l'affection du sens par le son, en premier quant à l'affection de l'instrument. Puisque le milieu, pour le son, c’est l'air, commence-t-il, d’aucuns affirment correctement que le vide est propre au sens de l'ouïe, du fait qu'il leur semble que l'air soit vide. Or l'air fait entendre le son quand il se meut, tout en restant un et continu pour que le son puisse se former en lui. Étant donné que l'unité et la continuité de l'air est nécessaire, pour que le son se forme, le son ne se produit pas si l'objet résonnant frappé n'est pas lisse. Le lisse, en effet, est ce dont une partie ne dépasse pas l'autre, tandis que le rude est ce dont une partie dépasse l'autre. Aussi, manifestement, la surface d'un corps lisse est absolument une ; c’est pour cela que l'air, à cause de l'unité du plan, c 'est-à-dire de la surface, devient une seule chose qui existe toute en même temps. Si, par ailleurs, le corps n'est pas lisse, mais rude, la surface, alors, n’a pas d’unité. L'air étant fragile, c'est-à-dire facile à diviser, il s'ensuit que l'air aussi ne soit pas un et continu; aussi ne peut-il pas alors se former de son en lui.

#452. — Ainsi donc il appert que cela est sonne seulement, c'est-à-dire fait un son, qui meut un air un et continu qui aille de lui jusqu'à l'ouïe. Ainsi donc, appert-il, ceux qui disent que le vide est propre au sens de l'ouïe disent une chose correcte, parce que l’essence propre de l'ouïe appartient à l'air dit vide. Mais ils ne parlent pas correctement en considérant comme vide ce qui est plein d'air.

#453. — Ensuite (420a4), il traite de l'affection de l'ouïe par le son, quant à l'organe même du sens de l'ouïe. À ce propos, il développe trois points: en premier, il montre que l'air est approprié à l'organe de l'ouïe; en second (420a7), il montre de quelle qualité est l'air qui convient à l'organe de l'ouïe; en troisième (420a11), il montre comment l'audition est ou non empêchée par l'empêchement de l'organe. L’ouïe, commence-t-il, est connaturelle à l'air en sorte que ce soit comme l'humide aqueux convient à l'instrument de la vue que l'air convienne de même à l'instrument de l'ouïe. La raison en est que si on attribue l'air comme instrument à l'ouïe, le son affectera pareillement l'air qu’il meut à l'extérieur et l'air qu’il meut à l'intérieur et qui sert d'instrument à l'ouïe. C'est pourquoi l'âme n'entend pas dans n'importe quelle partie de son corps, ni l'air qui sonne n'engendre de son ou ne pénètre dans n'importe quelle partie du corps animé, parce que ce dernier n'a pas de l'air en n'importe quelle partie, et que le son ne peut pas mouvoir n'importe laquelle de ses parties. De la même manière, le vivant n’a pas de l'humide aqueux n'importe où, mais dans une partie déterminée, à savoir, dans la pupille.

#454. — Ensuite (420a7), il montre de quelle qualité est l'air approprié à l'instrument de l'ouïe. Comme tout ce qui a un son, dit-il, est apte par nature à résister à ce qui le frappe, il est manifeste que l'air n'a pas par soi un son, du fait qu’en lui-même il n'est pas apte par nature à résister à ce qui le frappe, mais cède très facilement. Sa cession ou son écoulement s’empêche par un corps solide; c'est pourquoi, quand cela se produit, le mouvement de l'air rend un son. On a dit (#442), en effet, que pour la production du son, il faut un heurt entre deux corps solides, en direction de l'air. Mais de l'air que comporte naturellement l'ouïe, celui qui est fermement établi dans les oreilles, avec la propriété d’être immobile, pour que l'animal puisse sentir avec certitude toutes les différences du mouvement. En effet, comme l'humide aqueux qui est dans la pupille est dépourvu de toute couleur, pour pouvoir connaître toutes les différences des couleurs, de même il faut que l'air qui est à l'intérieur du tympan de l'oreille soit dépourvu de tout mouvement pour être à même de discerner toutes les différences des sons. 

#455. — Ensuite (420a11), il montre comment l’audition est empêchée quand l'organe l’est. Il présente deux empêchements, en relation à deux conditions présentées comme nécessaires pour l'organe de l'ouïe : qu'il y ait là de l'air et que cet air soit immobile. Le premier empêchement, donc, vient de ce cet air soit corrompu. Par là, il devient manifeste, avec ce qui précède (#442), que dans l'eau l’audition se fait seulement à la condition que l'eau ne pénètre pas jusqu'à l'air connaturel présenté comme emprisonné dans les oreilles, et qu'elle ne pénètre même pas dans les oreilles, chose impossible à cause des replis qui empêchent l'entrée de l'eau dans l'oreille.

#456. — Mais quand cela arrive — que l'eau pénètre jusqu'à l'air naturel de l’oreille —, l'animal n'entend plus, à cause de la corruption de cet air, qui est nécessaire pour entendre. De même façon, si l'humide de la pupille est corrompu par l'immission d'un corps étranger, la vision se trouve empêchée. D’ailleurs, l’audition se trouve empêchée non seulement par la corruption de l'air, mais aussi si le tympan, c'est-à-dire la peau qui entoure l'air, ou une partie conjointe, est malade, comme la vision se trouve empêchée si la peau de la pupille, qui contient l'humeur aqueuse de la pupille, est infectée.

#457. — Certains textes donnent que dans l'eau nous n'entendons pas. Cela va contre ce qui a été dit (#455), que nous entendons dans l'air et dans l'eau, et contre ce que le Philosophe dit, au livre De l'histoire des animaux, IV, 8, que les animaux entendent dans l'eau. En effet, bien que l'eau n'entre pas jusqu'à l'air l'intérieur, cependant elle peut le bouger, et ainsi imprimer en lui l'espèce du son.

#458. — Il présente ensuite (420a15) le second empêchement de l’audition. Cet empêchement provient de ce que l'air présent dans les oreilles ne soit pas immobile. Le signe, poursuit-il, avec lequel on peut discerner si on a ou non bonne ouïe est si on entend toujours un tintement dans les oreilles, et un son comme lorsqu'on écoute avec l'apposition d'une corne aux oreilles, à cause du mouvement de l'air dans la corne. Quand cela arrive, on n'a pas bonne ouïe, parce que l'air, dans les oreilles de celui qui entend ainsi un tintement, se trouve continuellement mû d'un mouvement propre. Pour l'instrument de l'ouïe, le son doit être étranger, au contraire, et non propre à lui, comme l'instrument de la vue reçoit une couleur étrangère et n'a pas la sienne propre. Si d’ailleurs il avait la sienne propre, la vision en serait empêchée. Comme donc l’audition se fait par l'air, certains, croyant que l'air est vide, disent pour cela que nous entendons par le vide et le sonnant, car la partie avec laquelle nous entendons possède un air établi, c'est-à-dire immobile, et distinct de l'air extérieur.

#459. — Ensuite (420a19), il soulève une question sur la production du son: la cause active du son est-elle ce qui bat ou ce qu’elle bat. Il conclut que l'un et l'autre sont causes, mais de façon différente. Du fait que le son suive un mouvement, nécessairement une chose est cause active du son de la manière dont elle est cause active du mouvement. Or le son est engendré par un mouvement dont une chose qui frappe rebondit, à cause de la résistance de ce qu’elle frappe, à la façon dont les choses qui sautent, c'est-à-dire rebondissent, s’écartent de corps lisses et durs, quand on les tire, c’est-à-dire leur imprime une impulsion forte. Il est donc manifeste qu’en premier la chose qui frappe meut, mais aussi celle qu’elle frappe, dans la mesure où elle fait rebondir celle qui frappe. En conséquence, l'une et l'autre sont causes actives du mouvement.

#460. — Et puisque, dans la production du son, il faut un rebondissement dû à la résistance de ce qu’on frappe, ce n'est pas tout ce qui bat et qu’on bat qui sonne, comme on l'a dit en premier (#443- 444). Par exemple, si une aiguille est jetée contre une aiguille, il ne se fait pas de son. Pour qu’un son soit produit, il faut au contraire que ce qu’on frappe soit régulier, c'est-à-dire disposé de façon que l'air rebondisse et soit mû tout de suite à cause de sa résistance. C’est de pareil mouvement que se produit du son.

#461. — Ensuite (420a26), il traite des différences des sons. À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre comment on les perçoit ; en second (420a29), comment on les nomme. Les différentes choses qui sonnent, commence-t-il, produisent des sons différents. Mais ces différences des choses qui sonnent, selon leur aptitude naturelle à produire des sons différents, ne se manifestent pas quand le son est en puissance, mais seulement quand le son est en acte. De même, en effet, qu’on ne voit pas les couleurs sans lumière, de même aussi on ne perçoit pas l'aigu et le grave dans les choses qui résonnent, tant que le son ne devient pas en acte. 

#462. — Ensuite (420a29), il montre comment les différences des sons se nomment. À ce propos, il développe quatre points: en premier, il montre d'où on tire les noms des sons; on les tire, dit-il, de métaphores en rapport aux qualités tangibles. L'aigu et le grave, en effet, comptent manifestement parmi les qualités tangibles.

#463. — En second (420a30), il présente les définitions des noms. Le son est aigu, dit-il, qui meut beaucoup le sens de l'ouïe en peu de temps, tandis que le son grave est celui qui meut peu en beaucoup de temps.

#464. — En troisième (420a31), étant donné que les définitions qui précèdent paraissent celles du rapide et du lent — le rapide, en effet, est ce qui se meut beaucoup en peu de temps, tandis que le lent est ce qui se meut peu en beaucoup de temps —, il montre comment l'aigu et le grave se rapporte aux sons comme le rapide et le lent aux mouvements. Le rapide, dit-il, n'est pas la même chose que l'aigu, ni le grave dans les sons n'est la même chose que le lent ; ainsi, le son n'est pas non plus la même chose que le mouvement, dont les différences sont le rapide et le lent. Mais de même que le mouvement est la cause du son, de même la rapidité du mouvement est la cause du son aigu, et la lenteur du mouvement est la cause du son grave. On doit toutefois l’entendre du cas où le son est causé par un mouvement unique. Quand, par ailleurs, il est causé par plusieurs mouvements, c’est la fréquence des mouvements qui est la cause du son aigu, et sa lenteur qui est la cause du grave, comme dit Boèce, De la musique, I, 3. Aussi, une corde plus tendue sonne aigu, parce qu'une percussion unique lui communique une fréquence plus grande.

#465. — En quatrième (420b1), il assimile les différences des sons aux qualités tangibles selon lesquelles on les nomme. Ce qui concerne le toucher, dit-il, a de la ressemblance avec l'aigu et l’obtus dans les sons, parce que le son aigu pique l'ouïe, semble-t-il, du fait qu'il la meut en peu de temps, tandis que l’obtus la pousse, semble-t-il, parce qu'il la meut en beaucoup de temps. Aussi, l'un d'eux arrive avec la rapidité du mouvement et l'autre avec sa lenteur. Enfin, il conclut que voilà qu'on a traité du son.

Chapitre 9 (421a7-b8) 421a7 Quant à l'odeur et à l’odorant, ils se laissent définir moins facilement que les sujets précédents. Elle n’est pas aussi évidente, en effet, la nature a l'odeur, que celle du son, de la lumière ou de la couleur (365). La cause en est que nous avons ce sens-là pas très précis, et moins bon que bien des animaux: l'homme perçoit mal les odeurs et ne sent rien d’odorant sans douleur ou plaisir concomitant, comme quoi son organe sensoriel n’est pas précis. Vraisemblablement, c’est ainsi que les animaux aux yeux durs sentent les couleurs et que les différences de celles-ci ne leur paraissent pas très distinctes, sinon par leur caractère terrifiant ou non. Il en va ainsi en tout cas pour les odeurs quant au genre humain. 421a16 À ce qu’il semble, l’odorat présente une analogie avec le goût, et pareillement les espèces de la saveur avec celles de l’odeur. Néanmoins, nous avons le goût plus précis, du fait qu'il soit une espèce de toucher et que l'homme a ce sens très précis. Pour les autres sens, en effet, l'homme le cède à beaucoup d'animaux, mais quant au toucher il est autrement plus précis que les autres. C’est pourquoi il est le plus prudent des animaux. D’ailleurs, le signe en est que même à l’intérieur du genre humain, c'est en fonction de cet organe sensoriel, et en fonction d’aucun autre, qu’on se trouve bien et mal doué : ceux qui ont les chairs dures, en effet, sont mal doués, au plan de l’intelligence, tandis que ceux qui sont tendres de chair sont bien doués. 421a26 Il en est comme de la saveur : l’une est douce, l’autre amère, et il en va de même des odeurs. Toutefois, des objets ont l’odeur et la saveur correspondantes, par exemple, je veux dire, une odeur douce et une saveur douce, tandis que pour d'autres corps c'est le contraire. Il y a pareillement encore une odeur aigre, âcre, acide ou grasse. Mais, nous l'avons dit, les odeurs n'étant pas, comme les saveurs, très faciles à distinguer, c'est de celles-ci qu'elles ont tiré leurs noms, par ressemblance avec les choses. Car l'odeur douce, c’est celle du safran et du miel, et l'odeur aigre, celle du thym et d’autres pareilles choses. Il en va de même manière pour les autres. 421b3 Par ailleurs, il en va comme de l'ouïe et de chacun des sens : l’un porte à la fois sur le sonore et sur l'insonore, l’autre sur le visible et sur l'invisible, et de même l'odorat sur l'odorant et sur l'inodore. Pour ce qui est d’être inodore, telle chose l’est parce qu’il lui est tout à fait impossible d'avoir une odeur, telle autre du fait de n'avoir qu'une odeur faible, ou d’en avoir une mauvaise. C’est pareillement encore qu’on parle d’insipide.  

Leçon  19

#479. — Le Philosophe vient de traiter du visible et de l'audible. Il traite maintenant, en troisième, de l'odorant. Cela se divise en deux parties: dans la première il traite de l'odorant comme tel; dans la seconde (421b9), il traite de l'odorant en ce qu'il affecte le sens de l'odorat. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il traite de l'odorant en soi; dans la seconde (421b3), de l'objet non odorant en ce qu'il est perçu par l'odorat. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre la difficulté de traiter de l'odorant; en second (421a16), il montre comment on prend connaissance des odorants. On ne peut pas, commence-t-il, traiter aussi bien de l'odeur et de l'odorant que des sensibles précédents — l'audible et le visible —, parce que ce qu'est l'odeur ne nous est pas manifeste comme ce qu'est le son ou ce qu'est le visible ou la lumière ou autre chose de la sorte.

#480. — Il en donne la cause: c'est que nous n'avons pas un bon sens de l'odorat, qui connaisse avec perpicacité et certitude son objet, mais nous l'avons moins bon que beaucoup d'autres animaux. La raison en est que l'instrument du sens doit être proportionné à son sensible; comme, par ailleurs, l'odeur est causée par le chaud et le sec, il est exigé, pour un bon instrument de l'odorat, une victoire du chaud et du sec. Or le cerveau de l’homme, dont l'instrument de l'odorat est voisin, est plus grand que celui de tous les autres animaux, en proportion de son corps, comme le dit le Philosophe, au livre Des animaux, I, 16. Aussi, comme le cerveau, considéré en soi, est humide et froid, la bonté de l'odorat se trouve empêchée en l'homme. À cause de cela, l'homme sent mal et ne perçoit rien d'odorant, à moins qu'il ne surabonde au point d’entraîner du plaisir, ou le contraire. La cause en est le sens, qui n'est pas assez perspicace pour discerner avec certitude son objet. Aussi est-il raisonnable que le genre des hommes se trouve, pour ce qui est de percevoir des odeurs, dans la situation des animaux à yeux durs, comme les langoustes et certains poissons, pour ce qui est de percevoir des couleurs : à cause de la faiblesse de leur vue, en raison de l'ineptitude de leur organe, ils ne perçoivent les couleurs que si leur surabondance entraîne chez eux de la terreur ou le contraire.

#481. — Ensuite (421a16), il montre comment les différences des odeurs viennent à notre connaissance. À ce propos, il dévelope deux points: en premier, il montre que les différences des odeurs nous sont connues en rapport aux différences des saveurs; en second (421a26), il montre comment les différences des odeurs correspondent aux différences des saveurs. Chez l'homme, commence-t-il, le sens de l'odorat, semble-t-il, présente quelque ressemblance et proportion avec le goût ; et pareillement les espèces d'humeurs, c'est-à-dire de saveurs, avec les espèces d'odeur. Tout inconnu se laisse connaître à travers du plus manifeste. Aussi, comme les espèces des saveurs nous sont très manifestes, les espèces d'odeurs, ignorées de nous, à cause de leur affinité avec les espèces des saveurs, nous deviennent connues sous leur ressemblance.

#482. — Par ailleurs, les espèces des saveurs nous sont manifestes parce que l'homme a le sens du goût plus sûr que les autres animaux, le goût étant une espèce de toucher. L’homme, en effet, possède le toucher le plus sûr entre tous les animaux, bien que, pour les autres sens, il soit en défaut par rapport à d'autres animaux. Car il y a des animaux qui voient, entendent et sentent mieux que l'homme; mais l'homme se distingue beaucoup des autres animaux pour la sûreté de son toucher.

#483. — Du fait que l'homme ait le meilleur toucher, il se trouve le plus prudent de tous les animaux. Dans le genre humain, c’est du sens du toucher qu’on tient d’être ingénieux ou non, et non d’un autre sens. En effet, ceux qui ont la chair dure et sont dotés, par conséquent, d’un mauvais toucher, sont ineptes d'esprit, tandis que ceux qui sont tendres de chair et par conséquent dotés d’un bon toucher sont ont de bonnes aptitudes spirituelles. En outre, aussi, les autres animaux ont des chairs plus dures que l'homme. 

#484. — Pourtant, à ce qu’il semble, la capacité de l'esprit correspond davantage à la perfection de la vue qu'à la perfection du toucher, parce que la vue est un sens plus spirituel et fait connaître un plus grand nombre de différences entre les choses. — À cela, on doit répliquer qu'il y a deux causes pour lesquelles la perfection de l'esprit correspond à la perfection du toucher. La première raison en est que le toucher est le fondement de tous les autres sens; manifestement, en effet, l'organe du toucher est diffus par tout le corps et n'importe quel instrument de n'importe quel sens est aussi l'instrument du toucher. D’ailleurs, ce en rapport à quoi on est dit plus sensible, c’est le sens du toucher. Aussi, du fait d’avoir un meilleur toucher, il s'ensuit qu'absolument on ait une meilleure nature sensible et, par conséquent, une meilleure intelligence. En effet, la perfection du sens dispose à la perfection de l'intelligence. Par contre, avoir une meilleure ouïe ou une meilleure vue ne garantit pas une meilleure sensibilité, du moins absolument, sinon sous quelque aspect.

#485. —L'autre raison en est que la perfection du toucher suit la perfection de la complexion ou de la constitution. En effet, l'instrument du toucher ne pourrait pas se trouver dépouillé de qualités du genre tangible, puisque qu'il est composé à partir des éléments. Il faut donc qu'il soit en puissance aux extrêmes au moins par le fait de se trouver intermédiaire entre eux. Or la noblesse de l’âme découle d’une bonne complexion du corps, parce que toute forme est proportionnée à sa matière. Aussi s’ensuit-il que qui a un bon toucher a une âme plus noble, et un esprit plus perspicace.

#486. — On se demande encore, étant donné que le toucher est le plus certain des sens, pourquoi les espèces des odeurs se nomment plutôt à partir des espèces de saveurs qu’à partir de celles des qualités tangibles. L'odeur et la saveur, doit-on répondre, sont causées par un mélange déterminé des qualités élémentaires. C'est pourquoi les espèces d'odeur correspondent davantage aux espèces de saveurs qu'aux qualités tangibles simples.

#487. — Ensuite (421a26), il montre comment les espèces d'odeur correspondent aux espèces de saveurs. L'humeur (366), dit-il, c'est-à-dire la saveur, est l'une douce, l'autre amère, et c’est de même aussi que les odeurs se distinguent. Mais, doit-on savoir, certains objets ont une odeur et une saveur proportionnelles, c’est-à-dire une odeur douce et une saveur douce, tandis que pour d’autres c’est le contraire : une saveur suave et une odeur non suave, ou inversement.

#488. — La raison en est que la saveur tient à un mélange humide aqueux comportant telle répartition, tandis que l'odeur tient à un mélange aérien sec comportant telle proportion. Il se peut parfois que l'une et l'autre substance, à savoir l'aérien subtile et le grossier aqueux, soient mélangées selon une due proportion, et ainsi on obtient une suavité de saveur et d'odeur. Mais si la proportion est due dans un cas et non dans l'autre, il y aura dans l'un suavité et non dans l'autre. En outre, tout comme le doux et l'amer, a-t-on dit (#481-482), les extrêmes dans les saveurs, se transfèrent aux odeurs, de même en va-t-il pour l’aigre et le fort, c'est-à-dire l'astringent, ou le salin, et l’acide, et le graisseux : tout cela s’attribue aussi aux odeurs.

#489. — Comme on l’a dit (#481-482), les odeurs ne correspondent pas en tout aux saveurs. Cependant, du fait que les odeurs ne sont pas aussi manifestes que les saveurs, elles reçoivent leurs noms de celles-ci, à la ressemblance de choses correspondantes, parce que c’est tout de même dans la plupart des cas que les odeurs correspondent aux saveurs. L’odeur douce et la saveur douce, ce sont celles que causent le safran et le miel, et l’aigre, celle que cause le thym, et de même pareillement pour les autres odeurs et saveurs.

#490. — Ensuite (421b3), il montre aussi comment des objets non odorants sont perçus par l'odorat. De même que l'ouïe, dit-il, porte sur l'audible et sur le non audible, et que la vue porte sur le visible et le non visible, puisque c'est la même puissance qui est capable de connaître les opposés, et que la privation ne se connaît que par l'habitus, pareillement l'odorat porte sur l'odorant et sur le non odorant. Mais on parle de deux manières de non odorant : c’est ou bien ce qui ne peut absolument avoir d'odeur, comme les corps simples, ou bien ce qui a peu d'odeur, ou mauvaise odeur. On doit le comprendre pareillement du sapide et du non sapide.

Chapitre 9 (421b9-422a7) 421b9 L’olfaction, elle aussi, a lieu à travers un milieu, tel que l’air ou l'eau. Même les animaux aquatiques, en effet, à ce qu’il semble, sentent l'odeur, pareillement s'ils ont du sang ou non, tout comme ceux qui vivent à l'air libre. De fait, certains d'entre eux accourent de loin vers leur nourriture, guidés ne fût-ce que par une faible odeur. 421b13 Aussi une chose fait-elle manifestement difficulté : est-ce que tous sentent pareillement les odeurs ? L'homme, lui, c’est en inspirant l'air. S’il n’inspire pas, mais qu’il expire, ou s’il retient son souffle, il ne sent aucune odeur, ni de loin ni de près, même une chose placée dans la narine. Or, que la chose placée sur l'organe sensoriel même soit insensible, c'est le cas de tous; mais qu’on ne sente pas sans inspirer, c'est le propre des hommes ; cela devient évident à qui le vérifie. En conséquence, puisqu'ils n’inspirent pas, les animaux dépourvus de sang devraient avoir un sens différent de ceux que l'on a énumérés. 421b21 Mais c'est impossible puisque c'est l'odeur qu'ils sentent, et le sens de l’odorant, tant de bonne que de mauvaise odeur, c'est l'odorat. En outre, leur odorat se corrompt sous l'effet des mêmes odeurs fortes par lesquelles se trouve corrompu celui de l'homme celles du bitume, du soufre et autres pareilles. Nécessairement, donc, ils sentent les odeurs, même si c’est sans inspirer. 421b26 À ce qu’il semble, cet organe sensoriel diffère chez l'homme et chez les autres animaux comme ses yeux diffèrent de ceux des animaux aux yeux durs. Car les siens ont une membrane et comme un voile, les paupières; tant qu’on ne les remue ni ne les relève, on ne voit pas. Au contraire, les animaux aux yeux durs n'ont rien de pareil et voient tout de suite ce qui se produit dans le transparent. Ainsi donc, chez certains l'organe de l'odorat se trouve aussi à découvert, comme l'œil ; tandis que chez ceux qui acceptent de l'air il comporte une protection qui se retire quand on inspire, grâce à la dilatation des veines et des pores. C’est d’ailleurs pour cela que ceux qui respirent ne sentent pas les odeurs en milieu humide: c’est nécessairement en inspirant qu’ils sentent, chose impossible à faire, en milieu humide. 422a6 D’ailleurs, l'odeur appartient au sec comme la saveur à l'humide, et l'organe sensoriel de l'odorat est tel en puissance.  

Leçon  20

#491. — Le Philosophe vient de traiter de l'odorant. Il traite ici de l'affection qu’il cause à l'odorat : en premier, quant à son milieu ; en second (422a6), quant à l'organe du sens. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre ce qui sert de milieu pour l'instrument de l'odorat; en second (421b13), il soulève une question sur ce dont il a traité. Le sens de l'odorat, commence-t-il, est affecté par l'odorant à travers un milieu : l'air ou l'eau. Que l'air soit le milieu pour l'odorat, cela apparaît manifestement, puisque dans l’air nous sentons ; aussi est-ce l’eau dont il a fallu manifester que c’est un milieu pour l'olfaction. Il le montre par le fait que les animaux aquatiques sentent l'odeur, et non seulement ceux qui ont du sang, mais aussi ceux qui sont dépourvus de sang, comme les animaux qui vivent dans l'air. Cela devient manifeste du fait que certains d'entre eux viennent de loin à leur aliment, ce qu’ils ne pourraient faire s'ils n'y étaient incités par l'odeur. Les vautours, dit-on, par exemple, voyagent plusieurs jours pour s’assembler auprès des cadavres. Mais comment l'odeur se diffuse aussi loin, cela fait difficulté.

#492. — Des auteurs, doit-on savoir pour y répondre, ont soutenu que tous les sens requièrent qu’on touche : ils soutenaient que le sens doit être contigu au sensible pour le sentir. Cependant, ils estimaient que cela se passe autrement pour la vue et pour les autres sens. Ainsi, de la vue, disaient-ils, sortent des lignes visuelles qui vont jusqu'à la chose qu’on voit, et c’est grâce à leur contact que le visible vient à se voir. Pour les autres sens, prétendaient-ils, c’est de manière inverse que le sensible leur parvient. Dans le cas du toucher et du goût, il en va manifestement ainsi ; en effet, le tangible et le sapide se sentent grâce à un contact. Mais dans l'ouïe aussi la même chose paraît se passer, car l'air mû parvient jusqu'à l'ouïe. Pour l'olfaction aussi, disaient-ils, la même chose se passe : d'un corps odorant, soutenaient-ils, émane une espèce d'évaporation de fumée, qui est le sujet de l'odeur et parvient jusqu'au sens de l'odorat. 

#493. — La cause de cette diversité paraît la suivante: les anciens n’admettaient ni ne percevaient rien de l'affection spirituelle d’un milieu, mais ne connaissaient que l'affection naturelle. Or avec les autres sens c’est une affection naturelle du milieu qui se produit, mais non avec la vue. Manifestement, en effet, les sons et les odeurs sont apportés ou détournés par les vents, mais les couleurs ne le sont d'aucune façon. Manifestement aussi, les espèces des couleurs contraires sont apportés par la même partie de l'air à la vue, lorsque, par exemple, l'un voit du blanc, l'autre du noir, ensemble dans le même air, usant du même air comme milieu. Assurément, cela n'arrive pas avec l'odorat. En effet, les odeurs contraires se font obstacle même dans le milieu. Aussi, ne percevant pas l'affection dont le milieu est affecté par le visible, ces auteurs ont soutenu que la vue est amenée à la chose qu’elle voit. Comme, par contre, ils percevaient l'affection dont le milieu est affecté, dans le cas des autres sens, ils croyaient que les autres sensibles leur étaient apportés.

#494. — Manifestement, toutefois, cela ne peut pas arriver, dans le cas de l'olfaction. En effet, l'odeur d’un cadavre se sent par des vautours jusqu'à cinq cents milles ou plus ; or il est impossible qu'une évaporation corporelle du cadavre se diffuse aussi loin, surtout que le sensible affecte le milieu à la même distance dans tous les sens, s'il n'en est empêché. Il n’arriverait pas à parcourir tant d'espace, même s’il se dissolvait tout entier en évaporation de fumée, car il y a une limite à la raréfaction à laquelle un corps naturel peut parvenir, et c’est la rareté du feu. Surtout qu’à sentir de la sorte le cadavre ne semble même pas sensiblement affecté.

#495. — C'est pourquoi on doit dire que l'odorant peut sans doute diffuser une évaporation de fumée ; cependant, celle-ci ne parvient pas aussi loin que l'odeur est perçue, mais affecte spirituellement le milieu plus loin qu’elle ne peut parvenir. Cette affection spirituelle se fait davantage dans le cas du visible que dans celui des autres sensibles. La raison en est que les qualités visibles appartiennent aux corps corruptibles sous le rapport sous lequel ils communiquent avec les corps incorruptibles. Aussi ont-il un être plus formel et plus noble que les autres sensibles, réservés aux corps corruptibles.

#496. — Ensuite (421b13), il soulève une difficulté sur ce qui précède : en premier, il objecte à une partie; en second (421b21), à l'autre; en troisième (421b26), il résout. Les êtres aquatiques, commence-t-il, sentent à travers l'eau. En conséquence, il y a difficulté à savoir si tous sentent pareillement les odeurs, avec le même sens. De fait, il semble que non, car l'homme sent au moment où il inspire de l'air, au cours de sa respiration ; par contre, quand il n’inspire pas l'air, mais l’expire, ou quand il retient son souffle, il ne sent pas, ni de loin ni de proche, et pas même si on mettait l'odorant à l'intérieur de son nez. Que toutefois le sensible, mis sur le sens, ne soit pas senti, cela est commun à tous les autres sens ou animaux. Mais que l'odeur ne soit pas sentie sans respiration, cela est propre aux hommes. La chose est manifeste à qui veut bien la vérifier. Aussi, comme les animaux qui n'ont pas de sang ne respirent pas, il semble bien disposer d’un autre sens que l'odorat et que les autres sens dont on admet que l'homme dispose.

#497. — Ensuite (421b21), il objecte au contraire avec deux raisonnements. Le premier raisonnement est que les sens se distinguent d’après les sensibles. Aussi, comme le sens de l'odorat est le sens de l'odorant, c’est-à-dire de la bonne et mauvaise odeur, et comme cet objet se sent communément tant par l'homme que par les autres animaux qui ne respirent pas, le même sens de l'odorat, s’ensuit-il, appartient à l'homme et aux autres animaux.

#498. — L'autre raisonnement (421b23) est que c’est pour le même sens que les mêmes choses sont corruptrices. En effet, la vue ne souffre rien des sons, ni l'ouïe des couleurs. Or manifestement, les sens des animaux qui ne respirent pas se trouvent attaqués par de fortes odeurs en surabondance, les mêmes par lesquelles le sens de l'homme est attaqué, par exemple, par l'asphalte, qui est une confection de sucs d'herbes, et par le soufre, et par d’autres pareilles choses. Donc, les autres ont le sens de l'odorat, comme l'homme, même s'ils ne respirent pas.

#499. — Ensuite (421b26), il résout la question. C’est que cette différence dans la manière de respirer ne dépend pas d’une différence de sens, mais d’une organisation différente d'organe. En effet, l'organe de l'odorat diffère chez l'homme de l'organe des autres animaux, comme d’ailleurs les yeux humains diffèrent des yeus durs de certains animaux. Les yeux des hommes, en effet, ont une membrane, c'est-à-dire une pièce pour les couvrir : les paupières. Par conséquent, l'homme ne peut voir tant que les paupières n’effectuent pas un mouvement de retrait, ce qui n’a pas lieu chez les animaux aux yeux durs : ceux-ci voient tout de suite ce dont les espèces se produisent dans le transparent. De même aussi, chez les animaux qui ne respirent pas, l'organe de l'odorat se passe de protection, tandis que chez les animaux qui respirent, il y a comme une protection qu'il faut retirer, en dilatant les pores par la respiration. C'est pourquoi les animaux qui respirent ne sentent pas dans l'eau, parce que c’est en respirant qu’ils doivent être affectés par l'odeur, ce qui ne peut pas faire dans l'eau.

#500. — Ensuite (422a6), il traite de l'instrument de l'odorat. L'odeur, dit-il, se situe dans le sec comme la saveur dans l'humide. Aussi, l'organe de l'odorat doit être en puissance à l'odeur et au sec comme l'organe de la vue est en puissance aux couleurs et à la lumière.

Chapitre 10 (422a8-b16) 422a8 Le sapide est une espèce de tangible. C'est pour cette raison qu’il ne devient pas sensible à travers un milieu qui soit un corps étranger ; le toucher ne recourt pas non plus à pareil milieu. En outre, le corps où on trouve la saveur, le sapide, réside dans l'humide comme en sa matière, et c’est là un tangible. 422a11 C’est pourquoi aussi, si nous étions dans l'eau, nous sentirions le doux qu’on y jetterait. Toutefois, la sensation ne nous viendrait pas à travers le milieu, mais du fait de son mélange avec l'humide, comme pour le breuvage. La couleur, par contre, ce n'est pas ainsi par le fait du mélange qu'elle est vue, ni non plus du fait de ses effluves. En conséquence, il n’intervient rien comme milieu. Par contre, de même que le visible c'est la couleur, le sapide, c'est la saveur. 422a17 Ensuite, sans humidité, rien ne produit une sensation de saveur. Cette humidité, toutefois, on peut la posséder en acte, ou en puissance, à la manière du salé : facile à dissoudre lui-même, il fait fondre la langue. 422a20 Par ailleurs, la vue porte sur le visible et sur l'invisible : l'obscurité est invisible, en effet, et c'est pourtant la vue qui en juge. Elle porte encore sur l’éblouissant, alors que cela aussi est invisible, bien qu’autrement que l'obscurité. Pareillement aussi, l'ouïe porte sur le son et sur le silence, alors que l'un est audible, l'autre non, et elle porte sur le son intense comme la vue sur l'éblouissant. Comme le son faible est inaudible, d'une autre manière le son intense et violent l'est aussi. De fait, on appelle invisible ce qui l'est tout à fait, comme on parle ailleurs d'impossible, et aussi ce qui serait visible de nature mais de fait ne l'est pas ou l'est mal, comme on dit sans pieds ou sans noyau. Voilà comment le goût aussi porte sur le sapide et sur l'insipide, lequel a saveur faible ou mauvaise, ou est corrupteur du goût. Le principe, à ce qu’il semble, est le potable et le non potable, car l'un et l'autre sont du sapide; toutefois, l’un se goûte mal et corrompt le goût, tandis que l’autre se conforme à sa nature. Le potable est d'ailleurs commun au toucher et au goût. 422a34 Par ailleurs, puisque le sapide est de l’humide, l’organe sensoriel qui porte sur lui ne doit être ni finalement humide, ni incapable d’être humecté, car le goût est affecté de quelque manière par le sapide en tant que tel. L’organe sensoriel du goût doit donc pouvoir être humecté tout en gardant la possibilité de l’être encore, et ne pas être déjà complètement humide. 422b5 Le signe en est que la langue ne sent ni si elle est toute sèche, ni si elle est très humide; alors, en effet, le toucher est affecté par le premier objet humide, comme lorsque après avoir goûté une saveur forte on en goûte une autre. De même encore, tout paraît amer aux malades, du fait qu’ils sentent avec la langue chargée d'une humidité pareille. 422b10 Les espèces simples des saveurs, ce sont, comme dans le cas des couleurs, les saveurs contraires : le doux et l'amer. Le gras se dérive ensuite du premier, et le salé du second. Enfin, on trouve entre eux l'aigre, l'âpre, l'astringent et l'acide. Ce sont à peu près les différences des saveurs, à ce qu’il semble. Par conséquent, la capacité de goûter est ce qui est tel en puissance, et le sapide est l'agent qui la finalise comme telle.  

Leçon  21

#501. — Le Philosophe vient de traiter du visible, de l’audible et et de l’odorant. Il traite ici, en quatrième, du sapide. Cela se divise en deux parties: dans la première, il traite du sapide communément ; dans la seconde (422b10), des espèces de sapides, c'est-à-dire des saveurs. Sur le premier point, il en développe trois autres: en premier, il s'enquiert si le sapide est perçu à travers un milieu ; en second (422a20), il montre ce qui est perçu par le goût, que c'est le sapide et le non sapide ; en troisième (422a34), de quelle qualité doit être l'organe du sens du goût. En effet, il a traité ces trois aspects concernant les autres sens : le milieu dans lequel on sent, ce qui est perçu par le sens, et l'organe du sens. Ces aspects doivent aussi intervenir avec le goût, comme on le verra. Sur le premier point, il en développe trois autres: en premier, il montre que l'objet sapide n'est pas perçu par un milieu extérieur ; en second (422a11), il exclut une objection ; en troisième (422a17), il montre ce qui est requis pour que l'objet sapide soit perçu.

#502. — L'objet sapide, commence-t-il, est une espèce de tangible, c'est-à-dire qu'il se discerne par le toucher. C'est la cause pour laquelle le milieu à travers lequel on le sent n’est pas un corps extérieur. Extérieur, c’est-à-dire qui ne serait pas une partie de l'animal. En effet, les sensibles dont on a parlé auparavant se sentent à travers l'air ou l'eau, qui ne sont pas des parties de l'animal. Le toucher, lui, ne sent pas son objet à travers un milieu extérieur, mais à travers un milieu conjoint. En effet, c’est la chair qui sert de milieu pour le sens du toucher, comme il apperra plus loin (#525- 528). C'est pourquoi, comme le goût est une espèce de toucher, et que le sapide est une espèce de tangible, ce dernier n'est pas perçu à travers un milieu extérieur.

#503. — Que par ailleurs le sapide soit une espèce de tangible, il le montre du fait que l'humeur, c'est-à-dire la saveur, qui constitue le sapide, se situe dans l'humide comme dans sa matière propre. Or l'humide est une espèce de tangible. Il en devient donc manifeste que le sapide est une espèce de tangible.

#504. — Cependant, si le goût est une espèce de toucher, on ne doit pas le distinguer, semble-t-il, en opposition au toucher, puisque l'espèce n’entre pas dans une division en opposition avec son genre. Par conséquent, il n'y aurait pas cinq sens, mais seulement quatre. Le goût et le toucher, doit-on toutefois dire à l'encontre, peuvent se regarder de deux manières. D'une manière, quant à leur façon de sentir : alors le goût est une espèce de toucher. En effet, c'est en le touchant qu'il perçoit son objet. D'une autre manière, quant à leur objet : alors, doit-on dire, le sens du goût entretient avec le sens du toucher la même relation que l'objet du goût avec l'objet du toucher. Or manifestement la saveur, objet du goût, n'est pas l’une des qualités des corps simples dont l'animal est constitué, lesquelles constituent les objets propres du sens du toucher; elle est plutôt causée par elles, et se fonde sur l'une d'elles, l'humide, comme en sa matière. Il en devient manifeste que le goût n'est pas la même chose que le sens du toucher, mais s'enracine d'une certaine manière en lui. Aussi a-t-on pris coutume de faire sur le goût la distinction suivante : il y a le goût en tant qu'il discerne les saveurs, et le goût comme espèce de toucher, dans la mesure où il discerne les qualités tangibles : celles de l'aliment, sur quoi porte le sens du toucher, comme on l'a dit plus haut (#473). Aussi le Philosophe dit-il, Éth. Nic., III, 10, en rapport aux plaisirs du goût, que pour autant qu'on l’entend de la première manière, la tempérance n’est pas concernée, et qu'elle l'est seulement pour autant qu'on l’entend de la seconde manière.

#505. — Ensuite (422a11), il exclut une objection. Manifestement, en effet, si un corps savoureux soluble dans l'eau y est mis, du miel, par exemple, ou autre chose de pareil, et que nous soyons dans l'eau, nous sentirons quand même sa saveur dans l'eau. Ainsi, semble-t-il, le goût reçoit son objet à travers l'eau, un milieu extérieur.

#506. — Aussi, pour exclure cette objection, il conclut de ce qui a été dit que, même si le sapide n'est pas perçu à travers un milieu extérieur, il reste que si nous étions dans l'eau nous sentirions de toute manière un corps doux placé dans l'eau à quelque distance. Cependant, la sensation ne nous viendrait pas à travers un milieu, mais du fait que la saveur se mêlerait à l'humide aqueux, comme il se passe avec un breuvage, par exemple, quand on mélange à de l'eau ou à du vin du miel ou autre chose de pareil. En effet, c’est l'eau même qui se trouve affectée naturellement par le corps savoureux. Aussi, ce n’est pas alors la saveur du corps distant, en tant que tel, que le goût perçoit, mais l'eau affectée par ce corps.

#507. — Le signe en est que le goût n'est pas alors affecté par l'eau aussi intensément qu’il en serait apte par la saveur du corps distant ; c’est que cette saveur s'affaiblit par dilution dans l'eau. La couleur, au contraire, ne se voit pas à travers un milieu de façon que le corps coloré se mêle au 126 milieu, ou que quelque chose de lui coule vers la vue, comme Démocrite le soutenait; il s’agit plutôt d’une affection spirituelle du milieu. En conséquence, la vue ne perçoit pas la couleur comme couleur de l'air ou de l'eau, mais comme couleur du corps coloré distant, et avec la même intensité. Si donc nous voulons comparer le goût à la vue, rien n’intervient comme milieu pour le goût comme il en intervient un pour la vue. Néanmoins, tout comme la couleur est le visible, c'està- dire l'objet de la vue, de même l'humeur, c'est-à-dire la saveur, est le sapide, c'est-à-dire l'objet du goût.

#508. — Ensuite (422a17), il montre ce que requiert le goût, du fait qu'il ne requiert pas un milieu. Aucun objet savoureux, dit-il, ne produit la sensation de son humeur, c'est-à-dire de sa saveur, sans humidité. En effet, de la manière dont la couleur devient visible en acte grâce à la lumière, de même la saveur devient en acte sapide grâce à l'humide. Pour cela, il faut que le sapide ou bien possède en acte de l'humidité aqueuse, comme le vin ou autre chose de pareil, ou bien soit en puissance humectable, comme ce qu'on prend au titre de nourriture. C'est pourquoi il faut de la salive bien liquide dans la bouche, qu’elle mouille la langue, et que ce que l'on prend se trouve humecté par elle, pour que sa saveur puisse être perçue.

#509. — Ensuite (422a20), il montre ce que perçoit le goût. Il en va du goût, dit-il, de même qu’il en va de la vue et de l'ouïe. La vue, en effet, connaît le visible et l'invisible, comme on l'a dit plus haut (#339; 429-430). En effet, l'invisible, c’est l’obscurité, et la vue en juge. C’est pareillement le trop brillant, comme le soleil, que l’on dit invisible, mais d'une autre manière que l’obscurité. En effet, on dit l’obscurité invisible par défaut de lumière, tandis que le brillant, c’est par une surabondance qui corrompt le sens. Pareillement, l'ouïe porte sur l'audible : le son, et sur le non audible, comme le silence, privation de son, mais aussi sur l’autre non audible : le son mal audible, qui corrompt le sens, en raison de sa surabondance, ou, en raison de sa petitesse (367) ne l’affecte pas suffisamment. Il en va d’ailleurs de même en tout ce qui admet puissance et impuissance.

#510. — En effet, on dit impuissant (368), en tout, soit ce qui n'a pas ce qu'il serait de sa nature d’avoir, soit ce qui l'a mal. Par exemple, on dit incapable de marcher à la fois l'animal tout à fait privé de pieds, et aussi le boiteux ou le faible de pieds. Il en va pareillement pour le goût, et le sapide, et le non sapide. Toutefois, le non sapide se dit de deux manières: c’est ce qui a peu de saveur, ou mauvaise saveur, et ce qui a une saveur assez violente pour corrompre le sens. Ensuite, parce que le sapide est un humide aqueux, et est potable, et que c’est là le principe de la saveur, à savoir, l'humide aqueux, le potable et le non potable, semble-t-il, sont principes de ce que perçoit le goût. Le goût, en effet, perçoit les deux; mais l'un comme mauvais et corrupteur du sens : le non potable; et l'autre comme convenant à sa nature : le potable. De même, par ailleurs, que le sapide est perçu par le goût pour autant que le goût est une espèce de sens distinct du toucher, de même le potable et le non potable sont perçus par le goût pour autant que le goût est une espèce de toucher. En effet, le potable est commun au toucher et au goût. Au toucher, certes, en tant qu'il est humide; au goût, par ailleurs, en tant qu'il est un humide savoureux.

#511. — Manifestement, donc, les plaisirs que comportent la nourriture et le breuvage, en tant que sensibles et potables, appartiennent au goût en tant qu’il constitue une espèce de toucher, ainsi qu’il est dit, Éth. Nic., III, 10.

#512. — Ensuite (422a34), il montre de quelle qualité doit être l'instrument du goût : en premier, il présente la vérité ; en second (422b5), il la manifeste par un signe. Ce qui est sapide, commence-t-il, doit être humide et savoureux ; par conséquent, il faut que l'organe du goût ne soit ni humide en acte, ni savoureux en lui-même, ni tel qu'il ne puisse devenir humide, tout comme l'instrument de la vue ne doit pas avoir de couleur mais en être susceptible. La raison en est que le goût est de quelque manière affecté par le sapide en tant que sapide, de la manière dont n'importe quel sens l’est par son sensible. Aussi, comme le sapide en tant que sapide est humide, l'organe du goût, une fois affecté, doit être humecté. Il ne garde sa nature de capacité de goûter, c'est-à-dire d’aptitude à goûter, que tant qu'il peut s'humecter, et qu’il n'est pas encore humide en acte. 

#513. — Ensuite (422b5), il montre ce qu'il a dit avec un signe. Le signe de ce qui précède, ditil, est que la langue ne peut sentir ni quand elle est sèche, ni quand elle est trop humide, parce que lorsqu'elle est restée trop humide d’une sensation antérieure, c’est alors le toucher et la sensation de l'humide antérieur qui domine, et non ceux du nouvel objet. Par exemple, lorsqu'on a déjà goûté une saveur forte, ensuite, si on goûte autre chose on ne le perçoit pas, parce que la sensation de la saveur antérieure demeure sur la langue. Il en va pareillement pour les «malades», c'est-à-dire pour les fiévreux, à qui tout paraît amer, du fait qu'ils sentent avec une langue chargée «d’une humidité pareille», c’est-à-dire pleine de bile, laquelle est amère.

#514. — Ensuite (422b10), il traite des espèces de saveurs. De même, dit-il, que les couleurs simples se contrarient, comme le blanc et le noir, de même les saveurs simples se contrarient, comme le doux et l'amer. Par ailleurs, les espèces de saveurs, c'est-à-dire les espèces simples qui suivent immédiatement, sont le gras, qui suit le doux, et le salé, qui suit l'amer. Par ailleurs, les saveurs intermédiaires sont l’aigre, l’âpre, l’astringent et l’acide, dont deux reviennent à la même. À ces sept espèces de saveurs se ramènent toutes les autres, à ce qu’il semble.

#515. — Par ailleurs, c’est le chaud et le froid, et l'humide et le sec, qui causent les saveurs ; en outre, les contraires sont les réalités les plus éloignées l’une de l’autre. Concernant ces espèces, toutefois, on doit en tenir compte, ce n'est pas d’après la plus grande distance entre chaud et froid, ni entre humide et sec qu'on attend de la contrariété dans les espèces de saveurs ; c’est plutôt en rapport au goût, selon qu'il est de nature à ce que la saveur entraîne chez lui horreur ou suavité. Aussi n'est-il pas nécessaire que le doux ou l'amer soient ce qu'il y a de plus chaud et de plus froid, ou de plus humide et de plus sec, mais qu'ils soient ce entraîne le plus de ces dispositions qui ont rapport au sens du goût. Pour ce qui est de la production des saveurs, par ailleurs, il en est traité au livre Du sens et de la sensation, 4.

#516. — Enfin, conclut-il, la capacité de goûter, c'est-à-dire le sens du goût, ou son organe, est en puissance à la saveur et à ses espèces, tandis que le sapide est ce qui peut le faire passer de puissance à acte.

Chapitre 11 (422b17-423a21) 422b17 Sur le tangible et sur le toucher, on doit tenir le même discours : si le toucher ne constitue pas un sens, mais plusieurs sens, nécessairement aussi les tangibles constituent plusieurs sensibles. Il y a donc difficulté à savoir s'il y en a plusieurs ou un seul, et qu’est-ce qui sert d'organe sensoriel pour le tangible : est-ce la chair — et chez les autres ce qui lui correspond — ou non ? Ou serait-ce là le milieu, tandis que l'organe sensoriel serait autre chose à l’intérieur ? 422b23 Tout sens, en effet, ne porte que sur une seule contrariété, à ce qu’il semble : la vue, par exemple, sur celle du blanc et du noir, l'ouïe sur celle de l'aigu et du grave, le goût sur celle de l'amer et du doux. Dans le tangible, par contre, on rencontre plusieurs contrariétés : chaud froid, sec humide, dur mou, et tant d’autres du genre. 422b27 Il existe toutefois une solution à cette difficulté : même avec les autres sens, on rencontre plusieurs contrariétés. Avec la voix, par exemple, il n’y a pas seulement acuité et gravité, mais encore force et faiblesse, douceur et rudesse de la voix, et d’autres contrariétés du genre. Pour la couleur aussi, il y a d'autres différences du même genre. 422b32 Mais quel est alors le sujet unique de ces contrariétés, qui se rapporte au toucher comme le son à l'ouïe, ce n’est pas clair. 422b34 L'organe sensoriel est-il interne ou non ? Est-ce plutôt directement la chair ? On n’en a aucun signe du fait que la sensation se produise dès qu’on touche des objets. Car même si l'on enveloppait la chair, en lui formant une membrane, par exemple, en la touchant on déclencherait quand même directement la sensation. Pourtant, il est évident que l'organe sensoriel ne s’y trouve pas. Et si en plus elle devenait connaturelle, la sensation parviendrait plus vite encore. 423a6 Aussi, avec cette partie de notre corps, il semble en aller comme si l'air, autour de nous, nous enveloppait naturellement. Nous aurions alors l’impression de sentir avec quelque chose d’unique à la fois le son, la couleur, l'odeur, et que la vue, l'ouïe, l'odorat constituent un sens unique. Maintenant, par contre, du fait que les milieux où se produisent les différents mouvements sont délimités, il est manifeste que les organes sensoriels en question sont différents. Dans le cas du toucher, cela reste obscur. C’est qu’il est impossible que le corps animé soit constitué d’air et d'eau, car il doit être un solide. Reste qu’il soit un mélange de terre et de pareils éléments, comme se veulent la chair et ce qui lui correspond. Nécessairement, par conséquent, le corps est lui-même le milieu naturellement conjoint de la capacité de toucher, et c’est à travers lui que s’effectuent les sensations multiples. 423a17 Ce qui montre qu’il y en a plusieurs, c’est le toucher avec la langue. Car on sent avec la même partie tous les tangibles et la saveur. Si donc le reste de la chair sentait la saveur, le goût et le toucher paraîtraient être le seul et même sens. Maintenant, ils paraissent en être deux, du fait de ne pas se convertir.  

Leçon  22

#517. — Le Philosophe vient de traiter des sensibles des autres sens. Il traite ici en dernier du sensible en rapport au toucher, car le toucher semble entre tous le sens le moins spirituel, bien qu'il soit le fondement de tous les autres sens. Cette partie se divise en deux autres: dans la première, il aborde certaines difficultés concernant le sens du toucher; dans la seconde (423b17), il montre la vérité concernant ce sens. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il soulève des questions; en second (422b23), il en traite. L’objet de notre enquête, commence-t-il, revient au même, que nous parlions du tangible ou du toucher. En effet, ce qu'on dit de l'un, on doit le dire de l'autre, car si le toucher n'est pas un seul sens, mais plusieurs, nécessairement les tangibles ne seront pas un genre unique de sensibles, mais plusieurs. Sa raison de parler ainsi, c'est son intention de traiter en premier des sensibles, et de traiter ensuite du sens. Cependant, en traitant du tangible et du toucher, il soulèvera des questions sur le sens du toucher ; mais comme ces questions peuvent se traiter plus commodément en les adressant au toucher qu’en les adressant au tangible, c'est pour cela qu'il débute avec cette excuse, et déclare que cela ne change rien qu’on parle du toucher ou du tangible.

#518. — Il soulève donc deux questions sur le toucher et le tangible. La première en va comme suit : y a-t-il plusieurs sens du toucher ou un seul ? La seconde difficulté est : qu'est-ce qui constitue la capacité de sentir, c'est-à-dire l'organe avec lequel on sent, dans le toucher ? Est-ce que la chair est l'organe du sens du toucher chez les animaux de chair, c’est-à-dire les animaux dotés de sang ? et dans les autres, ceux qui sont dépourvus de sang, est-ce quelque chose qui correspond à la chair ? Ou alors peut-être est-ce autrement, et la chair, ainsi que ce qui lui correspond, est le milieu pour le sens du toucher, alors que le premier organe du sens du toucher sera une partie intérieure, près du cœur, comme il est dit au livre Du sens et de la sensation, 2.

#519. — Ensuite (422b23), il traite des difficultés soulevées : en premier, de la première; en second (422b34), de la seconde. Sur le premier point, il en développe trois autres : en premier, il montre qu'il n'y a pas un sens du toucher, mais plusieurs ; en second (422b27), il résout le raisonnement apporté ; en troisième (422b32), il infirme la solution. Le raisonnement qu'il apporte en premier va comme suit : un sens, semble-t-il, porte sur une seule contrariété; par exemple, la vue sur le blanc et le noir, l'ouïe sur le grave et l'aigu, le goût sur l'amer et le doux. Mais pour l'objet tangible, qui est l'objet du toucher, il y a plusieurs contrariétés : le chaud et le froid, l'humide et le sec, le dur et le mou, et d'autres pareilles, et le lourd et le léger, et l'aigu et l'émoussé, et de autres pareils. Le toucher n'est donc pas un sens, mais plusieurs.

#520. — Ensuite (422b27), il présente une solution apparente pour la difficulté soulevée. On peut, dit-il, trouver solution à la difficulté précédente dans le fait que les autres sens aussi portent sur plusieurs contrariétés, à ce qu’il semble ; l’ouïe, par exemple. En effet, pour la voix audible, on peut s’attendre non seulement à la contrariété de l'aigu et du grave, mais aussi à la force et à la faiblesse de la voix, à sa douceur et à sa rudesse, et à d'autres qualités contraires. Pareillement, pour la couleur, on peut rencontrer d'autres différences que la contrariété du blanc et du noir; par exemple, telle couleur est violente et telle autre douce, telle est belle et telle laide. Cependant, cela n'empêche pas que l'ouïe soit un sens unique, et pareillement la vue. De même, comme telle, une contrariété multiple des tangibles n’empêche pas, à ce qu’il semble, que le toucher ne soit un sens unique. 

#521. — Ensuite (422b32), il exclut la solution apportée. Pour toutes les contrariétés, dit-il, qui concernent les audibles, il y a un seul sujet, le son ; c’est pareillement la couleur pour les objets visibles. Mais on ne peut pas trouver une chose unique qui serve de sujet commun à toutes les contrariétés qui concernent les tangibles. Pour cela, manifestement, il n’y a pas un genre unique d'objets tangibles, et en conséquence pas un sens unique du toucher non plus.

#522. —Pour l'évidence de ce dont on parle ici, on doit tenir compte qu’il y a proportion entre la distinction des puissances et celle de leurs objets : un sens unique constituant une puissance unique, le sensible correspondant doit aussi constituer un genre unique. Or il est montré, Métaphysique, X, 4, qu’un genre unique implique une contrariété première. Par conséquent, l'objet d'un sens unique ne doit laisser attendre qu’une contrariété première. C'est pour cela que le Philosophe dit ici qu'un sens unique porte sur une contrariété unique.

#523. — Néanmoins, même dans un genre unique, on peut, après la première contrariété, en trouver plusieurs autres. Soit par subdivision : dans le genre des corps, la première contrariété intervient entre l'animé et l'inanimé ; mais comme le corps animé se divise en sensible et insensible, et par après le sensible en rationnel et irrationnel, les contrariétés se multiplient ensuite dans le genre du corps. Soit par accident : par exemple, dans le genre du corps, il y a la contrariété du blanc et du noir, et ainsi de suite d’après tout ce qui peut tenir lieu d'accident à un corps. C'est de cette façon, doit-on comprendre, que pour le son et la voix, en dehors de la contrariété première du grave et de l'aigu, qui intervient par soi, il s’ajoute par accident d'autres contrariétés.

#524. — Par contre, dans le genre des tangibles, il y a plusieurs premières contrariétés par soi, qui d'une certaine manière se réduisent toutes pourtant à un seul sujet, mais d'une autre manière non. D’une manière, en effet, on peut considérer comme le sujet de la contrariété le genre même qui se rapporte aux différences contraires, comme la puissance à l'acte ; mais d'une autre manière, on peut considérer comme le sujet des contrariétés la substance qui est elle-même le sujet du genre auquel elles appartiennent, par exemple, si nous disons que le corps coloré est le sujet du blanc et du noir. Si donc nous parlons du sujet qui est le genre, manifestement ce n'est pas le même sujet pour tous les tangibles ; mais si nous parlons du sujet qui est la substance, il y a un seul sujet pour toutes : le corps, en rapport à la consistance de l'animal. Aussi le Philosophe dit-il, plus loin (#529;546), que les tangibles appartiennent au corps en tant que corps ; ce sont les qualités par lesquelles les éléments du corps se distinguent entre eux. En effet, ce sont ces qualités que le sens du toucher discerne, celles qui concernent la consistance du corps de l'animal. Aussi, à parler formellement, et pour sa définition, le sens du toucher n'est pas un sens unique, il en est plusieurs ; mais quant à son sujet, par ailleurs, il est unique.

#525. — Ensuite (422b34), il traite de la seconde question. À ce propos, il développe deux points: en premier, il enseigne la vérité ; en second (423a6), il conclut quelque chose qui concerne la manifestation de la première question. Sur le premier point, on doit savoir qu'on pourrait avoir l’impression que c’est la chair l'organe du sens du toucher, pour la raison que dès que la chair touche, nous sentons les tangibles.

#526. — Pour exclure ce raisonnement, il nie que ce signe — que dès que la chair est touchée il y a sensation du tangible, c'est-à-dire on sent celui-ci — suffise pour juger si l'organe du toucher est intérieur ou non, et que la chair soit l'organe immédiat du toucher. Car de toute manière, si on étendait sur la chair une pellicule ou une toile subtile, on sentirait le tangible tout de suite au toucher de ce qu’on aurait étendu sur la chair. Cependant, il n’en résulterait pas que l'organe du sens du toucher soit cette pellicule étendue par-dessus. Manifestement, pourtant, même si cette pellicule étendue par-dessus devenait connaturelle à l'homme, on sentirait tout de suite par elle. Aussi, bien que le tangible soit tout de suite senti au toucher de la chair, qui est connaturelle à l'homme, il ne s'ensuit quand même pas que la chair soit l'organe du toucher, mais seulement qu'elle est un milieu connaturel.

#527. — Ensuite (423a6), il conclut quelque chose d’utile à la manifestation de la première question. La chair, dit-il, agit comme un milieu connaturel dans le sens du toucher ; par conséquent, semble-t-il, cette partie du corps se rapporte au sens du toucher comme si l'air qui nous entoure nous était connaturel. Cet air donnerait alors l’impression d’être l'organe de la vue, de l'ouïe et de l'odorat, bien que c'en soit le milieu. Ainsi, nous aurions l'impression de sentir avec un organe unique le son, l'odeur et la couleur, et il semblerait par suite qu'il n'y eût qu'un unique sens pour l'ouïe, la vue et l'odorat. Mais maintenant, du fait que le milieu à travers lequel ont lieu les affections des sensibles en question est «déterminé», c'est-à-dire distinct de nous, il est manifeste qu'il ne constitue pas l'organe. Encore une fois, il est manifeste que diffèrent les organes des trois sens mentionnés, et qu’en conséquence il y a des sens différents. Dans le cas du toucher, par contre, cela n'est pas manifeste, parce que son milieu nous est connaturel.

#528. — Il donne la raison de cette diversité. L'air, en effet, et l'eau, qui sont les milieux des autres sens, ne peuvent nous être connaturels, parce qu'il est impossible que de l'air pur et de l'eau pure constituent un corps animé. C’est qu’en effet les corps humides et fluides ne sont pas fermes et ne se limitent pas bien par eux-mêmes, mais ont besoin d’un terme extérieur. Or le corps animé doit être ferme et limité par lui-même. Aussi faut-il qu'il soit mixte de terre et d'air et d'eau, comme il se doit, c'est-à-dire comme l’exige la chair chez les animaux qui en ont, et ce qui lui est proportionnel, chez les animaux qui n'en ont pas. Ainsi, ce corps qui est milieu dans le toucher, à savoir la chair, peut être adapté (369), c'est-à-dire naturellement uni au toucher, de sorte que grâce à lui, comme par un milieu connaturel, s’exercent plusieurs sens du toucher.

#529. — Ensuite (423a17), il présente autre chose pour manifester la même chose. On démontre la même chose, dit-il, par le fait qu’avec la langue s’effectuent plusieurs touchers. En effet, nous sentons avec la langue tous les tangibles que nous sentons avec les autres parties du corps ; en plus, nous sentons avec elle «l’humeur», c'est-à-dire la saveur, que nous ne sentons avec aucune autre partie du corps. Si, par contre, une autre partie de notre chair sentait la saveur, nous ne discernerions plus entre goût et toucher ; comme maintenant nous ne discernons pas entre le toucher qui discerne le chaud et le froid, et le toucher qui discerne l'humide et le sec. Maintenant, néanmoins, il appert que le goût et le toucher constituent deux sens, parce qu'ils ne convertissent pas l'un avec l'autre. En effet, n'importe quelle partie avec laquelle s’effectue la sensation du toucher ne sert pas aussi au goût. La raison, par ailleurs, pour laquelle la gustation ne s’effectue pas avec n'importe quelle partie avec laquelle s’effectue le toucher, c’est que les saveurs ne sont pas des qualités des éléments dont le corps animal est constitué ; aussi n'appartiennent-elles pas à la consistance de l'animal, comme les qualités tangibles.

Chapitre 11 (423a22-424a16) 423a22 Par ailleurs, on rencontrera une autre difficulté, du fait que tout corps comporte profondeur, c’est-à-dire sa troisième dimension, car de ce fait deux corps entre lesquels il y en a un troisième ne peuvent se toucher. En outre, l'humide ne va jamais sans corps, ni non plus le mouillé, mais il faut qu'ils soient de l'eau ou comportent de l'eau. D'autre part, les corps qui se touchent dans l'eau et dont les extrémités ne sont pas sèches, comportent nécessairement de l'eau entre eux, et leurs extrémités en sont recouvertes. Si cela est vrai, cependant, il est impossible qu’un corps en touche un autre dans l'eau. Il en va de la même manière dans l'air, car l'air se rapporte de la même manière aux objets qui s'y trouvent que l'eau à ceux qu'elle contient ; mais cela nous échappe davantage, tout comme cela échappe aux animaux aquatiques si un corps mouillé touche un autre corps mouillé. (370) 423b1 Ainsi donc, est-ce que pour tout le sens s’exerce pareillement, ou en va-t-il différemment selon les cas? Par exemple, à ce qu’il semble maintenant, le goût et le toucher s’exerceraient du fait de toucher et les autres sens de loin ? En fait, il n'en va pas ainsi. Même le dur et le mou, au contraire, c'est à travers autre chose que nous les sentons, tout comme le sonore, le visible et l'odorant. Toutefois, ceux-ci c’est de loin et les autres de près ; aussi cela nous échappe-t-il. C’est un fait que nous sentons tout à travers un milieu, mais dans leur cas, cela nous échappe. Comme nous l'avons dit auparavant, si nous sentions tous les tangibles à travers une membrane sans savoir qu'elle nous en sépare, notre situation serait pareille à notre situation actuelle dans l'eau ou dans l'air : nous avons l’impression de toucher les tangibles eux-mêmes et que rien n’intervient comme milieu. 423b12 Cependant, le tangible diffère des tangibles et des sonores : ces derniers nous les sentons du fait que le milieu nous fasse quelque chose, tandis que pour ce qui est des tangibles nous ne sommes pas affectés par le milieu mais en même temps que lui. De même, lorsqu’on est frappé à travers son bouclier, ce n'est pas que le bouclier a d'abord été frappé puis qu’il a frappé, mais on s’est trouvé frappé les deux ensemble. 423b17 De façon générale, à ce qu’il semble, la chair et la langue se rapportent chacune à leur organe sensoriel comme l'air et l'eau se rapportent à la vue, à l'ouïe et à l'odorat : si l'organe sensoriel même est touché, ni là ni ici la sensation ne se produira. Par exemple, si l'on place un corps blanc sur l’extrémité de l'œil. Par là encore il devient que l'organe sensoriel du toucher est interne. C'est ainsi, en effet, qu'il en ira pour lui précisément comme des autres. Placé sur l'organe sensoriel, l’objet n’est pas senti, tandis qu’il l’est, placé sur la chair. La chair est par conséquent le milieu, pour la capacité de toucher. 423b27 Les tangibles sont donc les différences du corps en tant que corps, je veux dire les différences qui définissent les éléments — chaud et froid, sec et humide — dont nous avons parlé auparavant, dans nos propos sur les éléments (371). L'organe sensoriel qui porte sur eux, l’organe tactile, où le sens appelé toucher réside en premier, c’est la partie qui revêt en puissance ces qualités. Car sentir, c'est d’une manière être affecté ; aussi le tangible, par son action, fait-il comme lui en acte cette partie d’abord telle en puissance. C’est pourquoi nous ne sentons pas le chaud, le froid, le dur ou le mou pareils à notre organe, mais leurs excès, puisque le sens occupe à peu près le milieu de la contrariété entre les sensibles. C'est bien pourquoi il distingue les sensibles ; le milieu, en effet, est capable de les distinguer parce qu’il devient pour chacun d’eux l’autre extrême. De même que ce qui va sentir le blanc et le noir ne doit être ni l'un ni l'autre en acte, mais les deux en puissance, et qu’il en va ainsi pour les autres sens, il en va de même pour le toucher, qui ne doit être ni chaud ni froid. 424a10 En outre, de même que la vue portait en quelque sorte à la fois sur le visible et sur l'invisible, et pareillement les autres sens sur les opposés, de même aussi le toucher porte-t-il sur le tangible et sur l’intangible. L’intangible, toutefois, c’est à la fois ce qui ne représente qu'une très petite différence sur le plan des tangibles, comme sa nature y prédispose l'air, et aussi les surabondances des tangibles, comme ce qui va jusqu’à détruire. Voilà donc que nous avons traité sommairement de chacun des sens.  

Leçon  23

#530. — Une fois montré que le sens du toucher requiert un milieu connaturel, le Philosophe s'enquiert maintenant s’il requiert aussi un milieu extérieur. À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre que le toucher ne se produit pas sans milieu extérieur ; en second (423b1), il montre en quoi le toucher et le goût diffèrent des autres sens qui sentent à travers un milieu extérieur. Concernant le toucher, commence-t-il, on peut se demander s’il comporte un milieu extérieur, maintenant qu’on a montré qu'il en comporte un connaturel. Cette difficulté vient de ce que tout corps présente une profondeur, c’est-à-dire une troisième dimension. En effet, tout corps a manifestement trois dimensions : une longueur, une largeur et une profondeur. Il s'ensuit de là que tous les corps entre lesquels se trouve un corps intermédiaire ne se touchent pas immédiatement. En effet, ils sont distants l’un de l’autre, du fait qu'il y a une dimension entre eux.

#531. — Manifestement aussi, partout où il y a un milieu humide ou mouillé, il doit y avoir un corps. En effet, l'humidité, du fait d’être une qualité, ne va pas sans corps qui lui serve de sujet. Ou bien donc elle appartient à l’autre corps en lui-même, et alors on a un corps humide — de l'eau, par exemple ; ou bien ce corps tient l'humidité comme un corps qui s'ajoute à lui, et il est mouillé, dit-on, ayant de l'eau en surface seulement, ou même en surface et profondeur. C'est ce qu'il veut dire, quand il affirme que nécessairement tout corps humide ou mouillé est de l'eau ou a de l'eau. Manifestement encore, les corps qui se touchent dans l'eau doivent avoir entre eux de l'eau comme intermédiaire, et leurs extrémités doivent en être couvertes ; à moins peut-être de dire qu'ils sont secs et dans l'eau, mais c’est impossible. En effet, ce qui est dans l'eau est nécessairement mouillé, de manière à avoir de l'eau en sa superficie. Il reste donc qu'entre deux corps qui se touchent dans l'eau de l'eau intervient comme intermédiaire. Si cela est vrai, il est par suite impossible qu'un corps en touche un autre dans l'eau immédiatement. Pareillement, il en va de la même manière de l'air, qui est humide naturellement, comme l'eau.

#532. — Il en va pareillement en effet de l'air pour mouiller les corps qui sont dans l'air comme il en va de l'eau pour mouiller ceux qui sont dans l'eau. Mais cela nous échappe plus concernant l'air, qu'il serve d’intermédiaire, que de l'eau, parce que nous sommes continuellement dans l'air et que c’est par conséquent imperceptiblement qu’il inhère à nous. Pareillement, les animaux qui sont dans l’eau en perçoivent pas si deux corps mouillés par l'eau se touchent, car, étant continuellement dans l'eau, ils ne perçoivent pas l'eau qu'il y a entre eux et les corps qu'ils touchent. Il y a par ailleurs encore une autre raison pour laquelle nous percevons moins ce qui concerne l'air que ce qui concerne l'eau, c’est que l'air est plus subtil et moins perceptible au sens. Toujours donc, quand nous touchons quelque chose, il y a un milieu entre nous et les choses touchées : de l'air ou de l'eau.

#533. — Mais il surgit ici une difficulté. En effet, ce qui est moyen dans un sens doit être dépouillé des qualités sensibles qui se rapportent à ce sens ; le transparent, par exemple, n'a pas de couleur. Or manifestement l'air et l'eau ont des qualités tangibles ; le sens du toucher ne peut donc pas se produire par leur intermédiaire.

#534. — Néanmoins, Averroès répond que nous ne sommes pas affectés par l'air pur ou par l'eau pure. En effet, rien n’est affecté sinon par son contraire, selon le principe de l'affection. Or l'air et l'eau ne nous sont pas contraires, mais semblables ; en effet, ils se comparent à nous comme le lieu à ce qui s’y trouve. Aussi, notre toucher n’est pas affecté par les qualités de l'air ou de l'eau, mais par des qualités extérieures. En effet, ce qu’on sent de qualités tangibles dans l'air et dans l'eau résulte d’un mélange avec des corps extérieurs, comme il dit. Car le feu ne perd jamais sa chaleur, et de même l'eau ne perd jamais sa qualité (372). Que par contre nous arrivions à sentir le chaud, cela résulte du mélange avec un corps extérieur.

#535. — Il y a dans cette réponse plusieurs erreurs. En premier, certes, en ceci que nos corps, ditil, ne sont pas affectés par l'air ou par l'eau, qui nous sont semblables comme le lieu à ce qui s’y trouve. Manifestement, certes, nos corps ont un lieu naturel, comme aussi un mouvement naturel, issu de la nature de leur élément prédominant. Nos corps, donc, ne se comparent pas autrement à leur lieu et aux corps qui les contiennent que les éléments qui sont eux-mêmes dans un lieu aux éléments en lesquels ils sont. Or les éléments s'altèrent dans leurs extrémités, comme il appert par le Philosophe, au premier livre Des météores, 2. Notre corps, donc, est de nature à être altéré par les éléments.

#536. — En outre, tout ce qui est en puissance est de nature à être affecté par ce qui est en acte. Or nos corps, du fait de se situer dans une certaine médiété entre les extrémités des qualités tangibles présentes dans les éléments, se présentent face aux qualités élémentaires comme la puissance devant l'acte. En effet, le milieu est en puissance aux extrêmes, comme il sera dit plus loin (#547- 548). Il est donc manifeste que nos corps sont de nature à être affectés par les qualités des éléments, et à les sentir.

#537. — Cette erreur provient donc de ce qu'il n'a pas su distinguer entre les éléments selon qu'ils se contrarient, et selon qu'ils se contiennent et contiennent leurs semblables comme le lieu ce qui s’y trouve.

#538. — On doit donc dire que les éléments peuvent se regarder de deux manières. D'une manière, selon leurs qualités actives et passives: et ainsi, ils se contrarient et s'affectent entre eux dans leurs extrêmes. De l'autre manière, selon leurs formes substantielles, qu'ils reçoivent de l'impression d'un corps céleste. Aussi, d’autant plus un corps élémentaire est proche d'un corps céleste, d’autant plus il a de forme. Ensuite, parce qu’il appartient à la forme de contenir, et qu'elle se tient en raison du tout, il s'ensuit que le corps supérieur contient l'inférieur et se compare à lui comme le tout à la partie divisée, ce qui est la comparaison du lieu à ce qui s’y trouve. Aussi, même la puissance du localisant et du contenant se dérive des éléments à partir du premier contenant : le corps céleste. À cause de cela, le lieu et le mouvement local ne s'attribuent pas aux éléments selon leurs qualités actives et passives, mais reçoivent leurs formes substantielles des éléments.

#539. — Il y a une autre erreur en ce qu'il dit, que l'eau et l'air ne sont pas altérées sauf par mélange avec un corps extérieur. Manifestement, en effet, l'eau et l'air sont corruptibles en partie. Par ailleurs, la corruption et la génération peut se faire dans les éléments sans mixtion, et suit l'altération, comme il appert au livre De la génération, I, 1. Aussi, manifestement encore, tant que dure l'espèce de l'eau, l'eau peut être affectée dans sa qualité naturelle, sans mélange avec un corps extérieur. Le feu, par ailleurs, comme il est plus formel, est plus actif parmi les éléments, qui se comparent tous à lui comme matériels, comme il est dit au quatrième livre Des météores, 1. Aussi, il n'en va pas pareillement de lui et des autres.

#540. —L'air et l'eau, doit-on dire, sont facilement affectables par des qualités étrangères, et principalement quand ils sont en petite quantité, comme il arrive dans l'eau ou l'air présents entre deux autres corps qui se touchent. À cause de cela, il n’y a pas d’empêchement à ce que la sensation du toucher ne se fasse à travers l'air et l'eau comme milieu. L'air empêche encore moins que l'eau, car l'air a des qualités tangibles moins sensibles. Aussi, si on intensidfie les qualités tangibles de l'air ou de l'eau, le toucher s’en trouve davantage empêché, par exemple, lorsque l'air ou l'eau sont d’une froideur ou d’une chaleur intense.

#541. — Ensuite (423b1), il montre la différence entre le toucher et le goût et les autres sens. En premier, il exclut une différence qu’on s’imagine ; en second (423b12), il présente une différence vraie. Du fait, commence-t-il, que le toucher comporte un milieu extérieur, on doit examiner si la sensation de tous les sensibles se fait pareillement, ou différemment pour des sensibles différents. Par exemple, cette différence apparaît d’emblée : le goût et le toucher sentent du fait de toucher immédiatement, tandis que les autres sens sentent de loin leurs sensibles, sans les toucher.

#542. — Mais il n'est pas vrai qu'ils diffèrent ainsi. Au contraire, nous sentons le dur, le mou et les autres qualités tangibles «par autre chose», c'est-à-dire par des milieux extérieurs, de même que les objets des autres sens, comme le sonore, le visible et l’odorant. Cependant, ces sensibles se sentent parfois de loin du sens, tandis que les sapides et les tangibles se sentent de proche, étant donné que leur milieu est quasi imperceptible, à cause de sa petitesse, raison pourquoi il nous échappe. En effet, nous sentons tous les sensibles à travers un milieu extérieur, mais pour les sapides et les tangibles cela nous échappe. Comme nous l'avons dit auparavant (#526), si nous sentions tous les tangibles à travers une pellicule étendue sur nous, sans savoir que quelque chose nous séparerait d’eux, nous sentir à travers un milieu de la même manière que nous le faisons maintenant, en sentant dans l'eau et dans l'air. Mais nous pensons maintenant que nous touchons les sensibles mêmes, et qu'aucun milieu ne nous en sépare.

#543. — Ensuite (423b12), une fois exclue la fausse différence, il en présente une vraie. Les objets tangibles, dit-il, diffèrent des visibles et des sonores du fait que ces sensibles nous les sentons parce qu'ils affectent un milieu, et qu'ensuite ce milieu nous affecte. Par contre, nous sentons les tangibles par un milieu extérieur non pas en ce que le milieu extérieur nous affecte, mais en ce que nous sommes affectés par le sensible en même temps que le milieu. Comme lorsqu’on est frappé à travers un bouclier. Ce qui se passe n’est pas que le bouclier, une fois frappé, nous frappe ; mais qu’on soit frappé ensemble l'un et l'autre.

#544. — Le fait de dire «ensemble» ne doit pas se comprendre quant à l'ordre du temps seulement, parce que même dans le cas de la vue le milieu est affecté par l'objet en même temps que le sens l’est par le milieu ; en effet, la vision se fait sans succession. Par contre, la perception du son et de l'odeur se fait dans une succession, comme il est dit, au livre Du sens et de la sensation, 1. Mais on doit rapporter cela à l'ordre de la cause, car, pour les autres sens, l'affection du moyen est la cause de celle du sens, mais pas dans le cas du toucher. Pour les autres sens, le milieu est nécessaire, tandis que pour le toucher il est comme par accident, en tant qu'il est accidentel que des corps qui se touchent soient mouillés.

#545. — Ensuite (423b17), il traite du sens du toucher selon la vérité : en premier quant à son milieu ; en second (423b27), quant à la qualité de son organe ; en troisième (424a10), quant à l'objet perçu par le sens. Il semble en aller de la chair et de la langue, en rapport à l'organe du sens du toucher, commencet- il, comme il en va de l'air et de l'eau, en rapport à l'organe de la vue, de l'ouïe et de l'odorat. En effet, en aucun de ces sens il ne peut se produire de sensation, si l'organe est touché. Par exemple, si on met un corps blanc sur la surface de l'œil, on ne le voit pas. Aussi est-il manifeste que l'organe sensoriel, pour le sens du toucher, est intérieur. Il en va de fait de ce sens comme des autres. En effet, les animaux ne sentent pas les objets sensibles placés sur l'organe de leur sens. Pourtant, ils sentent les objets sensibles placés sur la chair ; c'est pourquoi il est manifeste que la chair n'est pas l'organe du sens, mais son milieu.

#546. — Ensuite (423b27), il montre de quelle nature est l'organe du toucher. Les qualités tangibles, dit-il, sont des différences du corps en tant que corps. C'est-à-dire, ce sont les différences par lesquelles les éléments se distinguent entre eux : le chaud, le froid, l'humide et le sec, dont il a été parlé dans les traités qui portent sur les éléments, c'est-à-dire au livre De la Génération et de la corruption, II, 2-3.

#547. — Toutefois, l'organe du toucher, et ce en quoi est fondé en premier le sens que l'on appelle le toucher, est manifestement une partie en puissance à pareilles qualités. En effet, l'organe du sens est affecté par le sensible, parce que sentir est une manière d'être affecté. Ainsi, le sensible, qui est l'agent, fait en acte le sens tel qu'est le sensible, puisqu’il y est en puissance. À cause de cela, l'organe du toucher ne sent pas la qualité, pour autant qu'il est en acte. En effet, nous ne sentons pas ce qui est chaud ou froid, dur ou mou, de la manière dont ces choses sont dans l'organe du toucher. Nous sentons plutôt l’abondance des qualités tangibles, comme par un organe du toucher placé dans un état moyen entre les qualités tangibles contraires. À cause de cela, l'organe du toucher discerne seulement les extrêmes des qualités tangibles. En effet, le moyen est apte à discerner les extrêmes, car il peut être affecté par l'un et l'autre de ces extrêmes, du fait qu’au moment où il est en rapport à l'un, il a en lui la nature de l'autre. Par exemple, le tiède est froid, en rapport au chaud, mais en rapport au froid, il est chaud. Aussi, le moyen est affecté par l'un et l'autre des extrêmes, comme il est de quelque manière contraire à l'un et à l'autre. Il faut que, de même que l'organe qui doit sentir le blanc et le noir n'ait ni l'un ni l'autre d'entre eux en acte, mais l'un et l'autre en puissance, et de la même manière dans les autres sens, de même aussi il en aille avec le sens du toucher : que l'organe ne soit ni chaud ni froid en acte, mais l'un et l'autre en puissance.

#548. — Il en va cependant différemment en cela pour le toucher et pour les autres sens. En effet, dans la vue, l'organe de la vue est en puissance au blanc et au noir, dépouillé de tout le genre du blanc et du noir, car il est tout à fait privé de couleur. Mais l'organe et le milieu du toucher ne peut être dépouillé de tout genre de chaud et de froid, d'humide et de sec ; en effet, il est composé des éléments dont ceux-ci sont les qualtiés propres. Par contre, l'organe du toucher devient en puissance à ses objets en tant qu'il est dans un état moyen entre les contraires. En effet, le moyen est en puissance aux extrêmes. À cause de cela, d’autant plus un animal voit sa complexion réduite à l’état moyen, d'autant meilleur il a le toucher. C’est pourquoi l'homme, parmi tous les animaux, possède le meilleur toucher, comme on a dit plus haut (#482-483).

#549. — Ensuite (424a10), il traite de ce qui est perçu par le toucher. De même, dit-il, que la vue porte d'une certaine manière sur le visible et sur l'invisible, comme aussi les autres sens portent sur les opposés, l'ouïe sur le son et sur le silence, de même aussi le toucher porte sur le tangible et sur l'intangible. L'intangible, toutefois, se dit de deux manières : ou bien ce qui surabonde, au point de corrompre le sens, comme le feu ; ou bien ce qui présente peu de qualité tangible, comme l'air. En effet, l'un et l'autre se disent tangibles en tant que mal perceptibles par le sens du toucher.

#550. — Enfin, il conclut, par manière d'épilogue, qu’il a parlé «sommairement», c'est-à-dire comme en résumé, des sensibles sens par sens. En effet, il en est traité en détail au livre Du sens et de la sensation. 

Chapitre 12 (424a17-b18) 424a17 Il faut l'admettre universellement pour tout sens: le sens, c'est ce qui peut recevoir les formes sensibles sans leur matière, comme la cire peut recevoir la marque du sceau sans son fer ni son or; de fait, elle reçoit la marque dorée ou d'airain, mais ce n'est pas en tant qu'il s'agit d'or ou d'airain. Il en va pareillement du sens en rapport à chaque chose qu'il sent: il est affecté par ce qui a couleur, fluide ou son, non pas toutefois d'après ce qu'on attribue comme être à chacun de ces objets, mais en tant qu'il est de telle sorte et d'après sa forme (373). 424a24 Le premier sensitif, c'est ce où réside pareille puissance. C'est bien sûr la même chose, mais quant à son être c'est autre chose. Ce qui sent, en effet, doit comporter une grandeur, alors que, pour la puissance de sentir, ni son être ni le sens ne sont une grandeur; c'en sont plutôt comme une forme et une puissance. 424a28 Partant de là, il devient manifeste aussi pourquoi donc les excès des sensibles corrompent les appareils sensitifs. Si en effet le mouvement imprimé à l'appareil sensitif est trop fort, la forme — qui constitue le sens — se dissout, tout comme l'accord et le ton des cordes heurtées violemment. Pourquoi donc aussi les plantes ne sentent pas, alors qu'elles possèdent l'une des parties de l'âme et se trouvent quelque peu affectées par les tangibles eux-mêmes: en effet, elles se refroidissent et s'échauffent. La cause en est, en effet, qu'elles ne possèdent pas de médiété ni de principe propre à recevoir les formes des objets sensibles; au contraire, elles n'en sont affectées qu'avec leur matière. 424b3 On pourrait se demander, par ailleurs, si peut être affecté de quelque manière par une odeur ce qui est incapable d'olfaction, par une couleur ce qui est incapable de voir, et pareillement pour les autres sensibles. 424b5 Mais l'objet de l'odorat, c'est l'odeur, et si celle-ci fait quelque chose, c'est l'olfaction que l'odeur fait. Par conséquent, en ce qui est incapable d'olfaction, rien n'est de nature à se trouver affecté par l'odeur. Le même raisonnement vaut aussi pour les autres sensibles. Même en ce qui en est capable, chacun n'est affecté qu'en autant qu'il est sensible. 424b9 Cela devient aussi évident comme suit. Ce ne sont ni la lumière et l'obscurité, ni le son, ni l'odeur qui font quoi que ce soit aux corps, mais ce en quoi chacun se trouve; c'est par exemple l'air qui accompagne le tonnerre qui fend le bois. 424b12 Les qualités tangibles et les saveurs, pourtant, agissent sur les corps. Sinon, par quoi les êtres inanimés se trouveraient-ils affectés et altérés? 424b14 Alors, les autres sensibles n'agissent-ils pas aussi? Plutôt, tout corps n'est pas affectable par l'odeur et le son. Ceux qui sont affectés sont indéterminés et instables, comme l'air; celui-ci sent, s'il est affecté de certaine manière. 424b16 Qu'est-ce donc que sentir une odeur, sinon être affecté de certaine manière? Sentir une odeur, c'est aussi en avoir la sensation, tandis que l'air, quand il est affecté, devient vite sensible tout simplement. 

Leçon  24

#551. — Dans la partie précédente, le Philosophe (374) a traité des sensibles (375) en regard de chaque sens; ici, il traite du sens. À ce propos, il développe trois points: en premier, il montre ce qu'est le sens; en second (424a28), il conclut la solution de certaines questions à partir de la définition donnée du sens; en troisième (424b3), il soulève des difficultés sur l'affection du sens (376) par les sensibles. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre ce qu'est le sens; en second (424a24), il montre ce qu'est l'organe du sens. Il faut admettre universellement et communément, commence-t-il, qu'il appartient à tout sens que le sens reçoit les espèces sans leur matière, comme la cire reçoit la marque de l'anneau sans le fer ni l'or. Cependant, cela semble bien être commun à tout ce qui trouve affecté. Tout ce qui se trouve affecté, en effet, reçoit quelque chose de l'agent en tant qu'il est agent. Or l'agent agit par sa forme, et non par sa matière. Donc, tout ce qui est affecté reçoit une forme sans sa matière. Et cela apparaît même au sens; en effet, l'air ne reçoit pas du feu comme agent sa matière mais sa forme: cela donc ne semble pas être propre au sens, de recevoir (377) les espèces sans leur matière.

#552. — Bien que cela soit commun (378) à tout ce qui se trouve affecté, doit-on donc répliquer, de recevoir la forme de l'agent, la différence toutefois réside dans la manière de la recevoir. En effet, la forme reçue de l'agent chez celui qui se trouve affecté a parfois la même manière d'être en celui qui en est affecté qu'en l'agent. Cela se produit, bien sûr, quand celui qui est affecté a envers la forme la même disposition que l'agent: car tout ce qui (379) est reçu en autre chose l'est à la manière de ce qui le reçoit (380). Aussi, si celui qui est affecté est disposé de la même manière que son agent, la forme se trouve reçue en lui de la même manière qu'elle se trouvait chez son agent; alors, la forme n'est pas reçue sans sa matière. Certes, la même matière numériquement qui appartient à l'agent ne devient pas celle de la chose affectée; cependant, la matière de cette dernière devient d'une certaine manière la même, pour autant qu'elle acquiert une disposition matérielle à la forme pareille à celle qui se trouvait chez son agent. C'est de cette manière que l'air est affecté par le feu, ainsi que tout ce qui est affecté d'une affection naturelle.

#553. — Parfois, par contre, la forme se trouve reçue dans la chose affectée selon une manière d'être différente de celle dont elle est en son agent. C'est que la disposition matérielle dans la chose affectée, pour recevoir la forme, n'est pas pareille à cette disposition matérielle dans (381) l'agent. C'est pourquoi la forme se trouve reçue sans matière dans la chose affectée, pour autant que cette chose affectée est assimilée à son agent en regard de sa forme, mais non en regard de sa matière. C'est de cette manière que le sens reçoit la forme sans la matière, car la forme a dans le sens une autre manière d'être que dans la chose sensible. En effet, dans la chose sensible, elle a un être naturel, tandis que dans le sens elle a un être intentionnel, c'est-à-dire (382) spirituel.

#554. — Il introduit l'exemple adéquat du sceau et de la cire. Car ce n'est pas la même disposition envers l'image qui appartient à la cire et qui appartenait au fer et à l'or. C'est pourquoi il précise que la cire reçoit la marque, c'est-à-dire l'image ou la figure de l'or ou de l'airain, mais non pas en tant qu'elle est de l'or ou de l'airain. En effet, la cire est assimilée au sceau d'or quant à son image, mais non quant à la disposition de l'or. Pareillement, le sens est affecté par le sensible qui a de la couleur ou du fluide, c'est-à-dire de la saveur, ou du son, «mais non en tant que chacun s'attribue à ceux-là»; c'est-à-dire, il n'est pas affecté par la pierre colorée en tant que c'est une pierre, ni par du miel doux en tant que c'est du miel. C'est que dans le sens il ne se produit pas une disposition pareille envers la forme qui se trouve (383) chez ces sujets; plutôt, il est affecté par eux en tant que tels, c'est-à-dire (384) en tant que coloré, ou savoureux, et385 en regard de leur raison, c'est-à-dire en regard de leur forme. En effet, le sens s'assimile au sensible en regard de sa forme, mais non en regard de la disposition de sa matière.

#555. — Ensuite (424a24), il traite de l'organe386 des sens. Il vient de dire que le sens reçoit les espèces sans leur matière, et cela convient aussi à l'intelligence; aussi pourrait-on croire que le sens n'est pas une puissance dans un corps, comme n'en est pas une non plus l'intelligence. C'est pour exclure cela qu'il lui assigne un organe: le premier sensitif, dit-il donc, c'est-à-dire le premier organe du sens, est ce en quoi il se trouve une puissance de la sorte, à savoir, qui reçoive les formes sans leur matière. L'organe du sens, en effet (387), par exemple l'œil, est la même chose que cette puissance même, quant à leur sujet; cependant, quant à leur être, il est autre chose, parce que la puissance diffère de définition avec le corps. La puissance, en effet, est comme la forme de l'organe, comme on en a traité plus haut (#230-231). C'est pourquoi il précise que la «grandeur», c'est-à-dire l'organe corporel, est «ce qui est affecté du sens», c'est-à-dire ce qui est susceptible du sens, comme la matière de la forme. Cependant, il n'y a pas même définition pour la grandeur et pour le sensitif, c'est-à-dire le sens; plutôt, le sens est une espèce de compte, c'est-à-dire de proportion et de forme et de puissance pour celle-là, à savoir, pour la grandeur.

#556. — Ensuite (424a28), il conclut, à partir de ce qui précède, la solution de deux questions que l'on peut se poser. Il devient manifeste à partir de ce qui précède, dit-il, pourquoi l'excès des sensibles corrompt les organes des sens. Il faut, en effet, dans les organes de celui qui sent, pour qu'il sente, qu'il y ait «une espèce de compte», c'est-à-dire de proportion, comme on a dit (#555). Si donc le mouvement sensible a été plus fort que l'organe n'est apte à être affecté, cette proportion se dissout, et le sens se trouve corrompu, puisqu'il consiste en une espèce de proportion de l'organe, comme on a dit. Il en va comme quand on frappe fortement des cordes: on compromet l'accord et le ton de l'instrument, qui consiste en une espèce de proportion.

#557. — Devient manifeste aussi, à partir de ce qui précède, la raison d'une autre question, à savoir «pourquoi» les plantes ne sentent pas, alors pourtant qu'elles détiennent une partie de l'âme, et se trouvent affectées par certains sensibles, à savoir, par les tangibles. Il est manifeste, en effet, qu'elles se réchauffent et se refroidissent. La cause, donc, pour laquelle elles ne sentent pas, est qu'il n'y a pas en elles cette proportion qui est requise pour sentir. Elles ne possèdent pas, en effet, cette médiété de complexion entre les tangibles qui est requise à l'organe du toucher, sans quoi aucun sens ne peut exister; et c'est pourquoi elles n'ont pas en elles un principe de la sorte, qui puisse recevoir les formes «sans leur matière», à savoir, le sens. Mais il leur arrive d'être affectées avec leur matière, à savoir, selon une transformation matérielle.

#558. — Ensuite (424b3), il soulève une difficulté sur l'affection par les sensibles. Il vient de dire, en effet, que les plantes sont affectées par les objets tangibles (388). Aussi soulève-t-il d'abord (389) la difficulté de savoir si, sans avoir le sens, on peut être affecté par les autres sensibles, par exemple: par l'odeur, sans avoir l'odorat; par la couleur, sans avoir la vue; par le son, sans avoir l'ouïe.

#559. — En second (424b5), il apporte deux raisonnements pour montrer que non. Le premier en va comme suit. Le propre de l'odorant est de se faire sentir (390); or l'odeur est odorante; si donc elle fait quelque chose, c'est de se faire sentir (391). Ou, dans une autre version: l'odeur se fait sentir (392); l'action propre de l'odeur, donc, en tant qu'odeur, est de se faire sentir, c'est-à-dire de faire qu'on la sente; de là il s'ensuit que ce qui admet l'action de l'odeur, en tant qu'odeur, a le sens de l'odorat, et que393 donc ce qui n'a pas le sens de l'odorat ne peut être affecté par l'odeur. Le même raisonnement semble valoir pour les autres, qu'il n'appartienne à rien de pouvoir être affecté par les sensibles, sinon seulement à ceux qui sont dotés du sens.

#560. — Il introduit ensuite un second raisonnement (424b9). Cela même (394) que le premier raisonnement conclut est manifeste par l'expérience. En effet, la lumière et l’obscurité, l'odeur et le son ne produisent aucun effet sur les corps insensibles (395), sinon peut-être par accident, en tant que des corps dotés de qualités de la sorte produisent un effet: par exemple, l'air, quand il s'accompagne de tonnerre, fend le bois. Le bois, donc (396), n'est pas affecté par le son, à parler par soi, mais par l'air déplacé.

#561. — En troisième (424b12), il montre qu'il en va autrement des qualités tangibles. «Les tangibles et les fluides», c'est-à-dire les saveurs, produisent un effet sur les insensibles (397). Mais cela, on doit le comprendre des saveurs non en tant que ce sont des saveurs, mais en tant que l'objet du goût est une espèce de tangible et que le goût est une espèce de toucher. Si en effet les corps insensibles n'étaient pas affectés par les qualités tangibles (398), on ne saurait donner par quoi seraient affectés et altérés les corps inanimés (399). En effet, les tangibles sont des qualités actives et affectives des éléments d'après lesquelles l'altération se produit universellement dans les corps.

#562. — En quatrième (424b14), il montre aussi que les autres sensibles agissent sur certaines choses inanimées, bien que non sur toutes. «N'est-ce donc pas que ceux-là», à savoir, les autres sensibles aussi (400), produisent un effet (401) sur les choses inanimées? C'est comme s'il disait: oui. Pourtant, tout corps n'est pas affecté par l'odeur et par le son, comme tout corps est affecté par la chaleur et par le froid. Plutôt, peuvent être affectés par ces sensibles seulement les corps indéterminés et qui ne sont pas stables, comme l'air et l'eau, qui sont humides, et ne sont pas bien déterminables (402) par un terme propre. Que l'air puisse être affecté par l'odeur, c'est manifeste, parce que l'air sent mauvais comme une chose affectée par une odeur. Une autre version dit «porterait», car dans les autres sens il y a des intermédiaires qui portent les espèces au sens (403). La raison de cette diversité, par ailleurs, c'est que les qualités tangibles sont les causes des autres sensibles; c'est pourquoi elles ont plus de vertu active et peuvent agir sur n'importe quels corps. Les autres sensibles, au contraire, comme ils ont moins de vertu active, ne peuvent agir que sur un corps très affectable. Pareille raison vaut de la lumière des corps célestes, qui altère les corps inférieurs.

#563. — En cinquième (424b19), il résout le raisonnement présenté plus haut. Si une chose, dit-il, est affectée par une odeur et qu'elle ne la sent pas, qu'est-ce que c'est sentir, si ce n'est être affecté par une odeur? Et il répond que sentir est être affecté par une odeur de façon qu'on sente l'odeur. Or l'air n'est pas ainsi affecté qu'il sente, parce qu'il n'a pas de puissance sensitive; plutôt, il est affecté de façon qu'il devienne sensible, en tant qu'il sert d'intermédiaire dans le sens.  

 

(260) Léonine: sensum esse in potentia et in actu. Marietti: sensum esse in potentia et actu

(261) Léonine: utens exemplo intellectu. Marietti: utens exemplo in intellectu.

(262) Léonine: de potentia in actum. Marietti: de utraque potentia in actum.

(263) Léonine: dividendum est de. Marietti: dicendum est de.

(264) Léonine: in potentia. Marietti: aliquid in potentia.

(265) Léonine: secundo modo dicitur aliquid quod sciat. Marietti: secundo modo dicimus aliquem esse scientem quod aliqua sciat.

(266) Esse iam scientem.

(267) Léonine: pura. Marietti: puta

(268) Considerare.

(269) Qui iam considerat.

(270) En illustrant la même distinction.

(271)Léonine: tertii. Marietti: secundi.

(272) Léonine: aliquis. Marietti: aliquid.

(273) Léonine: qui. Marietti: quod.

(274) Léonine: nec veritate cogitur. Marietti: nec veritatem cognoscit.

(275) Léonine: quasi. Marietti: quod.

(276) et non agit secundum ea.

(277) In agere.

(278) Fit agens secundum scientiam.

(279) Léonine: detrimentum. Marietti: decrementum.

(280) Léonine: detrimentum. Marietti: decrementum.

(281) Léonine: passio communis dicitur minus proprie. Marietti: passio communiter dicitur et minus proprie.

(282) Léonine: id est. Marietti: et.

(283) Léonine: actu. Marietti: in actu.

(284) Léonine: passio. Marietti: potentia.

285. Léonine: passio. Marietti: potentia.

286. Fit actu speculans.

287. Léonine: non est. Marietti: aut non est.

288. Léonine: perficitur. Marietti: proficit.

289. Léonine: accipere. Marietti: acquirere.

290. Léonine: ducitur. Marietti: educitur.

291. Léonine: [incipit] facit. Marietti: incipit facere. — On devrait lire: incipere facit.

292. Léonine: quarum una est secundum «mutationem in privativas dispositiones», id est in dispositiones contrarias quibus privantur dispositiones prius existentes. Marietti: quorum unus alterationis est secundum «mutationem, in privationis dispositiones», id est in dispositiones contrarias, quibus privantur, propter dispositiones prius existentes.

293. Léonine: alia vero est secundum mutationem «in habitus et naturam».

294. Léonine: potentia. Marietti: in potentia.

295. Léonine: et a principio intrinseco. Marietti: et a principio intrinseco, et a principio extrinseco.

296. , avoir présent à l'esprit et porter son attention sur ce que l'on sait déjà; y penser, le contempler.

297. synonyme ici de .

298. Léonine: per inventionem et disciplinam. Marietti: per intentionem et disciplinam.

299. Léonine: nominat. Marietti: manifestat.

300. Ille qui iam actu considerat. Considerare, ici, qui traduit , c'est avoir justement présent à l'esprit ce que l'on sait déjà de science, mais à quoi on ne pensait pas auparavant. Voir supra, notes 5, 19 et 34.

301.Léonine: per modum ipsius et non per modum sui. Marietti: per modum sui.

302. Léonine: corporaliter. Marietti: corporaliter et materialiter.

303. Le blanc, c'est ou bien Socrate, indépendamment du fait qu'il soit blanc, ce qui me justifiera de dire que le blanc parle, ou bien Socrate en tant qu'il est blanc, comme lorsqu'on dit que le blanc est pâle. De même, l'universel, c'est ou bien l'homme, indépendamment de sa représentation dans l'intelligence, comme lorsqu'on dit que l'homme est un animal, ou bien l'homme en tant que représentation dans l'intelligence, comme lorsqu'on dit que l'homme est une espèce

304. Léonine: quod qui apprehendit rem aliquam. Marietti: ut quia apprehendit rem aliquam. 100

305. Léonine: non simpliciter dicitur id quod est in potentia sed multipliciter. Marietti: non simpliciter dicitur, quod est in potentia, seu simpliciter.

306. Léonine: quando. Marietti: quoniam.

307. Léonine: in sentiendo. Marietti: ad sentiendum aliquid.

308. Léonine: nomina propria posita. Marietti: nomina posita.

309. Léonine: quibus harum differentia potentiarum ostendatur. Marietti: in quibus harum differentia potentiarum ostendatur.

310. Léonine: puta prout. Marietti: prout.

311 Léonine: sensibili. Marietti: sentienti.

312 Léonine: iam assimilatum. Marietti: assimilatum.

313.

314. Voir supra, note 156.

315.  Le passage entre crochets ne figure pas dans les manuscrits grecs disponibles, mais Moerbeke l'a traduit: «Per se igitur sunt sensibilia haec.»

316. Léonine: de sensu quid sit. Marietti: de sensu quidnam sit.

317. Léonine: dicit ergo. Marietti: dicit ergo primo.

318. Léonine: duobus. Marietti: duobus modis.

319. Léonine: ab omnibus sensibus. Marietti: ab omnibus quae sentiunt.

320. Humor, . Voir supra, note 156.

321. Calidum et humidum, frigidum et siccum.

322. Léonine: quin sit talis color. Marietti: quod sit talis color

323.   Léonine: iudicare per auditum quid est id quod sonat. Marietti: iudicare per auditum qui est quod sonat.

324. Léonine: nihil patitur ab hoc. Marietti: nihil patitur sensus ab hoc.

325. Léonine: enim. Marietti: autem.

326. Léonine: ita nec sensibilia communia. Marietti: sic nec sensibilia communia apprehenduntur, nisi apprehendantur sensibilia propria.

327. Léonine: circa immutationes ipsas sensuum propriorum a suis obiectis, habet sensus communis aliquas operationes proprias. Marietti: ciraa immutationes ipsas sensuum propriorum a suis obiectis.

328. Léonine: discernimus inter album et dulce. Marietti: discernimus inter sensibilia diversorum sensuum, scilicet album et dulce.

329.  Léonine: agitur hic. Marietti: agitur.

330. Léonine: quod est. Marietti: qui est.

331. Léonine: speciem agentis. Marietti: speciem agentem.

332. Léonine: quod apprehenditur visu, per se autem dulce apprehenditur gustu. Marietti: quod apprehenditur visu, et ipsum dulce per se cognoscitur ab slio sensu, scilicet a gustu.

333. Léonine: in re sensata. Marietti: in re sensibili.

334.  La couleur n’est pas visible par soi par sa définition, c’est-à-dire parce que visible entrerait dans sa définition.

335. « .» est le mot clé de l’argument incriminé. Pour contrer l’objection de l’impossibilité du déplacement instantané du corps lumineux, Empédocle prétend que ce déplacement prend un temps, mais que nous ne le sentons pas. Oublier de le traduire, comme Vernier, efface l’argument; le traduire par en un moment ou par à un moment donné, comme Bodéüs et Barbotin, fait contre-sens.

336. Léonine: ratione. Marietti: oratione.

337. Ce que nous appelons phosphorescent, en dérivant cet adjectif du mot grec , porteur de lumière, appliqué entre autres à l’étoile du matin

338. Noctilucae.

339. Putredines quercuum, les pourritures de chêne. Certains champignons poussant sur le chêne étaient perçus comme la putréfaction du chêne. Pline, cité par Gauthier, dit : «Les arbres des Gaules sur lesquels poussent des glands portent surtout l’agaric. C’est un champignon blanc, odorant, contrepoison efficace, naissant sur les arbres les plus élevés, luisant la nuit.»

340. Léonine: visibilis. Marietti: visibilis per se

341. Léonine: in his quae sic per se. Marietti: in his quae sunt per se.

342. Léonione: passio coloris. Marietti: passio.

343. Léonine: visibile. Marietti: visibilis.

344. Léonine: manifestum est. Marietti: manifestatum est enim.

345.Léonine: a corporibus lucidis. Marietti: a corporis lucidis.

346. Léonine: aliquod corpus. Marietti: corpora vel aliquod corpus.

347. Léonine: et. Marietti: aut. 

348. Léonine: ex diaphano. Marietti: in diaphano.

349. Léonine: advenientis in diaphanum. Marietti: deveniens in diaphanum.

350. Léonine: in parvo spatio. Marietti: parvo spatio.

351. Léonine: corporum. Marietti: corporis. 

352.  Léonine: species. Marietti: species sensibilis.

353Lumen defluens a luce. 

354. Mobiles. On doit lire nobiles.

355. Léonine: dant. Marietti: dicunt.

356. Léonine: in susceptibili. Marietti: in suo susceptibili.

357. Léonine: visus. Marietti: ipsius. 

358.  Moerbeke traduit lucidum, lumineux. Le sens n’en est pas affecté, puisque c’est quand le transparent devient lumineux qu’il devient vraiment transparent. 

359. Animalia quae. Le texte d’Aristote ne précise d’aucune façon qu’il s’agisse d’animaux. 

360. Olfactu. Lire : odore. 

361.  Moerbeke traduit connaturalis, portant à identifier ouïe et air comme d’une même nature sans plus. Mais signifie aussi le fait de grandir ensemble, de se trouver naturellement ensemble, ce qui me paraît plus approprié pour rendre la pensée d’Aristote : l’organe de l’ouïe n’est pas seulement de l’air, mais en comporte naturellement.

362.  L’organe de l’ouïe n’est pas que de l’air, c’est une partie animée du vivant que vient affecter l’air lui-même mis en mouvement par le son. — Le manuscrit de Moerbeke comportait une comparaison avec le cas de la vue, qu’il traduit : «sicut pupilla humidum», comme ce n’est pas en sa totalité que la pupille comporte de l’humide, c’est-à-dire : l’organe de la vue n’est pas non plus que de l’eau.

363. Le manuscrit traduit par Moerbeke, plus explicite, donne en traduction : «Neque si meninga laboret. Sicuti neque tum videmus, cum ea pellis, quae pupillam tegit, morbo quodam laborat. — Ni si la membrane est lésée. De même aussi, nous ne voyons pas quand la peau qui couvre la pupille est affectée de quelque maladie.»

364. Grammaticalement, il est difficile de dire si le symptôme fourni vise la bonne ou mauvaise audition : «le signe qu’on entend ou non». Paradoxalement, les traducteurs comprennent généralement qu’un bourdonnement continu dans l’oreille est signe qu’on entend bien. «C’est le bourdonnement continu de l’oreille saine, comparable à celui d’une corne: toujours, en effet, un mouvement spécifique ébranle l’air contenu dans les oreilles, tandis que le son reste étranger et n’est pas propre à l’oreille même. C’est pourquoi l’on dit communément que l’on entend grâce au vide et à ce qui résonne.» (Barbotin ) «C’est le bruissement continu que fait l’oreille comme la corne. L’air qui se trouve dans les oreilles est, en effet, perpétuellement agité d’un certain mouvement n aturel. La sonorité, en revanche, lui est étrangère et n’est pas le propre de l’air. C’est d’ailleurs pour cela qu’on dit entendre grâce au vide qui résonne.» (Bodéüs) «C’est que l’oreille résonne toujours comme une corne; en effet, l’air est mû dans les oreilles de manière permanente par un certain mouvement propre, mais le son lui est étranger et ne lui est pas propre. Et, pour cette raison, on dit que nous entendons par le vide, et le vide qui résonne.» (Vernier) — Comme Aristote a insisté auparavant que l’air contenu dans l’organe doit être immobile et insonore, je reçois plutôt ce bourdonnement comme le symptôme d’une mauvaise audition et j’interprète le dicton comme la description d’une ouïe défectueuse. C’est aussi ainsi que l’entend saint Thomas. Autrement, on met Aristote en contradiction répétée : après lui avoir fait attribuer à l’oreille saine un mouvement d’air intérieur et un bourdonnement propre, on lui prête en conclusion une insistance comme quoi le son doit lui être étranger et non propre. 

365.  Moerbeke traduit: sonus, visibile, lumen. 

366. Le mot utilisé par Aristote pour saveur est , que Moerbeke traduit par humor.  

367Parvitatem. D'autres leçons ont: pravitatem, defectuosité.

368. Impossibile. On doit lire impotens

369. Adnatum. En d'autres versions: adunatum.

370. C’est une interrogation qui échappe aux animaux aquatiques : ils ne peuvent penser à se demander si des corps mouillés se touchent, ni par conséquent s’apercevoir que de fait ce n’est pas le cas, l’eau constituant un milieu entre eux. Barbotin, Bodéüs et Vernier font contre-sens, en donnant que les animaux aquatiques ne s’aperçoivent pas que des corps mouillés se touchent. 

371. Voir De la génération et de la corruption, II, 2 et 3. 

372. Le feu est par nature chaud et l’eau par nature froide. 

373

374. Léonine: postquam Philosophus. Marietti: postquam Philosophus in parte precedenti.

375. Léonine: sensibilibus. Marietti: sensibus.

376. Léonine: circa passionem sensus. Marietti: circa passionem. 

377. Léonine: quod sit susceptibus. Marietti: quod sit receptivus.

378. Léonine: licet hoc sit commune. Marietti: licette hoc sit.

379. Léonine: unumquodque. Marietti: quodcumque.

380. Léonine: secundum modum recipientis. Marietti: secundum modum recipientis recipitur.

381. Léonine: quae erat in. Marietti: quae est in.

382. Léonine: sive. Marietti: et.

383 Léonine: erat. Marietti: est.  

384. Léonine: id est. Marietti: vel.

385. Léonine: et. Marietti: vel.

386. Léonine: organo. Marietti: organis. 

387. Léonine: igitur. Marietti: enim.

388. Léonine: a tangibilibus. Marietti: a quibuscam sensibilibus.

389. Léonine: movet igitur primo. Marietti: primo movet.

390. Proprium olfactibilis est facere olfactum, le propre de l'odorant est de se faire ‘odorer’ (flairer). 

391. Léonine: si aliquid facit facit olfactum. Marietti: si aliquid facit olfactum, facit per odorem.   

392. Odor facit olfactum.

393. Ce qui précède, depuis l'allusion à une autre version, est omis dans la Léonine.

394. Léonine: hoc idem. Marietti: hoc. 

395. Léonine: corpora insensibilia. Marietti: corpora sensibilia. — Les corps non dotés de sens.

396. Léonine: igitur. Marietti: enim.

397. Léonine: insensibilibus. Marietti: sensibilibus.

398. Léonine: a tangibilibus. Marietti: a qualitatibus tangibilibus.

399. Léonine: inanimata. Marietti: corpora inanimata.

400. Léonine: sensibilia etiam alia. Marietti: sensibilia alia.

401. Léonine: faciunt aliquem effectum. Marietti: faciunt aliquem effectum et olfactum.

402. Léonine: terminabilia. Marietti: determinabilia.

403. Léonine: quia videlicet media in aliis sensibus deferunt species ad sensum. Marietti: quia scilicet mediantibus aliis sensibilibus deferuntur species ad sensum. — La traduction de la version Marietti donnerait: car c'est par le moyen d'autres sensibles que les espèces sont apportées au sens.