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table des matières de l'oeuvre d'Aristote

 

ARISTOTE

 

Thomas d’Aquin

 

Commentaire au traité de l’âme 

 

Livre I Livre I (suite) Livre II Livre II (suite) Livre III

Livre I (suite)

traduction par Yvan Pelletier

2000

Site http://www.thomas-d-aquin.com/

Yvan Pelletier Yvan Pelletier (né en 1946) est professeur titulaire à la Faculté de philosophie de l'Université Laval, où il enseigne depuis 1975 et où il a complété sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant à l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abbé Jasmin Boulay et de MM. Warren Murray, Alphonse Saint-Jacques et quelques autres professeurs d'une tradition aristotélico-thomiste initiée à cette faculté par M. Charles De Koninck. Son enseignement est agencé de façon à offrir aux étudiants du baccalauréat une présentation des principes fondamentaux et de la méthode de chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective aristotélicienne : éthique, politique, physique, métaphysique - et aux étudiants de maîtrise et doctorat une réflexion critique sur les éléments du credo contemporain - démocratie, nouvelle morale, logique symbolique, dissociation de l'être et du devoir, primauté de la conscience, etc. - à partir de ces principes fondamentaux.   

 


 

LIVRE PREMIER. (suite)

Leçon  10

#146. — Auparavant, le Philosophe a présenté les raisonnements de ceux qui ont prétendu que l'âme est mue en partant de ce que c'est elle qui meut le corps, et il s'y est attaqué. Maintenant, il veut montrer, par la suite, qu'on peut tirer un raisonnement plus évident, comme quoi l'âme serait mue, à partir des opérations mêmes de l'âme. À ce propos, il développe deux points. En premier, en effet, il soulève la difficulté que présentent ceux qui ont soutenu, en partant des opérations (122) de l'âme, que l'âme est mue. En second (408b5), il résout pareille difficulté quant à ce qui relève du propos. Il dit donc, en premier, qu'alors que les philosophes cités ont posé la question si l'âme se mouvait à partir de ce qu'elle meut le corps, on se posera «plus rationnellement», c'est-à-dire avec plus de probabilité, la question du mouvement de l'âme «en regardant» à ce qu'on pourrait dire «de pareilles choses», c'est-à-dire des opérations de l'âme. C'est à partir d'elles, de fait, qu'on pourra montrer avec probabilité que l'âme est mue. «Car nous disons que l'âme s'attriste, se réjouit, montre de l'assurance» — c'est-à-dire ose — «et craint». Plus encore, nous disons qu'elle se fâche, sent et comprend. Comme ce sont là toutes des opérations de l'âme, et que ce sont des espèces de mouvements, il semble bien que l'âme soit mue. Et cette difficulté semble davantage probable que celle qui précède, car celle-là regardait le mouvement de l'âme à partir du mouvement du corps — elle disait, en effet, que rien ne meut s'il n'est mû, de sorte que, comme l'âme meut le corps, il en devient manifeste qu'elle-même est mue. Tandis que l'opinion présente regarde le mouvement de l'âme même, à partir des opérations propres de l'âme.

#147. — Ensuite (408b5), il résout la difficulté. À ce propos, on doit savoir que lorsque Aristote recherche une vérité en soulevant des objections et en les résolvant (123), parfois il soulève et résout les objections une fois la vérité établie — et alors, il soulève et résout les objections en suivant sa pensée —, mais parfois il le fait avant que la vérité ne soit établie — et alors il soulève et résout des objections en supposant les opinions des autres, et non en suivant sa pensée et ce qu'il regarde lui-même comme la vérité. Nous avons un exemple de cela, Physique, III, 4-8, où le Philosophe s'attaque à ceux qui introduisent l'infini, et se sert contre eux de beaucoup de raisonnements qui sont faux à son avis, mais qu'on penserait vrais selon le leur; par exemple, que tout corps ait légèreté et lourdeur. La raison en est que cela, à savoir si tout corps (124) a légèreté et lourdeur, n'avait pas encore été établi, et qu'il l'a établi par après, Du ciel, I, 3. C'est pourquoi il a réitéré là la question de l'infini. C'est cette façon de soulever et résoudre des objections qu'Aristote adopte ici; aussi s'attaque-t-il à ces gens en supposant leurs opinions.

#148. — Ces gens, en effet, et surtout les Platoniciens, étaient d'avis que s'attrister, se réjouir, se fâcher, sentir et comprendre, et autres pareilles opérations que nous avons mentionnées, sont des mouvements de l'âme. Et que chacun d'eux, même comprendre, se fait moyennant un organe déterminé; et que quant à cela il n'y a pas de différence entre la faculté de sentir et celle de comprendre; et que toute âme, et non seulement l'âme intellective, est incorruptible. Aristote, donc, concède tout cela. Il suppose en effet que pareilles opérations se font moyennant des organes déterminés, même comprendre. Et que toute âme soit incorruptible. Il nie seulement une chose: il dit que pareilles opérations, à savoir, sentir, se réjouir, et autres de la sorte, ne sont pas des mouvements de l'âme, mais des mouvements du composé (125). Et c'est sous cet aspect qu'il s'attaque à ces gens.

#149. — À ce propos, il développe deux points. En premier, en effet, il montre que pareilles opérations ne sont pas des mouvements de l'âme. En second (408b18), par ailleurs, il prouve cela en usant d'un moyen terme. Il dit donc que ces gens affirment deux choses. Et en premier, que se réjouir et s'attrister et autres pareilles opérations sont des mouvements. En second, que celles-ci s'attribuent à l'âme — celle-ci se fâcherait, se réjouirait, sentirait et ainsi de suite —, de sorte que l'âme serait mue. Or cela ne va pas nécessairement; bien plus, l'une et l'autre de ces affirmations sont fausses: car (126) pareilles opérations ne sont pas des mouvements et elles ne s'attribuent pas non plus à l'âme (127). Même en concédant que ce soient des mouvements, et en en parlant comme de mouvements, il reste tout de même faux qu'elles s'attribuent à l'âme et, par conséquent, que l'âme, au regard de pareilles opérations (128), se trouve mue. Et cela devient manifeste comme suit.

#150. — Il est évident, en effet, que si pareilles opérations sont des mouvements et s'attribuent à l'âme, elles ne s'attribuent toutefois que suivant des parties précises du corps; par exemple, sentir ne s'attribue à l'âme qu'en une partie du corps, par exemple, dans l'œil, pour la sensation qui se fait par la vue; de même, se fâcher s'attribue seulement dans le cœur, et ainsi de suite. Pareillement, il apparaît manifestement que (129) ce ne sont pas seulement des mouvements de l'âme (130), mais des mouvements du composé. Cependant, cela est issu de l'âme, comme, par exemple, pour ce qui concerne se fâcher. En effet, l'âme juge qu'une chose mérite une colère, puis le cœur de l'animal se trouve mû partant de là, et le sang se réchauffe autour de lui. Il en va pareillement pour les peurs. En effet, une petite partie du corps se contracte au regard de l'objet épeurant, puis s'altère. Et ainsi de suite. De la sorte, l'âme ne se trouve pas mue, mais il se peut qu'on soit mû par elle, du fait qu'autre chose, comme le cœur, soit mû (131) de quelque manière. Aristote établira lui-même, plus loin (#377; 684-685), que comprendre est une opération de l'âme qu'elle ne partage pas avec le corps, et que ce n'est pas une opération du composé; aussi insinue-t-il ici que comprendre, peut-être, est autre chose que les opérations du composé. Il dit peut-être, car il ne parle pas dans un contexte de définition, mais de supposition. Comme cependant il affirmé que pareils mouvements n'appartiennent pas à l'âme mais au composé, ils restent tout de même issus de l'âme.

#151. — Aussi (408b9), il veut montrer que pareils mouvements du corps sont issus de l'âme selon deux espèces de mouvements. Le premier regarde les transformations de lieu. (132) Par exemple, dans la colère, car elle se produit dans l'âme à la suite du mouvement de certaines parties du corps lui-même, à savoir, à la suite du mouvement du cœur. (133) Sous l'effet de la colère, en effet, le sang s'en va vers les parties extérieures, poussé par le réchauffement du cœur. L'autre regarde l'altération, comme il appert dans la peur. En effet, le cœur se contracte et se refroidit, devant un objet épeurant, puis on s'altère et on pâlit (134). Quels types de passions ce sont, maintenant, et comment elles s'émeuvent, il revient à une autre définition de le dire. De la sorte, il appert donc, tout de même, que pareils mouvements n'appartiennent pas à l'âme, mais au corps par l'âme, comme on a dit. 

#152. — L'animal, d'ailleurs, a des opérations corporelles, lesquelles n'appartiennent pas à l'âme mais au corps, ou au composé; de même façon, de pareilles opérations, à savoir, sentir et se réjouir, et autres de la sorte, ne doivent pas se rapporter à l'âme, mais au composé. En effet, dire que l'âme se fâche, et qu'elle se meut suivant pareilles opérations, c'est comme dire que l'âme même tisse ou construit, ou joue de la cithare. En effet, c'est encore l'âme qui est cause de ces mouvements. Car l'habitus qui habilite à construire, ou à tisser, ou à jouer de la cithare est dans l'âme même, et pareilles opérations sont issues de l'âme. Pourtant, il est mieux de dire que c'est le constructeur qui construit, et non l'art, même si le constructeur construit grâce à l'art de construire (135); de même, sans doute, est-il mieux de dire que ce n'est pas l'âme qui prend pitié ou qui apprend ou qui comprend, mais soi-même grâce à son âme. Aristote dit: et peut-être comprend, car il parle dans un contexte de supposition, comme il a été dit.

#153. — Néanmoins, du fait qu'il dit que «ce n'est pas l'âme qui est mue, mais soi-même grâce à son âme», on pourrait comprendre que le mouvement se passerait dans l'âme comme en son sujet (136). Aussi, il exclut cela en disant que, lorsqu'il dit qu'on est mû par son âme, il ne le dit pas au sens qu'il y aurait du mouvement en elle (137), à savoir, dans l'âme, mais au sens que le mouvement est issu d'elle.

#154. — En effet, lorsqu'on dit: telle chose est mue grâce à telle autre, on peut comprendre cela de deux manières. Ou bien parce que, des fois, la chose même grâce à laquelle la chose est mue supporte elle-même le mouvement — par exemple, lorsqu'on dit qu'on se meut du pied, du fait que le pied même se trouve mû. Ou bien parce que, des fois, la chose même ne supporte pas le mouvement, mais met la chose en mouvement — c'est de cette manière qu'on dit qu'on est mû grâce à son âme.

#155. — Même à cela, il y a deux mouvements. Car, parfois, l'âme est comme le terme du mouvement, à savoir, quand le mouvement va vers elle, à savoir, vers l'âme, comme dans la saisie des objets sensibles (138). En effet, quand on saisit (139) les sensibles extérieurs, alors, la vertu sensitive qui se trouve dans l'organe s'efforce et se meut pour remettre et réduire les espèces et les intentions des choses sensibles «jusqu'à elle», à savoir, jusqu'à l'âme. Mais parfois aussi, l'âme est comme le principe du mouvement (140), à savoir, quand il vient d'elle, à savoir, de l'âme, comme cela se passe avec la réminiscence, d'où les intentions et les phantasmes cachés et enfouis des choses sont tirés pour comprendre les choses sensibles. Maintenant, qu'on soutienne que pareils phantasmes restés à l'intérieur soient des mouvements ou des repos, cela n'a pas d'incidence sur la matière présente.

#156. — Il appert donc qu'on n'attribue pas pareils mouvements à l'âme, mais qu'ils appartiennent au composé, qu'ils sont issus de l'âme pourtant, mais non comme par un mouvement qui se passerait dans l'âme même.

#157. — On doit cependant noter que cette solution, pour la difficulté abordée, n'est pas de nature à faire distinguer définitivement la vérité, mais à résister ponctuellement à l'erreur. (141) Car on doit savoir que des auteurs divers attribuent de manières diverses des mouvements aux opérations de l'âme. En effet, c'est de trois manières qu'on trouve du mouvement dans les opérations de l'âme. Dans certaines, c'est proprement qu'on trouve du mouvement; en d'autres, c'est moins proprement; et en d'autres encore, c'est de manière très peu appropriée.

#158. — En effet, on trouve proprement du mouvement dans les opérations de l'âme végétative, et dans l'appétit sensible. Il y a certes proprement du mouvement dans l'opération de l'âme végétative quand on se meut vers son être naturel par le moyen de la nourriture: c'est le mouvement de croissance; pour lui, l'âme végétative fait office d'agent et le corps, lui, de patient. On trouve  proprement aussi du mouvement dans l'appétit sensible, à la fois en rapport à l'altération et au mouvement local. Tout de suite, en effet, l'appétit d'une chose nous meut et nous altère: par exemple, la colère, comme dans l'appétit de vengeance, ou la joie, comme quand l'appétit fait face à un objet plaisant. En outre, par là le sang aussi, celui qui entoure le cœur, se trouve mû vers les parties extérieures; et même on est porté d'un lieu à l'autre à la recherche de ce qu'on désire.

#159. — De manière moins propre, on trouve encore du mouvement dans les opérations de l'âme sensible. Là, en effet, il ne s'agit pas de mouvement suivant l'être naturel, mais seulement suivant l'être spirituel, comme il appert dans la vue, dont l'opération ne tend pas à un être naturel, mais spirituel. C'est que cela se fait par des espèces sensibles reçues dans l'œil suivant un être spirituel. Mais il y a pourtant quelque chose d'une transformabilité, dans la mesure où le sujet de la vertu visuelle est un corps. C'est sous ce rapport qu'on trouve la nature d'un mouvement, bien que moins proprement (142). En effet, on ne parle pas proprement de mouvement dans des opérations (143), sauf quand pareille opération tend à un être naturel.

#160. — C'est le moins proprement qu'on trouve du mouvement dans l'intelligence; en fait, pas du tout, sauf métaphoriquement. En effet, dans l'opération de l'intelligence, il n'y a pas de changement suivant un être naturel, comme il y en a au niveau végétatif, ni non plus de sujet spirituel qui se trouve changé, comme on trouve au niveau sensible. Par contre, il y a là une véritable opération, que l'on appelle d'une certaine façon un mouvement, pour autant qu'à partir d'un sujet intelligent en puissance se trouve produit un sujet intelligent en acte. Cependant, son opération diffère du mouvement, parce que son opération (144) est l'acte d'un être parfait, tandis que le mouvement est l'acte d'un être imparfait.

#161. — Ainsi appert-il comment les opérations de l'âme végétative et sensitive ne sont pas des mouvements de l'âme, mais du composé. Quant aux opérations de l'intelligence, on ne les appelle des mouvements que métaphoriquement, et elles relèvent seulement de l'âme intellective, sans l'intervention d'un organe précis.

#162. — On doit savoir aussi que, de même qu'on trouve au niveau du sens une puissance appétitive et une appréhensive, de même aussi on trouve, dans l'intelligence (145), une puissance appétitive et une appréhensive. C’est pourquoi, aussi, ces opérations — l'amour, la haine, la joie et ainsi de suite —, on peut les entendre à la fois pour autant qu'elles sont dans l'appétit sensible — et alors elles comportent un mouvement corporel conjoint — et pour autant qu'elles sont dans l'intelligence et la volonté seulement, sans aucune affection sensible — et alors on ne peut les appeler des mouvements, car elles ne comportent pas de mouvement corporel conjoint. On les trouve même chez les substances séparées, comme cela deviendra évident par la suite.

#163. — Ensuite (408b18), il veut prouver ce qu'il vient de montrer (146), à savoir, que pareilles opérations, même si c'étaient des mouvements, comme eux-mêmes le disent, ne s'attribueraient pas à l'âme, mais au corps et au composé. Il le prouve par le moyen d'une de leurs opinions qui était fameuse en son temps, à savoir, que toute âme est incorruptible; cela, à leur avis, valait pour l'intelligence et pour toute âme. Il dit donc qu'il semblait aux philosophes cités que l'intelligence soit une substance en devenir et non encore complète, et qu'elle ne se corrompe pas. La raison en est que nous voyons que tous les affaiblissements qui arrivent à l'intelligence et au sens ne touchent pas l'âme comme telle, mais proviennent de la faiblesse de leur organe. Aussi semble-t-il que l'intelligence et toute âme soit incorruptible, et que la faiblesse, dans leurs opérations, ne vienne pas de ce que l'âme même se corrompe, mais de ce que ses organes s'affaiblissent.

#164. — De fait, si l'âme se corrompait, elle se corromprait surtout à l'occasion de la faiblesse qu'on trouve dans la vieillesse, comme il arrive aux organes sensibles, affaiblis par la vieillesse; pourtant, l'âme ne s'en trouve pas affaiblie, car si un vieillard recevait l'œil d'un jeune, il verrait comme un jeune. C'est pourquoi la veillesse affaiblit non pas parce que l'âme même se détériore, ou la faculté sensible, mais son sujet. De même, dans les moments de maladie et d'ivresse, ce n'est pas l'âme qui s'affaiblit ou s'altère, mais le corps. Ainsi donc, «penser» (147), c'est-à-dire la simple appréhension, «et contempler» (148), c'est-à-dire l'opération de l'intelligence qui réside dans la composition et la division, «s'engourdissent» (149) non pas que l'intelligence se corrompe et se détériore, mais «pour autant qu'autre chose à l'intérieur se trouve corrompu», c'est-à-dire pour autant que se trouve corrompu quelque chose qui sert d'organe à l'intelligence. «Mais l'acte de l'intelligence, lui, est impassible.» (150)

#165. — Mais Aristote dit cela non pas qu'il partage cette opinion et qu'il croie que l'intelligence possède un organe corporel déterminé. Plutôt, comme on l'a dit (#150), il parle ici en supposant l'opinion de ces philosophes qui, comme on l'a dit (#146), étaient de l'avis que toutes les opérations de l'âme, et même l'intelligence, possédaient des organes déterminés. (151) C'est pourquoi, c'est en conformité avec cette opinion qu'il explique pourquoi l'acte de l'intelligence s'engourdit, parce que pareilles opérations, comme sont penser, aimer et haïr, ne sont pas les affections (152) de «celle-ci», à savoir, de l'âme — on parle dans un contexte de supposition —, «mais de qui comporte cela» (153), à savoir, du composé ou de l'organe corporel. De l'organe, dis-je, qui comporte «cela», à savoir, penser et autres pareilles opérations, «en tant qu'il le comporte» (154). Aussi, «pour autant que cela se trouve corrompu», à savoir, l'organe déterminé de pareille opération — aimer ou penser —, elle ne se souvient pas et n'aime pas, à savoir, l'âme. La raison en est que des affections de la sorte n'appartenaient pas à l'âme seulement «mais au commun» (155), à savoir, au composé, lequel se trouve déjà détruit et corrompu. Si, donc, tous les mouvements et opérations de la sorte ne s'affaiblissent pas à cause de l'âme, mais à cause de la faiblesse du corps ou de l'organe, comme on a dit, il est manifeste qu'ils n'appartiennent pas à l'âme seulement, mais au composé, et, par conséquent, que ce n'est pas l'âme qui se trouve en mouvement, mais le composé, bien que par l'âme (156).

#166. — Aristote, ici, a parlé de l'intelligence en supposant les opinions des autres, comme c'est déjà évident. Pour que, cependant, on ne croie pas qu'il conçoive lui-même l'intelligence selon la supposition qu'il a faite, il la retire, en affirmant que «peut-être l'intelligence est-elle quelque chose de plus divin et d'impassible», c'est-à-dire quelque chose de plus haut et une puissance plus grande qu'on ne l'a dit ici, et par conséquent une opération de l'âme même. (157) Il dit par ailleurs peut-être, parce qu'il n'en a pas encore traité et qu'il ne le montre qu'au troisième livre (#671ss.). Aussi est-il manifeste qu'il parle dans un contexte de supposition (158).

#167. — Ensuite (408b30), il conclut tout ce qui précède en affirmant qu'il devient manifeste par tout ce qu'on a dit qu'il n'est pas possible que l'âme soit mue. Or159 si elle n'est mue d'aucune manière, il est manifeste qu'elle ne se meut pas non plus par elle-même pour des mouvements de la sorte, comme ces gens le soutenaient.

Leçon  11

#168. — Auparavant, le Philosophe a réprouvé l'opinion de ceux qui ont soutenu, d'une manière absolue, que l'âme se meut. Ici, ensuite, il s'attaque à l'opinion de Xénocrate (160), qui a ajouté autre chose au mouvement, à savoir, que l'âme serait un nombre qui se meut lui-même. Cette opinion est encore plus irrationnelle que les opinions que l'on a citées des autres philosophes. En effet, bien des impossibilités appartiennent à ceux qui prétendent que l'âme est un nombre qui se meut luimême. En premier, certes, toutes celles qui s'ensuivent «du fait de ce qu'elle soit mue», c'est-à-dire de son mouvement, lesquelles s'ensuivent aussi pour toutes les opinions qui prétendent que l'âme se meut; mais aussi, il s'ensuit aussi, pour ceux qui parlent ainsi, des absurdités propres, du fait qu'ils soutiennent que l'âme est un nombre. Aussi le Philosophe réfute-t-il cette définition de Xénocrate concernant l'âme; il ne s'y attaque d'ailleurs pas seulement pour ce qu'elle sonne (161), mais aussi quant à l'intention de celui qui définit de cette manière. À ce propos, par ailleurs, il développe deux points: en premier, il montre que cette définition est inconvenante, en ce qui concerne l'âme même ou l'essence de l'âme (162); puis, en second (409b11), quant à ses accidents. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, en effet, il détruit la définition citée avec des raisonnements; en second (409a31), il montre qu'à cette définition s'ensuivent toutes les absurdités qui s'ensuivent des opinions des autres philosophes.

#169. — Que la définition citée soit incongrue, il le prouve avec six raisonnements. Le premier va comme suit. Tu dis que l'âme est un nombre qui se meut lui-même; or un nombre est fait d'unités; tu dis donc que l'âme est des unités. Si tu dis que l'âme est un nombre qui se meut lui-même, l'âme est donc aussi des unités qui se meuvent elles-mêmes; or tout ce qui se meut soi-même a deux parties, comme Aristote le prouve, Physique, VIII, 5, dont l'une meut et l'autre est mue; il faudra donc dire que l'unité ou le point se divise en deux parties, dont l'une meuve et l'autre soit mue. Or cela est impossible; il est donc impossible que l'âme soit un nombre qui se meut lui-même. Que par ailleurs il soit impossible qu'une unité ait une partie motrice et une autre mue, il le prouve ainsi: ce qui est tout à fait indivisible et sans différence ne peut d'aucune manière se concevoir comme chose qui se meut par elle-même, de sorte qu'il aurait une partie motrice et une autre mue. Car on ne peut trouver nulle part ces deux-là, à savoir, un moteur et un mobile (163), sans qu'ils diffèrent. Comme, donc, l'unité est indivisible et sans différence, elle ne peut avoir des parties de la sorte, et ainsi elle ne peut non plus se mouvoir. Donc, l'âme n'est pas un nombre qui se meut lui-même.

#170. — Il présente ensuite son second raisonnement (409a3), qui va comme suit. Tu dis que l'âme est un nombre; donc aussi des unités, comme on a dit. Or il n'y a, entre l'unité et le point, aucune différence, sinon que le point a une position; car le point est une unité dotée d'une position. Si donc l'âme est un nombre, il faut qu'on trouve quelque part le nombre de l'âme doté d'une position. L'âme sera donc des unités dotées de position (164). Les points ont ces caractéristiques; donc, l'âme sera aussi des points. Mais de l'avis des Platoniciens, le mouvement du point fait la ligne, la ligne, elle, une fois mue, fait la surface, et la surface le corps. Or l'âme est un nombre qui se meut lui-même; une unité de même sorte, donc; par conséquent, elle est un point qui se meut lui-même. Or le point mû ne fait qu'une ligne; donc, le mouvement de l'âme ne fait qu'une ligne, ce qui est faux. L'âme n'est donc pas un nombre qui se meut lui-même.

#171. — Il présente ensuite son troisième raisonnement (409a7), qui va comme suit. Si l'âme est un nombre, comme tu dis, il faut que s'y rattachent les affections et la nature du nombre. Or il est évident que si on enlève d'un nombre une unité, ou qu'on lui en ajoute une, on change son espèce. Car si à tel nombre (165), par exemple, à trois, tu ajoutes une unité, on change son espèce. Quatre fait en effet une autre espèce du nombre, une autre que trois. Si, de même, tu enlèves du même nombre une unité, on obtient deux et on change pareillement l'espèce. Il est évident, par ailleurs, que les animaux tirent leur espèce de leur âme, puisque chaque chose tient son espèce de sa forme (166). Donc, si l'âme est un nombre, et qu'on en soustraie ou y ajoute quelque chose, il reste une autre âme, spécifiquement; or cela est faux. Nous observons en effet, en coupant les plantes et les animaux à anneaux, qu'une fois divisés ou coupés ils survivent et gardent la même espèce. L'âme n'est donc pas un nombre qui se meut lui-même (167).

#172. — Il présente son quatrième raisonnement (409a10), qui va comme suit. Tu dis que l'âme est un nombre; comme on l'a dit, il s'ensuit que l'âme soit des unités dotées de position et, par conséquent, qu'elle soit des points. Si nous réfléchissons bien à partir de là, cependant, il semblera assurément qu'il n'y a aucune différence à dire que l'âme soit des corps petits et indivisibles, comme le disait Démocrite, ou de dire qu'elle soit des unités dotées de positions. En effet, l'un, doté de position, est une quantité et est indivisible. À partir de là, j'argumente comme suit: l'âme, selon ta position, est un nombre qui se meut lui-même; il est aussi, par conséquent des unités et des points qui se meuvent eux-mêmes. Supposons par ailleurs que les corps indivisibles que posait Démocrite soient des points, car cela ne fait pas de différence, comme on a dit, et qu'ils soient dotés de quantité — ce qui va nécessairement, car on ne se meut proprement que si on a quantité. Des points de la sorte, par ailleurs, se meuvent eux-mêmes, puisque l'âme est un nombre qui se meut lui-même. Mais dans ce qui se meut soi-même, comme on l'a dit, il y a deux parties; il y aura donc dans le point même une partie qui est motrice et une autre qui est mue. Il n'y a pas lieu de se préoccuper si ces corps sont grands ou petits, du moment qu'ils sont dotés de quantité; car cela arrive à tout continu qui se meut lui-même, à savoir, qu'il y ait deux parties là, l'une comme motrice et l'autre comme mue. Et ainsi, nécessairement, on a quelque chose motrice d'unités. Chez l'animal, par ailleurs, ce qui meut l'animal, c'est son âme; donc, dans le nombre aussi, ce qui meut le nombre sera son âme; l'âme, donc, n'est pas la partie mue, mais celle qui meut. Et ainsi la définition de l'âme est mauvaise, qui dit qu'elle est un nombre qui se meut lui-même; il faut dire, plutôt, qu'elle est un nombre moteur d'un nombre mû.

#173. — Il présente ensuite son cinquième raisonnement (409a18), qui va comme suit. D'après l'opinion de Xénocrate, il se trouve que celle-ci, à savoir, l'âme, soit une unité; et de cela se trouve qu'elle soit aussi des points, car si l'âme est une unité, il faut qu'elle diffère des autres unités. Or elle ne peut en différer que par sa position. Car quelle différence y a-t-il à un «point solitaire», c'est-à-dire à une unité conçue (168), sinon sa position? Aucune. Or l'unité dotée de position est un point; donc, l'âme n'est pas simplement une unité (169), mais des points. Cependant, l'âme réside dans le corps, et tout corps a ses points à lui. Je demande donc si les points qui sont l'âme sont les mêmes que les points du corps, ou si c'en sont d'autres. Si c'en sont d'autres, comme, en toute partie du corps on trouve l'âme, en n'importe quelle partie du corps, donc, on aura les points de l'âme; il y aura ainsi deux points à la fois dans le même lieu (170). Et s'il y en a deux, pourquoi pas plusieurs, ou même une infinité? Car ce dont le lieu est indivisible est soi-même indivisible; aussi n'a-t-il pas besoin d'un lieu plus ample. Si donc on prétend que deux choses entrent en un lieu indivisible, une infinité, par conséquent, peut tenir dans le même lieu. Si par contre tu dis que ce sont les mêmes points qui sont dans le corps et les points qui sont l'âme, il s'ensuit que, comme 1tout corps a des points, tout corps a une âme. Mais cela est faux; donc, l'âme n'est pas un nombre qui se meut lui-même (171).

#174. — Il présente ensuite son sixième raisonnement (409a28), qu'il tire du précédent. Il va comme suit: comme on a dit, il s'ensuit de la position de Xénocrate que l'âme soit des points; or nous observons que les points ne se séparent ni ne se détachent des corps. En effet, les lignes ne se séparent pas des surfaces, ni les points des lignes. Or l'âme se sépare et se détache du corps; donc, elle n'est ni points, ni nombre. Il appert donc que la définition de Xénocrate concernant l'âme est incongrue quant aux éléments qui entrent dans la définition.

#175. — Ensuite (409a31), il dit que la définition citée est incongrue quant à ses absurdités. En effet, d'une définition de la sorte (172) s'ensuivent toutes les absurdités qui s'ensuivent des opinions de tous les philosophes concernant l'âme. En effet, certains se sont trompés sur l'âme et ont dit qu'elle est un corps de parties très ténues (173). Il s'ensuivait de là que, comme l'âme est partout où le sens se trouve dans le corps, et que le sens se trouve partout à travers le corps, que si l'âme est un corps, il y ait deux corps au même lieu, et même une infinité — cela, si les points de l'âme sont différents des points du corps. Par contre, si «le nombre des points de l'âme n'est pas différent», c'est-à-dire si les points de l'âme ne diffèrent pas des points qui sont dans le corps, il s'ensuit qu'il y ait une âme en n'importe quel corps. Car on trouve des points en n'importe quel corps.

#176. — D'autres, par ailleurs, comme Démocrite, se sont trompés en prétendant que l'âme se meut, et que le corps est mû par le mouvement de l'âme. Et comme Démocrite lui-même disait que l'âme se compose de sphères indivisibles, et que le corps se trouve mû par le mouvement de ces sphères, il s'ensuivait que le corps se trouve mû par des corps indivisibles. Il s'ensuit cette absurdité de leur définition: l'animal est mû par un nombre, et par conséquent par des points; et cela ne fait pas de différence, parler de sphères petites, et de grandes unités, ou que n'importe quelles unités soient mues. En effet, dans les deux cas, c'est-à-dire dans les corps sphériques et dans les unités, il faut que l'animal (174) soit mû du fait qu'eux, à savoir les corps sphériques et les points ou les unités soient mus.

#177. — Ensuite (409b11), il montre l'insuffisance de la définition citée à partir des accidents. Il dit donc que, lorsqu'une définition est fournie de manière suffisante, elle doit non seulement conduire à la connaissance de l'essence de la chose définie, mais aussi à la connaissance de ses accidents. Mais si nous combinons en une seule formule les deux éléments introduits dans la définition de l'âme, à savoir, le nombre et le mouvement, non seulement il nous arrive les absurdités que nous avons décrites à propos de l'essence de l'âme elle-même, mais en plus bien d'autres; en effet, ces deux éléments, non seulement il est impossible qu'ils soient la définition, c'est-à-dire l'essence, de l'âme, mais en plus il est impossible qu'eux, à savoir, le nombre et le mouvement, soient des accidents de l'âme, ou conduisent à la connaissance de ses accidents. La définition, donc, est incongrue, puisqu'elle ne conduit pas à la connaissance des accidents (175). Qu'elle ne conduise pas à la connaissance des accidents de l'âme, cela devient manifeste, si, à partir de pareille définition, on s'efforce de donner les affections et les opérations (176) de l'âme, par exemple, les raisonnements, les plaisirs (177), les tristesses (178), et ainsi de suite. À partir d'eux, en effet, à savoir, à partir du nombre et du mouvement, non seulement il ne sera pas facile de parvenir à la connaissance des accidents et des opérations de l'âme, mais nous ne pourrons même pas deviner à partir d'eux quoi que ce soit des affections et opérations de l'âme.

Leçon  12

#178. — Le Philosophe a montré plus haut comment les naturalistes anciens sont parvenus à la connaissance de l'âme par trois biais, à savoir, par le mouvement, par la connaissance et par l'être le plus incorporel; puis il s'est attaqué à ceux qui sont parvenus à la connaissance de l'âme par le biais du mouvement, et à ceux qui ont dit que l'âme est ce qu'il y a de plus incorporel et de plus simple. Ici, pour faire suite, il s'attaque à ceux qui ont soutenu que l'âme connaît tout parce qu'elle est composée de tout.

#179. — Leur position était que l'âme connaîtrait toutes choses; or comme la connaissance se fait par assimilation, comme devinant cela de loin (179), ils affirmaient que l'âme, pour être ainsi en mesure de tout connaître, est composée de tout et qu'une ressemblance de toutes les choses se trouve dans l'âme d'après leur propre mode d'être, qui est corporel (180). Par suite, comme les choses se constituent d'éléments, ils soutenaient que l'âme est composée de tous les éléments, de manière à sentir et connaître tout ce qui est. Le principal à tenir cette position a été Empédocle, étant qu'il soutenait que l'âme est composée de plus d'éléments que n'en admettait n'importe lequel des autres; c'est pourquoi le Philosophe, ici, réprouve principalement son opinion et s'attaque à elle. À ce propos, il développe deux points. En premier, en effet, il réprouve l'opinion d'Empédocle; en second, toutefois, il en réprouve aussi une autre.

#180. — De fait, il réprouve l'opinion d'Empédocle avec dix raisonnements, dont le premier va comme suit. Empédocle dit que, puisque la connaissance se fait par voie de ressemblance, il faut bien, comme l'âme connaît tout, qu'elle soit composée de tout. Cependant, il est évident que nécessairement bien des absurdités et des impossibilités s'attachent à cette conception. Il va de soi, en effet, qu'en toute chose il ne se trouve pas seulement ceux-ci à connaître, à savoir, les éléments, mais beaucoup d'autres choses issues d'eux: par exemple, il y a la proportion selon laquelle ils se trouvent mélangés, et la définition de chaque chose produite; or ce qui s'attache aux choses composées d'eux, à savoir, des éléments, est peut-être infini en nombre, comme il appert dans le cas de l'os. Car il ne faut pas seulement connaître ce dont se compose l'os, mais aussi la proportion entre ces éléments dont il se compose, et encore la définition de l'os. Car tout ce qui est composé ne consiste pas en les éléments composés n'importe comment, mais requiert une définition et une composition déterminée, à savoir, selon laquelle les éléments se trouvent proportionnés entre eux. L'os, en effet, comporte huit parties; d'après ce que dit Empédocle, chaque os composé comporterait huit parties, à ne pas attribuer également à tous les éléments. Au contraire, la terre y tient deux parties, l'air en tient une, l'eau pareillement une, tandis que le feu en tient quatre. Par conséquent, c'est à cause de la plus grande participation du feu, dit-il, que les os sont blancs, et à cause de celle de la terre qu'ils sont secs. Ainsi donc, dans les choses composées, il n'y a pas seulement les éléments mêmes, mais la proportion et la définition de chacun. Partant de là, Aristote argumente comme suit. Ou bien ces proportions se trouvent dans l'âme avec les éléments, ou bien ils ne s'y trouvent pas. Si elles s'y trouvent, il y a donc dans l'âme des os et de la chair et autre chose de la sorte, et par conséquent un homme et une pierre et des corps et leurs contraires. Or personne ne doute (181) que ces choses ne soient pas dans l'âme. Par contre, si tu dis que pareilles proportions et définitions ne s'y trouvent pas, mais qu'on y trouve seulement les éléments, alors l'âme ne connaîtra pas la proportion des choses ni les composés eux-mêmes. Comment alors pourra-t-elle connaître Dieu, à savoir l'ensemble du ciel, ou l'homme, ou la pierre, ou l'os? Elle ne les connaîtra pas du tout, mais ne connaîtra que les éléments.

#181. — Il présente ensuite son second raisonnement (410a13), qui va comme suit. Tu dis que l'âme est composée des principes. Pourtant, à des genres différents des principes différents. Or c'est de bien des manières qu'on attribue d'être; c'est-à-dire il y a (182) différents genres: celui de la substance, par exemple, de la qualité, de la quantité, et ceux des autres attributions; il y aura donc des principes différents. Je demande donc si l'âme est composée seulement des principes de la substance, ou bien des principes de tous les genres. Si elle l'est seulement des principes de la substance, alors l'âme ne connaîtra que les substances; or ces gens prétendent qu'elle connaît toutes choses. Mais si elle se compose des principes de tous les genres (183), alors, comme tout ce qui est issu des principes de la substance, et que ce qui est issu des principes de la quantité est quantité, et ainsi de suite, alors l'âme sera substance, quantité, qualité, relation, et ainsi de suite.

#182. — On pourrait toutefois alléguer contre ce raisonnement d'Aristote que les principes de la substance sont aussi ceux de la quantité et de la qualtié et des autres genres, puisque toutes choses se fondent sur la substance. Aussi, sans qu'il soit nécessaire qu'il n'y ait dans l'âme d'autres principes que ceux de la substance (184), elle connaîtra pourtant toutes choses. Il faut répliquer à cela que toute chose comporte des principes prochains et éloignés, mais que la connaissance doit procéder par les principes prochains. Or les principes de la substance, bien qu'ils soient principes des autres genres, sont quand même éloignés et non prochains, et c'est pourquoi, on ne peut par eux avoir de connaissance que de la substance.

#183. — Il présente ensuite son troisième raisonnement (410a23), lequel réduit à l'absurde. Cela va comme suit. La raison pour laquelle l'âme est composée de tous les éléments est que l'âme connaît toutes choses et que la connaissance se fait par le biais de ressemblance. — À l'encontre: il va de soi, pourtant, que sentir et connaître, c'est être affecté par quelque chose. Or il est absurde de dire que le semblable est affecté par le semblable; c'est plutôt par le contraire. Il est donc absurde aussi de dire que sentir ou connaître se fait le semblable par le semblable.

#184. — Il présente ensuite son quatrième raisonnement (410a27), qui va comme suit. Ce que l'on vient de dire témoigne que l'affirmation d'Empédocle, à savoir, que le semblable est connu par le semblable, soulève bien des réticences et des difficultés. Mais cette affirmation est manifestement encore plus difficile et inappropriée. En effet, si l'âme connaissait le semblable par le semblable, comme Empédocle le dit, il s'ensuivrait alors que par les éléments de l'air on connaîtrait l'air (185), et ainsi de suite. Pourtant, nous observons qu'il se trouve dans l'animal bien des parties de terre, et qu'elles ne sentent rien; par exemple, les poils, et les os, et les nerfs. Pourtant, il conviendrait qu'elles sentent selon leur position. Donc, le semblable ne se connaît pas par le semblable et, de plus, l'âme n'est pas composée (186) de tous les éléments.

#185. — Il présente ensuite son cinquième raisonnement (410b1), qui va comme suit. Il s'ensuit encore, de la position d'Empédocle, que le semblable se connaît par le semblable, une autre absurdité, à savoir, que le principe comporte plus d'ignorance que d'intelligence. Si en effet la connaissance se fait par le semblable seulement, et que tout principe soit simple et ne comporte en lui aucune ressemblance sinon avec lui-même, le principe ne connaîtra que lui-même, et ignorera beaucoup de choses, à savoir, toute autre chose issue de lui.

#186. — Il présente ensuite son sixième raisonnement (410b4), qui va comme suit. Il s'ensuit encore de la dite position, à savoir, que le semblable se connaît par le semblable, une autre absurdité pour Empédocle: celle-ci, que Dieu soit le moins sage de tous les vivants (187). Cela s'ensuit comme suit. On doit savoir, en effet, que, comme il a été dit (#45; 133), Empédocle soutenait que tous les composés inférieurs sont composés de quatre éléments, ainsi que de la discorde et de l'amitié, et que la génération et la corruption provient dans les choses de ces deux éléments, à savoir, de la discorde et de l'amitié. C'est le ciel, toutefois, qu'il disait être Dieu, et il disait qu'il était composé de quatre éléments, ainsi que de l'amitié, mais non de la discorde, et que c'est pour cela qu'il est incorruptible. Si donc le semblable se connaît par le semblable, comme Dieu n'est pas composé de la discorde, il ne connaîtra pas la discorde, et il sera ainsi moins sage, absolument, que les autres animaux, qui connaissent la discorde puisqu'ils en sont composés.

#187. — Il présente ensuite son septième raisonnement (410b7), qui va comme suit. Si l'âme est composée de tous les éléments, il s'ensuit que tout ce qui est comporte une âme, car tout ce qui est est issu de tous les éléments ou de quelques-uns. Or tout ce qui est composé d'éléments est un corps (188); donc, tous les corps ont une âme et possèdent tout ce qui est (189). Or cela est faux.

#188. — Il présente ensuite son huitième raisonnement (410b10), qui va comme suit. Les éléments sont plusieurs et se contrarient. Or partout où des contraires s'assemblent et se composent, il y a nécessairement autre chose qui les contienne et les réunisse. Si donc l'âme est composée de tous les éléments, il y a nécessairement autre chose qui les contienne. Mais il est assez douteux qu'estce que ce peut être, parce que ce serait plus noble et antérieur à l'âme, ce qui est impossible, au moins en ce qui concerne l'intelligence. Car il est fort raisonnable que l'intelligence soit le plus noble de tous les êtres et domine (190) de nature. En outre, il s'ensuivrait que cela serait antérieur aux éléments. Or cela est faux, car Empédocle et les autres disent que les éléments sont premiers parmi tous les êtres. L'âme n'est donc pas composée des éléments.

#189. — Il présente ensuite son neuvième raisonnement (410b16). Il montre là le défaut et l'insuffisance de la position d'Empédocle et de tous les autres qui ont regardé l'âme à partir du mouvement ou de la sensation. Cela va comme suit. Il est clair aussi que tous ceux, quels qu'ils soient, qui ont prétendu que l'âme est quelque chose de mû localement ont parlé avec insuffisance. En effet, il existe beaucoup d'êtres animés qui ne changent pas de lieu, mais restent sur place, comme les plantes et autres pareils. Pareillement, par ailleurs, même ceux qui ont dit que l'âme est quelque chose d'intellectuel et de sensible ont parlé avec insuffisance. En effet, il existe beaucoup d'êtres animés qui ne sentent ni n'intelligent. Si même on séparait cela, à savoir, l'intelligent, le sensible et le mobile, et qu'on disait que l'intelligent est une partie de l'âme et pareillement le sensible, on ne parlerait cependant pas alors de toute âme, puisque toutes les âmes ne sont pas intelligentes. Ni de l'âme entière, puisque l'intelligent et le sensible sont des parties de l'âme. Ni d'une seule, parce qu'ainsi on ne dirait pas toutes les propriétés d'une âme quelconque, du fait qu'il se trouve dans l'âme d'autres propriétés qu'intelliger et sentir.

#190. — Un autre philosophe, appelé Orphée, a aussi parlé de manière déficiente de l'âme et est tombé dans un défaut semblable. Aussi ajoute-t-il ici son défaut. On doit savoir que cet Orphée était l'un de ces premiers philosophes qui étaient comme des poètes théologiens et parlaient en vers de la philosophie et de Dieu. Il y en eut seulement trois, à savoir Musée, Orphée et un certain Linus (191). C'est cet Orphée qui en premier a mené les hommes à habiter ensemble; il était un magnifique orateur, au point d'amener les hommes bestiaux et solitaires à la civilité. À cause de cela, on dit de lui qu'il était un excellent cithariste, au point qu'il aurait fait danser des pierres, c'est-à-dire qu'il était assez bon orateur pour émouvoir des hommes en pierre. C'est après ces trois-là que sont venus les sept sages, dont l'un fut Thalès. Cet Orphée, donc, voulait que l'air tout entier soit animé et une espèce d'âme; et que l'âme des corps vivants ne soit rien d'autre que ce que l'animal aspire d'air animé par sa respiration. Cela, il l'exprimait en vers. C'est pourquoi le Philosophe dit que le raisonnement d'Orphée qui se trouve dans ses chants en vers sur l'âme souffre du même défaut que les raisonnements des gens précédents, car, somme on l'a dit, il voulait que cela serait l'âme, ce qui se trouve aspiré par la respiration des animaux. Mais cela se trouve dit avec insuffisance, car il existe beaucoup d'animaux qui ne respirent pas: «or cela», à savoir, que certains (192) animaux ne respirent pas, échappait à ceux qui étaient de l'opinion citée. Et il appert ainsi que ces gens se voient reprocher leur insuffisance.

#191. — Il présente ensuite son dixième raisonnement (411a2) et il leur reproche leur redondance. Cela va comme suit. Ces gens disent que, pour connaître, il faut que l'âme soit composée des éléments. Pourtant, nous observons que la connaissance de toute chose peut s'obtenir avec moins d'éléments qu'elle n'en a (193); donc, même si on concède que l'âme soit composée d'éléments, on ne doit cependant pas la dire composée de tous les éléments (194), mais au plus de deux. Que, par ailleurs, on arrive à connaître avec moins d'éléments que les choses n'en ont, cela est évident. En effet, alors que le composé est constitué d'un parfait et d'un imparfait, c'est le parfait qui procure la notion pour connaître l'imparfait; et comme les contraires se réduisent à la privation et à l'habitus, l'une des parties suffit, à savoir, celle qui se rapporte à l'autre comme l'habitus et le parfait, pour la connaître elle-même et pour connaître l'autre partie, qui tient lieu de privation et d'imparfait. En effet, avec le droit nous discernons et connaissons le droit lui-même, mais aussi le courbe. C'est avec «le canon, en effet», c'est-à-dire, avec la règle, qu'on obtient un jugement sur l'un et l'autre. Avec le courbe, par contre, nous ne connaissons ni le courbe même, ni le droit. Il n'était donc pas nécessaire de faire l'âme, c'est-à-dire de la composer, de tous les éléments, mais de deux seulement, à savoir, du feu et de la terre, et par là elle connaîtrait elle-même en même temps les contraires (195); par exemple, par le feu elle connaîtrait le chaud et le froid, et par la terre, le sec et l'humide.

Leçon  13

#192. — Auparavant, le Philosophe a présenté les opinions de ceux qui prétendent que l'âme est composée des éléments, ainsi que leurs raisonnements, et il les a réprouvées; ici, il présente en passant l'opinion de certains qui soutenaient que l'âme est dans les éléments. À ce propos, il développe deux points. En effet, il présente, en premier, leur opinion; en second (411a16), le raisonnement qui la fonde. Sur le premier point, il en développe deux autres. En premier, il présente l'opinion. En second (411a9), il la réprouve. Il y en a, dit-il donc, qui soutiennent que l'âme est mélangée par tout l'univers et qui affirment qu'elle se trouve tant dans les éléments que dans les corps qui en sont composés. C'est ainsi qu'un Philosophe du nom de Thalès, sans doute poussé par cette opinion, était d'avis que toutes choses sont pleines de dieux. Car il voulait que l'univers entier soit animé, et que son âme soit Dieu. En conséquence, comme l'âme se trouve dans toute partie de l'animal, et qu'elle y est toute, il voulait de même que Dieu se trouve en toute partie de l'univers, de sorte que toutes choses seraient pleines de dieux. Peut-être est-ce de là que provient l'idolâtrie.

#193. — Ensuite (411a9), il réprouve cette opinion. Il affirme d'abord que cette idée que l'âme se trouve dans les éléments et en ce qui en est composé soulève des difficultés et des réticences. L'une en est que si l'âme se trouve dans l'air et dans le feu — car c'est en ces deux-là qu'ils disaient qu'elle se trouve surtout —, il sera difficile à ces gens de dire pour quelle cause, en eux, l'âme ne produit pas l'animal, c'est-à-dire pourquoi ces éléments ne sont pas des animaux; car dans les corps mixtes l'âme produit l'animal: les corps mixtes animés, en effet, sont des animaux. Surtout qu'on doit penser qu'elle, à savoir, l'âme, est meilleure dans les éléments simples que dans les corps qui en sont composés.

#194. — Une autre difficulté est que, toujours pour le même motif, on leur demandera pourquoi l'âme qui, d'après eux, se trouve dans les éléments est meilleure et plus immortelle que celle qui se trouve dans les corps qui en sont composés. Car celle qui se trouve dans les corps composés fait à la fois que l'animal connaisse et sente, tandis que celle qui se trouve dans les éléments ne fait pas cela. 

#195. — En quelque sens qu'on tranche ces difficultés, on tombe dans l'absurdité et l'irrationnel. Car dire que le feu ou l'air est un vivant (196), comme la première difficulté y porte, est tout à fait absurde et apparaît faux tout de suite au sens; c'est le dire de gens privés de raison. Mais ne pas admettre que ce en quoi on trouve une âme soit un vivant est aussi tout à fait absurde. De cette manière, en effet, il n'y a pas de différence, pour un corps, entre avoir une âme ou non.

#196. — Ensuite (411a16), il présente le raisonnement qui fonde l'opinion qui précède. À ce propos, il développe deux points: en premier, il présente le raisonnement et le réprouve. En second (411a24), il conclut ce qui est devenu manifeste avec tout ce qui a été dit. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, en effet, il présente le raisonnement au fondement de l'opinion et il dit que la raison pour laquelle les philosophes en question semblent avoir pensé que l'âme est là (197), c'est-à-dire en tous les éléments, est qu'eux-mêmes voulaient que le tout et les parties (198), dans les éléments, comme ceux-ci sont simples, soient pareils spécifiquement. Aussi, comme ils voyaient et pensaient que la partie du contenant, c'est-à-dire de l'air, interceptée dans les corps des vivants (199) par l'inspiration et la respiration, était la cause pour laquelle les vivants (200) devenaient animés, et donc se trouvait l'âme (201), il leur était nécessaire (202) de dire que «l'âme était semblable à ses parties, spécifiquement», c'est-à-dire que tout le contenant était animé.

#197. — En second (411a20), il réprouve le raisonnement énoncé. Étant donné (203), dit-il, que l'air détaché (204) et attiré est semblable spécifiquement à tout l'air, il s'ensuit que l'âme du vivant soit semblable à la partie de l'âme de tout l'air. Or il va de soi que l'âme de tout animal est dissemblable à la partie de l'âme de l'air, puisque l'une d'elles, à savoir, l'âme de l'air «existe», c'est-à-dire est d'après eux immortelle, dans la mesure où elle vivifie toujours et a toujours vivifié tous les vivants, «tandis que l'autre», à savoir, l'âme de tel ou tel vivant, «n'existe pas», c'est-à-dire est d'après eux mortelle. Nécessairement, donc, l'une de deux absurdités s'ensuit de là: ou bien les parties de l'air sont semblables entre elles, à savoir, celle qui est à l'intérieur de tel ou tel vivant et celle qui est à l'extérieur, et de même l'âme, ce qu'on a réprouvé; ou bien l'âme même a des parties dissemblables et l'air des parties semblables, et il s'ensuit alors que l'âme ne se trouve pas en toute partie «du tout», c'est-à-dire, du tout de l'air, ce qui va contre eux, puisqu'ils soutenaient que tout l'air est animé.

#198. — Ensuite (411a24), il conclut de tout ce qui a été dit sur les opinions des anciens que rien de ce qu'elles attribuaient à l'âme n'est vrai ni bien dit, de la manière dont ces gens l'ont dit: connaître n'appartient pas à l'âme du fait qu'elle soit faite des éléments, comme ils le soutenaient; le mouvement et le fait d'être mûe ne lui appartiennent pas non plus, même sur la base de ce qui allait de soi à leur avis à partir des éléments mentionnés. Tout cela appert assez ouvertement et clairement à qui regarde à ce qui précède.

Leçon  14

#199. — Maintenant que les opinions des philosophes anciens (205) sur l'âme se trouvent présentées et réprouvées, le Philosophe soulève à la suite certaines difficultés. À ce propos, il développe deux points: en premier, en effet, il soulève les questions elles-mêmes; en second (411b5), il les résout. Mais on doit savoir que les opérations de l'âme, à savoir, sentir, intelliger, désirer, changer de lieu et augmenter, peuvent se prendre de deux manières: soit d'après la manière d'opérer, et ainsi il y a trois puissances de l'âme, auxquelles on attribue pareilles actions, à savoir, les puissances végétale, sensible et intellectuelle (206).

#200. — Celles-ci diffèrent, bien sûr. En effet, la puissance nutritive ou végétale agit par le moyen de qualités actives et passives, comme le chaud, le froid et autres pareilles. La puissance sensitive, elle, c'est-à-dire le sens, bien qu'elle n'ait pas besoin de qualités sensibles pour sentir, a cependant besoin d'un organe corporel. L'intelligence, enfin, n'a besoin de rien de cela, car elle ne saisit quoi que ce soit ni avec des qualités ni avec un organe corporel (207), mais complète son opération sans aucun organe.

#201. — Si par contre nous prenons pareilles actions d'après leurs genres d'actions, alors il y a cinq puissances: la nutritive, la sensitive, la motrice selon le lieu, l'appétitive et l'intellective; et leurs actions sont sentir, nourrir, mouvoir (208), désirer et intelliger.

#202. — C'est pourquoi le Philosophe, alors que, plus haut, il traitait de l'âme dans sa totalité d'après les opinions des anciens, il s'enquiert ici de ses parties et des opérations de ses parties, et il soulève deux questions. La première en va comme suit: les opérations de l'âme, qui sont connaître et sentir, quant au sens, et penser, quant à l'intelligence, et encore désirer, quant à l'appétit concupiscible, et délibérer, quant à l'appétit rationnel, et aussi quant à l'appétit qu'il y a en plus — car il rattache à ces deux-là l'appérit irascible —, et changer de lieu, et augmenter, et diminuer, estce qu'elles conviennent à toute l'âme, de sorte que chacune d'elles soit en toute partie de l'âme, c'est-à-dire que nous intelligions, sentions, nous mouvions, désirions et nous nourrissions selon n'importe quelle partie de l'âme? Ou bien chacune d'elles touche-t-elle une partie déterminée de l'âme, de sorte que nous intelligions par l'une et sentions par l'autre, et ainsi de suite?

#203. — Voici la seconde question: en admettant que toute opération de l'âme touche une partie spéciale, il surgira encore la question de savoir si le fait de vivre convient à l'une des parties, de sorte qu'il se retrouve en une seule, ou en plusieurs parties, ou en toutes. Et s'il n'y est pas, s'il se trouve ailleurs.

#204. — Ensuite (411b5), il répond aux questions posées. Et en premier à la première. En second (411b27) à la seconde. Répondant donc à la première question, il présente en premier l'opinion de certains philosophes à ce propos. En second (411b6), il la réprouve. Certains, en effet, prétendent que pareilles opérations ne conviennent pas à toute l'âme, mais à certaines de ses parties. Car ils disent que l'âme est divisible, et qu'elle intellige par l'une de ses parties, et désire par une autre. Par exemple, d'aucuns situaient la partie sensitive dans le cerveau, la vivificative dans le cœur, et ainsi de suite.

#205. — Pareille opinion, toutefois, est de quelque manière vraie et de quelque manière fausse. Car si tu reconnais dans l'âme différentes parties potentielles, alors il est vrai que l'âme possède des parties et puissances différentes, et que l'une intellige, que l'autre sent. L'âme, en effet, est une espèce de tout potentiel, et on prend là la partie potentielle en regard du tout potestatif. Si par contre on comprend que l'âme est une espèce de grandeur, ou de quantité, et qu'elle se divise en différentes parties quantitatives, alors l'opinion est fausse. Or ces philosophes comprenaient que l'âme est divisible de cette manière. Ils ajoutaient même en plus que pareilles puissances de l'âme étaient des âmes différentes.

#206. — Ensuite (411b6), le Philosophe réprouve l'opinion précédente avec trois raisonnements, dont le premier va comme suit. Des choses différentes ne peuvent se réunir en une à moins qu'elles ne se trouvent réunies par autre chose; si donc il y a différentes âmes dans un corps, il faut qu'elles se trouvent contenues et réunies par autre chose; or il n'y a rien qui les réunisse et contienne; donc, elles ne sont pas différentes. Que, par ailleurs, rien ne contienne et réunisse l'âme, cela appert comme suit. Car ou bien ce serait le corps dans lequel elle est, ou bien autre chose. Or ce n'est pas le corps qui l'unit et la contient; c'est plutôt l'âme qui contient le corps: nous observons en effet que lorsque l'âme sort du corps, le corps défaille et s'évanouit. Mais si c'est autre chose qui la contient, alors cela sera suprêmement une âme, car il appartient à l'âme de contenir et de régir. Et si c'est une âme, alors il faudra de nouveau demander si elle est une ou multipartite. Et si on dit qu'elle est multipartite, la question se posera encore de ce qui l'unit, et ainsi à l'infini. Et si on dit qu'elle est une, «pourquoi ne pas le dire tout de suite», c'est-à-dire dès le début, que l'âme est une? Donc, l'âme n'est pas divisible en parties quantitatives, comme ces gens le prétendent.

#207. — Il présente ensuite son second raisonnement (411b14). S'il y a des parties différentes de l'âme en différentes parties du corps, il s'ensuit qu'il y ait, pour toute opération de l'âme, une partie déterminée du corps, ou un organe corporel. Mais cela est impossible, car l'intelligence n'a pas de partie déterminée ou d'organe dans le corps. L'âme, donc, ne comporte pas différentes parties, comme ces gens le disent.

#208. — Il présente ensuite son troisième raisonnement (411b19). Si les différentes opérations de l'âme se trouvent en des parties différentes, il n'y aura alors pas lieu de trouver une partie en laquelle il y ait plusieurs opérations en même temps, et il n'y aura pas non plus pour le vivant de parties de même espèce. Or nous trouvons des parties chez certains animés qui ont plusieurs opérations, et chez eux l'âme est de la même espèce dans leur tout et dans leurs parties, comme c'est le cas dans les plantes et en certains animaux qui, une fois coupés, vivent encore, comme c'est le cas pour les animaux à anneaux, dont n'importe quelle partie coupée sent et se meut un certain temps. Et si on dit qu'ils ne vivent pas longtemps, cela n'a pas rapport; c'est qu'ils n'ont pas les instruments avec lesquels conserver leur nature. Il existe pourtant en leurs parties plusieurs opérations de l'âme, et ces parties sont pareilles les unes que les autres, spécifiquement, et pareilles même au tout. Il n'y a donc pas différentes parties de l'âme dans les différentes parties du corps. Or la raison pour laquelle ils vivent encore, une fois coupés, c'est que plus l'âme est parfaite, plus elle exerce d'opérations parfaites et différentes. Et c'est pourquoi, pour exercer des opérations de la sorte, elle a besoin de plusieurs et différents organes ou instruments corporels dans le corps dans lequel elle est. Par ailleurs, l'âme rationnelle, étant plus parfaite, exige une plus grande diversité d'organes; l'âme qui est dans les animaux à anneaux et aussi dans les plantes, elle, parce qu'elle a peu de perfection, n'exerce pas tant d'opérations différentes; c'est pourquoi elle requiert un corps plus semblable et uniforme et se conserve en n'importe quelle partie.

#209. — Ensuite (411b27), il résout la seconde question. À ce propos, on doit savoir que vivre appartient proprement à ceux qui ont mouvement et opération par eux-mêmes, sans être mus par d'autres. Aussi, même vivre se prend de deux manières. D'une manière, on prend vivre, qui est l'être du vivant, comme le dit le Philosophe, au sens où vivre est l'être pour les vivants. De l'autre manière, vivre est une opération.

#210. — On doit donc dire que l'âme qui est dans les plantes, à savoir, l'âme végétative, est manifestement comme un principe qui manifeste la vie dans les choses inférieures. En effet, sans elle, rien ne vit et c'est en elle seule que communiquent tous ceux qui vivent, tandis qu'ils ne communiquent pas tous dans le reste. En effet, les animaux et les plantes se rejoignent seulement au niveau végétatif. En outre, le végétatif peut aller sans sensible ni intelligible, mais eux ne peuvent aller sans végétatif. Aucun animal, en effet, n'a le sens ou l'intelligence «sans cela», à savoir, sans le végétatif. Ainsi donc, vivre s'attribue à ce principe, à savoir, à l'âme végétative, comme sentir au toucher. Ce n'est pourtant pas que l'animal vive par la seule âme végétative, mais parce qu'elle est le premier principe où se manifeste la vie.     

 

(121

(122) Léonine: operationibus. Marietti: operibus.

(123) Léonine: obiiciendo et solvendo. Marietti: solvendo et obiiciendo.

(124) Léonine: omne corpus. Marietti: corpus.

(125) Léonine: hoc tantum negat, scilicet quod huiusmodi operationes … non dicit esse motus animae, sed coniuncti. Marietti: hoc tantum negat, scilicet quod huiusmodi operationes … sint motus animae, sed motus coniuncti.

(126) Léonine: quod. Marietti: quia.

(127) Léonine: neque attribuuntur animae. Marietti: neque attribuuntur animae, scilicet quod irascatur, gaudeat, sentiat, et huiusmodi.

(128) Léonine: quod secundum huiusmodi operationes. Marietti: quod anima secundum huiusmodi operationes.

(129 Léonine: et de aliis similiter manifeste apparet quod… Marietti: et sic de aliis. Similiter manifeste apparet quod… 

(130) Léonine: non sunt motus animae, sed coniuncti. Marietti: non sunt animae tantum motus, sed coniuncti.

(131) Léonine: movetur. Marietti: movet.

(132) Léonine: secundum duas species motus: una est secundum loci mutationes. Marietti: secundum loci mutationes.

(133 Léonine: in ira, motis quorumdam particulis ipsius corporis, scilicet cor. Marietti: in ira, quae fit in anima motis quibusdam particulis ipsius corporis, scilicet moto corde.

(134 Léonine: pallet. Marietti: pallescit.

(135) Léonine: aedificativa. Marietti: per aedificativam artem.

(136) Léonine: in anima. Marietti: in anima sicut in subiecto.

(137) Léonine: non sic dico quasi motus in illa. Marietti: non sic dico quod motus in illa.

(138) Léonine: operatione sensuum. Marietti: apprehensione sensibilium.

(139) Léonine: quando apprehendit. Marietti: quando anima apprehendit.

(140) Léonine: anima est ut principium motus. Marietti: est principium ut motus.

(141) Léonine: distinctiva et definitiva, sed obviativa. Marietti: distinctiva et definitiva veritatis, sed obviativa.

(142) Léonine: proprie. Marietti: propriam.   

(143) Léonine: in his operationibus. Marietti: in operationibus.

(144) Léonine: differt tamen a motu, quia operatio… Marietti: differt tamen a motu eius operatio, quia eius operatio…

(145) Léonine: in intellectu. Marietti: intellectu.

(146) Léonine: ea quae ostendit. Marietti: quae ostendit.  

(147) Intelligere, traduisant .

(148) Considerare, traduisant .

(149) Marcescunt, traduisant .

(150) Ipsum autem intelligere est impassibile, traduisant .

(151) La Léonine ajoute: Unde dicit secundum hoc, aussi parle-t-il en se conformant à cette opinion.

(152) Léonine: non sunt passiones. Marietti: sunt passiones.

(153) Léonine: sed huiusmodi habentis. Marietti: sed huius habentis. Traduisant .

(154) Secundum quod illud habet, traduisant .

(155) Sed communis, traduisant . 

(156) Léonine: licet ab anima. Marietti: licet anima.

(157) Léonine: et aliqua maior operatio ipsius animae, quam dicatur hic. Marietti: et aliqua maior potentia, et per consequens operatio ipsius animae, quam dicatur hic. — Deux remarques s'entrecroisent: que l'intelligence est quelque chose de plus noble qu'on ne l'a supposé ici, et que son opération ne relève que de l'âme sans dépendance d'un organe corporel. On a intérêt à lire quam dicatur hic plus près de maior

(158) Léonine: supponendo loquitur. Marietti: patet quod supponendo loquitur.

(159) Léonine: sed et. Marietti: quod.

(160) Léonine: arguit opinionem Xenocratis. Marietti: arguit contra opinionem Xenocratis.

(161) Ad nomen. — Comparer, supra, #107-108.

(162 Léonine: quantum ad ipsam substantiam animae. Marietti: quantum ad ipsam animam vel substantiam animae

(163) Léonine: motiva et mobilis. Marietti: vis motiva vel movens, et mobilis vel mota.

164) Léonine: unitates positionem habentes. Marietti: unitas positionem habens.

(165) Léonine: huic numero. Marietti: si huic numero.

(166) Léonine: consequatur speciem per formam suam. Marietti: consequatur per formam speciem suam.

(167) Léonine: numerus. Marietti: numerus movens seipsum.

(168) Léonine: id est unitatis, nisi positio? Nulla. Unitas… Marietti: id est unitatis intellectae, nisi positio? Nulla unitas… 

(169) Léonine: unitates. Marietti: unitas.

(170) Léonine: ergo cum in qualibet parte corporis sit anima, in qualibet parte corporis erunt puncta animae, et sic erunt du puncta in eodem loco simul. Marietti: ergo in qualibet parte corporis erunt puncta animae, et sic erunt duo puncta animae in eodem loco simul.

(171) Léonine: numerus. Marietti: numerus movens seipsum

(172) Léonine: ex huiusmodi definitione. Marietti: ex huiusmodi definitione de anima.

(173) Léonine: subtilium partium. Marietti: subtilissimarum partium.

(174) Léonine: animal. Marietti: anima.

(175) Léonine: non igitur est congrua definitio. Marietti: non igitur est congrua definitio, cum non ducat in cognitionem accidentium.

(176) Léonine: opera. Marietti: operationes

(177) Léonine: delectationes. Marietti: delectationem.

(178) Léonine: tristitias. Marietti: tristitiam.

(179) Léonine: quasi hoc divinantes. Marietti: quasi hoc a longe divinantes.

(180) Léonine: modum essendi. Marietti: modum essendi, scilicet corporalem.

(181) Léonine: et lapis, et cetera, et nullus dubitat… Marietti: et lapis, et corpora, et contraria: unde nullus dubitat…

(182) Léonine: idest cum sint diversa genera. Marietti: idest secundum diversa genera.

(183) Léonine: ex principiis omnium . Marietti: ex principiis omnium generum.

(184) Léonine: non oportet quod sint in anima aliud quam substantiae. Marietti: non oportet quod sint in anima aliqua alia principia quam principia substantiae.

(185) Léonine: sequitur quod per elementa aeris cognoscat aera. Marietti: sequitur quod elementum aeris cognoscat aera.

(186) Léonine: non est composita anima. Marietti: non est composita.

(187) Animalia

(188) Léonine: omne quod est compositum ex elementis est corpus. Marietti: omne quod est compositum ex elementis, aut ex elementis, est corpus. Une note suggère de lire elementatis, pour le second elementis.

(189) Omnia corpora habent animam et omnia quae sunt. Le commentaire s'éloigne curieusement de la lettre, où il n'est pas question de ce que tout soit un corps ni de ce que tout possède tout, mais de ce que tout connaisse ou quelque chose ou même tout. Peut-être le mot cognoscunt se lisait-il dans le texte originel.

(190) Léonine: dominus. Marietti: divinum.

(191) Léonine: scilicet Museus, Orpheus, et quidam Linus. Marietti: Samius, Orpheus, et quidam alius.

(192) Léonine: aliqua. Marietti: multa.

(193) Per pauciora. 

(194) Léonine: non debuit poni animam componi ex elementis omnibus. Marietti: non tamen debet dici composita ex elementis omnibus.

(195) Léonine: cognosceret et ipsa et contraria. Marietti: cognosceret et seipsam et contraria.

(196) Animal. Le mot est pris ici au sens étymologique plus général de ce qui a une âme, de ce qui est animé. Il en va de même, deux lignes plus loin, où je traduis encore animalia par vivants.

(197) Léonine: hic. Marietti: in his.

(198) Léonine: partem. Marietti: partes. 

(199) Animalium. Voir supra, note 196; et aussi note 3.

(200) Animalia.

(201) Léonine: et sic anima. Marietti: et sit anima.

(202) Léonine: necessarium. Marietti: necesse.

(203) Léonine: si. Marietti: quia.

(204) Léonine: discretus. Marietti: discerptus.

(205) Léonine: antiquorum philosophorum. Marietti: antiquorum.

(206) Léonine: potentiae videlicet vegetabilis, sensibilis et intellectualis. Marietti: potentiae videlicet vegetabili, sensibili et intellectuali.

(207) Léonine: nec qualitatibus, nec per organum intelligit. Marietti: nec qualitatibus, nec per organum corporale aliquid intelligit

(208) Léonine: nutriri, moveri. Marietti: nutrire, movere.